Tag: Marxisme

  • 3 Ateliers – MARX avait Raison en visioconférence

    3 ateliers de formation et de discussion marxiste en vidéoconférence (sur ZOOM) organisée par le PSL-LSP Bruxelles et les Étudiants de Gauche Actifs – EGA.

    PROGRAMME ?

    – Mercredi 22 avril 18:30 // L’Amérique Latine et le Chili face au Covid-19 et au néolibéralisme, avec Pablo Nyns (PSL) et Célia Ponce (ROSA)

    – Dimanche 3 Mai 20:00 // L’Afrique Subsaharienne en proie au Covid-19 et l’impérialisme, avec Olivier Ekobo (GREMA) et Alain Mandiki (PSL)

    – Jeudi 7 Mai 19:30 // Retour sur les années rouge en Italie (1919-1920) et la montée du fascisme, avec Guy Van Sinoy (militant FGTB) et Pietro Tosi (PSL)

    Les liens ZOOM seront postés sur l’événement mais aussi envoyé par messenger ou par mail sur demande.

    Nous vous invitons également à participer à

  • Marx avait raison: des idées pour changer le monde (en ligne)

    Ce samedi 25 avril, à partir de 13h30

    La section de Liège du Parti Socialiste de Lutte (PSL) et les Étudiants de Gauche Actifs (EGA) vous invitent à une après-midi de formation et de discussion marxiste via vidéoconférence (sur ZOOM).

    13:30 – Bienvenue sur le stream :ouverture de la session sur ZOOM . – l’url sera posté sur l’événement facebook mais aussi envoyé par messenger ou par mail sur demande.

    14:00 – Le covid-19, une question de classe

    15:00 – Choix entre trois ateliers (15:05-16:50):

    -L’apport du marxisme à l’écologie

    -Une approche féministe socialiste de la crise du covid-19.

    -La Tunisie face au covid-19

    17:00 – Ce n’est pas à nous de payer la facture: la riposte se prépare dès aujourd’hui !

  • Bruxelles. Journée “Marx avait raison !”

    14 mars 2020, 14 h

    Le Parti Socialiste de Lutte et les Etudiants de Gauche Actifs vous invitent à une journée de formation et de discussion à Bruxelles, au Pianofabriek
    (Salles Casablanca I&II), 35 rue du fort à Saint-Gilles.

    – 14h – Accueil

    – 14h30 – Meeting ‘Marx avait Raison’ – La crise du capitalisme, avec Julien (PSL) / Marxisme et Ecologie, avec Ophélie(EGA) / L’origine de l’oppression des femmes, avec Brune (Campagne ROSA)

    – 16h – Ateliers

    • Retour sur les années rouges en Italie (1919-1920) et la montée du fascisme, avec Guy Van Sinoy, militant FGTB et Pietro, PSL
    • L’Afrique Sub-Saharienne en proie à l’impérialisme, avec Olivier Ekobo, GREMA et Alain Mandiki, PSL
    • Le Chili en révolte: la question de l’assemblée constituante, avec Pablo, PSL et Célia, Campagne ROSA

    Repas à prix démocratique

    – 20h – Meeting “Le PSL, un parti pour changer de société’: La crise politique en Belgique et la défense de la sécurité sociale (Anja Deschoemacker, porte-parole de Gauches Communes) / La lutte pour les 14€/h et la grève du 9 mars à l’université de Gand (Tim Joosen, délégué CGSP- ACOD UGent) / Pas de socialisme sans libération des femmes (Marisa Cabal, responsable de la Campagne ROSA à Bruxelles) / Le PTB et le PSL, divergences et convergences (Boris Malarme, président du PSL – Bruxelles).

  • Changer le monde. Le rôle du parti révolutionnaire

    Action spontanée et parti révolutionnaire

    Il y a plus de 150 ans, Karl Marx et Frederick Engels ont expliqué la nécessité de renverser le capitalisme et de construire une nouvelle société, le socialisme.

    Mais comment le capitalisme doit-il être renversé et comment la transformation vers la socialisme peut-elle être faite ? Le débat autour de ces questions a suscité des réponses en tous genres au cours de ces 150 ans. Parmi toutes celles-ci, Lénine et ses camarades en Russie ont fourni la meilleure réponse au début du 20e siècle. Le parti bolchevik qu’ils ont construit a conduit les travailleurs russes au renversement de l’Etat tsariste et à la construction d’un Etat ouvrier basé sur une économie planifiée.

    Cependant, depuis lors – bien que le capitalisme a provoqué un niveau croissant de souffrance, de pauvreté et de dégradation écologique sur la planète et malgré des luttes gigantesques dans beaucoup de pays – un renversement du capitalisme conduisant à un Etat ouvrier démocratique ne s’est plus reproduit nulle part.

    Léon Trotsky, un des dirigeants de la révolution russe de 1917, en a synthétisé la raison en 1938 lorsqu’il écrivit dans le Programme de Transition, écrit pour le congrès de fondation de la Quatrième Internationale : « La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire ». Ces mots restent aussi vrais aujourd’hui qu’ils l’étaient alors. La discussion sur la nécessité d’un parti révolutionnaire et sur ses formes d’organisation est très importante aujourd’hui, tout particulièrement parce que beaucoup de jeunes se considèrent eux-mêmes comme « anticapitalistes » et se montrent intéressés par les idées socialistes mais sont très méfiants envers les partis politiques. Cela n’a rien de surprenant, étant donné les méthodes bureaucratiques et antidémocratiques utilisées par les principaux partis politiques capitalistes et les attaques qu’ils mènent contre les conditions de vie de la population quand ils sont au pouvoir. Les jeunes peuvent aussi être méfiants face à l’idée même d’une organisation avec des organes de direction, que ce soit à cause de leur connaissance de l’existence passée des régimes staliniens bureaucratiques et oppressifs ou pour d’autres raisons comme de mauvaises expériences avec des dirigeants syndicats distants et enfermés dans leurs bureaux. En fonction de tout cela, les jeunes peuvent être poussées vers d’autres conceptions, comme les actions spontanées et « inorganisées » et les réseaux informels.

    Cependant, bien qu’il y ait des moments où l’action spontanée peut amener une accélération dans les événements, il y a de grandes limites à ce genre d’action. Elle n’offre pas un lieu adéquat où débattre démocratiquement de ce qui doit être fait et de comment les choses peuvent évoluer par la suite. Elle peut laisser les gens impliqués dans l’action à la merci de la répression d’Etat par manque d’encadrement et de planification. Et surtout elle ne constitue pas une forme d’action efficace. Il est vraisemblable que l’impact sera bien plus grand si un grand nombre de gens protestent d’une manière organisée et unie que lors d’actions menée de manière disparate dans laquelle chaque individu agit individuellement ou au sein de petits groupes.

    Cette brochure traite du rôle et de la construction d’un parti révolutionnaire basé sur la forme organisationnelle développée par le Parti Bolchevik, à savoir le centralisme démocratique. Cela ne signifie pas que les méthodes d’organisation et le rôle d’un tel parti sont appropriés pour des partis ou des organisations plus larges du mouvement ouvrier.

    La création d’un nouveau parti de masse des travailleurs en Belgique serait aujourd’hui un grand pas en avant. Il pourrait aider à développer les luttes des travailleurs et accélérer la réhabilitation des idées socialistes. Dans un tel parti, une forme d’organisation démocratique et fédérale – qui permettrait à un grand nombre de groupes de travailleurs, d’organisations de gauche et d’individus de s’impliquer – serait initialement la mieux appropriée.

    Cependant, le besoin urgent d’un nouveau parti de masse des travailleurs n’est pas contradictoire avec le besoin de développer en même temps les forces du marxisme révolutionnaire en Belgique et internationalement. En fait, les partis révolutionnaires ont souvent travaillé par le passé en tant que tendances au sein de partis plus larges pendant des périodes plus ou moins longues et il est probable que ce sera à nouveau le cas lorsque de nouveaux partis de masse des travailleurs se formeront à l’avenir.

    Le rôle d’un parti révolutionnaire

    Qu’existe ou non un parti révolutionnaire, quand les conditions de vie deviennent intolérables pour les travailleurs et les pauvres, des luttes, et à un certain stade des mouvements révolutionnaires, se développent. Le résultat final, en l’absence d’un parti révolutionnaire, est clair, comme le montrent les exemples donnés plus loin : la révolution échouera ou ne posera pas les bases du socialisme. Un parti révolutionnaire est donc essentiel. Mais quel rôle doit jouer ce parti ? Un parti révolutionnaire ne crée pas les conditions qui conduisent les travailleurs à entrer en lutte. Mais, quand ces conditions existent, la parti peut jouer un rôle clé en accélérant le développement de la conscience des travailleurs et en fixant des objectifs pour leurs luttes. Ainsi que l’écrivit Trotsky dans son livre Histoire de la révolution russe : « Sans une organisation pour la guider, l ‘énergie des masses se dissiperait comme de la vapeur qui n’est pas emprisonnée dans une boîte à piston. Mais néanmoins, ce qui fait bouger les choses, ce n’est ni le piston ni la boîte mais la vapeur ».

    Tout d’abord, un parti révolutionnaire doit se baser sur une analyse marxiste des luttes de travailleurs du passé et des leçons à en tirer. En particulier, les écrits de Marx lui-même, d’Engels, de Lénine et de Trotsky apportent une aide vitale dans l’étude des événements du passé et pour l’utilisation de l’outil qu’est l’approche marxiste. Dans la société capitaliste, on nous enseigne à l’école l’histoire vue du point de vue et selon les intérêts de la classe dirigeante, la bourgeoisie. Les historiens universitaires qui écrivent les textes des manuels scolaires prétendent être objectifs et s’en tenir aux faits alors que, dans la plupart des cas, ils interprètent les événements historiques et les luttes du point de vue du capitalisme. Un parti révolutionnaire doit donc mener à bien un type de formation entièrement différent : la vision des événements historiques du point de vue de la classe des travailleurs et du marxisme.

    Deuxièmement, les membres d’un parti révolutionnaire doivent prendre part eux-mêmes aux activités quotidiennes et aux luttes des travailleurs et des jeunes autour d’eux, de manière à pouvoir apprendre d’expériences de première main, gagner le respect de ceux qui sont impliqués à leurs côtés dans l’action et évaluer la conscience générale à chaque moment. Le parti est alors en position pour déterminer quelles tâches sont nécessaires pour faire avancer la lutte.

    La classe des travailleurs (comme d’ailleurs les classes moyennes) ne forme une couche uniforme dans aucun pays. Il y a toujours des différences dans les circonstances matérielles, la compréhension politique et les perspectives. Les gens ne tirent pas toujours les mêmes conclusions au même moment. Un parti révolutionnaire peut évaluer les niveaux de la conscience des diverses couches et mettre en avant un programme qui joue un rôle unificateur – en liant les luttes entre elles autant que possible, en élargissant le soutien envers elles et en élevant la conscience quant aux pas suivants à faire. Par ailleurs, le parti doit analyser la nature de la classe capitaliste, qui n’est pas non plus une couche uniforme, qui est marquée elle aussi par ses contradictions et ses faiblesses en tant que classe et qui peut être divisée et battue.

    Dans ce processus, le parti utilise sa connaissance collective qu’il a acquise tant des leçons du passé que des tâches qui seraient nécessaires à accomplir. Mais il doit soigneusement mettre en application cette connaissance en tenant compte du niveau et des stades de développement de la conscience des travailleurs ainsi que de leurs traditions.

    Pourquoi un parti est-il tellement important ?

    Il suffit de tirer les leçons des révolutions qui ont échoué pour comprendre pourquoi un parti révolutionnaire est vital.

    Allemagne

    Après la révolution russe, les travailleurs allemands essayèrent de renverser le capitalisme en Allemagne en 1918. Cependant, les dirigeants du Parti Social-Démocrate (SPD)défendaient une perspective réformiste – ils pensaient que le capitalisme ne pouvait être changé que graduellement – et cela conduisit à la défaite de la révolution et à l’assassinat des grands dirigeants révolutionnaires Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht.

    En 1923, l’effondrement économique du pays et l’occupation de la Ruhr par la France créa une crise majeure et offrit aux travailleurs une occasion d’en finir avec le capitalisme. Cette fois, le Parti Communiste, créé en 1918, avait un important soutien parmi les travailleurs mais les dirigeants du PC échouèrent à préparer ceux-ci adéquatement à la tâche de changer la société et à leur donner une direction claire au moment où la situation était la plus propice.

    Moins d’une décennie après, dans le contexte de la récession mondiale entre 1929 et 1933, la situation devint à nouveau critique. La classe moyenne avait été ruinée par la récession et le niveau de vie des travailleurs avait chuté. Craignant une nouvelle révolution, la classe dirigeante remplit les caisses du Parti Nazi. Quand les nazis reçurent six millions de votes à l’élection de 1930, Trotsky et ses partisans, récemment exclus de l’Internationale Communiste, appelèrent les travailleurs organisés dans le PC allemand à entrer dans un « front unique » avec ceux du Parti Social-Démocrate pour défaire les fascistes. Mais la dégénérescence de l’Internationale Communiste était telle que leurs dirigeants décrivirent les sociaux-démocrates comme des « sociaux-fascistes » et refusèrent tout front unique. L’Internationale Communiste soutint même que le PC devait s’unir avec les nazis contre les sociaux-démocrates !

    Les dirigeants du PC allemand adoptèrent la position fatale selon laquelle Hitler ne serait pas pire que les gouvernements précédents et que, de toute façon, l’arrivée de Hitler au pouvoir ne ferait qu’inciter les travailleurs à balayer les fascistes.

    Les dirigeants sociaux-démocrates n’offrirent pas non plus une direction claire. Tandis que les travailleurs commençaient instinctivement à former des groupes de défense dans les entreprises et parmi les sans-emploi, les dirigeants sociaux-démocrates refusèrent de reconnaître que les fascistes étaient un véritable danger. Par exemple, l’un d’eux, Sohiffrin affirma à un moment : « Le fascisme est définitivement mort ; il ne se relèvera plus jamais ». Les dirigeants du SPD appelèrent au calme et à la retenue.

    Les terribles échecs des dirigeants ouvriers menèrent à la victoire de Hitler en 1933 et à l’écrasement d’un puissant mouvement ouvrier avec une tradition marxiste remontant à 75 ans.

    Espagne

    En Espagne, entre 1931 et 1937, les ouvriers et les paysans essayèrent à plusieurs reprises de renverser le capitalisme et le féodalisme, réussissant à un moment à prendre le contrôle des deux-tiers du pays. Ils étaient organisés en quatre blocs : les anarchistes, le Parti Socialiste, le Parti Communiste et un parti d’extrême-gauche plus petit, le POUM.

    Cependant, malgré les aspirations révolutionnaires de leurs membres, les dirigeants de ces partis échouèrent à prendre les mesures pour consolider les gains réalisés par les travailleurs et les paysans. Ils n’expliquèrent pas qu’il était nécessaire d’en finir avec le vieil appareil d’Etat et quelles seraient les différentes mesures à prendre pour avancer vers le socialisme. Au contraire, ils finirent tous par s’aligner sur les dirigeants communistes staliniens qui défendaient l’idée d’une stratégie en deux étapes. Celle-ci affirmait qu’il fallait d’abord passer par une période de développement d’une démocratie capitaliste en Espagne, nécessaire avant de pouvoir mettre en avant la perspective d’une lutte pour le socialisme. Pour les staliniens, la tâche n’était donc pas d’amener la classe des travailleurs à prendre le pouvoir, mais au contraire de rendre le pouvoir aux capitalistes.

    Cette politique, désorientant les travailleurs et décourageant leur enthousiasme révolutionnaire – ouvrit tragiquement la voie au général fasciste Franco, dont la victoire au terme de la guerre civile se traduisit par la mort de dizaines de milliers de syndicalistes et de militants ouvriers et par l’instauration d’une dictature fasciste brutale qui dura quarante ans.

    Chili

    La coalition de l’Unité Populaire qui arriva au pouvoir au Chili en 1970 était soutenue par un mouvement ouvrier puissant et reposait sur une alliance entre le Parti Socialiste et le Parti Communiste. Soumis à de fortes pressions venant de la population qui voulait des améliorations de ses conditions de vie, le gouvernement dût aller au-delà de ce que ses dirigeants avaient prévu. Des industries-clé comme les mines de cuivre furent nationalisées, un gel des prix et des loyers introduit, une réforme agraire partielle mise en œuvre et du lait distribué gratuitement aux enfants dans les écoles. Face à ces mesures et au danger d’explosion révolutionnaire, la classe capitaliste devint enragée et une partie se mit à préparer un coup d’Etat pour écraser le gouvernement d’Unité Populaire.

    La situation devint très favorable au renversement du capitalisme. La bourgeoisie était démoralisée et divisée quant au chemin à suivre, des parties de la classe moyenne soutenait le gouvernement d’Unité Populaire et le mouvement ouvrier se renforçait. Un parti révolutionnaire aurait soutenu la revendication des travailleurs qui réclamaient des armes pour défaire les forces contre-révolutionnaires qui se préparaient. Il aurait aussi soutenu l’organisation de Conseils de travailleurs, de paysans, de soldats, de petits indépendants,… destinés à devenir les réels centres de pouvoir.

    Au contraire, les dirigeants des partis socialistes et communistes de l’Unité Populaires retinrent les masses. Ces « dirigeants » insistèrent sur la nécessité de rester dans le cadre de la légalité capitaliste et de laisser les leviers de pouvoir aux mains de la bourgeoisie. Ils laissèrent intacts l’armée, les juges, la police, la presse,… Le résultat final fut la victoire d’un dictateur brutal et l’assassinat de milliers de militants ouvriers, syndicaux, socialistes et communistes.

    Etats ouvriers déformés

    Malheureusement, on peut donner beaucoup d’autres exemples de révolutions qui ont échoué avec des conséquences tragiques : la révolution hongroise en 1919, les occupations d’usines par les travailleurs italiens en 1920, la révolution chinoise en 1925-27, le Portugal en 1974-75 et encore bien d’autres.

    Au cours de la révolution portugaise, 70% de l’industrie, des banques et du secteur financier se trouvèrent dans les mains de l’Etat. Le grand quotidien conservateur britannique The Times annonça qu’au Portugal le capitalisme était mort. Mais les dirigeants socialistes et communistes jouèrent ici aussi un rôle contre-révolutionnaire par leur refus de mener la révolution à son terme, permettant à la bourgeoisie de restaurer son pouvoir et de restait intact.

    Il y a eu aussi des révolutions issues de guerres paysannes ou luttes de guérilla qui ont réussi à renverser le capitalisme et qui ont fini par introduire des économies planifiées, comme en Chine à partir de 1949 et à Cuba à partir de 1959. Mais les partis révolutionnaires qui ont dirigé ces mouvements ne se fixaient pas le but de construire le socialisme et, comme ils se basaient davantage sur la paysannerie que sur la classe des travailleurs, ils furent incapables de faire naître des sociétés socialistes démocratiques (voir plus bas Le rôle de la classe des travailleurs) Les marxistes décrivent les régimes qui en résultent comme des « Etats ouvriers déformés » parce que, bien qu’ils aient été capables d’augmenter spectaculairement le niveau de vie de la masse du peuple pendant une période sur base d’une économie planifiée, ce sont des régimes fortement répressifs qui ne reposent pas sur un pouvoir exercé démocratiquement par les travailleurs.

    Le parti Bolchevik

    Le contraste entre les événements de Russie en 1917 et les exemples ci-dessus est frappant. Quinze ans auparavant, Lénine était arrivé à la conclusion que, pour que les travailleurs russes puisse renverser l’Etat dictatorial tsariste, une force disciplinée et organisée serait nécessaire. Dès lors, il fut le fer de lance de la construction du parti bolchevik1, un nouveau type de parti de parti qui donnait à ses membres une formation solide basée sur l’étude des expériences et des luttes antérieures, qui prenait ses décisions au terme de discussions démocratiques et de débats à tous les niveaux du parti et qui agissait de manière unie quand il menait des campagnes et des actions.

    Après avoir réussi à gagner le soutien de la couche la plus avancée de la classe ouvrière, les Bolcheviks furent ensuite capables de conduire les travailleurs au cours de la révolution d’Octobre. L’appareil d’Etat tsariste fut complètement démantelé et remplacé par un Etat ouvrier démocratique basé sur une économie planifiée. Cet Etat dégénéra politiquement sous la direction de Staline à cause de l’isolation du pays (suite à l’échec des révolutions en Allemagne, en Autriche et en Hongrie), à la misère accentuée par la guerre civile et aux problèmes dus au sous-développement économique du pays. Cependant, cette dégénérescence ne peut nier ni le fait que les Bolcheviks ont mené une révolution victorieuse, un événement titanesque dans l’Histoire humaine qui a transformé les vies de centaines de millions de gens, ni les leçons que nous pouvons tirer de leur expérience.

