Tag: Film

  • ‘‘La servante écarlate’’ : une série bouleversante

    Les nombreux éloges faits à ‘‘la servante écarlate’’ sont tout à fait justifiés. La série télévisée (à voir sur Netflix) est une adaptation bouleversante du livre du même nom écrit par Margaret Atwood en 1985 (réédité sous le titre ‘‘l’histoire de la servante’’), avec de bons acteurs et une brillante réalisation.

    Par Eleanor Malone (Socialist Party, CIO-Irlande). Attention, cet article comprend des spoils. 

    La série débute avec June, le personnage principal, qui essaie d’échapper avec sa fille à un groupe paramilitaire d’hommes armés. Ils lui arrachent sa fille des bras, la frappent jusqu’à ce qu’elle tombe inconsciente et la chargent dans un fourgon. À la fin du premier épisode, nous découvrons que ce même groupe paramilitaire a renversé le gouvernement américain pour le remplacer par un régime théocratique. Le monde a été ravagé par un fléau à la suite duquel la plupart des personnes ne sont plus capables de se reproduire. Les femmes pouvant encore enfanter sont arrêtées et offertes en cadeau aux nouvelles familles dirigeantes où elles sont violées et utilisées comme mères porteuses. Ainsi, June fait partie d’un groupe de femmes désignées sous le nom de ‘‘Servantes’’, des femmes pour qui la vie et en particulier la reproduction sont strictement contrôlées. Chaque mois, lors de la ‘‘cérémonie’’, elles sont violées par le chef de la famille dans le but ‘‘d’offrir’’ un enfant au couple.

    Dans la république réactionnaire de Gilead, les femmes sont divisées en groupes spécialisés : les Tantes qui torturent et lavent le cerveau des Servantes jusqu’à ce qu’elles soient dociles, les Marthas qui travaillent en tant que cuisinières et femmes de ménage pour les familles riches et les épouses des commandants. À côté des Servantes, des Tantes, des Marthas et des femmes de l’élite, une cinquième catégorie existe sans être reconnue : les femmes contraintes à la prostitution. Ces groupes représentent les archétypes répressifs des femmes.

    Un élément remarquable de la série se situe dans les monologues intérieurs de June qui sont à la fois une expression de résistance et d’affirmation de son humanité. Le scénario de cette série est extrêmement dystopique, mais on devient mal à l’aise en réalisant que la vie à Gilead n’est en réalité qu’une amplification des maux de la société actuelle. En effet, une adolescente irlandaise enceinte a, cette année encore, été placée par son psychologue dans une institution de soins psychiatriques car elle souhaitait avorter. Le gouvernement américain de Trump veut permettre aux États de ne plus financer les institutions pratiquant l’avortement. Ce sont là des exemples de la façon dont les régimes capitalistes, souvent main dans la main avec les instances religieuses, exercent un contrôle sévère sur la procréation. Au Maryland, il est possible pour les victimes de viol de devoir négocier avec leur violeur la garde de leur enfant. Et ça, c’est encore sans avoir parlé des États théocratiques pouvant être comparés sans exagération avec Gilead.

    A Gilead, les femmes doivent renoncer à leur identité précédente. June devient ‘‘Defred’’, un dérivé du nom de son maitre : Fred. Qu’elle s’appelle ‘‘de Fred’’ souligne son appartenance à l’homme. Dans la série, on nous confronte constamment avec la déshumanisation des Servantes. Selon l’idéologie de la famille ‘‘traditionnelle’’, toujours fortement d’actualité, les jeunes filles reçoivent depuis des siècles le nom de famille de leur père à la naissance et ensuite celui de l’homme qu’elles épousent.

    Dans le livre d’Atwood, la république de Gilead n’est pas seulement sexiste, mais également raciste. La série télévisée ne s’avance pas sur cette question d’oppression raciale qui est présente dans chaque coup d’État de droite. Gilead est en cela aussi une société de classes. À un certain moment, on entend dans le monologue intérieur de Defred que le chauffeur du commandant à un ‘‘statut inférieur’’. On l’apprend, car il ‘‘ne peut pas encore se voir assigner une femme’’. Les rapports entre classes dans la série sont présents dans la répartition des femmes et dans les interactions entre les femmes des différentes classes.

    Tandis qu’aucune femme ne peut occuper de fonction dirigeante ou posséder de biens, ni même lire, les femmes de l’élite sont relativement mieux loties et n’ont pas la propension à souhaiter des changements fondamentaux. Elles soutiennent l’oppression des Servantes, renforçant encore de par ce fait l’oppression générale. Cette trahison est mise en exergue par la maitresse de Defred : Madame Waterford, ancienne ‘‘féministe’’ influente devenue religieuse fondamentaliste et qui a du mal à supporter de ne pas pouvoir jouer de rôle politique. Cela fait immédiatement penser à ces ‘‘féministes’’ de la classe dominante, du genre d’Hillary Clinton, dont la politique de démantèlement social a des répercussions néfastes pour les femmes qui n’appartiennent pas à l’élite.

    Des conservateurs ont rapidement catégorisé cette série comme une histoire consacrée à l’extrémisme islamiste. Ils cherchent volontairement à éviter toute autre similitude. Tim Stanley, chroniqueur au Telegraph, écrivait ainsi : ‘‘Certains voient dans cette série une critique de Trump et de la droite religieuse américaine. C’est petit. L’idée que l’Amérique chrétienne conservatrice se transforme en un parc à thème du Moyen-âge est absurde’’. Le magazine Salon a réagi à cette argumentation : ‘‘Regardez comme ces conservateurs réalisent une gymnastique mentale pour se convaincre eux-mêmes que La servante écarlate ne parle pas d’eux.’’

    La première saison s’achève avec le message prometteur que même à l’encontre du régime le plus répressif, la résistance est possible à travers la solidarité. Les Servantes commencent également à comprendre que le système est totalement dépendant de leur rôle reproducteur. Un peu comme le capitalisme aujourd’hui est totalement dépendant du travail des travailleurs.

  • Russie 1917. L’art révolutionné par les soviets

    Le cuirassé Potemkine

    En février 1917, la révolution russe a mis fin à la dictature tsariste. En octobre de la même année, sous la direction des bolcheviks, la révolution a abouti à la prise de pouvoir par les soviets et à la constitution du premier Etat ouvrier au monde. La société s’est retrouvée sens dessus dessous : les travailleurs disposaient du pouvoir grâce à la démocratie directe exercée dans les conseils de masse, les ‘‘soviets’’ en russe. Le temps était à la libération et à l’espoir.

    En dépit des difficultés – le pays était ruiné par la guerre mondiale, à laquelle a succédé une guerre civile combinée à l’intervention militaire des puissances capitalistes – ce qui a été réalisé donne le tournis. L’enseignement a été modernisé et ouvert à de larges couches de la population. Les enfants ont été encouragés à faire de la musique, du théâtre, à s’intéresser à la littérature et à l’art dans le cadre d’une approche universelle du développement humain. Des trains d’agitation ont traversé le pays pour aider à diffuser les objectifs de la révolution : prise de décision démocratique, réforme agraire, égalité femmes-hommes, droit à l’autodétermination des peuples, solidarité internationale, etc.
    La disparition de la censure du tsarisme et les espoirs liés à la construction d’une nouvelle société ont provoqué une éruption de créativité et de discussions. Grâce à la nationalisation des secteurs clés de l’économie et à la mise en place d’une économie planifiée, des ressources ont été libérées pour cela.

