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Tag: Russie
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APPEL URGENT. Nos camarades Kazakhs Esenbek Uktesbhaev et Aimur Kurmanov sont en danger
Ci-dessous, une lettre de nos camarades, qui ont de bonnes raisons de craindre une arrestation ou un enlèvement dans les jours qui viennent. Nous devons faire le maximum pour l’éviter. Nous prenons des mesures concrètes en Russie, mais une campagne internationale de soutien aux travailleurs en lutte doit s’organiser.
Veuillez envoyer rapidement des mails de protestations à l’ambassade du Kazakhstan en Belgique à : bolat.temirbayev@gmail.com ainsi qu’au ministère des affaires étrangères kazakhes via l’adresse : mid@mid.kz (mail-type en anglais)
Communiqué de presse:
Au directeur exécutif de tous les mouvements des droits de l’homme en Russie, Lev Aleksandrovitch Ponomarev.
Au directeur de l’institut pour les droits humain, Valentin Michaelovitch Gefter.
De la part de Esenbek Uktesbhaev, president du syndicat Kazakh “Zhanartu” (rennaissance), et le vice président de Zhanartu , Aimur Kurmanov.
Nous, les leaders du syndicat indépendant des travailleurs, Zhanartu – Esenbek Uktesbaev, président, et le vice président, Aimur Kurmanov- tenons à vous alerter sur le fait que nous pourrions bientôt être soumis à une arrestation ou à un l’enlèvement, résultant de notre éloignement de force du territoire de la République du Kazakhstan, où l’arrestation et l’emprisonnement nous attendent inévitablement.
Le fondement de ces affirmations est dû à la venue à Moscou du chef du Département des affaires internes de la région de Mangistau, le colonel Amanzhol Kabylov, avec un groupe d’officiers des renseignements, pour mener des négociations avec les policiers de la Fédération de Russie. Nous l’avons appris par le biais de journalistes russes et aussi par nos sources au Kazakhstan. Le sujet de ces négociations est évident – planifier la réalisation de notre arrestation en collaboration avec les forces russes, car nous sommes actuellement sur le sol de Russie.
Le dit Colonel de haut rang du Ministère des affaires intérieures Kazakhes, est actuellement chargé de "l’enquête" sur le cas des événements sanglants du 16 Décembre dans la ville de Zhanaozen et à la station Shetpe dans la région Mangistau, qui, selon nos informations, ont abouti à la mort d’un grand nombre de travailleurs en grève et leurs proches qui avaient été impliqués dans une manifestation pacifique.
En tant que résultat de la collaboration du ministère de l’Intérieur et le Service de sécurité du Kazakhstan, de nombreuses affaires criminelles ont été déposées et des dizaines de personnes ont déjà été arrêtées. Tels que les travailleurs prenant part à la grève massive du pétrole, une grève qui dure depuis le 17 mai, ainsi que les dirigeants du parti d’opposition «Alga» («En avant») – Vladimir Kozlov, Ayzhangul Amirov, Ruslan Simbinov, Serik Sapargali, ainsi que le rédacteur en chef du journal indépendant, «Vzglyad» («Point de vue») , Igor Vinyavski.
Tous ceux-ci, ainsi que des dizaines de personnes qui sont interdites de voyager, sont accusés en vertu de plusieurs articles du Code criminel: 164 ‘d’incitation à la discorde sociale ", 241’ d’avoir organisé des émeutes" et 170 "d’appeler au renversement du système constitutionnel actuel». Nous sommes, depuis le 7 Octobre, dans une visite prolongée en Russie, où nous avons échangé des expériences avec les organisations des travailleurs et les médias qui appuient les travailleurs du secteur pétrolier en grève dans Mangistau et les membres de notre syndicat au Kazakhstan. Chez nous, dans notre pays, en été, il y avait aussi une affaire portée au pénal contre nous à l’initiative de l’arbitraire autorité locale – en vertu de l’article 327 du Code pénal. Mais en ce moment, il est suspendu et il est censé être totalement arrêté en raison d’une amnistie qui a été annoncée.
Mais comme nous l’avons appris par nos sources au sein des organes de répression, une nouvelle affaire pénale est déjà en cours de fabrication relevant de l’article 164 du Code pénal pour «incitation à la discorde sociale". En fait, il s’agit d’une tentative de nous rendre responsable, ainsi que l’opposition, pour les événements tragiques du 16 décembre à Mangistau. C’est la raison pour laquelle le premier commandant de Zhanaozen est à Moscou, afin d’organiser notre arrestation et notre remise ultérieure à Aktau. Nous craignons que notre arrestation puisse être faite dans le secret et réalisée sous la forme d’un enlèvement, sans aucune annonce au niveau international, ni aucun respect des conditions pour l’extradition. Cela a déjà été fait par les services spéciaux ouzbeks et tadjiks contre leurs opposants et dissidents politiques, qui se trouvaient dans la Fédération Russe. De même, nous vous assurons que nous sommes en Russie légalement et nous n’avons commis aucune infraction envers la loi Russe. Nous nous sommes seulement engagés dans la défense de nos concitoyens, leurs droits étant violés par les autorités dans notre pays. Nous vous demandons de l’aide, et l’organisation d’une campagne de défense en cas d’arrestation illégale ou d’enlèvement par les services secrets kazakhs, sur le territoire de la Fédération Russe.
Sincèrement vôtres,
Esenbek Uktesbhaev, président du syndicat Kazakh “Zhanartu” , et le vice président de Zhanartu , Aimur Kurmanov.
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Questions fréquemment posées sur le socialisme
Conséquence du développement du mouvement Occupy, l’opposition face au système économique et politique est devenue monnaie courante. Difficile d’imaginer que la femme au bandana sur la couverture du Time – représentation du “Manifestant”, personnalité de l’année selon le Time – puisse avoir quoi que ce soit de positif à dire au sujet du capitalisme, et l’omniprésence du masque de Guy Fawkes – popularisé par “V for Vendetta” – souligne encore plus à quel point les idées révolutionnaires sont à présent répandues.
Par Brandon Madsen, Socialist Alternative (CIO-USA)
Cependant, ce soutien croissant apporté à un changement de système n’a pas encore conduit à des discussions sérieuses quant à une quelconque alternative. Un nouveau sondage du Pew publié le 28 décembre 2011 indique que les personnes noires ou de moins de 30 ans sont majoritairement en faveur du socialisme, mais n’explique en rien ce qu’est le socialisme, ou comment un système politique et économique socialiste fonctionnerait. Nous vous offrons cet article comme base de discussion.
Comment fonctionnerait une économie socialiste?
Sous le capitalisme, les institutions où d’immenses richesses sont centralisées (les grandes entreprises) dirigent l’économie, et exploitent les plus pauvres pour accroître leurs propres richesses. Le but d’une économie socialiste est de renverser la vapeur : ce serait la classe ouvrière qui serait aux commandes de l’économie, et utiliserait les richesses et la productivité de la société pour améliorer ses conditions de vie. Pour cela, il faudrait rendre publiques les ressources des banques et des grandes entreprises, et les gérer de manière démocratique.
Employer les chômeurs, redéfinir le budget et créer de l’emploi en tenant compte des priorités sociales – soins de santé, éducation, énergie propre, etc. – donnerait un énorme coup de fouet à la productivité et créerait des richesses. Une planification démocratique de l’économie permettrait à tout le monde d’avoir un travail bien rémunéré, un accès à des soins de santé de qualité, à un enseignement gratuit à tous les niveaux, et, bien sur, aux besoins vitaux tels que la nourriture et un logement. Mais cela ne se limiterait pas à ces bases; nous pourrions soutenir et encourager les musiciens, artistes, réalisateurs, designers, etc de façon à favoriser un développement culturel.
Ce système économique nécessiterait une planification réfléchie, mais c’est déjà le cas d’une certaine manière sous le capitalisme. Des multinationales plus grandes que des Etats planifient déjà leurs niveaux de production et de distribution, décident des prix, et cela sans pour autant s’effondrer, rien ne dit que les travailleurs seraient incapables de faire de même.
La différence sous le capitalisme, c’est que la planification n’est que partielle, incomplète, et antidémocratique, le but étant de maximiser les profits d’une élite. Sous le socialisme, nous pourrions décider des investissements en ayant une vue d’ensemble de l’économie mondiale, afin de subvenir aux besoins humains, de conserver un environnement sain, et de garantir à chacun le droit à une existence libre.
Un système économique socialiste devrait être intégré de par le monde. C’est déjà le cas sous le capitalisme, nous vivons en effet dans un monde d’interdépendance. La globalisation vue par le capitalisme consiste à exploiter les économies les plus faibles, et à plonger dans une misère sans cesse croissante les travailleurs de par le monde. Sous le socialisme, l’intégration d’une économie globale aurait pour but d’améliorer la vie des gens.
Une économie socialiste gérerait l’environnement de manière très différente. Tant que maintenant, les compagnies n’ont que faire des taxes environnementales, car elles peuvent les faire payer au public. Les coûts liés à la pollution de l’air et de l’eau sont réels, mais ils ne représentent pas une menace pour une entreprise comme Monsanto. Voilà pourquoi aucune corporation ne bougera le petit doigt pour l’environnement sur base des principes du marché libre.
Une économie démocratiquement planifiée empêcherait les corporation de faire des profits en externalisant les coûts liés à la pollution. Au lieu de cela, l’efficacité, la préservation de l’environnement, et la satisfaction des besoins de base de chacun seraient les critères de décision économique. Au lieu de promouvoir des mesures inadéquates telles que les ampoules économiques et la sensibilisation au recyclage, une économie socialiste investirait dans un total renouveau de la production, mettant à profit les dernières technologies vertes pour assurer la protection de l’environnement et la création de millions d’emplois.
Comment fonctionnerait une démocratie socialiste?
La « démocratie » actuelle se limite à nous faire voter une fois de temps en temps afin de décider quel riche politicien prendra les décisions pour nous. Cela n’a bien sur rien de démocratique, encore moins quand la corruption issue des corporations s’en mêle.
Au contraire, une démocratie socialiste serait une démocratie omniprésente, de semaine en semaine, présente sur tous les lieux de travail, dans toutes les écoles et communautés. Les travailleurs effectuerait une rotation des tâches, et les managers élus seraient révocables à tout moment si le besoin s’en faisait sentir. Chaque décision pourrait être réévaluée par un vote de la majorité.
Le programme et les politiques scolaires, plutôt que d’être imposées par des administrateurs incompétents et des bureaucrates, seraient discutées conjointement par les parents, les professeurs et les étudiants. Des conseils de quartier décideraient de qui peut ou ne peut avoir une forme d’autorité, et dicteraient à leurs élus comment prioriser leurs efforts..
Tout investissement et décision économique se ferait démocratiquement. Les lieux de travail et les quartiers éliraient des représentants à de massifs conseils locaux et régionaux, qui eux-mêmes éliraient des décideurs nationaux. Les représentants élus ne devraient avoir aucun privilège que ce soit comparé à leur électorat, et ils seraient révocables à tout moment.