    (1) Bolchevik, qui signifie « majoritaire » en russe, est le nom que prit la fraction de Lénine au sein du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie à l’issue du congrès de 1902 et qu’elle conserva après qu’elle soit devenue dans les faits un parti indépendant dès 1912. Le Parti Bolchevik devint le Parti Communiste en 1918.


    Trotsky écrivit dans sa brochure Classe, parti et direction : « Le parti bolchevik en mars 1917 était suivi par une minorité insignifiante de la classe ouvrière et, de plus, la discorde régnait dans le parti… En l’espace de quelques mois, en se basant sur le développement de la révolution, le parti a été capable de convaincre la majorité des travailleurs de la justesse de ses slogans. Cette majorité organisée en Soviets fut capable à son tour d’attirer les soldats et les paysans. »

     


    Le rôle de la classe des travailleurs

    L’analyse des luttes du passé et des révolutions montre que seule la classe des travailleurs peut jouer un rôle dirigeant parmi les masses opprimées dans une révolution qui peut à la fois renverser le capitalisme et ouvrir la voie au socialisme.

    Ceci est dû au rôle des travailleurs dans la production capitaliste : ne possédant aucun des biens indispensables à la possibilité moderne sur grande échelle (machines ou usines), ils sont obligés de vendre leur force de travail pour survivre et subissent une exploitation (voir brochure n°3 sur l’économie capitaliste), ce qui leur crée des problèmes mais aussi et des intérêts similaires. Les travailleurs, dans les divers services ou industries, font souvent face à des conditions de travail et des niveaux de salaire similaires et à la même insécurité de l’emploi.

    La classe moyenne – la « petite-bourgeoisie » – est constituée des couches intermédiaires de la société qui ne sont pas des salariés (les commerçants, les artisans, les petits agriculteurs, les professions libérales comme les médecins, les avocats,…) ainsi que par certaines couches privilégiées de salariés qui participent à l’organisation de l’exploitation des autres travailleurs (comme la majorité des cadres).

    Quand les contradictions et les crises économiques du capitalisme s’approfondissent, de plus en plus de membres des couches moyennes de la société se voient imposer des conditions de travail et de vie de plus en plus proches de celles des travailleurs et sont amenés à partager leurs problèmes et leurs aspirations. Cependant les couches moyennes – vu leur diversité et, dans les zones rurales, vu leurs conditions de vie éclatées et isolées – n’ont jamais été capables de jouer un rôle indépendant en tant que classe. Une partie est amenée à soutenir la bourgeoisie et le maintien du capitalisme mais la majorité peut être gagnée à soutenir un mouvement révolutionnaire dirigé par la classe des travailleurs et elle peut même y jouer un rôle très important si le mouvement des travailleurs adopte un programme qui fait appel à elle.

    Ainsi un parti révolutionnaire doit se baser essentiellement sur la classe des travailleurs – le « prolétariat » – à cause du rôle dirigeant que celle-ci peut jouer. Et, à son tour, pour jouer ce rôle indispensable, la classe des travailleurs a besoin d’un parti révolutionnaire.

    Bien que cette classe soit moins hétérogène que la classe moyenne, elle se répartit néanmoins en diverses couches : jeunes et plus âgés, hommes et femmes, qualifiés et non qualifiés, actifs et chômeurs, secteur privé et secteur public, grandes entreprises à forte tradition syndicale et petites boîtes sans syndicat,… et parfois d’autres encore en fonction de l’origine ethnique ou de l’appartenance religieuse. La classe dirigeante essaie d’exploiter ces divisions, par exemple en encourageant les divisions raciales ou en jouant sur différenciant au maximum et les calculs et les niveaux en matière de salaire.

    Les travailleurs ont besoin de s’unir de manière organisée, de manière à surmonter ces divisions autant que cela est possible dans le cadre du système actuel et à s’unir dans les luttes qui leur permettent de développer leurs intérêts de classe. Un premier niveau d’organisation des travailleurs est bien sûr le syndicat mais son horizon est limité par son objectif même (défendre les intérêts des travailleurs dans le cadre du capitalisme) et surtout par la domination d’une bureaucratie réformiste. C’est à l’intérieur d’un parti révolutionnaire que le niveau d’unité maximum peut être atteint, autour d’un programme défendant le plus scientifiquement possible les intérêts des travailleurs et des opprimés. Comme le disait Trotsky dans son article « What Next ? » : « Le prolétariat n’acquiert un rôle indépendant qu’au moment où, de classe sociale en soi, il devient une classe politique pour soi. Cela ne peut se faire autrement qu’au moyen d’un parti. Le parti est cet organe historique par lequel la classe devient consciente d’elle-même ».

    Le programme du parti

    « Les intérêts de la classe ne peuvent être formulés autrement que sous la forme d’un programme ; le programme ne peut être défendu autrement qu’en créant le parti » (Trotsky, What Next ?)

    Pour être pleinement préparé pour faire face aux événements à venir, un parti révolutionnaire a besoin d’avoir le programme du marxisme révolutionnaire, qui est un ensemble d’idées basé sur les quatre premiers congrès de l’Internationale Communiste, les documents de fondation de la Quatrième Internationale et l’expérience accumulée du mouvement trotskiste depuis lors (et particulièrement celle de notre Comité pour une Internationale Ouvrière).

    Tout en étant basé sur des idées et des perspectives, le programme doit aussi inclure des revendications. Celles-ci sont développées à chaque étape de la lutte des classes. Elles ne doivent pas simplement faire écho à l’humeur des travailleurs et à leurs revendications à un moment donné mais, tout en prenant celles-ci en compte, elles doivent inclure des revendications qui vont un pas plus loin, de manière à augmenter la conscience tant des tâches immédiates indispensables que de la nécessité du socialisme. Les divers aspects du programme doivent être régulièrement révisés et remis à jour, afin de rester en phase avec le développement des événements, et testés dans la pratique. James Cannon, un des fondateurs du mouvement trotskiste américain aux USA dans les années ’30, écrivit ainsi dans son article « Le Parti Révolutionnaire » que le programme devait être soumis continuellement aux travailleurs pour « prise en considération, adoption, action et vérification ».

    Certains partis croient qu’il suffit de se proclamer en faveur de la révolution pour être un parti révolutionnaire. La majorité de ces partis ont historiquement été des partis « centristes », c’est-à-dire des partis dans lesquels les dirigeants font souvent des discours aux accents révolutionnaires mais en reviennent à une position réformiste, lorsqu’ils sont confrontés à des moments et des choix décisifs dans la lutte, sans réussir à faire avancer celle-ci. Ces partis oscillent entre réformisme et révolution, notamment parce qu’ils ne se basent pas sur un programme pleinement marxiste révolutionnaire.

    Comment construire un tel parti ?

    La construction d’un parti révolutionnaire n’a rien d’automatique : ce parti doit être consciemment et consciencieusement construit par ses membres. Cette construction commence généralement par de petits groupes. Or, une petite force ne peut pas gagner facilement une influence large : l’essentiel du travail doit donc être orienté vers la propagande socialiste et la discussion des idées avec des personnes rencontrées pendant les activités politiques aussi bien que dans la vie quotidienne. Le travail d’un parti plus grand sera différent, parce qu’il est vraisemblable que celui-ci jouera un rôle clé dans certains événements et donc qu’il aura des responsabilités de direction autant que d’agitation et de propagande.

    Comment un petit parti peut-il grandir pour devenir un grand parti ? Cela dépend à la fois de l’adoption par le parti d’une approche et d’une orientation marxistes correctes et de l’ampleur des événements et des soubresauts dans la société. Comme l’écrivit Trotsky, « Pendant une révolution, c’est-à-dire quand les événements se produisent rapidement, un parti encore faible peut se transformer rapidement en un parti puissant pour autant qu’il comprenne lucidement le cours de la révolution et qu’il possède des cadres loyaux qui ne se laissent pas intoxiqués par des grandes phrases et qui ne soient pas terrorisés par les persécutions. Mais un tel parti doit être disponible avant la révolution vu que le processus de formation de cadres requiert une période de temps considérable et que la révolution n’accorde pas ce temps » (Classe, parti et direction).

    Tout en grandissant à travers le recrutement direct d’individus et de groupes, les partis révolutionnaires peuvent à certains moments se construire au travers de fusions avec d’autres organisations. Cependant la réussite dune fusion dépend avant tout de la possibilité d’atteindre un accord principiel préalable sur les questions-clés actuelles des perspectives, du programme, de l’orientation et de la stratégie.

    Quelle que soit la taille du parti, un travail soutenu et un investissement sérieux de ses membres est indispensable. Comme le disait une fois de plus Trotsky « Vous pouvez avoir à la fois des révolutionnaires sages ou ignorants, intelligents ou médiocres. Mais vous ne pouvez pas avoir des révolutionnaires qui manquent de la volonté de bousculer les obstacles, qui manquent de dévouement et d’esprit de sacrifice » (Comment se forment les révolutionnaires, 1929).

    Quel type de parti ?

    En Russie, les Bolcheviks, sous l’impulsion de Lénine, ont choisi le centralisme démocratique comme forme d’organisation.

    Ce terme a pris aujourd’hui une connotation très négative parce que, sous Staline, le centralisme démocratique dans le Parti Communiste d’Union Soviétique a été vidé de son contenu pour mieux satisfaire les intérêts de la couche grandissante de bureaucrates. Les partis communistes staliniens sont devenus des appareils antidémocratiques, bureaucratiques, autoritaires et répressifs.

    Pourtant, le centralisme démocratique est la forme d’organisation la plus démocratique qui ait jamais existé. Elle permet au parti de se développer sainement au rythme des discussions et des débats mais aussi, quand arrive le temps de l’action, d’agir d’une manière unifiée et organisée. De ce fait, cette méthode de fonctionnement est aussi la plus efficace.

    Le centralisme démocratique implique d’abord que toutes les questions concernant le parti soient discutées aussi profondément que les membres le jugent nécessaire, et ce à tous les niveaux du parti. Cela ne signifie pas que le parti devient une boutique à parlottes avec des débats sans fin. Les discussions doivent être menées en ayant en tête les objectifs du parti, particulièrement en matière de formation politique et avec la nécessité d’arriver à des décisions claires sur le programme et les tâches du parti.

    Chaque membre doit avoir le droit d’exprimer ses vues dans les réunions de sa section locale. Il est important que les membres essaient continuellement de développer leur formation et leurs capacités propres, de manière à pouvoir arriver à prendre collectivement les bonnes décisions. Les décisions concernant les idées et les perspectives essentielles du parti, ainsi que toutes les questions-clés en matière d’organisation, doivent être prises lors de congrès (le plus souvent annuels) de délégués élus dans les sections par les membres du parti.

    Le centralisme – qui constitue le deuxième aspect de la formule – signifie essentiellement qu’une fois que les membres du parti ont pris une décision à la majorité, à quelque niveau que ce soit, ils doivent agir ensemble pour appliquer cette décision. S’il y a cinq, vingt ou beaucoup plus de membres d’un parti révolutionnaire dans une ville, est-il plus efficace qu’ils interviennent dans les événements locaux comme autant d’individus ou comme une équipe soudée ? Cette dernière réponse est clairement la meilleure. Et, à l’échelle nationale, où les travailleurs sont confrontés à un Etat capitaliste centralisé disposant d’une longue expérience de confrontation aux défis venus d’en bas, leur unité dans l’action à travers la participation à un parti révolutionnaire est vitale.

    Chaque membre doit avoir le droit de s’opposer à une idée ou à la manière de mener une action, mais une fois qu’une décision a été prise par une vote majoritaire, chaque membre doit agir à l’extérieur du parti en se conformant à cette décision. Ceci ne supprime leur droit de continuer à défendre leur point de vue dans les réunions du parti et de chercher à changer une décision, en organisant une tendance ou une fraction s’ils le jugent nécessaires.

    A certaines étapes, un parti devra placer plus l’accent sur la nécessité de discussion et de débat, tandis qu’à d’autres moments, la priorité ira davantage à l’action, en fonction de la situation concrète. Le centralisme démocratique n’est pas une formule rigide. De la même manière qu’elle doit être appliquée avec flexibilité en fonction des étapes de développement du parti, elle trouvera aussi inévitablement une expression différente dans des pays différents, en fonction de facteurs comme la taille, l’expérience et le travail mené à ce moment par le parti, l’autorité de ses dirigeants, la situation politique et les traditions des travailleurs.

    Des questions et des discussions surgissent parfois sur la manière dont les membres doivent se comporter entre eux. Quelles doivent être les normes de comportement des membres (par exemple, face au racisme, au sexisme,…) ? Comment les ressources du parti peuvent-elles être accrues (montant des cotisations, actions destinées à faire rentrer de l’argent dans les caisses,…) et doivent-elles être réparties pour favoriser la participer de membres ayant des revenus limités ou des besoins spéciaux ? Sur ces questions, il faut reconnaître que le parti, qui travaille avec toutes les limitations imposées à ses membres par le système capitaliste, ne peut être un modèle pour la future société socialiste. C’est aux membres de décider de la répartition des ressources et des limites à poser face à des comportements critiquables, tout en comprenant qu’il n’est pas possible de construire un parti avec des membres qui ne soient affectés en rien par les problèmes de la société actuelle.

    La direction du parti

    Dans son article « Classe, parti et direction », Trotsky expliqua la relation nécessaire entre les trois niveaux évoqués dans le titre de l’article : la classe des travailleurs dirige le mouvement populaire, tout en étant dirigée par le parti, qui est à son tour dirigé par sa direction. Il ajouta que les membres et la direction du parti devaient être testés et sélectionnés tout au long du développement des débats et des événements, de manière à perfectionner le meilleur outil possible afin de permettre à la classe des travailleurs de transformer la société.

    Un parti révolutionnaire a besoin, à chaque niveau de sa structure, de dirigeants capables de donner une impulsion et une direction politique et organisationnelle au travail du parti. Les membres de base qui sont immergés dans le travail politique dans leur secteur ou leur ville n’ont pas nécessairement l’information suffisante ou le temps pour acquérir une vue d’ensemble et se faire un avis personnel sur la situation régionale, nationale et internationale. Ils élisent ceux qu’ils voient comme les plus capables de donner une direction correcte en fonction d’une analyse plus complète et d’une expérience plus grande que celle dont ils disposent eux-mêmes. Les membres de base doivent toujours évaluer la qualité de la direction fournie par ceux qu’ils ont élus, de manière à ce que des changements puissent être faits si nécessaire. Tous les dirigeants élus doivent répondre de leur travail et de leurs décisions et sont révocables à tout moment.

    La qualité de la direction d’un parti révolutionnaire dépend de l’existence d’une base politiquement formée et dotée d’un esprit critique car celle-ci est la mieux à même de choisir les meilleurs candidats pour les positions de direction et de les remplacer si nécessaire. Même les plus grands dirigeants ont besoin du contrôle de ceux qui sont à la base de leur parti. Sans ce contrôle, les comités ou les individus exerçant les tâches de direction peuvent en fin de compte succomber à des pressions réformistes ou ultra-gauche et entraîner tout le parti dans une mauvaise voie.

    Cependant, si les membres doivent être critiques, Trotsky souleva un point important : « La maturité de chaque membre du parti s’exprime particulièrement dans le fait qu’il n’exige pas du régime interne du parti plus que ce que celui-ci peut donner… Il est bien sûr nécessaire de lutter contre chaque erreur individuelle de la direction, contre chaque injustice, etc. Mais il est nécessaire d’évaluer ces « injustices » et ces « erreurs » non en elles-mêmes mais en relation avec le développement général du parti à la fois au niveau national et international. Un jugement correct et un sens des proportions est une chose extrêmement importante en politique. »

    Les dirigeants ne doivent avoir aucun privilège financier au-delà des dépenses qui leur sont nécessaires. Les dirigeants, tout comme les représentants publics du parti, ne doivent pas recevoir plus que le salaire moyen d’un travailleur qualifié. Les dirigeants du parti doivent donner l’exemple à tous les membres à travers leur volonté personnelle de faire des sacrifices en temps et en argent et par le fait qu’ils ne demandent pas aux membres de faire des sacrifices plus grands que ceux qu’ils sont préparés à faire eux-mêmes.

    Entre les réunions des organes du parti à chaque niveau, des organes de direction doivent prendre les décisions nécessaires à la progression du parti. Cela signifie que les membres doivent avoir confiance dans la capacité de leurs dirigeants d’aboutir à des décisions correctes. Cette confiance ne peut s’établir qu’à travers la mise à l’épreuve des dirigeants au cours des événements et des débats. Il est aussi important d’avoir un certain renouvellement dans la composition des organes de direction de manière à ce qu’ils ne perdent pas leur entrain et ne s’enfoncent pas dans des habitudes routinières.

    Quelques-unes des normes établies pour préserver la démocratie dans un parti révolutionnaire sont aussi applicables aux dirigeants élus dans une société socialiste après une révolution victorieuse. Avant la Révolution russe, Lénine a indiqué quelques conditions qui peuvent aider à prévenir le développement de la bureaucratie après la révolution : des élections libres et démocratiques, l’obligation pour tous les dirigeants de rendre des comptes à ceux qui les ont élus, la possibilité de révoquer les dirigeants à tout moment, l’interdiction pour les dirigeants de toucher plus que le salaire moyen d’un travailleur ordinaire et la rotation régulière des personnes chargées des tâches administratives.

    L’internationalisme avant et après la révolution

    Bien que le capitalisme soit basé sur des Etats-nations, les économies capitalistes sont interconnectées à travers le monde entier. Aucun Etat socialiste ne pourrait survivre pendant une longue période ni commencer à résoudre les problèmes de la planète s’il restait isolé. C’est pourquoi le socialisme ne peut être réalisé qu’à l’échelle internationale. C’est pourquoi aussi un parti révolutionnaire est nécessaire à cette même échelle internationale. Il est important, et même vital, pour des partis révolutionnaires qui agissent dans divers pays du monde de participer ensemble à une internationale révolutionnaire. Cette participation leur permet de réaliser une analyse plus complète des événements mondiaux à travers la discussion avec les autres partis et de partager les leçons des expériences de construction du parti, ce qui peut permettre à chaque parti d’éviter des erreurs potentiellement fatales.

    Le rôle d’une internationale révolutionnaire sera aussi très important après une révolution victorieuse, tant pour appeler les travailleurs partout dans le monde à soutenir la révolution et à refuser d’être utilisés contre elle dans des aventures militaires lancées par leur propre classe capitaliste, que pour aider la révolution à s’étendre le plus vite possible à d’autres pays. De même, le rôle d’un parti révolutionnaire ne se termine pas avec la victoire de la révolution dans son pays. Le parti sera indispensable pour armer tous les travailleurs de son expérience et de ses connaissances afin de leur permettre de défaire toutes les tentatives contre-révolutionnaires de la petite minorité de la société qui constituait auparavant la classe dominante.

    Le parti contribuera aussi à aider la nouvelle société socialiste à se développer sur une base saine, avec un pouvoir pleinement démocratique des travailleurs et une organisation de la production et des services basée sur une économie planifiée démocratiquement. De la même manière qu’une sage-femme garde un œil sur la santé du bébé nouveau-né une fois qu’elle a assuré l’accouchement, un parti révolutionnaire aidera à construire et à diriger la nouvelle société venue au monde suite à une révolution victorieuse. Bien que les problèmes créés par des siècles de capitalisme ne seront pas effacés en une nuit, il sera possible de créer rapidement une société dans laquelle les conditions de vie de chaque personne pourront être élevées jusqu’à un niveau décent et même au-delà, dans laquelle l’environnement pourra être sauvegardé et les dégâts antérieurs réparés et dans laquelle les talents de chaque personne pourront être utilisés pour porter le développement de la société jusqu’à un niveau encore jamais atteint.


    Liste de lecture

    • Classe, parti et direction – Léon Trotsky
    • Le parti révolutionnaire – James Cannon
    • La lutte pour un parti prolétarien – James Cannon
    • L’histoire de la révolution russe – Léon Trotsky
    • Le léninisme sous Lénine – Marcel Liebman
    • La révolution espagnole, 1931-1939 – Léon Trotsky
    • La lutte contre le fascisme en Allemagne – Léon Trosky
    • Le programme de transition pour la révolution socialiste – Léon Trosky
  • Europe de l’Est, 1989. Des mouvements révolutionnaires aux conséquences contre-révolutionnaires

    Le 13 septembre 1989, un gouvernement dirigé par le syndicat Solidarnosc est arrivé au pouvoir en Pologne : le premier gouvernement ‘‘non-communiste’’ de l’ancien bloc soviétique depuis 1948. Deux mois plus tard, le mur de Berlin s’effondrait. Même si l’année 1989 s’est terminée par l’exécution télévisée et en direct du dictateur roumain Nicolae Ceau?escu et de son épouse Elena, les événements spectaculaires de cette année 1989 ont inspiré la classe ouvrière du monde entier, du moins à cette époque.

