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  • Les élections générales en Grèce n’ont livré aucune surprise

    SYRIZA est responsable du retour de la droite

    Par Xekinima, section Grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière et parti-frère du PSL/LSP

    Il n’y a pas eu de surprises dans les résultats des élections du 7 juillet en Grèce, ils ont confirmé les tendances qui étaient déjà évidentes lors des élections européennes de mai : le parti traditionnel de droite grec Nouvelle Démocratie (ND) a remporté la victoire, le soutien de SYRIZA a chuté car les électeurs l’ont puni pour ses politiques d’austérité, la gauche est restée faible, n’ayant pas réussi à convaincre les travailleurs de ses positions et le parti néo-nazi Aube Dorée (AD) a perdu ses positions parlementaires sans pouvoir obtenir le seuil des 3% requis pour être élu au parlement. Le taux d’abstention a atteint un niveau historiquement élevé d’environ 45% (similaire à toutes les élections à partir de septembre 2015) – c’est-à-dire que presque une personne sur deux n’a pas pris la peine de voter.

    Nous entrons maintenant dans une nouvelle étape du bipartisme (polarisation entre deux partis principaux, se remplaçant l’un l’autre au gouvernement) qui diffère cependant de celle qui existait entre le ND et le PASOK (social-démocratie) dans le passé, en ce sens qu’il n’a ni la profondeur ni la stabilité du vieux système bipartite.

    SYRIZA responsable du retour de ‘Nouvelle Démocratie’ au gouvernement

    ND a remporté les élections avec 39,8% et 2,2 millions de voix. L’augmentation de son vote peut sembler importante par rapport à celle qu’il a reçue lors des élections européennes de septembre 2015 et des récentes élections européennes, où il a obtenu environ 1,5 million de voix. Cependant, ce résultat doit être jugé dans le contexte du nouveau paysage de “normalité” établi par SYRIZA.

    Les trois “mémorandums” imposés à la Grèce par la Troïka (la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international) à partir de 2010 ont conduit à l’effondrement du “vieux” système bipartite en Grèce, les électeurs ayant tourné le dos aux forces politiques détestées (ND et PASOK) qui avaient ruiné le pays et l’avaient quitté dans une crise économique profonde et une austérité extrême. SYRIZA est passée de 4% à plus de 36% pour être élu au gouvernement, en raison de son opposition à ces politiques. Mais depuis l’été 2015, lorsque SYRIZA a capitulé devant les exigences de la Troïka et a mis en œuvre les mêmes politiques d’austérité qu’elle avait rejetées, le paysage bipartite est réapparu, avec ND d’un côté et SYRIZA de l’autre prenant le rôle du PASOK.

    Cependant, lors de cette élection, ND n’a pas obtenu le nombre de voix qu’elle avait obtenu avant la crise. Bien qu’elle ait réussi à atteindre le niveau des élections anticipées de 2009 (2,2 millions de voix) alors que la crise était aux portes de la Grèce et que le gouvernement (déjà ND à ce moment-là) s’est effondré avant la fin de son mandat, ce chiffre est loin de celui obtenu en 2007 – 3 millions de voix.

    En même temps, il est important de souligner que ND n’a pas développé d’enthousiasme dans la société et qu’elle n’a pas obtenu un nombre significatif de voix de ceux qui ont voté SYRIZA en 2012 et 2015. L’augmentation du soutien électoral est essentiellement due à l’effondrement des votes des petits partis nationalistes de droite et de centre-droite tels que les “Grecs indépendants” (ANEL), “To Potami” (“Le fleuve”) et l’”Union du Centre” qui ont obtenu 500.000 voix en 2015. Et, bien sûr, ND a pris part aux 200.000 votes perdus par “Aube Dorée”.

    SYRIZA – le nouveau PASOK

    SYRIZA a perdu l’élection parce qu’elle n’a pas réussi à convaincre les travailleurs que ses politiques différaient fondamentalement de celles de ND et n’a donc pu développer aucune dynamique sociale. Cependant, parce qu’une grande partie de la société grecque – en particulier dans la classe ouvrière et les pauvres – craint toujours le programme néolibéral difficile du leader de ND, Kyriakos Mitsotakis, SYRIZA a réussi à conserver un vote significatif, avec 31,5% et presque 1,8 million de voix.

    Mais il ressort déjà clairement des déclarations de Tsipras depuis l’élection que les dirigeants de SYRIZA ne reconnaissent aucune erreur grave dans leur politique. Au lieu de cela, ils s’intègrent dans le système en occupant “l’espace centre-gauche” avec la “transformation de SYRIZA en un grand parti démocratique” (pour reprendre l’expression de Tsipras), c’est-à-dire en occupant la position du parti social-démocrate traditionnel, le PASOK.

    Les nazis hors du parlement

    Le développement le plus positif de ces élections est l’échec de Golden Dawn, le gang néonazi, à rester au Parlement. L’argument de la direction d’AD selon lequel il s’agit d’un “grand parti” soutenu par “près de 10% du peuple grec” est remis en cause et les affaiblit politiquement. Leur non-entrée au parlement les prive de la protection du statut parlementaire et du financement de l’Etat et de l’emploi par l’Etat de dizaines de leurs cadres dirigeants pour assurer le ” soutien parlementaire “. Les néo-nazis ont perdu environ 100 000 voix par rapport aux élections européennes qui ont eu lieu il y a un peu plus d’un mois !

    Cette évolution est évidemment due à un certain nombre de facteurs, mais ce qu’il faut souligner ici, c’est le rôle joué par la mobilisation constante du mouvement antifasciste qui a révélé la nature réelle de ce gang meurtrier, ainsi que le procès en cours des principaux dirigeants d’AD accusés de meurtre et d’autres crimes.

    Bien que nous devions saluer cette évolution importante, nous devons être conscients que la lutte contre le fascisme ne se termine pas avec ce coup porté à AD. Nous devons maintenant intensifier nos efforts et nos campagnes non seulement pour obtenir des condamnations à perpétuité contre les dirigeants, mais aussi pour briser leur soutien dans chaque quartier où ils sont présents.

    Le ‘dénuement’ de la Gauche

    La gauche – principalement le Parti communiste grec (KKE), la gauche anticapitaliste ANTARSYA et l’Unité populaire (LAE) se sont une fois de plus montrées incapables d’exprimer les besoins de la classe ouvrière et des pauvres.

    Le KKE a enregistré une nouvelle légère baisse de ses suffrages par rapport aux élections européennes de mai, stagnant essentiellement à 5,3%, malgré leurs efforts à travers une campagne électorale très dynamique et malgré la baisse du soutien à SYRIZA. L’Unité Populaire a continué sur la voie de sa propre auto-annihilation, ne recueillant que 16.000 voix, à peine 10% des voix qu’elle a obtenues en septembre 2015 et la moitié seulement de celles qu’elle a obtenues aux élections européennes il y a un peu plus d’un mois. ANTARSYA a obtenu 0,4% des voix et 23.000 voix, soit une fois de plus la moitié de son vote depuis 2015 et moins que les 36.000 voix obtenues en mai. Les autres listes de gauche ont obtenu moins de 0,1%.

    Plutôt que de réfléchir aux causes de cette défaite électorale, les dirigeants de gauche tentent à nouveau de rejeter la faute sur le peuple. Dimitris Koutsoubas, secrétaire général du KKE, a déclaré, de manière caractéristique dans sa déclaration post-électorale, qu’il existe “une tendance générale conservatrice”. Il a été rejoint par l’Unité Populaire qui a annoncé qu’”un changement politique conservateur est en train de s’enregistrer”. Dans des articles précédents, nous avons expliqué pourquoi nous ne sommes pas d’accord avec l’analyse selon laquelle il y a eu un “changement conservateur de la société”, une analyse adoptée par presque tous les partis de gauche après les élections européennes.

    La gauche doit également réfléchir sur le fait que le parti “MeRA25”, créé par l’ancien ministre des finances SYRIZA Yanis Varoufakis a augmenté son vote et obtenu des sièges au Parlement (3,5% et 9 députés). “MeRA25” est un parti situé entre la gauche et la social-démocratie et n’appelle pas spécifiquement au changement social et plus encore au socialisme, mais il a réussi à convaincre une partie de la société de ses positions sur des questions spécifiques où d’autres forces de gauche ne pouvaient pas. Le succès de “MeRA25” semble offrir un peu d’espoir et un moyen de sortir de l’impasse et de la frustration ressenties par beaucoup à gauche, car Varoufakis est considéré comme le seul de ceux autour de Tsipras qui n’ont pas trahi après le referendum de 2015. Dans le spectre des forces anti-mémorandum, les résultats de “MeRA25” sont la seule évolution positive.

    Le dénuement des dirigeants de la gauche ne peut plus être caché. Ce qu’il faut, c’est une discussion ouverte et approfondie au sein de la gauche révolutionnaire et avec le mouvement au sens large pour discuter des erreurs et des déficiences, pour surmonter la “culture” dominante dans laquelle les organisations de gauche refusent de coopérer entre elles, pour proposer un programme de transition avec des demandes radicales de renversement du système, non comme appels révolutionnaires abstraits mais directement liés à la phase actuelle du mouvement, ses besoins et sa conscience. Nous devons créer un large front de gauche, qui puisse donner la parole aux masses laborieuses et montrer la voie à suivre.

    Au cours de la période à venir, les attaques contre les droits des travailleurs et des peuples vont s’intensifier, surtout à l’approche d’une nouvelle récession économique mondiale. Les forces de gauche, les syndicats combatifs, les militants de la classe ouvrière et les mouvements de protestation locaux et autres doivent être entraînés dans la bataille pour reconstruire le mouvement et la gauche, afin de pouvoir faire face aux tâches devant nous.

  • [ARCHIVES] L’ascension et la chute de Syriza

    Photo: Wikipedia

    Le 5 juillet 2015, un référendum historique eut lieu en Grèce contre le mémorandum d’austérité de la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international), avec une majorité écrasante de 61,5% en faveur du « non » (OXI). Plus de deux ans plus tard – comme le rapporte ici ANDROS PAYIATOS, membre de Xekinima (section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière) – dirigée par un gouvernement Syriza, la société grecque est confrontée à la poursuite des mêmes politiques qui furent appliquées précédemment par les partis traditionnels de la classe dirigeante, le parti social-démocrate Pasok et le parti conservateur Nouvelle démocratie (ND). Que s’est-il passé ?

    Les attaques contre le niveau de vie et les droits du peuple grec se renforcent sous le gouvernement Syriza. Celui-ci essaie de cacher cela en parlant de « négociations difficiles » et de « faire tout son possible » contre les « Institutions », le nouveau nom de la troïka qu’est la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) ). Mais ce n’est que de la poudre aux yeux. Le dernier accord du 15 juin a libéré 8,5 milliards d’euros pour la Grèce (dont 8,2 milliards € seront utilisés immédiatement pour rembourser les prêts). Rien n’a été ajouté aux propositions des institutions faites lors de la réunion de l’Eurogroupe le 22 mai.

    Le Premier ministre de Syriza, Alexis Tsipras, n’utilisa ce moment que pour faire beaucoup de bruit, en interne, en proclamant qu’il n’y aurait pas de franchissement de ce qu’il appelle (très souvent) des “lignes rouges”. Le résultat est toujours le même : les institutions indiquent qu’elles ne reculeront pas ; menaçant que si le gouvernement grec ne calme pas ses ardeurs, il sera expulsé de la zone euro ; Les lignes rouges de Syriza s’amenuisent.

    Le dernier accord impose des fardeaux supplémentaires d’environ 5 milliards d’euros aux masses entre 2019 et 2022. De manière plus générale, de l’année prochaine jusqu’à la fin de 2022, la Grèce versera des intérêts de la dette à hauteur de 3,5% du PIB – avec l’engagement du gouvernement de dégager un « surplus primaire » annuel de 3,5% des recettes fiscales par rapport aux dépenses avant intérêts. Les prêts seront remboursés par de nouveaux prêts. À partir de 2022, les intérêts payés annuellement (excédents primaires) représenteront en moyenne de 2% du PIB. Et ce jusqu’en 2060. C’est le scénario le plus « optimiste ». Sur cette base, la dette souveraine représentera environ 60% du PIB en 2060. Cependant, toutes les institutions ne sont pas d’accord : le FMI affirme que ces excédents primaires sont irréalisables et que la dette sera incontrôlable.

    Jusqu’à ce que les créanciers soient payés, toute politique de tout gouvernement grec doit être approuvée par les institutions. Le gouvernement soi-disant de « gauche » de Syriza adhère à cette clause et impose une nouvelle vague d’austérité.

    Il a encore augmenté l’impôt sur le revenu pour toutes les couches de la population, même celles qui gagnent environ 400 € par mois – le seuil était d’environ 700 € sous le précédent gouvernement ND. Il a augmenté la fiscalité indirecte (de 20%) sur tout, y compris les produits les plus élémentaires comme le café grec et les traditionnels souvlakis. En moyenne, il a réduit les pensions de 9% supplémentaires. Il applique des mesures que la ND et le Pasok avaient ??jugées impossibles à réaliser, avec le plus grand programme de privatisation jamais réalisé. Le marché du travail reste une jungle où l’immense majorité des travailleurs du secteur privé travaillent des mois sans être payés et où l’exploitation atteint des conditions indescriptibles.

    Par conséquence, les sentiments qui dominent parmi les travailleurs sont une colère de masse et, en même temps, une démoralisation massive. L’idée que les politiciens sont des escrocs et des menteurs domine. Dans le passé, les partis traditionnels, ND et Pasok, qui ont gouverné le pays depuis 1981, étaient principalement visés. Aujourd’hui, cela s’applique également à Syriza. Il est passé d’un petit parti avec environ 3% de soutien électoral à une force de masse en remportant plus de 36% en janvier et septembre 2015. Cette croissance spectaculaire fut le résultat des énormes convulsions qui ont parcouru la société grecque qui, face aux attaques de Pasok et ND, s’est tournée vers le petit parti de gauche et l’a transformé en une force de masse, pour le voir ensuite se retourner contre les masses et continuer la même politique.

    Les raisons historiques

    L’effondrement de l’Union soviétique en 1991 créa une situation objective entièrement nouvelle à l’échelle mondiale. Entre autres choses, un énorme vide à gauche se développa après l’effondrement des partis « communistes » staliniens et l’embourgeoisement des partis sociaux-démocrates qui embrassèrent pleinement les idées du « libre marché ». Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) et ses sections nationales avaient prédit que cela donnerait lieu à des tentatives de créer de nouvelles formations de gauche, de nouveaux partis de travailleurs, afin de fournir une représentation politique à la classe des travailleurs et de jouer un rôle dans le développement de ses luttes.

    Le Parti communiste grec (KKE) connut des divisions majeures, sa section des Jeunesses communistes (KNE) quitta en masse. Une autre nouvelle formation était Synaspismos (SYN – signifiant « alliance » ou « collaboration »), créée par les petites forces de l’ancien parti eurocommuniste de Grèce s’unissant à une section du Parti communiste. Avec le Pasok se déplaçant rapidement vers la droite, la gauche fut confrontée à une contraction massive de ses forces. Le KKE descendait à 4 à 5% aux élections, mais conservait encore des racines au sein de la classe des travailleurs, en particulier chez les cols bleus du secteur privé. SYN luttait d’élection en l’élection pour obtenir le minimum de 3% des votes pour entrer au Parlement – pas toujours avec succès.