    C’est ainsi que l’artisan d’avant-garde Vera Ermolaeva a fondé, en 1918, le ‘‘Collectif Aujourd’hui’’ afin de publier des livres pour enfants. En 1922, il y avait plus de 300 maisons d’édition à Moscou et Petrograd. Ermolaeva a aidé Kazimir Malevitch à mettre sur pied le collectif d’artistes ‘‘Unovis’’ (les Champions du Nouvel Art) dirigé par les étudiants. Ces initiatives étaient liées à l’usine de porcelaine de Lomonosov et, de ce fait, l’art était immédiatement diffusé à grande échelle. Le Musée expérimental et interactif de la Culture Artistique était destiné à placer l’art sous le contrôle des artistes. Lioubov Popova a appliqué son art innovateur aux projets du créateur radical de théâtre Vsevolod Meyerhold. Son style était visuel, audacieux et énergique. Le public était impliqué dans les pièces mais pas de façon condescendante ou paternaliste. L’affiche emblématique du film révolutionnaire Le Cuirassé Potemkine de Sergei Eisenstein réalisée par Varvara Stepanova donne un aperçu de l’esprit de l’époque.

    L’approche générale était de relier l’art, l’architecture, la technique et la production. L’Union soviétique a créé l’art le plus moderne de la planète, en impliquant des milliers de travailleurs et de jeunes dans des activités créatives, dans la science et dans la technologie.

    L’isolement de la révolution à la seule Russie était cependant problématique pour le nouvel Etat ouvrier. Il fallait gagner la guerre civile et reconstruire l’économie, dans un pays arriéré et ravagé par les conflits armés. Les travailleurs n’avaient pas assez de temps et d’énergie pour s’adonner pleinement à la gestion de la société. Une caste bureaucratique – avec le soutien croissant des services de sécurité – a commencé à usurper le pouvoir.

    Léon Trotsky, de concert avec Lénine et de nombreux autres bolcheviks et ouvriers, se sont battus pour défendre la démocratie ouvrière et la révolution internationale. C’est ainsi qu’est née ‘‘l’Opposition de gauche’’ contre Staline, son ‘‘socialisme dans un seul pays’’ et la caste bureaucratique.

    L’élan révolutionnaire international s’est malheureusement provisoirement tari et, en Russie, la population était épuisée. Les partisans de Staline dans la bureaucratie ont utilisé cette période pour marginaliser ‘‘l’Opposition de Gauche’’, jusqu’à la répression physique. La liberté d’expression subit un assaut généralisé. En 1926, le Musée de la Culture Artistique a été fermé. Malevitch a été arrêté en 1930. En 1934, le régime stalinien a déclaré que le ‘‘réalisme socialiste’’ était le seul style artistique admis en plus de la ‘‘littérature prolétarienne’’. Ermolaeva a été arrêtée en 1934 et exécutée en 1937. Le théâtre de Meyerhold a été fermé en 1938 et le producteur de théâtre lui-même a ensuite été arrêté et exécuté. Les artistes et les écrivains ont reçu l’ordre de glorifier le régime et Staline tout particulièrement. Comme Trotsky l’a résumé ce fut ‘‘une sorte de camp de concentration pour l’art’’.

    Trotsky a laissé un héritage important concernant la prise du pouvoir par la classe ouvrière au moyen d’un programme démocratique, socialiste et internationaliste. Mais son analyse de l’art et de sa relation avec la révolution et la société est également une forte contribution au marxisme.

    [divider]

    Lors du week-end “Socialisme 2017” qui se tiendra à Bruxelles les 21 et 22 octobre, un parcours spécifique comportant différents ateliers sera consacré à la relation entre l’art et la révolution.

    => Plus dinfos

  • [FILM] I am Not Your Negro

    “Je ne peux pas être pessimiste parce que je suis en vie. Être pessimiste signifie que tu dois accepter que la vie humaine est une matière académique, dès lors je suis forcé d’être optimiste. Je suis forcé de croire que nous pouvons survivre à tout ce à quoi nous devons survivre.” – James Baldwin.

    Comme beaucoup de jeunes, James Baldwin n’a pas attiré mon attention lorsque j’étais à l’école ou à l’université. Quand j’ai découvert Baldwin, il était clair, à la lecture de son premier roman La conversation (Go Tell It On The Mountain) et La Prochaine Fois, le feu (The Fire Next Time) qu’il est un excellent écrivain. Ce n’est qu’au moment où des vidéos YouTube comme le débat entre James Baldwin avec William F. Buckley intitulé “le rêve américain se fait aux dépens du nègre américain”  ont commencé à tourner sur Facebook et Twitter que Baldwin a eu un réel impact sur moi. À l’époque de du mouvement Black Lives Matter contre les violences et les meurtres racistes de la police aux Etats Unis, 50 ans plus tard, cet intitulé est toujours pertinent.

    Par Ryan Watson, Chicago, Socialist Alternative (partisans du Comité pour une Internationale Ouvrière aux USA)

    I’m Not Your Negro (Je ne suis pas votre nègre), nominé aux Oscars 2017 pour le meilleur documentaire, conté par Samuel L. Jackson et réalisé par le haïtien Raoul Peck, est révolutionnaire et inspirant. Le travail cinématographique de Peck comprend Lumumba, un récit biographique du premier Premier ministre démocratiquement élu du Congo, Patrice Lumumba qui revient sur le coup d’Etat belgo-américain et l’assassinat de Lumumba. Le prochain film de Peck s’intitulera Le jeune Karl Marx (il sortira en septembre en Belgique).

    I Am Not Your Negro est tiré d’un manuscrit inachevé de 1979 intitulé Remember This House qui relate l’amitié de Baldwin avec des personnages emblématiques, dont Medgar Evers, Malcolm X et Martin Luther King Jr. – tous trois assassinés – et leur contribution politique au mouvement afro-américain. Raoul Peck disposait d’un accès total au travail de Baldwin. Il nous offre les fruits de ce qu’il a trouvé tout au long du documentaire.

    Le fils d’Harlem

    Baldwin est né le 2 août 1924 et a grandi à Harlem, à New York. Il a connu la dure réalité de la pauvreté, du racisme et des violences paternelle, de son beau-père en particulier. I Am Not Your Negro fait un excellent travail en soulignant sa relation avec une enseignante. James Baldwin, produit du système scolaire public de la ville de New York, a très tôt montré des signes précurseurs de curiosité et l’envie de comprendre les choses, ce qui a suscité l’intérêt de son professeur, une jeune femme blanche nommée Orilla Miller. Surnommé “Bill” par le jeune Baldwin, Miller devait avoir un effet profond sur la vie de Baldwin.

