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Pérou : Ollanta Humala remporte les élections présidentielles – Quelles perspectives pour la classe ouvrière ?
La nuit du 5 juin dernier, des milliers de personnes ont célébré la victoire électorale de leur candidat, Ollanta Humala, sur la Plaza Dos de Mayo au centre de Lima. Parmi eux se trouvaient surtout des militants syndicaux ou issus des différents mouvements de lutte du pays. L’élection d’Ollanta Humala a créé beaucoup d’espoirs pour des changements radicaux sur les plans politique, social et économique dans ce pays andin. Mais c’est surtout la force de la classe ouvrière qui déterminera l’orientation de ces changements.
Par Tim (Bruxelles)
Avec ses 51,5% des voix, le populiste de gauche Ollanta Humala a battu son adversaire Keiko Fuijimori, qui a su convaincre 48,5% de l’électorat. Ce résultat est arrivé après une lutte électorale extrêmement tendue, déjà commencée lors des élections régionales et locales d’octobre 2010. Ces dernières avaient été de cuisantes défaites pour les partis traditionnels du Pérou, qui avaient tous perdu contre des candidats ‘‘indépendants’’, et souvent peu connus. Il s’agissait d’une punition suite à la politique néolibérale que ces partis ont mené : une politique où la forte croissance économique s’est accompagnée d’une large croissance de la pauvreté.
Néanmoins, les favoris des sondages pour la présidentielle – l’ancien bourgmestre de Lima, Luis Castañeda, l’ancien président Alejandro Toledo et l’ancien premier ministre Pedro Pablo Kuczynski – se sont obstinés à répéter qu’ils avaient l’intention de poursuivre cette politique s’ils étaient élus. Mais tous les sondages, les uns après les autres, leur donnaient tort. Après le premier tour des élections en avril, seuls deux candidats restaient en lice: le populiste de gauche Ollanta Humala et Keiko Fujimori, la fille de l’ancien dictateur Alberto Fujimori, qui a régné sur le pays entre 1990 et 2000, jusqu’à être chassé du pouvoir par un soulèvement populaire.
Mais entre ces deux candidats pour le deuxième tour, les choses restaient très tendues. Fujimori a pu compter sur un certain soutien, surtout parmi les couches les plus pauvres de la population, basé sur une politique clientéliste suite à l’accès de certains à des ressources limitées (électricité, eau, …) permises par ‘‘papa’’ Fujimori dans les années ’90. A côté de ça, Fujimori a reçu le soutien de l’immense majorité de la presse bourgeoise, les entrepreneurs et les partis traditionnels, qui craignaient que leurs privilèges ne soient mis en danger par les réformes économiques et sociales que Humala avait promis. Ils préféraient clairement un retour au régime autoritaire fujimorien plutôt que de devoir partager une partie de leurs richesses avec les travailleurs et les pauvres du pays.
Humala a, de son côté, obtenu son soutien principalement parmi les mouvements sociaux et la classe ouvrière organisée du Pérou. Beaucoup de militants ont placé beaucoup d’espoir en Humala et ce qu’il pourrait faire pour les revendications de changements sociaux et économiques des pauvres et des travailleurs. Ces dernières années, le Pérou a connu une grande inflation de luttes.
Le pays a connu une des plus grandes croissances économiques au monde (10% de croissance du PNB en 2010) mais, en même temps, 1 Péruviens sur 3 vit dans l’extrême pauvreté. La croissance économique et la spéculation internationale sur la nourriture a également provoqué une forte croissance des prix pour les denrées de base, une augmentation qui n’a pas été suivie par la hausse des salaires des ménages. Le mouvement ouvrier péruvien a une longue tradition de lutte et, ces dernières années, les mineurs, les dockers, les professeurs d’écoles et les travailleurs du secteur non-marchand ont, entre autres, mené des luttes pour de meilleures conditions de travail et de vie. Toute une série de ces mouvements avaient aussi un programme politique très offensif: les mineurs demandaient ainsi, en plus d’augmentations de salaires, que leurs entreprises payent des taxes (le secteur minier est pour ainsi dire totalement exempté de taxes sur les profits). Dans certaines régions, ils ont même lutté sous la revendication de la nationalisation du secteur minier dans son entièreté. Une autre revendication politique importante dans beaucoup de ces mouvements est un changement radical de la constitution. La nationalisation des secteurs clés de l’industrie (comme l’extraction de gaz, de pétrole et minière) est proposée, de même que la transition de l’emprise des multinationales actives dans le secteur agricole vers des coopératives gérées par les paysans et les consommateurs. Une des promesses électorales d’Ollanta Humala est effectivement d’opérer ce changement de la constitution, mais il est toutefois resté très vague durant toute la campagne électorale concernant ce sur quoi devaient porter les modifications.
Cela illustre directement la faiblesse la plus importante d’une figure comme OIlanta Humala : il refuse jusqu’à présent de faire un choix clair entre la classe ouvrière et la bourgeoisie du pays. En essayant d’attirer à lui les électeurs du centre politique, Ollanta a changé son image de partisan d’Hugo Chavez au Venezuela pour afficher des liens politique très étroits avec l’ancien président brésilien Lula. Des rumeurs font ainsi état de conseillers politiques brésiliens membres du PT, le parti de Lula, partis au Pérou soutenir la campagne d’Ollanta. Ce choix explique aussi pourquoi Ollanta a eu du mal à toucher les pauvres restés derrière Fujimori : il ne propose pas assez d’alternatives concrètes face aux promesses – très limitées – qu’a faites Fujimori envers cette couche. Le programme d’Ollanta propose surtout des réformes au sein du système capitaliste : une augmentation des impôts des grandes entreprises (qui sont effectivement très bas au Pérou), renégocier les contrats d’exploitation des multinationales, utiliser ces moyens pour investir dans un programme massif d’investissements dans l’enseignement et l’infrastructure,… Humala qualifie sa politique de réforme d’une ‘‘économie de marché’’ vers une ‘‘économie nationale’’, alors qu’il ne parle presque pas du fonctionnement anarchique de l’économie de marché capitaliste…
Il est clair qu’une telle politique ne répondra pas aux besoins et attentes des pauvres et travailleurs qui l’ont élu. La croissance économique actuelle du Pérou est surtout basée sur les prix élevés des matières premières que le Pérou exporte, et sur les capitaux étrangers qui cherchent des profits à court terme dans le pays. Ces deux facteurs sont très instables. De plus, une série de représentants de multinationales et de grandes entreprises péruviennes ont menacé de faire fuir les capitaux et de recourir au lock-out (une grève patronale qui consiste à provisoirement fermer une entreprise) au cas où le président était réellement décider à opérer des réformes trop radicales. De l’autre côté, les représentants de toute une série de mouvements de lutte attendent beaucoup d’Ollanta : ils veuillent en premier lieu que la forte répression de l’armée et la police contre les mouvements sociaux s’arrêtent, mais ils réclament aussi des réformes rapides et radicales. Beaucoup de militants savent qu’ils seront obligés d’occuper les rues pour revendiquer cela, mais ils espèrent qu’Ollanta Humala choisira leur camp.
La classe ouvrière va passer par une période très intéressante au Pérou. Malgré la force historique de la gauche radicale et révolutionnaire du pays, c’est la première fois qu’un candidat populiste de gauche y remporte les élections. Le pays a jusqu’à présent été, avec la Colombie, l’un des piliers du soutien à l’impérialisme américain en Amérique Latine, une situation qui va probablement changer. La direction que va prendre Humala est néanmoins fort incertaine. Acceptera-t-il les revendications des mouvements de lutte qui l’ont porté au pouvoir ? Décidera-t-il de rompre avec ces militants et de mener une politique en faveur des riches et des multinationales ? L’élection d’Humala a fait naitre de grands espoirs pour des améliorations pour les couches larges de la population, mais ces réformes ne s’effectueront en définitive qu’au travers de la lutte et pas grâce au palais présidentiel.
Finalement, Humala dispose d’une marge limitée. Même s’il accepte une partie des revendications du mouvement ouvrier péruvien et opère des nationalisations et d’autres réformes progressistes, il risque de faire face à des sabotages de l’armée et à des lockouts de la part de multinationales. Seule une politique socialiste qui placerait les secteurs clé de l’économie sous le contrôle démocratique de la population pourrait satisfaire les revendications et les besoins des pauvres et des travailleurs au Pérou.
- augmentation du salaire minimum vers 2.000 soles/mois
- formalisation des secteurs ‘‘informels’’ de l’économie, avec de vrais contrats et droits de travail
- instauration d’une coopérative nationale, contrôlée par les syndicats et les organisations paysannes, pour organiser la distribution de la production agricole et assurer des prix honnête pour les paysans et les consommateurs
- nationalisation du secteur minier, de l’exploitation de gaz et de pétrole, des banques, du secteur du transport et des 500 plus grandes entreprises du Pérou, et mise sous contrôle ouvrier de ces entreprises
- investissements massifs dans l’enseignement et les soins de santé, et construction d’une bonne infrastructure routière, ferroviaire et de transport public
- arrêt de la répression brutale de la police et l’armée contre les mouvements de lutte : mise en procès des officiers et responsables politiques pour les victimes de la répression de ces dernières années. L’armée et la police doivent être placées sous le contrôle démocratique du mouvement ouvrier et des comités de quartiers
- organisation d’un mouvement national pour un changement de la constitution, organisé dans les entreprises, les quartiers, et les régions rurales, avec des représentants démocratiquement élus qui éliront une Assemblée Constituante Nationale
- pour une politique socialiste, où les richesses seront utilisées pour la majorité de la population, et plus au bénéfice des multinationales et d’une élite richissime.
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[DOSSIER] Hausse des prix: Une réponse socialiste
En février, nous avons payé nos achats en moyenne quasiment 3,4% plus cher que l’an dernier, la plus forte augmentation de l’inflation depuis octobre 2008. Grâce à l’indexation automatique des salaires, cela sera heureusement compensé – avec retard et de façon partielle seulement. Mais juste au moment où cette indexation doit nous protéger de la perte de pouvoir d’achat, le patronat lance son offensive. Il peut compter sur l’appui des institutions internationales. Quelle est la réponse socialiste face aux hausses des prix ?
Par Eric Byl
Comment expliquer les hausses des prix?
Souvent, on associe la crise aux hausses des prix ou à l’inflation. C’est pourtant l’inverse en général. Les crises vont de pair avec des baisses de prix, la déflation, alors que les reprises s’accompagnent d’une hausse de l’inflation. En temps de crises, lorsque les produits se vendent plus difficilement, les patrons ont tendance à baisser les prix. Ils diminuent les coûts de production, surtout les salaires, ou se contentent d’une marge de profit plus restreinte. Lors de la reprise, ils essayent alors de vendre à des prix plus élevés afin de rehausser la marge de profit. Dans un monde où l’offre et la demande s’adapteraient de façon équitable, les prix évolueraient de façon assez stable autour de la valeur réelle du produit, c.à.d. la quantité moyenne de temps de travail nécessaire pour produire la marchandise, de la matière première au produit fini.
Mais le monde réel s’accompagne de changements brusques, avec des accélérations soudaines et des ralentissements abrupts. La nature ellemême connait de nombreux caprices. De mauvaises récoltes en Russie et en Ukraine, pour cause de sécheresse, ont contribué à faire augmenter les prix de la nourriture. Un système de société peut tempérer ces caprices, les corriger, mais aussi les renforcer. Les incendies de forêts, les tempêtes de neige, les inondations, les tremblements de terres et les tsunamis s’enchaînent, avec en ce moment au Japon la menace d’une catastrophe nucléaire. Nous ne connaîtrons avec certitude la mesure exacte de l’impact humain sur le réchauffement de la planète qu’au moment où la recherche scientifique sera libérée de l’emprise étouffante des grands groupes capitalistes. Mais que la soif de profit pèse sur l’être humain et son environnement, conduit à la négligence des normes de sécurité et à des risques inacceptables, le PSL partage avec beaucoup cette conviction.
La Banque Mondiale estime que la hausse des prix de l’alimentation a, depuis juin 2010, poussé 44 millions de personnes en plus dans l’extrême pauvreté. Son index des prix de l’alimentation a gagné 15% entre octobre 2010 et janvier 2011. Diverses raisons sont citées: la croissance démographique dans les régions pauvres, la demande de biocarburants, la sécheresse, les inondations et d’autres catastrophes naturelles, la faillite de paysans africains face à la concurrence des excédents agricoles de l’occident, la spéculation qui accélère les hausses des prix. La hausse des prix de l’alimentation et la montée du coût de la vie ont constitué des éléments primordiaux dans les révolutions au Moyen- Orient et en Afrique du Nord.
Le seul système qui fonctionne?
L’establishment prétend que le capitalisme est le seul système de société qui fonctionne. La noblesse féodale et les esclavagistes avant elle prétendaient de même à leur époque concernant leurs systèmes. Chaque système fonctionne, il n’existerait pas sinon. Il répond toujours à un certain degré de développement de nos capacités productives. Dès qu’un système de société devient un frein à l’application de savoirs scientifiques et techniques, il provoque le chaos plutôt que le progrès. C’est alors que le moteur de l’histoire se déclenche; la lutte des classes.
Brûler des combustibles fossiles est un gaspillage de richesses livrées par des processus naturels qui ont pris des millions d’années, et c’est catastrophique pour notre environnement.
Nous le savons depuis plusieurs dizaines d’années. Mais depuis ce temps, la recherche scientifique concernant les sources d’énergies alternatives est sabotée par les fameuses ‘’sept soeurs’’, les sept sociétés pétrolières les plus grandes au monde. Des moteurs actionnés par hydrogène, énergie solaire et éolienne, masse bio, etc. sont trop menaçants pour leurs profits. Au lieu d’orienter la recherche vers les énergies renouvelables, elle a pratiquement été exclusivement consacrée au développement du nucléaire ‘’bon marché’’. Avec la ponctualité d’une horloge, nous sommes rappelés à la réalité des dangers de cette technologie.
Ce n’est pas une surprise si la demande d’énergie augmente. On aurait pu investir depuis longtemps pour des économies d’énergie et dans le développement de sources d’énergie renouvelables. Mais ce n’est pas ainsi que fonctionne le capitalisme.
Les investisseurs privés ne sont intéressés que s’ils peuvent récupérer à cout terme leur investissement, avec une bonne marge de profit. C’est valable pour les mesures d’économies d’énergie et pour l’énergie renouvelable tout autant que pour les combustibles fossiles plus difficiles à extraire, par exemple. Avec la spéculation, le manque d’investissements pour garantir une offre suffisante a été à la base de la forte envolée des prix du pétrole, jusqu’à atteindre 147$ le baril, il y a deux ans. La récession a fait retomber la demande et le prix, mais le problème a continué à proliférer. La perversité du capitalisme s’exprime dans la réaction des ‘‘marchés’’ face aux insurrections démocratiques contre les dictateurs corrompus au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Les ‘‘marchés’’ craignent que la démocratie menace l’approvisionnement en pétrole. Au cas où la dictature en Arabie-Saoudite succomberait elle aussi, un prix de 200$ ou plus est à l’horizon pour le pétrole. Pour l’économie capitaliste mondiale, cela équivaudrait à une crise cardiaque.