    Les choses commencèrent à changer vers la fin des années 1990. SYN était la seule formation de gauche semi-massive qui n’était pas sectaire et était capable d’intervenir dans les mouvements altermondialistes et anti-guerre au tournant de ce siècle. Ouvert à la collaboration et aux alliances, il commença à attirer un certain nombre d’autres forces plus petites. Ensemble, ils créèrent un espace de dialogue et d’action unie qui se développa pour former Syriza en 2004. Xekinima, la section grecque du (CIO), prit part à la procédure spatiale, mais refusa de rejoindre Syriza en 2004 car cette plateforme avait été formée à la hâte pour des raisons électorales et avec un programme réformiste de droite qui n’était en aucun cas radical.

    Syriza s’en est très mal sorti aux élections de 2004 et la direction de la droite de SYN décida de tuer le projet. Toutefois, il réapparût en 2007, toujours pour se présenter aux élections. La différence était qu’il y avait eu un changement de direction, avec Alekos Alavanos à la tête du parti qui lançait un processus de gauche. Syriza progressa, obtenant 5% aux élections. Ce fut le début de changements majeurs car la crise mondiale frappait la Grèce en 2009 et creusait le fossé à gauche. Le Pasok fut élu à l’automne 2009 avec une grande majorité, mais il devint l’année suivante l’agent de la troïka et mit en place le premier mémorandum. En juin 2012, la ND remporta les élections et commença à mettre en œuvre le deuxième mémorandum.

    Les attaques massives de ces partis traditionnels, combinées aux énormes luttes sociales qui balayèrent la Grèce, en particulier à partir de 2010-12, jetèrent les bases de la montée de Syriza pour combler l’énorme vide qui avait été créé. À partir du printemps 2010, les confédérations syndicales (GSEE dans le secteur privé et les services publics, et ADEDY dans les services publics) commencèrent à déclencher des grèves générales. Au total, environ 40 grèves générales furent lancées entre 2010 et la victoire de Syriza en 2015.

    Celles-ci étaient couplées avec des occupations et des grèves sectorielles quelques mois durant. À l’automne 2011, il restait peu de bâtiments d’administration qui n’était pas couverts de bannières disant « sous occupation ». En parallèle, de nombreux autres mouvements sociaux et locaux extrêmement importants prirent place, comme la lutte de la population de Keratea contre un site d’enfouissement des déchets ou contre les mines d’or de Skouries à Chalkidiki dans le nord de la Grèce, le mouvement de désobéissance civile contre les péages routier durant l’hiver 2010 et le mouvement Occupy de 2011.

    Bien que des signes de fatigue se soient manifesté au milieu de l’année 2012 après de sérieuses défaites, des luttes d’importance historique subsistent, comme les travailleurs de l’ERT (Télévision publique d’état) en 2013 et les travailleurs de VIOME qui continuaient de garder leur usine en marche : ERT et VIOME fournirent tous deux d’excellents exemples de la façon dont les travailleurs pouvaient gérer la production de manière démocratique sans avoir besoin d’un patron ou de directeurs nommés.

    Pourquoi Syriza?

    À cette époque, seule la gauche pouvait offrir un moyen de sortir de la crise – même si les mêmes conditions favorisèrent la montée de l’extrême droite, qui se développa sous la forme de l’Aube dorée néo-nazie. Mais pourquoi est-ce Syriza qui s’éleva et pas un autre parti ? Avant le début de la crise et dans sa période initiale, le parti de gauche qui suscitait le plus grand intérêt était le KKE. Le front de gauche anticapitaliste, Antarsya, stagnait autour des 1% dans les sondages. Syriza montrait des signes de soutien important, mais avec de grandes fluctuations, alors que le KKE était plus stable, passant de son traditionnel 7-8% à 10-12%.

    L’une des principales différences (pas la seule, bien sûr) entre les trois formations, résidait dans le fait que le KKE et Antarsya étaient sectaires. Ils rejetaient, au nom de « l’authenticité révolutionnaire », l’idée d’un front uni de toute la gauche et des forces du mouvement de masse alors que Syriza était très favorable à l’idée d’une action commune. Le KKE suivit un chemin extrêmement sectaire de de rejet de collaboration avec qui que ce soit – jusqu’à refuser de participer aux mêmes manifestations !

    La percée de Syriza survint lors des élections de 2012, en mai et en juin. En mai, Syriza gagna environ 17% des voix et le KKE 8,5%. Mais en juin, Syriza atteignit 27%, juste derrière la ND et ses 29,7%, alors que le KKE était tombé à 4,5%. Ce qui est important, c’est la façon dont la force relative des partis évoluait avant et au cours des élections. À partir de décembre 2011, les sondages donnaient des pourcentages similaires à Syriza et au KKE – environ 12%. Dans les premières étapes de la campagne électorale – en fait, jusqu’à trois semaines avant le vote du 6 mai 2012 – les deux partis flirtaient chacun avec les 12%.

    Puis, Tsipras lança un appel ouvert au KKE pour un gouvernement commun de gauche. Auparavant, il refusait de lancer ce slogan malgré la pression des sections de la gauche. Sections qui comprenaient Xekinima, qui collaborait étroitement avec Syriza, dont une partie de nos membres faisaient également partie, faisant campagne pour un gouvernement des partis de gauche sur base d’un programme socialiste. L’impact de l’appel était clair. La direction stalinienne du KKE rejeta immédiatement tout type de gouvernement de gauche commun avec Syriza par principe ! Ils déclarèrent même que si Syriza était en mesure de former un gouvernement minoritaire, le KKE ne lui donnerait pas un vote de confiance au Parlement. En d’autres termes, ils le feraient tomber.

    Ce débat à l’intérieur de la gauche fit automatiquement pencher la balance. Syriza gagna et le KKE perdit. Le vote total de gauche en mai 2012 (17% + 8%) était semblable à celui enregistré dans les sondages dans les semaines et les mois précédents (12% + 12%) – sauf que Syriza passa en tête. Cela montre l’importance de l’approche du front uni pour les larges masses, ce qui, malheureusement, est bien au-delà de ce que pouvait concevoir la direction du KKE et de la plupart des organisations de la gauche grecque. Il n’y a pas de chiffres officiels mais, d’après les informations fournies par des membres du KKE, environ un tiers des membres quittèrent délibérément ou furent rejetés parce qu’ils s’opposaient au refus de KKE de répondre positivement à l’appel de Syriza.

    La capitulation était-elle inévitable ?

    La capitulation de Syriza à la troïka n’était pas inévitable. C’était le résultat du manque de compréhension par la direction des processus réels de la perception naïve, sinon criminelle, qu’ils « changeraient la Grèce et l’ensemble de l’Europe », comme Tsipras s’en vantait. C’était le manque de compréhension de la nature de classe de l’Union Européenne et un manque total de confiance dans la classe des travailleurs et sa capacité à changer la société. Lorsque Tsipras se retrouva face à ce que signifiait vraiment de se heurter à la classe dirigeante, il tomba dans le désespoir et capitula, faute d’un manque complet de préparation.

    Toute l’approche était emprunte d’amateurisme. Immédiatement après la victoire électorale de Syriza en janvier 2015, des centaines de millions d’euros commencèrent à s’échapper quotidiennement du pays. Tsipras et son ministre de l’économie, Yanis Varoufakis, n’avaient pas pris les mesures de bases : imposer des contrôles pour arrêter les sorties de capitaux. Ils avaient eu l’exemple à Chypre, en 2013 – où la troïka elle-même avait appliqué un contrôle des capitaux – pourtant, ils n’osèrent pas agir.

    Ensuite, ils firent quelque chose d’encore plus scandaleux. Ils continuèrent à rembourser la dette bien que la troïka ait cessé de fournir de nouveau financement de la dette ! Ils drainèrent l’économie, confisquant chaque euro des mains d’institutions publiques tels que les universités, les hôpitaux et les gouvernements locaux – pour montrer à l’UE qu’ils étaient de « bons garçons ». Ensuite, la BCE intervint pour geler les liquidités des banques et donc les forcer à fermer. L’économie était à genoux.

    Tsipras eut un choix à faire : abandonner et accepter tous les termes des vainqueurs vindicatifs, ou changer de cap et passer à l’offensive. Les masses grecques lui envoyèrent le message lors du référendum historique de juillet 2015 : ripostez et nous serons de votre côté. Mais Tsipras avait déjà décidé. Il céderait à la troïka. Il avait effectivement appelé le référendum dans le but de le perdre. Le résultat le choqua profondément ; Il ne s’attendait pas à une si écrasante victoire. Varoufakis le confirma lors d’une interview récente, disant qu’il avait déclaré à Tsipras “de ne pas faire sortir le peuple” s’il avait déjà décidé de concéder face aux exigences de la troïka.

    Une alternative existe, développée en détail par des organisations de gauche comme Xekinima: imposer un contrôle des capitaux; refuser de payer la dette; nationaliser les banques; passer rapidement vers une monnaie nationale (drachme); utiliser les liquidités fournies par cette monnaie pour financer des travaux publics majeurs, afin d’arrêter la contraction continue de l’économie et de la remettre sur le chemin de la croissance; annuler les dettes des petites entreprises écrasées par la crise et accorder des prêts sous des conditions favorables afin qu’elles puissent se remettre en activité et relancer rapidement l’économie.

    Nationaliser les secteurs clés de l’économie ; planifier l’économie, y compris par un monopole d’État sur le commerce extérieur, dans le but d’acquérir une croissance soutenue qui ne sert pas les bénéfices d’une poignée de propriétaires de navires, d’industriels et de banquiers, mais qui est au service des 99%. Créer des comités spécifiques de planification dans tous les secteurs de l’industrie et de l’exploitation minière, et accorder une attention particulière à l’agriculture et au tourisme qui sont essentiels à l’économie et ont un énorme potentiel. Etablir une économie démocratique, par le contrôle et la gestion par les travailleurs dans tous les domaines et à tous les niveaux. Lancer un appel au soutien et à la solidarité des travailleurs du reste de l’Europe, en les appelant à lancer une lutte commune contre l’Union européenne des patrons et des multinationales. Pour une union volontaire, démocratique et socialiste des peuples d’Europe. En bref, une offensive anticapitaliste et anti-Union Européenne sur base d’un programme socialiste et d’une solidarité de classe internationale aurait dû être la réponse au chantage de la troïka.

    C’était complètement au-delà de ce que pouvait imaginer Tsipras et Co, y compris Varoufakis. Même s’il faut lui reconnaître de ne pas s’être incliné devant les maîtres de l’UE, il n’en demeure pas moins que les politiques économiques appliquées entre janvier et juillet 2015 furent catastrophiques et Varoufakis en est directement responsable. Il nourrissait, et nourrit malheureusement toujours, des illusions sur le fait qu’il pouvait convaincre l’UE de changer ses politiques et se réformer.

    Qu’en est-il du reste de la gauche ?

    La capitulation de la direction de Syriza est un aspect des problèmes rencontrés par les masses des travailleurs grecs. L’autre, dans un certain sens plus important, est l’incapacité des forces de gauche à profiter de la capitulation de Syriza pour fournir une alternative. C’est particulièrement le cas pour les deux principales formations de gauche, le KKE et Antarsya, parlent toutes les deux au nom de l’anticapitalisme et de la révolution socialiste. La plupart de la gauche grecque souffre d’un certain nombre de « péchés éternels » en raison de l’influence massive du stalinisme sur son histoire et son développement. Avec des conséquences tragiques car le KKE et Antarsya ont des forces suffisantes, une masse critique, pour servir de catalyseurs de changements majeurs et de retournement de situation.

    Premièrement, il y a peu de compréhension du programme de transition, de la nécessité d’avoir un lien, un pont, entre les luttes d’aujourd’hui et la transformation socialiste de demain afin que les deux tâches s’entremêlent en un ensemble dialectique. En conséquence, le KKE parle de la nécessité du socialisme, mais ne le présente que comme un but à atteindre dans un avenir lointain qui se produira d’une manière ou d’une autre si et quand le KKE obtient une force suffisante. Le KKE refuse donc de soutenir des revendications telles que la nationalisation ou même la sortie de l’UE, avec pour argument que cela est « dénué de sens sous le capitalisme ».

    Antarsya, ce n’est pas la même chose, il règne cependant toujours une grande confusion dans ses rangs. Certaines sections soutiennent un « programme de transition » mais l’interprètent comme un programme minimum, en le séparant de la question de la prise du pouvoir par les travailleurs et de la transformation socialiste. Antarsya est connue pour sa caractéristique générale de faire de « grands appels à la révolution » sans propositions concrètes sur la façon d’y parvenir.

    Deuxièmement, il n’y a pas de compréhension de la tactique de front uni, expliquée et appliquée par les bolcheviks sous Lénine et par Léon Trotsky dans les années 1930, qu’il résumait comme la possibilité de « marcher séparément mais de frapper ensemble » dans l’action. Le KKE et Antarsya n’ont jamais eu une approche de front uni vers les masses de Syriza. Bien qu’ils aient compris qu’à un certain stade, Tsipras et Co capituleraient aux exigences des capitalistes, ils croyaient que, comme par magie, les masses déçues se tourneraient tout simplement vers eux. Néanmoins, les masses autour de Syriza, ne se joignirent pas à des forces qui les traitèrent avec mépris dans la période précédente. Ils rentrèrent juste chez eux.

    Troisièmement, c’est l’ultimatisme. Aujourd’hui, le KKE agit comme une copie de l’internationale communiste durant la « troisième période » stalinienne. Il accuse ses adversaires d’être des agents de la classe dirigeante et même des collaborateurs du l’Aube dorée néo-nazie. Récemment, à Kefalonia (une île de la mer Ionienne), le KKE distribua un tract contre Xekinima après que nos sympathisants aient remporté des élections pour le syndicat local des professionnels et petits commerçants. Ils affirmèrent que « l’extrême gauche » (Xekinima) collaborait avec les grandes entreprises, le Pasok, la ND, Syriza et Aube Dorée (tous ensemble !) pour vaincre la faction syndicale soutenue par le KKE. Il ne nous reste que nos yeux pour pleurer.

    Enfin, il y a un refus de faire face à la réalité. Après le référendum de juillet 2015 et les élections de septembre, que Tsipras présenta hâtivement aux masses afin de leur faire réaliser ce que signifiait sa capitulation, Xekinima déclara ouvertement que ces événements représentaient une défaite majeure. Nous avons expliqué que cela allait sûrement avoir un impact sérieux sur les mouvements et la gauche en général, bien que cela aiderait une minorité de militants à arriver à des conclusions révolutionnaires.

    La majorité de la gauche, cependant, refusait d’accepter cela. Ils appelèrent à un mouvement de masse pour faire tomber le gouvernement, ce qui ne pouvait tout simplement pas se produire. Ensuite, dans une réponse particulièrement caractéristique du KKE, si les masses ne vinrent pas se battre « c’est parce qu’elles ne comprennent pas ». En d’autres termes, c’est la faute des masses. Une deuxième réponse consistait à amplifier les dimensions d’un mouvement, à rapporter des chiffres erronés sur le nombre de participants aux manifestations, etc. Inutile de dire que ces approches ne pouvaient que conduire la gauche dans une impasse.

    Si ces failles majeures expliquent pourquoi les masses refusèrent de se tourner vers le KKE et Antarsya après la capitulation de Tsipras, qu’en est-il de la gauche interne à Syriza ? La principale opposition, la plateforme de gauche, avait le soutien d’environ un tiers du parti. Elle se scinda en août 2015 et créa l’Unité Populaire (PU) pour se présenter aux élections anticipées de septembre. Au début, les sondages lui donnèrent environ 10% – un soutien de masse significatif – mais ces chiffres retombèrent progressivement jusqu’à moins de 3%. Aujourd’hui, ils tournent autour de 1 à 1,5% dans la plupart des sondages.

