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  • USA : Grandes Victoires électorales pour Socialist Alternative!

    D’énormes opportunités politiques se présentent pour la classe des travailleurs

    Deux candidats de Socialist Alternative ont provoqué une onde de choc historique aux Etats-Unis la nuit du 5 novembre dernier. Ces deux candidats – Kshama Sawant à Seattle et Ty Moore à Minneapolis – ont mené des campagnes ouvertement anticapitalistes et socialistes, les campagnes de ce type les plus soutenues depuis des décennies dans une métropole du pays. Kshama Sawant a obtenu le résultat provisoire de 47% et Ty Moore celui de 37%.

    Par Bryan Koulouris, Socialist Alternative (CIO-USA)

    Les résultats annoncés sont encore provisoires, d’autres bulletins doivent encore être dépouillés au cours de ces deux prochaines semaines. En ce moment, les deux courses se jouent au coude-à-coude. Ty Moore en est à 130 voix seulement de la victoire ! Kshama Sawant, quant à elle, n’a obtenu que 4% de moins que son adversaire alors que seuls 38% des bulletins ont été dépouillés, et le reste pourrait fortement pencher à sa faveur.

    Au final, qu’importe le résultat, les suffrages recueillis par ces candidats ouvertement marxistes illustrent clairement quel est l’espace politique présent aux Etats-Unis sur base de la colère ressentie à l’encontre de l’establishment capitaliste.

    Le désaveu de l’establishment politique est gigantesque aux Etats-Unis, en conséquence de la Grande Récession et de la faiblesse de la ‘‘reprise’’ économique. Cela a bien entendu alimenté les deux campagnes. Le Shutdown du gouvernement a aussi provoqué une rage populaire qui a permis aux campagnes de Socialist Alternative de toucher la corde sensible des gens ordinaires. Durant le Shutdown, le taux d’approbation du Congrès est tombé jusqu’au taux historiquement bas de 5% ! Dans un sondage de l’agence Gallup, 60% des sondés ont déclaré qu’il fallait un nouveau parti aux Etats-Unis, un pourcentage qui n’avait encore jamais été atteint. Seuls 26% des sondés ont déclaré que les partis Républicains et Démocrates faisaient bien leur travail, là aussi un taux record, mais vers le bas.

    Nombreux sont les Américain qui se sentent découragés et démoralisés par ce système électoral pro-Big Business. Ces campagnes ont cependant démontré que des candidats indépendants et des travailleurs ordinaires peuvent défier l’establishment sans toucher un centime du patronat ! Ty Moore a récolté plus d’argent que sa principale rivale soutenue par le patronat, et Kshama Sawant a récolté près de 110.000 dollars, là où son adversaire en a mobilisé 230.196.

    Les campagnes de Socialist Alternative ont clairement montré qu’il est possible pour des travailleurs et les jeunes de s’organiser et de lutter ensemble pour changer le monde. Sur base de ce momentum, Socialist Alternative veut se construire, appeler à effectuer une donation et à rejoindre l’organisation afin de développer de nouvelles campagnes en faveur des ‘‘99%’’, selon le terme popularisé par le mouvement Occupuy, à l’instar de la lutte pour l’instauration d’un salaire minimum de 15 dollars, pour le droit de se syndiquer sans risque de se faire licencier et pour s’en prendra aux super-riches afin de financer un programme de création d’emplois et de transports en commun écologiques, entre autres.

    Les deux partis capitalistes que sont le parti Républicain et le parti Démocrates verront encore leur base de soutien s’amoindrir au cours des mois à venir, puisque de nouvelles coupes budgétaires dans la sécurité sociale et d’autres programmes populaires sont envisagés pour les mois à venir. A l’approche des élections de mi-mandat de 2014, ces campagnes menées par Socialist Alternative ont illustré l’énorme ouverture qui existe pour la présentation des candidats indépendants de la classe des travailleurs. Des coalitions de dirigeants syndicaux combatifs, de socialistes, d’écologistes et de groupes de défense des droits civiques devraient être construites dans chaque ville du pays afin d’organiser des mouvements et de déposer des candidats indépendants des deux partis du capital aux élections.

    Ces résultats électoraux – à l’instar du processus révolutionnaire au Moyen Orient et en Afrique du Nord, des révoltes ouvrières du Wisconsin et le mouvement Occupy – ont rendu possible ce qui paraissait impossible. Ils introduisent un tout nouveau processus dans la société américaine. Non seulement ces campagnes donnent naissance à un nouveau et puissant mouvement socialiste aux Etats-Unis, mais elles servent aussi de modèle qui contribuera à l’inévitable ascension d’un nouveau parti qui luttera contre les ‘‘1%’’ les plus riches : un parti de masse de la classe des travailleurs.

    Développement de l’audience pour les idées du socialisme

    De nombreuses personnes à gauche disent que les idées socialistes ne peuvent pas remporter un soutien massif dans leur pays. Ces campagnes prouvent qu’ils ont faux sur toute la ligne. Les sondages du Pew Research Center montrent sans cesse qu’une majorité des jeunes et des personnes de couleur aux USA préfèrent maintenant le ‘‘socialisme’’ au ‘‘capitalisme’’. Evidemment, cette conscience est teintée de confusion, ce que revêt ce terme de ‘‘socialisme’’ est peu clair, mais cela illustre que les gens en ont marre de l’inégalité croissante, de l’augmentation insupportable du coût de la vie et du système capitaliste lui-même.

    C’est ce qui permet de comprendre pourquoi les adversaires de Kshama Sawant et de Ty Moore ont à peine eu recours au ‘‘red baiting’’, cette pratique éprouvée aux Etats-Unis consistant à lancer un flot incessant de calomnies à l’encontre des communistes ou des anarchistes. Richard Conlin, conseiller communal sortant à Seattle, a préféré faire des commentaires sexistes et anti-immigrés à peine voilés à l’encontre notre camarade Kshama Sawant. Quant à Alondra Cano, candidate à Minneapolis, elle a préféré compter sur le soutien de ses amis de l’establishment et de l’immobilier plutôt que de se risquer à s’aventurer dans une campagne négative.

    Les idées socialistes sont clairement de retour, et Socialist Alternative détient maintenant une position unique pour aider à construire un nouveau mouvement pour le socialisme. Ce mouvement doit être lancé par les socialistes eux-mêmes, les plus qualifiés pour lutter pour les besoins de la classe des travailleurs. Socialist Alternative s’est démarqué du reste de la gauche par sa capacité à entrer en dialogue avec des travailleurs politisés en utilisant un langage compréhensible et basé sur le concret. Parallèlement, nous avons expliqué avec honnêteté que les réformes dans cette société ne peuvent être maintenues que si le pouvoir est arraché des mains des grandes entreprises et qu’un nouveau système basé sur la propriété publique et démocratique des 500 plus grandes entreprises est établi, une société socialiste démocratique.

    Construire le mouvement

    La campagne de Ty Moore dans le Ward 9 (9e district) de Minneapolis a été lancée en parallèle de l’importante campagne d’Occupy Homes Minnesota. Ty Moore et Socialist Alternative ont contribué à la fondation de cette organisation qui a défendu avec succès des propriétaires de maison menacés d’expulsion par les grandes banques et la police. Le centre de la ‘‘Zone sans expulsion’’ d’Occupy Homes se situait dans le Ward 9, une communauté ouvrière diversifiée, et les campagnes de Ty Moore et d’Occupy Homes se sont mutuellement renforcées.

    De même, à Seattle, la campagne de Kshama Sawant a contribué à placer les ‘‘Fight for 15’’, un mouvement de grèves et de manifestations de travailleurs à bas salaires, au cœur du débat politique. Socalist Alternative a énergiquement aidé à construire cette campagne en aidant concrètement les travailleurs en grève et en contrant les arguments des opposants à l’augmentation du salaire minimum. Quand des organisations de travailleurs ont pris l’initiative de lutter pour augmenter le salaire minimum jusqu’au seuil des 15 dollars de l’heure dans la banlieue de SeaTac, la campagne de Kshama Sawant a soutenu l’initiative avec énergie, ce qui a contribué à son succès historique.

    Enfin, les deux candidats à la mairie de Seattle, qui avaient passé sous silence cette question du salaire minimum au début de leurs campagnes, ont fini par soutenir – vaguement – la proposition. Le succès qu’a rencontré Kshama Sawant dans la maîtrise du débat politique a conduit le Seattle Times, le journal le plus lu de Seattle, à déclarer avec même la tenue des élections que ‘‘le vainqueur est déjà la socialiste Kshama Sawant’’.

    Le mouvement des travailleurs

    Ces campagnes indépendantes de la classe des travailleurs sont des leçons importantes pour le mouvement des travailleurs, qui traverse actuellement une crise sérieuse. Le mouvement des travailleurs est sous l’assaut des grandes entreprises, et les républicains du Tea Party tentent d’en finir définitivement avec les syndicats. Les politiciens démocrates sont quant à eux souvent les pionniers des coupes budgétaires, des privatisations et des autres attaques antisyndicales. Dans cette situation, le mouvement des travailleurs a besoin de renouer avec ses traditions de lutte et de présenter davantage de candidats ouvriers indépendants.

    Au lieu de cela, la direction de ces mouvements soutient le plus souvent les démocrates, soit par peur des républicains, soit par habitude, soit parce que beaucoup des membres de cette direction mènent eux aussi une vie luxueuse bien plus proche de celle des politiciens que de celle de ceux qu’ils sont censés représenter.

    Les campagnes de Ty Moore et de Kshama Sawant ont toutefois montré que les travailleurs en ont plus que marre de la politique traditionnelle et que leur soutien peut être acquis par des campagnes crédibles et des revendications concrètes. Ty Moore a obtenu le soutien actif du syndicat SEIU (Service Employees International Union, soit Union Internationale des Employés des Services en français, il s’agit d’un syndicat nord-américain représentant 2,2 millions de travailleurs aux États-Unis, à Porto Rico et au Canada) qui a joué un rôle essentiel dans la campagne. Kshama Sawant a reçu le soutien de 6 syndicats locaux, et une majorité du King County Labor Council (conseil du travail du comté de King, où elle se présentait) a voté pour la soutenir, sans cependant obtenir la majorité suffisante pour un soutien officiel.

    Lors des mois et années à venir, les syndicalistes seront la cible d’attaques continues contre leurs droits et leurs conditions de vie. Dans cette bataille, nous aurons besoin de manifestations, de piquets, de grèves et d’actions directes pour nous défendre. Les travailleurs devront lutter pour obtenir le contrôle démocratique de leurs syndicats et élire des dirigeants qui veulent vraiment résister à l’assaut capitaliste. Ces batailles illustreront le besoin pour les travailleurs d’une représentation politique indépendante, et les campagnes de Ty Moore et de Khsama Sawant montrent que les syndicats peuvent présenter des candidatures très populaires, ce qui représente un pas en avant vers un nouveau parti des 99%.

    Prochaines étapes

    Nombres de ceux qui ont soutenu Ty Moore et Kshama Sawant sont en rupture avec le parti démocrate, mais ne sont pas encore prêts à la quitter définitivement. Socialist Alternative continuera à clamer au sein des mouvements pour la justice sociale et des diverses coalitions de lutte que le parti Démocrate représente fondamentalement un parti pro-capitaliste, et que la classe des travailleurs ne devrait en aucun cas le soutenir, pas même les candidats de son ‘‘aile gauche’’.

    Nous avons urgemment besoin d’un parti des travailleurs lié aux mouvements sociaux, aux syndicats de lutte, aux organisations communautaires, aux écologistes et aux socialistes. Un pas concret pour y parvenir serait de former des coalitions à travers tout le pays, liées entre elles à l’échelle nationale, afin de présenter 100 candidats indépendants des travailleurs pour les élections de mi-mandat de 2014. Les syndicats qui ont soutenu les campagnes de Ty Moore et de Kshama Sawant, comme beaucoup d’autres, devraient présenter des listes complètes de candidats aux élections de mi-mandat ainsi qu’aux élections nationales et locales.

    Le capitalisme américain est plongé dans une profonde crise économique et sociale. L’establishment politique est discrédité, et son système gouvernemental semble ruiné. Une énorme colère se développe contre l’inégalité, le racisme, le sexisme et l’homophobie. La destruction de l’environnement s’intensifie. La situation nécessite une alternative.

    Si les socialistes, les écologistes et les dirigeants syndicaux ne capitalisent pas sur cette ouverture, alors la droite le fera. Par exemple, un candidat libertarien (droite radicale) pour le siège de gouverneur de l’Etat de Virginie a remporté plus de 145.000 votes lors de ces élections. Pire encore, des rapports montrent que des groupes ouvertement d’extrême droite se développent.

    La situation actuelle exige une riposte urgente. Nous avons besoin de construire activement le mouvement pour le socialisme avec de plus larges coalitions des 99% pour contrer l’agenda des capitalistes. Les incroyables résultats électoraux de Ty Moore et de Kshama Sawant sont de brillants exemples qui montrent la voie à suivre.

  • USA : Les campagnes électorales de Socialist Alternative ont remporté un grand succès

    C’est aujourd’hui 5 novembre que se déroulent les élections locales américaines, et les campagnes pour un siège de conseiller municipal à Minneapolis et à Seattle menées par Socalist Alternative (CIO-USA) ont bénéficié d’un puissant momentum. Des candidats de taille se sont sentis forcés de soutenir leurs adversaires de Socialist Alternative en réponse à leurs campagnes basées sur les mouvements sociaux et une foule de volontaires.

    Kai Stein, CIO

    Ty Moore pour le conseil communal de Minneapolis

    Les politiciens capitalistes et les lobbyistes nationaux des grandes entreprises, étroitement liés au secteur bancaire, ont clairement choisi leur candidate, Alondra Cano, pour la course serrée au conseil municipal du ward 9 à Minneapolis. Cela donne à la classe ouvrière une image bien plus claire du choix qui s’offre à eux, et de choisir un candidat qui sera de leur côté, Ty Moore. Ty est un militant de longue date d’Occupy Homes, qui défend les propriétaires de maisons contre les expulsions et les saisies immobilières. Il est aussi un membre de Socialist Alternative.

    A la surprise générale, l’un des principaux grands groupes lobbyistes américains, précédemment basé à Chicago, a rejoint la course. L’association nationale des Realtors (NAR), un groupe de lobbyistes du domaine de l’immobilier, soutient les démocrates et les républicains, y compris des dirigeants du Tea Party comme Michelle Bachman et Ted Cruz. Le groupe a investi 40 millions de dollars dans les élections l’année dernière. Deux semaines avant le jour des élections du 5 novembre, ce Super-PAC (comité d’action politique) a envoyé massivement et à deux reprises, à quelques jours d’intervalle, des tracts appelant à voter pour Cano.

    Ce soudain intérêt dans la politique locale à Minneapolis est une reconnaissance de l’énorme écho qu’a trouvé la campagne de Socialist Alternative, malgré un budget plus que limité. L’intervention des corporations américaines dans les quartiers du sud de Minneapolis fait partie du programme de la NAR pour faire reculer la résistance des propriétaires de maison contre les expulsions.

    Par exemple, ils poursuivent en justice la ville de Richmond, où un maire membre du Green party acquiert des bâtiments privés pour reloger des gens endettés durement touchés par les banques. Ces expropriations sont généralement utilisées pour virer les « petites gens » pour faire de la place pour les grands constructeurs immobiliers, des autoroutes, ou pour satisfaire des intérêts financiers. Richmond donne une idée de comment se servir d’outils inhabituels dans la lutte contre Wall Street.

    Occupy Homes a saisi cette idée et dit que tous les outils possibles doivent être utilisés à Minneapolis. La campagne insiste sur le fait qu’après le krach économique de Wall Street, les banques ont été sauvées, et maintenant ces mêmes banques s’en prennent à des centaines de familles dans le ward 9 à Minneapolis, et tentent de les expulser de leurs maisons. Occupy Homes a organisé avec succès la résistance contre les expulsions et a empêché les banques de saisir des maisons. C’est l’un des points principaux de la campagne de Ty Moore.