Les prix de l’énergie et de l’alimentation en hausse en Belgique
Cette perversité du capitalisme échappe à ceux qui plaident pour la mise sous curatelle de l’indexation salariale en Belgique. Ils savent que les prix du pétrole et de l’alimentation sont en hausse partout dans le monde, ce qu’ils n’expliquent pas par le capitalisme, mais comme quelque chose qui nous tombe dessus tel un phénomène naturel. Ce ‘‘phénomène naturel’’ s’infiltre en Belgique. Les prix de l’énergie et de l’alimentation, surtout, ont augmenté en flèche ces derniers temps. Sans produits liés à l’énergie – le fuel, le diesel, le gaz et l’électricité – l’inflation serait plus basse de moitié.
La bourgeoisie belge préfère couper dans l’investissement pour le renouvellement de la production. Aujourd’hui, elle se trouve à la queue du peloton en termes d’investissements dans la recherche et le développement. Nos politiciens en sont le parfait miroir. Depuis des années, ils économisent sur les investissements nécessaires dans l’entretien des routes, des bâtiments scolaires, de l’infrastructure ferroviaire, etc.
Nous en subirons les conséquences des années encore. ‘’Si la politique énergétique de nos autorités ne change pas immédiatement, des coupures d’électricité se produiront, littéralement’’. C’était la conclusion d’une récente émission de Panorama. ‘’La Belgique manque d’électricité parce que nos gouvernements ont fait construire trop peu de centrales et parce que le réseau à haute tension qui devrait importer du courant supplémentaire n’a pas la capacité de répondre à la demande.’’ Mais GDF Suez, la maison mère d’Electrabel, a réalisé l’an dernier un profit record de 4,62 milliards d’euros.
Le secteur de l’énergie n’est pas le seul à manier des marges de profits indécentes. Selon le rapport annuel de l’observatoire des prix, les hausses des prix des matières premières mènent à des adaptations de prix exagérées en Belgique. En plus, cela n’est qu’à peine corrigé lorsque les prix des matières premières reculent. Toutes les chaines de supermarchés le font. Ce sont les prix des produits de base tels que les pommes de terre, les oignons, le fuel et le gaz qui haussent fortement. Des marchandises moins couramment achetées, comme les télévisions à écran 16/9e ou les PC, ont vu leur prix baisser.
Indexation des salaires, un acquis du mouvement ouvrier
Il existe des moyens de tempérer les caprices de la nature et du système capitaliste. La classe ouvrière en a arraché plusieurs durant le siècle précédent. Ainsi, après la révolution Russe de 1917 et la vague révolutionnaire qu’elle a engendrée, un index des prix à la consommation a été obtenu dès 1920 en Belgique. A l’origine, seul un nombre limité de conventions collectives avaient introduit l’indexation automatique des salaires. Mais après chaque grande grève, ce nombre s’est élargi.
Dans son Programme de Transition de 1938, Trotsky plaidait en faveur de l’échelle mobile des salaires, l’appellation contemporaine de l’adaptation automatique des salaires au coût de la vie, afin de protéger les foyers des travailleurs de la pauvreté. Parallèlement, il plaidait aussi pour l’introduction d’une échelle mobile des heures de travail, où l’emploi disponible est partagé entre tous les travailleurs disponibles, cette répartition déterminant la longueur de la semaine de travail. ‘’Le salaire moyen de chaque ouvrier reste le même qu’avec l’ancienne semaine de travail. La “possibilité” ou l’ “impossibilité” de réaliser les revendications est, dans le cas présent, une question de rapport des forces, qui ne peut être résolue que par la lutte. Sur la base de cette lutte, quels que soient ses succès pratiques immédiats, les ouvriers comprendront mieux toute la nécessité de liquider l’esclavage capitaliste.’’
Après la deuxième guerre mondiale, le rapport de forces était favorable au mouvement ouvrier. Le système a graduellement été introduit dans tous les secteurs. Mais comme toute victoire du mouvement ouvrier, cet acquis aussi a été attaqué dès que le rapport de forces a commencé à se modifier. En 1962, le ministre des affaires économiques, Antoon Spinoy (PSB !) a essayé de retirer de l’index la hausse des prix des abonnements sociaux pour le transport public. En 1965, ce même gouvernement a à nouveau essayé, cette fois-ci avec le prix du pain. En 1978, de nouveau avec le PSB, le gouvernement a réussi à remplacer les produits de marques compris dans l’index par des produits blancs. En mars 1976, la loi de redressement de Tindemans – Declercq a aboli l’indexation pour la partie du salaire supérieure à 40.250 francs belges (1.006,25 euros). Cette mesure sera retirée en décembre, suite à la résistance de la FGTB.
La victoire du néolibéralisme à la fin des années ’70 et au début des années ’80 a conduit à des attaques systématiques contre le mécanisme de l’indexation. Le gouvernement de droite des libéraux et des chrétiens-démocrates a appliqué trois sauts d’index entre 1984 et 1986. A trois reprises, donc, l’indexation des salaires n’a pas été appliquée. Ceci continue encore aujourd’hui à agir sur les salaires. En 1994, le gouvernement de chrétiens-démocrates et de sociaux-démocrates a retiré le tabac, l’alcool et l’essence de l’index ‘’santé’’. Depuis, dans divers secteurs, des accords collectifs all-in et saldo ont été introduits. Ces accords neutralisent en partie l’effet de l’indexation des salaires.
La Belgique est-il le seul pays où s’app lique l’indexation automatique des salaires ?
Dans certains secteurs de l’industrie aux États-Unis et en Grande-Bretagne, de tels accords étaient largement répandus jusqu’en 1930. En Italie, cela a été introduit dans les années ’70, mais a, depuis, été partiellement aboli. Au Brésil, au Chili, en Israël et au Mexique, l’indexation salariale a été abolie cette dernière décennie.
Aujourd’hui, l’indexation automatique des salaires ne s’applique plus qu’en Belgique et au Luxembourg. A Chypre, elle existe aussi, mais ne s’applique pas à tous les travailleurs. En Espagne, au Portugal, en Finlande, en Italie, en Pologne et en Hongrie, des mécanismes d’indexation salariale sont repris dans des accords de secteurs où dans des contrats individuels. En France, en Slovénie et à Malte, les salaires minimaux sont indexés.
D’abord produire, ensuite partager
Dans leurs attaques contre l’indexation automatique, les politiciens et les économistes bourgeois accentuent toujours qu’il faut ‘’d’abord produire les richesses avant de pouvoir les partager’’. Il faut raconter cela au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ! Tant Moubarak que ses fils Gamal et Alaa sont milliardaires. De l’ancien dictateur Tunisien Ben Ali et sa famille, il est connu qu’il dispose d’une fortune immobilière correspondant à une valeur de 3,7 milliards d’euros en France uniquement. Les barons du textile belge qui ont massivement délocalisé vers la Tunisie dans les années ’70 y sont devenus indécemment riches. Combien de richesses faut-il avant que le partage ne commence ?
Ce n’est pas de cela qu’ils parlent, mais bien des effets soi-disant pervers de l’indexation de salaires. Ainsi, l’indexation créerait selon Thomas Leysen dans Le Soir du 19 mars, une perception erronée de la marge salariale. L’économiste Geert Noels appelle cela ‘’le handicap concurrentiel automatique’’. Pour le professeur en économie Joep Konings (KULeuven) l’indexation automatique protège les habituels bien payés, mais complique l’accès aux emplois pour ceux qui n’en ont pas, puisque les entreprises seraient plus prudentes avant de recruter: ‘’Abolir l’indexation salariale automatique serait donc une mesure sociale.’’ Il rajoute qu’il faut l’accompagner de l’abolition de l’indexation des allocations sociales, au risque de voir la différence entre travailler ou ne pas travailler se réduire.
Unizo, l’organisation des petits patrons en Flandre, plaide en faveur de ‘’quelques sauts d’index’’. Le professeur Peersman (UGand) veut annuellement adapter le salaire aux objectifs de la Banque Centrale Européenne. Son collègue De Grauwe (KULeuven) veut retirer le coût de l’énergie importée de l’index. Wivina Demeester, ancienne ministre CD&V, plaide pour une indexation en chiffres absolus au lieu de pourcentages. Mais selon De Grauwe, cela rendrait le travail non qualifié relativement plus cher et aurait par conséquent un effet non souhaitable. La Banque Nationale s’en tient à mettre en garde contre une spirale salaire-prix où des hausses de prix entraineraient des augmentations salariales qui seraient compensées par de nouvelles hausses de prix et ainsi de suite. Ce n’est pas un nouvel argument. Elle veut nous faire croire que lutter pour des augmentations salariales n’a pas de sens.
Marx a déjà répondu à ces argument il y a 150 ans dans sa brochure ‘’Salaire, prix, profit’’ En réalité, le patron essaye d’empocher lui-même une partie aussi grande que possible de la valeur que nous avons produite. La peur de l’inflation n’a jamais freiné les patrons à empocher le plus de profits possibles. Avec un profit à hauteur de 16 milliards d’euros, une hausse d’un tiers comparée à 2009, les plus grandes entreprises belges disposent à notre avis de beaucoup de marge. En plus, des dividendes sont royalement versés aux actionnaires. Le producteur de lingerie Van de Velde, pour donner un exemple, a versé en 2010 quelque 70% du profit réalisé à ses actionnaires. Même en pleine crise, en 2009, les patrons des entreprises du Bel 20 s’étaient accordés en moyenne une augmentation salariale de 23%.
Contrôles des prix
Il n’y a rien à reprocher aux travailleurs en Belgique. Nous sommes toujours parmi les plus productifs du monde, loin devant nos collègues des pays voisins. Grâce à notre mécanisme d’indexation, la demande intérieure a mieux résisté à la crise de 2009 que dans d’autres pays, y compris en Allemagne. La contraction économique et le recul des investissements ont été moindres, tout comme la hausse du chômage. A l’époque, tout le monde a reconnu que c’était dû aux prétendus stabilisateurs automatiques, ce qui fait référence à la sécurité sociale et au mécanisme d’indexation.
Nos prix de l’énergie sont largement plus élevés que ceux pratiqués à l’étranger. Des profits énormes sont drainés vers les poches des actionnaires, qui ne se trouvent d’ailleurs pas tous en France. De plus, en Belgique, l’industrie est très dépendante de l’énergie, mais là aussi on investit à peine dans une utilisation rationnelle de l’énergie. Nulle part ailleurs en Europe autant de voitures d’entreprises ne sont utilisées à titre de compensation salariale afin d’éviter des charges sociales. En comparaison des pays voisins, il y a en Belgique très peu de logements sociaux. Nos bâtiments résidentiels, tout comme nos bâtiments scolaires vieillis, sont extrêmement mal isolés et souvent encore chauffés au fuel, d’où les plaidoyers pour des contrôles transparents sur les prix.
Le SP.a vise en premier lieu les prix de l’énergie. Le PS veut s’attaquer à l’inflation par des contrôles des prix d’au moins 200 produits. Nous sommes un peu étonnés que personne n’ait encore proposé d’introduire, à côté de la norme salariale, une norme des prix, où les prix ne pourraient monter plus que la moyenne pondérée des prix pratiqués dans nos pays voisins. Pour beaucoup de gens, le contrôle des prix de l’alimentation, de l’énergie et du loyer serait le bienvenu. Au Venezuela, Chavez a également introduit des contrôles des prix sur les denrées alimentaires, mais les rayons sont presque vides. Morales en Bolivie s’est heurté à une grève des employeurs lorsqu’il a voulu bloquer les prix des tickets de bus. Les propriétaires ont organisé un lock-out.
Nous ne croyons pas que cela se produirait facilement en Belgique, ni pour l’alimentation, ni pour les loyers, ni pour l’énergie. Mais la leçon à tirer est qu’il est impossible de contrôler la distribution sans que l’autorité reprenne également la production en main, en assurant que le revenu du petit producteur soit garanti. Les contrôles des prix sont en fait une forme de contrôle des profits. Les entreprises privées essayeront de restaurer leur marge de profit aux dépens des travailleurs et si cela échoue, ils menaceront de délocaliser ou de stopper les investissements prévus.
LE PSL TROUVE QUE LES TRAVAILLEURS N’ONT PLUS À PAYER LA CRISE PROVOQUÉE PAR DES SPÉCULATEURS
- Pas touche à l’indexation automatique, pour le rétablissement complet de l’index. Liaison au bien-être de toutes les allocations.
- Pas d’allongement du temps de travail, mais une semaine de travail de 32 heures, sans perte de salaire et avec embauches compensatoires, pour que le travail disponible soit réparti entre tous. Cela peut s’accompagner de crédit bon marché aux indépendants et de subsides salariaux sur base de coûts prouvés.
- Ouverture des livres de comptes de toutes les grandes entreprises afin de contrôler leurs véritables coûts, les profits, les salaires des directions et les bonus.
- Nationalisation du secteur énergétique sous contrôle des travailleurs et sous gestion des travailleurs eux-mêmes, pour être capables de libérer les moyens afin d’investir massivement dans l’énergie renouvelable et l’économie de l’énergie.
- Pour le monopole d’État sur les banques et le crédit sous contrôle démocratique de la communauté. Au lieu de devoir supplier les directions des banques afin d’obtenir du crédit, le public pourrait alors planifier les investissements publiques nécessaires aux besoins réels de la population.
- Pour une société socialiste démocratiquement planifiée et pour rompre avec le chaos capitaliste
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[DOSSIER] La contre-révolution gagne du terrain au Venezuela
Renforcement de la bureaucratie Chaviste, développement de la Boli-bourgeoisie et retour de la droite sur la scène politique
La période actuelle est une période de grands changements. Il y a une dizaine d’années, le rythme de la lutte des classes était très faible dans la majeure partie du monde. La classe ouvrière européenne paraissait comme endormie et peu d’entre nous auraient espéré des mouvements de lutte massifs en Afrique du Nord et au Moyen Orient. Un continent faisait pourtant déjà rêver beaucoup de travailleurs et de jeunes : l’Amérique latine et, notamment, le Venezuela.
