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  • Contre la casse sociale – Arrêtons cet AIP : Pas de bluff, mais une lutte organisée

    Jamais auparavant les représentants élus des travailleurs n’avaient aussi massivement rejeté un accord interprofessionnel. La FGTB continue son calendrier d’action, même après “la proposition de médiation”. La CGSLB participera à la journée d’action du 4 mars et, de son côté, la CNE organise une concentration de ces militants ce 28 février à Bruxelles.

    Tract du PSL

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    Sur base des premiers résultats officiels, les annalistes estiment à 17,14 milliards d’euros le profit global des entreprises comprises dans le Bel 20 pour l’année 2010, soit une croissance de 37,4% en comparaison de 2009.Une bonne partie de cela sera consacrée aux dividendes et aux bonus. Même dans l’année de crise 2009, les patrons des entreprises du Bel 20 se sont accordés un salaire brut moyen de 2,27 millions d’euros (une augmentation de 23% comparé à 2008).

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    Pour les deux années à venir, l’AIP prévoit une marge salariale d’à peine 0,3% en plus de l’index santé (3,9%), ce qui est en dessous des attentes concernant l’inflation. Et cela alors que les entreprises refont de gros bénéfices (voir cadre). Il n’est donc pas étonnant que la base syndicale ait rejeté massivement l’AIP. Sur notre site socialisme.be, nous nous référons au blog internet d’un militant de la LBC. Celui-ci a calculé qu’en réalité, la base de la CSC a rejeté l’accord à 55,4%. C’est probablement la raison pour laquelle Cortebeeck a voulu adoucir la pilule en adaptant l’AIP avec ”l’aide” de Leterme. C’était trop peu et trop tard.

    Dans ce nouveau projet, la marge salariale est reprise. L’étude sur l’indexation disparait, mais la Banque Nationale lance une attaque en règle. La proposition de médiation comprend une augmentation de 10 € des salaires minimaux, mais même cela ne doit rien coûter aux patrons. C’est la sécurité sociale qui doit payer avec des baisses de charges. Pour assurer la liaison au bien-être des allocations, le gouvernement refuse le “cadeau” offert par les partenaires sociaux. Ils n’auraient pas besoin de 200 des 500 millions d’euros budgétés par le gouvernement. Il faudrait expliquer cela à ceux qui doivent vivre d’une allocation de retraite, de chômage ou d’invalidité.

    L’allongement du préavis des ouvriers est accéléré, 15% au lieu de 10% à partir de l’année prochaine. Mais le passage selon lequel ce serait augmenté à 20% à partir de 2016 à disparu. La réduction du préavis des employés dits inférieurs (-30.535 €) est écartée. La diminution de 6% pour les employés dits supérieurs pour 2014 est maintenue, mais celle de 10% pour 2016 est également écartée. Le préavis des travailleurs avec un salaire inférieur à 61.071 euros sera exonéré d’impôts sur les deux premières semaines. De nouveau une mesure qui ne coûte rien au patron.

    Ne pas bluffer, mais s’organiser!

    Il a fallu attendre longtemps les positions du sommet syndical. Consulter la base, ne parlons pas encore de la laisser décider démocratiquement, exige du temps. C’est un inconvénient que les patrons et le gouvernement ne connaissent pas. Face à la lenteur du sommet, il y a la vitesse avec laquelle on s’attend à la réaction de la base. Elle doit s’apprêter en quelques jours à réagir sur un accord négocié secrètement pendant des mois avec rarement des tracts d’information ou de mobilisation disponibles à temps. Jusqu’à la dernière minute, la base ne sait pas s’il s’agit de grève ou de mobilisation de militants. Même pour le 4 mars, les intentions du sommet syndical ne sont pas encore claires. Est-ce que nous allons installer des piquets filtrants pour convaincre ceux qui doutent où allons nous bloquer le tout ?

    Au lieu de faire de grandes annonces, la direction syndicale doit lancer à temps des mots d’ordres clairs et assurer que les moyens nécessaires sont là pour les délégués d’entreprises, sinon ce sera n’importe quoi, comme la semaine passée. La majorité des travailleurs s’est prononcée contre l’AIP. La seule manière de casser cette majorité, c’est de nous diviser: ouvriers contre employés, francophones contre Flamands, jeunes contre plus âgés. Nous n’avons pas besoin d’encore nous faire diviser entre syndicalistes. Un bon plan d’action, une implication maximale de la base et une attitude ouverte vers ceux qui se sentent délaissés par leur direction syndicale peuvent faire basculer les relations de forces en faveur des travailleurs.

    Cet AIP n’est pas le but ultime des patrons et des politiciens. S’ils réussissent à le faire passer, il faut s’attendre à une attaque frontale contre l’index, nos pensions et tout ce qui rend la vie et le travail supportable pour les travailleurs et leurs familles.

    Le Parti Socialiste de Lutte défend:

    • Des négociations libres dans les secteurs et les entreprises
    • L’élimination de la discrimination entre ouvriers et employés, sans miner le statut des employés
    • La protection de l’index
    • Le maintien de tous les systèmes de prépensions

    Le PSL défend la lutte commune des travailleurs Wallons, Flamands et Bruxellois:

    • Contre toute forme d’allongement de la durée de travail, pour la semaine des 32 heures, sans perte de salaire et avec embauche compensatoire
    • Des contrats décents pour tous à des salaires convenables, pour un salaire minimal de 1500 euros net, pour la liaison au bien-être de toutes les allocations.
    • Stop aux cadeaux fiscaux au patronat, pour l’abolition des intérêts notionnels et du secret bancaire, pour la nationalisation sous contrôle des travailleurs des secteurs clés de l’économie.
    • Pour une société socialiste où la production se fait en fonction des besoins de tous et pas en fonction des profits de quelques privilégiés.

    FGTB et CSC: cassez les liens avec le PS et le CD&V

    Avec une bonne campagne d’information et de mobilisation, les syndicats sont capables de mettre dans la rue des centaines de milliers de travailleurs. Hélas, au Parlement, cela ne se remarquera pas. Les syndicats libéraux venaient à peine de rejeter l’accord que les partis libéraux annonçaient vouloir intégralement le faire appliquer. Au Parlement, les chrétiens-démocrates se moquent des positions de la CSC et des mutualités chrétiennes. Tant le PS que le SP.a se sont réjouis de l’accord “équilibré”. Bien qu’une majorité de syndicalistes ait rejeté l’AIP, cette position passe à peine dans les médias. A la base syndicale, cela conduit à des frustrations et au découragement. En Flandre surtout, et depuis des années, nombreux sont ceux qui se sont détournés des partenaires politiques privilégiés et votent pour le populiste du moment. Il est grand temps que les dirigeants syndicaux rompent les liens entretenus avec le PS et le SP.a pour la FGTB et avec le CD&V pour la CSC, et qu’ils construisent leur propre représentation politique, avec tous ceux qui s’opposent à la casse sociale.

    Jeunes en lutte pour l’emploi

    Les jeunes surtout sont dans le collimateur de la politique de casse sociale. La sécurité d’emploi et un salaire convenable ne sont que de rêves pour beaucoup. L’AIP veut encore élargir cette discrimination. Celui qui est déjà au boulot garderait son statut actuel, des nouveaux travailleurs subiraient le nouveau statut miné. Dans quelques régions, le PSL est impliqué avec les jeunes des syndicats et la JOC dans une campagne contre l’insécurité d’emploi et la série interminable de statuts précaires imposés aux jeunes.

    Socialisme 2011

    Chaque année, le Parti Socialiste de Lutte organise un weekend public de débats et de formation, ‘’Socialisme 2011’’ cette année. Nous y accueillerons environ 300 participants. Durant trois meetings en plénière, deux sessions et 16 commissions, la lutte syndicale ne sera jamais très éloignée. De plus, ce sera l’occasion de rencontrer d’autres syndicalistes combatifs. A l’ordre du jour, il y aura entre autre une discussion sur les grèves générales avec Gustave Dache, auteur d’un livre sur ’60-’61 ; un meeting international avec des syndicalistes de France, d’Irlande et de Grande-Bretagne ; des témoignages de syndicalistes venant de Wallonie, de Bruxelles et de Flandre sur la façon dont ils réagissent face à la question communautaire ; et une commission concernant les syndicats combatifs et démocratiques, avec Martin Willems, secrétaire licencié du SETCa BHV industrie.

  • La Belgique, paradis fiscal pour les grandes entreprises

    Ces dernières années, l’impôt sur les sociétés a fortement diminué en Belgique, c’est le moins que l’on puisse dire. Le taux officiel de 33,99% n’est plus encore payé que par des PME naïves. Certaines entreprises ont à peine été imposées, voire même pas du tout. Cette tendance n’a été que renforcée par la Déduction des Intérêts Notionnels. Les données des 500 plus grandes entreprises ont été examinées, et le PTB (Parti du Travail de Belgique) en a publié un aperçu.

    Beaucoup de grandes entreprises n’ont tout simplement pas payé d’impôt en 2009: AB Inbev, Groupe Bruxelles Lambert, Arcelor Finance, Solvay, Dexia Investment Company, Umicore, KBC, Pfizer,… tandis que d’autres en ont à peine payé. Les 50 sociétés qui ont payé le moins d’impôt (sur une liste de 500) ont en moyenne été imposées à hauteur de… 0,57% ! C’est bien loin du taux officiel, et même plus bas que le taux appliqué en Irlande. Là-bas, le taux d’imposition pour les sociétés est de 12%, ce qui a été introduit avec l’argument qu’une telle mesure ne pourrait qu’attirer des entreprises à venir s’installer dans le pays. Au niveau fiscal, nous assistons depuis quelques années déjà à une course vers le bas entre les divers pays, c’est à celui qui imposera le moins les grandes entreprises. A ce titre, notre pays fait figure d’exemple.

    Ici et là, on fait des remarques sur ces chiffres, généralement sans aller plus loin qu’en faisant remarquer que les structures internes des grandes compagnies sont compliquées, ce qui fait qu’une de ses branches peut ne pas payer d’impôt tandis qu’une autre bien. Dans le cas d’Anheuser-Busch Inbev, concrètement, cela veut dire qu’aucun impôt n’est perçu sur un montant de 6,378 milliards d’euros de bénéfice, et que d’autres branches d’AB Inbev payent un impôt, mais sur des sommes bien plus petites.

    Pour les grandes entreprises, Saint Nicolas a été très généreux ces dernières années, les cadeaux-fiscaux n’ont pas manqué! Quant à la Déduction des Intérêts Notionnels, c’était la cerise sur le gâteau, un élément saisi par les patrons pour vendre notre pays à l’étranger et dire à quel point il était intéressant. Mais les mêmes, dans notre pays, n’ont de cesse de parler de la trop haute pression fiscale de Belgique. Cette rhétorique ne tient pas la route. Dans la pétrochimie par exemple, les grandes entreprises ne payent quasiment pas d’impôt: ExxonMobil paye 1.019 euros d’impôt sur un profit de 5 milliards d’euros, BASF 126.000 euros sur un profit de 579 millions d’euros (0,02%), Bayer 5,7 millions d’euros sur un profit de 192 millions d’euros (2,99%). Ce genre de pourcentage est devenu la norme dans le monde des grandes entreprises.

    Toutes ensemble, les 50 entreprises qui ont payé le moins d’impôt auraient dû payer 14,3 milliards d’euros en plus si le taux de 33,99% avait été respecté. Mais, sur un total de 42,7 milliards d’euros de profit, seul un montant de 243 millions d’euros a été perçu.

    Ces chiffres ont évidement une incidence sur nombres de discussions qui ont actuellement lieu. Premièrement, tout comme nous l’avons dit ci-dessus, il est clair que la rhétorique selon laquelle le patronat paierait de trop hautes taxes est fausses. Notre pays est un paradis fiscal pour les grandes entreprises. Deuxièmement, alors qu’on nous demande de payer pour la crise, il apparait que lors d’une année de crise, 50 grandes entreprises ont réalisé au moins 42,7 milliards d’euros de profit. Enfin, il est étrange de constater que les syndicats n’nt pas utilisé ces chiffres dans le cadre des négociations pour l’Accord Interprofessionnel alors qu’ils avaient eux aussi accès à ces chiffres (déposés à la Banque Nationale). Cet été encore, la CSC avait utilisé différentes données de 2008. A ce moment, la CSC dénonçait que 7 grandes entreprises n’avaient pas payé d’impôt, notamment avec la Déduction des Intérêts Notionnels. Il était question de 5,8 milliards d’euros de déduction fiscale pour 35 grandes entreprises.

    La CSC avait déclaré: ‘‘ Sept entreprises ont déduit plus d’intérêts que ce qu’elles ont enregistré comme bénéfice comptable, ce qui leur a permis de ne pas payer d’impôts. L’une d’entre elles a même déduit des intérêts notionnels d’un montant cinq fois supérieur à son bénéfice comptable. Qu’une société déduise trop ne pose du reste pas de problème: elle pourra continuer à déduire les années suivantes. Conséquence: pas d’impôts pendant des années.’’ Et encore: ‘‘Si parmi les 35 grandes entreprises qui ont eu recours à la déduction des intérêts notionnels durant l’exercice 2008, nous ne retenons que celles qui ont enregistré un bénéfice, nous constatons que ces dernières n’ont payé en moyenne que 8,5% d’impôt des sociétés.’’ Les nouvelles données démontrent que ce pourcentage a encore baissé. Selon le PTB, ces 500 grandes entreprises ont eu un taux d’imposition de 3,76% contre 24,2% en 2001.

    Les syndicats vont-ils utiliser ces chiffres pour mener campagne en faveur de la suppression de la Déduction des Intérêts Notionnels et des autres cadeaux fiscaux ? Ou pour réfuter les arguments patronaux voulant nous imposer une modération salariale afin de préserver notre “position concurrentielle” ? Qu’attendre de plus pour partir à l’offensive avec les revendications des travailleurs?

  • Evaluation des élections du 13 juin 2010 : La NVA et le PS ensemble pour assainir 22 milliards d’euros

    Ces élections ont marqué une nouvelle étape de la crise politique. Un seul vainqueur côté flamand : la N-VA de Bart De Wever. Côté francophone, c’est le PS qui a cartonné (35,7% au Sénat et 37,5% à la Chambre). Envolée l’euphorie du Didier Reynders de 2007. Quant à la percée d’Ecolo de 2009, elle ne s’est pas confirmée. D’autre part, le Bureau du Plan estime que 22 milliards d’euros d’assainissement budgétaire seront nécessaire pour retrouver l’équilibre en 2015.

    Texte issu du Comité National du PSL-LSP

    Les résultats électoraux n’étaient pas vraiment surprenant. Ces élections étaient la tantième étape du développement d’une crise politique qui a surtout fait surface depuis 2007 mais qui commençait déjà à bloquer le fonctionnement de l’Etat fédéral en 2004.

    En 2004, des partis différents du niveau fédéral sont arrivés au pouvoir dans les gouvernements régionaux, signe révélateur du fait que la position des différents partis bourgeois devenait constamment plus volatile. Sous la direction d’Yves Leterme, le gouvernement flamand a presque directement entamer une guerre contre le gouvernement fédéral, en mentionnant par exemple la scission de BHV dans l’accord gouvernemental flamand (alors qu’il s’agissait d’une compétence fédérale), mais aussi sur base d’un nombre de dossiers liés au marché de l’emploi. Le gouvernement fédéral avait toujours plus une image d’irrésolution, d’un «gouvernement d’annonces» jamais concrétisées à cause de disputes internes…

    Cette volatilité s’est surtout développée en Flandre. L’année 1999 avait constitué une cassure avec le passé : pour la première fois depuis les années ’50, le CVP n’a pas pu prendre la direction du gouvernement. Guy Verhofstadt est monté au pouvoir avec le gouvernement arc-en-ciel, puis une deuxième fois avec le gouvernement viole. En 2004, le CVP (devenu entretemps) CD&V a regagné la direction en Flandre, de même qu’en 2007 au niveau fédéral, mais en cartel avec la NVA, rentrée au gouvernement flamand en 2009 (après la cassure du cartel imposée par le CD&V). Aujourd’hui, le CD&V (le parti de «monsieur 800.000 voix» en 2007) est tombé sous les 20%, pour la première fois de son histoire et il s’en est fallu de peu que Bart De Wever ne répète le score d’Yves Leterme.

    En comparaison, le paysage politique francophone semble être un oasis de sérénité. L’euphorie de Reynders en 2007 est vite retombée. Ce 13 juin, le PS a cartonné avec un double message : se présenter à la fois comme le défenseur des acquis de l’Etat-providence et comme le défenseur des francophones dans les négociations avec les partis flamands. Son soutien électoral illustre un penchant pour la sécurité et la stabilité, le «vote utile» contre la violence flamande et libérale dans le cadre de l’austérité très dure qui frappe partout en Europe.

    La Belgique est-elle dès lors un «pays à deux pays» ? Oui et non. Les médias, les partis politiques et tout un tas d’institutions sont séparées pour les deux grandes communautés, la situation sociale et économique y est différente, mais les partis politiques bourgeois des deux côtés sont tous au service des intérêts de la même bourgeoisie. Finalement, les intérêts de cette bourgeoisie – stabilité, mais aussi renforcement du taux d’exploitation – forcent les partis à parvenir à un compromis, des deux côtés. Même le dirigeant de la NVA, Bart De Wever, recherche une certaine pacification. Selon ses propres termes, il n’est «pas un révolutionnaire» et la décomposition de la Belgique n’est selon lui pas un processus révolutionnaire, mais bien un processus évolutionnaire dans le cadre du développement de l’unification européenne. Il continue visiblement à croire en une perspective d’unification européenne approfondie sur base capitaliste. Il n’est pas certains que toutes ses troupes sont sur la même ligne mais, pour le moment, Bart De Wever est le roi, y compris vis-à-vis de ses propres rangs.

    Victoire la NVA – un nouveau «parti populaire» en Flandre ?

    Quelle est la stabilité de la position dirigeante de De Wever ? La NVA peut elle remplacer le CD&V comme l’instrument le plus important de la bourgeoisie ? Non. La NVA est un petit parti petit-bourgeois qui représente l’opinion des petits patrons flamands et entre autres «le bons sens» qui dit que quand les choses vont moins bien en Flandre, il faut arrêter de subventionner «la politique socialiste» en Wallonie. Mais il s’agit aussi de la volonté de se débarrasser de certains mécanismes de protection sur le marché de l’emploi (voire de tous), sans trop se soucier de l’impact de ces mesures en termes d’approfondissement de la crise du capitalisme. La NVA combine les revendications de l’organisation patronale flamande Voka – un nationalisme flamand rationnel et chiffré, basé sur l’égoïsme économique – avec une aile plus romantique de nationalistes flamands historiques.

    Il y a une différence entre ces deux ailes. Pour la première, le plus important est une réforme d’Etat socio-économique conduisant à une exacerbation de la concurrence entre régions. Pour la deuxième, il s’agit surtout de dossiers linguistiques ou symboliques. L’échange entre une réforme d’Etat socio-économique et un plan d’austérité (ce sur quoi le PS serait préparé, selon un article de De Standaard basé sur des déclarations anonymes d’un intime de Di Rupo) et certaines concessions de la Flandre dans le cadre du dossier BHV, du financement de Bruxelles et sans doute aussi dans la réforme d’Etat (entre autre le maintien d’une sécurité sociale nationale) est beaucoup moins évident à avaler pour le deuxième groupe que pour le premier.

    La question à poser est la suivante: Bart De Wever est-il prêt à utiliser sa nouvelle position de force afin de servir les intérêts de la bourgeoisie belge ? Si ce n’est pas le cas, nous allons droit vers une période de pourrissement de la situation, une période de chaos et d’instabilité où la Belgique sera constamment plus dans le collimateur des spéculateurs. Cela donnerait le prétexte aux partis bourgeois, avec les verts, pour prendre les choses en main avec un gouvernement d’unité nationale incluant les verts si nécessaire. Dans ce cas, les médias feront tout pour faire porter le chapeau à la NVA et la présenter comme la responsable de la crise tout en soumettant Bart De Wever au même calvaire médiatique qu’Yves Leterme : passer de héro à zéro.

    Les premiers développements – juste avant les élections déjà, mais aussi les jours après – semblent montrer que Bart De Wever est effectivement prêt à servir la bourgeoisie belge: accepter un premier ministre francophone, déclarer que la réforme d’Etat sera basée sur un compromis, assurer que la NVA n’aspire pas à une décomposition du pays à court terme,… La question est alors : peut-il convaincre son parti et sa base ? La véritable question est : combien de temps faudra-t-il pour que Bart De Wever se soumette au calvaire d’Hugo Shiltz ? Avec le Vlaams Belang qui va attaquer chaque concession et les nationalistes flamands déchainés au sein même de la NVA, le travail de sape peut commencer très tôt même si, dans un premier temps, il ne sera pas fort visible à cause du triomphe de De Wever et des concessions qu’il est capable d’obtenir du PS. Ces concessions vont devoir être substantielles pour ne pas être confronté de ses propres remarques du passée sur le «poisson gras» (à obtenir pour la Flandre) et les «cacahuètes» (qu’il fallait au contraire éviter).