    Alors qu’Alondra Cano se présente toujours publiquement comme une militante et une organisatrice qui défend les gens contre les banques, la vérité a éclaté lorsque l’establishment local s’est mis à la soutenir après que la campagne de Ty Moore ait fait de l’ombre à la sienne avec ses distributions de tracts en porte-à-porte et ses centaines d’enseignes dans les jardins.

    Pendant que Cano serrait la main de personnes menacées d’expulsion, le maire envoyait la police pour les expulser au profit des banques. Ce même maire qui a collaboré à une campagne de don pour Cano, approuvée par le DFL (Democrats Farmer Labor Party, les démocrates du Minnesota).

    Lors de cette campagne, qui n’a pas été organisée dans le Ward 9 mais dans les quartiers les plus riches de Minneapolis, la machine du DFL était visible ; les responsables d’une subvention au propriétaire de l’équipe de football des Vikings, le milliardaire Zygi Wilf, y ont fait office de coorganisateurs.

    L’intervention non dissimulée d’énormes sommes versées par le NAR renforce encore plus l’engagement de centaines de volontaires participant à la campagne de Ty Moore. Le SEIU, l’un des plus puissants syndicats du pays, soutient sa campagne. Occupy Homes mobilise ses membres pour aider à convaincre des gens à voter pour Ty. L’appel de don national lancé l’année dernière par la candidate du Green party à la présidence, Jill Stein, par Matt Gonzales, qui a participé à la campagne présidentielle de 2008 avec Ralph Nader, et bien d’autres, a trouvé un plus large écho alors que les gens ont pu voir l’importance nationale qu’ont revêtues ces élections.

    Kshama Sawant à Seattle

    Richard Conlin détient son siège au conseil communal de Seattle depuis 16 ans. Conlin dispose d’un réseau de pouvoir et de soutien basé sur les grandes entreprises et les entreprises immobilières influentes. Cependant, le fait qu’il ait rassemblé plus d’argent pour sa réélection que tout autre candidat à Seattle ne provient pas de sa popularité. En regardant de plus près la liste de ceux qui l’ont soutenu, il est clair que les constructeurs immobiliers et les grandes entreprises sont nerveux quant à l’issue de cette course très serrée.

    Après avoir obtenu 44.000 votes aux primaires d’août, Kshama Sawant est en course pour que la classe ouvrière obtienne un représentant élu au conseil communal. 300 volontaires font du porte-à-porte. Un énorme effort dans la collecte de dons a permis à cette campagne socialiste d’envoyer des tracts dans 140.000 foyers. Kshama a défié le candidat sortant dans un débat télévisé et à de nombreux forums politiques. Cette course coudes à coudes a encouragé l’influent hebdomadaire local, The Stranger, à faire campagne pour Kshama, plongeant l’establishment de Seattle la peur.

    Conlin s’est même senti obligé à commencer une horrible compagne de diffamation. Dans le Seattle Times, le principal journal pro-establishment de la ville, Conlin s’est interrogé sur « l’engagement civique » de Kshama car elle n’a voté qu’à 3 des 4 élections auxquelles elle aurait pu voter. Conlin sembler lier engagement civique et votes, mais son attaque implicite est cependant claire : Kshama est une immigrée (elle a obtenu la nationalité américaine en 2010). Cette attaque contre une candidate de couleur venant de l’immigration a eu un effet polarisateur et a aussi mobilisé de nouveaux appuis pour la campagne Vote Sawant.

    The Stranger a donné une réponse claire aux accusations de Conlin et a conclu : « le problème de Conlin, c’est que Kshama Sawant est trop engagée. Colin devrait cesser de faire une fixette sur ses votes. Il devrait plutôt s’inquiéter de ses propres votes contre le transit, pour des autoroutes à moitié financées, contre les congés maladie, pour une loi anti-mendicité qui a violé la norme des droits civiques de la ville, et contre une amélioration de la sécurité des centres pour sans-abris, entre autres ».

    Le dernier tour des élections a déjà commencé. Les habitants de Seattle ont deux semaines pour envoyer leur vote. Près de 200.000 électeurs décideront entre un politicien capitaliste et une militante de la classe ouvrière. Une campagne organisée à la base de la population lutte contre l’influence de l’argent sur la politique, et l’issue est incertaine.

    Pour un salaire de 15$ de l’heure.

    Une des principales revendications de la campagne Vote Sawant est l’instauration d’un salaire minimum de 15$ de l’heure et le droit à une syndicalisation totale. Les t-shirts rouges portés par les partisans de la campagne qui réclament cette augmentation au lieu du minimum de 9,19$ à Seattle sont devenus la marque visuelle de la campagne.

    Cette revendication soulevée par les travailleurs des fast food l’année dernière s’est répandue dans tout le pays, réveillant les aspirations de millions de travailleurs à bas salaires. Elle résonne parmi les couches les plus pauvres de la classe ouvrière américaine, mais a gagné un soutien bien plus large.

    Au cours de la campagne de Seattle, poussés par Kshama Sawant et ses supporters, même les deux candidats au poste de maire en commencé à approuver cette revendication, mais en termes vagues. Si les travailleurs ne peuvent pas compter sur ces deux candidats démocrates, cela montre tout de même l’impact d’une campagne acharnée.

    Toutes sortes d’attaques ont été lancées contre la revendication de hausse du salaire minimum de la campagne de Kshama. Ceux qui bénéficient le plus de la surexploitation des travailleurs sont des entreprises comme McDonald’s, Walmart et la chaîne de supermarchés Target. L’argument qui est sans cesse ressorti est que les petites entreprises ne tiendraient pas le coup.

    Cependant, il est évident qu’un salaire de 15$ de l’heure ne serait qu’un premier pas pour gagner suffisamment avec un emploi à temps plein pour nourrir une famille. Et ces fameuses petites entreprises sont déjà coulées à cause de la pauvreté, des expropriations et de l’économie brisée basée sur la sur-accumulation de capital sans investissement alors que des familles de travailleurs souffrent. La correction de cette situation qui plonge depuis trop longtemps des familles dans la pauvreté sera une première étape pour réparer toute l’économie.

    A Minneapolis, la campagne de Ty Moore pour le poste de conseiller communal a aussi trouvé un grand écho avec la revendication d’un salaire minimum de 15$ de l’heure, y compris dans une manifestation pour les droits des immigrés début octobre. Le conseiller actuel du ward 9 a déclaré être « tout à fait sûr » que la ville ne peut imposer une telle législation. Le Minneapolis Star Tribune cite Gerry Schiff dans un article sur un forum des candidats (auquel ce dernier n’était même pas présent): « Ce n’est qu’un leurre que Ty Moore agite et qui montre qu’il ne comprend rien au poste pour lequel il se présente ».

    Sans surprise, le conseil communal n’a eu aucun problème à contourner la loi pour offrir un cadeau de 150 millions de dollars à un milliardaire en l’attribuant au stade des Vikings, évitant ainsi un référendum obligatoire de la population de la ville.

    La loi qui empêche Minneapolis de décider d’un salaire minimum est injuste et n’a même jamais été attaquée en justice, une mesure que le conseil communal pourrait immédiatement prendre en implémentant cette augmentation de salaire. L’ordonnance d’un salaire minimum peut forcer immédiatement tous les contractants de la ville à appliquer cette mesure d’un salaire minimum de 15$ de l’heure. Des victoires comme le mariage pour les couples de même sexe n’ont pas été remportées par des politiciens qui disaient qu’ils en étaient incapables, mais par des mouvements avec des dirigeants qui ont montré le chemin en défendant les intérêts de la classe ouvrière.

    Le combat pour un salaire de 15$ ne prendra bien sûr pas fin le jour des élections, le 5 novembre. Les efforts de dizaines de milliers de travailleurs des fast foods, du SEIU, d’autres syndicats et de nombreux militants communautaires ont montré le potentiel d’un soulèvement des parties les plus pauvres de la classe ouvrière des Etats-Unis.

    Ouverture politique

    La force des deux campagnes de Socialist Alternative à Minneapolis et à Seattle réside dans le fait qu’elles dérivent d’un programme pour défendre la classe ouvrière contre Wall Street. Ce programme est basé sur la bonne compréhension de la colère née lors du mouvement Occupy en 2011, qui n’a pas disparu, et qui reste une source pour de futurs grands mouvements et de grandes secousses politiques.

    Des millions d’Américains sont aliénés par les deux partis du grand capital et recherchent une alternative. Mais plus que ça, malgré la petite croissance économique, le système politique et économique est brisé et de nombreux Américains le réalisent. Des tensions sociales montent.

    Les populistes de droite et les libertariens (lobbyistes ultralibéraux, pro marché) tentent de combler le vide politique. Mais tous les indicateurs pointent vers le développement lors des prochaines années de la recherche d’une nouvelle alternative de gauche, peut-être populiste au départ, mais qui affirmera au fur et à mesure son caractère de classe. Le potentiel s’ouvre pour une coalition des militants et des candidats travaillistes, socialistes et du Green party pour offrir une alternative aux politiques capitalistes.

    Malgré d’énormes tâches et des forces réduites, Socalist Alternative est extrêmement bien positionnée pour contribuer à ces développements pour aider la riposte contre la soif de profits, et pour la lutte pour un futur socialiste.

  • Quelle voie entre impérialisme, régimes militaires, forces laïques capitalistes et fondamentalistes religieux ?

    Révolution et contre-révolution au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

    L’accord russo-américain conclu le 14 septembre dernier à Genève, destiné à placer l’arsenal chimique syrien sous contrôle international en vue de son démantèlement a, pour l’instant, éloigné la menace directe d’une intervention impérialiste en Syrie. Ce sanglant conflit dont sont victimes les masses syriennes est loin d’être pour autant résolu, et la destruction effective des stocks d’armes chimiques, en pleine guerre civile, est loin d’être garantie. Quelle est l’issue de sortie pour les masses, coincées entre les forces du régime dictatorial de Bachar el-Assad, celles des fondamentalistes islamistes et celles de l’opposition capitaliste ?

    Par Nicolas Croes

    Les médias dominant n’ont pas lésiné sur les images horribles de victimes tombées sous l’impact des armes chimiques. Le sensationnalisme, une fois de plus, a été lourdement utilisé dans le but de faire perdre toute distance par rapport aux évènements et de les réduire à leur apparence immédiate. Jouer sur l’émotionnel pour dévier toute réflexion n’est pas une pratique neuve, loin de là.

    Comme souvent, nous avons eu sous les yeux un véritable festival d’hypocrisie. Certains ont pu croire que le conflit syrien venait d’éclater, tant le contraste était grand avec la manière dont ont été traitées les dizaines de milliers de victimes tombées depuis plus de deux ans et demi en Syrie. L’indignation médiatique de l’establishment n’explose qu’en fonction des intérêts de ce dernier, à l’image de la couverture des conditions de vie des masses de toute la région – dominées par la misère, la famine, les inégalités sociales et régionales, l’absence d’avenir et la lutte pour les droits nationaux et démocratiques – dont il n’est question que très périodiquement et de manière totalement biaisée. Ce dernier point est pourtant fondamental.

    Hypocrisie aussi de la part de l’impérialisme américain pour qui le recours aux gaz toxiques est maintenant un crime contre l’humanité alors que le plus gros stock d’armes chimiques se trouve aux Etats-Unis et qu’aucune puissance n’en a fait usage avec autant d’enthousiasme, pendant la guerre du Vietnam entre autres. Il n’est pas le seul dans ce cas, le gouvernement allemand a ainsi récemment reconnu avoir autorisé l’exportation de produits chimiques vers la Syrie entre 2002 et 2006.

    Un mouvement révolutionnaire spontané, mais qui ne surgit pas de nulle part

    Cela fera 3 ans ce 17 décembre qu’une vague révolutionnaire a déferlé de Tunisie, puis d’Egypte, sur quasiment tous les pays de la région, du Maroc jusqu’au Yémen et au Bahreïn. Mais si les médias dominants ont concentré leur attention sur le rejet des dictatures et les aspirations démocratiques, la colère des masses se basait aussi puissamment sur la lutte pour des revendications sociales et économiques contre la pauvreté, le chômage de masse, le démantèlement des services publics (particulièrement sévère depuis les années ’90),… La jeunesse, dont le poids est monumental dans la région (66% de la population égyptienne a moins de 25 ans par exemple), n’avait aucune perspective d’avenir face à elle.

    Ces mouvements ne sont donc pas apparus comme par magie et, pour qui savait les voir, des signes avant-coureurs existaient sous la surface de la stabilité apparente des dictatures. En Egypte, on dénombrait ainsi 194 grèves par an entre 2004 et 2008 (essentiellement dans les centres textiles et autour du canal de Suez). Entre 2008 et 2010, il y a eu 1600 grèves chaque année. En Tunisie, le bassin minier de Gafsa s’était soulevé en 2008, donnant lieu aux troubles sociaux les plus importants connus en Tunisie depuis les ‘‘émeutes du pain’’ en 1984 et depuis l’arrivée au pouvoir de Ben Ali en 1987. Au Liban (en 2005) et en Iran (en 2009), des mobilisations de masse avaient également ébranlé les régimes en place. Même si ces deux derniers mouvements n’étaient pas directement liés aux thématiques sociales (l’assassinat de l’ancien président du conseil Rafic Hariri au Liban, imputé au régime syrien, et la fraude électorale massive lors des élections présidentielles en Iran), ces dernières étaient loin d’être absentes et constituaient d’ailleurs le principal danger pour les régimes en place.

    C’est pourquoi, à l’occasion de son 10è Congrès Mondial (début décembre 2010), le Comité pour une Internationale Ouvrière (dont le PSL est la section belge) avait déclaré dans son document consacré au Moyen Orient et à l’Afrique du Nord ‘‘tous les despotes et les régimes autoritaires de la région ont peur de mouvements de révolte de masse. Des mouvements en Iran ou en Egypte sont possibles, qui peuvent alors en inspirer d’autres. Si la classe ouvrière n’en prend pas la direction, ces mouvements peuvent prendre des directions très différentes.’’

    Les difficultés du processus

    Une colère massive qui s’exprime enfin n’est pas suffisante pour conduire à la victoire. Un processus révolutionnaire est par nature complexe et, même dans le cas du renversement de dictateurs, du chemin reste encore à faire jusqu’à l’effondrement du système. Les mouvements en Tunisie et en Egypte avaient réussi à surprendre l’impérialisme occidental et les forces régionales, qui plus est dans des pays à fortes traditions ouvrières (ce n’est d’ailleurs aucunement un hasard si Ben Ali, en Tunisie, et Moubarak, en Egypte, ont quitté le pouvoir à l’occasion de grèves), mais il était hors de question de laisser les choses se développer ainsi dans une région tellement cruciale. Au Bahreïn, les forces armées saoudiennes et émiraties sont rapidement et brutalement intervenues au secours du régime. La répression fut féroce, sous le regard bienveillant des alliés occidentaux. Là-bas, les travailleurs et les pauvres n’ont même pas pu compter sur des larmes de crocodile de Washington, Londres ou Paris. Ailleurs aussi (comme au Yémen), la répression fut sanglante, à peine commentée par de vagues déclarations d’indignation diplomatiques. Cela permet de remettre la ‘‘guerre humanitaire’’ en Libye et les menaces d’intervention en Syrie à leur juste place.

    L’intervention impérialiste en Libye ne visait en rien à défendre la population. Les puissances impérialistes occidentales avaient d’ailleurs conclu d’avantageux marchés avec Kadhafi sur la dernière période de son règne. Il était en fait surtout crucial pour l’impérialisme de parvenir à stopper la vague des révolutions avant qu’elle ne frappe également des alliés fiables tels que l’Arabie Saoudite et les États du Golfe. Pour récupérer le contrôle de la région et de ses matières premières, faire sauter un fusible comme Kadhafi était une option très envisageable. En Syrie, intervenir directement était une autre paire de manches. Les interventions n’étaient toujours pas finies en Irak et en Afghanistan que s’ajoutait celle de Libye, les divisions ethniques et religieuses plus fortes rendaient l’aventure extrêmement périlleuse, l’armée syrienne représentait une force d’un tout autre calibre et le régime disposait, comme aujourd’hui, d’alliés solides désireux de garder un pied dans la région (la seule base navale méditerranéenne russe est en Syrie).

