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  • Sri Lanka : Les manœuvres de la classe dirigeante s’intensifient pour contrecarrer le soulèvement révolutionnaire


    En se relevant, les masses au Sri Lanka ont réveillé l’imagination et le courage de millions de travailleurs et de pauvres qui luttent contre les effets de la crise capitaliste en Asie du Sud et ailleurs dans le monde.

    Par Serge Jordan, Alternative Socialiste Internationale

    La prise d’assaut spectaculaire de la résidence présidentielle de Colombo, le samedi 9 juillet, a marqué un renforcement qualitatif de la lutte entre révolution et contre-révolution au Sri Lanka. Cette explosion insurrectionnelle de masse a scellé le destin politique de l’autrefois puissant autocrate Gotabaya Rajapaksa et de sa dynastie corrompue.

    Forcé de quitter son palais par un pays entier en émoi, le président disgracié a passé les jours suivants à se cacher et à organiser sa fuite de l’île. Pour de nombreux Tamouls, il y a une certaine ironie à voir Rajapaksa obligé de fuir sa maison dans la peur et à voir la maison de son Premier ministre incendiée. Cette expérience, tant de Tamouls ont dû l’endurer par le passé sous la surveillance de ces politiciens meurtriers et gangsters.

    Gotabaya a d’abord essayé de se rendre à Dubaï par un vol commercial depuis l’aéroport international de Colombo, capitale du Sri Lanka, mais il a été bloqué dans sa course parce que le personnel de l’aéroport et les agents de l’immigration l’ont empêché de quitter le pays. C’est l’un des nombreux exemples qui témoignent du réveil du pouvoir longtemps inexploité de la classe ouvrière sri-lankaise au cours de l’”Anatha Aragalaya” (“Lutte du peuple”).

    Avec l’aide de l’armée, “Gota” a finalement réussi à s’échapper aux premières heures du mercredi matin à bord d’un jet militaire qui a atterri dans les îles Maldives. À peine a-t-il atterri aux Maldives que des manifestations ont éclaté contre lui là-bas, principalement par des Sri Lankais qui vivent à Malé, la capitale des Maldives, et qui exigeaient du gouvernement local qu’il refuse d’abriter ce criminel.

    Il a ensuite embarqué dans un avion pour Singapour jeudi. Le gouvernement de Singapour, qui se targue de sa culture de “tolérance zéro” à l’égard de la corruption, n’a visiblement aucun scrupule à héberger l’infâme corrompu Gotabaya Rajapaksa sur le chemin de l’exil. C’est depuis Singapour qu’il a finalement remis sa lettre de démission officielle, après avoir attendu d’être en lieu sûr pour la mettre en œuvre et renoncer à son immunité présidentielle – qu’il avait conservée jusque-là pour se mettre à l’abri des poursuites.

    Une cocotte-minute

    Au Sri Lanka, la rage bouillonnante des masses n’a pas refroidi et est prête à réexploser. Ranil Wickremesinghe, le dernier Premier ministre qui avait initialement annoncé qu’il démissionnerait samedi dernier, a été nommé président par intérim par un Rajapaksa en fuite.

    Cette manœuvre, depuis officiellement ratifiée par le président de la Cour suprême, a mis en colère la rue, qui voit à juste titre en Wickremesinghe un mandataire des Rajapaksa pour tirer les ficelles de l’arrière-scène. Même lorsqu’il était officiellement un rival politique, Wickremesinghe avait sauvé la famille Rajapaksa de poursuites judiciaires lorsqu’elle était hors du pouvoir entre 2015 et 2019. Les deux derniers mois l’ont vu jouer un rôle similaire, tout en mettant en œuvre de nouvelles mesures d’austérité et en préparant un budget provisoire dont l’objectif central était de “réduire les dépenses jusqu’à l’os”.

    Sa nomination a déclenché de nouvelles manifestations à travers Colombo depuis mercredi dernier ; ce jour-là, des masses de gens ont tenté de pénétrer dans le Parlement, et ont pris d’assaut et capturé son bureau. De violents affrontements avec les forces de sécurité ont suivi, et un jeune manifestant a succombé à ses blessures après avoir reçu des gaz lacrymogènes de la police.

    Divisions

    Le soulèvement du 9 juillet a fait éclater au grand jour les divisions au sein de l’establishment politique et de l’appareil d’État. Les partis d’opposition ont d’abord contesté la “légalité constitutionnelle” de la nomination de Wickremesinghe comme président par intérim. Depuis lors, des fractures sont également apparues au sein du parti de Rajapaksa, le Sri Lanka Podujana Peramuna (SLPP), entre une aile qui soutient Wickremesinghe et une autre qui conteste son ambition de devenir président à part entière.

    L’une des premières décisions de Wickremesinghe a été de nommer un comité de commandants militaires et de police à qui il a donné le feu vert pour faire “tout ce qui est nécessaire pour rétablir l’ordre”, qualifiant les manifestants de “menace fasciste pour la démocratie”. Mais jeudi dernier, l’armée sri-lankaise aurait décliné les instructions de Wickremesinghe d’utiliser la force contre les manifestants. Cela semble confirmer la discorde qui règne au sommet sur la question de savoir qui doit être responsable, et les inquiétudes des sections de la classe dirigeante qui craignent que l’application d’une répression totale contre le mouvement à ce stade ne se retourne contre eux.

    La déclaration publique faite la semaine dernière par l’ancien chef de l’armée, M. Fonseka, est symptomatique de la volatilité politique renforcée par le renversement révolutionnaire de la tête du régime. Il a lancé un appel aux militaires leur demandant de ne pas suivre les ordres anticonstitutionnels du président par intérim et de plutôt “lever leurs armes contre les politiciens corrompus”. Fonseka a été le commandant de l’armée sri-lankaise pendant les dernières années de la guerre et est l’un des architectes du génocide contre le peuple tamoul. Son positionnement est une tentative de tirer parti de l’agitation croissante qui affecte l’armée afin de canaliser le mouvement actuel dans une voie qui lui permettrait de rester à l’écart de la vague révolutionnaire. L’Aragalaya devrait appeler les rangs inférieurs de l’armée à lever leurs armes non seulement contre les politiciens corrompus, mais aussi contre tous les officiers militaires responsables de crimes de guerre – et Fonseka figure en bonne place sur cette liste.

    Opportunités et dangers

    Les événements houleux de la semaine dernière au Sri Lanka ont libéré un énorme potentiel révolutionnaire et inspiré des millions de personnes dans le monde en montrant la puissance des mouvements de masse. Le moment historique de samedi a donné lieu à des éléments de “double pouvoir” : au-delà du pouvoir officiel de l’État, le pouvoir réel s’est déplacé dans les rues, et les centres névralgiques du pouvoir d’État – à savoir le bâtiment de la résidence présidentielle, le bureau du président et la résidence officielle du premier ministre – ont été occupés par les masses, qui ont refusé de bouger jusqu’à ce qu’elles soient sûres que le président et le premier ministre démissionnent pour de bon. Ces somptueux bâtiments ont même été reconvertis en musées ouverts, avec des cuisines communautaires servant de la nourriture gratuite, une bibliothèque publique de fortune et d’autres commodités. Mercredi dernier, les manifestants ont également réussi à pénétrer dans la chaîne de télévision publique, autrefois porte-parole du régime Rajapaksa, et à prendre le contrôle du programme de diffusion pendant un certain temps.

    Toutefois, bien qu’il ait pris le dessus après avoir arraché sa victoire la plus importante à ce jour, le mouvement de protestation ne dispose pas d’une direction pleinement identifiable, ni d’un programme politique cohérent quant à la suite des événements. Jeudi dernier, dans l’après-midi, tous les bâtiments occupés, sauf le secrétariat présidentiel, ont été rendus à l’État. La prise d’assaut et l’occupation de la résidence présidentielle et des autres bâtiments de l’État ont pourtant bénéficié d’un immense soutien à travers l’île et au-delà. Ils auraient pu être défendus par un appel public clair à la classe ouvrière du pays, à ses organisations et aux masses révolutionnaires dans leur ensemble, et être utilisés comme une rampe de lancement pour rallier et organiser la lutte – y compris, par exemple, pour convoquer le “Conseil du peuple” que les manifestants ont demandé dans leur “Plan d’action pour l’avenir de la lutte” publié le 5 juillet. Au lieu de cela, l’État va maintenant utiliser la récupération de ces bâtiments pour se regrouper et repasser à l’offensive, dans le cadre de sa tentative de restaurer le crédit meurtri de ses institutions.

    Pendant ce temps, les manœuvres frénétiques de l’establishment politique pour tenter de mettre en place un gouvernement dit “multipartite” se poursuivent sans relâche. Ce n’est rien d’autre qu’une tentative de contourner la volonté des masses révolutionnaires en cousant un gouvernement au-dessus de leurs têtes – avec les restes pourris du SLPP, qui détient toujours officiellement la majorité au Parlement.

    Tout gouvernement multipartite (à condition qu’il voie le jour) sera à la merci d’un parti composé de loyalistes et d’ex-loyalistes de Rajapaksa. En outre, aucun des partis parlementaires, qu’il s’agisse de l’opposition ou du SLPP, ne remet en question l’idée constamment martelée qu’il n’y a pas d’alternative à la reprise des négociations de renflouement avec le FMI et à l’acceptation des plans économiques néolibéraux brutaux qui y sont liés. La plupart de ces partis – relayés par les ambassades occidentales, les Nations unies, l’élite des grandes entreprises et l’establishment religieux – continuent également à ne jurer que par la Constitution actuelle, qui consacre le système de la présidence exécutive, qui donne des pouvoirs dictatoriaux au président, ainsi que le caractère sectaire, cinghalais-bouddhiste, de l’État.

    Les “élections” du Président

    Un vote pour élire un nouveau président à temps plein est prévu au Parlement le 20 juillet. Aucun des candidats en lice ne représente les aspirations des millions de personnes qui ont rendu possible cette vacance du siège présidentiel. Tous sont également, à des degrés divers, de farouches opposants au droit des Tamouls à l’autodétermination. Parmi eux, on trouve le candidat principal et favori de la classe capitaliste, Wickremesinghe, le susnommé Fonseka, le membre du SLPP Dullas Alahapperuma – un autre nationaliste cinghalais-bouddhiste et ancien allié fidèle de Rajapaksa-, Sajith Premadasa, chef du parti de droite Samagi Jana Balawegaya (SJB), le plus grand parti d’opposition au Parlement, qui prêche une “austérité extrême”, et Anura Kumara Dissanayake, chef du Janatha Vimukthi Peramuna (JVP).

    Le JVP est le seul parti parmi ceux qui ont une certaine influence sur les sections de l’Aragalaya ; cependant, il a une longue expérience de soumission au chauvinisme cinghalais, soutient qu’il faut approcher le FMI “avec prudence”, et sa participation même à cette mascarade d’élection présidentielle reflète sa forte intégration dans les manœuvres antidémocratiques de la classe dirigeante visant à faire revivre les institutions décrépites et méprisées de l’ancien régime. Parmi les revendications les plus populaires du mouvement figurent en effet “225 Go Home” – une référence aux 225 membres du Parlement – et l’abolition de la présidence exécutive, le poste même que tous ces candidats défendent.

    Quel que soit le gouvernement et le président qui seront choisis par les forces et institutions politiques qui fondent leur légitimité sur l’ancien système, ils iront à l’encontre de la demande de “changement complet du système” formulée par le mouvement et devraient être rejetés sans réserve. La même clique de politiciens pro-entreprises qui tente d’usurper la victoire des masses cherche désespérément à les écarter de la rue. C’est la véritable raison pour laquelle Wickremesinghe impose depuis dimanche l’état d’urgence dans toute l’île, justifié par la nécessité de “maintenir les fournitures et les services essentiels à la vie de la communauté” – une sacrée ironie de la part d’un homme qui a supervisé un tel effondrement économique que plus d’une douzaine de personnes sont mortes dans des files d’attente de plusieurs kilomètres pour de l’essence sous sa direction.

    Quel programme ?

    Il s’agit d’une lutte révolutionnaire qui nécessite des moyens révolutionnaires. Le seul gouvernement légitime est celui qui émane des forces vives du soulèvement d’Aragalaya lui-même. Le mouvement pourrait faire campagne pour un “Conseil du peuple” constituant révolutionnaire à l’échelle de l’île, convoqué par des délégués élus localement au sein du mouvement révolutionnaire, et avec une représentation équitable de toutes les minorités religieuses et ethniques. Des comités locaux de l’Aragalaya, démocratiquement élus et contrôlés par des assemblées tenues dans tous les quartiers, villages et lieux de travail, donneraient une forme concrète à cette idée, et permettraient à la classe ouvrière, à la jeunesse et aux pauvres des campagnes de contrôler pleinement leur propre lutte et d’affirmer et de développer leur propre base de pouvoir.

