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  • Irak – L’héritage sanglant de la guerre du pétrole

    L’escalade du conflit sectaire menace de toucher les pays voisins

    A l’époque de l’invasion catastrophique et criminelle de l’Irak par Bush et Blair en 2003, le Comité pour une Internationale Ouvrière et ses sections (dont le PSL en Belgique, NDT) avaient averti qu’elle pouvait mener à l’éclatement de l’Irak ainsi qu’à une terrible guerre sectaire, ce qui commence à se jouer sous les yeux du monde entier.

    Judy Beishon, Socialist Party (CIO – Angleterre et Pays de Galles)

    Les impérialismes américain et britannique ont eux-mêmes posé les bases pour être confrontés non plus à un, mais à plusieurs Saddams ainsi que pour la croissance d’organisations terroristes de type Al-Qaïda, comme l’État Islamique en Irak et au Levant (EIIL) qui domine le Nord de l’Irak aujourd’hui. La tournure des évènements menace de déclencher un bouleversement dans toute la région aux conséquences profondes et certainement tragiques pour les populations.

    Pour justifier la guerre de 2003 et l’occupation conséquente – durant laquelle plus d’un demi-million d’Irakiens et des milliers de soldats occidentaux sont morts – Bush et Blair avaient prétendu débarrasser l’Irak de ses armes de destruction massive et poser les bases d’une démocratie. Ces armes de destruction massive n’existaient pas et l’intérêt de cette intervention impérialiste n’a jamais été d’instaurer la démocratie. Ce qui était visé, c’étaient les vastes réserves de pétrole irakien et un renforcement de leur influence au Moyen-Orient. En poursuivant ces objectifs, ils ont créé les conditions matérielles pour une longue période de conflit sanglant ethno-sectaire.

    Le renversement du dictateur Saddam Hussein et la ‘‘débaasification’’ ont retiré les musulmans sunnites de l’appareil d’Etat et de leurs emplois. Face à la forte résistance à laquelle l’occupation a dû faire face et pour vaincre les insurgés sunnites, l’impérialisme américain a recouru à la tactique du ‘‘diviser pour mieux régner’’ et a imposé un gouvernement corrompu dominé par les chiites, ce qui a fortement empiré les divisions au sein des habitants.

    La prise de contrôle de Falloujah en janvier et maintenant de Mossoul (deuxième plus grande ville irakienne) par l’EIIL est considérée comme un désastre par le gouvernement américain, qui a complètement retourné la situation où ces milices sunnites avaient été expulsées de ces villes au cours d’assauts brutaux lancés par les Marines américains durant toute la guerre menée par les USA.

    A présent, l’impérialisme américain est sérieusement affaibli au Moyen-Orient suite à la série de désastres de sa politique étrangère, et à l’opposition de masse dans la région et aux USA contre ces interventions. Obama a été élu à la présidence en promettant la fin des guerres ratées en Irak et en Afghanistan, aussi a-t-il retiré les troupes d’Irak en 2011, et proclamé ensuite que l’assassinat d’Osama Ben Laden au Pakistan avait détruit le noyau d’Al-Qaïda. L’année dernière, Obama a encore été sous une pression de masse qui l’a empêché de bombarder les forces de Bachar el-Assad dans le cadre de la guerre civile syrienne. En Grande Bretagne, David Cameron a lui aussi été empêché de prendre cette direction.

    A cause de ces antécédents, ni Cameron ni Obama n’ont envisagé de renvoyer des forces terrestres nombreuses en Irak. Mais le fait qu’Obama augmente les approvisionnements de l’armée irakienne en armes et en matériel militaire et qu’il considère de bombarder les régions occupées par l’EIIL permet de mesurer l’inquiétude des stratèges impérialistes devant les avancées des milices sunnites. Cependant, les attaques aériennes, si elles sont effectuées, seront contre-productives et infligeront un bain de sang massif aux civils qui seraient inévitablement touchés, comme en témoignent les bombardements opérés en Afghanistan.

    Soulèvement sunnite

    Une partie de l’armée irakienne, qui compte près d’un million d’hommes (entraînés et équipés pour un montant de 30 milliards de livres sterling par les USA et la Grande-Bretagne), s’est désintégrée avant même l’offensive des quelques milliers membres de l’EIIL. Au cours de la prise de Mossoul, une ville de deux millions d’habitants, et d’autres villes dont Tikrit, l’EIIL a été aidé par des soulèvements de la minorité sunnite qui souffre d’une très forte discrimination et de fortes représailles sous le gouvernement chiite de Nouri al-Maliki, initialement imposé par les USA.

    L’ancien personnel de sécurité baasiste du régime déchu de Saddam Hussein fait partie de ceux qui ont rejoint l’offensive. Pendant ce temps, les forces kurdes Peshmerga ont utilisé la crise pour prendre rapidement la ville de Kirkouk, la considérant comme capitale de l’État kurde.

    Le gouvernement irakien a été laissé paralysé, sans le moindre contrôle réel sur tout le Nord de l’Irak, incapable même d’obtenir un quorum au Parlement pour introduire des mesures d’urgence. Plus d’un demi-million de réfugiés ont quitté Mossoul et les autres endroits capturés, craignant les bombardements du gouvernement, de l’EILL, ou des deux.

    L’une des grandes ironies de la situation actuelle est qu’il est dans les intérêts de l’administration américaine comme de son pire ennemi – le régime théocratique iranien – de soutenir l’infortuné gouvernement Maliki. L’élite iranienne était si perturbée par la situation critique de ses protégés chiites à Bagdad qu’elle a rapidement envoyé son général Suleiman à Bagdad pour aider à rassembler les milices chiites volontaires et les forces armées gouvernementales qui pourraient défendre la ville et ses alentours.

    C’est une autre humiliation pour les dirigeants américains : avoir besoin de coopérer avec un régime haï à qui ils ont imposé de lourdes sanctions. Cependant, pour justifier de discuter avec l’Iran, le sénateur Républicain Lindsey Graham a commenté : ‘‘Pourquoi avons-nous trouvé un accord avec Staline ? Parce qu’il n’était pas pire qu’Hitler. Nous devons discuter avec l’Iran pour s’assurer qu’ils n’utilisent pas cette opportunité pour prendre le contrôle d’une partie de l’Irak.’’

    Un autre ennemi juré de l’administration américaine, les forces de Bachar el-Assad en Syrie, sont aussi venues en aide à al-Maliki en lançant des attaques contre les bases de l’EIIL en Syrie. El-Assad avait auparavant fermé les yeux sur beaucoup des agressions de l’EIIL en Syrie parce qu’elles étaient surtout destinées à s’emparer du terrain d’autres milices islamiques qui étaient à l’avant-garde de la lutte contre son régime.

    Bagdad

    L’EIIL et d’autres milices sunnites ont déclaré qu’envahir Bagdad et les villes a majorité chiites ou mixtes au sud de la capitale faisait partie de leurs objectifs, mais il semble peu probable qu’ils puissent rapidement y parvenir étant donné le rapport de force en présence. Les milices chiites se réactivent, avec une nouvelle affluence, dont l’armée du Mahdi de Muqtada al-Sadr, qui a été impliquée dans la lutte contre l’occupation menée par les USA. Les forces iraniennes semblent les avoir appuyées.

    A Mossoul et dans d’autres endroits à majorité sunnite qui ont été balayés par l’EIIL, l’armée irakienne dominée par les chiites a été largement considérée comme un outil répressif manié par un gouvernement qui poursuit des objectifs sectaires contre les composantes non-chiites de la société. Des rapports crédibles parlent de dirigeants de l’armée irakienne qui auraient dissout leurs troupes en connivence avec l’EIIL, mais dans tous les cas, l’impopularité de l’armée dans les régions dominées par les sunnites a contribué au faible moral des soldats et aux désertions face à l’assaut islamiste. L’EIIL s’est construit une réputation de sauvagerie épouvantable contre les chiites – c’est une ramification d’Al-Qaïda que même Al-Qaïda renie – qui a ajouté à la peur des troupes en fuite.

    Des rapports ont émergé selon lesquels l’EIIL a exécuté des centaines de chiites et de soldats de l’armée irakienne désarmés dans les régions qu’ils ont prises et a auparavant fait beaucoup de victimes en Syrie. Ce bain de sang continue en sus de beaucoup d’autres atrocités commises en Irak par les milices sunnites contre les chiites et vice-versa ces dernières années.

    Cependant, même s’il pourrait ne pas y avoir de tentative d’invasion de Bagdad à court terme, il est peu probable que les forces restantes du gouvernement irakien soient capables de garder le contrôle de toutes les régions maintenant aux mains des milices sunnites ou du Peshmerga kurde. Certaines villes changent de mains – l’armée d’al-Maliki en a récupéré deux au Nord de Bagdad – mais le gouvernement a échoué à reprendre Falloujah en le bombardant depuis que l’EIIL s’en est saisi en janvier dernier.

    Quant à Kirkouk, les dirigeants de la zone kurde semi-autonome ont été enfermés dans une longue bataille contre les ministres d’al-Maliki sur qui va tirer profit de de la production de pétrole dans leur zone, une lutte dont ils voudraient bien se libérer en prenant le contrôle de Kirkouk comme une étape vers une indépendance de facto.

    L’EIIL

    L’EIIL, qui a beaucoup de combattants djihadistes étrangers dans ses rangs et de plus en plus de combattants des populations locales, a imposé un système islamiste répressif de la région de Raqqah en Syrie et veut l’étendre pour former un Califat islamiste en liant les régions irakiennes dont elle a pris le contrôle et éventuellement des parties du Liban et de la Jordanie. Ses dirigeants proclament la fin de la frontière entre l’Irak et la Syrie – des Etats dessinés par l’accord de 1916 entre les impérialismes britannique et français qui ont divisé les restes de l’Empire Ottoman entre ces deux puissances.

    Le journaliste Robert Fisk, parmi d’autres, a rapporté que l’EIIL est financièrement soutenu par de riches Arabes du Golfe, dont des membres de l’élite Saoudienne voisine, qui sont des alliés des USA mais aimeraient en finir avec le contrôle chiite de Bagdad. En Syrie, l’EIIL s’est enrichi en augmentant les taxes, par des kidnappings et d’autres extorsions et il a maintenant saisi d’énormes sommes d’argent des banques dont il a pris le contrôle à Mossoul et une grande partie de l’armurerie abandonnée par l’armée irakienne – en grande partie pourvue par les USA.

    Certains commandants de l’EIIL ont essayé de ne pas braquer les habitants des régions dont ils avaient pris possession alors que d’autres ont immédiatement mis en place des édits de la Charia disant aux voleurs qu’ils auraient les mains coupées, aux femmes de couvrir leur corps et d’éviter de sortir de chez elles, interdisant les partis politiques, et autres lois réactionnaires. Ces annonces ont effrayé une grande partie de la population, dont beaucoup de sunnites qui espéraient d’abord que l’EIIL allait au moins les délivrer de la discrimination, des arrestations et de la torture que le gouvernement Maliki leur fait subir.

    Répercussions

    Dans l’ensemble, la tournure récente des évènements va encore aggraver la terrible souffrance du peuple irakien, quelle que soit sa communauté. La perspective de l’escalade de la division sectaire menace aussi de toucher les pays voisins, dont la Turquie ou il y a déjà eu des enlèvements de plusieurs Turcs par l’EIIL, et qui de plus ne veut pas d’un Kurdistan indépendant.

    De plus, une fois encore, il y a des tensions en ce qui concerne les ressources de pétrole et l’économie mondiale, à mesure qu’augmente l’appréhension d’une possible interruption des grands champs de pétrole dans le sud de l’Irak.

    Un autre danger significatif dans le monde entier réside dans le retour chez eux de centaines de djihadistes endurcis par la guerre et traumatisés qui sont partis en Syrie et en Irak – des pays aussi divers et lointains que l’Arabie Saoudite, la Russie et la Grande-Bretagne. Ne voyant pas encore une alternative au système capitaliste pourrissant, autre que d’essayer de faire tourner l’horloge à l’envers pour revenir à l’époque de la persécution féodale, de la soumission des femmes, de la pauvreté terrible et de la justice sommaire, le danger d’une augmentation des attaques terroristes va arriver avec eux.

    La des travailleurs et les pauvres chiites, sunnites, kurdes et d’autres nationalités et de groupes ethniques et religieux en Irak n’ont rien à gagner d’aucun de ceux qui propagent le conflit sectaire d’où qu’il vienne. Les sunnites irakiens ont auparavant rejeté les prédécesseurs de l’EIIL et les ont expulsés de leurs communautés et beaucoup sont maintenant scandalisés par les actions de l’EIIL. La colère est très répandue parmi les chiites contre la corruption de Maliki et le sectarisme. Les sunnites, chiites et Kurdes souffrent tous autant de l’insécurité constante, du manque de services de base et du faible niveau de vie.

    Il y a eu beaucoup de cas dans l’Histoire ou le peuple d’Irak a montré son désir d’unité contre la division, comme en avril 2004 quand 200.000 chiites et sunnites ont manifesté à Bagdad contre l’occupation menée par les USA. La construction à la racine d’organisations démocratiques et non-sectaires, dirigées par la classe ouvrière, est essentielle, pour organiser la défense de toutes les communautés et mettre en avant un programme anticapitaliste comme seul moyen de sortir du bain de sang en cours, de la répression et de la pauvreté.

    Ce programme devrait défier et démasquer les intérêts personnels et l’avidité des dirigeants politiques et militaires pro-capitalistes qui luttent pour l’hégémonie dans tout l’Irak aujourd’hui. Il devrait expliquer la nécessité de les évincer du pouvoir et de les remplacer par des représentants démocratiquement élus de la classe des travailleurs qui appelleraient à une solution socialiste, dans l’intérêt de tous les travailleurs et les pauvres.

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière soutient le droit à l’auto-détermination de toutes les nationalités et groupes opprimés, mais précise que les Etats résultants ne seront pas économiquement viables s’ils ne sont pas liés volontairement dans une confédération socialiste, dans ce cas-ci, des peuples d’Irak et de la région. Ce n’est que sur cette base qu’une réelle coopération pourra être accomplie, pour élever le niveau de vie de tous, en faisant le meilleur usage des ressources naturelles de la région.

  • Quelle voie entre impérialisme, régimes militaires, forces laïques capitalistes et fondamentalistes religieux ?

    Révolution et contre-révolution au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

    L’accord russo-américain conclu le 14 septembre dernier à Genève, destiné à placer l’arsenal chimique syrien sous contrôle international en vue de son démantèlement a, pour l’instant, éloigné la menace directe d’une intervention impérialiste en Syrie. Ce sanglant conflit dont sont victimes les masses syriennes est loin d’être pour autant résolu, et la destruction effective des stocks d’armes chimiques, en pleine guerre civile, est loin d’être garantie. Quelle est l’issue de sortie pour les masses, coincées entre les forces du régime dictatorial de Bachar el-Assad, celles des fondamentalistes islamistes et celles de l’opposition capitaliste ?

    Par Nicolas Croes

    Les médias dominant n’ont pas lésiné sur les images horribles de victimes tombées sous l’impact des armes chimiques. Le sensationnalisme, une fois de plus, a été lourdement utilisé dans le but de faire perdre toute distance par rapport aux évènements et de les réduire à leur apparence immédiate. Jouer sur l’émotionnel pour dévier toute réflexion n’est pas une pratique neuve, loin de là.

    Comme souvent, nous avons eu sous les yeux un véritable festival d’hypocrisie. Certains ont pu croire que le conflit syrien venait d’éclater, tant le contraste était grand avec la manière dont ont été traitées les dizaines de milliers de victimes tombées depuis plus de deux ans et demi en Syrie. L’indignation médiatique de l’establishment n’explose qu’en fonction des intérêts de ce dernier, à l’image de la couverture des conditions de vie des masses de toute la région – dominées par la misère, la famine, les inégalités sociales et régionales, l’absence d’avenir et la lutte pour les droits nationaux et démocratiques – dont il n’est question que très périodiquement et de manière totalement biaisée. Ce dernier point est pourtant fondamental.

    Hypocrisie aussi de la part de l’impérialisme américain pour qui le recours aux gaz toxiques est maintenant un crime contre l’humanité alors que le plus gros stock d’armes chimiques se trouve aux Etats-Unis et qu’aucune puissance n’en a fait usage avec autant d’enthousiasme, pendant la guerre du Vietnam entre autres. Il n’est pas le seul dans ce cas, le gouvernement allemand a ainsi récemment reconnu avoir autorisé l’exportation de produits chimiques vers la Syrie entre 2002 et 2006.

    Un mouvement révolutionnaire spontané, mais qui ne surgit pas de nulle part

    Cela fera 3 ans ce 17 décembre qu’une vague révolutionnaire a déferlé de Tunisie, puis d’Egypte, sur quasiment tous les pays de la région, du Maroc jusqu’au Yémen et au Bahreïn. Mais si les médias dominants ont concentré leur attention sur le rejet des dictatures et les aspirations démocratiques, la colère des masses se basait aussi puissamment sur la lutte pour des revendications sociales et économiques contre la pauvreté, le chômage de masse, le démantèlement des services publics (particulièrement sévère depuis les années ’90),… La jeunesse, dont le poids est monumental dans la région (66% de la population égyptienne a moins de 25 ans par exemple), n’avait aucune perspective d’avenir face à elle.

    Ces mouvements ne sont donc pas apparus comme par magie et, pour qui savait les voir, des signes avant-coureurs existaient sous la surface de la stabilité apparente des dictatures. En Egypte, on dénombrait ainsi 194 grèves par an entre 2004 et 2008 (essentiellement dans les centres textiles et autour du canal de Suez). Entre 2008 et 2010, il y a eu 1600 grèves chaque année. En Tunisie, le bassin minier de Gafsa s’était soulevé en 2008, donnant lieu aux troubles sociaux les plus importants connus en Tunisie depuis les ‘‘émeutes du pain’’ en 1984 et depuis l’arrivée au pouvoir de Ben Ali en 1987. Au Liban (en 2005) et en Iran (en 2009), des mobilisations de masse avaient également ébranlé les régimes en place. Même si ces deux derniers mouvements n’étaient pas directement liés aux thématiques sociales (l’assassinat de l’ancien président du conseil Rafic Hariri au Liban, imputé au régime syrien, et la fraude électorale massive lors des élections présidentielles en Iran), ces dernières étaient loin d’être absentes et constituaient d’ailleurs le principal danger pour les régimes en place.

    C’est pourquoi, à l’occasion de son 10è Congrès Mondial (début décembre 2010), le Comité pour une Internationale Ouvrière (dont le PSL est la section belge) avait déclaré dans son document consacré au Moyen Orient et à l’Afrique du Nord ‘‘tous les despotes et les régimes autoritaires de la région ont peur de mouvements de révolte de masse. Des mouvements en Iran ou en Egypte sont possibles, qui peuvent alors en inspirer d’autres. Si la classe ouvrière n’en prend pas la direction, ces mouvements peuvent prendre des directions très différentes.’’