    Analyse de Rob Jones – Sotsialisticheskaya Alternativa (Russie)

    En deux ans à peine, l’ex-Allemagne de l’Est (RDA) a été rattachée à la République fédérale d’Allemagne (RFA), la Yougoslavie s’est retrouvée divisée et, après l’échec du coup d’Etat d’août 1991, l’Union soviétique s’est écroulée. Le capitalisme fut restauré dans toute la région. La guerre froide prit fin avec l’effondrement du Pacte de Varsovie, le bloc militaire mis en place contre l’impérialisme américain. Pour le philosophe bourgeois Francis Fukuyama, c’était la ‘‘fin de l’histoire’’.

    La catastrophe après 1989

    Ces mouvements de masse espéraient que la vie s’améliorerait en étant débarrassés des horribles bureaucraties staliniennes. Mais la décennie suivante a une connu dépression économique plus terrible encore que celle des années 1930. L’économie auparavant bureaucratiquement planifiée fut remplacée par le chaos du marché libre. Selon la Banque mondiale – l’un des principaux architectes de la transition – le PIB d’Europe centrale et orientale a chuté de 15% entre 1989 et 2000 et de 40% dans l’ancienne URSS. Le nombre de personnes vivant dans la pauvreté absolue est passé de 4% à 20%.

    Des guerres ont éclaté en Europe et en Asie centrale pour la première fois depuis 1945. En ex-Yougoslavie, en raison de la lutte pour la partition du pays entre les nouvelles élites et les puissances impérialistes, les conflits ethniques ont coûté la vie à 140.000 personnes et en ont déplacé 4 millions. Au moins 150.000 personnes sont mortes dans les deux guerres russo-tchétchènes et 60.000 autres dans la guerre civile tadjike. Les conflits en Moldavie, en Géorgie, entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et à l’est de l’Ukraine attendent toujours leur résolution à l’heure actuelle.

    Les racines du stalinisme

    Les dirigeants soviétiques autour de Staline et puis de ses successeurs, dont le prétendu réformateur Khrouchtchev, étaient très éloignés des idéaux de Lénine, Trotsky et des bolchéviks en 1917. La Révolution russe visait à construire une véritable société démocratique et socialiste où les ressources du pays seraient collectives, la production et la distribution étant planifiées par des comités ouvriers démocratiquement élus. Les bolchéviks étaient internationalistes et avaient garanti le droit à l’autodétermination des nations de l’ancien empire russe, tout en préconisant une fédération volontaire d’États socialistes. Les bolchéviks étaient convaincus que la nouvelle république ouvrière ne pourrait survivre et se développer vers le socialisme que si des révolutions émergeaient dans des pays plus développés.

    La vague révolutionnaire qui a mis fin à la première guerre mondiale et à la monarchie allemande, qui a donné naissance aux républiques soviétiques de Hongrie et de Bavière ainsi qu’à des soviets en Autriche et en Tchécoslovaquie a malheureusement échoué. La nouvelle république russe fut attaquée par 15 armées impérialistes venues au secours des armées blanches russes réactionnaires. Nombre des meilleurs ouvriers révolutionnaires impliqués dans les combats y ont trouvé la mort. D’autres ont dû quitter les usines pour gérer le nouvel État. A la fin de la guerre civile, la Russie révolutionnaire était épuisée, détruite et isolée.

    Une couche de bureaucrates, dont beaucoup s’étaient initialement opposés à la révolution, a vu sa position renforcée par l’absence de révolution internationale et s’est trouvé un dirigeant en la personne de Joseph Staline. Cette couche a usurpé le pouvoir politique à la classe ouvrière. Elle a consolidé son pouvoir au travers d’une véritable nouvelle guerre civile avec arrestations massives, terreur de masse et exécution d’anciens bolcheviks. L’internationalisme a été remplacé par l’idéologie du ‘‘socialisme dans un seul pays’’. Cette contre-révolution politique a établi un appareil d’État bureaucratique par lequel de nombreux éléments de la société tsariste et même capitaliste supervisaient l’économie planifiée nationalisée. Comme Trotsky l’a déclaré, la restauration d’une véritable démocratie soviétique ne nécessitait pas une révolution sociale pour changer la base économique de la société, mais une révolution politique pour renverser la bureaucratie.

    Le stalinisme se répand en Europe de l’Est

    En dépit de l’incompétence de la bureaucratie stalinienne, l’Union soviétique est sortie victorieuse de la Seconde Guerre mondiale, grâce à l’économie planifiée ainsi qu’à la détermination du peuple soviétique. L’Europe de l’Est, dont une partie de l’Allemagne, était contrôlée par l’armée soviétique. Au fur et à mesure de la progression de cette dernière, les anciens États bourgeois s’effondraient et un mouvement révolutionnaire émergeait, surtout en Tchécoslovaquie. Staline entendait toutefois maintenir le capitalisme dans la région en y plaçant des régimes fantoches en guise de tampons entre l’Est et l’Ouest. Ce projet était intenable. Craignant le développement de républiques socialistes indépendantes et leur impact sur l’idée du ‘‘socialisme dans un seul pays’’, l’armée soviétique a dissous les mouvements révolutionnaires. L’économie bureaucratiquement planifiée a été étendue à toute la région. Alors que la révolution russe avait connu une dégénérescence bureaucratique, les nouveaux régimes en Europe de l’Est étaient bureaucratiquement déformés dès l’origine.

    L’économie planifiée a souffert d’une terrible gestion bureaucratique et de gaspillage mais, pendant un certain temps, elle s’est avérée être plus efficace que celle du marché occidentale. L’économie soviétique s’est développée pour quasiment atteindre les conditions de vie occidentales dans les années 1970. Dans les économies dévastées d’Europe de l’Est, la croissance par habitant au cours des 20 années qui ont suivi la guerre a été environ 2,4 fois plus élevée que dans l’ensemble de l’Europe capitaliste.

    Cela explique en grande partie pourquoi les soulèvements de RDA (1953) et de Hongrie (1956), n’avaient pas de caractère antisocialiste mais se concentraient sur le retrait de l’armée soviétique et le remplacement du totalitarisme bureaucratique par la démocratie ouvrière.
    Quand Staline est arrivé au pouvoir, la bureaucratie comptait quelques centaines de milliers de personnes. Dans les années 80, elle était devenue un monstre de 20 millions de personnes. Les richesses de la société étaient gaspillées non seulement par le vol et la corruption, mais aussi par l’incompétence bureaucratique qui a entraîné la perte de près de 30% de la production industrielle et agricole. Il fallait graisser la patte de quelqu’un même pour être enterré. Au sommet régnait une petite élite au style de vie particulièrement luxueux, illustrée par la passion de Leonid Brejnev pour les voitures de luxe.

    Le Printemps de Prague

    La situation était plus difficile en Europe de l’Est. Les staliniens exigeaient d’énormes réparations de guerre. D’autre part, le régime soviétique priorisait le développement de l’industrie lourde, en particulier dans le secteur de la défense, au détriment des biens de consommation.

    Des déséquilibres sont apparus et ont surtout touché la Tchécoslovaquie, dont l’économie industrielle était relativement développée avant-guerre. En 1953, Moscou a ordonné la dévaluation de la monnaie, ce qui a réduit le niveau de vie de 11%. L’économie a eu du mal à croître se développer la décennie suivante. Lorsqu’Alexander Dubcek est devenu premier secrétaire du Parti communiste tchèque, il a lancé un programme visant à libéraliser l’économie et à introduire des droits démocratiques limités : le ‘‘socialisme à visage humain’’, dont l’écho a été illustré par le Printemps de Prague en 1968.

    Dans un premier temps, le Kremlin, la résidence des dirigeants d’Union soviétique, a tenté de persuader Dubcek d’abandonner ces réformes. Sous la pression des Etats staliniens voisins, en août : le Printemps de Prague fut écrasé par les chars soviétiques.
    Solidarnosc

    Dans la Pologne voisine, la flambée des prix rendait la vie difficile. Le mécontentement a été violemment réprimé en 1976. Mais des cercles d’opposition clandestins ont constitué un nouveau syndicat indépendant. Les grèves du chantier naval ‘‘Lénine’’ de Gdansk, en 1980, ont donné naissance au syndicat Solidarnosc. L’année suivante, il a organisé avec succès une grève générale de quatre heures avec 14 millions de grévistes, dont de nombreux communistes ordinaires. En décembre 1981, l’état de siège était déclaré.

    Solidarnosc a été créé pour défendre le droit des travailleurs à s’organiser contre la hausse des prix, pour des salaires décents et, dans une large mesure, contre la bureaucratie polonaise. Stimulé par la longue histoire d’oppression tsariste de la Pologne, Solidarnosc a également fait campagne contre la présence soviétique. Mais l’influence des intellectuels autour du groupe ‘‘KOR’’ et de l’Eglise catholique, dont le dirigeant syndical, Lech Walesa, a poussé le syndicat non seulement dans une direction antistalinienne, mais aussi de plus en plus antisocialiste en général.

    Ce n’était pas inévitable. Lors du premier congrès de Solidarnosc, avant la déclaration de l’état de siège, le syndicat se considérait comme un instrument de négociation pour obtenir des concessions du gouvernement. Il y a même été suggéré que les affiliés travaillent volontairement le samedi pour aider le pays à sortir de la crise économique. Une minorité radicale, autour de 40% des délégués, affirmait que ‘‘l’autonomie des travailleurs sera la base d’une république autonome’’, chose reprise dans le programme de Solidarnosc.

    L’autogestion proposée par ce groupe, qui se voulait radicale, a ouvert la voie à des entreprises économiquement indépendantes et ouvertes au marché. En fin de compte, cela aurait conduit à la restauration du capitalisme, comme ce fut le cas en Yougoslavie. La minorité radicale n’a pas proposé de programme pour faire face à la bureaucratie stalinienne.

    Le général Jaruzelski, qui a déclaré la loi martiale, a ensuite affirmé que le Kremlin ne voulait pas l’aider et que les Etats-Unis soutenaient sa prise de pouvoir. Son problème était que le vent du changement soufflait sur l’Union soviétique. A la mort de Brejnev, en 1982, le président du KGB Youri Andropov lui succéda. Selon lui, un changement était nécessaire pour maintenir le pouvoir de la bureaucratie soviétique. Son règne de courte durée, suivi de celui encore plus court de Viktor Tchernenko, a ouvert la voie à Mikhaïl Gorbatchev en 1985.
    En Pologne, Jaruzelski a entamé un dialogue avec Solidarnosc. Au fil du temps, les radicaux avait été isolés et remplacés par des partisans déclarés du capitalisme. En 1988, Margaret Thatcher s’est rendue à Gdanks pour discuter d’abord avec la direction communiste et ensuite avec Solidarnosc. À peine dix mois plus tard, des élections libres eurent lieu, remportées de manière éclatante par Solidarnosc.

    Les origines des conflits ethniques

    En Yougoslavie, après avoir affronté Staline en 1948, Tito avait maintenu la bureaucratie au pouvoir tout en entretenant une certaine indépendance vis-à-vis de Moscou. Tito a utilisé son autorité de dirigeant de la résistance durant la Seconde Guerre mondiale et est parvenu à instaurer un équilibre entre les sept nations de Yougoslavie, notamment grâce à la forte croissance de l’économie. A sa mort en 1980, le modèle du ‘‘socialisme de marché’’ reposant sur ‘‘l’autogestion’’ faisait face à une dette extérieure croissante et à un taux de chômage de 20%. L’aide du FMI était conditionnée à l’instauration de ‘‘réformes’’ destinées à ouvrir l’économie à l’Occident.

    Le mécontentement grondait. Le nouveau dirigeant serbe, Slobodan Milosevic, a alors tenté de renforcer la domination serbe et s’est heurté à une résistance farouche de la part des dirigeants des autres républiques, qui voulaient récupérer leur part du gâteau alors que le pays s’effondrait. Lorsque Milosovic a tenté d’abolir l’autonomie kosovare en Serbie, les mineurs kosovars se sont mis en grève. C’était la base des conflits ethniques des années ‘90.

    La ‘‘Perestrojka’’ et la ‘‘Glasnost’’ sèment le chaos

    Face à la crise de l’Union soviétique, Gorbatchev représentait les bureaucrates qui voulaient donner un nouveau souffle à l’économie. Il a commencé par interdire l’alcool, mesure qui a entrainé une pénurie de sucre due à la distillation illégale. Ensuite, son programme de réforme de glasnost (ouverture) et de perestroïka (reconstruction) a conduit au chaos économique. Constatant la crise de l’élite dirigeante, les masses soviétiques ont gagné la confiance de s’exprimer. Elles avaient été tenues à l’écart de la politique pendant soixante ans, leur retour sur la scène fut d’abord prudent, mais ensuite explosif.

    La contestation concernait souvent l’environnement. L’air de nombreuses villes était tellement pollué que l’espérance de vie y avait chuté. Le lac Baïkal et la mer Caspienne étaient pollués par les déchets industriels. La mer d’Aral en Asie centrale, autrefois le quatrième plus grand lac du monde, était pratiquement asséché en raison de la culture intensive de coton en Ouzbékistan.

    La question nationale était une autre source de mécontentement. Lorsque les bolchéviks sont arrivés au pouvoir en 1917, leur approche à l’égard des minorités nationales était très sophistiquée et sensible. Le gouvernement capitaliste provisoire au pouvoir en Russie de février à octobre 1917 avait promis la liberté aux minorités nationales, sans tenir ses promesses. Les bolchéviks, par contre, ont mis moins d’une semaine pour reconnaître le droit de la Finlande à l’indépendance. Cela a rapidement été suivi du soutien à l’indépendance de l’Ukraine, de la Moldavie, de la Lituanie, de l’Estonie, de la Transcaucasie, du Belarus, de la Pologne et de la Lettonie. Mais sous Staline et ses successeurs, tout était décidé dans l’intérêt de la bureaucratie d’Etat centralisée.

    Les frustrations refoulées ont été libérées lorsque les minorités nationales se sont débattues pour échapper à la répression et au centralisme. Alors que les masses luttaient pour la libération nationale, une grande partie de l’élite dirigeante, sentant approcher la fin de l’Union soviétique, a joué la carte nationaliste pour instrumentaliser cette aspiration à l’émancipation nationale.

    Un sanglant avertissement concernant les événements ultérieurs a vu le jour en 1988. Pour mettre fin à un mouvement de masse en faveur du transfert du Haut-Karabakh de l’Azerbaïdjan à l’Arménie, le parti communiste a organisé un pogrom sanglant : des centaines d’Arméniens ont été tués. Le conflit ethnique qui en a résulté a duré des années et n’est toujours pas résolue.

    La chute du Mur de Berlin

    Les événements d’Europe de l’Est ont accéléré l’évolution de la situation en Union soviétique, ce qui a à son tour accéléré les processus ailleurs. Quand les Allemands de l’Est ont constaté l’essor du débat public à Moscou, auquel s’opposaient les dirigeants de la RDA, et que les gouvernements hongrois et tchécoslovaque ont décidé d’autoriser les voyages en Europe occidentale, des manifestations ont eu lieu chaque semaine, culminant en novembre avec un défilé d’un million de personnes à Berlin-Est.

    Il n’y avait au début aucun désir de réunification avec l’Allemagne de l’Ouest capitaliste. Les revendications des manifestants étaient : ‘‘élections libres, médias libres, liberté de circulation et socialisme démocratique’’. Aucune force organisée n’a cependant réellement répondu à ces exigences. La bourgeoisie ouest-allemande a saisi l’occasion de réunifier le pays sous son contrôle. Après la chute du mur de Berlin, une ‘‘thérapie de choc’’ a été appliquée avec la réintroduction rapide et brutale du capitalisme.

    Les grèves des mineurs en Union soviétique

    Le glas du régime soviétique a sonné en juillet 1989, lorsqu’une grève massive a éclaté dans les mines de charbon de Kouzbass en Sibérie, dans le Donbass en Ukraine, à Vorkouta dans le cercle polaire et à Karaganda dans la steppe du Kazakhstan.

    L’élite dirigeante prétendait que l’Union soviétique était une ‘‘société socialiste développée’’ dirigée dans l’intérêt de la classe ouvrière. La réalité était bien différente. Beaucoup de travailleurs connaissaient de terribles conditions de vie et de travail. Les mineurs de Sibérie et du cercle polaire arctique avaient des salaires relativement élevés, mais il n’y avait rien à quoi dépenser son argent. Il n’était pas rare que plusieurs familles vivent ensemble dans des baraquements de bois datant d’avant la révolution !

    Lorsqu’est survenue une pénurie de savon et de rasoirs, la colère a éclaté. Des centaines de milliers de mineurs se sont mis en grève et ont exigé de meilleures conditions de vie et moins de bureaucratie. Les grévistes étaient confrontés à un choix. S’ils avaient disposé de leur propre parti politique, ils auraient pu renverser la bureaucratie pour construire une société véritablement socialiste, c’est-à-dire contrôlée et administrée par les travailleurs eux-mêmes, à tous les niveaux. Cela aurait pu conduire à la liberté syndicale et politique, à la liberté de circulation et à la liberté de manifester. Le droit à l’autodétermination aurait pu conduire à une véritable union d’États socialistes libres et égaux. Les ressources libérées par la fin du gaspillage et de la surconsommation bureaucratiques auraient considérablement amélioré les conditions de vie des travailleurs.

    Mais les travailleurs n’étaient pas politiquement préparés. De plus, une couche croissante de la bureaucratie ourdissait ses propres plans. Les dirigeants du parti enviaient le style de vie occidental, très certainement la jeunesse privilégiée et les membres du KGB qui importaient chez eux la mode occidentale et écoutaient de la musique importée. Beaucoup de ces bureaucrates parasitaires, en voyant le système étouffer, espéraient que le capitalisme leur sauverait la peau.

    Ils préconisaient de plus en plus de réformes orientées vers le marché capitaliste. Pour restaurer ‘‘une société civilisée’’, selon eux, l’industrie devait passer aux mains du privé… les leurs de préférence ! La classe ouvrière s’est retrouvée sans alternative, ces idées ont donc pu gagner du terrain dans toute la société.

    La ‘‘perestroïka’’ de Gorbatchev visait à réduire le gaspillage et la mauvaise gestion de la bureaucratie sans pour autant qu’elle ne perde le pouvoir : les réformes d’en haut visaient à empêcher la révolution d’en bas. Cela a toutefois ouvert une brèche pour la restauration capitaliste en Union soviétique et en Europe de l’Est.

    Inspiration et déception

    Tous ceux qui ont participé à ces événements ont dû être impressionnés par la détermination et l’initiative de ceux qui se sont battus pour une société meilleure. Les travailleurs de Budapest qui n’ont eu besoin que de quelques jours pour organiser un système politique national basé sur des conseils ouvriers élus et un parlement ouvrier. Ceux qui ont changé les panneaux de signalisation pour confondre les chars soviétiques qui ont envahi la Tchécoslovaquie. Ces femmes polonaises qui ont organisé la résistance clandestine pendant l’état de siège. Ces ingénieux ouvriers berlinois qui n’avaient pas d’imprimante et ont transformé une vieille machine à laver. Ces Azerbaïdjanais du Haut-Kharabakh qui ont caché leurs voisins arméniens des pogroms inspirés par les staliniens. Ces mineurs sibériens qui se sont mis en grève et ont pris le contrôle de leurs villes. La liste est sans fin.

    Il est également frappant de constater la rapidité avec laquelle les événements se sont déroulés, souvent causés par des questions apparemment innocentes, que ce soit la construction d’une nouvelle mine de phosphate ou la manipulation des élections locales, la dévastation causée par un séisme ou le manque de savon dans les douches. Boris Popovkin, un mineur de Vorkuta (et plus tard membre du Comité pour une Internationale Ouvrière), a démontré la nécessité d’une action décisive en juillet 1989 lorsqu’il a convaincu ses collègues ouvriers, lors d’une réunion de masse, de rejeter la proposition de compromis du comité de grève. Il a averti que ‘‘les tactiques de compromis ne mènent jamais au succès’’. Le mouvement s’est développé à partir de là et, en deux ans, il a fait tomber la toute-puissante bureaucratie stalinienne.

    Au fur et à mesure que les événements se déroulent à un rythme rapide, la conscience fait de même. Mais comme le montrent les événements de 1989, il y a une lutte idéologique pour la direction politique du mouvement. Ce qui a commencé comme un mouvement potentiellement révolutionnaire contre le stalinisme en Europe de l’Est a finalement conduit au transfert du pouvoir aux contre-révolutionnaires. Si les travailleurs ne veulent pas que les forces de classe hostiles l’emportent, ils doivent créer leur propre alternative politique : un parti avec un programme socialiste. Le travail de construction d’une telle alternative ne peut être reporté jusqu’au début du mouvement. Nous devons nous y atteler dès maintenant.

