Tag: Syrie

  • Seule l’unité des travailleurs peut mettre fin au terrorisme, aux divisions et à la guerre

    protestparisLes atrocités commises par l’Etat Islamique (Daesh) à Paris le vendredi 13 novembre sont l’une des pires attaques commises en France depuis la Seconde Guerre mondiale. Il y a dix mois, les attaques menées contre Charlie Hebdo et un supermarché casher avaient suscité choc et indignation. Ces derniers meurtres déplorables ont abasourdi et consterné la population en raison du plus grand nombre de victimes et de la nature plus aveugle des attentats. La jeunesse de sortie le vendredi soir a particulièrement été touchée.

    Par Jenny Brooks, Socialist Party (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et au Pays de Galles)

    Il s’agissait de la quatrième attaque terroriste liée à Daesh en deux semaines à peine, la suite des 224 décès de l’avion russe et des attentat-suicides de Beyrouth et Bagdad qui ont tué 61 personnes.
    Daesh veut cibler les pays ou les communautés opposées à son existence et à son développement, y compris parmi les musulmans. Les récentes attaques sur des Français et des Russes ont été justifiées par Daesh en raison des frappes aériennes lancées par ces deux pays en Syrie. Des gens ont donc été aveuglément abattus pour les crimes commis par leurs gouvernements, ces derniers n’agissant qu’en fonction de la défense des intérêts des classes dirigeantes.

    A la suite de ces attaques, François Hollande a déclaré l’état d’urgence et ordonné une nouvelle offensive, de plus grande ampleur, pour bombarder la ville de Raqqa en Syrie, qui est aux mains de Daesh, avec l’assistance des États-Unis. Leurs missiles de haute technologie qui infligent sans distinction une terreur de masse ainsi que nombre de décès et de blessés parmi les civils et les membres de l’organisation terroriste ne pourront pas prévenir que d’autres attaques terroristes soient commises en Occident.
    La situation catastrophique actuelle en Afghanistan et en Irak, avec l’émergence de Daesh en Irak et e Syrie, découle directement de la «guerre contre le terrorisme» lancée par George Bush après les attentats du 11 septembre 2001.

    Lorsqu’il s’est vu confronté à une révolte populaire de masse contre sa dictature en 2011, le président syrien Assad a volontairement attisé les tensions sectaires selon le principe de «diviser pour régner». Tout en s’opposant à Assad, les puissances occidentales craignaient également les soulèvements de masse qui ont pris place au Moyen Orient et en Afrique du Nord et menaçaient les régimes qui leurs sont dévoués. De même que leurs alliés réactionnaires des pays du Golfe, elles ont financé et armé l’opposition djihadiste à Assad. Cela a soutenu le développement de Daesh, avec l’exploitation des divisions sectaires et le sort des masses sunnites en Syrie et en Irak, jusqu’à ce que cette organisation contrôle aujourd’hui un territoire égal à la superficie de la Grande-Bretagne.

    Les bombardements des puissances impérialistes occidentales (et des forces d’Assad) aident Daesh à recruter à mesure que les images d’enfants déchirés par les missiles circulent au Moyen-Orient et dans le reste du monde. Pourtant, le discours révoltant de nombreux politiciens et médias capitalistes – dont cette semaine le journaliste Patrick Cockburn habituellement plus astucieux – affirme que Daesh ne peut être vaincu que par plus de bombardements militaires.

    Parmi eux se trouve David Cameron, qui depuis longtemps désire que les bombardements britanniques des positions de l’Etat Islamique en Irak soient élargis à son territoire syrien. Ce qui le retient encore, ce sont les divisions qui existent au sein de la classe dirigeante quant à la stratégie à adopter ainsi que le souvenir de sa défaite humiliante de 2013 au Parlement, quand il avait été empêché de bombarder les forces d’Assad. Il avait cependant autorisé l’assassinat par drone de deux djihadistes britanniques en Syrie en septembre et, maintenant, les attentats de Paris pourraient être instrumentalisés pour tenter de construire un soutien pour de nouvelles incursions.

    Le président nouvellement élu du parti travailliste, Jeremy Corbyn, a correctement argumenté contre les bombardements en Syrie en disant que cela n’apporterait que plus de chaos et qu’il est nécessaire de se poser des questions au sujet de ce qui alimente le conflit : « Qui arme l’Etat Islamique ? Qui assure qu’il puisse disposer de ports sûrs? Pour répondre, il faut poser demander qui vend des armes dans la région.»

    Des terroristes «formés localement»

    Les auteurs des attentats de Paris comprennent des terroristes français et belges. Comme David Gardner l’a souligné dans le Financial Times: «Même si une majorité solide des musulmans sunnites sont hostiles à l’Etat Islamique, les djihadistes ont encore deux grandes sources de recrues potentielles : les réfugiés désespérés aux frontières de la Syrie et les musulmans mécontents en Europe.»

    La France comprend la plus grande population musulmane d’Europe occidentale et elle a connu le plus grand exode d’un pays européen pour rejoindre les rangs djihadistes (plus de 1500 personnes). Concentrée dans les grandes cités des banlieues, la jeunesse musulmane française souffre de discriminations racistes, nombreux sont ceux qui se sentent aliénés et plus de 40% des jeunes musulmans sont au chômage. En Belgique, il existe aussi un taux de chômage élevé, de même qu’en Grande-Bretagne.

    Ce sont l’inégalité, le racisme, les guerres et le manque d’opportunités dans le système capitaliste qui sont derrière la «radicalisation» islamique en France. Le Centre de Prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI) a estimé que 80% des citoyens français ayant des croyances «islamistes radicales» proviennent de familles non-religieuses.

    En Europe, l’Etat Islamique se nourrit des griefs et de la colère légitimes, particulièrement chez les jeunes musulmans. Son objectif est de diviser les communautés à travers la prédication d’un absolutisme religieux et en utilisant la terreur dans le but de renforcer sa base de soutien et sa fortune. Au plus ses attaques conduisent les politiciens de droite et d’extrême-droite à pointer du doigt tous les musulmans et les réfugiés, au plus il peut utiliser le mécontentement de la population musulmane.

    Contrer la menace terroriste

    Il est impossible que les puissances impérialistes parviennent à complètement détruire l’organisation djihadiste. Son affaiblissant sous les coups militairement portés ne sera pas de nature à dissuader de nouveaux djihadiste et groupes sectaires, comme cela se passe à travers le monde de toute façon. Vaincre Daesh ne peut être que le fait de la classe ouvrière et des pauvres en Irak et en Syrie. Ils doivent lutter ensemble au-delà des divisions sectaires contre toutes les forces réactionnaires locales, contre toutes les formes d’oppression et contre les forces réactionnaires plus éloignées.

    Le terrorisme ne sera pas bloqué par les mesures de «sécurité» et de surveillance des autorités. Les cibles potentielles sont beaucoup trop nombreuses. En Grande Bretagne et en France, des appels sont lancés pour accroître les pouvoirs de l’armée. Cela sera par la suite utilisé contre les luttes sociales et les actions ouvrières.

    La déclaration d’Etat d’urgence en France, y compris avec interdiction des manifestations de masse, est une mesure bien commode pour Hollande dans la mesure où beaucoup de personnes sont en colère contre lui à la suite de ces attaques et que son soutien baisse. Malheureusement, une importante partie de ces critiques ont été le fait de l’impact des attaques de la droite et de l’extrême droite, qui essayent de capitaliser sur ces attaques terroristes, plutôt que de l’action de la gauche. La défense d’une alternative socialiste n’a pourtant jamais été plus urgente.

    En France, en Grande-Bretagne et ailleurs, le mouvement des travailleurs a besoin de développer ses positions sur base d’une indépendance de classe, en fonction de ses propres intérêts et en totale indépendance des intérêts et de l’hypocrisie des gouvernements capitalistes et des classes dirigeantes. Cela doit comprendre l’unité d’action des travailleurs contre le terrorisme, les guerres et le système capitaliste lui-même, un système de plus en plus marqué par les inégalités et par son incapacité à satisfaire les besoins de l’écrasante majorité de la population.

    La transformation socialiste de la société est non seulement souhaitable, mais aussi est de vie ou de mort pour certains, comme les évènements de Paris le montrent tragiquement. La meilleure riposte est de rejoindre la lutte pour l’organisation démocratique des travailleurs et pour la défense des idées socialistes, ce à quoi sont engagées toutes les sections du Comité pour une Internationale Ouvrière.

  • Pourquoi 11 millions de Syriens se sont enfuis

    syriaLa stratégie occidentale d’interventions au Moyen Orient a complètement échoué

    Après plus de quatre ans de guerre civile sanglante en Syrie, la fin des souffrances n’est toujours pas à l’horizon. Un quart de million de personnes sont mortes et onze million d’autres ont fui. Ce conflit sectaire risque d’entraîner le reste de la région dans une spirale de violence.

    Article tiré de l’édition de novembre de Lutte Socialiste

    La crise des réfugiés entraine un nouveau débat concernant une éventuelle intervention militaire dans le pays. Wouter Beke (CD&V) estime que cela doit être considéré. Mais cela ne mettra pas un terme au cauchemar vécu par la population syrienne. Des nouvelles interventions militaires augmenteront inévitablement le nombre de morts et celui des réfugiés. L’instabilité croissante en Turquie (voir ci-dessous) peut elle aussi conduire à un nouvel afflux de réfugiés, ce pays comprenant jusqu’ici 2,2 millions de réfugiés syriens.

    Les interventions militaires aggravent la situation

    Les interventions désastreuses en Irak, en Afghanistan et en Lybie de même que l’opinion publique anti-guerre en Europe ont assuré que la Belgique n’ait pas encore été impliquée dans la guerre en Syrie. La crise des réfugiés est cyniquement utilisée pour tourner cette situation, ce qui ne servirait qu’à soutenir l’impérialisme américain en Syrie et Irak.

    Mais, comme le journaliste Patrick Cockburn le faisait remarquer dans The Independent (3 octobre): “La campagne menée par les Etats-Unis contre l’Etat Islamique n’a pas fonctionné. Les militants islamistes n’ont pas disparu suite aux attaques aériennes. Dans les territoires de Syrie et du Kurdistan irakien, ils résistent ou gagnent encore du terrain. Il y a quelque chose de bizarre avec tout ce débat concernant le soutien à la campagne aérienne en Syrie : personne ne semble remarquer que cela a totalement échoué.’’

    Les attaques aériennes en Irak et en Syrie, qui durent depuis plus d’un an, ont coûté 2,7 milliards de dollars et ont entrainé des centaines de morts. L’Etat Islamique (Daesh) contrôle toujours au moins la moitié de la Syrie et un tiers de l’Irak. Ainsi, la ville irakienne de Ramadi est encore tombée entre ses mains en mai dernier. Le mois précédent, 165 attaques aériennes avaient frappé les positions de Daesh autour de cette ville. Cinq mois plus tard, la ville est toujours en sa possession.

    Le gouvernement irakien dominé par les chiites essaye de reconquérir la ville en faisant appel aux milices chiites. Mais Ramadi est principalement sunnite et la population craint des actes de représailles sectaires à grande échelle si la ville tombe aux mains du gouvernement. Quand la ville de Tikrit a été reprise à Daesh par des milices chiites, des exécutions massives de sunnites ont eu lieu sous la fausse accusation d’être des membres de Daesh. Des milliers d’habitants se sont enfuis.
    L’impérialisme a conduit au cauchemar dans cette région. Après des décennies d’interventions militaires, de politique de diviser-pour-mieux-régner, de soutien aux dictatures et de flirt avec les forces djihadistes, l’Irak et la Syrie sont en ruines. Cela renforce le repli religieux sectaire et la guerre civile. Cela confirme aussi ce que nous avions défendu lors de l’invasion de l’Irak en 2003, à savoir que cette guerre ne pouvait pas conduire à autre chose qu’aux conflits régionaux et aux troubles sectaires.

