Tag: Tunisie

  • Ecole d’été du CIO : Kazakhstan, une situation explosive

    Le Kazakhstan actuellement des développements importants. Une grève de travailleurs du pétrole dure depuis plus de 2 mois, et cette situation de contestation se retrouve plus généralement dans le pays. Aujourd’hui, les masses du pays commencent à ne plus avoir peur, et un scénario ‘‘à la tunisienne’’ n’est pas à exclure pour les prochaines années.

    La grève des travailleurs de KazMunaiGas

    La grève a commencé dans une filiale de l’entreprise nationale de pétrole, décrite comme une entreprise nationale mais sous le contrôle d’un seul homme, le beau-frère du président Nazarbaïev, qui possède également d’autres entreprises dans le secteur. A la base, les travailleurs demandaient que l’entreprise respecte la législation sociale.

    Là où se trouvent les champs pétroliers, les conditions sont très pénibles. Ce sont des déserts où la température peut atteindre 40° l’été, et -40° l’hiver. Rien ne pousse dans la région, tout doit être acheminé, et les salaires permettent à peine de pouvoir acheter la nourriture, qui coûte très cher. Ces derniers mois, il y a eu plusieurs morts sur le site, mais la direction refuse de reconnaitre sa responsabilité. Elle envoie ainsi une lettre de licenciement à la famille pour s’assurer de n’être plus responsable.

    Dans un premier temps, les travailleurs ont écrit au président et à diverses autres personnes pour chercher un soutien, durant toute une année, mais sans résultat. Ils en sont donc arrivés à la conclusion qu’ils ne pouvaient compter que sur eux même. Les syndicats leur ont mis des bâtons dans les roues et, l’an dernier, un travailleur a même été passé à tabac sur ordre des responsables syndicaux. Cela été la goutte d’eau qui a fait débordé le vase.

    Les travailleurs ont donc organisé leur propre conférence afin d’élire leurs propres délégués, mais les syndicats ont refusé de signer les papiers permettant de reconnaitre cette conférence. D’autre part, les travailleurs avaient transmis à la police toutes les informations relatives à l’agression, mais elle n’a rien fait. Finalement, la grève a éclaté le 17 mai dernier.

    Cette grève a été déclarée illégale, des grévistes ont été licenciés et leur avocat a même été arrêté sous l’accusation de vol de documents le jour même du déclenchement de la grève. Directement, els grévistes ont envoyé un piquet devant les locaux de la police, et un des travailleurs, accusé d’avoir organisé le piquet, a directement été arrêté lui aussi. L’un des syndicalistes arrêté est diabétique et, durant les premiers temps de son enfermement, on a refusé de lui donner de l’insuline, ce qui est considéré comme de la torture au regard du droit international. La seule manière de libérer ces camarades est que la grève soit victorieuse, car on ne peut rien attendre de la justice, totalement corrompue.

    Peu après le déclenchement de la grève, une usine d’une ville voisine est également partie en grève, en solidarité. Les travailleurs de cette entreprise avaient l’habitude des pratiques de la direction. Lors d’une grève précédente portant sur les salaires, leur dirigeant syndical avait été accusé de détention de drogue, un piège des plus grossiers. Ensuite, des sous-traitants sont eux-aussi entrés en grève en solidarité. Aujourd’hui, quelque 18.000 personnes sont impliquées dans la lutte, ce à quoi il faut encore ajouter les familles. La lutte se déroule dans conditions très dures. Beaucoup de grévistes sont licenciés, des maisons de grévistes sont brulées et l’un d’entre eux est décédé de crise cardiaque durant une action. Il y a quelques semaines, les femmes des grévistes ont manifesté et elles aussi ont dû subir une lourde et violente répression policière.

    Des travailleurs en lutte sont entrés en grève de la faim et après une semaine, quand la grève de la faim commence à avoir un sérieux impact sur le corps, on leur a refusé l’assistance médicale, ce qui n’est pas seulement illégal, mais aussi contre le serment d’Hippocrate. D’autres travailleurs ont toutefois décidé de rejoindre la grève de la faim et ont tenté d’installer des tentes devant l’hôtel de ville. Lorsque la police est intervenue, ils ont décidé de s’installer sur la route principale de la ville. La police a commencé à tenter d’arrêter tout le monde, et des grévistes ont alors ouvert leur ventre pour protester. La police a essayé d’assurer qu’aucune information ne circule au sujet du conflit, elle a donc aussi arrêté tous les journalistes. Il y avait un mariage non loin, et le caméraman a lui aussi été arrêté.

    Contrôle de l’information

    Ce n’est pas tr ès compliqué pour le régime de contrôler l’information, tout étant détenu par une seule personne: le beau-fils de Nazarbaïev. Les droits de l’Homme n’existent tout simplement pas dans le pays. Les travailleurs sont exploités comme des esclaves et la liberté de la presse ou la liberté de pensée est quasiment inexistante. L’essentiel des journaux sont aux mains de la famille présidentielle et, lorsqu’un journal indépendant essaie de se développer, il n’est pas rare que ses journalistes soient battus. Même les blogs sont bloqués, et le contrôle d’internet est intense. Une loi est même passée pour que chacun soit considéré comme un journaliste pour ce qu’il écrit sur internet, et puisse donc être passé en jugement et envoyé en prison. Dans celle-ci, les tortures sont monnaie courante. La situation qui y existe a été récemment dénoncée par un journaliste, qui connaissait particulièrement bien le sujet pour y été envoyé par deux fois, condamné par de fausses accusations.

    Les grévistes ont essayé de briser le contrôle de l’information, et une grande nouvelle est arrivée avec la déclaration du chanteur Sting. Sting a annulé un concert prévu en juin à Astana, la capitale du Kazakhstan pour protester contre la répression touchant les grévistes. Les organisateurs kazakh du concert ont quant à eux évoqué des "raisons techniques et d’organisation" pour expliquer cette annulation. Sting a notamment déclaré : ‘‘Des grèves de la faim, des travailleurs emprisonnés et des dizaines de milliers (de personnes) en grève représentent un piquet de grève virtuel que je n’ai nullement l’intention de franchir.’’ Cela et d’autres choses ont permis que toute la population du pays soit désormais au courant de ce qui se passe. Mais le gouvernement déclare toujours qu’il ne se passe rien de grave.

    Cette attitude est typique du régime. Pendant 20 ans, celui-ci a assuré que l’activité du président avait grandit le pays, contre toute logique puisque, dans les faits, tout a été détruit. Toutes les entreprises qui avaient été laissées après la chute de l’URSS ont été détruites. C’est toute la production basée sur la transformation qui a disparu, et seule l’extraction de matières premières a été soutenue. Ce pays très riche, aux ressources naturelles énormes, a connu une désindustrialisation, et tous les bénéfices ont été directement orientés vers les poches de la famille du président Nazarbaïev.

    Un pays aux ressources naturelles gigantesques

    Quant à l’extraction de pétrole, elle n’obéit qu’à une vision à très court terme, où on pompe tout maintenant, sans penser aux conséquences pour le lendemain. On trouve aussi de l’uranium dans le pays, mais toute l’extraction s’effectue à ciel ouvert, sans tenir compte des effets dangereux sur la population. L’extraction de charbon s’effectue aussi à ciel ouvert et quand le filon est épuisé, ils repartent en laissant le trou béant. Un des très bons amis du président est le géant de l’acier Mittal, et, là comme ailleurs, les bénéfices gigantesques s’expliquent par les très bas salaires, le manque totale de protection et le déni de la moindre règle de sécurité. Dans les mines, il est commun pour les travailleurs de se demander : le coup de grisou sera-t-il pour aujourd’hui ou pour demain ? De fait, les décès sont fort nombreux. Uniquement l’an dernier, pas moins de six explosions ont eu lieu dans les mines.

    Le Kazakhstan est un pays gigantesque, équivalent à la surface de l’Europe Occidentale, mais avec une population de 15 millions de personnes environ. Selon BP, le pays abrite 3% des réserves mondiales connues de pétrole, et 1% des réserves mondiales de gaz. Ces ressources naturelles attirent bien entendu une grande convoitise, et il n’est dès lors pas surprenant de voir que les puissances étrangères se taisent sur les actes du régime, et vont même jusqu’à considérer que le Kazakhstan est une démocratie ! En 2010, le président Nazarbaïev a même été nommé à la tête de la présidence tournante de l’OSCE (Organization for Security and Cooperation in Europe, l’Organisation pour la Sécurité et la coopération en Europe). Pourtant, à l’occasion des élections de 2005, la même OSCE avait critiqué le caractère non-démocratique de celles-ci… Le pays est aussi une des clés des jeux géopolitiques de la région, c’est l’arène de conflits d’intérêts entre les USA, l’Union Européenne, la Chine et la Russie.

    Un pays taillé sur mesure pour une seule famille

    Le pays ne comprend pas de logements sociaux, et les logements normaux sont extraordinairement chers. La population doit emprunter à des taux mirobolants afin de pouvoir se loger. Quand la crise économique a frappé le Kazakhstan, les banques ont rencontré de grands problèmes et il a fallu les sauver. Par contre, pas le moindre centime n’a été dépensé pour soutenir les familles endettées. La question d’organiser la défense de la population est sans cesse plus cruciale face aux taux hypothécaires trop élevés,… Maintenant, les banques procèdent à des expulsions en laissant les gens à la rue. Un des dirigeants du mouvement ‘‘Touche pas à nos logements’’ est actuellement menacé d’emprisonnement, la police tente de le condamner avec des charges criminelles. Un peu plus tôt, sa voiture avait été sabotée, on avait trafiqué sa pédale de frein et le frein à main.

    En fait, une seule famille est défendue et protégée dans le pays : celle du président, au pouvoir depuis plus de vingt ans. La constitution du pays a d’ailleurs été écrite par le président lui-même et, en mai 2010, ce dernier a à nouveau modifié la constitution pour y introduire la notion de ‘‘chef de la nation’’, ce dernier étant immunisé de toute poursuite, cette immunité étant à vie et même étendue à sa famille. Exemple illustratif : un des beaux-fils de la famille présidentielle tient un night club dans la capitale. Un soir, il a été tabassé par un client trop saoul, une quarantaine de policiers ont ensuite été licenciés pour ne pas avoir assez bien assuré la protection de la famille du président.

    Une des principales caractéristiques du régime est la concentration énorme de richesses aux mains du clan Nazarbaïev, combinée à l’héritage du stalinisme en termes de culte de la personnalité et de népotisme (il a été président du Conseil des ministres de la République socialiste soviétique kazakhe de 1984 à 1989 et premier secrétaire du Parti communiste kazakh de 1989 à 1991).

    Nazarbaïev s’est maintenu au pouvoir en falsifiant les votes, mais pas seulement. Maintenant, la falsification touche également le taux de participation aux élections, car plus personne ne veut aller voter. La blague est célèbre dans le pays ; aux prochaines élections, le taux de participation sera de 102%… Lors des élections d’avril 2011, Nazarbaïev a été réélu dès le premier tour avec 95,55 % de suffrage pour un taux de participation de 89,99%. Trois candidats étaient en lice, les deux ‘‘opposants’’ au président étant en fait là pour faire de la figuration. L’organisation de défense du droit au logement a manifesté dans la capitale à 200 personnes pour revendiquer de présenter un candidat, mais ces 200 personnes ont directement été arrêtées. Quant aux résultats électoraux, qui rappellent ceux dont se revendiquaient Moubarak ou Bel Ali, un de nos camarades qui était observateur durant ces élections a pu concrètement voir comment parvenir à un tel ‘‘soutien’’…

    Pour êtres crédibles, les élections devaient au moins obtenir 4 millions de votants. Le régime a donc forcé les gens à aller voter ou utilisé des subterfuges, comme d’envoyer des bus ‘‘d’électeurs’’ d’un bureau de vote à l’autre pour y voter, remonter dans le bus, et se diriger à un autre bureau. Dans le bureau de vote où le camarade était, il a peut-être vu 100 personnes passer voter, mais en fin de journées, plus de 1000 personnes s’étaient officiellement déplacées au vu du nombre de bulletins… Dans certaines usines, les travailleurs recevaient 25 à 30 euros de bonus (une somme énorme par rapport aux salaires) pour aller voter pour le président tandis que les étudiants qui n’allaient pas voter étaient menacés de ne plus pouvoir suivre leurs études.

    Le rôle de la jeunesse

    D’année en année, on observe une diminution du nombre d’étudiants. La loi sur la refonte de l’enseignement supérieur tient à assurer que l’enseignement supérieur sera entièrement privatisé d’ici quelques années, et que seuls les très riches pourront y assister. Le régime part du principe que des gens éduqués risquent de trop réfléchir et de commencer à s’opposer à lui. D’ailleurs, pour les jeunes qui ont reçu une instruction et qui ne font pas partie des cercles dirigeants, il est très difficile de trouver un emploi ou un logement.

    On trouve de plus en plus de jeunes dans la capitale, comme l’économie rurale s’effondre et que l’exode vers les villes est gigantesque. Le pays est couvert de villes fantômes où personne n’habite plus. Tous les subsides sont consacrés à Astana, la capitale, les autres villes ne recevant rien. A ce rythme, d’ici quelques années, le pays sera vide, à l’exception des zones d’extraction de matières premières et des deux grandes villes ; Alma-Ata et Astana, gigantesque capitale futuriste qui, comme Las Vegas, ne sera bientôt plus qu’un point lumineux dans le désert.

    La jeunesse se rend de plus en plus compte qu’elle n’a pas d’avenir avec le régime, cette colère commence à se transformer en conscience politique. Lorsque nos camarades ont visité les grévistes du pétrole, des travailleurs leur ont dit : nous avons près de 10.000 jeunes chômeurs ici, voulez-vous nous aider à les organiser ?

    Il est très difficile de dire quand, mais il est certain que le moment où la jeunesse va se soulever dans le pays est assez proche. Les capitalistes ne résoudront jamais les problèmes de la population, ils ne cherchent même pas à légèrement les atténuer, aveuglés par leur soif de profits à court terme.

    Potentiel révolutionnaire

    Actuellement, l’Etat s’attaque très durement à nos camarades. Notre organisation voit son influence grandir car la population est de plus en plus dégouttée par le ‘‘travail’’ de l’opposition officielle et, par contre, ils peuvent voir quelles actions nous menons, à la fois avec notre section dans le pays (soutien actif aux luttes pour défendre les logements, soutien actif aux grèves et à leur organisation,…) ainsi qu’avec notre internationale (plusieurs visites de camarades, visite du député européen du CIO Joe Higgins l’an dernier et celle de son remplaçant Paul Murphy cette année,..).

    Dans le cas des grévistes du secteur pétrolier, nous avons pris l’initiative d’un comité de soutien national, dont une des principales tâches est de récolter du soutien financier pour les grévistes. Nous essayons d’impliquer le plus de monde dans ces comités, y compris des artistes et des chanteurs. Un photographe européen reconnu a déjà vendu plusieurs photos pour soutenir financièrement les familles des grévistes, tandis que de nombreux groupes rock ont déclaré soutenir la grève et sont en train d’organiser un concert de soutien.

    Cette grève est de la plus haute importance, et nous devons assurer de tout mettre en œuvre pour assurer sa victoire. Il y a de grandes chances pour que les mineurs partent eux aussi en lutte en cas de victoire de leurs camarades du pétrole, et cela pourrait enclencher un processus de luttes de grande ampleur dans le pays. Et contrairement à la Tunisie ou à l’Egypte, le CIO aura des forces actives et reconnues dès le début du processus révolutionnaire. Bien évidemment, nous devons aussi penser à la possibilité d’une défaite à cause d’une trop grande répression durant trop longtemps, à cause du manque d’expérience des dirigeants des grévistes pour tenir suffisamment longtemps dans ce contexte extrêmement tendu,… Le gouvernement utiliserait cet élément décourageant, qui pourrait faire taire la contestation sociale pendant un certain laps de temps. Mais, pour revenir à l’expérience de la lutte de Gafsa en Tunisie, la défaite a néanmoins constitué une expérience très riche pour la suite. Le potentiel est véritablement présent pour une explosion à caractère révolutionnaire dans le pays.

    Bien entendu, le régime est parfaitement au courant du danger qu’il court, lui aussi regarde vers le Moyen Orient et l’Afrique du Nord, mais avec effroi. Un des leviers sur lequel il peut jouer est celui de la composition ethnique du pays. Le Kazakhstan est la dernière république à avoir déclaré son indépendance de l’URSS, et la seule où l’ethnie locale n’était pas majoritaire dans le pays. Depuis lors, Nazarbaïev a tenté de susciter le développement d’un sentiment national dans le pays, et beaucoup de Kazakhs sont revenus dans le pays, tandis que des Russes ou membres d’une autre nationalité sont repartis. Le sentiment national est un outil pour détourner l’attention des gens des problèmes sociaux et, en période de crise sociale aigüe, cela restera un des derniers recours du régime.

    Les Kazakhs sont favorisés pour postes dans services publics alors que, dans beaucoup d’entreprises, les Kazakhs ont des postes subalternes par rapport aux autres ethnies ou aux travailleurs d’origine étrangère. Les entreprises chinoises sont par exemple de plus en plus présentes dans le pays. Mais elles arrivent avec leurs propres travailleurs qualifiés, tandis que les travailleurs locaux n’ont que des postes subalternes, mangent dans une cantine différente,… Les travailleurs étrangers sont de façon générale mieux payés, d’autant plus que les attaques dans l’enseignement supérieur entraînent une pénurie de main d’œuvre qualifiée dans le pays, compensée par l’arrivée de techniciens étrangers. La ségrégation est réelle, fort pesante, et peut en dernier recours être utilisée par le régime pour détourner une contestation sociale en une contestation de type nationaliste.

    Il y a bien entendu également la question de la répression, particulièrement féroce. Nos camarades y font régulièrement face, comme en ont témoignés les nombreux appels à la solidarité que l’ont a pu voir sur le site du CIO (socialistworld.net) ou sur celui-ci. Il sera nécessaire pour le CIO de renforcer cette campagne de solidarité avec nos camarades kazakhs ainsi qu’avec les travailleurs en lutte dans ce pays, par exemple en organisant des protestations devant des sites ou des sièges d’entreprises occidentales qui profitent de la situation sociale du Kazakhstan pour augmenter leurs profits (GAP, Zara, Metro,…). C’est particulièrement vrai dans le cas de la Grande-Bretagne. En décembre dernier, une délégation officielle s’est rendue au Kazakhstan, et le Prince Andrew a lui-même traité avec les oligarques liés au régime. Des entreprises telles que British Gaz ont des intérêts dans le pays.

    Au Kazakhstan même, nous devons orienter nos efforts pour éviter qu’un changement de régime se résume à dégager Nazarbaïev. Un autre prétendant pourra essayer de se profiler pour sauver le régime capitaliste. Si Nazarbaïev est renversé, ou s’il décède et que sa succession n’est pas assurée (les rumeurs concernant l’état de santé du président sont nombreuses), l’impérialisme pourrait changer de tactique et peser de tout son poids pour hâter l’avènement au pouvoir d’un des partis d’opposition officiels, qui font tous partie de l’oligarchie qui détient l’économie entre ses mains. On assisterait alors à des privatisations massives dans les secteurs du pétrole et du gaz, ou une bonne partie de la production reste aux mains de l’Etat (et dans les mains de la famille du président dans les faits), d’où l’importance de revendications tells que le contrôle de la production par les travailleurs. Il est aussi possible que les explosions sociales se développent et se prolongent, et que le régime soit capable de gérer une transition post- Nazarbaïev, mais cela devra absolument être accompagné d’une répression féroce du mouvement des travailleurs.