Par Ben (Hainaut), de retour de 6 mois au Venezuela
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Ce pays fut en effet un symbole du renouveau des luttes contre le néolibéralisme avec l’arrivée de Chavez au pouvoir en 1998 mais aussi le premier pays ou on a remis l’idée de socialisme à l’ordre du jour. Alors qu’aujourd’hui, le rythme de la lutte des classes s’est considérablement accéléré de ce côté-ci de l’Atlantique, le Venezuela fait face à des processus contre-révolutionnaire de plus en plus puissant.
L’arrivée de Chavez au pouvoir fut un tournant dans la situation mondiale, mais ce fut également un développement positif important pour les masses vénézuéliennes. Les réformes mises en place par le nouveau régime, dont les fameuses missions, ont permis énormément d’avancées. Entre 1998 et 2009, la pauvreté est tombée de 43%, le taux de mortalité infantile est tombé de 35% et l’espérance de vie moyenne a augmenté de presque deux ans. La consommation d’aliments par personne a augmenté de 25%. Des efforts considérables ont été accomplis pour augmenter le nombre de personnes ayant accès à l’eau ou à l’énergie. Le chômage a diminué : de 11% en 1998, il passa à 16,8% en 2003 à cause du lock-out patronal, mais diminua jusqu’à 7,5% en 2009 en grande partie grâce à la création d’emploi dans le secteur public. Un million de personnes ont pu sortir de l’analphabétisme et des millions ont pu voir un docteur pour la première fois de leur vie. Et l’on pourrait encore citer d’autres types d’indicateurs.
Dès les premières années de réformes, l’ancienne classe dominante et l’impérialisme américain ont considéré le changement comme une déclaration de guerre à laquelle il fallait répondre au plus vite. Tous les coups étaient permis pour renverser ce Chavez, qui voulait créer un ‘‘capitalisme à visage humain’’ au Venezuela. La tentative de coup d’Etat de 2002 et le ‘‘lock-out’’ patronal de 2002-2003 ont été les événements les plus spectaculaire, mais il y a également eu l’utilisation des médias pour faire de la propagande mensongère, les actes de sabotage économique pour créer des pénuries de biens de consommation ou encore les défis électoraux.
Les réactions spontanées des masses populaires sont parvenues à vaincre toutes ces tentatives de contre-révolution, ce qui a donné un nouveau souffle au processus révolutionnaire. Les masses ont été confiantes en leur capacité collective à changer la société et ont même poussé Chavez à entreprendre des réformes plus importantes. Chavez, poussé par les masses, a peu à peu compris qu’il est impossible de faire un ‘‘capitalisme à visage humain’’ et a commencé à ouvertement parler de la nécessité de construire le ‘‘socialisme du 21ème siècle’’ (pour la première fois début 2005). Il a par la suite également lancé le Parti Socialiste Unifié du Venezuela (créé en 2006).
La droite à nouveau à l’offensive
La force des masses vénézuélienne et la grande augmentation du niveau de conscience de classe dans la société a tellement mis à mal le patronat vénézuélien et ses laquais politiques que beaucoup ont cru (et certains le croient encore) qu’ils avaient disparu à jamais, qu’ils ne pourraient plus revenir. La droite n’était d’ailleurs presque plus représentée à l’assemblée nationale depuis 2005 et leurs militants ne pouvait pas faire de propagande dans les quartiers de manière trop visible sans se faire jeter dehors par les habitants, tant le soutien au processus révolutionnaire était important.
Ce n’était cependant qu’une illusion temporaire, le capitalisme n’ayant pas été vaincu, la menace de la contre révolution étant toujours bel et bien présente. C’est d’autant plus clair aujourd’hui, avec la nouvelle assemblée nationale élue en septembre 2010. On a aujourd’hui 65 députés de l’alliance de l’opposition de droite rejointe par les deux députés du PPT contre 98 députés chavistes. Mais le pire est qu’en terme de vote, c’est la droite qui était majoritaire (voir notes), c’est uniquement grâce à la récente modification du système électoral que les chavistes gardent la majorité au Parlement. C’était une claque prévisible rien qu’en observant les scores électoraux de la droite ces dernières années, qui n’ont fait qu’augmenter. Mais le mouvement chaviste continue pourtant d’ignorer la menace.
La droite parvient de plus en plus à se faire passer pour l’amie des travailleurs et des jeunes. Un observateur étranger va d’ailleurs avoir d’énormes difficultés à comprendre les débats qui ont lieu à l’Assemblée Nationale. Ce sont les députés de droite qui parlent de la nécessité d’une sécurité sociale pour les travailleurs, qui parlent de la nécessité de conventions collectives de travail, d’une loi de premier emploi pour les jeunes, des libertés syndicale, etc. C’est-à-dire toute sorte de revendications concrètes qui vivent parmi la base de la société vénézuélienne.
La politique économique du Chavisme
Si la droite revient sur l’échiquier politique et gagne la sympathie des travailleurs dans les quartiers et les entreprises, c’est clairement à cause des faiblesses et des erreurs de la ‘‘gauche’’ chaviste. Après 12 ans de révolution, de possibilités de transformations sociales importante et de nombreux discours très forts, nombreux aujourd’hui sont ceux qui se demandent où est le socialisme dont parle la propagande officielle.
La faute la plus grave que commet le chavisme, c’est certainement l’insistance à vouloir à tout prix faire des compromis et des alliances avec la bourgeoisie. Celle-ci garde en effet les rênes du pouvoir économique et c’est par là qu’elle peut revenir dans les débats politiques.
En fait, la politique économique du gouvernement de Chavez est une politique d’accroissement de l’intervention étatique en faisant en sorte de laisser en place une économie capitaliste mixte tout en l’appelant ‘socialisme’. En gros, on a assisté à des créations massives d’emplois dans le secteur public ainsi qu’à l’instauration de réformes sociales véritables, mais cela s’apparente plus à du populisme de gauche (en profitant d’une période où les prix du pétrole étaient élevés) qu’à un véritable plan de transformation socialiste de la société. Pour le dire autrement ; malgré le fait que Chavez aime dire qu’il mène une politique socialiste révolutionnaire, il est clair que celle-ci est purement réformiste.
En tant que marxiste, nous soutenons bien évidement toutes les réformes qui améliorent les conditions de vie des travailleurs et des pauvres. Toutefois, nous somme conscients que sous le capitalisme, chaque réforme ou acquis sera constamment menacé et voué a disparaitre. L’histoire nous montre que le capitalisme ne peut être domestiqué à coups de réformes, on constate au contraire que les réformes sociales ont souvent la fâcheuse tendance d’énerver les capitalistes et autres classes réactionnaires, les poussant à redoubler d’effort pour préserver ou reconquérir leurs privilèges. Le capitalisme doit donc être renversé et remplacé par un système entièrement tourné vers la satisfaction des intérêts des travailleurs, c’est-à-dire une économie démocratiquement planifiée.
Sur la plan international on parle beaucoup des ‘‘nationalisations’’ que le gouvernement a opérée. En fait, celle-ci s’apparentent plutôt à des partenariats public-privé. Et c’est la même chose pour les fameuses ‘‘expropriations’’, qui ne sont que des rachats d’entreprises par l’Etat (à un prix souvent supérieur à la valeur réelle de l’entreprise), la majorité d’entres elles étant en faillite, peu productives voire même à l’abandon depuis des années. Il n’est donc pas étonnant de ne pas voir de changement réellement significatif entre le poids du secteur public et privé, ce dernier représentant toujours 58,3% du PIB en 2010 (2), on est donc loin d’une économie planifiée, et même loin des économies européennes où l’Etat est fortement présent.
Alors que Chavez parle beaucoup de la nécessité d’accroitre la souveraineté économique du pays, on constate qu’il n’y a pas de véritable plan de production visant à l’autosuffisance. A la moindre occasion, le régime utilise l’argent du pétrole pour importer des tonnes de bœuf, de poulet ou encore du lait pour ce qui est des produits de base. Mais le pire est peut être l’exemple des cuisines ‘‘socialistes’’ directement importées de Chine pour être offertes à bas prix aux ménages vénézuéliens, en décembre dernier. Car, en dehors du bonheur de pouvoir s’acheter rapidement une cuisine bon marché, c’est en fait l’exemple même de la continuation des rapports de dépendances économiques. On importe des produits manufacturés à fort taux de plus-value (et donc de profit) en échange de matières premières faibles en plus-value. On perd donc énormément d’argent et on se maintient dans un système d’échange inégal qui accroit la désindustrialisation au Venezuela.
Boli-bourgeoisie et bureaucratie
Le renforcement de la bureaucratie et celui de la Boli-bourgeoisie font partie des graves problèmes internes du mouvement chaviste. La Boli-bourgeoisie est composée d’une partie de l’ancienne élite qui a compris les possibilités de profit en se ralliant au chavisme, et également d’une couche de ‘‘nouveaux riches’’ qui s’est construite directement sur le processus. Cette couche est loin de vouloir construire le socialisme, elle n’aspire qu’à se transformer en nouvelle classe capitaliste.
La bureaucratie, quant à elle, a également des intérêts étrangers à ceux des travailleurs. La bureaucratie a pour objectif propre le maintien et le développement de ses privilèges. Ce n’est possible qu’à travers d’un jeu d’équilibriste. D’un côté, il faut empêcher la droite de revenir (la bureaucratie vivant sur le dos du mouvement chaviste) mais de l’autre côté, il faut empêcher toute forme de démocratie ouvrière, car celle-ci pourrait mettre à mal sa position parasitaire.
L’absence d’une organisation indépendante et consciente de la classe ouvrière constitue donc une grave faiblesse dans la situation au Venezuela. Une telle organisation pourrait faire émerger des organes de démocratie ouvrière et se mettre à la tête du processus révolutionnaire afin de le tirer à sa conclusion victorieuse, la révolution socialiste. Au lieu de cela, on a un mouvement chaviste dirigé du haut vers le bas, sans moyen de contrôle réel de la part de la classe ouvrière et les méthodes bureaucratiques, autoritaires et de plus en plus répressives peuvent se développer.
Le ministère du travail est un exemple clair du phénomène bureaucratique. C’est une institution de l’Etat qui est censée être un outil aidant les travailleurs dans leurs conflits avec les patrons. Il vérifie par exemple la légalité des licenciements ou sert de médiateur dans les conflits au sein d’une entreprise. Cette institution justifie son existence par la défense des travailleurs, elle doit donc faire un minimum dans ce sens. Cependant, le fonctionnement bureaucratique et l’absence de contrôle démocratique des travailleurs sur l’institution permettent à la corruption la plus abjecte de se développer. Les négociations sont trainées en longueur, les médiateurs recherchent systématiquement le compromis en faveur du patron, embrouillent les travailleurs dans un jeu de procédures administratives qui ont pour but de les démotiver ou font directement de la délation auprès des patrons.
Par exemple, pour créer un syndicat, les travailleurs d’une entreprise doivent donner la liste des membres de la section syndicale au ministère du travail, cela leur permet d’être reconnus comme interlocuteur sérieux lors des médiations. Il est donc très tentant pour le travailleur du ministère du travail qui reçoit la liste de téléphoner au patron pour monnayer les noms de ces travailleurs, ceux-ci se faisant immédiatement licencier par après.
Le même constat peut être fait dans l’Institut national de prévention, de santé et de sécurité au travail. Cet institut est responsable de l’inspection des entreprises pour y constater les problèmes en termes de santé et de sécurité au travail. Il donne des formations aux travailleurs qui le souhaitent sur ces questions et ceux-ci peuvent se faire élire délégués de prévention sur leur lieu de travail. L’existence d’une telle institution est une avancée incroyable. Malheureusement, le phénomène bureaucratique freine considérablement les possibilités de l’institution. Certains travailleurs demandent parfois depuis plusieurs années une inspection de leur lieu de travail sans l’obtenir, alors qu’une simple visite permettrait de comprendre les manquements les plus élémentaires à la santé et à la sécurité.
Et on pourrait donner ainsi beaucoup d’autres exemples des problèmes qu’implique la bureaucratisation du processus comme les problèmes de gestion et de planification, menant à des pénuries de biens et des files d’attentes interminables devant les magasins de l’Etat, ou également à des coupures d’électricité et à des coupures d’eau.
L’anti-impérialisme
Une des stratégies de Chavez est de construire un bloc anti-impérialiste qui regrouperait tous les pays en conflit avec l’impérialisme américain. Il est possible que dans son isolement, en attendant que la révolution s’étende à d’autres pays, même un gouvernement véritablement socialiste révolutionnaire soit contraint de conclure des accords imposés par le contexte, utilisant les failles et les divisions entre les différentes puissances impérialistes. Les bolcheviques avaient eux-mêmes dus conclure de tels accords à cause de l’isolement de la jeune Russie soviétique.
Chavez ne conclu pourtant pas de simples accords de circonstance, mais noue de véritables amitiés avec des régimes qui répriment pourtant leur population en lutte. Il y a ainsi les liens très forts entretenus avec le régime chinois, considéré comme un modèle. On se souvient également des louanges de Chavez vis-à-vis ‘‘du grand révolutionnaire’’ Ahmadinejad en Iran. Les mouvements de masse contre le régime iranien de 2009 ont été interprétés par Chavez comme un complot de l’impérialisme américain…
Et c’est de nouveau la même analyse que Chavez fait de ce qui se passe en Libye. Il refuse de considérer le régime libyen comme une dictature, refuse d’abandonner son ‘‘ami’’ Kadhafi. La répression meurtrière du peuple libyen ne serait qu’une campagne mensongère des États-Unis afin d’envahir le pays et s’approprier son pétrole. Il est évident que les États-Unis convoitent le pétrole libyen et qu’il est nécessaire de s’opposer à toute intervention impérialiste dans la région, mais s’opposer à l’impérialisme américain n’implique pas de soutenir le gouvernement de Kadhafi. Se dire socialiste et soutenir de tels régimes ne peut que miner le soutien au socialisme parmi la classe des travailleurs et des jeunes à l’intérieur de ces pays et internationalement.
Les alliances qu’entretient Chavez ont également leurs conséquences à l’intérieur même du Venezuela, certaines entreprises chinoises, argentines, brésiliennes, etc., ne peuvent pas être inspectées par l’Inpsasel. Pourtant, les conditions de travail dans ces entreprises sont souvent encore pires que dans des entreprises aux mains du patronat vénézuélien !
Le ‘‘socialisme’’
La propagande officielle nous explique que l’on est déjà sous le socialisme, alors même qu’au moindre problème l’on vous répondra que s’il y a encore des inégalités frappantes, c’est que l’Etat est resté bourgeois. On serait donc face à un système socialiste en création dans le cadre d’un Etat bourgeois… On peut légitimement se poser la question du statut ‘‘socialiste’’ des entreprises d’Etat, mais peut-être que l’on réfléchi déjà de trop.
