Your cart is currently empty!
Tag: Question nationale
-
La Belgique, un ‘‘Etat en faillite’’ pour une population grandissante
Etablir un marché du travail inclusif pour renforcer la cohésion sociale:
Eradiquer la pauvreté, se mettre d’accord sur un programme en faveur de l’inclusion socialeUne opération militaire d’une ampleur inédite dans notre pays – suite à la nouvelle selon laquelle les attentats de Paris auraient été préparés depuis Bruxelles et surtout Molenbeek – devait prouver que la Belgique n’est pas un ‘‘Etat en faillite’’ contrairement à ce que la presse étrangère suggérait. Mais malgré toutes ces actions musclées, aucun résultat rapide n’a été obtenu, ni dans la recherche des présumés terroristes – et donc sur le plan de la sécurité à court terme – ni dans la lutte contre les causes du phénomène. Ces racines ne se trouvent pas en première instance dans l’existence de différents niveaux de pouvoir en concurrence les avec les autres, ni dans la composition asymétrique des différents gouvernements, mais bien dans le démantèlement des conquêtes sociales de la classe des travailleurs que l’on désignait sous le terme ‘‘d’Etat providence’’.
Par anja Deschoemacker
C’est aller un peu vite en besogne? Suivez un moment mon raisonnement. On dit aujourd’hui que la politique trop laxiste de l’ex-bourgmestre de Molenbeek, Philippe Moureaux (PS), aurait contribué à la situation actuelle. Dans le sens où la politique du PS se limitait à ‘‘intégrer’’ dans diverses institutions des individus des classes moyennes issus des communautés d’origines immigrées, sans offrir de perspective convenable à la grande majorité de ces communautés, c’est assez correct. Le nombre de fonctionnaires d’origine immigrée grandissait, tout comme ailleurs du reste, sans faire beaucoup de différence pour la vie quotidienne de la jeunesse de Molenbeek qui souffrait – et souffre toujours – du manque d’un enseignement de qualité, d’emplois et de logements décents.
Ce n’est toutefois pas ça que veulent suggérer les partis du gouvernement fédéral, NVA et MR en tête. Selon eux, Moureaux n’aurait pas réagi assez fermement face au développement de courants radicaux dans les communautés musulmanes de sa commune. Nous avons assisté à ce qu’ils entendent par ‘‘action dure’’ : un état de siège à Bruxelles, des militaires dans les stations de métro et les gares, des perquisitions massives,… Mais cela ne marche pas non plus, pour autant que le but réel soit bien d’assurer la sécurité. Mais la sécurité ne pousse pas dans un désert social. Pas même avec l’armée au grand complet.
Un autre élément mis en avant dans la presse internationale et sur lequel les partis flamands – partisans d’une réforme d’Etat intérieure à la Région bruxelloise qui verrait nombre de compétences passer des communes à la région – aiment bien jouer, c’est la chaotique et inefficace répartition des compétences en Belgique. Que ça soit souvent chaotique et inefficace, nous n’en doutons pas. Mais dans le cadre d’un capitalisme en crise, dans un pays basé sur la division de pouvoir entre ses communautés historiques, croire que cela pourrait aller mieux en transférant tout simplement encore un peu plus de compétences d’un niveau à un autre est une illusion et rien de plus.
Ce dernier point n’est toutefois pas compris par le parti flamand officiellement de gauche, Groen. Son chef de file, Kristof Calvo, s’est jeté il y a quelques semaines sur le terrain de la guerre communautaire avec la proposition d’un référendum sur l’indépendance flamande en 2019. Cette proposition vise d’une part à démasquer la N-VA – va-t-elle oser appeler à l’indépendance, sachant qu’une large partie de son électorat actuel ne soutient pas l’idée – et d’autre part à clore ‘‘définitivement’’ la discussion communautaire en montrant qu’il n’y a pas de base massive favorable à l’indépendance.
Le fait que cette proposition n’arrive que quelques semaines après la manifestation syndicale du 7 octobre – bien plus grande qu’attendue – illustre que Groen a d’autres priorités et veut jouer sur un autre terrain que celui du mouvement social. L’énorme mouvement de lutte qui s’est développé depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement de droite a justement eu pour effet de pousser la discussion dans la société sur un autre plan, vers une unité de classe contre la politique d’austérité, dans la direction d’une lutte que nous sommes en mesure de gagner. Ce n’est pas dans l’intérêt du mouve ment des travailleurs que des partis officiellement de gauche préfèrent se profiler sur la question nationale plutôt que sur la lutte de classe qui se déroule sous leur nez. Des partis de gauche qui mériteraient ce nom s’assureraient que les prochaines élections deviennent une punition vis-à-vis du gouvernement de droite en posant la question : qui doit payer pour la crise, les 99% de la population ou le 1% de méga-riches ?
Aucune des propositions de Calvo pour une refédéralisation ne touche le cœur de la question, à savoir que la question nationale est une lutte pour la répartition des pénuries sociales et qu’il faut s’en prendre à ces manques pour que cette lutte puisse s’arrêter.
Le sous-financement chronique dont souffre le système éducatif depuis des décennies a assuré que beaucoup de chouettes idées de ‘‘modernisation’’ tombent à l’eau, comme d’imposer le néerlandais comme deuxième langue obligatoire. Avec les médias et les partis fédéraux, dans le meilleur des cas, rien ne changera. Dans le pire, les tensions vont continuer de croître.
Tout comme c’est le cas pour la sécurité et pour la crise économique, ni l’aile droite ni l’aile gauche de l’establishment ne peuvent offrir de réponse sur le plan communautaire qui puisse mener à des solutions. Les politiciens jouent sur les contradictions poussées à leurs limites dans le cadre du capitalisme. Ils n’ont pas de réponse face à la perte continuelle de pouvoir d’achat et de standard de vie de la majorité, ni face à l’exclusion quasi-totale de parts entières de la population sur base de nationalité ou de religion. Ces contradictions peuvent être temporairement pacifiées en période de forte croissance économique combinée à une lutte du mouvement des travailleurs pour que cette croissance arrive aussi, au moins partiellement, entre les mains de la majorité sociale.
Mais depuis la fin des années 1970, c’est l’inverse que nous constatons. Non seulement les riches deviennent toujours plus riches, mais les pauvres sont aussi plus pauvres. Ni les problèmes communautaires, ni l’aliénation d’une partie de la jeunesse des communautés discriminées ne peuvent être résolus dans ce cadre. Seul le mouvement des travailleurs a la force potentielle de changer ce cadre et de construire une société dans laquelle tout le monde peut bâtir une vie digne d’un être humain. S’en prendre à la différence la plus importante et dominante entre les gens – la différence entre les classes sociales – va libérer l’espace pour permettre à tout le monde de vivre dignement et d’apprendre à voir dans les autres différences une source d’enrichissement au lieu d’une menace. Est
-
Socialisme et question nationale dans la pensée de James Connolly
James Connolly était un marxiste, un révolutionnaire, un socialiste et un internationaliste. Pour commémorer le 90e anniversaire (1) de son exécution, Peter Hadden (2) a étudié sa vie faite de luttes incessantes pour faire avancer les intérêts de la classe ouvrière et renverser l’ordre établi.Par Peter Hadden
En 1910, James Connolly terminait son pamphlet Labour Nationality and Religion dans des termes simples et directs : «Le temps est passé de rapiécer le système capitaliste, il doit partir». 90 ans après sa mort, il est nécessaire de se remémorer la vie de James Connolly, ses idées et ce pourquoi il se battait vraiment.
Cela est rendu nécessaire parce que, vu les commémorations du soulèvement de Pâques (3) de 1916, nous devrons probablement assister au spectacle nauséabond des représentants du gouvernement irlandais, des dirigeants de l’establishment des partis du Sud, comme des principaux partis nationalistes du Nord, tenter de commémorer et de vénérer Connolly, comme s’ils s’inscrivaient dans cette tradition.
Connolly, s’il était encore vivant aujourd’hui, se battrait sans repos contre ces gens et le système qu’ils représentent, comme il s’est battu contre leurs équivalents à son époque, en Irlande et sur la scène internationale. Il ne serait pas surpris que ces gens, qui sont les ennemis de tout ce qu’il a représenté, essaient de récupérer son héritage politique. Après tout, dans les commémorations du centenaire de la rébellion de 1798, Connolly nota la manière dont l’establishment de l’époque fit de même avec la mémoire du leader de la Société des Irlandais unis, Wolfe Tone (4). Les « apôtres de la liberté », écrit-il dans la première édition de son journal, Workers’ Republic, « sont toujours adulés lorsque morts, mais crucifiés de leur vivant. ».
Connolly est né, en 1868, dans le district de Cowgate à Édimbourg, en Écosse. Il était le plus jeune d’une famille de trois fils. Son père était charretier et sa famille vivait dans une pauvreté extrême. James dut travailler à partir de l’âge de 10 ou 11 ans. Il travailla dans une imprimerie, une boulangerie et une usine de carrelage. Son éducation était rudimentaire, mais son formidable potentiel d’écriture – non seulement du journalisme politique et historique, mais aussi à travers la poésie et la dramaturgie – était l’œuvre d’un autodidacte. Dans sa biographie de Connolly, Desmond Greaves attribue le strabisme de Connolly au fait qu’il devait, dans sa jeunesse, lire à la lumière des braises « dont les bâtons carbonisés lui servaient de crayons ».
Connolly avait également les jambes un peu arquées à cause du rachitisme, un effet secondaire courant de la pauvreté et de la malnutrition. Il avait seulement 14 ans quand la pauvreté le força à adopter un pseudonyme et à s’enrôler dans le King’s Liverpool Regiment de l’armée britannique. Son service le mena en Irlande et dura presque 7 ans, avant qu’il déserte et retourne en Écosse vers la fin de 1888 ou au début de 1889. C’est à partir de ce moment, de retour à Édimbourg et survivant avec de petits boulots, que Connolly commença son engagement politique dans le mouvement socialiste. Il se joint à la Socialist League, une scission de la Social Democratic Federation, un des premiers groupes socialistes d’Angleterre. Eleanor Marx, fille de Karl Marx, fut membre de la Socialist League et Friedrich Engels eut une grande influence dans sa création.
Tous les groupes de cette époque étaient peu organisés. En 1896, Connolly, malgré sa situation financière précaire, quitta l’Écosse où il était secrétaire de la Scottish Socialist Federation et secrétaire du Scottish Labour Party. Il s’agissait alors du nom local donné au courant de Kier Hardie, connu sous le nom d’Independent Labour Party. Il répondit alors à l’appel pour devenir secrétaire du Dublin Socialist Club.
Dans l’espace de seulement quelques mois, à son arrivée à Dublin, il convertit le Dublin Socialist Club en section la plus organisée du Irish Socialist Republican Party. Cette organisation fut formée lors d’une rencontre de huit personnes dans un bar de la rue Thomas en mai 1896. Il devint organisateur rémunéré avec un salaire d’une livre par semaine. Depuis ce jour, jusqu’à son exécution 20 ans plus tard, Connolly a été un révolutionnaire à temps plein. Travaillant, quand il y avait de l’argent, pour de petits groupes socialistes comme l’ISRP, le Socialist Party of Ireland, ou comme un excellent organisateur syndical dans le mouvement ouvrier. Pendant une grande partie de sa vie, Connolly et sa famille continuèrent de vivre dans la pauvreté. La plupart du temps, il devait tenir des tournées de discours en Écosse, en Angleterre et aux États-Unis pour récolter des fonds.
Connolly comprenait la nécessité de publier des journaux pour propager ses idées. Il produit un nombre important de pamphlets et publia une quantité de journaux, notamment Workers’ Republic, lancé au départ comme publication de l’ISRP et The Harp, un journal qu’il publia d’abord aux États-Unis, où il vécut de 1903 à 1910.
Maintenir la publication de ces journaux avec peu de moyens et une circulation limitée n’aurait pas été possible si ce n’eut été des énergies gargantuesques que Connolly y dédiait. Il était à la fois le principal contributeur, le rédacteur en chef, le trésorier et le principal responsable des ventes. Gardant en tête que le travail des révolutionnaires est de faire ce qui doit être fait, même si la tâche est ingrate, Connolly pris sur lui de veiller à ce que ces journaux soient diffusés le plus largement possible dans la classe ouvrière. Aux États-Unis, il pouvait être vu sur les coins des rues et à l’entrée des meetings, en train de vendre The Harp. Une des pionnières du mouvement ouvrier aux États-Unis, Elizabeth Gurley Flynn, dans son autobiographie, se souvient de Connolly tentant d’améliorer les ventes de son journal. « Il était pathétique de le voir debout, mal habillé, aux portes de Cooper Union ou du East Side Hall, vendre son petit journal ».