    La nécessité de la lutte de masse

    En 2011, le soulèvement qui a pris place a commencé comme une véritable révolte contre la dictature d’Assad. Mais les choses ont changé suite à l’intervention de forces réactionnaires étrangères qui voulaient à tout prix mettre un terme à la vague révolutionnaire qui déferlait sur la région: les régimes dictatoriaux d’Arabie saoudite et du Qatar de même que les puissances impérialistes. Daesh est l’une des terribles conséquences de ce processus.

    Les tentatives de développer une Armée Syrienne Libre pro-occidentale ont échoué. Les livraisons d’armes ont directement alimenté Daesh. En réalité, les États-Unis n’ont pas de partenaire fiable en Syrie. Le rôle agressif de Daesh a rendu nécessaire aux Etats-Unis de faire quelque chose. Mais comme le fait remarquer le journaliste Patrick Cockburn : ‘‘les Etats-Unis ne bombardent pas l’Etat Islamique dans les zones de Syrie où le groupe djihadiste combat l’armée syrienne.’’ (The Independent, 30 septembre).
    L’impérialisme américain reste la plus grande puissance au monde, mais son étoile pâlit. En voulant être le gendarme du monde, il est allé droit dans le mur comme l’illustre le cas syrien. Cela a donné au président russe Vladimir Poutine la confiance suffisante pour intervenir et soutenir Assad.

    L’impérialisme américain est ainsi pris entre les régimes sunnites qui financent les combattants opposés à Assad et l’Iran chiite, qui a envoyé 15.000 soldats soutenir Assad, désormais aux côtés de la Russie.
    Cela ne signifie toutefois pas que Daesh ne peut être vaincu. Les faiblesses sous-jacentes au groupe djihadiste ont été démontrées par les victoires militaires remportées par les troupes majoritairement kurdes YPG et YPJ au nord de la Syrie. Les combattants kurdes ont démontré que lier le conflit militaire à un appel à la libération nationale et au changement social peut arracher des victoires. Ces succès sont cependant largement basés sur une guérilla héroïque plutôt que sur la mobilisation démocratique des masses par-delà les frontières ethniques ou religieuses. Cela peut comporter certains risques, comme semblent l’indiquer des allégations d’Amnesty International et de Patrick Cockburn selon lesquelles il y aurait eu des cas d’expulsion de non-Kurdes de divers territoires. Le YPG dément ces accusations mais, sans rompre avec le capitalisme et l’impérialisme, les divisions ethniques et religieuses sectaires menaceront toujours de réémerger.

    L’unité des travailleurs et des pauvres est nécessaire en Irak et en Syrie. Les peuples kurde et autres ne peuvent compter que sur leur propre auto-organisation pour mettre fin à ce cauchemar. Des comités unitaires d’auto-défense seront cruciaux pour protéger les minorités et peuvent également représenter un important levier pour construire un mouvement de lutte pour le socialisme. Une opposition conséquente à toutes les forces impérialistes, aux régimes réactionnaires locaux et aux escadrons de la mort sectaires ainsi que la défense du droit à l’autodétermination de toutes les communautés, un mouvement pourrait bénéficier d’un écho de masse parmi les travailleurs de la région et du reste du monde. D’autre part, les organisations de gauche dans le reste du monde doivent lutter contre les interventions impérialistes au Moyen-Orient.

  • Aylan, mort en essayant d’échapper à la barbarie – plus qu’un «drame», un assassinat

    Syrian_migranBoyLes images terribles d’enfants morts noyés sur les côtes turques après l’échouage du canot pneumatique qui n’a pu les emmener en Europe font le tour du monde, et entraînent tristesse, colère et révolte. Dans ce monde si développé, des enfants meurent ainsi pour échapper à la guerre, à la misère et à l’oppression, tandis que d’autres travaillent à s’en tuer dans des mines, des fabriques ou des champs.

    Gauche Révolutionnaire (CIO-France)

    L’Europe, si prompte à sauver les banques du naufrage en déversant des milliards d’euros ne pourrait pas accueillir ces hommes, femmes et enfants qui fuient la barbarie ? L’Europe est plus prompte à écraser des pays comme la Grèce, à mener des politiques d’austérité créant des millions de chômeurs ou à soutenir des régimes dictatoriaux et corrompus au Moyen Orient et en Afrique.

    Et quand les camps de réfugiés au Liban, en Turquie (presque 3 millions de réfugiés pour ces deux seuls pays) et ailleurs demandent qu’on augmente l’aide dont ils ont besoin, c’est silence radio.

    Les guerres menées à travers le monde pour s’accaparer gaz, pétrole et autres richesses ont plongé des pays entiers dans le chaos chassant des millions de personnes de leur maison et de leurs terres.

    Les vrais responsables : les capitalistes et les gouvernements à leur service

    Non ce ne sont pas les « passeurs » qui ont tué Aylan, les autres enfants et quelques 3000 autres réfugiés cette année. Les passeurs ne sont que les vautours qui viennent se servir des dépouilles des pays que les USA et l’Europe ont bombardé ces 25 dernières années. Aylan venait de Kobanê, la petite ville du Nord de la Syrie qui a résisté à Daesh (l’Etat Islamique) et vaincu Daesh le 24 janvier dernier. Pendant ce temps, Hollande soutenait Erdogan, le président turc, qui soutenait Daesh et empêchait l’aide de passer la frontière turque vers Kobanê. Et Fabius et l’administration Obama parlent désormais de collaborer avec le Front Al Nosrah en Syrie. Et s’ils en parlent maintenant, c’est en fait qu’ils collaborent déjà avec cette branche d’Al Qaïda – qui est en gros du Daesh un peu moins salé – et qu’ils préparent le terrain pour rendre cela public. Et dans cette valse sur le dos des peuples, il y a la vente de Rafale au Qatar (le premier soutien de Daesh), les invitations au roi Saoudien (soutien de Daesh lui aussi) et le soutien aux dictateurs et aux états guerriers de la région, à commencer par l’Etat israélien.

    C’est de cela que cet enfant et 3000 autres personnes avec lui cette année sont morts, de ces politiques impérialistes qui sèment la mort et la destruction pour le profit des grosses firmes capitalistes. L’image est insoutenable, insupportable, car elle est l’expression la plus terriblement nue de la réalité du capitalisme et de la révolte qui doit nous envahir et nous animer pour mettre fin à ce système barbare.


     

    Bruxelles. Manifestation “Refugees Welcome”

    Organisée par la Plateforme citoyenne de solidarités avec les réfugiés

    “Plus de 35.000 personnes disparues depuis janvier 2015. Une Europe-forteresse qui se dresse face aux parcours de milliers migrants et ce depuis trop de trop longues années. Ne les laissons pas parler en notre nom. La solidarité avec les migrants n’a jamais été aussi importante chez les citoyens. Maintenant, allons faire plus de bruit que ces discours haineux.”

    Les modalités d’actions et les revendications de ce rassemblement seront débattues et validées lors d’une assemblée générale qui aura lieu ce dimanche 6 septembre, 16h, Parc Maximilien à Bruxelles.

    => Page Facebook de l’évènement

     

  • Kurdistan : Les dirigeants du PYD appellent à un partenariat avec le régime de Bachar al-Assad.

    PYD_rojavaN’accordons aucune confiance aux dictateurs et aux puissances occidentales!

    La campagne aérienne massive menée par le régime turc d’Erdogan contre les bases du PKK kurde et les réactions subséquentes du PYD (le parti de l’union démocratique), organisation-soeur du PKK au nord de la Syrie, a entrainé d’importantes questions en relation avec la stratégie révolutionnaire, d’une manière plus précise que jamais.

    Par Serge Jordan, Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO)

    Depuis l’été 2012, le PYD contrôle plusieurs régions à majorité kurde du nord de la Syrie, suite au retrait des troupes syriennes de ces endroits. Le régime de Bachar al-Assad avait ainsi procédé afin de concentrer ses forces armées sur l’avance des groupes armées sunnites dans d’autres parties du pays, permettant ainsi au PYD de remplir le vide.

    Ce changement de pouvoir au bénéfice du PYD, une force politique réceptive au sort des masses kurdes, et le contrôle du parti sur ce qui est à présent connu comme le territoire des cantons Rojava, a initié une vague d’enthousiasme au sein de la population kurde, tant en Syrie qu’internationalement. Il s’agissait d’un développement bienvenu pour la majorité des Kurdes qui ont souffert sous le joug de la dictature d’Assad des années durant et qui se sont vus refuser des droits parmi les plus basiques, comme de ne pas pouvoir utiliser leur propre langue en public, par exemple.

    Depuis lors, les unités armées du PYD (le YPG et le YPJ) ont suscité l’admiration de millions de de personnes grâce à leur bravoure incontestée au combat contre les actions réactionnaires de Daesh, l’Etat Islamique, et grâce à leurs bataillons de femmes combattantes. Leur tentative déclarée de construire un système alternatif de gouvernance, basé sur l’harmonie entre diverses religions et communautés ethniques, en plein milieu d’une zone de guerre sectaire a également eu un impact galvanisant sur beaucoup de jeunes et d’activistes kurdes et de gauche à travers le monde entier.

    Cependant, depuis le début, une zone grise existant concernant l’attitude que prendrait le PYD face au régime d’Assad. Il faut souligner que, durant environ deux décennies à partir de sa création en 1978, l’équivalent du PYD en Turquie, le PKK, a profité d’une coopération avec le régime d’Assad et recevait même des fonds de sa part avant que ce régime ne se retourne finalement contre le PKK. La nature exacte de la relation entre le PYD et le régime d’Assad est restée nébuleuse ces dernières années, mais il est clair que le PYD a préféré éviter toute confrontation avec l’armée syrienne.

    Dans certaines partie de Rojava, comme par exemple à Qamishli et Hassakah (deux des villes les plus importantes de la zone), alors que le régime d’Assad a retiré la plus importante partie de son personnel de sécurité, ce dernier a continué de payer les services gouvernementaux, en assurant les salaires des employés d’Etat, en procurant des fonds à l’administration locale et en faisant fonctionner les bureaux administratifs locaux. Le programme scolaire est resté le même que sous le régime d’Assad, les étudiants suivant le cursus approuvé par le parti Baas anciennement au pouvoir.

    Au même moment, au fur et à mesure de la croissance de l’Etat Islamique, une collaboration militaire a été établie l’an dernier entre le PYD et l’impérialisme américain. Sans faire de de l’aide militaire en soi une question de principe, particulièrement dans le contexte des tueries perpétrées par les fanatiques de l’Etat Islamique, le CIO (Comité pour une Internationale Ouvrière) a averti des dangers politiques qui se cachent derrière une telle collaboration. Parmi eux se trouve tout spécialement la perception que cela peut entrainer parmi les millions de personnes au Moyen Orient qui ont souffert, et souffrent toujours, des interventions sanglantes de l’impérialisme américain.

