Tag: Union Européenne

  • Pour une enquête indépendante sur le massacre de Melilla

    Image tirée d’une vidéo de l’organisation de défense des droits de l’homme AMDH

    Le 24 juin, au moins 37 migrants ont été tués alors qu’ils tentaient de franchir la frontière entre le Maroc et l’Espagne. Des centaines de personnes ont été blessées. Beaucoup ont été écrasées entre des barrières de trois mètres de haut lorsque les gardes-frontières marocains ont utilisé des matraques et des gaz lacrymogènes contre. Des protestations ont éclaté dans tout l’État espagnol.

    Par John Hird (Alternativa Socialista, ASI dans l’État espagnol)

    Melilla est l’enclave espagnole au Maroc, et l’une des deux seules frontières terrestres entre l’Afrique et l’Europe. Les actions des forces de police, qui ont conduit à un massacre, ont été mises en lumière par les images qui ont circulé sur les réseaux sociaux et dans les médias. Ces décès sont dus à la politique de l’Union européenne, mise en pratique par les États espagnol et marocain.

    Nous soutenons les appels des organisations de défense des droits de l’homme en faveur d’une enquête judiciaire indépendante immédiate, tant au Maroc et en Espagne qu’au niveau international, afin de faire toute la lumière sur cette tragédie. Une enquête indépendante devrait impliquer des représentants des migrants, des syndicats et des ONG.

    Le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, et le ministre des Affaires étrangères, José Manuel Albares, ont honteusement loué la “coopération” de la gendarmerie marocaine et de la Guardia Civil pour mettre fin aux nombreuses tentatives des migrants de franchir la clôture de Melilla. La première réaction de M. Sánchez a été de décrire l’événement comme une opération “bien résolue”. Ce sang-froid n’est pas seulement une honte, il ignore aussi complètement la brutalité des forces espagnoles et marocaines.

    La responsabilité de ces événements n’incombe pas aux migrants qui tentent de fuir des guerres ou de terribles famines, mais à la politique européenne de fermeture des frontières, qui ne laisse d’autre choix aux migrants que de franchir les barrières, au péril de leur vie. Une partie de l’histoire officielle consiste à justifier les événements par la prétendue violence des migrants, ce qui ne correspond pas à la réalité, que ce soit dans ce cas ou à d’autres occasions.

    Les gouvernements de l’UE sont totalement hypocrites, car ils sous-traitent le contrôle des frontières à des gouvernements tels que celui du Maroc par le biais d’accords scandaleux. Il est également hypocrite de traiter les Africains si différemment de ceux qui ont dû quitter l’Ukraine. Il s’agit d’une politique de deux poids deux mesures raciste et les migrants survivants du côté espagnol de la frontière protestent contre cette situation.

    Le gouvernement marocain a agi rapidement pour dissimuler le massacre. Dans une action macabre, le week-end dernier, ils ont ordonné aux travailleurs de creuser des puits pour enterrer les victimes. L’Association marocaine des droits de l’homme (ADHM) a déclaré qu’aucune autopsie n’avait été pratiquée et que l’identité des personnes tuées lors de la tentative de saut de la clôture n’avait pas été établie.

    Du côté espagnol, 106 personnes ont été légèrement blessées, 49 agents de la Guardia Civil et 57 migrants, dont trois ont dû être transportés à l’hôpital régional. Un millier de migrants ont été arrêtés au cours de l’opération.

    Selon les informations disponibles, les victimes ont été écrasées et étouffées par la foule après avoir été piégées dans une ouverture devant la clôture, du côté marocain, où une grande masse humaine s’est formée avec les personnes qui arrivaient encore et celles qui sont tombées de la clôture.

    L’ADHM a publié une vidéo montrant des dizaines de personnes allongées sur le sol, entassées, certaines blessées, près de la clôture et gardées et battues par des policiers marocains.

    Cette tentative a été marquée par une brutalité policière généralisée, notamment du côté marocain, où des combats avaient eu lieu dans les montagnes près de Melilla les jours précédents et également près de la barrière frontalière vendredi matin.

    Les événements horribles de Melilla et l’attitude insensible de Sánchez provoquent de nouvelles tensions au sein de la coalition PSOE-UP. L’UP demande des éclaircissements et une enquête sur ce qui s’est réellement passé. Un ministre de l’UP a été empêché de s’exprimer lors d’une conférence de presse du gouvernement lorsqu’on lui a posé des questions directes sur ce qui s’est passé à Melilla.

    De nombreuses actions ont été menées dans l’État espagnol. Les gens brandissaient des banderoles avec des slogans tels que “Des papiers pour tous”, “Punir les meurtriers, pas les migrants”, “Les vies noires comptent”, “Personne n’est illégal”, “Maroc et Espagne : gendarmes meurtriers de la forteresse Europe” et “Régularisation maintenant”.

    Les organisateurs des manifestations organisées dans toute l’Espagne dénoncent à juste titre la politique migratoire actuelle, qu’ils jugent mortifère. C’est pourquoi ils ont lancé de nouvelles manifestations contre le massacre de Melilla, avec le slogan “Plus de morts aux frontières”.

    Nous rejetons la politique raciste et xénophobe de l’UE, mise en œuvre par l’État espagnol. Il s’agit d’une politique qui punit les populations subsahariennes pour le “crime” d’être pauvres et noires. Justice pour les victimes de Melilla ! Au lieu de ces conditions inhumaines, de la violence et de l’injustice, nous appelons à l’internationalisme et au socialisme dans tous les pays.

  • Brexit : un accord sans gagnant


    Quatre ans et demi après le vote de départ de l’Union européenne, un accord commercial a finalement été conclu à la onzième heure avant l’échéance du 31 décembre 2020 fixée par Boris Johnson. Le Parlement n’a eu que quelques jours pour examiner l’accord avant de le ratifier, une parodie de la narration des conservateurs de droite pour lesquels le Brexit visait à “reprendre le contrôle”.

    Par Sarah Wrack, Socialist Alternative (ASI en Angleterre, Pays de Galles et Écosse)

    Les sondages de YouGov ont montré que la majorité des sondés désirait que l’accord soit adopté indépendamment de la façon dont ils ont voté lors du référendum ou des élections générales. Et ce en dépit du fait que très peu (17%) estimaient qu’il s’agissait d’un bon accord pour la Grande-Bretagne. Le Premier ministre Boris Johnson semble avoir espéré qu’attendre la dernière minute pour faire des concessions sur la pêche le ferait apparaître comme un héros remportant l’accord sur le fil. Si c’est effectivement le cas, la déception l’attend. On ne trouve aucune euphorie ni chez les grandes entreprises ni chez les travailleurs. Les sentiments qui dominent sont plutôt d’une part celui du soulagement que le long et fastidieux processus soit terminé et d’autre part, en raison également de la crise sanitaire, que l’incompétence des Conservateurs n’a pas de limite.

    Tout cela peut se transformer en colère lorsqu’il deviendra plus clair pour un plus grand nombre de personnes que le processus est en fait loin d’être terminé ! L’accord qui a été conclu est incroyablement mince, il manque de précisions sur un vaste nombre de questions. Les négociations vont probablement se poursuivre pendant des années encore. Alors que certains ont voté pour quitter l’UE en espérant moins de bureaucratie et de “paperasserie”, l’accord a donné naissance à tout un réseau de groupes de travail et de comités mettre au point une multitude de détails.

    Les gagnants et les perdants

    Cette manière de laisser nombre d’aspects ouverts a permis de conclure l’accord. Ce dernier est suffisamment vague pour que les deux parties puisse revendiquer la victoire. Par exemple, l’une des grandes questions des négociations concernait la garantie qu’aucune partie ne puisse obtenir un avantage “injuste” en modifiant sa législation sur le travail, l’environnement ou les aides d’État. L’accord prévoit le maintien des normes existantes, mais avec le droit de diverger à l’avenir si le gouvernement britannique le souhaite (et de risquer alors de se voir imposer des droits de douane si ces divergences sont considérées comme une menace pour le marché unique de l’UE). L’UE peut donc se prévaloir d’un succès parce que la Grande-Bretagne n’a pas été autorisée à accéder au marché unique avec le droit de fixer les règles qu’elle souhaite. Mais le gouvernement Johnson peut prétendre au succès parce qu’il a obtenu le “droit” pour le Royaume-Uni de prendre ses propres décisions sur ces questions, ce qui était considéré comme politiquement vital pour apaiser de quelque manière que ce soit la base de soutien des conservateurs autour de la “souveraineté”.

    La réalité est à l’opposé : aucun des deux camps n’est vainqueur. L’UE est convaincue que le résultat n’a pas fait de cette sortie une perspective attrayante pour les autres États membres, mais elle est très certainement affaiblie par la perte de l’une de ses plus grandes économies et d’environ un quart des dépenses de défense de l’UE.

    Du point de vue du capitalisme britannique, si la catastrophe d’une situation sans issue a été évitée, il y aura de nouvelles barrières commerciales contrairement aux déclarations de Boris Johnson. De nouveaux contrôles douaniers seront introduits et des restrictions imposées sur certains produits, tout particulièrement concernant l’alimentation. L’inévitable surcroît de bureaucratie que cela implique risque d’entraîner des problèmes logistiques, des retards, etc. mais aussi une augmentation des coûts et du temps consacrés à la paperasserie.

    Toute tentative de répercuter ces coûts sur les travailleurs par des hausses de prix, des suppressions d’emplois ou des réductions de salaires doit être combattue avec acharnement par les syndicats. Il n’y a pas non plus de reconnaissance automatique des qualifications professionnelles et des restrictions seront imposées aux entreprises britanniques qui vendent des services en Europe, surtout pour les services financiers de la classe capitaliste (en valeur, les services représentent 50 % des exportations britanniques).

    L’Irlande du Nord

    L’un des changements les plus importants est la mise en œuvre du protocole sur l’Irlande du Nord. Pour éviter les implications politiques et sociales du durcissement de la frontière sur l’île d’Irlande, l’Irlande du Nord restera dans le marché unique des marchandises de l’UE, et il existe désormais une frontière réglementaire le long de la mer d’Irlande. L’assemblée d’Irlande du Nord se prononcera également tous les quatre ans sur le maintien de ces dispositions, ce qui signifiera une bataille sectaire régulière concernant la frontière irlandaise, mais aussi la perspective d’un durcissement de la frontière nord/sud à l’avenir.

    Des contrôles seront effectués sur certaines marchandises circulant entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord, et il est déjà signalé que certaines petites entreprises ont cessé d’approvisionner l’Irlande du Nord en raison de l’augmentation des coûts que cela représente. Si certaines industries d’Irlande du Nord peuvent bénéficier d’un accès aux deux marchés, dans d’autres, il subsiste un risque accru de suppressions d’emplois et de fermetures d’entreprises, auquel il faut résister.

    Pour de nombreux travailleurs protestants d’Irlande du Nord, le nouvel arrangement ressemble à une “Irlande économique unie” et constitue une étape supplémentaire pour les pousser dans une Irlande unie dans laquelle ils seront une minorité marginalisée. La République d’Irlande a accepté de prendre en charge les coûts des étudiants d’Irlande du Nord pour maintenir l’accès au programme Erasmus et pour que les voyageurs aient accès aux services de santé européens. Bien que l’approche du DUP (Parti unioniste démocrate, en anglais Democratic Unionist Party) semble pour l’instant minimiser cet aspect, ils peuvent utiliser les nouvelles dispositions pour attiser davantage les tensions sectaires à l’avenir lorsque cela répondra à leurs besoins politiques. Une approche socialiste reposant sur la solidarité et l’unité de la classe ouvrière au-delà des clivages sectaires est essentielle.

    Et maintenant ?

    Le refrain commun des politiciens capitalistes par-delà les clivages politiques et nationaux est de mettre Brexit derrière eux. Ce processus qui a duré des années les a encore plus exposés, eux et leur système, comme incapables de résoudre les problèmes de la masse des gens ordinaires. Comme nous l’avons souligné, les facteurs qui ont contribué à ce que de nombreuses personnes votent pour quitter l’UE en 2016 – pauvreté, travail précaire, bas salaires, services publics décimés et sentiment d’aliénation par rapport à toutes les institutions politiques – n’ont pas disparu, bien au contraire.

    L’abandon de l’UE était un vote contre l’establishment, et il a plongé la classe capitaliste dans la crise, notamment en faisant tomber deux premiers ministres conservateurs. Ce fut un coup dur pour le projet néolibéral de l’Union européenne. Mais nous avons également souligné que sur la base du capitalisme, le Brexit ne résoudrait aucun de ces problèmes sous-jacents. La situation aurait pu être différente si Jeremy Corbyn (alors qu’il était dirigeant du Parti travailliste) et les dirigeants syndicaux avaient pris la tête d’une campagne de gauche anti-austérité pour le « leave » mais, malheureusement, ils ne l’ont pas fait.

    Aucun accord élaboré par les conservateurs et d’autres politiciens capitalistes européens n’aurait jamais pu satisfaire les besoins et les désirs de la classe ouvrière. Pour cela, nous ne pouvons compter que sur la force potentielle de la classe ouvrière organisée et des mouvements de masse en Grande-Bretagne et dans le monde pour apporter un véritable changement socialiste. Sur base de l’appropriation publique démocratique de l’économie et d’une planification démocratique visant à répondre aux besoins des gens, nous pouvons construire un avenir meilleur dans lequel les peuples d’Europe et du monde peuvent être unis sur une base libre, volontaire et égale.

  • Les 10 % des citoyens européens les plus riches responsables d’autant d’émissions de CO2 que les 50 % les plus pauvres

    Quand les inégalités creusent le fossé économique et écologique entre les classes

    Selon une récente analyse publiée par OXFAM, les émissions de CO2 ont diminué d’environ 12 % pour l’ensemble des 27 pays membres de l’UE entre 1990 et 2015. L’étude révèle également que l’essentiel de ces réductions a été assumé par les classes les plus pauvres de l’Union. La consommation des plus riches demeure, quant à elle, en nette hausse.

    Par Jeremy (Namur)

    On aimerait pouvoir se réjouir sans réserve devant la diminution affichée des émissions nettes de CO2 liées à la consommation – c’est-à-dire corrigées pour tenir compte des émissions induites dans d’autres pays par la production de biens et de services destinés à être consommés en Europe. Pourtant, à y regarder de plus près, on constate que cette diminution n’a pas été supportée également par toutes les tranches de la population.

    L’étude réalisée en collaboration avec l’Institut de l’Environnement de Stockholm (SEI) révèle que les 10 % des citoyens européens les plus riches sont responsables de 27 % des émissions de toute l’UE. C’est autant que les 50 % des habitants les plus pauvres réunis. Parmi eux, le 1 % des plus riches émettent, à eux seuls, 7 % de la quantité totale de CO2. L’étude révèle également que, alors que la part des émissions des classes les plus pauvres a diminué : -25 % chez la moitié la plus pauvre de la population et -13 % chez les 40 % disposant d’un revenu intermédiaire, la consommation des 10 % les plus riches a augmenté de 3 % quand la part – déjà très haute ! – du 1 % des plus fortunés a crû de 5 %.