    Là aussi, l’expérience révolutionnaire de Tunisie ou d’Egypte doit être regardée : il faut essayer de peser pour que la lutte ne soit pas simplement orientée vers le sommet de la pyramide, mais vers la pyramide elle-même, en amenant la question d’une société socialiste démocratique.

  • Révolution 2.0 : potentiel et limites

    Elle se prénomme Facebook. La petite fille née en février dernier est un enfant de la Révolution. En lui donnant ce prénom, ses parents ont voulu faire honneur au réseau social et à son rôle dans la révolution égyptienne. Au delà de l’anecdote on assiste à un phénomène majeur dont l’ampleur et la vitesse de propagation n’ont pas fini de nous surprendre.

    Par Jean (Luxembourg)

    En Tunisie et en Egypte, les nouveaux médias web 2.0 ont joué un grand rôle dans les mobilisations contre les dictatures en place. Les blogs et les réseaux sociaux ont à la fois servi de caisse de résonance pour les appels à la mobilisation et les revendications populaires, d’antidote contre la censure et d’outil de débat pour la construction du mouvement. Un cocktail explosif pour des systèmes politiques qui supportaient très mal la critique ou la simple liberté de parole.

    Internet, surtout depuis ses développements “sociaux” (blogs, réseaux sociaux, plateformes collaboratives…) est une révolution technologique comparable à l’invention de l’imprimerie.

    Sauf que cette fois-ci, l’évolution est beaucoup plus rapide. L’accès à l’information est pour ainsi dire immédiat et illimité, à condition d’avoir accès à internet. La nouveauté est que chacun peut désormais participer à la production du “Savoir”, de l’information, peut lancer des idées ou des débats. Il y a quelques années encore, le débat public se déroulait exclusivement sur les plateaux de télévision, et la barrière à l’entrée était très élevée. Aujourd’hui, de parfaits anonymes peuvent acquérir une influence grâce à un blog ou une autre forme de présence online.

    Sommes-nous rentrés dans l’ère des Révolutions 2.0 ? Les modes d’action traditionnels sont-ils dépassés? Faut-il craindre des dérives, des tentatives de récupération ? Autant de questions auxquelles les révolutionnaires doivent répondre s’ils veulent qu’un jour le monde change vraiment de base.

    Hossam al-Hamalawy, est un journaliste indépendant égyptien, et un des bloggeurs les plus en vue dans son pays. C’est un acteur majeur de la “Révolution 2.0”. Mais il relativise sa portée : “Le web 2.0 a été un instrument pour diffuser l’information. je sais que les médias principaux on appelé ça une révolution Facebook mais ce sont des gens en chair et en os qui sont allés dans la rue se confronter à la police, et même quand le gouvernement à coupé internet pendant 4 jours, en plus de couper les réseaux de communication et les SMS, la mobilisation a continué… Donc, le web 2.0 a joué un rôle important, mais ce n’était pas le seul facteur qui a mené les gens dans la rue”.

    Rappelons aussi que la chute des dictateurs en Tunisie et en Egypte n’a été possible que grâce à l’entrée en action de la classe ouvrière organisée, et par des grèves dans des grandes entreprises. Car Internet ou pas, la lutte des classes se construit toujours avec les mêmes ingrédients : syndicats indépendants, conscience de classe, arrêts de travail, grève générale… Les nouveaux médias peuvent également être utilisés dans ce processus, mais les discussions entre salariés sur leur lieu de travail resteront irremplaçables.

    La “Revolution 2.0” est également une réalité car elle a été lancée par une nouvelle classe ouvrière urbaine et éduquée qui a utilisé ses outils de travail pour rompre son isolement. Dans ce contexte, la question des technologies utilisées n’est pas négligeable, mais c’est la détermination des jeunes et des travailleurs en lutte qui a fait la différence et qui a pu précipiter la chute des régimes.

    Les modes d’action traditionnels ne sont donc pas dépassés. Il s’agit plutôt d’utiliser les nouveaux médias pour les renforcer. Par contre, il faudra rester vigilant quant à l’évolution de notre environnement numérique, détenu entièrement par des grandes firmes capitalistes. La collaboration de Google avec les autorités chinoises, et les débats français autour du projet Hadopi nous le rappellent régulièrement. Bien sûr, on voit mal la bourgeoisie occidentale couper Internet pendant plusieurs jours au premier petit vent de révolte. Mais elle a des moyens plus subtils de filtrer et de fliquer nos communications. Elle se prépare de plus en plus à une “cyber-guerre” (un budget annuel de 30 milliards $ y est consacré aux Etats-Unis) orientée officiellement contre le terrorisme et l’espionnage industriel mais qui pourrait très bien “déraper” sur nos libertés fondamentales.

    Pour s’en prémunir, un contrôle démocratique de l’Internet et des principaux réseaux sociaux, moteurs de recherche, etc. ne serait pas un luxe. Mais cela ne sera possible qu’avec une très forte pression révolutionnaire à l’échelle internationale.

  • Rapport Meeting Gaza Bruxelles

    Mercredi soir, les sections du PSL-LSP de Bruxelles ont organisé à Molenbeek un meeting-débat sur les questions relatives au blocus de Gaza. Paul Murphy, député européen de notre parti frère le Socialist Party en Irlande, a introduit le débat sur base notamment du fait qu’il a participé à la deuxième flottille pour la liberté.

    L’idée était de pouvoir discuter des perspectives et des moyens pour briser le blocus de Gaza et d’aborder les questions relatives à l’établissement d’un Etat palestinien indépendant. Les interventions lors du débat ont permis d’aborder des points diverses : rôle et influences des processus révolutionnaires en Afrique du Nord et Moyen Orient, politiques des élites palestiniennes et israéliennes, influences des divisions religieuses dans un processus de lutte unifiée des jeunes et des travailleurs etc… Le travail de nos camarades présents en Israël (Socialist Struggle Movement) est un atout majeur pour une telle discussion. L’actualité récente en Egypte, en Tunisie, en Lybie modifie et influence bien sûr la situation pour Israël/Palestine jusqu’aux luttes des jeunes et des travailleurs en Israël même.

    Nous remercions tous les participants présents au débat.

    Liens:

  • [DOSSIER] Qu’est-ce que la révolution et comment la faire aboutir ?

    Trente ans de capitalisme néolibéral ont plongé la société dans le chaos. Dans des pays comme l’Espagne ou la Grèce, plus de 40% de la jeunesse est au chômage, une génération sans avenir. Même dans les pays capitalistes les plus riches, comme aux États-Unis, les jeunes demeurent plus longtemps chez leurs parents à cause des bas salaires et des emplois instables qui ne permettent pas de se construire une vie indépendante. L’exploitation et l’inégalité se sont tellement accrues qu’il est aujourd’hui impossible d’entretenir toute une famille avec un seul salaire, comme cela était possible dans les années ‘60, durant l’extraordinaire période de croissance du capitalisme qui a suivi la seconde guerre mondiale.

    Par Peter Delsing

    Le capitalisme en crise générale

    L’actuelle forme d’organisation de la société, basée sur la propriété privée des moyens de production et orientée vers le profit, se heurte à ses propres limites : baisse du niveau de vie, destruction de l’environnement, flux de réfugiés, guerres et interventions impérialistes et enfin instabilité générale sur les plans financier et économique.

    La classe dirigeante capitaliste craint que son système ne soit devenu incontrôlable. Mais ces gens sont incapables de donner une solution pour l’immense crise de la dette qui menace de disloquer le système tout entier, en commençant par les maillons les plus faibles que sont la Grèce, l’Irlande, le Portugal, etc. Dans ces pays, il est possible d’assister à des soulèvements massifs de la population, la politique d’austérité commence sérieusement à ressembler à de la torture sociale. La situation est intenable pour la plus grande partie de la population, tous les acquis du passé étant maintenant en danger. En Espagne, les idées révolutionnaires ont spontanément repris vigueur, même sans l’apport des marxistes, au cours de la récente révolte de la jeunesse qui a déferlé sur les places du pays.

    Il ne s’agit pas encore d’un clair soutien à l’idée de socialisme ou à celle d’une économie démocratiquement planifiée, mais cela illustre toutefois que le socialiste révolutionnaire Karl Marx avait bien raison : une fois qu’une société ne peut plus développer les forces productives, une fois que la bourgeoisie ne peut plus représenter le présumé “intérêt général”, alors survient une période révolutionnaire. En Grèce, des dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes considèrent les parlementaires comme étant des “traitres”, les politiciens ne peuvent plus se promener en rue. Des “grèves politiques” orientées vers la chute du gouvernement y sont à l’ordre du jour.

    La question qui se pose est la suivante: quelle est l’alternative ?

    Égypte et Tunisie : l’idée de “révolution” à nouveau à l’avant-plan

    A la chute du stalinisme – caricature totalitaire de “socialisme” – les capitalistes et leurs idéologues ont eu le champ libre. Pour eux, il n’était pas encore suffisant de bêtement assimiler le stalinisme avec la première période démocratique de l’État ouvrier russe (pendant et juste après le mouvement de masse révolutionnaire et la prise du pouvoir en 1917). Il était clair pour eux que l’idée même de révolution était en soi à proscrire, qu’une rupture fondamentale avec le capitalisme ne pourrait que conduire à une nouvelle dictature.

    Cependant, le système des soviets – des comités démocratiquement élus sur les lieux de travail, dans les casernes, les quartiers, etc. – représente la forme de société la plus démocratique jamais connue. En dehors de cela, au niveau d’une ville, la Commune de Paris en 1871 avait déjà été caractérisée par Marx comme étant la ‘‘révélation finale quant à la forme politique de l’émancipation de la classe ouvrière.’’ Ce n’est que par l’isolement de l’Union soviétique, par l’absence d’une révolution dans un pays occidental plus développé, que la bureaucratie stalinienne a pu de plus en plus écarter du pouvoir les travailleurs et leurs représentants, à partir de 1924.

    Récemment, et quasiment en direct à la télé dans le cas de l’Égypte, nous avons pu observer la véritable dynamique d’une révolution. Cela part d’une situation où les conditions de vie de la majorité de la population sont largement considérées comme injustes et intenables. Le cocktail de la dictature asphyxiante, avec le soutien de la part des régimes occidentaux, du chômage de masse, de la dégénérescence néolibérale,… n’était plus passivement accepté.

    En outre, avec les canaux d’information croissants, l’internet (les vidéos You Tube, etc.), il était difficile de présenter ces mouvements de masse en Tunisie et en Égypte comme étant l’oeuvre d’un petit groupe de conspirateurs ou de putschistes.

    Même la presse bourgeoise ne pouvait que difficilement nier le fait, bien que parfois en grinçant des dents, que ces révolutions devaient être décrites comme “massives” et “justes”. Les médias ont été moins prompts à rapporter que c’est l’intervention des travailleurs égyptiens en tant que classe, via les méthodes de lutte syndicale et de grèves, qui a constitué l’élément décisif pour la fuite du dictateur Moubarak. Si un pion a été sacrifié, le système derrière lui est encore en grande partie sur pied.

    Un processus révolutionnaire apparait lorsque les masses entrent sur la scène de l’Histoire et tentent de prendre leur sort en mains. C’est ce que nous avons vu en Tunisie et en Égypte. Ce sont des moments de politisation de masse de la société, avec une immense soif d’idées capables de faire progresser la lutte.

    Les conditions pour une révolution

    Léon Trotski décrit bien dans son “Histoire de la révolution russe” à la fois la fermentation à l’oeuvre dans la société et comment les conditions en sont arrivées à être mûres pour la révolution. Les forces féodales et bourgeoises étaient trop faibles et trop divisées pour faire avancer la société. Les classes moyennes étaient mécontentes et entraient même en action : les paysans, les petits propriétaires, ont pris les terres des grands propriétaires. Les étudiants étaient alors inspirés par la lutte des travailleurs dans les usines et rejoignaient le mouvement révolutionnaire. Les mêmes phénomènes se voient aujourd’hui au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ainsi qu’en Europe méridionale. Le capitalisme en tant que système n’offre plus aucune issue. Les étudiants et les jeunes sont la flamme de la révolution, mais c’est la classe ouvrière organisée qui constitue la force décisive dans la société. Elle seule possède la puissance économique – avec les mobilisations de masse, les grèves, les occupations d’entreprise,… – pour bloquer la société et poser les bases d’un autre système.

    Il est compréhensible que dans le mouvement de la jeunesse, en Espagne par exemple, il y ait une méfiance à l’encontre des dirigeants syndicaux bureaucratiques qui offrent peu de considération à leur base. Mais cette direction doit être distinguée des membres de la base, qui ne font pas partie de ceux qui tirent les ficelles avec la classe dirigeante, et ne sont pas liés à son appareil d’État. Nous avons besoin de syndicats démocratiques, avec une direction liée aux militants et sous le contrôle direct de la base, des syndicats qui luttent contre le capitalisme lui-même et ne se laissent pas absorber dans l’État bourgeois. En Espagne et en Grèce, nous voyons maintenant aussi des éléments d’une union de la jeunesse et de syndicats combatifs, ou avec une partie de la base syndicale, dans le cadre de la résistance contre les coupes budgétaires. Cela est potentiellement une force extrêmement puissante dans la lutte pour un changement de société.

    Il faut un parti de masse

    Pendant la première phase des révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, de nombreux éléments classiques dans un processus révolutionnaire sont apparus. La classe dirigeante est discréditée et divisée. Les classe moyennes sont en colère contre le régime, ou se tiennent dans la rue aux côtés de la classe ouvrière. La classe ouvrière est prête à se battre pour ses intérêts et entraine les autres couches de la société dans son sillage. Les masses avancent sur la scène de l’Histoire.

    Les faiblesses de ces révolutions, que nous avons déjà mentionnées, et qui expliquent aussi pourquoi les vieux régimes existent toujours et tentent de reprendre le contrôle de la situation, sont le manque d’une conscience socialiste et d’un parti de masse capable d’apporter un programme révolutionnaire et socialiste dans le mouvement.

    Il est compréhensible que beaucoup de gens se méfient des partis politiques traditionnels ou autres véhicules bureaucratiques. Mais un parti démocratique de masse, avec une direction révocable à tout moment et qui ne gagne pas plus que le salaire moyen d’un travailleur qualifié, est une condition essentielle pour unifier l’ensemble des couches des masses en lutte, et ainsi jeter la base pour un gouvernement des travailleurs, des opprimés et des jeunes, élus directement sur les lieux de travail, dans les écoles, dans les quartiers, etc.

  • Grèce : La politique d’austérité sauvage est passée malgré le mouvement de masse

    Lâchant les gaz lacrymogènes et toutes sortes de menaces, le gouvernement Pasok (social-démocrate, parti-frère de notre PS) en Grèce a voté en faveur de nouvelles mesures d’austérité pendant une grève générale de protestation de 48 heures et durant l’action du mouvement des “Indignés”. Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues d’Athènes le 28 juin pendant les manifestations syndicales en direction de la place Syntagma (place de la Constitution), non loin des bâtiments du Parlement. Pendant la soirée, près de 50 000 personnes se sont rendues à un concert de “rébellion”. Mercredi 29 juin, des dizaines de milliers de gens ont convergé dans le centre d’Athènes pour y exprimer leur colère. Les confédérations syndicales avaient appelé à une grève de 48 heures. Le soutien était absolument massif. Les transports publics étaient à l’arrêt – sauf le métro, à qui on avait demandé d’amener les gens aux manifestations –, et la participation du secteur public était écrasante.

    Stephan Kimmerle, CIO, Athènes

    Toutefois, la réaction de la police était brutale. Leur objectif était clair – briser le mouvement. Même les médias capitalistes ont déploré la sauvagerie de l’État grec. Encore et encore, la place Syntagma et les rues avoisinantes ont été englouties dans un nuage de gaz lacrymos. Les “forces spéciales” de la police ont attaqué les manifestants, allant jusqu’à leur lancer des pierres. Le concert du soir du 28 juin a été enseveli sous un bombardement de grenades à gaz. Le 29 juin a commencé par l’attaque de la police sur les manifestants à coups de matraques et de gaz tandis que ceux-ci se rassemblaient en vue d’encercler le Parlement comme il avait été décidé.

    La police n’a cette fois pas attendu les provocations de la part de collègues en civil infiltrés ou d’anarchistes. Rien que le 29 juin, 2250 cartouches de gaz lacrymo ont été utilisées contre les manifestations. Et même le soir, tandis que les manifestants tentaient de se remettre des événements en s’asseyant aux terrasses du coin pour se manger un petit souvlaki (kebab grec), ils ont encore dû subir des raids de la “police delta” – escadron spécial de deux flics sur une moto, un qui conduit, l’autre qui donne des coups de matraque et qui balance des lacrymos.

    Mais cette tentative de “donner une bonne leçon” à la nouvelle couche de militants s’est retournée contre l’État. Encore et encore, les manifestants ont tenté de reprendre la place centrale d’Athènes. Une nouvelle couche de militants a développé une réelle détermination, et ceci sera important dans les luttes futures.

    Le mémorandum est passé

    L’objectif du mouvement des Indignés et des syndicats était clair : Non à un “second mémorandum”, c’est à dire à un nouvel énorme plan de coupes budgétaires brutales et d’autres attaques contre la classe ouvrière – un plan dicté par la “troïka” de l’UE, de la BCE et du FMI (Union européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international). C’était la nouvelle étape de la résistance. Les opposants ne voulaient pas que la majorité des dirigeants syndicaux (dont la plupart sont toujours liés au parti Pasok au pouvoir) se contente d’appeler à une autre petite grève générale d’une journée dans le seul but de laisser échapper la vapeur, puis de renvoyer tout le monde à la maison en espérant que ça leur ait suffi. Le mouvement des Indignés est donc parvenu à forcer une intensification des actions de résistance afin de tenter d’empêcher les plans des capitalistes européens et grecs et de leurs agents politiques.

    Toutefois, malgré les énormes protestations de rue au cours de la grève générale du 15 juin, qui a vu 250 000 personnes défiler dans les rues d’Athènes, de même que des manifestations partout dans le pays et le mouvement d’occupation des Indignés dans diverses villes majeures, auxquelles il faut ajouter la grève générale de 48 heures et la détermination de dizaines de milliers d’opposants face au gaz lacrymo et à la brutalité policière, le parti Pasok au pouvoir a utilisé sa majorité au Parlement pour voter en faveur du plan d’austérité drastique. 154 des 155 députés Pasok “socialistes” et un député du parti libéral Nouvelle Démocratie ont voté pour, donnant ainsi une majorité de 155 voix “pour” sur 300 députés. Le seul député Pasok qui a osé voté “contre” a été immédiatement exclu de son parti.

    La Frankfurter Allgemeine Zeitung, qui est un des principaux journaux allemands, a cité dans son édition du 30 juin le ministre grec des Finances, M. Venizelos : « Nous faisons ce qui nous est ordonné et ce qu’on nous permet ». Un peu plus loin, ce journal rapportait aussi le fait qu’un député Pasok avait demandé à savoir à quoi sert son travail, si toutes les décisions sont de toutes manières prises par le FMI, l’UE et la BCE. Commentaire du journal : « En fait, à l’avenir, la Grèce ne sera plus qu’une démocratie limitée. La population grecque peut voter – mais cela ne changera en réalité pas grand’chose ».