Si, dans certain discours de Chavez, la rhétorique socialiste peut sembler très convaincante, la réalité l’est beaucoup moins. C’est en effet une chose de parler du socialisme, mais force est de constater que c’en est une autre de comprendre ce qu’est le socialisme et sur base de quel programme et de quelles méthode on peut y parvenir.
C’est pourquoi les marxistes ont la responsabilité de tirer les leçons des expériences du mouvement des travailleurs sur le plan international et historique. Ils doivent échanger ces expériences pour faire avancer la lutte pour le socialisme et permettre ainsi à chaque militant de comprendre les difficultés et les nécessités pour y parvenir.
Au Venezuela, l’idée la plus répandue est que ce qui est socialiste, c’est ce qui n’est pas cher. On a donc le café, le beurre, l’huile, la farine de maïs socialiste, etc., car les prix de ces marchandises sont régulés voire subventionnés pour les maintenir bas. Le métro est vu comme socialiste également, tellement les prix des tickets sont peu élevés. Dans le même ordre d’idée, on peu malheureusement affirmer qu’il existe également des salaires ‘‘socialistes’’ dans les entreprises ‘‘socialistes’’ de l’Etat, ceux-ci sont en effet parfois presque deux à trois fois moins élevés que dans les grosses entreprises privées. Cela explique d’ailleurs l’origine des prix ‘‘socialistes’’, mais également le fait que beaucoup d’ouvriers s’opposent au ‘‘socialisme’’ et aux nationalisations par peur de voir baisser leur salaire. Les travailleurs qui luttent pour des augmentations de salaire sont traités de contre-révolutionnaire par le régime sur base de l’immonde argument que vouloir plus de salaire, c’est vouloir consommer plus et donc que c’est soutenir le capitalisme.
Au nom du socialisme, on a annoncé la création des conseils de travailleurs, ce nom résonne aux oreilles des révolutionnaires du monde entier comme un rappel des soviets dans la Russie révolutionnaire à ses débuts et fait battre leurs cœurs de l’espoir de voir un pouvoir ouvrier démocratique naître enfin. Mais lorsque l’on s’attarde de plus près à la situation, on constate que la bureaucratie chaviste utilise cet argumentaire pour dissoudre les syndicats, alors même que l’on n’a pas encore construit concrètement les fameux conseils de travailleurs ! Les travailleurs se retrouvent donc sans représentation, sans outils pour se défendre face à l’exploitation, dans l’attente hypothétique de la création de conseil qui se font attendre depuis parfois des années. Et à ceux qui se plaignent, on leur répondra qu’il n’y a pas de patron dans les entreprises socialistes et donc pas besoin de lutter. On leur répondra également que de toute façon, les syndicats sont de droite, car historiquement liés à des partis qui sont aujourd’hui effectivement bien à droite. (3)
Che Guevara avait laissé entendre que si on voulait construire le socialisme, il fallait y mettre du sien, voire faire du travail bénévole. Il est clair que les militant marxistes travaillent bénévolement, avec des revenus minimes ou pas plus important que le salaire moyen d’un travailleur. Il est clair également que lorsque les travailleurs possèdent collectivement le pouvoir ou qu’ils s’en rapprochent, ceux-ci sont prêts à faire tous les sacrifices pour abattre le capitalisme et l’exploitation.
On peut cependant rester perplexe face à l’utilisation que la bureaucratie chaviste fait de cette idée. Il y a en effet des journées de travail bénévole organisées pour ‘‘construire le socialisme’’. On met donc les plus pauvres au travail bénévole pour nettoyer les rues ou faire toute sorte de travaux d’intérêts généraux. Et on propose dans certaines entreprises ‘‘socialistes’’ d’organiser des ‘‘journées pour la construction du socialisme’’ où les travailleurs font le même boulot que d’habitude, sans salaire ce jour-là. Si c’est ça le socialisme, il est fort probable que l’on va pouvoir convaincre le patronat belge de le construire ici aussi, en mettant les minimexés et les chômeurs au travail en échange d’un repas à midi et au soir…
En fait, tout cela n’a rien de socialiste, car il est clair que les entreprises ‘‘socialistes’’ fonctionnent exactement comme leurs consœurs capitalistes, c’est-à-dire sur base de l’exploitation de la classe des travailleurs. On peut, au mieux, visiter des coopératives où les travailleurs s’auto-exploitent, mais l’on doit malheureusement constater que l’écrasante majorité fonctionne sur base d’une exploitation directe, faite par le ‘‘patron Etat’’.
Perspectives
Sur ces deux dernières années, on a assisté à un changement visible du processus sous l’effet combiné de la crise économique (3% de récession en 2009 et presque pareil en 2010, en raison de la crise bancaire au Venezuela et du prix peu élevé du pétrole) et de la fatigue et de la démotivation de plus en plus grandes parmi les masses. Les missions rencontrent de plus en plus de difficultés, en terme financier et de capacité de développement. On assiste à une vague de licenciements dans les entreprises d’Etat, comme par exemple au ministère des finances où plus de 1.200 travailleurs ont appris leur licenciement au Noël dernier. Chavez a annoncé de nouvelles mesures économiques, notamment l’augmentation de la TVA. Une drôle d’idée pour un soi-disant socialiste ! L’augmentation des prix du pétrole suite aux révolutions en Afrique du nord et au Moyen-Orient vont peut-être permettre au chavisme de retarder ces mesures d’austérité, mais il est aujourd’hui clair que si des problèmes économiques subsistent au Venezuela, le chavisme ne va pas forcément faire payer le patronat, les travailleurs seront visés.
On assiste d’ailleurs à une utilisation de plus en plus importante de la répression contre toute forme de lutte ou de critique. Les cas de syndicalistes en prison sont nombreux, comme par exemple Ruben Gonzales, membre du PSUV, délégué syndical depuis des années dans l’entreprise FERROMINERA del Orinoco. Il a été privé de liberté depuis le 24 septembre 2009 parce qu’il a dirigé une grève de 16 jours pour obtenir des contrats collectifs dans une entreprise d’Etat. On a l’exemple des travailleurs d’IOSA, une entreprise pétrolière, ceux-ci sont entrés en lutte pour des augmentations de salaire et le patron a directement licencié les grévistes. Le mouvement a donc continué avec la revendication de la réintégration des licenciés et de la nationalisation de l’entreprise sans rachat ni indemnité. Les travailleurs demandaient l’intervention de Chavez en ce sens, ils n’ont pas reçu de réponse, ils ont seulement vu l’arrivée de leur patron, donnant des ordres à la garde nationale afin de briser le piquet de grève.
Le chavisme, en tant que courant bureaucratique réformiste, est dans l’incapacité de répondre aux demandes des travailleurs en lutte. Certaines des plus importantes promesses électorales qui datent de 1998 n’ont toujours pas été accomplies, comme celle de changer la loi du travail néolibérale qui a été appliquée dans les années ‘90. L’ouverture de discussions sur les conventions collectives de travail ou le droit à la sécurité sociale se font également attendre et on assiste à des luttes de plus en plus importantes autour de ces questions. Il est déjà difficile de maintenir le développement des missions, il est alors très clair que toute ces nouvelles avancée sociales voulues par les travailleurs sont impayables par le chavisme s’il persiste à ne pas rompre avec le capitalisme. On ne pourrait passer ces mesures qu’en s’attaquant frontalement au patronat et aux riches présents au Venezuela.
On constatera donc que ceux qui croyaient que le processus véritablement révolutionnaire qui était présent au Venezuela était un processus linéaire et irréversible vers le socialisme se sont trompés. Un processus a en effet une forme, un rythme, un timing, et si les conditions pour construire le socialisme au Venezuela sont mûres depuis 2002-2003, on peut dire qu’elles commencent sérieusement à pourrir depuis peut-être deux ans.
Il semble cependant que la droite ne soit pas encore suffisamment rétablie que pour gagner les prochaines élections présidentielles de 2012. Elle reste encore très divisée et ne dispose pas d’une figure qui pourrait tenir tête directement à Chavez. Cela permet donc d’éviter le pire pour un temps. Les prix du pétrole qui augmentent cette année suite aux révolutions en Afrique du nord et Moyen-Orient donnent également une marge financière au chavisme pour se maintenir encore quelque temps. Nous somme cependant dans une situation où une opposition de gauche au chavisme doit se constituer au plus vite afin de proposer des méthodes et un véritable programme socialiste. Ce n’est pas une tâche facile dans un pays où la polarisation politique extrême entre chavistes et non-chavistes ne permet pas de réel débat de fond. C’est également très difficile au vu de l’inconsistance politique de beaucoup de petites organisations à gauche du chavisme qui se contentent de critiques de façade tout en capitulant presque systématiquement devant le chavisme. La construction d’une opposition de gauche au chavisme, sérieuse et crédible, devient pourtant une nécessité au vu de l’incapacité de plus en plus manifeste de celui-ci à construire le socialisme.
Un bon début pour une telle opposition de gauche serait de proposer :
- L’introduction d’un véritable système de contrôle ouvrier, via des comités de délégués élus et révocables, qui contrôleraient la marche quotidienne des entreprises. L’ouverture des livres de comptes de toutes les entreprises – y compris des entreprises nationalisées – afin d’être inspectées par des comités de travailleurs, pour mettre un terme à la corruption et de déraciner la bureaucratie.
- Ces comités doivent être reliés au niveau de leur ville, de leur région et au niveau national. Les entreprises d’Etat doivent être gérées sur base d’un système de gestion démocratique ouvrière, les conseils d’administration de telles entreprises devant être composés de représentants élus des travailleurs de l’industrie, des couches plus larges de la classe ouvrière et des pauvres, et d’un gouvernement ouvrier et paysan.
- Tous les cadres doivent être élus et révocables à tout moment, et ne doivent pas recevoir plus que le salaire moyen d’un ouvrier qualifié.
- L’expropriation des banques, des multinationales et des 100 familles les plus riches qui contrôlent toujours l’économie vénézuélienne, et l’introduction d’un plan socialiste démocratique de production.
- La formation d’une fédération syndicale indépendante et démocratique, avec une direction élue, redevable à et contrôlée par la base des membres. La lutte pur un tel programme est maintenant urgente afin d’insuffler un souffle nouveau dans la révolution vénézuélienne et d’empêcher sa stagnation et la menace de la contre-révolution.
NOTES
(1) Résultat des élections de 2010 :
- Opposition de droite : 5 334 309
- PPT (allié a la droite) : 354 677
- PSUV (et alliés comme PCV) : 5 451 422
(2) Le secteur privé représente toujours 58,3% du PIB en 2010, pour 58,8% en 1997. Sur base des chiffres du PIB par secteur de la Banque Centrale du Venezuela (http://www.bcv.org.ve/c2/indicadores.asp)
(3) Si on en arrive la, c’est parce que la tentative du chavisme de créer bureaucratiquement son propre syndicat n’a pas fonctionné, celui-ci, l’UNT, est le syndicat minoritaire. Les travailleurs ayant préféré rester dans leurs organisations syndicales traditionnelles.
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Socialisme 2011: Venezuela, rapport d’un témoin
Ce dimanche 13 mars, une des commissions du week-end ”Socialisme 2011” sera consacrée à la situation au Venezuela. Benjamin Dusaussois est étudiant en Sciences de la population et du développement et responsable du Parti Socialiste de Lutte dans le Hainaut. Il revient d’un séjour de 6 mois au pays du ”socialisme du 21ème siècle”.
Il témoignera des changements en cours au Venezuela aujourd’hui et des dangers qui menacent la classe des travailleurs vénézuéliens. Entre le renforcement de la bureaucratie chaviste, le développement de la boli-bourgeoisie et le retour de la droite sur la scène politique, il est devenu plus qu’évident que la contre-révolution gagne du terrain. Le Venezuela fut un précurseur des luttes contre le néolibéralisme que l’on voit aujourd’hui en Afrique du nord et au Moyen Orient, il est donc plus que nécessaire de tirer les leçons de cette expérience.
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Libye: le mouvement de masse se heurte à une féroce répression
En Libye, le mouvement insurrectionnel des masses, lequel balaye actuellement le Maghreb et le Moyen Orient, s’est heurté à une répression d’une férocité inégalée depuis le début du raz-de-marée révolutionnaire. Néanmoins, la survie du régime semble de plus en plus menacée, avec l’Est du pays aux mains de la rébellion et de nombreuses villes dans l’Ouest en proie à des combats entre les masses insurgées et les sbires du régime. Non seulement l’armée s’est-elle retirée d’une grande partie du pays mais de nombreuses unités on rejoint la rébellion.
Par Christian (Louvain)
Cette décomposition de l’appareil d’Etat s’est également manifestée sous forme de défections de diplomates et d’autres éléments proches du pouvoir dont même des ministres et le chef de protocole du dictateur. Alors que ces individus professent être horrifiés par une répression excessive, il est probable que bon nombre d’entre eux sont surtout intéressés pour sauver leur peau et peut-être même leur carrière. Après tout, la Tunisie comme l’Égypte ne sont-ils pas toujours largement dominés par des individus appartenant a la clique des tyrans déchus?
Dans la même veine, les dirigeants occidentaux, lesquels avaient redécouvert le régime de Kahdafi comme un partenaire respectable avec lequel faire d’excellentes affaires, se sont longtemps contentés de vagues déclarations dans l’esprit hypocrite qui leur est propre. Certains, comme Berlusconi, ont tout de même étés incapables de contenir leur désarrois devant le possible effondrement prochain d’une régime ami. L’Italie est après tout le pays impérialiste qui risque de perdre le plus à cause des développements actuels non seulement en ce qui concerne l’approvisionnement en pétrole et la perte d’investissements mais également en ce qui concerne une possible vague de refugiés politiques et économiques (jusqu’a 300.000 selon certaines estimations) qui risque de déferler sur ses côtes dans un avenir proche. De surcroit, on peut se permettre de supposer que Berlusconi, étant donné la délicatesse de sa propre situation, ait de réelles sympathies avec d’autres leaders autoritaires et kleptocratiques dont le pouvoir est menacé.
Malheureusement il ne faut pas uniquement chercher parmi les classes dominantes des pays impérialistes pour rencontrer des sympathies envers le régime libyen. En effet, c’est parmi la "gauche" en Amérique Latine que Kadhafi peut également compter sur un certain nombre de sympathisants. Pour cela, il faut chercher l’explication dans l’histoire de la décolonisation et dans la nature même de cette "gauche" latino américaine. Il faut se rappeler que durant la décolonisation et jusqu’a l’effondrement du stalinisme en Union Soviétique, de nombreux régimes bourgeois dans les pays néocoloniaux se disaient socialistes et nationalisèrent, du moins une partie de leur économie.