    Sur base de cette étude, OXFAM appelle l’UE à lutter contre les inégalités si elle veut se donner les moyens de réduire ses émissions à la hauteur des engagements pris lors de l’accord de Paris (2015). Nous sommes, bien entendu, d’accord sur la nécessité de s’attaquer aux inégalités, mais il est nécessaire d’aller beaucoup plus loin.

    Tout d’abord, il faut poser la question de la force susceptible de mener cette lutte contre les inégalités. Or, si les dernières décennies d’austérité ont montré une chose, c’est bien la détermination de la classe dominante à œuvrer dans le sens contraire. Un constat qui fut encore exacerbé en Europe au cours des dix dernières années suivant la crise de la zone euro. Et ce constat est vrai partout : que dire de la prédation de valeur par les grands capitalistes mondiaux au cours de la pandémie de COVID-19 ? En vérité, une diminution des inégalités ne sera possible que grâce à la mobilisation de la classe des travailleuses et des travailleurs.

    Il est également absolument essentiel de remarquer l’ampleur de la réduction nécessaire. Pour rester sous le seuil de +1,5 °C à l’horizon 2100 (une limite par ailleurs déjà potentiellement fort dangereuse), les émissions devront chuter de pas moins de 60 % d’ici à 2030. Ce simple fait illustre à quel point une lutte efficace contre le réchauffement climatique nécessitera bien plus qu’un transfert de revenu qui laisserait le système inchangé par ailleurs.

    À plus forte raison, la croyance dans l’idée que cela pourrait suffire reviendrait à jouer le jeu de la classe capitaliste. De son point de vue, en effet, les inégalités en UE ont explosé en même temps que les émissions totales ont diminué, pourquoi ne pas continuer dans la même voie et se contenter de verdir, éventuellement, quelque peu le capitalisme ? La raison est très simple : le capitalisme vert est un mirage qui ne résout rien et qui n’est certainement pas à la hauteur des enjeux que nous connaissons. Pour y faire face, il ne nous faut rien de moins qu’une rupture avec ce mode de production anarchique et irrationnel pour laisser place à la planification et à la gestion démocratique de la production.

    L’analyse reprise plus haut montre, enfin, que la transformation socialiste de la société capable de maitriser le dérèglement climatique ne saurait être efficace qu’à l’échelle internationale. Premièrement parce que les inégalités y sont encore plus importantes qu’au sein de l’UE, enfin parce qu’une réorganisation de la production au bénéfice de tous n’est envisageable qu’à cette échelle.

  • L’UE et le Covid-19 : Un accord pour 540 milliards d’euros qui ne résout rien

    À ce stade, la principale dynamique va dans le sens d’une plus grande désintégration de l’UE et d’une concurrence accrue au sein de celle-ci.

    La semaine dernière a été marquée par un affrontement majeur entre les ministres des finances de la zone euro. Une réunion de 16 ministres s’est terminée par une impasse avant qu’une autre réunion, qui a permis de sauver la face, n’adopte des mesures d’une valeur maximale de 540 milliards d’euros. Cette décision a été annoncée en fanfare comme une avancée et un “changement de cap” concernant la réponse de l’UE à cette crise et aux problèmes structurels de l’euro. Cependant, en examinant en détail ce qui a été convenu, il devient assez vite évident que le fonds de 540 milliards d’euros n’est pas le “changeur de jeu” que les gros titres suggéraient.

    Analyse de Finghin Kelly, Socialist Party (Irlande) et ancien collaborateur parlementaire au Parlement européen 

    Qu’est-ce qui a été convenu exactement ?

    Ce paquet de mesures est un mélange de fonds existants reconditionnés, comme le programme de garantie de l’emploi de 100 milliards d’euros de la Commission. Des garanties supplémentaires sont également prévues pour la Banque européenne d’investissement (BEI) afin de lui permettre de prêter 200 milliards d’euros supplémentaires aux États membres.

    La plus grande partie de cette enveloppe est destinée à financer le mécanisme européen de stabilité (MES) à hauteur de 240 milliards d’euros. Le MES est un fonds existant qui a été créé à la suite de la dernière récession et de la crise de l’euro. Il est assorti de conditions strictes qui imposent des mesures d’austérité rigoureuses à tout État qui fait appel au fonds. Ces fonds ne représentent pas une rupture avec les politiques favorables aux entreprises. Ils visent principalement à fournir des aides aux entreprises privées.

    Une autre difficulté réside dans le fait que les fonds doivent être “préparés” pour atteindre les 540 milliards d’euros et qu’ils dépendent fortement des prêts des marchés financiers. Par exemple, les 100 milliards d’euros de la Commission pour une garantie de l’emploi ont été obtenus par des emprunts sur les marchés monétaires privés.

    Tout gouvernement ayant accès à ces fonds devra contracter une dette publique plus importante. Les fonds publics devront donc la rembourser à long terme, ce qui constituera un poids mort pour l’économie et les dépenses publiques dans les années à venir.

    Il reste à voir si cette enveloppe de 540 milliards d’euros sera effectivement utilisée dans son intégralité. En raison des conditions imposées et du fait que de nombreux États peuvent obtenir des fonds à moindre coût ailleurs, de nombreux gouvernements ont déjà indiqué qu’ils n’y auraient pas accès. Le ministre des finances irlandais, Paschal Donohoe, aurait déclaré que l’Irlande n’aurait probablement pas accès à la partie du fonds consacrée au mécanisme de garantie de marché : “Étant donné que nous sommes actuellement en mesure d’emprunter à un quart de point de pourcentage, il est très probable que l’Irlande pourra trouver des conditions intéressantes (pour financer ses propres programmes)”.

    Les “Coronabonds”

    La question la plus controversée lors de la réunion des ministres des finances a été celle des “coronabonds”. Les coronabonds ont été proposés par le gouvernement italien et soutenus par les gouvernements français, espagnol et six autres gouvernements. Ces obligations sont essentiellement un réaménagement de la proposition d’”euro-obligation” qui avait été présentée lors de la dernière récession. L’idée est que la zone euro vendrait des obligations et lèverait des fonds à des taux plus avantageux que ceux que de nombreux États membres pourraient obtenir individuellement.

    Cela signifierait que des États comme l’Italie, l’Espagne et la Grèce, qui ont des difficultés à accéder à des crédits bon marché en raison de leur niveau d’endettement élevé et de l’affaiblissement de leur économie, pourraient obtenir des financements à de meilleures conditions grâce aux meilleures notations de crédit de pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande. Le capitalisme néerlandais ou allemand pourrait ainsi se porter garant de la dette utilisée pour financer les dépenses publiques dans d’autres États.

    Avec le capitalisme allemand à leurs têtes, ces États ont insisté sur des conditions strictes à toute émission de dette commune et ont essentiellement bloqué la proposition. Cette aile des capitalistes de l’UE a gagné la manche la semaine dernière, bien qu’elle ait fait une concession sur l’assouplissement des conditions pour les dépenses de santé liées au Covid-19, et une maigre concession pour accepter de discuter des coronabonds à l’avenir.

    Les tensions au sein de l’UE

    Cela a montré que les tensions au cœur de l’euro et de l’UE elle-même n’ont pas disparu. La contradiction fondamentale d’une monnaie commune sans mécanismes internes pour corriger les déséquilibres entre les États existe toujours. Cette contradiction met en évidence l’incapacité des différentes classes capitalistes en Europe, qui sont en concurrence les unes avec les autres, à s’intégrer économiquement.

    L’UE aime à se présenter comme un organisme qui promeut la coopération et la solidarité internationales. Cependant, l’arrivée du Covid-19 sur le continent a rapidement fait apparaître cela comme de simples phrases creuses. Nous l’avons vu avec l’échec de la proposition de “coronabonds”, mais cela a été évident dans de nombreux domaines.

    Les frontières entre les États ont été rapidement fermées sans pratiquement aucune planification, laissant de nombreuses personnes bloquées. Les États baltes ont même dû affréter des ferries pour rapatrier leurs citoyens après la fermeture de la frontière polonaise.

    Le plus choquant est que de nombreux gouvernements ont également agi rapidement pour empêcher le partage de biens médicaux vitaux, notamment le gouvernement allemand qui bloque l’exportation de produits médicaux vitaux vers l’Italie et le gouvernement français qui bloque les masques à destination de l’Espagne et de l’Italie. Le fait que ces mesures aient été prises alors que les taux d’infection et de mortalité en Italie et en Espagne étaient en hausse et que les services de santé étaient débordés ne sera pas oublié par les travailleurs de ces pays et a porté atteinte au projet européen.

    540 milliards d’euros seront-ils suffisants ?

    La zone euro se dirige vers la récession la plus sévère de son histoire. La Banque centrale européenne (BCE) le reconnaît. Son vice-président a déclaré que l’Europe risque d’être confrontée à une récession plus grave que le reste du monde.

    L’économie française s’est contractée de 6 % au cours du dernier trimestre et on estime qu’elle se contracte de 1,5 % tous les quinze jours tant que les restrictions resteront d’application. L’économie allemande devrait également se contracter fortement, de 10 % selon les estimations, au cours du deuxième trimestre de cette année, tandis que l’Italie devrait se contracter de 9,6 % et l’Espagne de 8,9 %.

    La zone euro devrait voir son économie se contracter de 13 % cette année. Pour replacer cela dans son contexte, le pire déclin de la dernière récession a été de 4,5 %.

    Avant la crise du Covid-19, il était clair que la crise de la dette de l’Europe n’avait pas disparu. La dette publique de la zone euro, en pourcentage du PIB, s’élève à 84 %, soit près de 20 % de plus qu’en 2008. Elle devrait atteindre 112 % en 2022, et même 167 % pour l’Italie. Les banques italiennes ont également un nombre colossal de créances douteuses et étaient déjà en difficulté. L’Italie est le nouveau maillon faible de la zone euro, qui sera mis en évidence lorsque les restrictions seront levées.

    Ashoka Mody, qui était auparavant directeur adjoint du FMI en Europe, a déclaré que l’État italien à lui seul aura besoin de 500 à 700 milliards d’euros pour empêcher une réaction en chaîne financière due à une crise bancaire et de la dette souveraine. Mody souligne que l’on ne peut pas compter sur l’UE pour fournir un tel “pare-feu” et a appelé le capitalisme mondial à intervenir.

    La dernière récession a déclenché une profonde crise de l’euro. Cependant, cette fois-ci, l’économie italienne représente un bien plus gros morceau que la Grèce, l’Irlande, Chypre ou le Portugal. L’Italie est la troisième plus grande économie de l’UE, elle a une dette publique d’environ 2 400 milliards d’euros et ses banques ont des actifs d’environ 5 000 milliards d’euros. La situation en Italie sera un test majeur de l’euro et de l’UE, un test qui pourrait menacer l’existence de l’euro tel que nous le connaissons.

    Vers la division?

    Outre la nature précaire de l’économie et du système bancaire italiens, plusieurs autres facteurs constituent des difficultés pour la zone euro. L’UE entre dans cette crise dans le contexte d’une récession mondiale et n’est donc pas en mesure d’utiliser la croissance fondée sur les exportations pour atténuer la crise comme elle l’a fait lors de la dernière crise. La BCE est déjà intervenue pour injecter de l’argent dans le système, mais avec des taux d’intérêt historiquement bas et un assouplissement quantitatif (QE) déjà déployé en nombre record, la BCE a moins de marge de manœuvre pour avoir un impact.

    L’UE fait face à cette récession avec une capacité politique moindre à mettre en œuvre des politiques d’austérité après que les partis traditionnels du capitalisme soient tombés comme des dominos après avoir appliqué des politiques d’austérité. Un autre cycle d’austérité imposé par l’UE se heurtera à une forte opposition anti-UE et à la croissance de forces qui favorisent le départ de l’UE. Déjà en Italie, le sentiment anti-européen s’est accru suite au blocage d’équipements médicaux essentiels dans l’UE. Une imposition de mesures d’austérité en Italie par l’UE pourrait représenter un point de basculement.

    Le départ d’un autre État de l’UE aurait lieu alors que l’UE est encore en train de gérer le départ du Royaume-Uni, ce qui représente un coup dur pour le prestige et la position de l’UE et pose des questions existentielles concernant le projet européen, et ce à un moment où s’intensifie la concurrence d’autres blocs capitalistes tels que les États-Unis, la Chine et la Russie.

    Compte tenu de l’ampleur de la crise à laquelle le capitalisme est confronté dans l’UE, l’existence même de l’UE et de l’euro peut être posée de manière brutale. Un effondrement incontrôlé de l’euro serait un désastre pour toutes les puissances capitalistes de l’UE. Dans un tel climat, il ne peut être exclu que la pression soit telle que les États capitalistes du “Nord” soient contraints de s’orienter vers une intégration accrue, et même vers un certain degré d’endettement commun comme des programmes limités de “coronabonds”, ou éventuellement vers un élargissement et une modification du fonds MES.

    Toutefois, dans l’ensemble, la principale dynamique à ce stade va dans le sens d’une plus grande désintégration et d’une concurrence accrue au sein de l’UE.

    Pour une Europe socialiste contre l’UE des patrons

    Cela démontre que malgré l’effet d’entraînement de l’UE, les barrières de l’État-nation n’ont pas été fondamentalement surmontées. L’UE est en fin de compte un rassemblement de classes capitalistes nationales pour concurrencer d’autres blocs économiques au niveau mondial, mais en même temps, ces classes capitalistes se font concurrence les unes avec les autres pour les profits et l’influence mondiale. Toute intégration vise uniquement à défendre leurs propres intérêts et se fait au détriment des droits des travailleurs et de leurs conditions de vie. Ces classes capitalistes sont incapables d’une véritable intégration et d’une réponse internationale pour faire face à la crise du Covid-19 ou à tout autre défi auquel nous sommes confrontés, comme le changement climatique et l’inégalité.

    La seule force qui peut amener une véritable coopération internationale est la classe ouvrière. La classe ouvrière n’a aucun intérêt à mettre en balance les profits et la sécurité des gens, ni à imposer des politiques néolibérales ou à nier les droits des travailleurs dans d’autres pays.

    Une Europe socialiste ne peut pas être construite pas à travers le club capitaliste qu’est l’UE. Elle se construirait au contraire sur la base d’une véritable solidarité entre travailleurs. Elle verrait l’utilisation démocratiquement planifiée des vastes ressources du continent de sorte qu’au lieu que les travailleurs soient dressés les uns contre les autres par l’establishment capitaliste et l’extrême droite, ces richesses pourraient être partagées et utilisées pour garantir l’accès de tous aux services publics, aux emplois et à un avenir décent tout en mettant fin aux inégalités et aux discriminations, en protégeant l’environnement et en mettant fin à l’exploitation impérialiste des anciennes colonies du capitalisme européen.

  • L’extrême droite et la droite populiste en passe de gagner les élections européennes

    “Jobs, geen racisme”, De emplois, pas de racisme. Ce slogan fait partie de notre approche dans la lutte contre l’extrême droite et tout ce qui nous divise.

    Combattre la crise de l’UE et la croissance de l’extrême droite avec une alternative internationaliste et socialiste

    Les élections du nouveau Parlement européen à la fin du mois de mai sont caractérisées par le manque d’enthousiasme, la méfiance et même une hostilité ouverte envers l’Union européenne. La saga autour du Brexit n’en est qu’une illustration. Dans la plupart des pays, la participation sera très faible. En outre, toutes sortes de partis populistes de droite et d’extrême droite vont marquer des points. Il est difficile d’encore trouver de l’optimisme pour le progrès et une plus grande unité du projet européen. Dans toute l’Europe, l’establishment est confronté à un profond discrédit politique.