    La direction de l’Unité Populaire commit un certain nombre d’erreurs cruciales. Tout d’abord, leur campagne se concentrait sur le passage à une monnaie nationale – son « programme » était non seulement trop limité mais également incohérent. Il défendait l’idée de quitter la zone euro et de refuser de payer la dette, tout en restant dans l’UE ! Sans à supprimer parler du fait qu’on était loin d’un programme radical, anticapitaliste et socialiste, il représentait surtout une combinaison impossible de revendications.

    Le deuxième facteur majeur fut l’arrogance de la direction et son approche bureaucratique top-down. Des milliers d’activistes de gauche, principalement non alignés, s’approchaient de l’Unité Populaire au moment de sa formation, dans l’espoir qu’elle pourrait offrir une issue. Mais ils furent déçus et s’en détournèrent. Ils l’avaient déjà auparavant et n’avaient déjà pas aimé : une direction établie (locale et nationale) qui n’acceptait aucune remise en question ; un programme préétabli qui ne devait pas être discuté ; et une campagne pour élire des députés désignés et pas élus par la base ! Peu avant le jour de l’élection, les responsables de l’Unité Populaire réalisèrent que les choses ne se passaient pas bien et ils tentèrent un virage démocratique de dernière minute, mais il était trop tard.

    Perspectives et tâches

    Vers la fin des années 1990, il était possible de voir d’où viendrait l’initiative pour la création d’une nouvelle formation de gauche en Grèce (laquelle devint Syriza). Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. La phase de défaite que traverse la classe des travailleurs grecs est sérieuse. Cependant, elle n’est pas du tout comparable à la défaite de la guerre civile de 1945-1949 ou à la victoire de la junte militaire de 1967 à 1974. La classe des travailleurs avec ses traditions militantes et d’abnégation seront de retour sur le devant de la scène, il n’y a aucun doute là-dessus. Bien sûr, le calendrier, l’ampleur et les caractéristiques précises de ce retour ne peuvent être prédits à l’avance. Ce processus se déroulera parallèlement à la tentative de construire de nouvelles formations qui pourront représenter politiquement le mouvement des masses et assurer la direction de ses luttes.

    Les activistes de la classe des travailleurs sont confrontés à une double tâche. D’une part, tirer la conclusion politique principale qui découle de la capitulation de Syriza : qu’il n’y a pas de solution dans le cadre du système capitaliste, qu’un programme socialiste révolutionnaire est le seul moyen de sortir de la crise. D’autre part, qu’il faut réunir, dans un large fleuve d’actions, de lutte et de résistance communes, tous les différents courants des mouvements grecs avec l’objectif supplémentaire de galvaniser ceux-ci au sein d’une nouvelle formation élargie avec des caractéristiques de front unique. Un large front uni est nécessaire pour rendre les luttes plus efficaces, tout comme un noyau de révolutionnaires est nécessaire pour lutter pour un programme socialiste au sein de la classe des travailleurs, des mouvements sociaux et de la société.

    Objectivement, il y a un terreau fertile à ces idées. Le problème est subjectif et est lié aux déficiences des forces principales de la gauche. Par conséquent, nous pouvons seulement nous battre pour ces idées et prendre des initiatives lorsqu’il est possible de montrer la voie à suivre. Xekinima fait campagne dans le mouvement de masse et la société pour ces propositions et, prend, en même temps, des initiatives qui nous indiquent le chemin à suivre. Des initiatives telles que des alliances locales de gauche, des « centres sociaux » locaux avec d’autres militants de gauche, des campagnes communes avec d’autres groupes, en particulier sur des questions qui touchent la classe des travailleurs, etc.

    Il y a une retraite dans le mouvement de masse et il y a de la démoralisation. Il y a très peu de luttes majeures, « centrales », mais beaucoup de petites et d’importantes. Parallèlement, de nombreux activistes ont soif d’idées. La phase d’accalmie actuelle prendra fin, tôt ou tard, et de nouveaux soulèvements sont à prévoir. Les forces du socialisme révolutionnaire s’appuient sur cette perspective.

  • [DOSSIER] L’ascension et la chute de Syriza

    Photo: Wikipedia

    Le 5 juillet 2015, un référendum historique eut lieu en Grèce contre le mémorandum d’austérité de la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international), avec une majorité écrasante de 61,5% en faveur du « non » (OXI). Plus de deux ans plus tard – comme le rapporte ici ANDROS PAYIATOS, membre de Xekinima (section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière) – dirigée par un gouvernement Syriza, la société grecque est confrontée à la poursuite des mêmes politiques qui furent appliquées précédemment par les partis traditionnels de la classe dirigeante, le parti social-démocrate Pasok et le parti conservateur Nouvelle démocratie (ND). Que s’est-il passé ?

    Les attaques contre le niveau de vie et les droits du peuple grec se renforcent sous le gouvernement Syriza. Celui-ci essaie de cacher cela en parlant de « négociations difficiles » et de « faire tout son possible » contre les « Institutions », le nouveau nom de la troïka qu’est la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) ). Mais ce n’est que de la poudre aux yeux. Le dernier accord du 15 juin a libéré 8,5 milliards d’euros pour la Grèce (dont 8,2 milliards € seront utilisés immédiatement pour rembourser les prêts). Rien n’a été ajouté aux propositions des institutions faites lors de la réunion de l’Eurogroupe le 22 mai.

    Le Premier ministre de Syriza, Alexis Tsipras, n’utilisa ce moment que pour faire beaucoup de bruit, en interne, en proclamant qu’il n’y aurait pas de franchissement de ce qu’il appelle (très souvent) des “lignes rouges”. Le résultat est toujours le même : les institutions indiquent qu’elles ne reculeront pas ; menaçant que si le gouvernement grec ne calme pas ses ardeurs, il sera expulsé de la zone euro ; Les lignes rouges de Syriza s’amenuisent.

    Le dernier accord impose des fardeaux supplémentaires d’environ 5 milliards d’euros aux masses entre 2019 et 2022. De manière plus générale, de l’année prochaine jusqu’à la fin de 2022, la Grèce versera des intérêts de la dette à hauteur de 3,5% du PIB – avec l’engagement du gouvernement de dégager un « surplus primaire » annuel de 3,5% des recettes fiscales par rapport aux dépenses avant intérêts. Les prêts seront remboursés par de nouveaux prêts. À partir de 2022, les intérêts payés annuellement (excédents primaires) représenteront en moyenne de 2% du PIB. Et ce jusqu’en 2060. C’est le scénario le plus « optimiste ». Sur cette base, la dette souveraine représentera environ 60% du PIB en 2060. Cependant, toutes les institutions ne sont pas d’accord : le FMI affirme que ces excédents primaires sont irréalisables et que la dette sera incontrôlable.

    Jusqu’à ce que les créanciers soient payés, toute politique de tout gouvernement grec doit être approuvée par les institutions. Le gouvernement soi-disant de « gauche » de Syriza adhère à cette clause et impose une nouvelle vague d’austérité.

    Il a encore augmenté l’impôt sur le revenu pour toutes les couches de la population, même celles qui gagnent environ 400 € par mois – le seuil était d’environ 700 € sous le précédent gouvernement ND. Il a augmenté la fiscalité indirecte (de 20%) sur tout, y compris les produits les plus élémentaires comme le café grec et les traditionnels souvlakis. En moyenne, il a réduit les pensions de 9% supplémentaires. Il applique des mesures que la ND et le Pasok avaient ??jugées impossibles à réaliser, avec le plus grand programme de privatisation jamais réalisé. Le marché du travail reste une jungle où l’immense majorité des travailleurs du secteur privé travaillent des mois sans être payés et où l’exploitation atteint des conditions indescriptibles.

    Par conséquence, les sentiments qui dominent parmi les travailleurs sont une colère de masse et, en même temps, une démoralisation massive. L’idée que les politiciens sont des escrocs et des menteurs domine. Dans le passé, les partis traditionnels, ND et Pasok, qui ont gouverné le pays depuis 1981, étaient principalement visés. Aujourd’hui, cela s’applique également à Syriza. Il est passé d’un petit parti avec environ 3% de soutien électoral à une force de masse en remportant plus de 36% en janvier et septembre 2015. Cette croissance spectaculaire fut le résultat des énormes convulsions qui ont parcouru la société grecque qui, face aux attaques de Pasok et ND, s’est tournée vers le petit parti de gauche et l’a transformé en une force de masse, pour le voir ensuite se retourner contre les masses et continuer la même politique.

    Les raisons historiques

    L’effondrement de l’Union soviétique en 1991 créa une situation objective entièrement nouvelle à l’échelle mondiale. Entre autres choses, un énorme vide à gauche se développa après l’effondrement des partis « communistes » staliniens et l’embourgeoisement des partis sociaux-démocrates qui embrassèrent pleinement les idées du « libre marché ». Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) et ses sections nationales avaient prédit que cela donnerait lieu à des tentatives de créer de nouvelles formations de gauche, de nouveaux partis de travailleurs, afin de fournir une représentation politique à la classe des travailleurs et de jouer un rôle dans le développement de ses luttes.

    Le Parti communiste grec (KKE) connut des divisions majeures, sa section des Jeunesses communistes (KNE) quitta en masse. Une autre nouvelle formation était Synaspismos (SYN – signifiant « alliance » ou « collaboration »), créée par les petites forces de l’ancien parti eurocommuniste de Grèce s’unissant à une section du Parti communiste. Avec le Pasok se déplaçant rapidement vers la droite, la gauche fut confrontée à une contraction massive de ses forces. Le KKE descendait à 4 à 5% aux élections, mais conservait encore des racines au sein de la classe des travailleurs, en particulier chez les cols bleus du secteur privé. SYN luttait d’élection en l’élection pour obtenir le minimum de 3% des votes pour entrer au Parlement – pas toujours avec succès.

    Les choses commencèrent à changer vers la fin des années 1990. SYN était la seule formation de gauche semi-massive qui n’était pas sectaire et était capable d’intervenir dans les mouvements altermondialistes et anti-guerre au tournant de ce siècle. Ouvert à la collaboration et aux alliances, il commença à attirer un certain nombre d’autres forces plus petites. Ensemble, ils créèrent un espace de dialogue et d’action unie qui se développa pour former Syriza en 2004. Xekinima, la section grecque du (CIO), prit part à la procédure spatiale, mais refusa de rejoindre Syriza en 2004 car cette plateforme avait été formée à la hâte pour des raisons électorales et avec un programme réformiste de droite qui n’était en aucun cas radical.

    Syriza s’en est très mal sorti aux élections de 2004 et la direction de la droite de SYN décida de tuer le projet. Toutefois, il réapparût en 2007, toujours pour se présenter aux élections. La différence était qu’il y avait eu un changement de direction, avec Alekos Alavanos à la tête du parti qui lançait un processus de gauche. Syriza progressa, obtenant 5% aux élections. Ce fut le début de changements majeurs car la crise mondiale frappait la Grèce en 2009 et creusait le fossé à gauche. Le Pasok fut élu à l’automne 2009 avec une grande majorité, mais il devint l’année suivante l’agent de la troïka et mit en place le premier mémorandum. En juin 2012, la ND remporta les élections et commença à mettre en œuvre le deuxième mémorandum.

    Les attaques massives de ces partis traditionnels, combinées aux énormes luttes sociales qui balayèrent la Grèce, en particulier à partir de 2010-12, jetèrent les bases de la montée de Syriza pour combler l’énorme vide qui avait été créé. À partir du printemps 2010, les confédérations syndicales (GSEE dans le secteur privé et les services publics, et ADEDY dans les services publics) commencèrent à déclencher des grèves générales. Au total, environ 40 grèves générales furent lancées entre 2010 et la victoire de Syriza en 2015.

    Celles-ci étaient couplées avec des occupations et des grèves sectorielles quelques mois durant. À l’automne 2011, il restait peu de bâtiments d’administration qui n’était pas couverts de bannières disant « sous occupation ». En parallèle, de nombreux autres mouvements sociaux et locaux extrêmement importants prirent place, comme la lutte de la population de Keratea contre un site d’enfouissement des déchets ou contre les mines d’or de Skouries à Chalkidiki dans le nord de la Grèce, le mouvement de désobéissance civile contre les péages routier durant l’hiver 2010 et le mouvement Occupy de 2011.

    Bien que des signes de fatigue se soient manifesté au milieu de l’année 2012 après de sérieuses défaites, des luttes d’importance historique subsistent, comme les travailleurs de l’ERT (Télévision publique d’état) en 2013 et les travailleurs de VIOME qui continuaient de garder leur usine en marche : ERT et VIOME fournirent tous deux d’excellents exemples de la façon dont les travailleurs pouvaient gérer la production de manière démocratique sans avoir besoin d’un patron ou de directeurs nommés.

    Pourquoi Syriza?

    À cette époque, seule la gauche pouvait offrir un moyen de sortir de la crise – même si les mêmes conditions favorisèrent la montée de l’extrême droite, qui se développa sous la forme de l’Aube dorée néo-nazie. Mais pourquoi est-ce Syriza qui s’éleva et pas un autre parti ? Avant le début de la crise et dans sa période initiale, le parti de gauche qui suscitait le plus grand intérêt était le KKE. Le front de gauche anticapitaliste, Antarsya, stagnait autour des 1% dans les sondages. Syriza montrait des signes de soutien important, mais avec de grandes fluctuations, alors que le KKE était plus stable, passant de son traditionnel 7-8% à 10-12%.

    L’une des principales différences (pas la seule, bien sûr) entre les trois formations, résidait dans le fait que le KKE et Antarsya étaient sectaires. Ils rejetaient, au nom de « l’authenticité révolutionnaire », l’idée d’un front uni de toute la gauche et des forces du mouvement de masse alors que Syriza était très favorable à l’idée d’une action commune. Le KKE suivit un chemin extrêmement sectaire de de rejet de collaboration avec qui que ce soit – jusqu’à refuser de participer aux mêmes manifestations !

    La percée de Syriza survint lors des élections de 2012, en mai et en juin. En mai, Syriza gagna environ 17% des voix et le KKE 8,5%. Mais en juin, Syriza atteignit 27%, juste derrière la ND et ses 29,7%, alors que le KKE était tombé à 4,5%. Ce qui est important, c’est la façon dont la force relative des partis évoluait avant et au cours des élections. À partir de décembre 2011, les sondages donnaient des pourcentages similaires à Syriza et au KKE – environ 12%. Dans les premières étapes de la campagne électorale – en fait, jusqu’à trois semaines avant le vote du 6 mai 2012 – les deux partis flirtaient chacun avec les 12%.

    Puis, Tsipras lança un appel ouvert au KKE pour un gouvernement commun de gauche. Auparavant, il refusait de lancer ce slogan malgré la pression des sections de la gauche. Sections qui comprenaient Xekinima, qui collaborait étroitement avec Syriza, dont une partie de nos membres faisaient également partie, faisant campagne pour un gouvernement des partis de gauche sur base d’un programme socialiste. L’impact de l’appel était clair. La direction stalinienne du KKE rejeta immédiatement tout type de gouvernement de gauche commun avec Syriza par principe ! Ils déclarèrent même que si Syriza était en mesure de former un gouvernement minoritaire, le KKE ne lui donnerait pas un vote de confiance au Parlement. En d’autres termes, ils le feraient tomber.