Afin de faciliter ce processus décisionnel démocratique, les horaires de travail et d’études devraient prévoir du temps pour des conseils et des discussions quand aux décisions. Grâce aux richesses nouvellement créées, la semaine de travail serait réduite afin de prodiguer aux gens le temps et l’énergie pour s’impliquer politiquement, et se réaliser hors du travail ou du cadre scolaire.
Une élite bureaucratique ne prendrait-elle pas le dessus?
Cela va sans dire, aux prémices d’une société socialiste, une lutte contre les carriéristes et la corruption sera nécessaire. Le bagage idéologique pernicieux issu de siècles de domination de classe ne s’évaporera pas d’un claquement de doigts. Mais en faisait des ressources productives de la société un bien public, en éliminant les privilèges, et en établissant les structures d’une gestion et d’un contrôle démocratiques, les obstacles barrant la route des aspirants bureaucrates seraient immenses.
L’évènement qui fait craindre une prise de pouvoir de la bureaucratie est l’arrivée de Staline au pouvoir en Union Soviétique quelques années après la révolution russe de 1917. Cette dégénérescence tragique de la Révolution Russe a été débattue par des marxistes dans de nombreux ouvrages. La conclusion que l’on peut tirer de ces évènements après une analyse historique sérieuse, c’est que cette dégénérescence n’était ni naturelle, ni inévitable, mais juste un concours de circonstances particulières.
Au moment de la révolution, la Russie était l’un de pays les plus pauvres, et la situation ne n’est guère améliorée lorsque les capitalistes détrônés, soutenus par 21 armées étrangères, on fait usage de violence pour récupérer le pouvoir des mains des assemblées démocratiques, ce qui a conduit a une guerre civile sanglante. Bien que la révolution prenait place ailleurs également, notamment en Allemagne, tous les mouvements furent réprimés, laissant la Russie isolée.
Ce n’était pas le terrain idéal sur lequel fonder le socialisme. La base même du socialisme, c’est d’avoir suffisamment de moyens pour subsister, mais la Russie manquait de moyens. Dans ce contexte, les structures démocratiques des Soviets (les assemblées de travailleurs) ont cessé de fonctionner. Qui se soucie d’aller aux réunions politiques sans savoir s’il pourra se nourrir le soir?
C’est cette sape du pouvoir des travailleurs, aggravée par l’isolement et le déclin économique du pays, qui a permis la bureaucratisation de la société et la montée de Staline en tant que leader. Mais ce n’eût rien de naturel. Staline a eu recours à l’emprisonnement, au meurtre et à l’exil, et a forcé des millions de gens dont le seul crime était leur attachement aux principes démocratiques de la révolution de 1917 à se soumettre.
Cette expérience illustre l’importance de faire de la lutte pour le socialisme une lutte globale. A cause d’impérialistes pillant des ressources à travers le monde, certains pays pourraient manquer d’une base économique stable pour se mettre au socialisme, et auraient besoin de négocier avec des pays plus riches. Si la Russie avait pu recevoir la soutien ne serait-ce que d’un seul pays, comme l’Allemagne, l’histoire serait aujourd’hui bien différente.
Ne serait-ce pas plus facile de réformer le capitalisme?
Contrairement aux récits populaires, l’histoire du capitalisme n’est pas celle d’un progrès constant vers des sommets de démocratie et de richesse. Chaque réforme a nécessité une lutte de masse, remettant souvent en doute les fondements mêmes du système.
Les réformes ne sont pas des cadeaux de politiciens au grand coeur, mais des concessions accordées dans l’unique but d’apaiser le mouvement et de faire oublier les vraies revendications. Que cela concerne les droits civils, le week-end de congé, ou le droit d’organiser uns syndicat, chacune de ces réformes a nécessité un combat constant contre la logique capitaliste, combats dans lesquels nombre d’innocents furent éliminés par les élites désireuses de mettre un terme à la lutte.
Sous le capitalisme, même ces réformes partielles ne sont pas permanentes. Comme nous avons pu le voir ces dernières décennies, les capitalistes n’hésitent pas à annuler leurs réformes quand ils pensent pouvoir se le permettre.
Les programmes sociaux pour lesquels les gens se sont battus bec et ongles par le passé se disloquent ou disparaissent sous des coupes budgétaires. Après avoir presque annihilé les syndicats dans le privé –où moins de 7% des travailleurs sont syndiqués – les politiciens se tournent maintenant vers le secteur public, dont un tiers des travailleurs n’est toujours pas syndiqué.
Une base stable pour des réformes effective demanderait que les travailleurs s’emparent du pouvoir pour le gérer eux-même – c’est à dire, rejeter le capitalisme en faveur du socialisme. C’est bien simple, lutter pour des réformes, et lutter pour le socialisme, sont deux choses identiques.
En théorie, ça sonne bien, mais en pratique?
La seule constante en histoire est le changement ininterrompu. Des anciens Etats esclavagistes aux seigneuries féodales jusqu’au système capitaliste global d’aujourd’hui, les gens n’ont cessé de rejeter les anciens systèmes dés qu’ils devenaient un frein au développement. Là où réside l’utopie, c’est dans la pensée que la guerre, la pauvreté et la destruction de l’environnement peuvent être réglés par le capitalisme.
Bien que le socialisme soit réaliste, il n’est pas inévitable. Encore et toujours, le capitalisme a conduit les opprimés et les travailleurs à se révolter. Nombreuses ont été les révolutions cette année, notamment en Egypte et en Tunisie. Mas bien que beaucoup aient réussi à détrôner le gouvernement, peu sont parvenues à un changement de régime. Le capitalisme renaîtra sans cesse, au détriment des pauvres, des jeunes et des travailleurs, si nous ne le remplaçons pas par un système meilleur.
C’est là que les socialistes entrent en scène: Nous prenons l’étude de l’histoire au sérieux, apprenant à la fois des défaites et des succès qu’ont connus les révolutions. Nous répandons cette connaissance au maximum afin d’établir le socialisme avec succès . Cela ne revient pas qu’à se plonger dans des bouquins. Cela nécessite de s’engager et construire les mouvements actuels, de mettre en avant des idées socialistes tout en apprenant des autres en lutte, construire notre avenir ensemble.
Si vous êtes d’accord avec ces idées, réfléchissez à nous rejoindre !
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[DOSSIER] Italie, 1920 : Quand les travailleurs occupaient les usines
En 1920, un mouvement d’occupations d’usines historique a pris place en Italie, allant jusqu’à susciter une profonde remise en question du capitalisme. Ce mouvement de masse a pourtant échoué à renverser l’autorité du capitalisme et sa disparition a malheureusement présidé à l’avènement du fascisme. Dans ce dossier, notre camarade Christine Thomas, de la section italienne du CIO (Contro Corrente) revient sur ces évènements et les leçons à en tirer.
‘‘En 1920, la classe ouvrière italienne avait, en effet, pris le contrôle de l’Etat, de la société, des usines et des entreprises. En fait, la classe ouvrière avait déjà gagné ou virtuellement gagné.’’ (Léon Trotsky, au quatrième Congrès de l’Internationale Communiste, novembre 1922 ). De fait, des travailleurs armés occupaient alors les usines, et des paysans s’étaient également emparés des terres. Le parti socialiste italien (PSI) était fort de quelque 200.000 membres à ce moment.
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De l’occupation de places à l’occupation d’entreprises !
Le thème de l’occupation est revenu sur le devant de la scène lors des luttes qui ont pris place au cours de l’année 2011. Nous avons déjà commenté sur notre site, dans notre journal et dans nos tracts cette méthode admirable issues des plus belles traditions du mouvement ouvrier et qui pose la question du contrôle de la société. Vers le mouvement des Indignés ou Occupy, nous défendons de déplacer les occupations de places symboliques vers les lieux de travail. Les pas qui ont été posés en cette direction aux Etats-Unis avec le blocage des ports, notamment celui d’Oakland, sont d’une très grande importance. En Belgique, dans le cadre de la lutte pour la sauvegarde de l’emploi dans la sidérurgie liégeoise, nous défendons l’occupation des sites d’ArcelorMittal en tant que première étape vers la nationalisation de la sidérurgie sous le contrôle des travailleurs. Les liens ci-dessous développent ces questions.
- De l’occupation de places à l’occupation d’entreprises !
- Du métal, pas de Mittal ! Nationalisation de la sidérurgie sous le contrôle des travailleurs, sans rachat, ni indemnité!
- Occupy Oakland : De l’occupation à la grève
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Selon les mots de Lénine, le PSI incarnait – de par son opposition à la première guerre mondiale – ‘‘l’heureuse exception’’ des partis affiliés à la Seconde Internationale. En mars 1919, ce même parti avait rejoint l’Internationale Communiste afin d’apporter son soutien à la ‘‘dictature du prolétariat’’. Et pourtant, le mouvement de septembre qui marquait l’étape finale de deux années rouges consécutives (biennio rosso) a échoué à renverser l’instance capitaliste, et sa défaite inaugura la montée du fascisme.
Aujourd’hui, ce mouvement historique est en voie de devenir la ‘‘révolution oubliée’’, y compris par l’Italie elle-même. Beaucoup d’organisations politiques de masse n’existent plus et les marxistes doivent faire face à la tâche difficile de construire des partis neufs sur base des vieux fondements idéologiques de la classe des travailleurs. Mais la crise prolongée du capitalisme en cours – et les luttes qui en découlent – produiront inévitablement de nouvelles forces politiques avec, une fois de plus, l’hypothèse d’un réformisme et d’un centrisme massifs. C’est pour cette raison que, plus de 90 ans après, la révolution italienne mérite la même attention que d’autres révolutions ‘‘manquées’’ plus familières aux militants de gauche.
Le mouvement de septembre commença en fait comme une ‘‘simple’’ lutte économique visant à protéger les salaires dans le secteur de l’ingénierie et de la métallurgie. Le coût de la vie connaissait une progression affolante – en juin 1920, les prix dépassaient de 20 % ceux qui étaient en cours trois mois plus tôt à peine. Les patrons avaient accumulé d’énormes profits pendant la guerre mais, selon une logique qui touchera une corde sensible chez tous les travailleurs d’aujourd’hui, ils s’employaient à rejeter la crise économique d’après-guerre sur la classe ouvrière.
Non seulement ces patrons refusaient d’accorder les 40 % d’augmentation de salaire réclamés par l’union des ouvriers métallurgistes de la FIOM (une section autonome de la principale fédération syndicale (CGL)) mais, quand les négociations furent rompues et que les travailleurs mirent en place un ‘‘va mollo’’ au cœur de leur cadence de travail, les employeurs de l’usine Roméo de Milan décidèrent de fermer l’entreprise et 2000 ouvriers se retrouvèrent à la porte d’un seul coup.
La FIOM riposta en lançant un appel immédiat à l’occupation de 300 usines milanaises. Cette riposte fut perçue par les dirigeants syndicaux comme une manifestation purement défensive qui, au final, coûterait moins cher que l’organisation d’une grève. Ils furent toutefois totalement dépassés par l’ampleur de la lutte qui s’ensuivit.