    Elle a dirigé sa première pièce et a encouragé ses talents. Ils discutaient ensemble de littérature et visitaient des musées ensemble. Miller est même allé jusqu’à demander à son beau-père, David Baldwin, l’autorisation d’emmener James au cinéma. Plus tard, Baldwin lui attribua son manque de radicalisme. Il expliquera que c’était “certainement en partie à cause d’elle, qui est arrivée si tôt dans sa terrifiante vie, qu’il n’a jamais réussi à haïr les blancs”.

    Baldwin disait : “Bill Miller était blanche”, mais elle n’était “pas, pour moi, blanche comme Joan Crawford était blanche”. Pas plus qu’elle n’était blanche “de la même manière que les propriétaires terriens et les commerçants, les flics et la plupart de mes professeurs étaient blancs. Elle aussi (…) était traitée comme une négresse, surtout par les flics, et elle n’appréciait pas les propriétaires terriens”. Grâce à elle, Baldwin a appris que “les blancs n’agissent pas comme ils le font parce qu’ils sont blancs”.

    Bien qu’il semble que tous les oppresseurs soient blancs, Baldwin s’est rendu compte que tous les blancs n’étaient pas des oppresseurs dans la société américaine. Ses talents d’orateurs ont été mis à profit durant trois à quatre ans à la chaire de l’église en tant que prêcheur junior. Baldwin quittera ensuite l’église pour échapper à la brutalité de son beau-père. Il remet alors en question les principes du christianisme, ce qui deviendra un thème majeur tout au long de ses écrits et de sa critique sociale du capitalisme américain et du racisme.

    Baldwin en tant que témoin

    Le documentaire mélange les images et le travail de Medgar Evers, Malcolm X, et du Dr Martin Luther King Jr. avec la poésie et l’amour que Baldwin ressentait pour ses amis, aboutissant à une ambiance relaxante. Il relate également le retour de Baldwin aux États-Unis après un séjour en France au début du Mouvement des droits civiques.

    Il est facile d’accepter que les trois martyrs assassinés, Medgar, Malcolm et Martin, se soient impliqués dans la lutte d’une manière différente de celle de James Baldwin. Même à ses yeux, quand il compare sa contribution à la leur, il se considère lui-même comme un témoin face à de vrais acteurs. En effet, Baldwin, un homme noir gay dans les années 50-60, a dû mener une lutte pour son acceptation et sa reconnaissance au sein même du Mouvement des droits civiques, caractérisé par une structure autoritaire et un environnement machiste et religieux.

    Le narrateur du film, Samuel L. Jackson, prononce les mots de Baldwin avec une mélancolie qui vous hante alors que le documentaire débute dans le Sud profond des États-Unis. Le film commence par la vaillante lutte contre le lynchage et la ségrégation au Mississippi. Medgar Evers, organisateur de la NAACP (en français, association nationale pour la promotion des gens de couleur), était une figure essentielle du mouvement dans le Sud contre les lois Jim Crow (série de règlements racistes promulgués dans le Sud des États-Unis entre 1876 et 1964). Evers est le premier des amis de Baldwin à avoir été assassiné par des racistes en pleine rue, alors que sa femme et ses enfants regardaient avec horreur.

    Les combattants les plus connus pour la liberté noire, issus de différents courants de pensée et d’action, respectivement Malcolm X et Dr King, sont également mis en évidence. Le film esquisse les différences entre Malcolm X et Dr King ainsi que leur évolution vers une approche plus commune, presque indiscernable. Bien que la vie de Baldwin n’ait pas fini violemment comme celle de ses trois amis, il a activement cherché à mettre en lumière l’héritage et les idées de Martin et Malcolm pour la nouvelle génération d’activistes, après leurs assassinats. Il a évoqué combien il tenait à Martin, mais a déclaré que les gens ne l’écouteraient plus. Il a compris comment Malcolm était plus attractif pour les jeunes noirs, corroborant leur réalité et leur montrant qu’ils existaient. Il explique bien que Malcolm n’ignorait pas les pauvres, les précaires ou les condamnés. Baldwin n’a pas rejoint la Nation de l’Islam (NOI), parce qu’il ne détestait pas les blancs pas plus qu’il n’acceptait la version afro-américaine de l’islam d’Elijah Muhammad (dirigeant de la Nation de l’Islam). Baldwin n’a pas rejoint le mouvement Black Panthers ou Gay Liberation parce qu’il ne voulait pas être prisonnier de concepts organisationnels ou idéologiques. Baldwin voulait être un penseur indépendant.

    La lutte continue

    “Non seulement je ne suis pas né pour être un esclave ; mais je ne suis pas non plus né pour espérer devenir l’égal d’un maître d’esclave.” – James Baldwin.

    Le documentaire fait un fantastique travail pour mettre en lien la lutte des années ’60 et les conditions auxquelles les travailleurs et les jeunes noirs font actuellement face en raison du capitalisme et du racisme. Le documentaire brille des pensées perspicaces de Baldwin sur la couleur et le pouvoir. Ces idées sont examinées dans le film, un débat qui garde toute sa pertinence aujourd’hui. De nos jours, alors que l’information aux Etats-Unis est essentiellement contrôlée par cinq grandes entreprises, le capitalisme a appris à ne plus jamais permettre à un autre Malcolm ou Martin ou même un Baldwin d’accéder à une telle plate-forme. Les médias traditionnels ont aussi appris à limiter l’émergence de nouveaux mouvements indépendants des partis de Wall Street.

    Tout comme le débat vidéo de YouTube sur “le rêve américain se réalise-t-il aux dépens du nègre américain”, ce film demande pourquoi l’Amérique a besoin du nègre? Baldwin évoque ce point (1) : “Il est très choquant de découvrir que le drapeau auquel tu as offert ton allégeance, comme tout un chacun, ne t’a pas offert la sienne. Il est très choquant, vers l’âge de cinq ou six ans, de découvrir que quand tu t’identifiais à Gary Cooper tuant les Indiens, tu étais en fait l’indien. Il est très choquant de découvrir que le pays dans lequel tu es né, dans lequel tu as vécu et auquel tu t’identifies, ne t’a pas laissé la moindre place, à un quelconque niveau de réalité.”

    Les jeunes de Ferguson se sont rebellés en 2014 dans une ville où la classe ouvrière noire est criminalisée par la police d’État et discriminée par des politiques dignes des lois Jim Crow. Baldwin, en 1963, soulignait ce point : “Je suis sûr qu’ils n’ont rien contre les nègres, mais ce n’est vraiment pas la question, vous savez.” Baldwin ponctue ce point lors d’une autre interview télévisée : “La question est vraiment une sorte d’apathie et d’ignorance qui est le prix que nous avons payé pour la ségrégation. C’est ce que signifie la ségrégation; vous ne savez pas ce qui se passe de l’autre côté du mur parce que vous ne voulez pas savoir.” Ferguson, Baltimore, Tulsa et la montée du mouvement antiraciste Black Lives Matter ont montré que le système oppressif n’a pas beaucoup changé la réalité pour les travailleurs noirs et les jeunes en 50 ans.