    Ce débat à l’intérieur de la gauche fit automatiquement pencher la balance. Syriza gagna et le KKE perdit. Le vote total de gauche en mai 2012 (17% + 8%) était semblable à celui enregistré dans les sondages dans les semaines et les mois précédents (12% + 12%) – sauf que Syriza passa en tête. Cela montre l’importance de l’approche du front uni pour les larges masses, ce qui, malheureusement, est bien au-delà de ce que pouvait concevoir la direction du KKE et de la plupart des organisations de la gauche grecque. Il n’y a pas de chiffres officiels mais, d’après les informations fournies par des membres du KKE, environ un tiers des membres quittèrent délibérément ou furent rejetés parce qu’ils s’opposaient au refus de KKE de répondre positivement à l’appel de Syriza.

    La capitulation était-elle inévitable ?

    La capitulation de Syriza à la troïka n’était pas inévitable. C’était le résultat du manque de compréhension par la direction des processus réels de la perception naïve, sinon criminelle, qu’ils « changeraient la Grèce et l’ensemble de l’Europe », comme Tsipras s’en vantait. C’était le manque de compréhension de la nature de classe de l’Union Européenne et un manque total de confiance dans la classe des travailleurs et sa capacité à changer la société. Lorsque Tsipras se retrouva face à ce que signifiait vraiment de se heurter à la classe dirigeante, il tomba dans le désespoir et capitula, faute d’un manque complet de préparation.

    Toute l’approche était emprunte d’amateurisme. Immédiatement après la victoire électorale de Syriza en janvier 2015, des centaines de millions d’euros commencèrent à s’échapper quotidiennement du pays. Tsipras et son ministre de l’économie, Yanis Varoufakis, n’avaient pas pris les mesures de bases : imposer des contrôles pour arrêter les sorties de capitaux. Ils avaient eu l’exemple à Chypre, en 2013 – où la troïka elle-même avait appliqué un contrôle des capitaux – pourtant, ils n’osèrent pas agir.

    Ensuite, ils firent quelque chose d’encore plus scandaleux. Ils continuèrent à rembourser la dette bien que la troïka ait cessé de fournir de nouveau financement de la dette ! Ils drainèrent l’économie, confisquant chaque euro des mains d’institutions publiques tels que les universités, les hôpitaux et les gouvernements locaux – pour montrer à l’UE qu’ils étaient de « bons garçons ». Ensuite, la BCE intervint pour geler les liquidités des banques et donc les forcer à fermer. L’économie était à genoux.

    Tsipras eut un choix à faire : abandonner et accepter tous les termes des vainqueurs vindicatifs, ou changer de cap et passer à l’offensive. Les masses grecques lui envoyèrent le message lors du référendum historique de juillet 2015 : ripostez et nous serons de votre côté. Mais Tsipras avait déjà décidé. Il céderait à la troïka. Il avait effectivement appelé le référendum dans le but de le perdre. Le résultat le choqua profondément ; Il ne s’attendait pas à une si écrasante victoire. Varoufakis le confirma lors d’une interview récente, disant qu’il avait déclaré à Tsipras “de ne pas faire sortir le peuple” s’il avait déjà décidé de concéder face aux exigences de la troïka.

    Une alternative existe, développée en détail par des organisations de gauche comme Xekinima: imposer un contrôle des capitaux; refuser de payer la dette; nationaliser les banques; passer rapidement vers une monnaie nationale (drachme); utiliser les liquidités fournies par cette monnaie pour financer des travaux publics majeurs, afin d’arrêter la contraction continue de l’économie et de la remettre sur le chemin de la croissance; annuler les dettes des petites entreprises écrasées par la crise et accorder des prêts sous des conditions favorables afin qu’elles puissent se remettre en activité et relancer rapidement l’économie.

    Nationaliser les secteurs clés de l’économie ; planifier l’économie, y compris par un monopole d’État sur le commerce extérieur, dans le but d’acquérir une croissance soutenue qui ne sert pas les bénéfices d’une poignée de propriétaires de navires, d’industriels et de banquiers, mais qui est au service des 99%. Créer des comités spécifiques de planification dans tous les secteurs de l’industrie et de l’exploitation minière, et accorder une attention particulière à l’agriculture et au tourisme qui sont essentiels à l’économie et ont un énorme potentiel. Etablir une économie démocratique, par le contrôle et la gestion par les travailleurs dans tous les domaines et à tous les niveaux. Lancer un appel au soutien et à la solidarité des travailleurs du reste de l’Europe, en les appelant à lancer une lutte commune contre l’Union européenne des patrons et des multinationales. Pour une union volontaire, démocratique et socialiste des peuples d’Europe. En bref, une offensive anticapitaliste et anti-Union Européenne sur base d’un programme socialiste et d’une solidarité de classe internationale aurait dû être la réponse au chantage de la troïka.

    C’était complètement au-delà de ce que pouvait imaginer Tsipras et Co, y compris Varoufakis. Même s’il faut lui reconnaître de ne pas s’être incliné devant les maîtres de l’UE, il n’en demeure pas moins que les politiques économiques appliquées entre janvier et juillet 2015 furent catastrophiques et Varoufakis en est directement responsable. Il nourrissait, et nourrit malheureusement toujours, des illusions sur le fait qu’il pouvait convaincre l’UE de changer ses politiques et se réformer.

    Qu’en est-il du reste de la gauche ?

    La capitulation de la direction de Syriza est un aspect des problèmes rencontrés par les masses des travailleurs grecs. L’autre, dans un certain sens plus important, est l’incapacité des forces de gauche à profiter de la capitulation de Syriza pour fournir une alternative. C’est particulièrement le cas pour les deux principales formations de gauche, le KKE et Antarsya, parlent toutes les deux au nom de l’anticapitalisme et de la révolution socialiste. La plupart de la gauche grecque souffre d’un certain nombre de « péchés éternels » en raison de l’influence massive du stalinisme sur son histoire et son développement. Avec des conséquences tragiques car le KKE et Antarsya ont des forces suffisantes, une masse critique, pour servir de catalyseurs de changements majeurs et de retournement de situation.

    Premièrement, il y a peu de compréhension du programme de transition, de la nécessité d’avoir un lien, un pont, entre les luttes d’aujourd’hui et la transformation socialiste de demain afin que les deux tâches s’entremêlent en un ensemble dialectique. En conséquence, le KKE parle de la nécessité du socialisme, mais ne le présente que comme un but à atteindre dans un avenir lointain qui se produira d’une manière ou d’une autre si et quand le KKE obtient une force suffisante. Le KKE refuse donc de soutenir des revendications telles que la nationalisation ou même la sortie de l’UE, avec pour argument que cela est « dénué de sens sous le capitalisme ».

    Antarsya, ce n’est pas la même chose, il règne cependant toujours une grande confusion dans ses rangs. Certaines sections soutiennent un « programme de transition » mais l’interprètent comme un programme minimum, en le séparant de la question de la prise du pouvoir par les travailleurs et de la transformation socialiste. Antarsya est connue pour sa caractéristique générale de faire de « grands appels à la révolution » sans propositions concrètes sur la façon d’y parvenir.

    Deuxièmement, il n’y a pas de compréhension de la tactique de front uni, expliquée et appliquée par les bolcheviks sous Lénine et par Léon Trotsky dans les années 1930, qu’il résumait comme la possibilité de « marcher séparément mais de frapper ensemble » dans l’action. Le KKE et Antarsya n’ont jamais eu une approche de front uni vers les masses de Syriza. Bien qu’ils aient compris qu’à un certain stade, Tsipras et Co capituleraient aux exigences des capitalistes, ils croyaient que, comme par magie, les masses déçues se tourneraient tout simplement vers eux. Néanmoins, les masses autour de Syriza, ne se joignirent pas à des forces qui les traitèrent avec mépris dans la période précédente. Ils rentrèrent juste chez eux.

    Troisièmement, c’est l’ultimatisme. Aujourd’hui, le KKE agit comme une copie de l’internationale communiste durant la « troisième période » stalinienne. Il accuse ses adversaires d’être des agents de la classe dirigeante et même des collaborateurs du l’Aube dorée néo-nazie. Récemment, à Kefalonia (une île de la mer Ionienne), le KKE distribua un tract contre Xekinima après que nos sympathisants aient remporté des élections pour le syndicat local des professionnels et petits commerçants. Ils affirmèrent que « l’extrême gauche » (Xekinima) collaborait avec les grandes entreprises, le Pasok, la ND, Syriza et Aube Dorée (tous ensemble !) pour vaincre la faction syndicale soutenue par le KKE. Il ne nous reste que nos yeux pour pleurer.

    Enfin, il y a un refus de faire face à la réalité. Après le référendum de juillet 2015 et les élections de septembre, que Tsipras présenta hâtivement aux masses afin de leur faire réaliser ce que signifiait sa capitulation, Xekinima déclara ouvertement que ces événements représentaient une défaite majeure. Nous avons expliqué que cela allait sûrement avoir un impact sérieux sur les mouvements et la gauche en général, bien que cela aiderait une minorité de militants à arriver à des conclusions révolutionnaires.

    La majorité de la gauche, cependant, refusait d’accepter cela. Ils appelèrent à un mouvement de masse pour faire tomber le gouvernement, ce qui ne pouvait tout simplement pas se produire. Ensuite, dans une réponse particulièrement caractéristique du KKE, si les masses ne vinrent pas se battre « c’est parce qu’elles ne comprennent pas ». En d’autres termes, c’est la faute des masses. Une deuxième réponse consistait à amplifier les dimensions d’un mouvement, à rapporter des chiffres erronés sur le nombre de participants aux manifestations, etc. Inutile de dire que ces approches ne pouvaient que conduire la gauche dans une impasse.

    Si ces failles majeures expliquent pourquoi les masses refusèrent de se tourner vers le KKE et Antarsya après la capitulation de Tsipras, qu’en est-il de la gauche interne à Syriza ? La principale opposition, la plateforme de gauche, avait le soutien d’environ un tiers du parti. Elle se scinda en août 2015 et créa l’Unité Populaire (PU) pour se présenter aux élections anticipées de septembre. Au début, les sondages lui donnèrent environ 10% – un soutien de masse significatif – mais ces chiffres retombèrent progressivement jusqu’à moins de 3%. Aujourd’hui, ils tournent autour de 1 à 1,5% dans la plupart des sondages.

    La direction de l’Unité Populaire commit un certain nombre d’erreurs cruciales. Tout d’abord, leur campagne se concentrait sur le passage à une monnaie nationale – son « programme » était non seulement trop limité mais également incohérent. Il défendait l’idée de quitter la zone euro et de refuser de payer la dette, tout en restant dans l’UE ! Sans à supprimer parler du fait qu’on était loin d’un programme radical, anticapitaliste et socialiste, il représentait surtout une combinaison impossible de revendications.

    Le deuxième facteur majeur fut l’arrogance de la direction et son approche bureaucratique top-down. Des milliers d’activistes de gauche, principalement non alignés, s’approchaient de l’Unité Populaire au moment de sa formation, dans l’espoir qu’elle pourrait offrir une issue. Mais ils furent déçus et s’en détournèrent. Ils l’avaient déjà auparavant et n’avaient déjà pas aimé : une direction établie (locale et nationale) qui n’acceptait aucune remise en question ; un programme préétabli qui ne devait pas être discuté ; et une campagne pour élire des députés désignés et pas élus par la base ! Peu avant le jour de l’élection, les responsables de l’Unité Populaire réalisèrent que les choses ne se passaient pas bien et ils tentèrent un virage démocratique de dernière minute, mais il était trop tard.

    Perspectives et tâches

    Vers la fin des années 1990, il était possible de voir d’où viendrait l’initiative pour la création d’une nouvelle formation de gauche en Grèce (laquelle devint Syriza). Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. La phase de défaite que traverse la classe des travailleurs grecs est sérieuse. Cependant, elle n’est pas du tout comparable à la défaite de la guerre civile de 1945-1949 ou à la victoire de la junte militaire de 1967 à 1974. La classe des travailleurs avec ses traditions militantes et d’abnégation seront de retour sur le devant de la scène, il n’y a aucun doute là-dessus. Bien sûr, le calendrier, l’ampleur et les caractéristiques précises de ce retour ne peuvent être prédits à l’avance. Ce processus se déroulera parallèlement à la tentative de construire de nouvelles formations qui pourront représenter politiquement le mouvement des masses et assurer la direction de ses luttes.

    Les activistes de la classe des travailleurs sont confrontés à une double tâche. D’une part, tirer la conclusion politique principale qui découle de la capitulation de Syriza : qu’il n’y a pas de solution dans le cadre du système capitaliste, qu’un programme socialiste révolutionnaire est le seul moyen de sortir de la crise. D’autre part, qu’il faut réunir, dans un large fleuve d’actions, de lutte et de résistance communes, tous les différents courants des mouvements grecs avec l’objectif supplémentaire de galvaniser ceux-ci au sein d’une nouvelle formation élargie avec des caractéristiques de front unique. Un large front uni est nécessaire pour rendre les luttes plus efficaces, tout comme un noyau de révolutionnaires est nécessaire pour lutter pour un programme socialiste au sein de la classe des travailleurs, des mouvements sociaux et de la société.

    Objectivement, il y a un terreau fertile à ces idées. Le problème est subjectif et est lié aux déficiences des forces principales de la gauche. Par conséquent, nous pouvons seulement nous battre pour ces idées et prendre des initiatives lorsqu’il est possible de montrer la voie à suivre. Xekinima fait campagne dans le mouvement de masse et la société pour ces propositions et, prend, en même temps, des initiatives qui nous indiquent le chemin à suivre. Des initiatives telles que des alliances locales de gauche, des « centres sociaux » locaux avec d’autres militants de gauche, des campagnes communes avec d’autres groupes, en particulier sur des questions qui touchent la classe des travailleurs, etc.

    Il y a une retraite dans le mouvement de masse et il y a de la démoralisation. Il y a très peu de luttes majeures, « centrales », mais beaucoup de petites et d’importantes. Parallèlement, de nombreux activistes ont soif d’idées. La phase d’accalmie actuelle prendra fin, tôt ou tard, et de nouveaux soulèvements sont à prévoir. Les forces du socialisme révolutionnaire s’appuient sur cette perspective.

  • Grèce: augmentation du soutien au Grexit; chute du soutien à SYRIZA

    daniel_grece_10L’opposition à la zone euro atteint des records à la suite du Brexit

    De nombreuses réserves peuvent être exprimées au sujet de l’exactitude des prévisions issues des sondages, en particulier concernant les partis politiques. Les deux derniers sondages publiés en Grèce, le premier de l’ALCO pour le journal ‘Parapolitika’ et l’autre pour l’Université de Macédoine, mettent cependant en évidence l’atmosphère présente dans la société grecque.

    Par Kyriakos Halaris (article traduit du site de Xekinima, section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière)

    • SYRIZA subit une forte baisse de soutien: 86% des personnes interrogées ne sont pas satisfaites du gouvernement. Même 69% des électeurs de SYRIZA déclarent se déclarent insatisfaits. La confiance du peuple envers le gouvernement a atteint un plancher record.
    • Le parti Nouvelle Démocratie est nettement en avance dans les sondages après avoir consolidé le soutien de 86% de ses électeurs de septembre 2015

    Ces deux aspects illustrent que la chute de SYRIZA, moins d’un an après sa victoire électorale, semble irréversible. D’autant plus que ce n’est que depuis la semaine dernière (après que ces sondages aient été réalisés) que les retraités ont pu ressentir ce que la nouvelle «législation de sécurité sociale» signifie dans leurs poches et ce qui signifie réellement l’ampleur des coupes dans leurs pensions. Les politiques imposées par le «troisième mémorandum» commencent seulement à avoir un effet réel sur la société.

    Dans le même temps, la Nouvelle Démocratie (ND), le parti traditionnel de la bourgeoisie, se remet de sa crise interne de ces six derniers mois et se prépare pour une revanche électorale depuis que les politiques traditionnellement soutenues par la ND sont maintenant imposées par SYRIZA.