De nombreuses angoisses qui s’étaient accumulées explosèrent alors. Des usines furent saisies dans les bastions industriels de Turin et de Gênes et au-delà de Florence, à Rome, Naples et Palerme. Le raz-de-marée d’occupations engloutit d’innombrables secteurs industriels dont ceux des produits chimiques, du caoutchouc, des chaussures ou encore du textile, pour ne citer qu’eux.
Finalement, un demi-million de travailleurs tant syndiqués qu’inorganisés, furent impliqués dans cette belle aventure.
Des drapeaux rouges (socialistes) et noirs (anarchistes) se déployèrent au-dessus des usines occupées. Sur le même temps, des ‘‘Gardes Rouges’’ armés contrôlaient les allées et venues aux abords de l’usine, décidant de qui pouvait entrer et sortir. Les travailleurs eux-mêmes maintenaient l’ordre, interdisant l’alcool et punissant ceux qui transgressaient les codes de discipline qu’ils s’étaient fixés ensemble.
Le mouvement est allé plus loin à Turin – surnommée la ‘‘Petrograd’’ italienne en référence à la Révolution russe de 1917 – jusqu’à devenir un véritable mouvement de masse populaire qui impliqua pas moins de 150.000 travailleurs.
Au centre Fiat (à l’époque rebaptisé ‘‘Fiat Soviet’’) les ‘‘commissaires’’ d’atelier organisaient la défense du site ainsi que le transport et le contrôle des matières premières. Les travailleurs de Turin s’organisèrent en conseils d’usine (coordonnés par le ‘‘lavoro di camere’’, une sorte de ‘‘conseil de métiers’’) et des comités de travailleurs prirent la responsabilité de la production, du crédit ainsi que de l’achat et de la vente des marchandises et des matières premières.
Formellement, les capitalistes et leurs représentants politiques au gouvernement étaient aux commandes mais, en réalité, ils ne contrôlaient plus rien. Ils étaient en quelque sorte « paralysés ». Comme le journal national – ‘‘Corriere della Siera’’ – l’a exprimé sans fioriture : le contrôle complet des usines était aux mains des travailleurs.
On tenait là un exemple clair de ce qui constitue une étape cruciale à l’intérieur du processus révolutionnaire, à savoir l’étape du ‘‘double pouvoir’’, où celui qui contrôle la société ressent la nature vacillante de son statut et où le destin s’écrit, soit par les forces révolutionnaires potentielles – qui achèvent la révolution via le renversement de l’ancien régime – soit par la vieille classe dominante qui neutralise les forces qui voulaient l’abattre et se réapproprie le contrôle.
Le mouvement des conseils de l’usine de Turin
Ce qui advint par la suite ne peut être compris que dans un contexte conjoncturel antérieur, et plus particulièrement dans la période de l’immédiat après-guerre. Les patrons avaient délibérément provoqué le mouvement de Septembre en ‘‘enfermant dehors’’ les ouvriers affectés aux centres d’ingénierie. Cette manœuvre patronale avait évidemment pour but de porter un coup décisif à la classe ouvrière.
‘‘Il n’y aura pas de concessions’’, avait déclaré le représentant des patrons à Bruno Buozzi, chef de la FIOM. ‘‘Depuis la fin de la guerre, nous n’avons rien fait d’autre que de baisser nos pantalons. Maintenant c’est votre tour.’’
Comme cela avait été le cas dans de nombreux pays européens, la guerre, mais aussi la victoire remportée par les travailleurs et les paysans contre le capitalisme et le féodalisme en Russie, avaient donné lieu à une situation explosive en Italie. En 1917, des mouvements semi-insurrectionnels avaient secoué le nord du pays tandis que des paysans et des ouvriers se rebellaient au sud. Il a toutefois fallu attendre 1919 pour que le mouvement s’intensifie et se généralise davantage.
La première grande bataille des deux ‘‘années rouges’’ fut remportée par les métallurgistes qui, au printemps de 1919, menèrent des actions de grève et obtinrent la journée des huit heures.
En juin et juillet de la même année, la flambée des prix provoqua un autre mouvement insurrectionnel au nord. Dans de nombreuses régions, des comités de citoyens (sortes de Soviets ‘‘embryonnaires’’) s’emparèrent du contrôle complet des prix.
Au printemps 1920, le climat insurrectionnel gagna encore en intensité, d’où la hausse du nombre de grèves spontanées générées par l’extrême pénibilité des conditions économiques et sociales. La ‘‘courbe des températures’’ en milieu gréviste devait toutefois poursuivre sa montée inexorable : en 1918 on comptabilisait 600.000 grèves, en 1919 on en comptait 14.000.000 et en 1920 on atteignait le chiffre de 16.000.000 !
Sur le plan industriel, Turin était la ville la plus importante d’Italie et, du point de vue des capitalistes, elle fut le lieu originel d’émergence puis de développement du mouvement le plus dangereux.
Dans les usines, les travailleurs s’organisèrent en commissions internes. Il s’agissait d’instances contradictoires dont l’existence débuta en 1906 en tant que comités de revendication affectés aux questions de discipline et d’arbitrage. Ceux-ci étaient dominés par les représentants du syndicat et considérés par la caste capitaliste comme des organes de collaboration de classe, ou encore comme un moyen d’amener les travailleurs à participer aux décisions concernant leur propre exploitation sur les lieux de travail.
Mais pendant la guerre, ces commissions explosèrent et devinrent l’objet d’une véritable bataille qui opposa les ouvriers de terrain aux patrons sur la question de savoir qui exerçait le contrôle dans les usines. Un rôle crucial dans ce mouvement a été joué par l’Ordine Nuovo (l’Ordre Nouveau), un journal fondé à Turin en mai 1919 par Antonio Gramsci et trois autres socialistes. Inspiré par la révolution russe, l’Ordre Nouveau appelait à la démocratisation des commissions internes et à l’établissement de conseils ouvriers élus par l’ensemble des travailleurs, sans pour autant exclure ceux qui n’étaient pas syndiqués.
Les conseils ouvriers ne se bornaient pas à exercer un contrôle sur les lieux de travail, mais devenaient d’authentiques organes de pouvoir au service des travailleurs dans la société toute entière.
L’idée de ces conseils ouvriers se répandit à travers la ville telle une traînée de poudre. Partout dans Turin, dans chaque industrie importante, des élections désignèrent des commissaires d’atelier : il est à noter qu’à son apogée, le mouvement des conseils impliqua pas moins de 150.000 travailleurs dans cette ville… Les capitalistes n’allaient évidemment pas rester bras croisés et accepter indéfiniment l’imposition d’un double pouvoir effectif et permanent à l’intérieur des usines. ‘‘Il ne peut y avoir qu’une seule autorité dans l’usine’’ déclarait le manifeste de la Ligue Industrielle de Turin. ‘‘Les conseils d’ouvriers de Turin doivent être implacablement écrasés’’ clamait de son côté le leader industriel Gino Olivetti.
En mars 1920, alors que les élections se déroulaient sur chaque lieu de travail pour renouveler les commissions internes, les patrons sont montés à l’assaut en annonçant un verrouillage des centres d’ingénierie à travers toute la ville. Un conflit s’ensuivit, non pas centré sur des griefs économiques, mais bien sur des domaines touchant à la fois au contrôle ouvrier et à la reconnaissance des conseils d’usine. En avril, la grève des métallurgistes s’étendit à l’industrie chimique, à l’imprimerie, au bâtiment ainsi qu’à d’autres secteurs, impliquant un demi-million de travailleurs, soit la quasi-totalité de la classe ouvrière de Turin !
Quatre jours plus tard, le mouvement s’étendit au-delà des confins de la ville, atteignant la région du Piémont. Une solidarité spontanée s’organisa à Livourne, Florence, Gênes et Bologne, mais les directions syndicales refusèrent de prolonger la grève et – comme au temps de la Commune de Paris en 1871 – le mouvement des conseils d’usine de Turin resta isolé, coupé du reste du pays. A la différence de la Commune de Paris toutefois, dont l’Histoire nous a appris l’issue fatale (les estimations parlent d’au minimum 20.000 morts et 20.000 déportés après la ‘‘semaine sanglante’’ d’avril 1871, NDLR), les milliers de travailleurs ne perdirent pas la vie, mais l’accord qui mis fin à la grève fut vécu comme une amère défaite.
En dépit d’une reconnaissance formelle des conseils d’usine, cet accord privait les ouvriers de l’exercice d’un contrôle réel sur leur lieu de travail. De plus, après ces journées d’avril, les patrons furent encouragés à aller plus loin dans l’offensive et à reprendre les travailleurs en main. 11.000 industriels appartenant à 72 associations s’organisèrent en une instance centralisée – la Confindustria, qui existe toujours aujourd’hui – qui tint sa première conférence nationale cette année-là. Ces patrons se retrouvaient ainsi unis en une même opposition face aux revendications des travailleurs. Mais la portée des occupations – ainsi que le potentiel révolutionnaire de celles-ci – restaient incontestables et des fissures profondes lézardèrent bientôt la façade du front uni des capitalistes.
Les ‘‘faucons’’, qui comptaient parmi eux Agnelli, le propriétaire de Fiat, poussèrent le gouvernement à adopter une ligne dure et à briser les occupations par la force. Une autre aile redoutait toutefois une intervention de l’armée – et des forces de l’Etat – à l’encontre des travailleurs. Cette aile craignait le risque de voir la situation s’embraser davantage et entraîner dans la débâcle le système capitaliste dans sont entièreté.
Le premier ministre Giolitti, élu trois mois auparavant, adopta plutôt la ‘‘logique de la colombe’’ et choisit de demeurer dans sa maison de vacances, d’attendre et de laisser faire le temps dans l’espoir évident que l’usure gagne la classe ouvrière et que cette dernière se retrouve à devoir se prosterner à ses genoux.
Lorsque Agnelli sollicita l’intervention du gouvernement, Giolitti proposa cependant de bombarder l’usine Fiat afin de la ‘‘libérer de l’occupant’’… ‘‘Non, non’’, s’écria Agnelli. Et Giolitti de résumer lui-même en des termes sans équivoque le fameux dilemme de la classe dirigeante : ‘‘Comment pourrais-je mettre fin à l’occupation ? Il est question de 600 usines dans l’industrie métallurgique. (…) J’aurais dû placer une garnison dans chacune d’elles. (…) Pour occuper les usines, j’aurais dû utiliser toutes les forces à ma disposition ! Et qui aurait assuré la surveillance des 500.000 travailleurs en dehors des usines ? C’aurait été la guerre civile’’. (3) La classe dirigeante était impuissante. La balle était désormais dans le camp des travailleurs…
Se battre avec des mots
L’effet de la radicalisation d’après-guerre sur les organisations ouvrières avait été explosif. A la fin de la guerre, la CGL (le syndicat lié au PSI) comptait environ 250.000 membres. Deux ans plus tard, deux millions de travailleurs étaient enrôlés dans ses rangs ! Au cours de l’été 1920, l’union-anarcho-syndicaliste (USI) – qui rejetait la ‘‘politique’’ – pouvait réclamer 800.000 membres et le syndicat catholique du commerce (CIL) était, quant à lui, passé de 162.000 membres en 1918 à un million en 1920. La croissance du PSI ne fut pas moins spectaculaire : 24.000 membres en 1918, 87.000 en 1919 et 200.000 en 1920. En novembre 1919, le parti remporta une stupéfiante victoire électorale, raflant plus de 1,8 millions de voix et devenant, avec 156 députés, la force parlementaire la plus puissante. Il s’assurait aussi le contrôle de 2000 conseils locaux (soit près d’un quart du total).