    Les difficultés du processus

    Une colère massive qui s’exprime enfin n’est pas suffisante pour conduire à la victoire. Un processus révolutionnaire est par nature complexe et, même dans le cas du renversement de dictateurs, du chemin reste encore à faire jusqu’à l’effondrement du système. Les mouvements en Tunisie et en Egypte avaient réussi à surprendre l’impérialisme occidental et les forces régionales, qui plus est dans des pays à fortes traditions ouvrières (ce n’est d’ailleurs aucunement un hasard si Ben Ali, en Tunisie, et Moubarak, en Egypte, ont quitté le pouvoir à l’occasion de grèves), mais il était hors de question de laisser les choses se développer ainsi dans une région tellement cruciale. Au Bahreïn, les forces armées saoudiennes et émiraties sont rapidement et brutalement intervenues au secours du régime. La répression fut féroce, sous le regard bienveillant des alliés occidentaux. Là-bas, les travailleurs et les pauvres n’ont même pas pu compter sur des larmes de crocodile de Washington, Londres ou Paris. Ailleurs aussi (comme au Yémen), la répression fut sanglante, à peine commentée par de vagues déclarations d’indignation diplomatiques. Cela permet de remettre la ‘‘guerre humanitaire’’ en Libye et les menaces d’intervention en Syrie à leur juste place.

    L’intervention impérialiste en Libye ne visait en rien à défendre la population. Les puissances impérialistes occidentales avaient d’ailleurs conclu d’avantageux marchés avec Kadhafi sur la dernière période de son règne. Il était en fait surtout crucial pour l’impérialisme de parvenir à stopper la vague des révolutions avant qu’elle ne frappe également des alliés fiables tels que l’Arabie Saoudite et les États du Golfe. Pour récupérer le contrôle de la région et de ses matières premières, faire sauter un fusible comme Kadhafi était une option très envisageable. En Syrie, intervenir directement était une autre paire de manches. Les interventions n’étaient toujours pas finies en Irak et en Afghanistan que s’ajoutait celle de Libye, les divisions ethniques et religieuses plus fortes rendaient l’aventure extrêmement périlleuse, l’armée syrienne représentait une force d’un tout autre calibre et le régime disposait, comme aujourd’hui, d’alliés solides désireux de garder un pied dans la région (la seule base navale méditerranéenne russe est en Syrie).

    Mais si aucune intervention directe n’a eu lieu à l’époque, une aide matérielle, logistique et humaine est arrivée pour ‘‘soutenir’’ l’opposition (à partir des alliés de l’impérialisme américain à géométrie variable que sont l’Arabie Saoudite et le Qatar) et, surtout, pour assurer que la voie révolutionnaire soit déviée de cette manière. Les alliés saoudites et qataris ont cependant leurs intérêts propres, et ont fortement aidé au développement des forces fondamentalistes sur place. Il était devenu nécessaire que les Etats-Unis livrent eux-mêmes directement leurs armes afin de s’assurer eux-aussi une base de soutien (ce qui a – officiellement – commencé dès que l’accord de Genève a été conclu en septembre dernier).

    Une seule force favorable aux travailleurs et aux jeunes : eux-mêmes

    L’impact qu’aurait une intervention impérialiste directe en Syrie peut se mesurer à l’échec de l’intervention en Libye. Le peu d’infrastructures que possédait le pays ont été détruites par l’invasion et, plus de deux ans plus tard, des régions entières du pays restent incontrôlées, si ce n’est par des milices lourdement armées. Le conflit s’est, de plus, étendu au Mali.

    L’absence de perspectives d’un pouvoir alternatif stable pour l’impérialisme ainsi que le risque d’extension du conflit sont des dangers plus grands encore en Syrie. Le pays est devenu un terrain extrêmement complexe où se mêlent le Hezbollah libanais, l’Iran, la Russie et la Chine dans le camp pro-Assad et, d’autre part, Al Qaeda, l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie, l’Egypte (jusqu’au renversement des Frères Musulmans), les Etats-Unis et l’Union Européenne dans le camp de l’opposition. Chaque force en présence a également ses intérêts propres, sur fond de conflits entre sunnites (courant majoritaire de l’Islam) et chiites (courant minoritaire), de même qu’au sein de ces courants. Au Liban voisin déjà, les attentats meurtriers ont refait leur apparition. Le 15 août dernier, une bombe a explosé en plein fief du Hezbollah (chiite et pro-Assad), une attaque inédite dans un endroit aussi surprotégé. Une trentaine de personnes sont décédées et il y a eu plus de 300 blessés. Une semaine plus tard, deux mosquées sunnites ont explosé, causant 45 morts, avec une implication probable du régime syrien.

    Cependant, notre opposition résolue à toute intervention impérialiste ne nous place pas pour autant dans le camp de Bachar el-Assad ou dans celui de l’opposition syrienne de l’Armée Syrienne Libre (qui fourmillent d’anciennes figures du régime) ou des diverses forces djihadistes. Seule l’énergie des masses est en mesure de balayer à la fois l’impérialisme et les régimes réactionnaires de toutes sortes, pour autant qu’elles soient armées d’un programme et de méthodes capables de mobiliser par delà les divisions ethniques et religieuses.

    Cela ne saurait être possible que sur base d’un programme qui articule ses revendications autour de l’auto-défense des masses (à l’aide de la création de comités d’auto-défense non-sectaires et démocratiquement dirigés) en liaison avec la réponse aux questions sociales fondamentales (dans ce cadre, retirer les secteurs-clés de l’économie des mains des capitalistes pour les placer dans celles des travailleurs et des pauvres est un élément de première importance). A l’exemple de ce qui s’était développé de manière embryonnaire en Tunisie et en Egypte au début de la vague révolutionnaire, des comités de lutte et d’auto-défense ont le potentiel de constituer les germes d’un nouveau pouvoir basé sur la démocratie des travailleurs.

    L’ennemi de mon ennemi : un allié ?

    Dans le monde, nombreux sont ceux qui se sont réjouis de voir l’impérialisme américain si affaibli à travers le prisme de la crise syrienne. Au niveau interne, l’opposition à la guerre est tellement gigantesque (seuls 9% des Américains soutiennent une intervention) que les élus se sont retrouvés sous une pression monumentale, tant parmi les Républicains que parmi les Démocrates. Obama, en demandant le vote du Congrès, courait le risque d’essuyer le camouflet qu’a eu à subir le Premier Ministre britannique David Cameron, dont la volonté va-t-en-guerre a été bloquée par le Parlement, également sur fond d’une opposition massive dans la population.

    Il n’a du reste jamais été aussi difficile aux USA de réunir des alliés pour les accompagner dans une aventure guerrière. Seul le gouvernement français a clairement marqué son approbation, et le gouvernement turc semblait vouloir embrayer lui aussi. Mais, dans les deux pays, l’opposition aussi était de taille : 56% des Français et 72% des Turcs.

    A gauche, le principe ‘‘l’ennemi de mon ennemi est mon ami’’ garde toujours ses partisans, et c’est très certainement le cas vis-à-vis des Etats-Unis suite à la longue période de recul idéologique qui a suivi la chute de l’URSS combinée au statut de superpuissance hégémonique des USA depuis lors. Le courant dominant affirmant qu’il n’y avait pas d’alternative au capitalisme était très fort, et se limiter à l’anti-impérialisme et à une rhétorique ‘‘progressiste’’ où on parlait de société solidaire et non plus socialiste était une voie qui semblait plus facile à tenir. Certains avaient ainsi soutenu Ahmadinejad ‘‘l’anti-impérialiste’’ en Iran en 2009, allant jusqu’à déclarer que les mobilisations de masse étaient fomentées par la CIA… De façon similaire, nombreux sont ceux qui se sont fermement agrippés au prétexte de l’anti-impérialisme pour faire l’éloge de Bachar el-Assad, de son prétendu nationalisme progressiste et de sa prétendue lutte contre Israël en se cachant aussi derrière le soutien apporté à ce régime dictatorial par le Parti ‘‘Communiste’’ Syrien (membre du Front National Progressiste, le pilier du règne du parti Baath d’Assad).

    En Belgique, le PTB et le Parti Communiste Wallonie-Bruxelles ont ainsi signé une déclaration opposée à une intervention militaire impérialiste en Syrie qui ne dit pas un mot sur la nature du régime syrien. Leur signature se trouve aux côtés de 63 Partis ‘‘Communistes’’, dont le Parti Communiste Syrien pro-Assad. Si nous comprenons bien le sentiment d’urgence que peut provoquer la menace d’une intervention, nous trouvons extrêmement dommageable pour le développement du mouvement anti-guerre de laisser le moindre espace aux forces pro-Assad, notamment dans l’émigration. Des incidents de cet ordre avaient d’ailleurs eu lieu lors d’un rassemblement anti-guerre à Bruxelles où, sur base d’une plateforme qui entretenait le flou concernant l’attitude à adopter face à la dictature, étaient intervenus des militants pro-Assad, qui s’en sont d’ailleurs pris physiquement à ceux qu’ils jugeaient trop critiques. Il est impossible de renouer avec la tradition d’un mouvement anti-guerre massif dans de pareilles conditions.

    Armer l’opposition ?

    Une autre approche, mais tout aussi erronée, est de soutenir les rebelles syriens en entretenant le flou sur leur caractère et les méthodes de soutien. Nous avons ainsi été extrêmement surpris de lire un communiqué de presse du NPA français (Nouveau Parti Anticapitaliste) où Olivier Besancenot demandait que la France ‘‘donne gracieusement des armes aux révolutionnaires syriens’’ tout en précisant… qu’il ne faisait ‘‘pas confiance’’ à l’Etat français ! Bien que précisant qu’il ne fallait pas que les armes finissent chez des djihadistes, il demandait tout de même : ‘‘qui peut avoir la légitimité de décider à la place des autres ?’’ En Belgique, cette approche est partagée par la LCR qui affirme que ‘‘le peuple syrien a besoin que des armes soient livrées aux forces de la rébellion’’. Mais qui livrerait ces armes ? Et à quel prix politique ? Nous pensons que le droit des peuples à décider d’eux-mêmes ne nous empêche pas d’être plus précis quant à l’orientation à donner à la lutte.

    Encore une fois, nous comprenons tout à fait où peut conduire le sentiment d’urgence, mais cette analyse des évènements avant tout ‘‘militaire’’ nous semble très insuffisante. Seules les méthodes de masse basées sur un programme de rupture avec le régime et ses bases économiques peut réunir au-delà des frontières confessionnelles, jusqu’à provoquer des ruptures au sein de l’armée. La meilleure manière de lutter contre les tanks d’Assad est d’œuvrer à les retourner contre lui.

    Les forces capables de défendre ce programme et ces méthodes en Syrie peuvent bien être limitées pour l’instant, pour autant qu’elles soient déjà organisées, mais il ne faut pas non plus oublier le contexte régional de révolution et de contre-révolution dont est issue la révolte syrienne de 2011. Dernièrement encore, plus d’un million de personnes ont manifesté dans les rues voisines de Turquie contre le gouvernement Erdogan, et là aussi le génie des mobilisations de masse est sorti de sa lampe.

    A ce titre, un programme et une approche internationalistes conséquents doivent être défendus dans toute la région, notamment en Tunisie et en Egypte où, si des dictateurs ont pu tomber, le pouvoir reste toujours aux mains de la même élite. Toujours sous l’argument de ‘‘l’ennemi de mon ennemi’’, en Tunisie, la direction du Front Populaire – appuyée d’ailleurs par certains partisans de l’organisation internationale de la LCR (le Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale, dont est également membre Besancenot) ainsi que par le Parti des Travailleurs de Tunisie (PTT, partenaire privilégié du PTB dans le pays) – a conclu un accord contre Ennhada, le parti islamiste au pouvoir, avec Nidaa Tounes, le parti laïc pro-capitaliste où se sont réfugiés nombre d’anciens laquais du dictateur Ben Ali. C’est la meilleure manière de démoraliser et de désorienter les travailleurs et les jeunes, tout en laissant à Ennhada et ses alliés l’argument que ce sont eux les vrais révolutionnaires, car ils ne sont pas alliés aux forces de l’ancien régime.

    Une perspective socialiste

    La crise du capitalisme, la perte d’autorité des élites et la riposte des masses en défense de leurs conditions de vie et pour gagner de nouveaux droits ouvrent de nouvelles perspectives pour que les idées socialistes gagnent une échelle de masse. Mais les millions de travailleurs et de jeunes qui sont aujourd’hui à la recherche d’une alternative et d’une méthode de lutte ont encore à faire leur expérience et à combler le fossé entre l’état de conscience général actuel (héritage des 20 dernières années de règne du néolibéralisme tout autant que des trahisons du stalinisme et de la social-démocratie) et les tâches qu’exige le renversement du capitalisme. Les forces de gauche doivent aider à faire avancer ce processus, et donc honnêtement tirer le bilan de leurs analyses passées et présentes.

    C’est dans ce cadre que le Comité pour une Internationale Ouvrière déploie son activité dans plus d’une quarantaine de pays, notamment dans cette région, afin de construire un instrument révolutionnaire international où se partagent les leçons des luttes passées et présentes afin de mieux coordonner le combat contre cette société capitaliste putride et construire une société débarrassée de la misère, de la guerre et de l’exploitation, une société socialiste.

  • Syrie : La Russie fait une proposition concernant les armes chimiques

    La campagne anti-guerre doit se maintenir : NON à toute intervention impérialiste !

    Alors que le sommet du G20 qui se tenait en Russie prenait fin, les diverses puissances capitalistes internationales étaient divisées en deux camps opposés concernant l’opportunité de lancer une attaque militaire en Syrie. Pendant ce temps, la volonté guerrière d’Obama rencontrait une forte opposition au sein des deux principaux partis politiques américains.

    Judy Beishon, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    Aux USA, les membres du Sénat et de la Chambre des représentants étaient sous la forte pression de l’opinion publique, largement opposée à une intervention militaire. Il était bien incertain qu’Obama puisse obtenir l’approbation qu’il souhaitait. Les dirigeants du parti Républicain étaient divisés entre un ‘‘réalisme prudent’’ à l’instar du sénateur Rand Paul et l’interventionnisme agressif de l’ancien candidat républicain à l’élection présidentielle John McCain.

    Les Démocrates, quant à eux, désirent éviter d’endommager la réputation d’Obama en votant contre lui, mais nombreux sont ceux qui craignent les conséquences qu’auraient un ‘‘oui’’. Pour Obama, perdre cette consultation constituerait un puissant coup porté à son prestige, à l’image de ce qu’a subi David Cameron face au refus du Parlement britannique. Voilà ce qui explique le changement d’attitude du gouvernement américain, vers d’éventuelles négociations concernant une supervision internationale des stocks d’armes chimiques syriens.

    Face à une défaite possible au Congrès américain, il semble bien qu’Obama ait reçu une bouée de sauvetage politique inattendue de la part de son homologue russe Vladimir Poutine. Poutine a proposé que le régime syrien place ses armes chimiques sous la supervision des Nations Unies afin d’éviter les frappes aériennes sous commandement américain contre les bases militaires du régime syrien.

    Une agression impérialiste n’est toutefois pas encore définitivement hors de vue. Tôt ou tard, en fonction des événements, il n’est pas exclu que David Cameron fasse par exemple son retour sur cette question en obtenant le soutien de dirigeant travailliste indécis Ed Miliband, dans l’opposition. La campagne anti-guerre doit être maintenue, avec l’implication de syndicalistes, de militants marxistes et autres. Il reste toujours d’actualité de clamer haut et fort : non à toute intervention impérialiste en Syrie ! Mais il faut aller plus loin.

    La machine de propagande est lancée

    Dans sa tentative de gagner un soutien aux Etats-Unis, la machine de propagande d’Obama a été utilisée à plein régime, notamment en utilisant des vidéos d’images de victimes d’attaques de gaz chimiques réunies par l’opposition syrienne et la CIA. Ces images sont horribles, mais la question de savoir qui est véritablement responsable de ces actes reste en suspend, qu’il s’agisse de Bachar Al-Assad, de commandants militaires agissant sans son approbation (comme le rapporte le journal allemand Bild, en affirmant se baser sur des écoutes de l’armée allemande) ou des forces d’opposition.

    De toute manière, la possibilité d’une attaque occidentale n’est pas fondamentalement basée sur l’emploi d’armes chimiques. Dans une lettre publiée par le Times le 5 septembre dernier, Lord Lamont (ancien ministre conservateur de Margareth Thatcher et de John Major) a rappelé qu’en 1988, l’Occident a fermé les yeux lorsque Saddam Hussein a utilisé du gaz moutarde et du gaz sarin contre les troupes iraniennes, tuant ainsi 20.000 personnes. Il a ajouté : ‘‘Un récent article paru dans le magazine US Foreign Policy a affirmé que les responsables américains qui ont donné connaissance à l’Irak des mouvements de troupes iraniennes savaient que des armes chimiques seraient utilisées contre eux.’’

    Aucun missile américain n’empêchera que de armes chimiques soient à nouveau utilisées, ne tombent dans les mains de terroristes ou soient cachées ailleurs. Une attaque américaine ne constituerait rien d’autre qu’un acte sanglant destiné à défendre le prestige de la classe dirigeante américaine aux Etats-Unis et dans le monde et à protéger ses intérêts au Moyen-Orient, après qu’Obama ait imprudemment déclaré que l’utilisation d’armes chimiques serait une ‘‘ligne rouge’’.

    D’autres répercussions seraient inévitables, comme de possibles attaques contre des bases américaines dans la région, des tirs de roquettes contre Israël, des attentats terroristes aux États-Unis et dans ses pays alliés ou encore une perturbation de l’approvisionnement en pétrole. Les tirs de missiles américains renforceraient également la perspective d’une escalade du conflit syrien et de sa propagation dans les pays voisins. Il y aurait également plus de réfugiés, alors que leur nombre atteint déjà le total phénoménal de six millions de personnes, à l’intérieur et à l’extérieur de la Syrie.

    Toute l’ironie du sort est que la population syrienne pourrait bien plus courir le risque d’être victime d’armes chimiques dans le cas de frappes américaines. Il a ainsi été prouvé que les frappes aériennes américaines contre les usines d’armes chimiques de Saddam Hussein lors de la guerre du Golfe de 1991 n’ont pas détruit le gaz sarin mortel qui était visé, mais l’ont simplement répandu jusqu’à 600 km des bases militaires détruites.

    Les masses voient à travers les projets des gouvernements

    Ce qui se cache réellement derrière ‘‘l’humanitarisme’’ affiché par les gouvernements occidentaux afin de s’assurer le soutien de leur opinion publique est visible aux yeux de la majorité de la population des divers pays. Le soutien indéfectible des impérialistes occidentaux aux élites dirigeantes arabes répressives et dictatoriales ; le massacre de civils irakiens ; le soutien aux assauts du régime israélien contre Gaza ; l’assassinat de civils par des drones américains au Pakistan, en Afghanistan et au Yémen ; leur acceptation de la répression de l’armée en Egypte et beaucoup d’autres exemples illustrent que ces puissances savent soutenir une infâme brutalité lorsque cela leur convient.