    En suivant cette approche, le Parlement a également voté le 30 juin en faveur d’une législation permettant au gouvernement de mettre en pratique le programme de coupes. Cela inclut la création d’une agence de privatisation, dont l’objectif sera de privatiser les compagnies du public et de vendre les actifs détenus par l’État, pour un total de 50 milliards d’euro et ce, d’ici 2015. On a également voté de nouvelles hausses d’impôts, la destruction de 150 000 nouveaux postes dans le public, et une nouvelle coupe dans le budget de la sécurité sociale (qui n’était déjà pas grand chose au départ). Par conséquent, les nouveaux chômeurs grecs devront “vivre” avec un maximum de 450€ par mois (cela étant le plafond maximum d’allocation de chômage), alors que les prix à Athènes sont toujours bel et bien comparables à ceux de Londres. Et cette allocation ne sera versée que pour les premiers douze mois de chômage – après cela, il n’y aura plus aucune allocation sociale, et il faudra aux chômeurs et à de nombreuses autres personnes aller demander l’aumône à l’église, à moins d’avoir une famille et des amis capables de les soutenir.

    Avec les mesures d’austérité qui ont déjà été mises en vigueur jusqu’ici, les conditions de vie des travailleurs, des chômeurs et des pensionnés ont été gravement endommagées. Dans le secteur privé, les salaires ont été baissés de 10-20%.

    Les nouvelles mesures adoptées la semaine passée au Parlement grec préparent le terrain pour encore plus d’instabilité économique, sociale et politique.

    Les effets économiques de la crise et de la politique d’austérité sont dévastateurs. Loin d’initier la reprise tant promise, le chômage continue à augmenter (un nouveau pic est maintenant atteint avec 20% de chômage, dont 39% des moins de 25 ans). La “croissance” économique grecque est d’un misérable +0,2% – bien en-dessous de la moyenne de la zone euro. Les mesures drastiques mises en œuvre sapent en réalité toute possibilité de reprise et poussent la société de plus en plus près de l’effondrement.

    Pour reprendre les termes du magazine britannique The Economist (30/06/2011), ce programme « va très certainement condamner la Grèce à la récession, aux troubles et au final, à la faillite »

    Même les analystes capitalistes considèrent maintenant la stratégie de la troïka plus comme un “avertissement” aux autres pays de la zone euro qui ont des problèmes similaires, plutôt que comme une tentative de résoudre la crise grecque. Cela fournit également aux multinationales une bonne occasion de s’emparer des entreprises d’État grecques, comme la compagnie des télécoms OTE ou la compagnie électrique DEI, selon des termes plus qu’avantageux pour les “investisseurs” étrangers, à seulement 20-30% de la valeur d’avant-crise de leurs actions.

    Wolfgang Münchau dans le Financial Times (27/06/2011, avant le vote du Parlement) faisait ce commentaire : « La stratégie de l’UE réduit le choix des Grecs à ceci : la faillite le mois prochain, ou l’an prochain ».

    Ce délai d’un an semble bien optimiste, comme l’explique l’éditorialiste de The Economist (30 juin) : « Chaque trimestre, avant que les pays de la zone euro et le FMI ne donnent leur paquet d’aide suivant, ils doivent décider si oui ou non la Grèce est sur la bonne voie. Et chaque trimestre il sera de plus en plus clair que la réponse est : non ».

    Le non-paiement de la dette par la Grèce aurait des répercussions gigantesques, et remettrait en question l’ensemble du projet de l’euro et mènerait à de nouveaux revirements économiques et politiques spectaculaires. Mais le non-paiement, tout en offrant au capitalisme grec un certain espace pour pouvoir respirer, n’est pas une issue pour les travailleurs, pour les jeunes, les pauvres et les classes moyennes, à moins que cela ne soit lié à une rupture avec le capitalisme. De même, quitter l’euro tout en restant dans le cadre du capitalisme signifierait une chute du niveau de vie sur base de la dévaluation de l’extérieur plutôt que de l’intérieur.

    Un programme d’austérité forcé à coups de lacrymo

    Pour pouvoir mettre en œuvre les dernières mesures d’austérité, une pression énorme de la part de l’UE et des institutions capitalistes, ainsi qu’une vaste campagne de propagande médiatique ont été utilisées. Ollie Rehn, Commissaire européen pour l’Économie, a bien expliqué son point de vue : « La seule manière d’éviter la faillite immédiate consiste en l’acceptation par le Parlement du programme économique révisé ». Les politiciens des principales puissances européennes ont bien souligné le fait qu’il n’y a pas de “plan B” pour éviter la faillite dans les jours qui viennent. Le gouverneur de la Banque centrale grecque, M. Georgios Provopoulos, a lui aussi déclaré : « Refuser de voter en faveur de ce plan serait un crime de la part du Parlement », car cela signifierait que « Le pays serait en train de voter son suicide ».

    Le Vice-Premier Ministre grec Theodoros Pangalos, a dépeint ce tableau de cauchemar : « Retourner à la drachme signifierait que le lendemain, les banques seraient prises d’assaut par des hordes de gens terrifiés cherchant à reprendre leur argent ; l’armée se verrait obligée de les protéger avec des tanks, parce qu’il n’y aurait pas assez de policiers … Il y aurait des émeutes partout, les boutiques seraient vides, des gens se jetteraient par les fenêtres ».

    Ayant communiqué cet avertissement, le gouvernement Pangalos a donc organisé des émeutes de lui-même par en-haut, avec des ordres clairs demandant à la police de lancer une attaque chimique – les lacrymos – contre les manifestants dans la capitale grecque. Les actions de la police ont été si néfastes que le président de la fédération des pharmaciens d’Athènes – lui-même membre du parti libéral Nouvelle Démocratie – a jugé dangereux l’usage des gaz lacrymos, irresponsable et complètement hors de toute limite. Le syndicat des médecins a confirmé ceci en déclarant qu’une telle intensité dans l’utilisation de ces gaz va même à l’encontre de la Convention de Genève !

    Les attaques brutales perpétrées par la police ont été ordonnées afin d’accomplir les souhaits des grandes puissances capitalistes en Europe et ceux des hommes d’affaires grecs, qui veulent s’assurer que les sommes gigantesques en bons d’État et autres produits de spéculation troqués par les banques, les grosses boites et des pays comme la France, l’Allemagne, les USA, et d’autres, seront protégées ne serait-ce que pour la courte période à venir.

    État du mouvement de résistance

    Après l’échec des espoirs d’empêcher le vote du Parlement en faveur du mémorandum, 10 000 manifestants ont rempli la place Syntagma le soir du 30 juin, ce qui est jusqu’ici une des plus grandes assemblées. Ceci a en soi grandement redonné de la confiance aux participants. Le sentiment de solidarité mêlé aux rapports des batailles des deux derniers jours, tandis que des nuages de gaz flottaient toujours dans l’air, a grandement accru la détermination de nombreux participants.

    Toutefois, le mouvement des Indignés doit faire face à des difficultés et à un revers. Si nous ressassons le fil des événements des dernières semaines, il est clair que la grève générale du 15 juin était le pic mouvement, où toutes les questions cruciales se sont posées.

    Le gouvernement Pasok était comme suspendu. Le mouvement des Indignés et les actions de grève montraient leur force. Mais quelle était l’alternative aux plans du gouvernement ? Tout le monde voulait se débarrasser du gouvernement, et très peu de gens voulaient aussi un retour de Nouvelle Démocratie au pouvoir – mais quelle est l’alternative ? Tandis que la journée du 15 juin se terminait dans les émeutes et les nuages de gaz, forçant la masse des gens à quitter la place Syntagma (bien que des dizaines de milliers soient revenus quelques heures plus tard !), une autre question cruciale se posait : comment le mouvement de masse peut-il se développer de sorte à permettre à la classe ouvrière d’y participer ?

    Étant donné la tactique de frein employée par les dirigeants syndicaux, le rôle des partis de gauche de masse et la faiblesse du mouvement d’opposition de masse, aucune réponse n’a été donnée à ces questions. Un programme pour mettre fin à la dictature des marchés, de la troïka et du capitalisme grec était nécessaire, mais n’a pas été mis en avant par ces forces.

    Une stratégie d’intensification de la lutte après la grève générale de 48 heures était nécessaire afin de montrer la route à suivre, même au cas où le Pasok ferait quand même passer le mémorandum en faveur de la nouvelle politique d’austérité. Les idées et les tactiques sur la manière de construire un véritable mouvement de masse avec la participation active de la classe ouvrière sur les lieux de travail et avec une structuration des assemblées par l’élection de représentants à des organes de masse et par une démocratie complète – tous ces points urgents étaient absents.

    Pour cette raison, et aussi du fait du soutien sans faille à la grève de 48 heures, le taux de participation aux manifestations a été bien plus bas que celui de la semaine passée, au moment de la grève générale du 15 juin. L’humeur a changé au cours des deux semaines qui ont mené à la grève générale de deux jours. Les immenses frustration, amertume et colère quasi-universelles sont toujours bien présentes – contre la vente des services publics à des compagnies internationales et grecques, contre la hausse des taxes et les coupes salariales, et contre une autre chute catastrophique du niveau de vie. Toutefois, le sentiment de victoire qui avait suivi l’annonce de sa démission par Giorgios Papandreou (le Premier Ministre et dirigeant du parti Pasok) pendant la grève générale du 15 juin a été remplacé par une certaine déception lorsque Papandreou est revenu sur cette proposition. Le gouvernement Pasok a été réarrangé, certains ministres ont changé de place. La direction du Pasok tente de restabiliser ses députés, de les forcer à se regrouper afin d’éviter des élections anticipées et de pouvoir s’accrocher au pouvoir.

    Cela a suscité une remise en question dans l’esprit des gens, quant à la possibilité qu’ont le mouvement d’opposition, les assemblées de masse sur les places partout dans le pays, les grèves générales et les manifestations de masse de bloquer les attaques et de changer quoi que ce soit.

    Bien sûr, comme l’Histoire l’a démontré à maintes reprises, la résistance déterminée de la classe ouvrière et la lutte des masses pour leurs propres buts peut forcer les gouvernements et les capitalistes à faire toutes sortes de concessions, voire briser leur pouvoir. Cependant, des méthodes victorieuses doivent être redéveloppées et redécouvertes au cours des nouvelles batailles qui émergent de la crise capitaliste mondiale. Les marxistes peuvent jouer un rôle dans ce processus, et même aider à l’accélérer, afin d’assurer le fait que les leçons cruciales des luttes du passé soient toujours présentes pour la nouvelle génération de combattants de classe.

    Défendre les manifestations

    Un important enjeu auquel a été confronté le mouvement, a été l’utilisation inconsidérée de gaz lacrymos et autres armes chimiques par la police le 15 juin, et la certitude que cela se reproduirait. Cela a été confirmé par la détermination de la police à briser le mouvement et à empêcher les masses de rester sur la place.

    Cela a compliqué la mobilisation pour les manifestations pendant la grève générale de deux jours. Les masses avaient besoin d’une stratégie claire permettant de répondre aux émeutes et à la brutalité policière, de même que d’une alternative politique pour faire chuter le gouvernement, liée à la lutte contre le capitalisme. Au final, le mouvement n’est pas parvenu avant la grève générale de 48 heures à répondre à la question des provocateurs policiers et du petit nombre d’anarchistes qui continuaient à trouver des arguments en faveur de leurs émeutes.

    Après que les 250 000 manifestants du centre d’Athènes aient été expulsés de la place Syntagma le 15 juin par la police, seulement quelques dizaines de milliers ont réoccupé la place plus tard dans la journée. Il était évident que les émeutes avaient joué un rôle en faveur du gouvernement. Clairement, l’État a de bonnes raisons d’envoyer des flics en civil parmi les manifestants pour y démarrer des émeutes, et cela est largement compris en Grèce.

    Une majorité des participants aux assemblées qui ont suivi ont défendu le droit à l’auto-défense par les manifestants, mais ont insisté sur l’appel à des manifestations pacifiques, pour les rendre attractives et pour donner la possibilité à la masse des travailleurs de s’y rendre. Ce n’est que lors des plus petites assemblées sur la place Syntagma qu’une majorité s’est prononcée en faveur des émeutes – les assemblées plus larges ont rejeté cet argument.

    Cependant, toutes les propositions aux assemblées et aux syndicats en faveur de l’organisation d’un véritable service d’ordre pour défendre les manifestations contre la police et contre les provocateurs n’y ont dans la pratique pas trouvé de réponse. Au final, la décision des principales assemblées de la place Syntagma était assez floue pour la plupart des travailleurs et des jeunes.

    Le manque d’une alternative politique

    De nombreux travailleurs et jeunes ont ressenti de la sympathie envers le mouvement, mais ont également vu les risques que comporte la participation aux manifestations, face à une police déterminée et violente. Les travailleurs n’ont pas reçu un programme et des revendications de classe clairs qui puissent les amener à participer au mouvement de manière active. La tactique d’intimidation et le chantage du gouvernement Pasok, son affirmation que l’alternative à son programme serait les tanks dans les rues pour protéger les banques, l’arrêt immédiat des salaires et des allocations des travailleurs du public et des retraités, etc. semblent avoir partiellement fonctionné, parce qu’aucune force alternative de masse – ni les syndicats, ni les grands partis de gauche – n’a proposé la moindre alternative de classe viable.

    Les principaux dirigeants syndicaux sont membres du Pasok, et ce n’est que sur base de l’immense pression de la base qu’ils se sont sentis obligés d’appeler à une grève générale de 48 heures. GENOP, le syndicat des travailleurs de l’électricité de la compagnie DEI (qui appartient toujours jusqu’à présent à 51% à l’État) est parti en grève contre la privatisation. Toutefois, cette action était une grève “silencieuse”. Les grévistes n’ont pas été mobilisés par le syndicat pour participer aux mouvements et aux manifestations, et sont à la place restés chez eux. Leur dirigeants ont également annoncé à l’avance, avant la grève générale de 48 heures, que leur grève ne durerait que jusqu’au 30 juin. L’effet de ce genre de grève a par conséquent été extrêmement limité.

    Le KKE (Parti communiste grec) a décrété que le mouvement d’occupation est “petit-bourgeois” et ne met en avant “aucune proposition” – ni politiquement, ni en tant que stratégie sur la façon de mener la lutte. Il y a un élément de vérité dans cela, mais en l’absence d’une véritable alternative militante, le mouvement des Indignés a fourni un point de référence pour ceux qui voulaient riposter. Les dirigeants du KKE ont été incapables d’appeler au-delà de leurs propres sympathisants, et tout en parlant de manière abstraite de la fin du capitalisme, n’ont fait absolument aucune proposition sur la manière de développer la lutte, ont refusé d’appeler au renversement du gouvernement, et ont insisté sur le fait qu’un éventuel retrait de la zone euro serait “mauvais” pour la Grèce.

    Le dirigeant de Syriza, Tsipras, et sa plus grande composante, Synaspismos (“euro-communiste”), n’ont pas appelé au non-paiement de la dette souveraine due aux banquiers ni à la nationalisation des banques. Synaspismos a tenté de défendre l’institution européenne de manière abstraite, et a aussi défendu le fait qu’il faut selon lui rester dans la zone euro. Le parti reste cloitré dans une logique qui ne sort pas du cadre du capitalisme, un système qui impose la misère et le chômage à la population laborieuse grecque.

    Xekinima, la section grecque du CIO, n’a défendu ni le fait de rester membre de l’UE ou de la zone euro, qui représentent toutes deux l’Europe des patrons, ni le fait de retourner au drachme, l’ancienne monnaie grecque. Seule une lutte unie des travailleurs et des jeunes à travers toute l’Europe et dans le monde entier, contre la politique d’austérité et contre le capitalisme, et une lutte pour une Europe unifiée en tant que membre d’une confédération d’États socialistes, peut apporter une solution définitive à la crise. Cela verrait une véritable coopération internationale entre les travailleurs, sur base d’une économie démocratiquement planifiée.

    Si les travailleurs et la jeunesse grecs parviennent à mettre un terme aux mesure d’austérité draconiennens qui leur sont imposées par les capitalistes européens et grecs, cela pourrait mener à la tentative d’expulser la Grèce hors de la zone euro. Toutefois, cela ouvrirait la porte à une nouvelle étape de résistance de masse à l’échelle européenne afin de forcer les grandes puissances et les classes capitalistes à faire de nouvelles concessions et de remettre en question leur règne en général. Plutôt qu’une “solution nationale” avec le retour à la drachme – ce qui engendrerait une hausse subite des prix et de l’endettement des travailleurs, et des réductions de salaire dues à la dévaluation de la monnaie nationale – il nous faut une stratégie socialiste internationale. Et comme l’a montré la récente résistance de masse à l’échelle internationale – en Égypte, en Tunisie, en Espagne, au Portugal et en Grèce – le potentiel pour une riposte unie existe, tout comme la création instinctive de liens entre ces luttes.

    Les Indignés

    Le mouvement des Indignés a connu un développement rapide depuis l’occupation de la place Syntagma le 25 mai. Les résolutions adoptées par les assemblées ont souvent été contradictoires. Souvent, un pas en avant était suivi par un demi-pas en arrière le lendemain. Cependant, en général, ces résolutions ont reflété un développement de la compréhension des militants : nombre d’entre eux ont vu la nécessité de relier leur mouvement à celui des travailleurs et des grévistes, et cela a été de plus en plus mis en avant. Les revendications politiques se sont développées jusqu’au point où il est maintenant accepté non seulement le refus du paiement de la dette, mais aussi d’appeler à la nationalisation des banques. Des propositions pour aller plus loin, y compris la nationalisation des principales entreprises sous contrôle et gestion des travailleurs, ont été discutées.

    Les premières tentatives d’étendre les assemblées sur le plan local ont été couronnées de succès – organisées par des militants de gauche, des assemblées allant jusqu’à 200 personnes se sont rassemblées dans différents quartiers d’Athènes. Un appel à former des assemblées sur les lieux de travail a lui aussi été lancé, mais a rencontré des difficultés et n’a pas jusqu’ici reçu de véritable réponse, bien que le concept général ait été mis en avant.

    Une première tentative de former un comité de représentants des assemblées locales, des dirigeants syndicaux les plus combatifs représentant les travailleurs communaux, et de l’assemblée de la place Syntagma a échoué. Toutefois, cela a montré la direction à suivre pour aller de l’avant. Un tel comité aurait pu exercer une pression sur les principaux dirigeants syndicaux pour aller plus loin, et aurait pu les mettre en question quant à leur approche.

    En ce qui concerne d’autres enjeux, l’assemblée a été à chaque étape naïve et n’a jamais pris en compte le rapport de forces. Malgré ses annonces, l’assemblée n’a jamais été capable de mobiliser pour des grèves ou des occupations d’entreprise. Il aurait fallu une approche plus habile afin d’attirer les militants syndicaux combatifs et d’exercer une pression plus intense encore sur les appareils.

    À côté de ça, la plus grande faiblesse du mouvement des Enragés a été son incapacité à gérer les émeutes et l’approche soi-disant “apolitique” de certains opposants.

    Comme nous l’avons dit plus haut, une position claire d’auto-défense des manifestations contre la police et les agents provocateurs était nécessaire afin de permettre une participation plus large de nouvelles couches de travailleurs et de jeunes, et d’accroitre la force du mouvement de masse. Au cours des discussions des assemblées, la discussion sur la dynamique politique de centaines de milliers de participants au actions, par exemple, du 29 juin, a reçu très peu d’attention par rapport à l’espace qui a été donné à l’élaboration de plans pour bloquer telle ou telle route, dont aucun ne s’est de toute manière concrétisé faute de participants.