Cela fut notamment le cas sous Habib Bourguiba, le prédécesseur de Ben Ali. C’est ainsi que le RCD, l’ancien partis de Bourguiba comme de Ben Ali, aujourd’hui du moins officiellement dissous, faisait partie de la deuxième internationale, l’internationale qui regroupe les partis sociaux-démocrates comme le PS. Cela n’a bien évidement pas empêché le régime de mener une politique de réformes néolibérales ces dernières décennies (les partis sociaux-démocrates dans les pays plus démocratiques ont fait de même) ou à une petite clique autour du président de s’enrichir énormément.
Contrairement au régime tunisiens très proche des pays impérialistes, Kadhafi a longtemps joué le rôle du leader anti-impérialiste. Durant les années ’70, prônant un socialisme panarabe, il a nationalisé l’industrie pétrolière, principale source de richesse du pays. En effet, durant ses premières années aux pouvoir, il a essayé d’imiter la politique bonapartiste de Nasser en Egypte, son idole. Ce cachant derrière une rhétorique anti-impérialiste, le colonel a également cherché à assouvir sa soif de pouvoir et d’auto-affirmation à travers des actions terroristes et en se jetant dans des aventures militaires un peu partout en Afrique. Enfin, aux prises à l’isolement et à des sanctions économiques, le régime a cherché à se réconcilier avec les pays impérialistes. Mettant un terme à ses aventures encombrantes, la Libye a pu recevoir des investissements étrangers, quelque chose qui a permis à la bourgeoise internationale comme à l’élite proche au pouvoir libyen de se remplir les poches à volonté.
Les sympathies que portent les régimes de "gauche" en Amérique Latine pour le dictateur libyen ne sont pas surprenantes, mais risquent d’être utilisées pour discréditer les idées du socialisme. Alors que le régime libyen lançait des rais aériens et des mercenaires contre sa propre population, un fonctionnaire européen a pu prétendre que Kadhafi avait fuit au Venezuela. Bien que rapidement démentie, cette rumeur démontre comment les alliances politiques de Chavez peuvent être utilisées par l’impérialisme et par la propagande bourgeoise.
Bien que le gouvernement vénézuéliens ait condamné la violence en Libye, une déclaration fort ambigüe faite par Chavez sur Twitter "Viva la Libye et son indépendance! Kadhafi fait face à une guerre civile!!" laisse encore bien des doutes sur ses sympathies. Dans ses articles, le Comité pour une Iinternationale Ouvrière avait déjà critiqué les bonnes relations entretenues entre Chavez et des dictateurs comme Ahmadinejad et Kadhafi. Pour de vrais marxistes, la politique ne peut pas se résumer à "l’ennemi de mon ennemi est mon ami", il faut toujours tenir compte des préjugés qui existent encore contre le socialisme à cause des crimes du stalinisme.
Bien qu’il ne soit pas à nous de créer des illusions dans la démocratie bourgeoise, s’allier à des dictateurs qui prétendent être "anti-impérialistes" est une trahison des intérêts de la classe ouvrière. Il n’est pas surprenant non plus qu’Ortega, après sa trahison ignominieuse envers la révolution nicaraguayenne (et ayant reçu des aides économiques de la Libye) ait déclaré son intention de supporter Kadhafi jusqu’a la fin dans la "grande lutte" que celui-ci mène pour son pays. Fidel Castro a quant à lui conseillé dans son article de ne pas juger Kadhafi trop vite et a suggéré que les États-Unis pourraient envahir la Libye d’un moment à l’autre. Une telle déclaration fait preuve d’une sorte de pragmatisme étranger à un vrai socialiste révolutionnaire. Ceci n’est en rien surprenant si on se souvient du silence de Castro lors du massacre de Tlatelolco en 1968 et des autres mouvements de masses de cette même année, sans parler de la ligne stalinienne prise envers les événements de Prague cette même année.
Bien que la survie du régime de Kadhafi est aujourd’hui fortement mise en doute, la situation en Libye reste encore très incertaine et plus difficile à analyser que les développements dans les pays voisins comme la Tunisie ou l’Égypte, faute de journalistes sur place. Le rôle que la classe ouvrière y jouera est impossible à prévoir. Apparemment, l’activité économique est largement paralysée à Tripolis mais non pas par des grèves mais par le fait que la majorité des personnes qui y vivent craint de sortir de leur maison. Dans l’Est du pays, des comités ont apparemment fait leur apparition pour y gérer la situation, mais nul indication n’existe sur la composition de ceux-ci.
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[DOSSIER] Nigéria : La Présidence de Goodluck Jonathan
Un développement positif et une amélioration des conditions de vie au Nigéria sont-elles possibles ?
Après beaucoup de raffut, c’est le Dr Goodluck Jonathan qui est devenu Président du Nigéria ce 6 mai 2010, à la suite du décès du Président Musa Yar’Adua, mort en plein mandat des suites d’une longue d’une maladie. Comme d’habitude, plusieurs commentateurs bourgeois et autres crabes, qui soutiennent toujours le gouvernement en place quel qu’il soit, ont intensifié leurs pirouettes. A en croire ces éléments, Goodluck Jonathan est doté d’une aura divine ; ils insistent sur la manière dont il est devenu gouverneur et maintenant Président sans jamais s’être présenté à aucune élection en son nom propre !
De l’édition d’octobre de Socialist Democracy, journal du Democratic Socialist Movement (CIO-Nigéria)
Et maintenant, ces diseurs de bonne aventure veulent que les Nigérians aient foi dans le fait que Goodluck Jonathan va utiliser sa soi-disant « chance » providentielle pour apporter un bouleversement positif à l’économie et aux conditions de vie de la population. Nous demandons donc : le Nigéria et les Nigérians connaîtront-ils un développement positif et une amélioration de leur niveau de vie sous la dispense du Président Jonathan ?
Il est très important de constater que les principaux porte-parole gouvernementaux sont récemment apparus porteurs de statistiques et de données hautement optimistes qui toutes tendant à la conclusion que les beaux jours sont déjà arrivés dans le secteur économique. Pour ces éléments bouffis de leurs propres illusions, tout ce qui est maintenant requis pour soutenir ces supposés lendemains qui chantent est une détermination gouvernementale afin d’accomplir certaines réformes économiques généralement appréciées par le capital financier mondial et ses politiciens antisociaux locaux.
Prenant récemment la parole devant une conférence de presse avec Mme Aruna Oteh, Directrice Générale de la Commission pour la Sécurité et pour l’Echange, et le Commissaire aux Assurances M. Fola Daniel, le Ministre des Finances M. Olusegun Aganga a joyeusement affirmé que «notre économie se porte bien». Ils ont entre autres déclaré que le PIB a augmenté de +7,2% au cours du premier trimestre de 2010, comparé à un plongeon de -8,8% au premier trimestre 2009 et de -6,6% en 2008. Ils ont également affirmé que le secteur non-pétrolier s’est accru de +8,15% comparé au premier trimestre de 2009, contre +7,9% entre 2009 et 2008. Mais malgré tout, le chômage est toujours officiellement estimé à 19,47%.
Quelques jours plus tard, le 28 juillet 2010, lors d’une réunion du Conseil Exécutif Fédéral, le Gouverneur de la Banque Centrale M. Sanusi Lamido Sanusi a lui aussi déclaré que «il n’y a aucune raison de s’alarmer» si l’on considère les perspectives économiques globales du pays. Selon lui, le PIB a augmenté de +7,63%, l’inflation est maintenant modérée, les marchés d’échange avec l’étranger sont stables, de même que le taux inter-banques et le taux du marché, et il a conclu en disant que les banques travaillent très bien. Et, apparemment pour soutenir les bons développements dont il a parlé, il a allégrement annoncé que la Banque Centrale du Nigéria, la Banque de l’Industrie et les banques commerciales au Nigéria se sont mises d’accord pour signer un contrat de 500 milliards de naïra (2,4 milliards d’euros) afin de financer les secteurs de l’énergie et de la manufacture.
Selon les termes de M. Sanusi, «Il faut que ça change. Nous croyons que l’industrie bancaire peut servir de catalyseur pour le secteur. Chaque banque qui a participé aux 130 milliards de naïra (600 millions d’euros) que nous avons déboursés doit contribuer à hauteur de 65 milliards de naïra avec ses propres fonds. Au-delà du soutien financier, nous fournissons aussi des conseils et des analyses d’impact afin de soutenir la croissance du secteur manufacturier». S’adressant aux Correspondants de la Chambre d’Etat après la réunion, le Ministre d’Etat pour l’Information et la Communication, M. Labaran Maku, a débordé de remerciements à M. Sanusi pour sa «franchise et son cœur» sans pareils, en particulier pour sa «détermination à pousser de l’avant avec des réformes critiques, malgré les pressions de groupes aux intérêts contraires qui cherchent à renverser les réformes qui ont sauvé de la crise profonde les secteurs financiers de la nation». M. Maku a conclu en déclarant que «le Gouvernement est confiant dans le fait qu’avec tout ce qui se passe en termes de réformes et de convergence politique, l’économie de la nation connaîtra une croissance durable dans les années à venir».
Entre propagande et réalité
Il y a deux leçons basiques que les couches conscientes du mouvement ouvrier et de la jeunesse doivent tirer de toutes ces fausses affirmations et performances, telles que le renouveau de l’économie nationale, qui sont aujourd’hui publiées par les hauts sommets du Gouvernement. Tout d’abord cela démontre que sous la Présidence de Jonathan, la gestion économique et la gouvernance en général sont toujours largement considérées par l’élite bourgeoise comme n’étant rien de plus qu’un art de propagande qui n’a rien ou pas grand’chose à voir avec la réalité. Deuxièmement, cela démontre également l’incapacité totale des mesures préférées des élites capitalistes à garantir un développement suffisant et un niveau de vie décent malgré les ressources naturelles et humaines abondantes de la nation. Tout en se donnant des tapes dans le dos les uns aux autres pour se féliciter des soi-disant merveilleuses réalisations qui sont aujourd’hui en train d’être enregistrées grâce à la combinaison de leur politique macro et micro-économique, et en même temps qu’ils éructent de fausses promesses quant à la croissance durable et la hausse des niveaux de vie, chaque secteur-clé de l’économie et les conditions de vie de l’écrasante majorité de la population ont continué à aller de mal en pis.
«Entre 1985 et 2004, l’inégalité au Nigéria a empiré de 0,43 à 0,49%, ce qui place le pays parmi ceux qui ont les plus haut taux d’inégalité au monde. De nombreuses études ont démontré que malgré ses vastes ressources, le Nigéria se classe parmi les pays les plus inégaux du monde. Le problème de la pauvreté dans le pays est en partie une conséquence de la forte inégalité qui se manifeste par une distribution du revenu fortement inégale, et par des différences d’accès à l’infrastructure de base, à l’éducation, aux formations et aux opportunités d’emploi» (Rapports de Développement Humain du PNUD – Programme des Nations Unies pour le Développement – pour les années 2008-9).
En dépit de ses abondantes ressources humaines et naturelles, le Nigéria est classé 158ème sur 182 pays en terme d’Indice de Développement Humain. Bien que la population nigériane compte pour près de 2% de la population mondiale, le pays compte pour 11% des décès maternels et 12% du taux de mortalité des enfants âgés de moins de 5 ans du monde entier. Selon un autre rapport des Nations Unies, 92% des Nigérians vivent avec moins de 2$ par jour. Il n’est dès lors guère surprenant que l’espérance de vie de la plupart des Nigérians ait fortement décliné, s’élevant à 49 ans pour les hommes et 59 ans pour les femmes.
Un accès stable et abordable à l’électricité, ce qui est perçu partout comme étant un élément inévitable de la croissance économique moderne et du développement social, demeure largement non-existant pour une écrasante majorité de Nigérians ; tandis que les services pour la minorité d’individus et d’entreprises qui y ont accès restent épileptiques. L’Afrique du Sud, qui ne comporte qu’environ un tiers de la population du Nigéria, génère 45.000 mégawatts d’électricité par an. En revanche, le Nigéria ne génère à peine que la quantité lamentable de 3000 mégawatts par an. En fait, au moment où l’ancien Président Obasanjo a quitté le pouvoir en mai 2007, le Nigéria ne générait plus que 2500 mégawatts, qui ont aujourd’hui encore décliné à environ 2000 mégawatts en 2009.Il faut ajouter ici que cette situation pathétique se poursuit malgré le fait que le pays est censé avoir investi près de 16 milliards de dollars pour la production d’électricité sous la Présidence d’Obasanjo !
L’éducation, que tout un chacun considère comme un pré-requis essentiel pour le développement global de la société et des individus, demeure dans les conditions les plus débilitantes. Par exemple, le journal The Nation du 17 mars 2010 rapporte que « Seuls 4223 des 236 613 candidats (c.à.d. 1,7% d’entre eux) à concourir pour l’Examen Senior d’Ecole Secondaire du Conseil National des Examens (NECO) de novembre/décembre de l’an passé ont réussi dans cinq sujets incluant l’anglais et les mathématiques ». Dans son édition du 15 avril 2010, The Nation rapportait de même que dans tout le pays, seuls 25,99% et 10% respectivement ont réussi dans au moins cinq sujets y compris l’anglais et les mathématiques lors des examens du Conseil des Examens de l’Afrique de l’Ouest de mai/juin 2009 et du NECO de juillet 2009.
Ces résultats pathétiques et inquiétants ont été condamnés sans ambages par le gouvernement, les cadres non-gouvernementaux et les individus privés. Selon le même journal du 15 avril 2010, « Les pauvres résultats des candidats ont forcé le Gouvernement Fédéral à convoquer les chefs des deux commissions d’évaluation afin d’expliquer cet échec de masse et de fournir des solutions. Ceci a été suivi en janvier par une réunion du Ministre de l’Education de l’époque, Dr Sam Egwu, avec les directeurs des Collèges du Gouvernement Fédéral de Minna, capital de l’Etat du Niger (une province du Nigéria de 2 fois la taille de la Belgique et 4 millions d’habitants, à ne pas confondre avec le Niger qui est le pays voisin). Même M. Segun Oni, le gouverneur de l’Etat d’Ekiti – qui s’enorgueillit d’être une ‘‘Fontaine de la Connaissance’’ -, à la suite de ces résultats lamentables, a lu le décret émeutes aux directeurs des écoles secondaires, selon lequel ils devaient soit relever la tête, soit démissionner. Le Forum des Gouverneurs du Nord via son Président le Dr Mu’azu Babangida Aliyu, a dû organiser une réunion des 19 gouverneurs de la région afin de se pencher sur ce problème. Dans la région de l’Est, le résultat des examens est devenu extrêmement préoccupant pour les organisations gouvernementales et non-gouvernementales ».