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    Simplement s’opposer à l’intervention impérialiste est insuffisant, cela laisse la porte ouverte à un soutien au dictateur Assad. Pire, certains vont jusqu’à défendre l’idée erronée selon laquelle ‘‘les ennemis de nos ennemis sont nos amis’’. Il n’est pas non plus possible de prendre parti pour le camp des rebelles, liés soit à l’islam politique réactionnaire, soit à d’anciens dirigeants du régime. Chacune de ces forces défend des intérêts liés à l’exploitation et à l’oppression des masses. Notre seul camp, c’est celui de notre classe, celle des travailleurs, des jeunes, des opprimés ! Nous devons encourager son auto-organisation !

    Cette tâche est immense, mais la Syrie n’est pas isolée du reste du monde : les processus révolutionnaires sont contagieux et avancent par vagues. Les luttes de masse en Tunisie et en Egypte s’orientent vers la chute du système lui-même et pas seulement vers celle d’un gouvernement capitaliste autoritaire qui sera remplacé par un autre. La construction d’un rapport de forces vers un régime basé sur la satisfaction des besoins des masses aura ses répercussions sur la Syrie et ailleurs. L’élément crucial sera la construction d’instruments de lutte (comités, syndicat et parti) afin d’unir et de défendre les travailleurs et les pauvres par-delà leur religion ou leur ethnie.

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    Pour éviter de subir des pertes humaines et de s’embourber dans une intervention prolongée, les éventuelles frappes américaines prendraient très probablement la forme de missiles tirés à distance plutôt que de bombardements aériens. Cela endommagerait inévitablement les forces armées d’Assad, mais la Russie peut toujours le ravitailler, et sa supériorité militaire sur l’opposition syrienne pourrait être maintenue. Bachar Al-Assad profiterait en outre du ‘‘statut de victime’’, en particulier parmi sa base de soutien syrienne, russe et chinoise.

    La guerre civile en Syrie a engendré une dynamique horrible de régulières atrocités, et ce des deux côtés. En laissant faire le régime vicieux d’Al-Assad et les capitalistes en herbe de l’opposition (et ses nombreuses nuances de division et de sectarisme), la guerre est susceptible de perdurer jusqu’à ce que les deux côtés aient utilisé jusqu’au bout leurs capacités militaires.

    Beaucoup de puissances capitalistes étrangères se sont mêlées de ce conflit avec leurs prétendues ‘‘solutions’’ qui, toutes, illustrent leur faillite à offrir une solution capable de mettre un terme au cauchemar des masses syriennes.

    Seule la construction d’organisations non-sectaires basées sur la force des travailleurs, démocratiquement gérées et coordonnées les unes les autres peut montrer une voie de sortie qui ne soit pas un cul-de-sac. Ces instruments de lutte auraient également besoin d’organiser une résistance armée des masses tant contre les forces du régime d’Al-Assad que contre toutes les milices dirigées par des forces réactionnaires motivées par le profit personnel, la division religieuse ou ethnique, et la vengeance.

    Cette unité des travailleurs pourrait se développer grâce à l’attraction d’un programme de rupture anticapitaliste et socialiste posant clairement la question de la propriété collective des secteurs-clés de l’économie, dans le cadre d’une planification économique démocratiquement élaborée et visant à éliminer l’exploitation et la pauvreté.

  • Action contre l'intervention impérialiste en Syrie : le camp pro-Assad rend impossible le développement d'un large mouvement anti-guerre!

    Ce dimanche, une manifestation a eu lieu à l’initiative d’Intal devant l’ambassade américaine afin de s’opposer à la menace d’une intervention militaire en Syrie. Le PSL défend le droit à l’autodétermination des peuples et s’oppose au déclenchement d’une intervention militaire qui n’a pour but que de remplacer un dictateur par un autre, sans toucher au fond de l’oppression capitaliste.

    Par Julien (Bruxelles)

    • Syrie : Obama bat le tambour de guerre

    Depuis le début des mouvements révolutionnaires en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, le PSL s’est systématiquement placé du côté des pauvres et des travailleurs. Nous ne défendons pas les dictateurs comme Bassar Al-Assad en nous berçant d’illusions sur le fait qu’il constituerait un quelconque bouclier face à l’Islam politique fondamentaliste. Ni Assad, ni la direction des différents groupes rebelles ne se situent du côté des travailleurs et des pauvres. Les masses ont besoin d’un outil de classe indépendant pour renverser le régime et pour décider démocratiquement de leur avenir, tout en réunissant dans la lutte les travailleurs et les pauvres des diverses ethnies et religions. Les mouvements de masses en Tunisie et en Egypte ont montré que les masses sont capables de renverser des régimes à coups de grèves générales, de comités de quartiers, d’occupations,… ce qui doit servir d’exemple pour la Syrie. Ces mouvements ont montré que, dans la région, les masses sont prêtes pour une révolution et n’ont pas besoin de s’en remettre à une élite nationale pour rompre avec l’impérialisme et les sectes religieuses. Mais ils illustrent aussi que la révolution peut dégénérer faute de clarté quant à la nécessité de mettre fin aux causes de l’oppression et en cherchant à nouer des alliances avec des forces opposées aux intérêts de la classe ouvrière.

    Il est donc nécessaire de prendre ses distances, tant envers le régime d’Assad qu’envers les rebelles soutenus par l’Arabie-Saoudite, le Qatar et l’impérialisme occidental. Nous déplorons que l’appel d’Intal n’ait pas adopté cette approche en se limitant à manifester contre l’impérialisme. Cela a d’une part permis d’isoler la manifestation vis-à-vis des Tunisiens et Egyptiens, mais aussi vis-à-vis de jeunes et de travailleurs syriens qui s’opposent aux divers dictateurs de la région. D’autre part, cela a attirer des Syriens pro-Assad. Ces derniers n’ont pas hésité à, dans un premier temps, intimider nos membres qui vendaient notre journal (en Syrie, grâce à la dictature, les pro-Assad ne connaissent pas le problème d’être critiqués dans la presse) pour ensuite s’en prendre physiquement à un groupe d’Iraniens qui avait brandi des pancartes contre l’impérialisme et contre le dictateur Assad. Plusieurs manifestants se sont interposés pour les protéger – dont des membres et sympathisant du PSL, des JOC et d’Anonymous – mais la police est venue en aide aux agresseurs pro-Assad en nous repoussant en dehors de la manifestation, en arrêtant deux manifestants et en traitant les opposants à Assad (JOC, PSL, quelques Anonymous et Iraniens de gauche) comme des violents.

    Le PSL n’est pas non plus en accord avec la position de la LCR, qui n’est pas claire dans sa critique sur les rebelles et leur armement par l’impérialisme. D’un autre côté, elle s’exprime clairement contre une intervention militaire directe. Sur base de ce dernier point, nous ne comprenons pas pourquoi les organisateurs lui ont demandé de quitter la manifestation. Un mouvement anti-guerre ne peut se développer que sur base de l’espace laissé au débat et à la discussion, et non pas en cédant à la pression pour adopter une position unilatérale sous l’intimidation, pro-Assad dans ce cas-ci.

    La communauté kurde a déjà manifesté à Bruxelles, avec 350 personnes, contre les attaques d’Al-Qaïda dans la région kurde de Syrie et contre l’intervention militaire, tout en s’opposant également au dictateur. Le caractère de la manifestation de ce dimanche a assuré leur absence.

    Que se passera-t-il si les pro-Assad continuent à attaquer physiquement toute personne opposée au régime? Nous pensons que se limiter à l’anti-impérialisme n’est pas suffisant pour construire un mouvement anti-guerre large. Il est nécessaire de défendre une réelle alternative, une alternative socialiste, dans l’intérêt des pauvres et des travailleurs de la région!

  • Syrie : Obama bat le tambour de guerre

    mais tous les sondages montrent une majorité de la population opposée à toute intervention militaire impérialiste

    Dans le contexte de la préparation des débats qui prendront place la semaine prochaine au Congrès américain au sujet d’une intervention militaire américaine en Syrie, le président Obama a suggéré qu’il faudrait dépasser le cadre d’attaques ‘‘limitées et proportionnelles’’ destinées à ‘‘endommager les capacités de production d’armes chimiques en Syrie’’ et adopter une stratégie à plus long terme orientée vers un ‘‘changement de régime.’’

    Par Per-Åke Westerlund, Rättvisepartiet Socialisterna (CIO-Suède)

    Après le revers subi par Obama la semaine dernière quand le premier ministre britannique David Cameron a été battu et humilié par un vote à la Chambre des communes opposé à une participation des forces britanniques à une attaque contre la Syrie, l’administration américaine tente d’obtenir d’autres soutiens pour son projet guerrier. Les médias internationaux de droite ont lancé toute une campagne de propagande impérialiste visant à justifier une nouvelle guerre contre un pays du Moyen-Orient. Obama a commencé une tournée européenne, un voyage culminant avec sa participation au sommet du G20 à Saint-Pétersbourg en Russie, afin de tenter de persuader des dirigeants de soutenir sa stratégie.

    Le véritable caractère impérialiste de cette menace militaire est de plus en plus clair pour la population, partout à travers le monde. Le fait qu’Obama ne s’oppose pas le moins du monde à l’emprise croissante de l’armée sur le pouvoir en Égypte, où se taise à propos de la répression continue au Bahreïn (un petit pays arabe qui sert de base à la Cinquième flotte de la marine de guerre américaine), ne sont que les derniers exemples en date qui illustrent son hypocrisie.

    L’intervention militaire américaine qui pointe à l’horizon n’a rien à voir avec la protection des civils face à la féroce répression du régime de Bachar el-Assad, mais bien avec le renforcement de la domination impérialiste occidentale et américaine dans cette région cruciale. L’intervention ne va pas mettre un terme à la guerre civile de plus en plus sectaire qui a cours dans le pays, elle ne fera au contraire que l’aggraver.

    Cependant, les sondages révèlent une opposition massive de la part de la population des Etats-Unis, comme partout ailleurs, contre cette idée d’une intervention militaire en Syrie. Les manifestations anti-guerre grossissent de jour en jour ; et les diverses sections du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) y participent.

    En Belgique, dimanche prochain, le 8 Septembre, une manifestation est prévue à 17h face à l’ambassade américaine (Boulevard du Régent) à Bruxelles. Le PSL-LSP appelle à y participer. Plus d’informations peuvent être trouvées via ce lien.


    La résistance est croissante contre les plans impérialistes d’Obama

    Non à l’attaque américaine en Syrie !

    Une intervention militaire américaine en Syrie semble de plus en plus probable. Mais les projets guerriers d’Obama reçoivent beaucoup moins de soutien que ce qu’il avait escompté initialement, même parmi les alliés traditionnels des Etats-Unis.

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    La situation en Syrie :

    Les évènements qui avaient commencé en tant que mouvement d’opposition pacifique de la jeunesse, sous l’inspiration des révolutions en Égypte et en Tunisie, se sont transformés il y a deux ans en un conflit militaire qui est devenu de plus en plus sectaire et religieux, avec des massacres perpétrés de part et d’autre.

    Les dirigeants du régime proviennent essentiellement de la minorité alaouite, une branche dérivée de l’islam chiite. Le président el-Assad est soutenu par l’Iran et par son allié le Hezbollah libanais, tandis qu’il reçoit des armes de Russie, qui le soutient à l’ONU.

    Les rebelles sont dominés par des musulmans sunnites, qui constituent environ 70 % de la population du pays. Leurs représentants officiels sont étroitement liés à l’Arabie saoudite, au Qatar, aux États-Unis et à la Turquie.

    Le pays est divisé en zones militaires. L’armée d’el-Assad contrôle un corridor qui part du sud et qui va jusqu’à la côte de la mer Méditerranée en passant par Damas (la capitale). Cet été, le régime a repris le contrôle de la ville de Qousseir et de la région autour de Homs.

    Les forces rebelles contrôle la plupart du nord et de l’est de la Syrie, y compris la ville de Racca et une partie de la plus grande ville du pays, Alep. Les rebelles sont divisés entre eux ; il y a des combats entre les diverses milices regroupées au sein de la coalition dénommée “Armée syrienne libre”, dirigée par des renégats du régime el-Assad, et les puissants groupes islamistes extrémistes – comme la section locale d’Al-Qaïda, al-Nosra, et son rival au sein d’Al-Qaïda, les troupes de l’“État islamique d’Irak et du Levant”, qui a envoyé des milliers de combattants à partir d’Irak.

    La troisième zone rebelle, au Nord-Est, est la région du Kurdistan occidental, contrôlée par les troupes kurdes dirigées par leur parti, le PYD (Partiya Yekîtiya Demokrat, Parti de l’union démocratique). Les Kurdes constituent un dixième de la population syrienne. Leur région a récemment été attaquée par des islamistes, et des dizaines de milliers de personnes se sont enfuies au-delà de la frontière, vers l’Irak.
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    L’angoisse et la souffrance de la population dans la Syrie ravagé par la guerre ont déjà empiré à cause de la simple menace d’une intervention américaine. Après deux ans et demi d’une guerre civile sanglante, la Syrie est à présent un pays en ruines, où il n’y a rien à manger, pas d’électricité, pas d’eau, et la plupart des gens se sont retrouvé sans emploi. Plus de 150.000 personnes ont été tuées pendant ces deux dernières années, selon les déclarations de petites organisations socialistes dans la région qui s’opposent à la fois au régime d’Assad et au projet d’intervention américaine.

    Le flot de réfugiés n’a fait que s’intensifier au cours de ces dernières semaines. On trouve à présent plus de 2 millions de réfugiés dans les pays voisins, dont un million au Liban et un million réparti entre la Jordanie et la Turquie.

    Les images atroces de centaines de personnes tuées et de milliers de blessés suite au recours aux armes chimiques, publiées il y a deux semaines, ont choqué la population partout dans le monde. Obama et d’autres politiciens occidentaux ont profité de cette situation pour utiliser à leur avantage le sentiment populaire selon lequel ‘‘Il faudrait quand même faire quelque chose !’’

    Mais un grand flou demeure concernant ces accusations d’utilisation d’armes chimiques. Les enquêteurs de l’ONU ne devraient pas rendre leur rapport avant la mi-septembre. Le gouvernement américain prétend cependant avoir des preuves que le régime de Bachar el-Assad est derrière ces attaques chimiques. Ces preuves n’ont toutefois toujours pas été publiées. Et le souvenir des “preuves” de la présence d’armes de destruction massive en Irak (présentées afin de justifier l’invasion de 2003), qui s’étaient révélées montées de toute pièce, reste vivace.

    Les États-Unis eux-mêmes sont loin d’être innocents quand on parle de l’utilisation d’armes chimiques. De récentes révélations ont par exemple montré que la CIA a aidé Saddam Hussein à employer des armes chimiques lors de sa guerre contre l’Iran en 1980-88.

    Après la défaite humiliante du premier ministre britannique David Cameron devant son propre parlement, Obama a décidé d’attendre de recevoir le soutien du Congrès américain qui se réunira à Washington ce lundi 9 septembre. Pendant ce temps, d’autres alliés potentiels des États-Unis ont déjà refusé de leur accorder un soutien. La Ligue Arabe (qui représente différents gouvernements du monde arabe) et l’Otan ont déclaré être d’accord sur le fait de punir le régime de Bachar el-Assad, mais refusent de participer à une intervention militaire. La Jordanie s’est elle aussi déclarée contre toute participation à l’effort de guerre.

    Derrière Obama, le secrétaire d’État John Kerry et le vice-président Joe Biden ont eux aussi accusé le régime d’el-Assad d’être responsable des attaques chimiques, mais ont déclaré ne vouloir qu’une attaque ‘‘limitée’’. ‘‘Notre objectif n’est pas d’obtenir un changement de régime, mais de modifier le rapport de force en Syrie et de mettre un terme à la guerre civile. Nous interviendrons pour seulement un jour ou deux, puis nous partirons’’, a finalement dit Obama à CNN. Obama a de plus insisté sur le fait que cette intervention serait selon lui nécessaire pour la sécurité des États-Unis eux-mêmes. Cet objectif fort flou – “punir” – était aussi l’argument servi par Cameron afin de convaincre le Royaume-Uni de suivre les États-Unis dans leur guerre. Mais il a été battu à 285 voix contre et 272 pour au Parlement ; les députés ont en effet bien senti le sentiment anti-guerre qui vit dans le pays, en plus de la colère qui gronde contre la politique d’austérité extrême mise en place par le gouvernement de droite. Trente-neuf parlementaires issus du Parti Conservateur de David Cameron et des Libéraux-Démocrates (au pouvoir en coalition avec les Conservateurs) ont voté contre, tout comme l’opposition du Parti Travailliste. Et même si le Parti Travailliste reste, comme d’habitude, ouvert à un éventuel changement de position, Cameron a été forcé d’admettre qu’il est clair que ni le Parlement, ni le peuple britannique ne veulent voir la moindre intervention militaire. Un sondage effectué par la BBC a en effet montré que 75 % des Britanniques sont contre toute participation de leur pays à cette guerre.

    Les États-Unis connaissent un problème similaire avec leur propre opinion publique. Selon un sondage de l’agence Reuters, seuls 9 % de la population américaine sont absolument en faveur d’une intervention militaire en Syrie. Même en France, où le président Hollande est le premier à vouloir partir en guerre, la pression est grandissante pour un vote au Parlement avant toute prise de décision.

    Même des think tanks impérialistes, comme l’International Crisis Group (un club d’anciens politiciens internationaux), ont exprimé une profonde inquiétude quant au bien-fondé de ce projet de guerre. Selon l’IUnternational Crisis Group, cela pourrait conduire à une aggravation de la crise en Syrie et dans toute la région. Le même groupe mentionne également le fait que de pires massacres ont eu lieu bien plus tôt au cours de cette guerre civile, sans déclencher une telle réaction.

    Mais les États-Unis subissent une pression de deux côtés à la fois. Une attaque qui ne mènera à rien mis à part à la mort d’encore plus de civils ne renforcera pas la position d’Obama. En remettant ce plan à plus tard, cela donne la possibilité à la Maison Blanche de travailler l’opinion publique jusqu’à obtenir un soutien qui lui permettrait d’aller plus loin que le projet d’intervention “sur mesure” en “deux ou trois jours” dont on parle à présent.

    Quels facteurs suggèrent la possibilité d’une attaque américaine ?

    Obama aura à présent beaucoup de problèmes pour tout simplement laisser tomber cette affaire. Il a annoncé haut et fort au cours de ces derniers mois que l’usage d’armes chimiques constituait une “ligne rouge” à ne pas franchir sous peine de susciter une riposte immédiate de la part des États-Unis. Ce qui est en jeu ici est la puissance et le prestige de l’impérialisme américain, qui doit prouver qu’il est toujours capable de jouer le rôle de “gendarme du monde” – surtout vis-à-vis de l’Iran. Le Moyen-Orient est une région extrêmement importante sur le plan stratégique, en premier lieu à cause de son pétrole.

    L’impérialisme américain a perdu une grande partie de son aura après les guerres d’Irak et d’Afghanistan. La supériorité militaire et plus de 100.000 soldats dans chacun de ces pays n’ont pas pu livrer les victoires espérées, mais n’ont fait que laisser derrière eux des pays divisés, ravagés par les bombes et totalement détruits sur le plan économique.