C’est à travers ses articles dans ces journaux, et dans les journaux d’autres organisations, que Connolly développa les idées qu’il tint tout au long de sa vie. Il s’inspira des idées de Marx et Engels, principalement l’idée générale que le moteur de l’histoire est la lutte entre des classes aux intérêts opposés, et l’appliqua au cas de l’Irlande.
Son premier pamphlet, une série d’essais publiés en 1897 sous le titre d’Erin’s Hope, tira la conclusion que Connolly défendit et bonifia toute sa vie : que la classe ouvrière irlandaise était « la seule fondation sûre sur laquelle une nation libre pourrait se bâtir ». Cette conclusion fut bonifiée et présentée d’une manière plus achevée dans son œuvre importante, le pamphlet de 1910, Labour in Irish History. Cette publication reste à ce jour la plus importante contribution de Connolly dans le domaine des idées.
La principale conclusion de Labour in Irish History est que la classe moyenne et la bourgeoisie « ont un millier de liens économiques qui prennent la forme d’investissements qui les attachent au capitalisme anglais. ». Il s’ensuit que « seulement la classe ouvrière irlandaise demeure incorruptible parmi les héritiers du combat pour la liberté en Irlande ». Ces conclusions furent développées en parallèle des idées de Léon Trotsky, maintenant connues comme la théorie de la révolution permanente.
Trotsky expliquait que la bourgeoisie nationale dans les pays les moins développés et dans le monde colonial avait émergé tardivement sur la scène de l’histoire. Elle était trop affaiblie comme classe pour oser se mettre à la tête des mouvements visant à abolir les derniers vestiges du féodalisme ou pour établir des États-nations indépendants, comme les bourgeois des puissances capitalistes établies avaient, de manière confuse et souvent incomplète, réussi à le faire. Ces tâches revenaient donc à la classe ouvrière qui, en prenant le pouvoir, pourrait venir à bout de ces tâches laissées en jachère, qui dans une période historique précédente avaient échu à la classe capitaliste montante. Au même moment, la classe ouvrière allait procéder, de manière ininterrompue à accomplir les tâches de la révolution socialiste.
Connolly n’a jamais tiré ces conclusions avec la précision de Trotsky. Il n’a pas non plus eu l’opportunité de lire le matériel produit par Trotsky. Comme avec plusieurs de ses autres écrits, il existe parfois une ambiguïté, à propos de la question nationale, celle-ci se trouvant amplifiée par ses actions à la fin de sa vie. Il y alla de déclarations, spécialement à ce moment, qui purent être lues comme supportant l’idée que l’indépendance accélérerait et favoriserait le combat pour le socialisme. Par exemple, en 1916, il fit le commentaire suivant, que l’indépendance est « la première étape requise pour le libre développement des pouvoirs nationaux nécessaires pour notre classe ». Des formulations ouvertes comme celle-ci ont été utilisées par quelques commentateurs de la gauche pour valider la notion erronée selon laquelle l’indépendance nationale est en quelque sorte un nécessaire premier «stade » sur la route vers le socialisme et pour justifier des alliances avec les nationalistes pour atteindre cet objectif.
Cela ne fut jamais vraiment la vision de Connolly. Son matériel le plus consistant sur cette question dit explicitement le contraire. Dans Labour in Irish History, et dans plusieurs de ses autres écrits sur la question nationale, il est plus ou moins d’accord avec Trotsky, que c’est à la classe ouvrière qu’il revient de réaliser l’indépendance et, ce faisant, d’en profiter pour établir le socialisme. Avec cette interprétation, il fut en avance sur son temps.
En ce qui concerne plusieurs autres aspects, Connolly s’est élevé au-dessus des autres commentateurs l’entourant dans le mouvement ouvrier britannique et irlandais. Il reconnaissait que «chaque parti politique représente une classe », qui pour sa part s’en sert « pour créer et maintenir les conditions les plus favorables pour l’exercice du pouvoir par sa propre classe ». La classe ouvrière avait besoin de son propre instrument politique, le parti, et celui-ci devrait se développer de manière indépendante par rapport aux autres partis.
Cela va sans dire qu’elle aurait pu être sa position par rapport aux appels présents des leaders syndicaux favorables aux « partenariats sociaux » ou ceux qui, comme l’Irish Labour Party et le Sinn Fein, passent leur temps à cogner aux portes des partis politiques de droite de l’establishment, souhaitant former des gouvernements de coalition; ou, en contrepartie, ceux à gauche qui, de manière silencieuse, abandonnent leurs idéaux socialistes de manière à participer à de larges « fronts » avec des individus et des groupes qui sont hostiles au socialisme.
Les organisations socialistes du temps de Connolly étaient encore principalement des organisations de propagande sans une base politique de masse et sans grande influence. Pour Connolly, il s’agissait de quelque chose qui devait être changé et la question de l’heure demeurait : comment les transformer en organisations de masse sans pour autant diluer leur contenu socialiste. Des débats intenses sur des questions comme celles-ci faisaient rage dans tous les groupements socialistes, parmi lesquels Connolly était impliqué. Des échanges parfois très acrimonieux tenaient lieu de débats entre les différents courants politiques qui émergeaient. Une de ces expériences politiques avait lieu au sein de l’aile irlandaise de la Social Democratic Federation, qui devint ultimement une secte propagandiste menée par Henry Hyndman, un homme dont le rôle, selon Connolly, était « de prêcher la révolution et le compromis dans la pratique et de ne faire ni l’un ni l’autre de manière consistante ».
Quand il quitta l’Irlande pour les États-Unis, en 1903, Connolly se joint au Socialist Labor Party qui était mené par Daniel De Leon. Connolly se querella avec De Leon sur plusieurs questions théoriques, mais plus particulièrement sur la façon dictatoriale par laquelle De Leon menait le SLP. La réponse de De Leon ne fut pas toujours politique; entre autres choses, il accusa Connolly d’être un « agent jésuite » et un « espion policier ». De toute manière, ce fut une expérience amère et Connolly aurait été d’accord avec Engels qui, au début des années 1890, écrivit que le SDF et SLP traitaient le marxisme « d’une manière doctrinaire et dogmatique, comme quelque chose à apprendre par cœur ». Pour eux, il s’agissait d’un credo et non d’un guide pour l’action ».
Connolly quitta le SLP en 1908 et déclara qu’il n’y avait pas de futur entre les mains de De Leon, sauf pour former une « église ». Il se joint alors au Socialist Party, une organisation plus large, mais réformiste. L’objectif de Connelly était d’organiser une minorité révolutionnaire en son sein. Ce fait démontre son absence totale de sectarisme politique. Il savait l’importance des idées claires, mais il comprenait aussi qu’il était nécessaire de faire vivre ces idées dans le mouvement vivant de la classe ouvrière, pas de les réfrigérer dans une secte politique.
En 1912, au sein du Irish Trades Union Congress, ce fut Connolly qui réussit à faire adopter la proposition pour une représentation politique indépendante des syndicats qui marqua la naissance du Irish Labour Party. Il ne voyait aucune contradiction entre ceci et son travail au sein du Socialist Party of Ireland. Connolly, en d’autres mots, comprenait instinctivement la double tâche des socialistes, qui était d’encourager, d’assister et de participer à tout développement contribuant à amener les larges masses de travailleurs à l’activité politique, en construisant en même temps une organisation politique socialiste, de manière consciente.
Cela ne veut pas dire qu’il avait une conception claire du besoin d’un parti révolutionnaire qui pourrait agir comme instrument politique pour la classe ouvrière lui permettant de mener une révolution socialiste. En ce temps, seul Lénine en Russie comprenait qu’une révolution socialiste victorieuse requérait une direction organisée et consciente d’une telle manière qu’elle ne serait pas neutralisée face à la pression des événements.
Luttes syndicales
Connolly, comme la plupart des marxistes de son époque, n’avait pas identifié clairement quel instrument la classe ouvrière utiliserait pour renverser le capitalisme, ni comment. D’abord, il mettait de l’avant la vision syndicaliste selon laquelle le rôle principal serait joué par des syndicats industriels. Cet intérêt pour le syndicalisme ne signifiait pas qu’il n’envisageait pas de rôle pour la lutte politique ou les partis. Tout au long de sa vie, il affirma clairement que la classe ouvrière devait s’organiser autant politiquement, que sur une base « industrielle » (5).
Connolly comprenait l’importance capitale des idées, mais il n’aurait jamais été prêt à jouer le rôle d’un professeur ennuyeux, à la manière de De Leon. Il comprenait que la théorie est seulement une préparation pour l’action et que la seule façon de valider des idées est de le faire via le mouvement organisé des travailleurs. Pendant la dernière décennie de sa vie, il fut un organisateur syndical révolutionnaire, mettant en pratique ses idées et ses méthodes dans une série de luttes d’agitations momentanées.
Ses talents d’organisateur de masse furent mis à rude épreuve en 1911 à Belfast, en Irlande, quand il devint responsable de l’organisation du Syndicat général des travailleurs irlandais du transport (Irish Transport and General Workers Union – ITGWU), avec James Larkin. Il était revenu des États-Unis avec quelques années d’expérience comme organisateur pour l’Industrial Workers of the World (IWW). Pendant ce temps, il avait pris part à certaines batailles sanglantes menées par les travailleurs des États-Unis contre des attaques violentes menées par les patrons, aidés par les policiers et les scabs.
Connolly entra en poste à l’ITGWU au moment où une vague de grèves explosives se déroulait en Angleterre et en Irlande. Trois millions de jours de travail furent perdus en grève en 1909. Trois ans plus tard, il s’agissait de 41 millions de jours. L’Irlande connaissait les batailles les plus dures, alors que les patrons essayaient de résister à la nouvelle force militante connue sous le nom de New Unionism. Il s’agissait de l’organisation des travailleurs semi-spécialisés et non-spécialisés. En 1911, Connolly mena une lutte avec les dockers de Belfast. Celle-ci fut rapidement suivie par l’organisation des femmes travaillant dans les manufactures, les « esclaves du textile de Belfast », plus d’un millier, menèrent une grève inspirante contre les conditions difficiles et contre le régime de travail tyrannique vécu dans les manufactures.
À la fin de 1911, Connolly dû partir à Wexford, où les membres de l’ITGWU étaient en lock-out depuis le mois d’août lors d’une tentative de l’employeur de briser le syndicat. Pendant ce conflit, les travailleurs formèrent une organisation de défense, une « police ouvrière » (Workers’ Police), pour se protéger de la police. Il s’agissait d’une organisation semblable à celle de l’Irish Citizens’ Army, qui fut formée pour les mêmes raisons lors du lock-out de Dublin en 1913 (6).
Les événements de Dublin en 1913 furent l’apogée de cette période dans laquelle les forces du travail et du capital se confrontèrent directement en Irlande. En août 1913, l’Association des employeurs de Dublin, menée par William Martin Murphy, mit en lock-out les membres de l’ITGWU, leur demandant de quitter le syndicat. Il s’agissait d’une tentative pour briser le mouvement ouvrier irlandais avant l’établissement du Home rule (7).
Le conflit se prolongea jusqu’à la fin de janvier 1914, quand les travailleurs furent finalement affamés au point de devoir retourner au travail. À son sommet, ce conflit impliqua pratiquement l’ensemble de la classe ouvrière de Dublin. Les leaders incontestés des travailleurs furent Larkin et Connolly. Ligués contre eux se trouvaient non seulement les patrons et les forces de l’État capitaliste, mais aussi les différentes églises et les nationalistes de droite. Les prêtres, du haut de leurs chaires, dénonçaient le socialisme et le syndicalisme. L’Ordre ancien des Hiberniens (Ancient Order of Hibernians), surnommé Ordre ancien des hooligans par Connolly – qui depuis les premiers jours de l’ISRP avaient été impliqués dans des attaques répétées contre des rencontres et des manifestations publiques – entrèrent dans le journal du Irish Worker et brisèrent les caractères d’imprimerie.
À la fin, ce furent les faux amis et non les ennemis ouverts de l’ITGWU qui laissèrent les travailleurs de Dublin isolés et sans autre choix que de retourner au travail. Connolly et Larkin avaient appelé à une grève générale de solidarité en Angleterre et aux blocus des bateaux des scabs, qui transportaient les biens au port de Dublin. Le débat à propos du blocus fut débattu lors d’une rencontre spéciale du British Trade Union Congress en décembre, mais, avec les dirigeants syndicaux des principaux syndicats opposés à une action de solidarité, la proposition fut rejetée par 2 280 000 votes contre seulement 203 000 pour.
Le retour au travail se fit selon les termes de l’employeur, mais la victoire eut pour conséquence de poser les bases d’une tradition de militance et de solidarité, ce qui signifiait que le syndicat avait était blessé durablement, mais non brisé.