    Les fascistes d’Aube Dorée, en dépit de leur crise interne, de la persécution juridique de leur direction et de l’absence de toute initiative de leur part ces deux dernières années, réussissent tout de même à stabiliser leur soutien à 7-8%, ce qui leur donne la troisième position dans les tous récents sondages.

    Les partis de gauche (KKE, LAE, ANTARSYA et Pleysis (le parti de l’ancienne présidente du Parlement Zoé Konstantopoulou) tournent autour de leurs faibles pourcentages normaux, le KKE (parti communiste grec) étant la seule force capable d’entrer au parlement. Cela leur rend très difficile (pour des raisons différentes pour chaque parti) d’être en mesure de vraiment jouer un rôle important, à un certain niveau, dans la prochaine période.

    Cependant l’aspect le plus important que ces sondages démontrent ne concerne pas le soutien électoral de ces partis. Tout le monde peut déduire cela de l’atmosphère, de toute façon.

    Le Brexit et le Grexit

    L’élément le plus important de ces sondages est le soutien qui penche en faveur du Brexit et du Grexit. Dans le sondage ALCO, 39,4% des personnes interrogées voteraient en faveur du Grexit, par opposition à 48,3%. Les autres ne “savent pas”.

    Dans le sondage de l’Université de Macédoine, 40,5% estiment que le Brexit est un développement positif pour la Grande-Bretagne, par opposition à 43%. En ce qui concerne la participation de la Grèce à la zone euro, 53,5% voteraient pour que la Grèce reste en son sein tandis que 37% préféreraient un retour à une monnaie nationale. Les autres ne “savent pas”.

    Ces tendances expriment des pourcentages toujours plus élevés contre l’UE et l’Euro! Ils sont importants pour deux raisons.

    Tout d’abord, aucun des grands partis ne soutient la sortie de la zone euro, à l’exception du KKE. Même après l’intégration de SYRIZA dans le bloc bourgeois, il est évident que la classe dirigeante ne peut pas convaincre la société des «avantages» de l’euro. Malgré le fait que tous les partis parlementaires, à l’exception du KKE, soutiennent un “Gremain” à tout prix, de grandes parties de la société vont dans le sens opposé.

    Ces tendances montrent ensuite l’énorme vide qui existe à gauche. Même si le soutien au Grexit devient beaucoup plus grand, même si environ la moitié de la population considère le Brexit comme un développement positif et même si les travailleurs grecs subissent les effets désastreux des politiques qui ont été mises en œuvre afin de rester dans la zone euro, la principaux partis de gauche restent faibles et dans un isolement relatif de la société.

    Le problème est subjectif: ce n’est pas en raison des circonstances objectives et de la société qui «ne comprend pas», contrairement à ce que ne se lassent pas de répéter certaines sections de la gauche et, en particulier le KKE. C’est fondamentalement dû aux «déficiences» de la gauche, aux politiques et tactiques erronées employées par les partis de gauche. Si la gauche ne surmonte pas ces lacunes et n’essaye pas de les comprendre, cela ne sera jamais résolu et le vide à gauche ne sera pas occupé.

  • Grèce. Une puissante grève générale riposte aux attaques contre les pensions

    GG_grece4fev02Jeudi dernier, le 4 février, une puissante grève générale a ébranlé la Grèce en opposition à la politique d’austérité du gouvernement dirigé par Syriza. Cette grève a été appelée par les fédérations syndicales du secteur privé (GSEE) et du secteur public (ADEDY) afin de résister à la réforme des retraites. Cette dernière attaque contre la classe des travailleurs est imposée par Syriza à la demande de l’Union européenne (UE) et le Fonds monétaire international (FMI). Nous publions ci-dessous la traduction de l’éditorial de Xekinima, journal qui développe les positions politiques du Comité pour une Internationale Ouvrière en Grèce. Cet article se penche sur l’ampleur de la grève générale ainsi que sur les prochaines étapes qui sont nécessaires pour vaincre la dernière vague de mesures austéritaires.

    Editorial de Xekinima, bihebdomadaire de la section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière.

    Pour la première fois depuis les élections de janvier 2015 qui l’on porté au pouvoir, le gouvernement dirigé par Syriza, le parti d’Alexi Tsipras, voit l’éventail de mouvements sociaux qui agite la société grecque se retourner contre lui. La grève générale du 4 février fut un succès, sans toutefois atteindre l’échelle des grandes grèves générales de 2010-12. Il s’agit d’une claire illustration de la profonde colère de diverses couches de la société – les travailleurs, les agriculteurs, les chômeurs, les jeunes, etc. – attaquées par les mesures du nouveau Mémorandum de Syriza [des mesures d’austérité convenues avec la troïka – le Fonds Monétaire International, la Banque Centrale Européenne et l’Union Européenne, NDLR].

    GG_grece4fev
    Le 4 février, un rassemblement de solidarité avec la grève générale grecque a eu lieu à Bruxelles, face à la représentation permanente de la Grèce auprès l’UE. Le PSL était présent.

    La plus importante caractéristique de cette grève générale, ce furent ces manifestations de masse qui ont déferlé dans les rues des villes régionales. Comparativement à la population totale, ces manifestations régionales ont été beaucoup plus grandes que celles des grandes villes que sont Athènes et Thessalonique. Dans certains cas, il s’agissait même des plus grandes manifestations depuis des décennies!

    La grève du 4 février ne doit pas marquer la fin de l’action de grève, comme cela se produit généralement après une grève réussie, alors que les directions syndicales abandonnent la lutte. Il doit s’agir du début d’une nouvelle mobilisation de masse.

    Si nous voulons éviter de subir une nouvelle défaite, toutes les couches de la société qui se mobilisent à l’heure actuelle doivent se coordonner et renforcer ainsi leur combat avec un plan d’action qui comprend:

    • Un appel urgent pour une nouvelle grève générale de 24 heures dans le courant de la semaine prochaine.
    • Un appel pour une grève générale de 48 heures convoquée dans les 20 jours.
    • Ces grèves doivent être combinées à la continuation des blocages organisés par les agriculteurs et des occupations d’entreprises dans les secteurs public et privé – à commencer par les lieux où les travailleurs sont licenciés, ne sont pas payés depuis des mois, voient leurs droits attaqués,…

    Un tel mouvement susciterait inévitablement l’enthousiasme de la jeunesse, cette dernière ayant été absente des mouvements de ces dernières années, et pourrait ainsi conduire à des occupations d’écoles et d’universités.

    Ces grèves et occupations doivent être bien organisées, des discussions doivent être menées sur les lieux de travail. Les travailleurs ont besoin de constater qu’un plan sérieux existe bel et bien, de même que la détermination de vaincre sur base d’une bonne perspective de lutte. Il est nécessaire d’élire démocratiquement des comités d’action de base qui se battront pour obtenir le succès des mobilisations.

    Qui doit prendre l’initiative?

    Toute la question est de savoir qui va prendre l’initiative d’appeler à ce genre de plan d’action et de coordination.

    L’atmosphère présente parmi les travailleurs, les agriculteurs et les pauvres de la société démontre que ces couches sont plus que prêtes pour un tel plan d’action coordonné. Mais les dirigeants n’ont pas l’intention de le défendre. Dans des conditions différentes, cet appel à la mobilisation de toute la société serait de la responsabilité de la direction de la GSEE (la fédération syndicale du secteur public). Mais il n’y a aucune chance que ces dirigeants syndicaux corrompus fassent quoi que ce soit pour planifier, coordonner et développer la lutte afin de balayer les politiques exigée par les créanciers et la troïka et mises en œuvre par les gouvernements grecs dirigés par le Pasok (social-démocratie), la Nouvelle-Démocratie (droite) et maintenant par Syriza.

    Le rôle des partis de gauche

    La responsabilité de rassembler et de coordonner ces mouvements repose sur les épaules de la gauche, ou du moins des sections de la gauche qui veulent systématiquement s’opposer aux politiques austéritaires et au système.

    La somme des forces comprises dans le KKE [le Parti communiste grec], dans LAE [Unité Populaire] et dans Antarsya [gauche anticapitaliste] regroupent autour des 10%, une base assez grande que pour jouer un rôle clé dans ce processus et pour pousser le mouvement social de l’avant. Mais l’état de la gauche aujourd’hui donne une décevante image de divisions. Le principal responsable de cela est le KKE, qui refuse toute coopération avec les autres forces, à quelque niveau que ce soit.

    Cette attitude représente un abandon complet du «marxisme-léninisme» que prétend représenter la direction du Parti communiste. Les traditions et l’histoire du mouvement révolutionnaire, du marxisme authentique, sont caractérisées par la coopération et la lutte commune au sein du mouvement de masse, où chaque parti ou organisation de gauche et chaque mouvement des travailleurs maintiennent leur complète indépendance et leurs spécificités idéologiques, politiques et organisationnelles.

    Unité Populaire et Antarsya: quelques pas positifs

    L’image est meilleure en regardant vers LAE [Unité Populaire] et Antarsya. Au cours de ces dernières semaines, un certain nombre de mesures positives ont été adoptées en faveur d’une action unitaire concernant le projet de loi sur la sécurité sociale entre LAE, Antarsya et d’autres organisations de la gauche, comme Xekinima (section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière) et d’autres.
    Cette collaboration doit se développer, non seulement concernant les nouvelles attaques contre les retraites, mais aussi au sujet de chaque question centrale qui fait face au mouvement des travailleurs.

    Toutes les organisations participantes doivent être autorisées à garder leur indépendance idéologique, politique et organisationnelle complète. Si cette étape est correctement franchie, cela se traduira par l’ouverture de nouvelles perspectives très positives pour le mouvement de masse. Cela fournira des objectifs des perspectives politiques aux luttes qui se développent aujourd’hui et qui se développeront demain.

  • [DOSSIER] Nouveaux mouvements, vieux dilemmes: réforme ou révolution ?

    SYRIZA-photoL’élection du gouvernement Syriza en février 2015 a été saluée par un soutien enthousiaste de la part de la classe des travailleurs en Grèce et dans toute l’Europe, qui s’est transformé en une amère déception après sa capitulation devant la Troïka en juillet dernier. Mais les inégalités et la politique d’austérité continuent à radicaliser des millions de personnes, ce qui fait germer de nouveaux mouvements de gauche. Paul Murphy (Socialist Party, section-sœur du PSL en Irlande et député de l’Anti Austerity Alliance) aborde dans ce dossier les importantes leçons à tirer de l’expérience grecque pour en finir avec le règne des 1%.


     

    « Selon moi, l’atmosphère est un peu similaire à celle d’après 1968 en Europe. Je sens, peut-être pas une ambiance révolutionnaire, mais quelque chose comme une impatience généralisée. Quand l’impatience n’est plus un sentiment individuel mais un aspect social, c’est l’introduction de la révolution. » [1]

    Ces paroles de Donald Tusk, le président du Conseil Européen, sont révélatrices. Elles démontrent la peur croissante des classes capitalistes en Europe. La domination en apparence incontestée du néo-libéralisme depuis la chute du stalinisme est maintenant vigoureusement contestée dans un certain nombre de pays capitalistes avancés. La profonde crise actuelle du capitalisme, qui a commencé fin 2007, se solde politiquement par des virages à gauche dans les points de vue et la conscience ainsi que dans le développement de nouvelles formations de gauche.

    La révolte dans les urnes

    La crise a créé des problèmes politiques significatifs pour la classe capitaliste, en particulier dans la périphérie de l’Europe, là où elle est la plus brutale. La crise est si profonde et si longue que, dans la plupart des pays, les deux faces de la pièce politique ont été au pouvoir. Elles ont appliqué des politiques essentiellement identiques basées sur une profonde austérité, ce qui a fait s’effondrer, en particulier, le soutien des partis anciennement sociaux-démocrates, qui maintenaient encore une base électorale plus ouvrière.

    La chute des partis traditionnels en-dessous de 50% des voix dans 3 pays en est une illustration frappante – en Grèce, où la Nouvelle Démocratie et le PASOK ont obtenu 34% à eux deux aux dernières élections ; en Espagne, où le PP et le PSOE ont obtenu un score combiné de 49% aux élections européennes de l’an dernier et en Irlande où, aux dernières européennes, le Fianna Fail, le Fine Gael et le parti Travailliste ont aussi récolté moins de la moitié des suffrages. Récemment, aux élections législatives du Portugal, alors que le Parti Social-Démocrate et le Parti Socialiste ont encore réalisé le score de 70,9%, cela représente tout de même une baisse de 7,6% et les voix combinées de la gauche radicale sont passées de 5,4% à 18,5%. Les classes capitalistes en Europe font de plus en plus l’expérience de leur propre crise de représentation politique et elles éprouvent des difficultés à trouver des instruments politiques stables pour assurer leur règne.

    La crise et les mouvements contre l’austérité qui se sont développés en particulier dans la périphérie de l’Europe ont aussi accéléré le procédé de création de nouvelles formations de gauche avec des bases de soutien significatives. Ce phénomène n’est bien entendu pas nouveau. Il a émergé depuis le virage à droite dramatique des prétendus sociaux-démocrates, aux environs de l’effondrement de l’URSS et du stalinisme. C’est un processus qui progresse en vagues et qui a vu la montée (et souvent la chute) entre autres de Rifondazione Communista en Italie, du Scottish Socialist Party en Écosse, de Die Linke en Allemagne, du Bloco de Esquerda au Portugal, de l’alliance Rouge Verte au Danemark et de Syriza en Grèce.

    La nature prolongée de la crise a donné un élan à ces mouvements. Cela a été le plus visiblement démontré par la propulsion de Syriza au pouvoir en Grèce, début 2015. En parallèle, il y a eu la montée en flèche de Podemos en 2014. La victoire de Jeremy Corbyn aux élections pour la direction du Parti Travailliste en Grande Bretagne et la performance de Bernie Sanders aux primaires Démocrates aux Etats-Unis sont aussi des expressions de ce processus.

    Un aspect frappant de cette vague de nouveaux mouvements politiques est la manière extrêmement diverse dont le même phénomène s’exprime dans différents pays. A ce stade, comme de l’eau ruisselant entre des berges préexistantes, les mouvements orientés vers une représentation politique de la classe des travailleurs s’écoulent dans des canaux déjà en partie créés par différents paysages politiques nationaux et traditions de la classe des travailleurs.

    C’est ainsi qu’en Grèce, l’élan s’est développé derrière Syriza, une alliance autour d’un noyau de tendance euro-communiste. De 4,7% aux élections européennes de 2009, la formation est grimpée à 36,3% en janvier 2015 et est entrée au gouvernement. En Espagne, où Izquierda Unida (Gauche Unie, rassemblée autour du Parti Communiste) était, surtout dans certaines régions, identifiée aux à l’establishment politique, elle n’a pas bénéficié du même processus. Au lieu de cela, avec l’explosion du mouvement social des Indignados, il s’est exprimé dans une nouvelle force, Podemos, fortement construite autour de la personnalité de Pablo Iglesias.

    Corbyn et Sanders piochent dans la montée de la radicalisation

    L’effet Corbyn en Angleterre et au Pays de Galles est le plus intéressant de tous. Le Parti Travailliste y avait profondément viré à droite sous la direction de Tony Blair et avait été vidé de toute implication réelle des masses de travailleurs et de pauvres. Ce parti avait franchi le Rubicon pour devenir un parti tout à fait capitaliste, même s’il conservait de son passé certaines caractéristiques, comme un lien formel avec les syndicats et un petit nombre de parlementaires se réclamant du socialisme, comme Jeremy Corbyn.