    A côté de cela, son parti sera également responsable du plan d’austérité demandé par la bourgeoisie pour les années à venir. Si la coalition la plus probable actuellement devient réalité – la «coalition calque» avec les partis des gouvernements régionaux, qui rejette les partis libéraux dans l’opposition – son parti serait en effet la composante la plus à droite dans ce gouvernement, celle qui va devoir pousser le plus pour les assainissements et moins d’impôts.

    Il est très peu probable que la NVA soit capable de répéter une deuxième fois son score du 13 juin, que cela soit après une formation et une participation gouvernementale “réussie” ou après une formation “non réussie”. Ce parti ne dispose pas de la large assise dans la société et des nombreux relais dans «la société civile» qui ont permis au CD&V de se rétablir après son déclin de 1999. Sa base électorale est quasi totalement nouvelle et provient de tous les partis – le développent et le déclin ultra-rapide de la LDD illustre à quel point ces votes peuvent repartir aussi vite qu’ils sont venus.

    Il est moins facile de prédire qui va reprendre les affaires en main une fois terminée l’illusion De Wever. Tout le monde reconnait que les 30% de suffrages pour la NVA ne sont pas une expression de soutien pour le programme de la NVA. Cela exprime surtout que l’électeur – après que chaque parti flamand et institution flamande lui ait dit et répété qu’il faut une réforme d’Etat pour garantir la sauvegarde du bien-être – a voté pour le parti, et surtout pour la personnalité, qu’il pensait le plus apte à concrétiser cette réforme d’Etat. De toute façon, il n’y avait pas d’autre alternative. Vers où vont se diriger toutes ces voix une fois qu’il est clair que De Wever ne pourra pas apporter de solution face aux problèmes socio-économiques ?

    Une certaine recomposition du paysage politique flamand s’impose pour pouvoir assurer une stabilité. Le CD&V à nouveau rebondir après le score de ces élections, historiquement le plus bas, mais un retour à sa position passée de valeur sûre seule à décider avec qui former un gouvernement est presque impossible. Le SP.a non plus n’est pas capable de prendre la direction, c’est un partenaire de coalition, pas un dirigeant. Quant à l’Open VLD, il va essayer de rétablir son aile droite (tant dans le cas d’une «coalition calque» que dans le cas d’une coalition d’unité nationale), mais les rêves de parvenir à être un «parti populaire» sont de l’ordre du passé. Groen n’est pas réellement considéré, et le parti vert n’est cité que comme «dépanneur» et en conséquence de son lien avec Ecolo. Après une éventuelle période chaotique avec Bart De Wever, ces partis pourraient jouer sur l’argument de la «stabilité» et obtenir ainsi une certaine restauration de leur soutien. Mais si la victoire du NVA démontre bien quelque chose, c’est qu’en Flandre, tous les partis traditionnels sont discrédités jusqu’à l’os.

    Le PS cartonne en Wallonie – Un modèle de stabilité?

    Les partis traditionnels flamands ne peuvent même pas rêver d’un tel score – un tel soutien électoral, c’est de l’ordre du passé pour eux. Ce score montre que le PS est le seul parti bourgeois qui a réussi à maintenir une position d’autorité en tant que défenseur de l’intérêt général. C’est évidemment un parti bourgeois étrange, un parti qui s’est imposé à la bourgeoisie comme le seul capable de maintenir un contrôle sur le mouvement ouvrier socialiste dans son bastion – la Wallonie – et de lui faire avaler les assainissements.

    C’est ce rôle que le PS a joué (avec le SP.a) au cours du Plan Global. Elio Di Rupo s’y réfère d’ailleurs plusieurs fois, notamment quand il affirme que le PS est contre une politique d’austérité libérale, mais qu’il est capable d’assainir. Il se réfère alors lui-même au Plan Global, le plus grand plan d’austérité structurel de l’histoire de la Belgique. «Structurel», car ce plan a un effet d’assainissement permanent, comme avec la norme salariale et l’index-santé (deux des mesures du Plan Global) qui assurent que nos salaires représentent moins d’année en année.

    Il ne faut avoir aucune illusion: le PS veut assainir et va assainir. C’est une question d’emballage. Aux termes de «plan d’austérité», le PS préfère des termes comme «Pacte Social bis» (qui semblent indiquer qu’il s’agit d’une amélioration et non pas d’une détérioration), dans lequel une érosion ultérieure des revenus de la sécurité sociale est compensée par une «Cotisation Social Généralisée» (ce à quoi appelle d’ailleurs CSC et FGTB!).

    Le PS est un parti bourgeois particulier, un parti qui s’est toujours caché derrière “le CVP” ou “les flamands” et derrière l’Europe (ce que font tous les partis bourgeois belges) pour masquer leur responsabilité dans la politique asociale. Cette fois-ci, le PS a mené campagne sans parler des 22 milliards euros d’assainissements qui, aux dires du Bureau du Plan, sont nécessaires pour obtenir l’équilibre budgétaire en 2015 (les autres partis francophones ont adopté la même attitude, à l’exception du Parti Populaire ultra-néolibéral de Modrikamen). Mais cet objectif est néanmoins accepté par le PS au gouvernement fédéral (et il en va de même, indirectement, avec le CDH et Ecolo au niveau des régions). Maintenant, le programme électoral du PS va pratiquement entièrement disparaître à la poubelle, ou peut-être dans une armoire afin de pouvoir ressortir aux prochaines élections, où le PS affirmera qu’il a bel et bien défendu ces revendications sans arriver à convaincre ses partenaires gouvernementaux.

    Le carton du PS a bien des similitudes avec les 800.000 voix de Leterme en 2007, qui exprimaient la recherche de stabilité et de valeurs sûres. C’était une phase du développement de la crise politique, économique et sociale qui était dominante à ce moment. Aujourd’hui, en Flandre, cela a été remplacé par la volonté de changement qui, faute d’une alternative ouvrière crédible, s’oriente vers la formation petite-bourgeoise la plus remarquable et crédible du moment. Le PS, lui aussi, ne parviendra pas à maintenir cette victoire de façon permanente. Avec Elio Di Rupo comme premier ministre, le tour de passe-passe du PS – «le parti d’opposition au gouvernement» – sera beaucoup plus difficile à reproduire. Dans une «coalition calque», Elio Di Rupo est presque certain de devenir premier ministre. Mais même dans le cas d’une coalition d’unité nationale, la seule alternative si la formation d’un gouvernement calque échoue, Di Rupo serait presque incontournable comme premier ministre.

    Ce nouvel épisode pourrait alors constituer un point tournant du développement du PS, un point où la perte graduelle de sa position de force (qui a précédemment conduit à la victoire du MR en 2007 et aussi à la montée du parti petit-bourgeois Ecolo comme joueur sérieux – au moins temporairement) abouti à une position beaucoup plus précaire comparable, mais pas tout à fait, à l’affaiblissement du CVP/CD&V en Flandre. Ce n’est pas tout à fait comparable car au PS, il y a aussi l’élément de la bourgeoisification qui joue. Cette bourgeoisification a totalement abouti au niveau interne, mais le PS a pu jusqu’à présent préserver sa position électorale ainsi que, dans une mesure sans cesse moindre, son image dans la classe ouvrière wallonne. Avec le PS comme partenaire dirigeant de la coalition, ces illusions peuvent être rapidement brisées, certainement au vu des critiques déjà très dures présentes dans les milieux syndicaux à l’encontre du PS.

    Les libéraux dans les cordes – une famille politique bourgeoise en réserve à l’opposition

    Pour la bourgeoisie, c’est un des grands avantages d’une coalition calque. Les deux partis libéraux peuvent bien traverser une crise interne, ce sont tous les deux de loyaux serviteurs de la bourgeoisie. Ce scénario offre une protection relative contre le développement ou le renforcement d’une autre formation petite-bourgeoise, en conséquence de l’affaiblissement à venir de la NVA. Le candidat le plus probable pour profiter de cet affaiblissement est le Vlaams Belang, un problème bien plus grand que la NVA ou la LDD pour la bourgeoisie belge. La NVA et la LDD sont des formations petite-bourgeoises sur lesquelles la bourgeoisie n’a pas une influence directe et dominante, mais ces partis ne traduisent pas leurs éventuels points de vue radicaux (sur le plan social et communautaire) en action radicale.

    La NVA n’est pas “séparatiste” d’une façon dangereuse pour la bourgeoisie. Une décomposition de la Belgique dans l’Europe comme processus plus ou moins naturel accompagné de compromis, c’est une toute autre chose qu’une déclaration d’indépendance de la Flandre unilatérale, ce à quoi appelle le Vlaams Belang. En principe, la NVA et la LDD peuvent être achetés avec des postes pour ensuite être «gouvernés à mort», comme cela s’est passé déjà produit avec succès dans le cas de la défunte Volksunie et du FDF. Mais il est impossible d’intégrer le Vlaams Belang dans un gouvernement sans provoquer des troubles profonds dans la société.

    Y a-t-il une possibilité de compromis concernant BHV, une réforme d’Etat socio-économique et un plan d’austérité structurel?

    y a-t-il possibilité d’un compromis sur tout cela entre Elio Di Rupo et Bart De Wever? La presse, qui la veille des élections encore parlait de l’incompatibilité de ces deux-là, semblait penser 24 heures plus tard que ce serait «difficile, mais faisable». A entendre les déclarations publiques de De Wever et Di Rupo, ils semblent être d’accord.

    Nous avons toujours affirmé que les partis traditionnels peuvent arriver à un tel accord parce qu’ils veulent avant tout exécuter le programme de la bourgeoisie – les divergences d’opinion portent sur la manière de faire (à côté des intérêts de carrière personnelle des politiciens en question). Nous verrons dans les semaines et mois à venir si Bart De Wever est lui aussi prêt à presque tout pour servir la bourgeoisie. Mais le pouvoir est une force d’attraction importante : les multiples postes qui pourraient tomber dans les mains de la NVA sont difficiles à refuser.

    Evidemment, Bart De Wever connait mieux que n’importe qui l’histoire du mouvement flamand dans ces relations avec l’Etat fédéral. Mais la NVA se trouve prise en étau. Si la NVA joue le rôle de «sauveur de la patrie» avec le PS en concluant un nouveau compromis (quelque peu) durable sur les relations entre structures fédérées, un compromis où la régionalisation de compétences et le renforcement de l’autonomie fiscale sera compensé par des mesures renforçant la cohérence fédérale (sinon, il n’y a pas de compromis possible avec les partis francophones et la formation de gouvernement échouera). Cela fera des dégâts dans son soutien stable, nationaliste flamand, et peut même à terme mener au départ de certains nationalistes flamands (et peut-être même à court terme, surtout au vu du fait que des développements prennent parfois place de façon ultra-rapide aujourd’hui). Par contre, si la NVA conserve cette base et ses principes, elle devra dans quelques mois faire face à une attaque d’ensemble des institutions bourgeoises qualifiant la NVA de «provocateur d’instabilité» à un moment de risques économiques énormes. Il n’est pas exclu que la NVA décide quand même de rester de côté faute de concessions suffisantes de la part du PS qui, d’une position très forte, va revendiquer un accord «rationnel» et «équilibré» avec le soutien de la bourgeoisie des deux côtés de la frontière linguistique. Dans ces deux derniers cas, il sera impossible à la NVA de reproduire son score de 30% à de prochaines élections, et Bart De Wever en est conscient.

    La coalition calque est possible pour le PS, mais il parlait dans sa campagne d’un gouvernement d’unité nationale, c’est-à-dire avec le MR. Nous n’avons assisté à aucun duel tel que ceux de 2007 entre les deux partis. Les résultats électoraux offrent d’autres solutions, mais selon quelques messages parus dans la presse, il y aurait toujours aujourd’hui des voix dans le PS pour défendre une coalition avec le MR. Cela offrirait une protection contre les attaques inévitables de la part du MR-FDF lors d’un éventuel compromis sur BHV et la réforme d’Etat. De l’autre côté, la coalition Olivier protègerait plus le PS contre une perte à sa gauche (vers Ecolo et, dans une moindre mesure, vers le CDH par le mécontentement au sein de la CSC et du MOC) à cause du programme d’austérité structurel qui arrive. Sur base des résultats électoraux actuels, la coalition calque offre plus d’avantages au PS.

    Le PS a laissé des ouvertures pour un compromis. En ce qui concerne BHV, le PS est beaucoup moins concerné que le MR et le CDH, mais une scission pure ne serait pas défendable pour le PS, certainement après l’instabilité politique de ces dernières années. Le PS va revendiquer le maintien de la sécurité sociale nationale, mais aussi un démantèlement «national» de cette sécurité sociale avec la proposition d’Onkelinx (réduction de la part de financement basée sur les charges sur les salaires jusqu’à 50% des revenus de la sécurité sociale) et avec une «Cotisation Social Généralisée», une «solidarité» des meilleures salaires avec les salaires bas, des meilleures pensions avec les plus basses pensions (on parle ici de charité, pas de sécurité sociale). Le PS va aussi vouloir certaines mesures symboliques contre le grand capital et/ou les spéculateurs. De l’autre côté, le PS est partisan d’une régionalisation ultérieure de la politique du marché de l’emploi.

    Nous ne pouvons pas encore prédire quel accord arrivera exactement, nous n’avons en ce moment que quelques pièces de puzzle en main, certaines ayant des chances de faire partie d’un accord. Généralement, nous pouvons dire que le PS est d’accord sur le principe de pousser, au moins partiellement, un programme d’assainissement vers les régions et les communautés.

    Conclusion provisoire

    Le PS et la NVA vont sérieusement tenter de parvenir à un accord. Aucun des deux ne peut se permettre de saboter les négociations avec des revendications impossibles et des ultimatums. Leur réussite est très incertaine, mais pas impossible non plus. Si cette phase se termine sans réussite, le prochain pas le plus probable ne sera pas de nouvelles élections, mais bien une tentative de formation d’un gouvernement d’unité nationale. Si cela échoue aussi, ou si ce gouvernement éclate par tensions internes ou par pression externe, nous arriverons de nouveau à une situation de crise politique absolue, et il n’est pas exclu que de nouvelles élections soient alors organisées. Au vu du fait que le prochain gouvernement devra assainir 22 milliards, selon la bourgeoisie, le prochain gouvernement risque d’être instable, qu’importe sa composition.

    La façon dont ces assainissements sont introduits a un effet important sur leurs chances de réussir. Une coalition calque – avec seulement un parti de droite «pur» au vu des liens du CD&V (et en moindre mesure du CDH) avec l’ACW/MOC et l’ACV/CSC – ne va pas chercher une confrontation rapide et dure avec le mouvement ouvrier, sauf sous une pression extrêmement lourde (p.ex. une éventuelle nouvelle vague de problèmes chez les banques, une spéculation internationale contre les valeurs belges,…). Tous les partis gouvernementaux, sauf la NVA, ont des doutes sur le moment où doit s’arrêter la politique anticrise (entre autres les mesures de chômage temporaire) pour être remplacée par l’austérité. Différentes institutions, comme le gouverneur de la Banque Nationale actuellement, avertissent contre une politique d’austérité trop dure et plaident pour un mélange dans lequel de nouveaux impôts prennent aussi une place importante. Ces partis ne vont d’ailleurs pas faire de cadeaux à la NVA sur ce plan. Si la NVA essaie trop de contrarier cela, une certaine mobilisation de la part de la direction syndicale avec des actions symboliques n’est pas à exclure.

    Généralement, sur le plan social, nous devons nous attendre à un “compromis à la belge”, c’est-à-dire à un accord présenté comme étant «équilibré», dans «l’intérêt général» et dans lequel tout le monde a sa «dose de sucre» (en réalité, il s’agit toujours d’un kilo pour le patronat et d’un grain pour les travailleurs) et qui exige des sacrifices de «tout le monde». Ce compromis devra aussi impliquer tous les joueurs, en d’autres termes, il devra s’agir d’un compromis impliquant étroitement les directions syndicales. S’il y a quand même une pression pour mener des actions généralisées, l’argument selon lequel «l’alternative, c’est le chaos» est déjà tout prêt après cette dernière série d’élections.

    Les assainissements vont être élaborés et appliqués aussi graduellement que possible. Avec une réforme d’Etat, ces assainissements seront aussi partagés entre les différents niveaux de pouvoir. Les gouvernements essayeront ainsi d’éviter toute confrontation dure, simultanée et générale. Dans un premier temps, une lutte généralisée est le moins probable.

    Mais la situation, tant sur le plan politique que sur le plan économique, est spécialement instable. Sous la surface, à côté de la peur de l’avenir, il y a aussi une colère qui peut éclater à n’importe quelle occasion, à n’importe quel moment. Le point faible de la classe des travailleurs est et reste sa direction, ou mieux, son manque de direction. Même si les syndicalistes ont massivement voté pour le PS en Wallonie, cela n’est pas à cause d’illusions concernant le fait que le PS serait «leur parti», mais parce qu’il s’agit du «moindre mal».

    En différents lieux en Wallonie et à Bruxelles, tant le MOC que des centrales syndicales socialistes n’ont pas seulement invité le PS pour des débats, mais ici et là également le PTB et, dans une moindre mesure, le Front des Gauches. S’ils l’ont fait, c’est d’une part parce cela ne constitue pas un danger dans l’ambiance actuelle de la société, mais aussi parce que, dans leurs rangs, de nombreuses critiques s’élèvent contre l’appel traditionnel à voter pour le PS. Avec l’appel de Luc Cortebeeck (le président de la CSC) à voter pour des «partis responsables» (CD&V, SP.a, Groen et même VLD), la direction de la CSC en Flandre montre surtout dans quelle mesure elle est un agent de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier. Cela illustre aussi à quel point il est devenu impossible pour cette direction d’appeler seulement à voter pour le CD&V, ce qui va aussi offrir des opportunités pour la gauche à l’intérieur de la CSC.

    Le PSL/LSP doit, dans la situation à venir, attentivement suivre les développements à l’œuvre, et surtout être prêt à intervenir lors des développements rapides de la lutte. Un point central sera notre mot d’ordre que les syndicats doivent rompre leurs liens avec les partis gouvernementaux. Les syndicats et les militants syndicaux en lutte ont un rôle fondamental à jouer dans la construction d’une voix politique capable de représenter la lutte, un outil politique indépendant des partis qui ont choisi le camp du patronat depuis longtemps déjà. D’autre part, si la future réforme d’Etat comprend la régionalisation de secteurs/compétences avec beaucoup de personnel, il faudra aussi mener campagne autour de la nécessité de l’unité syndicale au-delà la frontière linguistique et contre de possibles régionalisations de syndicats.

  • Congrès de la FGTB – Quelle réponse syndicale face à la crise ?

    Le Congrès fédéral statutaire de la FGTB vient de se tenir sous le titre “Solidarité contre l’inégalité.” Les défis pour les syndicats sont immenses. Tous les politiciens et observateurs sont d’accord sur le fait qu’après les élections, de dures économies vont devoir être faites, comme dans le Sud de l’Europe. Quelle réponse syndicale nous faut-il ?

    Par un militant FGTB

    700.000 chômeurs – Salaires réels : -1%

    La préparation des négociations autour d’un nouvel Accord InterProfessionnel (AIP) commence tôt cette année. Yves Leterme a déjà prévenu qu’il n’y avait pas de marge pour des hausses salariales. Le Bureau fédéral du Plan parle de perspectives économiques très incertaines à cause de la hausse de la dette publique, de l’instabilité financière et des mouvements de capitaux entre les blocs économiques et l’Union Européenne elle-même.

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    Et sur le plan politique ?

    Les militants syndicaux ne peuvent accorder aucune confiance aux partis traditionnels. Le mercredi 2 juin, au Congrès de la FGTB, Di Rupo et Gennez vont peut-être se limiter à de vagues appels concernant l’emploi et la sécurité sociale mais, en essence, ils approuvent la logique néolibérale de toutes ces dernières années, ils l’ont non seulement soutenue, mais également appliquée.

    Lors de ces élections, la direction de la FGTB wallonne appelle à voter ‘‘pour des partis de gauche’’.

    Voter PS ou Ecolo ferait penser à la situation des tous premiers syndicats, au dix-neuvième siècle. On parlait alors de voter pour les «libéraux progressistes» ou pour les «catholiques progressistes». Cette tactique n’a pas fait avancer d’un iota la lutte pour les droits syndicaux ou pour le suffrage universel.

    Malgré la lutte syndicale héroïque, ce n’est qu’après la création d’un parti ouvrier indépendant sous la forme du POB en 1885 que des avancées ont pu être obtenues. C’est encore sous la pression de la lutte ouvrière et de la progression des communistes que la sécurité sociale a pu être arrachée après la Deuxième Guerre mondiale.

    Si nous voulons aujourd’hui mettre un terme à l’offensive néolibérale du patronat, nous allons devoir lutter tant sur le plan syndical que politique. Un mouvement syndical combatif serait renforcé par l’existence d’un instrument politique, par l’existence d’un nouveau parti des travailleurs.