De la part de ces mêmes éléments qui ont été et sont toujours responsables de l’effondrement et de la déchéance continue du secteur de l’éducation, les réponses qui ont été faites par divers cadres gouvernementaux et que nous avons citées ci-dessus, sont à la fois cyniques et hypocrites. Cette réponse est on ne peut plus cynique, parce que ce sont justement ces divers cadres gouvernementaux à travers leur politique de sous-financement de l’éducation et la corruption dans toutes les sphères de la vie qui ont créé les conditions responsables de l’échec sans fond à l’école et lors des examens.
En 2005, le PNUD, dans son rapport sur le Développement Humain, avait déjà dépeint un tableau extrêmement sinistre du secteur de l’éducation au Nigéria. Ce rapport disait ceci : « Du au maigre financement de l’éducation, l’enseignement à tous les niveaux souffre de faibles niveaux académiques ; il manque de personnel enseignant suffisant, à la fois en quantité et en qualité. Même les quelques enseignants qualifiés qui sont disponibles ne sont pas suffisamment motivés en terme de rémunération ou d’environnement de travail pour maximiser la qualité de leur apport dans le système éducationnel. Les écoles et les classes sont surpeuplées, les bâtiments sont inadéquats et sur-utilisés, les étagères des bibliothèques sont vides et recouvertes de toiles d’araignées, tandis que les laboratoires sont dépourvus d’équipement mis à jour ». Face à un tel constat, on ne peut que s’époustoufler de l’hypocrisie de nos dirigeants lorsqu’ils s’étonnent des résultats de nos élèves aux examens.
Malgré l’impression trompeuse qui est donnée par les porte-parole du gouvernement au sujet de la situation économique actuelle du Nigéria, les routes étatiques et nationales, tout comme les rues, demeurent dans les conditions les plus déplorables, ce qui mène constamment à des pertes de vie massives à cause des accidents fréquents qui se produisent sur ses pièges mortels qu’on appelle « routes ». En même temps, les Nigérians et l’industrie continuent à perdre d’innombrables heures de travail simplement pour pouvoir se frayer un chemin sur ces mauvaises routes. En fait, un rapide survol de chaque aspect basique de la vie et de l’économie du pays révèle un tableau d’échec et de décrépitude colossaux.
Les mesures qui sont mises en avant par Jonathan et par les responsables du gouvernement
Il n’y a pas longtemps, le Ministre des Finances M. Olusegun Aganga, s’est adressé aux médias quant à l’état actuel de l’économie et à ses perspectives pour la période à venir. Il a crié sous tous les toits que « Notre économie se porte bien ; nos banques sont sûres ». En plus de ces déclarations fantaisistes quand aux soi-disant merveilleux indicateurs économiques, le Ministre a déclaré : « Nous allons créer un environnement de qualité afin d’attirer les investisseurs locaux et étrangers. La création d’infrastructure est une autre priorité du gouvernement. L’énergie en est la clé. Si on demande à qui que ce soit ce dont ils ont réellement besoin, je suis certain que cette personne répondra : énergie,énergie, énergie ». Dès le moment où il est devenu Président au début du mois de mai 2010, Jonathan n’a laissé aucun doute sur le fait qu’il trouve qu’un accès à l’électricité stable et ininterrompu est un facteur indispensable pour le développement socio-économique. De fait, il s’est même octroyé le poste de Ministre de l’Energie en plus de ses fonctions présidentielles.
Etant donné l’ « heureux bilan » établi par le Ministre des Finances, et l’engagement apparent de Jonathan de résoudre une fois pour toutes le problème de l’approvisionnement en électricité, les Nigérians peuvent-ils s’attendre à avoir accès à des logements, à des soins de santé, à une éducation et à des emplois ? Les industries et la population en général peuvent-elles espérer bénéficier d’infrastructures fonctionnelles, tels que des routes, une source d’électricité ininterrompue et accessible ? Dès lors, les grandes industries tout comme les petits commerces peuvent-ils maintenant avoir accès à des prêts bancaires à des taux favorables pour les producteurs autant que pour les consommateurs ?
Il est certain que c’est là l’impression que cherchent à faire le Président Jonathan, le Ministre des Finances Olusegun Aganga, et ceux comme le Gouverneur de la Banque Centrale du Nigéria, Mallam Sanusi Lamido Sanusi. Mais malheureusement, si on se fie à une évaluation scientifique de la stratégie économique centrale du gouvernement, de ses mesures-clés et de leur mise en oeuvre, c’est tout le contraire de ces promesses, voire pire, qui risque bien de se produire.
Malgré sa surenchère de promesses, la stratégie économique du Président Jonathan est entièrement basée sur le même paradigme néolibéral, anti-pauvres, pro-riches qui a déjà tant échoué, et qui est poussé par le monde des affaires et par les éléments capitalistes sur les plans international et local. Ecoutons seulement M. Aganga : « Nous allons supprimer les barrières douanières aifn d’attirer les investissements dans notre zone. De la sorte, nous voulons que le secteur privé vienne en tant que partenaire au gouvernement pour financer l’infrastructure. Le gouvernement ne peut pas faire cela de lui-même. Nous savons que nous ne pouvons pas nous permettre de financer le déficit de l’infrastructure en comptant uniquement sur notre budget. Nous savons que nous n’avons que très peu de moyens, et nous savons qu’il est très important de remplir ce trou, et c’est pourquoi nous appelons le secteur privé à mener le développement de l’infrastructure ». (Avant-Garde du 24 juillet 2010)
Dans un récent discours face au Conseil Communal (une institution établie à la manière américaine) à la Loge du Gouverneur à Uyo dans l’Etat de Cross River, le Président Jonathan a profité de l’occasion pour faire des déclarations explicites et approfondies sur la stratégie économique du gouvernement. Parmi d’autres points, il a abordé le problème crucial et délicat de l’accès et de la disponibilité des produits dérivés du pétrole à des usages industriels et domestiques. Voyez plutôt : « Ce n’est pas le rôle du gouvernement d’être directement impliqué, mais plutôt d’encourager le secteur privé à investir. Ce qui limite en ce moment l’établissement de ces raffineries est le mode de fixation des prix des produits pétroliers, un problème que le gouvernement veut résoudre. Si le gouvernement devait être impliqué, ce serait sous la forme d’un partenariat public-privé, mais pas directement comme par exemple par la construction de raffineries d’Etat ».
Le « partenariat public-privé » en action
Contrairement à toutes ces vantardises, la paralysie économique actuelle au sien du pays et à l’échelle internationale est essentiellement une conséquence de la stratégie du « profit d’abord » suivie par l’élite capitaliste dirigeante partout dans le monde. Nous allons ici donner deux exemples de comment fonctionne cette politique. Selon le principe de « partenariat public-privé » (PPP), les aéroports du pays sont cédés aux marchands de profit sous le nom de « concession ». L’idée qui est vendue au public est que grâce à cet arrangement, l’emprise de la machine étatique corrompue sera brisée et qu’ainsi plus de revenus seront générés, ce qui garantirait les développements nécessaires de l’infrastructure et de la logistique aéroportuaire. Cependant, selon le magazine ThisDay du 10 juin 2010, c’est en réalité uniquement le contraire de ce qui avait été promis qui s’est produit : « L’accord de concession était censé redresser le revenu de la Federal Airports Authority in Nigeria. On croyait que les partenaires privées renforceraient l’innovation et la transparence, et assureraient que les ressources aéronautiques comme non-aéronautiques seraient gérées de telle manière à accroître les revenus […] Mais au lieu de rehausser le revenu de l’Agence, les concessionnaires ont quitté l’organisation en la laissant dans un état financier critique. [Selon une source de la FAAN :] « Dans le passé, la FAAN n’a jamais été en retard de payement de salaires, mais depuis que ces concessionnaires sont arrivés à sa tête, il est devenu difficile de payer le personnel. Regardez les aéroports, on ne les entretient même plus, parce que les fonds ont disparu. On avait prévu d’obtenir plus que ce que nous générions avant que les sources de revenus ne soient concédées. Mais il est aujourd’hui évident que les travailleurs de la FAAN s’en tiraient mieux avant » ».
Le Président Jonathan et ses conseillers économiques ont donné au secteur privé la responsabilité du développement nécessaire des infrastructures et des services via leur agenda de soi-disant partenariat public-privé. Cependant, c’est l’Etat de Lagos, gouverné par un parti d’opposition, l’Action Congress (AC), qui a déjà fourni une excellente illustration de pourquoi l’idéologie du « profit d’abord » ne mènera jamais à un développement nécessaire et suffisant pour l’économie et pour l’amélioration des conditions de vie du peuple en général. Depuis 2003 ou à peu près, l’ex-Gouverneur de l’Etat de Lagos, Bola Ahmed Tinubu, a conclu un accord avec un groupe d’entreprises privées pour construire une route de 49 kilomètres afin de relier Victoria Island à la ville d’Epe, dans l’Etat de Lagos. Huit ans plus tard, seuls 6 km de route ont été construits. Mais les entreprises privées en charge du projet n’ont par contre pas eu honte de déjà installer trois péages afin de prélever l’argent sur les utilisateurs de la route en chantier (pour la plupart des membres des classes moyennes ou de l’élite riche) ! Cette situation risque de durer encore trente ans ! Entretemps, plus des trois-quarts des routes et rues de l’Etat de Lagos demeurent dans des conditions déplorables.
Le renflouement des banques et des industries
Toutefois, rien n’illustre mieux l’incapacité totale du capitalisme de répondre aux nécessités sociales pour le développement économique et l’amélioration du mode de vie du peuple, que la pauvreté de masse et la dépression qui domine actuellement tous les secteurs économiques et sociaux, malgré les ressources naturelles et humaines surabondantes dont est doté le Nigéria. La manifestation la plus provocante de l’impasse capitaliste est l’octroi de centaines de milliards de naïras provenant des fonds publics en cadeau aux mêmes vampires capitalistes qui ont mené à ses conditions actuelles de désolation ce pays qui autrement serait énormément riche de ses immenses ressources et de sa population courageuse.
A la fin de l’année passée, le gouvernement de feu le Président Musa Yar’Adua a donné via sa Banque Centrale la somme de 620 milliards de naïra (3 milliards d’euro) à huit banques qui se tenaient au bord de la faillite, en conséquence de leurs nombreuses transactions financières irresponsables et du pillage en bonne et due forme exercé par leurs propriétaires privés. Yar’Adua et son successeur le Président Jonathan ont de même unilatéralement décidé d’octroyer la somme scandaleuse de respectivement 150 milliards et 500 milliards de naïra (700 millions et 2 milliards d’euro) pour renflouer des industries en faillite tant en les laissant entre les mains des capitalistes. Bien entendu, ce qui était autrefois le secteur industriel nigérian a été maintenant complètement dévasté au fil des années par la combinaison de mesures politiques « profit d’abord » qui ont été imposées au pays par les multinationales des pays capitalistes avancés.
A cet égard, l’industrie textile exemplifie bien le genre de désertification industrielle qui a étranglé le pays au fur et à mesure que le capitalisme mondial a renforcé son emprise sur les économies des pays néocoloniaux et sous-développés tels que le Nigéria. A la fin des années 80, il y avait 250 entreprises textiles qui ensemble employaient directement 800 000 travailleurs, avec plus d’un million d’autres personnes qui gagnaient leur vie par la vente et autres commerces liés à ce secteur. Malheureusement, en 2007, il ne restait que 30 de ces entreprises, opérant pour la plupart en-dessous de leur capacité, et qui employaient moins de 30 000 travailleurs. Il faut ajouter aussi que c’est le même genre de dévastation économique qui a vu le jour dans d’autres secteurs industriels et agricoles autrefois florissants.
Toutefois, au-delà même des conditions lamentables qui prévalent aujourd’hui, il est économiquement contre-productif et socialement scandaleux pour un gouvernement de verser des centaines de milliards aux mêmes marchants de profit qui ont mené le pays à son impasse actuelle malgré son abondance de ressources humaines et naturelles, alors que cet argent aurait pu être utilisé pour développer les infrastructures publiques et les services sociaux. C’est un véritable scandale que d’énormes fonds publics soient octroyés à des individus et à des entreprises non-redevables et dont les seuls intérêts sont ceux de leurs profits et qui pendant des années ont mené une véritable croisade pour que le gouvernement cesse de financer les infrastructures socialement nécessaires que sont les routes, les services, l’éducation, les soins de santé, l’emploi, etc. soi-disant parce que ce sont là des mesures socialisantes qui n’engendreraient que l’inefficacité et la stagnation économique. Si les industries qui sont essentielles au développement du pays et du niveau de vie sont au bord de la faillite, alors au lieu d’en renflouer les propriétaires, elles devraient être nationalisées (avec compensation uniquement sur base de besoins prouvés) et gérées démocratiquement dans les intérêts des travailleurs et des pauvres.
Hélas, plutôt que de se battre pour une réelle appropriation publique des secteurs-clés de l’économie, y compris des secteurs bancaire et financier, sous le contrôle et la gestion démocratique par les travailleurs, en tant que base d’un grand plan démocratique par lequel les abondantes ressources humaines et naturelles du Nigéria pourraient être utilisées afin de garantir une vie décente et une réelle liberté démocratique pour le peuple, les sommets de la hiérarchie syndicale du NLC (Nigerian Labour Congress) et de la TUC (Trade Union Confederation) sont occupés à placer de faux espoirs dans l’illusions selon laquelle ce système criminel pourrait être réformé afin de satisfaire aux besoins des masses laborieuses. Ils ferment leurs yeux devant l’échec du capitalisme à développer le Nigéria et devant la grave crise qui a frappé le système capitaliste mondial au cours des trois dernières années. En fait, les dirigeants syndicaux ne font que baser leurs campagnes sur ce qu’ils pensent que les capitalistes voudront bien donner, c’est pourquoi aucune campagne sérieuse n’a été menée pour le salaire minimum à 52 000 naïra (240€) que l’Exécutif National du NLC avait revendiqué pour la première fois lors de son assemblée du 18 décembre 2008 à Kano.
La guerre contre la corruption et contre l’insécurité de la vie et de la propriété
La corruption et l’insécurité de la vie et de la propriété sont toujours considérées par tous les commentateurs sérieux comme étant des facteurs cruciaux lorsqu’on parle d’assurer une véritable croissance économique et la stabilité sociale. Malheureusement, le gouvernement pro-capitaliste dirigé par Jonathan a également démontré son incapacité à répondre de manière efficace au défi qui est posé par ces deux enjeux. Presque chaque jour, le Président Jonathan et ses cadres professent le même discours quant à leur détermination à combattre la corruption, qui est perçue comme un cancer qui empêche la croissance économique.