    L’Europe du capital sous pression

    Ces dernières décennies, l’establishment a fait tout son possible pour rendre l’UE synonyme de paix, de prospérité et de coopération. On parle encore aujourd’hui souvent des ‘‘valeurs européennes’’ de démocratie et de tolérance, mais toute cette hypocrisie tombe en miettes. L’UE est une machine d’austérité néolibérale qui ne tolère aucune contradiction. Le peuple grec en a durement fait l’expérience en 2015 lorsqu’il a démocratiquement choisi un gouvernement qui avait promis de rompre avec l’austérité. L’UE a alors agi en véritable tyran pour empêcher que cela n’arrive et forcer le gouvernement Syriza à rentrer dans le rang.

    Les promesses de prospérité liées à la coopération européenne n’ont été concrétisées que pour les ultra-riches. Les multinationales ont bénéficié de l’élargissement du marché intérieur et d’une meilleure position concurrentielle face à d’autres blocs comme les États-Unis, le Japon et, de plus en plus, la Chine. Depuis ses origines, la raison d’être de l’UE est la défense des intérêts des grandes entreprises. L’UE est donc utilisée pour imposer privatisations, libéralisations et mesures antisociales. Tout cela est présenté comme nécessaire pour la ‘‘compétitivité’’ des entreprises. Ces politiques néolibérales jouent un rôle de premier plan dans l’aversion croissante que suscite l’UE. Le déclin d’enthousiasme est évident au vu du taux de participation aux élections. Lors des toutes premières élections du Parlement européen en 1979, deux tiers des électeurs s’étaient rendus aux urnes ; contre 40% aux élections européennes de 2014.

    Les gouvernements nationaux se cachent souvent derrière les diktats de l’UE en déplorant n’avoir d’autre choix que de mener une politique néolibérale. Ils oublient de préciser que ces mêmes partis sont également au pouvoir à l’UE. Les gouvernements nationaux composent d’ailleurs la Commission européenne, l’organe non élu qui prend les décisions les plus importantes. Le Parlement européen a une fonction plus propagandiste mais, là aussi, ce sont les mêmes familles politiques forment la majorité. Depuis 1979, il y a toujours eu une large majorité en faveur de la ‘‘grande coalition’’ composée des sociaux-démocrates (le groupe Socialistes & Démocrates) et des démocrates chrétiens (le groupe du Parti Populaire Européen). Les élections de cette année menacent de bouleverser les choses pour la première fois.

    Dix ans après la récession de 2007-08, le capitalisme est embourbé dans des problèmes partout dans le monde. De gigantesques moyens ont été injectés dans l’économie, mais ce sont surtout les plus riches qui en ont profité. La reprise économique nous a largement échappé. Les travailleurs et leurs familles ont continué à souffrir des mesures d’austérité et des attaques contre les conditions de travail, les salaires, la sécurité sociale, les services publics,… Et aujourd’hui, les économistes avertissent du danger d’une nouvelle récession. Les politiciens capitalistes savent que les moyens manquent pour promettre des dépenses et gagner des voix. Le système est en outre mal préparé pour être capable de faire face à une nouvelle récession : les taux d’intérêt restent très bas et les ressources injectées dans l’économie ont laissé une importante dette derrière elles.

    L’establishment des différents États membres, et donc aussi de l’UE, n’est pas du tout en mesure de répondre à ce que les citoyens considèrent comme des défis majeurs : l’avenir de l’humanité et de la planète. Des centaines de milliers de personnes manifestent pour le climat, mais l’UE n’est pas en mesure de lutter contre la fraude des logiciels automobile. Les lobbys du profit s’opposent à toutes mesures sérieuses et l’UE et ils n’ont pas beaucoup d’efforts à livrer, les gouvernements nationaux rentrent totalement dans leur jeu. Des voix se sont fait entendre pour le pouvoir d’achat, les Gilets Jaunes suscitent la sympathie dans toute l’Europe. Mais l’argent n’existe pas non plus pour cela. Après l’incendie de Notre Dame de Paris, les ultra-riches arrogants ont démontré qu’ils avaient suffisamment d’argent : en quelques heures seulement, ils ont réuni près d’un milliard d’euros. Finalement, il s’est avéré que cette générosité était fiscalement avantageuse, une bonne partie de la facture étant renvoyée aux gens ordinaires…

    L’UE n’a-t-elle rien à offrir ? Qu’en est-il du processus d’unification ? C’est vrai, nous nous n’avons plus besoin de nous arrêter à la frontière pour nous rendre en France ou aux Pays-Bas. Nous n’avons plus besoin de changer d’argent et nous pouvons même passer des appels sans frais de roaming. Parallèlement, la libéralisation du transport ferroviaire international rend les trains à destination d’autres pays, même limitrophes, particulièrement onéreux. L’envoi d’une lettre ou d’un colis dans un pays voisin est également plus cher en raison de la libéralisation des services postaux. Et même l’unité européenne est sous pression. Le cas du Brexit est bien connu. Mais il existe d’autres sources de tension. La Russie tente d’accroître son influence par l’intermédiaire des pays d’Europe centrale et orientale ; la Chine est également en train d’explorer ses possibilités dans cette région. Des tensions existent aussi entre pays européens. La France soutient, par exemple, la dictature au Tchad et le chef de guerre libyen Khalifa Haftar qui contrôle le sud de la Libye. Début février, la France a participé à une opération militaire de ces forces et elle a également soutenu de récentes attaques, bien qu’elles visaient des alliés de l’Italie et d’autres pays européens. Il est évident que l’UE n’est pas si unie.

    Croissance de l’extrême droite et de la droite populiste

    Le plus grand vainqueur des prochaines élections européennes sera sans aucun doute l’extrême droite, ou plutôt les 50 nuances entre la droite populiste et l’extrême droite. Des commentateurs superficiels parleront d’un ‘‘virage à droite’’ ou d’extrême droite européen. Le raisonnement est dangereux car il attribue la responsabilité de l’instabilité politique aux gens ordinaires et non au système. Le fait est que l’extrême droite est souvent choisie pour punir les politiciens établis et leurs politiques, sans pour autant placer sa confiance dans la prétendue alternative des populistes de droite. Les électeurs cherchent des moyens de punir l’establishment pour sa politique antisociale et l’absence de perspective d’avenir optimiste. Les premiers qu’ils rencontrent souvent dans cette recherche, c’est l’extrême droite.

    Aux Pays-Bas, le Forum pour la Démocratie (FvD) de Baudet est devenu le premier parti lors des récentes élections provinciales. En France, le Rassemblement National (RN) de Le Pen peut aussi marquer des points. En Italie, la Lega risque de devenir le plus grand parti. En Allemagne, il y a l’AfD. Vox en Espagne. Et plusieurs partis de droite en Europe centrale et orientale.

    L’autorité des institutions de l’establishment disparait, mais cela ne signifie pas automatiquement que tous les préjugés sur lesquels repose le régime de l’élite vont faire de même. Ces dernières décennies ont connu un fort processus d’individualisation : plus rien n’est un problème social, nous sommes tous devenus des individus seuls responsables de leur situation. Cela tire sa source de la pensée néolibérale selon laquelle la société n’existe pas. Le but de cette propagande est avant tout d’empêcher les travailleurs d’unir leurs forces et de lutter ensemble contre l’establishment capitaliste. Cela a un certain effet, le mouvement des travailleurs s’est retrouvé sur la défensive ces dernières décennies. Beaucoup de gens ne considèrent pas le système responsable de la dégradation de leurs conditions de vie, ils estiment que c’est de la faute des réfugiés ou du rôle des politiciens corrompus. L’establishment n’est pas le seul à avoir un problème de représentation politique, le mouvement des travailleurs y est également confronté.

    Si diverses forces populistes et d’extrême droite peuvent rencontrer un certain succès aux élections européennes, cela est essentiellement dû au manque de confiance envers les autres partis. Tout comme le manque de confiance dans le Parti démocrate est le principal atout de Trump, la force de l’extrême droite repose principalement sur la faiblesse de ses opposants. Si la seule alternative proposée est de de se regrouper derrière des partis établis qui perdent leurs derniers vestiges d’autorité, alors l’extrême droite et les populistes de droite ont encore de beaux jours devant eux. Ils ne jouissent pas de masse de militants actifs ce qui leur pose un problème de stabilité.

    Une Europe en lutte

    Nous n’entretenons aucune illusion ni aucun espoir envers le projet capitaliste européen. Mais notre réponse ne réside pas dans le retour à l’État-nation. Nous soutenons la lutte pour l’autodétermination en Écosse et en Catalogne, dans le cadre de la lutte contre l’austérité. Nous combinons ce soutien à la nécessité de rompre avec le capitalisme pour bâtir des fédérations socialistes dans ces régions et dans l’ensemble de l’Europe. Depuis 2007, dans toute l’Europe, des mobilisations prennent place sous la forme de manifestations, de grèves et même de grèves générales contre l’austérité. Ces dernières années, les manifestations contre le racisme et le sexisme se sont également multipliées. Plus récemment, une nouvelle génération de jeunes s’est mobilisée autour de la question du réchauffement climatique, ce qui a donné lieu à de grandes mobilisations le 15 mars en reprenant une méthode typique de la classe ouvrière : la grève.

    Les marxistes ne doivent pas laisser la colère contre l’Europe des patrons et sa politique d’austérité aux mains de l’extrême droite opportuniste. Ils ne doivent pas non plus abandonner l’envie d’agir contre les dangers antidémocratiques et racistes aux forces libérales et petites-bourgeoises pro-UE. Nous défendons tous les droits démocratiques pour lesquels la classe ouvrière s’est battue, cela ne signifie pas de soutenir l’UE et ses structures antidémocratiques.

    Nous défendons les droits sociaux et démocratiques des travailleurs. Cela signifie que nous exigeons plus de moyens pour le secteur de la santé et de l’éducation ; la réduction collective du temps de travail et, en même temps, une augmentation des salaires. Il faut aller chercher l’argent dans les poches des riches pour répondre aux besoins de la classe des travailleurs et de la jeunesse. Comme le dit le slogan, nous ne nous battons pas seulement pour une plus grande part du gâteau, nous voulons toute la boulangerie ! Nous exigeons que nos droits démocratiques ne se limitent pas à aller voter à quelques années d’intervalle : nous voulons disposer d’un pouvoir réel sur les richesses de la société et la manière de les produire.

    L’UE, ses partis et ses institutions ne sont pas des outils visant à mettre fin au racisme et à la croissance de l’extrême droite. L’UE fait partie du problème et non de la solution. Nous luttons contre l’Europe des patrons, contre les coupes budgétaires, contre le racisme et contre l’extrême droite. Cela signifie de mettre fin à cette UE, à ses institutions et à sa politique d’austérité. Nous exigeons l’égalité des droits pour toutes les personnes vivant en Europe, la fin de l’Europe-Forteresse et que les richesses des super-riches soient saisies pour permettre à chacun de connaitre une vie décente.

    Nous luttons pour une Europe socialiste gérée démocratiquement et constituée sur une base volontaire. Cela signifie que notre solution aux problèmes en Europe ne réside pas dans les États-nations, mais dans la capacité des travailleurs à diriger et contrôler l’économie et la société pour qu’elle réponde aux besoins de tous, et non à la soif de profits de l’élite.

    Nous sommes bien conscients que l’on peut se demander si cela est bien réaliste au vu de la croissance de l’extrême droite dans les sondages. Mais n’oublions pas qu’après la crise économique de 2007, la première réaction de la classe des travailleurs et de la jeunesse a été de résister aux politiques d’austérité capitalistes. De vastes opportunités se présentaient pour la gauche en faveur de solutions socialistes. C’est la capitulation des diverses forces de gauche à la ‘‘logique’’ du capitalisme et leur trahison des intérêts de la classe des travailleurs, à l’instar de Syriza en Grèce, qui a posé les bases de la percée de l’extrême droite.

    On ne combat pas efficacement l’extrême droite en se limitant à faire appel aux ‘‘valeurs européennes’’. L’attitude des syndicats vis-à-vis de l’UE et de la manière de lutter pour les intérêts des travailleurs doit fondamentalement changer. Ce combat exige des organisations et des partis de gauche socialistes qu’ils ne tombent pas dans le piège de la défense du ‘‘moindre mal’’ européen face à l’extrême droite, mais qu’ils adoptent une position d’indépendance de classe. Cela nécessite des forces socialistes qui lient la lutte contre l’extrême droite à la lutte contre le capitalisme et pour des États socialistes volontaires, démocratiques et unis d’Europe.

  • Les élections européennes vont-elles ébranler le “projet européen” ?

    Photo: WikimediaCommons

    Est-ce un choix entre le nationalisme et l’Europe ? Entre l’extrême droite et les droits démocratiques ? Ou se cache-t-il d’autres enjeux ?

    Partout en Europe, les politiciens et les partis politiques ont commencé leur campagne pour l’élections du Parlement européen en mai. Les sondages d’opinion indiquent la fin de la “grande coalition” conclue entre le PPE (Parti populaire européen) et les sociaux-démocrates (S&D). Ce sont surtout ces derniers qui s’inquiètent des élections, car ils pourraient perdre encore plus de soutien et connaître un creux historique. Cela pourrait entraîner des crises au sein des partis au pouvoir et/ou des gouvernements dans divers pays européens.

    Par Sonja Grusch, SLP (section autrichienne du Comité pour une Internationale Ouvrière)

    La probable percée des partis populistes et des partis d’extrême droite effraie beaucoup de monde, en particulier les jeunes. Leur renforcement est également un problème pour les classes dirigeantes européennes. Non pas en raison d’un problème fondamental avec leurs positions racistes, sexistes et antidémocratiques, mais parce que la fin de la “grande coalition” et la montée de l’extrême droite peuvent accroître l’influence de la Russie et peuvent, avec l’aggravation du conflit entre l’UE et les Etats-Unis, accélérer les tendances “centrifuges” au sein de leur “projet Européen”.

    Le contexte économique de la crise

    Cette crise de l’UE survient dans le contexte économique difficile et de crise des institutions politiques qui en découle. Les effets de la crise économique de 2007 n’ont pas été surmontés et la reprise si applaudie ne s’est pas étendue à des couches plus larges de la société. La faible reprise touche déjà à sa fin, ce qui place la classe dirigeante dans une position inconfortable.

    Les prévisions de croissance économique sont loin d’être optimistes, surtout en raison de la faible performance des grandes économies comme l’Allemagne, pour laquelle l’OCDE a dû réduire de moitié ses prévisions, la France et encore plus l’Italie qui entrera très probablement en récession en 2019. L’insécurité par rapport à la Grande-Bretagne et au Brexit, qui pourrait avoir des effets de grande ampleur sur l’UE et l’euro, est un autre facteur inquiétant pour les classes dirigeantes européennes.

    Les représentants sérieux du capitalisme savent qu’ils ne peuvent promettre des dépenses publiques plus élevées afin de gagner des voix. Ils sont conscients de la colère croissante et craignent les protestations et les luttes de classe à venir. Les débats houleux se poursuivent derrière les portes closes pour savoir comment ou si une récession pourrait être reportée par le biais d’interventions. Toutefois, ils sont aussi conscients ça sera encore plus difficile qu’en 2007, car la dette s’est aggravée.