    Bien que les arguments “apolitiques” et l’opposition à “tous les partis” ont en partie perdu du terrain au cours des débats, cette attitude était toujours présente et a agi comme un obstacle par rapport aux besoins et aux développement du mouvement de masse.

    Des mesures telles que le refus de payer les dettes ou la nationalisation des banques, par exemple, sont dirigées contre les intérêts des capitalistes et sont politiques. La nécessité de formuler une alternative au chantage et à la tactique d’épouvantail du gouvernement Pasok et des médias capitalistes exige ne serait-ce que l’ébauche d’une perspective politique claire.

    Le sentiment “contre tous les partis” est compréhensible, étant donné le niveau de corruption, l’hypocrisie et la politique de tous les partis de l’establishment. Les grands partis de gauche ont eux aussi tout fait pour renforcer la méfiance dans les organisations de parti ou dans les “concepts politiques”.

    Toutefois, la revendication de rester “apolitique” a entravé le mouvement et sa progression – au moment où la situation était la plus urgente. La possibilité d’une chute du gouvernement a immédiatement soulevé la question d’une alternative, basée sur l’implication active des travailleurs via leurs assemblées, avec l’extension de ces organes sur le plan local et sur les lieux de travail, avec l’élection de délégués qui représentent l’ensemble du mouvement, à condition de rendre des comptes en permanence aux assemblées qui les ont élus, et être révocables à tout moment.

    L’argument du gouvernement Pasok comme quoi “il n’y a aucune alternative” a mis en évidence la nécessité d’un programme viable, qui place les immenses ressources de la société entre les mains des travailleurs, afin de développer un plan démocratique pour surmonter la crise économique.

    Le fait est qu’il n’y a réellement absolument aucune solution au problème de la Grèce, et à la crise mondiale du capitalisme. Les attaques internationales sur les travailleurs mettent exactement le doigt sur la nécessité d’une réponse de la part de la classe ouvrière, sur la nécessité d’une coopération internationale pour combattre le capitalisme.

    Ces développements mettent en relief la nécessité pour les Indignés et pour les militants syndicaux combatifs, dans les appareils comme sur les lieux de travail, de transformer leur mouvement en une nouvelle force de masse des travailleurs, qui offre une alternative. Ceci pourrait contribuer à éjecter les dirigeants syndicaux qui sont toujours liés au parti pourri qu’est le Pasok, et à revigorer le débat sur le programme et la stratégie à adopter pour mettre un terme à la misère capitaliste, une bonne fois pour toutes.

    Cependant, avec les assemblées, les contours d’un nouveau centre du mouvement a été vu, qui pourrait aider la lutte à franchir les barrières des structures syndicales conservatrices et bureaucratiques, et de la faillite des partis de gauche. Le mouvement et les assemblées ont été qualifiées de “petit-bourgeois” par certaines personnes à gauche – surtout par le KKE. Il est vrai que la classe ouvrière n’a pas encore imprimé sa marque de manière décisive sur l’orientation principale du mouvement d’opposition. Mais les assemblées sont bel et bien parvenues à défier les dirigeants syndicaux et à remettre en question leur monopole sur les décisions quant au cours que devrait suivre le mouvement ouvrier. Cette tendance pourrait s’avérer extrêmement puissante à l’avenir, si des assemblées de travailleurs de la base devaient se créer dans les usines et les bureaux, en organisant un débat franc et ouvert, en prenant des décisions collectives et en élisant des représentants pour faire appliquer les décisions des travailleurs et pour former la base d’une nouvelle démocratie ouvrière !

    Préparons-nous pour septembre !

    Puisque les méthodes traditionnelles de lutte de masse – via les syndicats et les partis de gauche de masse – sont soit semées d’embuches, soit pas viables du tout, les travailleurs, les jeunes et les chômeurs en Grèce ont été forcés d’inventer, encore et encore, de nouvelles manières d’exprimer leur colère et de chercher une manière de riposter. On a vu cela avec le mouvement du “non-paiement” des péages routiers, qui a duré les trois premiers mois de cette année. Les péages routiers ont été démantelés par des manifestants, et des campagnes de non-paiement ont été organisées dans les bus et dans les trains. Le développement des assemblées et du mouvement des Enragés a vu de nouvelles tentatives d’auto-organisation être mises à l’épreuve. Quelle nouvelle expression de la colère des travailleurs sera créée dans les mois qui viennent ?

    Pour Xekinima, la section grecque du CIO, il faut utiliser la détermination des militants qui refusent d’abandonner la lutte, pour discuter des leçons du mouvement et de la manière de le développer. Après la défaite qu’a été le vote du mémorandum au Parlement, nous allons sans doute assister à une pause dans le mouvement, jusqu’à la fin de la vague de chaleur estivale et des vacances en aout. Mais les membres de Xekinima sont convaincus du fait qu’il est nécessaire d’organiser cette pause de manière ordonnée, de discuter dans les assemblées de l’opportunité d’une éventuelle pause, de sorte à éviter une nouvelle vague de démoralisation qu’engendrerait un déclin désordonné du taux de participation. Pour Xekinima, cette période devrait être utilisée pour préparer de nouvelles assemblées des militants enragés dans les quartiers et sur les lieux de travail, pour prendre un nouveau départ sur base de plans concernant les prochaines étapes du mouvement de la base.

    Xekinima met en avant la revendication selon laquelle le mouvement des Indignés et d’opposition de masse à l’austérité devrait jeter les bases d’un nouveau mouvement ou formation politique, basé sur des revendications anticapitalistes radicales. Selon de récents sondages, seules 47% des masses grecques se disent prêtes à aller voter pour l’un ou l’autre des partis existants, de droite comme de gauche, ce qui illustre le potentiel pour une alternative socialiste déterminée.

    Ce n’est pas que le gouvernement Pasok qui a été pris de court par le mouvement de masse, mais les gouvernements de toute l’Europe. Le mouvement a inspiré les travailleurs et les jeunes à travers toute l’Europe, et dans le monde entier – de la même manière que la rébellion espagnole et la vague révolutionnaire en Afrique du Nord et au Moyen-Orient ont inspiré le mouvement grec. Si les Indignés parviennent à organiser une nouvelle série d’assemblées afin de débattre et de clarifier les idées, et à revenir dans les rues après l’été pour reprendre la lutte contre de nouvelles attaques et contre chacune des tentatives de mettre ce mémorandum en application, alors les possibilités sont là pour que ce mouvement de masse aille beaucoup plus loin.

  • Les crimes de guerre du gouvernement srilankais et le tardif rapport des Nations-Unies

    Le rapport du groupe d’experts des Nations-Unies publié ce 25 avril après un délai considérable confirme l’analyse de Tamil Solidarity et d’autres organisations au sujet du massacre des Tamouls au Sri Lanka ces deux dernières années. Ce groupe d’experts avait été établi par le secrétaire général des Natons-Unies Ban Ki-Moon en juin 2010 afin de connaitre la situation au Sri Lanka.

    Écrit par TU Senan, pour Tamil Solidarity

    Le rapport confirme nos estimations selon lesquelles plus de 40 000 personnes ont été massacrées par l’armée srilankaise lors de la phase finale de la guerre qui s’est terminée en mai 2009. L’armée a constamment bombardé les hôpitaux, les écoles, les abris temporaires et les soi-disant “zones de cessez-le-feu”. L’ensemble des 400 000 réfugiés ont été ensuite déportés en masse vers des “camps de détention” sans aucune infrastructure. Toutes sortes de décès et abus scandaleux ont eu lieu au cours du transport et dans les camps. De nombreuses campagnes, y compris Tamil Solidarity et les médias tamouls, diffusent constamment de nouveaux rapports de ces horreurs.

    Toutefois, il ne faut pas avoir la moindre illusion dans le fait que ce rapport de l’ONU n’apporte le moindre changement dans les conditions des victimes au Sri Lanka. Le lendemain de sa publication, le journal britannique The Guardian rapportait que le secrétaire général de l’ONU «ne désire lancer une enquête internationale que si le gouvernement srilankais est d’accord, ou si un “forum international” tel que le Conseil de sécurité des Nations-Unies appelle à une telle enquête». Il est évident pour de nombreuses personnes que le gouvernement srilankais ne permettra pas la moindre enquête internationale. En fait, la publication de ce rapport tardif a elle-même été retardée par les protestations du gouvernement srilankais. Le ministre srilankais des Affaires extérieures, GL Peiris, a qualifié ce rapport d’“absurde” et “sans fondement”.

    Le président du Sri Lanka, Mahinda Rajapaksa, a appelé à une “démonstration de force” pour le Premier Mai, la journée internationale des travailleurs, pour «manifester contre l’injustice faite à notre pays» par ce rapport de l’ONU ! «Le Premier Mai ne devrait pas être confiné à exprimer la solidarité des travailleurs», disait Rajapaksa. Alors que le régime tente de récupérer à son compte la Fête du Travail pour ses propres intérêts chauvinistes, il accuse l’ONU d’être «récupérée par certains pays» ! Le gouvernement a aussi appelé tous les partis politiques du pays à exprimer leur opposition à ce rapport. Il cherche à détourner les critiques contre le gouvernement vers les “ennemis à l’étranger”. 

    En réponse à l’appel de Rajapaksa, le parti pseudo-marxiste qu’est le JVP (Janatha vimukthi peramuna – Front de libération populaire, un parti communautaire chauviniste pro-cingalais qui se prétend à tort “marxiste”) a attaqué les Nations-Unies pour leur ingérence dans les affaires internes du pays ! La véritable raison de l’opposition de ce parti au rapport de l’ONU provient du fait qu’il a soutenu le gouvernement pendant la guerre. Il a suivi le gouvernement dans chacun de ses pas tout au long de la guerre. Et il a été très rapide à appeler à ce que l’ex-général Sareth Fonseka, qui a dirigé la guerre, soit promu au rang de héros national.

    Le JVP tente parfois de donner une image “mixte”. Il donne l’impression de se battre contre les attaques sur les droits démocratiques, de se battre pour les droits des réfugiés tamouls et pour la liberté des médias. Il fait cela uniquement pour conserver un certain soutien parmi les étudiants et certains travailleurs, qu’il mobilise sur base de revendications économiques et sociales “radicales”. Mais en mélangeant ces revendications avec le nationalisme cingalais bouddhiste, il pousse ces couches encore un peu plus vers le régime Rajapaksa. Cette méthode erronnée a été démontrée de manière très claire par l’ampleur de leurs pertes électorales. Un appel doit être fait envers tous ces étudiants et travailleurs qui cherchent une direction, afin qu’ils rompent avec le JVP et qu’ils rejoignent une véritable riposte.

    Mais le JVP n’est pas le seul parti politique qui nie les affirmations des Nations-Unies. Certains membres du parti d’opposition capitaliste, l’UNP (Parti national uni), tels que P.E. Jayasuriya, déclarent encore que «Pas un civil tamoul innocent n’a été tué par l’armée durant la guerre, grâce à la bonne gestion du président Rajapaksa».

    L’ironie étant (si on peut parler d’ironie dans le contexte du Sri Lanka) que Jayasuriya est également un membre de l’association internationale des droits de l’Homme ! Le vice-président de l’UNP, Karu Jayasuriya, a aussi proclamé que le parti se rangera du côté des forces de sécurité, apportant encore plus de soutien au gouvernement quant à cette question.

    Le parti des moines bouddhistes fondamentalistes et racistes du JHU (Jathika hela urumaya – Parti du patrimoine national) fait “tout ce qu’il peut” pour soutenir le gouvernement. « Si Ban Ki-Moon et les Nations-Unies veulent mettre le président Rajapaksa sur la chaise électrique, il faudra alors qu’ils y mettent chacun de nous, les religieux en premier», disait le Vénérable Galagama Dhammaransi Thero, ajoutant que «Nous protégerons et bénirons toujours ce dirigeant courageux».

    Pendant ce temps, la Commission de réconciliation et des leçons apprises (LLRC) mise en place par le gouvernement a déclaré qu’elle ne commentera pas ce rapport ni ne prendra la moindre action le concernant. La LLRC est une fausse commission mise en place par le président, et elle agit conformément à ses attentes.

    Malgré la rhétorique anti-impérialiste utilisée par le gouvernement pour mobiliser le nationalisme cingalais, l’impérialisme occidental tout comme le régime srilankais sont bien conscients du caractère très limité des actions qui pourraient être entreprises à l’encontre du Sri Lanka.

    L’hypocrisie des Nations-Unies

    Malgré l’aveu du rapport lui-même selon lequel «au cours des dernières étapes de la guerre, les organes politiques des Nations-Unies ne sont pas parvenus à entreprendre la moindre action afin de prévenir la mort de civils», aucune “excuse” n’a été jusqu’ici faite par cette institution. À la place, l’ONU n’offre que l’inaction, encore et encore.

    De nombreux appels à l’action ont été émis durant la guerre début 2009, afin d’arrêter la guerre et d’empêcher le massacre en masse de la population tamoulophone. Samedi 31 janvier 2009, 100 000 personnes ont défilé à Londres en opposition à cette boucherie. Des centaines de milliers de Tamouls et d’autres sont descendus dans les rues partout dans le monde. Après la guerre, ces mouvements ont continué à émettre des revendications en faveur de véritables mesures humanitaires. Dans le silence et l’inaction de l’ONU et des autres gouvernements, une horreur et un massacre sans nom ont eu lieu. Et les abus et tueries se poursuivent aujourd’hui même. Ceci ne sera pas oublié.

    Avec ce rapport, les Nations-Unies tentent maintenant de se racheter quelque peu. Mais le fait reste que l’ONU n’a fait absolument aucune tentative pour empêcher la tuerie. Qui plus est, elle ne s’est même pas excusée pour avoir passé une résolution, à dix jours du début du massacre, qui consacrait l’innocence du gouvernement sri lankais. Cette résolution promulguée par le conseil des droits de l’Homme de l’ONU le 27 mai 2009 applaudissait la «conclusion des hostilités et la libération par leur gouvernement de dizaines de milliers de citoyens srilankais qui étaient tenus en ôtages contre leur volonté par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), de même que les efforts effectués par le gouvernement afin d’assurer la sécurité de tous les Sri Lankais et d’apporter une paix permanente aux pays».

    Cette résolution du 27 mai 2009 ne contient pas la moindre critique du gouvernement srilankais. Celle-ci va même encore plus loin politiquement : «Nous réaffirmons le respect pour la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance du Sri Lanka et pour son droit souverain à protéger ses citoyens et combattre le terrorisme».

    En fait, la seule condamnation du rapport a été faite à l’encontre des LTTE pour avoir lancé «des attaques contre la population civile» et «utilisé des civils en tant que boucliers humains». Le récent rapport d’experts n’a pas dénoncé ni d’ailleurs fait la moindre référence à cette résolution. Il ne fait que demander au conseil des droits de l’Homme de “reconsidérer leur position” ! L’hypocrisie des Nations-Unies, comme l’a fait remarquer le professeur Noam Chomsky, «a été si profonde qu’elle en était étouffante».

    On serait en droit d’espérer que ce rapport pourrait être considéré par tous les gouvernements et organes gouvernementaux comme une base minimale avant d’entamer toute relation avec le gouvernement srilankais, ou qu’il puisse servir de base à une enquête internationale quant aux crimes de guerre. Toutefois, nous ne constaterons sans doute aucune action de ce type.

    Bien que l’ONU donne l’illusion d’agir en tant qu’organisation indépendante, il serait naïf d’imaginer que l’ONU entreprenne la moindre action qui aille à l’encontre des intérêts de ses constituants majeurs : les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Inde, la Chine et la Russie. Cet organe n’est pas indépendant d’aucune manière que ce soit. Il n’a pas non plus la moindre crédibilité dans le fait d’empêcher des massacres de se dérouler dans d’autres régions du monde. Les Nations-Unies n’ont pas empêché le massacre au Congo par exemple. Au Rwanda, les puissances mondiales ont observé sans broncher le génocide d’un million de gens en quelques mois.

    Les Nations-Unis se placent systématiquement du côté des impérialistes. Lorsqu’elles ne le font pas, leurs actions sont bloquées par les grandes puissances qui peuvent exercer un pouvoir de véto sur leurs activités. Les masses opprimées n’ont aucune voix qui représentent leurs intérêts lors des prises de décision par l’ONU.

    Le Conseil de sécurité de l’ONU est composé de pays tels que la Russie, la Chine et l’Inde, qui ont non seulement financé l’armée gouvernementale sri lankaise, mais continuent à la protéger. Après que le rapport ait été publié, le secrétaire d’État à la défense Gotabayah Rajapaksa a annoncé que le Sri Lanka «devra chercher la protection de la Russie et la Chine».

    Les actions de ces gouvernements sont une extension de la manière dont ils traitent leur propre population. Ils n’accordent absolument aucun intérêt aux droits de l’Homme. Le rôle brutal de l’Inde au Cachemire et dans d’autre partis du pays est bien connu. Aucun gouvernement indien n’a jamais prêté la moindre attention à la décision des Nations-Unies d’organiser un référendum au Cachemire quant à son indépendance. Il existe beaucoup de documentation quant au massacre d’ethnies entières et de militants en leur faveur par le gouvernement indien au nom de la fameuse “opération green hunt” (récente campagne anti-terroriste lancée par l’État indien contre les milices naxalites organisées notamment par le Parti communiste d’Inde (maoïste) dans le “couloir rouge” formé par dix provinces – constituant ensemble 40% de la superficie de l’Inde – de l’est du pays –– NDT).

    D’une même manière, le rôle du gouvernement russe en Tchétchénie et les maltraitances infligées par le gouvernement chinois à la population tibétaine et dans le reste de leurs pays sont tristement célèbres dans le monde entier. Ces États, qui méprisent les droits des masses de leur propre pays, n’ont pas le moindre scrupule à collaborer avec d’autres gouvernements qui commettent des crimes de guerre, tel que le régime Rajapaksa.

    Les Nations-Unies et les intérêts impérialistes

    Le gouvernement srilankais dépend de plus en plus du soutien de la Chine, de l’Inde, et des “États voyoux” tels que l’Arabie saoudite. Cet état de fait entre en conflit avec les intérêts de l’impérialisme occidental en Asie du sud. L’impérialisme occidental pourrait utiliser le rapport des Nations-Unies en tant que levier pour réétablir son influence dans la région.

    Cependant, il y a une limite que l’Occident n’est pas prête à dépasser. Nous ne devrions pas sur-estimer le fait que ceci le mènera à défendre les intérêts des masses opprimées, ni à exiger le droit à l’auto-détermination ou toute autre solution politique.

    Parmi la gauche traditionnelle en Inde, certains affirment que les rivalités inter-impérialistes peuvent être utilisées pour faire progresser les intérêts des opprimés. Cependant, sans une forte organisation indépendante des masses laborieuses et pauvres, une telle stratégie risque de faire tomber ceux qui désirent riposter dans le piège des impérialistes.