    Six vaisseaux de guerre américains armés de missiles Tomahawk sont déjà stationnés dans la mer Méditerranée et dans le golfe Persique. Obama déclare que, en tant que commandant suprême des forces américaines, il a le droit d’ordonner une attaque même sans l’avis du Congrès, bien qu’il affirme également qu’il lui sera possible d’obtenir le soutien du Congrès lors de sa prochaine réunion.

    Peut-on éviter une attaque ?

    C’est très peu probable. Si l’opinion anti-guerre parvenait à forcer les députés à voter contre le projet d’intervention, Obama pourrait se cacher derrière cela, mais le fait d’annuler son projet affaiblirait fortement sa position.

    Qu’est-ce qui a retenu Obama jusqu’à présent ?

    Une nouvelle guerre serait très certainement une nouvelle défaite pour les États-Unis, tout en consommant une quantité invraisemblable de ressources dans un pays qui est déjà ravagé par la crise économique.

    Cette question a été résumée le mois passé par le général Mantir Dempsey, chef d’état-major américain, et commandant des troupes en Irak en 2003 et 2004. Pour prendre le contrôle des capacités d’armes chimiques de la Syrie, il faudrait selon lui ‘‘une zone d’exclusion aérienne combinée à des attaques aériennes et par des missiles de la part de centaines d’avions, sous-marins et autres engins. Il faudrait des milliers de soldats des Forces spéciales et autres fantassins afin d’attaquer et sécuriser les sites les plus importants. Les coûts seraient considérables : plus de 1000 milliards de dollars par mois.’’ Même une attaque limitée requerrait des centaines d’avions et de navires.

    Dempsey a aussi attiré l’attention sur le fait que les États-Unis n’ont aucun allié fiable du côté rebelle, alors que la plupart des batailles sont aujourd’hui de plus en plus menées par des milices djihadistes liées à Al-Qaïda. Selon lui, les dix dernières années ont démontré que ‘‘Nous devons anticiper et être prêts à des conséquences non-désirées de nos actions. Si les institutions du régime s’effondrent sans qu’il n’y ait une opposition valable pour en prendre le contrôle, nous allons sans le vouloir renforcer les extrémistes ou forcer l’usage des armes chimiques que nous voudrions justement bannir.’’

    Quel genre d’attaque américaine ? Combien de temps va-t-elle durer ?

    Sans doute s’agira-t-il d’une attaque par des missiles Tomahawk avec une puissance de feu massive, tirés à partir des quatre vaisseaux de guerre stationnés dans la Méditerranée. La Turquie a également proposé la mise à disposition de sa fameuse base aérienne İncirlik, comme c’était le cas au cours des deux guerres d’Irak.

    Dès le départ, on a parlé de frappes qui ne dureraient que quelques jours. Mais Kerry parle à présent d’une “stratégie” visant à accroitre le soutien pour l’opposition en Syrie, afin de ‘‘modifier la dynamique’’ de la guerre. Depuis cet été, les États-Unis ont ouvertement envoyé des armes aux groupes rebelles de leur choix.

    Personne ne croit qu’une attaque si brève puisse renverser le régime de Bachar el-Assad. Le bombardement du Kosovo et de la Serbie par l’Otan en 1999 a duré 78 jours, sans que Miloševic ne quitte le pouvoir. En Libye, Kadhafi n’a été renversé qu’au prix de 26.000 raids aériens sur 6000 cibles militaires.

    Comment les rebelles ont-ils réagi à la menace d’intervention américaine ?

    L’Armée syrienne libre (ASL) s’est prononcée en faveur de cette attaque, mais veut qu’elle soit étendue afin de détruire l’armée de l’air syrienne. Par contre, elle refuse toute invasion par des troupes au sol. La Coalition nationale syrienne critique le report de l’attaque par Obama, qui pour elle révèle un ‘‘manque de leadership’’ et démontre qu’Obama est un ‘‘président faible’’.

    On voit comme toujours énormément de confusion parmi les différents groupes de gauche. En Suède, les partisans des rebelles les plus proéminents au sein de la gauche, Gote Kilden et Benny Asman (tous deux membres du SUQI, Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale), ne s’opposent pas à une intervention américaine : ‘‘En tant que socialistes, nous ne sommes pas pacifistes, et ne renions donc pas à l’opposition le droit de dire oui à une intervention et d’en tirer un avantage militaire. L’opposition ne possède pas ce qu’elle désire le plus – ses propres armes afin de se défendre. Donc, bien entendu, nous ne nous opposons pas aux frappes aériennes à venir.’’ Ces partisans des rebelles sont passés à côté du fait que si la lutte en Syrie a bien débuté par une révolte populaire de masse, elle a depuis longtemps dégénéré en une brutale guerre civile avec des abus commis des deux côtés, tandis que les groupes djihadistes jouent un rôle de plus en plus grand dans la lutte contre el-Assad.

    Quel pourrait être le résultat d’éventuelles frappes aériennes ?

    Les frappes aériennes causeront d’énormes pertes civiles et encore plus de dégâts à l’infrastructure. Les “frappes de précision” et les attaques “sur mesure”, cela n’existe pas. Pour la population, cela signifiera plus de souffrances et d’incertitude.

    Pour l’armée syrienne, cela constituera un test très important. On a vu les armées irakienne et libyenne désintégrées dès le moment où elles ont été attaquées par la plus grande machine de guerre militaire du monde. Mais même l’intervention fort limitée en Libye a finalement duré plusieurs mois.

    Les faucons reconnaissent qu’une attaque entraînera des pertes civiles. Les missiles et les frappes aériennes causeront une destruction sans nom, alors qu’une attaque de courte durée ne va vraisemblablement pas permettre de chasser el-Assad du pouvoir ni de modifier le cours des évènements d’une quelconque manière. Mais si le régime est affaibli, les tensions entre les différents groupes rebelles vont s’accroitre. Le risque est donc de voir un chaos prolongé comme c’est le cas en Iraq ou comme on l’a vu au Liban pendant sa guerre civile.

    Les États-Unis et leurs alliés doivent en outre s’attendre à la vengeance des alliés de la Syrie, comme le Hezbollah libanais et l’Iran. Cela pourrait entraîner la propagation de la guerre à travers le Moyen-Orient, ce qui est d’ailleurs déjà en cours de préparation avec la hausse des attaques terroristes en Irak et au Liban.

    L’impérialisme américain sera encore plus détesté que jamais partout au Moyen-Orient. Le niveau de soutien accordé à cette attaque par la population occidentale sera plus faible que ce qu’il était au moment des guerres d’Irak et de Libye, et sera encore plus réduit dès le moment où les effets de cette guerre deviendront clairs.

     

    • Non à l’intervention impérialiste des États-Unis et de ses alliés en Syrie ! Retrait de toutes les troupes étrangères !
    • Construction de comités de défense non-sectaires d’auto-défense des travailleurs et des pauvres contre les attaques sectaires de tous les bords !
    • Droits nationaux, démocratiques et religieux pour l’ensemble des groupes ethniques !
    • Élections démocratiques pour une assemblée constituante révolutionnaire !
    • Pour une confédération socialiste volontaire du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.
  • Syrie : Non à l’intervention impérialiste !

    Un flot incessant d’images sanglantes, de vidéos et de rapports de l’insupportable souffrance infligée aux masses syriennes a été diffusé dans le monde entier via les médias sociaux, les smart phones et les canaux d’information traditionnels. Initialement, en 2011, à la suite des révolutions en Tunisie et en Egypte, un soulèvement populaire a pris place contre le régime policier de Bachar el-Assad. Mais les monarchies semi-féodales d’Arabie Saoudite et du Qatar ainsi que les puissances impérialistes sont intervenues et ont livré un énorme soutien financier et militaire dans l’espoir de faire dérailler ce mouvement.

    Editorial de l’hebdomadaire The Socialist (journal du Socialist Party, CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    Le soulèvement contre la dictature d’Assad a été détourné en un conflit sectaire et a, en outre, déclenché une lutte dangereuse entre sunnites et chiites à l’échelle régionale. Le bilan des décès après ces années de conflit est estimé à plus de 100.000 morts. Deux millions de personnes ont fui la Syrie et environ cinq millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays. Les horreurs se succèdent les unes aux autres.

    Pour l’écrasante majorité des gens, la révélation de l’utilisation d’armes chimiques à Ghouta, un quartier de Damas, parait ouvrir un infernal nouveau chapitre de souffrances pour les masses. Les rapports qui font état de centaines de morts de milliers de blessés sont véritablement horribles.

    Compte tenu de tout ce qui s’est déjà passé et de la menace de la déstabilisation régionale qui se profile, l’aspiration à trouver une solution face à cette horreur est une réaction tout à fait humaine. Mais espérer que les gouvernements américain et britannique ainsi que leurs alliés en France, en Allemagne et en Turquie puissent livrer cette solution est une terrible erreur au vu de l’Histoire à la fois récente et plus ancienne.

    Les frappes aériennes

    Au cours de ces derniers mois, le président américain Barack Obama a averti à cinq reprises que l’utilisation d’armes chimiques en Syrie constituerait une ‘‘ligne rouge’’ qui déclencherait une riposte internationale. Trois navires de guerre américains se trouvent déjà en Méditerranée, et un autre est destiné à les rejoindre. Des pilotes chypriotes ont rapporté avoir aperçu des avions de guerre sur l’aérodrome britannique à Chypre.

    Le ministre des Affaires Etrangères britanniques, William Hague, a préparé le terrain pour une intervention en Grande-Bretagne, ce qui indique que l’absence de mandat de la part de l’ONU ne constituera pas un obstacle : ‘‘Il est possible de prendre des mesures fondées sur une grande détresse humanitaire.’’ Il a laissé entendre qu’une intervention, très probablement des bombardements aériens intensifs, pourrait prendre place au cours de ces prochaines semaines, si pas au cours de ces prochains jours. Le conseil de sécurité des Nations Unies est divisé, la Russie et la Chine s’opposant à toute intervention dans l’intérêt de leurs propres classes capitalistes.

    Il semblerait également que William Hague soit en contact avec les régimes dictatoriaux et répressifs du Qatar et d’Arabie Saoudite, qui accueilleraient avec bienveillance une défaite d’Assad pour les répercussions que cela aurait sur l’Iran et le Hezbollah. L’Iran a averti que l’intervention militaire occidentale va déstabiliser la région.

    Le spécialiste du Moyen Orient Patrick Cockburn (correspondant au Moyen Orient depuis 1979, pour le Financial Times initialement et actuellement pour The Independent). a souligné la difficulté de déterminer qui est véritablement responsable de la récente attaque à l’arme chimique.

    Les inspecteurs de l’ONU avaient reçu la garantie de l’accès aux lieux et d’un cessez-le-feu, mais ils ont essuyé des tirs et ont été retirés de la région en quelques heures. Cela n’est pas en soi de nature à démontrer qui est responsable, et ces inspecteurs n’avaient de toute manière pour fonction que de déterminer s’il y avait bien eu recours aux armes chimiques, pas de prendre position quant au responsable.

    Avant que les inspecteurs de l’ONU se soient prononcés sur cette question, le secrétaire d’Etat américain John Kerry a déclaré que les Etats-Unis trouvaient ‘‘incontestable’’ l’utilisation d’armes chimiques en Syrie et que les forces du président Bachar el-Assad avaient commis une ‘‘obscénité morale’’ contre son propre peuple.

    ‘‘Obscénité morale’’, voilà une expression qui pourrait très bien s’appliquer à la destruction de l’Irak et l’utilisation de phosphore blanc et d’uranium appauvri, à la prison à ciel ouvert où sont enfermés les Palestiniens dans le dénis de leurs droits démocratiques et nationaux, au silence face au génocide commis au Sri Lanka contre la minorité tamoule, sans encore mentionner l’emploi massif d’armes nucléaires et chimiques de la part des puissances impérialistes.

    En dépit de l’aspiration à mettre fin au massacre en cours en Syrie, il existe une large opposition publique intérieure tant aux Etats-Unis qu’en Grande-Bretagne quant à une intervention militaire. Le souvenir de l’invasion de l’Irak et des ‘‘preuves’’ montées de toute pièce selon lesquelles Saddam Hussein disposait d’armes de destruction massive sont encore vifs. Ce sentiment est encore aggravé par le fait que le gouvernement britannique n’ait pas publié les résultats de l’enquête Chilcot, la commission d’enquête publique concernant l’intervention du Royaume-Uni en Irak.

    Dans le cadre de ses promesses électorales, Obama s’était engagé à mettre fin à l’engagement américain en Irak et à en finir avec l’ère belliciste des années Bush. Mais il est au contraire devenu un président en guerre avec la multiplication de l’utilisation de drones meurtriers en Afghanistan et au Pakistan, malgré le retrait d’une partie des troupes sur le terrain, et le maintien de la prison de Guantanamo. 60% de la population américaine s’oppose à une intervention militaire US en Syrie.

    Mais tant le gouvernement américain que le gouvernement britannique ont intérêt à apparaître comme des héros et des ‘‘défenseurs de la démocratie’’ aux yeux des masses syriennes, car ils sont embourbés dans cette profonde crise du capitalisme sans avoir de solution pour y faire face, sur fonds d’une colère croissante contre eux.

    La guerre d’Irak

    Dans la période qui a précédé l’invasion de l’Irak, les Libéraux-Démocrates (actuellement au pouvoir avec les Conservateurs de David Cameron) s’étaient vaguement présentés comme un parti anti-guerre en s’opposant à toute intervention sans mandat de l’ONU. Selon nous, l’ONU ne saurait être invoquée en tant qu’arbitre dans l’intérêt du peuple irakien, car cette institution est dominée et composée de représentants des principaux gouvernements impérialistes et bellicistes. Mais aujourd’hui, l’ancien dirigeant des Libéraux-Démocrates, Paddy Ashdown, fait valoir que, dans le cas de la Syrie, une action unilatérale est préférable à l’inaction.

    Le Ministre des Affaires Etrangères du cabinet fantôme travailliste (le ‘‘gouvernement en opposition’’) Douglas Alexander a demandé que le Parlement soit convoqué sur cette question. David Cameron semble enclin à le faire, même s’il fait face à une légère opposition de certains de ses propres députés en raison des complications et des risques qu’une intervention représenterait pour l’avenir de toute la région.

    Les Travaillistes n’ont cependant pas indiqué comment ils voteraient au Parlement. Un véritable parti de gauche représentant les intérêts des travailleurs et de leurs familles serait massivement opposé à toute forme d’action militaire en Syrie. Mais le Parti Travailliste a derrière lui une longue expérience de fauteur de guerre, notamment avec l’envoi de troupes en Irak dans le cadre d’une guerre pour le pétrole unilatéralement bénéfique aux intérêts des grandes entreprises et à des fins stratégiques.

    Dans l’opposition, les Travaillistes ont fait preuve d’une attitude qui n’a consisté qu’à se prosterner devant les politiques d’austérité pourries du gouvernement. Encore une fois, il est nécessaire de construire une nouvelle force politique large pour donner une voix à l’écrasante majorité de la population qui s’oppose à la guerre et à l’austérité.

    Il n’existe aucun espoir qu’une action de la part de ce gouvernement ou de ses homologues internationaux aboutisse au soulagement des peines des populations de Syrie ou du Moyen-Orient. En fait, il est précisément certain que l’augmentation des bombardements conduira à une augmentation des souffrances des masses. Et c’est pourquoi il faut combattre l’intervention impérialiste.

    Un ‘‘Changement de régime’’ ne figure pas dans les objectifs publiquement cités, car Assad dispose d’un régime relativement fort, en raison de l’opposition farouche de la Russie et parce que la question de savoir ce qui remplacerait le régime actuel est problématique. Compte tenu de l’importance de la présence d’Al-Qaïda en Syrie, il existe aussi de graves dangers qu’un ‘‘retour de manivelle’’ avec une croissance du terrorisme dans la région et en Grande-Bretagne et parmi ses alliés dans cette aventure.

    Le capitalisme n’a aucune solution à offrir dans ce conflit autre que de menacer, comme c’est le cas dans la région, de conduire à un conflit ethnique plus important et qui pourrait durer des années. Il ressort très clairement d’Irak, de Libye et de tous les autres cas d’interventions militaires impérialistes que les intérêts de la classe ouvrière et des pauvres ne sont pas pris en compte.

    Il n’existe aucun raccourci permettant d’éviter la question de l’encouragement de la construction des forces indépendantes de la classe ouvrière, seules capables d’unir les pauvres et les opprimés qui souffrent de l’activité des forces impérialistes et de leurs alliés semi-féodaux et capitalistes dans la région.

    • Non à l’intervention impérialiste ! Pour le retrait de toutes les forces étrangères de Syrie et de la region.
    • Contre toutes les oppressions, le peuple doit démocratiquement décider de son destin.
    • Pour la construction de comités de défense unifés et non-sectaires afin de défendre les travailleurs, les pauvres et les autres contre les attaques sectaires de n’importe quel camp.
    • Pour la construction d’un mouvement de lutte pour un gouvernement de représentants des travailleurs et des pauvres.
    • Pour une assemblée constituante révolutionnaire en Syrie.
    • Pour l’instauration des droits démocratiques et nationaux des masses, y compris le droit à l’auto-détermination des Kurdes avec, si tel est leur souhait, le droit de disposer de leur propre Etat.
    • Pour la construction de syndicats et de partis des travailleurs avec un programme de distribution des terres aux masses et de gestion des entreprises par les travailleurs, dans le cadre d’un programme pour une économie socialiste démocratiquement planifiée.
    • Pour une confédération socialiste démocratique du Moyen Orient et d’Afrique du Nord.
  • Égypte : la polarisation grandit – Aucune confiance dans les généraux !

    L’évolution orageuse et sanglante de la situation en Égypte après le retrait et l’arrestation du président Morsi par l’armée marque une nouvelle étape dangereuse et difficile dans le déroulement de la révolution égyptienne. Malgré l’immense mobilisation, sans précédent, des masses contre Morsi, l’absence d’un mouvement socialiste des travailleurs indépendant a ouvert les portes aux dangers du sectarisme, à différentes variétés de contre-révolution et à la possible défaite finale de la révolution.

    Robert Bechert, Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO)

    Le retrait de Morsi est survenu dans un contexte de mobilisation rapide avec un mouvement de 17 millions de manifestants (20 % de la population égyptienne) dans une série de manifestations de masse. (voir notre article “Protestations massives pour la chute de Morsi”)

    L’ampleur, la puissance et la rapidité de ce mouvement ont été époustouflantes. Cela reflète quelque chose que l’on voit souvent au cours des révolutions : après une période initiale d’euphorie et d’espoir, on voit souvent une nouvelle vague de mouvements de masse de la part de toutes les personnes déçues par les maigres résultats de la révolution.

    Morsi a connu une chute très rapide de sa popularité, qui était de toute façon dès le départ fort limitée. Au premier tour des élections présidentielles, Morsi n’avait remporté que 5,7 millions de voix, soit 11 % des 51 millions d’électeurs égyptiens. Les 13,2 millions de voix obtenues par Morsi au deuxième tour provenaient surtout du désir d’empêcher son rival, Shafiq, ancien commandant de l’armée de l’air et ex-ministre de Moubarak, d’arriver au pouvoir.