    En raison d’un système électoral particulier, aucun parti de gauche ou travailliste important n’a émergé en Angleterre et au Pays de Galles pour devenir le lieu de rassemblement de ceux qui cherchent une alternative à l’austérité. C’est pourquoi, quand Jeremy Corbyn a présenté sa candidature, initialement considérée comme sans espoir, et qu’il a commencé à défendre une politique fondée sur des principes de gauche anti-austerité, sa campagne a reçu une énorme réponse de la part des jeunes et de la classe des travailleurs. Elle est devenue un flambeau et a su développer un incroyable élan, avec plus de 100.000 nouvelles personnes inscrites comme sympathisants officiels du Parti Travailliste et 60.000 nouvelles adhésions officielles au parti depuis le début de la campagne.

    Pendant ce temps, aux USA, un élan sans précédent s’est développé autour de Bernie Sanders, dans le cadre de primaires destinées à décider du prochain candidat aux élections présidentielles au sein d’une organisation qui n’a jamais été un parti ouvrier. Le Parti Démocrate a toujours consciemment agi pour rassembler autour de lui les mouvements sociaux ainsi que les syndicalistes en les détournant ainsi du besoin urgent de lutter de la base et de construire un parti qui représente la classe des travailleurs. Cependant, Sanders, en se présentant comme socialiste démocrate auto-proclamé (en citant les pays scandinaves comme modèle) a, à l’instar de Jeremy Corbyn, su trouver un écho auprès de millions de travailleurs et de jeunes en-dehors de l’appareil du Parti Démocrate. Ses rassemblements ont attiré les plus grandes foules de ces élections présidentielles (souvent plus de 10.000 personnes et près de 30.000 à Los Angeles). Dans les sondages, il a considérablement réduit l’écart avec Hilary Clinton et les sondages en ligne ont montré qu’il a remporté les débats télévisés des primaires démocrates.

    Il sera extrêmement difficile à Sanders de remporter la nomination et, malheureusement, il a indiqué qu’il soutiendrait Hillary Clinton en cas de défaite, jouant donc précisément une fois encore un rôle de rassemblement des progressistes derrière le Parti Démocrate. Cependant, sa présence dans le débat, la discussion autour de ses idées et le nombre de personnes qui se sont joints à sa campagne peuvent marquer une étape importante dans les développement de la conscience de classe aux USA et dans la construction d’un parti de gauche de masse.

    Le réformisme aujourd’hui

    Ces développements sont énormément positifs. Ils représentent un pas qualitatif en avant vers la création de partis de masse de la classe des travailleurs qui peuvent constituer des instruments très importants pour la résistance des travailleurs contre les attaques austéritaires, en donnant un élan à la lutte de masse par la base. Ils peuvent aussi être le terreau pour le développement de forces socialistes révolutionnaires de masse, à la suite de l’expérience des luttes qui sera acquise par les masses et des discussions politiques.

    Les idées exprimées par les dirigeants de ces mouvements sont toutefois également dignes de critiques. Fondamentalement, toutes ces figures représentent et reflètent différentes variantes du réformisme. Le réformisme est la notion selon laquelle le capitalisme peut être graduellement démantelé pour, au final, qu’un société socialiste soit créée sans moment de rupture décisive – ou révolution – avec l’organisation capitaliste actuelle de la société.

    Le réformisme échoue à reconnaître que la classe capitaliste constitue la classe dominante au sein de la société. C’est le cas en premier lieu par sa propriété et son contrôle des ressources économiques cruciales de la société, mais aussi en étant liée par un millier de ficelles à l’appareil d’État, c’est à dire le judiciaire, les « corps d’hommes armés » dans l’armée et la police et le gouvernement permanent qui existe sous la forme des échelons les plus élevés de la fonction publique.

    L’Histoire du mouvement ouvrier a démontré que si la classe dominante sent que son pouvoir, sa richesse, et ses privilèges sont menacés, alors elle n’hésitera pas à recourir au sabotage économique ou même aux coups d’État militaires, comme cela s’est produit au Chili en septembre 1973 quand le gouvernement élu de Salvador Allende a été renversé. Aujourd’hui, en Europe, les gouvernements de gauche potentiels ne vont pas seulement devoir faire face à cette menace de la part de leur classe capitaliste autochtone mais également de la part des institutions pro-capitalistes de l’Union Européenne.

    Alors que, dans toute l’Europe, les partis réformistes de masse stables étaient une caractéristique du paysage politique de l’ère de croissance économique qui a suivi la deuxième guerre mondiale, c’est une autre histoire aujourd’hui. Étant donné la nature de la crise, et, en fait, la nature de l’UE et de l’euro-zone, les limites du réformisme sont bien plus rapidement atteintes. Le capitalisme ne dispose plus des réserves de “graisse sociale” qu’il avait dans la période d’après guerre et qui permettaient aux gouvernements social-démocrates de beaucoup de pays européens d’instaurer des réformes considérables dans l’intérêt de la classe ouvrière tout en restant au sein du système capitaliste. Il n’y a pas non plus de croissance importante des prix matières premières, comme ceux qui ont permis à Hugo Chavez et à son gouvernement d’augmenter le niveau de vie des masses au Venezuela sans pour autant mettre fin au contrôle de l’économie par les oligarques.

    Au lieu de cela, si n’importe lequel des nouveaux mouvements de gauche prend le pouvoir aujourd’hui, alors la question de la confrontation ou de la capitulation se posera très rapidement. Ce n’est pas une question simplement théorique comme nous l’a illustré les récents événements survenus en Grèce sous le gouvernement dirigé par Syriza. Il faut étudier l’expérience de Syriza au pouvoir car c’était un laboratoire de l’application d’une stratégie réformiste particulière en Europe au stade actuel. Cette expérience continuera d’être un point de référence pour les travailleurs et les militants de gauche dans toute l’Europe dans leur tentative de développer une stratégie capable de réussir à en finir avec l’austérité et le règne des 1%.

    Syriza au pouvoir

    Le 25 janvier 2015, pour la première fois depuis la chute du stalinisme, un gouvernement dirigé par la gauche a été élu en Europe. Des ondes de choc de panique se sont propagées dans tout l’establishment politique Européen et la classe capitaliste. 239 jours plus tard, le même gouvernement a été ré-élu, avec une abstention record, mais cette fois, il a été bien accueilli par les journaux et les dirigeants politiques européens. Entre ces deux élections ont pris place de véritables montagnes russes d’événements politiques qui ont comporté les héroïques 61% du Oxi (Non) des masses grecques face au chantage de l’austérité ou de la sortie de l’euro lors du référendum de juillet 2015 mais aussi la capitulation de la direction de Syriza à la terreur de la Troïka.

    L’expérience de Syriza livre d’importantes leçons pour tous les mouvements qui luttent pour un changement socialiste. Ces leçons ont coûté très cher, à la classe ouvrière et aux pauvres de Grèce en particulier. Pourtant, on a assiste dans toute la gauche européenne et mondiale à des tentatives d’amoindrir ces leçons tout en enjolivant les erreurs de la direction de Syriza. Cette approche se retrouvent parmi ceux qui partagent largement une orientation stratégique similaire à celle de la direction de Syriza.

    Léo Panitch, co-éditeur du journal de gauche Socialist Register, a été à la pointe de cette défense. Il a écrit, peu de temps après l’acceptation du Mémorandum d’austérité de 13 milliards d’euros par Syriza : «Nous espérons que Syriza pourra rester unie en tant que nouvelle formation politique socialiste la plus efficace dans la gauche européenne qui a émergé ces dernières décennies. Le rôle d’une gauche responsable est de soutenir cela, tout en continuant à montrer les faiblesses du parti en termes de manque de capacité à construire sur les réseaux de solidarité. (…) Étant donné notre propre faiblesse en cette matière, une patience et une modestie considérables sont requises de la part de gauche internationale alors que nous regardons se dérouler ce drame.” [2]

    L’essence de cette idée est que l’on ne peut critiquer les autres forces de la gauche à travers le monde avant d’avoir atteint leur niveau d’influence dans la société. C’est une approche profondément anti-internationaliste et qui se situe dans la droite ligne de celle des partis communistes stalinisés dans les années 1920 et ensuite.

    Si cette approche était acceptée, la gauche internationale entière serait simplement condamnée à répéter, l’une après l’autre, les erreurs des autres. Il est tout à fait approprié de tenter d’analyser et de critiquer l’approche stratégique des autres à gauche dans différents pays, tout en maintenant bien sûr l’humilité et le sens des proportions nécessaires.

    Un échec de « l’européanisme de gauche »

    Ce qui s’est produit en Grèce – un gouvernement de gauche qui trahit son mandat et son programme – représente une défaite pour les travailleurs de toute l’Europe. Les politiciens et les médias de droite du continent ont immédiatement sauté sur l’occasion de renforcer le mur “TINA” (pour “There is no alternative”, il n’y a pas d’alternative, slogan cher à Margaret Thatcher) qui avait vacillé avec l’élection de Syriza.

    Mais s’il s’agit d’une défaite pour la gauche dans son entièreté, il est important de reconnaître que ce n’est pas la conséquence de la faillite des idées de la gauche dans leur ensemble. Il faut plutôt y voir l’échec dramatique du réformisme, et en particulier de sa version dominante en Europe, connue comme «l’Européanisme de gauche».

    La stratégie de l’européanisme de gauche applique l’approche graduelle du réformisme à l’Union Européenne. Il adopte le point de vue que l’UE pourrait, par les victoires de la gauche dans les différents pays, être transformée en un projet plus social. C’est une conception qui sous-estime complètement la haine de classe et la cruauté de la Troïka et de Merkel.

    Plus important encore, il comprend mal le caractère réel de l’UE, qui a été si brutalement démasqué par la crise et la réaction de ses institutions dirigeantes. La construction européenne est structurellement néo-libérale, le néo-libéralisme est dans son ADN, il est inscrit dans le traité de Maastricht, dans le  pacte de stabilité et de croissance , dans le Six Pack et le Two Pack (deux «paquets législatifs» européens de 2012 et 2013 respectivement). Le néo-libéralisme constitue l’essence-même du fonctionnement de l’euro et de la Banque Centrale Européenne.

    L’Union Européenne est aussi fondamentalement non-démocratique. Le pouvoir repose dans les mains d’institutions non-élues et qui ne répondent de rien, comme la Commission Européenne et la Banque Centrale Européenne. Les règles ont été écrites de telle façon que tout gouvernement de gauche qui transgresserait les règles de l’austérité se trouverait condamné et perdrait son droit de vote sur des questions importantes. Ce n’est que la position légale formelle – la position réelle est encore plus anti-démocratique. La BCE a auparavant mené deux coups d’État silencieux, en Grèce et en Espagne. Elle en a dans les faits mené un nouveau contre le peuple grec, mais cette fois avec la complicité de Tsipras, en utilisant sa capacité à créer la panique bancaire pour pousser à la capitulation.

    Des relations de plus en plus impérialistes se développent au sein de l’UE entre les classes capitalistes dominantes du centre, en particulier la classe capitaliste allemande, et les États périphériques. Cela se voit notamment dans la servitude dans laquelle la Grèce se trouve maintenant de facto vis-à-vis de sa dette publique.

    En raison de cette conception stratégique de l’européanisme de gauche adoptée par les dirigeants de Syriza et leurs conseillers politiques, ils sous-estiment considérablement leur ennemi. Concrètement, ils pensent que, par peur de la contagion économique, les créanciers pourraient accorder d’importantes concessions. Ils ont lié Syriza à une stratégie visant à rester dans l’euro à tout prix. Ainsi, quand ils se sont retrouvés le révolver sur la tempe avec la menace d’être vraiment exclus de la zone euro, ils ont senti qu’ils n’avaient d’autre option que de battre en retraite.

    Xekinima, la section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière, a averti que le principal danger pour la classe capitaliste européenne n’était pas la contagion économique, mais la contagion politique. Cela s’est confirmé. Les élites capitalistes européennes sont partantes pour prendre le risque d’une contagion économique de façon soit à renverser Syriza, soit à l’humilier pour dissuader les autres et que cela leur serve de leçon.

    L’expérience de Syriza est une justification par la négative des éléments-clé d’une approche révolutionnaire. Elle souligne le besoin, pour un gouvernement de gauche, de rompre avec les règles de la zone euro, de l’UE et du capitalisme ; la nécessité d’une stratégie de confrontation, plutôt que de compromis, avec l’UE ; la nécessité de préparer la rupture avec la zone euro, au lieu de faire tout son possible pour rester dedans ; tout cela au sein d’un programme socialiste basé sur la mobilisation par en-bas pour s’attaquer au pouvoir de la classe dominante locale, pour lutter en faveur de l’annulation de la dette, pour instaurer un contrôle des capitaux et pour établir la propriété publique des banques et des autres secteurs-clé de l’économie sous contrôle démocratique des travailleurs. Cela illustre une approche internationaliste de lutte capable de faire une brèche dans l’Europe vers le développement d’une confédération d’États socialistes démocratiques comme étape vers une Europe socialiste.

    Réaction face à la défaite de Syriza

    La capitulation et la défaite de Syriza ont provoqué un important débat parmi la gauche européenne. La réponse de Podemos en Espagne a malheureusement été un tournant de son programme plus à droite, Pablo Iglesias continuant à défendre la capitulation de Syriza comme étant «réaliste».

    Ce virage peut assez bien cadrer dans le discours délibérément ambigu qui façonne le projet de Podemos depuis ses débuts. Il est basé sur les travaux du post-marxiste Ernesto Laclau et de la notion qu’au lieu de construire un mouvement de classe, on peut construire une majorité sociale en utilisant des «signifiants vides» – comme la notion de « ceux d’en bas » – contre la caste politique. Dans les mains de certains membres de Podemos, cela est utilisé pour défendre que ce qui est construit n’est ni de gauche ni de droite, ce qui abouti à un manque de clarté politique. La réaction de la direction de Podémos à la capitulation de Syriza a été une des raisons de la chute de Podemos dans les sondages de 30% à environ 15%.

    D’un autre côté, il y a aussi un déplacement à gauche, vers des positions plus critiques envers l’UE et l’euro-zone, sans rompre fondamentalement avec la logique du réformisme. Le tournant à gauche et la position plus euro-critique de la direction du Bloc de Gauche au Portugal est un exemple de cette tendance et a contribué à doubler leur score aux élections générales. Un autre exemple est la scission de Syriza, Unité Populaire, menée par Panagiotis Lafazanis, qui, avec 2,9% des voix seulement, a manqué de peu d’avoir des représentants élus au parlement grec.

    Ces développements au niveau national se reflètent aussi dans les débats au sein de la gauche européenne. Une lettre ouverte intitulée « Plan B pour l’Europe » a été lancée par Jean-Luc Mélenchon, dirigeant du Front de Gauche en France. Elle a été co-signée par Oskar Lafontaine, personnalité dirigeante de Die Linke, l’ancien ministre des finances grec Yanis Varoufakis, et Zoé Konstantopoulou, l’ancienne présidente du parlement grec, et a depuis été signée par trois parlementaires de l’Anti-Austerity Alliance en Irlande. Elle exprime la conclusion tirée par une partie de la gauche européenne que rester dans le carcan de l’euro à tout prix signifie renoncer à la possibilité de remettre en question la domination du néo-libéralisme.