    Les événements de 1989 ont illustré la force de la classe ouvrière organisée. Il nous incombe maintenant de veiller à ce que la prochaine fois, nous soyons prêts à canaliser cette énergie pour créer une société socialiste véritablement démocratique et internationaliste.

     

     

     

  • La révolution chinoise a 70 ans

    Xi Jinping, l’homme fort quelque peu cabossé de la Chine, présidera une manifestation militaire grandiose pour marquer le 70e anniversaire de la Révolution chinoise ce 1er octobre 1949. A l’époque, le capitalisme et l’impérialisme ont été chassés du pays par l’armée paysanne de Mao Zedong. Mais le pouvoir politique est passé aux mains de son parti stalinien “communiste” (le PCC). Aujourd’hui, la dictature du PCC repose sur des bases de classe fondamentalement différentes de celles du régime et de l’Etat créés il y a 70 ans. La Chine est désormais une puissance impérialiste – la deuxième au monde – qui adopte un modèle capitaliste autoritaire et dirigé par un Etat.

    Vincent Kolo, de chinaworker.info, examine ce que la révolution et le régime de Mao représentaient réellement.

    • La lutte contre le PCC aujourd’hui : Participez à nos réunions ouvertes consacrées au mouvement de masse à Hong Kong ! Le 10 octobre à Bruxelles (plus d’infos) et le 15 octobre à Liège (plus d’infos).

    La Chine se classe aujourd’hui à la deuxième place concernant le nombre de milliardaires en dollars présents dans le pays. Il y en a actuellement 476, soit quasiment l’équivalant du double du nombre de l’année 2012, lorsque Xi Jinping est arrivé au pouvoir. L’augmentation est donc beaucoup plus marquée qu’aux États-Unis, où ce nombre est passé de 425 à 585 durant les années Obama et Trump sur la même période. En dépit du “miracle” économique tant attendu et des progrès réalisés dans la lutte contre la pauvreté, 577 millions de Chinois vivant dans les zones rurales avaient l’an dernier un revenu disponible moyen par habitant de 14.617 yuans (soit 2.052 dollars). Cela revient à 5,60 dollars par jour, soit un peu moins que les 5,50 dollars qui servent de seuil à la Banque mondiale pour mesurer la pauvreté dans les ‘‘pays à revenu moyen supérieur’’.

    Quand les commentateurs expliquent que Xi Jinping s’inspire du régime de Mao Zedong, ils font référence au renforcement du pouvoir autocratique et à la répression et non aux politiques économiques. Celles de Xi Jinping sont pro-riches et anti-travailleurs. Au lieu de vanter la révolution de 1949, les célébrations officielles de l’anniversaire de la Chine seront axées sur le nationalisme et des thèmes tels que le rôle mondial et la force militaire du pays, la menace croissante des “forces étrangères” (c’est-à-dire les États-Unis) et pourquoi la Chine serait désespérément perdue si la dictature du PCC ne contrôlait pas tout.

    Des changements révolutionnaires

    Le PCC n’est pas arrivé au pouvoir à la tête du mouvement ouvrier. Sa perspective et ses méthodes staliniennes l’avaient poussé à défendre initialement un programme relativement limité visant à l’instauration d’une “nouvelle démocratie” ayant conservé l’économie capitaliste. Mais, presque malgré lui, le PCC a été propulsé par l’une des vagues révolutionnaires les plus puissantes de l’histoire mondiale. C’est cette ferveur révolutionnaire des masses, dans le contexte international qui a émergé après la Seconde Guerre mondiale, qui a poussé le régime de Mao à introduire des changements qui ont profondément transformé la Chine.

    La Chine était connue depuis longtemps comme “l’homme malade de l’Asie”, un pays dévasté par la pauvreté, même selon les critères de l’Asie de l’époque. Avec son immense population (475 millions d’habitants en 1949), la Chine était depuis un siècle le plus grand “État en faillite” au monde. De 1911 à 1949, le pays fut déchiré par la rivalité des seigneurs de guerre. Le gouvernement central était corrompu et sans cesse intimidée par les puissances étrangères. La fin de l’humiliation des frais de douanes étrangers et de la présence des armées impérialistes sur le sol chinois n’était que l’un des nombreux avantages de la révolution. Le régime de Mao a également introduit l’une des réformes agraires les plus ambitieuses de l’histoire mondiale. Elle n’était pas aussi ambitieuse que celle qui a suivi la révolution russe mais elle a englobé une population rurale quatre fois plus importante.

    Cette révolution agraire, comme le souligne l’historien Maurice Meisner, “a détruit la noblesse chinoise en tant que classe sociale, éliminant ainsi finalement la classe dirigeante la plus ancienne de l’histoire mondiale, une classe qui avait longtemps constitué un obstacle majeur à la résurrection et à la modernisation de la Chine”. En 1950, le gouvernement de Mao a promulgué une loi sur le mariage interdisant les mariages arrangés, le concubinage et la bigamie tout en facilitant le divorce pour les deux sexes. C’était alors l’une des secousses gouvernementales les plus fortes jamais tentées dans le domaine des relations conjugales et familiales.

    Lorsque le PCC a pris le pouvoir, les quatre cinquièmes de la population étaient analphabètes. Ce pourcentage a été ramené à environ 35 % en 1976, lorsque Mao est décédé. Reflet de son retard écrasant, il n’y avait que 83 bibliothèques publiques dans toute la Chine avant 1949 et seulement 80.000 lits d’hôpital. En 1975, il y avait 1.250 bibliothèques et 1,6 million de lits d’hôpitaux.

    L’espérance de vie moyenne n’était que de 35 ans en 1949. Elle fut portée à 65 ans au cours de la même période. Les innovations en matière de santé publique et d’éducation, la réforme (c’est-à-dire la simplification) de l’alphabet écrit et, plus tard, le réseau des “médecins aux pieds nus ” qui couvrait la plupart des villages, ont transformé la situation des pauvres en milieu rural. Ces résultats furent obtenus alors que la Chine était beaucoup plus pauvre qu’aujourd’hui. Ce constat tranche fortement avec la crise actuelle des soins de santé et de l’éducation dans le pays, qui résulte directement de la commercialisation et de la privatisation de ces secteurs.

    L’abolition du féodalisme et du contrôle impérialiste sur le pays était une condition préalable cruciale pour lancer la Chine sur la voie du développement industriel moderne. Au début, le régime de Mao espérait s’allier avec certaines catégories de capitalistes. D’importantes sections de l’économie avaient donc été laissées aux mains du privé. Au milieu des années 1950, cependant, le régime avait été forcée d’aller jusqu’au bout en expropriant même les “capitalistes patriotes”. Leurs entreprises ont été incorporées dans un plan d’État calqué sur le système bureaucratique de planification qui prévalait en Union soviétique. En comparaison d’un régime de véritable démocratie ouvrière, le plan maoïste-stalinien était un instrument brutal. Mais il s’agissait tout de même d’un instrument incomparablement plus vital que le capitalisme chinois affaibli et corrompu.

    L’économie chinoise était particulièrement arriérée au début de ce processus. En raison de cela, l’industrialisation réalisée au cours de sa phase d’économie planifiée fut vraiment étonnante. De 1952 à 1978, la part de l’industrie dans le PIB est passée de 10% à 35% (selon les données de l’OCDE de 1999).

    C’est l’un des taux d’industrialisation les plus rapides jamais atteints, supérieur même à celui de Grande-Bretagne pour la période 1801-1841 ou celui du Japon en 1882-1927. Au cours de cette période, la Chine a créé à partir de rien ses industries aéronautique, nucléaire, marine, automobile et de machinerie lourde. Le PIB mesuré en parités de pouvoir d’achat a augmenté de 200 %, tandis que le revenu par habitant a augmenté de 80 %. Comme Meisner l’affirme : “C’est à l’époque de Mao que les bases essentielles de la révolution industrielle chinoise ont été jetées. Sans elles, les réformateurs de l’après-Mao n’auraient pas eu grand-chose à réformer”.

    Les deux grandes révolutions du siècle dernier, la révolution russe (1917) et la révolution chinoise (1949), ont contribué davantage à façonner le monde dans lequel nous vivons que tout autre événement de l’histoire humaine. Tous deux sont le résultat de l’incapacité totale du capitalisme et de l’impérialisme à résoudre les problèmes fondamentaux de l’humanité. Tous deux étaient également des mouvements de masse à une échelle épique, et non des coups d’État militaires comme le prétendent de nombreux politiciens et historiens capitalistes. Cela dit, des différences fondamentales et décisives existent entre ces révolutions.

    Le stalinisme

    Le système social établi par Mao était un système stalinien plutôt que socialiste. L’isolement de la Révolution russe après la défaite des mouvements révolutionnaires en Europe et ailleurs dans les années 1920 et 1930 a conduit à l’émergence d’une bureaucratie conservatrice personnifiée par Staline. Cette bureaucratie reposait sur l’économie d’Etat de laquelle elle retirait ses pouvoirs et privilèges. Tous les éléments de la démocratie ouvrière – la gestion et le contrôle par les représentants élus et l’abolition des privilèges – avaient été écrasés.

    Comme l’a expliqué Léon Trotsky, une économie planifiée a besoin du contrôle démocratique des travailleurs de la même manière qu’un corps humain a besoin d’oxygène. Sans cela, tout le potentiel d’une économie planifiée peut être gaspillé par un régime de dictature bureaucratique. En fin de compte, cela menace directement de destruction l’édifice entier de la société, comme cela a été démontré il y a trois décennies.

    C’est pourtant ce modèle stalinien que le PCC a adopté lorsqu’il a pris le pouvoir en 1949. On était fort loin du socialisme authentique, mais l’existence d’un système économique alternatif au capitalisme ainsi que les gains visibles que cela impliquait pour la masse de la population ont exercé un puissant effet de radicalisation sur la politique mondiale. La Chine et la Russie, en vertu de leurs économies étatiques, ont joué un rôle pour forcer le capitalisme et l’impérialisme à faire des concessions, en particulier en Europe et en Asie.

    La révolution chinoise a accru la pression sur les impérialistes européens pour qu’ils quittent leurs colonies de l’hémisphère sud. Elle a également poussé l’impérialisme américain à parrainer une industrialisation rapide du Japon, de Taïwan, de Hong Kong et de Corée du Sud afin d’utiliser ces États comme tampons par crainte de la propagation de la révolution. Comme Marx l’a expliqué, la réforme est souvent un sous-produit de la révolution. Ce fut le cas de la réforme agraire et de la destruction du féodalisme menée par les régimes militaires asiatiques dans la sphère de contrôle américaine dans les années 1950, ce qui est à l’origine de la croissance rapide du capitalisme asiatique à partir là.

    Différentes classes et différents programmes

    Alors que les révolutions russe et chinoise étaient dirigées par des partis communistes de masse, des différences fondamentales existaient entre eux en termes de programme, de méthodes et surtout de base de classe. C’est toute la différence entre le marxisme authentique et sa caricature stalinienne perverse.

    La Révolution russe de 1917 avait un caractère prolétarien, c’est-à-dire reposant sur la classe ouvrière. Ce facteur est d’importance décisive. Cela lui a donné l’indépendance politique et l’audace historique de se lancer sur une voie jamais explorée auparavant. Les dirigeants de cette révolution, surtout Lénine et Trotsky, étaient internationalistes et considéraient la révolution russe comme la porte ouverte vers une révolution socialiste mondiale.

    En revanche, la plupart des dirigeants du PCC étaient en réalité des nationalistes avec un mince vernis d’internationalisme. Cela provient de la base paysanne de la révolution chinoise. Lénine avait fait remarquer que la paysannerie est la moins internationale de toutes les classes. Ses conditions de vie dispersées et isolées lui confèrent une perspective paroissiale, qui la bloque même dans de nombreux cas pour disposer d’une perspective nationale. Le discours de Lénine proclamant la formation du gouvernement soviétique le 25 octobre 1917 se termina par ces mots : “Vive la révolution socialiste mondiale !” Le discours de Mao le 1er octobre 1949 ne mentionnait pas la classe ouvrière, mais soulignait que les Chinois s’étaient levés, faisant même référence aux “Chinois d’outre-mer et autres éléments patriotiques”.

    La Révolution chinoise était de caractère paysan ou petit bourgeois. En Chine, la prise du pouvoir a été opérée par l’Armée populaire de libération (APL) au lieu du mouvement ouvrier à l’aide de conseils ouvriers élus (les soviets) – les forces motrices de la révolution russe – et d’un parti ouvrier marxiste démocratique, celui des bolcheviks. En Chine, la classe ouvrière n’a joué aucun rôle indépendant et a même reçu l’ordre de ne pas entrer en grève ou de manifester mais d’attendre l’arrivée du l’APL dans les villes.

    La paysannerie est capable d’un grand héroïsme révolutionnaire, comme l’a démontré l’histoire de la lutte de l’Armée rouge/APL contre le Japon et le régime dictatorial de Chiang Kai-shek. Mais elle est incapable de jouer un rôle indépendant. Tout comme les villages s’inspirent des villes, politiquement, la paysannerie soutient l’une ou l’autre des classes urbaines : la classe ouvrière ou les capitalistes. En Chine, ce ne sont pas les villes qui ont mis les campagnes en mouvement. Le PCC est arrivé au pouvoir en s’attirant une masse de paysans et en occupant ensuite des villes largement passives et lasses de la guerre. La base de classe de cette révolution signifiait qu’elle pouvait imiter un modèle de société existant, mais pas en créer un neuf.

    L’orientation paysanne du PCC est née de la terrible défaite de la révolution de 1925-1927, causée par la théorie des étapes de l’Internationale communiste dirigée par Staline. Ce dernier soutenait que puisque la Chine n’était qu’au stade de la révolution bourgeoise, les communistes devaient être prêts à soutenir et à servir le Parti nationaliste bourgeois de Chiang Kai-shek (le Kuomintang). La jeune et impressionnante base ouvrière du PCC a été brutalement écrasée en raison de cette erreur.

    Mais alors qu’une importante minorité trotskyste s’est formée peu après cette défaite, en tirant la conclusion correcte que c’est à la classe ouvrière et non aux capitalistes de diriger la révolution chinoise, la majorité des dirigeants du PCC s’en sont tenus au concept stalinien de la révolution par étapes. Ironiquement, ces derniers ont toutefois rompu avec cette idée dans la pratique après avoir pris le pouvoir en 1949.

    C’est ainsi qu’à la fin des années 1920, le principal groupe de cadres du PCC, issus pour la plupart de l’intelligentsia, est parti vers les campagnes avec ces idées pseudo-marxistes erronées afin d’y mener une lutte de guérilla. Chen Duxiu, fondateur du PCC, puis partisan de Trotsky, a averti que le PCC risquait de dégénérer en “conscience paysanne”. Le jugement s’est avéré prophétique. En 1930, seulement 1,6 % des membres du parti étaient des travailleurs, comparativement à 58 % en 1927. Cette composition de classe est restée pratiquement inchangée jusqu’à l’arrivée au pouvoir du parti en 1949, conséquence automatique de l’accent mis par la direction sur la paysannerie et sur le rejet des centres urbains comme principal théâtre de la lutte.

    Parallèlement, le parti s’est bureaucratisé. Le débat interne et la démocratie y ont été remplacés par un régime autoritaire, par les purges et par le culte de la personnalité de Mao. Tout cela était copié de Staline. Un milieu paysan et une lutte essentiellement militaire sont beaucoup plus propices à l’émergence d’une bureaucratie qu’un parti plongé dans les luttes ouvrières de masse. Ainsi, alors que la Révolution russe a dégénéré dans des conditions historiques défavorables, la Révolution chinoise a été bureaucratiquement défigurée dès ses origines. Cela explique la nature contradictoire du maoïsme : des gains sociaux importants aux côtés d’une répression brutale et d’un régime dictatorial.

    La haine du Kuomintang

    Lorsque la guerre d’occupation japonaise a pris fin en 1945, l’impérialisme américain n’a pas pu imposer directement sa propre solution à la Chine. La pression était trop forte pour “ramener les troupes à la maison”. Par conséquent, les Etats-Unis n’avaient d’autre choix que de soutenir le régime corrompu et incroyablement incompétent de Chiang Kai-shek en lui fournissant de l’aide et des armes pour une valeur totale de six milliards de dollars.

    Quelques années plus tard, le président Truman a illustré la confiance de Washington envers le gouvernement du Kuomintang : “Ce sont des voleurs, chacun d’entre eux. Ils ont volé 750 millions de dollars sur les milliards que nous avons envoyés à Chiang. Ils ont volé cet argent, qui a été investi dans l’immobilier à Sao Paulo et ici même à New York”.

    Pour les masses, le régime nationaliste fut un désastre absolu. Dans les dernières années du régime du Kuomintang, plusieurs villes ont fait état de “personnes affamées, sans soins et mourantes dans la rue”. Des usines et des ateliers ont fermé leurs portes par manque d’approvisionnement ou parce que les travailleurs étaient trop affaiblis par la faim pour travailler. Les exécutions sommaires et la criminalité endémique des triades étaient la norme dans les grandes villes.

    Parallèlement à la réforme agraire introduite dans les zones libérées, le principal atout du PCC était la haine éprouvée envers le Kuomintang. Des soldats ont déserté en masse pour rejoindre l’Armée rouge/APL. A partir de l’automne 1948, les armées de Mao ont remporté des victoires écrasantes dans plusieurs grandes batailles. Dans toutes les villes du pays, les forces du Kuomintang se rendaient, désertaient ou organisaient des rébellions pour rejoindre l’APL. Le régime de Chiang s’est décomposé de l’intérieur. Le PCC a pu jouir de circonstances exceptionnellement favorables. Mais les mouvements de guérilla maoïste qui ont par la suite tenté de reproduire l’expérience en Malaisie, aux Philippines, au Pérou et au Népal n’ont pas eu cette chance.

    En appliquant une politique reposant véritablement sur le marxisme, le renversement du Kuomintang aurait très certainement pu s’opérer plus rapidement et moins douloureusement. De septembre 1945, à la suite de l’effondrement de l’armée japonaise, jusqu’à la fin de 1946, les travailleurs de toutes les grandes villes ont déclenché une magnifique vague de grève. A Shanghai, ce sont 200.000 personnes qui se sont mises en grève ! De leur côté, les étudiants se sont déversés dans les rue en masse dans tout le pays. Cela reflétait la radicalisation des couches moyennes de la société.

    Les étudiants revendiquaient la démocratie et s’opposaient à la conscription militaire pour se battre contre le PCC au côté du Kuomintang. Les travailleurs exigeaient des droits syndicaux et la fin du gel des salaires. Au lieu de donner une nouvelle impulsion à ce mouvement, le PCC l’a freiné. Il a poussé les masses à éviter les “extrêmes” dans leur lutte. A ce stade, Mao était encore gagné à la perspective d’un “front unique” avec la bourgeoisie “nationale”. Il ne fallait donc pas à ses yeux effrayer cette dernière en raison du militantisme de la classe ouvrière.

    Les étudiants n’ont été utilisés que comme monnaie d’échange par le PCC pour faire pression sur Chiang afin qu’il entame des pourparlers de paix. Le PCC a fait tout son possible pour que les luttes des étudiants restent séparées de celles des travailleurs. Les lois inévitables de la lutte de classe sont telles que cette limitation du mouvement a produit la défaite et la démoralisation. Beaucoup d’étudiants et d’activistes ouvriers ont été emportés par la vague de répression du Kuomintang qui a suivi. Certains ont été exécutés. Une occasion historique a été manquée, ce qui a prolongé la vie de la dictature de Chiang et a laissé les masses largement passives dans les villes pour le reste de la guerre civile.

    La théorie des étapes

    Conformément à la théorie stalinienne des étapes, Mao écrivait en 1940 : “La révolution chinoise dans sa phase actuelle n’est pas encore une révolution socialiste pour le renversement du capitalisme mais une révolution bourgeoise-démocratique, sa tâche centrale étant principalement de combattre l’impérialisme étranger et le féodalisme intérieur” (Mao Zedong, La Démocratie Nouvelle, janvier 1940).

    Afin de créer un bloc avec les capitalistes “progressistes” ou “patriotiques”, Mao a limité la réforme agraire (jusqu’à l’automne 1950, elle n’avait été menée que dans un tiers de la Chine). En outre, alors que les entreprises des “capitalistes bureaucratiques” – les copains et les fonctionnaires du Kuomintang – ont été immédiatement nationalisées, les capitalistes privés ont conservé leur contrôle et, en 1953, ils représentaient 37% du PIB.