    En ce qui concerne l’économie, le mouvement de masse devrait lutter pour imposer un programme de secours d’urgence afin de remédier à la situation catastrophique infligée à la majorité. Des mesures telles qu’un contrôle ouvrier sur les voyages et les flux de capitaux doivent être mises en œuvre pour empêcher les autres copains du régime et les proches de Rajapaksa de quitter le pays avec leurs richesses, et les millionnaires et milliardaires corrompus de planquer leur argent à l’étranger. Les richesses des Rajapaksa doivent être saisies et utilisées pour fournir une aide immédiate aux pauvres et aux affamés, et l’énorme budget de la défense doit être réduit pour augmenter les dépenses sociales qui s’imposent. Les comités de quartier pourraient contribuer à imposer des mesures de contrôle des prix et à organiser la fourniture de biens vitaux comme la nourriture et les médicaments à ceux qui en ont besoin.

    Le remboursement de la dette saigne le pays à blanc ; le mouvement devrait plaider pour sa répudiation immédiate et inconditionnelle, et rejeter toute négociation avec le FMI rapace. Au lieu de détruire ce qu’il reste de propriété publique au Sri Lanka (comme la santé et l’éducation) et d’ouvrir le pays à des privatisations plus larges, comme le voudrait cette institution impérialiste, le mouvement devrait exiger la propriété publique de tous les secteurs et ressources stratégiques et leur planification en fonction des besoins, sous le contrôle démocratique des travailleurs et des agriculteurs pauvres, par le biais d’un gouvernement qu’ils auraient eux-mêmes créé.

    Bien sûr, de telles mesures socialistes ne viendront jamais d’en haut, puisque toutes les ailes de l’establishment conspirent pour continuer avec les mêmes politiques économiques capitalistes en faillite, volant les pauvres pour remplir les poches des déjà super riches. De telles mesures devraient être combattues par une action décisive de la classe ouvrière, sur les traces des grèves générales d’avril et de mai, qui ont connu un immense succès. Plusieurs syndicats ont prévenu que des actions de grève seraient organisées dans tout le pays si Wickremesinghe prenait la présidence à plein temps. Les travailleurs de tous les syndicats et lieux de travail devraient prendre leurs dirigeants au mot – car ce n’est pas la première fois qu’ils menacent de faire quelque chose qu’ils ne mettent pas à exécution – et se préparer à ces actions, quel que soit le vainqueur, car aucun des prétendants ne défend les intérêts des travailleurs de toute façon.

    L’actuelle brochette de candidats réactionnaires et chauvins à la présidence ne peut que renforcer les appréhensions et les craintes des minorités tamoules et musulmanes quant à la direction que prend la situation politique post-Rajapaksa. Dans ces conditions, il est absolument crucial que des efforts conscients soient faits pour tendre la main à ces communautés et intégrer leurs justes revendications dans le mouvement. L’Aragalaya doit se battre pour la fin de l’oppression sanctionnée par l’État sur la base de la religion et de l’ethnicité, pour l’extradition et le procès populaire de Rajapaksa pour crimes de guerre, pour la libération de tous les prisonniers politiques, pour des enquêtes indépendantes sur les disparitions massives, pour la suppression de la draconienne “loi sur la prévention du terrorisme”, pour la fin de l’occupation militaire et de l’accaparement des terres dans les provinces tamoules, et pour le droit du peuple tamoul à décider librement et démocratiquement de son propre avenir, sans aucune contrainte de l’État.

    En se redressant, les masses au Sri Lanka ont réveillé l’imagination et le courage de millions de travailleurs et de pauvres qui luttent contre les effets de la crise capitaliste en Asie du Sud et au niveau international. En adoptant une perspective socialiste telle que décrite ci-dessus, elles pourraient accélérer la disparition de ce système et ouvrir une nouvelle ère de véritable coopération internationale et de progrès social pour tous.

  • Sri Lanka. La prise d’assaut du palais présidentiel oblige Gotabaya Rajapaksa à quitter le pouvoir


    La révolution continue, c’est tout le système qui doit disparaître !

    Par Serge Jordan, ASI

    Les événements rapides qui se déroulent au Sri Lanka, pays en crise, ont pris une nouvelle tournure ce samedi 9 juillet, alors que des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la capitale Colombo au cours d’une journée d’énormes protestations initiées par les jeunes activistes qui occupaient le site central de protestation à Galle Face Green. La manifestation de ce samedi a culminé avec la prise d’assaut massive de la résidence officielle du président Gotabaya Rajapaksa, obligeant ce dernier à fuir ledit palais quelques minutes avant que cela ne se produise. Dans la soirée, il a annoncé qu’il se retirait, en mettant ainsi en œuvre ce qui avait déjà été obtenu par les masses dans les rues. Des pétards de fête ont été entendus dans de nombreux quartiers de la ville à l’annonce de cette nouvelle.

    Un sentiment de soulagement et d’exaltation va sans doute envahir de nombreuses familles tamoules, au Sri Lanka et à l’étranger, en assistant à la fin politique peu glorieuse de ce dictateur sanguinaire responsable de crimes de guerre, de tortures et de disparitions de Tamouls à une échelle génocidaire. De nombreux autocrates et dirigeants capitalistes dans le monde regarderont cependant les événements actuels au Sri Lanka avec un sentiment de panique, car la tempête économique, sociale et politique de l’île leur offre un miroir de ce qui va suivre dans de nombreux autres pays ravagés par la nouvelle étape de la crise du capitalisme mondial.

    Des scènes montrant des centaines de manifestants franchissant plusieurs lignes de barricades policières et forçant l’entrée du bâtiment, brandissant des drapeaux sur ses toits et faisant même trempette dans la piscine du président ont été largement diffusées sur les écrans de télévision du monde entier. Cela n’est pas vraiment surprenant, car les Sri Lankais ont enduré pendant des mois des coupures de courant qui duraient des heures et des files d’attente atrocement longues pour obtenir des produits de première nécessité sous une chaleur écrasante, tandis qu’une fine couche de politiciens corrompus et de millionnaires, incarnés par Gotabaya lui-même, continuaient à s’offrir un style de vie luxueux.

    Les rues autour du bâtiment présidentiel étaient occupées par un océan de protestataires, manifestant leur rage contre les escrocs au pouvoir qui ont jeté l’immense majorité de la population du pays dans un cycle de souffrances économiques qui ne cesse de s’aggraver. Le manque de carburant, l’interdiction des véhicules privés qui en a résulté et le quasi effondrement des transports publics n’ont pas empêché les gens de venir de loin, y compris de l’extérieur de Colombo et de régions reculées du pays, pour se rendre à la manifestation de ce samedi. En milieu d’après-midi, un correspondant d’Al Jazeera a rapporté : « Des dizaines de milliers de Sri Lankais continuent d’affluer à Colombo… Les gens ont pris d’assaut les gares et ont littéralement forcé les employés à les mettre dans les trains et à les amener à Colombo. Ils disent qu’ils reprennent leur pays. »

    Submergées par le nombre et la détermination des manifestants, les tentatives des forces de sécurité, de la police et de l’armée de retenir, et encore moins de déloger, la foule des manifestants étaient sans espoir. On a rapporté des scènes isolées où les forces de l’État ont sympathisé avec les manifestants, voire les ont rejoints. Une vidéo d’un officier de police garant sa moto, jetant son casque et lançant des slogans de soutien à la manifestation est devenue virale sur les médias sociaux.

    La police avait initialement imposé un couvre-feu dans la capitale et dans plusieurs autres villes dans la nuit de vendredi à samedi en prévision de la journée de protestation annoncée, mais l’a annulé le lendemain matin à la suite des objections des politiciens de l’opposition et de l’Association du barreau du Sri Lanka. Les ordonnances d’interdiction demandées par le gouvernement contre la manifestation ont également été rejetées par la Haute Cour. Il s’agit là d’indications sûres que les divisions se creusaient entre les différentes ailes de l’establishment quant à la manière de répondre à la pression bouillonnante de la base, et à ce qui devait être une journée de lutte capitale.

    Après les événements du samedi, l’ambassadeur américain au Sri Lanka a même demandé à la police de l’île de laisser de l’”espace” aux manifestants. Certaines sections de la classe dirigeante craignent qu’une répression de l’État à ce stade ne mette le feu aux poudres de la révolution, voire ne provoque des scissions dans les rangs inférieurs des forces militaires et policières, elles-mêmes soumises aux politiques économiques ruineuses du régime pourri et discrédité qu’elles sont officiellement censées protéger.

    Démissions

    À la suite de ces développements explosifs, le Premier ministre Ranil Wickremesinghe, qui avait lui-même été déplacé dans un lieu sûr et non divulgué, a été le premier à annoncer officiellement sa démission. Wickremesinghe avait été trié sur le volet par le président détesté il y a moins de deux mois pour remplacer son frère aîné, Mahinda, qui avait été évincé à la suite d’une action de masse similaire et explosive. Il s’agit donc du deuxième Premier ministre à être renversé par le soulèvement populaire, qui a éclaté au début de l’année en réaction à l’effondrement économique qui frappe l’île.

    L’espoir timide de la classe dirigeante que la nomination de Wickremesinghe permettrait de mater la résistance de masse et de faire passer ses plans d’austérité sauvages sans opposition a reçu aujourd’hui une réponse formidable. D’ailleurs, la résidence privée de l’ex-Premier ministre a elle-même été incendiée par les manifestants. Sous la direction de Wickremesinghe, la crise n’a fait qu’empirer, et ce n’était qu’une question de temps avant qu’un nouveau point de rupture ne soit atteint.

    Immédiatement après l’assaut de la résidence de Gotabaya, au moins 16 députés de son propre parti, le Sri Lanka Podujana Peramuna (SLPP), avaient déjà demandé sa démission immédiate, dans une tentative désespérée de se distancer d’un leader qu’ils avaient soutenu jusqu’à la dernière minute. Résumant l’état d’esprit des cercles dirigeants, un ancien conseiller des Rajapaksa a déclaré : « D’une certaine manière, le président est déjà parti, peu importe ce qu’il dit – il est désormais sans intérêt ». Quelques heures après la démission du chef du gouvernement, l’intention de Gotabaya de quitter le pouvoir « d’ici la semaine prochaine » a été annoncée publiquement par la voix du président du Parlement, Mahinda Yapa Abeywardena. Au moment de la rédaction de cet article, on ne sait toujours pas où se trouve Gotabaya lui-même, bien que des images vidéo l’aient montré embarquant précipitamment sur un navire de la marine avec une partie de sa famille.

    Pour un mouvement dont la revendication la plus claire a été exprimée par le slogan populaire “Gota go home” et la nécessité de renverser le président, la question brûlante est désormais de savoir ce qui va et doit se passer ensuite. Tous les efforts des principaux partis d’opposition visent à mettre en place un gouvernement dit d’unité ou “multipartite”. La vérité, cependant, est que la colère des masses au Sri Lanka va bien au-delà du clan Rajapaksa ; pour beaucoup, c’est l’ensemble de l’establishment politique et le système qui le sous-tend qui doivent être mis sur le banc des accusés. Cela est tout à fait justifié si l’on considère qu’aucun des partis de l’opposition parlementaire n’a préconisé une voie économique fondamentalement différente de celle suivie par les Rajapakasa et leurs gouvernements successifs, aucun d’entre eux – que ce soit le Samagi Jana Balawegaya (SJB), le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP) ou l’Alliance nationale tamoule (TNA) – ne s’est opposé en principe à la stratégie centrale poursuivie par le cabinet sortant, qui consiste à mendier davantage d’argent auprès du FMI en échange d’un programme d’austérité impitoyable qui réduit encore plus la vie des travailleurs et des pauvres.

    Les jeunes, la classe ouvrière et les masses appauvries du Sri Lanka ont fait preuve aujourd’hui d’une énergie et d’un potentiel révolutionnaires considérables, comme ils le font depuis des mois malgré les difficultés extrêmes qui leur sont imposées quotidiennement. Ils ont montré une fois de plus que c’est leur propre mobilisation et organisation de masse, et rien d’autre, qui peut forcer la classe dirigeante à céder. Il ne s’agit pas maintenant d’arrêter mais d’intensifier la lutte. La force inébranlable de la grève générale et du “Hartal” (fermeture totale) en avril et mai a montré que les syndicats et la classe ouvrière en général ont un rôle décisif à jouer dans cette escalade.

    Mais les masses doivent également développer leur propre alternative révolutionnaire – plutôt que de laisser une bande de politiciens pro-capitalistes sans mandat du mouvement s’emparer de leur lutte et décider pour elles. Ceci peut être préparé par la construction d’un réseau insulaire de comités d’action de base dans les lieux de travail, les universités, les villes et les villages, comme axe organisationnel central autour duquel un futur gouvernement composé de représentants de la classe ouvrière et du peuple révolutionnaire pourrait voir le jour. Grâce à ces comités, une Assemblée constituante révolutionnaire pourrait être élue démocratiquement, reflétant de manière dynamique les aspirations les plus profondes des travailleurs, des agriculteurs pauvres, de la jeunesse révolutionnaire et de toutes les sections diverses et opprimées de la population du Sri Lanka, et responsable devant eux. Il commencerait par rejeter la constitution autoritaire et chauvine, centrée sur le bouddhisme cinghalais, et discuterait des mesures nécessaires pour s’éloigner de manière décisive du système politique et économique actuel, en faillite.