Giolitti tablait sur les dirigeants syndicaux, estimant qu’ils seraient capables de retenir la vague d’occupations et de prévenir une insurrection révolutionnaire. En avril, la direction nationale de la CGL, ainsi que celle de la FIOM, s’était montrée hostile au mouvement des ‘‘conseils d’usine’’ qui représentait une menace au niveau de leur contrôle sur la classe ouvrière. Elle avait résisté à toute tentative d’étendre la lutte au-delà de Turin. En septembre, leur principale préoccupation était de maintenir leur contrôle sur le mouvement, de limiter les revendications des occupations aux thèmes économiques (salaires,…), et de prévenir toute volonté de ceux qui désormais exerçaient le contrôle de la société de défier clairement le système capitaliste.
Et le PSI dans tout ça ? Le parti se prononça en faveur de la révolution et caractérisa, très justement, cette période de ‘‘révolutionnaire’’. Les travailleurs contrôlaient les usines, pas les capitalistes ; la classe dominante était déchirée en raison de ses divisions et l’Etat était paralysé. C’était l’heure de la lutte pour le pouvoir.
Mais alors que les mouvements révolutionnaires commencent souvent spontanément, sans aucun véritable ‘‘modus vivendi’’, mener une révolution vers sa conclusion – ce qui pour la classe ouvrière et paysanne revient à prendre le pouvoir des mains de la classe dirigeante capitaliste et à construire un Etat ouvrier démocratique – exige un mouvement conscient guidé par un parti révolutionnaire porté par un programme, une stratégie et une tactique claires. Les bolchéviks en avaient fait la démonstration limpide et éclatante trois ans auparavant en Russie.
Des centaines d’usines furent occupées. Les travailleurs, spécialement à Turin, appelaient ces conseils d’usine à s’étendre davantage. Des initiatives furent développées par la base mais, dans de nombreux domaines, ces occupations d’usine se vivaient séparément les unes des autres et les travailleurs se concentraient exclusivement sur leurs propres questions locales.
Pendant ce temps là, les ouvriers ruraux et les paysans étaient aussi en effervescence, montant au créneau, se battant, manifestant et s’emparant des terres et autres biens fonciers appartenant aux propriétaires terriens. En 1920, 900.000 ouvriers agricoles rejoignirent la CGL. Cependant, ces soulèvements furent pour la plupart vécus en retrait du monde des ouvriers d’usine.
Il existait pourtant un besoin impérieux de voir les occupations gagner tous les secteurs de la société et les conseils des travailleurs s’étendre au-delà des lieux de travail et se coordonner au niveau local, régional et national. La formation de comités de paysans et de travailleurs ruraux (l’Italie était encore majoritairement un pays rural) liée aux conseils de travailleurs aurait pu poser les bases d’un gouvernement révolutionnaire des travailleurs et des paysans.
Dans sa presse, le PSI a publié des articles stimulants relatifs, par exemple, à la formation de soviets, plans détaillés à l’appui. On trouve encore dans cette presse des déclarations révolutionnaires exhortant les paysans à soutenir les grévistes, ainsi qu’un appel aux ‘‘prolétaires en uniforme’’ à rejoindre la lutte des travailleurs et à résister aux ordres de leurs officiers supérieurs.
Lors du deuxième Congrès de l’Internationale Communiste – qui se tint durant les mois de juillet et août 1920 – les représentants du parti évoquèrent la révolution imminente. Le 10 septembre, la direction nationale du PSI annonça son intention d’ ‘‘assumer la responsabilité et la direction du mouvement afin de l’étendre au pays tout entier ainsi qu’à l’ensemble de la masse prolétarienne’’. (4) Sur papier, c’est un programme révolutionnaire, mais dont la concrétisation n’a jamais dépassé le stade de l’écrit. La direction nationale du PSI fut qualifiée de ‘‘centriste’’ par Lénine (soit des ‘‘révolutionnaire en paroles’’). En tout cas, la direction du PSI était incapable, ou insuffisamment motivée, de tirer des conclusions pratiques de sa phraséologie révolutionnaire.
Gramsci a expliqué que l’ensemble du PSI avait rejoint la troisième Internationale Communiste, mais sans vraiment comprendre ce qu’il faisait. Une grande partie du parti était encore dominée par les réformistes ou les ‘‘minimalistes’’ (qualifiés ainsi parce qu’ils adhéraient au ‘‘programme minimum’’ du parti, lequel se bornait à une logique de revendications démocratiques, tout en ignorant – ou en le concédant du bout des lèvres – le ‘‘programme maximum’’ de la révolution socialiste). L’existence même d’un programme ‘‘minimum’’ et ‘‘maximum’’ – sans aucun rapport entre eux – aide à comprendre pourquoi le PSI a réagi comme il l’a fait en septembre.
Dirigés par Turati et Treves, les minimalistes étaient essentiellement concernés par le travail visant à gagner du soutien électoral pour obtenir des postes au Parlement et dans les conseils locaux. Selon eux, les réformes concernant la classe ouvrière devaient être garanties par le Parlement plutôt que par la lutte des classes qui, quand elle avait lieu, devait se limiter aux créneaux économiques ‘‘sûrs’’, c’est-à-dire qui ne représentaient aucune menace pour le système capitaliste. La base principale était – sans surprise – réformiste dans le parti parlementaire ainsi que dans la CGL qui avait été mise en place par le PSI en 1906.
A côté des réformistes, et, pour la plupart, à la tête du parti, se trouvaient les ‘‘maximalistes’’ dirigés par Serrati. Ils défendirent le programme maximum de la révolution socialiste, mais à la mode typiquement centriste. La principale préoccupation de Serrati était de maintenir l’unité du parti à tout prix ‘‘pour la révolution’’, même si cela équivalait à faire des concessions aux minimalistes. Ainsi, lui et les autres dirigeants centristes ignorèrent-ils les conseils de Lénine qui prescrivaient l’expulsion des réformistes et prônait la constitution d’un parti unifié autour d’un programme communiste clairement défini. En plus de tout ceci, il fallait compter avec les communistes regroupés principalement autour d’Amadeo Bordiga, sans oublier les partisans de Gramsci…
Une autre caractéristique du centrisme est l’indécision. Pendant les ‘‘journées d’avril’’, la direction avait adopté une position passive, permettant au mouvement des conseils d’usine de se retrouver complètement isolé à Turin, et par conséquent vaincu. La confiance de l’aile ‘‘minimaliste’’ du parti se renforça et cela conduisit aussi à une augmentation du soutien à l’égard des anarchistes en réaction. L’immobilisme du PSI en avril constitua un avant-goût de ce qui allait arriver en septembre. Il n’était en aucune manière préparé à la tempête qui allait faire rage à travers le pays. Comme l’a expliqué Trotsky, l’organisation la plus effrayée et la plus paralysée par les événements de septembre a été le PSI lui-même. (5)
"L’organisation centrale du parti n’a pas jugé utile jusqu’à présent d’exprimer une seule opinion ou de lancer un seul slogan", écrit Gramsci, en août. (6) En fait, en dépit de sa base, le PSI ne disposait pas d’organisation réelle dans les usines. En 1918, le parti avait signé un ‘‘pacte d’alliance’’ avec la CGL, désignant deux sphères d’influence artificiellement séparées : le PSI se chargeait de mener les ‘‘grèves politiques’’ et la CGL ‘‘les grèves économiques’’. Naturellement, comme l’occupation de septembre l’avait clairement montré, il n’existait pas de distinction franche entre les deux : une grève qui débute sur une question économique (la ‘‘question des salaires’’, dans ce cas précis) devait rapidement revêtir un caractère plus général et, en tous les cas, un caractère politique.
Mais cette fausse stratégie signifiait que le parti ne se réservait qu’un rôle secondaire – dévolu ordinairement au spectateur voire à la ‘‘pom-pom girl de service’’ – plutôt que de s’approprier le rôle principal : à savoir celui d’un parti révolutionnaire capable de guider le mouvement vers la conquête du pouvoir ainsi que les bolcheviks l’avaient fait en Russie.
Le PSI pouvait bien imprimer des proclamations abstraites et des manifestes pro-soviétiques, concrètement, il ne faisait rien pour promouvoir ceux-ci parmi les travailleurs eux-mêmes, et permettait donc aux dirigeants syndicaux réformistes – qui mettaient toute leur énergie à faire échouer la révolution – de renforcer leur influence.
Cette approche propagandiste abstraite était également manifeste dans l’attitude du parti envers les paysans et les travailleurs agricoles. Dans son emphatique rhétorique révolutionnaire, il appelait en ces termes à soutenir les travailleurs des usines : ‘‘Si demain sonne l’heure des grèves décisives, celle de la bataille contre tous les patrons, vous, aussi, ralliez-vous ! Reprenez les villes, les terres, désarmez les carabiniers, formez vos bataillons dans l’unité avec les travailleurs, marchez sur les grandes villes, soyez du côté du peuple en armes contre les voyous mercenaires de la bourgeoisie ! Car le jour de la justice et de la liberté est proche, et la victoire peut-être à portée de la main… ! " (7) Mais l’influence du parti dans les zones rurales, en particulier au sud, restait minime.
Serrati considérait effectivement que les travailleurs étaient ‘‘socialistes’’ par essence et les paysans ‘‘catholiques’’, renonçant à toute tentative de recruter les masses rurales radicalisées du sud. Lors du deuxième Congrès de l’Internationale Communiste, Serrati rejeta la politique agraire de l’Internationale Communiste au motif que celle-ci était inappropriée par rapport à l’Italie. Un journaliste du ‘‘Corriere della Serar’’ a très bien résumé l’approche du PSI à cette époque en disant que ‘‘les dirigeants socialistes veulent attaquer le régime seulement avec des mots.’’ (8)
Quand une action concrète était nécessaire
Dès la deuxième semaine de septembre, les occupations se répandirent spontanément, mais de nombreux travailleurs urbains devenaient fatigués et impatients, attendant en vain quelqu’un capable de passer enfin de la parole à l’acte et de montrer l’exemple. La situation instaurée par le double pouvoir ne pouvait pas continuer indéfiniment : le temps de l’action décisive était venu.