    Mais si aucune intervention directe n’a eu lieu à l’époque, une aide matérielle, logistique et humaine est arrivée pour ‘‘soutenir’’ l’opposition (à partir des alliés de l’impérialisme américain à géométrie variable que sont l’Arabie Saoudite et le Qatar) et, surtout, pour assurer que la voie révolutionnaire soit déviée de cette manière. Les alliés saoudites et qataris ont cependant leurs intérêts propres, et ont fortement aidé au développement des forces fondamentalistes sur place. Il était devenu nécessaire que les Etats-Unis livrent eux-mêmes directement leurs armes afin de s’assurer eux-aussi une base de soutien (ce qui a – officiellement – commencé dès que l’accord de Genève a été conclu en septembre dernier).

    Une seule force favorable aux travailleurs et aux jeunes : eux-mêmes

    L’impact qu’aurait une intervention impérialiste directe en Syrie peut se mesurer à l’échec de l’intervention en Libye. Le peu d’infrastructures que possédait le pays ont été détruites par l’invasion et, plus de deux ans plus tard, des régions entières du pays restent incontrôlées, si ce n’est par des milices lourdement armées. Le conflit s’est, de plus, étendu au Mali.

    L’absence de perspectives d’un pouvoir alternatif stable pour l’impérialisme ainsi que le risque d’extension du conflit sont des dangers plus grands encore en Syrie. Le pays est devenu un terrain extrêmement complexe où se mêlent le Hezbollah libanais, l’Iran, la Russie et la Chine dans le camp pro-Assad et, d’autre part, Al Qaeda, l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie, l’Egypte (jusqu’au renversement des Frères Musulmans), les Etats-Unis et l’Union Européenne dans le camp de l’opposition. Chaque force en présence a également ses intérêts propres, sur fond de conflits entre sunnites (courant majoritaire de l’Islam) et chiites (courant minoritaire), de même qu’au sein de ces courants. Au Liban voisin déjà, les attentats meurtriers ont refait leur apparition. Le 15 août dernier, une bombe a explosé en plein fief du Hezbollah (chiite et pro-Assad), une attaque inédite dans un endroit aussi surprotégé. Une trentaine de personnes sont décédées et il y a eu plus de 300 blessés. Une semaine plus tard, deux mosquées sunnites ont explosé, causant 45 morts, avec une implication probable du régime syrien.

    Cependant, notre opposition résolue à toute intervention impérialiste ne nous place pas pour autant dans le camp de Bachar el-Assad ou dans celui de l’opposition syrienne de l’Armée Syrienne Libre (qui fourmillent d’anciennes figures du régime) ou des diverses forces djihadistes. Seule l’énergie des masses est en mesure de balayer à la fois l’impérialisme et les régimes réactionnaires de toutes sortes, pour autant qu’elles soient armées d’un programme et de méthodes capables de mobiliser par delà les divisions ethniques et religieuses.

    Cela ne saurait être possible que sur base d’un programme qui articule ses revendications autour de l’auto-défense des masses (à l’aide de la création de comités d’auto-défense non-sectaires et démocratiquement dirigés) en liaison avec la réponse aux questions sociales fondamentales (dans ce cadre, retirer les secteurs-clés de l’économie des mains des capitalistes pour les placer dans celles des travailleurs et des pauvres est un élément de première importance). A l’exemple de ce qui s’était développé de manière embryonnaire en Tunisie et en Egypte au début de la vague révolutionnaire, des comités de lutte et d’auto-défense ont le potentiel de constituer les germes d’un nouveau pouvoir basé sur la démocratie des travailleurs.

    L’ennemi de mon ennemi : un allié ?

    Dans le monde, nombreux sont ceux qui se sont réjouis de voir l’impérialisme américain si affaibli à travers le prisme de la crise syrienne. Au niveau interne, l’opposition à la guerre est tellement gigantesque (seuls 9% des Américains soutiennent une intervention) que les élus se sont retrouvés sous une pression monumentale, tant parmi les Républicains que parmi les Démocrates. Obama, en demandant le vote du Congrès, courait le risque d’essuyer le camouflet qu’a eu à subir le Premier Ministre britannique David Cameron, dont la volonté va-t-en-guerre a été bloquée par le Parlement, également sur fond d’une opposition massive dans la population.

    Il n’a du reste jamais été aussi difficile aux USA de réunir des alliés pour les accompagner dans une aventure guerrière. Seul le gouvernement français a clairement marqué son approbation, et le gouvernement turc semblait vouloir embrayer lui aussi. Mais, dans les deux pays, l’opposition aussi était de taille : 56% des Français et 72% des Turcs.

    A gauche, le principe ‘‘l’ennemi de mon ennemi est mon ami’’ garde toujours ses partisans, et c’est très certainement le cas vis-à-vis des Etats-Unis suite à la longue période de recul idéologique qui a suivi la chute de l’URSS combinée au statut de superpuissance hégémonique des USA depuis lors. Le courant dominant affirmant qu’il n’y avait pas d’alternative au capitalisme était très fort, et se limiter à l’anti-impérialisme et à une rhétorique ‘‘progressiste’’ où on parlait de société solidaire et non plus socialiste était une voie qui semblait plus facile à tenir. Certains avaient ainsi soutenu Ahmadinejad ‘‘l’anti-impérialiste’’ en Iran en 2009, allant jusqu’à déclarer que les mobilisations de masse étaient fomentées par la CIA… De façon similaire, nombreux sont ceux qui se sont fermement agrippés au prétexte de l’anti-impérialisme pour faire l’éloge de Bachar el-Assad, de son prétendu nationalisme progressiste et de sa prétendue lutte contre Israël en se cachant aussi derrière le soutien apporté à ce régime dictatorial par le Parti ‘‘Communiste’’ Syrien (membre du Front National Progressiste, le pilier du règne du parti Baath d’Assad).

    En Belgique, le PTB et le Parti Communiste Wallonie-Bruxelles ont ainsi signé une déclaration opposée à une intervention militaire impérialiste en Syrie qui ne dit pas un mot sur la nature du régime syrien. Leur signature se trouve aux côtés de 63 Partis ‘‘Communistes’’, dont le Parti Communiste Syrien pro-Assad. Si nous comprenons bien le sentiment d’urgence que peut provoquer la menace d’une intervention, nous trouvons extrêmement dommageable pour le développement du mouvement anti-guerre de laisser le moindre espace aux forces pro-Assad, notamment dans l’émigration. Des incidents de cet ordre avaient d’ailleurs eu lieu lors d’un rassemblement anti-guerre à Bruxelles où, sur base d’une plateforme qui entretenait le flou concernant l’attitude à adopter face à la dictature, étaient intervenus des militants pro-Assad, qui s’en sont d’ailleurs pris physiquement à ceux qu’ils jugeaient trop critiques. Il est impossible de renouer avec la tradition d’un mouvement anti-guerre massif dans de pareilles conditions.

    Armer l’opposition ?

    Une autre approche, mais tout aussi erronée, est de soutenir les rebelles syriens en entretenant le flou sur leur caractère et les méthodes de soutien. Nous avons ainsi été extrêmement surpris de lire un communiqué de presse du NPA français (Nouveau Parti Anticapitaliste) où Olivier Besancenot demandait que la France ‘‘donne gracieusement des armes aux révolutionnaires syriens’’ tout en précisant… qu’il ne faisait ‘‘pas confiance’’ à l’Etat français ! Bien que précisant qu’il ne fallait pas que les armes finissent chez des djihadistes, il demandait tout de même : ‘‘qui peut avoir la légitimité de décider à la place des autres ?’’ En Belgique, cette approche est partagée par la LCR qui affirme que ‘‘le peuple syrien a besoin que des armes soient livrées aux forces de la rébellion’’. Mais qui livrerait ces armes ? Et à quel prix politique ? Nous pensons que le droit des peuples à décider d’eux-mêmes ne nous empêche pas d’être plus précis quant à l’orientation à donner à la lutte.

    Encore une fois, nous comprenons tout à fait où peut conduire le sentiment d’urgence, mais cette analyse des évènements avant tout ‘‘militaire’’ nous semble très insuffisante. Seules les méthodes de masse basées sur un programme de rupture avec le régime et ses bases économiques peut réunir au-delà des frontières confessionnelles, jusqu’à provoquer des ruptures au sein de l’armée. La meilleure manière de lutter contre les tanks d’Assad est d’œuvrer à les retourner contre lui.

    Les forces capables de défendre ce programme et ces méthodes en Syrie peuvent bien être limitées pour l’instant, pour autant qu’elles soient déjà organisées, mais il ne faut pas non plus oublier le contexte régional de révolution et de contre-révolution dont est issue la révolte syrienne de 2011. Dernièrement encore, plus d’un million de personnes ont manifesté dans les rues voisines de Turquie contre le gouvernement Erdogan, et là aussi le génie des mobilisations de masse est sorti de sa lampe.

    A ce titre, un programme et une approche internationalistes conséquents doivent être défendus dans toute la région, notamment en Tunisie et en Egypte où, si des dictateurs ont pu tomber, le pouvoir reste toujours aux mains de la même élite. Toujours sous l’argument de ‘‘l’ennemi de mon ennemi’’, en Tunisie, la direction du Front Populaire – appuyée d’ailleurs par certains partisans de l’organisation internationale de la LCR (le Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale, dont est également membre Besancenot) ainsi que par le Parti des Travailleurs de Tunisie (PTT, partenaire privilégié du PTB dans le pays) – a conclu un accord contre Ennhada, le parti islamiste au pouvoir, avec Nidaa Tounes, le parti laïc pro-capitaliste où se sont réfugiés nombre d’anciens laquais du dictateur Ben Ali. C’est la meilleure manière de démoraliser et de désorienter les travailleurs et les jeunes, tout en laissant à Ennhada et ses alliés l’argument que ce sont eux les vrais révolutionnaires, car ils ne sont pas alliés aux forces de l’ancien régime.

    Une perspective socialiste

    La crise du capitalisme, la perte d’autorité des élites et la riposte des masses en défense de leurs conditions de vie et pour gagner de nouveaux droits ouvrent de nouvelles perspectives pour que les idées socialistes gagnent une échelle de masse. Mais les millions de travailleurs et de jeunes qui sont aujourd’hui à la recherche d’une alternative et d’une méthode de lutte ont encore à faire leur expérience et à combler le fossé entre l’état de conscience général actuel (héritage des 20 dernières années de règne du néolibéralisme tout autant que des trahisons du stalinisme et de la social-démocratie) et les tâches qu’exige le renversement du capitalisme. Les forces de gauche doivent aider à faire avancer ce processus, et donc honnêtement tirer le bilan de leurs analyses passées et présentes.

    C’est dans ce cadre que le Comité pour une Internationale Ouvrière déploie son activité dans plus d’une quarantaine de pays, notamment dans cette région, afin de construire un instrument révolutionnaire international où se partagent les leçons des luttes passées et présentes afin de mieux coordonner le combat contre cette société capitaliste putride et construire une société débarrassée de la misère, de la guerre et de l’exploitation, une société socialiste.

  • Tunisie: le rappeur Klay BBJ acquitté!

    Une modeste mais importante victoire dans la lutte pour la liberté d’expression

    Le rappeur engagé Ahmed Ben Ahmed, alias Klay BBJ, qui avait été condamné par contumace à 21 mois de prison pour des chansons entravant soi-disant “les bonnes mœurs” (voir notre article à ce sujet) a été acquitté lors d’un procès en appel ce jeudi.

    Par des correspondants du CIO

    Klay, ainsi qu’un autre rappeur répondant au nom d’artiste de ‘Weld El 15′ (Alaa Yaacoubi), après avoir été violemment arrêtés sur scène et maltraités physiquement par la police à la suite d’un concert dans la ville de Hammamet au mois d’août, avaient été tous les deux condamnés à une peine d’emprisonnement de 21 mois, sans avoir été convoqués au tribunal ou même avoir été informés de la tenue de leur procès.

    Klay avait décidé de faire appel de cette décision, tandis que Weld El 15 est en cavale depuis sa condamnation. Un premier procès en appel le 26 septembre avait décidé d’une réduction de peine à six mois de prison ferme pour Klay. L’avocat du rappeur avait fait appel de ce nouveau verdict, ce qui a finalement conduit au récent acquittement, jeudi. L’avocat a déclaré que Weld El 15 ferait désormais appel lui aussi.

    Les militants et sympathisants du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) dans le monde entier avaient vocalement exprimé leur indignation face à la condamnation de ces jeunes artistes engagés (voir entre autres la vidéo ci-dessous, une chanson de rap produite par des partisans du CIO provenant de 5 pays différents), et réclamant l’abandon des poursuites à l’égard de Klay BBJ et Weld El 15).

    Il ne fait aucun doute que la pression qui s’était accumulée contre cette condamnation, nationalement et internationalement – incluant entre autres une lettre de protestation signée par 12 députés européens de gauche à l’initiative de Paul Murphy, parlementaire du Socialist Party (section du CIO en République irlandaise) – a contribué à la libération de Klay. Le CIO salue cette victoire importante, qui s’inscrit dans le cadre de la bataille acharnée qui se déroule actuellement en Tunisie contre les tentatives répétées de limiter la liberté d’expression et de faire taire toutes les voix critiques du régime en place.

    Nous nous félicitons également de l’initiative récente de rappeurs tunisiens d’avoir formé un syndicat national pour défendre leurs droits contre la répression de l’Etat. Ce genre d’initiatives pourrait encourager à lier la défense des droits des artistes ainsi que la lutte de la jeunesse des quartiers pauvres – desquels proviennent la grande majorité des rappeurs tunisiens – au mouvement ouvrier organisé.

    La lutte continue

    Le régime d’Ennahda s’est largement appuyé sur le code pénal hérité de l’ancien régime de Ben Ali, toujours en vigueur, et a reproduit des traits assez similaires à ce régime afin de faire taire ses opposants: brutalité policière, tortures, arrestations arbitraires, attaques contre les journalistes, et même assassinats politiques.

    Même au cours du procès en appel devant se prononcer sur le sort de Klay BBJ, des journalistes et des représentants d’ONG venus assister au procès, telles que Human Right Watch, ont été empêchés par la police d’entrer au sein du tribunal. Pendant ce temps, des dizaines de musiciens et autres artistes demeurent en prison ou dans la clandestinité.

    Ces exemples montrent que si une bataille a été gagnée, la lutte ne doit pas s’arrêter pour autant! Comme Klay BBJ le disait dans une lettre ouverte qu’il a écrit lorsqu’il était encore en prison: “La liberté d’expression, dans ce pays, la Tunisie, est limitée. Je dis toujours le droit mot, et jamais je ne baisserai la tête…No Pasaran”

  • Etats-Unis : ‘‘Désolés, nous sommes fermés’’

    Une nouvelle illustration de plus la nécessité d’un nouveau parti représentant les 99%

    Environ 800.000 travailleurs fédéraux ont été contraints de prendre un congé sans solde. Alors que leurs familles se retrouvent sans rien, les membres du Congrès, qui touchent 174.000 $ de salaire annuels n’ont pas été affectés par le ‘‘shutdown’’, le blocage du Congrès sur le budget américain débuté le 1er octobre.

    Kai Stein, Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO)

    La majorité républicaine à la Chambre des Représentants (sous-chambre du Parlement) a bloqué toute tentative du président démocrate Barack Obama de conclure un nouveau budget fédéral ou de prolonger l’ancien. D’un côté, il s’agit d’une tentative de miner les réformes très limitées et business-friendly instaurées par Obama dans les services de santé publique, de l’autre, la classe dominante américaine est confrontée à un système politique dysfonctionnel et à un parti républicain qui l’est tout autant. Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais il a été exacerbé par la récente crise du capitalisme.