    Il faut également se préparer consciemment à l’autodéfense de masse, car le danger d’une répression plus sanglante, voire d’une prise de pouvoir militaire, n’a pas disparu. Des appels explicites à la solidarité de classe doivent être adressés aux soldats et aux policiers de base, les exhortant à ne pas utiliser la force contre le mouvement populaire.

    Dans l’élaboration d’une direction plus claire pour le mouvement et dans les discussions renouvelées qui sont susceptibles d’émerger sur ce à quoi devrait ressembler un avenir post-Rajapaksa, aucune question difficile ne devrait être évitée – y compris sur la reconnaissance nécessaire du traitement terriblement oppressif et brutal infligé par le régime déshonoré au peuple tamoul et sur l’incorporation nécessaire des demandes de ce dernier pour des réparations de guerre, l’égalité des droits et une véritable autodétermination. L’appel lancé récemment par le chef d’état-major de la défense, le général Shavendra Silva, à tous les citoyens pour qu’ils “soutiennent les forces armées et la police” reflète en partie la nervosité des hauts gradés de l’armée, qui craignent que leur passé sanglant, leurs affaires de corruption et leur étroite association avec les Rajapaksa soient désormais soumis à l’examen du public – et c’est normal. Au-delà des Rajapaksa eux-mêmes, tous les criminels en service ou à la retraite de l’armée responsables d’atrocités de guerre devraient être traduits en justice, et la construction d’une lutte de masse pour mettre fin à l’occupation militaire du nord et de l’est tamoul devrait être encouragée. Le budget militaire extrêmement gonflé doit être supprimé et les ressources réinvesties à des fins sociales. Ces revendications et d’autres similaires sont cruciales pour ancrer l’unité entre les travailleurs et les jeunes tamouls et cingalais sur des bases solides.

    La prise d’assaut aujourd’hui de la résidence présidentielle par les masses à Colombo a ouvert un nouveau chapitre dans le soulèvement révolutionnaire au Sri Lanka, et la signification de ces événements sera ressentie à l’échelle internationale. Une nouvelle victoire a été remportée lorsque la figure de proue d’un régime corrompu, autoritaire et chauvin s’est vu montrer la porte de sortie. Mais d’énormes défis restent à relever, car tous les problèmes économiques auxquels sont confrontés les Sri Lankais sont toujours là, et aucun d’entre eux ne peut être résolu à l’intérieur des frontières nationales et capitalistes.

    En commençant par des mesures d’urgence telles que le rejet sans compromis de tout remboursement de la dette aux créanciers internationaux rapaces, le plafonnement des prix de tous les produits essentiels, le contrôle public des flux de capitaux et l’expropriation immédiate de la richesse de la famille Rajapaksa, le mouvement de masse doit se doter d’un programme cohérent de revendications qui remette fondamentalement en question la logique de recherche du profit du système capitaliste au niveau national et international, et qui préconise la prise en charge par la classe ouvrière de la production et de la distribution des principales activités économiques de l’île dans le but d’une planification démocratique et socialiste. De manière cruciale, les masses devront également construire leur propre parti pour atteindre cet objectif. Ne faisant confiance à aucune puissance étrangère et à ses institutions – qui ne sont guidées que par leurs propres intérêts économiques et géopolitiques – elles devraient plutôt faire appel au soutien et à l’émulation des travailleurs et des pauvres d’Asie du Sud et du monde entier, qui sont eux-mêmes frappés par la crise alimentaire et énergétique mondiale et qui trouveront une formidable source d’inspiration dans le soulèvement de masse qui secoue le Sri Lanka.

  • Sri Lanka : Le premier ministre démissionne après que l’agression contre-révolutionnaire ait provoqué une réponse furieuse

    Les événements ont pris un rythme frénétique au Sri Lanka au cours des 72 dernières heures. C’est une véritable crise révolutionnaire qui s’est développée et qui risque d’être le précurseur de bouleversements similaires dans d’autres pays.

    Par Serge Jordan en direct de Colombo

    Lundi 8 au matin, des centaines d’hommes de main pro-Rajapaksa et de bandes de malfrats à la solde du gouvernement, armés de matraques, de bâtons et de tiges métalliques, ont violemment attaqué deux sites de protestation anti-gouvernemental dans la capitale, Colombo. Ils ont quitté une réunion dirigée par celui qui était encore le Premier ministre, Mahinda Rajapaksa, dans sa résidence officielle, et ont attaqué les gens qui protestaient depuis des semaines devant cette résidence. Ils ont détruit leur campement, avant de descendre sur l’occupation “GotaGoGama” (GGG) face au bâtiment présidentiel de Galle Face Green, à un kilomètre de là.

    Érigé il y a un mois, ce campement était devenu un symbole de défi à l’autorité du régime, et un point de ralliement quotidien pour toutes les couches soutenant le mouvement de masse. La foule de voyous pro-régime s’est déchaînée avec une extrême violence sur les manifestants présents, brûlant tentes et bannières et frappant de nombreuses personnes à sang. La police, présente en grand nombre, a simplement observé la scène. “La police n’a rien voulu faire” a rapporté une femme tamoule témoin des événements, ajoutant qu’elle a été explicitement ciblée pour son origine ethnique. “Nous avons perdu beaucoup d’effets personnels, car ils ont brûlé nos tentes, nos vêtements, nos couvertures, tout” ont expliqué d’autres manifestants présents lors de l’assaut. Des dizaines d’entre eux ont été grièvement blessés et un jeune a été déclaré paralysé à vie par la suite.

    Par cette action, le régime de Rajapaksa pensait pouvoir frapper au cœur du mouvement de masse, intimider les manifestants pacifiques et les faire fuir du site. Cela aurait ouvert la porte à une contre-offensive plus large afin de briser la révolte des masses. Mais cela s’est avéré être une erreur de calcul phénoménale. Après le choc initial de l’attaque, des milliers de jeunes, aidés par des passants solidaires, des conducteurs et des travailleurs du quartier, et par des personnes qui avaient entendu parler de ce qui s’était passé, ont commencé à poursuivre les hooligans à la solde du gouvernement dans les rues pour leur donner une leçon. Certains ont été déshabillés, jetés dans le lac Beira tout proche ou dans des poubelles ; de nombreux bus qui avaient été utilisés pour les transporter à Colombo ont été incendiés, jetés dans le lac, ou les deux. Le lac de Beira offre aujourd’hui une vue surréaliste, avec des dizaines de bus calcinés à moitié immergés dans l’eau.

    Des sections de la classe ouvrière ont immédiatement débrayé pour protester contre ce déchaînement contre-révolutionnaire, comme les travailleurs de la santé de l’hôpital général de Colombo et les avocats devant le complexe judiciaire de Hulftsdorp. Les postiers ont également décidé de lancer une action de grève dans toute l’île en réaction.

    Défiant le couvre-feu annoncé lundi après-midi par le gouvernement pour tenter de repousser les masses hors des rues – ce qui a impliqué depuis un très important déploiement militaire, dans la capitale et dans le reste du Sri Lanka – les manifestants anti-gouvernementaux ont entièrement réoccupé Galle Face Green. À 16 heures, “GGG” renaissait des ruines et les tentes étaient reconstruites, avec de nombreuses autres personnes venant des différents coins de la ville qui affluaient par vagues pour défendre l’occupation et montrer leur solidarité, y compris des religieuses catholiques qui sont restées debout toute la nuit pour protéger la zone.

    Son plan s’étant totalement retourné contre lui, Mahinda Rajapaska s’est officiellement retiré dans les heures qui ont suivi. Des pétards ont été allumés dans la banlieue de Colombo, tandis que des habitants ont été vus en train de préparer du kiribath (riz au lait, un plat traditionnel sri-lankais) pour célébrer la nouvelle.

    Après Chamal, Namal et Basil Rajapaksa – qui ont tous été écartés à la mi-avril de leurs postes ministériels – Mahinda est le dernier membre de la famille Rajapaksa à tomber. Il est particulièrement méprisé par la communauté tamoule pour avoir supervisé le massacre de dizaines de milliers de civils tamouls pendant la guerre civile. Depuis sa démission, les demandes de départ de son frère cadet, le détesté président Gotabaya Rajapaksa, n’ont fait que s’amplifier de manière exponentielle dans tout le pays. Jusqu’à présent, le mélange incessant de concessions et de violence répressive déployé par le régime n’a pas réussi à décourager la lutte révolutionnaire dans laquelle se sont engagés les travailleurs, les jeunes et les pauvres du Sri Lanka.

    Encouragés par la démission du Premier ministre et furieux de l’attaque vicieuse du régime, des masses de personnes ont manifesté dans divers quartiers de Colombo et dans de nombreuses autres régions du pays. La foule a brûlé des villas, des maisons et d’autres propriétés appartenant à la famille Rajapaksa, aux dirigeants et aux députés du parti au pouvoir, le Sri Lanka Podujana Peramuna (SLPP). Plus de 50 maisons de politiciens auraient été brûlées dans la nuit, et d’autres ont été prises d’assaut et incendiées mardi.

    Lorsque je suis arrivé à Colombo mardi après-midi, l’une de ces grandes villas était en flammes, des centaines de personnes manifestaient à l’extérieur et des lettres rouges indiquaient “Gota Go Home” sur la façade. À Tangalle, dans l’extrême sud du pays, des manifestants en colère ont arraché la statue de D.A. Rajapaksa, le père des frères Rajapaksa. Quant à Mahinda, il a été évacué de sa résidence après que celle-ci ait été assiégée par des centaines de manifestants, et transporté dans un hélicoptère militaire vers le Nord-Est tamoul. Cela a ensuite provoqué des manifestations devant la base navale de Trincomalee, où il aurait trouvé refuge. Cette base navale a été utilisée par le régime Rajapaksa comme centre de détention et camp de torture pour les Tamouls pendant la guerre civile.

    Au moins huit personnes sont mortes à ce jour et des centaines d’autres ont été blessées lors des récents affrontements. Avec leur trope habituel, la plupart des médias internationaux ont évoqué des “émeutes” et des “violences” entre manifestants pro et anti-gouvernementaux dans les rues de Colombo, et les gouvernements et ambassades occidentaux ont appelé à la “retenue”. Mais on ne peut douter de l’identité de ceux qui ont déclenché cette violence, en attaquant sauvagement des manifestants entièrement pacifiques et sans défense, parmi lesquels se trouvaient des familles avec de jeunes enfants.

    Ce qui a suivi est un exemple typique du “fouet de la contre-révolution” qui déclenche un déchaînement révolutionnaire. Dans un contexte de profonde souffrance et d’exaspération face aux énormes problèmes économiques auxquels sont confrontés des millions de Sri Lankais, notamment les pénuries massives de carburant, de gaz et de médicaments, les coupures d’électricité de longue durée et la flambée des prix de la nourriture et d’autres produits essentiels, il n’est pas étonnant que cette attaque ait suscité une réaction furieuse de la base à l’encontre de ceux qui mènent un style de vie ostensiblement luxueux.

    Il est également frappant de constater que la violence des jeunes n’était pas indiscriminée. Pour autant que l’on puisse en juger, aucun arrêt de bus, aucun petit magasin ni aucune propriété de personnes ordinaires n’ont été endommagés lors de ces incidents. La rage était finement orientée contre les symboles et la richesse du régime oppressif et corrompu, et contre ses lèche-bottes violents.

    La lutte continue

    Dès l’aube du mardi, alors que des rumeurs se répandaient au sujet des fidèles du régime qui tentaient de fuir le pays – dont le deuxième fils et chef de cabinet du désormais ex-Premier ministre qui s’était enfui la veille en Australie – des milliers de manifestants révolutionnaires ont commencé à se rassembler sur les routes menant à l’aéroport international Bandaranaike. Majoritairement jeunes, avec des femmes en grand nombre, beaucoup portant des casques et armés de bâtons pour se défendre, ils ont organisé des points de contrôle sur l’axe principal, patrouillant dans les rues et fouillant chaque voiture, pour s’assurer que la cabale corrompue qui a mis le pays à genoux soit tenue responsable de ses crimes. Les soldats stationnés sur place, dont certains discutaient avec les manifestants, regardaient imperturbablement ce qui se passait. Au moment où cet article est rédigé, le 11 mai, les zones entourant l’aéroport semblent toujours être sous le contrôle des patrouilles populaires.

    Dans le même temps, le gouvernement a également émis des ordres de “tir à vue” contre toute personne endommageant des biens publics, portant atteinte à la vie ou violant le couvre-feu. Cette mesure intervient alors que les forces de l’État se sont déjà vu accorder des pouvoirs étendus d’arrestation et de détention arbitraires dans le cadre de l’état d’urgence déclaré la semaine dernière. Depuis lundi, des dizaines de milliers de soldats lourdement armés se sont rassemblés à Colombo et des barrages militaires ont été érigés tout autour, donnant l’impression d’une ville assiégée par l’armée, un peu comme ce que les Tamouls vivent encore quotidiennement dans le nord et l’est du pays. Les rues du centre de Colombo étaient en grande partie désertes aujourd’hui et les magasins, restaurants et bureaux étaient fermés, en raison de la prolongation du couvre-feu et des actions de grève menées par de nombreux syndicats publics et privés.