    Nous avons vu comment les impérialistes se “liguent” bien souvent contre les intérêts des masses opprimées, malgré leurs différences. Les États indien et pakistanais, par exemple, ont mené ensemble campagne contre toute critique pouvant menacer le gouvernement srilankais. Bien que le Sri Lanka ne possède pas l’énorme manne pétrolière de la Libye – une des principales raisons derrière l’intervention de l’impérialisme occidental dans ce pays – sa position stratégique, y compris sa valeur aux yeux des ambitions régionales chinoises, le rend important pour les puissances occidentales. Les mesures mises en œuvre par les impérialistes au Moyen-Orient après que la vague révolutionnaire ait commencé à s’y répandre constituent à cet égard une bonne leçon.

    La soi-disant “intervention humanitaire” en Libye n’est qu’une tentative de briser la vague révolutionnaire au Moyen-Orient, avec l’intention de regagner le contrôle sur les ressources naturelles. Kadhafi est pour eux un partenaire peu fiable, au contraire des régimes du Bahreïn et d’Arabie saoudite. Aucune action n’a été entreprise à l’encontre de ces régimes, malgré le fait que ces États ont utilisé la même violence meurtrière contre les manifestants pro-démocratie.

    Le secrétaire aux affaires étrangères britannique, William Hague, en défendant sa visite en Syrie malgré les tueries qui y sont organisées contre les masses révoltées, a insisté sur le fait que son gouvernement est sur le point de conclure un “deal” avec le gouvernement syrien et le président Bashar al-Assad. Assad est considéré comme un “réformateur” potentiel. Ceci est en complète contradiction avec les intérêts des masses syriennes, qui exigent le renversement du régime Assad.

    En outre, le rôle des puissances occidentales en Libye a été encore plus discrédité par leur rôle dans le massacre de millions de simples citoyens en Irak. Le rôle contradictoire des soi-disant “préoccupations humanitaires” dans la région démasque clairement les intérêts impérialistes des gouvernements occidentaux.

    L’idée selon laquelle les masses opprimées devraient d’une manière ou d’une autre accorder leur soutien à l’intervention de l’impérialisme occidental en Libye – censé empêcher le “massacre potentiel” – est absolument erronnée. Le régime égyptien, qui a lui aussi voté le soutien à la résolution de mai 2009 sur le Sri Lanka, a été balayé par le mouvement de masse historique du peuple égyptien. C’est un mouvement comme cela, avec une telle confiance en soi, qui pourrait mettre un terme définitif à des régimes tels que celui de Kadhafi.

    L’intervention impérialiste est une autre raison pour laquelle la révolution, qui est partie de Tunisie pour se propager à l’Égypte puis à Benghazi, n’a jusqu’ici pas eu le même impact à Tripoli. Kadhafi a été capable de mobiliser un certain soutien, non pas basé sur la loyauté tribale, mais aussi sur l’antagonisme anti-impérialiste des masses. La seule chose qui peut prévenir le massacre et sauver la révolution est l’action des masses unies à Tripoli, une fois qu’elles auront assez de confiance pour se dresser contre Kadhafi. La soi-disant intervention humanitaire de l’impérialisme est tout sauf ça. Qui plus est, elle a déjà causé énormément de morts.

    Le régime du Sri Lanka tente de même de se baser sur l’antagonisme anti-impérialiste qui vit parmi les masses. L’ex ambassadeur sri lankais aux Nations-Unies, Dayan Jayatilleka, a attaqué les puissances impérialistes occidentales lors de la onzième session spéciale à l’UNHCR en mai 2009, afin de s’attirer un soi-disant soutien “anti-impérialiste” : «Ces gens sont les mêmes qui ont certifié que l’Irak détenait des armes de destruction massive. Je ne leur ferais pas confiance pour acheter une voiture d’occasion, encore moins en ce qui concernerait de prétendus “crimes de guerre” !» Même ce fidèle laquais a été viré par le président un peu plus tard sous le prétexte d’avoir défendu la “régionalisation” dans un journal local. Le secrétaire à la défense Gotabhaya Rajapaksa a été encore plus loin dans son “analyse”, annonçant : «Ils sont jaloux, parce qu’eux n’ont pas été capables de vaincre le terrorisme comme nous l’avons fait». Un autre loyal serviteur du régime sri lankais, et prétendu expert mondial en terrorisme, le Professeur Rohan Gunaratna, fait remarquer que : «En Irak et en Afghanistan, où plus d’un million de civils ont été tués, il n’y a pas de comité d’experts qui conseillet au secrétaire général de l’ONU de mener une enquête sur les crimes de guerre».

    Le régime utilise l’hypocrisie des Nations-Unies et de l’impérialisme à son avantage, tout comme le régime Kadhafi en Libye. Nous aussi, nous nous opposons fermement aux non-respect des droits de l’Homme et à leur exploitation par les puissances occidentales, mais nous devons aussi étaler au grand jour l’hypocrisie qui se trouve derrière la pseudo-rhétorique “anti-impérialiste” du régime srilankais.

    Malgré sa rhétorique, le régime sri lankais est toujours aussi coopératif vis à vis des puissances impérialistes tant régionales qu’occidentales. Le débat autour des “droits de l’Homme” est en partie dû à la concurrence entre les puissances régionales, comme la Chine et l’Inde, et les puissances occidentales qui cherchent à établir des conditions favorables afin d’obtenir un avantage sur le plan économique. Le FMI et la Banque mondiale ont donné leur plein accord concernant les prêts au gouvernement srilankais, et ont érigé le Sri Lanka au rang de “paradis pour les investisseurs”. Le gouvernement srilankais mène en ce moment une politique brutale de privatisations, attaques sur les pensions et soi-disant réformes fiscales, telle que dictée par le FMI. La pseudo rhétorique anti-impérialiste du régime Rajapaksa et son exaltation du nationalisme cingalais ont également pour but de détourner l’attention des masses laborieuses et pauvres des attaques brutales menées par Rajapaksa sur leurs conditions de vie et sur les services.

    En outre, nous ne verrons pas l’annualtion des prêts du FMI ou de la Banque mondiale sur base d’un scandale de “crimes de guerre”. Même après la fuite du rapport du comité d’experts de l’ONU dans les médias, les congressistes américains ont continués à voter en faveur d’un “renforcement des liens entre le Sri Lanka et les États-Unis”. Le nouveau vice-président de la commission Sri Lanka du Congrès américain, Chris Van Hollen, qui est aussi un Démocrate, et qui défend les coupes budgétaires d’Obama, appelle l’ensemble de ses collègues à soutenir cet appel. En d’autres termes, l’impact de ce rapport pour le sauvetage des masses opprimées sera en réalité extrêmement minimal.

    Le secrétaire assistant américain Robert Blake, qui a visité le Sri Lanka après que le rapport de l’ONU ait été publié, a donné son soutien indéfectible au gouvernement. Il a félicité le “progrès positif” et a affirmé que la LLRC (Commission pour la réconciliation et les leçons apprises, qui est fort critiquée dans le rapport de l’ONU) joue un “rôle important”. Dans une déclaration publiée le 4 mai, M. Blake dit que «Lors de mes rencontres officielles aujourd’hui, j’ai assuré au gouvernement sri lankais du fait que les États-Unis s’engagent à un partenariat fort et à long terme avec le Sri Lanka, et que des rumeurs concernant notre soutien à un “changement de régime” n’ont pas le moindre fondement. J’ai exprimé notre soutien pour les efforts du gouvernement visant à relever le pays après cette guerre civile dévastatrice, et ai encouragé de nouveaux pas en direction de la réconciliation et d’un Sri Lanka paisible, démocratique et uni». Il y a une très brève mention du rapport des Nations-Unies, dans laquelle il affirme que ce rapport souligne l’importance d’une “solution politique capable de forger un Sri Lanka uni”, et l’importance du “dialogue avec les Nations-Unies” de la part du Sri Lanka ! Voilà bien le genre de comportement hypocrite auquel nous devons nous attendre de la part des puissances impérialistes !

    L’attaque sur la diaspora, et l’absence de solution politique

    Parmi les cinq raisons citées par le rapport de l’ONU en tant qu’“obstacles à la reconnaissance”, on retrouve le “rôle de la diaspora tamoule” : «Certains ont refusé d’admettre le rôle des LTTE dans le désastre humanitaire dans le Vanni (la région du Nord du Sri Lanka), ce qui crée un obstacle supplémentaire sur le chemin de la reconnaissance et de la paix durable».

    Il ne fait aucun doute que les Tamouls de la diaspora ont été les plus virulents à crier contre le massacre qui a lieu au Sri Lanka, tandis que les gouvernements de tous les autres pays ont préféré gardé le silence.

    Des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues pour y clamer leur dégout. L’inaction de la part des organes gouvernementaux occidentaux et internationaux a radicalisé un grand nombre de gens, surtout parmi les jeunes.

    Il n’est pas exagéré de dire que les jeunes Tamouls de la diaspora sont plus politisés aujourd’hui que pendant les trente années qu’a duré la guerre civile. De nouvelles vagues de jeunes se sont impliquées dans des activités politiques. Cette politicisation a eu pour conséquence la création de toute une série d’organisations de jeunes.

    Tamil Solidarity désire rassembler le plus grand nombre possible de ces jeunes afin de mener une riposte de principe contre le régime chauviniste sri lankais, et appelle à une lutte unie avec l’ensemble des masses opprimées.

    Cette politicisation n’est certainement pas un résultat favorable ni pour l’impérialisme occidental, ni pour le régime srilankais. Ces gens préfèrent les “diplomates” qui restent contrôlables, ceux qui vont faire en sorte que la société reste passive dans leurs intérêts, non pas la jeunesse qui se rebelle de colère contre l’injustice. Pendant la guerre, les ministres et députés du gouvernement Labour au Royaume-Uni ont fait toutes sortes de promesses dans une tentative de racheter la jeunesse révoltée pour pouvoir la contrôler. Ils n’ont tenu aucune de leurs promesses.

    Les establishments sentent un “danger” dans la direction que pourrait prendre ce mouvement des jeunes de la diaspora. Les jeunes tirent la conclusion assez correcte du fait que l’attaque sur les Tamouls opprimés fait partie d’une lutte contre l’ensemle des masses opprimées. De plus en plus de jeunes participent de manière active à la politique locale de leurs pays respectifs contre les injustices, contre le racisme, contre les attaques sur les minorités, contre le chômage des jeunes, et contre les attaques sur les services publics.

    En outre, il y a aussi une insistance naissante pour plus de démocratie, la nécessité de travailler avec les syndicats, les organisations de gauche et d’autres mouvements qui mènent campagne pour les droits et contre l’oppression.

    L’establishment veut saper ce processus. Il souhaite pacifier et faire dérailler cette colère, car il comprend que cette rage est de plus en plus dirigée contre lui. Et il veut pousser ces jeunes vers la droite du spectre politique.

    Le fait d’accuser la diaspora de garder le silence sur les crimes supposés des LTTE est, à ce stade, une des manières par lesquelles ils veulent atteindre leurs buts. Ils cherchent à propager un total rejet des idées des LTTE par la diaspora, et s’attendent à sa coopération dans le cadre du “développement et de la réconciliation” pour un Sri Lanka uni.

    De solides groupes militants tels que Tamil Solidarity, tout en s’opposant fermement au régime srilankais, ont toujours remis en cause les méthodes utilisées par les LTTE. Nous avons attentivement expliqué les raisons pour lesquelles les LTTE ont été vaincus. Un des principaux échecs des Tigres a été leur absence d’un appel à l’ensemble des masses en lutte dans le sud du Sri Lanka, dans le Tamil Nadu (la province tamoule du sud de l’Inde, qui compte 70 millions d’habitants, y compris plusieurs grandes villes telles que Chennai (anc. Madras) – à titre de comparaison, le Sri Lanka compte 20 millions d’habitants, dont 2 millions de Tamouls –– NDT) et dans le monde.

    Nous avons aussi critiqué les LTTE en ce qui concerne les tueries internes, les attaques contre la population musulmane (il y a 1 million de musulmans au Sri Lanka –– NDT) , et l’exécution de civils au cours de la dernière phase de la guerre. La majorité de la couche active de la diaspora ne nie pas ces faits non plus.

    Cette analyse est importante, pas seulement pour critiquer les LTTE, mais pour pouvoir avancer dans la lutte. Cela représente une étape cruciale dans la définition d’une stratégie pour la prochaine étape de la lutte. C’est là une chose complètement différente de l’agenda des Nations-Unies qui se cache derrière son attaque sur les LTTE.

    L’idée que la diaspora désire d’une certaine manière promouvoir le terrorisme est entièrement fausse. Toutefois, confrontés à l’immense violence contre la population tamoulophone du Sri Lanka, la première réponse de la jeunesse tamoule ne sera pas dirigée contre la direction des LTTE, dont tous les membres ont été assassinés par le gouvernement du pays. Au lieu de ça, ils vont certainement concentrer leur colère sur le gouvernement criminel du Sri Lanka et sur l’establishment occidental qui garde toujours le silence.

    Dire à la diaspora que son premier rôle est de dénoncer les LTTE, revient à paver la voie pour la coopération des Tamouls avec l’État srilankais. Une telle collaboration pourrait ne pas se faire avec le gouvernement actuel qui est directement responsable du génocide, mais pourrait être organisée avec de futurs gouvernements srilankais avec lesquels l’Occident espérera pouvoir faire de bonnes affaires. En même temps, il est important pour les Tamouls de la diaspora de se distancier des erreurs faites par les LTTE, afin de ne laisser aucun espace à des organes droitiers tels que les Nations-Unies pour attaquer les campagnes de la diaspora.

    Il suffit d’une simple compréhension du rôle de l’impérialisme et de la manière de lui résister. Construire une organisation sérieuse et indépendante, qui se batte sans aucun compromis pour les droits de masses opprimées, est la clé pour mener la lutte plus en avant. Ceci devrait se faire sur base non seulement d’une opposition au gouvernement Rajapaksa et à ses laquais, mais aussi sur base d’une opposition à toute forme d’oppression. Une fine compréhension des diverses forces de classe en action dans la société est requise afin de bâtir un mouvement capable d’amener un changement fondamental.

    Ce mouvement peut être construit en regroupant les militants progressistes, les syndicalistes et les socialistes. Mais ce ne sera pas une tâche facile, car de sérieux obstacles doivent être surmontés avant que la confiance des masses puisse être gagnée. La trahison de l’ancienne organisations des masses opprimées autrefois si puissante, le Lanka Sama Samaja Party (LSSP – Parti srilankais pour l’égalité sociale, ex-membre de la Quatrième internationale, et ancien parti ouvrier de masse, qui dispose aujourd’hui d’un siège au parlement srilankais dans le cadre d’une coalition avec le parti de Rajapaksa –– NDT), est toujours fraiche dans la conscience des masses ouvrières du Sri Lanka.

    C’est la décision du LSSP de rejoindre le gouvernement de droite en 1964, puis de refuser le droit des minorités dans la constitution de 1972, qui a créé les conditions pour l’afaiblissement de la classe ouvrière et une hausse des tensions ethniques. La force de la classe ouvrière avait été constamment attaquée par les gouvernemens de droite qui se sont succédé. Aujourd’hui, l’épave de ce qui reste du LSSP se trouve maintenant au gouvernement, et joue le rôle de couvrir ses crimes de guerre.

    De même, la trahison des partis tamouls ne sera pas oubliée non plus. En l’absence d’une véritable organisation de masse indépendante des travailleurs et des pauvers, des partis tels que le JVP se sont embourbés de plus en plus, en mêlant marxisme et rhétorique anti-establishment, avec chauvinisme et nationalisme cingalais et bouddhiste.

    Sur une telle toile de fond, il pourrait sembler impossible de regagner la confiance des masses afin de construire un mouvement combatif. Cependant, la reconstruction d’un tel mouvement est la seule manière de mettre un terme à l’oppression, à l’exploitation et à la guerre. En outre, il existe de véritables forces dans le sud du pays qui se positionnent toujours fermement du côté des masses opprimées. Le Parti socialiste uni, par exemple, n’a jamais reculé dans sa lutte cohérente contre les divers et brutaux gouvernements srilankais. Il n’a jamais non plus hésité dans son soutien pour le droit à l’auto-détermination des masses tamoulophones. Pendant la guerre, les membres de l’USP ont risqué leurs vies et ont mené une campagne virulente afin de mettre un terme à la guerre, dont a notamment beaucoup parlé dans les médias du Tamil Nadu en Inde.

    Nous devons rassembler nos forces dans une telle organisation, et renforcer notre riposte. Nous devons aussi lancer un appel à l’ensemble des masses opprimées de l’Inde, et en particulier au Tamil Nadu, afin qu’elles nous rejoignent.

    Il serait stupide de placer le moindre espoir dans le gouvernement srilankais, ni dans toute autre puissance extérieure, pour nous fournir une solution. Les attaques contre les minorités au Sri Lanka n’ont jamais été aussi intenses, et le gouvernement actuel a complètement mis de côté tout effort envers une solution politique.

    Le président a notamment déclaré que : «Il n’y a pas de minorités dans ce pays». Ni les Nations-Unies, ni aucune puissance étatique ne propose non plus la moindre solution politique. Pour de telles puissances, le droit à l’auto-détermination est hors de question.

    Certains ont même émis l’idée comme quoi le fait de nous opposer à l’impérialisme pourrait nous faire perdre le soutien de la soi-disant “communauté internationale”, des gouvernements occidentaux. Mais, sur le long terme, les masses opprimées ne vont rien gagner du tout en s’alliant avec ces oppresseurs. Au contraire, elles ont beaucoup à perdre – le soutien de tous ceux qui se battent contre eux –, et ils ne faut pas leur faire confiance pour faire quoi que ce soit qui ne rentre pas dans le cadre des intérêts de leurs propres classes capitalistes.

    Par exemple, le peuple tamoul ne peut pas appeler le parti conservateur britannique (Tory) un allié, sur base d’un quelconque discours sur les droits de l’Homme fait par un de ses députés. Ceci représenterait une trahison aux yeux des millions de travailleurs au Royaume-Uni, de toutes origines, qui sont confrontés à un véritable bombardement d’attaques constantes sur les emplois, sur les services publics (comme la santé ou l’éducation) et sur les allocations de la part du gouvernement de coalition Tory/libéral-démocrate.

    En s’associant avec un tel parti anti-travailleurs, les Tamouls non seulement perdraient le soutien potentiel de ceux qui se battent contre ces coupes budgétaires, mais trahiraient également les masses tamoules en leur donnant un faux espoir dans ces politiciens.

    En fait, l’approche pro-monde des affaires des Tories est totalement opposée au moindre soutien à toute forme de riposte par les pauvres et par les travailleurs. Leur intérêt est purement avec les patrons et les hommes d’affaires qui cherchent à cacher le massacre qui s’est produit au Sri Lanka, et au lieu de cela, à promouvoir la création de zones de libre échange dans le Nord. Ces zones seront des sites d’exploitation intensive de la jeunesse tamoulophone. Rajapaksa a déjà promis une “main d’œuvre bon marché” en tant que moyen de “réhabilitation” des ex-Tigres ! La question des alliances est donc cruciale. Nous devons nous allier avec ceux qui se battent réellement contre l’inégalité et contre l’exploitation.

    Au milieu de la crise économique monidale et des pénuries alimentaires, la lutte contre les autres gouvernements qui appliquent des coupes similaires dans les emplois et dans les services publics s’est accrue en Europe et au-delà.