    Le retour du nationalisme reflète les besoins économiques, l’opposition à l’UE et l’absence d’une gauche qui offre une véritable alternative socialiste.

    Les capitalistes sont piégés par leurs propres besoins contradictoires. L’UE a toujours eu diverses fonctions pour le capitalisme européen. Il vise à fournir un cadre pour la mise en commun des ressources afin de renforcer l’impact collectif des États membres face aux autres blocs économiques, comme les États-Unis et à l’origine le Japon, puis, vis-à-vis de la Chine et, pour des raisons géopolitiques, de la Russie. Cela se reflète dans les débats sur la création d’une armée européenne et les tensions accrues avec les Etats-Unis. Bien que ces dernières soient présentées comme un conflit avec “Mad” Trump, c’est avant tout dû au contexte économique, mesures protectionnistes et aux intérêts impérialistes concurrents. Une autre fonction de l’UE est de maintenir l’Europe de l’Est et les Balkans sous son contrôle.

    Enfin et surtout, l’UE est une arme qui peut être utilisée contre la classe ouvrière européenne afin mettre en œuvre les mesures “nécessaires” au maintien de la compétitivité de chaque Etat, ainsi que du capitalisme européen. En période de croissance économique, la pression concurrentielle entre les intérêts nationaux au sein de l’UE peut être reléguées au second plan. Mais, au moins depuis le début de la crise économique de 2007, ils sont revenus.

    L’UE a toujours été un compromis entre les intérêts nationaux qui prendrait fin – dans sa forme actuelle – si le prix de ces compromis devait l’emporter sur les avantages. La question de savoir quand ce point sera atteint dépend des divers intérêts économiques des différents capitalistes. La croissance du nationalisme parmi les classes dirigeantes n’est que le reflet du fait que le capital, tout en opérant au niveau international, est généralement lié à son propre État-nation. Le fait que divers partis dans un certain nombre d’Etats membres se dirigent vers une protection nationaliste ne représente pas des différences idéologiques, mais des intérêts économiques concurrents.

    Les partis qui compose le PPE et en particulier ceux du bloc social-démocrate craignent que le renforcement des forces d’extrême droite et populistes n’accélère les forces centrifuges au sein de l’UE. La Russie accroît son influence grâce à des liens politiques et économiques avec des partis et des gouvernements d’extrême droite comme le FPÖ autrichien qui a signé un traité d’amitié de cinq ans avec la “Russie unie” de Poutine en 2016. La Lega italienne bénéficierait d’un accord pétrolier très rentable avec Rosneft. La Hongrie sera le nouveau siège de la Banque internationale d’investissement (IBB) russe qui, en retour, financera certains des projets du Premier ministre Orban. Il est important pour la classe dirigeante russe de renforcer son influence en Europe, non seulement pour se débarrasser des sanctions liées au conflit Ukraine/Crimée, mais aussi pour des raisons politiques et économiques plus larges. L’influence accrue que la Chine tente d’exercer en Europe par le biais des Balkans et via la “Nouvelle route de la soie ” inquiète également les classes dirigeantes basées en Europe.

    La social-démocratie remplace la classe ouvrière par l’UE

    Avec leur bourgeoisification, les partis sociaux-démocrates ont trouvé leur nouveau mantra au sein de l’UE dans la représentation des intérêts du capital. En perdant leur base sociale et leur lien avec la classe ouvrière, presque tous les dirigeants sociaux-démocrates ont abandonné toute référence aux luttes et ont transformé leur idéologie réformiste en l’idée qu’un capitalisme ordonné et fonctionnel serait le meilleur pour tous.

    Ils font valoir qu’un gâteau plus gros entraînerait une part plus importante pour les couches les plus pauvres de la société, même si la part ne change pas. Pour les dirigeants sociaux-démocrates, l’UE et les instruments à sa disposition sont devenus une poule aux œufs d’or. Alors que la social-démocratie traditionnelle perdait de l’influence à l’échelle nationale dans un certain nombre de pays, l’UE et son Parlement est devenue encore plus importants. De nombreux dirigeants syndicaux sont allés plus loin en se tournant vers l’UE pour obtenir des réformes.

    Une logique similaire s’applique à d’autres partis “progressistes” comme les Verts, ainsi qu’aux tendances ouvertement néolibérales. Ce concept pourrait être en danger s’il n’y a pas de majorité pour le PPE et le bloc S&D après les prochaines élections. Ainsi, même s’ils utiliseront une certaine rhétorique de gauche sociale dans la campagne, leur orientation principale est de maintenir l’UE. Ils exagéreront le rôle du Parlement européen qui n’est pas la locomotive de l’Europe, mais a une forte fonction de propagande. Si le statu quo ne peut être maintenu en raison de la croissance des formations de droite, nationalistes et populistes, l’avenir de leur projet européen sera en danger.

    Le soutien croissant aux différents partis populistes reflète principalement l’aliénation croissante face à la situation actuelle dans chaque pays et dans l’UE en tant que telle. Les élections européennes seront également un test pour diverses nouvelles formations politiques de droite et de gauche qui ont bénéficié de l’aliénation générale au cours de la période récente, mais qui ont intégré l’establishment et sa politique. La déception face au développement de ces formations, comme dans le cas de Syriza, mais aussi de La République En Marche de Macron augmentera le rejet de la politique et sera un facteur de complication pour les projets de la gauche dans le futur.

    Les valeurs européennes ?

    L’UE a toujours été vendue à coup de propagande sur son projet de paix, d’instrument de stabilité sociale et de démocratie, bien qu’elle ne l’ai jamais été ! Mais avec les attaques toujours plus agressives contre les droits démocratiques de la part des gouvernements de droite d’Europe de l’Est et la menace de victoires électorales pour les organisations antidémocratiques d’extrême droite, une partie des classes dirigeantes en Europe retourne, pour des raisons de propagande, à l’argument de “défense de la démocratie” (tout en attaquant les droits démocratiques, en même temps).

    Les principaux thèmes sur lesquels l’extrême droite se concentre sont la “sécurité” et les migrants. En l’absence d’une critique de gauche du caractère capitaliste et antidémocratique de l’UE, ce sera l’opposition d’extrême droite ainsi que les partis gouvernementaux, comme Fidesz en Hongrie ou la Lega en Italie qui vont battre le tambour raciste et combiner la critique de l’UE avec le nationalisme.

    Orban affirme que “l’époque de la démocratie libérale a pris fin” et, en un sens, c’est plus honnête que ce qu’affirment les soi-disant défenseurs libéraux de la démocratie. L’autoritarisme d’Orban n’empêche pas des entreprises comme BMW, Daimler, Continental, Bosch, Thyssenkrupp, Schäffler et Siemens d’investir des milliards en Hongrie. Il est vrai que les gouvernements de droite, comme ceux de Pologne et de Hongrie ont pris des mesures pour accroître leur emprise sur les médias et amener l’appareil d’État, en particulier le système judiciaire, sous leur contrôle total. Mais nous ne devons pas oublier que la France a également maintenu l’état d’urgence pendant deux ans.

    Les manifestants réclamant l’indépendance sont attaqués et traduits en justice, comme en Catalogne par l’État espagnol. Les États membres et l’UE elle-même ont pris part à des conflits militaires. L’UE finance également des dirigeants dictatoriaux et corrompus dans le nord de l’Afrique. Sa politique de “Europe forteresse” provoque chaque jour la mort de réfugiés à ses frontières. En même temps, les dirigeants de l’UE parlent de “nos valeurs” qui doivent être “défendues”. L’austérité brutale imposée à la Grèce par l’UE et la Troïka (FMI, UE et Banque mondiale), ainsi que la politique anti-travailleurs et anti-syndicale de l’UE et des gouvernements nationaux qui la composent ont démenti la propagande sur une “Europe sociale”. L’UE, ses institutions et même certains aspects du système capitaliste ont perdu beaucoup d’autorité. La répartition de plus en plus inégale de la richesse et l’enrichissement des plus riches tandis que les travailleurs souffrent de coupes budgétaires ont contribué à démasquer “l’union sociale”. Cela se traduit par une baisse de la participation aux élections européennes, qui est passée de près de 2 électeurs éligibles sur 3 en 1979 à un peu plus de 40 % en 2014. Elle se reflète également dans l’ambiance générale anti-élite et anti-système qui blâme, à juste titre, l’UE pour les résultats de ses politiques (bien que les gouvernements nationaux en soient également responsables).

    Les classes dirigeantes européennes sont conscientes qu’une réduction des coûts de l’itinérance pour les téléphones mobiles à travers l’UE ne suffit pas à convaincre des couches plus larges de la société des avantages de l’UE, compte tenu des coupes budgétaires imposées et des atteintes brutales aux droits démocratiques dans l’UE. C’est pourquoi ils doivent insister davantage sur la question des “valeurs”. Il est fort probable que la campagne électorale pour le Parlement européen sera présentée comme une bataille entre le nationalisme populiste d’un côté et les défenseurs de la démocratie de l’autre.

    Pour défendre leur projet économique européen, les classes dirigeantes utilisent la peur de la montée de l’extrême droite. Les sondages d’opinion situent l’AfD allemand entre 10-16% et placent le Rassemblement National (ex-FN) en France en tête. Une étude du Conseil européen des relations extérieures (ECFR) s’attend à ce que les différents partis populistes droite et d’extrême droite obtiennent entre un quart et un tiers des sièges du futur Parlement européen.

    Quelle position les socialistes devraient-ils adopter ?

    L’état d’esprit par rapport à l’UE est pour le moins mitigé et confus. C’est ce qu’a montré le vote du Brexit qui comportait un fort élément de révolte sociale de la classe ouvrière contre les politiques d’austérité et l’UE des patrons. Le Socialist Party (CIO en Angleterre et au Pays de Galles) appelle à un Brexit en faveur des travailleurs ; il met en avant que la solution n’est pas un capitalisme plus ou moins européen, mais la lutte des travailleurs et des syndicats contre l’austérité et le capitalisme. Si Corbyn demandait un Brexit dans l’intérêt des travailleurs et que les syndicats luttaient contre toutes les mesures d’austérité, les travailleurs, y compris ceux qui ont déjà voté pour des partis de droite, seraient attirés par cette approche. Le programme d’austérité de la droite conservatrice crée les conditions pour la croissance des partis populistes de droite. En mettant fin à tout nouveau compromis avec les parlementaires et les conseillers travaillistes blairistes, en mobilisant la classe ouvrière et la jeunesse au travers de slogans anti-austérité et socialistes clairs, Corbyn peut couper la voie aux forces populistes de droite.

    Il existe des attitudes anti-ouvrières parmi certains militants progressistes. Ils peignent une image méprisante de la classe ouvrière furieuse contre l’UE et considèrent que voter pour des partis populistes et/ou d’extrême droite est “stupide” et montre un manque “d’éducation”. Au lieu de faire campagne pour des organisations ouvrières qui défendent réellement les intérêts de la classe ouvrière, ces militants se réfugient dans cette “explication” pyramidale qui ignore l’effet négatif des partis dits de gauche qui ne font que gérer le capitalisme et les dirigeants syndicaux qui ne sont pas prêts à lutter. Il en résulte une logique du “moindre mal”, c’est-à-dire l’appel au vote pour des partis sociaux-démocrates ou verts (ou des partis “progressistes” pro-UE similaires). Cette stratégie signifie la poursuite des mêmes politiques qui ont permis à l’extrême droite d’obtenir son soutien en premier lieu !

    Mais nous devons également tenir compte du fait que la jeune génération a grandi dans l’UE et que certains d’entre eux sont trop jeunes pour être conscients des coupes brutales de la troïka en Grèce qui ont commencé au début de cette décennie. Cette génération a appris dans les écoles et les universités que l’UE est un projet pour la paix et d’harmonie. Ils voient les faiblesses de l’UE, mais considèrent aussi de manière confuse la notion d’”Europe” comme progressiste et internationaliste. Des centaines de milliers de jeunes et de travailleurs voyagent, étudient et bossent dans d’autres pays européens et bénéficient donc de cet aspect de l’UE. Ainsi, les initiatives “pro-européennes” trouvent un certain écho auprès d’une couche similaire de jeunes “instruit” favorables à l’idée d’une Europe unie. D’autres, en particulier la jeunesse, sont de plus en plus aliénés par l’UE en raison de sa politique anti-réfugiés brutale. Ils voient que l’UE, au lieu de prendre des mesures contre le changement climatique, préfère répondre aux besoins des grandes entreprises, en particulier de l’industrie automobile.

    Les votes exprimés par une partie frustrée de la population européenne en faveur de partis populistes, souvent d’extrême droite, et le vote “moins malfaisant” d’une partie plus jeune de la population, en particulier pour les partis “progressistes” sont les deux faces d’une même médaille : ils sont, en partie, le produit d’un manque de véritables organisations ouvrières de lutte dans différents pays et à l’échelle européenne, avec une politique clairement anti-capitaliste, anti-raciste et un programme socialiste.

    Une Europe de lutte

    Nous n’avons aucun espoir ou illusion dans le projet capitaliste de l’UE. Mais notre solution ne réside pas dans l’État-nation. C’est pourquoi nous soutenons la lutte pour l’autodétermination en Écosse et en Catalogne, dans le cadre de la lutte contre l’austérité. Nous lions cela à la nécessité de rompre avec le capitalisme et de mettre en avant la demande des fédérations socialistes dans ces régions et dans l’ensemble de l’Europe. Depuis 2007, dans toute l’Europe, des mobilisations prennent place : manifestations, grèves et même grèves générales contre les politiques d’austérité. Ces dernières années, les manifestations contre le racisme et le sexisme se sont multipliées. Plus récemment, une nouvelle génération de jeunes s’est mobilisée autour de la question du réchauffement climatique qui a donné lieu à de grandes protestations, avec l’adoption de la méthode de la classe ouvrière de la grève le 15 mars.

    L’UE et ses institutions ne sont, à juste titre, pas considérées comme un instrument permettant de résoudre ces questions. Les socialistes ne doivent pas laisser ceux qui sont en colère contre l’Europe des patrons et sa politique de coupes aux mains de l’extrême droite opportuniste. Et nous ne devons pas laisser ceux qui veulent lutter contre les dangers antidémocratiques et racistes aux forces libérales et petites-bourgeoises pro-UE. Nous défendons tous les droits démocratiques pour lesquels la classe ouvrière s’est battue, mais notre réponse n’est pas l’UE et ses structures antidémocratiques.

    Nous défendons les droits sociaux et démocratiques des travailleurs. Cela signifie que nous exigeons plus d’argent pour le secteur de la santé et de l’éducation. Nous exigeons une réduction du temps de travail hebdomadaire et, en même temps, une augmentation des salaires. Nous exigeons que la richesse soit prise aux riches pour répondre aux besoins de la classe ouvrière et de la jeunesse. Nous nous battons pas seulement pour une plus grande part du gâteau, mais pour “toute la boulangerie”. Nous exigeons des droits démocratiques qui ne se limitent pas à des élections à quelques années d’intervalle, mais qui confèrent un réel pouvoir sur les richesses de la société à ceux qui les produisent.