    Un tel parti des travailleurs ne peut être mis sur pied dans notre pays que s’il s’appuie sur de larges couches combatives du mouvement syndical.

    Le PSL veut apporter sa propre pierre à ce projet, et c’est une idée que nous voulons également diffuser par notre participations aux listes du Front des Gauches aux élections du 13 juin.
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    Même si l’économie de notre pays peut à nouveau enregistrer une croissance de +1,5% en 2010 et 2011, le nombre d’emplois sur la même période diminuerait quand même de 26.000 unités. Les perspectives de la Banque Nationale concernant la croissance économique sont inférieures à cela, avec pour conséquences une forte hausse des pertes d’emplois (89.000 cette année). Selon le Bureau du Plan, le chômage va monter jusqu’à 13,3% et devrait rester à ce niveau jusqu’en 2015 (les prévisions ne vont pas plus loin que cette date). Dans deux ans, il y aurait 77.000 chômeurs en plus, ce qui signifierait qu’on aurait 128.000 chômeurs en plus en 2012 par rapport à 2008. Le nombre total de chômeurs (avec les chômeurs plus âgés qui ne cherchent plus de travail) dépassera l’an prochain le cap des 700.000 chômeurs.

    Si cela ne dépendait que du Bureau du Plan, les salaires bruts en 2011-2012 n’augmenteraient que de maximum 0,6% par an en plus de l’indexation (qui ne représente déjà pas le coût réel de la vie). L’index-santé monterait de 2,9% sur la même période (tandis que les dépenses de consommation des particuliers, elles, augmenteraient de 3,5%). Qui plus est, on parle ici des salaires bruts. Les primes uniques pour le pouvoir d’achat telles que prévues dans l’AIP précédent menacent à nouveau d’être un objet de discussion plutôt qu’une partie acquise des salaires.

    Il faut enfin tenir compte de la hausse de la productivité (en 2010 et 2011, le Bureau du Plan prévoit une hausse totale de +3% de la productivité). Selon le Bureau du Plan, le salaire horaire réel va baisser de 1% dans cette période. La vision optimiste du Bureau du Plan quant à la croissance économique signifie encore une fois que ce sera aux travailleurs de devoir faire toutes sortes de concessions sur leurs salaires. Avec les plans d’économies générales sur les dépenses publiques, les particuliers vont en outre devoir payer pour des services et une infrastructure qui étaient auparavant financés par la société.

    Pour le Bureau du Plan, les salaires doivent être “modérés”, entre autres à cause de la concurrence de l’Allemagne “qui, depuis déjà des années, mène une politique salariale très stricte”. L’accord salarial passé dans le secteur du métal en Allemagne, qui ne dépasse l’inflation que de peu, est une indication de ce qui nous attend ici à l’avenir.

    Une réponse anticapitaliste

    Le capitalisme est un système de production dans lequel seuls les profits d’une petite majorité comptent, et auxquels tout est subordonné. Au fur et à mesure que les profits sont mis sous pression par la crise de surproduction, la bourgeoisie n’a, selon sa propre logique, pas d’autre choix que de lancer une attaque sur les travailleurs en les faisant travailler plus longtemps et plus dur. Nier la crise de surproduction en faisant du profit sur base de la spéculation a donné lieu à l’éclatement de bulles financières, et c’est encore à nous de payer.

    Accepter la logique de ce système, c’est approuver une attaque contre notre niveau de vie. Pour défendre nos intérêts, nous devons nous dresser contre le capitalisme. Le slogan “Le capitalisme nuit gravement à la santé” est correct, mais il faudrait joindre les actes à la parole et, surtout, construire un rapport de forces.

    Plan d’information et de mobilisation

    Ces derniers mois, divers bains de sang sociaux ont été annoncés : Opel, InBev, Carrefour, Godiva,… Là où l’offensive patronale rencontre une résistance conséquente et combative, elle est arrêtée et, parfois même, nous avons pu obtenir des victoires éclatantes. La clé du succès à InBev et un peu plus tôt à Bayer a consisté en la sensibilisation et l’information du personnel, en la solidarité sur le lieu de travail, dans le secteur et au-delà. Si nous menons la lutte entreprise par entreprise ou, dans le cas de Carrefour, magasin par magasin, nous n’allons jamais arriver à quoi que ce soit.

    Pour éviter une défaite dans les discussions autour du statut unique pour les ouvriers et employés, ou dans le cadre des négociations salariales à la fin de l’année, nous devons résister. Le Congrès fédéral de la FGTB pourrait être utilisé pour organiser une campagne d’information et de mobilisation autour de ces dossiers. Ce n’est pas assez de sans cesse organiser en une semaine une action “coup de feu” qui ne conduit nulle part; pour un rapport de forces plus fort, il faut argumenter, informer et mobiliser sur les lieux de travail.

    Nous avons besoin d’une plateforme de revendications concrète qui comprend la défense de nos conditions de travail grâce à la baisse du temps de travail sans perte de salaire et avec embauches compensatoires, de vrais emplois avec des contrats fixes et un statut unique ouvrier-employé harmonisé vers le haut. Pour pouvoir financer tout cela, il faut mettre un terme aux cadeaux au patronat (qui s’élèvent cette année à 8,9 milliards d’euros), et la fortune des super-riches doit être remise en question. Enfin, pour obtenir un contrôle sur l’économie, les secteurs-clés doivent être placés sous le contrôle et la gestion du personnel.

    Autour de telles revendications, nous pouvons renforcer et construire le mouvement syndical, également parmi les jeunes et parmi les couches les plus exploitées de la population, desquelles on ne tient pas compte aujourd’hui. Qui lutte peut perdre. Mais qui ne lutte pas, a perdu d’avance !

  • 1885 – Naissance du Parti Ouvrier Belge

    Aujourd’hui, lorsqu’on regarde les partis sociaux-démocrates, le PS et le SP.a, il est bien difficile de croire que ces partis-là soient les successeurs du Parti Ouvrier Belge, un parti puissant qui a conquis le suffrage universel pour les hommes et la journée de travail de 8 heures. Le POB a joué un rôle central dans l’obtention de grandes avancées pour le mouvement ouvrier, bien que cela se soit toujours produit malgré sa direction plutôt que grâce à celle-ci. Contrairement au POB de jadis, les partis sociaux-démocrates actuels jouent un rôle central dans le démantèlement de ces acquis.

    Anja Deschoemacker

    PS et SP.a : des partis ouvriers?

    Il est très important d’étudier la dégénérescence de ces partis et d’en tirer les leçons correctes. Les défaites les plus importantes du mouvement ouvrier peuvent être mises sur le compte de leurs directions. Nulle part ces dernières n’ont été capables d’arriver même aux chevilles de beaucoup de leurs membres en termes de combativité, de détermination et d’esprit de sacrifice. Ce n’est pas sans raison que Lénine décrivait ces partis comme « des partis ouvriers avec une direction bourgeoise ». Aujourd’hui, ces partis sont néanmoins devenus des partis proprement bourgeois. Leur très longue participation à la politique néolibérale – en combinaison avec leurs méthodes de travail, la suppression des revendications socialistes de leur programme et leur recherche d’un nouveau public petit-bourgeois – ont chassé les travailleurs de leur base.

    Ce processus, qui a débuté lors de la période de croissance économique exceptionnellement longue qui a suivi la Deuxième Guerre Mondiale, est arrivé à son terme lorsque la social-démocratie a été placée devant le choix d’accepter la logique néolibérale ou d’adopter un programme anticapitaliste et socialiste. La Chute du Mur a accéléré ce processus en éliminant une alternative au capitalisme. Rien ne bloquait plus l’assimilation totale de ces partis au sein de l’élite capitaliste. Willy Claes est alors devenu dirigeant de l’Otan, Karel Van Miert s’est offert du bon temps à l’Union Européenne et de plus en plus d’ex-« socialistes » ont fait leur entrée dans les conseils d’administration des entreprises capitalistes.

    La disparition de ces partis en tant que partis ouvriers a signifié un énorme pas en arrière pour le mouvement ouvrier. Les travailleurs ont besoin de leur propre parti; son absence empêche les revendications syndicales ou celles issues des mouvements sociaux d’être traduites sur le terrain politique. De plus en plus de syndicalistes aboutissent à ce constat.

    Le MAS/LSP mène une propagande pour un nouveau parti des travailleurs depuis 1995 déjà. Le manque objectif d’un tel parti est devenu clair au cours de la lutte contre le programme d’austérité de Dehaene en 1993, le Plan Global. Cette lutte a pu être stoppée par la direction syndicale, à l’aide de l’argument selon lequel faire tomber le gouvernement (chrétien-démocrate et social-démocrate) n’avait aucun sens puisqu’il était le « gouvernement le plus à gauche possible ». Bien que la colère des travailleurs contre le PS et, à ce moment encore, le SP (présents depuis 1988 au gouvernement) ait régulièrement explosé dans les années ’90 – entre autres contre le Plan Global, les privatisations de la Sabena et de Belgacom ainsi que les coupes budgétaires drastiques dans l’enseignement francophone – l’absence d’alternative a eu pour résultat que beaucoup de syndicalistes conscients et combatifs ont tout de même voté pour « le moindre mal » ( la social-démocratie), bien souvent avec une pince à linge sur le nez.

    En 2005, la lutte contre la réforme des pensions du Pacte des Générations, et surtout le rôle proéminent qu’y ont joué des politiciens du SP.a comme Freya Van den Bossche ont entraîné un débat passionné à la FGTB. La direction du syndicat a réussi à canaliser la discussion sur son lien avec le SP.a dans une voie inoffensive, mais une cassure importante a pris place dans les esprits de beaucoup de syndicalistes et de socialistes. De plus, les victoires électorales importantes remportées par des formations comme le SP aux Pays-Bas et Die Linke en Allemagne ont frappé les imaginations, y compris en Belgique. Une première initiative hésitante s’est formée sous le nom de Comité pour une Autre Politique, mis sur pied par Jef Sleeckx. Si cette initiative a échoué l’an dernier, elle a toutefois eu le mérite de rassembler pour la première fois quelques centaines de syndicalistes, d’activistes, de jeunes, de socialistes plus âgés,… pour discuter de la nécessité d’un nouveau parti pour la classe ouvrière.

    Avec cet article, nous voulons utiliser la fondation du POB pour mettre en lumière le processus par lequel ce parti ouvrier est né. Malgré les énormes différences qui existent entre la situation de cette époque et la nôtre, de riches leçons sont à tirer pour aujourd’hui.

    Les antécédents: Le développement de la lutte des travailleurs en Belgique

    L’histoire est un processus continuel et compliqué, ou plutôt une série de processus liés entre eux et qui s’influencent continuellement. On ne peut l’expliquer en aucune façon comme un processus qui va unilatéralement vers l’avant. Des reculs apparaissent souvent nécessaires afin de créer les conditions pour poser de nouveaux pas en avant. La fondation du POB en 1885 n’est donc qu’un point dans ce processus. D’importants événements de grande ampleur se sont déroulés avant, mais également après, lesquels ont assuré que la fondation formelle d’un parti ouvrier puisse réellement conduire au développement d’un tel parti sans subir le sort de ses précurseurs. Les données utilisées pour cet article proviennent presque exclusivement du brillant ouvrage « Wat zoudt gij zonder ‘t werkvolk zijn ? » de Jaak Brepoels (« Que seriez-vous sans les travailleurs ? », ouvrage qui n’a malheureusement pas encore trouvé de traduction en français).

    Dès 1800, le capitalisme a fait son entrée dans ce qui deviendra plus tard la Belgique, à l’époque intégrée dans l’empire français. L’industrie traditionnelle (exploitation du charbon, usinage du fer, tissage du coton, manufacture de drap et industrie textile) connaissait alors un énorme développement grâce, entre autres, à la protection française contre la concurrence britannique. Ce processus ne s’est pas arrêté après la défaite de Napoléon lorsque nos régions ont été ajoutées au Royaume des Pays-Bas, qui servait les intérêts de la bourgeoisie commerciale et coloniale. Les frontières étaient ouvertes aux produits britanniques et la concurrence croissante pressurisait énormément les conditions de travail : des journées de travail de 14 heures n’étaient pas exceptionnelles et les enfants travaillaient dès l’âge de 6 ou 7 ans. Les salaires se situaient loin en-dessous du minimum vital, les patrons pouvant compter sur une réserve de travail rurale presque inépuisable poussée vers la ville par les famines et les prix bas pratiqués pour les produits agricoles.

    A côté de la bourgeoisie industrielle en essor, l’aristocratie et l’église avaient toujours voix au chapitre en tant que grands propriétaires fonciers. Au cours de la révolte populaire de 1830, la bourgeoisie a saisi l’opportunité pour dévier ce mouvement vers un mouvement « contre l’occupant hollandais ». Sous le contrôle étroit des grandes puissances du moment, la Belgique indépendante a été mise sur pied, en tant qu’Etat-tampon contre la France.

    La législation de cet Etat est restée la même que celle introduite par les Français : la liberté brutale du patronat et du propriétaire foncier était garantie pour exploiter le peuple jusqu’à l’os. Ainsi toute collusion entre travailleurs était légalement interdite et, selon l’article 1781 du code civil, le patron avait automatiquement raison en cas de contestation sur la somme ou le paiement du salaire. Le jeune royaume de Belgique avait aussi réintroduit le « livret du travailleur », tombé en désuétude durant l’époque néerlandaise. Le patron pouvait y écrire son appréciation du travailleur ou garder ce livret quand il le licenciait, afin qu’un travailleur ne puisse pas chercher d’autre emploi. Chaque mouvement des travailleurs devait de plus faire automatiquement face à une répression brutale de la part des forces armées.

    Karl Marx n’a donc pas exagéré en décrivant ainsi la Belgique de 1869, dans un texte du Conseil Général de la Première Internationale:

    “Il n’y a qu’un pays dans le monde civilisé où on considère avec désir et plaisir chaque grève comme une excuse pour tuer des travailleurs. Ce pays unique est la Belgique, le pays modèle du constitutionalisme, le paradis douillet du propriétaire foncier, du capitaliste et du prêtre…

    “Le capitaliste belge est généralement connu pour son amour fou de la liberté du travail. Il est tellement attaché à la liberté de ses travailleurs de travailler pour lui pendant toute leur vie, sans exception d’âge ou de sexe, qu’il refuse chaque loi du travail avec indignation. (…)

    “Donnez maintenant aux mains de ce capitaliste tremblant, cruel par lâcheté, la maintenance indivisible et incontrôlée de la dictature absolue, ce qui est le cas en Belgique, et vous n’allez plus vous étonner que dans ce pays le sabre, la baïonnette et le fusil fonctionnent régulièrement et légalement comme un instrument pour pousser vers le bas les salaires et garder hauts les profits. » (4 mai 1869, The Belgian Massacres).

    On ne peut décrire la vie des travailleurs à cette époque autrement qu’en disant qu’elle était synonyme de misère pure et dure. Les crises économiques périodiques, la concurrence internationale et l’importation accélérée de machines permettaient de payer des salaires qui ne suffisaient même pas pour vivre, y compris quand toute la famille travaillait. De ces maigres salaires, à peu près 70% étaient consacrés à la nourriture. De l’Etat, il ne fallait rien attendre. Bien qu’il intervenait constamment dans l’économie afin de soutenir la bourgeoisie industrielle qui se développait, chaque intervention sur le plan social était vue comme diabolique. A la fin du 19e siècle, la Belgique se situait loin derrière les autres pays capitalistes sur le plan des droits sociaux et de la législation du travail. Les premières organisations ouvrières prenaient alors la forme de mutuelles, d’assurances et de coopératives qui – avec la charité sur laquelle seuls les travailleurs « obéissants » pouvaient compter – devaient occuper la place d’une politique sociale totalement absente de la part de l’Etat.

    Mais la résistance ne tarda pas à arriver. En 1830 déjà, des explosions de rage ouvrière spontanées se déroulèrent dans le Borinage, à Lokeren, à Bruges, à Gand, à Namur, à Liège, à Tournai et ailleurs, souvent contre les machines mêmes, et résultant le plus souvent dans des affrontements avec les forces de l’ordre. L’apogée fut atteinte lors de la « Révolte du Coton » de Gand, du 30 septembre au 2 octobre 1839, situation sanglante où une personne a rencontré la mort et où de nombreux travailleurs ont été gravement blessés. En fait, les mutuelles et toutes les formes de caisses de solidarité, les seules organisations ouvrières permises par l’Etat, étaient de plus en plus utilisées comme des organisations de lutte déguisées.

    Entre-temps, les idées socialistes commençaient aussi à faire leur entrée, surtout dans le cadre du radicalisme bourgeois : des libéraux qui se préoccupaient des besoins de la classe ouvrière. Davantage sous l’influence de Saint-Simon et de Fourier que de Marx, ces derniers développèrent un socialisme sentimental et romantique qui se perdait souvent dans des rêveries. Ils n’étaient dangereux qu’en contact avec la masse des travailleurs, ce qui n’était pas le cas de la majorité d’entre eux. Jakob Kats constitua une exception. Cet enseignant-tisseur, implanté parmi les travailleurs bruxellois, menait propagande pour l’obtention de droits égaux, du suffrage universel, des impôts progressifs et de l’enseignement généralisé.

    En 1848, la domination capitaliste croissante en Belgique et la révolte qui se répandait de Paris (où Louis-Philippe avait été déposé) ont rendu la bourgeoisie belge réellement consciente de sa classe. Dès ce moment, la gauche et ses organisations ont dû faire face à des tentatives de se faire briser. Au fur et à mesure des mouvements, de nouvelles générations de dirigeants émergeaient, qui ne venaient plus des cercles bourgeois, mais plutôt de l’artisanat. Dès 1870, le prolétariat industriel commença à jouer lui-même le rôle dirigeant dans les mouvements. La conscience ouvrière grandissait, ce qui mena à la recherche de nouvelles formes d’organisation.

    Les travailleurs du textile de Gand montrèrent la voie avec la fondation des Tisseurs Fraternels et la Société des Fileurs. Sous couvert de mutuelles, ils formèrent les premiers syndicats industriels du pays et organisèrent la résistance ouvrière, qui éclata entre 1857 et 1861 sur fond de crise du secteur textile, crise que les patrons voulaient faire payer aux travailleurs sous forme de diminutions salariales. La planification était devenue partie prenante du mouvement, et la solidarité n’était plus limitée à une seule entreprise. Malgré une répression très brutale et des condamnations sévères, malgré les provocations des forces de l’ordre et malgré encore la saisie continuelle des fonds pour la lutte, l’organisation des travailleurs gantois continua son existence, avec des hauts et des bas. En 1862, la Ligue des Travailleurs fut mise sur pied entre les tisseurs, les fileurs et les métallos.

    La lutte se développa ensuite pour la première fois autour de revendications politiques, comme l’abolition de la loi sur la collusion. Les premiers contacts entre les centres ouvriers de Gand, d’Anvers (la Ligue Générale des travailleurs, mise sur pied en 1861) et de Bruxelles (l’Association Générale Ouvrière) aboutirent à une plate-forme politique minimale.

    Dans la Flandre de 1860, le mouvement social s’était constitué une assise plus profonde, bien que les jeunes organisations ouvrières étaient fréquemment réduites à néant à cause de la répression et de la démotivation de devoir tout recommencer à zéro. Entre-temps, la lutte commençait aussi à prendre son essor en Wallonie, de façon moins organisée mais très explosive. Le Hainaut devint entre 1860 et 1870 la scène d’une lutte violente contre les patrons des mines, qui essayaient d’imposer un règlement de travail commun. Le mouvement put alors compter sur le soutien des travailleurs d’autres secteurs et la grève se répandit – malgré les morts au cours de la lutte – pour finalement aboutir à une victoire et à la suppression du règlement.

    En 1864, la recherche de l’unité dans la lutte ouvrière trouva une plate-forme internationale : l’Association Internationale des Travailleurs, qui voulait rassembler toutes les organisations ouvrières pour discuter de l’action et des tactiques communes. En Belgique, l’Internationale obtint une influence par l’intermédiaire de l’organisation bruxelloise « Le Peuple », mise sur pied sous l’influence des idées proudhoniennes (1) et de son dirigeant César de Paepe. Dans les polémiques entre les différentes opinions présentes dans la Première Internationale, de Paepe développait une position de compromis entre Marx d’un côté et les anarchistes de l’autre.

    L’influence du proudhonisme freinait l’action, mais les Internationalistes se réveillèrent après un mouvement de grèves particulièrement dur contre les licenciements dans les mines, contre les salaires de famine qui continuaient à baisser, et contre la hausse des prix de la nourriture. L’armée avait occupé la région et tué plusieurs travailleurs. Dès lors, le principe de la grève fut reconnu et les Internationalistes commencèrent à intervenir dans la lutte concrète en développant des noyaux à Gand, Anvers et Verviers.