Le 9 septembre, le conseil de direction de la CGL rencontra certains dirigeants du PSI. Lors de cette réunion, le chef de la CGL, D’Aragona, demanda de but en blanc aux socialistes de Turin : ‘‘êtes-vous prêts à passer à l’attaque, avec vous-même en première ligne, quand ‘‘attaquer’’ signifie très précisément démarrer un mouvement d’insurrection armée ?’’ Ce à quoi Togliatti (un futur leader du Parti Communiste Italien) répondit "Non". (9) Les travailleurs qui occupaient les usines étaient armés et, à Turin, un comité militaire avait même été organisé depuis le mois d’avril. Mais les travailleurs se retrouvaient pour la plupart dans des forteresses isolées, séparées les unes des autres et, comme Togliatti lui-même le soulignait alors, les préparatifs militaires qui s’organisaient étaient purement défensifs.
En Octobre 1917, en Russie, l’insurrection armée (la prise de contrôle des institutions-clés de l’Etat ainsi que des positions stratégiques, comme les télécommunications et les transports) avait été préparée à la manière d’une lutte pour la défense de la révolution contre les forces contre-révolutionnaires. Mais, comme l’expliquait Trotsky, l’insurrection de masse elle-même, "qui se tient au dessus d’une révolution comme un pic au-dessus d’une montagne d’événements’’, est un acte offensif qui peut être "prévu, préparé et organisé à l’avance sous la direction du parti. Une insurrection ne peut être spontanée et renverser un pouvoir ancien, mais la prise du pouvoir nécessite une organisation appropriée ; elle nécessite un plan’’. (10) La première tâche est de convaincre les troupes, ce que les bolcheviks avaient réussi à faire avant l’insurrection.
En septembre 1920, le PSI exprima par écrit – et dans un langage on ne peut plus radical – que l’heure de la ‘‘lutte décisive’’ était proche… mais il ne fit absolument rien pour préparer l’avènement de ce combat crucial. Il n’existait aucune coordination pour l’armement des travailleurs, pas d’approche concrète vers les rangs des forces armées pour qu’ils forment leurs propres comités démocratiques destinés à soutenir la révolution. Il n’existait que des déclarations éthérées et, naturellement, aucun plan pour la formation d’une alternative gouvernementale ouvrière.
Comme cela a déjà été mentionné, le 10 septembre, la direction nationale du PSI vota la prolongation du mouvement. Ce même soir, les dirigeants de la CGL qualifièrent de bluff cette décision de la direction du PSI. Lors d’une réunion commune des deux organisations, les dirigeants de la CGL démissionnèrent et D’Aragona offrit de remettre le contrôle du mouvement au parti : ‘‘Vous croyez que le moment de la révolution est arrivé ?’’, dit-il. ‘‘Très bien : dans ce cas, vous devez en assumer la responsabilité (…) Nous soumettons notre démission (…) Vous prenez la direction de l’ensemble du mouvement.’’ (11) Et que firent les dirigeants du PSI ? Tout comme dans ce jeu révolutionnaire tragique, tout entier résumé par l’expression ‘‘passer le colis’’, ils ‘‘passèrent’’ la question au Conseil national de la CGL !
Umberto Terracini (co-fondateur avec Gramsci et Angelo Tasca de l’Ordre Nouveau) devait déclarer ceci : "Quand les camarades qui menaient la CGL présentèrent leur démission, la direction du parti ne pouvait ni les remplacer, ni espérer les remplacer. C’était Dugoni, D’Aragona, Buozzi, qui dirigeaient la CGL. Ils furent, à tout moment, les représentants de la masse". (12) Et donc, les centristes, qui des heures plus tôt étaient censés se préparer à propager la révolution, étaient en réalité désemparés face à ce qu’il fallait faire par la suite. En l’absence de programme clair, et sans disposer d’aucune stratégie ni tactique, ils étaient voués à capituler inévitablement et à abandonner le contrôle total aux réformistes (qui, eux, avaient un plan) afin d’éviter la révolution à tout prix.
‘‘La direction du parti avait perdu des mois à prêcher la révolution’’, écrivait Tasca, ‘‘mais elle n’avait rien prévu, rien préparé. Quand le vote à Milan accorda la majorité aux thèses de la CGL, les leaders du parti poussèrent un soupir de soulagement. Dégagés désormais de toute responsabilité, ils pouvaient se plaindre – avec force trémolos dans la voix ! – de la trahison de la CGL. De cette manière, c’est un peu comme s’ils avaient quelque chose à offrir aux masses qu’ils avaient pourtant abandonnées au moment décisif, heureux dans cet épilogue qui leur permettait de sauver la face.’’ (13)
La résolution de la CGL, qui transforma une lutte révolutionnaire en une lutte purement syndicale, remporta le vote au Conseil national. Elle sollicita le contrôle syndical afin d’être reconnue et une commission mixte, composée d’employeurs et de représentants syndicaux, fut mise en place pour étudier la question. Lorsque la FIOM organisa un référendum pour voter l’accord final qui mettrait fin aux occupations, celui-ci fut massivement accepté, sans se heurter à aucune opposition émanant du cœur du syndicat lui-même.
La réaction capitaliste fut mitigée. Agnelli était tellement déprimé par toute cette affaire qu’il proposa de transformer Fiat en coopérative, non sans se dispenser de cette interrogation ironique : ‘‘comment pouvez-vous construire quelque chose avec 25.000 ennemis ?’’ (14) Mais les leaders syndicaux refusèrent son offre. Une partie des capitalistes, pourtant, s’insurgeaient contre la question du contrôle des travailleurs. Mais les ‘‘modérés’’ comprenaient bien qu’après presque un mois d’occupations, les travailleurs n’accepteraient rien de moins.
Comme le journaliste Einaudi l’exprima succinctement : ‘‘la raison et le sentiment conseillent aux industriels de céder le contrôle, de mettre fin à un état de choses qui ne saurait plus continuer sans échapper à la décomposition et à la désagrégation.’’
La Commission, en fait, n’a jamais émis une seule proposition et le contrôle des travailleurs fut enterré tandis que la crise économique étranglait l’Italie l’année suivante et que des dizaines de milliers de travailleurs perdaient leur emploi, y compris de nombreux militants (qui comptaient parmi les plus actifs à l’intérieur du mouvement d’occupations).
L’accord qui mit fin aux occupations ne fut pas initialement perçu comme une défaite par de nombreuses sections de travailleurs (et ne fut pas présenté comme tel par le syndicat et les dirigeants du PSI). Les acquis économiques – les hausses substantielles de salaire, les congés payés etc – constituaient d’impressionnantes victoires pour un combat syndical. Mais, naturellement, le mouvement avait le potentiel d’être beaucoup plus que cela et voulait beaucoup plus que cela. C’est seulement au cours des quelques mois suivants, alors que la crise économique commençait à sévir et que les bandes fascistes se mobilisaient contre les travailleurs, que la pleine mesure de la défaite atteignit les consciences.
Les communistes auraient-ils pu s’investir davantage dans leur manière de façonner l’événement ?
Le deuxième Congrès de l’Internationale Communiste, qui s’est en fait réuni alors que le mouvement était en marche, disposait d’informations très limitées sur ce qui se passait en Italie. Ce n’est que le 21 septembre, alors que les occupations étaient en voie de démobilisation, que l’Internationale publia un manifeste appelant à la formation de conseils d’ouvriers et de soldats, et à l’insurrection armée pour la conquête du pouvoir.
Gramsci n’était pas présent au Congrès, mais Lénine loua son texte sur le renouvellement du PSI, le considérant comme le meilleur qu’on lui ait été donné de lire sur la situation italienne. Pourtant, en septembre, Gramsci jouissait de peu d’influence au sein du parti de même que sur le mouvement lui-même. Le groupe ‘‘Ordine Nuovo’’, qui avait toujours été politiquement hétérogène, s’était désintégré pendant l’été et Gramsci se retrouvait désormais isolé.
En regardant en arrière, quelques temps plus tard, il se fit un devoir de revenir via l’écriture sur les erreurs graves qu’il avait commises et payées cher et en particulier sur l’échec qui mit fin à sa tentative de former – avec un soutien dans tout le pays – un courant organisé au sein du parti. Le groupe, en fait, ne développa jamais vraiment de racines à l’extérieur de Turin et quand le Parti Communiste Italien fut finalement formé en janvier 1921, les idées de Bordiga dominèrent largement celles de Gramsci.
Le groupe de Bordiga était un groupe national et beaucoup mieux organisé, mais politiquement d’ultra-gauche. Il fit campagne pour la formation d’un parti communiste ‘‘pur’’, rigide, et discipliné, et, dans une sur-réaction envers l’opportunisme électoral des réformistes du PSI, préconisa l’abstention (astensionismo), la non-participation du parti aux élections. Le fait qu’en septembre, le journal des Bordiguistes ‘‘Le Soviétique’’ n’ait pas publié un seul éditorial sur les occupations en dit long sur son approche abstraite et sectaire du marxisme (que Lénine attaqua par ailleurs dans son texte ‘‘Le gauchisme, maladie infantile du communisme’’).
Après les événements de septembre, Bordiga renonça officiellement à l’abstentionnisme et, avec Gramsci, soutint la construction d’un parti communiste de masse. Cependant, son ultra-gauchisme et son sectarisme – son opposition ‘‘de principe’’ à la tactique du front unique – ont continué d’imprégner le jeune Parti Communiste d’Italie, en particulier dans son attitude envers le PSI (qui avait le soutien de la majorité des délégués lors la scission du parti qui donna naissance au Parti Communiste) et envers les Arditi del Popolo – les milices populaires – mises en place pour lutter contre les fascistes.
A quelques semaines de la fin des occupations, les propriétaires fonciers lâchèrent les escadrons fascistes à Emilia. La révolution de septembre et le début de la grave crise économique avaient convaincu une partie de la classe capitaliste qu’elle ne pouvait pas continuer comme avant. Elle ne pouvait pas compter plus longtemps sur l’Etat capitaliste dans sa forme de l’époque et la résistance des travailleurs devait être impitoyablement brisée.
Avec une classe ouvrière affaiblie et démoralisée après la défaite du mouvement, les grandes entreprises et le capital financier commencèrent à financer les voyous fascistes qui, dans les deux ans qui précédèrent l’appel final au pouvoir de Mussolini en Octobre 1922, lancèrent une offensive brutale contre la classe ouvrière, impliquant des attaques violentes envers les organisations de travailleurs et l’assassinat de militants. Les travailleurs italiens eurent à payer au prix fort les fautes de leurs chefs au cours des ‘‘biennio rosso’’ (les deux années rouges) avec, en guise de récolte amère, une domination fasciste qui allait durer 20 ans.