    L’UE, ses partis et ses institutions ne sont pas des outils pour mettre fin au racisme et à la croissance de l’extrême droite, car l’UE fait partie du problème et non de la solution. Nous luttons contre l’Europe des patrons, contre les coupes budgétaires, le racisme et l’extrême droite. Cela signifie la fin de cette UE, de ses institutions et de sa politique de coupe et de distribution de la richesse des pauvres aux riches. Nous exigeons l’égalité des droits pour toutes les personnes vivant en Europe, la fin de la forteresse Europe et que les richesses des super-riches soient utilisées pour permettre une vie décente pour tous.

    Nous luttons pour une Europe socialiste unie, gérée démocratiquement et construite sur une base volontaire. Cela signifie que notre solution aux problèmes en Europe ne réside pas dans les États-nations, mais dans le pouvoir des travailleurs de diriger et de contrôler l’économie et la société, sur la base des besoins et non des profits.

    Nous sommes conscients que cela semble une chimère pour beaucoup. Mais la notion d’une Europe véritablement démocratique, pacifique et sociale sous le capitalisme n’est-elle pas véritablement l’option utopique, étant donné la nature et les contradictions du capitalisme ?

    Vu la force de l’extrême droite dans les sondages d’opinion, on peut se demander comment cela pourrait être réalisé. N’oublions pas qu’après la crise économique de 2007, la première réaction de la classe ouvrière et de la jeunesse a été de résister aux politiques d’austérité capitalistes. Il y avait une ouverture énorme pour la gauche, pour les solutions socialistes. Seule la capitulation de diverses forces de gauche, comme Syriza en Grèce, à la “logique” du capitalisme et à leur trahison vis-à-vis de la classe ouvrière, a jeté les bases pour que l’extrême droite grandisse.

    En 2016, lorsque des centaines de milliers de réfugiés désespérés sont arrivés en Europe, la première réaction des masses a été de les aider. Ce n’est que lorsque la gauche et les forces syndicales n’ont pas apporté de réponse sur comment financer les besoins des personnes qui dépendent de l’aide (ou des réponses limité  à un appel moraliste, comme l’UE l’a également fait) que l’extrême droite a commencé sa percée. Le fait que les dirigeants syndicaux, partout en Europe, défendent l’UE malgré son projet politique de privatisation, de déréglementation et de réduction de l’Etat-providence (ou de ce qu’il en reste) a donné à l’extrême droite la possibilité de combler ce vide.

    Une lutte réussie contre l’extrême droite ne doit pas se limiter à des appels aux “valeurs européennes”. Elle a besoin d’un changement fondamental dans l’attitude des syndicats vis-à-vis de l’UE et de la manière dont ils luttent pour les intérêts de la classe ouvrière. Ce combat exige des organisations et des partis de gauche, socialistes et populaires qui ne tombent pas dans le piège de défendre l’UE comme un “moindre mal” à l’extrême droite, mais qu’ils adoptent une position de classe indépendante. Cela nécessite des forces socialistes qui lient la lutte contre l’extrême droite à la lutte contre le capitalisme et pour des États socialistes volontaires, démocratiques et unis d’Europe.

     

  • Le Brexit, une fenêtre sur notre époque

    « Face au coup porté contre eux », écrivait Socialism Today au lendemain du référendum européen de 2016, « la tâche maintenant, pour la majorité de la classe dirigeante, est d’essayer de « revenir en arrière » sur le résultat », citant la phrase du secrétaire d’Etat du président américain Barak Obama de l’époque, John Kerry.

    Article tiré de l’édition de janvier de Socialism Today, magazine du Socialist Party (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et au pays de Galles)

    Les principales forces du capitalisme britannique avaient fait campagne avec acharnement pour rester au sein du club des patrons de l’UE, le plus grand bloc réglementaire commun de l’économie mondiale en termes de PIB. Mais maintenant, repoussés par ce qui était au fond un vote de rage de la classe ouvrière de masse contre l’establishment capitaliste, ils ont dû se regrouper pour faire face à la nouvelle situation.
    Au pire, ils espèrent un « Bino », un « Brexit-in-name-only », qui maintiendra le Royaume-Uni au sein de l’union douanière et du marché unique de l’UE, avec ses règles néolibérales en faveur des grandes entreprises. « Mais si cela peut être accompli, après un délai convenable et un terrain préparé, l’objectif serait d’inverser le résultat, par le biais d’une élection générale ou d’un second référendum ». (Socialism Today, n° 201, septembre 2016)

    Après tout, la manœuvre de renversement du référendum était une tactique bien établie pour traiter les référendums de l’UE où le vote s’était exprimé « dans la mauvaise direction » du point de vue des capitalistes, mais qui était ensuite inversé par un second vote.
    Deux référendums ont eu lieu au Danemark en 1992 et 1993 pour approuver le traité de Maastricht établissant l’Union économique et monétaire. L’Irlande n’a approuvé les traités de Nice (2001) et de Lisbonne (2008) qu’après un second vote. Le traité constitutionnel de l’UE a été ressuscité par d’autres moyens. Déchiré par des défaites référendaires en France et aux Pays-Bas en 2005, il a été reconditionné en traité de Lisbonne et a été approuvé par le Parlement de ces pays en 2008, après de nouvelles élections.

    Les différents exemples du « renversement de référendum » étaient là. La situation pourrait sûrement être récupérée pour le Brexit aussi.
    Pourtant, nous vivons à une époque différente de celle qui a précédé la grande récession -qui a suivi le krach financier de 2007-08.
    Le dernier vote favorable à l’UE lors d’un référendum a été l’approbation par le Danemark, en 2014, de l’accord sur un tribunal unifié des brevets (bien que cet accord, signé il y a cinq ans en 2013, doive encore entrer en vigueur en raison de problèmes de ratification ailleurs).
    En dépit de certains sondages qui montrent qu’une faible majorité de la population reste favorable au maintien de la Constitution, un nouveau référendum – la classe dirigeante disant aux électeurs de la classe ouvrière qu’ils avaient tort – ne garantirait pas un revirement du Brexit.

    Et le pari électoral de May de l’année dernière n’a pas produit une majorité « forte et stable » à partir de laquelle elle a pu faire passer un accord « Bino » (Brexit-in-name-only ), mais bien la plus forte augmentation de membres et sympathisants du Parti travailliste entre les élections depuis 1945, en réponse au manifeste radical de Jeremy Corbyn.

    L’ère de l’austérité a déclenché une crise de représentation de la politique capitaliste, avec tous les vieux modèles et méthodes de gouvernement profondément ébranlés. Au moment d’écrire ces lignes, Theresa May est toujours première ministre. Son projet d’accord – le projet d’accord de retrait de l’UE et la future déclaration politique-cadre qui l’accompagne – est toujours d’actualité. Mais au-delà, rien n’est sûr.

    Le stratagème de May : moi ou le chaos

    L’accord de May est incontestablement un accord de Brexit-in-name-only, établi pour défendre les intérêts capitalistes.
    Bien que le projet de traité soit à bien des égards un « Brexit » aveugle, laissant les détails des relations futures avec les autres États membres de l’UE27 aux négociations pendant la période de transition après mars 2019, il maintient clairement le Royaume-Uni sur l’orbite réglementaire pro-grande entreprise de l’UE.

    La Grande-Bretagne s’engagerait, par exemple, à maintenir un « alignement dynamique » avec l’UE sur les règles en matière d’aides d’État et d’autres directives de libéralisation, en les coupant et les collant dans le droit britannique. Le directeur général de la Fédération britannique de l’alimentation et des boissons l’a décrit comme « le plus doux des Brexit ». Il a été approuvé à l’unanimité par le comité d’élaboration des politiques de la Confédération de l’industrie britannique (CBI), après avoir recueilli les opinions de 900 dirigeants d’entreprises, comme étant la meilleure solution disponible et la seule alternative à une rupture sans accord chaotique.

    La majorité des députés – les conservateurs, la majorité blairiste du Parti travailliste parlementaire, le Parti national écossais et les Lib-démocrates – sont des représentants engagés du capitalisme. Et pourtant, l’approbation parlementaire de l’accord ne peut être obtenue que par May, si tant est qu’il en soit ainsi, qui devra l’approuver au bulldozer. Les procédures obscures de la Chambre des communes sont dépoussiérées pour s’assurer que l’exécutif – le gouvernement – ne peut être lié à une action alternative de la législature dans le cadre d’un « vote significatif » sur l’accord.

    En vertu de la Loi sur le Parlement à mandat fixe, une défaite ne serait pas une question de confiance – May pourrait revenir dans les trois semaines pour un second vote. Même des ministres du Cabinet auraient été « hués d’en bas » par des fonctionnaires non élus. Et puis il y a les marchés financiers et les marchés des changes. Un analyste de BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, a parlé d’un « nouveau moment Tarp », faisant référence au fait que le programme américain Troubled Asset Relief Program, qui avait renfloué les banques en 2008, avait été initialement rejeté par le Congrès, mais adopté quelques jours plus tard avec quelques ajustements mineurs après le crash des marchés.

    Déjà, un certain nombre de Blairistes et de conservateurs qui s’étaient rebellés contre May signalent qu’ils pourraient à contrecœur approuver l’accord « aussi imparfait qu’il puisse être ». Forcer l’adoption du traité de retrait sur cette base – le ministre des Affaires étrangères Jeremy Hunt a mis en garde contre un « chaos effroyable » s’il n’est pas approuvé – ne serait cependant pas un signe de force.
    En fait, l’ensemble de la situation reflète plutôt l’isolement social sous-jacent et la faiblesse de la classe dirigeante, secouée par les contradictions économiques, sociales et politiques du déclin du capitalisme britannique.

    Remplir le vide

    En se demandant pourquoi le référendum de 1975 sur l’UE au Royaume-Uni avait abouti à un oui à l’adhésion, le ministre travailliste des Affaires étrangères de l’époque, Roy Jenkins, qui est devenu membre fondateur du Parti social-démocrate divisé en 1981, a déclaré que « le peuple suivait les conseils de ceux qu’il avait l’habitude de suivre ».

    Mais cette déférence à l’égard de l’autorité établie – la réserve sociale du capitalisme nourrie par le long boom de l’après-guerre qui venait à peine de s’achever – s’était transformée en son contraire en 2016. La confiance dans les partis ouvriers traditionnels s’est déjà érodée lorsqu’ils se sont transformés en formations capitalistes dans l’ère poststalinienne des années 1990, l’autorité de « ceux que le peuple avait l’habitude de suivre » a été balayée par l’âge de l’austérité.

    En effet, toutes les institutions et tous les instruments sur lesquels le capitalisme s’est appuyé historiquement, et les idéologies de division qui ont été utilisées pour les soutenir, ont été profondément sapés – alimentant, par exemple, comme l’explique Christine Thomas dans le Socialism Today de ce mois-ci, les nouveaux mouvements des femmes contre l’oppression qui prennent forme dans le monde.
    Mais en l’absence d’une direction claire du mouvement ouvrier, d’autres forces, réactionnaires, peuvent aussi glisser temporairement dans le vide.

    Jeremy Corbyn a commis une grave erreur en 2015 lorsqu’il s’est engagé à faire campagne pour un vote sur le statu quo, afin de maintenir les Blairistes dans son premier cabinet fantôme. Imaginez l’impact que les débats référendaires télévisés entre Corbyn et David Cameron auraient eu sur les événements futurs – contrairement au cirque Dave vs Boris – si Jeremy s’était tenu à sa position précédente de dénoncer, à juste titre, le caractère néolibéral du club des patrons européens et ses politiques.

    Le désarroi des représentants politiques du capitalisme peut encore être utilisé par la classe ouvrière pour imprimer sa marque sur les événements, mais la première exigence est un engagement ferme à une alternative socialiste et internationaliste. Même si l’accord de retrait de May est adopté par le Parlement dans les semaines à venir, les schismes au sein du parti conservateur ne feront que s’intensifier à mesure que les négociations de la phase de transition avec l’UE commenceront. Son gouvernement pourrait bien trébucher, soutenu uniquement par une opposition ouvrière insuffisamment organisée et dotée d’un programme socialiste clair. En ce sens, le drame du Brexit est vraiment une fenêtre plus large sur notre époque.

  • L’Europe en crise : tensions, division et instabilité

    L’establishment européen est aux prises avec de grandes difficultés. En dépit d’une période de reprise économique limitée, l’instabilité politique continue de croître et à cela s’ajoute la possibilité d’une nouvelle récession qui pourrait complètement saper des équilibres déjà bien fragiles. Lors de l’école d’été du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO, dont le PSL/LSP est la section belge) qui s’est tenue la semaine dernière à Barcelone, une discussion approfondie a abordé les perspectives de l’Europe, dont voici quelques éléments ci-dessous.

    Rapport de Geert Cool

    D’une crise économique à une crise politique

    Dix ans après la récession de 2007-2008, ses causes ne sont toujours présentes. Cela ouvre la voie à de nouveaux séismes dans l’économie. Alors même que a plupart des pays européens connaissent une croissance limitée, les répercussions politiques de la récession économique prennent de l’ampleur. Même le pays le plus fort de l’Union européenne, l’Allemagne, n’a pas pu échapper à une crise politique avec la formation difficile d’un nouveau gouvernement Merkel. Ceci a été rapidement suivi par la menace d’une crise gouvernementale autour de la question migratoire.

    L’Union européenne a été créée dans le but de disposer d’une plus grande stabilité ainsi que pour rapprocher les différents pays européens face à l’impérialisme américain ainsi que comme bloc face à l’Est. Aujourd’hui, cette stabilité n’existe plus et l’UE ne fait qu’accroître la division en Europe. L’UE ne peut pas donner le ton dans la guerre commerciale qui se développe. Le processus décisionnel stagne et l’establishment n’est plus en mesure de proposer quelque chose qui ressemble à un projet. Les propositions de Macron concernant le budget européen ont provoqué de la résistance, y compris chez Merkel, en partie à cause des craintes de tensions au sein même de sa propre coalition et de la pression de l’AfD populiste en Allemagne. L’UE n’a jamais été aussi faible qu’aujourd’hui !

    L’instabilité politique s’est accrue dans presque tous les pays européens, avec un nombre record de gouvernements minoritaires et une fragmentation politique sans précédent. Cela se reflétera encore dans les élections européennes de mai 2019. Outre la fragmentation et la création de nouveaux groupes. Macron tente par exemple de construire un groupe pro-européen, Mélenchon est en faveur d’un bloc de gauche sans Syriza (qui applique une politique d’austérité en Grèce) et l’extrême droite tente aussi de constituer de nouveaux groupes. Ces élections peuvent aussi être caractérisées par une très faible participation dans différents pays. La confiance dans toutes les institutions est en berne, y compris dans l’UE et les partis traditionnels.

    Le tremblement de terre italien

    Les élections italiennes de mars dernier ont mis en évidence les difficultés rencontrées par l’establishment en termes de représentation politique. Pour la deuxième fois en 25 ans, les instruments politiques traditionnels de la bourgeoisie ont été rayés de la carte. Plus de la moitié des électeurs ont soutenu la Lega et le Mouvement Cinq Etoiles, qui se présentent toutes deux comme des formations anti-establishment. Ce soutien résulte du rejet des partis traditionnels après des décennies d’attaques contre les conditions de vie des travailleurs et de la frustration croissante.