    Durant la période de croissance économique de 1871-72, la lutte des travailleurs obtint ses premiers succès: les métallos arrachèrent la journée de travail de 10 h à Verviers et Bruxelles et les charpentiers et travailleurs de l’industrie marbrière obtinrent une sérieuse augmentation de salaires après cinq mois de grève à Bruxelles. La conscience parmi les travailleurs et la solidarité faisaient des sauts de géant.

    La défaite de la Commune de Paris (en 1871) entraîna néanmoins dans la Première Internationale d’énormes tensions entre marxistes et anarchistes. Dans la section belge, l’aile anarchiste était de loin la plus forte. Quand, en 1871, le dirigeant anarchiste Bakounine fut exclu de l’Internationale par un vote, la section belge le suivit. La crise économique de ’72-’73 fit le reste et, en 1874, l’Internationale était morte dans les faits.

    Avancées et reculs: La fondation d’un parti ouvrier belge.

    Après la chute de l’Internationale, l’expérience de l’époque précédente ne reposait que sur les épaules de certains petits groupes. En Flandre surtout, les ex-Internationalistes essayèrent de rassembler et de réorganiser les forces dispersées. Gand s’accrochait à la coopérative neutre des Boulangers Libres. A Bruxelles, l’organisation explicitement neutre de la Chambre du Travail fut mise sur pied en 1875, exemple suivi par la Fédération des Organisations des Travailleurs d’Anvers. La défaite de la Commune de Paris avait temporairement étouffé le socialisme, et le pragmatisme caractérisait la plupart des initiatives.

    Néanmoins, sur le plan politique, les choses ne restaient pas statiques. A Gand, on regardait vers la social-démocratie allemande qui avait obtenu plusieurs sièges au parlement. A Bruxelles aussi, les premiers pas étaient faits sur le terrain politique de façon hésitante. En Wallonie, par contre, les tendances anarchistes qui avaient fait leur apparition de par le travail de la Première Internationale continuaient à dominer.

    Les Flamands et les Bruxellois impatients n’avaient pas d’autre issue que de s’organiser dans le Vlaamse Socialistische Partij et dans le Parti Socialiste Brabançon. En 1879, ces deux partis rassemblaient aussi quelques noyaux wallons et, en avril, une fusion conduisit à la formation du Parti Socialiste Belge. Le programme était celui du VSP et du PSB, c’est-à-dire une copie du programme de Gotha de la social-démocratie allemande. La base du parti était néanmoins limitée à quelques clubs de propagande, à des cercles d’étude et à quelques organisations syndicales. En Wallonie, on restait très hésitant vis-à-vis de ce nouveau parti et les organisations ouvrières plus neutres étaient effrayées par l’étiquette socialiste. Dans leurs actions, ces dernières continuaient d’être plus proches de l’aile progressiste du Parti Libéral et de sa lutte pour l’élargissement du droit de vote. Le BSP ne décollait pas.

    Dans les années 1880, différents courants se retrouvèrent sur base d’un programme pragmatique et radical-démocrate. En 1884, la défaite électorale de la libéral-progressiste Ligue de la Réforme Electorale, qui avait du soutien parmi les milieux d’artisans bruxellois, ouvrit la voie à la formation d’un parti ouvrier indépendant. En avril 1885, à Bruxelles, le Parti Ouvrier Belge (POB) devint un fait lors d’un rassemblement de 112 travailleurs, qui représentaient 59 groupes de base (des syndicats – neutres et socialistes – des coopératives et des mutuelles).

    Le pragmatisme caractérise le programme et les actions du POB

    Un esprit très pragmatique dominait à la direction du parti, et ce dès le début. Le dirigeant du BSP, Edouard Anseele, défendit pendant le rassemblement à Bruxelles le programme et le nom du BSP, mais il se résigna ensuite face à la crainte des organisations ouvrières neutres qu’un programme radical et le terme « socialiste » puissent effrayer les masses. Les discussions théoriques furent balayées de la table et, en terme de doctrine, le document de fondation affirmait juste que le POB allait essayer «d’améliorer le sort de la classe ouvrière par l’entente mutuelle ».

    Le programme se limitait à un cahier de revendications radical-démocrate avec notamment des revendications telles que le suffrage universel, l’enseignement obligatoire, gratuit et neutre, l’autonomie communale, l’abolition du travail des enfants en-dessous de 12 ans en plus de propositions de lois sur les accidents de travail, la sécurité au travail, la transformation graduelle de la charité publique en un système de sécurité sociale, le retrait de toutes les privatisations de propriétés publiques (Banque Nationale, chemins de fer, mines, propriétés communales,…) et leur transfert vers la collectivité, représentée par les communes et par l’Etat.

    Ce n’était pas vraiment une nouvelle organisation mais plutôt un rassemblement d’organisations existantes. La vie du parti se déroulait surtout autour de noyaux locaux agissant largement de façon indépendante. La première priorité était la construction locale de coopératives, de mutuelles et de syndicats et, à mesure que le mouvement grandissait, cela était suivi par des fanfares, des clubs de gym, des cafés, etc. Lentement, des fédérations furent créées à partir de groupes de base, fédérations qui envoyaient annuellement des délégués à un Congrès où un Conseil Général était élu pour prendre en main la direction du parti. Ce CG choisissait alors un bureau de neuf membres, dont le secrétaire et des délégués des syndicats, des mutuelles et des coopératives.

    Avec le soutien des milieux des artisans à Bruxelles et à Anvers, le bastion du POB était sans aucun doute basé à Gand, où les militants étaient presque exclusivement des travailleurs industriels. En Wallonie, région industriellement plus développée, le parti n’était réellement représenté qu’à Verviers, et cela malgré les mouvements consécutifs de luttes spontanées et inorganisées des travailleurs wallons. Ce n’est qu’en 1886, lorsqu’un énorme mouvement de masse va se conclure par une défaite sanglante, que la nécessité d’une organisation permanente va s’installer profondément dans la conscience.

    Cette grève générale de 1886 se déroula à Liège, et fut de suite confrontée à une occupation brutale de la ville par l’armée. Mais la lutte s’étendit rapidement à Charleroi, et peu après vers le Borinage et le Centre avant les carrière de Lessines, de Soignies, de Tournai et de Dinant. Les travailleurs s’armaient, des machines étaient détruites, des usines et des châteaux de patrons incendiés. La réaction du gouvernement fut sanglante. L’armée colora les rues de rouge avec le sang de dizaines de tués et de blessés. Les ténors du mouvement socialiste, dont Anseele, reçurent des peines de prison ou de grosses amendes (des travailleurs arbitrairement arrêtés furent condamnés jusqu’à la prison à vie). Pourtant, le mouvement n’était pas sous la direction du POB, qui n’avait aucune implantation dans la région concernée. La direction du POB fit même tout pour éviter un élargissement vers la Flandre. A Gand, elle ne put qu’à grand peine convaincre les travailleurs de garder le calme. Les grévistes reçurent certes du soutien du POB, mais sous forme de pains des coopératives, d’accueil des enfants de grévistes dans des familles flamandes et de défense des travailleurs arrêtés devant la justice.

    En Wallonie, la grève avait profondément fait sentir la nécessité d’une organisation solide. En 1887, beaucoup de travailleurs wallons marchaient déjà aux côtés de leurs camarades flamands, dans une manifestation pour le suffrage universel. De plus en plus de travailleurs wallons rejoignaient le POB où, très vite, se déroulèrent des affrontements entre les tendances révolutionnaires et anarchisantes wallonnes – sous la direction d’Alfred Defuisseaux – et des coopératives modérées et orientées vers le parlement (et donc vers la lutte pour le suffrage universel). La direction du POB exclut les frères Defuisseaux au congrès de 1887, avec pour résultat que toute la classe ouvrière du Hainaut les suivirent vers la porte de sortie. Leur attitude révolutionnaire, mais aventuriste, poussa la classe ouvrière du Hainaut à entamer la « grève noire » massive (de nouveau, des machines et des usines furent détruites et des attentats à la dynamite prirent place). Elle ne connut cependant pas d’élargissement faute de soutien actif de la part du POB. Totalement isolé, le mouvement s’affaiblit.

    Plus tard, il fut mis au clair que la direction de la grève avait été infiltrée par la sécurité d’Etat et que celle-ci était responsable des attentats à la dynamite. Le mouvement ouvrier, frappé d’épouvante, fraternisa. La tactique modérée de la direction du POB l’emporta. Toutefois, avec les travailleurs du Hainaut, un courant oppositionnel avait pris naissance dans le parti. Ce courant fera plus tard parler de lui, à nouveau au sujet de la défense de la grève générale comme moyen de lutte, mais aussi en faisant de la propagande pour la combativité et contre la direction modérée et sa volonté de faire des compromis avec les patrons et de coopérer avec la bourgeoisie « modérée ». Plus tard encore, les travailleurs du Hainaut prendront position contre les participations gouvernementales du POB (pour la première fois dans le gouvernement – non élu – mis sur pied pendant la Première Guerre Mondiale).

    Pas un instrument idéal, mais un énorme pas en avant

    Une certaine bureaucratisation des syndicats à mesure que la concertation sociale se développait, la dégénérescence d’un certain nombre de coopératives les plus importantes qui se transformaient en entreprises capitalistes, la pression pour une politique modérée de la part des mutuelles et de la part des premiers représentants parlementaires du parti,… Ce sont des éléments qui étaient en germe dans le POB dès ses débuts. A tous les moments décisifs de la lutte de classes, les masses de travailleurs étaient beaucoup plus radicaux que la direction du POB, qui courait la plupart du temps derrière les explosions plus ou moins spontanées de rage ouvrière pour, à chaque fois, canaliser la lutte dans des voies inoffensives.

    Le POB était très clairement ce que Lénine appelait un parti ouvrier avec une direction bourgeoise. Mais ce parti offrait au mouvement ouvrier un instrument pour mener la lutte nationalement et pour rassembler les forces ; des victoires importantes sur le patronat étaient ainsi acquises. Cela aussi bien sur le plan des droits démocratiques (le droit de vote, mais aussi le droit d’association et de grève) que sur le plan du standard de vie et des conditions de travail (diminution du temps de travail, négociations salariales collectives, salaire minimum, sécurité sociale,…).

    Cette réalité, en combinaison avec les fautes du Parti Communiste, qui fut mis sur pied après la Première Guerre Mondiale, mena à une très grande fidélité parmi les travailleurs socialistes, qui étaient préparés à de grands sacrifices pour leur parti. Leurs dirigeants, à l’inverse, allaient résolument pour leur propre carrière dans le parlement -et plus tard dans le gouvernement- et luttaient contre chaque expression d’idées radicales et socialistes. Même avec la trahison répétée de la direction à des moments décisifs, cette situation a perduré jusqu’à il y a très peu de temps, avant que le parti, entre-temps scissionné régionalement en PS et SP, ne soit plus vu par la masse des travailleurs comme « leur » parti (pour le PS, dans une certaine mesure, ce sentiment reste encore présent parmi certaines couches de la classe ouvrière). Ils y revenaient en masse à chaque fois jusqu’à la fin des années 1980, et faisaient constamment des tentatives de pousser le parti vers la gauche.

    Un parti des travailleurs offre à l’énorme masse de travailleurs la possibilité de discuter ensemble sur les idées, d’élaborer une stratégie et des tactiques communes, de défendre collectivement un cahier de revendications pour aujourd’hui et un programme à plus long terme. Un tel parti organise la solidarité; et la longue existence du POB sur le plan national a été certainement un élément dans la prévention d’explosions plus violentes de la question nationale. C’est au travers d’un parti ouvrier – même avec une direction bourgeoise – que le mouvement ouvrier belge a été capable d’obtenir un système large de sécurité sociale, de services publics et une concertation salariale centrale.

    Les dernières décennies d’érosion néolibérale de “l’Etat-Providence” -ce dernier étant une conséquence de la lutte du mouvement ouvrier, la bourgeoisie n’ayant jamais donné de cadeaux – ont été combinée avec la bourgeoisification des partis sociaux-démocrates.

    Des leçons pour la construction d’un nouveau parti des travailleurs

    Dans les années à venir, la Belgique va rejoindre la série de pays où des nouvelles formations de gauche et/ou ouvrières sont déjà nées. Comme dans le temps avec la fondation du POB, ce processus sera fait d’avancées comme de reculs, de tentatives avortées aussi bien que de pas en avant. Il faut tirer collectivement les leçons des victoires et des défaites des mouvements de masse de la classe ouvrière. Il existe aujourd’hui dans une série de pays des exemples dont nous devons discuter et nous inspirer quant à la manière avec laquelle de telles formations peuvent se développer. Il y a le P-Sol au Brésil, mais il y a déjà depuis des années des développements dans le même sens dans plusieurs pays européens également. Le SP aux Pays-Bas, Die Linke en Allemagne (qui montre tous les jours au travers de hauts scores électoraux dans les sondages qu’une rhétorique socialiste et de « vieilles » revendications de gauche comme la nationalisation des secteurs-clé de l’économie sont tous sauf un frein pour l’attraction et la sympathie de couches larges de travailleurs) , le PRC en Italie, Syriza en Grèce,…

    Aucun de ces développements n’aboutit à une situation “idéale”, et beaucoup de ces nouvelles formations sont extrêmement vacillantes. Les obstacles généraux sont devenus clairs : dans toutes les nouvelles formations, la discussion sur la participation gouvernementale se joue d’une manière ou d’une autre. Choisir cette voie a presque été fatale pour la PRC en Italie, et en Allemagne le développement de Die Linke est freiné dans un certain nombre de régions de l’ex-Allemagne de l’Est, comme à Berlin, par la présence du parti dans le gouvernement régional et par sa participation à la politique néolibérale.

    Dans ces partis, une orientation étroite vers les élections, l’électoralisme, va le plus souvent de pair avec une intervention extrêmement limitée dans la lutte réelle, avec une surestimation des figures dirigeantes et avec une sous-estimation de la construction d’une base active, qui ne peut se faire que par l’intervention dans la lutte réelle. Manier correctement la pression pour une politique plus sociale, qui peut s’exprimer dans une tendance dans ces nouvelles formations de gauche à faire des coalitions politiques, le plus souvent avec les vieux partis ouvriers bourgeoisifiés, est une question fondamentale. Un refus principiel de fonctionner dans un gouvernement néolibéral, va être un élément décisif dans le développement d’un nouveau parti ouvrier et dans sa capacité à s’enraciner de façon permanente dans la classe ouvrière. Une vraie participation de ses membres au travers de structures démocratiques est d’une importance primordiale afin de mettre une nouvelle formation sur le bon chemin, c’est-à-dire vers le développement d’un véritable parti des travailleurs.

    Après la chute du CAP, le Comité pour une Autre Politique, la question d’un nouveau parti en Belgique apparaît provisoirement absente de l’agenda (cliquez ici pour une évaluation du développement du CAP ). Mais les conséquences de la crise vont résulter dans le fait que cette question va revenir à l’agenda avec une force plus grande encore. Pour disposer d’une chance de réussite, chaque initiative va devoir montrer aux travailleurs et aux jeunes qu’ils ont une « plus-value » à offrir.

    En l’absence de partisans dans au moins certaines franges des syndicats, surtout dans les secteurs les plus combatifs, une telle initiative en Belgique n’aura pas beaucoup de chances d’aboutir. Une telle formation va devoir défendre les revendications du mouvement syndical sur le terrain politique; mais pas seulement les revendications syndicales. Un parti des travailleurs doit prendre en main la lutte pour la défense de toutes les couches opprimées et exploitées de la population, afin de se renforcer fondamentalement dans la lutte contre le patronat et le gouvernement. Un gouvernement qui, par manque d’un parti des travailleurs, est de toute façon un gouvernement au service du patronat, quelle qu’en soit sa composition. En d’autres termes, un tel parti des travailleurs va donc devoir défendre explicitement, ou au moins implicitement, des idées et des valeurs socialistes, comme la solidarité et la lutte contre chaque forme de discrimination.

    De nouvelles initiatives vont voir le jour, et le MAS/LSP, comme par le passé, donnera son soutien et sa coopération active à chaque initiative qui présente le potentiel et la volonté de devenir une nouvelle formation de la classe ouvrière. Mais nous allons – comme nous l’avons fait au sein du CAP – s’appuyer sur les leçons de l’histoire. Démontrer la nécessité d’intervenir dans la lutte réelle et d’impliquer autant de travailleurs possible dans la construction. L’époque du POB, en particulier celle de ses débuts, fournit des tas d’exemples de comment, dans tout le pays, des milliers et des milliers de travailleurs s’engageaient activement sur le plan politique, exerçaient constamment une pression sur les directions pour passer à l’action et pour adopter des points de vue plus radicaux. En outre, la nécessité d’une démocratie interne, dont l’absence a généré tellement de dégâts au sein du POB, est une condition essentielle – surtout après les expériences négatives du bureaucratisme stalinien – pour un nouveau parti des travailleurs sain. Chaque membre et chaque groupe de membres doit y avoir la liberté de défendre son programme : une véritable discussion et confrontation d’idées doit pouvoir y trouver sa place.

    Au travers de la lutte contre les attaques néolibérales des prochaines années, un tel parti peut émerger. La classe ouvrière belge, fortement organisée sur le plan syndical, disposera alors d’un instrument puissant en plus pour mener sa lutte, non plus seulement sur le plan syndical, mais aussi sur le plan politique.


    > Rubrique "Nouveau Parti des Travailleurs"

  • La crise exige une modification de la politique économique – La lutte des classes en déterminera le caractère (Troisième partie)

    Dans cette partie, nous regardons dans quelles mesure les caractéristiques de la crise économique internationale se manifestent aussi en Belgique. Nous parcourons le marché immobilier, l’inflation, les cadeaux fiscaux aux entreprises et les salaires des managers. Nous expliquons comment cela conduit aux grèves spontanées que la bourgeoisie et les politiciens aimeraient brider. La combativité à la base s’est reflétée dans des discours plus radicaux le premier mai, dans un bon résultat pour les délégations syndicales combatives dans les élections sociales, et enfin dans la semaine d’actions de juin 2008.

    Texte de perspectives du Congrès National DU PSL/LSP. Ce texte a été écrit durant l’été.

    La folie des bourses laisse des traces aussi en Belgique

    75. En termes de distribution inégale de richesse, la Belgique n’est pas mieux placée que les autres pays de l’OCDE. En juillet 2008, les fortunes nets des familles belges étaient de 1.610 milliards d’euros, à peu près 352.000 euros par foyer ou 151.000 euros par Belge. (1) Cela fait entretemps 14 ans qu’il n’y a plus eu de recherche sur la répartition de cette fortune. En 1994, Jef Vuchelen et Koen Rademaeckers sont arrivés à la conclusion que les 50% des fortunes appartenaient à 10% des familles les plus riches, contre seulement 1,1% des fortunes pour les 10% des familles les plus pauvres. Nous supposons que cette différence s’est plutôt creusée que diminuée. (2) Selon Merill Lynch, à la fin 2006, il y avait 68.000 millionnaires en dollars en Belgique, fin 2007 ils étaient déjà 72.000. (3) En 2007, les entreprises belges cotées en bourse ont vu pour la première fois en 5 ans diminuer leurs profits suite à la crise du crédit. En 2005 et en 2006, ces profits avaient encore monté à chaque fois de 30% contre une baisse de 11% en 2007 jusque 19,14 milliards d’euros. Pourtant, ces mêmes entreprises ont distribué 10,2 milliards d’euros aux actionnaires, une augmentation de 42% comparée à l’année précédente. Cela fait qu’en 2007, malgré la crise du crédit ou peut-être justement à cause d’elle, la moitié du profit net a été versée aux actionnaires contre un tiers en 2006.(4)

    76. Ainsi, la fine fleur du capital belge s’est protégée contre les conséquences de la crise du crédit. Celle-ci n’a pas épargné la Belgique. Il est difficile de prévoir où le BEL-20 se trouvera fin 2008, mais avec une perte d’en moyenne 23%, le premier semestre de 2008 était la pire chute en 21 ans, depuis le crash boursier de 87.(5) Surtout les banques, qui représentaient en 2006 encore 42% du BEL-20, ont fortement chuté. Cela s’explique par le fait que toutes les grandes banques belges, y compris la KBC qui a perdu 32,4% de sa valeur boursière lors du premier semestre de 2008, se sont laissées séduire par des instruments financiers souvent couverts par des hypothèques à grand risque américaines. Pour Dexia (-44,4% de la valeur boursière), s’y ajoutent les difficultés de sa filiale américaine, le rehausseur de crédit FSA. Pour Fortis, -46,48% de sa valeur boursière, s’y ajoute sa reprise annoncée en grandes pompes mais mal planifiée, d’ABN Amro. Cela fait que l’action Fortis vaut aujourd’hui (juillet 2008) à peu près la moitié d’une action de la Société Générale en 1998. Au printemps précédent, l’action Fortis valait encore 35€, à la fin du premier semestre 2008 moins de 10€. (6)

    77. La Banque nationale a calculé la perte totale des Belges en conséquence de la crise boursière en juillet 2008 à 50 milliards d’euros, dont la moitié en conséquence de la baisse des valeurs des actions, et l’autre moitié en perte sur des fonds de pension et des fonds d’investissement (les sicav). Les dettes des familles ont aussi augmenté. Mais c’est surtout le personnel qui paiera la facture. « Des changements des banques belges qui prendraient normalement 15 ans, tels que la rationalisation du réseau couteux des agences, seront grâce à la crise du crédit réalisés en quelques années », dit Dick-Jan Abbringh, auteur de « Trendbreuk.be ? Nieuwe spelregels in een digitale wereld » (« Inversion de la tendance.be ? Nouvelles règles du jeu dans un monde digital »), son livre pour lequel il a interviewé 15 managers du monde financier en Belgique. « Il est certain qu’il y aura des licenciements massifs. Il y a un bel avenir pour des gens qui donnent des conseils financiers de haute qualité, mais non pas pour les employés de banques qui aident les clients à remplir les formulaires de virement. » (7) En bref, celui qui amène beaucoup d’argent obtiendra un siège confortable, mais celui qui a des difficultés à s’en sortir selon laissé à son propre sort.