Pourtant, la Commission pour les Crimes Economiques et Financiers (EFCC) a fermé les yeux devant toute une série de scandales à échelle internationale impliquant plusieurs cadres gouvernementaux haut placés, certains étant déjà à la retraite, d’autres non, et sans le moindre murmure non plus de Jonathan ou de son administration. Cependant, la même EFCC qui n’a pas bronché au sujet des accusations de corruption envers des hauts responsables gouvernementaux au sujet de contrats obtenus avec Halliburton, Daimler, et autres requins multinationaux, a tout d’un coup regagné toute sa puissance lorsqu’elle a forcé le Président Goodluck à annuler son interdiction autocratique de toute participation des équipes de football nigérianes à des compétitions internationales.
Afin de couvrir la retraite humiliante qui a été imposée au Président quant à son interdiction digne d’un dictateur militaire, mais complètement hypocrite et entièrement déplacée, des équipes de football nationales, la EFCC a été lâchée sur les chefs de la Fédération Nigériane de Football (NFF). De la même manière que dans les derniers jours de la Présidence d’Obasanjo, la EFCC est essentiellement devenue un instrument de harcèlement des opposants ou de ceux qui étaient tombés en disgrâce par rapport au PDP au pouvoir, la EFCC serait maintenant en train de mener une enquête sur la mauvaise gestion de 2 milliards de naïra par la NFF. Tout ceci sur ordre de personnes qui gèrent un budget de dizaines de milliers de milliards de naïra, sans en être redevables à qui que ce soit ! Au vu des dernières gesticulations de la EFCC, on peut dire que sous le règne de Jonathan, comme d’habitude, la guerre contre la corruption ne demeurera qu’une mauvaise plaisanterie, qui revient à tenter d’éteindre un feu de brousse en crachant dessus, ou à ce que des hors-la-loi armés s’octroient le droit de juger des voleurs à la tire.
La résolution du Gouvernement à combattre les crimes de droit commun tels que les rapts révèle également la même vision bourgeoise à court-terme, ce que feu Fela Anikulapo-Kuti appelait « l’aveuglement ikoyi ». Comment le gouvernement compte-t-il endiguer la vague croissante de criminalité, en particulier les rapts qui ont pris un caractère de plus en plus répandu, et surtout au moment même où le gouvernement cherche à attirer des investisseurs étrangers ? Le Président Jonathan nous répond : « Nous prenons cet enjeu très au sérieux, et nous ne manquerons pas de poursuivre les auteurs de ces crimes. On trouve même certaines communautés dans le pays qui ont fait de la criminalité un vrai business, et des gens croulant sous les diplômes et qui aident et soutiennent cette activité […] Certaines personnes haut-placées sont impliquées […] Lorsque quelqu’un est enlevé, ce sont ces mêmes gens qui vont négocier la rançon […] Nous ne dormons pas ; nous sommes en train de trouver des méthodes pour traquer les enleveurs, nous cherchons à mettre en oeuvre des méthodes informatiques pour ce faire ».
Aveuglés par leur propre mode de vie d’opulence non mérité et injuste, lorsque l’immense majorité se morfond dans la misère et l’indigence, Jonathan et les élites capitalistes ne peuvent réaliser que c’est la combinaison de leur système injuste et de la corruption des dirigeants capitalistes qui est responsable de la hausse des crimes sociaux tels que les enlèvements, le banditisme armé, le siphonage des oléoducs, etc. Par conséquent, pour que les masses laborieuses puissent bénéficier de conditions de vie décentes et permanentes, et d’une société libre du fléau de la criminalité, la société capitaliste actuelle, faite d’injustices, et qui ne bénéficie qu’aux intérêts des quelques riches, doit être économiquement et socialement remplacée par un nouvel ordre social dans lequel les ressources de la nature et les hauts sommets de l’économie – y compris les banques et la finance – seraient collectivement appropriées et placées sous le contrôle et la gestion démocratiques des travailleurs eux-mêmes, de sorte que les ressources humaines et naturelles infiniment abondantes de notre planète puissent être réellement planifiées et utilisées afin de satisfaire aux besoins économiques et sociaux du peuple.
Vers où aller ?
Sur base de mesures et stratégies pro-capitalistes, aucun des problèmes sociaux et économiques auxquels sont en ce moment confrontés le pays et la vaste majorité de sa population de plus en plus miséreuse ne peuvent être résolus de manière satisfaisante afin d’assurer une croissance économique énergique et un mode de vie décent pour le peuple. Bien sûr, au lieu d’accepter la faillite totale de la stratégie capitaliste et de la politique menée sur une base individuelle, les élites dirigeantes parasitaires et kleptomanes du Nigéria voudront toujours donner l’impression que le fait de gérer l’économie nigérienne est un e mission impossible. Devant le Conseil Communal cité plus haut, le Président Jonathan a une fois de plus renié son engagement gouvernemental de départ selon lequel il oeuvrerait en faveur d’un approvisionnement complet en électricité pour les industries et pour les ménages, avec comme point de départ la génération de 11 000 mégawatts avant 2011. Effectuant un virage à 180° par rapport à ses promesses initiales, le Président demande maintenant aux Nigérians de ne pas s’attendre à avoir un accès adéquat à l’électricité avant longtemps. Citant son expérience en tant que Gouverneur de l’Etat de Bayelsa, il a expliqué que « J’ai réalisé que lorsqu’on arrive par exemple avec 10 000 mégawatts, plus de gens vont immédiatement réclamer de nouvelles lignes électriques pour chez eux, et peu après, l’approvisionnement en électricité redevient inadéquat ». Cet argument bidon ridicule est taillé sur mesures pour justifier pourquoi le Nigéria n’a pas pu générer assez d’électricité pour alimenter de manière satisfaisante sa consommation industrielle et ménagère.
L’Afrique du Sud, qui ne comporte qu’un tiers de la population du Nigéria, génère actuellement 45 000 mégawatts d’électricité par an, tandis que le Nigéria n’en génère en ce moment que 3000. Par conséquent, la tâche centrale est non pas de donner l’excuse que c’est le comportement des gens qui rend cet objectif inatteignable, mais bien de générer assez d’électricité que ce dont en ont besoin les industries et les gens. A un moment l’an dernier, la Ministre de l’Information nigérianne, Mme Dora Akunyili, a rendu visite à l’Ambassadeur vénézuélien au Nigéria, pour y rééditer auprès de lui son appel habituel à des investissements étrangers dans le secteur pétrolier. En guise de réponse, l’Ambassadeur du Venezuela a demandé au Nigéria de plutôt se tourner vers ses propres forces et de gérer ses propres ressources afin d’améliorer le bien-être de son peuple et de son économie en général, plutôt que de sans cesse frappeer à la porte des étrangers. Il a ainsi expliqué que depuis l’an 2000, au Venezuela, le prix du barril de pétrole est resté le même et le coût du plein pour une voiture moyenne n’a pas excédé la somme de 160 naïra (0,75€), et que le gouvernement vénézuélien possédait et gérait plus de 40 raffineries de dérivés pétroliers destinés à la consommation locale comme à l’exportation. Bien que les masses laborieuses vénézuéliennes soient toujours confrontées à de grands problèmes dus au caractère incomplet des réformes anticapitalistes qui ont été jusqu’ici accomplies dans leur pays, elles ne sont pas confrontées au même désastre absolu qui sévit au Nigéria. Tandis que le Nigéria, qui est le quatrième plus grand producteur de pétrole brut au sein de l’OPEP, dépend toujours fortement de l’importation de produits pétrolier, aucune de ses quatre raffineries ne tournant à pleine capacité.
Le NLC comme la TUC, avec leurs affiliés, ont toujours critiqué le caractère anti-populaire de la plupart des politiques gouvernementales. Ces dirigeants syndicaux adorent faire des critiques correctes du caractère anti-pauvres des mesures de privatisation et de concession des raffineries, de l’électricité, des aéroports et des routes. Récemment, les directions du NLC et de la TUC ont condamné la proposition du gouvernement de dépenser des milliards de naïra pour la célébration du cinquantième anniversaire de l’indépendance du Nigéria qui, du point de vue des masses opprimées, n’est jamais que 50 ans d’échec. La direction du NLC a aussi récemment dénoncé de manière très correcte les propositions pro-riches et anti-pauvres en faveur de la dérégulation et de la privatisation du secteur pétrolier, du retrait des soi-disant subsides sur les produits pétroliers, et d’une hausse de +200% du prix de l’électricité qui sont défendues par le Gouverneur de la Banque Centrale du Nigéria, Mallam Sanusi Lamido Sanusi. Dans une déclaration intitulée : « Assez des singeries anti-populaires de Sanusi ! » publié le 29 juillet 2010, on peut lire ceci : « Au sujet du tarif de l’électricité en particulier, le National Labour Congress est convaincu que le premier pas qui doit être fait par le gouvernement est d’avant toutes choses améliorer la capacité de génération et de distribution d’électricité, avant de parler de la question du prix à payer. Ce serait illogique et entièrement irraisonné de faire payer plus chers les Nigérians qui en ce moment payent déjà pour des services dont ils ne profitent pas, à part pour les ressources énormes qu’ils dépensent quotidiennement pour faire fonctionner leur générateur électrique domestique ». Au sujet d’un plan de renflouement à hauteur de 30 milliards de naïra (140 millions €) pour un redressement de l’industrie textile moribonde du Nigéria, Isa Aremu, Secrétaire Général du Syndicat des Travailleurs du Textile du Nigéria, a comparé la situation du pays de manière très adéquate avec la situation paradoxale d’un homme qui mourrait de soif alors qu’il est serait entouré d’eau. Ainsi, « Le Nigéria ne manque pas de Présidents ni de Gouverneurs. Ce qui fait défaut aujourd’hui, c’est la bonne gouvernance, l’industrialisation et le développement ».
Malheureusement, en dépit de ces critiques très correctes, les hauts dirigeants syndicaux ont en général toujours échoué à se concentrer sur la conception et la défense d’une alternative politique et économique pro-ouvrière, qui pourrait être capable de mettre un terme à la misère perpétuelle de la majorité du peuple nigérian en plein milieu d’une abondance inépuisable. Par conséquent, plutôt que de donner leur soutien à telle ou telle mesure capitaliste destinée à accroître la profitabilité, le mouvement ouvrier devrait mener une campagne consistante afin de placer les immenses ressources économiques du pays, y compris les banques et les institutions financières, sous le contrôle et la gestion démocratiques par les travailleurs, avec comme objectif direct d’assurer un mode de vie décent pour tous les Nigérians partout dans le pays, et non pas à la poignée d’éléments capitalistes qui maintiennent à présent leur emprise sur les perspectives économiques de la nation.
Afin de parachever ce but, le mouvement ouvrier doit de même se mettre en branle pour créer son propre parti politique indépendant, qui sera préparé à mettre en oeuvre ce genre de mesures socialistes pro-masses, qui sont nécessaires si l’on veut libérer le Nigéria de la servitude socio-politique des élements capitalistes locaux et de leurs mécènes et maîtres à l’étranger. En particulier, il faut que le mouvement ouvrier crée un parti des travailleurs réellement démocratique, ou se battre pour récupérer le Labour Party qui a maintenant été largement récupéré par des éléments pro-capitalistes. Il ne suffit pas de simplement mener campagne pour des élections libres et justes lorsqu’il semble clair aujourd’hui que la campagne électorale de 2011 sera de toutes manières dominée par des partis pro-capitalistes, anti-populaires tels que le PDP, l’ANPP, l’AC, etc. Le mouvement ouvrier doit commencer dès aujourd’hui à édifier une plate-forme politique qui fasse écho aux longues souffrances du peuple du Nigéria lors de la campagne de 2011. A moins que l’agitation syndicale ne se poursuive selon ce genre de perspectives, le cauchemar socio-économique que nous connaissons aujourd’hui ne pourra pas être surmonté, et ne fera qu’empirer sous la Présidence de Jonathan, ou de n’importe quel autre politicien bourgeois.
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[DOSSIER] Venezuela – Parler du socialisme ne suffit pas, il faut passer à l’action
Le 26 septembre se dérouleront des élections générales au Venezuela. Pour la première fois depuis un moment déjà, certains sondages suggèrent qu’il est possible que le président Hugo Chavez perde sa majorité. La récession, la crise énergétique, la haute inflation, la criminalité et l’insatisfaction envers la bureaucratie et la corruption ont sapé le soutien pour Chavez.
Par Marcus Kollbrunner, Liberdade, Socialismo e Revolução (CIO-brésil)
La réponse de Chavez à ces problèmes a été d’intensifier sa rhétorique gauchiste tout en réprimant quelques-uns des plus puissants et riches capitalistes du pays. Voici un exemple de sa rhétorique gauchiste, issue d’une interview accordée à BBC Hard Talk le 14 juillet dernier;
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"Je vais vous dire quelque chose ; cela fait 11 ans que je suis arrivé au pouvoir et j’étais très naïf, je croyais à la ‘Troisième Voie’. Mais c’était une farce. Je croyais possible d’introduire le ‘Capitalisme rhénan’, le ‘Capitalisme à visage humain’, mais je me suis rendu compte que c’était impossible, que je m’étais trompé. Le capitalisme, c’est le règne de l’injustice, la tyrannie des plus riches sur les plus pauvres,… c’est pourquoi la seule manière de sauver le monde est le socialisme. Le socialisme avec la démocratie."
Cependant, même des anciens partisans de Chavez en sont venus à critiquer sa politique. Heinz Dieterich, lequel avait été conseiller du gouvernement et était l’idéologue derrière le slogan du ‘Socialisme du 21e siècle’, a déclaré lors d’une interview avec El Nacional en mars dernier que : "La politique du président n’a construit aucune institution que l’on pourrait appeler ‘Socialisme du 21e siècle’ (…) Rien n’a été fait au Venezuela qui ne diffère des marchés en Europe. Les programmes sociaux sont très positifs, mais rien de cela n’est le socialisme." La rhétorique de Chavez ne répond pas aux attaques de plus en plus nombreuses qui visent les travailleurs luttant pour de meilleures conditions.
Chavez est arrivé au pouvoir après les élections en 1998, une victoire qui était l’expression d’un profond mécontentement populaire envers la vielle élite et contre la politique néolibérale qui avait grandement augmenté l’écart de richesse et la pauvreté, malgré les ressources pétrolière conséquentes du pays. Chavez disait alors qu’il voulait mettre en œuvre la "Révolution Bolivarienne", se référant ainsi à Simon Bolívar qui avait lutté pour l’indépendance contre la domination coloniale espagnole au 19e siècle.
L’idée derrière cette "Révolution Bolivarienne" était d’introduire des améliorations pour la majorité de la population et de rompre avec la dépendance de l’impérialisme (les États-Unis sont toujours le premier partenaire commercial du pays). En augmentant les impôts et en prenant le contrôle du pétrole, il parvint à mettre en œuvre d’importantes réformes, lesquelles ont permis d’accroître l’accès aux soins de santé et à l’éducation pour les couches les plus pauvres de la population.