    «Face à ce chantage, nous avons besoin de notre propre plan B pour dissuader le plan B des forces les plus réactionnaires et anti-démocratiques de l’Europe. Pour renforcer notre position face à leur engagement brutal pour des politiques qui sacrifient la majorité au profit des intérêts d’une infime minorité. Mais aussi pour réaffirmer le principe simple que l’Europe n’est rien d’autre que les Européens et que les monnaies sont des outils pour soutenir une prospérité partagée, et non des instruments de torture ou des armes pour assassiner la démocratie. Si l’euro ne peut pas être démocratisé, s’ils persistent à l’utiliser pour étrangler les peuples, nous nous lèverons, nous les regarderons dans les yeux et nous leur dirons : « Essayez un peu, pour voir ! Vos menaces ne nous effraient pas. Nous trouverons un moyen d’assurer aux Européens un système monétaire qui fonctionne avec eux, et non à leurs dépens». [3]

    Ce sont des développements importants. Ils représentent un défi à la domination de l’européanisme de gauche au sein de la gauche européenne, avec plus d’espace pour critiquer cette approche et indiquer un tournant à gauche. Cependant, ils ont toujours des limites considérables. Cela ne représente pas fondamentalement une rupture avec le réformisme.

    Les erreurs de la gauche de Syriza

    De nouveau, il est utile de revenir à l’expérience de Syriza et en particulier de la gauche de Syriza pour voir ce réformisme euro-critique plus à gauche en action. A un niveau formel, la Plate-forme de Gauche, qui est devenue Unité Populaire, avait un programme qui reproduisait beaucoup d’aspects du programme de Xekinima en Grèce. Il appelait ainsi à la préparation de la sortie de l’euro, à l’annulation de la dette de la Grèce, à la propriété publique des banques et à un programme de reconstruction de l’économie en accentuant l’investissement public. Mais l’appel pour un changement socialiste de société était le grand absent.

    La perspective d’une personnalité dirigeante de ce groupe, Costas, Lapavitsas, telle qu’exprimée dans le livre qu’il a co-écrit avec Heiner Flassbeck et publié juste avant la venue de Syriza au pouvoir, s’est totalement confirmée : « Il y a, ainsi, une sorte de « triade impossible » à laquelle ferait face un gouvernement de gauche dans la périphérie. Il est impossible d’avoir à la fois les trois choses suivantes : premièrement, obtenir une vraie restructuration de la dette ; deuxièmement, abandonner l’austérité ; et troisièmement, continuer à opérer dans le cadre institutionnel et politique de l’UE et en particulier de l’Union Économique et Monétaire (…) Ce serait une folie pour un gouvernement de gauche d’imaginer que l’UE blufferait sur les questions de la dette et de l’austérité (…) Si un gouvernement de gauche tente de jouer le bluff, il échouerait très rapidement. »[4]

    Malgré cette perspective, ils n’étaient pas du tout prêts à la rapidité et à l’échelle de la trahison de la direction de Syriza. L’approche de la Plate-forme de gauche envers la direction de Syriza est un miroir de l’approche de celle-ci envers l’UE. Tandis que Tsipras a échoué à préparer Syriza à la nature du conflit avec les institutions de l’UE et du besoin de rompre avec l’euro, Lafazanis n’a pas réussi à préparer la Plate-forme de Gauche à la probable capitulation de Tsipras, à un conflit avec lui et à une rupture avec Syriza.

    Une des conséquences est qu’au premier vote sur les mesures d’austérité, la plupart des parlementaires de la Plate-forme de Gauche ont voté pour ou se sont abstenus – ce qui a semé la confusion. Ils ont persisté dans leur rhétorique d’unité de parti avec Syriza après qu’il soit devenu clair que Tsipras était déterminé à chasser la gauche du parti et à reconstruire Syriza comme un parti d’austérité.

    Pourquoi ces erreurs ont-elles été commises ? Comme avec Tsipras, ce n’est pas une question de faiblesses ou d’échecs individuels. C’est une question politique. Cela est notamment lié aux méthodes d’organisation de la Plate-forme de Gauche. Celle-ci ne fonctionnait pas comme devrait le faire une organisation révolutionnaire, avec un cadre formé qui discute démocratiquement des perspectives, du programme et de la stratégie. Au contraire, elle reproduisait la culture du cercle dirigeant qui existait chez Syriza. Elle était aussi trop prise au piège dans Syriza et dans le parlement, ne faisant pas assez attention à ce qui prenait place au dehors.

    Mais cette structure organisationnelle est aussi connectée à sa politique parce que beaucoup de ses stratèges-clé étaient aussi issus d’une tradition essentiellement euro-communiste de gauche. L’euro-communisme est une tendance qui est devenue dominante dans les partis communistes européens dans les années ’70 et ’80, en partie en réaction aux horreurs du stalinisme mais aussi pour s’adapter aux pressions capitalistes dans leurs propres pays. Cela a fait que des partis comme les PC en France et en Italie sont devenus concrètement des partis ouvertement réformistes.

    Il nous faut des politiques socialistes

    Dans la Plate-forme de Gauche et dans la gauche en Europe en général, l’idée que le moment est aux «gouvernements anti-austérité» en opposition au changement socialiste est très répandue. Cependant, même un «gouvernement anti-austerité» préparé à sortir de l’euro devrait toujours faire face au même dilemme entre confrontation et capitulation. Comme Rosa Luxemburg l’expliquait en 1898 dans «Réforme ou Révolution», ces deux choix ne sont pas deux voies différentes vers un même point, ils aboutissent à deux endroits différents.

    Les forces de l’UE n’arrêteraient pas leurs attaques tout simplement parce qu’un pays est sorti de l’euro. La classe dominante locale intensifierait probablement ses attaques, ce qui s’est vu par exemple en Grèce avec les rumeurs d’une possibilité de coup d’État si le pays sortait de la zone euro. Un gouvernement qui serait conséquent dans son anti-austérité devrait inévitablement appliquer des mesures de type socialiste pour défendre l’économie et les s99% contre les attaques des 1% nationaux et mondiaux.

    L’absence de reconnaissance que la lutte pour rompre avec l’austérité requiert un mouvement pour un changement socialiste n’est pas seulement une omission théorique. Cela a permis de mettre l’Unité Populaire au pied du mur, d’en faire un simplement un parti anti-euro dans la campagne électorale. Dans son analyse post-électorale, l’Union Populaire a reconnu que défendre la rupture avec l’UE était «difficile à expliquer de manière convaincante au milieu d’une campagne électorale (…) en ayant toutes les forces systémiques contre nous», ce qui a été un facteur considérable dans leur échec à franchir le seuil électoral des 3% pour entrer au parlement.

    Alors que les Grecs étaient prêts à voter Non, malgré les avertissements terribles sur la possibilité de quitter l’euro, la perspective de revenir à la drachme n’a pas mis la majorité en confiance. Lier la rupture avec l’euro à un changement socialiste fondamental serait nécessaire pour montrer comment un tel changement pourrait être géré – y compris en plaçant cela dans le contexte de la lutte pour un changement révolutionnaire dans toute l’Europe.

    Alors que les institutions européennes espéraient que la défaite de Syriza ferait reculer la gauche pour longtemps, la profondeur de la crise capitaliste est telle qu’ils n’ont pas obtenu l’effet escompté. Au lieu de cela, les développements politiques en direction des nouvelles forces de gauche continuent et s’accélèrent. Après une période de défaites et de revers, le test des idées dominantes au sein de ces forces sur l’expérience des événements est une partie inévitable de la clarification et du développement de forces révolutionnaires de masse.

    [1] Financial Times, July 16, 2015
    [2] http://www.socialistproject.ca/bullet/1140.php
    [3] http://www.counterpunch.org/2015/09/14/breaking-with-austerity-europe/
    [4] Heiner Flassbeck and Costas Lapavistas, Against the Troika: Crisis and Austerity in the Eurozone, Verso (London, 2015)

  • Grèce : Syriza mobilise… contre Syriza !

    griekenlandProtestations massives à l’occasion d’une grève générale contre l’austérité

    Le jeudi 12 novembre dernier a éclaté en Grèce la première grève générale depuis longtemps. Cette fois-ci, elle avait pour cible les politiques du gouvernement Syriza. Depuis janvier 2015, les différents dirigeants syndicaux, et surtout ceux de la GSEE (Confédération des syndicats du secteur privé), n’ont été visibles nulle part. Cela n’a toutefois pas empêché la GSEE de prendre position sur le référendum de l’été dernier [appelé par le gouvernement Syriza quant à l’opportunité d’accepter plus d’austérité de la part de la Troïka ou non] en demandant le retrait du référendum (!), tout en précisant, en même temps, que leur position était que la Grèce devait rester au sein de la zone euro. En d’autres termes, en appelant à voter «OUI».

    Par des correspondants de Xekinima (CIO-Grèce)

    Des directions syndicales en faillite

    Après que Syriza se soit transformé en un parti favorable au remboursement de la dette et après l’introduction du nouveau plan d’austérité, la GSEE, en droite ligne de leur «tradition», a appelé à une grève générale de 24 heures. Dans un précédent article publié sur notre site Xekinima, nous avons déjà analysé la responsabilité des directions syndicales qui appellent à des grèves juste pour le plaisir de les appeler, sans la moindre planification, sans propositions concrètes et sans perspective d’une escalade de l’action.

    Nous avons aussi expliqué que l’atmosphère présente parmi les travailleurs, après que le nouveau mémorandum ait été signé par le gouvernement Syriza, était inévitablement devenue plus maussade après l’espoir initialement suscité pour un changement politique réel. Les travailleurs ont été clairement déçus et cela s’est reflété dans le faible taux de participation aux mobilisations des différents secteurs (santé, collectivités locales, etc.).

    Nous avons d’autre part souligné que cette accalmie était prévisible et que cela ne signifiait en rien que le mouvement ne retrouverait pas à nouveau le chemin de la lutte de masse combative contre une austérité qui devient toujours quotidiennement plus sauvage.

    Des manifestations de masse

    Dans ce climat, le fait que la grève générale du 12 novembre ait été relativement grande constitue une indication très positive. A Athènes, près de 30.000 personnes ont participé aux manifestations (la fédération syndicale PAME disposant du plus grand cortège). A Thessalonique, plus de 6.000 personnes ont participé et la protestation dans la ville de Volos était l’une des plus réussie de ces quelques dernières années.

    Mais les manifestations, en dépit de leur assistance, n’étaient pas particulièrement dynamiques. D’une part, la classe des travailleurs comprend la nécessité de se mobiliser, mais, de l’autre, son appétit est retenu par l’absence d’un plan concernant la manière d’en finir avec les politiques d’austérité.

    Syriza contre Syriza

    La mobilisation n’était pas exempte de paradoxes, et non des moindres, puisque Syriza appelait à participer à la grève. En d’autres termes, le parti au gouvernement qui est responsable des politiques mises en œuvre a appelé les gens à participer à des manifestations contre ces dernières!
    Ce n’est pas la première fois que Syriza tente désespérément de faire croire aux gens qu’il fait partie du mouvement. Deux exemples indicatifs de ces tentatives sont la participation de Syriza (y compris de députés) à la manifestation contre la privatisation du port du Pirée (alors que Syriza a voté en sa faveur au parlement) ainsi que l’appel pour une manifestation contre le mur d’Evros, à la frontière entre la Grèce et la Turquie, tout en disant officiellement que ce dernier ne peut pas être démonté. Mais on ne peut avoir le buerre et l’argent du beurre. Le gouvernement et Syriza ont déjà pris leurs décisions, et elles vont à l’encontre des souhaits de la classe des travailleurs en continuant la même politique vicieusement antisociale.

    Syriza cherche-t-il à démontrer que le parti est toujours «sensibles aux questions sociales? Ou à éviter d’entrer en conflit avec ses électeurs ? A montrer qu’ils sont capables de gérer le nouveau mémorandum austéritaire d’une meilleure façon que les précédents gouvernements? Quel que soit leur objectif, l’impact des politiques menées par Syriza se déroule devant les yeux des gens, ce qui balaye toutes les illusions d’un ‘‘programme parallèle’’. La seule chose qu’ils ont atteint, jusqu’à présent, c’est d’assurer que l’avant-garde du mouvement social soit indignée contre la direction de Syriza pour non seulement les avoir trahis, mais aussi pour avoir ajouté l’insulte à l’injure.

    Xekinima (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Grèce) milite pour une rupture avec l’austérité et pour un programme socialiste. Cela inclut le refus de payer la dette; l’instauration d’un contrôle sur les flux de capitaux; l’instauration d’un monopole d’Etat sur le commerce extérieur; la nationalisation des banques et des secteurs-clés de l’économie sous le contrôle et la gestion démocratiques des travailleurs; l’abolition des mesures d’austérité; et d’assurer de bons emplois à tous, avec un salaire décent, ainsi que des soins de santé et un enseignement de qualité et gratuit.

    La planification de l’économie en fonction de la satisfaction des besoins de la population et non pas des profits des capitalistes – la réorganisation socialiste de la société – mettrait un terme aux crises économiques, à la pauvreté, au chômage et à l’émigration forcée.

    Pour y parvenir, il est essentiel de construire une politique de classe indépendante à travers la Grèce, avec la participation active de la classe des travailleurs et de la jeunesse en lutte, contre la Troïka et pour une alternative socialiste. Il est aussi crucial de faire appel aux travailleurs et aux jeunes à travers l’Europe pour lutter ensemble contre l’austérité et pour une Europe socialiste.

  • Nouvelles formations de gauche, réformisme ou rupture ?

    podemos_syrizaContrairement à la tendance d’il y a quelques mois, la trajectoire ascendante de la nouvelle formation Podemos est aujourd’hui freinée. A l’occasion des dernières élections régionales espagnoles, en mai dernier, Podemos avait obtenu une digne mais insuffisante troisième position. Depuis lors, la formation violette laisse entrouverte la possibilité de conclure des pactes avec des partis traditionnels. L’ambiguïté de Podemos par rapport à la notion de classe devient maintenant décisive à l’heure de choisir entre rupture ou acceptation d’une austérité ‘‘light’’. L’une des questions clés, en vue des élections générales de la fin de l’année en Espagne, est la formation de coalitions post-électorales et en particulier d’une possible entente entre le PSOE (la social-démocratie) et Podemos.

    Par Marisa (Bruxelles), article tiré de l’édition d’octobre de Lutte Socialiste

    Le PSOE s’est engagé sur la voie du néolibéralisme et a appliqué l’austérité au travers de coupes budgétaires et de réductions salariales. La social-démocratie européenne a tout à fait suivi le discours de la droite durant tout le processus de ‘‘négociations’’ en Grèce. En général, les partis sociaux-démocrates ont été incapables de fournir des réformes progressistes et se sont ouvertement positionnés dans le camp des capitalistes et des contre-réformes. Malheureusement, Syriza a fini par trahir les intérêts des travailleurs de la même façon que le parti social-démocrate grec Pasok.

    Cela a un impact pour la lutte contre l’austérité dans d’autres pays, comme le Portugal, l’Irlande, l’Italie ou l’Espagne. Les dirigeants de Podemos, après avoir tourné à droite, ont déclaré qu’ils auraient soutenu l’accord en Grèce ! Ils ajoutent que l’Espagne serait dans une meilleure position pour ‘‘négocier’’ avec les institutions européennes. Comme si la troïka n’était pas disposée à utiliser n’importe quelle méthode pendant les ‘‘négociations’’ pour écraser et discréditer tout gouvernement qui remet en question leur diktat !

    Si une chose est devenue claire après la crise grecque, c’est que les nouvelles formations de travailleurs ont besoin d’un programme qui vise à aller jusqu’au bout dans la lutte contre l’austérité. La victoire de Corbyn lors de l’élection pour la présidence du Parti travailliste en Grande-Bretagne est aussi importante que l’émergence de Podemos en Espagne. Mais le plus intéressant, c’est que Corbyn s’est présenté avec un programme encore plus radical que celui de Podemos et avec une orientation claire envers la classe des travailleurs, ce qui montre que la recherche d’une alternative à l’austérité se poursuit.