    « Aucune illusion ne devrait être créée dans le rôle de l’impérialisme occidental, dont les actions ne vont faire qu’empirer les divisions religieuses sectaires (…) L’Histoire du peuple kurde a démontré que les puissances impérialistes et les élites capitalistes ne sont pas amies de la lutte du peuple kurde pour une libération nationale. » (socialistworld.net, ‘Kurdistan : the battle for Kobanê – 02/10/2014).

    De manière plus générale, nous avons averti des dangers d’une stratégie basée sur la recherche de la « bienveillance » des puissances capitalistes au lieu de rechercher le soutien de la classe des travailleurs par-delà les frontières, sur base d’un appel clair pour un programme socialiste, basé sur une mobilisation d’indépendance de classe contre ces puissances.

    Il n’est pas possible de simultanément essayer de concrétiser la solidarité multi-ethnique et l’émancipation sociale et de coopérer avec des forces qui exacerbent la guerre sectaire dans la région et qui, au travers de leurs actes, conduisent les Arabes sunnites aux mains de l’Etat Islamique.

    Nous avons aussi souligné que la « bienveillance » de l’impérialisme occidental et du régime d’Assad envers le PYD était le produit de circonstances plus que de n’importe quoi d’autre : Rojava a bénéficié d’un rapport de forces précaire parce que les élites régionales et occidentales avaient un poisson plus gros à pêcher : l’Etat Islamique.

    Cependant, au cours de ces deux dernières semaines, d’importants changements ont pris place, qui peuvent potentiellement altérer cet équilibre précaire. Les États Unis ont décidé de fermer les yeux face à l’escalade des interventions militaires de l’armée turque contre les bases du PKK en Turquie et dans le nord de l’Irak. Ce silence américain a été acheté par Erdogan, qui a offert de permettre aux forces américaines d’utiliser les bases aériennes turques pour bombarder les bases de l’Etat Islamique.

    Cette dernière manœuvre démontre, une fois de plus, que l’impérialisme américain utilise le sort et le combat des Kurdes comme des pions et qu’il est prêt à les poignarder dans le dos à la première opportunité. Exhibant son hypocrisie nauséeuse, le gouvernement américain a unilatéralement appelé le PKK à « arrêter la violence » en Turquie, en justifiant comme de « l’autodéfense » les raids intensifs de l’armée de l’air turque contre les cibles du PKK. De nombreux civils sont déjà morts.

    C’est dans ce contexte que durant la dernière semaine, plusieurs officiels du PYD basés en Syrie ont affirmé que le gouvernement d’Assad pouvait être considéré comme un collaborateur. Un dirigeant du PYD, Salih Muslim, a même déclaré que « sous de bonnes conditions » le YPG, « peut rejoindre l’armée syrienne ». Idriss Nassa, autre dirigeant expérimenté du PYD à Kobanê, a affirmé que son parti pouvait s’allier avec le régime d’Assad, « s’il se dévoue à un avenir démocratique ».

    En prévision du fait que ses relations avec les Américains pourraient être mises à rude épreuve à la suite des récents événements en Turquie, la direction du PYD tente provisoirement de se réorienter vers Assad, désespérée, semble-t-il, de ne pas vouloir parier sur un seul cheval.

    La lutte du peuple de Rojava doit sécuriser le soutien populaire dont il a un besoin critique, au-delà des divisions sectaires et des frontières de Rojava. Dans cette optique, l’approche de la direction du PYD est une stratégie vouée à l’échec. Ces appels en direction d’Assad ne passeront pas bien auprès des millions de personnes qui souffrent sous les bombes d’Assad ou qui sont torturés par les milices shabiha (milices en tenue civile aux ordres du parti Baas). Au sein de la communauté kurde elle-même, nombreux sont ceux qui n’ont pas oublié que le régime d’Assad a, avant la guerre, violemment opprimé les Kurdes et a nié leur identité pendant des décennies en Syrie.

    Le socialiste américain John Reed, a déclaré un jour que « quiconque prend les promesses de l’Oncle Sam comme vérité les payera en sang et en larmes». Les Kurdes l’ont appris de la manière forte, à de nombreuses reprises. Ces propos de John Reed au sujet de « l’Oncle Sam » valent également pour les régimes sectaires et autoritaires pro-capitalistes tels que celui d’Assad. Si Assad remporte la victoire, il ne fait aucun doute qu’il retournera sa brutalité contre les Kurdes. Que feront alors les dirigeants du PYD ?

    Ce ne serait pas faux en soi d’essayer d’exploiter les divisions entre les différentes forces dirigeantes afin de renforcer la lutte des masses. Mais qu’importe la tactique, elle doit être subordonnée à une stratégie claire, avec l’objectif conscient d’exposer les ennemis pour ce qu’ils sont à chaque étape, sans se nourrir d’illusions quant à leurs intentions. Les socialistes défendent la mobilisation indépendante des travailleurs comme premier facteur de changement. Malheureusement, les dirigeants du PYD ont une approche totalement différente de la politique.

    Ils ont une politique à court terme basée sur le fait de balancer entre les différentes puissances capitalistes, qui toutes ont déjà démontré leur dédain pour les masses kurdes. Ceci représente une erreur majeure et un obstacle objectif afin de construire une solidarité non-sectaire entre les populations exploitées en dehors de Rojava, que ce soit de par le régime d’Assad ou bien des forces de l’air Américaines. Ceci risque d’exacerber les tensions sectaires dans la région.

    Seule une stratégie qui a comme but un programme consistant pour une unité de la classe des travailleurs et pour des droits démocratiques pour tous les peuples de la région, sans la moindre confiance envers les puissances impérialistes et les dictateurs de la région, représente une issue face à la catastrophe actuelle.

  • Irak/Syrie. L'Etat Islamique à Ramadi et Palmyra. Comment stopper les milices sectaires?

    ramadi-300x177Quelques jours après que l’État islamique (EI) ait capturé Ramadi, la capitale de la province d’Anbar en Irak, la ville syrienne de Palmyre a aussi été conquise par les djihadistes sunnites. Dans les deux pays, l’offensive de l’EI a à nouveau provoqué un affaiblissement de l’armée, un afflux de réfugiés nationaux et a renforcé les positions de l’EI.

    Article de Niall Mulholland

    Selon le régime de Bagdad et le gouvernement des États-Unis en Irak l’EI était censé être dans une position défensive. Il y a quelques mois, l’EI avait été défait par une combinaison de résistance kurde et des frappes aériennes US menées autour de Kobané dans le nord de la Syrie et avait également été expulsé de Tikrit dans le centre de l’Irak. L’EI avait cédé environ 20.000 kilomètres carré de territoire dans le nord de l’Irak.
    Les bombardements des forces occidentales a affaiblit l’EI mais cela ne constitue pas une alternative aux forces armées terrestres en Irak qui sont complètement inefficaces et corrompues. Comme lors de la chute dramatique de la ville de Mossoul l’année passée, les soldats irakiens ont de nouveau fuit dès l’assaut de l’EI sur Ramadi. Ils ont laissé derrière eux artillerie et munitions. L’EI a ensuite attaquer la ville d’Husaibah près de Ramadi. La politique des États-Unis de reconstruire l’armée irakienne pendant qu’il la soutient par les frappes aériennes, est en train d’échouer. De même que le projet de faire entrer les tribus sunnites en résistance contre l’EI.

    Les « troupes d’élite» syriennes qui restent fidèles au président Bachar al-Assad devaient défendre les grandes exploitations pétrolières au nord de Palmyre. Mais à peine le combat commencé, elles se sont rendues. Encore une fois, d’importants stocks de munitions sont tombés aux mains de l’EI. Celui-ci contrôlerait désormais plus de 50% du territoire syrien.

    Les victoires de l’EI sont moins dues à sa force propre qu’à la faiblesse de l’Etat en Syrie et en Irak. Le régime d’Assad a pratiqué une politique de discrimination brutale de la majorité sunnite depuis des années. Et le régime dominé par les chiites à Bagdad est craint et haï par la minorité sunnite du pays.

    La chute de Ramadi et celle de Palmyre sont au sommet d’une longue liste de catastrophes humanitaires dans les deux pays. Plus de 25.000 personnes ont fui Ramadi, un tiers des 200 000 habitants de Palmyre ont fui la ville. Ceux qui restent sont confrontés à la barbarie de l’EI. On a pu ainsi voir sur les médias sociaux les nombreux corps de ceux qui ont été exécutés dans la rue. Le patrimoine mondial reconnu par l’UNESCO à Palmyre est menacé. Il y a quelques mois, l’EI a détruit des sites antiques en Irak.

    Le gouvernement irakien est maintenant dépendant des milices chiites pour contrecarrer l’EI, reprendre Ramadi et le reste de la province à majorité sunnite d’Anbar. Cela va accroître les tensions sectaires et les atrocités. Human Rights Watch a signalé que les milices chiites et les troupes irakiennes se sont rendues coupables de crimes de guerre, de pillage, de torture et d’exécutions arbitraires de sunnites alors qu’ils entraient dans la ville d’Amerli que l’EI a repris en septembre. Les méthodes barbares de l’EI sont fermement condamnées par les gouvernements occidentaux, mais les actes tout aussi barbares des alliés chiites des États-Unis en Irak sont à peine évoqués. Dans les cercles dirigeants des États-Unis, il y a un débat sur la façon dont l’EI doit être abordée. Il y a environ 5.000 soldats américains en Irak en tant que «conseillers spéciaux». A Washington, certains réclament une forte augmentation des contingents de troupes au sol. Mais Obama est défavorable à une plus grande implication des États-Unis dans une guerre terrestre prolongée, sanglante et coûteuse en Irak. D’autant qu’il n’y a aucune garantie de succès.

    En Syrie, les Etats-Unis ont soutenu les soi-disant rebelles «modérés» avec des frappes aériennes à la fois contre l’EI et le régime d’Assad. Ils ont dépensé environ 500 millions de dollars pour former les rebelles. Compte tenu de l’inefficacité de la plupart des rebelles anti-Assad, une grande partie de cette aide américaine est en réalité tombée dans la poche de la branche locale d’Al-Qaïda, Al Nusra.

    Contradictions des politiques occidentales

    Les énormes contradictions et l’hypocrisie des politiques occidentales et américaines dans la région sont le résultat de plus de dix ans d’agressions impérialistes, de guerres illégales, d’occupations sanglantes et de bombardements de l’armée. Et ce, de la Libye à la Syrie. On estime que plus d’un million de personnes ont été tuées à la suite des actions menées par les États-Unis et d’autres puissances occidentales. La poursuite d’objectifs géostratégiques, notamment l’accès au pétrole et les bénéfices associés pour les grandes entreprises, sont au cœur de la politique occidentale dans la région. La vie des populations dans la région est totalement soumise à ces objectifs.

    La politique américaine dans la région depuis des années a été de «diviser pour régner», en opposant les sunnites contre les chiites. Cela a créé des monstres de Frankenstein, comme l’EI. Les forces djihadistes sunnites étaient initialement partie de l’insurrection sunnite contre le régime chiite soutenue par les Américains en Irak. Après le soi-disant “réveil” sunnite, une révolte des tribus sunnites contre le gouvernement local d’Al Quaïda. plusieurs djihadistes sont partis en Syrie, où ils ont joué un rôle dans la guerre civile en développement. Certaines de ces forces ont formé l’Etat islamique d’Irak et de Syrie en gagnant rapidement du terrain dans l’opposition à Assad, y compris grâce aux armes et au soutien des Etats réactionnaires du Golfe (qui sont des alliés des États-Unis).