Mais la tentative d’introduire un capitalisme d’Etat-providence à l’européenne, le ‘Capitalisme rhénan’, a rencontré la résistance de l’élite. Avec le soutien de l’administration Bush, la riche élite tenta d’ailleurs de renverser Chavez lors d’un coup d’Etat en avril 2002 mais fut contrecarré par une révolte populaire spontanée. Fin 2002 – début 2003, une autre tentative de renverser Chavez a aussi eu lieu, cette fois-ci sous la forme d’une "grève générale" du patronat, un lockout destiné à saboter l’économie. Déjà à ce moment-là, Chavez aurait dû conclure qu’il était impossible de faire disparaitre les injustices à travers des réformes et qu’il était donc nécessaire de tout simplement rompre avec le capitalisme. Mais il a continué de tenter de former des alliances avec des sections de la bourgeoisie nationale.
La pression pour le changement issue d’en bas ainsi que les continuelles confrontations avec la vielle élite eurent toutefois pour résultat de pousser Chavez à déclarer début 2005 qu’il allait désormais s’efforcer de construire le "Socialisme du 21e siècle". Mais sa vision du "socialisme" était surtout celle du modèle cubain, où la bureaucratie est au pouvoir. Ce concept convenait bien à Chavez lequel, ayant fait carrière comme officier, était habitué à donner des ordres. Il ne s’est pas rendu compte de la nécessité d’organisations indépendantes de la classe ouvrière. Ceci renforça l’idée que tout devait être contrôlé d’en haut et la "Boli-bureaucratie" qui se développa avec tous les opportunistes qui affluèrent vers le pouvoir n’a fait qu’accroitre cette tendance. En conséquence, le régime de Chavez est marqué par la prédisposition de la bureaucratique à zigzaguer et à agir de manière arbitraire ainsi que par une mauvaise gestion.
Après une profonde crise économique en 2002-2003, la production s’est de nouveau remise à croitre rapidement avec l’aide de la hausse du prix du pétrole. En cinq ans, l’économie connut une croissance de 95%, la pauvreté diminua de moitié et la pauvreté extrême de 70 %. Les dépenses sociales furent triplées et la population connut un accès accru aux soins de santé et à l’éducation.
Pourtant, malgré les déclarations de Chavez selon lesquelles sa « politique socialiste » immunisait le pays contre les crises capitalistes, le Venezuela a été très durement touché par la dernière crise mondiale, avec une chute du PIB de 3,3 % en 2009, et il est fort probable que PIB chute encore cette année-ci. D’après l’économiste américain Mark Weisbrot, le gouvernement n’a pas instauré de politique visant à stimuler l’économie, ce qui contraste avec la situation de la Bolivie par exemple, où de telles mesures ont aidé l’économie à connaitre une croissance de 3 %. Au contraire, la croissance annuelle des dépenses d’Etat tomba de 16,3 % en 2008 à un misérable 0,9 % en 2009. Le gouvernement a également augmenté la TVA au début de l’année, ce qui a surtout frappé les pauvres.
Au début de l’année, l’économie du pays fut affectée par d’importants problèmes d’approvisionnement énergétique, ce qui contribua à faire chuter le PIB de 5,8 % lors du premier trimestre. De plus, le phénomène climatique « El Niño » a été exceptionnellement sévère cette année. Si le sud du Brésil a connu de grandes précipitations, le Venezuela a connu l’effet contraire : la pire sécheresse depuis un siècle. Ainsi, le niveau du barrage Guri, qui produit 70% de l’énergie électrique du pays, a dramatiquement chuté. En conséquence, l’eau et l’électricité ont été rationnées, ce qui a affecté l’activité économique. Cette crise n’a cependant pas uniquement été causée par El Niño, mais aussi par le manque d’investissements et de planification concernant la production énergétique.
Le Venezuela doit chroniquement faire face à des taux d’inflation élevés. Le gouvernement a accru de 25 % le salaire minimum cette année, mais cela n’a pas été suffisant pour couvrir la hausse des prix. L’année dernière, l’inflation était de 25 % et de 30% cette année, mais l’inflation sur les produits alimentaires est de 40 %. Comme le cours de change officiel du dollar n’a que peu de fois été ajusté ces dernières années depuis l’introduction du contrôle d’Etat sur le commerce des devises en 2003, le taux élevé d’inflation a conduit à une surévaluation de la monnaie au cours des dernières années. Néanmoins, cette tendance de surévaluation de la monnaie puise ses origines plus loin dans le passé. L’afflux de dollars dû à l’exportation du pétrole a maintenu la monnaie forte et moins cher l’importation de nourriture tout en entraînant une plus grande dépendance envers ces importations, au détriment de la production domestique.
Cette tendance a encore été amplifiée en 2003, lorsque Chavez a pris contrôle de la compagnie pétrolière PVDSA. Il a utilisé l’argent issu du pétrole non seulement pour mettre en œuvre d’importantes réformes, mais aussi pour importer de la nourriture afin de fournir des vivres bon-marché à 19 mille magasins alimentaires publics. En 2008, une compagnie alimentaire d’Etat fut fondée, la PDVAL, subsidiée par la PVDSA, pour s’occuper de l’importation et de la distribution de nourriture. Ainsi, la moitié des revenus issus du pétrole sont utilisés pour importer des denrées alimentaires.
Actuellement, le Venezuela importe deux tiers de sa nourriture. La tentative du gouvernement d’introduire une réforme agraire – 2,7 millions d’hectares (presque 1/10 des terres arables) ayant été redistribués – n’a pas eu d’effet considérable sur la production alimentaire en raison du manque de machines et de capitaux ainsi que de l’omniprésence de la bureaucratie. Le contrôle des prix par l’Etat est insuffisant pour mettre fin à l’inflation sur la nourriture, puisque les fournisseurs alimentaires privés refusent souvent de vendre aux prix établis par l’Etat. C’est dans ce contexte que Chavez a menacé de prendre des mesures contre les grandes entreprises alimentaires.
D’après l’économiste vénézuélien Angel Alayon, de l’organisation des producteurs alimentaires, l’Etat contrôle 75 % de la production de café, 42 % de la farine de maïs, 40 % du riz, 52 % du sucre et 25 % du lait. Mais cela n’a en rien aboli les pénuries rencontrées dans l’approvisionnement en nourriture.
Récemment, il a été révélé que des milliers de tonnes de nourriture, sous la responsabilité de la PDVAL, étaient en train de pourrir dans des containers. Cela représente un autre exemple de mauvaise gestion bureaucratique, peut-être mêlé à de la corruption, au profit des spéculateurs.
Au début de l’année, la monnaie vénézuélienne, le Bolivar, a été dévaluée et deux taux de changes ont été fixés pour le dollar, le plus bas pour rendre moins cher l’importation de nourriture, de médecines et d’autres produits de base et un autre pour les produits de luxe. Ceci n’a, toutefois, pas empêché un marcher parallèle avec les dollars, avec une valeur même plus élevée pour celui-ci. Dernièrement, l’Etat a réprimé les marchands en dollars et a établi son propre "dollar parallèle", avec une valeur flottante. Il est cependant peu probable que cette mesure mette fin au marché noir comme la moitié des importations sont payées avec le dollar parallèle.
La dévaluation est une conséquence de l’inflation, mais elle peut conduire à d’autres augmentations de prix. En même temps, les entreprises privées savent tirer profit de cette situation. Pour les multinationales, par exemple, les salaires des travailleurs vénézuéliens deviennent moins chers alors que les travailleurs doivent faire face à des hausses de prix.
Entre-temps, les reformes sociales stagnent ; de nombreux projets se sont détériorés et d’autres n’ont pas été pleinement mis en œuvre à cause de la corruption, les fonds étant épuisés avant que le projet ne soit complété, ou alors c’est la lenteur bureaucratique qui fait obstacle.
Chavez a souvent répondu à ces différentes crises par des discours radicaux et des menaces de nationalisations. La mise en œuvre de ces dernières a, toutefois, souvent été pleine de contradictions. La nationalisation a souvent voulu dire que l’Etat achète la majorité des actions laissant l’ancien propriétaire comme actionnaire minoritaire. Cela a été le cas, par exemple, pour la chaîne de supermarchés franco-colombienne Exito, laquelle a reçu beaucoup d’attention dans les médias.
Les contradictions entre les discours et les actions sont dû à certains facteurs qui sont en interaction :
- Premièrement, Chavez n’a pas de stratégie cohérente, mais réagi aux différentes crises au fur à mesure qu’elles apparaissent.
- Deuxièmement, il a établi des alliances avec des éléments de la bourgeoisie nationale, la « Boli-bourgeoisie » et ne s’attaque à ces bourgeois que quand ceux-ci rompent les relations ou si les contradictions deviennent trop fortes.
- Troisièmement, Chavez est influencé par ses « amis » étrangers, de Cuba jusqu’au Brésil et la Chine, de l’Iran à la Russie. Ceci autant idéologiquement, comme c’est le cas avec Cuba, mais aussi à travers différentes transactions commerciales avec la Chine, la Russie, etc. Par exemple, quand les travailleurs de l’ancienne aciérie d’Etat SIDOR demandèrent la renationalisation, Chavez refusa d’abord comme il ne voulait pas offenser le gouvernement argentin, principal propriétaire.
- Dernièrement, et ceci n’est pas le moindre des facteurs, Chavez règne à travers une couche de bureaucrates, laquelle a ses propres intérêts et sabote souvent les programmes publics.
Chavez est forcé de s’attaquer à la bureaucratie et de nationaliser certaines entreprises, mais il n’est pas capable d’éliminer la bureaucratie tout entière, comme son pouvoir repose sur celle-ci. Il ne fait pas confiance à la puissance de la classe ouvrière et à ses organisations indépendantes, qui sont pourtant les seules forces capables de s’en prendre à la bureaucratie.
Ceci conduit à une politique marquée par des tournants soudains et des changements abrupts, alors que le système capitaliste persistant et la mauvaise gestion de la bureaucratie étouffent l’économie. Dans ce contexte, les interventions de Chavez contre les capitalistes et les bureaucrates se font erratiques et arbitraires, puisqu’il s’attaque à d’anciens alliés.
La seule force capable de changer cette situation pour le mieux est la classe ouvrière organisée. Mais la bureaucratie rejette l’organisation et la lutte indépendante des travailleurs comme celles-ci représentent une menace pour leur pouvoir.
La lutte croissante de travailleurs de ces derniers temps a été l’objet de répression de la part de l’Etat et de la bureaucratie, une répression aggravée par les déclarations de Chavez que tous ceux qui font preuve d’opposition sont des "laquais de l’impérialisme". Des travailleurs en lutte font souvent face à une répression policière féroce. Plusieurs syndicalistes ont été tués, comme dans le cas de deux travailleurs qui ont trouvé la mort l’an dernier quand la police a tenté de briser l’occupation de l’usine de pièces de voitures Mitsubishi. A de nombreuses occasions, les travailleurs ont lutté pour la nationalisation des entreprises qui refusaient de leur donner des conditions décentes et, souvent, ils ont posé la question de la nécessité du contrôle ouvrier.
D’après Socialismo Revolucionario (section du Comité pour une Internationale Ouvrière au Venezuela), durant les dernières années, les travailleurs ont pris le contrôle de plus de 300 lieux de travail. Les travailleurs ont parfois reçu un certain soutien de l’Etat mais, bien plus souvent, ils ont été abandonnés et leurs efforts ont fini en défaite. Cela a notamment été le cas avec la tentative d’instaurer le contrôle ouvrier à Sanitarios Maracay. Certaines tentatives couronnées par le succès, comme à ALCASA, INVEPAL et INVEVAL, démontrent le potentiel d’un autre système qui ne repose pas sur le profit privé. Dans certaines entreprises, les travailleurs ont élus les plus hauts agents exécutifs.
Chavez a exprimé son soutien pour le contrôle ouvrier, mais la bureaucratie ne lâchera pas son pouvoir et ceci pose des limites à ces expériences. Malgré tous les discours sur la nationalisation et le "socialisme", l’Etat, d’après Chavez lui-même, ne contrôle que 30 % de l’économie, et seulement 26 % du secteur bancaire est aux mains de l’Etat.
Durant ces derniers mois, en réponse aux problèmes et en guise de se préparer pour sa campagne électorale, Chavez a accentué sa rhétorique radicale et a commencé de parler de mener une "guerre" contre "la bourgeoisie". Mais si la rhétorique n’est pas suivie d’actions réelles, l’effet peut être un scepticisme croissant, contre le "Socialisme du 21e siècle". Heinz Dietrich remarque dans son interview que "la conséquence logique de ceci est que le concept devient une banalité, ce qui pousse les gens à le rejeter." Il n’est pas à exclure que Chavez – si la crise s’approfondit, avec plus de sabotages de la part des capitalistes et plus de pression d’en bas – sera forcé d’aller plus loin avec les nationalisations. Il est difficile de dire jusqu’où il pourra aller dans cette direction.
Nous ne vivons plus dans un monde avec un bloc Stalinien, lequel pourrait permettre à Chavez de rompre avec le capitalisme et d’instaurer un système bureaucratique d’après le modèle de Moscou. Aujourd’hui, même Cuba se dirige en direction de la voie chinoise et s’ouvre à l’économie de marché, même si le processus est encore lent et ne suit pas une ligne droite. Il est possible pour le Venezuela de nationaliser une grande partie de son économie sans pour autant abolir le capitalisme. Durant la Révolution Portugaise de 1974-1975, l’Etat contrôlait presque 80 % de l’économie avant que le processus ne se dirige dans la direction inverse.
À l’intérieur du parti de Chavez, le PSUV (le Parti Socialiste Unifié du Venezuela), l’aile droite et la bureaucratie sont au pouvoir. Au début du mois de mai, le nombre impressionnant de 2,5 millions de membres du parti prirent part aux élections primaires, mais de nombreux militants de base se sont plaints que les candidats à la direction du parti disposaient de beaucoup plus de moyens pour mener leur campagne et qu’en fin de compte, ils ont presque tous été élus.
Il est encore trop tôt pour dire quel sera le résultat des élections. Néanmoins, malgré les plus faibles résultats dans les sondages de Chavez, ses opposants de droite ne bénéficient que de peu de soutien. Par ailleurs l’appareil d’Etat tout entier sera utilisé pour favoriser la candidature de Chavez. Le plus grand danger pour Chavez est une hausse de l’abstentionnisme, comme lors du référendum de 2007 concernant la modification de la Constitution.
Socialismo Revolucionario lutte pour des organisations des travailleurs indépendantes et en faveur d’une alternative socialiste, contre la vielle élite mais aussi contre la nouvelle élite bureaucratique qui étouffe le processus révolutionnaire.