    L’importance d’I Am Not Your Negro 

    Le 1er décembre 2016 marquait le 30e anniversaire de la mort de James Baldwin. I Am Not Your Negro est un hommage et une reconnaissance de la contribution de Baldwin à la lutte pour mettre fin à l’exploitation, au racisme structurel et à la domination des entreprises sur nos vies.

    Le film permet à une nouvelle génération de se pencher sur la richesse des mots, des idées et de la voix de Baldwin alors que nous construisons un mouvement des travailleurs de toutes les couleurs de peau pour affronter les attaques de Trump et de Wall Street contre les travailleurs, les pauvres et les gens de couleurs.

    (1) http://www.nytimes.com/books/98/03/29/specials/baldwin-dream.html

  • “CHEZ NOUS” Une critique bienvenue sur le danger du FN

    Chez nous est un film belge qui retrace l’ascension soudaine d’une jeune infirmière au sein du ‘‘RNP’’ (Rassemblement National Populaire), un Front National fictionnel imaginé par le réalisateur Lucas Belvaux qui s’inspire tant de l’extrême droite belge que de la française. Le film, plutôt réussi, décrit notamment les liens de ce parti avec des groupes paramilitaires néonazis et développe quelles sont les méthodes d’implantation des militants d’extrême-droite. Parfois un peu caricatural, le film a toutefois le mérite de ‘‘re-diaboliser’’ le Front National, le vrai, à un mois des élections présidentielles françaises et de la probable présence de Marine Le Pen au second tour.

    Par Brune (Bruxelles)

    Pauline, infirmière à domicile entre Lens et Lille, mère célibataire de deux enfants, trouve aussi le temps de s’occuper de son père à la retraite (ancien métallo et syndicaliste à la CGT). Dévouée, généreuse, tous ses patients comptent sur elle. Profitant de sa popularité, les dirigeants du RNP d’Agnés Dorgelle (référence à Léon Degrelle, leader fasciste wallon des années ‘30) lui proposent d’être leur candidate aux élections municipales d’Hénart (nom imaginaire derrière lequel se cache Hénin-Beaumont, municipalité où le FN a remporté les élections dès le premier tour en 2014).
    C’est le médecin de la famille, un dénommé Berthier (joué par André Dussolier) qui va en quelque sorte jouer son mentor au sein du parti. Au fur et à mesure du film, on se rend compte des liens de celui-ci avec divers groupes paramilitaires néonazis qu’il finance en Europe et ailleurs.

    L’héroïne rencontre au début du film son ancien amour de jeunesse, un certain Stankowiak, qu’elle ignore être un néo-nazi, un ancien du ‘‘Bloc Patriotique’’ dont la devise est ‘‘Mijn Volk Mijn Land’’ (Mon peuple, mon pays) et dont le logo n’est autre qu’un lion sur fond jaune, des références évidentes au Vlaams Belang flamand. Leur relation est quasiment le moteur central du film, une relation qui va la pousser à devoir faire un choix entre la politique et l’amour, puisque son prétendant cause des problèmes à la candidate Dorgelle qui veut se débarrasser de ses vieux dossiers pourris.

    A travers sa candidature, Pauline se met à dos son père (communiste et syndicaliste à la CGT) et ses amis de gauche. En parallèle, elle intègre un certain racisme décomplexé qui illustre malheureusement un racisme plutôt bien ancré dans la société française.

    Un des points forts du film est de décrire l’intérêt qu’a la jeune femme pour sa candidature. Elle est convaincue que faire de la politique, c’est changer les choses. Parce qu’elle n’a pas de temps pour elle, parce qu’elle travaille trop et que c’est dur, parce que tout son village s’est vidé à part les ‘‘Arabes du coin’’, parce que tout le paysage industriel est à l’abandon, parce que les chiffres du chômage ne font qu’augmenter,… Ce sentiment de dégoût profond de la société va se cristalliser dans sa candidature, sans même qu’elle ne pense à regarder en profondeur le programme du parti.

    Ce parcours illustre bien le terreau sur lequel fleurit le FN: l’approfondissement des problèmes sociaux avec la crise économique, l’avalanche sans fin de mesures d’austérité et les délocalisations. C’est l’un des masques que revêt le FN, celui de l’anti-ultralibéralisme, comme si le parti représentait une alternative aux mesures antisociales. Ce nouveau visage du FN lui permet d’ailleurs de s’implanter plus facilement dans certains anciens bastions du PCF, des fiefs ouvriers du Nord-Pas-de-Calais victime de la désindustrialisation par exemple.

    Dans le film comme dans la réalité, le parti entreprend une manœuvre de dédiabolisation qui ne vise qu’à mieux cacher sa politique de ‘‘diviser pour mieux régner’’. Le parti ne veut pas s’en prendre au manque de logements, d’emplois,… mais juste les répartir autrement, sans bousculer les intérêts des riches et du patronat français, en pointant du doigt divers boucs-émissaires, comme les migrants opposés aux ‘‘bons français’’.

    La scène de ‘‘formation’’ des militants est emblématique à ce sujet : un formateur explique pourquoi il est important de ne plus désormais utiliser de termes ouvertement racistes, mais plutôt des mots tels que ‘‘fondamentalistes’’, ‘‘terroristes’’, etc. En effet, le parti cherche à présent à présenter une image plus lisse! Cette formation accentue également l’importance de diffuser la peur via les réseaux sociaux. Le parti dévie l’attention et ne répond en rien aux causes réelles des inégalités.

    Au final, le film illustre assez clairement quel danger représente le FN. Même si ce dernier semble plus ‘‘respectable’’, il n’en reste pas moins une source de haine et de division, de racisme, de sexisme et d’homophobie. Derrière cette façade qui se veut sans reproche, on retrouve des décennies de liens avec des groupes violents qui, comme cela est illustré dans le film, s’en prennent physiquement aux immigrés et aux jeunes des quartiers tout en se faisant passer pour des ‘‘protecteurs’’ du ‘‘bon français’’.

    Le grand absent du film, c’est l’alternative. Le réalisateur met tout de même en scène des manifestations où l’on entend les slogans ‘‘Première, deuxième, troisième génération, nous sommes tous des enfants d’immigrés’’ et ‘‘Résistance’’. Mais le film met peu en scène quelle alternative seraient possibles pour une telle région, en abordant toutefois clairement le fait que ni Valls, ni Hollande, ni Sarkozy n’ont été en mesure de freiner le FN (bien au contraire). Mais les choses en restent là. Au final, le film est surtout là pour dénoncer, non pas pour apporter une réponse concrète. Dommage…
    Ce qui est sûr c’est que, sur écran ou sur papier, la réalité est bien là : avec les élections qui approchent, le FN monte dans les sondages et se retrouvera très probablement au second tour, rappelant le cauchemar de 2002 à beaucoup d’entre nous. Il reste primordial de se mobiliser contre le FN.

  • Oliver Stone réalise un film remarquable sur Edward Snowden.