La question nationale
Il s’agit d’une des trois défaites vécues par le mouvement ouvrier dans l’espace de seulement quelques années. Cela laissa sans doute Connolly quelque peu désorienté et influença les trois dernières années de sa vie.
Le retour de Connolly à Belfast, après la grève, se produisit au même moment que la crise du Home Rule, qui se déroula entre 1912 et 1914. La proposition par Westminster d’accorder un gouvernement autonome limité (Home Rule) à l’Irlande provoqua une opposition féroce chez les unionistes et dans une partie significative de la classe dirigeante d’Angleterre. L’Ulster Volonteer Force, formée en 1913, et la hiérarchie unioniste cherchaient à établir un gouvernement provisoire en Ulster, dans le cas où le Home Rule deviendrait une loi. Alors que la menace d’une guerre pesait lourd, un compromis fut trouvé qui permettrait l’exclusion « temporaire » de tout comté d’Ulster qui choisirait de ne pas participer à l’entente. Le leader nationaliste John Redmont l’accepta.
Connolly rejeta l’idée qu’une exclusion serait temporaire et analysa correctement ces événements comme une défaite pour la classe ouvrière. Il prédit que la partition « signifierait un carnaval pour la réaction, à la fois au Nord et au Sud, qu’il s’agirait d’un recul pour la classe ouvrière irlandaise qui paralyserait les mouvements les plus avancés le temps qu’elle durerait ».
Pendant ce temps à Belfast, Connolly avait essayé d’unir les travailleurs politiquement et de manière industrielle. Il ne réussit toutefois pas à donner une forme organisationnelle durable à ces grèves et à ces autres combats. L’ITGWU organisait principalement des travailleurs catholiques, comme le faisaient les différents groupes socialistes.
Connolly luttait pour l’unité de classe et se battait pour y arriver, mais cette ambition n’était pas assez forte pour briser le moule sectaire. Il ne parvint jamais à expliquer pourquoi de grandes parties de la classe ouvrière protestante étaient prêtes à défendre jusqu’au bout les Lords et Ladies de l’unionisme protestant. S’il avait pris le temps d’observer plus attentivement, il se serait aperçu que les travailleurs protestants avaient peur de ce qui pourrait arriver avec le Home Rule et aurait compris qu’il était nécessaire pour les socialistes d’amener des idées pour contrer ces peurs.
Le grand Belfast était à cette époque le centre industriel de l’Irlande. Les industries lourdes faisaient partie d’un triangle industriel dont les deux autres points étaient Liverpool et Glasgow. Les travailleurs protestants avaient développé des relations fortes, dans la lutte, spécialement avec les travailleurs de ces villes. Leur peur était qu’avec la venue du Home Rule, qui serait sans doute l’écho des intérêts des petites entreprises du Sud, leurs liens avec le mouvement ouvrier en Angleterre se briseraient et que leurs emplois seraient menacés, alors que les industries se trouveraient coupées de leurs marchés d’exportation.
L’analyse de l’évolution de la situation de la question nationale par Connolly était fondamentalement correcte. Par contre, les conclusions qu’il tirait de cette analyse, au point de vue du programme, étaient favorables unilatéralement aux catholiques, ce qui n’avait rien pour rassurer la classe ouvrière protestante. Avec Larkin, il se prononçait pour des syndicats ouvriers séparés pour les Irlandais (catholiques et protestants) et pour des organisations politiques également séparées. Il jugeait cela nécessaire pour permettre aux travailleurs catholiques de s’éloigner de l’influence des nationalistes. Dans le Nord, cette position faisait en sorte que les travailleurs protestants resteraient au sein d’organisations britanniques et que les travailleurs seraient divisés selon une ligne religieuse. À tout le moins, il aurait été préférable de réclamer que des liens formels soient maintenus entre les organisations de la classe ouvrière de l’Irlande et de l’Angleterre. En particulier, les liens entre les organisations de représentants des ouvriers dans les entreprises (shop stewards’ organisations) auraient dû être maintenus.
À propos de la question de l’indépendance, Connolly défendait de manière correcte la position pour une République socialiste irlandaise. Par contre, cela était aussi posé d’une manière unilatérale. Quand Marx parlait du combat pour l’indépendance irlandaise, au sens d’indépendance sur une base capitaliste, il ajoutait qu’après l’indépendance « pourrait venir la fédération ». Les écrits de Connolly laissaient tomber cette idée.
James Connolly se battait pour le mouvement ouvrier, était à la pointe du combat pour l’indépendance et avait pour but la fondation d’une République socialiste irlandaise. Il aurait toutefois pu vouloir maintenir les liens avec la classe ouvrière britannique et mettre de l’avant l’idée d’une fédération socialiste de l’Irlande et de la Grande-Bretagne.
Guerre mondiale et soulèvement de Pâques
La troisième défaite subie par la classe ouvrière prit la forme du déclenchement de la guerre en août 1914. Avant la guerre, les puissants partis politiques de la IIe Internationale – particulièrement le Parti social-démocrate allemand– avaient publié de puissants argumentaires anti-guerre et promis de lancer la grève générale afin de paralyser l’effort de guerre si l’ouverture des hostilités était déclarée.
Quand le combat commença, toute la résistance, à l’exception de quelques leaders individuels courageux et de partis comme les bolcheviques en Russie, ne se résuma à presque rien. Pour Connolly, il s’agissait d’un autre coup dur et il répondit dans son style vitupérant habituel : « Qu’est-ce qui arrive alors de toutes nos résolutions, toutes nos protestations, toutes nos fraternisations, toutes nos menaces de grèves générales, toute notre machine internationaliste construite avec soin et tous nos espoirs pour le futur? S’agissait-il seulement de bruit et de furie, est-ce que cela ne signifiait rien? ».
L’annonce de l’ouverture de la guerre fut accompagnée par une vague de chauvinisme. Les idées classistes, de même que les grèves et autres expressions de la lutte des classes étaient, pour l’instant, reléguées à l’arrière-plan. En Irlande, le leader nationaliste John Redmond devint sergent-recruteur pour l’armée britannique et des dizaines de milliers de personnes qui avaient auparavant porté les uniformes des Irish Volunteers, lors d’exercices, s’enrôlaient chez les Britanniques.
Il est évident, en lisant les écrits subséquents de Connolly après 1914, que toutes ces trahisons et ces renoncements l’affectèrent profondément. Ses écrits à propos de la guerre, pris comme un tout, n’étaient pas aussi clairs et précis que dans ses premiers travaux. Au final, il maintenait une approche socialiste et internationaliste, mais de plus en plus, ses idées étaient marquées par une frustration à l’égard de la passivité de la classe ouvrière face au massacre en Europe : « Même une tentative ratée de lancer une révolution sociale, par les armes, suivant la paralysie de la vie économique pour cause de militarisme, serait moins désastreuse pour la cause socialiste que les actes de socialistes s’autorisant à participer au massacre de leurs frères dans cette cause. Un grand soulèvement continental de la classe ouvrière permettrait d’arrêter cette guerre ».
Laissant l’Angleterre préoccupée, il commença à envisager que le premier coup de cette contre-attaque pourrait être lancé en Irlande. Alors que la guerre s’enlisait dans l’horreur interminable des tranchées, le besoin d’agir rapidement pour s’assurer que ce coup serait rendu devint sa préoccupation principale.
Son impatience était telle qu’il était prêt à laisser de côté certaines des idées et des méthodes qu’il avait patiemment développées au courant de sa vie de combattant révolutionnaire. Dans Labour and Irish History, il observe correctement que « les révolutions ne sont pas des produits de nos cerveaux, mais issus de la maturité des conditions matérielles ». Dans un article précédent de Shan Van Vocht, il critiquait les Young Irelanders et les Fenians pour avoir commencé à agir quand les conditions objectives de la révolution n’étaient pas atteintes : « les Young Irelanders n’ont fait aucun effort raisonnable pour augmenter le niveau de conscience de la population, alors l’échec était inévitable ». Maintenant, il faisait l’argument inverse, critiquant ceux qui dans le mouvement de la Young Ireland parlaient de révolution, mais qui, le temps venu, « commençaient à trouver des excuses, à murmurer à propos du danger d’une insurrection prématurée ».
Alors que la classe ouvrière était inactive à ce propos, Connolly regarda du côté des forces nationalistes radicales alors organisées dans l’Irish Republican Brotherhood (IRB) et leurs 13 000 Irish Volunteers, qui avaient rompu avec Redmont à cause de son appui pour la guerre. Il espérait qu’un soulèvement en Irlande, même s’il était organisé dans un but nationaliste, plutôt que socialiste, pourrait, comme il le disait « allumer le feu pour une conflagration européenne qui ne cesserait de brûler jusqu’à ce que le dernier trône et la dernière dette soient enterrés par le bûcher funéraire du dernier chef de guerre capitaliste» (8).
De manière à faire pression sur l’IRB, et à travers eux sur les Irish Volunteers, pour qu’ils se mettent en action, Connolly était prêt à faire des concessions politiques qu’il n’aurait jamais pu faire à aucun autre moment de sa vie. Il a bien fait de travailler côte à côte avec les nationalistes en opposition à la guerre, comme il le fit dans la Irish Neutrality League. En se joignant à eux sur des dossiers spécifiques, il était aussi nécessaire, comme Connelly l’avait fait au cours de sa vie, de maintenir une indépendance politique et organisationnelle. Connolly n’a jamais abandonné ses idéaux socialistes, mais, à certaines occasions, en ne les mettant pas de l’avant, il fit en sorte que ses idées se mélangèrent avec celles des nationalistes. Ce fut alors le drapeau vert de l’indépendance, non le drapeau rouge du socialisme, ni même son Starry Plough (9), qui flotta sur Liberty Hall, le quartier général de l’ITGWU.
Les conditions pour un soulèvement réussi n’existaient pas en 1916. De ce point de vue, le soulèvement était prématuré et condamné à l’échec dès le départ. Connolly était conscient de ce fait. Quand, le matin du soulèvement de Pâques, son collègue depuis longtemps, William O’Brien, le croisa dans les marches du Liberty Hall et lui demanda s’il y avait une seule chance de succès, la réponse de Connolly fut « aucune, peu importe ».
Pour Connolly, le but de cet acte était d’en faire un acte militaire de défiance. Heureusement, les répercussions de celui-ci à travers les autres nations d’Europe encouragèrent la classe ouvrière d’autres pays à se soulever. Le fait qu’il n’ait pas vraiment tenté de se servir de sa position à la tête de l’ITGWU pour préparer la classe ouvrière à soutenir le soulèvement démontre qu’il n’était que trop conscient qu’il n’y avait pas de large sentiment de support pour ce qu’il s’apprêtait à faire. Il ne fit aucun appel à la grève générale pour paralyser le mouvement des troupes et des munitions. Pendant le soulèvement en tant que tel, il ne fit aucun appel aux troupes britanniques pour qu’elles refusent de combattre sur une base de classe.
Laissant de côté la question de savoir s’il était correct ou non d’agir à ce moment, la manière dont Connolly participa fut aussi mauvaise. Dans son empressement pour que le soulèvement aille de l’avant, il accepta de participer selon les termes des Volunteers, plutôt que selon les siens.
Il signa la Proclamation de la République irlandaise (Proclamation of the Irish Republic) qui fut lue par Pádraic Pearse, à partir des marches du GPO (10). La proclamation était un énoncé direct d’idées nationalistes et non socialistes. Il est vrai que certaines phrases se trouvent dans cette déclaration, à propos desquelles Connolly a probablement insisté, telles que : « le droit du peuple d’Irlande à la propriété de l’Irlande ». Connolly avait auparavant toujours rejeté avec vigueur l’idée de faire appel au « peuple en entier », qui comprenait les « propriétaires usuraires » et les « capitalistes menés par le profit » et il se basait sur les intérêts de la classe ouvrière.
Avant et durant le soulèvement, il ne publia pas de plateforme séparée mettant de l’avant les objectifs socialistes de la Citizen Army. De l’avoir fait n’aurait pas été un geste inutile, même dans la défaite. S’il avait lancé sa propre plateforme lançant l’appel pour une Irlande socialiste, il aurait au moins laissé une pierre de fondation pour de futurs mouvements socialistes. Il aurait aussi empêché des forces politiques et des individus qui représentent l’antithèse de tout ce pour quoi il s’est battu, de se réclamer de son héritage.
Ceux qui prirent part au combat se battirent héroïquement et tinrent bon pendant une semaine contre toute attente. Le courage de Connolly sous le feu lui gagna le respect, non seulement des hommes et des femmes de la Citizen Army, mais aussi des rangs des Volunteers et même de certains officiers britanniques.