    La fraction la plus vicieuse de la classe dominante s’était auparavant ralliée au mouvement conservateur populiste le ‘‘Tea Party’’ pour sauvegarder ses privilèges. Ce monstre de Frankenstein n’est toujours pas maîtrisé par les Républicains. Par conséquent, en général, les républicains n’agissent pas dans le meilleur intérêt de la classe dominante américaine.

    Une période de crise

    Une fermeture du gouvernement pendant 3 semaines pourrait faire se contracter le PIB de 0,9% selon Goldman Sachs. Mais ce que Wallstreet craint le plus, c’est que la dette du pays atteigne son plafond aux environs du 17 octobre. Sans nouvelle législation au Congrès, l’administration ne pourrait pas emprunter plus d’argent, et les Etats-Unis seraient incapables d’honorer leurs obligations et forcés à être en défaut de paiement, pour la première fois de leur histoire. Ce défaut serait un désastre pour les plus pauvres qui seraient forcés de payer le prix de la crise.

    Mais qui est responsable de l’expansion du déficit budgétaire fédéral ? Des milliards de dollars ont été dépensés en sauvetages financiers et en mesures prises depuis 2008 pour sauver le capitalisme américain, sans compter les baisses d’impôts pour les super-riches et les entreprises, ainsi que le financement de guerres sanglantes et sans issue par les administrations précédentes.

    Pour éviter d’aggraver la situation, les Républicains les plus ‘‘modérés’’ du Congrès se sont préparés à négocier avec les Démocrates et à chercher un compromis. Cependant, cela pourrait mettre en lumière des divisions bien plus tranchées au sein du parti, et mener à sa fragmentation.

    Le conte de fées que tentent de nous faire avaler les démocrates, c’est qu’il s’agit d’une répétition de la crise de 1995/96. A l’époque, la faible administration Clinton était entrée en conflit avec le Congrès, ce qui a conduit à un shutdown de 21 jours, un conflit hors duquel Bill Clinton est sorti avec une position renforcée face aux Républicains. Certains parallèles peuvent être faits, comme l’illustrent les sondages d’opinion, qui montrent une légère hausse du soutien à Obama, mais sa cote de popularité reste mauvaise. La meilleure comparaison à faire serait plutôt l’été 2011, au cours duquel l’impasse dans laquelle se trouvaient les Démocrates et les Républicains (confrontés aux réductions budgétaires consenties pour parvenir à un compromis forcé) a été révélée au grand jour.

    Le mouvement Occupy

    A la suite des soulèvements de masse au Moyen Orient et en Afrique du Nord, des mouvements de protestation ont eu lieu en Espagne et en Grèce, puis ailleurs dans le monde et notamment aux USA, où la colère des américains contre les sauvetages financiers des grandes entreprises s’est exprimée avec le mouvement anticapitaliste ‘‘Occupy’’.

    Cette colère reste d’actualité. Les sondages d’opinion démontrent que la frustration va grandissante contre le Congrès (qui dispose d’un taux d’approbation inférieur à 10%), et tout le système politique. Même les partisans les plus enthousiastes d’Obama, qui lui sont restés fidèles après le scandale de la NSA et ses ambitions guerrières en Syrie, mettent à présent en doute la capacité de leur président à tenir tête aux Républicains.

    De plus, la situation économique n’a pas augmenté le soutien pour Obama. Il y a eu un faible redressement économique, mais unilatéralement favorable aux riches. Les 1% les plus riches ont augmenté leurs revenus de 31% de 2009 à 2012, alors que ceux des 40% les plus pauvres ont diminué de 6% (Paul Krugman, New York Times, 23 septembre 2013).

    Le potentiel est là pour le développement d’un nouveau grand mouvement comme l’était celui d’Occupy mais, cette fois-ci, avec des revendications concernant des exigences socio-économiques concrètes.

    Des groupes pour les droits des immigrés se mobilisent contre les politiques anti-immigrations. Les travailleurs des fast-foods sont entrés en lutte pour bénéficier d’un salaire minimum de 15$ de l’heure et pour obtenir le droit de se syndiquer. Des travailleurs désorganisés dans des entreprises comme Walmart, connu pour sa position antisyndicale, commencent eux aussi à se rebeller. La lutte contre les expulsions et les saisies immobilières et pour des logements abordables pour tous a obtenu certaines victoires, comme l’utilisation de la législation ‘‘eminent domain’’ (une expropriation pour cause d’utilité publique) par le maire de Richmond en Californie, membre du Green Party. A Minnéapolis et ailleurs, le mouvement Occupy Homes a prouvé que des mouvements citoyens peuvent défendre les propriétaires de maisons et mettre fin aux expulsions.

    Multiplier ces luttes sur les lieux de travail et développer ces mouvements sociaux nécessite d’outrepasser l’inertie de la bureaucratie syndicale et la faiblesse des organisations de la classe des travailleurs. Lorsque la classe ouvrière américaine aura trouvé sa voix, le monde entier l’entendra.

    Lutter pour une alternative politique pour la classe ouvrière

    Comme le montre le Shutdown, ce système politique ne fonctionne pas. Wall Street a deux partis bien à lui, les Démocrates et les Républicains. La classe ouvrière n’en a aucun. Socialist Alternative (section du CIO aux Etats-Unis) fait campagne pour la construction d’un nouveau parti de masse pour se battre en faveur des intérêts des travailleurs, des pauvres et des minorités opprimées, sur base d’un programme clairement socialiste. Socialist Alternative présente aussi des candidats lors de prochaines élections locales.

    Un énorme soutien pour une candidate marxiste à Seattle

    En termes de moyens financiers, la campagne de Kshama Sawant, candidate de Socialist Alternative à Seattle, n’atteindra pas le montant de celle du conseiller municipal en place depuis 16 ans, Richard Conlin, qui a déjà dépensé 200.000 $ pour défendre son siège. La campagne menée contre lui par Socialist Alternative n’a réuni qu’un quart de ce montant, mais c’est impressionnant pour une campagne contre la politique capitaliste. De plus, ce manque d’argent est largement compensé par la manière dont par les idées défendues par Socialist Alternative résonnent parmi une couche de plus en plus grande de la classe des travailleurs et de la jeunesse.

    Le slogan de la campagne est ‘‘15 $ de l’heure et un syndicat’’. En course dans une campagne ouvertement socialiste, Kshama Sawant a récolté 29% des votes en novembre 2012 contre le représentant de Seattle à Washington, Frank Chopp. Avec 44.000 votes obtenus lors du premier tour de ces élections locales à Seattle en août 2013, Kshama Sawant et la campagne de Socialist Alternative ont montré qu’il ne s’agissait pas d’un coup d’éclat unique. Un nombre encore plus grand d’électeurs montreront leur ouverture pour une candidate socialiste combative le 5 novembre prochain à Seattle.

    Une course serrée à Minneapolis

    En tant que militant contre les expulsions et les saisies immobilières, et en défense de l’enseignement, Ty Moore peut être fier de son implication. Dans son district, il fait face à 5 autres candidats pour le poste de conseiller municipal à Minneapolis. Tous cherchent l’approbation du parti démocrate. Sans couverture médiatique et dans le contexte d’une course au siège confuse, le message de Ty de lutter pour un logement décent, pour un salaire minimum de 15$ de l’heure et contre les subsides aux grandes entreprises a dû être distribué au porte-à-porte. Mais Socalist Alternative a reçu le soutien du SEIU (l’un de plus grands syndicats américains), de nombreux porte-paroles de la communauté hispanique et de militants reconnus. Bien que l’issue soit serrée, la situation démontre le potentiel pour une victoire électorale des socialistes aux Etats-Unis.

    Ouverture aux idées socialistes

    Lors des élections de l’année prochaine, plus de candidats indépendants de gauche défieront les Républicains, les Démocrates et le système bipartite. Le parti Démocrate pourrait voir émerger des voix dissonantes et des forces populistes ‘‘de gauche’’.

    Dans cette nouvelle vague d’opposition, Socialist Alternative, en solidarité avec le CIO, se prépare à jouer un rôle majeur ; assister le mouvement des travailleurs pour lui donner sa propre voix politique, casser ses liens avec le parti démocrate, et armer une telle force avec un programme socialiste pour mettre fin au capitalisme.

  • Fermeture de l’usine Opel à Bochum – pas de riposte ?

    Pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, une usine automobile (celle d’Opel à Bochum, qui appartient à General Motors) est sur le point de fermer en Allemagne. Afin de sauver l’emploi, nous défendons la nationalisation des entreprises qui procèdent à des licenciements collectifs, sous le contrôle des travailleurs, avec par exemple l’instauration d’une semaine de travail de 30 heures sans perte de salaire.

    Stephan Kimmerle, Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO)

    Au cours de la nuit du 9 au 10 septembre dernier, 150 travailleurs d’Opel, écœurés par les plans de restructuration, sont entrés en grève spontanée après un meeting de 17 heures organisé par leur comité d’entreprise. Durant le meeting, la colère bouillonnante de ces travailleurs qui réclament la garantie de l’avenir de leurs postes, de leurs familles et de leur région était très visible. Cette grève a toutefois subi d’énormes pressions patronales, sans recevoir le soutien du syndicat. C’est ce qui a permis à la direction de parvenir à mettre fin à la grève et d’empêcher son extension aux travailleurs qui arrivaient le matin.

    La région de la Ruhr, déjà appauvrie, souffrira des énormes conséquences de la fermeture d’Opel. Mais la résistance est des plus limitées, en net contraste avec les traditions militantes de cette usine qui a connu nombre de grèves. Parmi elles, une grève spontanée et non-reconnue par le sommet syndical avait éclaté en 2004 et avait duré 6 jours pour protester contre le licenciement de milliers de travailleurs. Une autre, en 2000, avait résisté à la délocalisation et la division des travailleurs.

    Mais cette fois, aucune résistance n’aura été opposée au coup de grâce contre ces 5000 travailleurs (3200 dans l’usine et environ 2000 chez les fournisseurs directs et les sous-traitants sur le site), malgré des traditions combatives.

    En mars 2013, plus de trois quarts des travailleurs de Bochum avaient rejeté un accord proposé par la direction au syndicat IG Metall et au comité d’entreprise. En échange de vagues promesses, les travailleurs devaient accepter de mettre un terme à la production de voitures en 2016, d’être moins bien payés, et d’abandonner les conventions collectives et toute possibilité de promotion. Alors que toutes les usines d’Opel en Allemagne ont été contraintes par le syndicat et le comité d’entreprise à accepter ce plan, les travailleurs de Bochum ont refusé de financer leurs propres funérailles avec des réductions salariales.

    En riposte, la direction de General Motors a annoncé en avril 2013 la fermeture définitive de l’usine pour fin 2014. 5 mois plus tard, rien n’a changé, et aucune piste n’a été avancée pour contre-attaquer.

    Une attaque de la direction en accord avec les syndicats

    Il y a en Europe un surplus de 7 millions de voitures (Financial Times, 1er août 2013). Sur un marché en déclin généralisé, Opel se porte particulièrement mal. Ses parts de marché en Europe de l’Ouest sont passées de 11% en 2011 à 6,8% au premier semestre 2013. Le syndicat allemand IG Metall a déclaré que les usines Opel en Europe fonctionnent à 50% de leurs capacités.

    General Motors a mis fin à la production à Anvers en décembre 2010. Les travailleurs des autres usines ont été menacés et forcés à accepter des conditions de travail et des salaires inférieurs.

    Au centre du problème, la soumission des syndicats et des comités d’entreprise à la ‘‘course vers le fond’’ : un plan de chantage visant à diviser les travailleurs pour assurer la logique de compétitivité et de profits des patrons.

    En mai 2012, le syndicat britannique Unite a accepté des horaires plus lourds, une perte de salaire, plus de flexibilité, et même un relais des équipes le week-end pour faire gagner à la direction le conflit interne sur les futurs modèles et la production. Pour ‘‘sauvegarder’’ les postes à Ellesmere Port près de Liverpool, Unite a même insisté pour qu’en échange de réductions de salaires, la direction promette de ne plus produire le modèle Astra dans plus d’une usine, alors que la production était encore en cours dans deux autres.

    Certains délégués syndicaux d’Ellesmere Port étaient véritablement convaincus qu’il n’existait pas d’alternative à ces concessions. Mais le rôle des représentants syndicaux devrait être d’expliquer clairement la situation et de préparer les travailleurs à de futures batailles. Mais à la place, ils ont causé un effet démoralisateur et démobilisant en faisant de ces concessions une stratégie pour ‘‘sauver’’ l’emploi. En pratique, une couche de dirigeants d’Unite a accepté cette prétendue ‘‘perte inévitable’’ d’emplois et d’usines dans le cadre de la crise capitaliste de la production automobile en Europe.

    En juin 2012, le syndicat IG Metall a accepté de ne pas accorder l’augmentation de 4,3% à laquelle les travailleurs d’Opel avaient droit selon leur contrat. Cela faisait partie du “Deutschland-Plan” (plan pour l’Allemagne) visant à augmenter la compétitivité de l’entreprise face à d’autres entreprises appartenant à General Motors. Ce plan comprenait déjà la fermeture de l’usine de Bochum en 2016. La production de l’Astra, le modèle le plus important pour Opel, sera délocalisé hors d’Allemagne.

    Cependant, la stratégie des concessions ne paie pas. Le ‘‘vainqueur’’ principal (à long terme, il s’agit de toute façon des patrons) semble ne pas être Ellesmere Port, mais bien l’usine polonaise de General Motors à Gliwice. L’année dernière, Ellesmere Port a vu sa production baisser. Les travailleurs ont été contraints à une semaine de 4 jours et la production a cessé durant une semaine.

    Le soutien des dirigeants des comités d’entreprise de Rüsselsheim près de Francfort contre l’usine de Bochum a entraîné l’arrêt de la production de l’Astra et n’a été compensé que par le transfert de la production du modèle Zafira de Bochum à Rüsselsheim. Leur propre avenir est incertain.

    Dans ce jeu du patronat, tous les travailleurs sont perdants, seul leur degré de souffrance change. Les décisions de la direction ont déjà été approuvées de facto par les comités d’entreprise et les syndicats européens.

    Une stratégie pour sauver l’emploi

    Le directeur des comités d’entreprise d’Opel en Allemagne, Wolfgang Schäfer-Klug, a défendu le “Deutschland-Plan’’ et toutes ses concessions pour ‘‘défendre’’ les emplois en Allemagne, tout en critiquant de manière hypocrite le syndicat britannique pour ses concessions.

    Le dirigeant d’IG Metall a même indiqué que les traditions combatives de Bochum ont mené à la fermeture de l’usine. Dans une interview, il a déclaré que ‘‘le radicalisme excessif peut au final remettre le futur d’un site en question.’’ Les patrons de General Motors ont peut-être bien choisi de punir Bochum à cause de son passé rebelle. L’entreprise pense d’ailleurs cesser sa production en Corée du Sud à cause de la force des syndicats et de l’effet des récentes grèves là-bas. Cependant, sans la résistance combative des travailleurs de Bochum, l’usine aurait déjà fermé il y a longtemps ! Il est du devoir des syndicats et des dirigeants comme Wolfgang Schäfer-Klug de défendre ses traditions, pas de les jeter à la poubelle.

    Malgré son argumentaire contre le “Deutschland-Plan’’ et ses encouragements aux travailleurs de Bochum pour qu’ils votent contre, le dirigeant du comité d’entreprise de Bochum, Rainer Einenkel, n’a proposé aucune alternative de lutte. Au contraire, il a appelé à la ‘‘prudence’’, sans faire quoi que ce soit d’autre. Sa stratégie semble être d’espérer renégocier les termes du contrat avec General Motors. Il les appelle à ne pas endommager davantage l’image d’Opel en fermant l’usine de la Ruhr. Il a aussi symboliquement attaqué Opel en justice pour que l’usine ne soit pas fermée.

    Pour une semaine de 30 heures chez General Motors sans perte de salaire!