    À Londres, plus d’un demi-million de travailleurs ont défilé le 26 mars contre le gouvernement Con-Dem. Au Portugal et en Espagne, des centaines de milliers de gens ont manifesté pour les mêmes raisons. Des batailles de classe massives se déroulent en Grèce. Ces gouvernements, tout en attaquant les services publics, tentent aussi de fomenter le racisme et d’autres divisions dans ces pays. On voit la tentative de montrer du doigt les immigrants, sur base de la pression sur les services et les emplois limités, dans l’espoir d’en faire des boucs émissaires. Si le blâme pour les coupes budgétaires est dirigé à d’autres sections de la classe ouvrière et des pauvres, cela permet aux gouvernements de continuer leur politique au service des intérêts des riches et des grands patrons.

    Il y a un processus similaire au Sri Lanka, où le gouvernement a tenté de détourner l’attention et de diviser l’opposition par le biais du nationalisme cingalais, afin de pouvoir mettre en place sa politique brutale.

    Nous, les travailleurs, les minorités ethniques, les jeunes et les pauvres, portons le fardeau de ces attaques. En tant que minorités dans ces pays, les Tamouls sont aussi la cible du racisme et d’autres formes d’abus qui sont exacerbés par les partis de droite et les médias. Il nous faut répondre à ces attaques.

    Que chacun sache que où que nous soyons, nous nous dresserons contre l’oppression sous toutes ses formes, et riposterons. Cette riposte sera encore plus renforcée si nous nous faisons cause commune avec les luttes qui se déroulent en ce moment à travers toute l’Europe.

    Aucun droit ne peut être obtenu sans une lutte. Ainsi, le fait que les jeunes rejoignent les marches antiracistes et les manifestations de travailleurs au Royaume-Uni et en Belgique, est un développement significatif. Le fait que les Tamoulophones aient rejoint les action du Premier Mai à travers toute l’Europe est également un important pas en avant. Et c’est une telle solidarité et unité qui sème la panique dans le cœur des oppresseurs, au Sri Lanka comme ailleurs.

    S’unir pour riposter

    On peut comprendre que les Tamouls au Sri Lanka attendent contre tout espoir que le rapport de l’ONU puisse constituer un pas en avant dans le soutien à la lutte pour leurs droits.

    On peut comprendre que certains pauvres tamouls au Sri Lanka espèrent qu’une “force extérieure” leur vienne en aide. Mais il est inutile de créer des illusions dans le seul but de fournir un réconfort temporaire. Cependant, Tamil Solidarity exigera des Nations-Unies qu’elles prennent au moins quelques mesures afin que soient mises en vigueur les recommendations détaillées dans ce rapport. Si l’ONU s’avère incapable d’entreprendre la moindre action sérieuse contre le gouvernement srilankais, son hypocrisie n’en sera que plus dévoilée.

    Mais l’Alliance nationale tamoule (TNA) tente d’utiliser les attentes de la population tamoulophone pour se créer une base électorale. Elle fait cela en créant l’espoir que les Nations-Unies, voire l’Inde, peuvent apporter leur aide. Elle tente aussi de cacher le rôle crucial qu’a joué l’Inde dans la guerre. Il est important de rappeler que le gouvernement srilankais n’aurait pas pu gagner la guerre sans le soutien de l’Inde et de la Chine.

    Le fait que le gouvernement indien refuse de faire la moindre critique à l’encontre du régime srilankais actuel, même après avoir accepté le fait qu’un massacre de masse se soit déroulé pendant la guerre, ne devrait pas nous surprendre. Il serait criminel de la part de la TNA de créer des illusions en faveur des mêmes forces qui ont joué un rôle dans le massacre de masse des Tamouls, et qui persévèrent en ce moment dans leur politique d’exploitation des victimes.

    La TNA, tout en devenant de plus en plus “amicale” envers le régime meurtrier actuel, sous l’argument risible qu’elle n’a pas d’autre choix, refuse de chercher un allié parmi les forces qui continuent à se battre pour les droits de la population tamoulophone.

    La TNA est clairement en train de suivre la voie déjà empruntée par son prédécesseur, le Front uni de libération des Tamouls (TULF), qui avait pour habitude de baratiner les Tamouls dans ses zones d’implantation afin de gagner des votes, en même temps qu’il était main dans la main avec les oppresseurs au parlement. C’est là une des raisons qui ont fini par pousser la jeunesse tamoule à prendre les armes.

    Les jeunes et les militants du Sri Lanka doivent rompre avec ce genre de politique trompeuse. Ils doivent rejoindre les véritables combattants et militants dans leur pays. Il y a beaucoup à gagner pour les masses opprimées qui s’opposeront au gouvernement sur diverses plateformes, bien plus qu’en jouant le jeu des “négociations” qui ne mèneront à rien.

    Il y a des journalistes, des militants et de véritables gens de gauche dans le pays qui continuent à se battre pour le droit à l’auto-détermination des masses tamoulophones. Depuis la fin de la guerre, ils se sont vus contraints de dénoncer la loi d’urgence et l’Acte de prévention du terrorisme.

    Le gouvernement prétend avoir gagné la guerre contre le “terrorisme”, mais n’a pas abrogé ces lois draconiennes. Ces campagnes doivent être renforcées. Il faut aussi soutenir l’ensemble des forces qui se battent avec courage pour la liberté des médias et pour les droits démocratiques, et cela même au péril de leurs vies.

    Plus important encore, nous devons nous opposer à la création des zones de libre échange promises par le régime aux gouvernements indien, chinois et occidentaux. Ces zones ne seront pas les centres de soi-disant “réhabilitation” tels que le régime cherche à les faire passer. Elles seront au contraire des centres d’exploitation intensive, où les victimes de la guerre et les ex-membres des LTTE seront forcés de travailler pour le plus bas salaire possible.

    La reconstruction de syndicats puissants est urgemment requise en tant que meilleure opposition capable de s’opposer à ces conditions cruelles. De telles organisations ouvrières pourraient aussi remettre en question dans les faits les conditions inhumains et les bas salaires qui existent déjà à l’heure actuelle. La hausse rapide des prix de la nourriture, par exemple, constituera un autre “détonateur” pour un mouvement de masse contre le gouvernement, tout comme en Tunisie.

    Les “négociations” et la “coopération” avec les oppresseurs ne rapporteront jamais le moindre résultat aux pauvres et aux opprimés. Pour défendre nos droits et en gagner de nouveaux, la tâche urgente est de construire des partis indépendants des travailleurs et des pauvres, et des syndicats puissants et démocratiques.

  • Pour la démocratie réelle – brisons la dictature des banquiers et des patrons !

    INITIATIVE INTERNATIONALE D’ACTIONS AUTOUR DU 19 JUIN

    LES JEUNES VEULENT DES CHANGEMENTS REVOLUTIONNAIRES

    Ce n’est pas la démocratie ! Partout sur la planète, les politiciens décident du futur de milliards de personnes dans l’intérêt des banquiers et des patrons. En faisant porter le poids des conséquences de leur crise sur les épaules de la populations, ils poussent des millions de personnes vers un avenir sans espoirs, fait de chômage de masse, de contrats pourris, de jobs mal payés, de services serrés, d’allocations réduites, d’éducation inaccessible, de montée en flèche des prix et de répression policière.

    Déclaration d’International Socialist Resistance (ISR) et des Etudiants de Gauche Actifs / Actief Linkse Studenten (EGA/ALS)

    Ce qu’ils appellent ‘‘démocratie’’, c’est la mainmise brutale de la “troïka” de la Banque Centrale Européenne, du Fond Monétaire International et de l’Union Européenne sur la Grèce, l’Irlande et le Portugal. C’est cela leur Europe, mais ce n’est pas la nôtre !

    NOUS LUTTONS POUR UNE DEMOCRATIE REELLE, EN EUROPE ET INTERNATIONALEMENT

    Le mouvement «démocratie réelle» exprime une aspiration profonde pour une société dans laquelle les gens ont un vrai contrôle sur leurs vies, et ne sont plus à la merci d’une poignée d’ultra-riches, de banquiers voleurs et de politiciens corrompus. Nous avons tous été inspirés par les luttes révolutionnaires en Égypte et en Tunisie, qui ont remis l’idée de révolution à l’ordre du jour. Maintenant la nouvelle vague d’espoir provoquée par le mouvement «démocratie réelle», qui a démarré en Espagne, se répercute, à des degrés divers, en Grèce, au Portugal, en Italie, en France, en Belgique, en Angleterre, en Pologne…

    Les assemblées sur les places à travers toute l’Espagne ont donné une image vivante des gens se rassemblant, discutant et prenant leurs propres décisions pour le futur. Les débats sur la place Syntagma à Athènes ont pris cela en main.

    Les assemblées dans les lieux de travail, les quartiers, les écoles et les unifs sont nécessaires pour continuer la lutte et construire un mouvement puissant et unifié des travailleurs, des jeunes et des pauvres, organisés démocratiquement par la base, avec une direction qui réponde de ses décisions devant la base et qui soit révocable. Cela pourrait être relié localement, régionalement et nationalement. Ainsi les délégués de ces assemblées pourraient se réunir – mais toujours sous le contrôle des assemblées et sujets à révocation.

    Ces assemblées peuvent être la base d’une lutte pour un changement réel dans l’intérêt des travailleurs, de la jeunesse, des chômeurs et des pensionnés. C’est ce genre de lutte qui pourrait remplacer les politiciens corrompus qui vivent entourés de privilèges, entièrement déconnectés des préoccupations de la majorité, par des représentants élus ne touchant pas plus que le salaire d’un ouvrier qualifié.

    Une réelle démocratie privilégierait les intérêts de la population plutôt que les profits des banquiers, des patrons et des riches, en utilisant les richesses de la société pour mettre fin à la pauvreté, au chômage et à la destruction des ressources naturelles, mises en danger par les désastres nucléaires ou encore par le changement climatique.

    FAIRE PARTIE DU MOUVEMENT

    Le mouvement espagnol a mobilisé pour une manifestation à Barcelone le 15 juin contre le vote des coupes budgétaires au Parlement catalan. L’assemblée de Madrid avait appelé à une manifestation dans toutes les villes européennes le 19 juin. Le mouvement grec avait de son côté mobilisé pour une grève générale le 15 juin et a demandé aux participants d’occuper ensuite les places.

    NOUS APPELONS A PARTICIPER ET A ORGANISER DES ACTIONS INTERNATIONALES DE SOLIDARITE

    Pour la démocratie réelle – pour la fin de la dictature des banquiers, des patrons et de leurs politiciens. Pour une économie planifiée démocratiquement, qui mette les biens de la société dans les mains des millions de travailleurs et pas des millionnaires.

    • Nous ne sommes pas des marchandises! Santé et éducation gratuite, des emplois décents et pour tous. Du fric pour les emplois et l’éducation pas pour les banquiers. Partage du temps de travail entre tous, sans perte de salaire !
    • Pas de coupes, de privatisations, de licenciements ! Faisons payer les grosses entreprises, les actionnaires et les banques pour la crise. Nationalisons ces institutions sous contrôle et gestion démocratique !
    • Dégageons de la Grèce du Portugal et de l’Irlande ceux qui veulent nous imposer l’austérité : l’UE, le FMI et la Banque centrale européenne ! Ce n’est pas notre dette, nous ne la payerons pas !
    • Solidarité internationale contre les coupes budgétaires, le racisme, le chômage et la pauvreté. Pour des actions internationales de grèves, vers des grèves générales partout en Europe.
    • Pour une Europe des travailleurs et des pauvres, pas des rapaces capitalistes!

    Les actions coordonnées autour du 19 juin peuvent constituer un pas vers une résistance de masse organisée à l’échelle européenne.

    REJOINS LA RESISTANCE INTERNATIONALE CONTRE LA PRECARITE ET L’AUSTERITE

    Etudiants de Gauche Actifs secondaire et supérieur fait partie d’ISR, une organisation internationale de jeunes par et pour les jeunes, afin d’organiser la lutte contre la pauvreté, le chômage, le racisme et la guerre. ISR rassemble des jeunes de nombreux pays à travers le monde. Rejoins Nous!

    internationalsocialistresistance.wordpress.com/ – www.gauche.be

    EN BELGIQUE AUSSI PRENDS LA RUE!

    • MANIFESTATION DES INDIGNES – 19 JUIN – BRUXELLES – 14H PLACE FLAGEY
    • RASSEMBLEMENT ET ASSEMBLEE POPULAIRE A L’APPEL DES COMITES D’ACTION EUROPE 22 JUIN – BRUXELLES – 18H ROND POINT SCHUMAN
  • [INTERVIEW] Grèce : Unifions les luttes et renversons le gouvernement

    Depuis le mercredi 25 mai, les places d’Athènes et d’autres villes grecques ont été occupées par des manifestants. Peu de temps après a été réalisée cette interview d’Andros Payiatsos (Xekinima, CIO – Grèce).

    Peux-tu décrire le mouvement de la jeunesse ?

    Cette vague d’occupations est très clairement une réponse aux développements en Espagne, qui étaient à leur tour influencés par les mouvements de masse en Tunisie et en Égypte. Ceci montre la force de l’internationalisme qui existe.

    [box type=”shadow” align=”alignright” width=”100″]

    [/box]

    L’occupation est également une réponse aux conditions auxquelles est confrontée la jeunesse. Le chômage en Grèce a atteint des niveaux historiques. Selon la fédération syndicale grecque, ce chiffre s’élève en réalité à 22%. Le chômage des jeunes vaut environ le double de cela. Le salaire de base pour les jeunes travailleurs qui ont leur premier emploi est de 520€ net par mois, c’est un salaire de misère.

    Ce mouvement est un développement assez puissant mais il n’est toujours pas clair de savoir dans quelle direction il va évoluer. Sur la place Syntagma où il a commencé mercredi 25 mai, on estime qu’il y avait 50.000 personnes, y compris un certain nombre de gens qui ne sont pas restés tout le temps, puisque l’occupation a duré de 6 heures du soir à 2 heures du matin. Les travailleurs et leurs familles ne peuvent pas rester tout le temps. Il y a eu des manifestations massives dans environ quinze villes grecques, comme Thessalonique, Patras, Volos, etc.

    Ce n’est pas seulement la jeunesse qui participe. Il y a aussi des pensionnés et des travailleurs ; tous essaient d’apporter leur pierre. Il semble que la base a été jetée pour la prolongation des occupations dans les deux villes principales.

    Il y a de très grandes assemblées, auxquelles participent une grande quantité de gens, bien qu’elles durent jusqu’à cinq heures. Des comités sont en train d’être mis sur pied pour prendre en charge les aspects techniques – la nourriture, l’eau, les connections wi-fi, etc. Et les premières tentes ont été dressées sur la place.

    En Espagne, on constate une certaine antipathie envers les syndicats et les partis politiques. Cet élément est-il aussi présent parmi la jeunesse grecque ?

    Tout comme en Espagne, il y a un très fort manque de volonté d’impliquer les syndicats ou les partis politiques. Mais nous pensons que cela n’est que temporaire. Nous croyons que, une fois que tout ceci évolue en un véritable mouvement, la nécessité de lui donner une dimension de masse pour le rendre efficace sera évidente. Et alors, la jeunesse sera forcée de faire appel à la classe ouvrière et aux syndicats. Cet appel sera essentiellement dirigé envers la base syndicale, parce que tout le monde déteste les dirigeants syndicaux, et aussi envers la base des partis de gauche, à cause de l’hostilité à l’encontre des partis de gauche.

    Les membres de Xekinima participent aux comités de coordination de l’occupation dans les deux villes cruciales que sont Athènes et Thessalonique. Une des revendications centrales que nous mettons en avant, dans les assemblées tout comme dans le matériel que nous produisons et diffusons, est que nous voulons la participation des travailleurs ; nous voulons que tous les gens qui sont en grève terminent leur grève sur la place et y restent. Si les travailleurs de l’électricité partent en grève de 48 heures, par exemple, après leur manifestation, nous aimerions qu’ils viennent sur la place pour à la fois fournir et recevoir un soutien et la solidarité.

    Nous sommes certains qu’une telle tactique recevrait une large réponse et je suis également certain que la majorité dans les assemblées soutiendra cette idée et les reprendra à son tour.

    Les gens doivent être très fâchés du fait que le gouvernement grec soit en train de discuter de nouvelles coupes budgétaires et privatisations, non ?

    Oui. Le gouvernement grec est en ce moment en train de discuter d’un deuxième accord avec la “Troïka” du FMI, de l’Union européenne et de la Banque centrale européenne. Ceci signifie en fait qu’après un an de cette politique barbare qui détruit les vies de centaines de milliers de gens, si pas de millions d’entre eux, ils sont arrivés à la conclusion que cette politique ne marche pas.

    L’an dernier, il y a eu quatre vagues d’attaques. Le second accord signifie encore plus d’attaques. Les gens sont désespérés.

    La vitesse à laquelle se déroulent les événements en Grèce est époustouflante. Toutes sortes de mouvement sont apparus, mais à cause du fait qu’ils n’ont aucune direction capable de leur fournir un programme et une stratégie pour la lutte, ils ne se maintiennent pas.

    Et puis, il y a la réaction, sous la forme par exemple d’attaques fascistes comme on l’a vu il y a deux semaines. Ceci ne peut être compris que si l’on considère la société grecque comme une série de convulsions. Les gens sont extrêmement fâchés, mais en même temps extrêmement désespérés. Ils cherchent une issue.

    Quelle a été la réponse aux attaques fascistes ?

    Tout d’abord, je dois dire que ce qui s’est passé a été extrêmement choquant. Pendant près de quatre jours, des nazis – pas de simples populistes de droite – ont commencé à pourchasser tous les immigrés qu’ils voyaient dans les rues, à les frapper à coups de couteau et avec tout ce qui leur tombait sous la main. Ils sont entrés dans des boutiques tenues par des immigrés pour tout y démolir ; c’était un véritable pogrom. La police regardait sans rien faire. Tout Grec qui tentait de protester contre ce fait à la police était, dans les faits, livré aux fascistes pour se faire tabasser puis hospitaliser.

    Ça a vraiment choqué la gauche. Les partis de gauche de masse ont toujours sous-estimé le danger du fascisme. Xekinima a toujours mis en avant le fait que les conditions qui seront créées par la colère, le désespoir et la frustration peuvent mener à une hausse du racisem et du fascisme. Ce développement montre que c’est dès le début qu’il faut se battre contre les fascistes, lorsqu’ils ne sont encore que des petits groupes.

    Maintenant, le problème est qu’il n’y a encore eu aucune réponse sérieuse aux fascistes de la part des partis de gauche ou des syndicats. Malheureusement, malgré les propositions de Xekinima et cinq meetings bien remplis, les divers groupes de gauche refusent de se mettre d’accord sur une action unie. C’est ridicule, scandaleux même. Toutefois, la lutte contre les fascistes doit être menée.

    L’extrême-droite a tenté d’intervenir dans les occupations et de profiter de la confusion qui existe afin de promouvoir des slogans nationalistes. Mais elle a été victorieusement combattue et a dû battre en retraite. La jeunesse et les membres de Xekinima ont réagi et ont répondu aux arguments politiques des fascistes. Il semble qu’ils se soient éloigné de ce mouvement et se préparent maintenant à l’attaquer.

    Quelle issue propose Xekinima ?

    Il y a eu de nombreuses luttes importantes récemment. Les travailleurs des bus ont mené une action de grève pendant trois mois. Mais ils ont été vaincus, vendus par leur direction. Et puis, il y a eu la fantastique occupation de l’hôtel de ville d’Athènes par les intérimaires. Après quatre semaines, eux aussi ont été vendus. Tout ça ne fait qu’ajouter à la frustration.