Après le soulèvement vinrent les représailles. Les principaux leaders furent emmenés en cour martiale et exécutés. Connolly fut blessé gravement et n’était pas en état de faire face à un procès en cour martiale. Le général Maxwell, général britannique en charge, insista pour que la procédure aille de l’avant dans l’hôpital militaire. Connolly fut condamné à mort et envoyé en ambulance à la prison de Kilmainham où il fut mitraillé à l’arrivée. Il s’agissait de la revanche de la classe dirigeante britannique – appuyée par ses alliés irlandais – non pas simplement pour le soulèvement, mais aussi pour une vie de combat contre eux.
Connolly était maintenant mort, et dans sa mort, la classe ouvrière irlandaise se trouvait privée d’un leader important et remarquable. Connolly n’avait pas ressenti le besoin de former un parti révolutionnaire et discipliné et aucune trace de ses écrits n’en faisait mention. Le mouvement ne se termina pas en révolution, mais en partition du pays et en défaite.
Notre hommage à Connolly n’a pas pour objectif de faire de fausses louanges, comme celles qui vont sortir hypocritement des lèvres de l’establishment. Notre objectif était d’apprendre de ses accomplissements et de ses erreurs pour que son expérience de vie puisse aider les générations actuelles à réussir, enfin, à débarrasser le monde du capitalisme.
- Texte écrit en l’honneur du 90e anniversaire de la mort de James Connolly, publié pour la première fois dans Socialism Today, No. 100, April/May 2006. Première traduction française faite par R.H., B.P. et A.H. pour Alternative socialiste en 2015.
- Peter Hadden (1950-2010) fut membre de la section nord-irlandaise du Comité pour une Internationale Ouvrière et permanent syndical pour la Northern Ireland Public Service Alliance (NIPSA). Les notes de bas de page ont été ajoutées par le traducteur pour faciliter la compréhension du texte.
- Insurrection armée organisée par les milices républicaines contre l’occupation britannique. Les combats se sont déroulés entre le 24 avril et le 30 avril 1916. Ils furent sévèrement réprimés dans le sang.
- Theobald Wolfe Tone (1763-1798). Précurseur du républicanisme irlandais. Arrêté lors du soulèvement de 1798 contre l’Empire britannique.
- Les premiers syndicats ont été d’abord l’œuvre des ouvriers qualifiés, à mesure que l’industrialisation et la division du travail se développent apparaît une main d’œuvre non qualifiée, qui deviendra rapidement majoritaire, mais délaissée par les syndicats de métiers. En Grande-Bretagne, apparaît alors à la fin du XIXe siècle ce qu’on a appelé le New Unionism, qui consistait à syndiquer sur une base « industrielle », c’est-à-dire syndiquer l’ensemble des travailleurs d’une usine et non plus uniquement les travailleurs qualifiés.
- Pour en savoir davantage sur le lock-out de 1913 ; Joe Higgins, « The 1913 Dublin Lockout and the unions today », SocialistWorld, http://www.socialistworld.net/doc/6448
- Le Home Rule est une loi donnant une certaine autonomie politique à l’Irlande, tout en restant soumise à la couronne britannique.
- « Starting thus, Ireland may yet set the torch to a European conflagration that will not burn out until the last throne and the last capitalist bond and debenture will be shrivelled on the funeral pyre of the last war lord ». James Connolly, « Our Duty In This Crisis », Irish Worker, August 8, 1914.
- Drapeau de la Citizen Army de Connelly. La bannière, sur fond bleu ciel, représente une constellation en forme de charrue. Aujourd’hui, ce drapeau est toujours utilisé par les républicains socialistes en Irlande.
- GPO : General Post Office, quartier général des républicains.
-
Espagne : La mort annoncée du régime de “Transition”
La Catalogne, Podemos et la gauche
En Espagne, le status quo social et politique existant a toujours été condamné à être balayé par la crise. L’Espagne n’est pas un pays avec un régime politique et des institutions apparemment éternelles et immuables, mais un pays où la révolution et les soulèvements ont régulièrement et répétitivement donné le ton du changement au cours de ces derniers siècles. La constitution espagnole actuelle, l’arrangement territorial, le système de partis politiques est la Monarchie sont des produits de la « transition » des années 1970, un processus de sabotage paniqué pour en finir avec le régime de Franco tout en parant la menace de la révolution. Ce que nous voyons maintenant est le commencement de la décomposition inévitable de ce régime de « transition », souvent appelé le « régime de 78 » (en référence à la constitution de 1978).
Danny Byrne, Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO)
Sur presque tous les fronts, la crédibilité du « régime de 78 » est en loques. Ses deux principaux partis ont échoué à rassembler plus de 50% de soutien à eux deux, alors que les partis qui appellent à la « rupture » avec le régime (en particulier Podemos) sont en progrès constants. Sa monarchie est en crise, comme le montre l’abdication paniquée de Juan Carlos et son remplacement par Philippe VI. Le peuple catalan réclame un référendum sur l’indépendance, avec une majorité pour la séparation dans les sondages.
Aucune de ces contradictions fondamentales qui ont toujours été la plaie du capitalisme espagnol n’ont été résolues par la « Transition ». Elles ont été à peine masquées, et sont à nouveau dévoilées sous nos yeux. La crise actuelle offre cependant une nouvelle opportunité à la classe ouvrière et aux opprimés de faire ce qu’ils ont essayé de faire et ont tragiquement échoué à la fois pendant les années 1930 et 1970 : surmonter de façon permanente ces contradictions par un changement révolutionnaire.
Catalogne: Plébiscite suspendu, puis annulé
Suite à la courte victoire du « Non » dans le référendum pour l’Indépendance de l’Écosse, les principaux membres du gouvernement du PP ont admis leur soulagement. Les travailleurs et les jeunes ont failli marquer un dangereux précédent, que les Catalans et les Basques seraient plus que prêts à suivre. Rajoy et ses amis – soutenus sans conditions par le PSOE, ex-social-démocrate – se sont rassurés en se disant que les Catalans n’auraient pas la chance de créer une telle agitation. Il ne devait pas être question pour eux de voter. Des millions de Catalans sont descendus en rue pendant 3 ans d’affilée en faveur de l’indépendance, dernièrement le 11 septembre.
Les choses sont devenues critiques fin septembre. Plus de 80% des membres du parlement catalan ont voté une loi autorisant l’appel à un plébiscite Catalan (il ne s’agit donc pas d’un référendum contraignant) sur l’indépendance. Le président Catalan, Artur Mas, a ensuite signé un décret y appelant, pour le 9 novembre. Rajoy et son cabinet ont convoqué une réunion d’urgence et, de manière prévisible, ont appelé le Tribunal Constitutionnel à interdire le plébiscite, ce qu’ils ont fait quelques heures plus tard.
L’interdiction du plébiscite par le gouvernement central n’a surpris personne, et était en fait annoncée des moins à l’avance. La constitution de 1978 a été conçue pour bannir le droit à l’auto-détermination. La question-clé pour ceux qui sont déterminés à exercer le droit de décider (en fait, le droit à l’auto-détermination) est : comment construire un mouvement capable de briser les limites « légales » du régime de 1978 ?
Aucune confiance pour les partis capitalistes dans la lutte pour l’auto-détermination
L’action du gouvernement Catalan d’Artur Mas (parti CiU) ces derniers jours a partiellement répondu à cette question, dans le sens qu’il est maintenant très clair que ce parti ne va jamais construire ni diriger un tel mouvement. La capitulation et la résiliation de CiU était aussi inéluctable que l’interdiction du plébiscite par le PP. Socialismo Revolucionario (SR, section-soeur du PSL dans l’Etat espagnol) l’avait expliqué clairement à plusieurs reprise depuis que le projet de plébiscite avait été annoncé.
Il semblerait que le gouvernement Catalan va maintenant essayer de sauver la face en remplaçant le plébiscite prévu par un plébiscite « officieux » organisé par des volontaires, qui ne sera pas contraignant. Cela est largement perçu comme une trahison.
CiU (une coalition de 2 partis, dont l’un est ouvertement contre l’indépendance) est le parti traditionnel de la classe des hommes d’affaires nationaliste Catalane. Avant son tournant vers le mouvement pro-indépendance, il était le colleur d’affiches des gouvernements d’austérité en Espagne, et s’est engagé dans de nombreux pactes avec le PP pour soutenir la casse des services publics et des droits sociaux. Faut-il s’étonner qu’un tel parti ne veuille pas aller jusqu’au bout et s’opposer à la légalité du régime de 1978 ? Après tout, ses prédécesseurs faisaient partie de ceux qui ont signé et étaient d’accord avec cette même constitution espagnole qui interdit les référendums.
ERC (Gauche Républicaine, un parti social-démocrate pro-indépendance) d’un autre côté met en avant une position apparemment plus combative et est maintenant devant CiU dans les sondages. Ils appellent abstraitement à la « désobéissance », et même à la déclaration d’indépendance unilatérale par le gouvernement Catalan. Cependant, ils n’ont pas proposé d’étapes concrètes pour traduire la rhétorique en action. En pratique, ils ne sont pas allés au-delà des propositions timides de CiU d’Artur Mas, dont ils maintiennent le gouvernement minoritaire au pouvoir. ERC n’est pas non plus étranger à l’austérité et sa position pro-indépendance radicale est relativement récente.
La tendance des partis pro-capitalistes à refuser de lutter contre le capitalisme espagnol n’est pas seulement une question de détermination ou de fibre morale ; elle reflète des contradictions de classe. Le milieu des affaires et les riches Catalans ne voient pas de futur viable au-delà des limites du capitaliste espagnol, dans lequel ils sont intégrés. Seule la classe ouvrière majoritaire – et les couches intermédiaires dévastées de la société Catalane – a intérêt à lutter pour les pleins droits démocratiques et nationaux. Par conséquent, la classe ouvrière doit prendre la direction de la lutte.
La classe des travailleurs doit prendre la direction du mouvement
Comme le disait la déclaration de SR suite à l’annulation : « une déclaration d’indépendance de la part du parlement semble très radicale et militante, mais si elle n’est pas accompagnée d’un processus de mobilisation de masse des travailleurs et des pauvres pour la réaliser, elle représenterait seulement de la phraséologie. Dans ce processus, nous avons vu beaucoup de déclarations parlementaires radicales, mais très peu dans la voie d’un réel changement ».
« Si nous voulons nous opposer au Tribunal Constitutionnel et au PP, nous ne pouvons nous baser que sur notre propre pouvoir, le pouvoir de la classe ouvrière, des 99% mobilisés et organisés. Les organisations ouvrières, les mouvements sociaux, EuiA (Izquierda Unida en Catalogne), le CUP (les nationalistes de gauche), Podemos et les syndicats devraient former un front uni et commencer une campagne de mobilisations – dans la rue et les lieux de travail – pour s’opposer au Tribunal Constitutionnel.
« l’idée d’un front uni « national » avec les partis de l’austérité capitaliste devrait être immédiatement abandonnée par la gauche. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un front uni des 99%, armés d’une alternative politique, et d’un plan pour lutter pour le mettre en œuvre. L’allié clé des travailleurs Catalans dans cette lutte ne peut pas être le capital catalan, mais les travailleurs du reste de l’État espagnol, unis dans la lutte pour une solution socialiste internationaliste à la misère de la crise capitaliste.
La seule solution authentique à cette question requiert un mouvement uni des travailleurs et des jeunes de tout l’État espagnol, avec la lutte pour l’auto-détermination et le socialisme imprimée sur sa bannière, au sein d’une lutte internationale pour une nouvelle société.
Le système des deux partis en crise
La décomposition du régime de 1978 se reflète aussi dans la crise historique de son système de deux partis. Durant les années de boom économique et de stabilité, le PP et le PSOE ex-social-démocratique ont joui d’un soutien combiné de plus de 80%. Au élections européennes de mai, ils n’ont pas atteint 50% à eux deux. Depuis, les sondages ont même situé leur soutien total à un peu plus de 40%. C’est peut-être la plus inquiétante des crises auxquels le capitalisme fait actuellement face.
L’alternance de pouvoir de ces deux partis a été un outil-clé pour le maintien de la classe ouvrière sous sa domination politique durant la période historique depuis les années 1970. Peu importe à quel point un de ses partis se faisait haïr, l’autre prenait la relève. Cependant, cette stabilité appartient au passé. Si les élections avaient lieu demain, aucun de ces partis ne serait près de former son propre gouvernement – ils pourraient même devoir gouverner ensemble dans une « grande coalition. C’est en raison de cette nouvelle incertitude et de cette menace à l’hégémonie politique capitaliste que Podemos, le nouveau parti lancé juste avant les élections européennes, représente un tel casse-tête pour la classe ouvrière aujourd’hui.
D’où vient ’Podemos’?