    Salvini de la Léga répond à ce mécontentement en le liant à la question de la migration. Il suggère que les nombreux problèmes auxquels la population est confrontée sont dus à l’arrivée de réfugiés plutôt qu’à l’avidité des capitalistes, dont la soif de bénéfices et de dividendes implique de s’en prendre aux conditions de vie des travailleurs et de leurs familles. Parallèlement, l’extrême droite et les populistes tels que ceux du Mouvement Cinq Etoiles tentent de se présenter comme des opposants à l’austérité. Des mesures sociales ont été promises, mais leur introduction a immédiatement été mise en veilleuse une fois au pouvoir.

    Le soutien dont disposent des forces telles que la Lega et le Mouvement Cinq Etoiles ne provient pas uniquement du rejet des partis établis, il découle également de l’absence d’une alternative sérieuse de gauche. Le virage à droite et la bourgeoisification de la social-démocratie ont causé de sérieux problèmes à cette dernière sur presque tout le continent, et les forces de gauche n’ont pas encore fait leurs preuves ou ne sont pas encore suffisamment conséquentes pour être considérées comme des alternatives sérieuses. Cela a permis à la Léga et au Mouvement Cinq Etoiles de se présenter comme des forces de changement.

    C’est aussi, soit dit en passant, sur cette base que certains politiciens bien établis ont pu remonter dans les sondages et remporter des élections. Macron en France ou Kurz en Autriche se sont présentés comme de nouveaux visages qui apporteraient de réels changements. L’effondrement rapide du soutien pour Macron – qui est déjà en concurrence avec Hollande en termes d’impopularité – est une réponse aux promesses de changement non-tenues ainsi qu’à ses mesures néolibérales particulièrement impopulaires. La France a connu d’importantes grèves et manifestations de masse ces derniers mois. En Autriche aussi, une première grande manifestation a eu lieu contre le gouvernement formé par les conservateurs (ÖVP) et l’extrême droite (FPÖ), principalement suite contre la mesure visant à porter la durée maximale de travail à 12 heures par jour.

    La seule façon pour les forces populistes et d’extrême droite de ne pas être immédiatement sanctionnées pour ne pas avoir rompu avec la politique d’austérité est de jouer la carte du racisme et de la migration. Des boucs émissaires sont recherchés et cela a un impact sur la population, principalement en raison de l’absence d’une réponse collective suffisamment forte de la part des syndicats et de la gauche. Cette situation, combinée à l’impact réel de la baisse des conditions de niveau de vie pour de larges couches de la population, créée des ouvertures pour les préjugés racistes.

    Le nouveau gouvernement italien est très instable et ne peut tenir ses promesses. Mais son existence donne confiance à l’extrême droite et les faits de violence raciste augmentent. Les socialistes révolutionnaires doivent défendre les couches les plus faibles de la société dans le cadre d’une lutte commune de toute la classe des travailleurs contre la politique d’austérité et contre la division encouragée pour nous affaiblir.

    Il semble que le gouvernement italien essaiera de placer son action dans les limites permises par l’UE, même si cela signifie de reporter ses promesses électorales. Avec la dette publique la plus élevée de l’UE et la troisième plus élevée au monde, la marge de manoeuvre est très limitée. C’est déjà le cas dans une période de reprise limitée, que cela pourra-t-il donner en cas de nouvelle récession ? L’économie italienne est dix fois plus importante que celle de Grèce. Le départ de l’Italie de la zone euro et de l’UE est encore moins évident à gérer que dans le cas de la Grèce. L’UE va donc faire tout ce qui est en son pouvoir pour garder l’Italie à bord et pour établir une relation de travail avec le gouvernement italien. La seule question est de savoir si cela sera possible, surtout dans l’éventualité d’un nouveau ralentissement économique.

    De crise en crise

    La récession précédente n’a été “résolue” que par des mesures de relance massives et la croissance limitée de ces dernières années s’appuie fortement sur celles-ci. Cela conduit à une forte augmentation du niveau d’endettement, qui est encore gérable pour l’instant en raison d’un taux d’intérêt bas. Mais cela signifie aussi que le matelas disponible pour absorber un prochain choc économique est beaucoup plus limité. Cela aura inévitablement des conséquences politiques. Un ancien dirigeant du FMI a ainsi publiquement déclaré qu’une autre crise pourrait être fatale pour l’UE.

    La croissance économique en Europe ralentit actuellement et plusieurs facteurs pourraient encore aggraver ce ralentissement. Il y a les conséquences des droits de douane à l’importation et du protectionnisme lancé par Trump, il y a le déclin de l’assouplissement quantitatif, les conséquences du Brexit, etc. Le ministre français des finances a expliqué que le status quo n’est plus possible et qu’il faut faire quelque chose pour absorber de nouveaux chocs économiques. Sans toutefois proposer quoi que ce soit à cet effet.

    La lutte collective et sa traduction politique

    Les conséquences de la politique d’austérité conduisent non seulement à l’affaiblissement des parti établis, mais aussi à des conflits. En France, les deux partis traditionnels ont été durement frappés lors des dernières élections et, dans le cas du PS, c’était un véritable uppercut. Macron et son parti La République En Marche l’ont remplacé. Cependant, il est déjà clair pour une grande partie de la population française que Macron est le président des riches. Il mène une politique à la Thatcher et se rend compte que c’est une course contre la montre pour mettre en œuvre le plus grand nombre possible de mesures.

    Il s’agit notamment de renforcer les moyens répressifs pour réduire la contestation au silence, mais aussi de privatisations et d’autres attaques contre les travailleurs. Cela entraîne des conflits sociaux et des actions, à l’image de la longue grève des chemins de fer français et les diverses manifestations contre l’austérité. Mélenchon est considéré comme la figure la plus importante de l’opposition à Macron. La France Insoumise, bien sûr, a des limites, mais il prend des initiatives pour unir et renforcer l’opposition à la politique de Macron dans la rue.

    Ces derniers mois, le centre de gravité des luttes collectives et des mouvements de protestation en Europe a peut-être été l’Espagne. Il n’y a pas seulement eu l’impressionnante grève féministe du 8 mars, à laquelle six millions de femmes et d’hommes ont pris part, ou les manifestations contre les peines très légères infligées aux violeurs de “La Meute”, il y a aussi eu des actions majeures de la part des retraités, entre autres. Il y a bien entendu également eu le mouvement phénoménal en Catalogne, dont il est question plus en détail plus loin dans ce rapport. On estime que 10 millions de personnes ont participé à des manifestations l’année dernière dans l’Etat espagnol, soit un adulte sur quatre ! L’establishment a dû en tenir compte : le gouvernement du PP s’est heurté à une motion de défiance qui a pu être remportée grâce aux pressions exercées sur les petits partenaires, comme les nationalistes basques. Cela ouvre la perspective d’un gouvernement social-démocrate du PSOE soutenu par la gauche radicale (Podemos et IU), suivant le modèle du gouvernement portugais.

    D’importants mouvements sociaux ont également eu lieu ailleurs. En Irlande, il y a eu la campagne en faveur de l’avortement et son remarquable résultat, deux tiers des participants se prononçant en faveur de la levée de l’interdiction constitutionnelle de l’avortement. Les jeunes ont pris les devants : 90 % des jeunes femmes sont allées voter, le nombre de jeunes femmes inscrites pour pouvoir voter a augmenté de 94 % par rapport aux dernières élections législatives irlandaises. Cela a été remarqué chez les personnes âgées, beaucoup d’entre elles prenant position en faveur de la levée de l’interdiction de l’avortement parce que c’est ce que la jeunesse désirait et qu’il s’agit de son avenir.

    Dans divers exemples de mouvements et de luttes, il est frappant de constater que la direction syndicale ne joue pas un rôle fondamental et n’est parfois même pas présente du tout. Là où les dirigeants syndicaux organisent la résistance, c’est souvent avec un manque de stratégie quant à la manière de construire le mouvement et certainement quant à la perspective d’une alternative politique contre les partis de l’austérité.

    Les nouvelles forces de gauche

    Non seulement les populistes de droite et l’extrême droite sont à la hausse, mais de nouvelles forces de gauche sont également à la hausse. Il ne s’agit souvent pas de véritables partis, mais plutôt de réseaux sans véritable structuration organisés via Internet (comme Podemos ou la France Insoumise, dans une certaine mesure). La question est de savoir si ces nouvelles forces de gauche pourront se développer de manière stable. Elles ne disposent pas d’un moyen évident pour impliquer une large base active dans la prise de décision et la mobilisation. Leur croissance électorale conduit à l’espoir de rompre avec la politique d’austérité dans la pratique également. Cela exige un programme et une perspective appropriés pour faire face au capitalisme. Le réformisme de gauche ne suffit pas, comme le montre douloureusement l’exemple grec de Syriza.

    Dans une situation complexe, il existe de nombreux obstacles et questions difficiles pour ces forces de gauche, comme le thème de la migration ou celui de la question nationale. L’espoir de changement fait pression sur la formation de coalitions avec les partis établis, y compris la social-démocratie, pour stopper l’austérité. Il est logique qu’une voie facile soit d’abord recherchée, mais cela n’enlève rien au fait que la confrontation avec le capitalisme doit être envisagée et préparée. Cela signifie de placer sa confiance dans la capacité de la classe ouvrière à s’organiser et à se battre. Le changement est forcé par une lutte de masse et non par des manœuvres parlementaires. Mais la pression pour un changement rapide doit être prise en compte. En ce sens, il était juste que le Bloc de gauche portugais et le Parti communiste portugais tolèrent un gouvernement minoritaire de la social-démocratie (un modèle maintenant également suivi en Espagne), mais cela doit s’accompagner d’une position indépendante visant à mobiliser et à impliquer des couches plus larges. Sinon, la gauche radicale risque de perdre ses plumes au profit de la social-démocratie. C’était déjà le cas lors des dernières élections locales au Portugal et c’est également possible en Espagne.

    Beaucoup d’espoir se concentrent sur Corbyn au Royaume Uni. Les élections locales de mai ont toutefois constitué un sérieux avertissement : le soutien aux travaillistes n’a pas été aussi fort que prévu, en partie parce que le parti poursuit une politique d’austérité au niveau local. De plus, Corbyn semble reculer rapidement dans chaque attaque, y compris dans la campagne qui vise à l’accuser d’antisémitisme en assimilant toute critique du régime réactionnaire israélien à l’antisémitisme. Les Tories de Theresa May sont particulièrement divisés autour, entre autres, du Brexit, ce qui permettrait de renverser ce gouvernement profondément affaiblit. De nouvelles élections législatives seraient l’occasion de revenir à une mobilisation plus large en faveur d’un programme offensif contre la politique antisociale. Un mouvement de masse pourrait pousser un gouvernement Corbyn plus à gauche que ce que les partisans de Corbyn ont l’intention de faire. Cependant, sans approche offensive, il est possible que le gouvernement reste en place et que le feuilleton du Brexit dure longtemps et soit confus. Cette humiliation du capitalisme britannique est l’expression de la position plus faible de l’impérialisme britannique et de ses dirigeants politiques.

    L’Europe de l’Est

    Dans les Balkans, ainsi qu’en Europe centrale et orientale, il existe des processus très contradictoires. En Pologne, par exemple, le parti au pouvoir, le PIS, poursuit une politique de répression autoritaire (avec notamment un contrôle accru du pouvoir judiciaire, la possibilité renforcée de réprimer la contestation, etc.) associée à un nationalisme fort (en Roumanie, c’est aussi le cas : la propagande anti-roumaine a été rendue punissable par le gouvernement social-démocrate). Dans le même temps, cependant, des mesures sociales ont été adoptées : des allocations familiales à partir du deuxième enfant (de 120 euros par mois), une réduction de l’âge de la retraite, une augmentation du salaire minimum, etc. (Concernant la situation en Pologne, nous publierons une interview plus tard). Nous assistons à des choses similaires dans d’autres pays d’Europe de l’Est.

    La croissance économique limitée et les tentatives des capitalistes locaux de s’approprier une plus grande part de l’économie conduisent à cette politique. Les gouvernements ne défendent pas les intérêts de la population ordinaire, mais ceux des capitalistes locaux. La rhétorique nationaliste et les éléments autoritaires conduisent à une croissance de l’extrême droite, y compris pour les groupes violents. C’est un danger pour tout le mouvement ouvrier. Dans le même temps, cependant, il y a des exemples de luttes, et même des mouvements sociaux assez importants, comme pour le droit à l’avortement ou pour des salaires plus élevés en Pologne, ou encore contre la corruption en Roumanie. La gauche peut s’appuyer sur ces points concrets.

    La migration et le mouvement ouvrier

    Le mouvement ouvrier et les nouvelles forces de gauche se heurtent à diverses complications. La migration est sans aucun doute l’une des plus importantes. Bien que le nombre de réfugiés ait fortement diminué depuis 2015, la migration a été utilisée pour mener une politique de bouc émissaire. Le Premier ministre Kurz a annoncé que ce serait le thème central de la présidence autrichienne de l’UE. En Allemagne, le gouvernement est sous la pression des populistes de droite de l’AfD.

    Tous les partis établis s’entendent sur le projet de l’Europe-Forteresse, mais ils ne s’entendent pas sur les quotas et la répartition des réfugiés. La répression s’intensifie : l’Italie refuse l’entrée aux bateaux de réfugiés, la Hongrie érige en infraction pénale le fait d’aider les réfugiés (même pour les avocats), l’Autriche a annoncé une surveillance plus stricte de sa frontière avec l’Allemagne, Macron critique Salvini mais augmente la surveillance aux frontières françaises.

    Des couches larges de la population sont favorables à l’adoption de législations plus strictes. Ce n’est pas tant sur base du racisme, même s’il existe, mais sur base des craintes ressenties au sujet de ce que le tissu social est capable de supporter dans la société. Cette peur ne peut être surmontée que par une lutte cohérente et collective de la part du mouvement ouvrier contre la politique d’austérité qui mine ce tissu social. Une attitude défensive qui épouse la logique de l’establishment capitaliste ne répond pas aux raisons pour lesquelles les gens fuient et constitue un obstacle à une lutte commune contre les causes des déficits sociaux. Sur une base capitaliste, il n’y a pas de solution à apporter à la question de la migration. Tant que ce système vivra, la situation pourrait même empirer. La question du changement social et d’une société socialiste doit être soulevée. C’est la seule façon de créer un monde où chacun pourra vivre et voyager comme il l’entend, sans risque de pauvreté, de persécution ou de guerre.

    Le mouvement ouvrier et la question nationale

    Un système en crise rend toutes les contradictions existantes plus prononcées. La question nationale en fait partie. Lors de l’école d’été du CIO, de nombreux exemples en ont été donnés : le mouvement en Catalogne, la situation en Irlande du Nord, l’appel à un deuxième référendum sur l’indépendance en Écosse, le débat sur le nom de Macédoine, la division à Chypre, etc. Plusieurs orateurs ont souligné que les marxistes sont en faveur du droit à l’autodétermination, mais que cela est directement lié à la nécessité d’un programme socialiste.