    La guerre de Corée, qui a éclaté en juin 1950, a constitué une épreuve décisive. Cela a entraîné une escalade massive de la pression américaine, des sanctions économiques et même la menace d’une attaque nucléaire contre la Chine. La guerre et la situation mondiale fortement polarisée qui l’accompagnait (la “guerre froide” entre l’Union soviétique et les Etats-Unis) signifiait que le régime de Mao, pour rester au pouvoir, n’avait d’autre choix que de parachever la transformation sociale, d’accélérer la réforme agraire et d’étendre son contrôle sur l’économie tout entière.

    La révolution chinoise était donc une révolution paradoxale, inachevée, qui a livré un progrès social monumental mais créé parallèlement une dictature bureaucratique monstrueuse dont le pouvoir et les privilèges sapaient de plus en plus le potentiel de l’économie planifiée. A la mort de Mao, le régime était profondément divisé et en crise. Il craignait les bouleversements de masse qui pourraient le renverser.

    Aujourd’hui, en Chine, certains sont devenus des anticommunistes endurcis qui soutiennent le capitalisme mondial en croyant qu’il s’agit d’une alternative au régime actuel. D’autres se sont tournés vers l’héritage de Mao, qu’ils estiment avoir été complètement trahi par ses successeurs. Dans ce contexte de turbulences sociales et politiques croissantes, de véritables marxistes organisés au sein du Comité pour une Internationale Ouvrière en Chine, à Hong Kong et à Taïwan, font campagne à travers le site chinaworker.info et d’autres publications pour défendre que le socialisme démocratique mondial est la seule issue.

  • Catastrophe climatique et nécessité d’une économie planifiée

    Les 20 années les plus chaudes jamais enregistrées se sont produites au cours des 22 dernières années et la hausse des températures n’est qu’un des symptômes de la catastrophe climatique que nous connaissons actuellement. 8% des espèces sont menacées d’extinction. L’État de Louisiane perd la surface d’un terrain de football toutes les 45 minutes en raison de l’élévation du niveau de la mer. Les feux de forêt ravagent l’Ouest des États-Unis et les ouragans ont ravagé la côte sud-est.

    Par Keely Mullen, Socialist Alternative (USA)

    L’humanité est à la croisée des chemins. L’un après l’autre, les rapports nous avertissent qu’à moins que des mesures décisives ne soient prises pour réduire les émissions de carbone, nous risquons d’atteindre des points de non-retour après lesquels les effets sur l’environnement ne pourront être inversés. Un rapport de Columbia Engineering prévoit que la capacité de la planète à absorber le dioxyde de carbone pourrait commencer à diminuer en 2060. Notre filet de sécurité contre l’excès de dioxyde de carbone dans l’atmosphère s’érode, accélérant considérablement les pires effets du changement climatique.

    Un autre de ces points de non-retour est la fonte de la glace polaire. La glace aux pôles agit comme un réflecteur qui renvoie une partie des rayons du soleil dans l’espace et refroidit la planète. Lorsque cette glace fond, elle révèle l’eau plus foncée qui se trouve en dessous et qui absorbe beaucoup plus de chaleur, déclenchant ainsi une boucle de réaction qui augmente de plus en plus le réchauffement. Un autre danger de la fonte des glaces est qu’elle finira par découvrir les couches de pergélisol existantes qui contiennent actuellement d’énormes quantités de méthane. Si le pergélisol fond, ce méthane – qui a un effet de réchauffement beaucoup plus important que le dioxyde de carbone – sera rejeté dans l’atmosphère.

    L’enjeu de l’aggravation de la crise climatique n’est pas seulement notre confort, mais aussi l’accès aux ressources collectives de la terre, à l’eau, à la terre et à l’air pur, ainsi que le déplacement massif de millions de personnes qui deviendront des réfugiés climatiques.

    Les climatologues sont particulièrement préoccupés par l’effet du changement climatique sur le cycle de l’eau de la planète. La hausse des températures a entraîné une augmentation de la quantité de vapeur d’eau contenue dans l’atmosphère, ce qui rend la disponibilité de l’eau très difficile à prévoir. Cela peut entraîner à la fois des pluies torrentielles plus intenses et des sécheresses plus graves.

    Bien que les tempêtes tropicales, les ouragans et les pluies de mousson fassent partie du régime météorologique normal des États-Unis, l’augmentation de la fréquence et de la gravité de ces phénomènes entraînent des inondations plus intenses qui menacent la qualité générale de notre eau. En effet, les eaux d’inondation recueillent les eaux usées, les pesticides, l’huile de moteur, les eaux usées industrielles et toutes sortes de contaminants et les rejettent directement dans nos cours d’eau. En 2014, l’ouragan Sandy a inondé 10 des 14 stations d’épuration des eaux usées de la ville de New York, provoquant le rejet d’eaux usées partiellement traitées ou non traitées dans les cours d’eau locaux.

    Les entreprises sont responsables

    Quand Al Gore a sorti Une vérité qui dérange en 2006, il a eu un effet retentissant, expliquant en termes simples la science derrière le réchauffement climatique et le danger que cela représente pour l’humanité. Ce film a lancé un réel débat étant donné que pendant des décennies, les grandes entreprises se sont engagées dans une campagne déterminée pour cacher les faits sur le changement climatique afin d’éviter toute perturbation de leurs activités extrêmement rentables. Cette campagne écœurante a sans doute déjà causé la mort de milliers de personnes.

    La conclusion d’Al Gore, c’est que le ralentissement ou l’inversion des effets du changement climatique reposent sur les épaules des individus et leurs choix de consommation. Changez vos ampoules, prenez des douches plus courtes, achetez une voiture hybride, n’utilisez pas de pailles en plastique. Bien que certains de ces changements à notre consommation quotidienne pourraient avoir un impact, même si tout le monde aux États-Unis suivait chaque suggestion d’Une vérité qui dérange, les émissions de carbone aux États-Unis ne diminueraient que de 22 % ! Le consensus scientifique est qu’il doit être réduit de 75 % à l’échelle mondiale. D’où la question de savoir qui sont les véritables responsables de la crise climatique et comment les affronter ?

    Les rapports ont révélé que 100 entreprises sont à elles seules responsables de 71 % des émissions mondiales depuis 1988, la plupart d’entre elles étant des sociétés productrices de charbon et de pétrole comme Exxon, Shell et BP.

    Ce n’est ni une coïncidence ni un accident que ces entreprises soient les principaux moteurs du réchauffement climatique. Il est inhérent à la logique du capitalisme que, pour rester viables, les entreprises doivent maximiser leurs profits. Cela signifie qu’il faut rechercher tous les raccourcis possibles, toutes les dépenses qui peuvent être évitées et toutes les mesures de sécurité qui peuvent être contournées.

    Lors de l’horrible marée noire de Deepwater Horizon en 2010, 4,9 millions de barils de pétrole ont été déversés dans le golfe du Mexique. Une commission de la Maison-Blanche a confirmé qu’avant l’explosion, BP, Transocean et Halliburton ont pris une série de décisions pour réduire les coûts, qui ont finalement causé l’explosion de la plate-forme pétrolière et la mort de 11 travailleurs. Cette commission de la Maison-Blanche a elle-même confirmé que cela allait probablement se reproduire en raison de la “complaisance de l’industrie”. En d’autres termes, cela se reproduira probablement parce que le coût du nettoyage d’une catastrophe n’est rien comparé aux profits réalisés en la provoquant.

    Diverses initiatives politiques ont été proposées pour faire face à cette crise, dont la plupart n’arrivent pas à la cheville de ce qu’il est nécessaire de faire. Le Green New Deal (GND) d’Alexandria Ocasio-Cortez est celui qui va le plus loin, appelant à une transition rapide vers une énergie 100% renouvelable, à un remaniement des systèmes de transport et à une imposition progressive. Gagner le GND représenterait un énorme pas en avant vers une société durable, mais son talon d’Achille, c’est son approche de la puissance structurelle du secteur de l’énergie. Si le secteur de l’énergie reste entre les mains du secteur privé, ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour saper le GND, qui ferait passer la valeur de leurs réserves inexploitées de centaines de milliards de dollars à zéro. Les objectifs contraires des chefs d’entreprise, dont le but est de réaliser des bénéfices, et des forces qui tenteraient de mettre en œuvre le GND rendront pratiquement impossible une transition rapide vers les énergies renouvelables.

    Arguments pour la propriété publique

    Il n’est pas du tout impossible que la pression des masses conduise à des mesures qui amorcent la transition des combustibles fossiles aux énergies renouvelables, même sous le capitalisme. Toutefois, sans intégrer d’importants secteurs de l’économie (à commencer par le secteur de l’énergie) au secteur public, cette transition serait lente et largement désorganisée. Pour changer radicalement de cap et éviter les pires effets du changement climatique, nous devons nous mettre sur le pied de guerre. Cela signifie une approche rapide et organisée pour mettre le secteur de l’énergie sous propriété du secteur public et le ré-équiper sur une base renouvelable.

    Pour opérer une transition rapide vers l’abandon des combustibles fossiles – même dans le cas d’un secteur énergétique public – il faudrait également faire entrer d’autres secteurs de l’économie dans le domaine public. La reprise d’une partie importante du secteur manufacturier permettrait l’expansion rapide des voitures électriques et des transports publics. Au-delà de cela, nous avons besoin de banques publiques pour aider les familles et les petites entreprises à faire la transition vers des logements et des commerces éconergétiques. Un changement aussi profond indique une réorganisation complète de la production sur une base socialiste avec une économie démocratiquement planifiée.

    Historiquement, le capitalisme a libéré la productivité humaine à grande échelle. Cependant, les caractéristiques déterminantes du capitalisme – la propriété privée et l’État-nation – sont maintenant devenues un obstacle au développement futur de notre économie et de notre société. C’est ce qui ressort clairement de la série d’accords internationaux sur le climat qui ont eu très peu d’effet en raison de la réticence des États-nations concurrents à faire des concessions qui profiteraient à leurs rivaux.

    À l’heure actuelle, toutes les grandes décisions sur la façon d’utiliser les ressources de la société sont prises par quelques dirigeants d’entreprises extrêmement riches. Les décisions sont prises en fonction de ce qui rapporte le plus d’argent. Cela signifie souvent l’utilisation de méthodes totalement inefficaces pour produire. Par exemple, lorsqu’une voiture est en cours d’assemblage, presque toutes les pièces se rendent au Mexique, au Canada et aux États-Unis avant que les pièces ne s’assemblent pour former une voiture. La base métallique d’un volant fabriqué aux États-Unis est envoyée au Mexique pour être recouverte et cousue avant d’être renvoyée aux États-Unis. C’est simplement pour que l’entreprise puisse trouver la main-d’œuvre et les matériaux les moins chers pour fabriquer son produit final.

    L’industrie dite de la “mode rapide” est un autre exemple de production inefficace et gaspilleuse sous le capitalisme. L’industrie de la mode est le deuxième plus grand pollueur au monde. Créer des tendances qui changent si rapidement que personne ne peut les suivre garantit que les gens continuent d’acheter des vêtements jetables bon marché, de les jeter et d’en acheter d’autres. Quatre-vingts milliards de vêtements sont produits en série chaque année, presque exclusivement à partir de textiles gourmands en eau mais bon marché comme le coton. Afin d’obtenir la bonne couleur pour une paire de jeans, 10 849 litres d’eau sont utilisés !

    S’il s’agit là d’exemples choquants de gaspillage et de manque total d’innovation, c’est typique de la façon dont la société est organisée sous le capitalisme. La question est donc, quelle est l’alternative ? Comment organiser la société plus efficacement, et dans l’intérêt des personnes et de la planète plutôt que dans celui du profit ?

    Besoin d’un système planifié

    Nous avons besoin d’une économie démocratiquement planifiée dans laquelle les 500 plus grandes entreprises sont mises sous propriété publique, et où les décisions sur la façon dont une industrie donnée est gérée sont prises par des organes élus de travailleurs et de consommateurs. La crise climatique est peut-être la crise la plus existentielle à laquelle l’humanité est confrontée, mais le capitalisme engendre inévitablement des inégalités massives, la pauvreté, et le racisme structurel. Pour répondre à toutes ces questions, il faut une société où les décisions économiques clés sont prises démocratiquement par les masses populaires.

    Mettre une entreprise en propriété publique, c’est retirer ses ressources matérielles – usines, outils, réseaux de distribution, technologies, infrastructures – et ses réserves financières existantes des mains d’investisseurs fortunés et les remettre entre les mains de la société dans son ensemble. Une fois cette étape critique franchie, des conseils démocratiques peuvent remplacer les patrons capitalistes et faciliter le fonctionnement de cette entreprise ou industrie. Ces conseils devraient refléter l’expertise des travailleurs de cette industrie, qui sont intimement familiers avec la façon dont elle fonctionne, ce qu’elle produit et ce qui peut être amélioré. Afin d’empêcher le développement d’une bureaucratie, toute personne élue à un comité d’entreprise ne gagnerait pas plus d’argent que le travailleur moyen de cette industrie et serait révocable.

    Le but de ces conseils ne serait pas de maximiser la rentabilité de leur industrie, mais plutôt de maximiser la capacité de cette industrie à répondre aux besoins de la société. Cela conduirait à une augmentation substantielle du niveau de vie général de la grande majorité de la population parce qu’il n’y aurait aucune raison de maintenir des salaires bas, des semaines de travail inutilement longues, ou de sous-financer les services publics.

    La transition vers une économie planifiée peut très bien commencer dans un pays, mais pour qu’elle réussisse, elle devra s’étendre à l’échelle internationale. Nous vivons dans une économie mondiale créée par le capitalisme, mais pour en tirer pleinement parti, il faut une planification socialiste mondiale. Dans le cadre d’une économie planifiée démocratiquement, des structures internationales devraient être mises en place pour faciliter la coordination maximale des conseils ouvriers dans les différentes industries au-delà des frontières.

    Comme on l’a vu plus haut, la plupart des grandes industries du capitalisme sont pieds et poings liés par la nécessité constante de réduire les coûts. Les patrons chercheront des raccourcis pour s’assurer qu’ils obtiennent les biens et la main-d’œuvre les moins chers. La tâche des conseils démocratiquement élus pour la gestion des lieux de travail et des industries serait d’identifier les domaines où les choses peuvent être rendues plus efficaces et plus durables sur le plan environnemental. Par exemple, à l’heure actuelle, les vastes réseaux de logistique et de chaîne d’approvisionnement qui existent chez Amazon et Walmart sont complètement séparés l’un de l’autre parce qu’ils sont en concurrence directe. Une fois cette concurrence éliminée, ces réseaux incroyablement utiles peuvent être combinés et réoutillés. Le modèle de flux tendu adopté par Amazon et d’autres grands détaillants, grâce auquel un produit peut être commandé et livré en quelques jours, pourrait être d’une grande utilité pour la société s’il n’était pas motivé par le profit. La vaste entreprise de Walmart est elle-même planifiée – avec une coordination à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement. Cela jette les bases d’une transition relativement facile vers une entreprise coopérative, planifiée démocratiquement.

    Alors, comment tout cela est-il lié à la menace existentielle du changement climatique, et comment une économie planifiée pourrait-elle y répondre ?

    Planifier un avenir vert

    Le capitalisme génère des innovations importantes – mais celles-ci sont motivées par la rentabilité, pas forcément la nécessité.

    Sur la base d’une économie planifiée démocratiquement, la recherche peut se faire dans l’intérêt de la population et du climat. Nous pouvons investir dans une véritable transformation des grandes industries sur une base durable. Nous pouvons investir dans le reconversion de millions de travailleurs dans les industries actuellement polluantes et créer des millions d’emplois syndiqués bien rémunérés en exploitant l’énergie renouvelable grâce aux technologies solaire, éolienne et marémotrice. De nouvelles formes d’énergie renouvelable seront sans aucun doute découvertes, et le perfectionnement de la technologie pour exploiter cette énergie exigera la formation d’un plus grand nombre de scientifiques et d’ingénieurs, ainsi que le transfert des scientifiques qui travaillent actuellement au développement d’armes vers des travaux beaucoup plus utiles.

    Afin d’inverser certains des pires effets de la crise climatique, un projet de reboisement mondial devrait être mis en œuvre. La reforestation par la plantation de millions d’arbres endémiques réduirait considérablement la pollution de l’air et rétablirait les habitats naturels et les écosystèmes qui ont été détruits par la déforestation. Parallèlement, il faudra procéder à une réorganisation importante de l’agriculture mondiale afin de réduire la superficie des terres consacrées à l’élevage, ainsi qu’au développement de substituts sains de la viande.

    Dans la plupart des grandes villes, les transports publics s’érode complètement, pendant que les Américains passent 19 jours complets par an coincés dans les embouteillages sur le chemin du travail. Si les gens devraient avoir le choix de posséder et d’utiliser leur propre véhicule, l’expansion massive du transport en commun et son électrification totale permettraient à beaucoup plus de gens de se déplacer plus rapidement et plus facilement que la voiture. Au-delà du transport en commun local, il faut également davantage de trains longue distance. Les trains électriques à grande vitesse pourraient constituer une alternative moins coûteuse et beaucoup moins polluante que le transport aérien.

    L’expansion du transport en commun durable permettrait non seulement d’améliorer le niveau de vie de nombreuses personnes, mais aussi de faire un bond en avant dans la transformation de la société sur une base écologique.

    Une société libérée des contraintes du profit pourrait s’engager dans un certain nombre de projets révolutionnaires pour changer la société : la création de logements à haut rendement énergétique avec une isolation plus efficace, la recherche de stations de purification de l’air pollué, et le développement de routes électrifiées pour charger les véhicules électriques lorsqu’ils circulent.

    La solution à cette crise ne se fera pas par en haut, elle ne sera pas initiée par Elon Musk, elle ne résultera pas d’un simple vote tous les quatre ans. Le rééquipement de la société sur une base véritablement durable et la garantie d’un avenir pour l’humanité reposent sur la fin de la domination anarchique et chaotique du capitalisme et son remplacement par une économie planifiée véritablement démocratique.

    Quelle est la prochaine étape ?

    Gagner un changement révolutionnaire et transformer notre société sur une base socialiste exigera une confrontation historique avec les super riches qui dominent actuellement notre société. Il y a des signes très encourageants aux États-Unis et à l’échelle internationale quant à la possibilité de relever ce défi, des grèves historiques des enseignants qui ont eu lieu aux Etats-Unis au cours de la dernière année et demie et qui pourraient s’étendre à d’autres secteurs, au mouvement grandissant des jeunes pour le climat qui prévoit maintenant une journée internationale d’action le 20 septembre.

    C’est la force unie et organisée des travailleurs et des jeunes qui peut ouvrir la voie au changement socialiste. Une étape critique dans ce processus sera la construction de notre propre parti politique de masse avec un programme socialiste clair et une direction déterminée. Depuis 2015, nous avons mis l’accent sur le rôle que Bernie Sanders – et maintenant Alexandria Ocasio-Cortez – pourraient jouer dans ce processus, en utilisant leur énorme base de soutien pour une politique progressiste et ouvrière, et en lançant une nouvelle organisation de masse.

    Nous devons continuer à construire et à renforcer les organisations de la classe ouvrière en vue des luttes décisives qui nous attendent. Cela signifie construire sur nos lieux de travail des syndicats de lutte bien organisés, véritablement démocratiques, avec la participation active de tous les travailleurs et travailleuses et qui sont prêts à faire tout ce qui est nécessaire pour se défendre contre les attaques de nos patrons. Les syndicats doivent s’associer aux mouvements sociaux dynamiques qui luttent actuellement contre le changement climatique, le sexisme et le racisme, et montrer la voie à suivre sur une base ouvrière.

    Afin de prendre les mesures nécessaires pour sauver la planète de sa destruction par le profit, nous devons fondamentalement rompre avec le capitalisme et lutter pour la transformation socialiste de la société sur la base de l’innovation, la coopération et l’égalité.

  • “Défense du marxisme”, 80 ans plus tard

    Le livre de Trotsky ‘‘Défense du marxisme’’ est un ouvrage que chaque marxiste devrait étudier. Il s’agit d’un recueil de lettres et de documents clés, issus d’un débat animé au sein du Socialist Workers Party aux États-Unis en 1939 et 1940.

    Par Per-Åke Westerlund (Rättvisepartiet Socialisterna, CIO-Suède)

    C’est un livre très riche quant à l’application de la théorie marxiste à un monde en rapide mutation confronté au stalinisme en Union soviétique, au fascisme au pouvoir en Italie et en Allemagne et à la Seconde Guerre mondiale. En parallèle, il traite concrètement de la construction d’un parti révolutionnaire : l’orientation vers la classe ouvrière, la démocratie de parti et l’internationalisme. Une chose est évidente tout au long du livre: Trotsky n’était pas un «marxiste» qui se contentait de répéter de vieilles formules et il n’avait pas peur d’admettre ses erreurs.