    ‘‘Il ne s’agit pas de terrorisme’’, déclare Edward Snowden au sujet du nouveau film d’Oliver Stone. ‘‘Le terrorisme, c’est juste une excuse. Il s’agit en fait du contrôle social et économique.’’

    snowdenLes faits de l’actualité ne se trouvent pas dans le film. Mais la présentation des dimensions atteintes par les techniques d’espionnage modernes est terrifiante. Il est possible que ce film permette de créer une grande prise de conscience qui se propagera auprès d’un large public. Comme le film le montre, n’importe quel GSM ou ordinateur, n’importe où dans le monde, peut être repris et transformé en un dispositif d’espionnage.

    Version réduite d’une critique de Vincent Kolo, Socialist Action (CIO-Hong Kong)

    Sous la présidence de Bush et dans le cadre de “la guerre contre la terreur” toutes les objections juridiques contre l’espionnage de la population ont été éludées. Snowden a travaillé comme conseiller technique non-officiel pour le film et a déclaré, par la suite, qu’il se sentait ‘‘mal à l’aise’’, le filme étant tellement proche de la réalité.

    En ce sens, l’État et les agences comme la CIA ou la NSA jouent le rôle du principal méchant, comme dans la vraie vie. Les marxistes comme Friedrich Engels décrivent l’Etat comme un organe spécifique et armé de répression qui sert ainsi à confirmer le pouvoir économique de la classe dominante sur les autres classes. Aujourd’hui, cela passe par de grands bunkers de cyber-technologie. Aux États-Unis, Socialist Alternative appelle à l’abolition de la NSA et à l’abrogation des lois antidémocratiques comme le Patriot Act.

    Oliver Stone est connu pour ses films engagés (Wall Street, Né un 4 juillet, Salvador,…). ‘Snowden’ est une perle qui vient s’ajouter à cette liste. Le rôle principal est joué par Joseph Gordon-Levitt qui excelle dans le rôle de l’expert en informatique légèrement paranoïaque – un “geek alpha’’ qui rappelle plus Mark Zuckerberg que Jason Bourne.

    Snowden commence comme un partisan de Bush et un défenseur de ses guerres, mais finit comme le lanceur d’alerte déçu des promesses sans suite d’Obama. Par la suite, Snowden a décrit les activités de la NSA comme une “menace existentielle pour la démocratie”.

    Une grande partie du film a été tournée au Mira Hôtel à Hong Kong, l’endroit où Snowden a remis les documents numériques à Glenn Greenwald (joué par Zachary Quinto) et Ewan Mac Askill (Tom Wilkinson). Le film est aussi basé sur le documentaire ‘‘Citizenfour’’ de Laura Poitras, lui aussi entièrement tourné à l’Hôtel Mira en 2013.

    La première à Hong Kong a été suivie par Vanessa, membre de Socialist Action originaire des Philippines, et par Ajith, originaire du Sri Lanka, deux réfugiés qui ont offert un abri à Snowden à l’époque. Lorsque le The Guardian a publié les premiers fragments de documents divulgués, Snowden a en effet dû être caché. Il a trouvé refuge chez les habitants les plus pauvres, les réfugiés de la ville. Tant Snowden que Gordon-Levitt ont par la suite soutenu la lutte de ces réfugiés.

    Un détail : une bannière de Socialist Action apparaît à l’écran à la fin du film. Il s’agissait d’une manifestation de juin 2013 qui revendiquait l’asile pour Snowden. Socialist Action a été l’un des organisateurs de cette manifestation.

  • “I, Daniel Blake” – peut-être le meilleur film de Ken Loach

    danielblake

    “Quand vous faites des films sur les gens, la politique est importante.”

    ‘‘C’est une histoire que nous devons raconter. Dans un certain sens, il s’agit du choix que nous faisons sur la façon dont nous vivons ensemble’’ expliquait Ken Loach à l’ouverture du Film Fest à Gand.

    Par Tanja (Gand)

    A près de 80 ans, le Britannique est sorti de sa retraite. Le cinéaste de gauche ne pouvait heureusement pas rester silencieux alors que les conservateurs britanniques – Ken Loach les appelle ‘‘the bastards’’ – ont remporté les élections de 2015. Les conservateurs ont de suite lancé une nouvelle attaque contre le système de sécurité sociale déjà fortement érodé. Ken Loach est donc revenu pour nous parler de l’histoire de Daniel Blake. Le film lui a valu sa deuxième Palme D’Or au Festival de Cannes.

    Le film commence par une conversation téléphonique kafkaïenne entre Daniel Blake, menuisier et veuf déclaré invalide à la suite d’une crise cardiaque, et quelqu’un qui lui fait remplir un questionnaire. Les questions de base n’ont rien à voir avec sa situation spécifique et le résultat n’est pas surprenant : Daniel est déclaré apte à travailler et est donc privé de ses allocations de maladie. Une odyssée désespérée commence alors.

    “Ce n’est pas une coïncidence, c’est voulu”, lui explique son jeune voisin en revenant sur la façon bureaucratique et inhumaine dont fonctionnent les services et le gouvernement. Il lui parle de sa propre expérience avec les ‘‘zero hour contracts’’ qui n’offrent aucune perspective de revenu stable. Il en a assez de ces petits boulots de merde et il commence donc à vendre en rue des chaussures illégalement importées de Chine.

    Daniel développe une amitié profonde avec Katie, mère célibataire de deux enfants vivant à Londres. Après avoir passé des mois dans une auberge de jeunesse, ils sont envoyés à Newcastle, au nord du pays, pour un logement social. Tout juste arrivée dans une ville inconnue, elle emprunte le mauvais bus et rate son rendez-vous au centre d’emploi. Elle perd elle aussi directement son allocation.

    Ce film est une puissante charge d’accusation contre la brutale société du ‘‘chacun pour soi’’ introduite par Margaret Thatcher, l’ultraconservatrice Première ministre des années ‘80. Ce film clarifie merveilleusement les raisons de l’appui massif dont bénéficie Jeremy Corbyn (par ailleurs explicitement soutenu par Ken Loach également) et l’enthousiasme qu’il suscite parmi les couches larges de la classe des travailleurs.

    La recherche d’une alternative

    kenloachLe film n’est malgré tout pas pessimiste. Il est bourré de signes de solidarité et de compassion, de petits parfois, de plus importants à d’autres moments. Ce film démontre aussi clairement que la solidarité ne suffit pas pour véritablement résoudre les problèmes. Il faut une solidarité collective pour surmonter des périodes difficiles dans la vie d’un individu. Ken Loach accuse le néolibéralisme et signe un nouveau manifeste de solidarité.

    C’est un film où il est possible de rire à l’humour noir de la classe des travailleurs britanniques mais, à l’instant d’après, le rire devient une boule dans la gorge et l’on se sent envahi par la tristesse et la colère. Comme dans la scène poignante où Katie visite une banque alimentaire.

    Après une énième visite absurde au centre d’emploi Daniel Blake dit : ‘‘quand tu perds le respect de toi-même, t’est perdu. Alors c’est fini.’’ Il sort, prend une bombe aérosol et écrit sur le mur: “Moi, Daniel Blake, je demande une date d’appel avant que je ne meure de faim. Et changez votre musique d’attente de merde.’’ Dans la rue, les gens l’applaudissent spontanément.