    Une impasse volatile et précaire prévaut. Les masses ont arraché une victoire importante contre la réaction, et un sentiment de détermination amère à poursuivre la lutte jusqu’à ce que Gota tombe est profondément ancré dans l’esprit de chacun. Pourtant, la menace d’une violence contre-révolutionnaire accrue ou d’une répression plus large de l’État est loin d’avoir disparu.

    Au moment où nous écrivons ces lignes, l’armée a lancé un avertissement aux occupants du GGG pour qu’ils quittent les lieux, et la perspective d’une attaque de l’État contre le camp plane dans l’air. Le mouvement de masse doit se préparer pleinement à de nouvelles tentatives de riposte de la part du régime. Les patrouilles de manifestants qui sont apparues dans certains quartiers de Colombo, notamment autour de l’aéroport, constituent un pas très encourageant dans cette direction. Elles doivent prendre un caractère plus organisé et généralisé afin de protéger toutes les manifestations, tous les lieux de travail et toutes les communautés contre la possibilité de nouvelles attaques de la part d’hommes de main pro-régime, de la police ou de l’armée, et pour s’assurer que le contrôle des rues ne reste pas entre les mains de la machine d’État – qui, malgré la sympathie pour le mouvement qui semble exister dans certains rangs de l’armée, est toujours contrôlée par les bouchers à la gâchette facile qui ont mené un génocide contre la population tamoule. Les travailleurs en grève et les syndicats devraient peser de tout leur poids pour protéger le campement des GGG, en envoyant d’urgence des délégations sur place pour aider à organiser sa défense.

    Le danger de la violence communautaire doit également être activement repoussé. On a déjà vu des éléments pro-régime inciter à de telles divisions ces derniers jours, notamment dans la ville occidentale de Negombo, où des chauvins bouddhistes cinghalais ont tenté de diffuser des discours de haine pour provoquer une réaction contre la minorité musulmane.

    La révolte de masse a apporté des caractéristiques d’unité parmi les différentes couches de la population qui auraient été à peine imaginables jusqu’à récemment. La lutte a donné lieu à des scènes réconfortantes, comme lorsqu’un étudiant activiste de l’université de Jaffna a été appelé par des manifestants cinghalais à s’adresser en tamoul à son auditoire majoritairement cinghalais, lors du blocage de la route du Parlement à Colombo, la semaine dernière, par les étudiants. Au camp GGG, un militant cinghalais victime de l’attaque du 9 mai m’a expliqué humblement : “maintenant que nous avons vu ce que ce régime peut nous faire, nous pouvons commencer à mieux comprendre ce que nos frères et sœurs tamouls ont vécu dans le passé”.

    Cela dit, les cicatrices du passé n’ont manifestement pas été entièrement refermées, et il est un fait que le cœur du mouvement bat, pour l’instant, plus fort dans les zones à majorité cinghalaise du Sud. De nombreux Tamouls, tout en soutenant le mouvement, sont légitimement préoccupés par le fait que leurs revendications de justice et de réparation, de procès en bonne et due forme des criminels responsables des disparitions massives, des meurtres et des viols pendant la guerre, et du droit fondamental des Tamouls à décider de leur propre avenir, pourraient être mises de côté dans une configuration politique post-Rajapaksa. Le mouvement gagnerait donc en force en reprenant vocalement ces revendications, en luttant pour l’égalité des droits pour toutes les minorités et pour le droit inconditionnel des Tamouls à l’autodétermination nationale – y compris leur droit de se séparer et de former leur propre État.

    Un Hartal total pour faire tomber le régime !

    Le mouvement ouvrier et syndical dans toute sa diversité a un rôle essentiel à jouer pour garantir que la lutte conserve son caractère massif, ordonné et uni. La solidarité et la puissance affichées par toutes les couches de la classe ouvrière ont été une caractéristique remarquable de cette lutte : des ouvriers du bâtiment qui ont repoussé les bus pro-gouvernementaux des rues avec leurs excavatrices, aux agents d’immigration de l’aéroport qui se sont donné la main pour s’engager à ne laisser passer aucun député ou ministre du gouvernement ; des nombreux avocats qui se sont mobilisés pour assurer la libération des jeunes manifestants arrêtés par la police, au personnel médical qui a apporté son aide aux blessés après l’attaque de l’occupation GGG.

    L’appel de l’alliance syndicale à un “Hartal” (grève totale) vendredi dernier, le 6 mai, a été solidement soutenu par l’ensemble de la classe ouvrière du Sri Lanka dans une démonstration de force historique qui a complètement paralysé l’économie de l’île, ébranlant l’ensemble de l’establishment et de la classe capitaliste du pays. Les travailleurs des zones franches d’exportation et de transformation ont généré des pertes de 22 millions de dollars US pour les grands fabricants industriels en une seule journée de grève ! Après ce succès, les syndicats avaient initialement appelé à une semaine de protestations et à un nouveau Hartal total à partir du mercredi 11, exigeant la démission du président. Du point de vue des dirigeants syndicaux, il s’agissait plus d’une menace que d’un plan qu’ils s’engageaient pleinement à réaliser. L’attaque de lundi par les voyous pro-gouvernementaux et la démission de Mahinda ont à la fois précipité et embrouillé leurs plans : des actions de grève à l’échelle nationale ont effectivement commencé mardi dans plusieurs secteurs – tels que les employés des services administratifs, les cheminots, les enseignants universitaires, les professionnels de la santé – mais certains dirigeants syndicaux ont également profité des récents événements pour annuler leurs appels à la grève.

    Mercredi, d’autres secteurs se sont joints à la grève, comme les travailleurs des ports et de l’électricité. Mais la grève devrait s’étendre à tous les lieux de travail, et les syndicats devraient lancer un appel clair aux piquets de grève et aux rassemblements de masse dans les rues pour défier ouvertement le couvre-feu. La situation actuelle exige un Hartal efficace et total jusqu’à ce que Gota Rajapaksa, son entourage proche et son gouvernement soient renversés. C’est l’objectif que doivent se fixer les travailleurs et toutes les couches de la population qui luttent contre le régime en déliquescence, indépendamment de l’attitude tiède des directions syndicales.

    Cependant, pour parvenir à un véritable changement, les masses devront aller plus loin et élargir leurs revendications au-delà du slogan populaire “Gota Go Home” et du renversement du président actuel – qui est la figure de proue de tout un système basé sur l’exploitation économique, l’extorsion impérialiste et l’oppression nationale. Ils devront rejeter toute négociation avec le FMI, qui subordonnera davantage le Sri Lanka à ses créanciers internationaux, en poursuivant le piège vicieux de la dette qui prive la population de ressources précieuses pour ses besoins vitaux, et qui sera utilisé comme chantage pour imposer de nouvelles mesures d’austérité qui ne feront qu’aggraver la situation de la majorité.

    Ils devront s’assurer que non seulement les immenses richesses pillées par le clan Rajapaksa soient restituées au peuple, mais que les principales ressources et les moyens de production et de distribution du pays soient mis en mains publiques, sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière, afin de réorganiser et de planifier l’économie en fonction des besoins de tous les Sri Lankais.

    Ils devront résister à toute prise de pouvoir non démocratique, que ce soit par les militaires ou – ce qui semble le plus probable – par une nouvelle série de politiciens non élus nommés par le haut pour préserver le système en place et éviter la révolte de masse. En effet, à l’heure où nous terminons cet article, le président Gota Rajapaksa vient de terminer un discours public à la nation dans lequel il affirme qu’il nommera un nouveau cabinet cette semaine, et qu’un amendement constitutionnel sera proposé pour promulguer le contenu du 19e amendement à la Constitution, destiné à conférer davantage de pouvoirs au Parlement, et ouvrant la voie à l’abolition du système de la présidence exécutive “une fois que le pays sera stabilisé”. Il s’agit sans doute d’une énième tentative pour conserver son emprise sur le pouvoir, dernière et principale assurance de la dynastie Rajapaksa pour se sauver de l’effondrement politique.

    Face à ces manœuvres incessantes, une véritable alternative doit être forgée de manière organique, par l’organisation politique indépendante des travailleurs, des jeunes, des agriculteurs pauvres et des masses révolutionnaires eux-mêmes – plutôt qu’en dépendant des partis d’opposition politique officiels, dont aucun n’articule un programme économique radicalement différent de celui qui a conduit des millions de Sri Lankais dans un tel enfer en premier lieu.

    De nombreux manifestants à qui j’ai parlé ont exprimé au mieux leur scepticisme, voire leur mépris total pour ces partis. Le leader de l’opposition Sajith Premadasa, du parti de droite SJB (Samagi Jana Balawegaya), qui se présente comme le prochain candidat au poste de Premier ministre, a même été attaqué par des manifestants à Galle Face Green et a dû être escorté hors du site de la manifestation par son personnel de sécurité. Le JVP (Janatha Vimukthi Peramuna), pour sa part, se limite à des revendications politiques sur la démission du gouvernement, mais reste largement muet sur les questions économiques qui écrasent le peuple sri-lankais.

    Afin d’apporter le changement radical de système nécessaire pour faire face à la situation désastreuse vécue par des millions de personnes à travers le Sri Lanka, ASI défend les revendications suivantes :

    • Un Hartal total pour faire tomber Gota Rajapaksa et toute la famille dirigeante ! Interdiction immédiate de voyager pour tous les amis du régime – restitution des biens volés et saisie de toutes leurs propriétés et richesses ;
    • Pour la fin de l’état d’urgence, l’arrêt de la militarisation et le retrait des troupes des rues dans toutes les régions du Sri Lanka ;
    • Abolition de la présidence exécutive et la constitution actuelle : pour une assemblée constituante révolutionnaire basée sur des élections totalement libres dans toutes les régions de l’île ;
    • Création de comités d’action et d’autodéfense sur tous les lieux de travail, de protestation, dans les quartiers et les villages ;
    • Pas de négociation avec le FMI et non à de nouvelles mesures d’austérité : annulation inconditionnelle de la dette du pays ;
    • Imposition d’un contrôle des prix, avec une augmentation massive des salaires dans tous les secteurs ;
    • Monopole public sur le commerce extérieur et nationalisation, sous le contrôle des travailleurs, des industries clés, des propriétés foncières et des banques. Pour une économie socialiste planifiée démocratiquement par les travailleurs et les agriculteurs, et un gouvernement composé de leurs représentants élus ;
    • Non aux divisions communautaires – pour un mouvement uni de tous les travailleurs, pauvres et opprimés de la société ;
    • Défense du droit à l’autodétermination du peuple tamoul, y compris le droit à son propre État. Une justice complète et une compensation adéquate pour les victimes de la guerre et la restitution de toutes les terres occupées. Il faut organiser des procès populaires pour juger les criminels de guerre et révéler toute la vérité sur les meurtres et les disparitions forcées ;
      Solidarité internationale avec le soulèvement de masse au Sri Lanka.
  • Sri Lanka. Non aux attentats terroristes ! Unis, les travailleurs peuvent repousser le racisme et la division

    L’United Socialist Party au Sri Lanka, la campagne Tamil Solidarity et le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) condamnent fermement les attaques atroces qui ont eu lieu au Sri Lanka le dimanche de Pâques (21-04-2019).

    Des attaques bien coordonnées ont eu lieu en huit endroits, dont trois églises qui se remplissaient alors à l’occasion des prières du dimanche de Pâques. Outre six sites à Colombo, des églises célèbres à Negambo et Batticalo ont également été visées. Au moment de rédiger le présent article, on estime que plus de 300 personnes ont perdu la vie et plus de 500 autres sont blessées. Il semblait que le nombre de morts devait encore augmenter. Les victimes de cette attaque aveugle venaient de tous les principaux groupes ethniques et religieux du Sri Lanka : des gens parlant les principales langues, le tamoul et le cinghalais, de même que des musulmans, des hindous, des bouddhistes ainsi que des chrétiens. Des Britanniques, Chinois, Néerlandais, Portugais et Turcs qui étaient dans le pays sont également décédés dans l’attaque.

    On ne sait toujours pas qui était derrière tout cela. Personne n’en a encore revendiqué ces attaques. Le gouvernement sri-lankais affirme que les attaques ont été perpétrées par des “extrémistes religieux”. On ne sait pas très bien quel groupe est à l’origine de ces attaques insensées. Le premier ministre a établi un lien entre ces meurtres et l’attaque qui a eu lieu en Nouvelle-Zélande. Dans cette incertitude, la peur s’empare du pays. Le gouvernement a fermé tous les médias sociaux et a déclaré l’urgence nationale ainsi qu’un couvre-feu. L’armée s’est déployée dans les rues alors que le gouvernement continue de maintenir le pays dans une atmosphère très tendue.