    Nous avons vu le développement de mouvements, comme le non-payement des péages routiers, qui ont été caractéristiques des trois premiers mois de cette année. Mais ces mouvements aussi se sont éteints, parce qu’aucun des partis de gauche de masse ne leur a accordé le moindre effort.

    Et maintenant, nous avons ce mouvement d’occupation, qui est à nouveau un mouvement spontané de la base. Malheureusement, le KKE (le Parti communiste grec) s’y oppose. Synaspismos, l’autre principal parti de gauche, ne parvient pas à lui donner de direction.

    On a eu des grèves dans de nombreux différents secteurs. Et aussi neuf grèves générales jusqu’ici, la prochaine étant fixée pour le 21 juin. Il y a un mouvement de grève continu ; la jeunesse peut voir le pouvoir de la classe ouvrière.

    Mais en même temps, elle comprend que ce genre d’actions de grève n’est pas assez pour résoudre le problème. Il faut plus que ça. On appelle à une grève générale tous les deux ou trois mois. Mais ce qu’on demande aujourd’hui est une action de grève plus déterminée, qui puisse paralyser le gouvernement et essentiellement, comme nous le mettons en avant lors des assemblées d’occupation, faire tomber le gouvernement.

    Bien qu’il y ait beaucoup de confusion, les gens comprennent que le pays est dirigé par ce que tout le monde en Grèce appelle aujourd’hui “une bande de voleurs et de menteurs”. Le slogan “Dégagez” est partout. Huit personnes sur dix dans la rue sont d’accord avec ça.

    Mais il n’y a pas la même compréhension quant au fait que pour faire chuter un gouvernement, il faut une lutte organisée. Alors, avec Xekinima, nous expliquons que la politique de ce gouvernement, qui représente les multinationales et les banques, détruit tout – absolument tout, sans exagération. Nous disons que si nous voulons la fin de cette politique, nous devons renverser ce gouvernement.

    Un mouvement spontané tel que l’occupation des places n’est pas assez. Il faut l’organiser, le lier à la classe ouvrière ; il faut le lier aux grèves. Il faut le lier à la revendication de renverser le gouvernement et de s’opposer à tout gouvernement composé de Démocratie nouvelle, le parti capitaliste traditionnel. Et bien sûr, en même temps, nous soulevons aussi le reste de nos revendications politiques, y compris le refus de payer la dette et la nationalisation des banques, liées à l’argument selon lequel la seule issue pour les travailleurs et la jeunesse grecs est de rompre avec le capitalisme.

    Auparavant, nous avons appelé les partis de gauche à collaborer pour faire chuter le gouvernement. C’était lorsque les résultats combinés de la gauche étaient de 25-30% dans les sondages, et lorsque l’idée d’une prise du pouvoir par la gauche pouvait être perçue comme réaliste. Mais à présent, ce n’est pas seulement la jeunesse, mais aussi une grande partie de la classe ouvrière qui est très mécontente de la gauche.

    Dans de récents sondages, 45% des gens ont déclaré qu’ils ne voteraient pas lors des prochaines élections. Dans toute l’histoire de la Grèce, on n’a jamais entendu ça. Le taux d’abstention est normalement de 20-25%.

    Mais lorsque les gens demandent qui va remplacer le Pasok si on le fait dégager, nous répondons que nous autres, les jeunes, les travailleurs, les militants, peuvent remplacer les dirigeants actuels. Sur base de ce mouvement, sur base des comités de représentation de ce mouvement, également soutenus par de grosses sections de la base de la gauche (et même une partie de la direction), nous pouvons fournir la base et les structures pour un nouveau pouvoir qui pourra représenter les masses ouvrières et remplacer le Parlement des “voleurs”. Cette revendication est fort appréciée.


    Cette interview a été réalisée vendredi 27 mai, deux jours après que l’occupation ait démarré. Dimanche 29 mai, une des plus grandes mobilisations de masse qu’on ait jamais vu a eu lieu sur la place Syntagma. Il y avait en permanence entre 50 et 70 000 personnes présentes, mais le nombre total de gens qui ont visité la place est estimé par Xekinima à environ 200 000 !

    L’assemblée générale du vendredi 27 mai, qui était la troisième dans une série d’assemblées quotidiennes, à voté à la quasi unanimité de se lier aux vagues de grèves en développement et d’inviter tous les travailleurs en grève à venir sur la place, de prolonger l’occupation jusqu’à la chute du présent gouvernement, et de refuser de reconnaitre la dette souveraine comme étant la dette du peuple.

  • Moyen-Orient et Afrique du Nord : L’intervention impérialiste nuit gravement aux révolutions

    Les travailleurs et les pauvres doivent prendre leurs révolutions en main

    Les mouvements révolutionnaires en Tunisie et en Égypte ont démontré que les changements basés sur la lutte des masses sont à nouveau d’actualité. Il est toutefois certain que ce processus révolutionnaire est complexe et son développement soulève de nouveaux défis. Chasser les dictateurs est parfois plus difficile et, en soi, cela ne suffit pas pour parvenir à un changement véritable.

    Par Geert Cool

    Tunisie et Egypte : poursuivre la révolution !

    Le 1er mai et les jours suivants, des milliers de jeunes et de travailleurs ont manifesté à Tunis et ont exprimé leur frustration face à l’absence de véritable changement. Le chômage continue à progresser et le ‘‘nouveau’’ gouvernement reste lié à l’ancien régime. Le 1er mai, la manifestation radicale à Tunis a pu compter sur près de 5.000 participants malgré la répression. Les manifestants criaient : ‘‘Nous devons poursuivre cette révolution au nom des travailleurs.’’

    En Égypte, le soulèvement révolutionnaire prend un second souffle sur base de la colère face au gouvernement, qui prétend ne pas avoir suffisamment de moyens pour améliorer le niveau de vie et applique une politique néolibérale. Le 1er mai, 4.000 ouvriers du textile sont entrés en grève à Mahalla (le centre textile du pays) afin de protester contre la hausse des prix et pour le développement de syndicats indépendants. Les médecins sont eux aussi partis en grève afin d’exiger une augmentation du budget destiné aux soins de santé publics. Les manifestants égyptiens disaient (à juste titre) : ‘‘Nous avons fait chuter le dictateur, il reste encore la dictature.’’ Il ne suffit en effet pas de simplement décapiter le sommet du système pour que celui-ci s’effondre.

    Le fait même que l’opposition se poursuive en Tunisie et en Egypte illustre qu’il n’est plus possible de simplement revenir à la situation connue jadis. La peur de protester a disparu et ne reviendra pas simplement ‘‘comme ça’’. Cela doit être saisi comme une opportunité de mettre en place des syndicats, partis et organisations ouvriers indépendants, avec leur propre programme orienté vers un changement socialiste de la société.

    Libye et Syrie : organiser les travailleurs

    En Égypte et en Tunisie, les dictateurs ont été chassés dès que le mouvement ouvrier organisé est apparu sur le devant de la scène. En Libye et en Syrie aussi, les travailleurs et les pauvres doivent s’organiser afin de prendre le devant de la lutte. L’intervention militaire en Libye n’était pas uniquement dirigée vers Kadhafi. Il était aussi crucial pour l’impérialisme de stopper la vague des révolutions avant que celle-ci ne submerge également l’Arabie Saoudite et les États du Golfe. L’impérialisme veut récupérer son contrôle de la situation et avoir des régimes de pantins fiables laissant libre accès aux matières premières pour l’occident.

    Dès le début de la révolte sont apparus à Benghazi des slogans tels que : ‘‘Non à l’intervention étrangère, les libyens peuvent le faire eux-mêmes.’’ Cette position se trouve peut être bien isolée aujourd’hui en Libye, elle n’en reste pas moins correcte. Maintenant que Kadhafi est toujours debout, après plusieurs semaines de guerre, le soutien à l’intervention est probablement plus fortement remis en question. Il reste nécessaire d’organiser les travailleurs et les pauvres à travers le pays entier dans une lutte offensive contre le régime de Kadhafi.

    Une intervention militaire en Syrie n’est pas directement à l’agenda. Pour les USA, notamment, le problème est que les interventions ne sont toujours pas finies en Irak, en Afghanistan et en Libye. Mais il existe aussi la crainte que les divisions ethniques et religieuses – très fortes dans le pays – ne conduisent à un scénario ‘‘à la yougoslave’’ de violence et de guerre civile.

    Pour prévenir un tel scénario, les travailleurs et les jeunes doivent développer leurs propres organisations indépendantes. Des comités de lutte de quartiers doivent être construits à côté de conseils ouvriers dans les usines. Voilà qui peut dépasser les divisions parmi les travailleurs tout en donnant une voix et une organisation aux masses pour défendre la révolution. Il faut lancer un appel à instaurer démocratiquement des comités à chaque lieu de travail, dans tous les quartiers, parmi les soldats du rang,…

    Renverser totalement les vieux régimes

    Il est insuffisant de stopper un dictateur pour qu’il soit remplacé par un autre groupe de gangsters. Le mouvement doit s’organiser et s’armer d’un programme de changement socialiste contre la répression, le chômage, la misère et l’impérialisme. Ce mouvement doit se construire de la base, d’en bas et démocratiquement, pour coordonner la lutte contre le vieux régime tout en assurant la sécurité de l’opposition et en organisant le ravitaillement. Ces structures seraient la base d’un futur gouvernement de représentants des travailleurs et des pauvres. Un tel gouvernement empêcherait le retour de la réaction, défendrait les droits démocratiques et commencerait à répondre enfin aux besoins économiques et sociaux des masses. Pour réaliser une rupture totale avec les régimes actuels, il faut un gouvernement des travailleurs et des pauvres. Un tel gouvernement organiserait immédiatement des élections libres et prendrait de toute urgence les mesures qui s’imposent afin d’améliorer le niveau de vie des masses. Nous défendons donc la tenue d’une Assemblée constituante révolutionnaire et démocratique ainsi que l’arrivée d’un gouvernement des travailleurs et des paysans pauvres qui s’engage dans la voie d’une économie démocratiquement planifiée, dans les mains publiques, pour le plus grand intérêt de la majorité de la population.


    Aucune confiance envers l’intervention militaire

    La guerre en Libye ne visait pas à défendre la population. Si les Droits de l’Homme motivaient vraiment cette décision, pourquoi ne rien faire pour le Bahreïn ou le Yémen ? La raison est simple : un dictateur qui est un fiable allié des puissances occidentales (Bahreïn) ou un pays qui possède trop peu d’intérêts stratégiques (Yémen).

    Notre résistance à l’intervention militaire ne signifie toutefois aucunement que nous laissons les rebelles de Benghazi à leur sort. Nous pensons seulement que les travailleurs et les pauvres doivent eux-mêmes prendre en main la lutte contre Kadhafi et qu’aucune avancée réelle ne viendra avec ceux qui hier encore armaient Kadhafi.

    Après plus de deux mois de guerre, Kadhafi est toujours là. L’impérialisme semble provoquer une partition du pays avec un partenaire fiable à l’est (autour de Benghazi) afin de garantir l’accès aux matières premières comme le pétrole, avec un régime qui mènera une politique néolibérale qui apportera chômage et pauvreté pour la majorité de la population.


    Aucun soutien aux dictateurs !

    Dans notre pays, le dictateur syrien Bachar el-Assad peut, étrangement, compter sur beaucoup de crédit au PTB. L’hebdomadaire du parti se réfère à l’opinion des ‘‘communistes syriens’’ qui affirment que ‘‘Ces événements pourraient être évités si la logique sécuritaire est remplacée par la logique politique.’’ Ils affirment encore que ‘‘La tragédie en cours profite seulement aux ennemis de la Syrie, aux ennemis de notre projet national, aux forces qui veulent enrayer le processus de réformes.’’

    Le régime syrien applique une politique de privatisations et, dans la passé, n’a pas hésité à commettre des massacres contre sa propre population (notamment en 1982). Nous n’avons aucune confiance envers de semblables dictatures. Ce n’est pas parce qu’ils adoptent une rhétorique anti-impérialiste que cela en fait des alliés dans la lutte contre l’impérialisme. Le raisonnement selon lequel ‘‘l’ennemi de mon ennemi est mon ami’’ ne tient aucunement compte de la situation des travailleurs et de leurs familles.


    La mort de Ben Laden ne signifie pas la fin des fondamentalistes

    Les révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont miné l’impact de la stratégie d’Al-Qaeda : ce n’est pas le terrorisme, mais bien la lutte de masse des travailleurs et des pauvres qui a provoqué un changement. L’élimination de Ben Laden arrive à un moment où le soutien au terrorisme est au plus bas. Mais la liquidation de Ben Laden a été l’opportunité pour les USA d’emballer une défaite de presque dix ans comme une victoire, qui ne met d’ailleurs pas du tout un terme à la situation explosive en Afghanistan et au Pakistan.

    Si les révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ne se poursuivent pas vers l’obtention d’un changement fondamental, la désillusion peut conduire à un regain de soutien pour le terrorisme individuel et le fondamentalisme religieux. Mais si les révolutions se poursuivent, il n’est pas exclu qu’elles soient imitées au Pakistan, en Afghanistan, en Inde,… là où le mécontentement face à la hausse des prix et à la corruption est au plus haut.

  • Égypte : Nasser et le nationalisme arabe

    Des millions d’Égyptiens ont renversé Moubarak, le président tant haï. Maintenant, les travailleurs et les jeunes sont en train de discuter de ce qu’il faudrait faire ensuite. Les idées mises en avant par Nasser il y a 50 ans sont en train d’être réexaminées. Dans cet article, David Johnson revient sur l’histoire du régime de Nasser, et sur les leçons qui peuvent en être tirées pour la révolution qui a lieu aujourd’hui.

    David Johnson, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    Les jeunes manifestants de la place Tahrir n’avaient jamais connu que la vie sous Hosni Moubarak, qui a régné pendant 30 ans. Leurs aînés se souviennent par contre de ses prédecesseurs – Gamal Abdel Nasser et Anouar el-Sadate. Certains des travailleurs les plus âgés parlent toujours de la période Nasser, pendant les années ’50 et ’60, comme étant celle du “socialisme” – le parti établi par Nasser s’appelait en effet l’Union socialiste arabe (USA).

    Au cours des années ’70, Sadate a promu le libre marché capitaliste, allant jusqu’à changer le nom de l’UAS en Parti démocratique national – qui a été le parti au pouvoir jusqu’à l’éjection de Moubarak.

    Pendant le 19ème siècle, l’Égypte faisait partie de l’empire turc ottoman, mais en 1882, au cours d’une rébellion nationaliste, l’impérialisme britannique y a envoyé sa flotte et une armée d’occupation. La classe dirigeante britannique désirait protéger le canal de Suez et la route commerciale vers son empire des Indes, de même que ses investissements dans le coton, le principal produit d’exportation de l’Égypte. Le commerce du coton s’est accru pendant les vingt années qui ont suivi, enrichissant ainsi toute une couche de propriétaires terriens. C’est ainsi qu’en 1913, 13 000 propriétaires possédaient près de la moitié de toutes les terres cultivées, tandis qu’un million et demi de paysans n’en avaient que le tiers. Pendant la Première Guerre mondiale, les prix du coton ont fortement grimpé, de sorte que les riches propriétaires ont pu planter encore plus, augmenter leurs immenses profits, mais causant par là des pénuries de nourriture, et la hausse des prix pour les pauvres. De nos jours, l’agriculture égyptienne est également de plus en plus orientée vers des cultures non-vivrières d’exportation.

    Toute une série de financiers et d’hommes d’affaires ont émergé de cette couche de riches propriétaires terriens, grâce au profit obtenu par la production de marchandises qui ne pouvaient plus être importées, à cause de la guerre. L’industrie locale s’est rapidement développée, de sorte que la classe ouvrière s’est agrandie en termes de taille, mais aussi de militance, rejointe par tous les travailleurs employés dans les chemins de fer et dans les ports, secteurs florissants grâce à l’économie de guerre. Les classes capitaliste et ouvrière égyptienne en plein essor se sont alors toutes deux heurtées à un obstacle face à leurs propres intérêts : l’occupation de longue date par l’impérialisme britannique.

    Les capitalistes et les propriétaires terriens désiraient l’indépendance du Royaume-Uni afin de pouvoir consolider leurs intérêts politiques et économiques – mais ils craignaient un mouvement des travailleurs et des campagnes. Des postes gouvernementaux leur accorderaient le prestige et le pouvoir de récompenser leurs relations avec des contrats et des postes. Le plus grand des partis indépendantistes était le Wafd (la Délégation). Quarante pourcent de ses membres étaient des propriétaires terriens, les autres étaient des banquiers, des industriels et des hauts fonctionnaires.

    Les travailleurs désiraient l’indépendance afin de mettre un terme à l’exploitation et à leurs souffrances, qui s’étaient grandement accrues au cours de la guerre. En 1919, une vague de grèves massive et des manifestations ont forcé le gouvernement britannique à accepter des négociations pour l’indépendance. Trois ans plus tard, après des troubles persistans accompagnés de larges grèves, la Déclaration britannique annonçait la création d’un État égyptien “indépendant”, tout en maintenant un veto sur la politique étrangère, en protégeant les intérêts économiques britanniques et en maintenant une garnison britannique le long du canal de Suez.

    Révolution permanente

    Le sultan ottoman a été nommé roi. L’Éypte est ensuite passée par une phase d’instabilité gouvernementale, au cours de laquelle les gouvernements tombaient aussi rapidement qu’ils étaient mis en place – de 1922 à 1952, la durée de vie moyenne des gouvernements était moins d’un an. Les mêmes ministres (dont 60% étaient des propriétaires terriens) se relayaient aux différents postes. Les capitalistes égyptiens étaient incapables et d’ailleurs peu désireux d’accomplir les tâches d’une révolution capitaliste (ou “bourgeoise”) : le rejet de la domination étrangère, la suppression du pouvoir des seigneurs féodaux, le développement d’une économie capitaliste moderne. Les capitalistes, les banquiers et les propriétaires terriens étaient liés les uns aux autres. Tous craignaient la petite mais potentiellement puissante classe ouvrière plus qu’ils ne craignaient l’impérialisme britannique. En 1923, le premier gouvernement du Wafd avait d’ailleurs mis en place des lois visant à réprimer les partis de gauche et à bannir de nombreuses grèves.

    Seule la classe ouvrière, attirant à elle les masses des paysans pauvres, aurait pu accomplir les tâches de la révolution bourgeoise. C’est là l’essence de la théorie de la révolution permanente, développée par Trotsky dans le cadre de la Russie du début du 20ème siècle. Un gouvernement révolutinnaire ouvrier ne s’arrêterait cependant pas à la création des conditions d’un développement harmonieux du capitalisme, mais irait encore plus loin, en nationalisant l’industrie, les banques, et les terres, jetant les bases pour un plan de production socialiste. Un appel aux travailleurs des pays plus avancés sur le plan économique à suivre leur exemple aurait alors pour effet de propager la révolution socialiste partout à travers le monde, et fournirait aussi les ressources matérielles nécessaires au développement des pays pauvres.

    La révolution russe a brillamment confirmé cette théorie. Toutefois, les révolutions qui ont été déclenchées partout en Europe après celle-ci ne sont pas parvenues à produire d’autres États ouvriers. Les dirigeants du mouvement ouvrier soit ne sont pas parvenus à saisir l’occasion de prendre le pouvoir, soit, plus tard, sous l’influence de la bureaucratie stalinienne qui s’est développée dans l’Union soviétique dégénérescente, ont fait dérailler les mouvements révolutionnaires. Néanmoins, les privilèges de de la bureaucratie stalinienne dépendaient de l’économie étatique soviétique – un retour au capitalisme aurait signifié la perte de leur pouvoir. Les avantages de la planification étatique ont résulté en une rapide croissance économique, bien qu’à un cout bien plus élevé que si la démocratie ouvrière des premiers jours de la révolution avait survécu.