    Lors de la projection au Film Fest de Gand, Ken Loach et Hayley Squires ont reçu une belle ovation de la salle. La première question du public nous a tout de suite emmené au point crucial. ‘‘Qu’est-ce qu’on peut faire ?’’ lui a demandé une jeune femme. ‘‘Au final, il s’agit d’une lutte politique’’, lui a répondu Ken Loach en confirmant son rôle unique de cinéaste politique. Il a appelé tout le monde à s’engager, à soutenir des campagnes politiques, à devenir membre d’un syndicat,…

    Cette perspective de résistance collective est absente du film. Mais il est évident que cela fait partie de la philosophie de Ken Loach et de la façon dont il considère un changement possible. Pour moi, ‘I Daniel Blake’ est peut-être son meilleur film. Espérons que ce ne soit pas son dernier.

  • ‘‘Merci patron’’, merci pour ce film qui donne envie de rejoindre la lutte de classe!

    mercipatron_02Il y a toujours quelque chose de réjouissant à ce qu’un film réalisé avec de tout petits moyens rencontre le succès. C’est ce qui se passe avec Merci patron de François Ruffin. Déjà connu comme journaliste, fondateur du journal satirique Fakir, collaborateur du Monde Diplomatique et de l’émission radio ‘Là-bas si j’y suis’,François Ruffin signe là son premier film. Il l’a réalisé avec 150.000€ à peine quand la moyenne pour un documentaire est le double,au bas mot. Pourtant, il enregistre des scores d’entrés dans les salles à faire pâlir les grosses productions. À la fin du mois de mai,quelque 500.000 spectateurs avaient déjà visionné le film, sorti en février en France.

    Par Simon (Liège), article tiré de l’édition de juin de Lutte Socialiste

    Son retentissement fait que le pitch de Merci patron est désormais connu: une famille de chômeurs, les Klur,autrefois licenciés par le groupe LVMH(propriété de la plus grosse fortune de France, Bernard Arnault) est aux abois. Leur maison va être saisie due à une dette impayée. L’auteur leur propose de monter une arnaque pour extorquer de l’argent à Arnault et, contre toute attente,ça marche. Les Klur font mine de monter une campagne dénonçant la responsabilité de Bernard Arnault dans leur situation et menacent de médiatiser leur cas à l’aide d’une campagne de presse et d’actions de mobilisation.L’ingéniosité et le culot de la bande qui oeuvre avec la complicité de quelques activistes bien connus (on assiste notamment à la mise en scène d’une réunion de planification d’une action de la CGT jouée en réalité par la compagnie politique musicale et théâtrale Jolie Môme) font danser l’homme de main de LVMH jusqu’à extorquer40.000 € à la compagnie et un emploi en CDI pour l’un des membres de la famille.

    Voilà les grands patrons mis à l’amende:on se réjouit de voir les sbires de LVMH tomber dans le panneau, on applaudit d’observer une victoire dans notre camp et cela fait sans doute beaucoup pour le succès du film. Dans une France où les travailleurs voient depuis des décennies leur situation se dégrader au profit des super-riches, où la mobilisation s’étend face à la casse du Code du travail, le film montre que l’on peut gagner contre les puissants et les arrogants.

    Au-delà d’une certaine mise en lumière de la lutte de classe, voilà probablement la plus grande vertu de ce film : il met la pêche. Les débats qui émaillent les fins de projections dans les salles sont là pour en témoigner.Merci patron est un film mobilisateur,qui renforce l’envie de lutter. Étant donné le contexte social et la nécessité de renforcer la résistance contrela loi El Khomri, on comprend l’atout que représente un tel film.

    Un bon film, mais certainement pas un guide pour l’action

    Pourtant, Merci patron tient plus de la farce ou du film de braquage que du film social. Frédéric Lordon, comparse de Ruffin dans le mouvement ‘‘Nuit  Debout’’, le définit même comme un film d’action directe, ce qui apparaît peut-être comme la meilleure façon de caractériser cet OVNI cinématographique.

    Bien sûr, François Ruffin ne propose pas de réelle alternative – mais on ne pourrait le lui reprocher, tant la force du film vient de l’énergie combattive qu’il véhicule. Cependant, le rapport de force n’est pas du tout absent de ce film. Comme le dit le réalisateur lui-même: ‘‘l’une des morales qu’on peut tirer de cette fable, c’est : on est parfois plus forts qu’on ne le croit, ils sont plus fragiles qu’on ne le pense.’’(1)

    En effet, le ressort du montage imaginé par François Ruffin et ses acolytes repose sur la surprise et la menace de médiatiser la situation de la famille Klur pour amener LVMH à céder cequi ne représente finalement pour la société qu’une peccadille : 40.000 € etun CDI chez Carrefour. Ceci ne saurait bien sûr pas tenir lieu de plan d’action général pour contrecarrer la casse de nos conquêtes sociales. Il est important de noter que dans le stratagème mis au point pour faire plier la multinationale,c’est la menace de mobiliser la CGT etles Goodyear qui permet de l’emporter.Cette approche a d’ailleurs été mise en avant par François Ruffin à plusieurs reprises : le rôle des organisations traditionnelles de défense des travailleurs- au premier rang desquelles les organisations syndicales – sont essentielles pour construire un rapport de force qui permettra de repousser les attaques du patronat et des gouvernements à sa solde. Cette mise au point est d’autant plus notable que le réalisateur est largement impliqué dans le mouvement Nuit Debout dans les rangs duquel règne un anti-syndicalisme certain.

    Ceci doit être clarifié et répété : si les syndicats ne sont pas exempts de toute critique (les lecteurs de Lutte Socialiste savent que notre journal ne cache pas ses réserves à l’égard des directions syndicales), ils restent le meilleur instrument dont nous disposons pour nous défendre collectivement.Nous devons y intervenir de façon à en faire des lieux démocratie garantissant le contrôle de ses luttes par la base.

    Ceux qui voudraient s’inspirer de Merci patron pour construire un modèle de lutte seraient vite confrontés à une impasse.

    Un enthousiasme sur lequel construire

    Autre chose serait de profiter de l’enthousiasme suscité par le film pour tenter de faire passer à l’action le public au sortir des séances de projection.C’est exactement ce qu’a fait le mouvement des Bloqueurs des 45 h lors d’une avant-première à Liège en distribuant un tract appelant à la manifestation contre la Loi Peeters et c’est encore ce que proposait la réplique liégeoise de Nuit Debout en organisant une assemblée à proximité du cinéma. Cette assemblée à laquelle le réalisateur a participé a également été l’occasion d’un dialogue entre militants syndicaux et nuitdeboutistes, illustrant de façon criante comment l’art peut être un facteur de mobilisation et de convergence des luttes.

    Derrière le nombre d’entrées en salle,c’est tout un type de public, pas précisément engagé, pas forcément amateur de Ken Loach (réalisateur britannique connu pour ses films à visée sociale et politique), qui découvre non seulement une analyse de classe des enjeux de société, mais aussi la nécessité de la lutte et qui constate qu’il est possible de l’emporter. L’actualité se charge d’amplifier la charge subversive du film : quand la direction d’Europe 1a refusé d’inviter Ruffin, quand des journaux tels que Le Parisien ont refusé des articles au sujet du film, il est clairement apparu aux yeux de tous comment le système s’auto-protège et comment les puissants s’entraident de façon à maintenir leurs positions.L’indignation qu’a suscitée cette campagne de censure n’a bien sûr fait que renforcer la notoriété du film.