    Le choix des lieux où les attentats ont été commis et l’extrémisme religieux qu’ils révèlent ont choqué toutes les communautés. Bien que des massacres de cette nature n’aient jamais eu lieu dans l’histoire du Sri Lanka, les meurtres violents ne sont pas choses neuves. Cette année marque le dixième anniversaire de la fin brutale de la guerre civile qui a duré trois décennies. Plus de 140.000 personnes auraient péri au cours de la dernière phase de la guerre uniquement. Le principal parti d’opposition actuel, le Sri Lanka Freedom Party (SLFP) et l’ancien président Mahinda Rajapaksa et sa famille sont largement responsables des massacres génocidaires perpétrés contre la minorité tamoule durant la guerre avec les LTTE (Tigres de libération de l’Eelam tamoul) qui ont combattu pour disposer d’une nation séparée. Dans le passé, le clan Rajapaksa contrôlait une grande partie de l’appareil d’État, y compris le ministère de la Défense.

    Depuis la fin de la guerre en mai 2009, les tensions entre les trois principales communautés vivant au Sri Lanka se sont considérablement exacerbées. Aucune mesure concrète n’a été prise pour améliorer les conditions de vie des dizaines de milliers de victimes de la guerre. Nombre d’entre elles sont toujours détenues en tant que prisonniers politiques. Aucune mesure n’a été prise pour régler la question des disparitions ou celle de la libération des terres occupées par l’armée. Les droits démocratiques continuent d’être bafoués.

    Le triomphalisme de la famille de Mahinda Rajapaksa dès la fin de la guerre a renforcé le chauvinisme bouddhiste. Bien que l’extrémisme bouddhiste ne soit soutenu que par une petite minorité de la population majoritaire cingalaise de l’île, il a été consciemment encouragé par la famille de Mahinda Rajapaksa. L’ancien ministre de la défense Gotabaya Rajapaksa a été directement impliqué dans la création du Bodu Bala Sena (BBS), une organisation de moines bouddhistes ouvertement raciste. Cette organisation a ciblé la communauté musulmane. Leur propagande haineuse a débouché sur un certain nombre d’attaques contre la minorité musulmane. En outre, les sentiments anti-musulmans ont été renforcés, en particulier dans la partie orientale du Sri Lanka où vivent la majorité des musulmans.

    Jouer sur ces divisions est considéré comme nécessaire par ceux qui cherchent à retourner au pouvoir sans rien n’avoir à offrir à la masse des gens ordinaires. Ils cherchent donc à disposer d’une base parmi les groupes de droite et leurs partisans tels que Gotabaya Rajapaksa. Gotabaya a créé une organisation appelée Eliya à cet effet. Les membres dirigeants de cette organisation prônent ouvertement la haine contre d’autres communautés, en particulier contre les musulmans parlant la langue tamoule.

    L’expulsion de tous les musulmans du nord par les LTTE dans les années 1990 a ouvert de larges divisions entre les Tamouls hindous principalement basés au Nord et les musulmans. Les blessures infligées au cours de cette expérience ne sont pas encore complètement cicatrisées. Depuis les émeutes de 1915 contre les musulmans, la communauté musulmane du Sri Lanka est la cible de toutes sortes de préjugés, elle se sent marginalisée. L’isolement qui en résulte et la crainte justifiée d’une attaque contribuent à une situation où les dirigeants autoproclamés ont bénéficié d’une énorme autorité alors qu’ils se présentent comme une voix forte pour la communauté. Cependant, ce séparatisme n’a pas permis d’améliorer les conditions de vie de la majorité des musulmans qui vivent dans une pauvreté extrême.

    Cette situation ainsi que les événements mondiaux ont entraîné l’émergence d’un certain radicalisme religieux d’extrême droite au sein de la population musulmane. Cependant, seule une petite minorité de la population musulmane souscrit à ces idées. La majorité de la population musulmane s’oppose aux idées de l’islam politique de droite. Il est également bien connu dans le passé que le gouvernement sri-lankais a formé des groupes paramilitaires et les a armés afin de les utiliser dans la guerre contre les LTTE. Pendant de nombreuses décennies, les gouvernements de droite du Sri Lanka ont trouvé les diverses formes d’extrémisme religieux utiles pour les mobiliser, promouvoir la violence intercommunautaire et, en fin de compte, maintenir leurs régimes instables en place.

    C’est pour cela que beaucoup de gens soupçonnent aujourd’hui que le ministère de la Défense – ou du moins les partisans de l’ancien ministre de la Défense – est impliqué d’une manière ou d’une autre dans ces attaques. Le ministre de premier plan Mano Ganesan a admis que les agents de la Division de la sécurité ministérielle (DSM) avaient été avertis il y a quelques jours que des kamikazes visaient des politiciens. Il est également apparu que de nombreux ministres et leurs familles se sont préparés à se protéger contre toute attaque éventuelle. Le gouvernement sri-lankais n’a absolument pas averti la population de cette nouvelle et n’a fait aucun effort pour empêcher cette attaque.

    Les forces de droite ont déjà toutes tenté de tirer profit de ces horribles meurtres. Tout en prétendant être solidaires de toutes les communautés et en prêchant l’”unité”, ils propagent déjà la haine. Les partisans du Premier ministre indien Narendra Modi tentent de tirer parti de cette tragédie en affirmant qu’il s’agit d’une attaque organisée par des ressortissants pakistanais. Le célèbre homme politique de droite Subramaniyam Swamyam a déjà appelé au retour de la famille Mahinda pour contrer Daesh. Il a également appelé à voter en faveur de Modi pour éviter que de tels événements ne se produisent en Inde.

    Bien que le gouvernement sri-lankais et tous les partis de droite aient lancé des appels à la “paix et à l’unité”, leurs partisans et leurs dirigeants sont déjà en train de répandre la haine. Le personnel lié à l’organisation Eliya, dirigée par Gotabaya Rajapaksa, n’a pas manqué d’audace en contactant les principaux organisateurs de Tamil Solidarity pour leur demander de coopérer contre le “terrorisme islamique”. Ils ont prétendu qu’il s’agissait d’une intervention étrangère. La campagne Tamil Solidarity condamne ces attaques et collaborera avec toutes les forces véritablement en défense des droits de toutes les communautés. Mais c’est précisément la politique de division et de bellicisme de Rajapaksa et de ses partenaires qui a attisé la flamme de la division religieuse et ethnique dans le pays. Tamil Solidarity a donc rejeté cette proposition.

    Il existe une crainte généralisée que des représailles puissent être exercées contre la minorité musulmane, en particulier par les extrémistes bouddhistes. La tension entre les Tamouls et les musulmans de l’Est peut également s’exacerber. Les gouvernements sri-lankais faibles ont toujours eu recours à la division ethnique et religieuse pour se consolider et rester au pouvoir. Gotabaya Rajapaksa, en particulier, devrait selon toutes vraisemblances se servir de cet incident pour se remettre en évidence et revendiquer son statut de candidat aux prochaines élections présidentielles.

    Cependant, en peu de temps, les travailleurs et les pauvres de toutes les communautés ont démontré que d’autres puissantes traditions existent au Sri Lanka : celles de la solidarité. A l’hôpital de Kalmunai, une foule immense s’est réunie pour faire don de sang. Ce fut aussi le cas dans les hôpitaux du nord, dominé par les Tamouls, ainsi que dans le sud, dominé par les Cinghalais. Le Sri Lanka a une très longue histoire de lutte unitaire. L’United Socialist Party (USP, section du Comité pour une Internationale Ouvrière au Sri Lanka) s’inscrit dans cette tradition et continue de lutter pour construire une lutte unifiée de la classe ouvrière afin d’arracher tous les droits démocratiques, y compris le droit à la religion, la liberté d’expression et de réunion, le droit de grève et les droits nationaux des Tamouls. L’USP soutient également qu’il ne suffit pas de lutter pour des revendications démocratiques et souligne que la lutte unifiée doit s’en prendre au système capitaliste et établir une économie socialiste démocratiquement planifiée afin de mettre fin à toute oppression.

    On ne saura peut-être jamais qui est derrière ces meurtres odieux. Mais nous pouvons nous opposer ensemble aux conditions qui constituent le terreau propice à la menace d’attentats terroristes.

    Nous devons nous unir pour lutter en faveur de meilleures conditions de vie et de droits démocratiques pour tous. Nous devons nous opposer à toute propagande la haineuse et diviseuse reposant sur les boucs émissaires. Seules la classe ouvrière et les masses pauvres paient le prix de ces attentats terroristes.

    La classe capitaliste au pouvoir saisit toujours cette occasion pour réprimer nos droits démocratiques et consolider davantage son emprise sur le pouvoir. Tout en condamnant cette terreur, nous devons également nous opposer à l’hypocrisie de l’État sri-lankais qui est lui-même un État terroriste. L’action de unifiée de la classe ouvrière et la construction d’organisations de masse de la classe ouvrière est la seule chose qui peut nous protéger contre les divisions futures et l’escalade d’attentats qui pourraient survenir à l’avenir.

  • Sri Lanka : le retour du conflit sectaire ?

    Il y a huit ans, la guerre civile prenait fin au Sri Lanka. Le régime de la majorité de la population cinghalaise bouddhiste l’a remporté sur les Tigres tamouls (LTTE), plus de 40.000 civils ont été victimes de cette guerre dans sa dernière phase uniquement. Huit ans plus tard, il y a toujours des centaines de disparus et de prisonniers politiques parmi la population tamoule. Une nouvelle escalade de violence risque de prendre place de la part d’extrémistes bouddhistes à l’encontre de la minorité musulmane. Le 6 mars, l’état d’urgence avait été déclaré suite à des violences à l’encontre de musulmans dans la ville de Kandy.

    Par Geert Cool

    De la division nationale à la protestation unifiée

    La minorité tamoule habite surtout dans le nord et l’est du pays. Une majorité d’entre eux est hindoue, une partie est devenue chrétienne pendant la colonisation. La minorité musulmane habite surtout à l’est du pays et dans la capitale Colombo. Nombre d’entre eux y travaillent comme commerçants, la plupart travaillent dur pour peu de revenus mais il y a aussi une poignée de musulmans super riches qui dominent une grande partie du commerce de détail. Historiquement, la diffusion de l’islam remonte à l’arrivée des premiers commerçants arabes au 7ème siècle. La plupart des musulmans au Sri Lanka parlent tamoul mais ne sont pas considérés comme faisant partie de la communauté tamoule.

    Des années 1980 à 2009, une guerre civile sanglante a opposé le régime cingalais à la minorité tamoule. Dans ce conflit, le mouvement de guérilla LTTE (Tigres tamouls) a pris une position de plus en plus dominante. Cette guerre civile a été exacerbée par l’establishment après des protestations croissantes contre la politique néolibérale croissante fin des années 1970, début des années 1980. Les traditions syndicales et les partis de gauche combatifs ont ainsi été en grande partie écrasés. Même le prédécesseur de notre organisation-sœur sri-lankaise, qui a joué un grand rôle dans la grève générale de 1980, a été interdit et a dû travailler clandestinement, ce qui l’a empêché de consolider sa croissance.

    La guerre civile a connu des périodes de calme relatif pendant lesquelles les LTTE formaient, dans la pratique, un régime en soi au nord du pays qui a pris fin avec le tsunami de 2005. Le régime cingalais sous la direction du président ‘‘de gauche’’ Rajapakse (SLFP, Sri Lanka Freedom Party) a utilisé la catastrophe naturelle pour renforcer sa propre position : l’aide humanitaire a surtout été utilisée dans ses propres districts électoraux et ce fut pour lui l’occasion de s’enrichir. Cela a été couplé à un chauvinisme plus fort contre la minorité tamoule. La responsabilité des problèmes sociaux a été attribuée à la guerre civile et à la population tamoule. Même le parti prétendument ‘‘marxiste’’ JVP a poussé loin cette logique : il faisait partie du premier gouvernement de Rajapakse en 2005.

    Le régime de Rajapakse est passé à une offensive militaire lors de laquelle la population tamoule a été massacrée. Rien qu’au cours des derniers mois de la guerre de 2009, il y a eu des dizaines de milliers de victimes. La fin de la guerre n’a cependant pas signifié la fin des investissements massifs dans l’armée au détriment de l’enseignement, des soins de santé,… Rajapakse a été sanctionné à cet égard lors des élections de 2015. Un nouveau gouvernement a été formé sous la direction de l’United National Party (UNP, droite), soutenu par la Tamil National Alliance au nord du pays. Ce nouveau gouvernement a fait de grandes promesses mais la majorité de la population n’a pas vu de progrès social, ce qui a laissé de l’espace au chauvinisme extrémiste. Soutenu par des troupes d’élite bouddhistes qui ne craignent pas la violence de rue, Rajapakse a obtenu une victoire retentissante lors des élections locales du 10 février 2018 sur le gouvernement : il a obtenu plus de 40 % des voix. Rajapakse s’est présenté avec son nouveau parti mais reste également membre du SLFP du président Sirisena qui n’a pas été suffisamment fort pour exclure Rajapakse et ses partisans.