    Nous avons besoin d’une réelle stratégie pour mettre fin aux plans de la direction et défendre tous les emplois et toutes les usines. Le premier pas, c’est de mobiliser et de contre-attaquer immédiatement. Il faut décréter la grève.

    IG Metall en Allemagne, Unite en Grande-Bretagne, et d’autres syndicats ont le pouvoir d’organiser la résistance. Il faut pousser leur direction vers l’avant. Cependant, les travailleurs de Bochum ne peuvent pas attendre le réveil ou le remplacement de la direction. Il faut un mouvement de la base, qui démarrerait avec une grève et l’envoi de délégués dans d’autres usines pour ouvrir le débat sur la manière de défendre les emplois et les usines. Cela pourrait trouver un écho favorable dans la région de la Ruhr.

    Un tel mouvement a besoin d’une solution pour gagner. A Bochum, les travailleurs peuvent lier leur lutte pour la défense de tous les emplois à la demande du gouvernement fédéral et de l’Etat régional de Rhénanie-Du-Nord-Westphalie de nationaliser l’usine et d’en arrêter le déclin. Sous le contrôle des travailleurs, une stratégie peut être développée afin d’utiliser l’usine et sa main d’œuvre qualifiée pour produire des bien socialement nécessaires, et pas seulement des voitures.

    Comme General Motors ne désire pas continuer à faire tourner ses usines sans licenciements ou attaques sur les droits des travailleurs, elles devraient être nationalisées sous le contrôle des travailleurs. Un plan d’urgence de production pourrait être décidé pour utiliser les ressources de ces travailleurs talentueux et celles des usines. Là où c’est nécessaire, on pourrait remplacer la production de voitures par la production d’autres biens socialement nécessaires. Ces usines ne seraient alors plus sources de chômage, mais d’apprentissage et d’emplois pour les jeunes.

    General Motors a annoncé de nouveaux profits tout en attaquant les emplois et les conditions de travail des travailleurs. Que General Motors rendent ses comptes publics, et pas que eux d’Opel et Vauxhall ! Que les travailleurs sachent où sont allés les gigantesques profits, les baisses d’impôts et les subsides !

    Pour répandre la lutte, il faut aussi une stratégie pour mettre fin à la politique de division. L’argument principal de la direction, et aussi malheureusement celui des syndicats de droite, c’est la crise de surproduction qui touche l’industrie automobile. C’est la base de la stratégie visant à diviser les travailleurs des différentes usines. En ce moment, les travailleurs de Rüsselsheim, Ellesmere Port ou Gliwice espèrent bénéficier d’une certaine manière de la fermeture de Bochum.

    Un premier pas pour mettre fin à cet argument serait une campagne immédiate pour la réduction des heures de travail : pour une semaine de 30 heures sans perte de salaire dans les usines de General Motors (Opel, Vauxhell) en Europe et ailleurs. Cela donnerait un exemple aux travailleurs de l’automobile d’autres entreprises, qui les pousserait à ne pas accepter la surproduction comme un problème, mais à partager la charge de travail et à faire payer les patrons.

    Encore une fois, cela serait bien plus efficace si les directions syndicales faisaient leur travail… Mais sans avoir à les attendre, des visites de délégations de la base dans d’autres usines pourraient élargir le mouvement de protestation. Les militants syndicaux devraient faire campagne pour exiger la fin de la division des travailleurs au sein des syndicats, et défendre les emplois, les conditions de travail et les salaires.

    Cela aidera aussi les travailleurs de Bochum, qui se sentent abandonnés par les collègues des autres usines à cause de la politique des syndicats. Cela mettrait fin à l’isolement et créerait un mouvement de lutte généralisé capable de mobiliser l’énergie nécessaire pour une riposte efficace.

    Il faut une direction combative pour organiser cette lutte unifiée. Cela créerait la base pour mobiliser les travailleurs pour sauvegarder toutes les usines. Les syndicats doivent être transformés en outils combatifs, basés sur la démocratie interne. Ils doivent nouer des liens étroits entre les travailleurs partout en Europe et dans le monde. Un mouvement militant des travailleurs et des syndicats est essentiel afin de lutter pour ces changements, développer de nouveaux liens entre les représentants des travailleurs de différentes usines et de différents pays pour faire tomber les barrières et unir la résistance.

  • Homophobie en Russie : INTERVIEW d’Igor, militant russe pour les droits des LGBT

    A l’occasion des championnats Olympiques d’Athlétisme qui se sont déroulés en août dernier, une certaine attention médiatique a été accordée à la violence et aux lois homophobes en Russie. Nous en avons parlé avec notre camarade Igor, membre de la section russe du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) et militant très impliqué dans la défense des droits des LGBT (Lesbiennes-Gays-Bisexuels-Transgenres).

    ‘‘La campagne homophobe qui prend actuellement place en Russie a commencé il y a deux ans, juste avant les élections parlementaires de 2011. Le parti de Poutine, Russie Unie, sentait qu’il perdait du soutien électoral et a donc décidé d’instrumentaliser les préjugés homophobes pour diviser la population, s’attirer l’adhésion des couches les plus conservatrices de la société (en combinaison avec d’autres thèmes pour la ‘‘sauvegarde de la famille’’ et contre le droit à l’avortement) et dévier l’attention des importants problèmes sociaux et politiques du pays. Dans d’autres pays, c’est la carte du nationalisme qui est jouée à cette fin mais, dans un pays comme la Russie qui comprend une multitude de groupes ethniques et de minorités nationales, utiliser aussi ouvertement le nationalisme est périlleux.

    ‘‘Au début, la plupart des activistes ont pensé que cette campagne allait prendre fin une fois les élections terminées, nous avions prévenu que cela dépendrait avant tout de la manière dont la crise politique, sociale et économique allait se poursuivre en Russie. Un mouvement de masse a suivi ces élections, dans le cadre des protestations de masse qui ont surgi à travers le monde à la suite du processus révolutionnaire en Afrique du Nord et au Moyen-Orient cette année-là (c’était aussi l’année du mouvement Occupy aux USA, des Indignés en Espagne,…). Le régime a donc décidé de poursuivre et d’intensifier cette campagne. Nous ne pensons pas que la société russe est plus homophobe ou conservatrice qu’une autre, la situation qui s’est développée est une conséquence directe de la politique d’Etat.

    ‘‘Ce processus n’est toutefois pas linéaire. Les militants LGBT ont riposté avec leur propre campagne et, grâce à cela, le niveau des discussions sur ce sujet a considérablement évolué en deux ans. Jamais auparavant ce thème n’avait été débattu à cette échelle en Russie. Au côté d’actions spécifiques, les activistes LGBT ont commencé à participé de manière organisée aux manifestations de masse sur d’autres problèmes sociaux (particulièrement à Moscou, sous l’influence de l’activité des militants du CIO), avec leurs slogans propres et leurs drapeaux arc-en-ciel. Si une certaine hostilité a pu être présente au début, nous avons vu par la suite des manifestants défendre les LGBT contre les attaques physiques de l’extrême-droite dans les cortèges, et les délégations LGBT sont très vite devenues les plus dynamiques dans les actions de protestation, en solidarité avec l’oppression d’autres groupes dans la société.

    ‘‘En tant que socialistes révolutionnaires, nous considérons qu’il est de notre devoir de veiller à élever le niveau de conscience politique des militants LGBT tout en essayant de lier cette lutte spécifique à d’autres afin de parvenir à un combat mené en commun en défense de tous nos droits démocratiques et pour briser les préjugés néfastes entretenus par le régime. Cela est crucial pour stopper le rouleau compresseur de la politique antisociale.

    ‘‘Concernant les prochains Jeux Olympiques d’hiver de Sotchi, je pense qu’un boycott ne nous aidera pas à lutter contre l’homophobie. Nous nous opposons aux Jeux Olympiques pour des raisons différentes, parce que cela est synonyme de corruption, de gaspillage d’argent public et de destruction de l’environnement. Il sera plus efficace d’organiser des actions de protestation et de solidarité durant la tenue des Jeux, avec des athlètes bien sûr, mais aussi avec les fans. Après des années de silence et de mépris, nous devons utiliser toutes les occasions de parler et de renforcer la lutte pour l’égalité.’’

  • Tunisie : Grandes manœuvres au sommet, profonde méfiance parmi les masses

    L’alliance du Front populaire avec ‘‘Nidaa Tounes’’ provoque du remous dans la gauche

    Dans la foulée de l’assassinat politique du dirigeant de gauche nassérien Mohamed Brahmi, le 25 Juillet, une cascade de protestations a traversé tous les coins de la Tunisie. Une grève générale massive a secoué le pays le vendredi 26, et un ‘sit-in’ permanent a eu lieu depuis en face de l’édifice de l’Assemblée Nationale Constituante, à la place du Bardo à Tunis, rejoint par la suite par de nombreux manifestants venus des régions de l’intérieur pour marcher sur la capitale, déterminés à en découdre avec le pouvoir en place.

    Serge Jordan, Comité pour une Internationale Ouvrière

    (Photo ci-contre : le porte-parole du Front populaire, Hamma Hammami, aux côtés du président de Nidaa Tounes, Béji Essebsi)

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    Le 6 août, la plus grande manifestation anti-gouvernementale depuis le meurtre de Brahmi a pris place, les estimations les plus sérieuses faisant état de plus de 450.000 manifestants. Le mouvement ‘Tamarrod’ (‘Rébellion’) affirme avoir recueilli plus de 1,7 million de signatures (à peu près 10% de la population) en faveur de la destitution du gouvernement de la ‘Troika’, dirigé par les islamistes d’Ennahda. Et dans les régions pauvres de l’intérieur du pays, les mobilisations ont été accompagnées par le développement de diverses structures de pouvoir révolutionnaires locales : dans certaines régions, les manifestants ont occupé les gouvernorats et mis en place des comités autogérés, en défi direct au gouvernement d’Ennahda.

    Laïcs contre islamistes ?

    Contrairement à ce qui a été clamé par de nombreux commentateurs dans les médias, les principaux acteurs de la bataille en cours ne sont pas simplement des ‘islamistes’ contre des ‘laïques’. Présenter les choses de cette manière tend à nourrir le jeu de pouvoir au sein de l’élite, une élite qui a tout intérêt à essayer d’obscurcir les questions de classe sous-jacentes.

    Bien sûr, il serait faux de nier la colère de masse liée à la bigoterie religieuse de la clique au pouvoir, ainsi que les attaques et menaces perpétrées au nom de l’islam politique. L’encouragement du fondamentalisme religieux et les frontières poreuses entre Ennahda et certains groupes salafistes violents a sans aucun doute nourri la colère du peuple tunisien contre le régime actuel. Alors que chaque jour qui passe apporte son lot d’histoires d’attaques aux frontières, de menaces à la bombe ou de tentatives d’assassinats, la situation sécuritaire du pays et la menace de la violence terroriste sont devenus une préoccupation importante pour la population.

    Les récentes déclarations gouvernementales caractérisant officiellement le mouvement salafiste extrémiste « Ansar al-Sharia » comme une «organisation terroriste» doivent être comprises dans ce contexte: il s’agit d’une tentative des dirigeants d’Ennahda d’écarter leurs propres responsabilités en affichant une certaine dose de pragmatisme politique envers la rue et le mouvement d’opposition, dans un geste désespéré pour tenter de restaurer leur crédibilité, quitte à s’aliéner certains de leurs alliés potentiels et une partie de leur propre base ultraconservatrice.

    Les socialistes s’opposent sans ménagement à la tendance croissante au fondamentalisme religieux, utilisé comme un instrument d’oppression par le pouvoir en place, qui représente une grave menace pour la liberté d’expression et les droits démocratiques, en particulier en ce qui concerne ses effets corrosifs sur les femmes.

    La manifestation en défense des droits des femmes appelée par le syndicat UGTT le 13 août a été ralliée par une foule nombreuse de dizaines de milliers de personnes, réclamant la chute du gouvernement. Cela indique que de nombreux manifestants intègrent très justement la lutte pour défendre les droits des femmes dans une lutte plus large contre le gouvernement actuel.

    Mais si ces questions ont incontestablement joué un rôle important, le cœur de la lutte en cours remonte directement aux aspirations initiales de la révolution de 2010-2011, qui n’ont tout simplement pas été satisfaites.

    Une enquête menée au début de 2011 indiquait que 78% des jeunes Tunisiens pensaient à ce moment-là que la situation économique s’améliorerait au cours des prochaines années, ce qui est bien loin de la réalité actuelle. Pour une grande partie de la population en effet, les difficultés croissantes de la vie quotidienne, la hausse constante des prix des denrées alimentaires, la terrible absence d’emplois pour les jeunes, l’état catastrophique des infrastructures publiques, les bas salaires et les conditions de travail épouvantables dans les usines, la marginalisation continue des régions de l’Ouest et du Sud, toutes les questions sociales au sens large fournissent le ‘carburant’ de la rage actuelle contre le gouvernement.

    Dans la ville de Menzel Bourguiba, au Nord de Tunis, 4000 travailleurs ont été récemment licenciés du jour au lendemain sans préavis, après la fermeture totale de leur usine de chaussures. C’est à ce genre de préoccupations que la clique au pouvoir a été absolument incapable de répondre tout au long de son mandat.

    Les enjeux ici portent sur qui détient le pouvoir économique dans la société, et au service de quels intérêts de classe le gouvernement travaille. En ce sens, tout gouvernement fonctionnant dans le cadre du système capitaliste, centré sur la maximalisation du profit pour les grosses entreprises (qu’il s’agisse d’un gouvernement avec Ennahda, avec des partis laïques, d’un ‘cabinet de technocrates’, d’un ‘gouvernement d’élections’, de ‘compétences’, d’unité nationale’ ou de n’importe quelle autre formule de ce genre) ne livrera rien d’autre que sensiblement la même politique, voire pire encore, pour la masse de la population.

    Le caractère supposément ‘laïque’ du régime de Ben Ali, par exemple, ne l’a nullement empêché de détruire la vie des gens, d’écraser toute opposition à son règne, de briser le niveau de vie des travailleurs, et d’être finalement renversé par un mouvement révolutionnaire sans précédent.

    Est-ce que ‘les ennemis de nos ennemis’ sont nos amis ?

    Bien qu’ayant initialement subi des coups sévères par la révolution, les anciens vestiges du régime, les milieux et réseaux de l’ex-RCD, ainsi que les familles bourgeoises qui ont rempli leurs poches pendant les années Ben Ali, n’ont pas ‘disparu’. Ils sont toujours représentés à l’intérieur de l’appareil d’Etat, dans de nombreux secteurs de l’économie, dans les médias, dans de nombreux partis politiques, organisations et associations, ils ont aussi des connections, entre autres, au sein du régime algérien, et des liens avec les puissances impérialistes.

    L’héritage politique le plus évident de l’ancien régime est le parti ‘Nidaa Tounes’ (=‘Appel pour la Tunisie’), épine dorsale de la coalition ‘Union pour la Tunisie’. Nidaa Tounes, dirigé par le dinosaure politique de 87 ans Beji Caïed Essebsi (une figure de premier plan pendant la dictature de Habib Bourguiba, qui dirigea le pays de 1957 à 1987) est essentiellement un refuge politique de vieille garde de la dictature: éléments liés à la bureaucratie qui constituait le tronc de l’ancien parti au pouvoir, groupes d’ intérêts avec des connections à l’intérieur de l’‘Etat profond’, riches capitalistes dont les intérêts commerciaux sont en conflit avec la stratégie d’Ennahdha, couplés avec toutes sortes de nostalgiques et parasites de l’ancien régime qui abusaient de leurs positions à travers le vaste système de népotisme.

    Cependant, c’est précisément avec ce parti et avec ses partenaires politiques, tous farouchement défenseurs du ‘marché’, que les dirigeants de la gauche tunisienne ont décidé de conclure un accord politique, comme si l’élan populaire contre Ennahda, qui avait atteint un point de quasi-ébullition dans les dernières semaines, rendait soudainement ces forces plus acceptables ou ‘amies’ de la révolution populaire.