    Grâce à son talent et à sa verve,François Ruffin, désormais le Michael Moore français, a fait plus pour l’éducation politique des masses que dix ans de films sociaux et de documentaires pédagogiques. François Ruffin a fait son boulot de journaliste et de réalisateur engagé, à nous de faire le nôtre !Se servir de ce contexte pour faire passer de l’indignation à l’action les milliers de spectateurs de Merci Patron,impulser la stratégie et les méthodes qui permettrons de stopper l’offensive sur nos conditions de vie et d’aller arracher de nouveaux droits sociaux,voilà la tâche qui se trouve devant les militants les plus conscients.

    (1) ‘‘Merci Patron ! Mode d’emploi.’’ www.fakirpresse.info

  • "Merci patron!" : un film engagé et engageant"

    mercipatronLe réalisateur du film-documentaire s’appelle François Ruffin. François est, aussi et avant tout, chef de rédaction d’un excellent magazine : Fakir – une lecture que je vous recommande chaleureusement, après Luttes Socialiste, bien entendu. François accompagne, dans le documentaire, la Famille Klur, dans un combat qui rappelle la lutte de David contre Goliath. Mr et Mme Klur sont licenciés, suite à la délocalisation de leur entreprise hors de France. Leur ancien employeur s’appelle Bernard Arnault, un multimilliardaire, qui cumule la direction de firmes telles que Dior, LVMH, Champagne Moët,… Après leur licenciement, les Klur vont tomber dans une grande pauvreté. Si rien ne se produit, ils doivent revendre leur maison, pour payer leurs dettes. La rue devient leur seul horizon!

    Par Paul Pirson, sympathisant

    François, à la façon d’un Robin des bois, va proposer aux Klur d’exiger de leur ancien employeur, un nouvel emploi décent et une somme d’argent pour les indemniser correctement et éponger leur dette. Le pari semble fou et pourtant!

    Outre l’imagination et la détermination de François Ruffin et des Klur dans leur combat, les moins avertis d’entre nous découvriront les mensonges, les méthodes mafieuses, les jeux d’influence et de corruption et le déni de démocratie (même à l’égard des actionnaires, c’est dire!) du grand patronat.

    Le détail le plus croustillant est la confidence d’un des hommes de main du patronat. Il explique que le grand capital craint uniquement les “minorités agissantes”. Comprenez les syndicats, la presse engagée et les associations, qui remettent en cause l’ordre établi. Par contre, le patronat est certain de l’appui de la presse soi-disant objective et impartiale et des partis politiques traditionnels.

    Ce film ne raconte pas une lutte individualiste du “self made man contre le méchant”, à laquelle les films hollywoodiens nous ont trop habitués. Au contraire, le film expose qu’une lutte organisée minutieusement et collectivement, avec des personnes conscientisées, peut mener à de grandes victoires. Le film rend la dignité à des travailleurs, bousculés par le capitalisme le plus sauvage. Il illustre qu’ensemble, nous pouvons révolutionner notre société.

    Seul bémol : le film n’échappe pas à certains moments, à un peu d’ironie, à cause de l’humour un peu caustique du réalisateur.

    En plus de la canette et des chips, que vous aurez pris soin d’emporter dans votre manteau, pour ne pas les acheter au triple du prix dans le cinéma, prévoyez des mouchoirs. Avec “Merci Patron!”, vous rirez beaucoup. Ceux d’entre nous, qui ont vécu, vivent ou craignent des moments difficiles, seront pris aux tripes par les détails cruels de la misère des Klur : la nourriture qui se raréfie, le logement qui n’est plus chauffé, les privations en tous genres, … Mais ils reprendront goût à la lutte pour plus d’égalité et de fraternité et sortant de la salle, dans un grand rire, ils empêcheront leur patron de dormir.

  • ‘‘Demain’’. Un Feel good movie, mais est-ce aussi un film pour changer le monde ?

    demain_filmPrès d’un million de personnes se sont déplacées pour voir ce film documentaire, dont plus de 100.000 en Belgique. Un vrai phénomène ! Mais quel est le fond de ce succès ? Et surtout que propose ce documentaire ? Une atmosphère positive sur le monde et sa population ou une méthode pour construire une autre société qui répond aux aspirations et aux intérêts de la population ? Notons que les thèmes abordés dans ce film sont vastes et variés. Petit aperçu.

    Par Emily (Namur)

    Recette d’un succès

    Un nombre croissant de personnes partagent le constat que le monde ne tourne pas rond. Le nombre de chômeurs a triplé en 60 ans et la casse de nos services publics et de notre sécurité sociale est toujours plus intense. La crise environnementale menace, elle, la pérennité même des écosystèmes comme l’explique une étude de la revue scientifique Nature présentée au début du documentaire. Les nombreux débats organisés à la suite des projections ont démontré que toute une série de spectateurs sont à la recherche d’alternatives.

    Ensuite, on a tous besoin de temps en temps d’un film à la pensée positive. Cyril Dion et Mélanie Laurent semblent faire le choix de partager avec nous des initiatives fleurissantes d’individus et de collectifs dans ce qu’elles ont d’enthousiasmant. Les difficultés et les limites ne sont pas abordées ce qui permet de ressortir du cinéma boosté et le sourire aux lèvres.

    Un Feel good movie, pas une analyse du système

    La médaille a son revers. Ces initiatives sont intéressantes – bien que déjà largement connues – et remettent en question le fonctionnement du système, mais le film n’aborde ni sa structure, ni la manière de le transformer ou de le renverser. Pourtant, sans cela, ces initiatives risquent d’être reprises ou brisées par la logique du système capitaliste.

    Comme Oxfam l’a soulevé, 1 % de la population détient plus de richesse que les 99 autres pourcents. Sous-estimer la riposte des super-riches lorsqu’on attaque leurs profits par des initiatives développées parallèlement au système serait une grave erreur. Mais nous avons la force potentielle du nombre. Nous devons en être davantage conscients et la matérialiser par l’organisation. Cyril Dion et Mélanie Laurent expliquent dans leurs interviews que ‘‘le désir, l’imaginaire et la fiction peuvent changer le monde’’. Nous avons plutôt tendance à penser que seule la lutte des masses pour une société qui réponde à nos intérêts et dont les arcanes et les moyens de production sont démocratiquement gérés et contrôlés est capable d’atteindre cet objectif indispensable.

    Coopérative, circuits courts, monnaies complémentaires… : forces et faiblesses

    Depuis le début de la crise économique, beaucoup veulent consommer – voir produire – autrement et c’est légitime. Toutefois, le phénomène des coopératives et de manière générale les tentatives de vivre en dehors de la sphère marchande capitaliste n’est pas neuf. La première coopérative a vu le jour en 1860 en Belgique et leurs nombres a progressivement crû avec des pics suite aux différentes crises (1929, 1973, 1978) pour s’effondrer dans les années 1980. Les ouvriers n’avaient pas accès à des produits de qualité, tels que du pain sain et nourrissant. Les coopératives apportaient une solution concrète et étaient alors réunies en fédérations qui suivaient les différents piliers de la société. S’ils ont permis aux ouvriers d’améliorer leurs conditions de vie, cela s’est révélé momentané.