    Nous devons nous montrer flexibles dans notre tactique, mais déterminés dans notre programme. Des situations différentes exigent des approches différentes et une évaluation constante. Bien sûr, nous avons soutenu le droit du peuple catalan à un référendum sur l’indépendance contre la répression du gouvernement à Madrid. Cependant, un référendum en Irlande du Nord sur la frontière nord-sud dans le contexte du Brexit serait une toute autre affaire : cela ne ferait que renforcer dangereusement les divisions sectaires avec la possibilité d’un retour à la violence. Autour de la discussion sur le nom de Macédoine, nous avons défendu l’idée qu’il serait préférable d’adopter un nom tel que Macédoine du Nord pour la région de l’ancienne République yougoslave de Macédoine qui représente 38% du territoire total de l’ancienne Macédoine (52% se trouve en Grèce et 10% en Bulgarie).

    Malheureusement, il y a de la confusion parmi beaucoup de gens à gauche au sujet de la question nationale. Parfois, le besoin d’unité des travailleurs est invoqué pour nier le droit à l’autodétermination, alors que la reconnaissance de ce droit à l’autodétermination est précisément une condition préalable pour obtenir cette unité dans le respect de l’individualité de chacun et sur une base d’égalité. Les erreurs commises par Podemos et Izquierda Unida autour du mouvement catalan, en mettant l’opposition de masse en Catalogne sur un pied d’égalité avec la répression franquiste du gouvernement PP, sont en train de les exclure du mouvement. L’échec des travaillistes à soutenir le référendum sur l’indépendance en Écosse a conduit le parti à obtenir un score inférieur à celui des Conservateurs en Écosse, malgré la reprise limitée due à l’effet Corbyn.

    Lénine a fait remarquer un jour que ceux qui ne reconnaissent pas les droits des minorités et l’oppression nationale ne sont pas marxistes et ne sont même pas démocrates. La question nationale est un test important pour le programme et la méthode de toutes les organisations de gauche. Sans la reconnaissance du droit à l’autodétermination, les bolchéviks n’auraient pas pu réaliser la Révolution d’Octobre 1917. La question nationale gagnera en importance en période de crise du capitalisme. Elle peut constituer un levier dans la lutte contre l’austérité, l’oppression et le capitalisme.

    Construire l’alternative socialiste

    Dès 1938, dans le “Programme de transition”, Léon Trotski écrivait que la crise de l’humanité peut se résumer à la crise de la direction du mouvement ouvrier. Les nouvelles forces de gauche n’existent pas encore en tant qu’alternative, ce qui laisse de l’espace à de nombreuses forces pour marquer des points électoralement. Dans le même temps, cependant, nous devons reconnaître la position politique affaiblie de la bourgeoisie : nulle part il n’y a de gouvernement stable et cela avant cela que les forces de gauche ne représentent un défi important.

    Le rapport de force de la classe ouvrière est potentiellement bien meilleur qu’il n’y paraît à première vue. Avec de puissants partis des travailleurs, la situation pourrait être très différente et changerait énormément la conscience des masses. Il existe un fossé entre la maturité de la situation objective et l’immaturité des organisations de travailleurs. C’était déjà un thème du “Programme de transition” en 1938, mais cela est beaucoup plus prononcé aujourd’hui. Nous devons être proactifs dans la présentation de nos réponses et permettre aux nouvelles générations, qui commencent à entrer en lutte comme avec le référendum irlandais sur l’avortement, de prendre en compte les idées du socialisme.

  • Relations mondiales : Divisions ouvertes au G7

    L’échec du G7 et les pénalités douanières reflètent le désordre capitaliste mondial.

    Les déclarations de Trump à la suite de sa rencontre de Singapour avec Kim Jong-un ont fortement contrasté avec l’humeur pessimiste de la plupart des autres dirigeants qui l’avaient accompagné au dernier sommet du G7, au Canada.

    Par Robert Bechert, Secrétariat international du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO)

    Ce G7 fut une démonstration de faiblesse de la part de ce club de dirigeants. La réunion n’a pas pu cacher les divisions croissantes entre les vieilles puissances impérialistes, chose inédite depuis le début de ces réunions en 1975. Ce rassemblement de dirigeants capitalistes de premier plan n’avait vraiment rien à dire sur les questions cruciales auxquelles le monde est confronté. Le déclin du G7 a été fortement symbolisé par le retrait de Trump du communiqué final du G7. Cet exemple largement symbolique de la politique “America First” de Trump a été suivi par quelque chose de plus significatif, l’imposition de taxes douanières supplémentaires sur une série d’exportations chinoises vers les États-Unis.

    Ces mesures, ainsi que l’imposition antérieure de taxes supplémentaires sur les importations d’acier et d’aluminium aux États-Unis, ont accru les craintes des opposants de Trump, et de certains secteurs clés du milieu américain des affaires, que ces pénalités douanières puissent déclencher une guerre commerciale ou, à tout le moins, un ralentissement de l’économie mondiale.

    Ces mesures, ainsi que d’autres développements tels que la réaffirmation du rôle du régime russe au Moyen-Orient et ailleurs, ouvrent un nouveau chapitre dans les relations mondiales.

    Les affrontements individuels entre leaders n’étaient pas uniquement le résultat de la brutalité de Trump, de son ego, de ses propres « fake facts » et de ses changements rapides de politique. Plus fondamentalement, ils reflètent les changements qui surviennent dans les relations politiques et économiques mondiales alors que les rivalités et l’instabilité augmentent à un moment où l’économie internationale n’a pas encore échappé aux conséquences de la crise qui a commencé en 2007/8.

    La montée en puissance de la Chine nouvellement capitaliste et l’affaiblissement relatif de l’impérialisme américain constituent des éléments cruciaux. Ce déclin est l’une des raisons pour lesquelles Trump utilise des tarifs douaniers contre la Chine. Historiquement, la première puissance de toute époque a défendu le libre-échange, en raison de sa domination du marché mondial, comme l’a fait la Grande-Bretagne au XIXe siècle. En outre, la domination stratégique internationale dont les Etats-Unis ont bénéficié après l’effondrement de l’ex-Union soviétique est terminée. Mais, en dépit de la montée en puissance de la Chine et de son rôle international croissant, les États-Unis demeurent aujourd’hui encore la première économie mondiale et la puissance militaire mondiale prédominante.

    D’autres ingrédients de ce mélange international volatil sont l’aiguisement des questions environnementales, comme l’approvisionnement en eau, et la façon dont certains pays connaissent une croissance démographique rapide qui modifie également les équilibres de force régionaux, tout en posant fortement la question de ce que l’avenir réserve à des dizaines de millions de jeunes.

    Pour les jeunes en particulier, le futur caractère de l’emploi est posé par les changements structurels profonds qui se produisent à la fois dans les économies nationales et dans l’économie mondiale à mesure que la technologie et la numérisation se développent. Une question clé sera de savoir qui bénéficiera de ces changements, les capitalistes et une petite élite ou au contraire la masse de l’humanité. Actuellement, beaucoup de ces développements sont utilisés pour accroître les profits et aiguiser la concurrence au détriment des travailleurs.

    Dans ce contexte, l’économie mondiale a renoué avec la croissance, mais à un rythme plus lent qu’avant la crise de 2007/8. Cependant, une grande partie de cette croissance repose sur l’utilisation de la dette pour tenter de surmonter les séquelles persistantes de cette crise. Rien qu’en 2017, la dette mondiale totale a augmenté de plus de 20.000 milliards de dollars pour atteindre 237.000 milliards de dollars, soit l’équivalent de 30.000 dollars pour chaque être humain sur la planète, ce qui a suscité des craintes d’une nouvelle crise financière.

    Simultanément, l’Union européenne (UE) est confrontée à ses propres problèmes de tensions entre ses membres, aux effets de Brexit, à la prévention d’une nouvelle crise monétaire de l’euro, à l’impact de l’afflux de migrants et à son propre déclin international relatif. Ce n’est pas un hasard si, au G7, le nouveau gouvernement italien était le seul qui semblait éprouver de la sympathie à l’égard de certaines des positions de Trump.

    Tout cela s’est traduit par une concurrence accrue entre puissances rivales pour maintenir ou accroître leur part d’un marché à croissance lente et à concurrence plus intense. L’”America First” de Trump en est un exemple frappant, mais il exprime plus ouvertement et plus grossièrement ce que tous les capitalistes visent. L’administration de Trump ne s’inquiète pas de l’instabilité que ses actions créent, elle la considère comme une rupture de l’équilibre avec ses rivaux et libère l’impérialisme américain de certaines des contraintes imposées par la collaboration avec d’autres puissances. Mais la classe dirigeante américaine est loin d’être la seule à poursuivre ses propres intérêts, actuellement c’est Trump qui est tout simplement le plus direct à le dire. L’impérialisme allemand est actuellement généralement plus circonspect dans la manière dont il cherche à diriger l’UE, bien qu’il ait été brutal lorsqu’il a réussi à mettre la Grèce au pied du mur en 2015.

    Trump veut également toujours préserver sa base aux Etats-Unis, la plupart de ses tweets lui sont destinée, un régime régulier de vantardises concernant ce qu’il a “fait”, de nationalisme et d’attaques populistes contre ses opposants. Outre la droite, une partie importante de la base de Trump est composée de ceux dont le niveau de vie était déjà en difficulté avant la récession et qui se sentaient les laissés pour compte de ce qu’ils voyaient comme un establishment élitiste. Ainsi, Trump continue de promettre de “rendre l’Amérique à nouveau grande” ainsi que de ramener des emplois de bonne qualité dans le pays et d’attaquer hypocritement les membres de la classe dirigeante américaine qui osent s’opposer à lui.

    Mais, à bien des égards, la situation aux États-Unis n’est pas unique. Partout dans le monde, la colère et l’aliénation minent les institutions et les structures existantes, y compris les parlements et les partis politiques. Dans de nombreux pays, avant même l’éclatement de la crise de 2007/8, des années d’attaques néolibérales et de revers pour les mouvements ouvriers avaient entraîné une polarisation croissante de la richesse et une diminution des conditions de vie tant pour la classe ouvrière que pour des sections de la classe moyenne.

    Depuis lors, la longue crise a davantage creusé le niveau de vie, le travail “atypique” (les contrats à durée déterminée, le travail précaire, le développement de secteurs à bas salaire imposés par les autorités, etc.) s’est étendu et de plus en plus de gens craignaient que leurs enfants et leurs petits-enfants aient un niveau de vie moins élevé et des perspectives de vie moins bonnes. En plus de cette colère, l’idée s’est développée parmi beaucoup de gens qu’ils payent une crise dont ils ne sont pas responsables, en dépit des efforts vains de la classe dirigeante pour leur faire accepter l’inverse. Le fait que de nombreuses banques, dont il est généralement admis qu’elles ont déclenché la crise de 2007/8, ont recommencé à réaliser d’énormes bénéfices ne fera que renforcer cette amertume.

    Autre source d’amertume ; la récente croissance économique limitée n’a pas, dans de nombreux pays, entraîné d’augmentation réelle et soutenue des revenus et des conditions de travail de la classe ouvrière ou de la classe moyenne. Actuellement, l’Allemagne, la plus grande économie européenne, connaît le taux d’emploi le plus élevé de son histoire, mais les syndicats estiment qu’environ 20% des travailleurs se trouvent dans le secteur des bas salaires.

    Cela survient à un moment où, à l’échelle internationale, l’énorme polarisation des richesses s’est poursuivie. Les politiques d’”assouplissement quantitatif” (QE, quantitative easing) menées par de nombreux gouvernements dans le but d’atténuer l’impact de la crise ont dans les faits également servi à enrichir davantage la classe dirigeante. En Grande-Bretagne, la Banque d’Angleterre estime que les 10% des familles les plus riches ont bénéficié en moyenne chacune de 350.000 livres sterling grâce à ces opérations d’assouplissement quantitatif entre 2009 et 2014, soit environ 1.345 livres sterling de revenus supplémentaires chaque semaine, et ces familles ont certainement gagné bien plus depuis lors.

    Après le début de la crise, pays après pays, les protestations se sont multipliées, qu’il s’agisse de luttes industrielles, de manifestations de masse ou de la naissance de nouveaux mouvements politiques. Toutefois, jusqu’à présent, ces développements n’ont pas conduit à des changements décisifs. Cela s’explique en grande partie par le fait que les dirigeants de ces mouvements ne disposent pas d’un programme visant à contester le système capitaliste ou ne sont pas disposés à le faire. Cet échec, qui s’est surtout traduit par la trahison des dirigeants de SYRIZA en Grèce en 2015 lorsqu’ils ont accepté de mettre en œuvre des politiques d’austérité, a souvent ouvert la voie à la croissance des populistes de droite et des partis d’extrême droite. Ces forces ont parfois mentionné de véritables questions et craintes, mais ont donné des réponses erronées, souvent enrobées d’une propagande réactionnaire et nationaliste.

    La victoire de Trump elle-même était en partie enracinée dans la déception éprouvée face aux promesses « d’espoir » d’Obama, qui ne se sont pas concrétisées pour nombre d’Américains, au côté de la campagne pro-entreprise pourrie de Clinton. Alors que Trump représente une partie de la classe dirigeante américaine, sa prise de pouvoir sur le parti républicain américain et son arrivée à la présidence reflète combien les classes dirigeantes nationales ont, du moins pour l’instant, perdu leur emprise sur les événements politiques dans leurs propres États. Même si les politiciens capitalistes et les machines d’Etat n’ont pas dans le passé tout simplement été de simples marionnettes aux mains de la classe dirigeante, ils représentaient généralement leurs intérêts généraux, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui avec les gouvernements actuels aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et maintenant en Italie.

    Mais les événements ne se développent pas en ligne droite. La victoire de Trump elle-même a stimulé l’opposition au sein des États-Unis. Il ne faut pas oublier qu’il a perdu le vote populaire en 2016 et que Trump craint évidemment de futures défaites électorales. Il veut désespérément maintenir sa base ensemble, se présenter comme un “outsider” et est prêt à blâmer les autres pour tous ses échecs. Ses tactiques grossières, souvent basées la logique de « diviser pour mieux régner » tant au niveau national qu’international, peuvent elles-mêmes accroître les turbulence et provoquer des changements rapides.

    Malgré son caractère international, fortement renforcé par la mondialisation, le capitalisme, de par sa nature même, est enraciné dans l’État-nation, ce qui entraîne des rivalités, des affrontements et est à l’origine de conflits et de guerres. Avant la Seconde Guerre mondiale, c’était même le cas entre alliés. Ce n’est qu’en 1939 que l’armée américaine a cessé de mettre à jour son « War Plan Red », un plan consacré à un éventuel conflit militaire avec la Grande-Bretagne. Et même alors, ce plan a été préservé un certain nombre d’années. Il est évident qu’il n’y a aucune perspective de guerre entre les États-Unis et la Grande-Bretagne aujourd’hui, mais l’histoire joue encore un rôle aujourd’hui. Ainsi, dans le cadre de sa propagande, Trump a récemment reproché au Canada d’avoir incendié Washington DC en 1814, alors qu’il s’agissait en fait d’une armée britannique.