    La Seconde Guerre mondiale a bien sûr représenté un test pour chaque organisation et chaque individu. Au niveau international, les politiciens bourgeois avaient déjà massivement capitulé devant le fascisme, qu’ils considéraient comme leur seul moyen d’écraser la classe ouvrière et de se venger de la révolution russe.

    En août 1939, juste avant le déclenchement de la guerre, les travailleurs et l’ensemble de la population étaient abasourdis par l’annonce du pacte germano-soviétique. C’était une décision désespérée de Staline, qui n’avait pas réussi à obtenir l’alliance qu’il souhaitait avec la France et la Grande-Bretagne afin d’éviter une attaque immédiate de l’Allemagne nazie. Lorsque cet assaut militaire inévitable eut lieu, en juin 1941, Staline a tout d’abord refusé de croire à la nouvelle.

    Le pacte a changé la propagande de l’Internationale communiste en mettant l’accent sur la critique de l’impérialisme britannique et français au lieu de celui de l’Allemagne nazie. Militairement, le pacte a signifié que l’armée allemande a envahi la Pologne occidentale le 1er septembre tandis que suivit l’invasion de l’Est du pays par l’Union soviétique à la mi-septembre. Les troupes soviétiques ont également attaqué les États baltes et la Finlande.

    À la suite de ces événements, une partie du SWP (Socialist Workers Party) trotskyste aux États-Unis, y compris une partie de la direction, a changé d’avis concernant le caractère de l’Union soviétique. Ils ont capitulé devant la forte pression de l’opinion démocratique bourgeoise dans les médias et les «cercles de gauche», qui assimilaient la dictature stalinienne en Union soviétique à celle de Hitler en Allemagne.

    A partir de là, l’opposition qui s’est développée au sein du SWP a rapidement abandonné la théorie marxiste et la nécessité d’un parti révolutionnaire. Pour cela, « Défense du marxisme » devrait être étudié avec soin afin de comprendre la nécessité de combiner une base théorique solide avec une analyse concrète.

    Qu’est-ce que le stalinisme?

    Lénine et Trotsky étaient les dirigeants de la révolution russe de 1917. Ils ont assuré que la classe ouvrière, avec le soutien de la paysannerie, puisse prendre le pouvoir pour la première fois de l’Histoire. Ils ont également été les premiers à reconnaître les faiblesses et les dangers du nouvel État, en particulier suite à son isolement à la suite de la défaite des révolutions en Allemagne et dans d’autres pays.

    Une bureaucratie s’est développée dans le pays avec Staline comme chef de file. La défense du statu quo et de la «stabilité» était sa première priorité, ce à quoi s’est progressivement ajoutée sa propre soif de privilèges et de pouvoir. Staline, qui n’a joué aucun rôle de premier plan en 1917, s’est montré incapable de donner des conseils judicieux à la révolution allemande de 1923 et à la révolution chinoise de 1925-1927. Ces révolutions ont toutes deux été vaincues par les forces contre-révolutionnaires.

    Dans les années 1920, la bureaucratie constituait un frein inconscient aux révolutions, mais elle devint plus tard un facteur qui a consciemment mis fin aux révolutions et aux luttes des travailleurs, tout particulièrement en Espagne en 1936-1939. En Union soviétique, cela a conduit à une véritable guerre contre tous les vestiges du bolchevisme, celui-là même qui avait conduit les travailleurs au pouvoir en 1917. Le régime stalinien a recouru aux purges, aux camps de prisonniers, aux procès et aux exécutions contre toute forme d’opposition, notamment contre les véritables marxistes.

    Durant le processus d’émergence du stalinisme, Trotsky a maintes fois fait référence au «Thermidor», évoquant ainsi la contre-révolution française en 1794. Au début, Trotsky pensait qu’un Thermidor en Russie signifierait la destruction de l’État ouvrier. Au début des années 1930, cependant, il s’est rendu compte que cette position était erronée : Thermidor était une contre-révolution politique, et non sociale. En France, Thermidor avait bien signifié un changement de régime contre-révolutionnaire, mais le nouveau régime a conservé le nouveau système économique capitaliste-bourgeois que la révolution avait mis en place et n’est pas retourné au féodalisme.

    Tout comme l’économie capitaliste peut prendre différentes formes, du fascisme à la démocratie bourgeoise, le règne de Staline représentait une contre-révolution politique, mais sans restauration du capitalisme. L’économie planifiée a survécu. Mais une dictature bureaucratique a remplacé le régime de démocratie ouvrière au cours d’une sanglante bataille prolongée. Ce développement fut possible en raison du retard et de l’isolement de la Russie, ainsi qu’à cause de l’environnement impérialiste agressif.

    Trotsky avait conclu que la Russie était devenue un État ouvrier bureaucratiquement dégénéré. Ce caractère ouvrier s’expliquait par l’existence d’une économie planifiée reposant sur la propriété de l’État. Le capitalisme avait véritablement été aboli.

    Sur cette base, la IVe Internationale fondée par Trotsky en 1938 défendait sans réserve l’Union soviétique contre les guerres impérialistes, sans toutefois apporter aucun soutien au régime de Staline. Le programme de la Quatrième Internationale et de ses partis consistait à appeler à la révolution politique en vue d’instaurer un régime de démocratie ouvrière dans l’économie planifiée et de construire une société socialiste qui suivrait les décisions démocratiques de la révolution de 1917. Ces dernières avaient toutes été abolies par le stalinisme. Dans une lettre à Max Shachtman, Trotsky souligna que « les idées de la bureaucratie sont maintenant presque à l’opposé des idées de la révolution d’Octobre ».

    Hésitation et débat

    L’opposition minoritaire qui est apparue au sein du SWP américain a changé de position sur cet aspect, en défendant que l’attaque contre la Finlande et le pacte conclu avec Hitler avaient fondamentalement modifié le caractère de l’Union soviétique.

    Trotsky, à qui on avait accordé l’asile au Mexique mais qui n’était pas autorisé à entrer aux États-Unis, a s’est impliqué dans ce débat par écrit, en demandant à cette opposition d’expliquer comment les marxistes devaient décrire l’Union soviétique sinon en tant qu’État ouvrier.

    Certains d’entre eux ont répondu que la bureaucratie constituait une nouvelle classe sociale, d’autres ont déclaré que l’Union soviétique était devenue capitaliste. D’autres encore ont fait valoir que le fascisme en Europe, le New Deal aux États-Unis et le stalinisme faisaient partie du même processus tendu vers des dictatures d’État bureaucratiques. En cela, ils ne faisaient pas de différence entre révolution et contre-révolution. Le fascisme, en tant qu’outil du capital financier, n’a bien sûr pas exproprié les capitalistes.

    Trotsky a montré que la bureaucratie stalinienne était un phénomène temporaire, dépourvu de mission historique, tandis qu’une nouvelle classe dirigeante serait indispensable. La forte croissance économique en Union soviétique n’est pas due à la bureaucratie, mais à l’économie planifiée et à l’importation de nouvelles techniques. La bureaucratie fut un frein au développement de l’économie planifiée.

    Le stalinisme était une dictature totalitaire, mais pas un régime stable. Trotsky avait prédit 50 ans à l’avance les conséquences négatives de l’effondrement du stalinisme et de la restauration du capitalisme : un affaiblissement du prolétariat mondial et un renforcement de l’impérialisme. Ce processus avait été retardé en raison de l’issue de la Deuxième guerre mondiale.

    Trotsky avait donc pris position pour la défense de l’Union soviétique, malgré la politique de Moscou qui «conserve complètement son caractère réactionnaire» et constitue «un obstacle majeur à la révolution mondiale». Il a comparé cette approche avec le fait que les socialistes révolutionnaires soutiennent toujours les syndicats qui soutiennent leurs gouvernements, en les considérants comme des syndicats réactionnaires mais néanmoins nécessaires pour se défendre contre l’ennemi de classe. L’opposition du SWP a proposé que le parti adopte une position de «révolution contre Hitler et Staline», car leurs armées respectives s’étaient partagé la Pologne.

    En répondant, Trotsky développa la situation réelle en Pologne. En Occident, les révolutionnaires, les juifs et les démocrates fuyaient l’armée allemande ; à l’Est, c’étaient des propriétaires fonciers et des capitalistes qui tentaient de s’échapper. Trotsky prédit que l’invasion de l’Armée rouge serait suivie d’une expropriation des terres et des usines. Cela fut confirmé par les médias capitalistes et même par les journaux mencheviks en exil, relatant une «vague révolutionnaire» dans l’est de la Pologne.

    Trotsky avait averti qu’Hitler retournerait ses armes contre l’Union soviétique pour établir un régime fasciste et restaurer la propriété capitaliste. Lorsque l’Allemagne nazie attaquerait, la tâche la plus urgente serait de vaincre ses troupes.

    Que devaient donc dire les marxistes au sujet de l’avancée de l’Armée rouge ? La « préoccupation première pour nous », écrivit Trotsky, n’est pas le changement des relations de propriété, bien que ce dernier soit progressiste, mais la conscience du prolétariat mondial. La IVe Internationale était opposée à la conquête de nouveaux territoires et aux «missionnaires à baïonnette». Une révolution doit avoir une base solide parmi la classe ouvrière et les pauvres pour réussir. Là où l’invasion a déjà eu lieu, Trotsky a plaidé pour une expropriation indépendante des capitalistes et des propriétaires par la classe ouvrière.

    Comment Trotsky a abordé le débat

    Trotsky s’est engagé dans ce débat en polémiquant de manière politique et aiguë tout en insistant toujours sur la nécessité de l’unité. Il a souligné la manière dont les membres et les dirigeants du SWP s’étaient jusqu’alors mis d’accord sur la question cruciale du caractère de l’Union soviétique. Le débat, disait-il, était nécessaire, mais il serait « monstrueusement illogique de se séparer des camarades (…) il serait préjudiciable, voire fatal, de lier le combat idéologique à la perspective d’une scission, d’une purge, d’une expulsion. » Il était en faveur d’une « censure ou d’un avertissement sévère si un membre de la majorité » faisait de telles menaces. Sinon, «l’autorité des dirigeants serait compromise».

    Trotsky a proposé que le débat soit mené de telle sorte que les deux parties refusent de menacer leurs adversaires. Dans le cas contraire, il défendait qu’une enquête soit menée par le Comité national ou une commission spéciale. Trotsky argumentait en faveur d’une collaboration loyale des deux côtés. James P. Cannon, proche de Trotsky et membre de la majorité, accepta et défendu cette position à la direction du parti.

    Bien entendu, Trotsky ne manquait pas d’expérience avec les débats qui avaient pris place parmi la social-démocratie russe et les bolcheviks. « Même s’il y avait eu deux positions irréconciliables, cela ne signifierait pas un « désastre », mais soulignerait la nécessité de mener à terme la lutte politique.»

    En conseillant Max Shachtman (mentionné plus haut), un dirigeant du parti qui était parmi ceux qui avaient changé de position, Trotsky a proposé que de nouvelles études soient faites afin de soulever la question au sein de la direction, mais sans rechercher immédiatement à adopter une position fixe.

    Une opposition petite-bourgeoise

    Trotsky et la majorité du SWP ont qualifié le nouveau groupe minoritaire « d’opposition petite-bourgeoise ». Qu’est-ce que cela signifie ?

    Au lieu de développer leurs positions et leurs analyses, l’opposition diffusait «des histoires et des anecdotes qui se comptent par centaines de milliers dans chaque parti», dans le but de trouver des erreurs et des fautes. À l’intérieur du parti, ils avaient «presque le caractère d’une famille» ou d’une clique.

    Trotsky a souligné certains traits de cette minorité. Ils avaient un manque de respect pour les traditions de leur propre organisation et une attitude dédaigneuse envers la théorie. C’était notamment le cas de James Burnham, un professeur de philosophie de 34 ans qui avait rejoint le parti en 1935 et avait été nommé rédacteur en chef du magazine théorique du parti, New International.

    Burnham était opposé au matérialisme dialectique – la philosophie du marxisme – en le comparant à une religion. Mais les autres dirigeants de la minorité n’entendaient pas débattre de cette position. Avant même que ce débat ne soit lancé, en janvier 1939, Trotsky avait critiqué Schachtman pour un article qu’il avait écrit avec Burnham dans New International dans lequel on pouvait lire «l’un de nous est pour la dialectique, l’autre est contre». Le contenu de l’article était une bonne critique d’anciens-marxistes, comme Max Eastman, qui s’étaient déjà retournés contre le socialisme parce qu’ils ne pouvaient supporter la pression dans la société.

    Trotsky avait prévenu que ne pas ‘engager dans un débat sur la dialectique avec Burnham était une grave erreur. Dans ce livre, la défense du matérialisme dialectique explique la philosophie mieux que dans la plupart des autres travaux marxistes. La dialectique explique que tout dans la société de même que la nature sont en état de changement perpétuel, au prise avec des processus dont le développement repose sur contradictions, des changements quantitatifs et qualitatifs et des sauts soudains. Politiquement, la dialectique est une loi générale pour le développement de la société et la lutte des classes, a résumé Trotsky.

    Au lieu de cela, l’opposition, sous la forte influence de Burnham, a utilisé des abstractions figées. Ils avaient conclu que l’Union soviétique n’était plus un État ouvrier, mais ne pouvaient pas répondre à ce qui avait changé en quantité ou en qualité. D’où ces processus avaient-ils émergés et jusqu’où ? L’opposition manquait de théorie et d’analyse concrète.

    Burnham a également souligné son «indépendance personnelle» et le fait qu’il n’était pas prêt à devenir un permanent du parti, alors que des permanent à temps plein étaient absolument nécessaires à la construction du parti. Cela a également mis en évidence un manque de compréhension du centralisme révolutionnaire.

    Parmi les autres traits de l’opposition petite-bourgeoise, il y avait la nervosité politique et l’habitude de sauter d’une position à l’autre, y compris concernant ces choix d’alliés, et de mener le combat de fraction à la légère.

    Unité et fractions

    Trotsky décrivit globalement l’évolution du débat: « L’opposition a engagé une dure lutte de fraction qui paralyse le parti à un moment extrêmement critique. Pour qu’une telle lutte de fraction soit justifiée, et non impitoyablement condamnée, il faudrait des raisons très graves et très profondes. Pour un marxiste de telles raisons ne peuvent avoir qu’un caractère de classe. »

    Il était clair que la minorité avait entamé un combat vicieux en créant une fraction sans fondement politique sérieux. La majorité s’est montrée ferme concernant le programme et les perspectives de la IVe Internationale : c’était une position reposant sur la classe ouvrière, alors que l’opposition s’éloignait de plus en plus du socialisme révolutionnaire, devenant de ce fait petite-bourgeoise. Trotsky n’a pas découvert cette tendance petite-bourgeoise pour la première fois en 1939, mais a donné de nombreux exemples où il avait lancé des avertissements au cours des années précédentes. Par exemple, lorsque Shachtman, trois ans plus tôt, estimait que le parti socialiste des États-Unis (un parti plus large dans lequel les trotskystes travaillaient, avant d’en être expulsés en 1937) devenait un parti révolutionnaire.

    Malgré cette analyse, Trotsky prônait l’unité, contrairement à Martin Abern, un chef de l’opposition, qui a utilisé la menace de scission pour effrayer ses membres. D’autres leaders de l’opposition ont voulu ouvrir le débat au public.

    Quelques semaines seulement avant la scission de la minorité, en avril 1940, Trotsky avait insisté sur la nécessité de respecter les droits démocratiques internes. « Mais si l’unité est préservée, on ne peut avoir un secrétariat composé des seuls représentants de la majorité. On pourrait même envisager un secrétariat de cinq membres -trois majoritaires et deux minoritaires. »

    Lorsque Trotsky a souligné les contradictions internes de la fraction minoritaire, Shachtman a répondu en donnant des exemples historiques de « blocs » impliquant Trotsky et les Bolcheviks. Trotsky a répondu en montrant comment, par exemple, le bloc avec Kamenev et Zinoviev contre le stalinisme en 1926, était correct : ce bloc n’a pas masqué les différences politiques existant entre ses membres derrière des programmes communs, et il était clair que les partisans de Trotsky constituaient la force la plus puissante du bloc.

    Aux États-Unis, en 1939-1940, Shachtman forma une fraction, mais il s’agissait en réalité d’un bloc de forces divergentes, dirigé contre la majorité du SWP. Et au sein de la fraction, les forces dominantes étaient Burnham et Abern, tandis que Shachtman n’était que leur alibi politique à court terme pour quitter le marxisme.

    Même à ce stade, Trotsky a adopté une attitude patiente, écrivant que les événements peuvent changer les individus, qui peuvent ensuite revenir au parti révolutionnaire. Il s’est donné lui-même comme exemple : Trotsky n’a rejoint les bolcheviks qu’en 1917, mais en jouant immédiatement un rôle décisif. Cinq ans plus tôt, en 1912, il avait tenté d’unir toutes les tendances différentes de la social-démocratie russe: «En dépit de ma conception de la révolution permanente qui, sans aucun doute, dessinait la perspective juste, je ne m’étais pas encore affranchi à cette époque, en particulier dans le domaine de l’organisation, des traits caractéristiques du révolutionnaire petit-bourgeois. Je souffrais de “conciliationnisme” envers les mencheviks et de méfiance envers le centralisme de Lénine.»

    Clarté politique

    Politiquement, le débat s’est étendu à davantage de questions. Bien entendu, Trotsky a compris que tous les articles et textes ne devaient pas nécessairement tirer toutes les conclusions, mais il a souligné la nécessité pour les membres qui rédigent ces documents de comprendre l’ensemble du programme et de l’analyse.

    La minorité est allée dans la direction inverse. Ils voulaient réduire le programme du parti à des « problèmes concrets », ce qui a conduit Trotsky à faire des comparaisons avec les débats en Russie, contre les économistes et les narodniks, qui ont tous deux évité les problèmes politiques plus généraux. En 1939-1940, la minorité du SWP estimait que la guerre était concrète, mais pas l’État ouvrier.

    Shachtman a cité Lénine qui, dans un débat avec Trotsky en 1920, avait déclaré que «l’État ouvrier est une abstraction» et que la Russie n’était pas un État ouvrier, mais un État ouvrier et paysan. Cependant, Shachtman n’avait pas compris que Lénine, quelques semaines plus tard, avait conclu qu’il avait eu tort. La Russie était un « État ouvrier avec des caractéristiques particulières », ces caractéristiques étant une population paysanne majoritaire et des vices bureaucratiques.

    Shachtman a utilisé l’expression «un degré» de dégénérescence en Russie. Pourtant, il était allié à Burnham qui, bien que ne croyant pas en la dialectique, avait conclu à un changement qualitatif de l’Union soviétique, l’assimilant à l’Allemagne nazie. La minorité n’était pas unie et peu après, elle s’est scindée et a formé le nouveau «Parti des travailleurs». Burnham est parti et est devenu un réactionnaire de premier plan.

    Ce livre contient de nombreux autres événements concrets analysés: les événements survenus en Finlande au début de la guerre, la manière dont les marxistes doivent agir dans la guerre civile espagnole et la position de Marx sur les guerres bourgeoises.

    L’avis général de Trotsky aux membres de la Quatrième Internationale était d’orienter et d’aider la classe ouvrière, les grèves et les syndicats, tout en prévenant qu’il y avait toujours des «déviations opportunistes» dans les syndicats.

    Trotsky a montré il y a 80 ans que la crise de la direction révolutionnaire, qui avait éclaté avec la capitulation social-démocrate pour la guerre mondiale de 1914, n’avait pas encore été résolue. Certains socialistes en ont accusé le prolétariat, comme certains l’ont fait en Russie après la défaite de la révolution en 1905.

    La réponse est survenue en 1917, lorsque les bolcheviks ont pu créer une telle direction. Les marxistes sont aujourd’hui aux prises avec une situation objective bien différente de celle d’il y a 80 ans. D’une part, la classe ouvrière s’est agrandie, ce qui limite l’espace de la réaction. D’autre part, le mouvement syndical doit être reconstruit dans la plupart des endroits. Cela a entraîné des mouvements explosifs en provenance de la base dans de nombreux pays.

    La nécessité de construire des partis et une internationale marxistes révolutionnaires est aussi urgente qu’à l’époque de Trotsky, sinon davantage, face à l’aggravation de la crise climatique, de la crise économique, de la crise sociale et de la crise politique. Étudier et utiliser « Défense du marxisme » est important, sinon nécessaire, car il est crucial de tirer des leçons de la nécessité d’une base théorique solide, d’analyses concrètes et de méthodes correctes pour la formation de partis et la tenue de débats.