    Il est impossible de mettre en œuvre un programme de réformes sans remettre en cause la base économique du système capitaliste actuel. Une restructuration de la dette n’est pas suffisante et, en plus, elle est souvent utilisée pour rendre la dette plus soutenable et éviter de défaut de paiement nocif pour les créanciers. Le point de départ pour un gouvernement de gauche est un programme qui exprime le vote anti-austérité avec des mesures socialistes telles que le refus du paiement de la dette, la nationalisation sous contrôle démocratique des travailleurs des secteurs-clés de l’économie et des investissements publics massifs pour répondre aux nécessités sociales.

    C’est seulement sur base d’une nationalisation du système bancaire sous contrôle populaire qu’il serait possible de se débarrasser des spéculateurs qui retiennent la classe ouvrière en otage. Dans un secteur bancaire nationalisé, le fardeau des prêts hypothécaires pourrait être remplacé par des loyers abordables, les petites entreprises pourraient obtenir des prêts bon marché, et des travaux publics tels qu’un programme de construction de logements massif pourraient être financés à moindre coût. Il est clair qu’aucun parti pro-austérité n’accepterait de telles mesures de rupture et, par conséquent, un pacte anti-austérité dans une coalition avec ces partis n’est ni ‘‘réaliste’’ ni ‘‘stable’’, c’est impossible.

    Pour clarifier cette question, il est important de se rappeler de ce qui est arrivé lors des élections en Andalousie, où Izquierda Unida (Gauche Unie) a obtenu le pire résultat de son histoire. Personne n’ignore que IU a été punie pour sa participation à un gouvernement de coalition avec le PSOE, un gouvernement qui a également appliqué l’austérité mais à un rythme plus lent. Cela a été perçu par le public comme une erreur et la création d’une nouvelle coalition de Podemos ou d’autres formations alternatives avec des partis pro-austérité serait à nouveau perçue comme une erreur. La nécessité d’une large confluence de gauche avec un programme anti-austérité pour les élections générales du 20 décembre en Espagne – avec Podemos, IU et les mouvements sociaux – est plus qu’évidente.


     

    Grèce : Abstention record aux élections du 20 septembre

    Tsipras et la direction de Syriza ont transformé le ‘‘non’’ au mémorandum en un ‘‘oui’’. Au lieu de s’appuyer sur le mandat populaire qui lui était donné par les 61 % des voix contre l’austérité, Syriza est devenu rien de moins que le parti qui appliquera le nouveau mémorandum austéritaire.

    Nous ne pouvons pas analyser les résultats du 20 septembre sans commencer d’abord par faire remarquer le taux d’abstention record de 43,4 %. Si nous y ajoutons les 2,42 % des votes nuls ou blancs, cela signifie que près d’un électeur sur deux n’a pas participé aux élections. La frustration qui existe dans la population et dans de grandes parties de la gauche est énorme. Le résultat est un parlement avec 6 partis pro-mémorandum, un parti nazi et le KKE (Parti communiste grec) comme seule expression de la gauche.

    Les deux partis ayant reçu le plus de votes, Syriza et Nouvelle Démocratie (droite), ont obtenu ensemble 3,45 millions de voix. En comparaison avec le résultat des élections de janvier, Syriza a perdu 320.074 voix et ND 192.489. En 2004, l’ancien système des deux partis, le PASOK (social-démocratie) et la ND, obtenait 6,36 millions de voix ensemble. Le ‘‘nouveau’’ bipartisme a moins d’impact et est plus instable que l’ancien. Cela affectera la coalition de Syriza / ANEL (droite nationaliste) qui sera rapidement testée lorsque le poids du mémorandum provoquera les premières réactions politiques et sociales.

    Aube Dorée reste, pour la troisième fois consécutive, la troisième force électorale du pays, mais la formation d’extrême droite a perdu 10.000 voix en chiffres absolus, malgré que le procès lié à l’assassinat du militant antifasciste Pablos Fyssas a déjà commencé. Le KKE a perdu 38.000 voix et Unité Populaire (scission de l’aile gauche de Syriza) n’est parvenue à décrocher aucun siège. Unité Populaire n’a pas été en mesure de présenter une alternative cohérente, ni un processus démocratique ouvert et connecté aux forces présentes dans la société. Le mauvais résultat électoral de la gauche anti-austérité ne peut être que la base pour un nouveau commencement, en tenant compte des erreurs de la gauche réformiste.

    Catalogne : La justice sociale et le droit d’autodétermination sont inséparables

    La victoire des listes de confluence de gauche dans des grandes villes comme Madrid et Barcelone a représenté un grand pas en avant. Les nouveaux élus ont déjà mis en place des mesures pour arrêter des expulsions, un audit de la dette municipale et la création d’un réseau des villes refuge face à la crise migratoire. Cependant, les contraintes auxquelles ces coalitions sont confrontées commencent également à devenir palpables.

    Une nouvelle occasion se présente pour utiliser la force accumulée par les luttes et les mobilisations de ces dernières années. À l’heure d’écrire cet article, les élections catalanes du 27 septembre sont imminentes et la question nationale jouera un rôle très important dans celles-ci. Mais polariser la question autour du ‘‘oui’’ ou ‘‘non’’ à l’indépendance favorise uniquement les secteurs plus réactionnaires. Quel que soit le résultat final par rapport à l’indépendance, le nouveau gouvernement devra choisir entre appliquer plus d’austérité ou s’y opposer.

    En outre, les questions sociale et nationale sont intrinsèquement liées. Il ne peut pas y avoir une véritable justice sociale si ce n’est pas possible d’exercer le droit d’autodétermination, et il ne peut pas y avoir une vraie indépendance si celle-ci n’est pas accompagnée de justice sociale. Toute collaboration avec des organisations bourgeoises sur un de ces sujets est une lourde charge pour les intérêts démocratiques et sociaux de la population.

    Idéalement, il ne faudrait qu’une seule liste de gauche et de rupture, mais en pratique deux listes essayeront de jouer ce rôle : la CUP (gauche indépendantiste et anticapitaliste) et Catalunya Sí que es Pot (confluence de gauche anti-austérité). Mais voter n’est pas suffisant. Il est nécessaire que des nouvelles couches de travailleurs et de jeunes participent à leurs campagnes et rentrent en masse dans l’activité politique. La lutte contre l’austérité et pour la défense des droits démocratiques des travailleurs ne sera pas possible sans une étroite collaboration entre la gauche catalane, espagnole, européenne et internationale.

  • [VIDEO] Peter Taaffe au sujet de la crise politique en Europe, de Syriza à Corbyn

    Lors d'un camp d'été régional du Socialist Party, Peter Taaffe a parlé de la situation politique en Europe avec un accent particulier sur la Grèce et sur la percée de Jeremy Corbyn dans sa campagne pour la direction du parti travailliste en Grande-Bretagne.

  • Tsipras recule devant les menaces de la Troïka. Que doit faire la gauche de Syriza?

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    «Nous sommes parvenus au même résultat budgétaire, mais d’une manière plus équitable.» C’est de cette façon que le ministre grec George Stathakis s’est exprimé à la télévision nationale ERT ce lundi 22 juin en défense des propositions faites par le Premier ministre Alexis Tsipras aux soi-disant «Institutions» [la troïka : FMI, BCE et UE]. Celles-ci seront très probablement à la base d’un nouvel accord. De la même manière, le ministre Nikos Pappas, la «main droite» d’Alexis Tsipras, a défendu les propositions du gouvernement grec sur le programme radio Kokkino ce mardi 23 juin.

    Déclaration de Xekinima (section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière) [du 23 juin 2015]

    Le «deal» proposé par Alexis Tsipras correspond à des coupes budgétaires à hauteur de 7,9 milliards € à partir de maintenant jusqu’à la fin de l’année 2016. À partir de 2017, les excédents budgétaires primaires ne diffèreront pas fondamentalement (environ 0,5%) de ceux qui avaient été acceptés par le gouvernement de coalition Nouvelle-Démocratie-PASOK avec la Troïka.

    Tant Stathakis que Pappas affirment qu’ils ont atteint le «même résultat budgétaire» (exigé par la troïka), mais de manière un plus «équitable», ce qui signifierait de ne pas s’en prendre aux salaires et aux pensions, une plus grande partie de l’effort serait transféré à la charge des plus riches de la société (ce qui, selon eux, respecterait les «lignes rouges» de SYRIZA).

    La réalité est cependant la suivante:

    • Les propositions de montant d’Alexis Tsipras concernant les «mesures supplémentaires» destinées à atteindre cette somme de 7,9 milliards € vise à remettre cet argent aux grands créanciers des institutions capitalistes. Cela représente la somme faramineuse de 4,5% du PIB, ce qui aura inévitablement tendance à pousser l’économie dans une nouvelle récession. Ainsi, la direction de SYRIZA abandonne-t-elle la promesse électorale faite au peuple grec d’annuler les «mémorandums» [les mesures d’austérité draconiennes imposées par la Troïka] et de sortir l’économie grecque de sa profonde récession pour la remettre sur les rails.
    • Le gouvernement grec a tenté de faire reposer plus de «charges» sur les couches les plus riches de la société et sur les entreprises au lieu d’instaurer de nouvelles attaques contre les travailleurs et les pauvres, c’est vrai. Cela ne change toutefois pas la caractéristique fondamentale de l’accord proposé, à savoir qu’en coupant un montant supplémentaire de 7,9 milliards € dans les budgets publics sur un laps de temps de 18 mois, il pousse l’économie dans la récession. La plus grande partie de ces 7,9 milliards € de coupes budgétaires sera payée par la classe des travailleurs à travers une hausse de la TVA sur les biens de consommation de masse et une augmentation des contributions personnelles à la sécurité sociale.
    • Alexis Tsipras a abandonné la promesse de «répudier la plus grande partie de la dette souveraine». Les tentatives de Zoé Konstantopoulou (présidente du parlement grec) et de la «Commission pour la vérité sur la dette publique grecque» qui qualifie la dette grecque comme étant «odieuse, illégitime et illégale» ne devraient finalement représenter qu’un intérêt académique et historique.
    • Alexis Tsipras, depuis le début des négociations avec la Troïka, a abandonné la position de SYRIZA de mettre fin aux privatisations, à la seule exception de l’arrêt du processus visant à vendre la compagnie d’électricité DEI. Cela signifie que l’économie grecque va continuer à fonctionner sous le contrôle du grand capital – grec et international – et sous le règne des «lois» du marché. Dès l’instant où un «accord» est trouvé selon ces lignes, la classe dirigeante imposera au gouvernement de nouvelles mesures qui s’attaqueront à la classe des travailleurs. Cela conduira à une récession plus profonde et à la misère. Sans investissements, il ne peut y avoir de croissance et les conditions dans lesquelles ces investissements auront lieu seront décidées par ceux-là même qui contrôlent les capitaux.
    • Sur base des propositions effectuées par Tsipras, le contrôle du système bancaire est laissé aux mains de Stournaras (le président de la Banque centrale grecque) et de ses caprices. Le système bancaire grec a été «sauvé» par l’Etat grec avec d’énormes quantités d’argent, qui dépassent de loin le PIB du pays. Mais son fonctionnement reste aux mains de ceux qui étaient aux commandes avant l’arrivée au pouvoir du gouvernement dirigé par SYRIZA. Ces individus ne sont pas responsables devant le gouvernement grec (ne parlons même pas de la société grecque), mais devant la Banque centrale européenne. Malheureusement, SYRIZA a accepté la poursuite de ce système pourri et scandaleux.

    Grece_xekinima_02Sur base de ce qui précède, est-il possible d’imaginer que l’économie grecque puisse entrer sur le chemin de la croissance et que SYRIZA applique des politiques favorables à la classe des travailleurs?

    Xekinima (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Grèce (CIO) et parti-frère du PSL) a expliqué, au lendemain de la proclamation du Programme de Thessalonique (le Manifeste électoral de SYRIZA, septembre 2014) qu’en dépit de toutes les bonnes intentions d’Alexis Tsipras et de la direction de SYRIZA, ce programme était inapplicable car reposant sur le fait de considérer le grand capital comme moteur de la croissance et du développement de l’économie grecque. Le Programme de Thessalonique ne considère pas que le secteur public, fonctionnant selon des principes socialistes démocratiques, peut être le moteur de l’économie.

    Comme nous l’avons expliqué à plusieurs reprises ces derniers mois, le capital grec et international, en étroite collaboration avec leurs différentes institutions, ne pourraient jamais soutenir et investir dans une économie sous contrôle et gestion d’un gouvernement de gauche visant à restaurer et accroître le niveau de vie et les droits de la classe des travailleurs et des masses (en particulier dans une région comprenant des pays comme la Bulgarie, où le salaire moyen est de 300 € et la pension moyenne de seulement 125€).

    Au cours de ces dernières années, la direction de SYRIZA n’a pas réussi à comprendre la profondeur réelle de la crise du système capitaliste, non seulement en Grèce mais aussi à l’échelle mondiale. La direction de SYRIZA s’est avérée incapable de comprendre que la crise de la dette souveraine en Europe et la crise de l’euro ne sont que le reflet de la crise du système capitaliste dans son ensemble. Les dirigeants de SYRIZA n’ont pas saisi la nature de classe de l’Union européenne et de la zone euro. Au lieu de cela, ils ont entretenu l’illusion que des propositions «éclairées» de leur part, et en particulier du ministre des Finances Varoufakis, «aideraient» l’Europe à s’engager sur une «voie vertueuse».

    En conséquence de cela, le vieux slogan de SYRIZA – «pas de sacrifices pour l’euro» – a dans les faits été transformé en «encore plus de sacrifices pour l’euro»! La société grecque – les travailleurs, les chômeurs, les pauvres – sont une fois de plus appelés à payer le coût de la crise capitaliste et à rester au sein de la zone euro, mais cette fois par un gouvernement dirigé par SYRIZA!

    Quelle solution?

    Quelle est la solution pour trancher le nœud gordien de l’Euro? Défendre les intérêts et les droits des travailleurs grecs nécessite inévitablement d’entrer en conflit ouvert avec le système capitaliste et l’Union européenne des patrons et des multinationales, sur base d’un programme destiné à faire du secteur public le centre du pouvoir économique, par la nationalisation des secteurs stratégiques de l’économie dans le cadre d’une planification démocratique de celle-ci. Mener ce combat au côté des travailleurs du continent est essentiel, dans le but d’instaurer une Europe socialiste démocratique.

    La condition préalable pour ce faire est de disposer d’une gauche de masse préparée à entrer en confrontation frontale avec la Troïka et le système capitaliste, une gauche fidèle aux idéaux du socialisme révolutionnaire. La construction de cette gauche reste la tâche la plus importante des marxistes en Grèce dans le cadre des crises que nous subissons.

    La direction actuelle de SYRIZA ne répondra pas à cette tâche. Au sein de SYRIZA, la balle est dans le camp de son aile gauche. Entend-elle franchir l’étape majeure de voter contre les propositions d’Alexis Tsipras quand (et si) elles viennent à être présentées au parlement grec? Entend-elle prendre le risque de se trouver en dehors de SYRIZA, sous le feu d’une offensive de masse de la classe dirigeante et des médias de droite? Considèrera-t-elle comme prioritaire l’objectif de construire un front commun avec les forces extérieures à SYRIZA fidèles aux idées du socialisme et non-sectaires afin de construire une gauche révolutionnaire de masse?

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