    Après 1945, le capitalisme a été contesté durant des décennies par le stalinisme. Le stalinisme ne représentait pas le socialisme, mais un régime totalitaire qui a émergé à partir des développements contre-révolutionnaires survenus en Russie dans les années 1920 et 1930. Cependant, pendant des décennies, ce système ne reposait pas sur une économie capitaliste. Pendant un certain temps, surtout après 1945, les puissances capitalistes ont craint que la transformation de pays comme la Russie et la Chine soit considérée comme des exemples illustrant que des alternatives au capitalisme étaient possibles. L’existence d’Etats non capitalistes, bien que staliniens, a fourni un ciment qui a généralement gardé sous contrôle les rivalités et les conflits entre grandes puissances capitalistes. Mais après l’effondrement du stalinisme en ex-Union soviétique et en Europe, suivi de la transformation de la Chine en une forme particulière de capitalisme d’État, ce ciment s’est dissous. C’est en partie pourquoi Trump et ses partisans estiment que c’est le bon moment pour lancer une contre-offensive contre les capitalistes rivaux qui prospèrent aux dépens des Etats-Unis.

    Mais ce ne sont pas seulement les politiques de Trump qui causent des perturbations. Les tensions s’intensifient à nouveau au sein de l’Union européenne, non seulement sur la question des migrations, mais aussi sur l’avenir de la zone euro, en particulier sur la manière de faire face à une nouvelle crise bancaire, ce qui est largement considéré comme une possibilité. L’UE peut également être confrontée par le fait que l’Italie et d’autres pays de l’UE, se tournent vers Trump afin de bénéficier d’un effet de levier contre l’Allemagne et la France, ce qui conduirait à des affrontements plus profonds.

    Depuis les années 1930, les divisions capitalistes internationales n’ont jamais été aussi ouvertes. Alors que des affrontements militaires directs entre grandes puissances capitalistes sont très peu probables à ce stade, la possibilité de conflits régionaux, de guerres par procuration et, plus tard, peut-être même d’escarmouches entre les forces américaines et chinoises ne peut être exclue.

    Bien sûr, dans ces conflits, l’hypocrisie ne manque pas de part et d’autre. Les médias capitalistes des pays qui ressentent les attaques de Trump ont critiqué son incapacité à mentionner les droits de l’homme avec Kim Jong-un, mais ils omettent souvent de mentionner le silence de leurs propres gouvernements sur les droits de l’homme en Arabie Saoudite et dans les autres dictatures du Golfe.

    La polarisation qui prend place aux États-Unis montre comment les politiques de Trump, l’enrichissement de sa propre famille et son comportement personnel provoquent une opposition. Parallèlement, la combinaison d’une croissance économique limitée et d’une augmentation considérable des bénéfices de nombreuses entreprises aux États-Unis commence à encourager les travailleurs à faire pression pour obtenir leurs revendications. Le nombre total de membres des syndicats américains a augmenté de 262.000 personnes l’an dernier, les trois quarts de ces nouveaux affiliés ayant moins de 34 ans. Cette année a déjà été marquée par une vague de grèves parmi les enseignants, souvent organisées par la base, afin d’exiger plus de moyens pour l’enseignement ainsi que de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail.

    Tant aux États-Unis qu’à l’échelle internationale, on craint que les politiques de Trump, malgré sa rencontre amicale avec Kim Jong-un, ne conduisent à de nouveaux conflits militaires, en particulier au Moyen-Orient. Ceci, au côté de sa politique réactionnaire, constituera un facteur important dans les manifestations de masse qui accueilleront la visite de Trump en Grande-Bretagne en juillet.

    Mais aux États-Unis même, l’intérêt croissant pour le socialisme reflète la recherche d’une issue pour la société. Parmi ceux qui cherchent une alternative se développe la compréhension que les victoires de la droite – d’abord George W. Bush et maintenant Trump – étaient le reflet de la déception populaire à l’égard des présidences de Bill Clinton et d’Obama. La victoire de Trump, comme les succès de la droite dans d’autres pays, est liée au fait que les républicains traditionnels et Hilary Clinton n’étaient pas en mesure de faire face aux populistes et nationalistes de droite, ainsi qu’à l’extrême droite, qui exploitent les craintes et la colère de la population.

    C’est pourquoi il est si nécessaire de construire une alternative socialiste contre les troubles et les dysfonctionnements du capitalisme. Des luttes prendront place sur des questions importantes comme les conditions de vie, l’oppression, l’environnement et les droits démocratiques, ainsi que contre les politiques menées par les politiciens capitalistes. Il est d’une nécessité vitale de discuter du programme et des stratégies nécessaires pour remporter ces batailles mais, pour parvenir à un changement durable, cela doit être lié à la construction ou à la reconstruction d’un mouvement socialiste clairement indépendant du capitalisme et qui lui soit opposé.

    Cela signifie d’avoir la perspective de renverser le capitalisme, de placer les secteurs économiques clés sous propriété publique et de commencer à démocratiquement planifier l’utilisation des talents humains et des ressources à travers le monde dans l’intérêt de l’humanité et non pour satisfaire l’avidité capitaliste. C’est ce que Socialist Alternative défend aux Etats-Unis dans les divers mouvements de lutte qui s’y développent et ce que d’autres activistes du Comité pour une Alternative Ouvrière défendent également dans le monde entier.

  • Italie : Une nouvelle crise pour le capitalisme européen

    Mattarella (au centre) défend les intérêts d’une partie du capital italien. Son veto à un ministre de la Léga et du Mouvement des cinq étoiles conduit à une nouvelle crise politique aux conséquences profondes. Ce pourrait être le début d’une nouvelle crise pour la zone euro et l’UE.

    Ce qui était déjà une grave crise pour le capitalisme italien – le rejet, lors des élections générales de mars, des partis de l’establishment – s’est transformé en ce que l’on peut considérer comme une bombe à retardement qui menace également l’Union européenne et l’euro. Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) a averti, à plusieurs reprises, que la tentative de conserver une monnaie commune et une économie intégrée sur une base capitaliste s’effondrera à un certain stade. La Grèce ne devait pas le dernier pays à menacer leur rupture. Ce qui se passe en Italie, ainsi que le départ du Royaume-Uni, pourrait entraîner un éclatement de la zone euro et/ou de l’Union européenne sous leur forme actuelle.

    L’Italie, avec sa dette nationale massive et son économie stagnante, était un candidat de choix pour une nouvelle crise. Les racines de cette dernières puisent dans l’insatisfaction profonde des travailleurs et des pauvres du pays après des décennies d’absence de croissance et d’austérité paralysante. Les deux partis populistes qui ont “gagné” les élections de mars dernier, et qui devaient former un gouvernement, étaient le Mouvement des cinq étoiles (M5S) et la Lega. Leurs projets comprenaient des attaques contre les migrants et certaines expressions d’un nationalisme extrême, mais ces partis promettaient aussi un revenu de base, des impôts moins élevés et une augmentation des dépenses publiques. Ils ont comblé le vide créé par les politiques criminellement pro-capitalistes de la gauche italienne dans le passé, y compris le Parti de la refondation communiste – le RPC – qui s’est pratiquement effondré.

    Aucun de ces partis n’a préconisé de quitter l’UE, pas plus que le ministre des finances choisi par les deux partis, Paolo Savona. Mais il était connu comme eurosceptique et les représentants des banques et des grandes entreprises savent que les pressions pour sortir de la camisole de force de l’UE pourraient bien pousser un gouvernement M5S/Lega vers une rupture.

    De mal en pis

    La décision du président italien d’aller à l’encontre de celle des partis élus et d’imposer un nom différent pour le ministre des finances – Carlo Cotterelli, qui vient du Fonds monétaire international (FMI) – a aggravé les choses et envoyé les bourses de l’Europe vers la chute libre.

    La crise gouvernementale se développe d’heure en heure, le président italien utilisant ses pouvoirs autoritaires et parlementaires bonapartistes pour renverser les décisions et en proposer de nouvelles.

    Outre la colère justifiable des électeurs face à l’intervention du président dans la recherche d’un gouvernement sûr pour le capitalisme et les appels à sa destitution, les actions du président ont alimenté un plus grand soutien aux partis qui ont remporté les élections ! Les attaques des représentants les plus enragés du capitalisme allemand ne peuvent qu’enflammer la situation. Le commissaire allemand au budget de l’UE, Gunther Oettinger, a déclaré que l’effondrement des marchés en Italie montrerait aux électeurs italiens les dangers de voter pour des populistes.

    Ce n’est pas seulement en Italie que les marchés reflètent des craintes quant à l’avenir de l’UE et, en fait, de leur système, face à la colère populaire. Le financier George Soros a averti que la zone euro fait face à une crise existentielle. Comme l’a dit Larry Elliott dans le journal Guardian (Londres, 30 mai) : “Depuis des années, les marchés financiers se demandent d’où viendra la prochaine crise mondiale. Une rupture de l’euro causée par “Italeave” ferait certainement l’affaire.” Le titre de son article est le suivant : “L’union monétaire aurait survécu à la perte de la Grèce. Elle ne survivrait pas à la perte de l’Italie”.

    Lorsque la Grèce a été intimidée de poursuivre la politique d’austérité sauvage comme condition pour des prêts supplémentaires, le CIO a fait valoir qu’une alternative existait. Elle impliquait de rompre avec le capitalisme et de diffuser les idées d’une alternative socialiste à travers l’Europe du Sud – l’Espagne, le Portugal et, surtout, l’Italie.

    Nous luttons pour une confédération socialiste d’Europe, comprenant l’Allemagne. La lutte contre les politiques de l’impérialisme allemand doit inclure un appel à la classe ouvrière puissante de ce pays pour rompre avec les politiques réactionnaires de ses gouvernements capitalistes. C’est l’approche que les socialistes italiens doivent adopter – trouver un moyen d’exprimer la colère des travailleurs et des jeunes contre le système et s’efforcer de construire un nouveau parti des travailleurs pour lutter pour le socialisme – en Italie et au niveau international.


    L’article suivant a été publié par Resistenze Internazionali (section italienne du Comité pour une Internationale Ouvrière):

    Au cours du dernier épisode en date du drame politique post-électoral interminable en Italie, le Président de la République, Mattarella, a torpillé le gouvernement de coalition “jaune-vert” qui était sur le point d’être formé par la Lega et le Mouvement des cinq étoiles (M5S). Cinq jours seulement après sa nomination au poste de Premier ministre, le professeur de droit Giuseppe Conte a remis sa démission et va maintenant retomber dans l’obscurité politique.

    Ces événements ont déclenché une grave crise politique, constitutionnelle, économique et financière qui a déjà des conséquences européennes et internationales. Au sommet, il s’agit d’une lutte de pouvoir politique qui reflète les divisions entre les différentes ailes de la classe capitaliste. Alors que des petites et moyennes entreprises du nord du pays ont trouvé une voix politique dans la Léga populiste de droite, les grandes entreprises et les entreprises davantage axées sur l’exportation ont vu leurs dernières représentations politiques – le Parti démocratique (PD) et Forza Italia – annihilées sur le plan électoral. Dans cette situation, Mattarella est devenu leur seul espoir.

    Le déclencheur de la démission de Conte a été le refus de Mattarella de soutenir l’économiste Paolo Savona que la Lega et le M5S avaient proposé comme ministre de l’économie. Bien que cela ne soit pas sans précédent, le recours au veto présidentiel dans une telle situation est rare, reflétant la profonde crise politique à laquelle la bourgeoisie italienne est confrontée. Mattarella n’aurait pas pu être plus clair sur sa motivation. La nomination de Savona, a-t-il déclaré, était alarmante pour les investisseurs italiens et étrangers en raison de sa position sur l’euro.

    Paolo Savona n’est guère un révolutionnaire. Bien que l’économiste de 81 ans ait décrit l’euro comme une erreur historique et a souligné l’importance d’avoir un “Plan B”, il n’a pas préconisé le départ de l’Italie, et une sortie de l’UE ne faisait pas partie du contrat gouvernemental Lega/M5S. En fait, Savona a derrière lui une longue carrière en tant que représentant de l’establishment, comme ministre, actif dans le secteur bancaire et dans la Confindustria, la fédération patronale. Pourtant, sous la pression des fonctionnaires de l’UE, des dirigeants des gouvernements de l’UE, des marchés financiers et des agences de notation, Mattarella, et derrière lui le PD et des sections de la classe capitaliste italienne, s’est montré prêt à adopter une mesure aussi radicale dans l’espoir de calmer la tourmente des marchés et de donner l’apparence d’un “business as usual”.

    A la place de Conte, le remplaçant de Mattarella est Carlo Cottarelli, un ancien fonctionnaire du FMI et conseiller en matière d’examen des dépenses publiques (c’est-à-dire des coupes budgétaires), connu sous le nom de “M.Scissorhands” (Monsieur Ciseaux) en raison de son enthousiasme pour la promotion des coupes budgétaires, de l’austérité et de l’équilibre budgétaire. Ces politiques sont exactement à l’opposé des réductions d’impôt sur le revenu des particuliers et de l’augmentation des prestations sociales que le gouvernement M5S/Lega promettait. Mais loin de calmer les marchés, sa nomination a conduit à une nouvelle baisse de la Borsa, la bourse italienne, et à une hausse des spreads sur la dette publique au niveau le plus élevé depuis la fin 2013. Il sera presque impossible pour Cottarelli de remporter le vote de confiance du parlement, ce qui se traduira par une nouvelle élection, peut-être à l’automne, avec Cottarelli à la tête d’un gouvernement virtuel jusqu’à la dissolution du parlement, ou même une élection surprise en juillet.

    Et ensuite ?

    Plutôt que de freiner les populistes, le “coup présidentiel” de Mattarella aura joué dans leurs mains, renforçant le profond climat anti-establishment exposé au grand jour lors des élections du 4 mars en signe de protestation contre des années de crise économique et de corruption. La Léga et le M5S ont appelé à des manifestations de protestation pour le 2 juin (le Jour de la République). Selon l’Instituto Cattaneo, si le M5S et la Lega se présentaient ensemble aux prochaines élections (ce qui n’est pas du tout certain), ils remporteraient environ 70 % des sièges au parlement. Quoi qu’il en soit, ils seront probablement les plus grands gagnants. La Lega, en particulier, a rapidement augmenté son soutien (principalement aux dépens du parti de Berlusconi, Forza Italia) avec un sondage d’opinion lui donnant 27%, juste quelques points derrière le M5S. Dans le même temps, le mécontentement s’est accru au sein du M5S et l’on ne peut exclure que la direction de Di Maio soit contestée par ceux qui estiment qu’on leur a volé le pouvoir et que Di Maio a vendu le parti à Salvini, le chef de la Léga.

    “L’Italie n’est pas une colonie”, a déclaré Salvini. “Les Allemands ne peuvent pas nous dire quoi faire”, a-t-il ajouté. Cela donne une idée du type de campagne électorale susceptible d’être menée : “Qui contrôle l’Italie – le peuple ou l’élite, les pouvoirs en place, les marchés financiers et l’UE”. Alors que l’Europe était à peine mentionnée durant les élections de mars, il est probable qu’elle occupera le devant de la scène cette prochaine fois. Dans cette situation, la gauche ne peut pas être perçue comme s’identifiant à l’un ou l’autre côté de la lutte pour le pouvoir politique. La coalition de gauche récemment créée (et encore petite et hétérogène), Potere al Popolo, devra se battre pour canaliser une partie de l’atmosphère anti-establishment dans une direction clairement anticapitaliste, loin de l’approche nationaliste et souverainiste de droite qui dominera pendant la campagne électorale. Ce ne sera pas une tâche facile, mais c’est absolument urgent et c’est pour cela que Resistenze Internazionali fera campagne.

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