    En effet, après l’assassinat de Mohamed Brahmi, une alliance politique a été mise en place par la direction de la coalition de gauche du ‘Front populaire’ avec la coalition ’Union pour la Tunisie’, ainsi qu’avec d’autres forces de droite (y compris avec la principale fédération des patrons, l’UTICA). Cet accord a donné naissance à la création du ‘Front de Salut National’, dont l’objectif commun proclamé est de faire campagne pour la formation d’un gouvernement de ‘salut national’, dirigé par une soi-disant ‘personnalité nationale indépendante’.

    Cette alliance a jeté un seau d’eau froide sur les désirs révolutionnaires de beaucoup de militants, à la base du Front populaire ainsi que parmi de nombreux jeunes et de travailleurs tunisiens. Cet accord ne fut pas une réelle surprise pour le CIO. Nous avions mis en garde depuis longtemps, dans notre analyse du caractère et de l’évolution de l’orientation du Front populaire au cours des derniers mois, contre la stratégie erronée, poursuivie par ses dirigeants, de la ‘révolution par étapes’: en gros, l’idée qu’il faut d’abord consolider la ‘démocratie’ et la réalisation d’un ‘État civil’, tout en reportant les tâches de la révolution socialiste à un avenir indiscernable.

    Ce récent accord est le point culminant d’une telle approche erronée. S’unir contre l’ennemi islamiste commun, perçu comme une menace pour la démocratie, est devenue la ligne de justification pour la conclusion d’accords avec une force politique complètement réactionnaire, armée d’un programme néolibéral qui ne diffère en rien de fondamental de celui de ses opposants islamistes. Cet accord subordonne de facto les intérêts de la classe ouvrière et des pauvres, qui constituent la majorité des forces militantes du Front populaire, à des forces motivées par un programme résolument pro-capitaliste et pro-impérialiste.

    Arguer du fait qu’un accord de cette nature est ‘nécessaire’ pour le mouvement afin d’être ‘suffisamment fort’ si l’on veut faire tomber le gouvernement actuel, comme certains l’ont prétendu, ne tient pas la route.

    Le magnifique mouvement qui avait débuté après la mort de Brahmi a connu depuis une chute significative, la vague de grèves s’est en partie épuisée, et la composition de classe des manifestations de rue a également changé, ayant été partiellement reprise en charge par des forces pro-bourgeoises, déguisés pour l’occasion par les chefs de la gauche comme étant du côté du peuple. Une certaine nostalgie pour le régime de Bourguiba a également refait surface, avec une couche de manifestants essentiellement issus de la classe moyenne, encouragés par Nidaa Tounes et d’autres forces similaires, affichant des portraits de l’ancien autocrate dans les rues.

    Cela ne signifie pas pour autant que le mouvement est ‘mort’. La situation reste extrêmement volatile, et la colère qui existe parmi de larges couches de la population tunisienne contre l’état général du pays, sur les plans à la fois social et politique, pourrait rapidement resurgir au travers de nouvelles explosions de masse.

    Mais incontestablement, l’alliance entre la gauche et Nidaa Tounes & cie a eu pour effet immédiat d’affaiblir le mouvement de masse et la confiance des travailleurs et des jeunes dans ce pour quoi ils se battaient et sont sortis dans la rue au départ.

    La campagne ‘Erhal’ (‘Dégage’) a été lancée par le Front de Salut National il y a deux semaines, dans le but de faire dégager les gouverneurs, administrateurs et dirigeants d’institutions publiques nommés par le gouvernement d’Ennahdha. Essebsi est sorti publiquement à la fin du mois d’août contre cette campagne, en disant qu’il ‘plaçait son soutien dans le concept de l’Etat’.

    Cela montre encore une fois que Essebsi et ses forces poursuivent un agenda aux antipodes du mouvement révolutionnaire, en utilisant leur position pour tenter de briser la dynamique du mouvement, qui avait pourtant vu plusieurs exemples de structures de double pouvoir émerger dans diverses localités, et des gouverneurs et chefs locaux d’Ennahda chassés par la population.

    Le côté ironique de l’histoire est que récemment, il a été révélé que des négociations secrètes avaient eu lieu à Paris entre Rached Ghannouchi, dirigeant d’Ennahda, et Essebsi lui-même, dans une tentative de trouver un accord commun entre les deux partis. Selon toute vraisemblance, ils ont été poussés dans le dos par les pays impérialistes, afin de désamorcer la crise actuelle et éviter une impasse politique prolongée qui pourrait exacerber les tensions et potentiellement donner lieu à de nouveaux soulèvements révolutionnaires.

    Les centaines de milliers de jeunes, de travailleurs et de pauvres qui ont inondé les rues pour manifester leur colère contre le pouvoir en place durant le courant du mois dernier se rendent compte que toute cette énergie pourrait arriver à un accord pourri entre les deux principales forces de la contre-révolution, et tout cela avec l’accord tacite des dirigeants des principaux partis de gauche.

    Turbulences à gauche

    A nos yeux, c’est seulement autour des revendications de la classe ouvrière et des opprimés, ceux et celles qui ont fait la révolution et partagent un intérêt commun à la poursuite et à la victoire de celle-ci, qu’une alternative politique viable peut être construite, capable de répondre aux préoccupations profondes de la majorité.

    C’est pour cette raison que beaucoup de militants, syndicalistes, chômeurs et autres sympathisants de la gauche radicale avaient accueilli avec enthousiasme les objectifs initiaux de la mise en place du Front Populaire: rassembler tous ceux et toutes celles qui ressentent la nécessité d’un pôle d’attraction révolutionnaire indépendant, explicitement distinctif, dans ses objectifs, à la fois d’Ennahda et des diverses forces néolibérales ou/et liées a l’ancien régime qui se trouvent dans l’opposition.

    Pour les mêmes raisons, l’adoption, par les dirigeants du Front populaire, du ‘Front de Salut National’ rencontre maintenant de vives critiques et un remous croissant dans les rangs du Front Populaire et dans la quasi-totalité des partis qui le constituent. Un état de semi- révolte est en gestation dans certains de ces partis. Selon un militant de l’aile jeune du ‘Parti des Travailleurs’ (ex- PCOT), cité dans un article publié sur le site nawaat.org, ‘‘Au sein de notre parti, le gros de la jeunesse est contre cette alliance.’’ Dans le même article, un membre du syndicat étudiant UGET, et sympathisant du Front Populaire, fait également valoir qu’il est contre cette alliance ‘‘avec des libéraux, qui ont un projet à l’opposé du nôtre et qui sont dirigés par des personnes ayant eu des postes importants sous Bourguiba et Ben Ali.’’ Un autre partisan du Front Populaire explique: ‘‘Cette alliance est une faute sur le plan stratégique et une trahison des principes de la gauche. Nidaa Tounes est un parti de droite sur les plans économique et social, tout comme Ennahda, et c’est un lieu de recyclage pour des anciens du RCD.’’

    La LGO, le parti dans lequel les partisans du CIO ont été actifs depuis un certain temps, n’a pas été immunisée par ces développements. Une partie de la direction de la LGO s’est alignée sur l’orientation suivie par les principaux dirigeants du Front Populaire, laissant tomber leur revendication précédente pour un ‘‘gouvernement ouvrier et populaire autour de l’UGTT’’, et se cadrant au contraire dans la revendication de ‘‘gouvernement de salut national’’ préconisée par la direction du Front Populaire.

    Le 3 août, la LGO a produit une déclaration, reproduite sans la moindre critique en anglais sur le site ‘International Viewpoint’ (le site international du Secrétariat International de la Quatrième Internationale) arguant que ‘‘Pour faire face aux conditions économiques et sociales actuelles, il faut combattre les facteurs de l’hémorragie financière de l’Etat et augmenter ses ressources, afin de permettre au gouvernement de salut de mettre en œuvre son programme en se basant essentiellement sur nos propres capacités nationales ( … ).’’ De manière incroyable, le texte va jusqu’à demander à ‘‘soumettre les cadres de l’Etat et ses rouages à un plan d’austérité strict’’ et exiger ‘‘une contribution de solidarité volontaire des salarié-es d’un jour de travail pendant six mois’’ !

    Dès le premier jour des manifestations anti-gouvernementales après l’assassinat de Brahmi, le groupe de supporters du CIO a été le premier à sortir avec des tracts contestant cette orientation, refusant tout accord politique avec des forces qui défendent le capitalisme, exigeant une grève générale ouverte, et plaidant pour structurer la lutte dans tout le pays au travers de comités d’action de masse démocratiquement élus, afin de jeter les bases d’un ‘‘gouvernement révolutionnaire des travailleurs, des jeunes, des chômeurs et des pauvres, soutenu par l’UGTT et les militants du Front Populaire , l’Union des Chômeurs Diplômés (UDC) et les mouvements sociaux.’’

    En collaboration avec d’autres, les partisans du CIO en Tunisie sont désormais engagés dans un processus de recomposition de la gauche, en vue de fonder une nouvelle plateforme d’opposition, ouverte à tous, qui puisse organiser les militants du Front Populaire dissidents, et les travailleurs et les jeunes au sens large, autour d’un programme en adéquation avec les véritables aspirations de la majorité des Tunisiens.

    Le mouvement de masse a un besoin urgent de construire sa propre organisation politique indépendante. Cela ne peut être fait, à nos yeux, qu’en rejetant résolument toute transaction avec des forces de classe étrangères telles que la coalition autour de Nidaa Tounes. Agir en conformité avec ces forces ne peut que conduire à la défaite ; l’appel aux sacrifices au nom du bien commun, voilés sous la bannière du «salut national » ou de toute autre façade similaire, servira en réalité à ouvrir la voie à de nouvelles attaques sauvages sur les droits et les conditions de vie des travailleurs et des masses pauvres en Tunisie, et de faire reculer la révolution pour les bénéfices de la classe capitaliste.

    Tout indique qu’un ‘‘automne chaud’’ de grèves et de protestations sociales se profile en Tunisie. Si les batailles entre clans politiques au sommet peuvent, dans certaines circonstances, prendre le dessus sur les luttes sociales, et les dissimuler dans une certaine mesure, ces dernières ne peuvent être supprimées pour autant. Les couches de la classe ouvrière qui sont sorties pour réclamer la chute du gouvernement sont pleines d’amertume, et reviendront inévitablement sur la scène pour réclamer leur du, et cela quelque soit le visage du nouveau gouvernement qui suivra la chute, quasi inévitable, de celui d’Ennahda.

    La gauche doit se préparer à donner une direction effective à ces couches qui vont entrer en lutte dans les prochaines semaines et les prochains mois, et leur fournir une stratégie claire sur la façon dont elles peuvent enfin obtenir un gouvernement qui leur est propre et qui puisse représenter pleinement leurs intérêts. Le cas échéant, d’autres forces réactionnaires vont s’engouffrer dans le vide politique, et se voir offrir la possibilité de se présenter comme étant les meilleurs défenseurs soit de la foi, soit de «l’intérêt national», faisant usage d’une rhétorique sans contenu de classe afin de détourner les objectifs initiaux de la révolution et d’imposer leur agenda contre-révolutionnaire.

    Les événements qui se déroulent en Égypte doivent servir d’avertissement: l’explosion révolutionnaire sans précédent du 30 Juin dernier contre le règne des Frères Musulmans a été détournée par les militaires, du fait que le mouvement ouvrier ne disposait pas de sa propre expression politique. L’ex-président de la Fédération égyptienne des syndicats indépendants (EFITU), Kamal Abou Eita, a accepté un poste de ministre du Travail et de l’Immigration dans le nouveau gouvernement post-Morsi. Une fois nommé à son poste, il a proclamé: ‘‘Les travailleurs, qui étaient champions de la grève sous l’ancien régime, doivent maintenant devenir champions de la production’’! Les erreurs de certains dans la gauche égyptienne à avoir offert une caution à la prise du pouvoir par l’armée ont été utilisées pour désarmer politiquement les travailleurs et pour attaquer leurs luttes, tandis que les vestiges de l’‘‘Etat profond’’ de l’ère Mubarak, certaines figures-clés de l’ancien régime, les services de sécurité intérieure et les réseaux de patronage de l’ex-parti au pouvoir le NPD font clairement un retour en force sur la scène.

    Direction et programme

    Ni Ennahda et ses partenaires au sein de la Troïka, ni ‘l’Union pour la Tunisie’, ni aucune des variations islamistes du type salafiste ou djihadiste, n’ont un programme sérieux de transformation économique à offrir aux masses. Tous utilisent différentes cartes idéologiques afin de sanctifier une société fondée sur des privilèges matériels considérables attribués à une poignée de gens, tandis que la majorité de la population doit accepter une spirale incessante vers le bas.

    La gauche marxiste doit offrir un chemin visant à couper court aux divisions ‘‘religieux / non-religieux’’, à travers la construction d’une lutte commune de tous les travailleurs et les pauvres visant à renverser le capitalisme. Une telle lutte doit intégrer la défense de droits politiques égaux pour tous, y compris le droit de chacun et de chacune à pratiquer sa religion, ou de n’en pratiquer aucune, sans ingérence de l’État.

    Les deux grèves générales de masse anti-gouvernementales qui ont déjà eu lieu en Tunisie cette année , parmi beaucoup d’autres exemples, ont démontré qu’il existe une volonté incontestable parmi la classe ouvrière, la jeunesse et les pauvres, de se battre pour un véritable changement révolutionnaire, et, pour commencer, de faire tomber le gouvernement actuel– à condition qu’il existe une direction digne de ce nom pour animer leur lutte. Mais c’est bien là que le bât blesse.

    Comme un article de l’agence de presse ‘Reuters’ le mentionnait récemment, en faisant des références aux événements en Egypte ‘‘L’Union générale tunisienne du travail (UGTT ) n’a ni chars, ni ambitions militaires, mais elle peut se targuer d’une armée d’un million de membres qui éclipse les partis politiques, maintenant à couteaux tirés à Tunis.’’

    Pourtant, l’image assez révélatrice de manifestants tunisiens scandant « le peuple veut la chute de l’Assemblée nationale constituante », tandis que l’UGTT plaidait officiellement pour son maintien, a mis en évidence le contraste évident entre les «solutions» offertes par la direction nationale de l’UGTT et le sentiment qui règne parmi les masses.

    Plutôt que de jouer le rôle embarrassant de conciliateurs entre le parti au pouvoir et l’opposition, et de réanimer sans cesse les tentatives futiles au ‘dialogue national’, rôle que les principaux leaders de l’UGTT ont joué allégrement dans le cours des dernières semaines, ces mêmes dirigeants auraient pu utiliser -et pourraient toujours utiliser- la force massive et influente de leur syndicat pour paralyser le pays du jour au lendemain et balayer d’un revers de la main le gouvernement et l’Assemblée Constituante. C’est ce que les partisans du CIO en Tunisie n’ont eu cesse de mettre en avant.

    Un tel geste audacieux, déployant la pleine puissance du mouvement ouvrier organisé, couplée avec la mise en place de comités d’action élus démocratiquement et structurés dans tout le pays, pourrait servir de base pour contester et renverser le pouvoir en place et le remplacer par une Assemblée Constituante révolutionnaire, véritable Parlement des masses opprimées, basée sur la puissance et l’organisation du mouvement révolutionnaire dans tous les recoins de la Tunisie: dans les rues, dans les usines et les lieux de travail, dans les écoles et les universités, dans les quartiers, etc

    Un gouvernement révolutionnaire des travailleurs, des jeunes et des pauvres pourraient couronner ce processus, et entamer ainsi la transformation de la société selon les désirs de la majorité de la population, en nationalisant les secteurs-clés de l’économie, afin d’élaborer une planification rationnellement organisée de la production pour répondre aux besoins sociaux de tout un chacun.

    A cet effet, la reconstruction d’un front unique, sur la base d’une perspective de classe indépendante, armée d’un véritable programme socialiste et internationaliste, est à notre avis la seule voie vers la victoire révolutionnaire.