    Morsi et son gouvernement des Frères Musulmans ont été de plus en plus confrontés à une opposition de masse faisant irruption de toutes parts. L’échec apparent de la révolution, qui n’est jusqu’ici pas parvenue à apporter la moindre véritable amélioration sociale ou économique, en plus de la crise économique croissante, a suscité des grèves et des manifestations de plus en plus nombreuses. Pour beaucoup de gens, la tentative de “coup d’État constitutionnel” de Morsi en novembre 2012, par lequel il voulait s’octroyer plus de pouvoirs, a été le point tournant qui a provoqué la construction d’une opposition contre ce qui était perçu comme une tentative des Frères Musulmans de prendre le pouvoir. Au même moment, des membres de la vieille élite, y compris des chefs militaires qui contrôlent entre 8 et 30 % de l’économie nationale (Der Spiegel, 5 juin), se sont sentis menacés par la politique qui favorisait les hommes d’affaires proches des Frères musulmans. Ce n’est donc pas par hasard que les soutiens financiers des Frères Musulmans ont été parmi les premières cibles de l’armée.

    Ce qui était considéré comme une tentative par les Frères musulmans de s’assurer une domination politique a en outre accru l’opposition de la part des éléments laïcs et chrétiens parmi la population, ainsi que de la part de leurs rivaux islamistes, comme le parti Al Nour (fondamentalistes sunnites), qui ont rejoint les manifestations fin juin. Tout ceci a jeté les bases de la rapide réponse qu’a reçu l’appel du mouvement Tamarod (“Rébellion”) récemment formé qui a fait signer une pétition de masse demandant la démission de Morsi.

    Dans un certain sens, nous avons vu deux luttes bien distinctes contre Morsi. D’un côté, le mouvement populaire de masse ; de l’autre, les reliques du régime Moubarak, en particulier les chefs de l’armée qui ont leurs propres intérêts politiques et économiques, et qui tentent d’utiliser l’opposition de masse à leur propre avantage. Ainsi, The Economist (6 juillet) suggérait l’existence d’actions de sabotage de la part de sections anti-Morsi de la classe dirigeante, en écrivant que : ‘‘Personne n’a jusqu’à présent été capable d’expliquer l’effondrement soudain des stocks d’essence’’, juste avant la manifestation anti-Morsi de masse du 30 juin.

    Potentiel révolutionnaire et menace contre-révolutionnaire

    Ces deux éléments illustrent tous deux le potentiel et la menace autour de la révolution égyptienne.

    La rapidité et l’ampleur du mouvement démontre l’immense énergie et potentiel de la révolution. Mais en l’absence du développement d’un mouvement des travailleurs indépendant capable de lutter pour une alternative socialiste, les chefs de l’armée, aidés par toute une série de politiciens pro-capitalistes, ont été capables de tirer profit de la situation. Il est clair que les généraux voulaient à la fois neutraliser et éliminer Morsi, mais en même temps, ils craignaient que la situation ne puisse, de leur point de vue, “échapper à tout contrôle”. On rapporte que des travailleurs ont commencé à partir en grève le 3 juillet, et que d’autres encore prévoyaient de lancer une série de grèves anti-Morsi à partir du 4 juillet. Cela aurait pu mener la classe ouvrière à prendre l’initiative via une action de grève générale de masse. Les généraux ont évidemment tout fait pour conserver l’initiative et empêcher que Morsi ne soit chassé par une insurrection populaire.

    Les dirigeants militaires ont agi afin de défendre leurs propres intérêts personnels et ceux d’une partie de la classe dirigeante égyptienne. Au même moment, ils bénéficient du soutien tacite des grandes puissances impérialistes et de la classe dirigeante israélienne. Obama, Hague (ministre britannique des Affaires étrangères) et d’autres dirigeants impérialistes ont aussi émis de très faibles critiques envers le coup d’État des généraux. Étant donné leur rôle dans le passé, l’armée et les sécurocrates égyptiens ne peuvent que difficilement passer pour des “démocrates”. Mais cela n’inquiète pas forcément Obama & Co, qui sont toujours heureux de pouvoir compter sur tous les régimes autoritaires de la sous-région comme le Qatar, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, etc. de leur vendre des armes.

    Ce coup d’État militaire (appelons un chat un chat) a permis aux Frères Musulmans de Morsi de se faire passer pour les défenseurs de la démocratie et d’affirmer que l’opposition était coordonnée par “des partisans de l’ancien régime” qui auraient payé des miliciens avec “l’argent de la corruption” pour attaquer les Frères Musulmans et “remettre l’ancien régime en place”. Il ne fait aucun doute que l’ancien régime Moubarak est impliqué dans le mouvement contre Morsi. Le Financial Times a raconté la manière dont les dirigeants de l’opposition “consultent régulièrement” les chefs militaires et dont “un establishment hostile” et des “éléments agissant dans l’ombre” ont été impliqués dans la campagne anti-Morsi (6 juillet).

    Mais l’immense ampleur des manifestations et leur base de masse provient bel et bien de l’opposition populaire et de la déception du peuple envers le régime des Frères Musulmans.

    En même temps, la taille et la détermination des contre-manifestations pro-Morsi ne provient pas purement d’une base religieuse. Il ne fait aucun doute que certaines sections de l’actuel mouvement pro-Morsi agissent parce qu’elles sont opposées à l’armée, surtout étant donné le souvenir du vieux régime Moubarak et de sa répression brutale de toute opposition, y compris de celle des Frères Musulmans.

    Les conflits qui se développent en ce moment représentent un réel danger pour la révolution, surtout parce qu’ils semblent être une bataille entre les Frères Musulmans et autres dirigeants sectaires, conservateurs et réactionnaires, d’un côté, et les chefs de l’armée de l’autre côté.

    Dans une telle situation, il est absolument essentiel de redoubler les efforts en vue de la construction d’un mouvement des travailleurs indépendant, pas seulement des syndicats, qui puisse offrir une véritable alternative et force d’attraction pour tous les travailleurs et les pauvres qui soutiennent Morsi à cause de leur opposition à l’armée et à l’ancienne élite. C’est la seule manière par laquelle le mouvement ouvrier peut tenter de limiter la capacité de nuisance des groupes religieux fondamentalistes réactionnaires qui se présentent comme les principaux adversaires du régime militaire.

    L’importance de ce facteur se reflète dans le danger constant de la division sectaire qui s’approfondit entre les sunnites, les chrétiens et les chiites, et les couches laïques. Déjà, certains commentateurs attirent l’attention sur le fait que les Frères Musulmans pourraient se voir écartés par des groupes djihadistes fondamentalistes dans leur lutte contre l’armée laïque et pro-occidentale. En ce moment, le parti salafiste Al Nour tente de se distancer de l’armée et de se repositionner comme une force d’opposition.

    L’Algérie constitue à ce titre un fameux avertissement. Bien que la situation aujourd’hui en Égypte soit assez différente, après que l’armée algérienne soit intervenue en janvier 1992 pour empêcher les élections et éviter la victoire du Front Islamique du Salut (FIS), cela a plongé le pays dans une guerre civile qui a duré huit ans et couté la vie à entre 44.000 et 200.000 personnes – ce qui freine encore aujourd’hui le développement des luttes de masse dans ce pays.

    Les travailleurs ne doivent pas soutenir ce coup d’État

    Les travailleurs ne doivent pas accorder le moindre soutien à ce coup d’État. Le mouvement de masse des travailleurs doit à tout prix conserver son indépendance par rapport à l’armée et par rapport à Morsi. L’implication des soi-disant forces d’opposition “libérales” ou “de gauche” comme le groupement Tamarod avec l’armée ne fera que se retourner contre elles. Ces forces seront perçues comme des collabos, surtout si l’armée décide d’étendre au futur mouvement ouvrier et aux grèves les méthodes qu’elle utilise en ce moment pour réprimer les Frères Musulmans. Le choix par l’armée d’El-Beblaoui comme premier ministre est un avertissement quant à ses projets. Il y a quelques jours à peine, El-Beblaoui disait dans une interview que le niveau de subsides gouvernementaux sur l’essence et la nourriture est ‘‘insoutenable, la situation est critique… L’annulation des subsides requiert des sacrifices de la part de la population.’’ Toute tentative par un gouvernement soutenu par l’armée de mettre en œuvre une telle politique suscitera une résistance ; la question est de savoir si celle-ci viendra du mouvement ouvrier ou des fondamentalistes.

    Malheureusement, beaucoup de personnes parmi la gauche égyptienne soutiennent en ce moment l’armée en ne lui accordant que quelques critiques très modérées. On a beau appeler cela du “pragmatisme”, cela ne fait que désarmer politiquement la classe ouvrière. L’an dernier, certains groupes de gauche ont appelé à voter pour Morsi au deuxième tour, et maintenant, ils soutiennent l’armée qui l’a renversé. Bien qu’il est nécessaire pour les marxistes de comprendre, par sympathie, que des millions de gens s’apprêtaient à voter pour Morsi lors du deuxième tour, ce n’était pas une raison pour le soutenir comme l’ont fait certains petits groupes de gauche. À présent, on voit certains de ces mêmes groupes de gauche se retourner complètement, comme les “Socialistes révolutionnaires” (SR), section égyptienne de l’International Socialist Tendancy (IST, dont la section britannique est le SWP), qui, dans leur déclaration du 6 juillet, n’ont écrit absolument aucune critique du coup d’État militaire. En l’espace d’une année donc, l’IST est passée d’un soutien envers Morsi contre son rival, Shafiq, à un soutien aux anciens collègues de Shafiq qui viennent de dégager Morsi.

    D’autres groupements tels que Tamarod (auquel sont affiliés les SR) ont souhaité que ce soit El Baradei – un politicien absolument et totalement pro-capitaliste – qui devienne premier ministre, et ont ‘‘condamné la marche arrière de la présidence’’ lorsque le parti salafiste Al Nour s’opposait à El Baradei (Ahram, 7 juillet). De la même manière les SR n’appellent pas de manière conséquente à une solution pour l’Égypte qui provienne de la classe des travailleurs et des pauvres. Les SR ne font même pas le lien entre son appel à la ‘‘reconstitution de comités révolutionnaires’’ et la question de qui devrait former le gouvernement, à part la vague notion selon laquelle ‘‘qui que ce soit qui sera premier ministre, il faut qu’il soit issu des rangs de la révolution de janvier (2011).’’

    Les dirigeants ouvriers ne doivent rien avoir à faire avec le moindre gouvernement pro-capitaliste ou militaire. S’ils ne font pas tout pour se distancier de ce gouvernement, alors il est possible que les Frères Musulmans ou d’autres forces similaires tentent de s’emparer de la direction des futures luttes contre l’austérité et contre la répression.

    Déjà, l’armée est en train de montrer la manière dont elle voudrait voir les choses se dérouler. D’abord, elle met en place des structures de pouvoir dominées par des éléments pro-capitalistes, puis, au départ, elle dit qu’elle autorisera la population à voter dans le futur mais uniquement après qu’un comité ait révisé la constitution, tandis que la Cour suprême rédige un projet de loi sur les élections législatives et prépare les élections législatives et présidentielles. Ensuite, confrontés à la résistance des Frères Musulmans et forcés de battre en retraite après le massacre du 8 juillet, les généraux se sont vus forcés de promettre des élections dans les quelques mois qui viennent – sans qu’il soit certain que celles-ci se produiront pour du bon.

    Il a été rapporté que beaucoup de manifestants anti-Morsi se sont sentis “remplis de force” après le départ de Morsi. Mais bien que la chute de popularité rapide et les manifestations de masse contre Morsi aient été extrêmement importantes, ces évènements n’impliquent pas en soi que le peuple ait “pris le pouvoir”. Cette question est une question concrète d’organisation et de qui détient le pouvoir d’État. En ce moment en Égypte, ce sont les généraux, malgré les problèmes croissants auxquels ils sont confrontés, qui tentent de consolider leur propre pouvoir sur le dos du mouvement de masse.

    Inéluctablement, dans cette économie en crise, le nouveau gouvernement subira rapidement la pression du FMI et autres qui le forceront à adopter des soi-disant “réformes” sous la forme d’abandon des subsides contre la vie chère et autres mesures d’austérité. Cela jettera la base pour une nouvelle lutte de classes au moment où l’armée et son gouvernement chercheront à passer à l’offensive, en utilisant peut-être des mesures de plus en plus autoritaires et brutales pour tenter d’imposer leur volonté.

    Quelle que soit la manière dont on l’envisage, ce coup d’État militaire ne peut être qualifié de “progressiste” comme par exemple celui qui a déclenché la révolution portugaise de 1974. Mais alors que ce coup d’État avait jeté à bas une dictature vieille de plusieurs décennies, l’échec de la construction d’un mouvement des travailleurs indépendant capable de prendre le pouvoir pour soi a finalement causé, après un certain temps, le retour définitif au pouvoir de la classe dirigeante portugaise et du capitalisme.

    C’est pourquoi il est tellement important que le mouvement populaire, dirigé par les travailleurs et les jeunes, s’organise pour lutter pour ses propres revendications et contre l’installation d’un régime militaire.

    Les travailleurs doivent construire leur propre alternative

    Deux ans et demi plus tôt, le jour où Moubarak a démissionné, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) distribuait un tract au Caire dans lequel il était écrit ‘‘Aucune confiance dans les chefs de l’armée ! Pour un gouvernement des représentants des travailleurs, des paysans et des pauvres !’’ (voir cet article ici)

    Ces revendications sont toujours d’actualité aujourd’hui. Dans ce tract, nous disions que :‘‘Les masses égyptiennes doivent faire valoir leur droit de décider de l’avenir du pays. Aucune confiance ne doit être accordée aux personnalités du régime ni à leurs maitres impérialistes pour diriger le pays et organiser des élections. Il doit y avoir immédiatement des élections libres, sous l’autorité de comités de masse des travailleurs et des pauvres, pour convoquer une assemblée constituante révolutionnaire afin de décider de l’avenir du pays.

    Maintenant que des comités locaux et de véritables organisations indépendantes des travailleurs se sont créés, leur développement doit être accéléré, ils doivent s’élargir et être reliés entre eux. Un appel clair pour la formation de comités démocratiquement élus et gérés sur tous les lieux de travail, dans tous les quartiers et dans les rangs de l’armée recevrait une grande réponse.

    Ces organes pourraient ainsi coordonner le renversement de l’ancien régime, maintenir l’ordre et la livraison de nourriture et, surtout, pourraient constituer la base d’un gouvernement des travailleurs et des pauvres capable de briser les restes de la dictature, de défendre les droits démocratiques et de construire une économie qui répondrait aux nécessités économiques et sociales des masses égyptiennes.’’

    Depuis lors, nous avons vu un développement incroyable du mouvement ouvrier égyptien sous la forme de syndicats, de comités et en termes d’expérience de lutte. Tout cela fournit la base pour la création du type de mouvement de masse qui est nécessaire.

    En février 2011, nous écrivions que la révolution égyptienne pourrait constituer ‘‘un grand exemple pour les travailleurs et les opprimés du monde entier, prouvant que des actions de masse déterminées peuvent vaincre des gouvernements et des dirigeants, quelle que soit la force qui semble être la leur.’’

    Cette affirmation est tout aussi vraie aujourd’hui. La reprise du mouvement de masse en Égypte peut inspirer tous ceux qui ont connu des révolutions qui n’ont pas mené au moindre véritable changement, comme en Tunisie, ou qui ont causé une descente dans une guerre civile sectaire comme en Syrie, ou une répression accrue comme en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, etc. Mais tandis que lors de ces derniers jours, l’Égypte a de nouveau démontré l’immense potentiel de l’action de masse, elle a également montré qu’il faut absolument construire un mouvement des travailleurs armé d’un programme socialiste clair et d’un plan d’action afin de résoudre la crise politique, sociale et économique de l’Égypte, sans quoi d’autres forces tenteront de détourner la révolution pour, au final, la vaincre.

  • Egypte : Protestations massives pour la chute de Morsi

    Non à l’intervention des généraux, pour un gouvernement des travailleurs!

    Le premier anniversaire du règne du président égyptien Mohammed Morsi a été marqué par des manifestations dont l’ampleur a dépassé celles qui avaient conduit à la chute du dictateur Hosni Moubarak en janvier 2011. Selon des sources des ministères de la Défense et de l’Intérieur, entre 14 et 17 millions de personnes ont manifesté dans tout le pays ce dimanche 30 juin!

    David Johnson, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    22 millions de signatures ont été collectées pour une pétition (avec vérification ID) exigeant le départ de Morsi. Il s’agit de plus d’un quart de la population égyptienne, un nombre également supérieur aux 13,2 votes qu’il avait reçu au second tour des élections présidentielles qu’il avait remportées en 2012 ! De grandes foules de manifestants sont restées sur les places du Caire, d’Alexandrie et d’ailleurs toute la nuit durant tandis qu’une nouvelle journée de mobilisation a été convoquée pour le 3 juillet. Les locaux des Frères Musulmans ont aussi été attaqués et des manifestants ont été tués par des tirs à l’intérieur des bâtiments. Ces manifestations gigantesques représentent une nouvelle étape dans la révolution mais, tout comme nous avons pu le constater ces dernières années, l’absence d’un mouvement socialiste conséquent ouvre la voie à la récupération de cette situation par d’autres forces que celles défendant les intérêts des travailleurs et des pauvres.

    Les raisons de la colère ressentie contre le régime du gouvernement Morsi dominé par les Frères Musulmans sont nombreuses. Les conducteurs doivent faire des files de jusqu’à 7 heures pour enfin avoir de l’essence, de nombreuses régions connaissent des coupures de courant de plus de dix heures et la valeur de la Livre égyptienne a chuté de 20%, ce qui a fait augmenter les prix bien plus vite que le taux d’inflation officiel qui est maintenant de 8,2% sur base annuelle. Le chômage reste très grand alors que la croissance économique s’est ralentie avec la baisse du tourisme et des investissements étrangers. Le taux d’occupation des Hôtels est de 15% seulement au Caire et est même sous les 5% à Louxor. Seules les installations autour de la Mer Rouge sont réellement en activité.

    la politique de Moubarak se poursuit, mais la contestation ne fait que croître

    Toute la politique du dictateur déchu a été endossée par le gouvernement Morsi. Des hommes d’affaire accusés de corruption sous le régime de Moubarak ont été relaxés. La Business Development Association, fondée par un dirigeant des Frères Musulmans, Hassan Malek, réunit de proéminents capitalistes afin d’influencer la politique du gouvernement de la même manière que l’avait fait en son temps le fils de Moubarak, Gamal. De nombreuses personnes craignent de voir apparaître un nouvel Etat clientéliste sous la poigne des Frères Musulmans et sont profondément en colère contre les salaires des membres des Frères Musulmans occupant des postes publics (gouverneurs,…) ou aux postes dirigeants de la Fédération syndicale égyptienne. Des journalistes ont été physiquement attaqués pour avoir couvert des manifestations de protestation et certains d’entre eux – connus pour leurs critiques à l’encontre des Frères Musulmans – ont perdu leur emploi dans les médias publics. Des comédiens ont aussi été arrêtés pour avoir ‘‘insulté le président’’. Même les chanteurs et musiciens de l’Opéra du Caire sont entrés en grève en solidarité avec leur directeur après qu’il ait été renvoyé par le Ministre de la Culture en mai.