    Les fondements minés

    78. Jusqu’ici, l’économie belge n’a pourtant pas presté de façon faible. Avec un chiffre de croissance de 2,8% en 2006 et en 2007, elle a même fait un peu mieux que la zone euro. Après une augmentation du chômage en 2005, il y a eu une légère baisse en 2006, suivie d’une baisse plus forte en 2007. Le déficit budgétaire était légèrement négatif en 2007 (-0,2%), mais quand même moins que la moyenne de la zone euro (-0,6%).(8) Après quelques années de diminution (2000-2005) ou de croissance faible (2006) (9), les investissements en 2007 ont connu une vraie accélération de 8%. Notre pays s’avère d’ailleurs être une des localités les plus attirantes de l’Europe pour les investissements étrangers. En Europe (27), seulement 4 grands pays, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France et l’Espagne, ont accueilli plus d’investissements. Entre 2003 et 2007, les investissements étrangers directs représentaient 12,3% du PIB ! Ceci n’est que de 1,2% pour l’Allemagne, 3,4% pour la France, 5,3% pour les Pays-Bas et 3% pour la chine.(10) Nous devons évidemment considérer les proportions et aussi le caractère de ces investissements, mais prétendre que la Belgique ne serait pas attractive pour des investisseurs étrangers n’est pas possible. Grâce à la prestation durant le premier semestre, la croissance des investissements en 2008 sera de 6,6%, mais retombera ensuite jusqu’à seulement 1,7% en 2009.(11)

    79. Ici s’arrêtent les bonnes nouvelles. Depuis, les 6 marchés d’exportations les plus importants de l’économie belge sont au bord de la récession. Il s’agit de l’Allemagne, de la France, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie. Ensemble, ils représentent deux tiers de notre exportation. Pour un pays dont l’exportation des marchandises représente 71% du PIB, c’est d’une importance vitale. De plus, l’industrie belge livre beaucoup de produits semi-finis. Elle est une sorte de sous-traitant pour l’industrie des partenaires commerciaux.(12) Sur cette base, la KBC estime réaliste que l’économie belge parte en récession technique à partir du deuxième semestre 2008.(13) Qu’importe, pour la première fois en 16 ans, la balance commerciale risque en 2008 d’être déficitaire. Pendant les 5 premiers mois, la Belgique a connu un déficit de 7 milliards d’euros contre un surplus de 2,5 milliards d’euros l’année dernière. Le refroidissement de l’exportation est une des raisons principales pour lesquelles le Bureau du Plan a dû réajuster ses perspectives de croissance vers 1,6% en 2008 et seulement 1,2% en 2009.(14)

    Marché immobilier : illusions statistiques ?

    80. L’autre raison est le ralentissement de la demande intérieure, principalement la consommation particulière. Sa croissance en 2007 encore de 2,6% retombe en 2008 à 1,4% et en 2009 même à 0,8%.Les augmentations de prix de ces derniers mois et années y sont pour quelque chose. Entre 97 et 2007, les prix des maisons dans notre pays ont augmenté en moyenne de 142% ou 9,2% par an. Même le FMI trouve, compte tenu de la croissance des revenus nets, de la population à l’âge du travail, de la croissance du crédit et des cours des actions, que c’est 17% de trop. Moins qu’en Irlande, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, mais autant qu’en Espagne et même 5% de plus qu’aux Etats-Unis. Ne devons-nous pas alors craindre une chute du marché immobilier ? Oui, selon certains économistes et le secteur immobilier. L’économiste Van de Cloot, de ING, estime que les augmentations de prix sont derrière nous et que nous allons vivre pour la première fois depuis le crash de 79-82 une stabilisation, il n’exclu même pas la première baisse des prix depuis cette époque. (15)

    81. Les prix des maisons et des terrains à construire ont bien augmenté lors de la première partie de 2008 comparé au premier semestre de 2007 – de 8,1% pour des maisons d’habitation, de 5,5% pour des appartements et même de 9,7% pour des terrains à construire – mais des promoteurs parlent d’une « illusion statistique ». Ils prétendent avoir constaté un point tournant en octobre et sont d’avis qu’une correction est en train de se faire. « Ce ne sera pas de la même force qu’au RU, en Irlande ou en Espagne, disent-ils, mais elle peut durer pendant quelques années. » (16) Pourquoi pas de la même force ? Selon Dick-Jan Abbringh, parce qu’en Belgique, le marché des prêts hypothécaires ne correspond qu’à 34% du PIB contre plus de 100% aux Pays-Bas. (17) Pourquoi pendant quelques années ? Selon Van de Cloot, parce que « on croit de plus en plus au caractère élevé structurel de l’inflation. Si cela se traduit en un taux d’intérêt à long terme fondamentalement plus élevé, nous pouvons oublier un retour à l’époque des prix hypothécaires bons marché. Justement ces prêts là étaient la force conductrice derrière la croissance immobilière de ces dernières années. » (18) N’avons-nous donc rien à craindre ? La KBC ne s’attend pas seulement à une stabilisation des prix des maisons, mais aussi à une chute de la construction. (19) Ce que cela va signifier pour l’emploi dans le secteur de la construction n’a pas encore été chiffré.

    82. Nous saisissons l’occasion de démontrer une autre illusion statistique beaucoup plus grande. Selon le Bureau du Plan, le revenu réel disponible des foyers, donc de salaires, y compris des managers, et d’allocations, mais aussi de fortunes financières et immobilières, connaitrait en 2008 encore une croissance de 0,1% et en 2009 même de 1,8%.(20) Avec « réel », on veut dire en tenant compte de l’inflation. Il faut se poser la question : quelle inflation ? Pour le Financial Times, l’inflation aux USA, qui serait de 2,5%, serait de 8,9% si l’on appliquait la manière de calcul d’avant 1992, qui a changé radicalement depuis !(21) Le chiffre national de l’indexation des prix de consommation, qui serait de 4,7% cette année-ci, contre 4,2% de l’index-santé, et qui serait de 2,7% l’an prochain, contre 2,6% pour l’index-santé, n’est pas du tout une réflexion correcte des véritables augmentations de prix. Ceux-ci sont beaucoup plus importants parce que des postes de dépense importants tels que le loyer y ont un poids inférieur au poids qu’ils représentent dans la réalité. Le loyer compte pour 6,2% (22) Plus de 23% de la population sont des locataires. La consommation d’habitation totale dans notre pays représente d’ailleurs 20% de toutes les dépenses des foyers. (23)

    83. Ceci nous aide immédiatement à comprendre pourquoi le loyer commence à être impayable pour les familles. Une étude commandée par le gouvernement flamand démontre qu’après retrait des dépenses d’habitation, les locataires disposaient en 2005 encore de 881 euros contre, corrigé après inflation, 1041 euros en 1992 ! Le pouvoir d’achat des locataires est fortement réduit depuis 1992, de 86 euros dans la période 1992-1997 et de 161 euros dans la période 1997-2005. En 2005, les locataires détiennent depuis 1992 en moyenne 16% de moins après avoir payé leur loyer qu’en 1992.(24) Ceci a évidemment à faire avec la faiblesse du secteur des logements sociaux qui en Belgique (10%) a un grand retard sur des pays tels que les Pays-Bas (largement 40%), le RU et la Suède

    Hystérie de l’inflation

    84. Les CPAS de Wallonie ont construit un « index de précarité » sur base des dépenses des foyers pauvres. Il apparait qu’un foyer qui vit du revenu d’insertion social de 997€, dépense en moyenne 27% à l’alimentation, et pas moins de 42,5% à l’habitation contre une moyenne de 26% pour toute la Wallonie. L’index de précarité a connu entre janvier 2006 et janvier 2008, donc avant la forte augmentation de l’inflation, une croissance deux fois plus élevée que le chiffre officiel d’indexation. La fédération wallonne des CPAS demande une adaptation urgente du revenu d’insertion sociale, pour une personne isolé de 698 à 860€ et pour une famille avec enfant, de 930 à 1548€. Ceci signifierait selon la Cour des Comptes, une dépense additionnelle de 1,25 milliards d’euros par an si c’est appliqué sur le plan national.(25)

    85. Le Bureau du Plan admet lui-même que le revenu réel des foyers a été « négativement influencé » parce que l’augmentation des prix de l’énergie n’est pas tenu en compte dans l’index-santé qui règle l’adaptation des salaires et des allocations aux augmentations des prix.(26) Cette augmentation n’est pas des moindres. Beaucoup de familles de travailleurs ont toujours été méfiants à propos de la fable selon laquelle la libéralisation du marché de l’énergie réduirait les frais du consommateur. Cette méfiance a été confirmée en octobre 2007. Après Electrabel, c’était aux distributeurs d’augmenter leurs tarifs. (27) En février, la Banque Nationale a demandé des compétences supplémentaires pour le Creg, le régulateur fédéral du marché de l’énergie, afin d’annuler au moins une partie des augmentations de prix.(28) Le Creg lui-même demande de réduire le tarif de la TVA sur l’énergie de 21 à 6%, et une approche plus dure tant vers les producteurs que vers les distributeurs (29). En avril, il est apparu que les dépenses pour se chauffer et se nourrir pour une famille moyenne avec deux enfants vont monter de 676€ en 2008, et pour une personne isolée de 330 €. (30) Vers septembre, le prix du gaz avait déjà augmenté de 48,7% sur base annuelle, celui de l’électricité de 20,7% et on y ajoute que les prix vont encore monter. (31)

    86. À partir de février, les arguments du patronat sur l’hystérie de l’inflation ont définitivement été balayés. (32) Il apparait que les prix des produits alimentaires transformés montent en force depuis la deuxième partie de 2007. Ces augmentations sont d’ailleurs en moyenne de 6% plus élevées qu’ailleurs dans la zone euro. L’abolition du prix du pain réglementé en 2004 a fait monter les prix hors proportion. Sur base annuelle, les prix des produits alimentaires transformés ont monté de près de 9%. (33) Mais lorsqu’il s’agit de son propre commerce, Unizo n’est plus unilatéralement en faveur du marché libre. Au contraire, Unizo n’est pas d’accord avec la Banque Nationale que plus de concurrence et moins de règlementations contribueraient à un niveau de prix plus bas. Dans sa réaction, l’économiste en chef Van de Cloot avertit de surtout ne pas répéter les fautes des années ‘70, lorsque les augmentations de prix ont été compensées par des augmentations générales de salaires. (34)

    Cadeaux fiscaux aux entreprises

    87. « Le mazout : +61%. Le gaz naturel : +52%. Le spaghetti : +42%. Le diesel : +32%. L’essence : +32%. L’électricité : +20%. » C’est ainsi que De Tijd a commencé son éditorial du 31 juillet, comme s’il fallait compenser ses précédents écrits sur l’hystérie du pouvoir d’achat. Même le chiffre officiel de l’indexation, cette illusion statistique, a dû, même si ce n’est que partiellement, refléter de telles augmentations de prix. En juillet, il a atteint 5,91%, le deuxième niveau les plus élevé en Europe, le plus élevé en 24 ans. (35) « Il est plus facile de rejoindre des manifestations pour plus de pouvoir d’achat », écrivait l’éditorialiste du Tijd, comme s’il ne faisait rien d’autre de ses journées, « que de remettre en question des systèmes que nous utilisons depuis des années. Mais nous devons aussi reconnaitre qu’il n’est pas raisonnable de faire payer l’inflation par les entreprises ou les autorités, les employeurs les plus importants, qui n’ont pas cette inflation en main. » Quoi ?

    88. Entre-temps, un sondage de City Bank Belgique a montré que 9 belges sur 10 réduisent leurs dépenses en réaction à la baisse du pouvoir d’achat. C’est surtout sur les loisirs, le chauffage, les vêtements et les appareils ménagers que nous faisons des économies.(36) Les 10% restants n’en ont pas besoin, ils se sont construit une bonne réserve depuis longtemps. Malgré la crise du crédit, les entreprises ont réalisé en 2007 en Belgique un profit record de 79 milliards d’euros, 4 milliards de plus que l’année record précédente, en 2006.(37) Ils ont eu beaucoup d’aide de la part des autorités. Selon le rapport annuel de la Banque Nationale, les entreprises ont reçu, en 5 ans, de 2003 à 2007 compris, 21,85 milliards d’euros en diminutions des contributions patronales à la sécurité sociale. En 2007 uniquement, c’était déjà largement 5 milliards d’euros. De plus, pendant cette même période, ils ont reçu pour 1,28 milliards d’euros de diminution du précompte professionnel, surtout sur le travail en équipe et de nuit (38), dont 730 millions rien que pour 2007.

    89. Mais le vol du siècle a sans aucun doute été la déduction des intérêts notionnels, introduite à partir du 1er janvier 2006 sous le gouvernement violet, un argument que Reynders lance régulièrement à ceux qui le critiquent au sein du PS et du SP.a. Le fait est que la violette avait initialement estimé le coût des intérêts notionnels à 500 millions d’euros, alors que cela coutera 2,4 milliards d’euros annuellement. Selon ce système, des entreprises peuvent déduire fiscalement non seulement l’intérêt qu’elles paient sur des prêts, mais dorénavant aussi un intérêt fictif sur leur propre actif. Cette mesure doit stimuler les entreprises à renforcer leur propre actif et même à encrer l’industrie en Belgique. On veut de cette manière compenser l’abolition des centres de coordination.(39) L’Europe considère ceux-ci comme une aide publique illégale et doivent être dissous au plus tard fin 2010.(40)

    90. Pour les entreprises, qui doivent officiellement payer 33,99% d’impôts, il s’agissait d’un jackpot. Cela réduit le taux d’imposition moyen des entreprises à seulement 25%.(41) Ce n’est donc pas étonnant que, déjà en 2006, 41% des 381.288 entreprises en ont fait usage. Le tout mis ensemble, cette année là a connu 6 milliards d’euros de déduction d’intérêt, dont 37% qui ont été accordé à seulement 25 entreprises. (42) Selon De Tijd, l’intérêt notionnel explique le fait que l’influx de capitaux en Belgique a doublé jusqu’à 72 milliards d’euros en 2006, soit plus que vers la Chine. De Tijd reconnait bien qu’une partie importante de ces capitaux sont des capitaux endormis qui créent à peine des emplois.(43)

    91. Mais la déduction des intérêts notionnels est controversée. En février 2008 déjà, Di Rupo brandissait une liste sur laquelle apparaissait le fait que les entreprises du BEL-20 payaient à peine encore des impôts. (44) Les entreprises publiques sont également passées à la caisse. La Banque nationale a ainsi épargné 17 millions d’euros en taxes ; la SNCB 1,4 millions d’euros et La Poste 8,6 millions d’euros. (45) De plus, le calcul des intérêts notionnels incite à la fraude, pleins d’entreprises cumulant toutes sortes de déductions, d’une telle ampleur que l’administration fiscale a du mettre sur pied un groupe spécial d’intervention pour les combattre. (46) Mais les patrons ne vont pas facilement abandonner leur fleuron. Ils ont même fait appel à la Banque nationale pour relativiser le coût de la mesure. L’avantage fiscal de 2,4 milliards d’euros pour les entreprises est un coût brut, argumente la Banque Nationale. Sur base de « données provisoires » pour 2006, elle conclut, une année et demi plus tard, que le coût net en 2006 se situerait « quelque part entre 140 et 430 millions d’euros ». (47) La Banque admet d’ailleurs qu’une fois que la mesure arrivera à sa vitesse de croisière, le revenu des impôts des entreprises sera fortement réduit. L’administration fiscale donne des chiffres plus précis, elle a calculé le coût net de la mesure à 1,2 milliards d’euros ! (48)

    92. En terme d’effets sur l’emploi, la Banque Nationale estime « possible » que la mesure aie créé 3.000 emplois. Cela fait entre 46.500 et 144.000 euros par emploi. Si nous prenons les chiffres de l’administration fiscale, cela fait même 400.000 euros par emploi. Si on avait dépensé tout cela pour élever le pouvoir d’achat, l’effet sur l’emploi aurait probablement rapporté des dizaines de fois plus, et qui sait si cela n’aurait pas amené plus d’investissement. Le PS et le SP.a devaient bien essayer de corriger le tir quelque part. Le SP.a avec sa proposition d’une mesure anti-abus, par laquelle l’administration fiscale peut refuser la déduction des intérêts notionnels si la seule intention n’est que fiscale sans création d’emploi. Le PS avec sa proposition de taxe sur la valeur ajoutée sur la vente des actions, tel que cela existe en Italie et en France. (49) Les deux propositions sont restées au frigo.

    93. Depuis 1988, le SP.a et le PS se trouvent au gouvernement, pour le SP.a jusqu’en 2007, pour le PS jusqu’à aujourd’hui. Suffisamment de temps donc, si ce n’est que pendant cette même période, de nombreux dossiers de fraude ont dépassé la prescription. Paul Dhaeyer, chef de la section financière du parquet de Bruxelles, ne le cache pas. « Beaucoup d’étrangers considèrent la Belgique comme un paradis fiscal, depuis des années nous sommes en sous-effectif. Il y avait un manque chronique de moyens. C’était un choix politique. » (50) Aussi, dans le scandale récent à « Liechtenstein Global Trust », au moins une cinquantaine de personnes résidant en Belgique seraient impliqué.

    94. Malgré cela, les patrons et leurs représentants politiques trouvent qu’ils paient encore trop. Et donc, Unizo et Voka plaident pour laisser les entités fédérées déterminer le taux d’imposition des entreprises. Ils pensent pouvoir ainsi réduire les impôts des sociétés jusqu’à 20%. Mais ce n’est pas seulement l’impôt des sociétés qui doit être réduit, les impôts sur les personnes physiques, qui doivent entre autres financer les services publics collectifs, sont selon eux trop élevé. Pour le CD&V Hendrik Boogaert, la pression fiscale aux Pays-Bas serait de 40% du PIB contre 44% en Belgique. « Les impôts doivent donc être réduits de 14 milliard d’euros. », conclut-il, ce qui correspond à 4% du PIB (51).

    95. Ceux qui prônent les réductions de charge argumentent toujours les ‘effets de retour’. Ce que cela vaut, nous le savions déjà, mais cela a été récemment confirmé scientifiquement par deux recherches. Ive Marx, sociologue du CSB à Anvers et Kristian Orsini, doctorant à la KUL, ont constaté tous deux que l’effet des baisses des charges est surestimé. Orsini est d’ailleurs tout sauf quelqu’un de gauche. Il plaide pour une limitation des allocations de chômage dans le temps pour remplacer la baisse des charges. (52)

    Des rémunérations généreuses pour les patrons

    96. Ce qui n’échappe pas non plus à l’attention de beaucoup de familles de travailleurs, ce sont les salaires exagérés des managers des entreprises. Ce n’est pas pour rien que les économistes bourgeois parlent d’avidité, surtout lorsque l’on considère la modération salariale qui a été imposée aux travailleurs depuis des années. L’appel pour plus de contrôles devient de plus en plus pressant. Certainement aux Etats-Unis, où un mouvement, soutenu par les démocrates, s’est créé sous le nom « Say on pay », mais également un peu partout dans le monde, y compris en Belgique. Le patron d’Inbev, Brito, a reçu en 2007 une augmentation salariale de 9%, jusqu’à 4,25 millions d’euros, plus ou moins 375.000 euros par mois ou 12.500 euros par jour. Le patron de Fortis, Votron, a reçu une augmentation de 15% à 3,9 millions d’euros. (53) De nouveau, les patrons des entreprises publiques suivent leurs collègues du secteur privé. Didier Bellens de Belgacom a reçu en 2007 une augmentation de 42%, à 2,7 millions d’euros, à peu près 225.000 euros par mois, même si, depuis, il a dû assainir. Cette même année, Johnny Thijs a allégé la Poste de 900.000 euros, soit 75.000 euros par mois, autant que le salaire combiné d’un bon bureau de Poste de distribution. (54)

    97. Pour Vincent Van Quickenborne (VLD), ce sont les affaires des actionnaires, dans lesquelles les autorités ne doivent pas intervenir. C’est ce même Van Quick qui trouve qu’il y a trop de fonctionnaires. Son camarade De Gucht est plus réaliste. « Pendant que les salaires les plus élevés connaissent un pic, il y a une classe moyenne croissante qui est de plus en plus en difficulté. Ceci fait obstacle au ‘plaidoyer de modération’ dans la sécurité sociale. (…) Le sommet des entreprises doit bien se réaliser qu’il ferait mieux lui aussi de modérer afin de ne pas stimuler des tendances populistes ; les gouvernements de l’occident doivent mieux répartir les fruits de la mondialisation, sans détruire ces fruits. » (55) De Gucht est plus ou moins le prototype du libéral, l’homme de la raison, sans dogme, et évidemment franc-maçon. Ce n’est pas un libéral vulgaire comme Van Quick, qui n’a retenu du libéralisme que le droit de se remplir les poches de façon illimitée. Pour De Gucht, le libéralisme n’est pas une carte blanche pour l’avidité. Il estime évidemment la liberté de l’individu et la propriété privée comme étant supérieure à Dieu, à la Nation, ou à la communauté collective, même si cette liberté mine celle des autres. Ce qui est inacceptable selon lui, c’est que le système même qui permet à l’individu de jouir de cette liberté soit miné.