  • Ecole d'été du CIO : Construire des partis révolutionnaires pour un réel changement, pour le socialisme démocratique

    Toute une semaine durant, sous la chaleur de juillet, près de 400 marxistes issus de 33 pays se sont réunis pour livrer des analyses et rapports de la situation en Afrique du Sud, au Brésil, aux Etats-Unis, en Grèce, en Tunisie,… afin de mieux appréhender l’image complexe d’un monde entré dans une période de révolution et de contre-révolution. La faillite du capitalisme a conduit, dans certains pays, à des mouvements de masse parmi les plus grands de l’Histoire. Le fait est cependant que cela ne s’est pas accompagné d’un retour des idées socialistes à la même échelle.

    Par Els Deschoemacker

    Dire que le mouvement des travailleurs, au niveau mondial, n’était pas préparé à faire face à la crise la plus profonde du système capitalisme depuis les années ‘30 est un euphémisme. Après la chute du stalinisme et suite à deux décennies de pensée unique néolibérale, l’audience pour les analyses et les idées basées sur le marxisme a été considérablement réduite. La lutte pour une société socialiste démocratique a été largement considérée comme étant devenue inadéquate au monde moderne et rejetée par les partis de gauche et les syndicats, qui se sont concentrés sur ce qui était réalisable au sein du capitalisme.

    Cela a laissé des traces. La crise a donné lieu à des mouvements de masse d’une échelle sans précédent et à une atmosphère anticapitaliste généralisée, sans que cela n’ait été accompagné d’une perspective claire quant à l’alternative à opposer au système actuel et à la force indépendante de la classe des travailleurs. Cela a entraîné beaucoup de confusion, de paralysie et de défaites, qui peuvent temporairement faire reculer le processus révolutionnaire.

    En Egypte, par exemple, le mouvement de masse connaît actuellement une phase très importante, mais dramatique. L’absence de toute réponse indépendante du mouvement des travailleurs dans l’opposition à Morsi a ouvert la voie au coup d’Etat militaire, dont l’objectif essentiel et de faire dévier la révolution. Le processus est actuellement en grand danger, avec le risque de le voir dévier dans une violence sectaire.

    En Grèce, en dépit des nombreuses grèves générales et de la grande volonté de lutter, le désarroi est profond face à l’application ininterrompue des diktats du marché. Dans d’autres pays la profonde colère qui émerge dans la société a donné lieu à un soutien à diverses forces populistes ou à un sentiment antiparti.

    Toutes ces évolutions constituent une école importe pour les masses, inévitable face au recul idéologique de ces dernières décennies. Ces mouvements donnent toutefois un aperçu de l’immense potentiel de la force qui est celle de la classe ouvrière, mais illustrent que, seules, les protestations de masse ont leurs limites.

    Mais la conscience des masses peut effectuer de grands bonds en avant, comme on peut le constater avec l’ouverture grandissante pour les idées socialistes aux USA, sans que la classe des travailleurs n’y soit encore largement entrée en mouvement.

    En Afrique du Sud, le massacre de Marikana, l’an dernier (34 grévistes avaient été abattus par la police) a conduit à une nette rupture entre le mouvement ouvrier et le parti au pouvoir, l’ANC. Le développement rapide d’un nouveau parti large de gauche (le WASP), sous la direction de notre section dans le pays, montre quel écho peut recevoir l’appel pour la construction de nouveaux partis de masse pour les travailleurs. Les sentiments antipartis peuvent rapidement disparaître, pour autant qu’une alternative combative soit présente, un parti de lutte dont les mots et les actes prennent la défense des travailleurs et de leurs familles.

    En Grèce, l’austérité n’est pas rejetée, elle est vomie. Tous les sondages mettent en avant une majorité en faveur de mesures socialistes comme le refus de rembourser la dette ou la nationalisation des banques et des autres secteurs-clés de l’économie. Faut-il rester à l’intérieur de l’UE à tout prix ? La réponse est un NON massif. Faut-il une grève générale à durée indéterminée ? La réponse est un OUI écrasant !

    Ces exemples illustrent qu’une conscience révolutionnaire peut se développer et qu’un grand potentiel révolutionnaire est présent dans la situation objective actuelle. Le principal obstacle auquel nous faisons face est l’absence d’une direction largement reconnue s’appuyant sur ce potentiel pour le concrétiser en un mouvement pour un changement de société. En Grèce toujours, le principal parti de la gauche radicale, Syriza, semble évoluer dans la direction opposée.

    Ce type d’erreur peut temporairement ralentir le développement d’une conscience socialiste, ou conduire à des pertes importantes, mais ne détruira en aucun cas le potentiel révolutionnaire – tout au plus ces erreurs rendent le processus révolutionnaire plus lent. Nous avons face à nous une véritable lutte contre la montre pour construire des partis révolutionnaires capables de généraliser l’expérience de la lutte de classe et de proposer une stratégie pour une transformation socialiste de la société. Participez-y vous aussi et rejoignez le PSL !

  • La crise économique débarque en Asie du Sud

    Rapport de l’école d’été du CIO

    Jusqu’à récemment, les économies “émergentes” des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) croissaient encore à un rythme soutenu. La Chine semblait particulièrement défier les lois de la gravité économique ou plutôt, les lois de la crise, typiques de toute économie capitaliste. On a entendu toute une série de gens nous dire que ces pays pourraient maintenir l’économie à flot et sauver le monde de la crise qui continue à ravages l’Europe et les États-Unis. L’effondrement tragique du taux de croissance au Brésil (qui est passé de 7,5 % en 2010 à… 0,9 % en 2012), et la révolte de masse des travailleurs et des jeunes de ce pays, ont mis un terme à cette illusion.

    Clare Doyle, Comité pour une Internationale Ouvrière

    Le ralentissement actuel en Chine, dont l’économie “surboostée” lui avait permis de ravir au Japon sa place de deuxième PIB mondial (après les États-Unis), est maintenant source de gros ennuis pour la clique dirigeante en Chine et partout dans le monde. La Chine est très fortement impliquée dans de grands projets de capitalisation dans toute une série de pays, pour des raisons économiques aussi bien que stratégiques ; mais la baisse de ses exportations a déjà un effet sur les économies des pays dans lesquels la Chine a délocalisé certaines opérations industrielles de base et à partir desquels elle tire les matières premières qui alimentent son industrie.

    L’Inde – qui est la troisième plus grande économie d’Asie, et qui ne s’est que récemment ouverte au marché mondial – a vu son taux de croissance chuter, de 10,5 % en 2010 à 3,2 % en 2012. La croissance de l’économie de la Malaisie, qui est extrêmement dépendante du commerce avec la Chine, a ralenti pour n’atteindre que 4,1 % cette année. La plupart des pays asiatiques ont au départ bénéficié de la baisse des investissements productifs (càd, profitables) qui s’est produite ailleurs dans le monde. D’énormes quantités de capitaux “dormants”, qui ne généraient que peu ou aucun intérêt dans les banques des pays pratiquant l’assouplissement quantitatif (l’impression d’argent), se sont déversées sur l’Asie en tant qu’“investissements” spéculatifs.

    Le Financial Times commentait ainsi que les marchés obligataires en monnaies locales « ont beaucoup prospéré du fait que l’effondrement financier mondial de 2008 a libéré une masse d’argent facile […] qui a quitté les États-Unis et l’Europe. Que se passe-t-il lorsque les taux d’intérêts commencent à monter, surtout aux États-Unis ? Combien de cet argent va se retourner et prendre ses jambes à son coup ? ». Près de 50 % des bons d’État de l’Indonésie appartiennent à des étrangers ; c’est le cas aussi de 40 % des bons d’État de la Malaisie et des Philippines.

    Allons-nous maintenant assister à une nouvelle “crise asiatique”, aussi grave, voire plus grave encore, que celle de 1997-98 ? Les gouvernements d’Asie du Sud et du Sud-Est (ces deux régions, qui s’étendent de l’Afghanistan à l’Indonésie, représentant ensemble 33 % de la population mondiale) parviendront-ils à éviter la tempête à venir ?

    Un précédent historique

    Au cours de la “crise asiatique” de 1997-99, on a vu plonger les devises de pays comme la Thaïlande, tandis que des centaines de milliers d’emplois passaient à la moulinette. Les soulèvements révolutionnaires contre la politique d’austérité imposée par le FMI ont notamment, en Indonésie, renversé le dictateur honni, Suharto. En Malaisie, un mouvement de masse qui réclamait des réformes démocratiques a menacé le long règne du Front national (BN), dominé par l’Organisation nationale des Malais unis (UMNO). À la fin 1997, la Corée du Sud a connu de nouvelles grèves générales contre les attaques néolibérales, semblables à celles qui se sont produites encore récemment.

    La fois passée, le FMI avait envoyé des prêts massifs à tous ces pays en proie à la crise afin d’éviter un effondrement social et une révolution. Dans le cas de la Corée du Sud, le montant des prêts s’élevait à 57 milliards de dollars. Aucun de ces mouvements de résistance n’a pu former une voix et une ligne politique capable d’accomplir les processus révolutionnaires qui avaient vu le jour. En Indonésie, certains groupes de gauche ont entretenu des illusions dans le caractère “démocratique de Megawati Sukarnoputri, qui, une fois au pouvoir, a joué son rôle de gérante du grand capital national et international, en alliance avec les généraux de l’ancien régime. En Malaisie, Anwar Ibrahim, le très populaire dirigeant du mouvement “Reformasi”, était un ancien membre du gouvernement UMNO avec Mahathir Mohammed. En tant qu’économiste néolibéral éduqué aux États-Unis, il ne voulait pas (et ne veut toujours pas) d’un mouvement qui pourrait aller jusqu’au bout et organiser la fin du capitalisme.

    Le CIO avait appelé au soutien total à ces mouvements pour les droits démocratiques et pour la liberté, et avait cherché à s’y impliquer autant que possible, mais tout en expliquant – suivant en cela le concept de la “révolution permanente” tel qu’imaginé par Trotsky – la nécessité de débarrasser ces pays néocoloniaux de la domination du capitalisme multinational aussi bien que national. Il fallait y mener une politique socialiste claire, basée sur la compréhension du rôle de la classe des travailleurs qui seule, avec le soutien des pauvres des villes et des campagnes, peut établir une véritable démocratie et transformer les vies de l’écrasante majorité de la population dans cette région.

    Tandis que le vent froid de la récession mondiale a maintenant atteint les pays asiatiques, de pareils mouvements tout aussi tumultueux pourraient voir le jour. Étant donné le fait que les économies des divers pays du monde sont encore plus interconnectées aujourd’hui qu’alors, l’Inde et le Pakistan, qui avaient évité le pire de la crise de 1997-98, pourraient à présent se retrouver complètement submergés. Le FMI ne va certainement pas pouvoir intervenir de manière aussi importante qu’il l’a fait à l’époque pour sauver les gouvernements des soulèvements révolutionnaires. Les premières explosions de colère et de désespoir pourraient s’élargir pour aboutir sur un mouvement généralisé au sein duquel l’ensemble des travailleurs et des jeunes pauvres se mettraient à chercher des solutions révolutionnaires. En ce moment, aucun pays asiatique ne peut prétendre avoir un gouvernement stable, confiant et viable.

    L’Inde

    L’Inde est caractérisée par « l’économie de marché économique avec la moins bonne performance de l’année » (The Guardian, 7 aout), vu le fait que sa croissance s’est arrêtée au second trimestre. « Les investisseurs craignent une répétition de la crise qui avait frappé l’Inde en 1991 ».

    Misère de masse et privations sont deux termes synonymes en Inde : « Quatre-cent millions d’Indiens n’ont pas l’électricité … La moitié des Indiens défèquent à l’air libre … Les taux d’immunité pour la plupart des maladies sont inférieures à ceux d’Afrique subsaharienne … Un enfant indien a deux fois plus de chances de souffrir de la faim qu’un enfant africain (ils sont 43 % à en souffrir en Inde) … Le budget de la santé publique s’élève à à peine 39 $ par personne et par an, alors qu’il est de 203 $ par personne par an en Chine, et de 483 $ au Brésil » (The Economist, 29 juin 2013)

    La majorité des femmes indiennes subissent une souffrance et des difficultés sans nom. Le viol collectif et le meurtre d’une étudiante à New Delhi en décembre dernier a provoqué un large mouvement de protestation en Inde comme à l’échelle internationale. Il est possible que des mesures soient introduites afin de tenter de sévir contre les criminels sexuels, mais il faut se rendre compte que la violence contre les femmes bénéficie du soutien de nombreuses vieilles pratiques et croyances. Les catastrophes naturelles sont aggravées par la destruction irresponsable de l’environnement, comme on l’a vu avec les glissements de terrain meurtriers dans l’Uttarakhand (petit État de l’Himalaya, frontalier du Népal et du Tibet (sous domination chinoise), 10 millions d’habitants) en juin de cette année. L’état des services de secours d’urgence est lamentable, ce qui cause encore plus de morts et de souffrances.

    Le gouffre qui s’étend entre la masse de la population indienne, forte de près de 1,3 milliards de gens, et la minuscule poignée de super-riches, s’élargit de plus en plus. Quelques individus issus de riches dynasties familiales ont amassé de vastes fortunes. Selon le magazine Forbes, Mukesh Ambani, patron de Reliance Industries et le 22ème homme le plus riche du monde, possède une fortune de 20 milliards de dollars (10 000 milliards de francs CFA, voir ici les photos de son yacht qui a couté 10 milliards de francs) ; le magnat de l’acier Lakshmi Mittal pèserait quant à lui 16 milliards de dollars (8000 milliards de francs). Une nouvelle classe moyenne s’est développée dans certaines villes, et fournit un certain marché pour les voitures et les produits de semi-luxe.

    « Pour les riches, le seul problème est leur tour de taille », comment The Economist (06/07/13). « Transportés partout par leurs chauffeurs, dispensés de toute corvée quotidienne par leur armée de serviteurs, ils sont devenus une race à part, corpulente, qui se distingue clairement de leurs compatriotes maigrelets ». (Cela nous rappelle les vieilles caricatures du gras capitaliste, alors qu’au même moment, aujourd’hui aux États-Unis, ce sont les travailleurs qui sont obèses, vu la manière dont on les gave de nourriture bon marché mais d’origine indéterminée).

    L’écrasante majorité de la population indienne continue à mener tant bien que mal une existence sordide avec un revenu de misère constamment érodé par l’inflation galopante. Les couches moyennes, qui ont pu bénéficier d’un certain développement de l’économie, voient déjà leurs espoirs brisés par le ralentissement de l’économie.

    Le gouvernement de Delhi dirigé par le parti du Congrès est ravagé par l’indécision et la corruption. Des régions entières du pays échappent au contrôle du gouvernement, où les forces de guérilla naxalites (maoïstes) se sont rendues populaires en chassant les propriétaires terriens rapaces et les multinationales. Alors que des élections sont prévues en 2014, le premier ministre Manmohan Singh vacille entre la pression de l’extérieur, qui veut le forcer à mettre en place des “réformes” néolibérales, et la pression d’en-bas.

    Il y a maintenant même la possibilité de voir revenir au pouvoir le parti nationaliste de droite largement discrédité, le BJP (Bharatiya Janata Party, Parti du peuple indien), dirigé par Narendra Modi. Modi est toujours détesté par des millions de gens qui le surnomment le “boucher du Gujarat” (État frontalier du Pakistan, 60 millions d’habitants) pour y avoir été responsable du meurtre de plus de 2000 musulmans en 2002. Dans de nombreux États, son parti se vautre dans la corruption. Mais comme le disait le Financial Times : « Si l’impression d’un vide étatique donnée par le Congrès continue comme ça, de plus en plus de gens seront tentés de prendre des risques avec lui » (10/06/13)

    Et cela, dans un pays qui a connu en février la plus grande grève générale de l’histoire de l’humanité – plus de cent millions de travailleurs étaient partis en grève pendant deux jours. Les grévistes réclamaient entre autres la fin de la cherté de la vie et un salaire décent pour tous. (Le roupie indien a chuté de 15 % rien qu’entre mai et juillet, ce qui a fortement nuit aux revenus déjà faibles).