    Législation favorable aux plus riches

    Différentes difficultés sont apparues. Le poids des quelques familles de nantis sur les décisions politiques est clair. En voici un exemple. En 1959, la loi Cadenas qui régulait et limitait l’implantation de grandes surfaces a été abrogée. En effet, suite à la massification de la production et des agglomérations, il devenait possible pour la bourgeoisie de faire d’importants profits dans le secteur de la distribution auparavant occupé par la classe moyenne et, dans une moindre mesure, par les coopératives. Ces profits sont rendus possibles par les importants volumes de ventes et les économies d’échelle. Cette législation favorable à l’enrichissement des plus riches a marqué la fin des coopératives dans le secteur marchand (à l’exception des pharmacies et des banques) et la faillite de très nombreux commerces de proximité. L’exemple d’ARCO – banque coopérative du mouvement ouvrier chrétien – est assez démonstratif des dérives qui ont touché le mouvement coopératiste.

    La fin de la loi Cadenas explique bien pour qui roule l’État, mais les exemples actuels sont nombreux. La large opposition des mouvements sociaux aux OGM a permis le développement du principe de précaution. Toutefois, ce principe posé dans l’absolu est aussi favorable aux lobbies qui sont très bien organisés. Ainsi, les semences traditionnelles doivent être enregistrées pour permettre de contrôler entre autres leurs stabilités génétiques et leur innocuité. Mais le coût de cette procédure ne permet plus aux individus ou petits groupes d’y recourir. Le label Bio, comme bien d’autres, a lui aussi été récupéré. Aujourd’hui, le monstre de l’agroalimentaire Monsanto – qui commercialise 90 % des OGM – a racheté de très nombreuses marques Bio. Ce qui était au départ une alternative environnementale est bien vite retourné entre les mains du Big business.

    Et ne parlons même pas du TTIP qui balayera d’un coup bon nombre de ces alternatives si une résistance de masse de la base ne se fait pas sentir en s’organisant et en luttant pour un contrôle et une gestion démocratique de secteurs aussi essentiel que celui des semences, mais aussi de l’ensemble des secteurs clés de l’économie.

    Concurrence et pénuries

    De plus, à côté d’une structure législative favorable aux plus riches, les lois du système capitaliste et du “libre” marché limitent fortement l’impact et la pérennité des coopératives et autres. Face à un système de mise en concurrence, les coopératives doivent bien souvent rogner sur les conditions de travail et la qualité pour maintenir la tête hors de l’eau. Celles qui mettent la clé sous la porte sont nombreuses. En plus d’une production gérée démocratiquement, nous avons besoin d’une planification de celle-ci. C’est d’ailleurs ce que réclament les agriculteurs depuis bien longtemps, car sans ça, c’est la course à la production et la dégringolade des prix du secteur primaire selon la loi de l’offre et la demande. Toutefois, plutôt qu’une planification bureaucratique, nous avons besoin d’une planification démocratique, en fonction des besoins de l’ensemble de la population.

    Parallèlement à cela, une myriade d’initiatives ont vues le jour dans le secteur de l’éducation ou dans les maisons de quartier, etc. Les réflexions sur des pédagogies alternatives sont nombreuses. Cependant, là encore, la réflexion pédagogique ne peut pas suffire. Alors qu’aujourd’hui de plus en plus d’associations perdent leurs subsides que les maisons de quartier doivent faire du sécuritaire plutôt que de l’éducation populaire pour garder (pour partie) leurs subsides, nous avons besoin d’un réinvestissement massif dans les services publics pour que ce bouillonnement d’idées puisse se réaliser et que ces initiatives puissent être accessibles à tous.

    “Demain”, un autre monde est possible et c’est, en effet, dès aujourd’hui qu’il faut le construire. Pour être capable de renverser le système capitaliste qui sabote chaque initiative qui prend de l’ampleur, nous avons besoin de construire un mouvement fort des travailleurs, des jeunes, des pauvres. Cela nécessitera la participation active de ceux qui sont à la base de la production de la société et qui travaille dans les secteurs clés de l’économie, seuls capables de construire un rapport de force suffisamment puissant. Nous avons aussi besoin d’une alternative politique crédible qui mette les intérêts des masses avant ceux d’une minorité de super-riches.

  • Les Oscars boudent les artistes noirs: luttons contre le racisme et l'austérité dans les arts

    Cette année, je ne suis pas excitée à l’idée de savoir qui va remporter un Oscar. J’ai regardé les films, mais il m'a été difficile d'ignorer le vaste troupeau d'éléphants très blancs dans la salle. Pour la deuxième année consécutive, aucun noir n’a été nommé.

    Par Olivia Onyehara, actrice (réaction initialement publiée dans The Socialist, hebdomadaire de nos camarades d’Angleterre et du Pays de Galles)

    L’Académie des arts et sciences du cinéma (qui décerne les Oscars) a ainsi snobé «Beasts of No Nation», qui parle des enfants-soldats en Afrique de l’Ouest. Ce film est brillamment écrit et réalisé, et interprété par un casting très talentueux et presque exclusivement noir. Mais les décideurs sont majoritairement blancs, masculins et âgés de plus de 50 ans. Ils représentent la riche élite de l’industrie du divertissement. En tant que jeune actrice noire, je me demande s’ils estiment que seuls les «films noirs» qui dépeignent la soumission des minorités par de riches hommes blancs sont dignes d’être nominés aux Oscars.

    Les acteurs, producteurs, metteurs en scène et cinéastes de couleur sont sous-représentés, comme le sont les femmes. Les coupes budgétaires dans le financement des arts et les frais de scolarité dans les écoles de théâtre et les universités nous affectent de manière disproportionnée. Il ne nous est jamais donné l’occasion d’être représentés de façon pleine et égale .

    L’industrie du divertissement se transforme rapidement en un terrain de jeu privé à destination des riches. Cela signifie que les acteurs noirs et asiatiques sont peu susceptibles d’être des figures de premier plan. Au lieu de cela, nous en sommes réduits à de petits rôles souvent stéréotypés. Les responsables du financement et du casting projettent le monde dans lequel ils vivent – un monde toujours plus blanchi d’où est absente la voix de la classe des travailleurs.

    Seuls 31 Oscars sur 2900 ont été attribués à des acteurs noirs.

    Une meilleure politique de casting est nécessaire, de même que de revenir sur les coupes budgétaires. Cela est fondamental pour laisser prospérer les voix des noirs, des femmes et des travailleurs dans le monde des arts. Le contrôle démocratique des diffuseurs comme la BBC – y compris avec des représentants des téléspectateurs et des représentants syndicaux – aiderait à prévenir le «whitewashing».

0
    0
    Your Cart
    Your cart is emptyReturn to Shop