    Le Parti communiste égyptien a été fondé en 1922, mais était essentiellement basé parmi les minorités ethniques et religieuses. Il a suivi la ligne politique désastreuse prônée par Staline, et n’est jamais parvenu à devenir une force de masse. Au lieu de ça, la déception face aux maigres résultats fournis par l’indépendance ont mené à la croissance de l’association des Frères musulmans, fondée en 1928.

    La crise qui a suivi la Seconde Guerre mondiale a contraint l’armée britannique à ordonner au roi Farouk de former un gouvernement Wafd, tandis que les tanks britanniques devant son palais garantissaient qu’il comprenne bien le message. Cette action a encore une fois révélé à quel point au final le pouvoir demeurait entre les mains de l’impérialisme. Elle a aussi révélé la faiblesse et l’hypocrisie de la classe dirigeante égyptienne, y compris du Wafd, qui vingt ants auparavant militait pour l’indépendance. Une période de stagnation et de conflit entre le roi et le gouvernement s’en est suivie, chacun tentant de placer ses propres partisans aux postes de pouvoir.

    Bien que l’économie du pays s’était accruee entre 1922 et 1952, le niveau de vie de la plupart des gens avait chuté. Le fossé entre les riches et les pauvres s’accroissait. Il était courant de prester des journées de 15 heures, et les usines employaient encore des enfants âgés de moins de dix ans. En 1950, seuls 30% des enfants recevait une éducation secondaire. Il y avait en 1952 deux millions de travailleurs dans l’industrie, soit un dixième de la force de travail. Des grèves de plus en plus larges, voire générales, ont eu lieu après la guerre, avec des manifestations d’étudiants et autres. Les partis et les journaux de gauche étaient interdits, et les militants arrêtés.

    La prise du pouvoir par les Officiers libres

    En 1947, la résolution des Nations-Unies qui divisait la Palestine en deux, préparant la formation d’Israël, a alimenté la colère, qui s’est accrue après la défaite de l’armée égyptienne au cours de la guerre de 1948. En 1949, treize officiers désaffectés ont commencé à se réunir en secret. Ils étaient tous âgés de 28 à 35 ans, fils de petits propriétairs terriens ou de fonctionnaires gouvernementaux. Nasser est devenu président de ce Mouvement des officiers libres. Sadate en était un des membres fondateurs.

    Le Mouvement a graduellement commencé à gagner en influence auprès des autres officiers. Lorsque, le 20 juillet 1952, un autre gouvernement faible a démissionné après seulement 18 jours, les Officiers libres sont entrés en action. Au cours de la nuit du 22 au 23 juillet, les troupes ont pris le contrôle de tous les bâtiments, routes et ponts stratégiques du Caire. Le roi corrompu s’est vu ordonner de prendre l’exil. C’est Sadate qui a annoncé la prise du pouvoir à la radio. Nasser est devenu vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur, puis premier ministre et président en 1954.

    Les Officiers libres représentaient la frustration de la classe moyenne par rapport à l’échec complet des politiciens capitalistes à développer la société. Contrairement à la faible classe propriétaire-capitaliste, l’armée était une force puissante et organisée. Les officiers désiraient le pouvoir politique, et se sont opposés à toute action indépendante de la part de la classe ouvrière. En janvier 1953, tous les partis politiques furent dissous. Tout comme les autres régimes du “tiers-monde” de cette période, l’armée égyptienne a joué un rôle “bonapartiste”, liguant les différentes classes sociales et groupements politiques les uns contre les autres afin de maintenir un équilibre. La presse, les conseils communaux et l’Ordre des avocats ont été purgés. En 1954, l’association des Frères musulmans a été bannie, ses dirigeants arrêtés et exilés en Arabie saoudite, de laquelle ils allaient revenir bien plus tard, après avoir adopté la version la plus extrême de l’islam wahhabite.

    Le programme du nouveau gouvernement parlait de nationalisme et de justice sociale. Ses objectifs étaient la destruction de l’impérialisme, l’éradication du féodalisme et la fin des monopoles. Toutefois, il n’y avait pas une politique économique claire, l’économie étant censée continuer sur base de la propriété privée. « Nous ne sommes pas socialistes. Je pense que notre économie ne peut prospérer que sur base de la libre entreprise », disait ainsi Gamal Salim, un des chefs des Officiers libres.

    Néanmoins, la plupart des capitalistes étaient pris de panique et beaucoup d’entre eux ont décidé d’émigrer. Les investissements dans le secteur privé ont fortement chuté, forçant le régime à aller dans une nouvelle direction. Une des premières mesures a été la réforme agraire, qui limitait la taille des possessions terriennes à 80 hectares. L’infime minorité de très gros propriétaires qui avaient dominé les précédents gouvernements a ainsi perdu la base économique de son pouvoir. Quinze pourcent des terres cultivées a été transféré à des paysans sans terre. Des coopératives ont été créées pour fournir des crédits à bas taux d’intérêt, des graines et des engrais. Mais plus de la moitié de la population rurale pauvre demeurait sans terre, les principaux gagnants étant les petits propriétaires.

    La crise du canal de Suez

    Deux superpuissances mondiales avaient émergé à la suite de la Seconde Guerre mondiale : les États-Unis et l’URSS. Elles essayaient toutes deux d’étendre leur sphère d’influence, ce qui les faisait entrer en conflit l’une avec l’autre dans de nombreuses régions du monde. Puisque leur arsenal nucléaire les menaçait toutes deux de “destruction mutuelle assurée”, les conflits prenaient la forme de guerres par agent interposé entre leurs régimes vassaux. Les gouvernements dits “non-alignés”, comme le régime de Nasser, tentaient de maintenir un équilibre entre ces deux superpuissances.

    En 1955, Nasser a indiqué un revirement de sa position en commandant des armes à l’URSS. Ceci pourrait avoir été un outil de pression afin d’obtenir plus d’armes de la part des USA. Il avait confié à l’ambassadeur américain qu’il préférait toujours une aide militaire américaine. Le pacte de Bagdad, signé en 1955 par le gouvernement britannique, avait aussi mis Nasser en colère. Ce traité crucial confirmait le maintien des intérêts de l’impérialisme en Iran, en Iraq et ailleurs au Moyen-Orient. Nasser s’était aussi attiré les foudres du gouvernement français en refusant d’appeler à la fin de l’insurrection en Algérie contre l’occupation française. Les mouvements indépendantistes se propageaient alors comme un feu de brousse à travers toutes les vieilles colonies européennes.

    Le gouvernement égyptien était au même moment en train de négocier des emprunts internationaux pour pouvoir construire le barrage d’Assouan – un immense projet qui allait grandement accroitre la superficie des terres cultivables et générer l’électricité nécessaire à l’industrialisation du pays. Les États-Unis et le Royaume-Uni avaient offert d’avancer l’argent pour couvrir un cinquième du cout, espérant que cela leur permettrait de se payer une influence auprès du régime. Toutefois, après le contrat d’armes en provenance de l’URSS, les États-Unis ont annulé leur offre en juillet 1956.

    Nasser a répondu à cela en annonçant la nationalisation du canal de Suez. La proclamation a été faite lors d’un meeting de masse à Alexandrie, où il expliquait que les revenus tirés du canal permettraient de financer le barrage. Un témoin a décrit la manière dont « Les gens sont devenus fous d’excitation ». À l’époque, l’exploitation du canal revenait à une compagnie française dont le principal actionnaire était le gouvernement britannique (la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, aujourd’hui connue sous les noms de “GDF Suez” , NDT).

    Ces deux gouvernements s’associèrent en secret avec le gouvernement israélien pour lancer une invasion de l’Égypte en octobre 1956. Cette invasion s’est révélée désastreuse pour le Royaume-Uni et pour la France, qui sont parvenues à atteindre leurs objectifs militaires, mais en suscitant une énorme opposition internationale. Les masses arabes partout au Moyen-Orient soutenaient le régime Nasser. Au Royaume-Uni, il y avait une opposition de masse. Le gouvernement américain voyait ses intérêts régionaux menacés, et exigeait la fin de l’invasion, allant jusqu’à imposer des sanctions économiques contre le Royaume-Uni. Ces trois gouvernements se sont vus forcés à une retraite humiliante. Au même moment, des tanks soviétiques parcouraient la Hongrie pour y réprimer la révolution politique qui y était en cours.

    Contrôle étatique de l’économie

    Nasser est sorti du conflit avec la réputation d’un dirigeant qui osait défier l’impérialisme – au contraire de tous les pseudo-nationalistes bourgeois qu’il avait remplacé. Il a immédiatement nationalisé les banques et entreprises françaises et britanniques. Deux mois plus tard, le reste du secteur bancaire et des compagnies d’assurance était nationalisé.

    Après l’échec du secteur privé à investir entre 1952 et 1956, la plupart de l’industrie, des entreprises commerciales et des autres services ont été nationalisés. Puis on est passé au contrôle étatique sur le commerce avec l’étranger, à la taxation progressive et à la confiscation de la propriété des 600 plus riches familles du pays. L’investissement d’État a renforcé l’industrie, dont la part dans le PIB est passée de 10% en 1952, à 20% en 1962. Le barrage d’Assouan a été terminé en 1968, triplant la production d’électricité.

    Entre 1952 et 1967, les salairs reéls ont augmenté de 44%, sans compter les subsides sur l’alimentation, la réduction du temps de travail, et la sécurité sociale. L’enseignement primaire est devenu gratuit en 1956, de même que l’enseignement secondaire en 1962, lorsque l’on garantissait à tous les diplômés un emploi dans le secteur public. Le nombre d’étudiants s’est accru de 8% par an entre 1952 et 1970. Le nombre d’employés d’État est passé de 350 000 en 1952 à 1,2 million en 1970, puis 1,9 millions en 1978.

    Ces mesures reflétaient l’équilibre des forces au niveau mondial ainsi qu’en Égypte. Le monde connaissait alors une période sans précédent de croissance écononique quasi ininterrompue et d’une ampleur jamais vue auparavant. Après la débacle de Suez, l’impérialisme était incapable d’intervenir en Égypte. La Russie stalinienne soutenait ce régime qui ressemblait tant au sien.

    En 1957, le contrôle étatique a transformé les syndicats en une de ses institutions ; les dirigeants syndicaux étaient grassement rémunérés pour empêcher toute organisation ou lutte ouvrière indépendante. Aucun élément de contrôle ouvrier ou de démocratie ouvrière n’était autorisé, sans lesquels le socialisme authentique ne peut exister. L’opposition était brutalement réprimée, y compris le Parti communiste. Les petits-bourgeois qu’étaient les Officiers libres trouvaient très attirante l’absence de droits démocratiques qui leur accordait un pouvoir sans conteste.

    Malgré le fait que le régime se décrivait comme étant du “socialisme arabe”, le capitalisme survivait en Égypte, bien que sous une forme déformée. Le capitalisme égyptien avait été trop faible pour se développer sans une intervention étatique massive. Sadate et Moubarak ont plus tard lancé des privatisations sans pour autant changer la nature de l’État – les secteurs clés de l’économie étant alors repris par des chefs de l’état-major et par des proches de Moubarak.

    Le nationalisme arabe

    En 1919, le Royaume-Uni, la France et la Turquie avaient redessiné entre eux la carte du Moyen-Orient, reflétant leurs propres intérêts impérialistes. L’appel au “pan-arabisme” qui embrassait l’ensemble de la région était en partie une réaction à ces États créés de manière artificielle, et aussi face au terrible héritage laissé par l’exploitation capitaliste. Nasser a utilisé le nouveaux média de cette période, la radio, pour obtenir une audience de masse à travers l’ensemble du Moyen-Orient. La Voix des Arabes, une station radio basée au Caire, lancée en 1953, surmontait les frontières nationales et l’analphabétisme, diffusant les idées du nationalisme arabe directement par-dessus la tête des autres gouvernements.

    En 1957, la Syrie traversait une profonde crise politique ; sa classe capitaliste était faible et incapable de gérer le pays. Les deux partis les plus influents étaient le Baas (Renaissance) et le Parti communiste (PC). Le PC, comme tous les autres partis staliniens, ne proposait ni un programme d’action indépendante de la classe ouvrière ni le socialisme. Ces deux partis espéraient pouvoir récupérer une partie de la popularité de Nasser, et l’ont approché avec des plans visant à unifier les deux pays. Les chefs de l’état-major syrien étaient eux aussi en faveur de ce plan. Parmi les conditions de Nasser pour l’unification, se trouvaient le démantèlement de tous les partis politiques, à part un parti unique contrôlé par l’État.

    C’est ainsi qu’a été fondée la République arabe unie (RAU), en 1958, renforçant encore plus la réputation de Nasser à travers l’ensemble du monde arabe. L’impact de cette union a mené la même année à la révolution en Iraq, et a presque causé la chute des gouvernements au Liban et en Jordanie.

    Cependant, aucun autre État n’a rejoint la RAU, et la Syrie a fini par la quitter après trois ans. Le programme de réforme agraire avait mis en colère les propriétaires terriens syriens, tandis que les capitalistes syriens refusaient les nationalisations. Les politiciens et les officiers militaires étaient mécontents de leur exclusion du pouvoir. La classe ouvrière, les ouvriers agricoles et les paysans n’avaient pas le droit de former leurs propres organisations et n’avaient aucun contrôle démocratique sur l’État.

    Un véritable État ouvrier aurait obtenu un soutien de masse grâce à la hausse du niveau de vie, à des programmes en faveur de l’éducation et d’une sécurité sociale. Une fédération d’États socialistes démocratiques aurait pu devenir un exemple éclatant pour l’ensemble du monde arabe. Mais un régime bureaucratique sans droits démocratiques et qui ne rompait pas pleinement avec le capitalisme était incapabe de surmonter les contradictions de l’État-nation. Chaque classe dirigeante mettait ses propres intérêts égoïstes avant tout.

    Après l’échec de la RAU, Nasser s’est encore plus tourné en direction de l’Union soviétique, avec encore plus de nationalisations. En 1962, une charte nationale définissait les objectifs de la révolution : “Liberté, socialisme, unité arabe”. Le parti officiel d’État a été renommé “Union socialiste arabe”, dont une partie allait en 1976 devenir le Parti national démocratique, qui allait constituer la base des régimes de Sadate et de Moubarak. (En novembre dernier, toute une série d’hommes d’affaires ont payé d’immenses sommes pour pouvoir devenir candidats du PND aux élections à la soi-disant assemblée populaire, sachant que le fait d’être élu les aiderait à obtenir des contrats gouvernementaux).

    Nasser soutenait la révolution algérien contre le régime colonial français, puis a soutenu en 1962 le renversement de la famille royale yéménite. Près de la moitié de l’armée égyptienne a été envoyée pour se battre au Yémen, où elle a subi de lourdes pertes pendant les cinq années suivantes. Sans un appel de classe envers les travailleurs et les pauvres, lié à un programme socialiste incluant la redistribution des terres et des droits démocratiques, les troupes égyptiennes se sont retrouvées embourbées dans une sanglante guerre civile.

    Cette intervention a été suivie en 1967 par la guerre de Six Jours contre Israël qui s’est soldée par une lourde défaite militaire, vu l’ampleur des pertes subies par les forces armées égyptiennes lors de leur intervention prolongée au Yémen. Pendant les tous premiers jours de cette guerre, le gouvernement égyptien a maintenu toute une série d’histoires concernant ses prouesses militaires, même alors que l’ensemble sa force aérienne avait été détruite et que son armée avait subi d’importants dommages.

    Nasser a assumé la pleine responsabilité de ses actes et a démissionné. Mais une manifestation de masse au Caire a demandé qu’il reste. Pendant 17 heures, les gens ont refusé de quitter les rues, jusqu’à ce qu’il retire sa démission. Toutefois, il n’a jamais pu regagner l’autorité dont il jouissait auparavant auprès des masses arabes. Des émeutes d’étudiants ont éclaté en 1968, en guise de protestation contre les responsables de la défaite militaire, mais reflétant aussi un mécontentement plus profond.

    Néamoins, lorsque Nasser est décédé en 1970, on estime à dix millions le nombre de gens qui sont descendus dans les rues pour assister à son enterrement. L’héritage de Nasser persiste, avec la nostalgie des années d’anti-impérialisme, de hausse du niveau de vie et d’amélioration de l’éducation.

    Le nassérisme de nos jours

    À l’époque, l’idée du socialisme bénéficiait d’un soutien large parmi les travailleurs, les pauvres et les jeunes partout dans le monde. Malgré le fait qu’il utilisait le mot “socialisme”, Nasser jouait en fait sur la rivalité entre l’impérialisme occidental et les États ouvriers déformés staliniens. Sans l’implication de la classe ouvrière, accompagnée des pauvres ruraux et urbains, le socialisme authentique ne peut être construit. Au lieu de ça, la voie était pavée pour les contre-réformes de Sadate et de Moubarak, basées sur le fait de donner un plus grand rôle au marché capitaliste.

    La population égyptienne est plus de deux fois plus grande qu’elle ne l’était dans les années ’60. La classe ouvrière est beaucoup plus grande, incluant de nombreuses personnes qui travaillent dans des usines géantes employant des milliers de personnes. La plupart vivent maintenant dans des villes. Il y a aujourd’hui une base bien plus forte qu’il y a un demi-siècle pour la fondation d’un socialisme démocratique dirigé par la classe ouvrière, et soutenu par les pauvres ruraux et urbains.

    La situation internationale en 2011 est complètement différente. L’Union soviétique a disparu, laissant la place à un monde dominé par une seule superpuissance. Mais les États-Unis et le capitalisme mondial ne sont plus dans la situation de pleine croissance longue de 25 ans qu’ils ont connue dans les années ’50 et ’60. Bien au contraire, ils se trouvent au beau milieu de la pire crise financière qu’ils aient connue depuis les 80 dernières années. Il n’y a aucune possibilité pour le développement rapide d’un nouveau gouvernement égyptien capable de fournir des emplois et de rehausser le niveau de vie, s’il demeure dans le cadre du capitalisme.

    L’idée de pan-arabisme a elle aussi changé. Bien qu’un fort sentiment de solidarité ait poussé la vague révolutionnaire partie de Tunisie à se propager à travers l’ensemble de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, les pays qui ont été formés de manière artificielle par les impérialistes européens il y a maintenant près d’un siècle ont depuis développé chacun leur propre identité nationale. Les manifestants brandissent leurs drapeaux nationaux, symbolisant leur désir de récupérer leur État qui se trouve entre les mains de dictateurs corrompus. Plutôt qu’un État arabe unifié tel que Nasser a tenté de le bâtir, une fédération démocratique d’États socialistes recevrait maintenant un large soutien à travers l’ensemble de la région. Mais l’idée du socialisme est aujourd’hui moins populaire, en conséquence de l’effondrement du stalinisme et de toutes ses retombées. La tâche des socialistes est de rebâtir ce soutien en le liant à un programme qui réponde à l’ensemble des problèmes auxquels sont aujourd’hui confrontés les travailleurs, les pauvres et les jeunes.

0
    0
    Your Cart
    Your cart is emptyReturn to Shop