L’énorme déconnexion entre les masses et le système biparti s’est d’abord exprimé d’une façon explosive en mai 2011, avec le mouvement « Indignados ». 4 ans plus tard, Podemos a surgi sur scène en tant qu’expression politique de cette déconnexion. Il combine un programme similaire à celui de Gauche Unie (Izquierda Unida) avec une dénonciation virulente de « la casta », la « caste » politique qui domine tous les partis dominants, qui servent tous les mêmes intérêts. Mais comment Podemos a-t-il grandi si rapidement, si on prend en compte l’existence et la croissance jusqu’ici prometteuse d’Izquierda Unida ?
Avec la nouvelle période ouverte par le mouvement Indignados, les partis de gauche alternatifs, en particulier IU, avaient une opportunité en or de traduire cela en la construction d’une alternative politique révolutionnaire de masse. Le CIO et SR l’ont souligné de nombreuses fois que cela serait possible uniquement sur base d’une « refondation », en rompant avec les pratiques passées qui ont associé Izquierda Unida au régime de 78 aux yeux de millions de gens.
Cela signifiait ouvrir ses structures, mettre en place la démocratie des Indignados et des mouvements sociaux basée sur les assemblées – qui en réalité reflétait les meilleures traditions du mouvement ouvrier et communiste espagnol. Cela signifiait aussi rompre avec la politique de coalition et défendre un défi de gauche indépendant à l’establishment et au système politiques.
Tout en n’ayant pas un programme à gauche de Izquierda Unida , Podemos n’a aucun de ses « bagages ». Tout en n’ayant pas germé organiquement du mouvement des Indignados, Podemos parle son langage, et lui a donné une expression politique, qui en elle-même représente un pas en avant par rapport au sentiment « anti-parti » qui a marqué ces manifestations. Il est organisé sur base de « cercles » et « d’assemblées citoyennes », ce qui fait écho aux revendications de plus de participation démocratique directe, présentes dans toutes les luttes les plus importantes ces dernières années en Espagne.
Débat sur les structures démocratiques
Cependant, les propositions de la direction de Podemos sur la façon d’organiser ne satisfont pas la revendication de structures réellement démocratiques, et ont provoqué des débats et divergences importantes. 3 des 5 parlementaires de Podemos ont soutenu une proposition alternative à celle de Pablo Iglesias, le principal fondateur et dirigeant de Podemos, sur ses structures. Sa proposition contient l’élection directe du secrétaire général tous les 3 ans, qui nommerait personnellement un exécutif, que l’assemblée ne ferait que ratifier ou approuver automatiquement. Il ne donnerait aucun rôle concret aux « cercles » de Podemos (les sections/assemblées de Podemos) dans les prises de décisions, avec des référendums en ligne comme substitut.
Cette proposition tient plus de l’approche « de bas en haut » que du discours « par en-bas » qui attire les masses vers Podemos. La clé pour un Podemos « par en-bas » vraiment démocratique est la construction d’une masse de membres actifs, et le rôle des « cercles » démocratiques qui fonctionne comme un contrôle démocratique sur une direction collective élue et révocable.
Encore plus inquiétant, Iglesias et son cercle dirigeant proposent de bannir les membres d’autres organisations et partis politiques de toute position ou responsabilité dans Podemos. Alors que les membres des partis des patrons ne peuvent pas être autorisés à participer, ceux impliqués dans Podemos qui appartiennent aux partis ou tendances impliquées dans la lutte contre l’austérité et le système biparti doivent avoir le droit démocratique d’organiser et de participer à Podemos, tout en défendant leur propre point de vue.
« Ni de droite ni de gauche ? » Nécessité d’un programme socialiste révolutionnaire
L’approche audacieuse de Podemos, « Nous sommes là pour gagner », est aussi une bouffée d’air frais pour ceux qui sont malades du manque d’ambition montré par ces dirigeants d’ Izquierda Unida, dont l’ambition est de servir de partenaires minoritaires aux gouvernements du PSOE. La question est de savoir comment un mouvement peut être construit pour vraiment gagner, changer le gouvernement et le système. C’est la question-clé qui doit être débattue à la fois dans Podemos, Izquierda Unida et partout ailleurs.
La perspective d’un gouvernement dirigé par Podemos gagne de l’élan dans la société espagnole. Podemos a atteint plus de 20% dans beaucoup de sondages, menaçant à la fois PP et le PSOE. Le soutien total de Podemos, Izquierda Unida et des autres forces de gauche dans les sondages monte jusqu’à 30%. C’est un développement extrêmement important, mettant à portée de la classe ouvrière et des jeunes la perspective d’un gouvernement pour retourner la situation.
Cependant – de la même façon que pour Syriza en Grève – comme Podemos est monté dans les sondages, il subit une pression inévitable pour « modérer » ses perspectives et sa politique, à laquelle ses dirigeant on malheureusement concédé. Ils ont assuré aux médias que leurs intentions « n’étaient pas de rompre avec le capitalisme » dans le gouvernement, et ont expliqué que ce mouvement « n’est ni de gauche ni de droite ». Le ton auparavant radical des dirigeants sur le paiement de la dette a été aténué, remplacé par un message « responsable », que la dette doit être payée, mais d’abord « auditée et ré-négociée » avec la Troïka. Le récent pillage de l’Argentine par les créditeurs-vautours – plus de 10 ans après sa « restructuration modèle » de la dette – montre les limites de cette politique et ses conséquences désastreuses.
Le programme de Podemos, avec celui d’ Izquierda Unida et des autres forces de gauche, inclut des revendications et politiques-clé comme l’interdiction des expulsions et la garantie du droit à un revenu, que les socialistes révolutionnaires soutiennent et pour lesquelles ils luttent sans hésitations. Cependant, dans le contexte de la crise actuelle et des recettes d’austérité imposées par l’UE, un gouvernement élu sur un tel programme n’aurait pas de marge de manœuvre pour le mettre en œuvre, dans le carcan d’austérité de la Troïka. Il serait forcé de choisir entre ces politiques et son appartenance à l’euro-zone, et menacé de l’Armageddon, de la fuite des capitaux etc.
On ne peut répondre à ce chantage que sur base d’une politique socialiste révolutionnaire. La nationalisation sous contrôle démocratique des banques et l’imposition d’un monopole d’État sur le commerce étranger pourrait prévenir la fuite des capitaux et permettre le non-paiement de la dette pour investir des dizaines de milliards dans le financement d’une réelle relance des emplois et des conditions de vie. L’imposition d’un plan de production basé sur la propriété publique démocratique des principales industries pourrait ramener des millions de personnes au travail avec des conditions et un salaire décents. Cela pourrait être un flambeau pour les travailleurs de toute l’Europe – en particulier le Sud et l’Irlande. Ces derniers pourraient entrer en lutte et poser les bases d’une confédération alternative socialiste en Europe.
La propagation de ces idées révolutionnaires par la gauche, les mouvements sociaux et du mouvement des travailleurs en Espagne est la tâche fondamentale des révolutionnaires aujourd’hui. Socialismo Revolucionario (CIO en Espagne) lutte pour remplir cette tâche, dans IU, Podemos, et au-delà. Un front uni de ces organisations, organisées dans des assemblées sur les lieux de travail et dans les communautés, armées d’un programme socialiste, pourrait ouvrir la voie à une lutte pour un gouvernement des travailleurs. Cela poserait les fondations d’une nouvelle démocratie socialiste qui émergerait des cendres du régime pourri de 78. Si cette voie était adoptée, alors rien ne pourrait arrêter la révolution espagnole.
-
[DOSSIER] A propos du référendum écossais sur l’indépendance
Même si le “Non” a gagné, le référendum sur l’indépendance a complètement bouleversé la vie politique au Royaume-Uni. La campagne pour le “Oui” s’est changée en une mobilisation de masse dans les quartiers ouvriers : contre l’austérité et contre la politique bourgeoise corrompue, et pour un avenir positif. Il s’agit d’un point tournant, ce qui soulève d’importantes questions pour les socialistes.Analyse par Peter Taaffe, secrétaire général du Socialist Party (CIO–Angleterre et Pays de Galles)
Le référendum pour l’indépendance en Écosse a été remarquable à de nombreux égards : l’énorme politisation et l’intense polarisation de classe, plus le fait que les masses commencent à intervenir de manière active dans la vie politique, surtout du côté des couches les plus opprimées de la classe des travailleurs, qui cherchent maintenant à reprendre son avenir en main, là où la politique était jusqu’ici au Royaume-Uni considérée comme la chasse gardée de l’élite auto-proclamée qui domine ce qu’elle appelle le “débat politique”.
Vu le déclenchement des passions qu’il a suscité, ce référendum a complètement chamboulé le paysage politique du Royaume-Uni : « Plus rien ne sera comme avant », ont même concédé plusieurs analystes bourgeois. Plus remarquable encore, ce référendum aura également d’importantes conséquences sur la vie politique dans d’autres pays. L’Écosse, ce petit pays (5 millions d’habitants, 80 000 km²) doté d’une importante histoire de résistance ouvrière, fait à présent vaciller l’Europe et le monde dans leurs fondements.
Les dirigeants mondiaux, de Barack Obama à Xi Jinping en passant par le pape François, se sont réunis pour appeler de tous leurs vœux au rejet de l’indépendance pour l’Écosse. La classe dirigeante britannique qui régnait naguère sur un quart de la population mondiale, a été si terrifiée de cette potentielle atteinte à son prestige et à sa réputation mondiale, qu’elle a déversé des seaux entiers de calomnies et d’injures contre le mouvement indépendantiste. « Le monde entier dit “Non” à l’indépendance de l’Écosse », s’écriait Phillip Stephens dans le Financial Times. Quelques jours avant la date du référendum, le même magazine décrivait bien l’effroi qui régnait parmi les capitalistes : « L’élite dirigeante tremble d’effroi tandis que l’Union vacille […] Offensive majeure des patrons contre le “Oui” […] 90 % des patrons sont contre le “Oui” »
Surprise, surprise, le Fonds Monétaire International (FMI) a lui aussi été recruté dans ce front anti-indépendance, prophétisant des « risques de récession sur les marchés ». Alan Greenspan, ex-président de la banque centrale américaine – aux affaires au moment de la plus grande catastrophe économique et financière de l’histoire après la crise des années ’30 et que l’on n’avait plus vu depuis un bon moment – est tout à coup réapparu pour dire que « Voter “Oui” serait une grave erreur économique pour l’Écosse et une catastrophe géopolitique pour l’Occident ». Et si l’Écosse avait réellement voté pour l’indépendance, elle aurait été punie : « Les Écossais découvriront le véritable gout de l’austérité », grondait déjà le Financial Times.
Pourquoi toute cette hystérie de la part des poncifs du capitalisme, toute cette exagération, au vu du peu d’importance que représente somme toute l’Écosse ? L’explication se trouve non pas en Écosse, mais à l’étranger, lorsqu’on voit l’écho formidable qu’ont suscité les évènements écossais parmi les masses d’Europe et du monde entier, lorsque tant de pays sont eux-mêmes confrontés à leurs propres crises nationales. Vu le bouillonnement parmi les masses catalanes échaudées, Mariano Rajoy, Premier ministre espagnol, a tout naturellement perçu l’indépendance de l’Écosse comme un « désastre » qui ne ferait « qu’aggraver la crise économique en Europe et qui mènerait sans doute à la désintégration de l’Union européenne ».
En réalité, ce que craignent les dirigeants espagnols, c’est la « balkanisation » de l’Espagne (pour reprendre leurs termes), c’est-à-dire l’auto-détermination et l’indépendance du peuple catalan, puis du peuple basque. Le mouvement catalan a été grandement revigoré par le simple fait qu’un référendum se passe en Écosse. « Comment Cameron a-t-il pu se faire piéger comme ça ? », grommèlent les dirigeants bourgeois dans toute l’Europe. En Espagne, les Catalans et autres nationalités réclament à présent leur propre référendum – ce que les gouvernements refusent catégoriquement. Pendant ce temps, en Italie, c’est l’effervescence dans le Haut Adige / Sud-Tyrol, dont la population de langue majoritairement allemande réclame elle aussi le droit à l’auto-détermination, tandis que la Ligue du Nord (parti de droite nationaliste) redouble aussi d’activité en vue d’obtenir l’indépendance pour l’Italie du Nord.
Les marxistes et la question nationale
Ces exemples qui illustrent l’impact international de l’intense débat écossais autour de l’indépendance montrent qu’il n’y a en fait pratiquement aucun pays aujourd’hui dont la question nationale ne risque à présent d’exploser à tout moment. Depuis le début de la crise économique mondiale, la question nationale est revenue en force dans des régions ou des pays où cette question semblait avoir pourtant été résolue depuis longtemps.