    Violences contre les musulmans et état d’urgence

    La victoire aux élections de Rajapakse renforce la confiance en soi des nationalistes d’extrême-droite qui ont directement utilisé la violence. Le gouvernement n’a jamais fait barrage à ces nationalistes alors que la répression était brutale contre les actions des étudiants, des paysans,… Le manque de croissance économique et le manque encore plus criant de progrès social pour la majorité de la population mènent à des frustrations dont les populistes de droite se servent pour faire passer leur message de division et de haine. C’est dans ce contexte qu’il y a une recrudescence de la violence envers les musulmans et contre la gauche qui s’y oppose. Après la défaite des Tamouls en 2009, l’attention est maintenant fixée sur les musulmans.

    Dans la région de Kandy, début mars, des mosquées, des maisons et des magasins appartenant à des musulmans ont été attaqués. Il s’agissait d’une provocation orchestrée par les moines bouddhistes extrémistes. Le gouvernement a réagi en déclarant l’état d’urgence le 6 mars et en bridant les médias sociaux. Le gouvernement condamne les violences mais n’offre aucune réponse. Pire encore : toutes les fraction de l’establishment utilisent le nationalisme cingalais pour garder du soutien dans un contexte de crise économique et politique. Lorgnant sur les voix des Tamouls et des musulmans, l’UNP et la fraction du président Sirisena dans le SLFP ne vont pas si loin que Rajapakse.

    Le soutien de l’élite politique parmi les Tamouls et les musulmans au gouvernement Sirisena et à l’UNP est de plus en plus contesté. Lors des élections locales en février, il y avait également un morcellement en différents partis au nord. Il y a eu des actions de protestation de la part des musulmans mais les leaders essaient de contenir la protestation et maintiennent les illusions par rapport au gouvernement.

    Il faut qu’un parti de masse émerge pour de meilleures conditions pour tous les travailleurs et les jeunes, qu’ils soient Cingalais, Tamouls ou musulmans. Un tel parti doit s’opposer à la politique néolibérale qui se caractérise, entre autres, par plus de privatisations dans les soins de santé et l’enseignement. L’unité de la classe ouvrière est la seule réponse aux forces chauvines et racistes. L’United Socialist Party, notre organisation-sœur au Sri Lanka, essaie courageusement de construire une telle force et défend les droits de toutes les minorités dans le pays comme élément d’un programme pour un changement de société socialiste. La campagne Solidarité tamoule via la diaspora, dont un nombre d’activistes sont présents dans notre pays, y participe également.

  • Niranjan, réfugié tamoul : “Je n’ai pas fui par plaisir”

    Genocide_birmanie

    Niranjan est l’un des chefs de file de la campagne Tamil Solidarity en Belgique. Il est intervenu lors de la première du film ‘Dheepan’ à Bruges, le 23 août dernier (voir notre article sur ce film).

    “Mon père était chauffeur de taxi à Jaffna, au Sri Lanka. En 2005, la LTTE (les Tigres tamouls) a obligé les chauffeurs de voitures à trois roues à suivre une formation à Vanni. Début 2006, l’armée a commencé à prendre les chauffeurs pour cible. Ils ont appris que mon père avait suivi une formation et ont fouillé notre maison. Mon père avait fui, nous ne savions pas où et nous n’avons plus jamais entendu parler de lui. L’armée ne nous croyait pas, ma mère et moi avons été torturés. En 2009, l’armée a menacé ma mère. On lui a dit que je finirais sur la liste des personnes disparues si elle ne disait pas où était mon père. Ma vie était en danger, je devais quitter le pays.

    “Six ans plus tard, la situation au Sri Lanka n’est toujours pas sûre. Le Nord du pays est occupé par l’armée. Il y a encore des dizaines de milliers de disparus en plus des dizaines de milliers de morts. Des enfants ont perdu leurs parents, des femmes leurs mari et enfants. Il y a beaucoup de cas de viols. Des drogues sont sciemment introduites dans le pays pour garder les jeunes sous contrôle. La guerre est officiellement finie mais, pour ses victimes, ce n’est pas le cas.

    ‘‘En Europe, il y a beaucoup de racisme. On parle de flux de réfugiés. Mais personne ne fuit par plaisir. Dans un pays étranger avec de drôles de coutumes, un autre climat, une langue difficile et de nombreux problèmes sociaux, ce n’est pas facile de reconstruire sa vie. De plus, beaucoup de traumatismes liés à ce qui s’est passé pendant la guerre au Sri Lanka subsistent.

    “La seule solution serait que les guerres, la violence et l’exploitation cessent, ainsi personne n’aurait à fuir. Pour cela, nous ne pouvons pas compter sur les institutions internationales, elles se sont tues sur les crimes de guerre au Sri Lanka ou sont même responsables de la situation en Irak et en Syrie. Nous devrons amener le changement nous-mêmes, en Belgique comme sur le plan international.
    ‘‘Avec Tamil Solidarity, nous essayons de faire connaître le sort des Tamouls mais nous ne voulons pas nous limiter à notre communauté. Ainsi, début juillet, nous avons manifesté à Anvers avec des personnes d’origine kurde, cachemire, pakistanaise, … contre la persécution de Rohingya en Birmanie. Ce groupe de population est victime d’un génocide peu connu et contre lequel rien n’est fait.

    “Nos meilleurs alliés dans la lutte contre l’oppression et l’injustice sont les autres victimes d’oppression, en premier lieu dans le mouvement ouvrier. Tamil Solidarity essaie de construire avec le syndicat. Intervenir ensemble ici pour un niveau de vie décent pose la base pour une solidarité internationale plus forte.”

  • Dheepan : un film choquant sur les réfugiés tamouls

    dheepan_afficheDheepan, de Jacques Audiard est un film touchant dont la réalisation a été saluée, notamment par une Palme d’Or au festival de Cannes. L’histoire, qui débute par les horreurs de la guerre civile au Sri Lanka, est remarquable et peut être sujette à plusieurs lectures. Le film commence quand 10.000 Tamouls sont poursuivis et massacrés par le régime. Un homme décide de s’enfuir après avoir perdu sa famille. Il reçoit le conseil de prendre une autre identité, celle de l’activiste Dheepan qui vient de mourir et, comme ce dernier avait une femme et une fille, il cherche au hasard une femme et un enfant parmi les nombreuses victimes de la guerre. Ensemble, ils émigrent en Inde en bateau et gagnent ensuite la France.

    Par Geert Cool

    Le film aborde surtout la confrontation entre les réfugiés et leur nouvel environnement, mais de vagues références touchent à la tragédie au Sri Lanka. On montre par exemple de courts fragments du documentaire britannique ‘‘Sri Lanka’s Killing Fields’’ consacré aux horribles crimes perpétrés par le régime en 2009. Si le contexte de ces événements n’est pas élaboré, il est toujours possible au spectateur intéressé de retrouver ce documentaire et de chercher du matériel sur l’oppression de la minorité tamoule au Sri Lanka, ce dont nous avons régulièrement fait écho dans les pages de Lutte Socialiste et sur socialisme.be. Nous disposons également d’un blog de campagne (en néerlandais) spécifiquement consacré à la question : tamilsolidariteit.wordpress.com.

    La famille ‘‘recomposée’’ de Dheepan ne doit pas seulement gérer les traumatismes et le désespoir du passé, mais également la misère qui la frappe en Europe. Cela entraine des crises d’angoisse, mais aussi l’alcoolisme et la violence. Dheepan et sa famille arrivent dans la banlieue parisienne, là où la drogue et la violence sont monnaie courante. L’espoir d’avoir une vie meilleure reste au rang de perspective. Le simple fait de se rendre à l’école n’est pas évident pour la jeune fille qui doit entretemps s’attacher à de nouveaux parents qui font seulement connaissance l’un de l’autre. Lorsqu’un responsable lui demande pourquoi elle n’allait pas à l’école au Sri Lanka, elle répond : “Parce que les écoles ont été réduites en cendres par le gouvernement.” Dheepan et sa femme ne comprennent pas que le responsable de l’école trouve cela étrange : “Mais tout le monde réduit quand même les écoles en cendres?”.

    Notre campagne ‘‘Tamil Solidariteit / Tamil Solidarity’’ a été invitée à la projection du film réservée à la presse en Belgique. Nous nous y sommes rendus avec notre camarade Niranjan qui, après coup, réagissait en disant : “Oui, le film est dur. Mais c’est ça notre vie.” Un tas d’éléments de ce film lui sont très familiers. “Ma tante a réglé ma fuite en Europe, elle me disait que la Belgique était un bon pays. J’ai dû chercher le pays sur une carte du monde et dans l’avion, le nom de Bruxelles ne me disait que vaguement quelque chose. Quand je suis arrivé ici, il y a deux ans, je ne suis pas sorti pendant deux mois. Tout était étrange et j’avais peur. Commencer une nouvelle vie dans un pays lointain en ayant 18 ans et avec l’incertitude quant à la régularisation de mes papiers, c’était difficile. J’ai vu comment d’autres Tamouls ont couru à leur perte en raison de troubles d’angoisse dus aux traumatismes de guerre. Moi, j’ai toujours peur, j’espère recevoir mes papiers après mon troisième entretien fin août afin de pouvoir quitter le centre d’asile de Kapellen pour commencer ma vie.’’

    Quand un militant de ‘‘Tamil Solidariteit / Tamil Solidarity’’ a risqué d’être expulsé de Belgique, tout récemment, Antonythasan Jesuthasan, l’acteur qui joue le rôle de Dheepan, a appuyé notre campagne de soutien. Au vu de la répression permanente qui règne au Sri Lanka, la plupart des Tamouls reçoivent momentanément asile en Belgique, où sont réfugiés quelques milliers de Tamouls du Sri Lanka, essentiellement à Anvers. Cette communauté est bien petite en comparaison des 300.000 Tamouls qui vivent en Grande Bretagne ou des 150.000 qui vivent en France. Notre campagne de solidarité organise une dizaine de militants tamouls qui veulent poursuivre en Belgique leur lutte pour la justice et contre la discrimination permanente et la violence au Sri Lanka. Cette campagne est également active contre l’austérité et participe aux luttes du mouvement des travailleurs dans notre pays. Avec le soutien actif de la FGTB-Horval (Horeca-Alimentation) à Anvers, des militants de Tamil Solidariteit essayent ainsi de développer la présence syndicale, notamment parmi le personnel du secteur Horeca.

    Pour les politiciens néolibéraux, la thématique du droit d’asile est une question de chiffre qui porte surtout sur la manière de refouler les réfugiés. Pour ces politiciens établis, ce sont les réfugiés le problème, pas les raisons pour lesquelles ces gens décident d’entreprendre une aventure si désespérée. Simultanément, les victimes de l’austérité en Belgique sont montées contre les victimes de la catastrophique politique étrangère occidentale.

    Le film Dheepan a comme avantage qu’il aborde la question du point de vue des réfugiés eux-mêmes, sans en donner une image romantique et sans tomber dans la simple succession de malheurs. Nous laissons au spectateur le choix d’interpréter la fin comme ils l’entendent bien entendu mais, pour atteindre une véritable amélioration dans la réalité, il faudra encore durement lutter, tant ici qu’à l’échelle internationale. Nous tentons d’y livrer une modeste contribution avec la campagne Tamil Solidariteit.

  • Sri Lanka : L’United Socialist Party attaqué par des moines bouddhistes racistes

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) appelle à des actions de protestation et à la solidarité financière

    Clare Doyle (secrétariat du CIO)

    L’United Socialist Party (Parti socialiste unifié, section du CIO au Sri Lanka) a répondu avec beaucoup de courage à l’attaque de leur manifestation motorisée de samedi dernier. Le film disponible ci-dessous, bien qu’en cingalais, donne une bonne idée de ce qui s’est passé.

    Le secrétaire général de l’USP, Siritunga Jayasuriya, a expliqué que lui et ses camarades suivaient leur parcours. « Tout à coup, un policier est venu vers nous et a dit: « des voyous vont venir, sortez de leur route ! » J’ai ensuite vu des moines arriver en voiture et courir vers nous. Nous nous sommes arrêtés et j’ai essayé de parler à l’un d’eux, en m’adressant à lui comme « Père », comme cela est d’usage dans ce pays. Il a simplement commencé à crier: « Où étiez-vous au moment de la guerre? Nous avons gagné la guerre! Etc. » Nous avons répondu qu’alors qu’ils se cachaient, nous étions dans la rue, à lutter pour la paix et contre la guerre. Puis, ils ont commencé à nous frapper. Notre camarade Dhammika a été touché, de même que Piyaratna et notre camarade avocat, Srinath Perera,… »

    Certains camarades de l’USP ont dû être emmenés à l’hôpital. Fort heureusement, leurs blessures sont relativement mineures par rapport à ce qui aurait pu se produire étant donné la nature de l’attaque. Les policiers eux-mêmes ont exprimé leur sympathie aux dirigeants de l’USP, tout en s’excusant de ne pouvoir intervenir pour stopper l’attaque. Ils avaient sans doute reçu des ordres de leurs supérieurs, la clique autour du gouvernement Rajapakse essayant d’utiliser ces forces communautaristes pour leur propre protection.