    Le succès dans la lutte contre Assad et contre des forces djihadistes concurrentes a permis à l’EI de retourner en Irak où il a trouvé un soutien dans les régions sunnites accablées par des années de répression de l’Etat et de persécutions de la part du régime de Bagdad à majorité chiite.

    La spirale sanglante montre que sur la base du capitalisme et sous la domination des élites réactionnaires et des forces sectaires de plus en plus de conflits et de catastrophes humanitaires éclatent dans la région. Seule la population active de la région, relié au reste du mouvement ouvrier à travers le monde, peut trouver un moyen de sortir de ce cauchemar.

    Le potentiel pour cette alternative est apparu au cours du «printemps arabe», quand les dictateurs ont été renversés par des mouvements de masse des travailleurs et des pauvres en Tunisie et en Egypte. Mais ces mouvements réagissant contre des décennies de dictature n’avaient pas de direction ferme venant du mouvement ouvrier, une direction qui aurait pu mobiliser les masses et les organiser non seulement contre les dictatures, mais aussi contre le capitalisme. Le mouvement a laissé place à la contre-révolution qui pourrait à nouveau prendre le dessus avec le soutien des puissances occidentales. Cela a abouti au retour d’un régime militaire en Egypte et en Libye. En Syrie, le mouvement de masse a été détourné sur base de divisions sectaires ou réactionnaires ou de différents entre tribus.

    Insurrection

    La population active dans la région finira par revenir à la lutte de masse contre les dictateurs et toutes les forces sectaires. La haine profonde des sunnites contre le régime de Bagdad leur fait tolérer le règne de l’EI jusqu’à un certain point. Ils espèrent que cela peut conduire à la fin des persécutions de la part des chiites et que cela peut apporter un certain degré de «stabilité» et « d’ordre ». La vie quotidienne sous la barbarie du fondamentalisme sunnite finira par provoquer une opposition à l’EI. Le journaliste irlandais Patrick Cockburn a récemment publié un rapport sur la situation terrible dans laquelle les sunnites vivent en Irak dans la région contrôlée par l’EI. Les filles sont forcées de se plier à des “mariages djihadistes”, la musique et la danse sont interdites, de même que le fait de manger des oiseaux.

    Les travailleurs et les pauvres en Irak et en Syrie ne peuvent compter que sur l’auto-organisation afin de mettre un terme à la guerre et à la misère sociale. Seul un mouvement ouvrier uni et indépendant peut organiser l’auto-défense de toutes les communautés et minorités. Avec un programme socialiste, un tel mouvement peut trouver un soutien au niveau régional et international dans la lutte contre les régimes pourris et pour mettre fin à l’impérialisme, à toutes les politiques et milices réactionnaires et sectaires. Cela pourrait former la base d’une réorganisation socialiste démocratique de la société.

  • Préaccord sur le nucléaire iranien, reflet d'un Moyen-Orient en pleine transformation

    Après la désastreuse occupation de l’Irak, l’administration Obama cherche un nouvel équilibre entre les différentes puissances de la sous-région.

    Le préaccord nucléaire défini au mois d’avril dernier entre l’Iran et les puissances mondiales du groupe « P5+1 » marquera, s’il est mis en œuvre, un point tournant dans les relations entre les pays occidentaux et les pays du Moyen-Orient, ainsi qu’entre ces pays dans la région. Même si l’on pourra peut-être observer un report de la ratification finale de cet «accord politique», le fait seul que ces négociations se soient tenues est le signe qu’un réalignement des forces est en train de s’opérer dans la région.

    Par Robert Bechert, secrétariat international du Comité pour une Internationale Ouvrière

    Les désastreuses conséquences de l’invasion de l’Irak

    Cette tentative d’accord est essentiellement le résultat de l’évolution de l’équilibre entre puissances au niveau mondial et de l’invasion de l’Irak menée par les États-Unis et la Grande-Bretagne en 2003, dont les conséquences se font amèrement sentir.

    Tandis que la position des États-Unis au niveau mondial s’est affaiblie face à la croissance économique de la Chine et à son influence grandissante au niveau international, le bilan désastreux de l’invasion de l’Irak a contribué à mettre un terme à la brève période des années ’90 au cours de laquelle les États-Unis dominaient la scène internationale. Cette invasion a été désastreuse non seulement pour des millions d’Irakiens, mais aussi pour les architectes de cette guerre. Les limites de la puissance des États-Unis et le déclin prononcé des forces britanniques se sont révélés au grand jour, une fois qu’a été perçue l’échec des espoirs de ces États, qui visaient à établir un nouvel ordre au Moyen-Orient en éliminant ou en neutralisant les forces qui leur étaient hostiles.

    Pour le peuple irakien, l’invasion de 2003 s’est traduite par d’énormes préjudices, une augmentation des souffrances et de nouveaux conflits ; mais pour les instigateurs et les partisans de la grande aventure de Bush et Blair, il s’est agi d’une défaite stratégique qui s’est soldée par un énorme gaspillage de ressources. Non seulement l’invasion irakienne a déstabilisé l’ensemble de la sous-région, mais elle a également renforcé la puissance régionale de l’Iran, à l’inverse de ce que Washington souhaitait. Au final, cette invasion a constitué un énorme pas en arrière pour les puissances occidentales qui, après le renversement du Shah en 1979, avaient sous Reagan et Thatcher tenté d’isoler l’Iran en soutenant Saddam Hussein durant la guerre initiée par ce dernier entre l’Iran et l’Irak de 1980 à 1989.

    Dans un article qui critique vivement cet accord, mais qui n’offre aucune réelle alternative, les anciens secrétaires d’État, MM. Kissinger et Shultz, regrettent le fait que <i>«Les négociations entamées il y a 12 ans pour empêcher l’Iran de développer un arsenal nucléaire aboutissent finalement à un accord qui lui offre cette même possibilité ; bien que cet arsenal ne sera pas à sa capacité maximale dans les 10 premières années»</i> (Wall Street Journal, 9 avril 2015). Ce compromis avec l’Iran n’est pas ce que Washington et Londres envisageaient en 2003.

    Bilan du «Printemps arabe»

    Les révolutions de 2011 en Afrique du Nord et au Moyen-Orient ont tout d’abord porté un rude coup aux puissances occidentales lorsque certains de leurs hommes forts, notamment le président égyptien Moubarak, se sont fait renverser du pouvoir. Ces puissances ont sérieusement craint que les révolutions se répandent à d’autres pays et qu’elles ne s’arrêtent pas à une simple élimination des autocrates et des dictateurs, mais qu’elles se transforment en de réelles révolutions sociales.

    Cette occasion en or pour la classe des travailleurs et les pauvres de mettre fin à l’oppression et au capitalisme une bonne fois pour toutes n’a pas été saisie. Mais, même si cette première vague révolutionnaire a chaviré, la contre-révolution qui a suivi n’a pas été capable de restaurer l’ancienne position de l’impérialisme. En réalité, l’impérialisme a perdu de son influence directe, car la contre-révolution a déclenché des forces centrifuges (càd. à tendance sécessionniste) qui se fondent sur des clivages ethniques, tribaux et religieux. Cette évolution, que l’on a pu observer très clairement avec le déchirement de la Libye et de la Syrie, a créé encore plus de misère et d’instabilité dans la région. Dans ce contexte, l’avancée explosive de l’Etat Islamique (EI) et d’autres groupes fondamentalistes n’a fait qu’approfondir la morosité de l’impérialisme.

    Les grandes puissances impérialistes, devant la faiblesse de leurs alliés arabes traditionnels et craignant la rapide avancée de EI, se sont vues contraintes de chercher de nouveaux alliés partout où c’était possible, ce qui explique le soutien apporté par l’Occident aux dirigeants de la zone autonome kurde en Irak. En Irak, un arrangement officieux a été conclu entre les forces étasuniennes et iraniennes afin de soutenir le gouvernement irakien à dominante chiite dans le cadre de sa lutte contre EI.

    C’est alors que, dans les coulisses, les tentatives d’obtenir un rapprochement avec l’Iran se sont multipliées ; ces efforts ont désormais franchi une nouvelle étape avec la définition de cet accord.

    En ce moment, les puissances mondiales (et surtout les forces impérialistes occidentales) ont besoin de l’aide du régime iranien pour combattre la menace que fait peser EI et autres fondamentalistes sunnites sur l’Irak et sur la Syrie. Mais cette stratégie risque de mettre à mal les relations des puissances occidentales avec les dirigeants de l’Arabie saoudite et des États du Golfe, dont la majorité soutient et finance différents fondamentalistes sunnites. Ces dirigeants majoritairement autocratiques et féodaux sont des rivaux directs de l’Iran et craignent que ce pays, qui joue désormais un rôle décisif en Irak, n’utilise les populations chiites dans des pays comme le Bahreïn et l’Arabie saoudite pour étendre son influence. C’est l’une des raisons pour lesquelles les États-Unis défendent à l’Iran de s’impliquer dans la guerre civile au Yémen.

    En même temps, certains stratèges occidentaux sont plus prudents par rapport à l’Iran. À leurs yeux, cet accord n’est pas suffisant pour affaiblir le programme nucléaire iranien. Kissinger et Schultz avouent l’affaiblissement de la position occidentale, lorsqu’ils écrivent qu’avec l’évolution du programme nucléaire iranien, « la menace de guerre limite à présent l’Occident plus que l’Iran ». Cependant, à certains égards, Obama suit aujourd’hui une stratégie semblable à celle suivie par le même Kissinger lorsque celui-ci préparait l’accord de 1972 entre la Chine et les États-Unis.

    Bien que les puissances mondiales soient en concurrence sur toute une série de thème tels que la domination du Pacifique ou l’Ukraine, chacune avait ses propres raisons de parvenir à cet accord entre le groupe P5 + 1 (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume Uni et Allemagne) et l’Iran. Même si certains alliés de l’Occident au Moyen-Orient – en particulier les régimes israélien et saoudien – y sont opposés, car ils craignent de perdre grandement dans ce nouvel équilibrage des forces. En ce qui concerne l’Arabie saoudite par exemple, elle s’inquiète du fait que la hausse de l’influence iranienne pourrait encourager la contestation de la part de sa minorité chiite. Israël quant à lui craint de perdre de son influence auprès des puissances occidentales.

    L’administration Obama balance entre les différentes puissances

    L’administration Obama elle-même joue un jeu d’équilibriste entre les différentes puissances sous-régionales. Au cours de la même semaine où l’accord avec l’Iran a été défini, les États-Unis ont repris leur aide annuelle de 1,3 milliards de dollars à l’Égypte (740 milliards de francs CFA), ont assuré l’Arabie saoudite de leur soutien envers ses raids aériens sur le Yémen, et ont donné leur accord à la création d’une future force militaire panarabe sunnite.

    Pendant ce temps, aux États-Unis eux-mêmes, les Républicains ont entamé, de concert avec le Premier ministre Netanyahu, une campagne d’opposition à l’accord iranien, pour des raisons à la fois électorales et politiques. Ils espèrent exploiter ce qui reste d’hostilité à l’Iran parmi la population américaine, en ravivant le souvenir du personnel diplomatique américain qui avait été retenu en otage pendant 444 jours en 1979-81 ainsi que les craintes qui pèsent (particulièrement parmi les couches fondamentalistes juives et chrétiennes aux États-Unis) sur l’avenir de l’État d’Israël.