Cela signifie que le mouvement syndical, et en particulier pour les militants qui se disent socialistes ou marxistes, ne peut simplement ignorer cette question comme si de rien n’était. Il nous faut nous positionner, mais ce faisant, il est nécessaire d’éviter de tomber dans le piège de l’opportunisme (en se laissant entrainer par le nationalisme capitaliste ou bourgeois), tout en évitant également une approche propagandiste abstraite et vide qui ne nous permettra jamais d’entrer en lien avec le mouvement réel de la classe des travailleurs, et certainement pas avec ses couches les plus opprimées.
Tout au long des quarante dernières années, les forces du marxisme rassemblées dans le groupe Militant qui est ensuite devenu le Socialist Party (sections du Comité pour une Internationale Ouvrière au Royaume-Uni) ont systématiquement soutenu les aspirations légitimes du peuple écossais dans le cadre de la question nationale. Alors que les dirigeants syndicaux (pas seulement l’aile droite mais aussi la “gauche” du style Neil Kinnock) s’opposaient même au transfert de compétences très limité donné à l’Écosse dans les années ’70, nous avons soutenu cette avancée. Nous n’avons cependant jamais entretenu la moindre illusion dans le fait que l’indépendance serait la “solution finale” à tous les problèmes de la population écossaise.
En même temps que nous défendons le droit à l’auto-détermination du peuple écossais, nous n’avons jamais appelé à la balkanisation de pays composés de différents groupes ethniques. Il est absurde d’imaginer qu’un pays seul, surtout s’il s’agit d’un petit pays, puisse dans le monde actuel prospérer et résoudre tous ses problèmes en se coupant du reste du monde. Dans ce monde mondialisé, il est impossible de faire cela seul. Les efforts consentis par les capitalistes européens en vue de l’“unité”, consacrés par l’Union européenne, expriment justement cette nécessité pour les forces productives – la science, la technique, l’organisation du travail – d’une organisation à échelle continentale, voire mondiale.
Mais les capitalistes ne pourront jamais totalement dépasser les limites posées par la propriété privée des moyens de production et par l’existence des États-nations. La seule force capable de réaliser cette unité est la classe des travailleurs, dans le cadre d’une lutte unie pour des États-Unis socialistes d’Europe.
Par conséquent, tout en luttant pour une Écosse indépendante et socialiste, nos camarades de la section écossaise du CIO appellent à la création d’une confédération socialiste d’Écosse, d’Angleterre, du pays de Galles et de l’Irlande unie, en même temps qu’à une Europe socialiste. Il est arrivé dans le passé que nous nous soyons déclarés contre l’indépendance de l’Écosse en tant que revendication immédiate, surtout en tant que slogan. C’est parce qu’à ce moment, l’indépendance n’avait pas le soutien d’une part assez importante de la population. Dans ce cas, le fait par exemple pour notre section anglaise d’appeler à l’“auto-détermination”, voire à l’indépendance de l’Écosse, c’est-à-dire, à la séparation, aurait pu être interprété par de nombreux travailleurs écossais comme signifiant que nous, travailleurs anglais, qui constituons la majorité, ne désirons plus vivre avec eux, travailleurs écossais, dans le cadre d’un État uni. Cependant, une fois que l’idée d’indépendance s’est emparée des cœurs des masses, gagnant le soutien de la majorité ou du moins, d’une importante minorité, nous étions face à une situation complètement différente.
La direction du mouvement en Écosse est claire depuis longtemps. L’élection du Parti national écossais (SNP) en tant que parti majoritaire du parlement écossais a été perçu comme une étape importante sur la route vers l’“indépendance”, surtout pour les couches les plus dynamiques des travailleurs qui sont montés au créneau dans le cadre de la campagne pour le référendum. Une part importante de la jeunesse (entre 40 et 50 %) était déjà conquise à l’idée de l’indépendance depuis avant même qu’on ne commence à parler de référendum. La tâche des marxistes est d’apporter un soutien à ce mouvement de manière générale, tout en cherchant à lui donner un contenu socialiste. Nous avons fait cela en soulignant à chaque fois les contradictions (c’est un euphémisme) du SNP qui veut rester dans le cadre du capitalisme, ce qui signifie que la plupart des revendications sociales qui ont poussé les gens à voter “Oui” n’auraient jamais pu être réalisées. Au contraire, le futur de l’Écosse n’aurait été rien d’autre qu’une austérité sauvage, à moins que les travailleurs écossais n’utilisent les pouvoirs conférés par l’indépendance pour rompre avec le capitalisme.
Les erreurs commises par la gauche
“Expulsons les conservateurs”La campagne pour le “Oui” a été l’occasion rêvée pour contre-carrer les plans du capitalisme britannique faits d’attaques systématiques contre la classe des travailleurs. C’est pourquoi les pancartes pour le “Oui” déclaraient « Chassons les Tories [les conservateurs] du pouvoir, à jamais ». Hélas, l’indépendance n’aurait pas eu en soi ce résultat de manière automatique, vu que l’Écosse aurait alors hérité d’un gouvernement SNP qui se dit contre l’austérité mais qui la mène en pratique, avec des coupes budgétaires et un soutien aux grandes entreprises. Mais le slogan anti-Tory montre bien quels sentiments de classe se trouvaient derrière le vote en faveur de l’indépendance.
Considérant ceci, nous trouvons incroyable que des militants se réclamant de la gauche, tels que George Galloway, se soient si farouchement opposés à l’indépendance, partageant la même plateforme que les Tories, les libéraux-démocrates, et qu’un Ed Miliband [dirigeant du parti travailliste] en perte rapide de crédibilité. Malgré le rôle héroïque joué par George Galloway dans le passé en opposition à la guerre d’Irak et malgré sa défense continue des idées du socialisme, celui-ci s’est vu hué par une grande partie des lycéens qui étaient venus participer à un débat pour des étudiants de 16 ans. Mais il n’était pas le seul dans ce cas, surtout lorsqu’il s’est mis à déclarer que « Ce serait la fin de l’austérité » et qu’on aurait un « Gouvernement travailliste qui reviendrait aux valeurs de 1945 » d’ici 2015.
En effet, le Parti communiste britannique (CPB), lié au journal Morning Star, s’est lui aussi retrouvé du mauvais côté de la barrière. Sa position était : « Le vote pour le “Non” au référendum doit constituer un tremplin pour la mobilisation du mouvement des travailleurs dans tout le Royaume-Uni afin de réclamer un changement constitutionnel » (Déclaration sur l’indépendance de l’Écosse, 4 mars 2014). Comment réaliser cette mobilisation tout en s’opposant aux aspirations de la masse des travailleurs écossais, cela reste un mystère. Et quelles étaient les raisons du CPB pour s’opposer au “Oui” ? « Le fait qu’elle soit membre de la zone sterling subordonne l’Écosse à la politique néolibérale actuelle, sans aucun pouvoir pour la modifier, ce qui ôte en même temps toute possibilité d’une action ouvrière unie à travers les différentes nations du Royaume-Uni […] Pire, le fait que l’Écosse serait toujours membre de l’Union européenne forcerait l’Écosse à incorporer dans sa constitution les termes du Traité de stabilité, coordination et gouvernance (TSCG) de 2012 ».
Mais pourquoi cela découlerait-il de l’indépendance ? Puisque tout de même, dans le cadre d’une Écosse indépendante, les travailleurs auraient surement la possibilité de refuser l’entrée dans l’Union européenne ? Le CPB semble hypnotisé par le fait que l’Écosse fasse partie de la zone sterling, tout comme de l’UE. Mais même sans cela, le fait d’appartenir de l’un ou l’autre de ces blocs n’a tout de même jamais empêché les travailleurs ni du Royaume-Uni, ni de l’Europe, de résister aux patrons et de s’opposer aux lois anti-syndicales et anti-sociales ?
L’argument sous-entendu ici est que le fait de soutenir l’indépendance de l’Écosse diviserait automatiquement les travailleurs. Pourtant, il est possible de soutenir l’indépendance tout en se battant pour les travailleurs et pour leur unification. C’est ce qu’on fait Karl Marx et Vladimir Lénine il y a déjà plus d’un siècle de cela. D’ailleurs, le mouvement marxiste a toujours été impliqué dans des luttes nationales, depuis l’époque de Marx lui-même. Par exemple, Marx soutenait de manière générale l’idée d’un État uni. Pourtant, Engels et lui ont toujours obstinément appelé à l’indépendance de l’Irlande. Selon Marx, la question d’une fédération libre de la Grande-Bretagne et de l’Irlande ne pourrait se poser dans le cadre d’un débat libre qu’une fois l’indépendance obtenue pour l’Irlande.
Lénine a approfondi cette approche lorsqu’il enseignait aux travailleurs de Russie à défendre le droit à l’auto-détermination des nations opprimées par le tsarisme. Pour Lénine, ce n’est qu’en défendant le droit à la liberté de ces nations que les travailleurs russes pourraient gagner leur confiance. En leur offrant après indépendance la possibilité de s’unifier à la Russie dans le cadre de républiques socialistes et démocratiques, ses nations ne se retrouveraient donc pas dans l’isolement, mais dans le cadre d’une alliance fraternelle et librement choisie avec les masses de Russie. La validité de cette approche a été brillamment démontrée par le cours de la révolution russe. Les bolchéviks ont reconnu le droit à l’auto-détermination jusqu’à l’indépendance, et s’y sont tenus : c’est ainsi que la Finlande a acquis son indépendance en 1918.
Les arguments du CPB et d’autres petites organisations de gauche, y compris certains soi-disant “marxistes”, ne font que reprendre les arguments de Rosa Luxemburg, qui s’opposait à l’idée d’auto-détermination prônée par Lénine et les bolchéviks, de même qu’à leur idée de redistribuer la terre aux paysans après leur prise du pouvoir en 1917. Elle considérait ces revendications comme représentant un pas en arrière. Au contraire, les bolchéviks sont parvenus à unifier la classe des travailleurs parce qu’ils s’opposaient au nationalisme bourgeois – tout comme le Comité pour une Internationale ouvrière (CIO) le fait dans le cadre de la question écossaise.
Lénine expliquait que, parfois, il est possible de faire un pas en arrière afin de faire deux pas en avant. Lorsque la terre est redistribuée aux paysans, c’est pour pouvoir gagner la confiance des paysans, qui ne pourraient être convaincus de la nécessité d’organiser l’agriculture à grande échelle qu’au cours d’une longue période et seulement avec leur consentement. C’est la même chose en ce qui concerne la question nationale et l’auto-détermination : elle permet aux nations opprimées d’obtenir satisfaction de leurs propres revendications, de faire l’expérience dans la pratique du fait que l’union est nécessaire afin de rassembler les forces productives à une plus grande échelle, ce qui mène à une confédération volontaire.
Le CIO est la seule organisation qui maintient une position cohérente sur la question nationale, que ce soit au Royaume-Uni ou dans le reste du monde. Le Socialist Workers Party (SWP), par exemple, lorsqu’on parlait du transfert de compétences à l’Écosse dans les années ’70, disait que : « Si un référendum est un jour organisé en Écosse ou au pays de Galles, nous nous abstiendrons. Cela ne signifie pas que nous ne participerons pas au débat […] Notre abstention nous définira par rapport au reste de la gauche qui battra en retraite apeurée par ce nouveau réformisme, tout en nous permettant de ne pas être assimilés au camp nationaliste, britannique, unioniste » (La Question nationale, septembre 1977). Cette politique a pourtant été abandonnée depuis, sans aucune explication.
Le problème des référendums
Il est vrai que la forme qu’a revêtu la lutte pour l’indépendance dans ce cas n’a pas été une forme idéale. Les référendums ne sont pas l’arme préférée de la classe des travailleurs et de ses organisations. Les référendums sont par contre souvent utilisés par les dictatures et les régimes non démocratiques afin de renforcer leur position, en présentant à la population un choix simple : “Oui” ou “Non”. Le mouvement ouvrier et notamment les forces socialistes se voient parfois contraints de participer au référendum dans le même camp que des forces bourgeoises ou pro bourgeoisie, allant jusqu’à partager une même plateforme, entrainant le risque politique que ces organisations de gauche ne parviennent pas à faire passer leur message ou leur programme à travers celui des autres forces.
Les référendums peuvent aussi constituer un piège pour les forces véritablement socialistes si au cours de la campagne ces forces ne se différencient pas clairement du point de vue politique, en termes de perspectives et de programme, de leurs “alliés” nationalistes du jour. Cela ne veut pas dire que nous devons directement attaquer les autres forces qui partagent notre camp pour le référendum. Parfois, il suffit d’expliquer notre point de vue, ce qui est assez pour que les travailleurs comprennent la différence entre nous et les nationalistes. Avec assez d’habileté, notre public, surtout les travailleurs, tirera de lui-même les conclusions politiques qui conviennent. Cependant, dans d’autres occasions, il pourrait s’avérer nécessaire de nous différencier de manière nette en termes de programme et de perspectives par rapport, par exemple, aux nationalistes bourgeois ou petit-bourgeois – comme le SNP – ou au nationalisme de gauche.