Aujourd’hui, en Italie, après la transformation du Parti Communiste en un ‘‘Nouveau Parti Travailliste’’ de type capitaliste au début des années 1990 et après le déclin du parti de la refondation communiste (Rifondazione Comunista) qui s’ensuivit au cours de la dernière décennie, il n’y a pas de parti de masse de gauche. Mais bon nombre des caractéristiques politiques de la période 1919-1920 demeurent. Parmi celles-ci : la fausse division entre la lutte politique et syndicale, la prédominance de l’électoralisme sur la lutte de masse, la propagande abstraite et une incapacité à se connecter directement à la classe ouvrière.
Une compréhension de cette période critique de l’histoire italienne sera utile pour la nouvelle génération de combattants, non seulement en Italie mais également sur le plan international.
- Gwyn A Williams, Proletarian Order, Pluto Press,1975 p238
- Paolo Spriano, The Occupation of the Factories, Pluto Press, 1975 p72
- Paolo Spriano op cit p56
- Gwyn A Williams op cit p257
- Lev Trotsky, Scritti sull’Italia, Controcorrente, 1990 p29
- Paolo Spriano op cit p34
- Gwyn A Williams op cit p251
- Paolo Spriano op cit p93
- Gwyn A Williams op cit p256
- Leon Trotsky, History of the Russian Revolution, volume three, chapter six, The Art of Insurrection
- Paolo Spriano op cit p90
- Gwyn A Williams op cit p258
- Paolo Spriano op cit p93
- Gwyn A Williams op cit p267
- Paolo Spriano op cit p110
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Russie : “Poutine – Voleur !”
Un mois plus tôt, si quelqu’un avait émis l’idée que près de 100 000 personnes allaient envahir une place de Moscou en s’exclamant “Poutine – vor!” (“Poutine – voleur!”), cela aurait été accueilli avec un certain scepticisme (c’est le moins que l’on puisse dire) par la plupart des gens. Et cependant, la colère de la part d’une couche de plus en plus grande de la population face à la fraude électorale perpétrée par le régime lors des récentes élections parlementaires commence menace maintenant à menacer l’existence même du régime Poutine.
Rob Jones, Komitiet za rabochij internatsional (CIO Russie)
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Pour en savoir plus:- Russie : Nous sommes les 99% ! Il nous faut une démocratie réelle !
- Russie : Des milliers de personnes arrêtées après deux jours de manifestations de rue
- Les tempêtes de protestations qui font rage partout dans le monde ont atteint la Russie
- Appel aux soldats et aux agents du rang
Pour mieux comprendre le contexte
- Pour un boycott actif lors des élections à la douma d’État Position adoptée par le KRI avant les élections
- Discussion sur la situation actuelle et sur nos tâches politiques Thèses adoptées par le KRI en avril 2011
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Le régime a fait tout ce qu’il pouvait pour empêcher les gens de venir à la manifestation de samedi. Un peu plus tôt dans la semaine, les manifestations contre la fraude électorale à Moscou et à Saint-Pétersbourg avaient été brutalement réprimées. Plus d’un millier de gens ont été arrêtés et condamnés à jusqu’à 15 jours de prison. Les médias contrôlés par l’État – ce qui inclut presque l’ensemble des stations radios et des chaines de télévision – ont complètement ignoré les actions de protestation. Au fur et à mesure que se rapprochait la manifestation de samedi, le régime a commencé à utiliser des menaces et des tactiques d’intimidation contre les manifestants.
Le ministre de l’Intérieur à expliqué que, en ce qui le concernait, la seule différence entre une manifestation de 5000 personnes et une manifestation de 50 000 personnes était la quantité de flics et d’équipement à mobiliser. Tout au long de la semaine, on a entendu des rapports de troupes étant acheminées vers Moscou. Ceci était utilisé pour tenter d’effrayer les gens et de les empêcher de venir manifester. Vendredi passé, lorsqu’il était déjà clair que les actions allaient être massives, il a été tout à coup annoncé que les lycéens allaient devoir aller à l’école samedi – et jusqu’à huit heures du soir ! Le même jour, le docteur à la tête du département national de lutte contre les maladies infectieuses a déclaré que les gens ne devraient pas aller manifester parce que cela risquerait de déclencher une épidémie de grippe !
Mais rien de tout cela n’a fonctionné. Le processus qui s’est enclenché il y a un mois, lorsque le premier ministre Poutine s’est fait huer par la masse des spectateurs dans un stade sportif, a maintenant fait boule de neige et s’est transformé en un mouvement d’opposition de masse. Samedi passé, la place du Marais (Bolotnaïa ploschad) débordait de manifestants. Cette place se trouve juste en bas du Kremlin, entre la rivière Moskova et le canal de dérivation. Les gens se pressaient même dans les rues avoisinantes. Il y avait tellement de gens sur le pont Loujkov (ou “pont des amoureux”, où la tradition veut que les jeunes couples aillent accrocher un cadenas pour célébrer leur mariage) qu’à un moment, la police a averti d’un risque d’effondrement si la foule ne le quittait pas. Il a été annoncé du haut de la tribune que même la police estimait à un moment que se trouvaient plus de 100 000 manifestants sur la place. Ce chiffre est probablement proche de la réalité. Une fois sur la place, les manifestants ont été obligés d’y rester pendant 4 heures, puisqu’il était quasi impossible de bouger.
Partout à travers la Russie des actions similaires ont vu le jour. Jusqu’à 10 000 personnes ont manifesté à Saint-Pétersbourg, et d’importantes manifestations de centaines et bien souvent de milliers de gens se sont produites dans plus de 100 villes. Malgré la température de -15°C, 4000 personnes étaient présentes à l’action à Novossibirsk, la capitale de la Sibérie. Des centaines de personnes ont également participé à des manifestations devant les ambassades de Russie un peu partout dans le monde.
“Poutine et Medvedev – dégagez!”
Les manifestants étaient surtout là pour protester contre la fraude éhontée des élections parlementaires. Lorsque les foules criaient “Poutine – voleur!” c’était en référence aux voix qu’il a volées. Les partisans des petits partis qui se sont vus empêchés de participer aux élections brandissaient les drapeaux de leur parti devant la foule, mais aucune des banderoles ne présentait la moindre revendication. Les revendications sont en général venues de la base. Lorsque le premier orateur sur la tribune a appelé à un recompte des voix, la foule a commencé à crier “Nouvelles élections !” Il faut également souligner que les trois partis d’“opposition” officielle étaient fort peu présents ; ils ont d’ailleurs tous exprimé depuis leur satisfaction quant au nombre de voix qu’ils ont reçues.
Quelques membres du Parti “communiste” étaient présents avec une bannière qui disait “Comité des secrétaires locaux du Parti communiste”. Les manifestants quant à eux criaient “Poutine doljen ouïti!”, “Medvedev doljen ouïti!”, “Tchourov doljen ouïti!” (Poutine, Medvedev, Tchourov, dégagez ! ; Tchourov étant le chef de la Commission électorale).
Le Parti communiste est officiellement arrivé second aux élections, doublant son nombre de voix précédentes. Mais le PC n’est pas un parti de gauche qui remet sérieusement en question le règne des oligarques. Il devient de plus en plus un parti nationaliste de droite qui utilise quelques revendications populistes pour gagner un soutien.
Les participants sont venus à la manifestation de samedi avec leurs pancartes maison, aux slogans souvent cyniques et humoristiques. Une pancarte disait : « Selon un sondage, 146% des Moscovites pensent que l’élection était truquée » (en référence aux résultats officiels obtenus à Rostov-sur-le-Don, qui additionnés tous ensemble donnaient un résultat de 146% !). Une autre pancarte disait : « Je ne crois pas en Russie unie – je crois en Gauss » (du nom du célèbre statisticien dont la méthode, appliquée aux résultats des élections, démontre clairement la fraude massive). Le slogan le plus populaire restait cependant “Doloï joulikov i vorov!” – “À bas les escrocs et les bandits!” comme est désormais surnommé “Russie unie”, le parti de Poutine.
Les orateurs à la tribune ce samedi étaient censés être des représentants de toute l’opposition politique. Cependant, sur 20 orateurs, 15 provenaient de partis de l’opposition néolibérale, qui, si l’élection avait été organisée correctement, n’auraient tous ensemble probablement pas remporté plus de 10% des voix. Les deux représentants de la “Gauche” qui ont eu droit à la parole (dont est député à la Douma pour le parti pro-Kremlin “Juste Russie”), n’ont fait que répéter des abstractions d’ordre général.
L’ironie a voulu que ce soit la néolibérale Ella Panfilova, une ancienne ministre et militante des droits de l’Homme, qui a été la seule personne à traiter Poutine de voleur pas seulement pour le vol des voix, mais également pour ses attaques sur les salaires et sur le budget de la santé et de l’éducation. Elle a reçu une réponse très chaleureuse de la part de la foule. À chaque fois qu’un des députés néolibéraux de la Douma venait prendre la parole – y compris un des députés du PC –, la foule s’exclamait : « Remets ton mandat ! », noyant souvent l’orateur sous cet appel. Cela indique la défiance et le cynisme qui existe envers l’ensemble des partis. Cela se reflétait d’ailleurs sur une des banderoles qui disait : « Je n’ai pas voté pour ces fripouilles-ci – j’ai voté pour les autres fripouilles ! J’exige qu’on recompte les voix ! »
L’humeur générale au cours de la manifestation de Moscou était un scepticisme affiché envers tous les politiciens, bien qu’il n’y avait pas une tendance politique claire exprimée par les manifestants à part le soutien aux droits démocratiques de base. Lorsque Kassianov, un ancien premier ministre de Poutine (2000–2004), est venu parler, cela a provoqué une vague de mécontentement parmi la foule. La tribune a non seulement justifié le fait qu’il fallait bien collaborer avec l’extrême-droite, mais a même invité un des organisateurs de la “Marche des Russes”, la manifestation de l’extrême-droite du 4 novembre, à venir parler à la tribune. Celui-ci a appelé à une “révolution des Russes”, et à des élections “pour les Russes”. Il ne reçut qu’une réponse plutôt froide de la part de la foule, qui a commencé à scander “Pas de révolution ! Pas de révolution!” en réponse à sa démagogie d’extrême-droite. Cela a mené le président de la tribune à, une fois de plus, expliquer “la nécessité de travailler main dans la main avec la Marche des Russes”, dont il a fait remarquer que “de nombreux participants étaient présents avec nous aujourd’hui”.
L’extrême-droite
Les membres de l’extrême-droite présents lors de la manifestation ne se sont pas montrés aussi tolérants. Considérant la nature homophobe d’une grande partie de la société russe, un groupe de militants LGBT ont courageusement déployé leurs propres pancartes et drapeaux arc-en-ciel. Ils se tenaient non loin du bloc du KRI (Komitiet za rabotchi internatsional, section russe du CIO), vu que le KRI est la seule organisation en Russie qui défend ouvertement la cause LGBT.
À plusieurs reprises au cours de la manifestation, des voyous d’extrême-droite ont attaqué le contingent LGBT, tentant d’arracher leurs pancartes et de s’emparer de leur drapeau. Les membres du KRI et les militants LGBT ont dû former un cordon de sécurité autour des militants afin de faire cesser ces attaques. Lorsqu’un autre de ces voyous, tentant une nouvelle provocation, a été repoussé par notre cordon, il a été saisi par la foule qui l’a retenu et emporté plus loin.