    Les camarades de l’USP ont déclaré que la réponse des personnes qui se trouvaient le long de la route était extrêmement chaleureuse. Sous les sons d’un batteur traditionnel tamoul et d’un cor, ils les ont accueillis avec des guirlandes, de la nourriture et des boissons. Avant le début de la manifestation, l’USP avait d’ailleurs reçu des milliers de roupies de dons de la part de sympathisants.
    Loin de reculer face à cette attaque violente, et avec le soutien d’autres organisations et individus, l’USP va intensifier son travail de campagne.

    Ils ont reçu des déclarations de solidarité de la part d’autres organisations de gauche comme Frontline Socialist Party et le Nava Sama Samaja Party et son dirigeant, Vikramabahu Karunaratne. Les camarades de l’USP reçoivent toujours des centaines d’appels téléphoniques de soutien, notamment de Vasudeva Nanayakkara, membre du gouvernement actuel UPFA, qui a exprimé ses préoccupations pour les blessures et les dommages subis par les camarades de l’USP. Il a ajouté que le parti avait “atteint un nouveau point culminant dans la politique du Sri Lanka pour son courage dans la lutte contre le racisme”.

    Assistance

    Envoyez des lettres de protestation condamnant l’attaque en vous inspirant de celle du CIO disponible ci-dessous, à votre ambassade locale du Sri Lanka (que vous pouvez trouver ici) ainsi qu’à ps@presidentsoffice.lk avec une copie à l’USP à : info@lankasocialist.com et au CIO à cwi@worldsoc.co.uk ainsi qu’au PSL : geert@socialisme.be

    De la part du Comité pour une Internationale Ouvrière

    Nous condamnons l’attaque physique de la «marche Socialiste pour la paix, contre le racisme et le communautarisme», de samedi dernier, le 26 juillet, alors qu’elle passait le long de la route devant le temple bouddhiste Stupa, à Kalutara.

    Nous pensons que votre gouvernement est responsable de permettre aux forces qui ont organisé cette attaque d’agir en toute impunité. Nous exigeons de votre part la fin du soutien à toute forme de communautarisme et le racisme envers les personnes de langue tamoule et les musulmans au Sri Lanka. Nous exigeons également que vous assuriez une compensation légale et matérielle adéquate à ceux qui ont souffert de blessures au cours de cette attaque.

    Nous allons continuer à soutenir les forces de l’USP qui se battent pour mettre fin à la dictature et à la pauvreté dans votre pays – ironiquement connu comme sous le nom de « République socialiste démocratique du Sri Lanka ».

    Nous sommes pour la fin de toutes les formes de communautarisme et pour le droit de toutes les sections de la société à exercer leurs pleins droits démocratiques sans crainte de discriminations, d’attaques ou de persécutions.

    Finances

    L’USP a besoin d’une aide considérable pour ses avocats, la réparation de véhicules endommagés et pour le financement de leur travail politique. Le véhicule à trois-roues du parti – symbole de l’USP aux élections et outil indispensable pour son travail – a dû être remorqué à Colombo et nécessitera des dépenses considérables pour être remis sur la route. Les propriétaires de nombreuses motos de la manifestation auront également besoin d’aide pour des réparations. Le parti est également contraint de prendre des mesures supplémentaires pour défendre ses locaux et ses employés à temps plein dans leur lutte pour les libertés politiques et démocratiques et pour la défense des idées socialistes.

    Les contributions financières peuvent être envoyées via ce site web. Elles doivent avoir pour mention « Solidarité Sri Lanka ». Les montants et les noms des donateurs seront immédiatement communiqués à l’USP.

    Merci d’avance, au nom des camarades de l’USP.

    Déclaration de presse de l’USP : Il faut construire une plateforme des militants de gauche et des syndicalistes contre le racisme

    Par Siritunga Jayasuriya, secrétaire général de l’United Socialist Party

    L’United Socialist Party tient à remercier tous les partis de Gauche, syndicats et individus qui ont fait preuve de solidarité dans le cadre du lancement de notre campagne ‘Marche socialiste pour la paix et contre le racisme et le communautarisme ». Nous remercions également tous les partis de gauche qui ont organisé une conférence de presse pour condamner l’attaque brutale contre la manifestation motorisée de l’USP ce 26 juillet. L’USP est reconnaissant envers tous ceux qui ont manifesté de la sympathie et du soutien après que nous ayons été pris en embuscade par le « Singhala Rawaya » et d’autres voyous extrémistes religieux bouddhistes.

    La manifestation de l’USP visait à mettre en évidence la tendance croissante au racisme et au fondamentalisme religieux dans notre pays. Les communautaristes prônent la persécution des minorités religieuses et ethniques, causant d’énormes dommages à l’unité du peuple dans ce pays. L’USP, grâce à cette initiative d’une marche de la paix, a tenté de diffuser le message de l’unité contre l’oppression à travers le pays.

    Nous, les forces socialistes et de gauche, quel que soit le drapeau et l’identité des partis, représentons une société où toutes les religions, les langues et les minorités ethniques peuvent vivre en harmonie, d’égal à égal. Par conséquent, pour dénoncer les attaques physiques et idéologiques de plus en plus pesantes sur ces valeurs, nous avons en tant qu’USP lancé une initiative, une manifestation motorisée contre le racisme à travers le pays, de la ville d’Aluthgama-Dharga à Colombo-Narahenpita.

    Cette action est symbolique et vise à envoyer un message de confiance pour les sections les plus vulnérables de notre société, en affirmant que des forces existent pour défendre leurs intérêts. Mais les communautaristes et les racistes ne peuvent pas digérer ce mouvement pour l’unité. Ils veulent jouer la politique cancéreuse du sectarisme, et pousser plus loin ce pays vers un bain de sang de par leurs activités meurtrières.

    Nous condamnons cette attaque horrible. Nous pensons qu’il s’agit d’un défi qui doit être relevé par toute la gauche. « Une attaque contre un est une attaque contre tous ». Nous demandons à la gauche en général, aux syndicats, aux et aux groupes et partis socialistes (petits et grands) de se réunir pour constituer une plate-forme unitaire sous le slogan de la gauche et des socialistes unis contre le racisme au Sri Lanka. De cette façon, nous pouvons relever le défi posé par les communautaristes et les intégristes religieux du pays.

     

  • Sri Lanka : Interview de Siritunga Jayasuriya

    Par Geert Cool

    De par la présence d’une population tamoule dans notre pays, l’actualité au Sri Lanka y a suscité un plus grand intérêt pour les militants de gauche et les défenseurs des idées du socialisme. Presque 10 ans après le tsunami dévastateur qui a provoqué des milliers de morts et presque cinq ans après la fin meurtrière de la guerre civile longue de plusieurs décennies qui a fait rage dans le pays, le régime du président Rajapakse commence à montrer ses premières fissures. Nous en avons parlé avec Siritunga Jayasuriya, secrétaire général d’United Socialist Party, section du Comité pour une Internationale Ouvrière au Sri Lanka et parti-frère du PSL.

    Dix ans après le tsunami et cinq ans après la fin officielle de la guerre, le gouvernement de Rajapakse parle d’une forte croissance économique et de prospérité. La situation est-elle vraiment meilleure pour le commun de la population ?

    Siritunga: “Une partie importante de la population qui a, à l’époque, été touchée par le tsunami en supporte encore les conséquences aujourd’hui. Presque 10 à 15 % des victimes de l’époque éprouvent toujours des problèmes consécutifs au tsunami. C’est particulièrement le cas dans l’est du pays, dans et autour de Pottuvil et dans d’autres villes de l’est. Beaucoup n’ont toujours pas de maison et vivent dans des centres d’accueil temporaires. Après le tsnunami, il y a eu beaucoup de soutien de l’ouest mais il n’y a pas eu de plan pour aider les victimes. Lors de la reconstruction, beaucoup d’argent a disparu et il y a eu de la discrimination surtout vis-à-vis de la population de l’est.

    “Le gouvernement dit que maintenant, tout va bien et qu’il y a une croissance économique. Mais ce soi-disant développement économique ne bénéficie pas à la plus grande partie de la population. Il y a des travaux d’infrastructure, mais quelles sont les priorités ? Les grands prêts de la Chine sont utilisés pour servir le planning du président et de sa famille pas pour la population.

    “Prenez Hambantota, le district dont Rajapakse est originaire. On y a construit un nouveau port maritime, un nouvel aéroport, un nouveau stade,… qui ont d’ailleurs tous été appelés comme Rajapakse. Mais dans le port, il n’y a pas de bateaux, au stade, pas la moindre équipe de cricket. On dépense beaucoup d’argent et le rêve de Rajapakse était de concurrencer Singapour. Mais pourquoi construire un nouveau port à une distance relativement courte des ports existants de Galle et de Colombo ? Les facilités ne sont pas adaptées et la réexpédition de navires depuis Colombo coûte plus cher au pays et à la communauté. La population n’en tire aucun avantage, seul compte le prestige du président et de sa famille.

    “Alors que le gouvernement augmente les taxes sur les biens de base comme les oignons et les pommes de terre, ce qui crée des problèmes à la population, la taxe sur les voitures de sport de luxe a été supprimée. Le fait que le fils du président se ballade volontiers en Lamborghini n’y est pas étranger. Cela résume bien le projet du gouvernement et pourquoi le mécontentement augmente.

    “Lors des élections provinciales, ce mécontentement croissant a été vérifié. Le gouvernement a perdu et cela l’inquiète. Il y a un peu de confusion sur ce qui va se passer maintenant. Nous en saurons certainement plus le 1er mai. Alors, tous les partis organiseront des activités et des marches dans le pays. Même le gouvernement le fait et profite de l’occasion pour faire des déclarations.”

    Malgré le mécontentement croissant, l’opposition officielle ne semble pas bien s’en tirer. L’UNP (United National Party) de droite a à peine progressé. Comme cela se fait-il ?

    Siritunga: “L’UNP est un parti capitaliste pro-occidental qui n’a aucun progrès à offrir à la population. En fait, le programme de l’UNP est aujourd’hui exécuté par ce gouvernement, c’est un programme de réformes néolibérales. Le manque d’alternative proposée par l’UNP met le parti en crise et le fait stagner. Lors de ces élections, le dépérissement a stoppé mais il n’y a pas eu de progression.

    “Le fait que le gouvernement ait maintenant peu de soutien même à Colombo a constitué un nouveau facteur lors de ces élections provinciales. Le fait que le gouvernement avait peu de soutien dans le nord et l’est n’était pas nouveau. Mais maintenant, les Tamouls et les musulmans dans la capitale ont massivement voté contre le gouvernement. Aucun des candidats tamouls ou musulmans de la coalition gouvernementale n’a obtenu de siège. Cela indique une forte méfiance à l’égard du gouvernement. A Colombo, un parti tamoul, le Democratic People’s Front (DPF) de Mano Ganeshan, a obtenu un bon résultat et deux élus. Ce parti comporte des éléments de gauche, le bon résultat obtenu exprime principalement le fait que les Tamouls de la capitale voulaient voter pour un parti tamoul.

    “Cinq ans après la fin de la guerre, ces élections ont clairement démontré que les trois grandes communautés du pays, la majorité cingalaise et les minorités tamoule et musulmane prennent chacune leur voie. Il n’y a pas de plus grande unité nationale comme le prétend le gouvernement tout au contraire. Cela ne s’est pas exprimé par les armes mais via l’isoloir. Le système capitaliste n’est pas à même de construire l’unité.”

    Une résolution des Nations Unies à Genève exige une enquête internationale sur les crimes de guerre au Sri Lanka. Le gouvernement de Rajapakse y a réagi très négativement. Est-il question de conciliation ?

    Siritunga: “Le gouvernement essaie de créer un nouveau spectre LTTE (Tigres de libération de l’Îlam Tamoul). Pour les élections provinciales, une rhétorique anti-impérialiste d’opposition aux USA a été utilisée. Cela n’a pas fonctionné. Maintenant, on recourt à nouveau à la division nationale en mettant en avant un danger de terrorisme.

    “Une majorité de la population ne veut absolument pas de retour à la guerre. Même les Tamouls ou les musulmans ne le veulent pas. Personne ne veut le retour de la guerre. Mais si le problème persiste et que les minorités n’obtiennent pas de droits et de libertés, un retour à la violence n’est pas exclu à l’avenir. La population tamoule au nord et à l’est ne veut pas la guerre, elle veut diriger sa propre province et disposer de la liberté. La présence militaire et la répression menée au nord conduisent à de nouvelles frustrations.”

    Quelles réponses l’United Socialist Party met en avant ?