    Des divisions existent aussi au sein du régime iranien. En Iran, nous voyons une situation où se mêlent la soif de changement, l’instabilité au niveau sous-régional, les sanctions économiques, et maintenant la chute du prix du pétrole ; ce qui donne une majorité à ceux qui soutiennent un accord sur le nucléaire.

    Mais les palabres continuent au sein du régime. En ce moment, le «Guide suprême» iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, parait soutenir les tentatives du président Hassan Rouhani d’obtenir un accord. Mais les éléments sceptiques, plus critiques, rassemblés autour de la faction religieuse conservatrice, n’ont pas encore abandonné leur bataille contre les centralistes, surtout au vu des élections qui arrivent en février prochain tant pour le parlement que pour l’Assemblée des experts. On a été surpris de voir un de ces conservateurs se faire récemment élire en tant que président de l’Assemblée des experts, une institution dont le rôle est, entre autres, de nommer le Guide suprême. À quel point s’agit-il d’une manœuvre de la part du régime dans le cadre des négociations en vue d’un accord ? Ce n’est pas clair.

    Ce qui est clair par contre, c’est que le régime voit qu’il y a une aspiration de plus en plus grande au changement dans la société, surtout parmi la jeunesse, accompagnée d’une remise en question croissante de la caste religieuse au pouvoir depuis 1979. Les divisions et le malaise du régime sont visibles par sa politique faite d’un mélange de répression continue et de petites concessions. D’ailleurs, l’annonce du préaccord a été accueilli par des manifestations de joie spontanées dans les rues du pays entier. Les gens chantaient, applaudissaient et dansaient. Beaucoup brandissaient des portraits du président Rouhani. La popularité de ce préaccord fait que le régime ne peut rejeter en bloc sa signature, sans quoi il risque de provoquer une contestation populaire d’un niveau potentiellement supérieur au mouvement de masse qui s’est développé après les élections présidentielles de 2009.

    Cela, parce que la perspective d’un accord qui permettrait de mettre un terme aux sanctions internationales qui pèsent sur l’Iran depuis des décennies alimente les espoirs de changement, surtout dans le contexte de la chute du cours du pétrole qui a fortement affecté l’économie et le niveau de vie dans le pays.

    Même si l’inflation est retombée récemment de 40 % à 16 %, le président du syndicat official soutenu par l’État a avoué que 70 % des Iraniens vivent sous le seuil de pauvreté. Le ministre du Travail a mentionné le fait que 12 millions de gens souffrent de « pauvreté alimentaire » dans son pays. La pression sur le niveau de vie a maintenant provoqué une contestation de la part des travailleurs. Depuis le mois de mars, on voit des grèves des travailleurs de l’automobile et des marches « silencieuses » de dizaines de milliers d’enseignants.

    Un marché potentiel

    La population iranienne se chiffre à 80 millions de personnes ; il s’agit de plus de la 18e plus grande économie mondiale. L’Iran n’est donc pas seulement une puissance régionale, mais aussi un marché potentiel. De nombreuses entreprises étrangères se préparent activement à débarquer dans le pays sitôt que les sanctions seront levées. Le New York Times citait l’année passée le directeur d’une compagnie pétrolière pour qui « Après l’accord, nous allons connaitre un boom incroyable ». Quelques semaines après la signature de ce préaccord, un groupe d’investisseurs et d’hommes d’affaires américains a tenu une rencontre publique à Téhéran – le tout premier événement de ce genre depuis la révolution de 1979.

    Même si l’accord est signé, les sanctions ne vont être levées que graduellement. De plus, malgré les fortes attentes de la part de la population, vu la situation de crise économique au niveau mondial, il n’y a que peu de chances que la levée des sanctions mène à une croissance durable et partagée en Iran.

    Mais le changement pourrait donner une plus grande confiance à la classe des travailleurs iranienne pour lutter pour ses revendications. Ceci pourrait représenter un tournant crucial. Avec l’Égypte et la Turquie, l’Iran compte une des classes des travailleurs la plus importante du Moyen-Orient. L’Iran est un pays relativement développé. Tout comme en Turquie, 70 % de sa population vit dans les villes. Le réveil des traditions de lutte de la classe des travailleurs iranienne aurait un impact extrêmement important au niveau de toute la sous-région, qui pourrait donner un bon exemple de lutte de masse. Si cette lutte était accompagnée d’idées socialistes, cela pourrait être un bon pas en avant dans le cadre de la lutte contre la pauvreté et la violence qui caractérise le Moyen-Orient sous le règne des féodaux, des sectaires religieux et du capitalisme.

  • Kurdistan : La bataille de Kobanê à la croisée des chemins

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    Que signifie l’ « assistance » militaire américaine pour la lutte kurde ?

    La situation à Kobanê a mis la question kurde au centre de l’attention dans le monde entier. Le canton de Kobanê, qui fait partie de Rojava (ou Kurdistan Occidental), est assiégée depuis la mi-septembre par criminels de « l’État Islamique » (EI) et est devenu l’un des centres de la résistance contre le déchaînement djihadiste.

    Serge Jordan, Comité pour une Internationale Ouvrière

    Alors que le majeure partie de la Syrie a sombré dans la guerre sectaire, les 3 enclaves à majorité kurde de Rojava ont été désertées par les forces du régime d’Assad en 2012. Depuis au Rojava, « l’auto-administration » et l’autonomie territoriale ont été proclamées par les forces qui ont saisi le pouvoir politique, dominées par le PYD (Parti de l’Union Démocratique – la version Syrienne du Parti des Travailleurs Kurdes, ou PKK), et un équilibre ethnique et religieux fragile a été maintenu. L’identité et la langue kurdes longtemps niés et ont été reconnus ainsi que les droits formels pour les groupes religieux et les minorités ethniques.

    L’État Islamique a attaqué Kobanê, le canton le plus vulnérable et exposé de Rojava, de presque tous les côtés avec des armes lourdes, des tanks et des missiles, en essayant pendant plus de 5 semaines d’écraser la résistance de la ville. Rojava et son modèle explicitement laïc représentaient un défi direct au programme théocratique réactionnaire de EI. Les femmes combattantes armées d’AK-47 en première ligne contre un groupe totalement misogyne ont stimulé l’imagination de beaucoup de gens dans le monde entier.

    Contrairement aux atrocités qui ont lieu dans beaucoup d’endroits d’Irak et de Syrie, les cantons de Rojava ont été un symbole de résistance pour des millions de Kurdes, de travailleurs et de jeunes de la région. Des manifestations, des occupations et des actions ont eu lieu dans toute l’Europe en soutien à la lutte à Kobanê, auxquelles les membres du CIO ont pris part.

    Les acquis de Rojava et la résistance à Kobanê ont offert un pont potentiel sur la route des Kurdes pour l’auto-détermination et, plus généralement, un possible point de référence pour raviver la lutte des travailleurs et des pauvres contre les horreurs de EI et les régimes dictatoriaux au Moyen-Orient. Cependant, toutes les complications politiques et les dangers de ce qui s’est récemment développé dans cette régions doivent être abordés, car une défaite dans cette lutte, au contraire, lâcherait encore plus de souffrances sur les personnes de la région.

    Kobanê tient bon

    Beaucoup de commentateurs prédisaient que Kobanê tomberait en quelques jours mais son destin est encore sur la balance, bien que certaines parties de la ville soient sous contrôle des djihadistes. L’une des raisons pour cela est que le PYD et ses unités armées, le YPG (Unités de Protection du Peuple) et le YPJ (Unités de Protection des Femmes) se sont battus héroïquement. En fait, ils ont été jusqu’ici les seuls combattants efficaces contre l’avancée d’EI. Ils se distinguent des faibles performances de l’armée irakienne complètement corrompue et des forces Peshmerga (les forces armées du gouvernement semi-autonome Kurde du Nord de l’Irak qui ont cédé les montagnes Sinjar et d’autres territoires à EI presque sans combattre. Cela montre que lorsque le peuple a un but sérieux pour lequel se battre, leur moral et leur détermination peut même surmonter, dans une certaine mesure, leur infériorité technique et militaire.

    Cela a mis l’impérialisme américain et sa croisade militaire contre EI – jusqu’ici, qui n’est pas du tout couronnée de succès – sous une pression de plus en plus forte. Initialement, les stratèges américains étaient prêts à voir Kobanê capturée par les troupes de EI. « Aussi horrible que ce soit de voir en temps réel ce qui se passe à Kobanê… vous devez vous retirer et comprendre l’objectif stratégique », commentait John Kerry fin septembre. Mais il y a deux semaines, les USA sont passé de quelques frappes aériennes parcimonieuses et réticentes contre EI à Kobanê à des efforts plus déterminés d’assistance aux combattants de YPG, y-compris en parachutant des armes, des munitions et du matériel médical, disant que ce serait « moralement difficile et irresponsable de ne pas aider ceux qui combattent EI à Kobanê ». Pour illustrer ce retournement, un représentant de YPG occupe maintenant une position dans le centre des opérations jointes de la coalition à Erbil, la capitale du Nord de l’Irak, pour coordonner les frappes aériennes à Kobanê avec l’armée américaine.

    La motivation de ce changement de politique était qu’ils réalisaient de plus en plus que la prise de la ville par EI serait un coup humiliant au prestige et à la crédibilité américaines : Obama ne pouvait pas se permettre qu’EI remporte une nouvelle victoire militaire. Et permettre à un groupe affilié à ce que les USA et l’UE listent encore comme organisation terroriste (le PKK) faire le gros des combats de terrain contre les combattants d’EI n’améliorait pas non plus l’image des puissances occidentales. L’impérialisme américain avait donc besoin de reprendre l’initiative.

    Les politiques turques en lambeaux

    Il n’est pas un secret que l’armée turque laisse sa frontière ouverte pour permettre aux militants Djihadistes d’entrer dans le territoire Syrien, permettant même aux combattants de EI de retraverser vers la Turquie pour recevoir des soins médicaux comme pour vendre du pétrole au marché noir. Ces manœuvres étaient motivées, en partie, par les illusions « néo-Ottomanes » du président Turc Erdo?an et son Parti de la Justice et du Développement (AKP). Cela a laissé croire au dirigeant Turc, pendant les premières étapes de la guerre civile Syrienne, que le régime d’Assad serait rapidement renversé et que la Turquie deviendrait un élément dirigeant de l’axe régional dominé par les Sunnites. Mais cette politique a été explosée par les événements du terrain.

    Similairement, le gouvernement Turc a clairement voulu voir Kobanê vaincu par EI, pour donner une leçon brutale au mouvement Kurde en Turquie. Beaucoup de gens ont vu à la télé des images de dizaines de tanks Turcs alignés à la frontière turque-syrienne, alors que les combats faisaient rages à quelques kilomètres de là. Bien sur, la plupart des Kurdes ont raison de rejeter toute intervention de l’armée Turque dans la région, car cela ne serait que pour satisfaire la soif de pouvoir et l’hégémonie de l’élite dirigeante turque, certainement pas pour les droits des habitants locaux. La principale revendication était d’ouvrir la frontière pour permettre aux renforts et aux équipements d’entrer, mais l’armée turque a bloqué l’aide envoyée aux combattants Kurdes, empêchant des milliers de gens de traverser la frontière et de rejoindre la défense de la ville assiégée.