  • Le socialisme écologique de Karl Marx est un guide pour la lutte d’aujourd’hui

    Par Arne Johansson. Première publication le 18 juillet dans Offensiv, hebdomadaire de Rättvisepartiet Socialisterna (CIO Suède)

    Trop de socialistes, même parmi ceux qui se considèrent comme des marxistes révolutionnaires, ont malheureusement tardé à découvrir et à comprendre l’analyse écologique de la rupture métabolique irréparable du capitalisme avec la planète et la nature, sur laquelle Karl Marx et Friedrich Engels ont commencé à travailler au XIXème siècle.

    Dans son livre Karl Marx’s Ecosocialism: Capital, Nature and the Unfinished Critique of Political Economy (“L’écosocialisme de Karl Marx : le capital, la nature et la critique inachevée de l’économie politique»), Kohei Saito, un chercheur marxiste japonais, a apporté une nouvelle contribution importante pour remédier à cette lacune, à un moment où l’attitude prédatrice du capitalisme envers les personnes et la nature approche des points de basculement qui menacent de rendre inhabitables de grandes parties de la planète.

    Saito, professeur agrégé d’économie politique à l’Université d’Osaka, s’appuie en grande partie sur les nombreuses notes inédites de Marx. sur lesquelles il travaille en tant qu’éditeur du Marx-Engels-Gesamtausgabe (MEGA), un projet encore inachevé qui vise à rassembler les œuvres de ces deux pionniers.

    Un compte rendu détaillé de la façon dont Marx a développé son immense intérêt pour les recherches les plus récentes en sciences naturelles, et dans des sujets tels que la biologie, la chimie, la géologie et la minéralogie, vient de s’ajouter à ce matériel. Son point de départ a été la crise créée par l’industrialisation de l’agriculture par le capitalisme, et le clivage qu’il a décrit dans le métabolisme entre l’homme et la nature, ce qu’on appelle aujourd’hui le cycle écologique. Saito montre comment ces questions ont énormément intéressé Marx au cours de son travail inachevé sur le Capital, après la publication de sa première partie en 1867.

    Même si Friedrich Engels est, à ce jour, le plus connu du duo Marx-Engels en matière d’écrits scientifiques comme “Anti-Dühring” et “Dialectique de la nature”, son ouvrage inachevé, mais publié à titre posthume, Saito souligne que Marx était tout aussi intéressé par ces questions – toujours en contact étroit avec Engels.

    Pas moins d’un tiers des carnets de Marx – remplis de fragments, d’extraits et de commentaires – ont été écrits au cours des 15 dernières années de sa vie et, de ce nombre, près de la moitié traitent de sujets scientifiques. Cela réfute la position des soi-disant “marxistes occidentaux” (l’Ecole de Francfort, entre autres), qui critiquent depuis longtemps le fait qu’Engels tire les lois dialectiques du mouvement de la nature comme une distorsion non marxiste, et qui ont soutenu que le matérialisme historique de Marx ne peut être appliqué qu’à la société humaine.

    Dans la préface, Saito loue les efforts importants pour redécouvrir l’analyse de Marx de l’irréparable rupture métabolique du capitalisme, auxquels les professeurs socialistes Paul Burkett et John Bellamy Foster ont ouvert la voie depuis Marx and Nature de Burkett (1999) et Marx’s Ecology (2000) de Foster.

    Avec l’aide de la revue Monthly Review, dont Foster est le rédacteur en chef, tous les deux ont, de manière efficace, combattu la vision illusoire d’un Marx partisan de la croissance industrielle (“prométhéisme”) écologiquement naïf, vision qui a longtemps prospéré tant chez les théoriciens verts que chez les “éco-socialistes de première vague” tels Ted Benton, André Gorz, Michael Löwy, James O’Connor et Alain Lipietz.

    Le fait que Marx inspire aujourd’hui la recherche écologique dans le monde entier est une victoire importante pour cette lutte théorique, de même que les échos qui apparaissent de plus en plus dans les travaux des chercheurs en environnement et des débatteurs tels que This changes everything – capitalism versus the climate (“Ça change tout – le capitalisme contre le climat”) de Naomi Klein.

    Dans “L’écosocialisme de Karl Marx”, Saito montre comment Marx a progressivement développé son analyse de la “rupture métabolique” du capitalisme. Saito admet que la fascination du jeune Marx pour l’énorme développement des forces productives par le capitalisme peut parfois être perçue comme “productiviste”, même si dans ses “Cahiers de Paris” et les “Manuscrits économiques et philosophiques” de 1844, il décrit la division croissante du capitalisme (aliénation) entre ouvriers et fruits de la production, entre hommes et hommes, et entre les travailleurs et la nature, lorsque durant l’industrialisation, les ouvriers ont été séparés de la terre.

    A ce stade, Marx avait déjà formulé la tâche du communisme de restaurer une unité complète et rationnellement régulée entre l’humanité et la nature à un niveau supérieur. Mais ce n’est qu’après que Marx ait tourné le dos à la philosophie abstraite des Jeunes Hégéliens, avec Misère de la philosophie en 1847 par exemple, et connu la défaite des révolutions de 1848, qu’il commence sérieusement à approfondir ses études matérialistes sur le fonctionnement du capitalisme.

    Une partie centrale de la critique de Marx à l’égard de certaines théories classiques des économistes bourgeois sur les valeurs était que celles-ci considéraient le travail comme la source de toute valeur, alors que Marx démontrait minutieusement qu’ils regardaient aveuglément les valeurs d’échange du marché fournies par la force de travail. L’une des conclusions que Marx en tirera au cours de ses études économiques est qu’ils oublient alors les valeurs d’usage de la nature qu’ils considèrent comme “un don gratuit au capital”. Cela signifie que le capital, avec son accumulation compétitive, sape à la fois les travailleurs et la Terre, “les sources originelles de toute richesse”.

    Il semble que c’est par le contact avec son ami le physicien socialiste Roland Daniel et son intérêt pour l’écocycle entre animaux et plantes que Marx a noté pour la première fois le concept du métabolisme. L’homme existe, comme l’expliquerait Marx, dans “le métabolisme universel de la nature”, où il peut extraire de la nature des valeurs d’usage, dans le cadre du “métabolisme social”.

    Mais c’est quelques années plus tard, lors de ses recherches préliminaires pour le Capital et dans le contexte de la crise croissante de l’agriculture britannique, que Marx commence à s’intéresser sérieusement aux critiques du pillage industriel de la Terre, développées par l’agrochimiste allemand Justus von Liebig.

    Ici, Marx a également trouvé un appui à ses critiques de la méthode d’analyse non-historique de la rente foncière par l’économiste David Ricardo et de la question démographique par Thomas Malthus. Le rapport de l’homme à la nature a changé avec le développement de nouvelles méthodes de production. Mais c’est sous le capitalisme que se produisent les fractures les plus radicales dans la relation entre l’homme et la nature.

    Et c’est surtout sous l’influence de Liebig que Marx, en 1865-66, commença à réviser sa croyance antérieure, plus optimiste, dans les progrès technologiques contemporains et à comprendre comment les approches à court terme du capitalisme pour contrer la baisse de fertilité de la terre tendaient seulement à créer de nouvelles “fractures métaboliques irréparables” à un niveau plus élevé, et même à un niveau mondial.

    Saito explique comment Liebig, dans son livre pionnier, “Agricultural Chemistry”, a décrit comment la forte croissance urbaine des villes britanniques pendant l’industrialisation a considérablement augmenté la demande des produits agricoles des campagnes dépeuplées, alors qu’en même temps, les minéraux des aliments n’étaient pas retournés à la terre comme engrais mais, via les nouvelles toilettes de Londres et des autres villes, étaient rejetés avec les eaux usées dans les rivières et les mers polluées.

    Ainsi, non seulement la fertilité des champs britanniques a été épuisée, mais aussi celle des pays dont le guano (fèces d’oiseaux marins d’Amérique du Sud) et les os ont été importés comme engrais : “La Grande-Bretagne prive tous les pays des conditions de leur fertilité ; elle a déjà ratissé les champs de bataille de Leipzig, Waterloo et la Crimée à la recherche d’ossements, et consommé plusieurs générations de squelettes des catacombes siciliennes. […] On peut dire qu’elle est accrochée comme un vampire au cou de l’Europe”, écrit Liebig.

    Dans le Capital, Marx résume : “tout progrès dans l’agriculture capitaliste est un progrès dans l’art, non seulement de voler l’ouvrier, mais de voler le sol ; tout progrès dans l’augmentation de la fertilité du sol pendant un temps donné est un progrès vers la destruction des sources plus durables de cette fertilité” et : “la production capitaliste, par conséquent, ne développe les techniques et le degré de combinaison du processus social de production qu’en sapant simultanément les sources originelles de toute richesse – le sol et le travailleur”.

    La recherche désespérée du guano et du salpêtre par l’Angleterre et les États-Unis pour leur sol appauvri a poussé les États-Unis à annexer des dizaines d’îles riches en guano en 1856. Elle a également conduit, comme le souligne Saito, à la violente répression des peuples autochtones de la côte ouest de l’Amérique du Sud, ainsi qu’à la Guerre du Guano de 1865-66 et à la Guerre du Pacifique de 1879-84 pour le salpêtre.

    Dans le Capital, Marx montre aussi comment la nécessité sociale d’essayer de contrôler et d’apprivoiser une ressource naturelle tout en essayant de la protéger contre son exploitation a joué un rôle crucial dans l’histoire. Les travaux d’irrigation en Egypte, en Lombardie et en Hollande et les canaux artificiels comme en Inde et en Perse ont non seulement arrosé le sol, mais l’ont également fertilisé avec des minéraux apportés des collines comme sédiments. “Le secret de l’essor de l’industrie en Espagne et en Sicile sous la domination des Arabes réside dans leurs travaux d’irrigation”.

    Si Marx avait pu auparavant parler occasionnellement du rôle civilisateur du capitalisme pendant le colonialisme, il voyait maintenant, sans idéaliser les sociétés précapitalistes, principalement la souffrance et la misère après la dissolution des communautés locales traditionnelles, qui avait rompu la relation intime entre les hommes et la nature. Lorsqu’en 1856, le régime britannique de l’époque coloniale en Inde, selon Marx, “introduisit une caricature des grandes propriétés foncières anglaises” et abandonna le système de barrages et de drains précédemment contrôlé par l’Etat, il en résulta une sécheresse et une famine terribles qui causèrent un million de morts.

    Selon Marx, dans toutes les sociétés et tous les modes de production, l’homme doit faire face à la nature pour satisfaire ses besoins : “La liberté dans ce domaine ne peut consister qu’en ce que l’homme socialisé, les producteurs associés, régulent rationellement leurs échanges avec la Nature, les mettant sous leur contrôle commun, au lieu d’être dirigés par eux comme par les forces aveugles de la Nature ; et que cela se fasse avec le moins de dépense d’énergie et dans les conditions les plus favorables à, et les plus dignes de, leur nature humaine. »

    Dans son “Manuscrit économique de 1864-1865”, Marx avertit qu’avec le capitalisme, “au lieu d’un traitement conscient et rationnel de la Terre comme propriété collective permanente, comme condition inaliénable de l’existence et de la reproduction de la chaîne des générations humaines, nous avons l’exploitation et le gaspillage des pouvoirs de la Terre”.

    Dans un chapitre sur l’écologie de Marx après 1868, Saito souligne le grand intérêt de Marx pour les débats entre différents experts agricoles, par exemple ceux des écoles “physique” et “chimique”, sur les substances les plus importantes à ajouter pour augmenter la fertilité du sol, les minéraux ou les nitrates. Il note, par exemple, l’impression significative qui semble avoir été faite sur Marx par le chimiste James Johnston et, en particulier, par l’agronome allemand Karl Fraas, qui, en partie dans une polémique avec Liebig, a souligné le grand rôle que joue le changement climatique lorsque la déforestation réduit l’humidité du sol et l’approvisionnement naturel du sol en nutriments.

    Dans une lettre à Engels en 1868, Marx écrit que Fraas a “une tendance socialiste inconsciente”. Selon Marx, dans son livre Climate and the Vegetable World throughout the Ages, a History of Both (« Le climat et le monde végétal à travers les âges»), Fraas a montré comment “la culture, quand elle progresse de manière primitive et n’est pas consciemment contrôlée (en tant que bourgeois, bien sûr, il n’y arrive pas), laisse derrière elle des déserts, Perse, Mésopotamie, Grèce”.

    Fraas a été alerté des conséquences de la déforestation rapide dans des pays comme l’Angleterre, la France et l’Italie, même en altitude, dans des zones montagneuses auparavant inaccessibles, ce qui, selon lui, a soulevé la nécessité d’une réglementation. Par sa lecture de Fraas et d’un certain nombre d’autres chercheurs tels que John Tuckett et Friedrich Krichhof, Marx avait également noté dans ses manuscrits du troisième volume du Capital (les deuxième et troisième volumes ont été publiés après la mort de Marx par Engels sur la base des manuscrits incomplets de Marx) que ni l’agriculture ni la foresterie capitaliste ne pouvaient être durables et que la rupture irrémédiable entre société et nature n’était donc pas limitée à la dégradation des terres.

    “Le développement de la culture et de l’industrie en général s’est manifesté par une telle destruction énergétique de la forêt que tout ce qui est fait pour sa préservation et sa restauration semble infinitésimal “, note aussi Marx dans le manuscrit du volume deux du Capital.

    Cette tendance capitaliste à exploiter violemment la nature jusqu’à ses limites, qu’il voyait dans la sylviculture non durable, il la voyait également d’une manière qu’il trouvait “abominable” dans l’élevage des animaux. Dans un commentaire sur un extrait de l’éloge de Wilhelm Hamm à l’égard de l’élevage intensif de viande, Marx se demandait également si ce “système de prison cellulaire” et l’élevage grotesque d’animaux anormaux pouvaient finalement aboutir à “un affaiblissement grave de la force vitale”.

    Saito explique comment le grand intérêt de Marx pour les polémiques entre Liebig et Fraas et le développement rapide de la science et de la technologie l’a amené à la conclusion que des études approfondies étaient nécessaires pour voir combien de temps le capitalisme pouvait résister à sa crise écologique et que ce sont des questions qu’il estimait nécessaires de développer, ce qui, selon Saito, retarda le travail de Marx sur le deuxième et troisième volumes incomplets du capital.

    Même dans les études de l’historien Georg Ludwig von Maurer sur les sociétés précapitalistes égales et la nécessité d’essayer de réguler le métabolisme entre l’homme et la nature, dans ses “Cahiers ethnologiques” ultérieurs, Marx a vu “une tendance socialiste inconsciente”. Marx a été impressionné par la “vitalité naturelle” et la durabilité écologique des villages allemands autosuffisants qui, selon lui, étaient au Moyen Âge “uniquement axés sur la liberté et la vie publique”.

    Dans une lettre adressée à la Narodnik Russe Vera Zasulich, Marx n’exclut pas qu’une révolution socialiste en Russie puisse se baser sur des communes villageoises similaires et explique que le système capitaliste en Europe occidentale et aux Etats-Unis est “en conflit avec les masses ouvrières, avec la science et avec les forces très productives qu’il génère – bref, dans une crise qui va se résoudre par son élimination, par le retour des sociétés modernes à une forme supérieure de propriété et de production collectives “archaïque”.”

    Saito souligne qu’il est impossible de comprendre pleinement la critique inachevée de Marx sur l’économie politique si l’on ignore sa dimension écologique. Selon Saito, le manuscrit original de Marx pour le volume trois du Capital montre quelques différences par rapport à ceux publiés par Engels après la mort de Marx, avec des exemples dans une note de bas de page concernant l’analyse du système de crédit. En dehors de (petites) clarifications sur ce que Marx a exprimé par rapport à ce qu’Engels a publié par ses écrits, Saito affirme que la quatrième partie des nouvelles œuvres rassemblées comprendra des cahiers d’autant plus importants que le Capital est incomplet.

    Selon Saito, la lecture de ces sources originales en parallèle avec ce qui a été publié jusqu’à présent dans le Capital convaincra les chercheurs que l’écologie de Marx est un élément fondamental de sa critique de l’économie politique. Il croit même que “Marx aurait plus fortement insisté sur le problème de la crise écologique comme contradiction centrale du mode de production capitaliste s’il avait pu compléter les volumes 2 et 3 du Capital”.

    L’écosocialisme de Karl Marx de Saito parle très peu des contributions importantes d’Engels pour généraliser leurs conclusions communes. Dans son ingénieux petit pamphlet, Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme, Engels explique que l’animal utilise simplement sa nature environnante tandis que l’homme la contrôle, mais ajoute une longue liste d’exemples frappants :

    “Mais ne nous flattons pas trop de nos victoires humaines sur la nature. Pour chacune de ces victoires, la nature se venge de nous. Chaque victoire, c’est vrai, apporte d’abord les résultats escomptés, mais en deuxième et troisième position, elle a des effets tout à fait différents, imprévisibles, qui annulent trop souvent la première. [….] “Ainsi, à chaque pas, il nous est rappelé que nous ne régnons pas sur la nature comme un conquérant sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui se tient à l’extérieur de la nature, mais que nous, avec notre chair, notre sang et notre cerveau, appartenons à la nature, et que nous existons en son sein et que toute notre maîtrise consiste dans le fait que nous avons l’avantage, sur toute autre créature, de pouvoir apprendre ses lois et les appliquer correctement”.

    Ce qu’il faut pour réparer cette rupture métabolique, qui a été poussée à son paroxysme sous le capitalisme, et pour établir ce qu’on appelle aujourd’hui une société durable, c’est, d’après Marx dans Capital, une société supérieure, c’est-à-dire le socialisme :
    “Du point de vue d’une formation socio-économique supérieure, la propriété privée de certains individus sur la Terre apparaîtra aussi absurde que la propriété privée d’Hommes par un autre Homme. Même une société entière, une nation, ou toutes les sociétés existantes simultanément, prises ensemble, ne sont pas propriétaires de la Terre. Ils en sont simplement les administrateurs, les bénéficiaires, et doivent la léguer dans un état amélioré aux générations futures”.

    Il est certain que si Marx et Engels étaient encore en vie aujourd’hui – alors que la rupture métabolique irréparable du capitalisme est devenue une menace existentielle pour toute vie civilisée – ils porteraient une attention décisive à suivre et à comprendre les toutes dernières recherches actuelles sur le climat et le système terrestre.

    Une tâche centrale pour les marxistes d’aujourd’hui est de renouer le fil rouge avec les études des pionniers de l’écologie et, comme eux, de comprendre le socialisme comme la clé vitale pour une régulation rationnelle du métabolisme entre l’homme et la nature.

  • Trotsky : Qu’est-ce que le nazisme ?

    Léon Trotsky

    En 1933, Léon Trotsky écrivit un texte sur le nazisme qui venait d’arriver au pouvoir en Allemagne. Dans cet article, il explique comment les fascistes y sont parvenus. Cela n’était pas dû à la personne d’Hitler, mais aux relations de classe sous-jacentes et, plus spécifiquement, à la radicalisation de la classe moyenne dans une période de crise.

    Les esprits naïfs pensent que le titre de roi tient dans la personne même du roi, dans son manteau d’hermine et sa couronne, dans sa chair et son sang. En fait, le titre de roi naît des rapports entre les hommes. Le roi n’est roi que parce qu’au travers de sa personne se réfractent les intérêts et les préjugés de millions d’hommes. Quand ces rapports sont érodés par le torrent du développement, le roi n’est plus qu’un homme usé, à la lèvre inférieure pendante. Celui qui s’appelait jadis Alphonse XIII, pourrait nous fait part de ses impressions toutes fraîches sur ce sujet.

    Le chef par la grâce du peuple se distingue du chef par la grâce de Dieu, en ce qu’il est obligé de se frayer lui-même un chemin ou, du moins, d’aider les circonstances à le lui ouvrir. Mais le chef est toujours un rapport entre les hommes, une offre individuelle en réponse à une demande collective. Les discussions sur la personnalité d’Hitler sont d’autant plus animées qu’elles cherchent avec plus de zèle le secret de sa réussite en lui-même. Il est pourtant difficile de trouver une autre figure politique qui soit, dans la même mesure, le point convergent de forces historiques impersonnelles. N’importe quel petit bourgeois enragé ne pouvait devenir Hitler, mais une partie d’Hitler est contenue dans chaque petit bourgeois enragé.

    La croissance rapide du capitalisme allemand avant la guerre ne signifia nullement la disparition pure et simple des classes intermédiaires ; en ruinant certaines couches de la petite bourgeoisie, il en créait de nouvelles : les artisans et les boutiquiers autour des usines, les techniciens et les administrateurs à l’intérieur des usines. Mais en se maintenant et même en se développant – elles représentent un peu moins de la moitié du peuple allemand – les classes intermédiaires se privaient de leur dernière parcelle d’indépendance, vivaient à la périphérie de la grande industrie et du système bancaire et se nourrissaient des miettes qui tombaient de la table des trusts monopolistes et des cartels, et des aumônes idéologiques de leurs théoriciens et politiciens traditionnels.