    Siritunga: “Sur les 66 ans d’indépendance, tant la coalition gouvernementale autour SLFP que l’UNP ont chacun détenu le pouvoir pendant 33 ans. Ils ont démontré qu’ils n’apportent aucune solution aux problèmes socio-économiques et à la question nationale. Beaucoup d’argent a été consacré à la guerre et il y a de l’argent pour le développement mais pour les besoins sociaux de la majorité de la population, il n’y a rien.

    “Il faut un gouvernement de travailleurs et de pauvres. Pour y parvenir, nous devons unifier le mouvement ouvrier et la gauche. Il y a pour l’instant des centaines de syndicats. Rien que pour le rail, il y en a 50. L’USP défend l’idée d’une convention nationale de représentants élus des syndicats pour décider d’actions à mener. Les dirigeants syndicaux actuels sont une entrave à l’aboutissement d’une telle convention démocratique nationale.

    “Nous devons, nous les partis de gauche, lutter ensemble contre le capitalisme. Dans la crise à venir, l’USP jouera un rôle actif. Notre participation électorale en était les prémices. Sans publicité, nous avons obtenu 605 voix à Galle et 739 à Kaluthara. Dans la période à venir, nous continuerons à discuter avec la population et à construire une alternative socialiste. Une gauche unie dans la lutte contre le néolibéralisme et pour le socialisme nous renforcerait.”

  • Sri Lanka. Les élections provinciales contrecarrent les projets présidentiels

    Par Siritunga Jayasuriya, secrétaire général d’United Socialist Party (Sri Lanka)

    Les élections provinciales dans les provinces du Sud et de l’Ouest du Sri Lanka, fin mars, ont donné un résultat remarquable par rapport aux élections précédentes. Les élections ont été anticipées après que deux conseils provinciaux aient été dissous selon un « plan par étapes » du président Rajapakse. Son intention était de montrer que la population dans le Sud du pays lui est largement favorable. Il pensait que cela affaiblirait le parti d’opposition de droite UNP ainsi que d’autres forces d’opposition et qu’il pourrait ensuite adapter la Constitution afin de lui autoriser un troisième mandat de président avant d’organiser de nouvelles élections présidentielles. Le gouvernement pensait que les partis d’opposition allaient surtout se chamailler entre eux.

    Pour faire passer ce plan, le régime de Rajapakse a mené une campagne médiatique massive visant à monter l’opinion publique contre la résolution introduite par les Etats-Unis devant la commission des droits de l’homme de l’ONU. Cette résolution proposait une enquête internationale sur les violations des droits de l’homme lors de la phase finale de la guerre au Nord. Elle a été présentée par le régime comme une conspiration des impérialistes et de soi-disant traitres anti-régime qui veulent un « changement de régime ». Il a été demandé à la population au Sud de protéger le président Rajapakse.

    Le gouvernement savait à l’avance que le vote sur la résolution de l’ONU aurait lieu à Genève le 27 mars. La docile commission électorale s’est pliée au projet du gouvernement. Ces élections revêtaient donc plus d’importance que les autres. De sa propre initiative, le gouvernement avait fait de ces élections un sorte de référendum.

    Depuis le moment des nominations jusqu’à celui des élections, tout a été orchestré par le président et les autres leaders de la coalition au pouvoir. Ce faisant, les problèmes de la population n’ont, à aucun moment, été pris en compte. On a consciemment joué la carte du patriotisme en demandant aux électeurs de soutenir le leader qui « a vaincu le terrorisme et sauvé le pays ». On répétait sans cesse que la résolution de Genève représentait un danger en tant qu’éléments d’une conspiration visant à renverser le régime.

    La propagande anti-USA n’a eu aucun effet

    Le jour des élections, Rajapakse est allé voter à Madamulana dans son district Hambantota. Il a déclaré qu’avec ces élections, les gens devaient clairement montrer qu’ils se prononçaient contre la résolution votée à Genève. Il contrevenait ainsi, sans vergogne, à toutes les lois électorales. Cette déclaration, le matin-même des élections, a largement été diffusée dans tous les médias. Le ministre des affaires étrangères G.L. Peiris a, entre-temps, trouvé une nouvelle formule mathématique pour expliquer que les USA avaient subi un revers à Genève. Il estimait que la résolution n’avait obtenu que 23 votes pour, 12 voix contre et 12 abstentions et que, par conséquent, le Sri Lanka l’avait remporté par 24 voix…

    Ce contexte est important pour analyser les résultats des élections dans le Sud. La population au Sud n’a pas suivi l’appel du Rajapakse et de son gouvernement. Le président est resté plus d’une semaine dans sa région natale pour y susciter l’intérêt des électeurs envers son parti. Ces dernières années, des travaux d’infrastructure importants ont été entrepris dans le district d’Hambantota avec la construction d’un port international, d’un aéroport, d’un stade,… Ils ont tous été appelés comme le président :  port Rajapakse’, ‘aéroport Rajapakse’,… Mais cela n’a pas suffi à obtenir l’effet escompté. Il y a eu une chute spectaculaire du nombre de voix en faveur de Rajapakse.

    Le nombre de personnes qui ont été voter dans le district d’Hambantota a diminué de 70,2% à 66,8%, même après que le président se soit personnellement déplacé. Dans la province du Sud, la coalition au pouvoir a obtenu 804.071 voix lors des précédentes élections provinciales en 2009. Maintenant, ils n’ont plus eu que 699.408 voix, soit 104.663 voix de moins. Le nombre d’élus a chuté de 38 à 33. Dans la province occidentale, la coalition gouvernementale est passée de 1.404.440 voix en 2009 à 1.363.675 voix aujourd’hui. Le nombre de sièges a chuté de 68 à 56.

    Une nouvelle situation

    Les résultats indiquent que la marche triomphale de Rajapakse touche à sa fin. Cela a commencé avec la victoire lors des élections présidentielles de 2005 et ensuite, il y a eu un momentum avec une victoire encore plus aisée lors des élections présidentielles suivantes juste après la défaite des Tigres tamouls en 2009. Le point d’orgue de son triomphe a eu lieu lors des élections parlementaires de 2010. Entre-temps, beaucoup de gens constatent que leurs problèmes socio-économiques ne disparaissent pas et que le gouvernement ne pourra plus refouler ces thèmes longtemps par le racisme et l’hystérie martiale.

    Cela constitue un important revirement. La progression du régime de Rajapakse est sous pression et il y a une nouvelle composition des forces anti-gouvernementales. Il y a eu des manifestations à Weliweriya Ratupaswala pour exiger la fermeture d’une entreprise qui pollue l’eau. Lors des élections, des milliers de personnes ont occupé les rues à Dematagoda, Colombo, pour protester contre leur expulsion au nom d’un soi-disant développement. A Avissawella Thunnana, il y a eu des protestations contre la pollution de l’eau par une fabrique de caoutchouc. Lors de cette action, un agent de police a perdu la vie. Les travailleurs et les pauvres commencent à agir collectivement pour défendre leurs droits et exprimer leur mécontentement face au système actuel.

    L’image de Rajapakse tel un roc imprenable commence à s’effriter. Mais nous devons aussi comprendre le caractère des partis d’opposition. Le principal parti d’opposition est l’UNP, pro-capitaliste. Il est parvenu à éviter un dépérissement de son nombre de voix mais le parti n’a pas réussi à regagner le confiance des masses. Même à un moment où la population se retourne contre le régime, ça ne marche pas. L’UNP n’a obtenu qu’un score minimal et n’est pas parvenu à attirer les voix des minorités.

    L’UNP a obtenu six sièges dans la ville de Colombo où il a battu des candidats du gouvernement. Mais le Democratic People’s Front dirigé par Mano Ganeshan et soutenu officiellement par la TNA (Tamil National Alliance) a obtenu 44.156 des voix et a gagné deux sièges. Cela indique qu’une majorité des Tamouls qui habitent à Colombo ont voté pour le DPF. Une large majorité de bouddhistes cingalais des faubourgs de Colombo a voté pour les autres partis non-gouvernementaux. Le résultat de Mano est comparable à la victoire de Vigneshwaran au Nord, en septembre. Le résultat du DPF peut être considéré comme un premier pas pour les Tamouls pour mettre en avant leur propre identité et de s’écarter des principaux partis capitalistes tant gouvernementaux que celui d’opposition UNP.

    Nouveaux liens de coopération

    Le Muslim Congress, qui fait partie du gouvernement, a tenté, une fois de plus, de tromper la population musulmane mais n’y est pas parvenu. Ce parti n’a obtenu que 20.183 voix et un seul élu. Un élément important de ces élections est qu’aucun candidat tamoul ou musulman de la coalition gouvernementale n’est parvenu à se faire élire. C’est une indication du fait que le gouvernement de Rajapakse est rejeté non seulement par la population du Nord et de l’Est mais aussi par les Tamouls et les musulmans de la métropole, Colombo.

    Le Parti Démocratique de l’ancien dirigeant militaire Sarath Fonseka a obtenu 7,9% dans la province occidentale et 6,2% dans la province du Sud. Cela exprime un vote anti-gouvernement pour ceux qui en ont marre des disputes internes à l’UNP. A côté de ça, une partie de couches plus chauvines et militaristes a voté pour le parti de Fonseka.

    Le JVP chauvin a joué un rôle central dans la victoire électorale de Rajapakse en 2005 et était un fervent défenseur de la guerre. Au cours de la dernière période, le parti était dans les cordes mais avec ces élections, il y a un rétablissement. Ce parti a même reçu pas mal d’attention de la part des médias bourgeois. Il y a un nouveau dirigeant de parti : Somawansha Amarasinghe a été remplacé par Anura Kumara Dissanayaka. Celui-ci a tout de suite essayé de balayer quelques vieux « pêchés ». Dans une certaine mesure, il y est parvenu.

    Le JVP défend l’idéologie petite-bourgeoise cingalaise concernant la question nationale. Le parti essaie de se faire passer pour une nouvelle puissance “propre” qui s’oppose à la corruption et ce, au nom des masses bouddhistes cingalaises. Le nouveau programme du parti, “Notre vision”, a été présenté par les leaders religieux bouddhistes à Kandy. Le nouveau programme contient une idéologie bouddhiste cingalaise arriérée qui est centrale pour le JVP.

    Le JVP a obtenu de bons résultats lors de ces élections mais l’espoir des jeunes d’un avenir socialiste (une part de sa propagande) avec le JVP va en prendre un sacré coup dans la crise à venir. Les voix pour le JVP sont, d’une façon assez obscure, également l’indication qu’une partie des masses se radicalise et veut construire une alternative anticapitaliste à gauche.

    Le réponse du régime

    Le régime essaie d’utiliser la répression maintenant qu’il perd un peu prise sur le pouvoir. Dans le Nord, une « tigrophobie » anti-tamouls est créée et de dures mesures répressives sont annoncées. Même si Ruki Fernando et Fr. Praveen Mahesan ont été libérés, leurs droits démocratiques sont fortement bridés. Pas de liberté en vue pour Jeya Kumari et sa fille Vibhushika qui ont été arrêtés à Kilinochchi. Les gens sont arrêtés sur base de lois anti-terrorisme et emprisonnés à durée indéterminée. Dans la pratique, il y a un régime militaire au Nord avec le gouvernement qui mène campagne contre le soi-disant retour des Tigres tamouls. Le gouvernement a interdit 16 organisations dans le pays sous prétexte qu’elles sont liées au LTTE. C’est un élément de la campagne gouvernementale.

    Pour le régime de Rajapakse, jouer sur les sentiments nationalistes bouddhistes cingalais est la seule option de survie. Le gouvernement a annoncé qu’aucune enquête internationale sous les conditions de la résolution de Genève ne sera autorisée. Cela peut avoir des conséquences extrêmes pour le pays et mener à une crise des relations internationales. L’industrie textile du Sri Lanka a déjà beaucoup enduré suite à la suspension des accords de libre-échange GSP+ avec l’Union européenne. La position dure du gouvernement envers Genève peut provoquer de nouveaux problèmes.

    Il possible que Rajapakse procède à des élections anticipées après avoir adapté la constitution. Mais même cela ne sera pas aisé pour le régime. En effet, l’opposition prend de l’ampleur.

    L’United Socialist Party

    Lors de ces élections, l’Etat a utilisé des méthodes de gangster. Oppression, corruption et violence ont dominé. L’United Socialist Party (section srilankaise du Comité pour une Internationale Ouvrière et parti-frère du PSL) a pris part aux élections avec un programme clairement socialiste. Nous n’avons reçu aucune attention médiatique. Nous avons obtenu 605 voix à Galle et 739 à Kaluthara. Les voix obtenues dans ces localités sont selon nous un signe avant-coureur d’un soutien plus large dans la période à venir.

    Le gouvernement est confronté à d’énormes difficultés. Nous ne pouvons attendre pour construire une force anticapitaliste qui unisse les diverses organisations de gauche, les travailleurs actifs, les jeunes et les représentants des communautés de paysans et pêcheurs pauvres. Il est, pour ce faire, essentiel de construire une organisation nationale du monde du travail et des syndicats. L’USP peut jouer un rôle décisif dans ce processus.

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