    98. Le problème de De Gucht, c’est que son système libéral est en contradiction avec les lois de fonctionnement du capitalisme. Il a dû lui-même subir cela lorsqu’il a voulu donner des leçons à Kabila et aux autorités congolaises sur la corruption et l’incompétence. Non seulement Leterme a dû intervenir pour sauver les meubles, en fait surtout les contrats lucratifs, mais en plus, son camarade Pierre Chevalier, nommé représentant belge des Nations Unies au Congo, à condition qu’il délaisse son mandat à Forrest International, avait été en cachette renommé administrateur délégué de Forrest Int. Rik Daems, le tueur de la Sabena, un autre camarade de De Gucht et ancien ministre des télécoms (de 1999 à 2003), aurait agit comme consultant en 2007 pour Belgacom au Qatar. Coïncidence ? Nous ne le pensons pas. Un système basé sur la chasse aux profits a comme conséquence inévitable que certains dépassent les lignes quand ils colorient.

    Actions pour plus de salaire

    99. Il n’est donc pas étonnant que beaucoup de travailleurs soient insensibles aux arguments de De Tijd et soient bien d’avis qu’il est temps que les patrons et les autorités y mettent de leur poche. Après une année record en 2005, l’année du Pacte de solidarité entre les générations, avec 669.982 journées de grèves enregistrées, il y a eu une pause de deux ans. (56) Il n’y a pas encore de statistique pour 2008, mais il est pratiquement sûr que la courbe de grève cette année fera un saut. On aurait pu le savoir. En avril 2007, quelques grèves spontanées avaient déjà éclaté à Zaventem et chez les fournisseurs de Ford Genk. Le système de sous-traitance, de fournisseur, de travail intérimaire, de travail à temps partiel ou temporaire, avait été mis sur pied afin de diminuer la force des travailleurs. Mais, comme tout système, celui-ci connait aussi ses limites. Dans une carte blanche dans De Tijd, on souligne le fait que « les travailleurs de la ‘périphérie’ (de la production) savent à peine qui est leur vrai employeur, les syndicats les considèrent comme des forces étrangères, et notre modèle de concertation n’a pas prévu de donner à ces travailleurs le sentiment qu’ils font partie du système. » (57)

    100. Chez les fournisseurs de Ford Genk, on savait très bien qui étaient les vrais employeurs. Le fait que Ford Genk pouvait à peine suivre la demande n’avait pas échappé à sa ‘périphérie’. C’était le bon moment de se mettre en action. A commencer par le 14 janvier 2008, à Syncreon, fournisseur de panneaux de portière et de pots d’échappement. Ils ont obtenu 0,47 centimes d’euros et deux boni de 500 euros. Après cela, la vague de grèves spontanées ne pouvait plus être arrêtée. Fin janvier, la vague avait déjà touché 32 entreprises, dont 14 au Limbourg, mais aussi 6 à Liège et 5 à Anvers. C’était surtout le secteur automobile, avec 12 entreprises, et d’autres entreprises métallurgiques (9) qui ont été touchées. (58) Nous n’avions plus vécu une telle vague de grèves spontanées depuis la fin des années ‘60 et surtout le début des années ‘70. Là aussi, les travailleurs avaient le sentiment qu’ils avaient insuffisamment reçu les fruits de la bonne conjoncture.

    101. Agoria, l’organisation patronale du métal, qualifiait ces grèves « d’illégales ». La FEB et le sommet de la CSC ont tempéré et insistaient surtout sur le fait qu’il fallait sauvegarder le modèle de concertation. (59) Finalement, selon Agoria, 42 entreprises du secteur auraient été confrontées à des revendications salariales supplémentaires. Ce n’est pas une coïncidence. Dans le secteur du métal s’applique ce qu’on appelle les « accords all-in » ou leur version adoucie, les « accords saldo ». (60) Le sommet syndical a réussi à faire dévier les revendications pour plus de salaires vers une vague de bonus. Ce système n’était entré en application qu’un mois auparavant. Il détermine que des entreprises peuvent, à un tarif fiscalement intéressant, payer un bonus jusqu’à 2.200€ nets par an au travailleur. (61) C’est attractif, mais nous devons tenir compte du fait qu’on ne paie pas des cotisations sociales et que c’est une mesure unique. Les syndicalistes les plus combatifs ont donc insistés sur des augmentations salariales réelles, ce qui explique la popularité de la revendication « 1€ en plus par heure ».

    102. En mars, les actions pour l’augmentation du pouvoir d’achat ont commencé à toucher le secteur public. Les 24.000 fonctionnaires de l’administration flamande ont exigé une augmentation du pouvoir d’achat de 5% dans la période 2008-2009 avec des augmentations des primes de fin d’année et une cotisation plus élevées de l’employeur en chèques repas. Par voie du futur ex-ministre Bourgeois, le gouvernement a répondu ne pas avoir les moyens et Kris Peeters a menacé de réquisitions si les blocages des écluses n’étaient pas arrêtés. Parallèlement, ils ont avancé des propositions provocatrices pour rendre possible le travail intérimaire et niveler le statut des travailleurs statutaires au niveau de celui des travailleurs contractuels. Finalement, une augmentation salariale minimale de 2% a été imposée. Plus tard, des actions du personnel des CPAS et des communes ont suivi dans tout le pays.

    Premier mai – élections sociales et semaine d’actions

    103. Il fallait que les dirigeants syndicaux expriment tout cela le premier mai. Dans ses discours, la FGTB a revendiqué une augmentation salariale de 10%… pour les prochaines années. En utilisant pour cela l’argent qui va aujourd’hui à l’intérêt notionnel. Jan Renders du MOC : « certains veulent un gros poisson communautaire, d’autres veulent un gros poisson fiscal. Mais nous voulons un gros poisson social. » Luc Cortebeek : « Avec les employeurs, cet automne, il faut arriver à un accord interprofessionnel qui rende possibles des augmentations salariales. Les profits et les salaires des managers ont aussi augmenté. Celui qui ne veut pas y collaborer peut s’attendre à un hiver chaud. »

    104. A nouveau dans la première partie de ce même mois de mai 2008, 1,4 millions de salariés dans à peu près 6.300 entreprises pouvaient voter pour 142.000 candidats pour les comités de prévention et les conseils d’entreprise. C’est le double des candidats que les partis politiques ont présenté lors des élections communales en 2006, 13% de plus qu’en 2004. (62) Pour la CSC, il y avait 68.000, pour la FGTB, 55.000. Contrairement à la majorité des pays de l’OCDE, le degré de syndicalisation net en Belgique a continué à croitre pendant les années 90. Avec degré de syndicalisation net, nous voulons dire seulement ceux qui sont effectivement au boulot, donc pas les pensionnés ni les chômeurs ni d’autres catégories considéré comme membres mais qui ne paient pas de contribution. (63) Pour 2003, les syndicats donnent les chiffres de 1,6 millions de membres pour la CSC, 1,2 million pour la FGTB, et 223.000 pour la CGSLB.(64)

    105. Bien que 1,4 million d’électeurs soit un record, le degré de couverture des élections sociales diminuerait petit à petit. Selon une étude de Hiva, il y a divers raisons : dans les services publics, des élections sociales ne sont organisées presque nulle part, il y a la PME-tisation de l’économie, qui fait qu’il y a plus d’entreprises qui n’atteignent pas le seuil électoral, et il y a la croissance du travail intérimaire et de la construction où des élections sociales ne sont pas organisées. (65) Le degré de participation serait bien retombé un peu, mais il reste, sans obligation de vote, très élevé : 72,4% pour les comités de prévention et 70,6% pour les Conseils d’entreprises. Des jeunes qui peuvent voter, 42,5% ont participé, contre 52,4% en 2004. Probablement, le degré de participation était plus bas dans ces entreprises où des élections sociales n’étaient pas tenues par le passé. (66)

    106. Comme nous l’avions pensé, les élections sociales n’ont pas amené de très grands glissements. Contrairement à ce qu’elle avait annoncé, la CGSLB n’a de nouveau finalement pas obtenu les 10%. La FGTB a avancé légèrement, tant en Flandre qu’en Wallonie. La CSC a reculé légèrement, mais gagne à Bruxelles. Les listes séparées de cadre, de la Confédération Nationale des Cadres, et les listes individuelles d’entreprises ont fortement perdu. Un phénomène classique lors de l’augmentation de la lutte des classes, c’est que le mouvement entraine différentes couches à différents moments. Pendant qu’une avant-garde tire déjà ses premières conclusions politiques, il y a des couches qui viennent seulement de rejoindre le mouvement et qui reflètent encore la phase précédente du développement. (67) Nous ne pouvons donc pas concentrer notre attention sur la stabilité apparente des résultats généraux. Au contraire, lorsque l’on regarde de plus prêt, la FGTB a gagné dans les entreprises, surtout dans le secteur automobile, où des actions sur le pouvoir d’achat ont été menées plus tôt dans l’année. En général, les délégations syndicales qui sont connues comme étant combatives ont gagné, indépendamment du syndicat auquel elles adhèrent.

    107. En juin, les délégations nouvellement élues étaient déjà confrontées à un test important, lorsque les directions syndicales ont annoncé une semaine nationale d’action pour le pouvoir d’achat. A peu près partout, la mobilisation était très forte, 80.000 travailleurs au total ont répondu à l’appel. Celui qui prétendait que le débat sur le pouvoir d’achat ne vivait pas en Wallonie a eu sa réponse. Les manifestations à Liège, Mons, Namur et même Arlon, étaient systématiquement plus grandes qu’en Flandre. A Anvers et à Hasselt, tout comme en Wallonie, différentes entreprises ont spontanément fait grève. La présence de beaucoup de femmes, mais surtout de jeunes, souvent élus pour la première fois, démontre qu’une nouvelle couche combative a pris sa place. Rarement nous avons reçu une telle ouverture, tant pour notre programme que pour notre appel aux syndicats de casser les liens avec leurs partenaires politiques traditionnels. Là où les syndicats ont optés pour des actions « nouvelles », telles que « Foodstock » à Gand ou des ballades en vélo ou d’autres inventions de ce type à Bruges et à Courtrai, la mobilisation était faible. La méthode d’action ne correspondait pas à la demande de la base.

    Le droit de grève restreint ?

    108. « Les actions d’une minorité pour plus de salaire sont absurdes » déclare Caroline Ven, anciennement active dans le service d’étude de l’organisation patronale flamande VKW, et désormais économiste en chef du Cabinet du Premier Ministre Leterme, qui est pourtant officiellement de tendance ACW (MOC en Flandre). (68) « Ils n’ont jamais été aussi forts et pourtant ils n’ont jamais eu aussi peu à dire », déclare un élu de la chambre du CD&V- qui n’a pas de cachet ACW. (69) Caroline Ven et les patrons essayent, en fait, de toujours présenter les actions comme de l’aventurisme d’une minorité bruyante, contre laquelle la majorité silencieuse n’ose pas se rebeller. De cette manière, on prépare l’opinion publique aux restrictions sur le droit de grève.

    109. En avril 2007, le personnel de sécurité et les pompiers de l’aéroport de Zaventem ont commencé une grève spontanée. 26.000 passagers ont été bloqués. L’avocat de droite Peter Cafmeyer qui, pendant le Pacte des Générations, était déjà le conseiller juridique des patrons ayant subis des pertes à cause de la grève, s’est attaqué à cette grève. Cafmeyer a réussi à laisser payer 500 passagers pour plaider une affaire contre 46 employés et CSC-Transcom. Pour retrouver l’identité de ces 46 employés, il a fait appel à des détectives privés. Cafmeyer a agi de sa propre initiative et il est peu probable qu’il gagnera cette affaire qui a été reportée à la fin de l’année 2009. Cela n’empêche pas Rudi Thomaes de la FEB d’espérer un procès, selon ses propres dires. « Une condamnation ferait réfléchir les autres avant qu’ils ne passent à des actions inacceptables ».

    110. Selon Thomaes, ce n’est pas une atteinte au droit de grève. (70) Pour lui, le droit de grève doit exister, mais doit être réglementé à un tel point que dans la pratique il ne reste presque plus rien. Mais cela aussi à ses limites. Ainsi Guy Cox, directeur général du service de médiation collective du travail, estime que les procédures de concertation moyennes prennent tellement de temps que la pression de la base devient trop forte. (71) D’une manière ou d’une autre, les grèves spontanées sont attaquées. En août 2007, Ryanair a menacé de partir de Charleroi si les syndicats n’acceptaient pas un service minimum, et ils ont également exigé une indemnisation immédiate d’un million d’euros pour la grève spontanée du 15 juin. En mai 2008, le Ministre wallon du transport, André Antoine, a jugé une grève de la TEC comme étant une habitude « inadmissible ». Presque au même moment, l’Open VLD a plaidé pour la prestation d’un service minimum à la SNCB. Pour Vervotte, Ministre responsable des Services Publics, c’est une mesure “inapplicable”, mais elle a affirmé en même temps vouloir discuter sur des procédures plus strictes, plus claires et plus responsables des mouvements spontanés. (72)

    111. En août 2008, la discussion est revenue sur table à la suite d’une grève spontanée des bagagistes. Dans un premier temps, toutes les responsabilités étaient mises sur le dos des grévistes mais, pour une fois, l’attention de la presse a commencé à se déplacer également sur les conditions de travail intenables. (73) Même De Tijd qui, dans son édito du 12 août avait plaidé pour dresser une liste des services stratégiques, a dû remettre une balance dans le journal du samedi. « Ce qui est arrivé cette semaine à Zaventem est la conséquence du rachat de l’activité de l’aéroport… La sous-traitance a aussi des inconvénients. Que devons-nous proposer par un service minimum dans ce cas ? Que seuls les bagages des passagers de la classe Business soient emmenés ? D’ailleurs, le traitement des bagages est-il un service essentiel ? Non. Le trafic aérien n’est plus une affaire du gouvernement, il a été privatisé il y a déjà longtemps. » (74) Compare cette attitude à l’accord que les syndicats ont signé avec la direction de la SNCB, accord qui dit notamment qu’une grève spontanée peut être une raison acceptable pour un licenciement.


    (1) De Tijd, 25 juillet 2008, Financieële crisis kost Belgiëen 50 miljard euro

    (2) De Tijd, 28 juillet 2007, Belgiëen samen 71 miljard rijker dan verwacht.

    (3) Le Soir, 25 juin 2008, La Belgique abrite 72.000 millionaires.

    (4) De Tijd, 5 avril 2008, Belgische bedrijven geven aandeelhouders 10 miljard

    (5) Le Soir, 2 juillet 2008, La pire chute depuis 21 ans.

    (6) Le Soir, 29 juillet 2008, L’action Fortis vaut une demi G-Banque.

    (7) De Tijd, 20 septembre 2008, “Grote ontslagronde bij Belgische banken onvermijdbaar”.

    (8) BNB, indicateur économique pour la Belgique, 19 septembre 2008.

    (9) De Tijd, 8 janvier 2008, Ondernemingen trekken investeringen dit jaar op

    (10) The Economist, country briefings, fact sheet par pays

    (11) Bureau fédéral du Plan, communiqué 12 septembre 2008.

    (12) De Tijd, 10 septembre 2008, Belgische afzetmarkten op rand van recessie

    (13) KBC épargner et investir, 5 septembre 2008, Wanneer de zon schijnt in New York …

    (14) Bureau fédéral du Plan, communiqué 12 septembre 2008.

    (15) De Tijd, 4 avril 2008, Economen verwachten afvlakking huizenprijzen

    (16) De Tijd, 26 août 2008, Hogere vastgoedprijzen zijn statistische illusie et Le Soir, 26 augustus 2008, Prix en hausse, baisse en cours

    (17) De Tijd, 20 septembre 2008, ‘Grote ontslagronde bij Belgische banken onvermijdbaar’

    (18) De Tijd, 26 août 2008, De onvermijdelijke correctie op de vastgoedmarkt is begonnen.

    (19) De Tijd, 4 avril 2008, Economen verwachten afvlakking huizenprijzen

    (20) Bureau fédéral du Plan, communiqué 12 septembre 2008

    (21) Financial Times, 7 septembre 2008, Government lies and squishy ethics

    (22) La liste complète des produits et de leur poids dans le panier de l’index peut être trouvé sur le site du Service Public fédéral sous index des prix à la consommation ou ici : http://www.statbel.fgov.be/indicators/cpi/cpi1_fr.pdf

    (23) BBSH Bouwen aan Vertrouwen in de Woningmarkt, Ruimte geven, bescherming bieden Een visie op de woningmarkt

    (24) De Morgen, 30 juillet 2008, Woning huren wordt voor gezinnen onbetaalbaar

    (25) Le Soir, 30 août 2008, La crise cogne d’abord les précaires.

    (26) Bureau fédéral du Plan, communiqué 12 septembre 2008

    (27) Le Soir, 13 octobre 2007, Le gaz en hausse (épisode II)

    (28) De Morgen, 23 février 2008, Gas en electriciteit toch fors duurder

    (29) De tijd, 19 janvier 2008, Creg vraagt lager btw-tarief voor energie

    (30) La Libre, 12 avril 2008, Selon Olivier Derruine van de studiedienst van het CSC

    (31) Le Soir, 19 septembre 2008, Le prix du gaz enflera encore

    (32) L’édito de De Tijd du 30 janvier 2008 a pour titre: “inflatiehysterie » et l’éditorialiste conclu : « il est important de ne pas prendre des mesures hâtives. Puisque jusqu’ici, il n’y a vraiment pas de raison de créer de l’hystérie sur l’inflation. »

    (33) BNB, Indicateurs économiques pour la Belgique, 19 septembre 2008

    (34) De Tijd, 23 fevrier 2008, Belg betaalt levensmiddelen te duur

    (35) Le Soir, 31 juillet 2008, Pas d vacances pour l’inflation

    (36) De Tijd, 22 mai 2008, Negen op de tien Belgen schroeven uitgaven terug

    (37) De Tijd, 14 fevrier 2008, Bedrijfswinsten stijgen tot record van 79 miljard euro, sur base du rapport de la Banque Nationale

    (38) Rapport annuel de la Banque Nationale, 2007, p. 98 tableau 25

    (39) Les centres de coordination ont été introduits à la fin de l’année 1982 comme un régime fiscal favorable aux entreprises belges ou aux multinationales avec des filiales belges. Pour en illustrer l’importance : le 31 décembre 1997, 236 centres de coordination ont assuré 11,4% des profits avant impôt et 13,5% après impôt pour l’ensemble des entreprises belges. Ces mêmes centres de coordination n’ont pourtant payé que 0,82% des impôts de sociétés. Voir : taxincentives : analyse van de impact van notionele interestaftrek – Riet Janssens – http://statbel.fgov.be/studies/ac735_nl.pdf

    (40) Rapport annuel de la Banque Nationale, 2007, p. 159

    (41) De Tijd, 27 octobre 2007, Didier Reynders, vader van de notionele intrestaftrek

    (42) De Tijd, 20 août 2008, Bijna helft firma’s pas notionele rente toe

    (43) De Tijd, 27 octobre 2007, Heldere belastingen

    (44) De Tijd, 12 février 2008, Bel 20’ers betalen amper belastingen

    (45) Le Soir, 5 mars 2008, Les entreprises publiques profitent des notionnels

    (46) De Tijd, 27 octobre 2007, Van ‘double dip’ tot misbruik

    (47) Le Soir, 24 juillet 2008, La BNB clémente avec les intérêts notionnels

    (48) De Tijd, 20 août 2008, Bijna helft firma’s pas notionele rente toe

    (49) De Tijd, 25 janvier 2008, ‘U vernietigt de notionele intrestaftrek’

    (50) De Tijd, 31 mai 2008, ‘Achterstand was politiek keuze’

    (51) De Tijd, 5 avril 2008, ‘Belastingen moeten met 14 miljard euro omlaag’

    (52) DeTijd, 7 mai 2008, Effect lastenverlaging wordt overschat

    (53) Le Soir, 3 avril 2008, Salaire des patrons: “une affaire des actionnaires.”