Malheureusement, les manifestants qui ont pris part à la formidable démonstration de colère contre le régime de ce samedi ont fini par être renvoyés chez eux sans qu’aucune proposition ne soit donné quant à la manière de développer le mouvement.
La tribune a annoncé qu’il y aurait une autre manifestation (encore plus grande) dans deux semaines, le 24 décembre. Bien que le Noël orthodoxe soit décalé de deux semaines par rapport au Noël catholique/protestant, le 24 décembre reste tout de même quelques jours avant le début des congés de Nouvel An. D’ici là, la tribune a annoncé qu’il y aurait d’autres actions – organisées essentiellement par les divers petits partis néolibéraux – et une fois de plus, de la manière la plus scandaleuse qui soit, les orateurs ont mentionné une manifestation d’extrême-droite le lendemain dans le centre de Moscou comme faisant partie du “mouvement global”.
Il est clair que les orateurs de la tribune espéraient qu’avant d’organiser une nouvelle manifestation générale, ils pourraient capitaliser sur l’humeur qui existe en ce moment dans la société pour faire venir des gens à leurs propres événements de parti. Il semble également qu’ils espèrent pouvoir forcer quelques concessions de la part du régime d’ici les élections présidentielles de mars 2012, que Poutine compte bien gagner. Mais lorsque les orateurs ont tenté de formuler cette position, la foule des manifestants s’est écriée : « Nouvel An sans Poutine ! »
Plusieurs dizaines de militants du KRI ont participé aux manifestations à Moscou. Nous portions des bannières avec des slogans appelant à de nouvelles élections démocratiques, à la démission de la Commission électorale, et à ce que les prochaines élections se déroulent sous le contrôle de comités élus de travailleurs et de résidents de chaque arrondissement. Nos slogans comprenaient aussi un appel à la mise sur pied d’un parti ouvrier afin de représenter les intérêts de la vaste majorité dans la société, offrant une alternative socialiste.
Presque aucun parti ni organisation présente à la démonstration ne distribuait de tracts (à l’exception de l’extrême-droite) ni ne vendait de journaux, sauf le KRI, qui a distribué des milliers de tracts et vendu tous ses journaux. Au cours des actions, nous avons aussi organisé une retransmission en direct des événements dans toute la Russie sur notre site internet. Ces rapports ont été lus par des dizaines de milliers de personnes.
L’élite au pouvoir panse ses blessures
Après les actions de masse du week-end dernier, l’élite dirigeante en Russie est en train de panser ses blessures. Malgré sa rhétorique enflammée et les menaces proférées à l’encontre des manifestants, la police a été remarquablement paisible ce week-end, surtout étant donné les habitudes de l’État russe. Officiellement, à peine 100 personnes ont été arrêtées samedi passé dans toute la Russie, essentiellement en Extrême-Orient. Aucune arrestation n’a eu lieu à Moscou.
Le régime a sans doute estimé qu’au cas où il ferait recours à une répression brutale et généralisée, cela ne ferait que faire exploser le mouvement des rues, qui aurait ainsi risqué d’échapper à tout contrôle. Il semble à présent qu’il ait décidé de se baser sur les dirigeants de l’opposition néolibérale pour dégonfler le mouvement et semer la confusion parmi les masses. Tentant lui aussi de calmer la colère populaire croissante par rapport au trucage des élections, le président Medvedev a annoncé le 11 décembre qu’une “enquête” allait être menée autour des accusations de fraude électorale. Seuls les événements des quelques prochains jours et semaines montreront si les manœuvres du régime s’avéreront efficaces ou pas.
Pour que les manifestations puissent se développer, il faut que les manifestants (principalement jeunes, urbains, et de classe moyenne) s’associent à la classe ouvrière large et aux pauvres sur les lieux de travail, dans les quartiers et partout ailleurs. Les travailleurs sont dégoutés de la fraude électorale éhontée, et sont de plus confrontés à la hausse du cout de la vie et à la baisse du cadre de vie global. La classe ouvrière organisée est cruciale pour susciter l’avènement d’une véritable politique et d’une transformation sociale. Elle est la force potentiellement la plus puissante pour le changement, utilisant ses méthodes de lutte de masse telles que l’action industrielle et la grève générale.
La construction d’un mouvement de masse afin de véritablement remettre en question le régime Poutine requiert une lutte pour une alternative politique aux partis des oligarques, ainsi qu’aux partis nationalistes et populistes, et aux “dirigeants de l’opposition” auto-proclamés des partis pro-marché (néo)libéraux. Le KRI se bat pour la création d’un parti ouvrier de masse capable de lutter pour le renversement des oligarques et du capitalisme, et pour la réorganisation socialiste et démocratique de la société afin de mettre un terme à la crise actuelle et de transformer les conditions de vie de la majorité.
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Russie : pour un boycott actif lors des élections à la douma d’État
Hier, des dizaines de milliers de Russes sont descendus dans les rues contre le résultat des élections législatives du 4 décembre. Nous publions ci-dessous un texte de nos camarades russes datant d’avant ces élections, et qui expliquait leur position.
Déclaration du KRI (Komitiet za rabotchi internatsional, CIO-Russie)
Les perspectives marxistes s’avèrent très souvent fondées, parce qu’elles découlent de l’analyse du mouvement des principales forces sociales. Après les élections de 2007, nous avions averti du fait que, dans les conditions d’une possible récession mondiale qui devenait alors de plus en plus proche, et d’une contraction de l’économie russe “des matières premières”, la croissance des années précédentes serait rapidement neutralisée :
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Pour en savoir plus:- Russie : Nous sommes les 99% ! Il nous faut une démocratie réelle !
- Russie : Des milliers de personnes arrêtées après deux jours de manifestations de rue
- Les tempêtes de protestations qui font rage partout dans le monde ont atteint la Russie
- Appel aux soldats et aux agents du rang
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”Si le prix du pétrole venait à baisser sur le marché mondial, ou si on lui trouvait un remplaçant satisfaisant, ou si tout à coup le prix de l’ensemble des marchandises hormis le pétrole venait à augmenter – tout basculerait, comme une table en équilibre sur une seule jambe. La moindre mauvaise pente suffirait pour que “coule” le budget social, emportant avec lui la stabilité tant vantée. L’ampleur du trou qu’il faudra alors raccommoder d’urgence s’avérera plus grande que la quantité d’argent épargné. Exactement dans une telle situation, Russie unie ou Poutine n’auront d’autre choix que de couper la part sociale du budget et de prendre des décisions impopulaires… Dans un contexte de perte d’espérance, de désenchantement de masse et de grèves croissantes, s’effondrera à la fois l’éternelle stabilité et le régime politique actuel. Les premiers seront les derniers, et ceux qui hier étaient par tous glorifiés, se retrouveront maudits.”
Le futur est là
Ces perspectives se sont réalisées étonnamment vite. Qui votait naguère pour Poutine et pour YR (Yédinaïa Rossiya – “Russie unie”), celui-là votait pour l’“ordre” et la stabilité. La stabilité s’est muée en crise économique, en compression des salaires et en chômage, tandis que l’ordre a fait place à la corruption totale et à la décomposition de la “verticale du pouvoir”, y compris en ce qui concerne les composantes judiciaire et de maintien de l’ordre. Dans ces conditions de crise et de “post-crise”, le ”parti de la stabilité” s’est transformé en un “parti des escrocs et des voleurs”. La lutte contre les oligarques, dont on a fait tant de bruit dans les médias, a remporté tant de succès que le nombre de milliardaires en dollars a, selon le magasine Forbes, triplé en 2009. Leur fortune commune s’est accrue d’une fois et demi.
Même si la conscience de masse reste d’humeur conservatrice, des changements explosifs couvent en elle, de manière prolongée et douloureuse. Selon les sondages, plus de 40% considèrent YR comme étant le parti des oligarques, des banquiers, des grands entrepreneurs, du “corps patronal” et des flics ; 55% estiment que les gens au pouvoir ne sont préoccupés que par leur propre prospérité matérielle et carrière. Au même moment 49% se disent prêts à remettre leur voix à YR comme auparavant. Les pertes de YR depuis les dernières élections s’élèvent à 15%, mais l’influence du pseudo-parti de base est toujours beaucoup plus forte que celle de ses opposants. Ce n’est pas par hasard.
Les conviés et les élus
“Démocratie dirigée”, tel est le crédo du bonapartisme russe : un pouvoir exécutif pratiquement hors de contrôle, entouré de fioritures démocratiques. Le système électoral existe dans des conditions de droit électoral passif fortement raccourci, c’est-à-dire le droit d’être élu. La douma est composée selon les listes des différents partis, mais les chances de pouvoir constituer et de présenter aux élections un nouveau parti sans être sanctionné par le pouvoir exécutif sont pratiquement nulles. C’est pourquoi toute l’intrigue électorale a été condamnée à se développer autour des quatre habitués de la douma de ces dernières années : Yédinaïa Rossiya (YR, “Russie unie”, le parti de Poutine), Spravédlivaïa Rossiya (SR, “Juste Russie”), le “Kommounistitcheskaïa Partiya Rossiyskoï Fédératsii” (KPRF, le parti “communiste” nostalgique du stalinisme et de pseudo-gauche réformiste), et le “Libéralnaïa démokratitcheskaïa partiya Rossii” (LDPR, parti “libéral-démocrate” de Russie).
YR et SR sont tels deux jumeaux se haïssant très sincèrement depuis leur plus tendre enfance. Les recettes de la construction de ces parti sont identiques : quelques généraux, quelques bureaucrates, quelques businessmen, quelques artistes. À leurs bases se trouvent les différentes parties de l’appareil d’État. La seule et unique différence, c’est que les membres de SR sont plus pauvres et plus modestes. On y retrouve même plusieurs anciennes personnalités de gauche, ce qui lui permet de se donner un air ”social-démocrate”. Aux yeux de YR, les opposants de SR représentent une organisation de loosers de semi-gauche qui ne parviennent pas à se trouver une place parmi les postes prestigieux et lucratifs de la verticale autoritaire et qui, pour cette raison, ont depuis longtemps déjà été destinés au rôle de “tête à claques” du pouvoir.
À cela s’ajoute également la peur que, d’une manière ou d’une autre, l’énergie de protestation qui s’est accumulée parmi le peuple ne se découvre soudainement une issue légale via les structures de SR et n’en vienne ainsi à diviser, de cette manière, toute la verticale de pouvoir tant vantée. C’est précisément pour cela que la jambe droite hypertrophiée du pouvoir pousse du pied et écrase avec un tel acharnement sa jambe gauche. Et peu importe que son leader, Sergueï Mironov, soit démis de ses fonctions de président du Conseil de la Fédération, s’autoproclame “opposant radical” social-démocrate défendant la nationalisation, ou que SR rejoigne l’Internationale socialiste. Son essence reste la même.