    La perception internationale que le régime Turc passe des accords sous la table avec EI contre les Kurdes Syriens gagne du terrain. Enflammées par la politique d’Erdo?an à Kobanê, les manifestations et émeutes récentes des Kurdes de Turquie (affrontements entre des militants Kurdes et les forces de l’État turc, mais aussi avec des fondamentalistes islamistes Kurdes, ainsi qu’avec des nationalistes Turques d’extrème-droite), ont fait 44 morts. Ces événements ont rappelé au régime qu’entretenir une guerre détournée contre les Kurdes de Syrie était difficile à faire sans raviver le conflit avec les Kurdes de Turquie.

    Le processus de paix au bord du gouffre

    Dans un message du 28 octobre, Abdullah Öcalan, le dirigeant emprisonné du PKK, a dit que le processus de paix engagé début 2013 entre le PKK et l’État Turc était « passé à une autre étape », ajoutant qu’il était maintenant « plus optimiste ». Cette déclaration a été faite juste après que la colère de la population Kurde de Turquie ait explosé, montrant que les masses Kurdes ne semblent pas partager ces vues optimistes. Pendant ce temps, de violents incidents impliquant les forces de l’État Turc et les militants Kurdes se sont multipliés ces dernières semaines.

    La grande majorité du peuple de Turquie, d’origine Turque comme Kurde, ne veulent pas retourner à l’état de guerre. Pour empêcher ce scénario sanglant, la gauche Kurde et Turque comme le mouvement syndical, ont la première responsabilité dans la reconstruction d’une lutte de masse pour les droits du peuple Kurde, et pour lier cette lutte à la lutte nécessaire d’organiser tous les travailleurs, les jeunes et les pauvres de toute ethnies et régions contre le régime capitaliste de l’AKP.

    Ce dernier a annoncé récemment un plan extensif de privatisations – dont les conséquences humaines ont été démontrées par un autre accident minier dans le Sud du pays mardi dernier – qui montre, une fois encore, que le gouvernement AKP n’est pas seulement un ennemi des Kurdes mais aussi un ennemi de la classe ouvrière et des pauvres vicieusement au service du big-business.

    Le demi-tour d’Erdo?an

    Erdo?an et son cercle dirigeant qualifient officiellement le PYD et EI d’organisations « terroristes ». En vérité, Erdo?an a clairement favorisé le poison djihadiste. Cela ne sera pas sans conséquences pour le peuple de Turquie. EI a développé des réseaux de recrutement et des cellules d’opération en Turquie, et ses rangs comportent des centaines de jeunes Turcs. Le danger d’un retour de feu terroriste en Turquie est réel.

    La tension monte aussi entre les USA et le régime d’Erdo?an. La classe dirigeante américaine est de plus en plus mécontente de la Turquie, qui est membre de l’OTAN. Washington pense que la Turquie a appuyé les forces même que les USA bombardent depuis quelques semaines, ce qui montre le manque de volonté de certains des partenaires des USA dans la mal-nommée « Coalition des Volontaires ».

    Étant donnés ces facteurs, le gouvernement Turc a finalement été forcé de faire demi-tour en ce qui concerne Kobanê. Insatisfaits de la décision unilatérale des USA d’assister le PYD, Erdo?an a essayé de trouver une alternative sans perdre la face, en permettant à 150 combattants Peshmerga, liés au Gouvernement Régional du Kurdistan (KRG) de l’Irak du Nord, d’aller à Kobanê via la Turquie.

    Le régime d’Erdo?an a développé des relations très étroites avec les dirigeants notoirement corrompus et pro-capitalistes du KRG. Le président du KRG, Masoud Barzani, et son parti, le KDP (Parti Démocratique du Kurdistan), qui jusque récemment étaient eux-même apparemment contents de voir le YPG se faire écraser à Kobanê, ont un historique de collaboration directe avec l’armée Turque pour essayer d’éliminer les combattants du PKK sur le territoire dirigé par le KDP.

    Ces Peshmerga doivent rester à l’écart du front de Kobanê. En fait, la signification politique de ce coup est bien plus pertinent que sa justification militaire. Par cette manœuvre, les dirigeants Kurdes essaient de diluer et de contre-balancer l’influence de PYD, et de mettre un pied dans le Kurdistan Syrien en faisant entrer en jeu leurs partenaires de droite. Le fait même que les Peshmerga soient encore autorisés à aller et venir en franchissant la frontière alors que beaucoup de manifestants Kurdes de Turquie et de réfugiés de Kobanê sont systématiquement empêchés de le faire, montre les machinations cyniques d’Erdo?an.

    Les socialistes et la bataille pour Kobanê

    Bien avant que la bataille pour Kobanê soit sous les projecteurs des médias, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) avait souligné le besoin de construire partout dans la région des organes non-sectaires et démocratiques comme base pour organiser une défense populaire de masse non seulement contre EI, mais aussi contre tout autre groupe extrémiste religieux, contre les forces brutales et sectaires des régimes Syrien et Irakien, et contre l’intervention impérialiste – ces dernière ayant une grande responsabilité dans la croissance des bandes djihadistes qui attaquent maintenant Kobanê.

    Pour cimenter l’unité au travers des lignes nationales, ethniques et religieuses, une telle lutte demande d’être équipée d’un programme qui soit sans compromis en faveur des droits égaux pour tous les peuples et communautés opprimés de la région, leur droit à l’auto-détermination inclut.

    Face à la menace de génocide ethnique par les meurtriers d’EI, les défenseurs de Kobanê et beaucoup de Kurdes dans le monde entier ont demandé à la « communauté internationale » de les assister contre les unités de EI, bien mieux équipées. C’est une demande compréhensible étant donné les circonstances, cependant c’est une approche erronée dont les masses de Kobanê et d’autres endroits de Rojava peuvent payer un lourd prix. Si les gouvernements occidentaux étaient vraiment intéressées au bien-être de la population de Kobanê, ou même à vaincre EI sans arrières-pensées, il y a longtemps qu’ils auraient procuré des armes aux défenseurs de la ville, sans demander de concessions politiques en contre-partie. Cependant, ce qui se passe maintenant est toute une autre histoire.

    L’assistance américaine en termes d’armement est, en effet, utilisée pour faire du chantage et pousser les combattants de Kobanê à la soumission politique, et le PYD à s’aligner de plus en plus sur la politique américaine. Washington a essayé de donner du pouvoir au Conseil National Kurde (KNC), une coalition de droite des partis Kurdes Syriens qui sont appuyés par Barzani, comme contre-poids aux PYD à Rojava. Mais le 22 octobre, le PYD a officiellement signé un accord de partage du pouvoir avec les pro-capitalistes du KNC pour administrer conjointement les régions Kurdes de la Syrie.

    3 jours plus tôt, le commandement général de l’YPG a publié une déclaration : « Nous allons travailler à consolider le concept d’un véritable partenariat pour l’administration de ce pays en rapport avec les aspirations du peuple syrien avec toutes ses classes ethniques, religieuses et sociales ». C’est un précédent dangereux. Alors que la Constitution du Rojava mentionne la protection du droit du travail, le développement durable et le bien-être général, ces buts ne peuvent être obtenus en plaidant l’harmonie entre toutes les classe sociales.

    Ces développements marquent une tentative claire de l’impérialisme américain et ses partenaires d’installer une direction Kurde plus complaisante à Rojava. Le CIO avait averti de ces développements : « toute solution à la lutte Kurde reposant sur l’appui politique de l’impérialisme occidental devrait être rejetée, et les livraisons d’armes ne peuvent être acceptées que sur base du rejet des « conditions » imposées par les puissances extérieures qui vont contre les intérêts des masses du peuple Kurde. » (‘The battle for Kobanê’, 02/10/2014) .

    Aussi épouvantables et menaçantes que soit l’action de EI, ce n’est pas le seul danger qui pèse sur Kobanê et Rojava. Les accord secrets avec l’impérialisme doivent être rejetés, car ils font courir le risque de créer un changement qualitatif dans le caractère des combats sur le terrain.

    Même le régime syrien de Bashar al-Assad et le gouvernement russe ont bien accueilli le déploiement des forces Peshmerga à Kobanê. Tous les vautours survolent la région pour y imposer leur influence, avec l’intention de restaurer « l’ordre » seulement sur base de leurs intérêts de classe. Kobanê et les autres cantons de Rojava pourraient être réduits à des pions dans les manœuvres des puissances extérieures et leurs mandataires locaux, mettant sur le côté les éléments authentiques de la résistance des peuples, et poignardant dans le dos la lutte que des milliers de personnes ont déjà paye de leur vie.

    Lutte pour la démocratie socialiste

    Le CIO pense que la force et la survie de le lutte à Rojava sont directement liés à l’implication active des masses de la population locale. Alors que des pas ont été faits dans cette direction, les manœuvres mentionnées ci-dessus montrent le manque de transparence démocratique dans la façon dont la lutte est menée et comment les décisions sont prises.

    Sans contrôle démocratique et auto-organisation authentique des masses, il y a un danger réel que ces caractéristiques démocratiques prennent le dessus. La lutte dans toutes les enclaves de Rojava, sous ses aspects militaires et politiques, devrait être organisée aussi largement et démocratiquement que possible, sur base de transparence des décisions à tous les niveaux. Les assemblées populaires rapportées devraient être élargies et démocratisées avec des représentants révocables. Les partis politiques devraient exercer le pouvoir seulement sur base de leur poids réel dans la société, et non sur base des accords secrets imposés par en haut par des pouvoirs extérieurs. A Kobanê, malgré leur bravoure indiscutable, les quelques milliers qui sont restés défendre la ville se sont battus tous seuls. Le gros de la population locale a fui la ville. Mais plus tôt, le PYD aurait pu appeler à l’initiative de tous les travailleurs, paysans et jeunes, en encourageant à s’unir, à mettre en place des comités de défense, à monter des barricades, et à jouer ainsi un rôle actif dans la protection et la fortification de leur ville – sur le modèle de la résistance anti-fasciste à Barcelone en 1936, bien que dans des circonstances différentes. Ceux qui n’étaient pas en position d’être directement impliqués dans la lutte aurait pu être impliqués dans l’assistance à la résistance de d’autres façons (logistique, infirmerie etc).

    Malheureusement, les méthodes de guérilla du PKK/PYD, basées sur l’idée d’une minorité vaillante combattant au nom de la masse de la population, a été un obstacle à l’organisation des dizaines de milliers de personnes qui pouvaient jouer un rôle crucial dans le reversement des flux et reflux du siège de EI.

    Face à la menace continuelle d’EI, la masse de la population de chaque ville et village de tout Rojava a besoin d’être énergiquement encouragée à effectuer un entraînement militaire basique et à organiser des organes de défense, sur des bases non-sectaires. Cela permettrait de forger une force et une unité maximum et de préparer la résistance à l’ennemi djihadiste assiégeant.

    Les combattants restant à Kobanê ne seront pas capables de maintenir leur combat indéfiniment dans l’isolation si leur lutte n’est pas activement reprise par un plus grand nombre dans les régions environnantes. Cela aiderait à rompre le siège de Kobanê par les djihadistes dans l’Ouest, l’Est et le Sud de la ville et aussi par l’armée turque dans le Nord.