    (54) L’Echo, 15 mars 2008, Les salaires fous du secteur public

    (55) De Morgen, 24 mars 2007, Karel De Gucht bindt de strijd aan met de toplonen.

    (56) Site des autorités Fédérales, grèves

    (57) De Tijd, 19 avril 2007, De opstand van de periferie

    (58) De Tijd, 31 janvier 2008, Stakingsgolf januari trof 32 privebedrijven

    (59) De Tijd, 31 janvier 2008, ACV en VBO willen vermijden dat stakingsgolf escaleert

    (60) Dans les accords all-in, la norme salariale est un plafond absolu qui ne peut pas être dépassé, même pas si l’index-santé dépasse la norme salariale. Dans des accords saldo, le même principe s’applique, mais sans pouvoir toucher à l’indexation. Dans De Standaard du 13 avril 2008, un exemple concret est calculé. (61) De Standaard, 28 septembre 2007, Akkoord over loonbonus

    (62) De Tijd, 30 avril 2008, 13 procent meer kandidaten voor sociale verkiezingen

    (63) Monthly Labour Review, janvier 2006, Union membership statistics in 24 countries

    (64) Le Soir, 5 mei 2008, Les Belges et le syndicat: l’amour-haine

    (65) De Tijd, 4 april 2008, Amper een op drie kan stemmen

    (66) De Tijd, 11 september 2008, Liberale vakbond haalt 10 procent toch niet

    (67) Trotsky explique ce phénomène dans son livre sur la révolution russe lorsqu’il décrit la situation en juin 1917. C’était au moment où les partis du gouvernement provisoire, qui avaient été portés au pouvoir lors de la révolution de février, perdaient le soutien des travailleurs et des soldats les plus actifs et conscients à l’avantage des bolcheviks, du moins dans les grandes villes. La surprise était donc grande, surtout chez elle-même, lorsque le plus grand parti gouvernementale, les SRs, gagnaient les élections avec plus de 60%. Trotsky dit là-dessus que la révolution de février avait provoqué beaucoup de poussière et avait fait un impact sur, avec quelques mois de retards, beaucoup de valets de maisons et d’écuries. Ceux-ci adhéraient logiquement chez ceux que la révolution de février aveint mis au pouvoir, c’est-à-dire les sociaux-révolutionnaires. Ils n’étaient pas encore conscients du frein que ce parti représentait, ceci ne serait compris généralement qu’après le coup échoué du général Kornilov en août 1917. Trotsky remarquait que les révolutionnaires doivent baser leur politique sur les couches les plus actives et conscientes parce que celles-ci reflètent le mieux les conditions réelles et ne doivent donc pas se baser sur les couches qui ne commencent à s’intéresser au changement qu’avec un certain retard.

    (68) De Tijd, 10 mai 2008, ‘Acties van een minderheid voor meer loon zijn absurd’

    (69) De Standaard, 27 avril 2008, Wij zijn allen ACW’er

    (70) Le Soir, 28 avril 2008, Raid surprise sur grève sauvage

    (71) De Tijd, 21 avril 2007, Hoe wild is wilde stakingsactie

    (72) Le Soir, 21 mai 2008, Grève: les priorités de la ministre.

    (73) Le Soir, 12 août 2008, Pourquoi les bagagistes débrayent en plein coup de feu.

    (74) De Tijd, 16 août 2008, De cruciale rol van bagagesjouwers

  • Pour un parti syndical !

    Avec et autour de la base syndicale, un nouveau parti des travailleurs est nécessaire :

    Voilà déjà plus d’un an que la crise économique se précise peu à peu mais, pour la première fois, il semble probable que la Belgique entre actuellement dans une vraie récession. En bref, le pire est encore devant nous : restructurations et fermetures d’entreprises, chômage en forte croissance et sacrifices douloureux.

    Par Eric Byl

    De nombreuses familles de travailleurs devront faire face à cette situation, sans réserves ou en puisant dans une épargne déjà fortement entamée par l’inflation galopante de ces derniers mois. Les patrons ont déjà prévenu que la compétitivité des entreprises devrait être garantie avant toute autre chose. Dès lors, si les travailleurs ne bougent pas, eux et leurs familles seront, une fois de plus, les victimes.

    La politique aujourd’hui : à sens unique.

    Les propositions patronales fusent de tous côtés : continuer à détricoter le lien entre les salaires et les prix assuré par l’index, diminuer fortement les prestations des services publics et donc le nombre des fonctionnaires, et surtout réduire linéairement les charges des entreprises. Les patrons disent – comme le FMI, la Commission Européenne et la Banque Nationale – qu’il faut absolument éviter la « spirale infernale salaires-prix ». Dès lors, pour éviter que les prix augmentent – et puisqu’il est impensable pour eux de réduire leurs profits record – il faut donc bloquer ou réduire les salaires.

    Chaque débat politique est une attaque à sens unique contre les acquis des travailleurs et leurs familles. Lorsque nous descendons à plusieurs dizaines de milliers dans la rue, comme lors de la semaine d’actions en juin, aucun politicien ne se montre. Mais lorsque quelques centaines de demi-portions viennent brandir le drapeau au Lion flamand, le pays s’en trouve retourné pendant une année entière. Les sondages montrent pourtant qu’en Flandre, seule une petite minorité de la population adhère à la surenchère nationaliste. Comment cela se fait-il ? Une petit minorité est politiquement sur-sur-sur-représentée.

    Les politiciens, déjà bien payés durant leur carrière, obtiennent encore un salaire supplémentaire à la fin de celle-ci, grâce à des postes bien rémunérés dans les organes de direction des entreprises du pays. Les libéraux, les démocrates-chrétiens, les nationalistes flamands et, hélas aussi, les « socialistes », représentent tous des secteurs – parfois différents, d’autres fois identiques – de l’establishment du pays. Si un parti ne satisfait plus, alors, à partir de rien, on en recrée un dont l’image est sans cesse imposée dans les médias et qui, grâce à une campagne publicitaire qui coûte des millions d’euros, franchit rapidement le seuil électoral. Les patrons utilisent leur pognon et leur influence pour s’attacher des représentants politiques loyaux.

    Les travailleurs devraient utiliser leurs syndicats afin de veiller à avoir leurs propres représentants politiques. Ceux-ci sont, hélas, aujourd’hui toujours rivés à la social-démocratie pour les Rouges, et à la démocratie-chrétienne pour les Verts. La dernière fois qu’ils ont pu réaliser une revendication défendue par les syndicats remonte à un demi-siècle avec la création du statut des VIPO. Depuis lors, ils hurlent avec les loups néolibéraux. Quand la base syndicale FGTB et ses représentants se permettent de rappeler le PS à l’ordre, on leur reproche de « faire le jeu de la droite ». Les supposés représentants de la CSC dans le PSC puis le CDH sont noyés parmi les notables et les représentants des classes moyennes et du patronat.

    Le manque de représentants sérieux des travailleurs explique pourquoi les gouvernements respectifs ont pu traverser les grèves de 1993 contre le Plan Global et de 2005 contre le Pacte des Générations et, ensuite, faire passer leurs plans de façon quasi-unanime au parlement.

    La Centrale Générale FGTB : « Il faut en finir complètement avec la politique libérale »

    En automne, les travailleurs devront à nouveau descendre massivement dans la rue. Le 28 juillet, la Centrale Générale de la FGTB a déjà lancé un appel dans ce sens. Le MAS soutient cet appel. On peut lire dans celui-ci : « S’il existe encore une gauche politique dans ce pays, elle doit réunir toute son énergie et sa créativité afin d’élaborer une autre politique fiscale et salariale. Il faut en finir complètement avec la politique libérale ».

    Nous supposons que c’est une manière de parler et que la Centrale Générale sait pertinemment que la « gauche politique » qui devrait réaliser cela n’existe, hélas, pas de nos jours au parlement. Et, malgré tout le respect pour les deux plus grands partis non-parlementaires, le PTB et le MAS – et bien qu’un cartel de ces deux partis lors des élections européennes serait un signal épatant – aucun des deux, ni même les deux ensemble, ne dispose des moyens nécessaires pour former cette « gauche politique » à partir de rien.

    C’est en partant de la même inquiétude que celle de la Centrale Générale que le MAS appelle déjà depuis quelques années à la création d’un nouveau parti large des travailleurs qui réunirait tous les courants prêts à lutter contre la politique néolibérale. A la suite de la lutte contre le Pacte des Générations, le CAP semblait être un bon début dans cette voie. Hélas, ses responsables, les anciens députés SP.a Sleeckx et Van Outrive et l’ancien secrétaire général de la FGTB Debunne, ont laissé passer les chances aux moments décisifs.

    Le MAS continue de penser que la FGTB doit rompre avec le PS et le SP.a et la CSC avec le CDH et le CD&V. Nous sommes partisans d’un nouveau parti large des travailleurs, construit avec et autour de la base syndicale. Un parti syndical donc, pas dans le sens d’un parti qui traduise politiquement les intérêts de l’appareil syndical, mais bien d’un parti qui donne la parole à ceux qui vivent à la base.

    Un tel parti devrait prendre appui sur la riche expérience de la base syndicale, tant en ce qui concerne son programme que ses principes d’action. Il pourrait sélectionner ses représentants parlementaires suivant les mêmes principes que la FGTB et la CSC quand elles présentent 115.000 candidats lors des élections sociales : des candidats qui représentent leurs collègues à leurs propres risques et sans percevoir le moindre cent ! En gardant pour eux le salaire moyen d’un travailleur, ces représentants élus pourraient consacrer fort utilement le reste de leur salaire de parlementaire à soutenir les travailleurs dans leurs luttes et pour construire le mouvement.

    La présence d’un parti syndical avec de tels principes ferait disparaître les châteaux gonflables que sont la Liste Dedecker et même le Vlaams Belang. Sur le lieu de travail, chaque délégation syndicale est confrontée à des opinions de toutes sortes. Pour être forte face au management et au patron, elle a pourtant besoin d’unité. La seule façon d’atteindre cette unité n’est pas d’imposer le silence sur le lieu de travail mais bien de mener un débat démocratique et, aux moments cruciaux, de prendre les décisions à l’aide de votes démocratiques, ce qui n’empêche pas de rediscuter l’affaire par après, si les conditions se mettent à changer. Pour un parti des travailleurs qui utiliserait ces méthodes démocratiques, la diversité ne constituerait pas une menace mais bien une force.

  • Pauvreté : la révolte gronde et fait peur à certains

    Le secrétaire d’Etat à la pauvreté Jean-Marc Delizée (PS) prépare son plan d’action contre la pauvreté qui sera présenté le 4 juillet. Son principal souci ? Eviter "une révolte des pauvres". Quand on se dit socialiste, ne vaudrait-il pas mieux organiser celle-ci?

    Jean-Marc Delizée a déclaré que "Quinze pour cent des Belges vivent sous le seuil de pauvreté et des dizaines de milliers de personnes avec un emploi s’ajouteront à eux si nous ne faisons rien. (…) Chaque pauvre est un pauvre de trop. (…) Si nous n’y prenons pas garde, d’autres viendront rapidement s’ajouter. (…) Si nous n’entreprenons rien pour augmenter les salaires bruts les plus bas, les gens pauvres de ce pays vont se révolter".

    Tout d’abord, le chiffre de 15% est une grossière sous-estimation (voir ici 3 millions de pauvres en Belgique!). Pour le reste, nous sommes bien évidemment pour une hausse du salaire brut conséquente (nous revendiquons 1 euro de plus par heure en plus de l’indexation avec un index qui reflète le coût réel de la vie ainsi qu’une hausse des allocations sociales), pour tous, et pas seulement pour les salaires les plus bas. La crise du pouvoir d’achat ne crée pas seulement de problèmes à la population la plus précaire. Au regard du "camarade" de Jean-Marc Delizée Guy Quaden, gouverneur de la Banque Nationale et membre du PS, tous les salaires ne sont pas assez élevés (ce fameux Guy Quaden, qui par ailleurs veut s’en prendre à l’index, a gagné en 2007 quelques 474.792 euros brut, c’est-à-dire 4 fois plus que son collègue américain de la Federal Reserve…)

    Mais il nous semble particulièrement intéressant de révéler la panique du secrétaire d’Etat quant il dit que "Si nous n’entreprenons rien pour augmenter les salaires bruts les plus bas, les gens pauvres de ce pays vont se révolter." Un parti qui se dit socialiste devrait justement organiser la révolte pour éviter que la frustration et la colère ne se dilapide inutilement. Mais on sent derrière cette phrase que la préoccupation du secrétaire d’Etat est avant tout de préserver l’ordre établi, de donner une obole aux pauvres pour éviter une remise en question du système.

    S’il fallait encore le démontrer, cette citation illustre que la phraséologie sociale du PS est avant tout sa spécificité dans le panel des partis à la disposition du patronat. Sur le site du PS, dans la partie consacrée au nouveau secrétaire d’Etat à la pauvreté, on peut lire que "Lutter contre la pauvreté et réduire les inégalités, voici un combat qu’il entend mener avec toutes les forces du PS." On se demande ce que le PS va vraiment mettre en œuvre pour réduire les inégalités. Le PS va-t-il mettre à la disposition du mouvement pour le pouvoir d’achat ses moyens financiers gigantesques, ces relais avec les journalistes et ses militants ? Va-t-il oser s’en prendre aux intérêts du patronat qu’il soutien activement (en votant par exemple l’introduction des intérêts notionnels, le Pacte des Générations, la chasse aux chômeurs,…)?

    Nous en doutons, même si le PS en connaît un bout en terme d’inégalités et de pauvreté. La pauvreté a au moins triplé sur ces 20 dernières années, et le PS était au pouvoir (pour un taux officiel – et sous-évalué – de 6% de pauvreté dans les années ’80, nous sommes passés à 15% aujourd’hui, toujours selon la sous-estimation officielle). Le PS va juste s’employer à tenter de faire baisser la vapeur. Les travailleurs et les allocataires n’ont aujourd’hui plus de relais de masse pour porter leurs revendications sur le terrain politique. Il est urgent que les syndicats brisent leurs liens privilégiés avec des partis traditionnels pour qui la moindre parcelle de contrôle qu’ils peuvent encore exercer sur les syndicats est un argument à faire valoir auprès de la classe dirigeante.



    Le MAS propose de considérer les revendications suivantes :

    • Plus de pouvoir d’achat par plus de salaire et des allocations liées au bien-être, pour que nous ne payons pas nous-mêmes nos augmentations comme avec des réductions de taxes : 1€ de plus par heure
    • Un index qui reflète réellement le coût de la vie, pas d’accords all-in
    • Abolition de la norme salariale, des accords interprofessionnels comme dans le passé, avec un seuil salarial et non un plafond (un minimum qui revient à tous, pour que les secteurs faibles puissent en bénéficier également)
    • Pour les collègues qui tombent hors de l’AIP: casser tout les accords salariaux de plus de 2 ans, tel que l’accord 2005-2010 dans le non-marchand
    • Une suppression de la TVA sur les produits de première nécessité
    • Un plan massif de construction de logements sociaux publics

    Pour financer cela :

    • Une forte répression de la grande fraude fiscale
    • Un impôt sur les grandes fortunes

    Ces dernières mois, nous avons pu constater à quel point il est désastreux de laisser des secteurs-clés tels que l’énergie et les banques à l’avidité du secteur privé. Quand des grandes banques se trouvent en difficulté, l’Etat peut alors soudainement intervenir. Pour nous, le contrôle de tels secteurs revient à la collectivité. Nous plaidons donc pour leur nationalisation sous le contrôle démocratique du mouvement ouvrier et de toute la collectivité.

  • Une semaine d’action qui en veut plus !

    La discussion se poursuit au sujet de l’estimation la plus correcte du nombre de participants à la semaine d’action des syndicats. Les sous-évaluations auxquelles la presse a eu recours, parfois en mentionnant plus de participants dans l’article que dans le titre, ont disparu. Les politiciens, la presse et même les patrons n’osent plus remettre en question que le mouvement pour le pouvoir d’achat est porté par la base, plus d’ailleurs que ce qu’avaient imaginé les dirigeants syndicaux dans un premier temps.

    Même le dirigeant de la CSC Luc Cortebeeck a reconnu dans le quotidien flamand De Morgen qu’il y a eu «plus de monde qu’attendu». Jusqu’à trois ou quatre fois plus même. Les chiffres varient de 80 à 100.000. Liège et Anvers ont ouvert la danse, les gens y étaient bien conscients qu’ils allaient donner le ton pour le reste de la semaine. La semaine précédente, la délégation de GM avait précisé que seule la délégation allait manifester, mais par la suite, l’usine a été fermée sous la pression de la base. La même chose s’est passée à Atlas Copco, et dans d’autres entreprises anversoises aussi, la volonté de passer à l’action a dépassé toutes les attentes. Résultat : 7.500 participants, bien plus que toutes les prévisions.

    A Liège, il y a eu pas moins de 25.000 manifestants. Qui a prétendu que « le débat sur le pouvoir d’achat » n’était pas lancé en Wallonie ? Il est exact de dire que la vague de grève du début de cette année dans environ 70 entreprises principalement flamandes ne s’est pas étendu vers la Wallonie et Bruxelles. Cela peut partiellement s’expliquer par le haut taux de chômage dans ces deux régions, par le retard économique et par le fait que les travailleurs wallons et bruxellois ont ces dernières années été systématiquement brutalisés par la presse, les patrons et les politiciens. Toutefois, dès qu’un mot d’ordre arrive, le mouvement se généralise, les gens n’ont plus alors la responsabilité du retard de la région entière placée sur leurs épaules en tant que délégation et les traditions de lutte des travailleurs wallons ressurgissent alors pleinement.

    LES GRÈVES ET LES MANIFESTATIONS « DÉMODÉES » RAPPORTENT PLUS QUE LES ACTIONS « LUDIQUES ».

    Le Hainaut a été à la hauteur des camarades liégeois, il y avait 20.000 manifestants à Mons. Quelle différence avec les 2.500 participants à « Foodstock », à Gand. Les régions qui ont opté pour des combinaisons classiques et « démodées » de grèves et de manifestations ont eu un résultat beaucoup plus grand que les régions qui ont privilégié les actions « nouvelles et ludiques », comme en Flandre Orientale, ou pire encore avec les randonnées à bicyclette et autres actions aux grandes surfaces à Bruges et Courtrai. Qui avait auparavant participé à la manifestation de Mons avec ses 20.000 participants a dû se sentir bizarre à Courtrai au milieu de 500 participants. Nous avons beaucoup entendu des remarques sur le fait que nous ne sommes pas dans un syndicat pour faire la fête ou des excursions, mais bien pour protéger notre travail et nos salaires.

    De toute façon, le ton a été donné. À Hasselt, il y a eu 3 à 4.000 participants, dont beaucoup de délégations d’entreprises entièrement ou partiellement stoppées, entre autres le sous traitant de Ford Lear Corporations. À Namur, nous avons été 4.500, avec quelques légers débordements d’une dizaine de syndiqués, ce qui a été présenté plus tard dans la presse comme des « émeutes ». Arlon a connu sa plus grande manifestation depuis 1977, depuis la fermeture de la société métallurgique d’Athus. À Bruxelles, où les syndicats avaient dans un premier temps fixé un quota de 1000 manifestants chacun, les directions syndicales ne pouvaient pas se permettre de perdre la face au regard des autres régions. Malgré la pluie battante, nous avons été 10.000 et beaucoup d’autres sont restés dans les commerces environnants ou se sont abrités dans les métros ou les gares.

    LE NOMBRE DE JEUNES ET DE FEMMES A ETE FRAPPANT

    A chaque manifestation, le nombre de jeunes participants a été frappant. Beaucoup venaient d’être élus au cours des récentes élections sociales et ont considéré une manifestation syndicale pour le pouvoir d’achat comme le prochain pas logique de leur engagement. Un grand nombre s’est adressé à nos militants afin de demander où leur délégation se trouvait ou encore où ils pouvaient encaisser l’indemnisation de grève, indépendamment de leur couleur, rouge ou verte. À la base, la couleur ne fait souvent pas de différence, on considère soi-même et autrui avant tout comme des travailleurs qui sont dans le même bateau. Beaucoup de femmes étaient présentes également, et c’est une donnée relativement nouvelle dans ce genre de mobilisation.

    Il fallait chercher loin l’affinité avec le CDH chez beaucoup de militants CSC, ce qui est un changement remarquable en comparaison des années de la coalition violette. L’attachement de militants FGTB au PS était aussi à un point historiquement bas. Le peu de mandataires PS présents doivent aussi l’avoir senti et ils sont restés étonnamment discrets. En Flandre, SPa-Rood, qui a bénéficié d’une certaine attention des médias ces derniers mois, n’a pas été aperçu, nous n’avons même pas vu un tract.