    La défaite a dressé un mur sur le chemin de l’impérialisme allemand. La dynamique extérieure s’est transformée en dynamique intérieure. La guerre se changea en révolution. La social-démocratie, qui aida les Hohenzollern à mener la guerre jusqu’à son issue tragique, ne permit pas au prolétariat de mener la révolution jusqu’à son terme. La démocratie de Weimar a passé quatorze ans à essayer de se faire pardonner sa propre existence. Le Parti communiste a appelé les ouvriers à une nouvelle révolution, mais s’est avéré incapable de la diriger.

    Le prolétariat allemand est passé par les hauts et les bas de la guerre, de la révolution, du parlementarisme et du pseudo-bolchevisme. Alors que les vieux partis de la bourgeoisie s’épuisaient complètement, la force dynamique de la classe ouvrière était minée.

    Le chaos de l’après-guerre frappait les artisans, les marchands et les employés aussi durement que les ouvriers. La crise de l’agriculture ruinait les paysans. La décadence des couches moyennes ne pouvait pas signifier leur prolétarisation, car le prolétariat sécrétait lui-même une armée gigantesque de chômeurs chroniques. La paupérisation de la petite bourgeoisie, à peine dissimulée sous les cravates et les bas de soie synthétique, sapait toutes les croyances officielles et surtout la doctrine du parlementaire démocratique.

    La multiplicité des partis, la fièvre froide des élections, les changements constants de gouvernements exacerbaient la crise sociale par un kaléidoscope de combinaisons politiques stériles. Dans l’atmosphère chauffée à blanc par la guerre, la défaite, les réparations, l’inflation, l’occupation de la Ruhr, la crise, le besoin et la rancune, la petite bourgeoisie se rebella contre tous les vieux partis qui l’avaient trompée. Ces vexations, vivement ressenties par les petits possédants qui ne pouvaient échapper à la faillite, par leurs fils qui sortaient de l’université et ne trouvaient ni emploi, ni client, et par leurs filles qui restaient sans dot et sans fiancé, réclamaient l’ordre et une main de fer.

    Le drapeau du national-socialisme fut brandi par des hommes issus des cadres moyens et subalternes de l’ancienne armée. Couverts de décorations, les officiers et les sous-officiers ne pouvaient admettre que leur héroïsme et leurs souffrances aient été perdus pour la patrie, et surtout qu’ils ne leur donnent aucun droit particulier à la reconnaissance du pays. D’où leur haine pour la révolution et pour le prolétariat. Ils ne voulaient pas prendre leur parti du fait que les banquiers, les industriels, les ministres les reléguaient à des postes insignifiants de comptables, d’ingénieurs, d’employés des postes et d’instituteurs. D’où leur ” socialisme “. Pendant les batailles de l’Yser et de Verdun, ils ont appris à risquer leur vie et celle des autres, et à parler la langue du commandement qui en impose tant aux petits bourgeois de l’arrière. C’est ainsi que ces hommes sont devenus des chefs.

    Au début de sa carrière politique, Hitler ne se distinguait, peut-être, que par un tempérament plus énergique, une voix plus forte, une étroitesse d’esprit plus sûre d’elle-même. Il n’apportait au mouvement aucun programme tout prêt, si ce n’est la soif de vengeance du soldat humilié. Hitler commença par des injures et des récriminations contre les conditions de Versailles, la vie chère, le manque de respect pour le sous-officier méritant, les intrigues des banquiers et des journalistes de la foi de Moïse. On trouvait dans le pays suffisamment de gens qui se ruinaient, qui se noyaient, qui étaient couverts de cicatrices et d’ecchymoses encore toutes fraîches. Chacun d’eux voulait frapper du poing sur la table. Hitler le faisait mieux que les autres. Il est vrai qu’il ne savait pas comment remédier à tous ces malheurs. Mais ses accusations résonnaient tantôt comme un ordre, tantôt comme une prière adressée à un destin inflexible. Les classes condamnées, semblables à des malades incurables, ne se lassent pas de moduler leurs plaintes, ni d’écouter des consolations. Tous les discours d’Hitler étaient accordés sur ce diapason. Une sentimentalité informe, une absence totale de rigueur dans le raisonnement, une ignorance doublée d’une érudition désordonnée : tous ces moins se transformaient en plus. Cela lui donnait la possibilité de rassembler toutes les formes de mécontentement dans la besace de mendiant du national-socialisme, et de mener la masse là où elle le poussait. De ces premières improvisations, l’agitateur ne conservait dans sa mémoire que ce qui rencontrait l’approbation. Ses idées politiques étaient le fruit d’une acoustique oratoire. C’est ainsi qu’il choisissait ses mots d’ordre. C’est ainsi que son programme s’étoffait. C’est ainsi que d’un matériau brut se formait un ” chef “.

    Dès le début, Mussolini s’adressa de façon plus consciente à la matière sociale, qu’Hitler, qui se sent plus proche du mysticisme policier d’un quelconque Metternich que de l’algèbre politique de Machiavel. Du point de vue intellectuel, Mussolini est plus audacieux et cynique. Il suffit de nous rappeler que l’athée romain ne fait que se servir de la religion, comme il le fait de la police et de la justice, alors que son collègue berlinois croit réellement à la protection particulière de la Providence. A l’époque où le futur dictateur italien considérait encore Marx comme ” notre maître immortel à tous “, il défendait, non sans habileté, la théorie qui voit avant tout dans la vie de la société actuelle l’interaction de deux classes fondamentales : la bourgeoisie et le prolétariat. Il est vrai, écrivait Mussolini en 1914, qu’entre elles se placent des couches intermédiaires très nombreuses, qui forment une sorte de ” tissu conjonctif du collectif humain ” ; mais ” dans les périodes de crise, les classes intermédiaires sont attirées, selon leurs intérêts et leurs idées, vers l’une ou l’autre des deux classes fondamentales “. Généralisation très importante ! De même que la médecine scientifique permet de soigner un malade, mais aussi d’envoyer, de la manière la plus expéditive, un homme bien portant ad patres, l’analyse scientifique des rapports de classes, destinée par son auteur à mobiliser le prolétariat, a permis à Mussolini, quant il fut passé dans le camp adverse, de mobiliser les classes intermédiaires contre le prolétariat. Hitler accomplit le même travail, en traduisant dans la langue de la mystique allemande la méthodologie du fascisme.

    Les bûchers, sur lesquels brûle la littérature impie du marxisme, éclairent vivement la nature de classe du national-socialisme. Tant que les nazis agissaient en tant que parti et non en tant que pouvoir d’Etat, l’accès de la classe ouvrière leur était presque entièrement fermé. D’autre part, la grande bourgeoisie, même celle qui soutenait financièrement Hitler, ne les considérait pas comme son parti. La ” renaissance ” nationale s’appuyait entièrement sur les classes moyennes – la partie la plus arriérée de la nation, fardeau pesant de l’histoire. L’habileté politique consistait à souder l’unité de la petite bourgeoisie au moyen de la haine pour le prolétariat. Que faut-il faire pour que ce soit encore mieux ? Avant tout écraser ceux qui sont en bas. La petite bourgeoisie, impuissante face au grand capital, espère désormais reconquérir sa dignité sociale en écrasant les ouvriers.

    Les nazis baptisent leur coup d’Etat du nom usurpé de révolution. En fait, en Allemagne comme en Italie, le fascisme laisse le système social inchangé. Le coup d’Etat d’Hitler, en tant que tel, n’a même pas droit au titre de contre-révolution. Mais on ne peut pas le considérer isolément : il est l’aboutissement d’un cycle de secousses qui ont commencé en Allemagne en 1918. La révolution de novembre, qui donnait le pouvoir aux conseils d’ouvriers et de soldats, était fondamentalement prolétarienne. Mais le parti qui était à la tête du prolétariat, rendit le pouvoir à la bourgeoisie. En ce sens, la social-démocratie a ouvert une ère de contre-révolution, avant que la révolution n’ait eu le temps d’achever son œuvre. Toutefois, tant que la bourgeoisie dépendait de la social-démocratie, et par conséquent des ouvriers, le régime conservait des éléments de compromis. Mais la situation intérieure et internationale du capitalisme allemand ne laissait plus de place aux concessions. Si la social-démocratie sauva la bourgeoisie de la révolution prolétarienne, le tour est venu pour le fascisme de libérer la bourgeoisie de la social-démocratie. Le coup d’Etat d’Hitler n’est que le maillon final dans la chaîne des poussées contre-révolutionnaires.

    Le petit bourgeois est hostile à l’idée de développement, car le développement se fait invariablement contre lui : le progrès ne lui a rien apporté, si ce n’est des dettes insolvables. Le national-socialisme rejette le marxisme mais aussi le darwinisme. Les nazis maudissent le matérialisme, car les victoires de la technique sur la nature ont entraîné la victoire du grand capital sur le petit. Les chefs du mouvement liquident ” l’intellectualisme ” non pas tant parce que eux-mêmes possèdent des intelligences de deuxième ou de troisième ordre, mais surtout parce que leur rôle historique ne saurait admettre qu’une pensée soit menée jusqu’à son terme. Le petit bourgeois a besoin d’une instance supérieure, placée au-dessus de la matière et de l’histoire, et protégée de la concurrence, de l’inflation, de la crise et de la vente aux enchères. Au développement, à la pensée économique, au rationalisme – aux XX°, XIX° et XVIII° siècles – s’opposent l’idéalisme nationaliste, en tant que source du principe héroïque. La nation d’Hitler est l’ombre mythique de la petite bourgeoisie elle-même, son rêve pathétique d’un royaume millénaire sur terre.

    Pour élever la nation au-dessus de l’histoire, on lui donne le soutien de la race. L’histoire est vue comme une émanation de la race. Les qualités de la race sont construites indépendamment des conditions sociales changeantes. Rejetant ” la pensée économique ” comme vile, le national-socialisme descend un étage plus bas : du matérialisme économique il passe au matérialisme zoologique.

    La théorie de la race, qu’on dirait créée spécialement pour un autodidacte prétentieux et qui se présente comme la clé universelle de tous les secrets de la vie, apparaît sous un jour particulièrement lamentable à la lumière de l’histoire des idées. Pour fonder la religion du sang véritablement allemand, Hitler dut emprunter de seconde main les idées du racisme à un Français, diplomate et écrivain dilettante, le comte Gobineau. Hitler trouva une méthodologie politique toute prête chez les Italiens. Mussolini a largement utilisé la théorie de Marx de la lutte des classes. Le marxisme lui-même est le fruit de la combinaison de la philosophie allemande, de l’histoire française et de l’économie anglaise. Si l’on examine rétrospectivement la généalogie des idées, même les plus réactionnaires et les plus stupides, on ne trouve pas trace du racisme.

    L’indigence infinie de la philosophie nationale-socialiste n’a pas empêché, évidemment, la science universitaire d’entrer toutes voiles déployées dans le chenal d’Hitler, une fois que sa victoire se fut suffisamment précisée. Les années du régime de Weimar furent pour la majorité de la racaille professorale, un temps de trouble et d’inquiétude. Les historiens, les économistes, les juristes et les philosophes se perdaient en conjectures pour savoir lequel des critères de vérité qui s’affrontaient, était le bon, c’est-à-dire quel camp resterait finalement maître de la situation. La dictature fasciste dissipe les doutes des Faust et les hésitations des Hamlet de l’Université. Sortant des ténèbres de la relativité parlementaire, la science entre à nouveau dans le royaume des absolus. Einstein fut obligé d’aller chercher refuge hors des frontières de l’Allemagne.

    Sur le plan politique, le racisme est une variété hypertrophiée et vantarde du chauvinisme associé à la phrénologie. De même que l’aristocratie ruinée trouvait une consolation dans la noblesse de son sang, la petite bourgeoisie paupérisée s’enivre de contes sur les mérites particuliers de sa race. Il est intéressant de remarquer que les chefs du national-socialisme ne sont pas de purs Allemands, mais sont originaires d’Autriche comme Hitler lui-même, des anciennes provinces baltes de l’empire tsariste, comme Rosenberg, des pays coloniaux, comme l’actuel remplaçant d’Hitler à la direction du parti, Hess. Il a fallu l’école de l’agitation nationaliste barbare aux confins de la culture pour inspirer aux ” chefs ” les idées qui ont trouvé par la suite un écho dans le cœur des classes les plus barbares de l’Allemagne.

    L’individu et la classe – le libéralisme et le marxisme – voilà le mal. La nation c’est le bien. Mais cette philosophie se change en son contraire au seuil de la propriété. Le salut est uniquement dans la propriété individuelle. L’idée de propriété nationale est une engeance du bolchevisme. Tout en divinisant la nation, le petit bourgeois ne veut rien lui donner. Au contraire, il attend que la nation lui distribue la propriété et le protège de l’ouvrier et de l’huissier. Malheureusement, le III° Reich ne donnera rien au petit bourgeois, si ce n’est de nouveaux impôts.

    Dans le domaine de l’économie contemporaine, internationale par ses liens, impersonnelle dans ses méthodes, le principe de race semble sorti d’un cimetière moyenâgeux. Les nazis font par avance des concessions : la pureté de la race qui se contente d’un passeport dans le royaume de l’esprit, doit surtout prouver son savoir-faire dans le domaine économique. Cela signifie dans les conditions actuelles : être compétitif. Par la porte de derrière le racisme revient au libéralisme économique, débarrassé des libertés politiques.

    Pratiquement, le nationalisme en économie se réduit à des explosions d’antisémitisme impuissantes, malgré toute leur brutalité. Les nazis éloignent du système économique actuel, comme une force impure, le capital usurier ou bancaire : la bourgeoisie juive occupe précisément dans cette sphère, comme chacun sait, une place importante. Tout en se prosternant devant le capitalisme dans son entier, le petit bourgeois déclare la guerre à l’esprit mauvais de lucre, personnifié par le juif polonais au manteau long et, bien souvent, sans un sou en poche. Le pogrome devient la preuve supérieure de la supériorité raciale. .

    Le programme avec lequel le national-socialisme est arrivé au pouvoir, rappelle tout à fait, hélas, le magasin ” universel ” juif dans les trous de province : que n’y trouve-t-on pas, à des prix bas et d’une qualité encore plus basse ! Des souvenirs sur le temps ” heureux ” de la libre concurrence et des légendes sur la solidité de la société divisée en Etats ; des espoirs de renaissance de l’empire colonial et des rêves d’économie fermée; des phrases sur l’abandon du droit romain et le retour au droit germain et des proclamations sur le moratoire américain ; une hostilité envieuse pour l’inégalité, que symbolisent l’hôtel particulier et l’automobile, et une peur animale devant l’égalité, qui a l’aspect de l’ouvrier en casquette et sans col ; le déchaînement du nationalisme et sa peur devant les créanciers mondiaux… Tous les déchets de la pensée politique internationale sont venus remplir le trésor intellectuel du nouveau messianisme allemand.

    Le fascisme a amené à la politique les bas-fonds de la société. Non seulement dans les maisons paysannes, mais aussi dans les gratte-ciel des villes vivent encore aujourd’hui, à côté du XX° siècle, le X° et le XII° siècles. Des centaines de millions de gens utilisent le courant électrique, sans cesser de croire à la force magique des gestes et des incantations. Le pape à Rome prêche à la radio sur le miracle de la transmutation de l’eau en vin. Les étoiles de cinéma se font dire la bonne aventure. Les aviateurs qui dirigent de merveilleuses mécaniques, créées par le génie de l’homme, portent des amulettes sous leur combinaison. Quelles réserves inépuisables d’obscurantisme, d’ignorance et de barbarie ! Le désespoir les a fait se dresser, le fascisme leur a donné un drapeau. Tout ce qu’un développement sans obstacle de la société aurait dû rejeter de l’organisme national, sous la forme d’excréments de la culture, est maintenant vomi : la civilisation capitaliste vomit une barbarie non digérée. Telle est la physiologie du national-socialisme.

    Le fascisme allemand, comme le fascisme italien, s’est hissé au pouvoir sur le dos de la petite bourgeoisie, dont il s’est servi comme d’un bélier contre la classe ouvrière et les institutions de la démocratie. Mais le fascisme au pouvoir n’est rien moins que le gouvernement de la petite bourgeoisie. Au contraire, c’est la dictature la plus impitoyable du capital monopoliste. Mussolini a raison : les classes intermédiaires ne sont pas capables d’une politique indépendante. Dans les périodes de crise, elles sont appelées à poursuivre jusqu’à l’absurde la politique de l’une des deux classes fondamentales. Le fascisme a réussi à les mettre au service du capital. Des mots d’ordre comme l’étatisation des trusts et la suppression des revenus ne provenant pas du travail, ont été immédiatement jetés pardessus bord dès l’arrivée au pouvoir. Au contraire, le particularisme des ” terres ” allemandes, qui s’appuyait sur les particularités de la petite bourgeoisie, a fait place nette pour le centralisme policier capitaliste. Chaque succès de la politique intérieure et extérieure du national-fascisme marquera inévitablement la poursuite de l’étouffement du petit capital par le grand.

    Le programme des illusions petites bourgeoises n’est pas supprimé ; il se détache simplement de la réalité et se transforme en actions rituelles. L’union de toutes les classes se ramène à un demi-symbolisme de service de travail obligatoire et à la confiscation ” au profit du peuple ” de la fête ouvrière du premier mai. Le maintien de l’alphabet gothique contre l’alphabet latin est une revanche symbolique sur le joug du marché mondial. La dépendance à l’égard des banquiers internationaux, parmi lesquels des juifs, ne diminue pas d’un iota ; en revanche, il est interdit d’égorger les animaux selon le rituel du Talmud. Si l’enfer est pavé de bonnes intentions, les chaussées du Troisième Reich sont couvertes de symboles.

    Une fois le programme des illusions petites bourgeoises réduit à une pure et simple mascarade bureaucratique, le national-socialisme s’élève au-dessus de la nation, comme la forme la plus pure de l’impérialisme. L’espoir que le gouvernement de Hitler tombera, si ce n’est aujourd’hui, demain, victime de son inconsistance interne, est tout à fait vain. Un programme était nécessaire aux nazis pour arriver au pouvoir; mais le pouvoir ne sert absolument pas à Hitler à remplir son programme. C’est le capital monopoliste qui lui fixe ses tâches. La concentration forcée de toutes les forces et moyens du peuple dans l’intérêt de l’impérialisme, qui est la véritable mission historique de la dictature fasciste, implique la préparation de la guerre ; ce but, à son tour, ne tolère aucune résistance intérieure et conduit à une concentration mécanique ultérieure du pouvoir. Il est impossible de réformer le fascisme ou de lui donner son congé. On ne peut que le renverser. L’orbite politique du régime des nazis bute contre l’alternative : la guerre ou la révolution ?

    Prinkipo, le 10 juin 1933

    Post-scriptum à l’article “Qu’est-ce que le national-socialisme?”

    Le premier anniversaire de la dictature des nazis se rapproche. Toutes les tendances du régime ont eu le temps de s’affirmer et de se préciser. La révolution ” socialiste ” qui était présentée aux masses petites bourgeoises comme le complément nécessaire à la révolution nationale, est condamnée et liquidée officiellement. La fraternité des classes a trouvé son point culminant dans le faits que les possédants, le jour fixé par le gouvernement, se privent de hors-d’œuvre et de dessert au profit des non-possédants. La lutte contre le chômage s’est ramenée à partager en deux la demi-portion de famine. Le reste est pris en charge par une statistique uniformisée. L’autarcie planifiée est simplement un nouveau stade du déclin économique.

    Plus le régime policier des nazis est impuissant dans le domaine de l’économie, plus il est obligé de reporter ses efforts dans le domaine de la politique extérieure. Ce qui s’accorde pleinement à la dynamique intérieure du capitalisme allemand, foncièrement agressif. Le brusque revirement des chefs nazis qui se sont mis à tenir des propos pacifistes, ne pouvait étonner que les naïfs incurables ; Hitler avait-il une autre solution pour faire endosser la responsabilité des désastres intérieurs à des ennemis extérieurs, et accumuler sous la presse de la dictature la force explosive de l’impérialisme ?

    Cette partie du programme, mentionnée déjà ouvertement avant la venue des nazis au pouvoir, se réalise aujourd’hui avec une logique de fer aux yeux du monde entier. Le temps nécessaire à l’armement de l’Allemagne détermine le délai qui sépare d’une nouvelle catastrophe européenne. Il ne s’agit pas de mois, ni de décennies. Quelques années sont suffisantes pour que l’Europe se retrouve à nouveau plongée dans la guerre, si les forces intérieures à l’Allemagne elle-même n’en empêchent pas à temps Hitler.

    2 novembre 1933.

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