    Les premiers alliés de la résistance Kurde ne devraient pas être la super-puissance impérialiste américaine ni aucune force capitaliste, mais la mobilisation active et indépendante de la classe ouvrière et des pauvres dans cette région du monde et au niveau mondial. Le sabotage des acquis de Rojava par les forces pro-capitalistes et pro-impérialistes serait, au contraire, un retour en arrière et compliquerait la lutte durable des Kurdes pour leurs droits, ainsi que la lutte unifiée dont tous les pauvres et les opprimés de la région pour une vie meilleure ont besoin. C’est pourquoi il et nécessaire d’approfondir la lutte Kurde, et d’essayer de l’étendre géographiquement en atteignant les masses ouvrières et pauvres de toute la région avec un programme audacieux pour le changement social.

    Le magazine allemand Der Spiegel a rapporté qu’une centaine d’usines et d’ateliers de la ville syrienne Alep ont récemment été déménagées dans le canton occidental de Rojava, Efrîn. L’attitude du gouvernement régional d’Efrîn, cherchant activement à attirer des entreprises privées dans la région souligne la contradiction interne de tenter de construire un nouveau modèle basé sur la justice sociale tout en fonctionnant dans le cadre du capitalisme. Le développement de ce que le PYD et le PKK appellent « con-fédéralisme démocratique », sans se débarrasser de la nature profiteuse et exploiteuse de la propriété capitaliste, et sans implanter une réforme terrienne en profondeur, va mener à la compétition entre localités pour l’investissement des capitaux et son inévitable corollaire : un nouveau « nivellement par en-bas » des droits des travailleurs et des conditions de vie.

    Cela montre le besoin pour les masses de Rojava d’élever leur lutte sur le terrain économique, en prenant les usines et en collectivisant les terres, et d’établie les conditions d’un plan de production socialiste démocratique. Cela et la garantie des pleins droits démocratiques pour tous, donnerait un exemple aux masses de toute la région sur la façon de construire une voie pour sortir de la pauvreté, de la guerre, du sectarisme religieux et de l’oppression nationale.
    • Solidarité avec le peuple de Kobanê et de Rojava – Stop au massacre djihadiste
    • Rupture du siège de Kobanê – pour l’ouverture immédiate de la frontière turco-syrienne à tous ceux qui veulent aider la défens de la ville. Pour l’envoi à Kobanê de colonnes de volontaires organisés en commun par la gauche kurde et turque, les organisations communautaires et les syndicats
    • Pour le renforcement de comités de défense non-sectaires de masse pour sécuriser toutes les parties de Rojava sur la base de l’organisation démocratique et implantée des travailleurs, des jeune et des paysans pauvres
    • Aucune confiance en l’impérialisme – non aux accord secrets avec les puissances étrangères et autres forces pro-capitalistes
    • Pour la construction d’une lutte unifiée de tous les travailleurs et les pauvres de Turquie contre les politiques capitalistes et le règne autoritaire de l’AKP
    • Non aux lois patriotiques sécuritaires et à toutes les lois répressives en Turquie
    • Retrait de l’interdiction des organisations kurdes en Europe et aux USA
    • Pleins droits démocratiques pour le peuple kurde – pour le droit à l’auto-détermination des Kurdes dans toutes les régions du Kurdistan, ainsi que de toutes les communautés opprimées de la région
    •Pour une Rojava socialiste et démocratique au sein d’une confédération socialiste et volontaire du Moyen-Orient

  • Solidarité avec Kobané. Manifestation à Bruxelles contre la barbarie de l’EI

    Environ 5.000 personnes, essentiellement kurdes, ont manifesté hier à Bruxelles contre la barbarie de l’Etat Islamique et en solidarité avec Kobané. Cette manifestation avait été organisée dans le cadre d’une journée d’action internationale qui a vu des cortèges similaires défiler dans de nombreuses villes européennes.

    La bataille de Kobané est actuellement à un carrefour. Des semaines durant, le canton a fait face avec bravoure à la supériorité militaire de l’Etat Islamique. L’impérialisme américain est intervenu pour éviter que l’EI ne remporte la victoire à Kobané, mais la porte est maintenant ouverte pour que des forces kurdes de droite jouent un rôle plus important. Le fait que l’allié turc ait plus tôt apporté son soutien à l’EI renforce le manque de crédibilité de l’impérialisme.

    Il est plus que nécessaire que la majorité de la population soit impliquée dans la résistance, des milices de volontaires et des comités organisés démocratiquement doivent être construits et renforcés là où ils existent, afin d’impliquer l’essentiel de la population et de construire la résistance la plus puissante contre l’offensive menaçante de l’EI. La lutte contre la barbarie exige aussi contre les causes du développement de ces groupes réactionnaires : le capitalisme et l’impérialisme. Un Kurdistan socialiste dans le cadre d’une confédération socialiste du Moyen-Orient est nécessaire pour mettre fin à la guerre, à la pauvreté, à la violence sectaire,…

    L’atmosphère était particulièrement accueillante durant cette manifestation. Il a ainsi été explicitement demandé aux organisations de gauche présentes en Belgique de se mettre à l’avant du cortège et ces organisations ont toutes eu la possibilité d’exprimer leur solidarité du podium. C’est ce qui s’est produit pour le PSL/LSP, la LCR/SAP, Rood, Vega, V-SB et des militants d’origine berbère, marocaine et cachemiri. Nos militants vendus 144 exemplaires de la nouvelle édition de novembre de Lutte Socialiste, avec un dossier sur Kobané.

    Photos de Liesbeth (Anvers)

    Photos de MediActivista

  • Moyen-Orient : L’échec de la politique des frappes aériennes américaines sur l’État islamique

    Tandis que la bataille pour Kobanê fait rage, les forces de l’EI gagnent de plus en plus de terrain en Irak

    Tony Saunois, secrétaire général du Comité pour une Internationale Ouvrière

    article_MO_USObama et ses alliés occidentaux voulaient faire croire qu’une politique d’intervention se limitant à des frappes aériennes suffirait à empêcher l’avancée des forces du groupe ‘‘État islamique’’ en Irak et en Syrie.

    Mais à présent, tandis que se la perspective d’une défaite des forces kurdes qui combattent EI pour le contrôle de la ville de Kobanê se rapproche, cette politique a prouvé son inefficacité. Les forces de l’EI avancent dans la ville et, au moment où nous rédigeons cet article, semblent sur le point d’engranger une nouvelle victoire. Alors qu’on fait état de scènes de massacres horribles dans la ville par les forces enragées du groupe réactionnaire qu’est l’EI, les frappes aériennes américaines sur les forces de l’EI n’ont eu que très peu d’effet et se sont avérées impuissantes à contrer leur progression. La population kurde de Kobanê mène une lutte courageuse tout autant que désespérée : elle sait que si elle ne vainc pas l’EI, c’est le massacre qui l’attend.

    Ce n’est pas qu’en Syrie que la politique de frappes aériennes prônée par Obama est vouée à l’échec. L’évolution de la situation en Irak, surtout dans la province d’al-Anbâr, dans l’Ouest du pays (à la frontière avec la Syrie, la Jordanie et l’Arabie), voit les forces de l’EI effectuer de grandes percées. La province d’al-Anbâr, qui compte pour près de 25 % du territoire irakien, ainsi que toutes les plus grandes villes de la province, à l’exception de Haditha et de deux bases militaires près de Hit et de Falloujah, sont tombées entre les mains de l’EI. Une fois de plus, l’armée irakienne a été mise en déroute sans avoir offert la moindre résistance. Le bilan de l’incessante catastrophe humanitaire en Irak s’alourdit en conséquence avec le départ de la province de 750.000 nouveaux réfugiés.

    Al-Anbâr

    Il est maintenant probable que les forces de l’EI se préparent à lancer une nouvelle offensive dont l’objectif sera de s’emparer des quartiers ouest de Bagdad, à majorité sunnite. La province d’al-Anbâr avait constitué le cœur de l’insurrection sunnite contre l’occupation américaine en 2003. Le facteur principal qui explique les victoires actuelles de l’EI en Syrie et en Irak n’est pas seulement la quantité d’armes lourdes qu’il est parvenu à capturer à la suite de ses victoires sur l’armée irakienne, mais aussi au fait que cette avancée a acquis le caractère d’une nouvelle insurrection sunnite généralisée.

    Les milices chiites qui ont quelque peu progressé dans les quartiers nord et nord-est de Bagdad, ont répondu aux attaques de l’EI d’une manière brutale et sans chercher à distinguer les combattants de l’EI des simples civils sunnites. Cela a contribué à pousser encore plus de sunnites à rejoindre les rangs de l’EI, puisque nombre d’entre eux ne voient pas d’autre force à même de les “défendre”. Les milices chiites dans Bagdad parlent ouvertement de chasser les sunnites des quartiers encore mixtes de la ville. Si les forces de l’EI ont pu trouver une base sociale, c’est à cause de l’oppression perpétrée à l’encontre de la population sunnite par le gouvernement irakien de Maliki, installé par les États Unis à la suite de l’invasion de 2003.

    Cette crise va certainement s’intensifier à la suite de ces évènements en Irak, avec la chute possible de Kobanê entre les mains des forces de l’EI. En Turquie, le régime du Premier ministre Erdogan a consciemment refusé toute intervention contre les forces de l’EI qui marchaient sur Kobanê, car il craint qu’une victoire des forces kurdes qui défendent Kobanê n’encourage la lutte de libération nationale des 15 millions de Kurdes dont le territoire appartient à la Turquie.

    La plupart des combattants à Kobanê sont regroupées dans les unités de protection populaire dirigées par le Parti de l’union démocratique (PYD, Partiya Yekîtiya Demokrat) de la branche syrienne du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK, Partiya Karkerên Kurdistan) dont la base se trouve en Turquie. Ce serait un grand soulagement pour le régime Erdogan de voir la ville tomber entre les mains de l’EI plutôt que de voir le PYD sortir victorieux de cette bataille. On voit d’ailleurs que des accords semblent avoir été conclus entre lui et l’EI à ce sujet, vu la récente libération d’otages turcs par l’EI.

    Aucune confiance dans les dirigeants régionaux et dans l’impérialisme

    Nous ne pouvons accorder la moindre confiance dans les dirigeants régionaux ni dans l’impérialisme occidental en ce qui concerne la résolution de cette crise.

    Aucune “solution” proposée par ces puissances ne permettra d’améliorer le sort de l’ensemble de la population de la sous-région. L’intervention impérialiste occidentale ne fait qu’aggraver le désastre. D’ailleurs, faut-il rappeler que la crise actuelle tire en grande partie ses origines de la série d’“interventions” impérialistes qui ont eu lieu dans toute la sous-région au cours des dernières années ? Nous ne pouvons pas non plus avoir la moindre confiance dans les élites et dirigeants sunnites ou chiites des différents pays de la sous-région, qui ne s’impliquent dans ce conflit que dans le but de satisfaire leurs propres intérêts. La Turquie cherche à renforcer son expansion en Syrie, désireuse de rétablir son empire sur cette région comme à l’époque ottomane.

    Obama parle maintenant de mettre en place une coalition avec des puissances sunnites telles que l’Arabie Saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis afin de contrer l’EI. Cependant, même si certaines des dynasties corrompues et répressives au pouvoir à la tête de ces pays ne soutiennent pas pleinement les actions de l’EI, d’autres l’ont activement soutenu ; et toutes ont leurs propres intérêts à défendre, qui ne sont pas ceux d’Obama. Pour elles, vaincre l’EI n’est pas une priorité. De plus, sur le court terme, ces régimes considèrent que l’EI cause et causera plus de problèmes à leurs rivaux chiites (au Liban, en Iran, etc.) qu’à eux-mêmes.