Contrairement aux travaillistes et aux sociaux-démocrates européens (des ex-partis ouvriers dégénérés qui ont perdu la confiance de la classe ouvrière), SR n’est pas un parti ouvrier et ne l’a jamais été. Ses racines ne se trouvent pas dans la Seconde Internationale, mais bien dans l’administration du Président de la FR (Fédération de Russie) et Mironov, malgré tous ses efforts pour se réclamer de cette parenté, ne peut rien changer à cela.
Le mot d’ordre de la nationalisation fait traditionnellement partie de l’arsenal du KPRF – qui en ce moment est assez populaire en ce qui concerne la chasse aux voix. Mais qu’est-ce au juste que la nationalisation selon Zyouganov (leader du KPRF), si l’on en juge par les documents officiels du KPRF ? Après les phrases rituelles sur la nationalisation, voici qu’apparait la traditionnelle revendication d’un “gouvernement de la confiance populaire” composé de ”talentueux organisateurs de la production, d’éminents savants, de personnalités culturelles et de protecteurs de l’ordre” (extrait du plénum collectif du Comité central).
Dans ses déclarations, le président du Comité central du KPRF, G. Zyouganov, se réjouit du rattachement au “mouvement patriotique” des petits et moyens entrepreneurs, et déclare son soutien à ”cette nouvelle génération de gens, qui prospèrent dans l’économie de marché, mais qui restent conscients des énormes avantages qu’apporterait une économie planifiée”, tout en louant les résultats des “camarades” chinois, vietnamiens et cubains, de véritables ”créateurs, qui utilisent habilement les possibilités qu’offre le marché”.
Son idéal est clair : une production organisée par des entrepreneurs “patriotes”, avec l’aide de la main dure des “défenseurs de l’ordre”, sous la guidance des bureaucrates du KPRF, menant tous ensemble les sots travailleurs vers l’exploitation à la chinoise. Et tout cela sous l’étiquette du “Nouveau modèle de socialisme”. Nous tiendrons compte également de la situation interne au sein même du KPRF : les sommets du parti commencent à jouer de manière active avec l’idée des nationalisations d’ultra-droite, et négocient déjà entre eux de manière pratiquement ouverte des futurs postes à la GosDouma (douma d’État), mais les ailes gauche et droite intriguent de manière active et se sabotent l’une l’autre. Pas difficile de pronostiquer plus qu’un maigre résultat aux élections…
Et pour cette fois chez les dirigeants de groupement s’est trouvé tout préparé le “joker” idéal. “Russie unie” et le “Front populaire” (le nouveau parti de Poutine) ne vous plaisent pas ? Tenez, nous organisons pour vous Prokhorov et sa “Juste Cause”. Et quand avec lui apparaissent à l’horizon la semaine de 60 heures de travail et autres charmes ultra-néolibéraux, alors même Poutine avec ses fidèles laquais Issaïev et Chmakov ont tout d’un coup un air de gauche, sans parler de SR et du KPRF. Le parti de cet oligarque scandaleux qu’est Prokhorov a été appelé à jouer le rôle d’avant-garde de la bourgeoisie, convié à exprimer tous les appétits de sa faction non liée à l’exportation des ressources, poussés jusqu’à des limites extrêmes, et au même moment – à ainsi effrayer les masses larges : on peut alors aisément faire passer l’offensive sur les droits des travailleurs comme étant une forme plus “douce”, en tant que contrepoids aux revendications de Prokhorov.
Contre la farce organisée – boycott organisé !
D’habitude, nous n’appelons pas au boycott des élections mais, dans la situation politique actuelle en Russie, il faut bien faire une exception. Non pas parce que nous sommes contre les partis “en général” – selon notre opinion, la classe ouvrière ne peut parvenir à quoi que ce soit qu’une fois organisée en parti – mais tout simplement parce qu’absolument aucun des partis existant à présent ne reflète les intérêts des travailleurs et des couches sociales qui leur sont proches. Puisqu’on nous refuse la possibilité de porter à la douma des candidats ouvriers, capables de défendre une position de classe indépendante, seule reste celle d’exprimer au gouvernement bonapartiste une méfiance organisée, en votant “contre tous”.
Appeler à voter “pour n’importe quel parti hormis YR”, cela signifie reconnaitre en ces autres partis une différence politique radicale. Mais est-ce vraiment le cas ?
Nous avons vu quelle position ces partis ont prises lors de la crise. Et maintenant, tandis qu’approche la “deuxième récession” ou en tout cas une stagnation prolongée, pas un des opposants en titre n’a le moindre désir de mobiliser des partisans en masse contre les nouvelles pertes d’emploi et de salaire, ou contre les coupes budgétaires. Ils se sont dans les faits soumis à des mesures semblables dans le passé – et c’est ce qu’ils vont faire à nouveau, en se couvrant des voix qu’ils auront reçues lors des élections.
À eux tous le travail s’avérera difficile pour forcer la baisse du niveau de vie des travailleurs jusqu’à des valeurs “compétitives”. Quelques-uns (YR, LDPR – et Juste Cause, si cette dernière entre à la douma) vont couper les dépenses budgétaires, les salaires et les emplois, tandis que les autres (en grande partie le KPRF, en moindre partie SR) – se contenteront de les critiquer, tout en dispersant et en “purgeant” les mouvements de protestation. Voter pour eux, cela revient à donner carte blanche à un nouveau pillage des travailleurs, c’est-à-dire de vous et nous, de la majorité absolue. Cela revient à accorder un crédit de confiance à l’ensemble de ce système bonapartiste, à accorder une confiance dans la politique du gouvernement.
En effet, il ne reste sur le champ politique plus que des partis soit fondés par des politechnologues du Kremlin, soit existant sur base de leur assentiment. À présent, les travailleurs, les chômeurs et les jeunes ont plus que jamais, et de manière pressante, besoin de leur propre parti politique, qui doit naitre non pas dans les hautes sphères, mais dans les usines, dans les rues et dans les logements étudiants.
Se contenter d’ignorer les élections de manière passive – c’est insuffisant : il faut un boycott actif ! Aller aux urnes pour déchirer nos bulletins de vote, mais tout en organisant en même temps la lutte contre les plans de la douma capitaliste : contre l’attaque sur le niveau de vie de la majorité, contre les coupes du budget social, contre la commercialisation de l’enseignement et de la médecine ! Il est temps de dire à ce gouvernement : « Nos besoins et nos attentes ne se retrouvent pas dans vos bulletins de votes ».
Il nous faut un autre gouvernement – un gouvernement des travailleurs eux-mêmes qui, sur base d’une participation active et d’un soutien de la majorité, pourra conduire à la transformation socialiste – mettre un terme à la crise économique grâce à la collectivisation de l’industrie et des banques, fournir à tous une médecine et un enseignement gratuits et de qualité – et garantir à tous les droits et les libertés démocratiques qui nous sont ôtés aujourd’hui.
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Russie : Nous sommes les 99% ! Il nous faut une démocratie réelle !
Comme prévu, les élections se sont réduites à une simple farce. Le parti des voleurs et des escrocs, grâce aux pressions administratives et à la fraude directe, s’est inventé un soutien de 49%. Ce sont les mêmes méthodes que la classe dirigeante se prépare à employer en mars pour à nouveau nous faire embarquer dans la galère du Bonaparte Poutine. Voilà leur “démocratie” !
Article du Komitiet za rabotchi internatsional (CIO-Moscou)
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Pour en savoir plus:- Russie : Des milliers de personnes arrêtées après deux jours de manifestations de rue
- Appel aux soldats et aux agents du rang
- Les tempêtes de protestations qui font rage partout dans le monde ont atteint la Russie
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Il nous manque notre propre parti – l’opposition au parlement est liée à Poutine et à Medvédev, et n’est invitée que pour donner à la farce une apparence d’“élections libres”. Aucune force au parlement ne représente nos intérêts – tous ceux-là : YéR, LDPR, SR, KPRF (1) – ne sont des bavards, des clowns, des pantins du capital ; ils ne sont prêts ni en parole, ni en actes, à lutter contre la violence policière, contre la baisse du niveau de vie, contre la crise, contre le régime qui montre de plus en plus son rictus dictatorial. Il leur faut des postes confortables et l’argent de l’État qu’ils reçoivent pour chacune de nos voix. C’est pourquoi ils pleurnichent contre la falsification, mais craignent d’intervenir contre les falsificateurs, de se trouver sur la route de Poutine et de Medvedev avec toute leur “verticale du pouvoir”.
Il nous faut prendre notre destin en nos mains propres. Pour l’année prochaine, la classe dirigeante a déjà diminué à hauteur d’une fois et demi le budget social, tandis que les dépenses pour l’armée et la police augmenteront de deux fois. Ils veulent nous gaver de balles en résines et de matraques.
Il faut faire dégager ce gouvernement qui démolit le niveau de vie de la majorité !
Nous ne devons pas accepter sans rien dire les résultats des élections qui nous été fournies par les commissions électorales, mises en place par le pouvoir exécutif pour le seul bon plaisir du parti des escrocs et des voleurs.
Il nous faut notre propre force politique. Il nous faut un autre gouvernement, qui exprimera et défendra les intérêts de la majorité, et non pas ceux de la clique de banquiers et de grands propriétaires. Il nous faut un gouvernement des 99%.
Nous appelons à descendre dans les rues. Nous appelons à la désobéissance civile !
Joins-toi à notre lutte, soutiens nos revendications :
- Halte à la violence policière ! Pour une réelle liberté de réunion, de meeting, de manifestation, de grèves sans notification ni validation !
- Destitution de toutes les commissions électorales ! La Commission électorale centrale : à la retraite !
- Pour la création de comités d’arrondissement, de ville et fédéraux de travailleurs et de pauvres pour l’organisation d’élections démocratiques !
- Halte au financement des partis politiques à partir du budget d’État !
- Liberté pour tous les partis – excepté l’extrême-droite. Pour la fin des restrictions à la création d’organisations politiques, sociales, syndicales et à leur participation aux élections !
- Électivité à tous les niveaux de pouvoir !
- Aucune confiance en les résultats des élections ! Pour la destitution du gouvernement, et de nouvelles élections immédiates !
- Pour la convocation d’une assemblée constituante de toutes les couches des travailleurs, dans laquelle la classe ouvrière et ses alliés – l’écrasante majorité de la société – pourront eux-mêmes décider quelles structures de gouvernement semblent les meilleures pour la défense de leurs intérêts.
- Pour la création d’un parti des 99% afin de lutter pour une société démocratique socialiste, qui mette un terme à la crise économique et relève le niveau de vie de la majorité.
(1) Yédinaïa Rossiya (Russie unie, le parti de Poutine), Spravédlivaïa Rossiya (Juste Russie, les “sociaux-démocrates”), le Libéralno-démokratitcheskaïa partiya Rossii (Parti libéral-démocratique de Russie, droite populiste), et le Kommounistitcheskaïa partiya Rossiïskoï Fédératsia (Parti “communiste” de la Fédération de Russie)