    Selon les données de L’International Development Centre (IDC), les protestations avaient atteint ces derniers temps un niveau continuellement élevé. Au cours de la dernière année du règne de Moubarak, la moyenne était de 176 actions de protestation par mois alors que la moyenne actuelle pour 2013 est de… 1.140 par mois ! Au total, il y a eu 9.427 actions de protestation Durant la première année du mandat présidentiel de Morsi. La moitié de ces actions étaient des protestations ouvrières, avec notamment 1013 grèves et 811 sit-in. Il y a eu 500 manifestations et 150 blocages routiers.

    Ceux qui espéraient que la chute de Moubarak allait marquer l’ouverture d’une ère de droits démocratiques en ont été pour leurs frais. Le régime de Morsi a adopté des mesures très répressives. Les travailleurs ne reçoivent pas un traitement identique à celui des hommes d’affaires qui se sont enrichis sous Moubarak… Ainsi, le Ministre de l’Aviation a encore récemment renvoyé quinze travailleurs de l’aéroport du Caire après que ces derniers aient pris part à une grève. Cinq dockers de la société Alexandria Port Containers ont été condamnés à trois ans de prison pour avoir dirigé une grève en octobre 2011. Ils sont toutefois parvenus à faire annuler cette décision en appel. Le 26 juin, Morsi avait annoncé l’adoption de nouvelles mesures destinées à faire face à la ‘‘brutalité’’ et au ‘‘terrorisme’’, notamment contre les barrages routiers. Il s’agissait là d’une menace à peine voilée contre les travailleurs entrant en action pour défendre leur niveau de vie.

    Les manifestations du 30 juin

    Un nouveau groupe, Tamarod (Rebelle), a été lancé en avril derniers par d’anciens membres de Kefaya, le groupe qui avait organisé des manifestations pour les droits démocratiques sous Moubarak. L’objectif que s’était fixé le nouveau collectif était de parvenir à réunir 15 millions de signatures sur une pétition réclamant la démission de Morsi, un objectif dépassé. Cette pétition est principalement axée sur les questions brûlantes des droits démocratiques et de la situation sociale et économique. Le texte déclare notamment qu’il n’existe aucune justice pour les victimes des forces de sécurité décédées au cours du soulèvement anti-Moubarak, que les ‘‘pauvres n’ont pas de place dans la société’’, que l’économie s’est ‘‘effondrée’’ à tel point que le gouvernement est obligé d’aller ‘‘mendier’’ auprès du FMI et que le régime de Morsi est condamné pour avoir ‘‘suivi les traces des Etats-Unis’’. En quelques semaines, cette campagne de pétition a rassemblé 6.000 volontaires et plus de 100.000 fans sur Facebook. Beaucoup de mouvements politiques d’opposition ont soutenu cette campagne, dont le Mouvement de la Jeunesse du 6 Avril, le Parti de la Constitution libéral, le Parti de l’Alliance Populaire Socialiste et le Parti Egypte Forte, fondé par l’ancienne figure de proue des Frères Musulmans Abdel-Moneim Aboul-Fotouh, qui s’était opposé à Morsi à l’occasion des élections présidentielles.

    Leur but est ‘‘d’éviter de reproduire les erreurs de la période écoulée et de poursuivre sur la voie de la révolution du 25 janvier’’, selon le co-fondateur de Tamarod, Mohamed Abdel Aziz. Les organisateurs avaient aussi déclaré avant le 30 juin qu’il ‘‘n’y aura pas de drapeaux ou de banderoles aux manifestations à l’exception de drapeaux égyptiens, de photos de martyrs, à commencer par les martyrs de la révolution du 25 janvier.’’

    Il faut un parti de masse des travailleurs

    Cette approche antiparti est à considérer comme une réflexion des déceptions éprouvées face aux dizaines de partis qui ont émergé après la chute de Moubarak. La plupart de ceux-ci se sont limités à plaider pour l’instauration d’une sorte de démocratie capitaliste tout en laissant les véritables maîtres de l’Égypte en place – les capitalistes et les généraux. L’enthousiasme des dirigeants de ces partis pour l’obtention de postes grassement rémunérés n’a pas inspiré de confiance aux travailleurs et aux pauvres.

    D’autre part, certains à gauche (comme les Revolutionnary Socialists) ont semé la confusion en soutenant en juin 2012 la candidature de Morsi contre celle d’Ahmed Shafiq, qui représentant l’aile pro-Moubarak. L’élément le plus crucial dans la situation actuelle est le développement de l’action et de l’organisation indépendantes de la classe des travailleurs et des pauvres. Ces derniers ont besoin de disposer de leur propre parti de masse pour défendre leurs intérêts et leurs droits démocratiques.

    Tamarod appelle Morsi à démissionner pour être remplacé par un Premier ministre indépendant pour une durée de six mois qui ‘‘dirigerait un gouvernement technocratique dont la mission principale serait de mettre sur pied un plan économique d’urgence afin de sauver l’économie égyptienne et de développer des politiques de justice sociale.’’ Mais ‘‘sauver l’économie (capitaliste) égyptienne’’ signifie très clairement de lancer plus d’attaques contre les travailleurs et les pauvres avec la suppression des subsides à l’alimentation et de nouvelles privatisations destinées à satisfaire le Fonds Monétaire International. Tout cela est à l’opposé des revendications qui avaient émergé en janvier 2011 et qui étaient basées sur le pain, la liberté et la justice sociale.

    Ce dont les travailleurs et les pauvres ont besoin, c’est d’un salaire minimum décent, d’une semaine de travail plus courte (sans perte de salaire et avec embauches compensatoires), d’un logement abordable et de qualité, d’un enseignement gratuit et de qualité, d’un programme de construction d’hôpitaux et d’autres infrastructures, de transports en commun gratuits,… Tout cela créerait une masse d’emplois. Ces revendications socialistes combinées à un programme de défense des droits démocratiques pourraient obtenir un soutien massif pour autant qu’elles soient défendues par un parti des travailleurs construits avec et autour des syndicalistes combatifs.

    Sans un tel programme, les dirigeants des Frères Musulmans pourront continuer à s’appuyer sur la couche conservatrice qui existe au sein des masses pauvres, surtout dans les campagnes. Tout comme Erdogan en Turquie a réussi à mobiliser un nombre important de partisans, de grandes manifestations ont eu lieu en soutien à Morsi, avec environ 100.000 personnes au Caire le 21 juin. Peu de rapports font par contre état de mobilisations en sa faveur le dimanche 30 juin. Seul un programme clairement socialiste défendant unilatéralement les intérêts des travailleurs et des pauvres tout en exposant au grand jour les intérêts capitalistes de certains dirigeants de premier plan des Frères Musulmans pourrait diviser la base de soutien du Président Morsi.

    Un coup d’Etat militaire ?

    Le général Abdul Fattah Al-Sisi, commandant en chef des forces armées et ministre de la Défense a déclaré le 23 juin que l’armée pourrait intervenir afin de prévenir le pays de sombrer dans le ‘‘sombre tunnel de la criminalité, de la trahison, des luttes sectaires et de l’effondrement des institutions d’Etat.”

    Ce que les généraux et toute la classe dirigeante craignent le plus, c’est l’action de masse indépendante de la classe ouvrière et de la jeunesse, ce qui pourrait menacer leurs intérêts. En outre, des éléments liés à l’ancien régime de Moubarak cherchent à défendre leurs intérêts propres, de même que l’impérialisme américain. Les généraux ne semblent toutefois pas encore confiants de suivre la voie d’une répression militaire directe. Pour le moment, ils tentent encore de se présenter comme des ‘‘arbitres’’ qui veulent forger un gouvernement ‘‘d’unité nationale’’.

    Certains dirigeants de Tamarod suggèrent qu’ils soutiendraient l’armée si elle voulait reprendre le pouvoir en main. Il s’agit d’une position très dangereuse, illustrée notamment par les propos tenus par Mahmoud Badr, un porte-parole de Tamarod, qui a salué la déclaration des chefs militaires en ce sens. De même, la foule réunie place Tahrir aurait applaudi en entendant ces nouvelles, en scandant ‘‘L’armée et le peuple sont main dans la main.’’

    Il semble possible que, dans les coulisses, le gouvernement américain ait changé son fusil d’épaule et décidé de plutôt considérer l’armée comme le meilleur moyen de stabiliser le pays et son économie capitaliste. Dix ministres du gouvernement ont démissionné le 1er juillet, suggérant que Morsi pourrait rester plus longtemps. Ce dernier tente d’éloigner les critiques des Frères Musulmans et accuse ses ‘‘anciens collaborateurs’’ du régime déchu de Moubarak. Le 2 juillet, il a rejeté les conditions de l’armée.

    A ce stade, la plupart des officiers supérieurs ne veulent pas prendre la responsabilité directe du gouvernement. Cependant, sans aucun doute, certains militaires et membres des forces de sécurité aspirent à reprendre le pouvoir qu’ils ont exercé pendant si longtemps sous le règne de Moubarak. Les forces armées contrôlent des pans entiers de l’économie, des officiers supérieurs ont réussi à faire fortune grâce à ce contrôle. Ils désirent disposer de la stabilité économique et politique tout autant que d’autres hommes d’affaires capitalistes afin de poursuivre à amasser de l’argent.

    Il y a dix-huit mois encore, le gouvernement militaire tirait sur les manifestants au Caire. Tout gouvernement – islamique ou laïc, civil ou militaire – basé sur la défense du système capitaliste va s’en prendre aux intérêts de la majorité des Egyptiens.

    La menace sectaire

    L’absence d’un programme capable de répondre aux besoins quotidiens des masses de la part de Tamarod ou de tout autre parti majeur laisse un vide dangereux dans lequel le poison du sectarisme pourrait exploser.

    Les chrétiens coptes se sont sentis menacés par le programme d’islamisation des Frères Musulmans et par les attaques contre des églises. Morsi et les Frères Musulmans se sont alignés sur l’Arabie saoudite réactionnaire et sur les cheikhs du Golfe et soutiennent l’opposition sunnite au régime d’Assad en Syrie. Mais il y a trois millions de musulmans chiites en Egypte. Des extrémistes religieux salafistes s’en sont pris aux chiites, un parlementaire déclarant qu’ils étaient ‘‘plus dangereux que des femmes nues’’ et constituaient une menace pour la sécurité nationale. Dans cette atmosphère sectaire, une foule de 3000 personnes a attaqué des maisons de chiites dans le village de Zawyat Abu Musulam le 23 juin. Quatre hommes avaient été traînés hors de leurs maisons pour être tués.

    Pour un gouvernement des travailleurs et une démocratie socialiste

    Les véritables socialistes et les syndicalistes peuvent construire des mouvements qui permettraient de surmonter les divisions sectaires avec un programme de solidarité de classe contre l’ennemi commun capitaliste, qu’il soit impérialiste ou égyptien.

    Les luttes de masse initiées par le début de la révolution en 2011 sont toujours en cours. De nombreux syndicats indépendants ont surgi dans tout le pays. Morsi a lui-même attiré l’attention sur les 4.900 grèves enregistrées au cours de ces 12 derniers mois. Une grève générale peut réunir tous les opprimés de la société et jouir d’un grand soutien de la part de la classe moyenne. Mais une grève générale ne doit pas servir à renverser un dictateur pour qu’il soit remplacé par un autre, qu’il soit général, homme d’affaires ou politicien capitaliste.

    Des comités de grève élus démocratiquement et des comités d’action de masse doivent être construits dans chaque grande entreprise et chaque collectivité locale pour discuter de l’élaboration d’un programme et d’un plan d’action orienté vers le renversement révolutionnaire du régime. Ils pourraient être reliés aux niveaux local et national, posant ainsi les bases d’un gouvernement de représentants des travailleurs et des pauvres.

    Un appel lancé aux travailleurs de la région pour prendre des mesures similaires contre la pauvreté, le sectarisme et la répression pourrait bénéficier d’un très large écho et aider à construire un mouvement pour le socialisme dans tout le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

  • [DOSSIER] Turquie : Une ‘‘violence guerrière’’ pour écraser le mouvement – Leçons d’une lutte de masse

    ‘‘Violence guerrière’’, c’est ainsi que le comité ‘‘Solidarité Taksim’’, qui coordonne 127 groupes en opposition au Premier Ministre Erdogan, a décrit les actes de la police qui a pris d’assaut et nettoyé le Parc Gezi, près de la Place Taksim à Istanbul. Mais les nouvelles couches de travailleurs, de jeunes et de pauvres qui sont entrées en scène se sont promises : ‘‘ce n’est qu’un début, continuons le combat’’

    Kai Stein, CIO

    "Sur la place, un concert d’un artiste renommé était donné, avec des centaines de personnes et de familles, dans une ambiance festive. Tout à coup, la police est arrivée de toutes parts avec des canons à eau et du gaz lacrymogène’’, a raconté Martin Powell-Davis, un membre de l’exécutif du syndicat des enseignants britannique (NUT) et également du Socialist Party (section du CIO en Angleterre et au Pays de Galles et parti-frère du PSL). Il faisait partie d’une délégation de syndicalistes qui s’était rendue au Parc Gezi en solidarité. Des milliers de personnes s’étaient pacifiquement réunies dans le coeur de la ville après plus de deux semaines de manifestations.

    La police, venue de tout le pays par bus, a violemment mis fin à l’occupation pacifique qui avait commencé le 31 mai dernier. Ils ont fait usage de balles en caoutchouc, de grenades assourdissantes et de gaz lacrymogènes ; ils ont même mené des attaques dans les hôtels autour de la Place Taksim qui étaient utilisés comme hôpitaux d’urgence et comme refuges. Erdogan s’est vanté plus tard d’avoir donné l’ordre d’attaquer.

    Ce mouvement de protestation de masse avait commencé en s’opposant à un projet immobilier qui nécessitait d’abattre les arbres d’un parc pour faire place à un centre commercial et à des baraquements militaires de style ottoman. La répression qui s’est abattue sur le mouvement avait déclenché un soulèvement de centaines de milliers de personnes à travers toute la Turquie. Des manifestations ont eu lieu tous les jours, avec des occupations de places et des actions locales. Les 4 et 5 juin, le KESK, la fédération syndicale du secteur public, avait appelé à une grève du secteur public contre la violence policière. Le 16 juin, une grève avait encore été lancée contre la brutalité policière pour vider l’occupation principale à Istanbul, cette fois également soutenue par le DSIK (la fédération syndicale de gauche, qui compte plus de 300.000 membres et est l’une des 4 principales fédérations), mais aussi par bon nombre de groupes professionnels représentant les médecins, les ingénieurs et les dentistes.

    Plus de deux semaines durant, la police anti-émeute a essayé de réduire les manifestants au silence. Le 15 juin, l’association des médecins turcs a rapporté que 5 personnes avaient été tuées, 7.478 blessées, dont 4 gravement ; dix personnes avaient perdu un oeil, touchées par les grenades lacrymogènes de la police.

    Le mouvement est sur le déclin

    Cependant, malgré la forte répression et les arrestations, la résistance est toujours présente. Les gens arrivent sur les places en manifestations silencieuses. Cela illustre la forte détermination des militants et le dégoût de la violence d’État.

    Ces nouvelles brutalités peuvent redonner un nouveau souffle aux manifestations. Il est très probable qu’une nouvelle période de l’histoire sociale du pays s’ouvre sur base des conclusions à tirer du mouvement. Sosyalist Alternatif (la section du CIO en Turquie) appelle les partis et les organisations de gauche et les syndicats de gauche à organiser des débats et des discussions au sujet des forces et des faiblesses du mouvement de contestation. Cela pourrait s’effectuer à l’aide d’un congrès national organisé à Istanbul et destiné à rassembler tous les militants pour construire un mouvement socialiste capable d’offrir une alternative basée sur les intérêts des travailleurs et des pauvres au régime autoritaire d’Erdogan.

    Une nouvelle génération entre en scène

    Ces 3 semaines de manifestations ont illustré l’ampleur des modifications qui se sont produites en Turquie au cours de cette dernière décennie. La croissance économique qui a suivi l’effondrement de l’économie turque en 2001 a permis à Erdogan de renforcer son soutien et de rester au pouvoir pendant plus de dix ans ; mais il a aussi créé une nouvelle génération de travailleurs et de jeunes insatisfaits de leur vie faite d’emplois précaires, de bas salaires et de chômage. D’autre part, une nouvelle couche de la classe moyenne et de la classe des travailleurs comprend son rôle dans la société et n’accepte pas le paternalisme de cet État qui cherche à imposer ses règles jusqu’à la consommation d’alcool ou la tenue vestimentaire. Erdogan voudrait que chaque couple ait 3 enfants, ce qui a été accueilli avec un cynisme total : ‘‘Tu veux vraiment plus d’enfants comme nous ?’’ a ainsi répondu dans la presse un jeune manifestant parmi des centaines de milliers d’autres. Les femmes de la classe des travailleurs et de la classe moyenne ont également gagné en assurance. Elles n’acceptent pas les attaques d’Erdogan et du gouvernement contre le droit à l’avortement, leur interférence dans la politique familiale et les diverses obligations vestimentaires.

    Alors que les principales places étaient occupées, des batailles plus dures avaient lieu entre la police et des travailleurs – jour après jour – dans les quartiers les plus pauvres d’Istanbul, d’Ankara et de nombreuses autres villes. Bien peu d’attention médiatique y a été accordée.

    Erdogan a tenté d’accuser les manifestations d’être manipulés et téléguidés par des puissances étrangères et leurs médias (le ‘‘grand jeu’’ des ‘‘forces extérieures’’ comme il l’a dit) et des partis d’oppositions, surtout du CHP (le Parti Républicain du Peuple, kémaliste). Le régime cherche des boucs émissaires. Les déclarations d’Erdogan laissent peu de doutes sur son incompréhension totale des changements fondamentaux qui ont lieu dans la société turque.

    Pendant des décennies, la politique turque a semblé n’être que le résultat de l’affrontement de deux ailes de la classe dominante. D’un côté se trouvent les kémalistes, l’aile de la classe dominante d’idéologie laïque, très enracinée en ce moment dans la bureaucratie d’État, la justice et l’armée. Ils portent la responsabilité du coup d’État militaire de 1980 qui a littéralement écrasé la gauche. De l’autre côté se trouvent les forces islamiques soi-disant modérées autour de l’AKP d’Erdogan qui, depuis plus de 10 ans, repousse les kémalistes dans leurs retranchements. Ils ont ainsi réussi à purger la direction militaire autrefois puissante et à construire leurs propres réseaux.