    Il faut un mouvement uni des masses

    Afin de contrer la terreur semée par l’EI et par les autres forces sectaires réactionnaires dans la sous-région, il faut construire un mouvement uni des masses arabes sunnites et chiites ensemble avec les Kurdes, les Turcs et les autres peuples de la sous-région. Pour combattre la menace réactionnaire et sanglante que fait peser l’EI sur Kobanê et ailleurs en Syrie et en Irak, il faut mettre sur pied des comités dont la ta?che sera de former des milices de masse. Il faut lutter pour contraindre la Turquie à lever l’embargo sur les armes, afin d’armer ces milices d’auto-défense. En Turquie, il faut former des comités de travailleurs turcs et kurdes pour mener une lutte unie. La construction de comités de masse mixtes regroupant sunnites et chiites en Irak, ensemble avec le peuple kurde, contre les forces sectaires, quelles qu’elles soient, nous permettra d’aller de l’avant.

    Ces comités pourraient former la base d’un nouveau gouvernement – un gouvernement des travailleurs, des paysans et de tous les exploités du capitalisme et de l’impérialisme. Une fédération socialiste des États de la sous-région, constituée sur une base volontaire et égalitaire, serait seule à même de garantir les droits démocratiques, nationaux, ethniques et religieux pour toute la population de la sous-région.

  • Etat islamique : Les bombardements n’apporteront aucune stabilité

    EtatislamiqueD’où provient l’État islamique et comment lutter contre ?

    La barbarie des exécutions arbitraires ne se limitent pas aux territoires d’Irak et de Syrie actuellement sous le contrôle de l’État islamique (EI). En Arabie Saoudite, pays qui abrite un grand nombre de bailleurs de fonds de l’EI, 19 décapitations publiques ont au moins eu lieu depuis début août. Mais comme il s’agit d’un allié de l’impérialisme américain, l’attention qui y est accordée est moindre… L’hypocrisie de l’impérialisme ne connaît pas de limites. Mais les pratiques barbares de l’État islamique engendrent des questions légitimes : d’où vient ce groupe et comment peut-il être stoppé ?

    Dossier de Geert Cool, tiré de l’édition d’octobre de Lutte Socialiste

    Le monstre de Frankenstein

    L’État islamique (EI) est soutenu par les cheikhs des pays du Golfe riches en pétrole. Tout comme Al-Qaïda, l’EI s’inscrit dans la version wahhabite de l’islam politique de l’élite dirigeante d’Arabie saoudite et du Qatar même si l’État islamique, tout comme Al-Qaïda, qualifie la famille royale saoudienne de ‘traîtres’.

    La doctrine conservatrice du wahhabisme date du 18ème siècle, lorsque la péninsule arabique avait largement perdu de son importance économique et stratégique. Par la suite, la Première Guerre mondiale a conduit à ce que la région soit redessinée (avec notamment la création d’une frontière artificielle entre l’Irak et la Syrie selon les accords Sykes-Picot de 1916 conclus entre la Grande-Bretagne et la France) mais a également entraîné le retour du wahhabisme en Arabie Saoudite, les Britanniques y voyant un allié.

    Après la Seconde Guerre mondiale, le régime conservateur saoudien fût un allié important de l’impérialisme américain. Ce régime était autorisé à commettre des ‘actes barbares’ qui ne posaient aucun problème tant que l’accès au pétrole était garanti.

    Les États-Unis disposaient aussi de cette façon d’un accès facile à des alliés tels que les moudjahidines, en lutte contre l’invasion soviétique de l’Afghanistan après 1979. La formation de combattants pakistanais qui, plus tard, sont allés combattre les Soviétiques en Afghanistan a ainsi notamment été soutenue. La barbarie et le désespoir croissants liés à l’extrême misère – encore renforcée par l’ampleur accrue des politiques néolibérales après la chute du stalinisme – a constitué la base sociale qui a favorisé l’ascension de seigneurs de guerre rivaux. Dans ce contexte chaotique, les talibans, issus des combattants moudjahidines, ont pu s’emparer du pouvoir en tant que facteur de stabilisation.

    Après les attentats du 11 septembre 2001, l’impérialisme américain s’est retourné contre son ancien allié. Alors qu’en _1988 encore le célèbre film d’action ‘‘Rambo III’’ était dédié aux ‘‘courageux combattants Moudjahidines’’, en 2001, ces mêmes combattants étaient décrits comme la cheville ouvrière de ‘‘l’Axe du mal’’ contre lequel Bush et Blair sont partis en guerre.

    Les guerres d’Afghanistan et d’Irak n’ont pas permis à l’impérialisme américain d’en finir avec des groupes comme Al-Qaïda. Le terrain leur est toujours fertile : la misère sociale persiste et laisse même encore plus d’espace pour le sectarisme religieux et la barbarie. Cette barbarie bénéficie d’un important soutien financier de la part des cheikhs conservateurs des pays du Golfe. Il en résulte une étrange combinaison de pratiques féodales et de pétrodollars défendue par une stratégie de propagande moderne qui accorde notamment une grande attention aux réseaux sociaux afin d’attirer des combattants occidentaux.

    Jusqu’il y a peu, l’impérialisme américain mais aussi son allié turc de l’OTAN soutenaient à tout le moins indirectement l’EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant) – le groupe qui a proclamé l’État islamique (EI). Dans le cadre de la lutte contre le régime d’Assad en Syrie, l’EIIL était après tout un facteur bien utile. Mais maintenant que l’EIIL, sur base du mécontentement des Sunnites dû à la domination chiite dans l’Irak d’après-guerre, a obtenu un soutien plus large et se développe au point de menacer les ressources pétrolières de la région kurde, l’EIIL est devenu un danger pour les intérêts impérialistes. En mai 2013 encore, le sénateur conservateur américain John McCain (une sorte de Rambo contemporain) s’était rendu en Syrie où il s’était fait photographier en compagnie de combattants qui ont ensuite contribué au développement de l’EIIL, à l’instar de l’ancien chef de la branche irakienne d’Al-Qaïda, al-Baghdadi, devenu par la suite le ‘calife’ auto-proclamé de l’État islamique…

    Les décennies d’ingérence impérialiste et de soutien à des régimes dictatoriaux sont un échec. Ces régimes ont donné naissance à une infime couche de super-riches d’un côté, et de l’autre à une misère croissante pour la majorité de la population (y compris la majorité de la population saoudienne, qui vit sous le seuil de pauvreté). La population est victime de divisions sectaires et de barbarie. Même du point de vue de l’impérialisme américain, cette stratégie a entraîné le développement de monstres de Frankenstein incontrôlables. Mais que ce soit bien clair : ces monstres sont l’œuvre des classes dominantes et de leurs marionnettes locales, pas de la population.

    Les bombardements vont-ils arrêter l’EI ?

    L’EI a connu une progression rapide au cours de laquelle il n’a pas hésité à piller des banques ou à prendre en main des ressources gazières et pétrolières (ce qui, incidemment, stimule aussi le commerce avec la Syrie). La cible principale de l’EI est constituée de tous ceux qui ne suivent pas la version sunnite ultra-conservatrice de l’islam, c’est-à-dire essentiellement les musulmans chiites. Les décapitations de journalistes et la persécution atroce de dizaines de milliers de Yézidis a attiré l’attention du monde entier sur l’ascension de l’EI. Mais la raison principale derrière l’intervention militaire est le fait que ce groupe ne s’est pas limité à la Syrie et prend maintenant pour cible l’ensemble du Moyen-Orient.

    Les divisions sectaires en Irak – dont les USA sont partiellement responsables avec leur soutien au régime chiite irakien – ne sont pas terminées. Ce régime n’a pas hésité à discriminer et à persécuter les Sunnites, lesquels occupaient une position privilégiée sous Saddam Hussein. L’EI est principalement composé de jeunes désespérés et radicalisés complètement marginalisés et qui, faute de perspectives, déversent leur colère causée par la persécution des sunnites au sein de l’EI, qui les entraîne dans une révolte réactionnaire.

    Sans perspective d’avenir, la porte reste ouverte aux expressions réactionnaires de désespoir financièrement soutenues dans le cadre d’un large conflit sectaire régional. Les bombes ne pourront rien y faire si ce n’est causer plus de ravages. Le soutien militaire direct au régime chiite irakien ne fera qu’accroître les divisions sectaires, cela peut même aider à bétonner la position de l’EI alors que ses prédécesseurs d’Al-Qaïda en Irak avaient perdu tout appui à cause de leur attitude violente à l’égard de la population locale.

    Même si les frappes aériennes parviennent à refouler l’EI, qu’arrivera-t-il ensuite pour remplir le vide ? Quelles seront les conséquences pour la région ? Un état kurde où la population aura écarté les dirigeants mafieux irakiens ? Un renforcement de l’Iran ? Comment s’organiseront ensuite les Sunnites irakiens ?

    Avec la présence de groupes fondamentalistes au nord du Nigeria et au Pakistan en passant par le Mali, la Libye, la Somalie et le Yémen, garder la situation sous contrôle commence à devenir très compliqué pour l’impérialisme américain et la Coalition of the Willing. Que se passera-t-il si l’EI ou une force similaire a demain accès aux armes nucléaires du Pakistan ? Les bombardements ne régleront rien, pas plus que les interventions en Afghanistan en 2001 et en Irak en 2003 n’ont apporté la stabilité.

    Que doit-il alors se passer?

    La vague révolutionnaire de 2011 au Moyen-Orient et en Afrique du Nord n’était pas seulement le début d’une nouvelle ère de protestation des travailleurs, elle a également prouvé la faillite de la stratégie d’Al-Qaïda & Cie. Ce n’est pas la terreur de masse mais la lutte collective de masse qui a conduit à la chute des dictateurs et aux discussions sur ce qui devait ensuite se produire pour sortir la population de la misère.

    Les événements de Tunisie et d’Egypte ont eu de grandes répercutions régionales ainsi qu’un effet unificateur. Ces soulèvements révolutionnaires n’ont pas abouti à leur conclusion logique, c’est-à-dire à une rupture anticapitaliste, et le processus révolutionnaire s’est enlisé pour laisser les coudées franches à d’autres forces telles que les salafistes ou les militaires. L’impasse a encore été accentuée par les interventions impérialistes directes et indirectes en Libye et en Syrie.

    La question essentielle est celle de la construction d’un mouvement unifié des travailleurs pour se battre contre l’élite locale et internationale. En Irak, les actions communes des Chiites et des Sunnites de 2004 contre l’occupation américaine (200.000 personnes avaient notamment manifesté ensemble) illustre que ce n’est pas de l’ordre du fantasme. Si les masses de travailleurs des différents groupes ethniques et religieux sont incapables de s’organiser et de mener la lutte en commun, alors la violence impérialiste et sectaire menace de se poursuivre.

    La construction, depuis la base, d’organisations démocratiques et non-sectaires est essentielle pour organiser la défense de toutes les communautés et pour mettre en avant un programme anticapitaliste afin de sortir de l’effusion de sang, de la répression et de la pauvreté. Un tel programme doit être orienté contre les intérêts et la cupidité des dirigeants politiques et militaires pro-capitalistes qui veulent accroître leur emprise en Irak. Ce programme anticapitaliste devrait plaider pour leur éviction du pouvoir et leur remplacement par des représentants du mouvement des travailleurs démocratiquement élus et défendant une solution socialiste pour servir les intérêts de tous les travailleurs et les pauvres.

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