Les forces du CIO, qui ont participé à la campagne du référendum écossais, ne sont pas tombées dans le piège qui consistait à renforcer le SNP. Tout en soutenant énergiquement la campagne pour le “Oui”, le Socialist Party Scotland (SPS, section écossaise du CIO) a pris part à une magnifique campagne indépendante, orientée vers la classe des travailleurs, qui est parvenue à attirer des milliers et des milliers de travailleurs écossais enthousiastes dans le cadre de débats et meetings avec Tommy Sheridan et des figures publiques membres du SPS. Même Rupert Murdoch, le grand patron de la presse et ennemi juré de Tommy, a reconnu cela lors d’une déclaration où il se plaignait que les “gauchos” étaient trop visibles dans la campagne pour le “Oui”.
De plus, notre position a été détaillée en détail dans notre programme pour une Écosse indépendante, ce qui contrastait avec les perspectives fausses des nationalistes qui se contentaient de dépeindre un avenir rose bonbon pour l’Écosse dans le cadre du système capitaliste. Le SNP dans le passé se basait sur l’exemple de nombreux pays capitalistes “nordiques” afin d’étayer sa position : l’Irlande, l’Islande, la Suède, la Norvège,… Pourtant tous ces pays aujourd’hui ne sont plus que le témoignage des conséquences dévastatrices de la crise économique mondiale. Le référendum a indiqué un rejet massif de l’austérité, qu’elle soit imposée par Westminster ou par Edinbourg (c’est-à-dire, qu’elle vienne de l’Angleterre ou de l’Écosse). L’analyse démographique du vote a bien montré que la classe des travailleurs, surtout dans les zones où vivent ses couches les plus miséreuses et les plus opprimées, dans les quartiers ouvriers de Glasgow, de Dundee, dans le West Dunbartonshire et le North Lanarkshire, a massivement voté pour le “Oui” à l’indépendance, de même qu’une immense majorité de 16-17 ans.Les manœuvres des Tories
S’il fallait un jour donner un exemple de ce genre de “nationalisme” qui, selon les mots de Trotsky, reflète « l’épiderme d’un bolchévisme qui n’a pas encore muri », alors ce vote considérable de la classe des travailleurs écossais constitue un cas d’école. Dans les esprits des masses, l’idée de l’“indépendance” était organiquement liée à l’idée d’une indépendance totale vis-à-vis de ceux qui ont imposé dans le passé la capitation (“poll tax”), la taxe du logement, la persécution des handicapés et des malades, etc.
Ce sentiment est toujours là. Deux semaines avant le référendum, David Cameron, certain de sa défaite à venir, se préparait déjà à la fin de sa carrière politique. Même les autres Tories réclamaient sa tête. Si l’Écosse avait voté pour le “Oui”, Cameron aurait vu son propre parti lui donner un “Non” retentissant ! Mais en cours de route, une campagne de terreur massive est parvenue à rallier la grande majorité de la classe moyenne et des “sans avis” et à les forcer à voter “Non” – grandement aidée en cela par l’intervention cruciale de la direction du Parti travailliste, notamment par Gordon Brown, qui a à cette fin fait usage de tout le capital politique dont il pouvait encore disposer.
La campagne féroce pour le “Non” a eu un effet au dernier moment. Le journaliste Matthew d’Ancona écrivait dans le Sunday Telegraph : « Le sondage réalisé après le référendum par Lord Ashcroft a révélé que 19 % de ceux qui ont voté pour le “Non” ont pris cette décision il y a moins d’un mois – ce qui montre bien le résultat de la campagne frénétique lancée par le camp unioniste au cours de cette période ».Cependant, ce résultat a créé presque autant de problèmes pour la classe dirigeante britannique que l’indépendance aurait pu en causer. Cameron, en vrai joueur comme à son habitude, a annoncé, quelques heures après l’annonce du résultat officiel, qu’il honorerait sa promesse de donner plus de pouvoirs au parlement écossais en termes de taxes et de budget social. Mais il a ajouté que « De nouveaux pouvoirs pour les Écossais doivent être contrebalancés par de nouveaux pouvoirs pour les Anglais ».
Cela constitue donc une menace pour dire que, si l’Écosse n’est pas d’accord là-dessus, alors elle n’obtiendra pas non plus les nouvelles compétences qu’on lui avait “promises”. Toutefois, ce serait vraiment “jouer avec le feu” en Écosse, comme l’a averti le désormais ex-dirigeant du SNP, Alex Salmond. Cameron n’a en réalité pas le choix que de faire des concessions, s’il ne veut pas se retrouver avec une révolte encore pire que celle qu’il vient de voir au cours du référendum. Sa proposition vise clairement à attiser le nationalisme anglais, au vu des élections nationales qui seront organisées dans quelques mois, avec en plus l’avantage, dans son esprit, de damer le pion au parti Ukip (Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, droite nationaliste) et de déstabiliser Miliband et son Parti travailliste.
Cette proposition ne va sans doute pas se réaliser avant les prochaines élections. Cependant, il est épatant de voir à présent l’ensemble des Tories qui passent à la télévision – que ce soit Cameron, Heseltine, Hague, etc. – réclamer, au nom d’une “plus grande démocratie”, que les 59 députés écossais (dont 41 travaillistes) n’aient plus le droit de voter au parlement sur des affaires “spécifiquement anglaises”.
Leur raisonnement est que, si Miliband gagne les élections en mai l’an prochain, il ne sera pas capable de mettre en œuvre son programme parce que les députés écossais ne pourront pas voter concernant des enjeux cruciaux – ce débat ne date pas d’hier, il constitue au Royaume-Uni ce qu’on appelle la “question du West Lothian”. Malgré cela, Will Hutton faisait remarquer dans The Observer que : « La commission McKay sur la décentralisation des compétences a noté que depuis 1914, il n’y a eu que deux périodes pendant lesquelles le parti au pouvoir n’avait pas en même temps la majorité au parlement : 1964-1966, et mars-octobre 1974. De plus, selon les recherches du portail citoyen mySociety, sur 5000 votes au parlement depuis 1997, seuls 21 ont vu leur résultat final dépendre des voix des députés écossais ».
La proposition de décentralisation a été signée non seulement par les cadres tories, mais aussi par Nick Clegg des libéraux-démocrates. Cela inclut “plus de compétences” pour les grandes villes et régions. Le but est clairement de conférer plus de pouvoirs aux maires dictatoriaux et antidémocratiques tels que Boris Johnson, le maire de Londres, afin qu’ils puissent mener leur propre politique antisociale brutale, comme l’offensive contre les guichets de vente de tickets qui est en train de se dérouler en ce moment dans le métro de Londres.
En réalité, les conseillers communaux n’ont que très peu de pouvoir de contrôle sur les décisions des maires et des échevins. Cette proposition de centralisation a pour objectif évident de permettre à ces seconds couteaux d’organiser leurs propres coupes budgétaires à l’échelle locale. Tout cela fait partie d’un programme général d’attaque sur le niveau de vie de la classe des travailleurs. Nous devons nous y opposer de manière intransigeante avec nos propres contre-propositions émanant du mouvement syndical. Il faut abolir le règne des maires et des collèges échevinaux au niveau local, pour revenir à une véritable démocratie et à des conseillers communaux soumis au contrôle de leurs électeurs.
Des occasions à saisir
Cameron est sorti vivant du référendum, mais il s’est quand même pris une belle raclée. Il est temps à présent d’en finir avec l’ensemble de cette bande de Tories et avec tous les politiciens capitalistes qui menacent d’entrainer les travailleurs toujours plus loin dans le gouffre. L’Écosse a démontré que la classe des travailleurs est plus que mure pour une alternative politique conséquente. Les évènements qui ont entouré le référendum, surtout parmi la classe des travailleurs, révèlent le potentiel pour un mouvement du type du “Podemos” espagnol. En Espagne, ce nouveau mouvement radical (dont le nom signifie “On peut”) a surgi de nulle part, et en à peine six semaines, a engrangé 1,2 millions de voix pour les élections européennes. Le même potentiel existe à présent en Écosse si Tommy Sheridan, en alliance avec les marxistes et d’autres forces de gauche ou ouvrières comme les syndicats, surtout les plus radicaux tels que le RMT (syndicat du rail, de la marine et des transports), décide de se lancer et de créer une alternative socialiste radicale capable d’attirer tous les travailleurs et les jeunes qui ont été si inspirés par la campagne pour l’indépendance.
Malheureusement, au lieu de prendre des mesures énergiques pour la fondation d’un nouveau parti des travailleurs, Tommy dit maintenant : « Je suggère que le mouvement pour “Oui” promeuve à présent l’unité en soutenant le candidat pro-indépendance qui a le plus de chances de remporter les élections générales de mai de l’an prochain. Cela veut dire appeler à voter pour le SNP afin de tenter de déloger autant de partisans du “Non” que possible ».
Cette déclaration a été faite sans aucune consultation – pour autant que nous en sachions – avec ceux qui ont été ses plus proches collaborateurs et partisans au cours de la campagne retentissante “Espoir contre peur”. C’est notre message socialiste, combiné à un soutien inflexible pour l’indépendance, qui a attiré des milliers de travailleurs qui restent profondément opposés et prudents par rapport au SNP. Tommy nous suggère maintenant d’abandonner les leçons qui ont été tirées de cette campagne. Selon lui, la classe des travailleurs devrait à présent s’aligner derrière le SNP, malgré le fait que ce parti ait appliqué la politique d’austérité et est prêt à poursuivre sur cette ligne, même avant les élections de 2015.
Si nous acceptions la suggestion de Tommy, cela voudrait dire que des milliers de socialistes se retrouveraient à soutenir un programme d’austérité, en reléguant à nouveau notre programme socialiste à “plus tard”, au nom de l‘“intérêt national”. Qu’est-ce donc que cela, si ce n’est une répétition lamentable de 1918 en Irlande lorsque, après l’indépendance, les nationalistes irlandais ont déclaré que “le socialisme attendra”, et que les dirigeants syndicaux lâches comme Thomas Johnson ont accepté cela ? Les travaillistes irlandais ont alors laissé le champ libre aux nationalistes et au Sinn Fein, avec des conséquences désastreuses pour la classe des travailleurs.
Tommy dit aussi : « Nous devons insister sur le fait que tous les candidats pro-indépendance aux élections écossaises de 2016 exigent un nouveau référendum en mars 2020 ». Vraiment ! Pourquoi attendre quatre ans avant d’organiser un référendum ? D’ailleurs, au cas où le camp pro-indépendance constituerait la majorité au parlement écossais, pourquoi passer par l’étape du référendum ? Mais dans ce cas, le référendum pourrait être organisé immédiatement et avec un score écrasant pour le “Oui”.
Mais il nous faut rejeter ces propositions pour d’autres raisons encore. Tommy dit que : « L’union, c’est la force. Il ne faut pas que nos différences puissent affaiblir notre combat ». Mais cela ne peut s’appliquer entre des partis pro-travailleurs et des partis pro-capitalistes comme le SNP, qui vont inévitablement trahir les aspirations de ceux qu’ils auront pu duper en les convaincant de voter pour eux. Si cette alliance était mise en œuvre, elle aurait pour effet de saboter l’indépendance de la classe des travailleurs écossais et leur capacité à résister à l’offensive qui sera lancée sur eux par les capitalistes du monde entier.
La lutte autour du référendum a démontré ce que peut obtenir une campagne socialiste indépendante. Il nous faut poursuivre sur cette lancée. C’est là la véritable leçon du référendum écossais. L’idée que l’indépendance de l’Écosse est « enterrée jusqu’à la prochaine génération », comme le dit Salmond, est fausse. Le génie est sorti de sa bouteille, la revendication d’une Écosse indépendante et socialiste ne va à présent que gagner en intensité, au fur et à mesure que la crise du capitalisme va s’aggraver, provoquant une révolte de masse.
-
Pourquoi soutenir l’indépendance de l’Ecosse et s’opposer à la N-VA ?
Référendum & révolte contre la politique d’austérité
“Expulsons les conservateurs”Malgré l’énorme campagne d’intimidation menée par tout l’establishment britannique, que ce soit par les grandes entreprises et leurs marionnettes politiques ou par les médias dominants, 1,6 million d’Ecossais ont voté ce 18 septembre pour l’indépendance. Chez nous aussi, nombreux sont ceux qui ressentent une grande sympathie pour la révolte écossaise contre la politique d’austérité. Beaucoup de questions restent toutefois en suspens. Cet appel à l’indépendance de l’Ecosse n’est-il pas similaire à la surenchère communautaire connue en Belgique ? Nous avons demandé d’y répondre à Anja Deschoemacker, notre spécialiste de la question nationale.