    Une grande partie des manifestants ont utilisé des symboles kémalistes pour montrer leur colère, comme des drapeaux turcs et des portraits de Kemal Atatürk. Cependant, ce n’est pas par hasard si aucun des partis kamélistes n’a osé prendre la direction des manifestations. Le dirigeant du CHP, Kilicdaroglu, a appelé au calme de la même manière que le président islamiste Gül. Le parti fasciste MHP, lui aussi kaméliste, a dénoncé le mouvement de protestation en déclarant qu’il était dominé par la gauche radicale. Certains groupes, comme l’organisation de jeunesse de droite TGB, ont essayé d’intervenir, mais avec très peu de résultats.

    Mais beaucoup de gens, pour la toute première fois, se sont retrouvés à porter le drapeau turc ou la bannière de Kemal Atatürk avec à leurs côtés, à leur grande surprise, des drapeaux et symboles kurdes. Ils se sont battus ensemble, côte-à-côte. Ce sentiment extrêmement fort d’unité contre le régime a aussi été exprimé par le fait que les fans des trois clubs de foot d’Istanbul (Besiktas, Galatasaray et Fenerbahce) avaient enterré la hache de guerre pour soutenir ensemble le mouvement.

    Selon un sondage de l’université de Bilgi, 40% des manifestants avaient entre 19 et 25 ans, près de deux tiers ayant moins de 30 ans. Plus de la moitié des gens manifestaient pour la première fois, et 70% ont déclaré qu’ils ne se sentaient proches d’aucun parti politique. Cette nouvelle génération de jeunes a eu un premier avant-goût de l’État turc et de sa brutalité. Le mouvement a réuni des couches totalement différentes de la population, unies par le sentiment que ‘‘trop, c’est trop’’. Des écologistes ont initié la bataille, ensuite sont arrivés des travailleurs du secteur public menacés de privatisations, de pertes d’emplois et de diminutions de salaires. Les jeunes, aliénés par le paternalisme oppressant du gouvernement, a envahi les places. Les femmes sont descendues en rue contre les effets des multiples attaques contre leurs droits. Les Kurdes revendiquaient de leur côté un changement réel, car malgré les pourparlers officieux entre les gouvernements et le PKK (Parti des Travailleurs Kurdes), 8000 journalistes, politiciens et militants sont toujours emprisonnés. Tous se sont retrouvés sous le slogan ‘‘Tayyip istifa’’ – ‘‘Erdogan, dégage’’ qui a dominé les rues dès le début de la vague de manifestation qui a déferlé sur le pays. On a beau pu trouver des symboles réactionnaires dans les manifestations, les aspirations des gens vont bien plus loin que ce que les politiciens capitalistes kémalistes corrompus du CHP ont à proposer.

    La dynamique du mouvement

    Le vendredi 31 mai, la violence policière a transformé une manifestation écologique en soulèvement. Des manifestations spontanées ont eu lieu dans tout le pays. Chaque soir, les gens martelaient leurs casseroles et leurs poêles dans les quartiers ouvriers et les banlieues. Pendant le premier weekend, 67 villes ont connu des manifestations. Le dimanche 1er juin, la police s’est retirée de la place Taksim. Un sentiment d’euphorie s’est répandu dans le mouvement ; les gens disaient que le mouvement avait gagné. Une atmosphère festive prévalait dans les grandes places occupées, et pas seulement à Istanbul.

    Alors que la vitesse à laquelle les manifestations se sont répandues dans tout le pays et la volonté de prendre les rues chaque jour malgré la violence policière et les gaz lacrymogènes étaient enthousiasmantes, les manifestations étaient très peu coordonnées. Des comités d’action ont bien été mis sur pied, mais ils se concentraient surtout sur des questions pratiques : comment organiser les premiers secours, les soins aux blessés, la distribution de nourriture, installer les tentes, etc. Ces comités ont été développés par des groupes de gauche, mais n’ont pas donné moyen d’inclure la majorité des occupants des places et des manifestants dans les débats et les prises de décision.

    Malheureusement, nous n’avons pas vu d’assemblées du même type que celles qui ont caractérisé la contestation en Espagne ou en Grèce en 2011. Des critiques peuvent être faites sur certaines faiblesses mais, sur les places occupées par les Indignés grecs ou espagnols, les discussions collectives étaient quotidiennes, en petit groupe ou en assemblées massives, et chacun pouvait exprimer son opinion. Cela permettait le développement d’un véritable débat qui, malgré certaines faiblesses, permettait au mouvement de tirer des conclusions concernant les revendications et la stratégie requise pour la lutte.

    Sosyalist Alternatif (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Turquie) soutenait la nécessité de telles assemblées sur les places, dans les lieux de travail et les quartiers, villes et villages, afin de constituer des comités de représentants démocratiquement élus, révocables à tous niveaux et à tout instant. L’absence de cette direction élue et contrôlée par la base capable de coordonner la lutte dans les différentes villes et entre elles faisait justement défaut en Grèce et en Espagne.

    Sans de telles structures, le mouvement – qui s’était rapidement étendu aux 88 provinces du pays et à toutes les principales villes – a stagné et n’a pas été capable de développer une stratégie pour aller de l’avant. C’est pourquoi la stratégie d’Erdogan – avoir le mouvement à l’usure – a marché. Le mouvement s’est épuisé dans les combat quotidiens avec la police.

    Grève générale

    Les deux jours de grève de la fédération syndicale du secteur public, le KESK, les 4 et 5 juin, ont constitué une étape importante pour amener la lutte à un niveau supérieur. La classe des travailleurs organisée est potentiellement le plus grand pouvoir présent dans la société, en Turquie et ailleurs. Le KESK a appelé les autres syndicats à utiliser ce pouvoir et à rejoindre la grève. Seul le DISK, le syndicat le plus à gauche, a suivi, mais il a aussi limité son appel à quelques heures de participation symbolique à la lutte du KESK le 5 juin.

    Les syndicats ont ensuite fort peu tenté d’organiser, de coordonner et de développer la lutte. Le KESK a seulement appelé à une nouvelle grève générale le 17 juin, quand le mouvement avait déjà subi de graves revers.

    Seuls, le KESK et le DISK n’étaient pas en position d’annoncer une grève générale. Cependant, ils auraient pu offrir plus de direction de coordination au mouvement. Ils auraient pu commencer par lancer une série de grève avec leurs associés pour mettre pression sur les autres syndicats afin qu’ils rejoignent le mouvement et aident à offrir une véritable stratégie pour forcer Erdogan à se retirer. Malheureusement, cela n’a pas été le cas.

    Erdogan dégage!

    Le sixième jour de bataille contre la police, le mercredi 5 juin, ‘‘Solidarité Taksim’’ a annoncé 5 revendications principales. Cette coalition de 127 groupes basée sur la place Taksim est devenue de facto la direction du mouvement. Eyup Muhcu, le président de la chambre des architectes de Turquie, était le porte-parole de cette coupole qui, officiellement, n’avait pas de leader. Leur effort s’est concentré sur la limitation des revendications à l’arrêt de la destruction du Parc Gezi, à la condamnation des responsables de la répression policière, à l’interdiction des gaz lacrymogènes, et à la relaxe des manifestants emprisonnés.

    Pour importantes qu’elles soient, ces revendications n’étaient pas celles qui avaient su unifier le mouvement les jours précédents. ‘‘Tyyip istifa’’ (‘‘Erdogan, dégage’’), était le principal slogan scandé et il était ouvertement dirigé contre le gouvernement AKP, ses politiques et son idéologie.

    En présentant les 5 revendications comme le dénominateur commun des manifestants, la direction de cette coupole déclarait que cela était de nature à unifier le mouvement. Cependant, la direction des manifestations a échoué à montrer une perspective de mobilisation apte à faire tomber le gouvernement AKP. ‘‘Le Parc Gezi et la défense du mouvement contre la police sont des éléments importants – mais valent-ils le coup de se faire tabasser jour après jour ?’’ se sont demandés les travailleurs et les jeunes.

    En réduisant les objectifs du mouvement à ces 5 revendications, ‘‘Solidarité Taksim’’ a politiquement battu en retraite au moment où le mouvement prenait de l’élan, où la grève du KESK était encore en cours et où une recherche désespérée de stratégie avait commencé. Il s’agit d’un un tournant décisif.

    Cela a permis à Erdogan (par exemple dans les négociations avec ‘‘Solidarité Taksim’’ le 13 juin) de tout ramener aux questions environnementales liées au Parc Gezi ou à une partie de la police ayant été trop loin. Il a donc été capable de minimiser les autres questions sociales afin de diviser utilisé le mouvement entre les ‘‘bons écologistes’’ et les ‘‘terroristes’’ qui défendaient des revendications sociales plus offensives.

    Abaisser le niveau des revendications n’a pas non plus apaisé le gouvernement. La retraite du mouvement de contestation n’a fait qu’encourager l’élite dirigeante à réprimer plus encore. L’agence de presse Reuters a cité (le 15 juin) Koray Caliskan, un politologue de l’université de Bosphore, après que la Place Taksim ait déjà été vidée : ‘‘c’est incroyable. Ils avaient déjà enlevé toutes les bannières politiques et en étaient réduits à une présence symbolique sur le parc.’’ C’était le moment propice pour qu’Erdogan parte à l’offensive et nettoie le Parc Gezi de toutes ses forces.

    Le soutien d’Erdogan

    Était-il nécessaire de laisser tomber les revendications orientées vers la chute d’Erdogan étant donné qu’il disposait – et dispose encore – d’un énorme soutien, ce qu’il a illustré en rappelant que 50% des électeurs avaient voté pour lui ?

    Dans le cadre de cette épreuve de force, Erdogan a mobilisé des dizaines de milliers de personnes pour le soutenir lors d’une manifestation à Ankara le dimanche 15 juin. Le 16 juin, les manifestants ont été bloqués sur une autoroute menant à Istanbul, la police a encerclé la Place Taksim et des batailles violentes ont à nouveau opposé des dizaines de milliers de personnes à la police. En même temps, des bus mis à disposition par la municipalité d’Istanbul et l’AKP transportaient des gens à un rassemblement en faveur d’Erdogan. Plus de 200.000 de ses partisans sont venus écouter son discours pendant des heures.

    L’AKP a pu se construire un soutien sur base du rejet des anciens partis et des militaires et face à la menace constante d’un nouveau coup d’État. Les gens en avaient assez de la répression de la vieille élite kémaliste, et se sont tournés à ce moment vers Erdogan, étant donné que lui-même était considéré comme une des victimes de ces cercles réactionnaires. Mais cela n’a été possible qu’à cause de l’absence d’une force organisée et massive de la classe des travailleurs. Erdogan a un soutien et, après 10 ans de croissance économique, peut puiser dans ses réserves sociales relatives, même si la croissance économique a considérablement ralenti cette dernière année. Cependant, son succès électoral repose surtout sur la soumission forcée des médias, sur la répression et sur l’absence de toute opposition crédible et indépendante de l’establishment capitaliste.

    Le seuil électoral de 10% en Turquie – à l’origine destiné à empêcher l’entrée au parlement des partis pro-Kurdes, des partis islamistes et des scissions des anciens partis de droite kémalistes – est maintenant utilisé contre le développement de nouvelles forces. La vieille opposition est considérée comme corrompue et liée au vieux système électoral qui s’est effondré avec l’économie en 2001.

    Quand les manifestations ont commencé, les chaînes de télé turques diffusaient des émissions de cuisine, des documentaires historiques ou (dans le fameux cas de CNN Turquie) des documentaires sur les pingouins. Les quatre chaînes qui ont osé parler du mouvement sont maintenant menacées de lourdes amendes. Les autorités ont même essayé de fermer la chaîne de gauche Hayat TV. La Turquie comprend plus de journalistes emprisonnés que la Chine et l’Iran réunis ! Les droits syndicaux et les droits des travailleurs sont systématiquement violés.

    Étant donné la répression autoritaire et massive de tout mouvement de contestation, il y a toutes les raisons d’appeler à la fin de ce gouvernement et de refuser de reconnaître sa légitimité.

    Quelle alternative à Erdogan?

    Poser la question de la chute d’Erdogan et de son régime pose inévitablement celle de l’alternative à lui opposer. Les manifestants ne voulaient pas d’un retour aux affaires du CHP kémaliste. Quel pouvait donc être le résultat de la revendication de la chute d’Erdogan?

    Des comités locaux, régionaux et nationaux issus du mouvement auraient pu poser les bases d’un développement de la lutte sur ce terrain. De tels corps auraient pu constituer la base sur laquelle se serait organisé et reposé un réel gouvernement des travailleurs, des jeunes et des pauvres. D’un autre côté, il est certain que ces comités ont besoin d’une force politique qui puisse proposer cette stratégie et lutter pour qu’elle conduise à la victoire. La question clé est de construire un parti de masse de la classe des travailleurs armé d’un programme anticapitaliste socialiste.

    Le HDK/HDP (Congrès Démocratique des Peuples / Parti Démocratique des Peuples) est un pas prometteur dans cette direction. Il s’est développé à partir d’une alliance électorale des forces de gauche autour du BDP, le principal parti de gauche pro-kurde. Les organisations et partis de gauche ont besoin de s’unir aux syndicats de gauche et aux syndicalistes combatifs en intégrant de nouveaux militants et travailleurs pour développer un tel parti de classe.

    Contester Erdogan et le système sur lequel il repose

    La tâche du mouvement des travailleurs et de la gauche est aussi d’offrir une alternative politique claire à ceux qui soutiennent encore Erdogan afin de les détacher de lui.

    Le gouvernement a imposé des politiques néolibérales et profondément antisociales même quand l’économie était encore en pleine croissance. Tout en améliorant les conditions de vie du peuple à certains égards, les politiques d’Erdogan ont aussi fortement augmenté les inégalités. Son gouvernement a adopté une politique de privatisations et d’attaques contre les droits des travailleurs, en envoyant notamment systématiquement la police contre les travailleurs en grève. Seules les couches de la classe capitaliste proches de l’AKP ont été vraiment capables de profiter de la situation.

    L’AKP a tenté de s’attirer un soutien en se présentant comme le défenseur des valeurs islamiques, en s’opposant par exemple à l’alcool ou aux baisers en public et favorisant la construction d’une mosquée Place Taksim. Tout cela était destiné à détourner l’attention des questions économiques et sociales. Erdogan a voulu défendre sa position en s’appuyant sur les couches les plus conservatrices et religieuses de la société. Mais ces dernières sont elles aussi affectées par les attaques antisociales d’Erdogan.

    Le mouvement doit rejeter toute tentative d’ingérence de l’État dans les vies personnelles du peuple. En même temps, il doit mettre fin aux tentatives d’Erdogan de diviser pour régner. La lutte de masse qui s’est développée en Turquie n’est en rien un combat entre forces laïques et religieuses. Des revendications portant sur l’augmentation du salaire minimum, le droit à chacun de disposer d’un logement décent, le respect des droits démocratiques et des droits des travailleurs peuvent permettre de sérieusement éroder le soutien à Erdogan sur une base de classe.

    Quelles perspectives ?

    La croissance économique des ces dernières années a constitué un élément important du soutien à Erdogan et permet de comprendre l’origine de ses réserves sociales. Mais cela a également créé des attentes élevées et une certaine confiance en eux parmi les travailleurs et les jeunes. Cependant, l’économie turque est fragile et dépend beaucoup du capital étranger. Selon le FMI: ‘‘les besoins de financements extérieurs de la Turquie représentent à peu près 25% de son Produit Intérieur Brut.’’ Le rapport poursuit en disant que cela ‘‘va continuer à provoquer une vulnérabilité considérable.’’

    Le déficit du budgétaire actuel a augmenté d’un cinquième sur les 4 premiers mois de cette année. Le ralentissement du taux de croissance (de +8,8% en 2011 à +2,2% en 2012) est significatif et est fortement influencé par la crise européenne, l’Europe étant le principal marché du pays. En comparaison de la situation des pays européens voisins, comme la Grèce et Chypre, ou du Moyen-Orient, le sentiment de progrès économique peut toujours exister. Mais le taux de croissance n’est destiné qu’à atteindre les 3,4% en 2013 selon les prévisions du FMI, en-dessous de l’objectif de 4% du gouvernement. Ces prévisions ont été faites avant la répression des manifestations et leur effet sur la consommation intérieure et le tourisme n’ont ainsi pas été pris en compte.

    Le taux de croissance de l’année passée et les prévisions de cette année ne sont pas suffisants pour absorber la population croissante qui arrive sur le marché du travail, ce qui promet déjà de nouvelles batailles. Étant donné la fragilité du paysage économique, les probables répercutions dues à l’onde de choc de la crise européenne et la réduction de l’investissement étranger, il est certain qu’il y aura des batailles, pour les parts d’un gâteau sans cesse plus petit. Les perspectives économiques n’annoncent aucune stabilité sociale pour les prochains mois ou années, bien au contraire.

    Cadre international

    Le processus de révolution et de contre-révolution en Afrique du Nord et au Moyen Orient, les mouvements de masse contre l’austérité en Europe et le mouvement Occupy aux USA ont tous eu un effet sur la jeunesse turque. Malgré la différence considérable que constitue le fait qu’Erdogan est encore capable de mobiliser un certain soutien social, les mouvements de masse pour les droits démocratiques et sociaux apprennent les uns des autres. Le mouvement en Turquie sera également une source d’inspiration pour le Moyen-Orient et au-delà.

    Un régime de droite, présenté comme un modèle pour les autres pays sunnites, a été puissamment remis en question par le peuple. Le modèle tant vanté d’un État islamique moderne a été montré tel qu’il est : la surface d’une société en pleine tourmente.

    La Turquie est un allié de l’OTAN qui possède ses ambitions propres d’agir en tant que puissance régionale. Le bellicisme du régime turc envers la Syrie a augmenté la tension dans la région, avec toute une vague de réfugiés qui se sont enfuis en Turquie. Ceux qui ont pris part au mouvement contestataire ont souvent exprimé la peur d’être entraîné dans la guerre civile syrienne, qui est partie d’un soulèvement populaire pour aboutir à un cauchemar de guerre civile ethnique et religieuse.

    Le régime AKP a essayé d’exploiter la fragmentation de l’Irak : ils mènent des négociations avec le Nord kurde pour essayer d’établir une zone d’influence turque dans les régions kurdes. Les perspectives sont incertaines. A moins que la classe ouvrière n’intervienne avec son propre programme contre le sectarisme et le nationalisme, de nouveaux affrontements ethniques et religieux sont inévitables en Irak dans des régions comme Kirkuk. Cela aura des répercussions en Turquie.

    Alors qu’Erdogan essaie d’instrumentaliser la question kurde pour gagner en influence dans la région et se baser sur une alliance avec les dirigeants kurdes pour changer la constitution (qui lui permettrait de devenir président, avec plus de pouvoirs), il maintient des milliers de Kurdes emprisonnés pour avoir défendu les droits des Kurdes. Mais les aspirations des Kurdes d’en finir avec l’oppression vont se heurter aux objectifs d’Erdogan de faire d’eux une partie d’un nouvel empire de style ottoman dirigé par Ankara.