    LES PATRONS SOUFFLENT LE CHAUD ET LE FROID

    Du côté patronal, on a eu très peur. On ne parle plus de « l’hystérie de pouvoir d’achat ». La parution d’innombrables « études » sensées nous montrer que la situation s’est améliorée pour nous tous ne prend plus. Qu’en ’83 nous devions travailler aussi longtemps qu’aujourd’hui pour acheter une voiture, cela est bien possible, mais depuis lors, sur le même laps de temps, nous produisons beaucoup plus qu’en ‘83. On sait tous que les patrons sont pour le progrès, mais qu’ils veulent exclusivement mettre dans leur propre poche tout ce que rapporte ce progrès, nous ne devons pas être d’accord avec ça.

    Il y a même eu une étude qui a comparé nos habitudes alimentaires avec celles du siècle dernier. Et devines quoi, nous avons consacré à ce moment-là une plus grande partie de notre revenu à la nourriture comparé à aujourd’hui. Nous supposons que les auteurs ne plaident pas pour envoyer à nouveau les enfants dans les puits de 8 jusqu’à 12 heures par jour, 6 jours par semaine. Quant aux vacances, nous consacrons en moyenne 2.000 euros pour les voyages. Est-ce qu’on a comparé les prix des hôtels par rapport à il y a quelques années, ou encore le prix d’un billet d’avion ou d’une assurance de voyage ? Si nous consacrerions aujourd’hui environ autant qu’en ’83 en voyages, alors nous serions tous stockés dans des tentes sur un terrain de scouts dans les Ardennes ou à la mer.

    Le président français Sarkozy, pourtant bien à droite, veut abaisser la TVA sur les combustibles. Le ministre italien des finances, tout aussi à droite, veut même instaurer une taxe à la Robin des Bois sur les bénéfices des sociétés pétrolières. En bref, ça panique du côté patronal, comme le reflètent Sarkozy & Co. Dans ce cadre, même la commission européenne s’est sentie obligée d’intervenir, et son côté néolibéral est tout de suite apparu. Au Sommet européen des ministres du travail, il a été décidé d’autoriser un temps de travail pouvant aller jusqu’à 48 heures par semaine, jusqu’à 60 heures même dans certains cas, et même jusqu’à 65 heures pour les métiers qui comprennent un temps d’attente « inactif ». Joëlle « Madame Non » Milquet a été contre, mais n’a malheureusement pas voté non et s’est abstenue. Le Sommet des ministres européens des finances veut débattre, sur proposition de Reynders, du « mécanisme d’indexation », et ce ne sera pas pour l’améliorer. La Banque Centrale Européenne risque d’augmenter les taux d’intérêt si les gouvernements européens ne tiennent pas sous contrôle leurs prix et surtout les salaires. Est-ce encore surprenant si les Irlandais, les seuls qui ont pu se prononcer via un référendum au sujet du Traité de Lisbonne, ont – heureusement – rejeté ce Traité?

    LETERME I : UN MILLIARD D’EUROS POUR LE POUVOIR D’ACHAT, 3,5 MILLIARDS D’EUROS POUR LES PATRONS

    Leterme nous « comprend », mais n’a malheureusement pas de sous. « Il n’y a aucun gouvernement au monde » prétend-il, « qui peut compenser à 100% la perte du pouvoir d’achat par la hausse des prix du pétrole ». Grâce à l’index, 1 milliard d’euros a déjà été injecté dans le pouvoir d’achat, ajoute-t-il, comme si ce à quoi nous avons droit avec l’indexation était un cadeau personnel de sa part. Avec le dépassement de l’index pivot, les salaires des fonctionnaires augmenteront de 2%, ce qui représente des coûts supplémentaires de 25 millions d’euros mensuellement, soit 300 millions d’euros par an. De plus, il y a encore 700 millions d’euros qui partiraient vers l’indexation des allocations sociales comme les retraites et les allocations familiales.

    En sachant que les 30.000 plus grandes entreprises ont de nouveau réalisé l’année précédente un bénéfice record d’au moins 77 milliards d’euros et que les entreprises du Bel 20 ont rapidement distribué 50% de leurs profits en dividendes, alors on se rend compte combien les paroles de Leterme sonnent creux. L’ancien leader étudiant de mai ’68 en Belgique et membre du PS Guy Quaden, le gouverneur de la Banque Nationale, accourt aujourd’hui à l’aide de Leterme. Il affirme vouloir partiellement réviser le mécanisme d’indexation en supprimant ou en révisant fortement l’indexation pour les hauts salaires. Bref, il donne à Leterme le moyen de s’en prendre à l’indexation sans que cela ne soit de prime abord une menace pour les bas revenus. Quaden brode en fait aujourd’hui sur base de l’idée de Caroline Ven – ancienne chef des services d’études de la FEB et du VKW (fédération patronale catholique flamande) et actuelle économiste en chef de Leterme, étiqueté « CSC » – qui a reproché aux militants syndicaux de monter aux créneaux uniquement pour les privilégiés alors que certains allocataires ont vraiment difficile. Nous nous sommes alors demandé si Caroline Ven manifestera autant de préoccupations pour eux quand le gouvernement mènera demain sa politique de suspension vis-à-vis des chômeurs et des invalides…

    PS, SPa, ECOLO : DE PETITES MESURES POUR DE PETITES INTERVENTIONS DANS LES JOURNEES D’ACTION

    Du côté de la social-démocratie, l’imagination est au pourvoir, suivant l’exemple de leur représentant à la direction de la Banque Nationale. Le SPa a ainsi trouvé des solutions qui ne coûtent pas un euro, en s’appuyant sur l’exemple de différentes mesures prisent dans des pays européens. De son marché aux mesures, le SPa est revenu avec l’idée d’instaurer un blocage des prix pour le gaz et l’électricité, de manière temporaire… en attendant une vraie libéralisation du secteur de l’énergie ! Autre proposition, donner plus de pouvoir au Creg (la Commission de régulation des prix de l’énergie) et à la commission de régulation de l’énergie. Cela ne coûte effectivement rien… Les pouvoirs étendus du service de répression à la fraude fiscale n’empêchent pas, faute de moyens et de volonté politique (et pas que de la part du parti du ministre des finances…), qu’environ 30 milliards d’euros par an (selon la CGSP-Finances) restent dans les poches des grandes entreprises plutôt que de revenir à la collectivité.

    Le Parti Socialiste revendique pour sa part une hausse des allocations, le renforcement des mécanismes de régulation et de contrôle pour empêcher les pratiques spéculatives et abusives de la part des patrons et veut aussi s’en prendre aux parachutes dorés. Plus concrètement, il affirme aussi vouloir rénover 35.000 logements par an pour les isoler énergétiquement, ce qui pourrait créer 16.000 emplois, et travaille encore à un bonus net de 1.250 euros. Enfin, le PS revendique, tout comme le PTB, la réduction de la TVA sur le gaz et l’électricité de 21% à 6%. Bien peu de choses en définitive, avec le grand avantage que ces propositions ne sont pas chiffrées pour la plupart. Du reste, elles ne font que s’ajouter à la montagne des revendications promises à être sacrifiées sur l’autel de la participation gouvernementale. Pour ne pas tomber du navire, il vaut mieux ne pas trop s’accrocher à ce que les partenaires veulent lancer par dessus bord.

    On a aussi fort peu vu le PS et le SP.a dans les mobilisations de la semaine d’action. Quelques mandataires ont bien fait leur apparition (sous les huées dans le cas du Bourgmestre Willy Demeyer à Liège) mais aucune intervention organisée n’a pu être vue. Pourtant, ces partis ont démontré que de l’argent, ils en ont (assez en tout cas pour leurs campagnes électorales), mais visiblement pas encore suffisamment assez pour participer à la construction du mouvement. Ou bien alors ne faut-il pas à leurs yeux trop développer ce mouvement pour le pouvoir d’achat qui, à chaque pas, les pousse un peu plus dans leurs contradictions. On a beaucoup parlé de la déduction des intérêts notionnels durant cette semaine, mais cette mesure n’a pas été approuvée que par la droite officielle. Comme toute la coalition violette l’a votée, PS et SPa ont accordé avec cette seule mesure entre 2,4 et 3,5 milliards d’euros (les estimations varient) aux patrons. On attend en vain quelque chose de cette ampleur aujourd’hui pour le pouvoir d’achat. Mais cela n’en étonnera pas beaucoup en souvenir du Pacte des Générations, de la chasse aux chômeurs, des différentes privatisations des services publics, des attaques dans l’enseignement,… Les attaques contre Reynders & Co sont opportunément utilisées pour masquer les responsabilités de ces partis.

    Ecolo, au contraire de Groen !, était présent à quelques manifestations avec de (très) petites délégations et de (gros) drapeaux. Mais si le parti « écologiste » a fait parlé de lui durant cette semaine, c’est surtout par l’intermédiaire de son ancien secrétaire fédéral (durant la participation électorale d’Ecolo…) et actuellement président au CPAS de Namur, Philippe Defeyt, responsable de l’étude sur le temps de travail nécessaire pour pouvoir acheter un bien aujourd’hui comparé à ‘83. Pour le reste, dans son tract, Ecolo précise qu’il veut relever les bas salaires, augmenter les allocations sociales, organiser un contrôle des prix, supprimer la redevance télé, développer les transports en commun, entre autres mesures pour favoriser l’isolement énergétique des habitations par des primes. Mais tout comme pour le PS, rien n’est précisé sur celui qui va devoir payer tout cela, ni par quels moyens Ecolo compte imposer ces mesures. Mis à part en appelant les gens à voter pour lui bien entendu.

    C’est en fait surtout là que se trouve le but des partis traditionnels, avancer des (légères, très légères) mesures, et reprocher ensuite aux électeurs de ne pas avoir assez voté pour eux. Une méthode originale pour faire retomber la responsabilité de leur soutien aux politiques néolibérales sur les électeurs. Pourtant, les partis traditionnels n’ont pas leur pareil pour faire venir la presse chez eux pour qu’elle relaye leurs propos. Pourquoi ne pas avoir utilisé leur influence sur les journalistes et leur position pour réellement relayer les positions des syndicats ? Pourquoi ne pas avoir par exemple protesté contre les mensonges que l’on a pu lire sur les « émeutes » à Namur ?

    QUE RESTE-T-IL A GAUCHE ?

    En définitive, seuls le Parti du Travail de Belgique et le Mouvement pour une Alternative Socialiste sont intervenus dans les mobilisations en nombre et en tant que force organisée en Wallonie, à Bruxelles et en Flandre.

    L’intervention du PTB, dans la lignée du tournant officialisé lors de leur dernier Congrès, était particulièrement remarquable dans la mesure où elle rappelait plus celle d’un parti traditionnel que celle d’un parti de lutte. Nous avons ainsi peu vu de vendeurs du journal du PTB, Solidaire, et à certains endroits, les militants du PTB ont distribué des pommes de terre, comme lors de la manifestation du 15 décembre 2007, en référence à leur campagne dont l’illustration est composée d’une pomme de terre, d’un jerrican et d’une ampoule protégées par des préservatifs.

    Leur tract se concentrait sur trois revendications assez correctes, sous le titre «Moins de blabla, préservons notre pouvoir d’achat». Le PTB exige en premier lieu, comme le front commun syndical et le PS, la diminution de la TVA sur le gaz et l’électricité de 21% à 6%. Ce thème est à la base de la pétition initiée par le PTB qui vise à réunir 100.000 signatures et qui a été la principale activité des membres du PTB durant la semaine d’action. Nous n’avons rien contre cette revendication, mais ce n’est pas un hasard si c’est justement celle-là qui a été reprise par le PS… L’abolition pure et simple de la TVA sur les produits de première nécessité aurait été une exigence plus à la hauteur du mouvement. Le PTB revendique aussi une forte hausse des salaires, de 1 euro par heure, qui est également à la base de notre campagne, tandis que la dernière exige un contrat à durée indéterminée pour chaque travailleur qui passe plus de 60 jours chez le même employeur. Aucune indication ne figurait par contre sur la manière de construire le mouvement, de même qu’il n’y avait aucune critique à l’encontre des directions syndicales.

    POUR LA LUTTE, LA SOLIDARITE ET LE SOCIALISME

    Le MAS/LSP a pu être présent à toutes les manifestations, à l’exception de celle d’Arlon. Nos camarades y sont activement intervenus, en diffusant 448 exemplaires de notre mensuel, l’Alternative Socialiste. Le temps aurait été plus favorable lors de la dernière journée à Bruxelles, il ne fait aucun doute que nous aurions pu atteindre les 550 ou même les 600 journaux.

    Le tract que nous avons distribué a été bien reçu et est à la base, tout comme notre journal, d’innombrables discussions avec des syndicalistes de tous âges et de tous lieux. Il était axé sur la dénonciation du marché « libre », sur le soutien aux actions syndicales, mais en mettant en avant que c’est à la base de décider et qu’elle doit être impliquée dans l’élaboration d’un plan d’action. Les revendications proposées à être considérées par la base syndicale étaient consacrées à une augmentation salariale d’au moins un euro par heure, à l’introduction d’un index qui reflète réellement le coût de la vie, à l’abolition de la norme salariale pour en revenir à un seuil d’augmentation salariale et non à un plafond, au refus des accords salariaux portant sur plus de deux ans, à la suppression de la TVA sur les produits de première nécessité ainsi qu’à un plan massif de construction de logements sociaux publics. Pour financer ces mesures, nous proposons d’instaurer un impôt sur les grandes fortunes et d’augmenter fortement la répression de la grande fraude fiscale. Enfin, nous avons mis en avant que les secteurs clés de l’économie ne doivent pas être laissés à la merci de la soif de profit du secteur privé, et avons donc plaidé pour la nationalisation de ces secteurs sous le contrôle démocratique du mouvement ouvrier et de toute la collectivité.

    COMMENT CONTINUER ?

    Pour la suite des actions, la volonté de lutter massivement pour notre pouvoir d’achat doit être gardée à l’esprit. C’est un rapport de force puissant qui a commencé à se construire, mais rien n’est encore garanti. Pour ne pas que la pression retombe, un bon moyen serait de lancer des différentes délégations une motion pour une journée d’action nationale à l’automne, avec un mot d’ordre de grève. Un tel outil permettrait de continuer à mobiliser dans les entreprises sur base de l’enthousiasme qui est issu de la première semaine d’action sur le pouvoir d’achat.

    Mais il reste frappant de voir que le mouvement ouvrier ne possède pas de large relais politique propre. La question qui se pose aujourd’hui est la même que celle qui s’était posée lors des luttes contre le Plan Global. Comme personne ne représente les syndicats au Parlement, le gouvernement n’a qu’à attendre que l’orage passe pour ensuite, comme au temps du Pacte des Générations, voter le tout malgré l’opposition de centaines de milliers de travailleurs. Un parti de type « syndical » serait une aide précieuse pour ne pas laisser les partis traditionnels continuer leurs petits jeux en étant seuls à occuper la scène politique. La CSC et la FGTB ont réuni pour les dernières élections sociales 115.000 candidats pour les Conseil d’Entreprises et les CPTT. Ces 115.000 personnes vont représenter les travailleurs sans recevoir un centime de plus. Ce qu’il nous faut, ce sont des représentants politiques de cette sorte. Puisons dans ces 115.000 là pour nous représenter au niveau politique de la même manière qu’ils nous représentent dans les entreprises. Payés au même salaire qu’un travailleur, le reste de leurs salaires de parlementaire pourrait être reversé à une caisse pour les actions de ceux qui sont obligés de se défendre contre les agressions patronales.

    Il faut imaginer l’impact qu’aurait eu une telle formation dans les journées précédent la semaine d’action ou durant celle-ci pour populariser les actions auprès des couches larges de la population et pour contrer l’argumentaire patronal qui est seul à s’épanouir dans la presse traditionnelle. Dans une telle situation, les ballons De Decker ou Vlaams Belang se videraient très vite. Une pétition revendiquant que les syndicats rompent leurs liens privilégiés avec la social-démocratie pour la FGTB et avec la démocratie-chrétienne pour la CSC serait un bon instrument pour continuer cette discussion.

    > Tous les rapports et reportages photo de la semaine d’action pour le pouvoir d’achat du 9 au 12 juin.

  • Pas d’attaque contre l’index, pas d’accords all-in

    Plus de pouvoir d’achat par plus de salaire!

    Le patronat se prépare déjà aux négociations pour l’Accord Interprofessionnel (AIP) de cet automne. Il a reçu l’aide de ses amis de la Banque Centrale Européenne et de la Banque Nationale, qui ont déclaré vouloir réduire les effets de l’index ou même carrément l’abolir… Cependant, la vraie cible de ces propos n’est pas l’index en lui-même, mais bien la prochaine norme salariale.

    Geert Cool

    S’attaquer à l’index avec des accords all-in?

    L’index a de toute façon été déjà bien attaqué. L’index-santé, introduit dans les années ’90, ne reprend plus l’essence, le diesel, le tabac et l’alcool. Début 2006, le contenu du « panier de la ménagère » qui sert de référence pour calculer l’index (et ses augmentations) a été « adapté », en mettant davantage l’accent sur certains produits de luxe dont les prix ont baissé (lecteurs DVD, télévisions, etc.)

    Guy Quaden, le gouverneur de la Banque Nationale (membre de longue date du PS) a réagi aux critiques de la Banque Centrale Européenne en déclarant que l’index avait suffisamment été démantelé pour ne plus constituer un «danger»… tout en affirmant que le principe même de l’indexation automatique devrait être rediscuté ! Le but de cette mascarade est limpide : ce n’est pas l’index qui est visé, mais bien les cadeaux que le patronat désire obtenir à l’occasion des négociations de l’Accord Interprofessionnel (si toutefois il y a accord, car il est en fait probable que le gouvernement doive lui-même faire imposer un «accord» comme en 2006).

    Le système des accords all-in, où les augmentations d’index sont partiellement ou entièrement supprimées dès qu’est atteint un «plafond» d’augmentation fixé dans l’accord salarial, est une autre manière de miner l’index. Dans l’AIP précédent (2007-2008), une norme salariale de 5% était prévue pour les augmentations de l’index et des salaires. Mais selon le Bureau du Plan, au cours de cette période, l’augmentation de l’index sera à elle seule de 5,1% (Agoria, la fédération des entreprises du secteur technologique, parle plutôt de 5,6%). Dans plusieurs secteurs, cela a déjà des conséquences inouïes. Dans le secteur de la construction par exemple, une indexation supérieure à 5% n’est plus autorisée ! Dans d’autres secteurs, aucune augmentation autre que l’index ne sera accordée, ce qui signifie une réelle détérioration au vu du détricotage de l’index (l’augmentation réelle des prix, sur base annuelle, est de 4,39%, plus que l’augmentation effectuée via l’index).

    Dans le contexte des augmentations de prix de ces derniers mois, il va être plus difficile pour le patronat de conclure des accords all-in. Gilbert De Swert, de la CSC, a déjà déclaré que : « Les syndicats vont dire non, plus qu’avant, parce qu’ils ont vu la récente augmentation de l’inflation, qui a coulé les accords salariaux dans certains secteurs à un moment où les travailleurs ont plus de plaintes que de pouvoir d’achat ».

    Le patronat veut des diminutions de charges pour les bénéfices et les gros salaires des cadres

    2007 a été de nouveau un excellent cru pour les profits : les actionnaires des entreprises belges cotées en Bourse ont obtenu 10,2 milliards d’euros de dividendes (une augmentation de 42% en comparaison avec 2006). C’est à peu près la moitié des profits qui va ainsi vers les actionnaires. Les cadres de haut vol peuvent aussi se rassasier à la mangeoire des gros profits. Gilbert De Swert dit à ce titre : «Les entreprises ne savent plus aujourd’hui que faire avec tout leur argent, mais, à les écouter, le moindre centime d’euro de plus en charge salariale leur coûterait toute leur compétitivité et tout notre emploi.»

    Le patronat revendique toutefois encore de nouvelles diminutions de charges et ce sera probablement un élément central dans leur paquet de revendications pour l’AIP. Ces diminutions de charges doivent donner aux travailleurs l’illusion qu’ils vont avoir un salaire net plus élevé alors qu’à long terme, cela limite les dépenses du patronat. Cela devra être payé d’une manière ou d’une autre, comme on peut déjà le voir avec les services publics libéralisés (énergie, télécommunications, et graduellement La Poste) Les diminutions de charges et autres recettes néolibérales mènent justement à l’aggravation des problèmes de pouvoir d’achat.

    Il faut organiser la résistance

    Le patronat fait tonner son artillerie pour peser sur les discussions. Les syndicats vont devoir faire quelque chose en réponse à cela s’ils veulent, eux aussi, construire un rapport de forces. De ce côté, après la manifestation du 15 décembre, le silence a régné longtemps. L’idée de journées d’action régionales après les élections sociales et d’une manifestation nationale en automne est certainement positive, mais il va falloir mener une véritable campagne.

    Les actions essentiellement spontanées qui se sont déroulées en Flandre autour du pouvoir d’achat illustrent que ce thème est très sensible. La seule manière d’améliorer effectivement le pouvoir d’achat est d’augmenter les salaires et les allocations. Une offensive pour plus de pouvoir d’achat pourrait compter sur un large soutien et une implication active. Qu’attend-on pour l’organiser ?

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