    Les partis “communistes” de masse, jouissent toujours d’un certain soutien parmi les travailleurs et même parmi les paysans. Cependant, le “Parti communiste indien (marxiste)” a perdu énormément de plumes depuis qu’il a perdu le pouvoir au Bengale occidental (province de Calcutta/Kolkata, à la frontière avec le Bangladesh ; 100 millions d’habitants), où il régnait depuis des décennies. Il a souffert électoralement à cause des attaques brutales menées par lui sur le niveau de vie des travailleurs et des paysans, sacrifiés sur l’autel du capitalisme indien comme étranger. Il sera difficile – bien que pas impossible, en l’absence de tout autre parti des travailleurs de masse – pour le PCI(M) de regagner un soutien là ou ailleurs, tant qu’il adhère à la doctrine stalinienne traitre des “deux stades” – selon laquelle il faut d’abord installer le capitalisme avant de commencer toute lutte pour le socialisme.

    Le Pakistan

    La crise quasi permanente qui constitue la vie quotidienne au Pakistan illustre bien le besoin urgent pour les travailleurs de s’en prendre directement au féodalisme et au capitalisme en même temps. La vie personnelle tout comme la vie politique est oppressée par les coupures de courant, les attentats terroristes, l’effondrement des services publics et la paralysie du gouvernement.

    Le Parti du peuple pakistanais (PPP), autrefois si puissant, est entré dans une période de déclin qui sera peut-être terminale. La seule raison pour laquelle son gouvernement corrompu et inapte, sous la direction de M. Zadari dit “20 %” (une amélioration depuis son titre précédent de “M. 10 %”), est parvenu à arriver jusqu’au bout de son mandat, est l’inertie affichée par toutes les autres forces. L’armée, qui contrôle en coulisses des pans entiers de l’économie et de la société, n’est pas intervenue non plus pour reprendre le pouvoir direct. Cela ne veut pas dire qu’elle ne le fera pas à nouveau dans le futur, vu le développement de la crise politique et sociale.

    Le PPP, dans lequel tant de travailleurs et de jeunes avaient placés tous leurs espoirs au début des années ’80, a maintenant perdu la plupart de son autorité. Le gouvernement de Nawaz Sharif est confronté à des problèmes impossibles à résoudre : un État en faillite, une économie en crise, le terrorisme islamiste de droite, et de puissantes forces centrifuges qui menacent de faire éclater le pays.

    L’économie pakistanaise est dangereusement instable et fragile. Le nouveau prêt du FMI, d’une valeur de 5,3 milliards de dollars, est lié à l’exigence d’une “discipline financière”, càd, aucun subside pour les pauvres. La priorité est la réforme du secteur du transport de l’électricité, pour remédier aux coupures de courant qui causent maintenant chaque année à l’économie nationale des pertes estimées à 2 % du PIB.

    Il est fort improbable que le nouveau gouvernement puisse y faire quoi que ce soit. Les deux-tiers de l’électorat vivent dans les zones rurales, où des propriétaires féodaux ont encore pour ainsi dire droit de vie ou de mort sur des millions de paysans. Ce sont aussi eux qui décident du résultat des élections. La lutte héroïque de Malala Yousafzai (une adolescente de 16 ans, déjà victime de plusieurs tentatives d’assassinat dont une balle dans la tête pour son blog anti-talibans) contre les talibans qui voulaient empêcher les filles de s’inscrire à l’école, leur a par la même occasion permis de redorer un peu leur blason (Yousafzai est le nom d’une grande famille noble pachtoune, une ethnie qui vit à la fois au Pakistan et en Afghanistan). Mais la lutte contre les féodaux et contre les autorités, qui ne peuvent assurer une éducation complète et gratuite des garçons et des filles à la ville et à la campagne, est loin d’être terminée.

    Néocolonialisme et gouvernements faibles

    Dans la plupart des sociétés asiatiques, beaucoup de droits démocratiques de base n’ont jamais été établis. Les classes capitalistes émergentes n’ont pas été assez fortes pour accomplir une réforme agraire en profondeur ni pour chasser les restes du féodalisme. En Chine, il a fallu l’État prolétarien déformé de Mao Zedong pour accomplir cette tâche. Ce qui avait été accompli au cours des siècles précédents par les classes bourgeoisies lors de leurs révolutions en Angleterre, en France et ailleurs, reste toujours inachevé dans la plupart des pays asiatiques.

    Tout comme sur les autres continents, la plupart des nations asiatiques ont été créées artificiellement par des lignes tracées sur des cartes après (ou avant) des années de pillage et de destructions meurtrières. Des nations entières ont été réduits au statut de “minorité ethnique” en Birmanie, en Thaïlande, au Sri Lanka. Seuls des partis des travailleurs à la tête de gouvernements socialistes seront à même de résoudre les questions des droits des minorités nationales et d’entamer la tâche de bâtir des confédérations mutuellement coopératives de nations, à l’échelle sous-régionale.

    Cela fait des décennies que le règne direct exercé par l’impérialisme a pris fin partout en Asie. Cette domination a été remplacée par des puissances régionales telles que la Chine et l’Inde, qui luttent pour des “concessions” avantageuses sur le plan stratégique ou économique, comme on le voit au Sri Lanka, en Birmanie, et ailleurs.

    Des multinationales géantes fouillent la région à la recherche de marchés, de main d’œuvre bon marché et de maximalisation des profits. Dans la plupart des pays les plus pauvres du monde, le marché des graines, des engrais, des détergents, de la vente, etc. est dominé par des monopoles multinationaux. Unilever effectue ainsi 57 % de ses ventes sur les “marchés émergents”, Colgate 53 % et Procter & Gamble 40 % (Financial Times 29/07/13).

    Une campagne contre l’invasion du marché de la distribution indienne par Walmart organisée par le PCI(M) a obtenu une semi-victoire. Il reste à voir si la mise en échec de Walmart sera définitive. Les “communistes” du PCI(M) ont juré de rester vigilants, mais même des campagnes de masse ne peuvent obtenir que des victoires temporaires tant que les forces du “libre marché” capitaliste déterminent l’économie.

    Les géants du textile et de la chaussure que sont Primark, Gap, Reebok et Adidas tirent d’énormes profits du travail asiatique. Le Bangladesh reçoit 20 milliards de dollars par an de ses exportations de textiles fabriqués par des travailleurs payés 38 $ par mois (20 000 francs CFA). La fureur suscitée par les conditions de travail dans des entreprises telles que le complexe Rana Plaza à Dhaka (la capitalie), qui s’est effondré cette année en tuant 1300 travailleurs, s’est exprimé dans les rues par des manifestations de masse et par des grèves.

    À l’échelle internationale, on verse des larmes de crocodile, puis on parvient à des accords entre les revendeurs, les organisations patronales, les ONG et les fédérations internationales de syndicat comme IndustriALL. Même des organisations modérées comme “War on Want” (Guerre à la pauvreté, une ONG britannique) se plaignent du fait que de tels accords ne mènent jamais à rien et ne permettent jamais de garantir un salaire décent, une réduction des heures de travail ou de meilleures conditions de vie pour les millions de travailleurs de l’industrie textile partout en Asie du Sud et du Sud-Est. Ces accords ne permettent pas non plus l’émergence de véritables organisations de travailleurs combatives.

    Certains des géants les plus connus de l’industrie automobile possèdent aussi des usines en Asie. Ils forcent leurs travailleurs à accepter des salaires et des conditions qui ne seraient pas tolérées dans aucune autre région du monde. Mais en même temps, ils ont créé une nouvelle génération de jeunes combattants de classe qui ont organisé des grèves très importantes, comme celle de Maruti, près de Delhi (Maruti est une société industrielle appartenant à Suzuki ; les travailleurs demandaient le triplement de leur salaire et des logements ; le directeur des ressources humaines est décédé dans un incendie au cours de cette grève ; l’usine a été fermée pendant presque un an ; le conflit est toujours en cours).

    Les magnats “locaux” tels que les Tata, les Mittal, les Ambani, etc. se sont tellement enrichis depuis l’“indépendance” de leur pays, sur le dos de millions de travailleurs frappés par la pauvreté, dans leur pays comme en-dehors que leurs entreprises d’acier, d’automobiles et de mines parcourent à présent le monde entier, dans leur éternelle quête de profits.

    Démocratie ?

    Un simple regard sur n’importe quel pays d’Asie du Sud nous confirmera l’immense, l’infranchissable “déficit démocratique”, comme les commentateurs bourgeois le disent. Au Royaume-Uni, il y a eu tout un débat afin de savoir si la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth pouvait ou non avoir lieu comme prévu au Sri Lanka cette année (ce qui laisserait le Sri Lanka présider l’organisation du Commonwealth pendant les deux prochaines années !). La presse à cette occasion signalait le fait que le seul élément de démocratie présent au Sri Lanka est l’organisation d’élections. Le Sri Lanka serait le pays le plus dangereux au monde pour les journalistes, selon l’ONG “Reporters sans frontières”. L’armée continue à saisir et à “lotir” les terres des Tamouls dans le nord du pays, tandis que son ministre de la Défense, Gotabaya Rajapakse (frère du président Mahinda Rajapakse, du ministre de l’Économie Basil Rajapakse et du président de l’Assemblée nationale Chamal Rajapakse), aime à déclarer que « Les droits de l’homme ne sont pas pour nous ».

    La guerre civile au Sri Lanka a été noyée dans le sang de dizaines de milliers de Tamouls par la dictature népotiste chauviniste cingalaise de Mahinda Rajapakse. Mais aucune des grandes puissances qui luttent pour l’opportunité de faire des investissements très profitables et pour l’influence politique au Sri Lanka – notamment la Chine et l’Inde – n’est embarrassée par le manque de droits démocratiques dans le pays.

    Cette année en juin, nous avons vu la première grève générale dans le pays, bien que partielle, depuis des années ; c’est là un signal d’avertissement au régime apparemment tout puissant. Un gouvernement confiant dans son avenir n’aurait pas besoin de se reposer si fortement sur l’usage de l’armée, sur la censure de la presse ou sur la traque des opposants et des éléments minoritaires.

    Même dans “la plus grande démocratie du monde” – l’Inde – les votes lors des élections sont achetés et vendus. Toutes sortes de “cadeaux électoraux” – télévisions, ordinateurs, téléphones portables, etc. – sont distribués par les partis d’opposition comme du pouvoir lors des élections nationales ou régionales. De véritable fiefs de la taille de pays entiers sont détenus par des Ministres-en-chef et par leurs amis. La promesse d’éliminer l’immonde système des castes, reprises en chœur par tant de dirigeants politiques, reste irréalisée, et les minorités ethniques voient leurs terres les plus précieuses se faire arracher par des gouvernements ou des cartels qui œuvrent main dans la main (sauf là où des mouvements de masse déterminés sont parvenus à bloquer leurs projets).

    Le “second monde”

    La Malaisie, pays d’Asie du Sud-Est, parfois considérée comme faisant partie du “second” plutôt que du “tiers” monde, comprend trois principaux groupes raciaux (Malais, Chinois, Indiens). Le gouvernement du Barisan Nasional (Front national), qui se base sur la majorité malaise, prétend avoir à nouveau gagné les élections en mai, bien qu’il ne détienne maintenant plus la majorité des deux tiers qui lui permettait d’effectuer des modifications constitutionnelles.

    Les électeurs “chinois” (càd, d’ethnie “chinoise”, et non pas de nationalité chinoise), qui constituent un quart du total des Malaisiens, se sont écartés du BN pour protester contre la continuation de sa politique pro-malais. La majorité des électeurs “indiens” malaisiens ont en général voté pour l’opposition de la Pakatan Rakyat (Alliance du peuple).

    Au cours du mois qui a précédé les élections nationales, on a tout d’un coup vu tomber un “déluge” d’allocations sociales pour les familles pauvres, d’un montant total de 2,6 milliards de dollars. D’autres cadeaux ont été faits pour l’ensemble des électeurs. Malgré cela, l’alliance au pouvoir, dirigée par le BN, a sans nul doute été vaincue ; mais elle a affirmé sa victoire, malgré les très nombreux rapports de fraude électorale partout dans le pays. (Même le contrat pour l’encre nécessaire au vote a été donné à une entreprise qui appartient à un membre de l’alliance au pouvoir !)

    Des jeunes radicalisés et en colère sont immédiatement descendus dans les rues pour déclarer le gouvernement illégitime ; certains de leurs dirigeants ont été arrêtés. Le dirigeant de l’opposition – ce même Anwar Ibrahim qui avait dirigé le mouvement “Reformasi” en 1997 – a condamné la fraude électorale et a exigé une enquête par les tribunaux. Mais il n’a à aucun moment demandé à ce que le gouvernement laisse le pouvoir et à manifester pour cela. Petit à petit, le mouvement des jeunes s’est essoufflé puis a disparu.

    Il faut une nouvelle force politique en Malaisie, comme partout ailleurs dans la région, afin de canaliser la colère des jeunes et des travailleurs en une lutte pour une alternative socialiste. Le CIO en Malaisie, dans son journal “Solidarité ouvrière” présente une longue liste de revendications démocratiques liées à d’autres portant sur les salaires, le logement, les emplois pour les jeunes, la nationalisation des banques et des grandes entreprises sous contrôle et gestion démocratique par les travailleurs. Ce journal est vendu aux manifestations, sur les marchés de nuit, devant les entreprises – que ce soit des banques ou des usines – et dans les quartiers ouvriers.

    Quel avenir

    Lorsque les économies asiatiques seront soumises à la pleine force de la tempête économique qui approche, tous les partis politiques de la région seront soumis à l’épreuve. Ceux qui prétendent représenter les travailleurs, mais ne sont pas prêts à mener une lutte jusqu’au bout et sans compromis contre la domination du capitalisme et de l’impérialisme, perdront leur soutien. Ces vieux partis seront rejetés au cœur de la lutte de classes. Le développement d’une nouvelle force prolétarienne, basée sur un programme de classe combatif, est la tâche principale des socialistes en Inde, au Pakistan, en Malaisie, au Sri Lanka et dans toute la sous-région.

    Des évènements terribles se préparent pour l’Asie du Sud et du Sud-Est ; c’est en particulier le cas pour les pays plus petits comme la Birmanie, le Népal, le Vietnam ou le Cambodge. Toutes les vieilles “certitudes” seront remises en question, et c’est au CIO que reviendra l’immense responsabilité de développer la capacité de lutte de la classe des travailleurs à travers toute la sous-région.

    Comme Trotsky l’a écrit dans le programme fondateur de la Quatrième Internationale, rédigé il y a 75 ans : « Bons sont les méthodes et moyens qui élèvent la conscience de classe des ouvriers, leur confiance dans leurs propres forces, leurs dispositions à l’abnégation dans la lutte » (Programme de transition). Les quelques-uns qui comprennent aujourd’hui la nécessité d’un programme complet afin d’effectuer une transformation socialiste en profondeur de la société ont pris l’habitude de « nager contre le courant ». Mais la vague de soulèvements de masse en Asie et ailleurs dans le monde, contre le capitalisme sous toutes ses formes, les porteront « à la tête du flux révolutionnaire », comme l’écrivait encore Trotsky.

    Que ce soit le régime chancelant de Yudyohono en Indonésie, l’alliance instable au Pakistan, le gouvernement mou de Singh en Inde, le pouvoir illégitime de Najib Raziv en Malaisie ou la dictature de verre au Sri Lanka, aucune de ces cliques corrompues ne donne la moindre apparence de stabilité pour la sous-région. Loin de là. Les tempêtes qui pointent à l’horizon les verront remplacés non par un ni deux, mais par toute une série de gouvernements de crise, jusqu’à ce qu’un parti armé d’un programme socialiste révolutionnaire parvienne à saisir les rênes du pouvoir et à inspirer une vague révolutionnaire à travers toute l’Asie et au reste du monde.

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