    La montée des tensions dans la région, qui découle de l’implication d’Israël dans la guerre civile syrienne et de la propagation de cette guerre au Liban ou en Turquie, en plus des conflits entre Israël et l’Iran avec une possible implication des USA, peuvent ébranler encore plus la stabilité de la Turquie et du régime d’Erdogan et ainsi déclencher de nouveaux mouvements et des conflits religieux ou ethniques.

    Cependant, le premier effet du soulèvement turc dans la région est d’encourager les travailleurs, les jeunes et les pauvres à retourner aux origines du processus révolutionnaire en Afrique du Nord et au Moyen Orient: l’implication active des masses elles-mêmes dans la lutte pour les revendications démocratiques et sociales.

    Toutes les sections de la société en action

    Le mouvement de contestation n’a pas seulement poussé à l’action les couches les plus basses de la classe moyenne et les enfants de la classe des travailleurs, qui ont constitué les couches les plus visibles du mouvement, en particulier dans les médias étrangers. La classe ouvrière de toutes les villes s’est durement battue contre la police. Les nouvelles couches de la classe ouvrière et des jeunes ont tout juste commencé à ressentir leur propre force et les classes moyennes urbaines, comme les architectes, les médecins et autres, ont également été présentes dans le mouvement.

    Dans le même temps, Erdogan a essayé de mobiliser la population plus rurale, ce qui pourrait se retourner contre lui plus tard. La polarisation de la société elle-même est si forte qu’elle va encourager encore la politisation d’une nouvelle génération, y compris dans les campagnes.

    Mais même au sommet de la société, des scissions et conflits sont devenus apparents. Juste au moment où Erdogan pensait être parvenu à son but de se retirer les vieux kémalistes de leurs positions stratégiques dans la bureaucratie d’Etat, de nouvelles scissions sont apparues dans ses propres rangs.

    Les plans d’Erdogan sont non seulement de se présenter à la présidentielle l’année prochaine mais aussi de changer la constitution en un système présidentiel qui lui permettrait de se maintenir au pouvoir. Mais le président sortant Gül, lui aussi de l’AKP, a proposé une stratégie nettement plus conciliante à l’égard du mouvement. Il pourrait ne pas tout simplement céder la place à Erdogan.

    Pendant les années où il a gagné en influence, le mouvement Gülen (une tendance islamique modérée basée autour du millionnaire Gülen qui vit aux USA) a soutenu Erdogan. Par exemple, ses écoles religieuses ont bénéficié de la privatisation de l’éducation, une politique mise en place par Erdogan. Mais des divergences entre Erdogan et Gülen se sont développées depuis un an et sont devenues de plus en plus visibles pendant les manifestations, ce qui a conduit les politiciens pro-Gülen à critiquer le style autoritaire d’Erdogan.

    Le gouvernement AKP se sent assez en confiance pour utiliser l’armée, ayant purgé les kémalistes. La police était ainsi accompagnée par la police militaire. Le Premier Ministre adjoint a même menacé d’utiliser l’armée pour écraser le mouvement le 17 juin. D’un autre côté, pendant le premier week-end de conflit, des soldats ont donné des masques chirurgicaux aux manifestants contre le gaz lacrymogène. Selon les médias étrangers, la police a montré une certaine hésitation, un mécontentement et de l’indignation face à la manière dont était traité le mouvement.

    Derrière ce mouvement se trouvent les premiers signes d’un processus révolutionnaire : toutes les classes et forces de la société commencent à s’engager activement dans le destin du pays. Même s’il y a une pause avant la prochaine phase de la lutte, le processus qui a commencé est profond.

    Malgré la défaite temporaire, les travailleurs se sentiront encouragés à défendre leurs revendications et à entrer en lutte. Le tout puissant Erdogan peut avoir finalement gagné, mais ses yeux au beurre noir reçus de la part du mouvement montrent qu’il n’est pas invincible.

    Un grand débat a commencé sur la manière dont devrait fonctionner la société. Les gens sont poussés dans le débat politique par une énorme polarisation. Les anciens partis des kémalistes sont incapables de donner une expression à la colère et aux aspirations de la nouvelle génération, et les nouvelles générations le savent. Tant qu’une alternative de masse n’est pas construite, les classes moyennes et les travailleurs peuvent encore voter pour eux. Cependant, il y aura des tentatives de construire de nouveaux partis de lutte. Le HDK pourrait donner la bonne voie à suivre s’il parvient à pénétrer profondément dans la classe ouvrière turque. Les travailleurs et les jeunes ont besoin de forces de gauche. Les idées marxistes sont nécessaires dans ce processus de construction d’un parti de masse, enraciné dans la classe ouvrière, pour montrer comment sortir du cauchemar du capitalisme et de la répression.

    Une nouvelle couche de jeunes est entrée en scène. Elle va y rester et changer la Turquie. Comme le dit un des slogans les plus scandés dans les rues d’Istanbul et d’Ankara : ‘‘Ce n’est qu’un début – continuons le combat.’’

    Revendications de Sosyalist Alternatif (CIO-Turquie):

    Pleins droits démocratiques

    • Libération immédiate de tous les manifestants emprisonnés
    • Pour une commission indépendante composée de représentants des syndicats et du mouvement pour enquêter sur la violence policière
    • Libération de tous les prisonniers politiques
    • Pleins droits démocratiques dont le droit de manifester, de se rassembler, de former des partis et des syndicats
    • Mobilisation totale des travailleurs contre l’intervention de l’armée ; pleins droits démocratiques dont le droit pour la police et les soldats de former des syndicats
    • Abolition de toutes les lois anti-terroristes et des tribunaux spéciaux et de toutes les lois répressives et réactionnaires introduites par le gouvernement AKP ces dernières années
    • Non à la censure, pour des médias libres – fin de la répression contre les journalistes, les bloggers, les chaînes de télé et sur tweeter, non à la fermeture de Hayat TV
    • Libertés et droits de pratiquer ou non toute religion, fin du paternalisme d’État, et de toutes tentatives de diviser pour mieux régner. Pour les droits démocratiques de tous de vivre leurs vies comme ils l’entendent.
    • Non à la répression des Kurdes, droits égaux pour tous dont la reconnaissance des minorités et des droits des minorités. Droits à l’auto-détermination dont celui de former un État indépendant.
    • Les troupes étrangères hors de Syrie, non à l’intervention militaire de la Turquie et des puissances impérialistes dans la région.
    • Pour une assemblée constituante de représentants démocratiquement élus sur les lieux de travail, dans les quartiers, les villes et les villages afin de garantir les pleins droits démocratiques et la sécurité sociales à l’ensemble de la population

    Emplois, salaires décents, sécurité sociale

    • Finissons-en avec l’enrichissement de l’élite, avec les projets de construction sur la place Taksim et tous les projets basés sur la logique du profit
    • Non aux privatisations, renationalisation des sociétés privatisées
    • Non aux attaques contre les travailleurs du secteur public
    • Pour une augmentation significative du salaire minimum
    • Des logements et conditions de vie décents pour tous
    • Nationalisation des banques et des entreprises qui dominent l’économie sous le contrôle et la gestion des travailleurs
    • Pour une planification démocratique et socialiste de l’organisation et du développement de l’économie dans l’intérêt des travailleurs et des pauvres sans s’attaquer à l’environnement
    • Pour un gouvernement des travailleurs, des jeunes et des pauvres, agissant en fonction des intérêts de ces derniers
    • Pour une riposte internationale contre l’exploitation, l’oppression et le capitalisme. Pour une démocratie socialiste, une confédération socialiste des États du Moyen-Orient et de l’Europe sur base volontaire et égale.
  • Turquie : Un mouvement de masse défie le gouvernement Erdogan

    Les travailleurs du secteur public entrent en grève contre les violences policières – Pour une journée de grève générale, prochaine étape pour renverser le gouvernement !

    KESK, la Confédération des Syndicats des Travailleurs du Secteur Public en Turquie, a annoncé une grève générale nationale contre les violences policières les 4 et 5 juin. Depuis lors, la DISK, Confédération des Syndicats Révolutionnaires de Turquie (une fédération syndicale d’environ 350 000 membres) appelle aussi maintenant à une grève le mercredi 5 juin, contre la violence policière On s’attend à des centaines de milliers de manifestants. Malgré cela, la police continue à utiliser les gaz lacymo et à attaquer violemment les manifestants.

    Par des correspondants de Sosyalist Alternatif (CIO-Turquie)

    La violence policière continuelle, qu’on a d’abord vu sur le parc Gezi, sur la place Taskim à Istanbul, montre une fois de plus l’arrogance et la violence policière arbitraire sur lesquelles reposent le gouvernement AKP (Parti de la Justice et du Développement). Des centaines de personnes ont été blessées, certaines gravement. Au cours du mouvement de masse, deux manifestants ont été tués.

    La politique envers le Parc Gezi a été l’étincelle qui a déclenché l’explosion. Maintenant, la colère qui s’accumule depuis des années est devenue visible. Les manifestations n’ont pas lieu qu’à Istanbul. Des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue dans toute la Turquie, à Ankara, à Izmir et à Bodrum, Il y aurait eu des manifestations de masse dans 67 villes au total. Il y aurait même des divisions au sein de l’appareil d’État, des militaires ayant distribué des masques et certains officiers de police ayant soutenu les manifestants.

    Il existe un potentiel pour le développement d’un mouvement qui remette en cause l’élite capitaliste turque.

    La Turquie est à la croisée des chemins. Le gouvernement AKP, confronté à une forte chute du taux de croissance économique cette année, est maintenant considérablement remis en cause par un mouvement de masse. La montée de l’AKP sur cette dernière décennie était basée sur plusieurs facteurs.

    Ces facteurs incluaient la frustration des masses envers les forces Kémalistes, une crise économique profonde au début de ce siècle, l’aliénation de beaucoup de personnes envers la bureaucratie d’État et l’Histoire d’interventions de l’armée dans la vie politique, parfois par des coups d’États violents. L’AKP a été capable de se présenter comme une ”alternative” à l’establishment islamique ”modérée” et de mener une certaine politique sociale populiste. Mais les événements de ces derniers jours ont ébranlé le pouvoir de l’AKP et d’Erdogan.

    Le mouvement de masse a d’abord été dominé par les couches les plus basses de la classe moyenne frustrée. Elles ont rapidement été rejointes par des jeunes des banlieues ouvrières. Maintenant, il y une implication croissante du mouvement ouvrier organisé (même si elle commence seulement). Tout cela se dirige vers une entrée en action de plus en plus de couches de la société. Cela peut être un signe avant-coureur de luttes de masse encore plus grandes, vers une situation révolutionnaire ou pré-révolutionnaire. Des scissions à la tête du régime, au sein du parti d’Erdogan, commencent aussi à apparaître.

    Le mouvement turc et le courage des manifestants a été accueilli avec sympathie par la classe ouvrière et les jeunes du monde entier. L’aile droite du régime turc, un allié de l’OTAN avec ses ambitions de devenir une puissance régionale, est remise en cause par un soulèvement de colère et de l’opposition. Le cauchemar de la guerre civile en Syrie, de plus en plus sectaire, avec l’ingérence de puissance impérialistes et régionales, et son dangereux débordement dans toute la région, est devenue une menace pour l’aboutissement des soulèvements des peuples contre les dictatures et pour un changement social dans la région. Le régime turc est intervenu cyniquement dans le conflit syrien dès ses débuts, pour essayer de le capitaliser dans ses propres intérêts. Mais maintenant, le début d’un ”été turc” potentiel offre de nouveaux espoirs de revitalisation des mouvements par en-bas dans toute la région, encourageant un renouveau des luttes de masse pour les droits démocratiques, tout comme le besoin d’un changement fondamental dans l’intérêt de la classe ouvrière.

    “Tayyip istifa” – “Erdogan, démission!”

    Cela a commencé par des actions de militants écologistes contre un abattage d’arbres destiné à permettre à des promoteurs proches du Premier Ministre Erdogan de construire un centre commercial de plus au centre d’Istanbul. Avec toute la force de la violence policière, ils ont essayé d’imposer ce chantier pour les profits de quelques uns. Aux yeux de millions de Turcs, cela a très bien résumé le programme du gouvernement néo-libéral AKP.

    “Tayyip istifa” – “Erdogan démission” est devenu le slogan rassembleur du mouvement. Une partie du CHP (Parti Républicain du Peuple), la principale opposition pro-capitaliste, et même les fascistes, le MHP, ont essayé de capitaliser ce mouvement. Jusqu’ici, le caractère radical du mouvement de masse n’a pas permis au CHP de dominer.

    Cependant, au sein du mouvement, il est essentiel d’avoir un débat sur le chemin à suivre. Comment une force politique de masse peut-elle être construite pour servir les intérêts des travailleurs, des jeunes et des pauvres, qui serait capable de renverser le gouvernement d’Erdogan et de proposer une alternative ?

    Ce mouvement ne peut rien avoir en commun avec la vieille élite du CHP. Une nouvelle force politique est nécessaire, rassemblant la classe ouvrière et les jeunes. On a donc besoin d’un programme politique qui mette en avant les droits démocratiques et la lutte pour les emplois, un logement décent, une augmentation des salaires et la sécurité sociale ; un programme socialiste qui n’a pas peur de s’attaquer aux intérêts de l’élite capitaliste et des multinationales.

    Stop à la violation des droits par le gouvernement AKP !

    Trop, c’est trop ! Depuis des années, le gouvernement viole les droits démocratiques, les droits des travailleurs, des syndicats et des minorités. La violence au Parc Gezi n’est que la partie visible de l’iceberg. Environ 8000 syndicalistes, militants de gauche, journalistes et politiciens kurdes sont en prison. Et les médias turcs diffusent (sûrement sous les ordres d’Erdogan) des émissions de cuisine, pendant que le peuple essaie de savoir ce qu’il se passe dans leur propre pays par les médias étrangers !

    Nous appelons :

    • A la libération immédiate de toutes les personnes emprisonnées pendant les manifestations et de tous les prisonniers politiques
    • A une commission indépendante de la classe ouvrière formée par les syndicats et les représentants élus du mouvement pour mener des investigations sur la répression policière et mener les responsables devant la justice.
    • Aux pleins droits démocratiques, dont le droit à manifester et à former des syndicats et des partis politiques
    • A l’abolition de toutes les lois antiterroristes et des cours spéciales, et de toutes les lois réactionnaires et répressives introduites par l’AKP ces dernière années
    • A la fin de la répression des Kurdes

    Le gouvernement s’attaque aussi aux travailleurs du secteur public. Il projette de mettre fin à la sécurité de l’emploi dans le public, en faisant des coupes d’emplois et en réduisant les salaires. Le principal syndicat du secteur public, le KESK, avait déjà planifié une grève sur ces questions (dont la date devait encore être déterminée) avant le début des grandes manifestations.

    En même temps, le gouvernement Erdogan fait passer des privatisations à grande échelle. La société est dominé par la corruption, le piston et l’enrichissement d’une poignée.

    Nos revendications :

    • Non à tous les plans (même « modifiés ») du gouvernement pour « développer » la Place Tskim
    • Non aux privatisations – pour la renationalisation des propriétés publiques privatisées !
    • Augmentation du salaire minimum pour répondre aux besoins de la population !
    • Arrêt de toutes les attaques contre les travailleurs du secteur public
    • Arrêt des politiques qui sont dans l’intérêt des banques et des grandes entreprises

    ‘Diviser pour mieux régner’

    Ceux des patrons turcs et des entreprises internationales qui sont proches d’Erdogan ont pu s’enrichir depuis des années. Les politiques de privatisation, les attaques néo-libérales et la répression des manifestations servent l’enrichissement d’une poignée. En réponse, nous avons besoin d’une résistance unie des travailleurs, des jeunes et des pauvres.

    Pour pouvoir appliquer ces politiques, l’AKP essaie de se présenter comme le défenseur des valeurs islamiques. C’est pour cela qu’il adopte des mesures de division, comme l’étendue des espaces où l’alcool ne peut être vendu légalement et l’interdiction de s’embrasser en public. Avec ces mesures et beaucoup d’autres, l’AKP essaie de trouver du soutien parmi les couches les plus conservatrices de la population. C’est une tentative de couvrir la politique et les attaques réelles du gouvernement. C’est absolument cynique.

    En relançant le débat sur la construction d’une mosquée sur la place Taksim, Erdogan essaie de provoquer les personnes qui penchent vers la laïcité. La semaine dernière, il a été annoncé que le troisième pont construit sur le détroit du Bosphore porterait le nom du Sultan Selim I, le massacreur de la minorité Alévite il y a 500 ans. Ces provocations culturelles doivent s’arrêter immédiatement.

    Erdogan a fait des menaces voilées de mobiliser les couches conservatrices dans les rues pour contrer le mouvement contestataire. Il met en avant sa majorité parlementaire et pense que l’AKP peut obtenir un soutien réel dans la société. Le mouvement de masse a besoin de défendre des politiques qui peuvent gagner les ruraux et les pauvres des villes, pour saborder les tentatives du gouvernement de diviser pour mieux régner. Les travailleurs et les jeunes ne peuvent se permettre d’être divisés dans leur résistance aux attaques néo-libérales et la lutte pour un travail bien payé, un logement décent pour tous et les pleins droits démocratiques.

    Les tâches du mouvement ouvrier et de la gauche

    L’appel du syndicat du secteur public KESK à une grève nationale contre la violence policière est la bonne décision. Les autres syndicats devraient suivre cet exemple et élargir la grève. Une journée de grève générale dans toute la Turquie peut être le prochain pas pour développer le mouvement de masse et mettre la plus grande force possible contre Erdogan – le mouvement ouvrier organisé – au centre de la contestation.

    Les syndicats et les partis et groupes de gauche, comme le HDK (Congrès Démocratique du Peuple- un parti de rassemblement qui incluse des partis kurdes et des groupes de gauche), Halk Evleri (Maisons du Peuple) et d’autres, peuvent contribuer, à tous les niveaux, à transformer cela en une grève avec une participation maximum des travailleurs, des jeunes et des communautés ; les comités basés sur des assemblées de masse dans les usines et les quartiers sont nécessaires pour se défendre contre la violence policière, pour organiser la solidarité pour la réussite de la grève, et pour encourager les débats politiques à tous les niveaux. Rassembler les représentants élus de toutes ces assemblées au niveaux local, des villes, régional, ainsi qu’au niveau national, permettrait de construire le mouvement de manière démocratique, avec une responsabilités devant les électeurs et le droit de révoquer tout représentant. Cela peut être la base d’un gouvernement des travailleurs et des pauvres.

    En se basant sur ces étapes, il est possible de construire un mouvement non seulement pour renverser le gouvernement Erdogan, mais aussi pour lutter pour une alternative dans l’intérêt de la classe ouvrière, des jeunes et de tous ceux qui travaillent en général. Un parti de masse de la classe ouvrière, avec un programme socialiste, est nécessaire.

    Nous revendiquons :

    • Le renversement du gouvernement AKP – pour un gouvernement des travailleurs et des pauvres !
    • La fin de la dictature du grand business et de ses politiciens
    • La nationalisation des entreprises qui dominent l’économie, sous le contrôle et la gestion des travailleurs
    • Pour une planification démocratique et socialiste de l’organisation et du développement de l’économie dans les intérêts de la population
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