Article tiré de l’édition d’octobre de Lutte Socialiste
Pouvons-nous comparer le large sentiment indépendantiste en Ecosse au nationalisme de la N-VA & Co ?
Anja: “Non. Même la N-VA reconnaît qu’en ce moment il n’existe aucun soutien à l’indépendance en Flandre. Tout sondage sérieux montrent que seule une minorité soutient cette idée (de l’ordre de 15 à 20%), alors que 45% des électeurs ont voté pour l’indépendance au référendum écossais.
“Mais au-delà de ces chiffres, la différence qualitative du soutien est remarquable. En Ecosse, des mobilisations de centaines de milliers de personnes ont été organisées en faveur de l’indépendance. Les meetings organisés sur cette question attirent systématiquement un grand public. Trouver une personne indifférente à cette question n’est pas évident. En Flandre, la masse de la population soupire d’exaspération quand les gesticulations communautaires recommencent. Les sondages montrent un soutien pour plus de compétences régionales, certes, mais le nombre de personnes réellement mobilisées autour de ce thème reste fortement limité.
“En Ecosse, lorsqu’on demande aux gens pourquoi ils soutiennent l’indépendance, on entend presque toujours le nom de Margaret Thatcher. Lorsqu’elle fut Premier ministre britannique, l’Ecosse connaissait une majorité travailliste, c’est-à-dire favorable à une politique plus ancrée à gauche. En ce sens, le cas écossais est plus comparable à la Wallonie qu’à la Flandre, à la différence qu’après la désindustrialisation, l’Ecosse est aujourd’hui économiquement en meilleure forme grâce au développement des secteurs énergétiques et financiers.
“Le soutien à la N-VA est un soutien à une politique économique plus à droite que la politique belge traditionnelle. En Ecosse, la volonté d’indépendance va dans le sens contraire. Le ‘‘Oui’’ à l’indépendance était d’ailleurs beaucoup plus fort dans les quartiers ouvriers, là où la volonté de se séparer de la Grande-Bretagne est plus fortement liée à la résistance contre l’austérité.
“Comme le Socialist Party Scotland (parti-frère écossais du PSL) le disait début septembre : ‘‘De plus en plus de gens mènent activement la campagne pour le ‘‘Oui’’ et les meetings publics sont particulièrement grands. Cela contraste fortement avec les élections précédentes, où la participation et l’enthousiasme étaient faibles. Aujourd’hui, la victoire du ‘‘Oui’’ est une possibilité réaliste qui représente pour beaucoup de gens l’opportunité de changer leurs conditions de vie, et ce pour la première fois de leur vie. (…) La principale raison qui explique pourquoi la campagne pour le “Non” a encore une avance doit être cherchée dans le doute légitime quant à ce qu’une Ecosse indépendante et capitaliste signifierait pour la population. Les promesses du SNP [Scottish National Party, parti nationaliste pro-capitaliste, NDLR] se limitent à des baisses d’impôts pour les grandes entreprises sans remettre en cause l’austérité. C’est un grand obstacle pour le ‘‘Oui’’. (…) La très large participation aux meetings défendant une indépendance anticapitaliste et socialiste illustre que le soutien va grandissant pour ceux qui considèrent que l’opportunité de l’indépendance doit être saisie pour stopper l’austérité en plaçant les secteurs clés de l’économie (comme l’énergie et la finance) dans les mains de la collectivité.”

Anja Deschoemacker “En Flandre les choses sont différentes. C’est essentiellement parmi les petits patrons que l’on trouve des appels à ‘‘plus de Flandre’’. Dans la classe des
travailleurs l’option d’une unité nationale autour de la défense de la sécurité sociale est bien plus forte. De nombreux affiliés des syndicats ont cependant voté pour la N-VA pour exprimer leur mécontentement envers les partis traditionnels, par sentiment anti-establishment. Même si certains travailleurs entretiennent des illusions sur les possibilités d’amélioration de leurs conditions de vie dans le cas où la Flandre ‘‘n’aurait plus à payer pour la Wallonie’’, ils sont loin de sortir dans la rue pour le crier. Par contre, la classe des travailleurs occupera les rues massivement – et nationalement – si le gouvernement fédéral impose le programme violemment antisocial tel que décrit dans la note des formateurs.’’N’est-il pas contradictoire que les militants du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO, dont le PSL est la section belge) s’opposent au nationalisme en Belgique (tant le nationalisme flamand que le régionalisme wallon) alors qu’ils ont activement soutenu la campagne pour le ‘‘Oui’’ en Ecosse ?
“Non. Les socialistes révolutionnaires – de Marx à Lénine en passant par Trotsky et par le CIO aujourd’hui – n’ont jamais élaboré de formule unique concernant la question nationale : chaque question nationale est différente.
“Le point central de notre analyse est la question de l’unité des travailleurs contre la politique d’austérité et le capitalisme. Quand un sentiment d’oppression nationale est présent et que l’opposition se développe au sein de la classe des travailleurs, comme cela s’est produit en Ecosse, cette unité ne peut être assurée que s’il y a dans le mouvement des travailleurs un respect des aspirations nationales. De véritables socialistes n’imposent jamais l’unité nationale, c’est une question de démocratie. Mais nous sommes favorables à des structures bien plus grandes, créées sur base volontaire, plutôt que pour de nombreuses petites nations et groupes régionaux.
“Un autre élément central – évidemment lié au premier – est la question du soutien aux organisations et partis qui défendent un nationalisme bourgeois, comme la N-VA flamande, le SNP écossais, le CIU catalan ou encore l’OLP palestinienne. Les défenseurs des idées du socialisme n’offrent jamais de soutien au nationalisme bourgeois. A la suite, entre autres, du dirigeant marxiste irlandais James Connoly, nous expliquons qu’un Etat indépendant sous la direction de la bourgeoisie nationale ne signifie pour la grande majorité de la population que le remplacement du patron étranger par un patron autochtone alors que l’économie reste soumise à l’économie capitaliste mondiale. Une liberté nationale authentique n’est possible que sur base socialiste, ce qui vaut également pour la réconciliation nationale. Le capitalisme agitera toujours les différences et les contradictions présentes parmi la grande majorité de la population afin de la diviser et d’assurer que le pouvoir reste aux mains de la classe capitaliste.
“En Ecosse, nos camarades du Socialist Party Scotland défendent une Ecosse indépendante et socialiste. Les compétences nationales doivent être utilisées pour répondre aux besoins de la majorité, ce qui implique d’exiger la nationalisation sous contrôle démocratique des secteurs clés de l’économie. Cela constituerait un exemple pour la classe des travailleurs ailleurs en Grande-Bretagne. Cette lutte doit d’ailleurs y être menée – à partir d’une résistance commune contre la politique d’austérité – dans le but de parvenir à une confédération volontaire de l’Ecosse, de l’Angleterre, du Pays de Galles et de l’Irlande du Nord et du Sud sur une base socialiste, en tant que pas vers une confédération volontaire et socialiste européenne aux antipodes de l’Europe capitaliste actuelle.
“En Ecosse de larges couches de la population trouvent cette approche attractive. Cela a été illustré par le grand intérêt suscité par la campagne de notre parti-frère écossais et de Tommy Sheridan ‘‘Hope over Fear’’. Les divers meetings tenus dans les villes et villages ont attiré plus de 20.000 personnes!”
Et la question nationale en Belgique ?
“En Flandre la situation est entièrement différente. Le discours nationaliste flamand est quasi unilatéralement de droite et bourgeois, sans aucun sentiment que l’indépendance flamande offrirait aux travailleurs l’opportunité de radicalement changer de politique pour mettre fin à l’austérité. Au contraire, la N-VA, totalement dominante, veut même approfondir l’application de la logique antisociale des partis traditionnels.“La question peut être différente si le sentiment d’une oppression par la Flandre grandit en Wallonie, particulièrement avec un gouvernement fédéral ‘‘kamikaze’’ qui n’a le soutien que de 23% des francophones. Dans le cas où surviennent de grandes défaites pour la lutte et que la démoralisation des travailleurs est forte, un sentiment national similaire à celui actuellement présent en Ecosse pourrait se développer sur base de l’idée qu’une autre politique ne pourrait être menée qu’en rejetant le joug de l’Etat national existant. Dans ce cas, le PSL mènerait une discussion sérieuse et approfondie pour savoir dans quelle mesure soutenir cette logique. Ce n’est de toute manière en aucune façon le cas du discours nationaliste flamand dominant, basé sur l’égoïsme économique et l’illusion que la Flandre pourrait mieux s’en sortir sans la Wallonie.
“En ce moment, ce dont nous avons besoin, c’est d’une lutte nationale contre l’austérité. L’unité de la classe des travailleurs est cruciale pour obtenir des victoires et nous pensons que la grande majorité du mouvement des travailleurs en est consciente. Nous devons assurer que les conflits communautaires entre partis bourgeois flamands et N-VA d’un côté et le PS et le CDH de l’autre ne créent pas d’obstacles pour l’unité des travailleurs. Loin de nier la question nationale – comme beaucoup d’autres le font à la gauche – nous devons y consacrer une grande attention. Nous devons aussi comprendre que le programme à défendre face à la question nationale change en fonction de la situation: ils sont toujours concrets, non pas abstraits ni figés pour l’éternité.”
-
Ecosse : 1.6 million de votes pour le ‘‘Oui’’ sur fond de révolte anti-austérité
Dans le contexte d’une féroce campagne menée par l’establishment capitaliste britannique, la campagne pour l’indépendance de l’Ecosse a reçu le soutien de plus de 1,6 million de personnes – avec une écrasante majorité de la classe ouvrière – soit 45% des votes exprimés. Le ‘‘Non’’ l’a finalement emporté avec 55%. Selon l’institut de sondage YouGov, le soutien à l’indépendance s’élevait à 24% en janvier 2014, ce qui signifie qu’il a augmenté de 21% en neuf mois à peine, à mesure que des centaines de milliers de travailleurs rejoignaient le camp du ‘‘Oui’’ à la recherche d’un changement fondamental anti-austérité.
Par Philip Stott, Socialist Party Scotland (CIO-Ecosse)
Les 10 jours précédant la tenue de ce référendum, la menace d’une victoire du ‘‘Oui’’ était bien réelle, et l’establishment capitaliste a tremblé jusque dans ses fondements. Malgré tout, la combinaison de promesses paniquées pour une plus grande décentralisation des pouvoirs et le déchaînement de la campagne pro-”Non” soutenue par les grandes entreprises, les médias capitalistes et les partis conservateur, travailliste et libéral-démocrate pour sauvegarder leurs intérêts de classe a permis au camp du ”Non” d’obtenir une majorité.
Mais le fait que tellement de jeunes et de travailleurs aient refusé de se laisser intimider et ont voté ‘‘Oui’’ reflète le désir qui existait parmi les victimes de l’austérité d’utiliser ce référendum comme une arme pour riposter contre l’establishment politique capitaliste.
La charge d’intimidation destinée aux partisans du ‘‘Oui’’ et orchestrée par le parti travailliste et la presse patronal fut grotesque. Le ‘‘Projet de la Peur’’ (Project Fear, surnom de la campagne pour le ‘‘Non’’) était une réelle campagne d’intimidation qui a accompagné l’austérité sauvage qui, tous les jours, détruit plus encore le quotidien de la classe des travailleurs et des collectivités locales. L’héritage immédiat de cette intervention brutale de la part de la classe capitaliste est une radicalisation de la classe ouvrière écossaise. Cette dernière a pu voir jusqu’où l’élite capitaliste est prête à aller pour défendre ses intérêts.
Le sentiment présent de façon écrasante parmi les partisans du ‘‘Oui’’ est naturellement la déception, mais aussi la compréhension que la lutte contre l’austérité et pour un nouvel avenir politique pour l’Ecosse doit poursuivre sa voie. L’élan qui a été donné par ce référendum doit maintenant être maintenu et intensifié. Nombreux sont ceux parmi les travailleurs en colère énergisés par cette campagne qui peuvent être gagnés aux idées du socialisme et à celle de la nécessité de la construction d’un nouveau parti de masse de la classe ouvrière en Écosse. Il est crucial que les défenseurs des idées du socialisme et les syndicalistes tournent leur attention vers la création d’une nouvelle force politique de la classe ouvrière.
Un texte envoyé par un jeune de 22 ans d’East Kilbride au Socialist Party Scotland juste après le résultat du référendum expliquait notamment : ‘‘Je suis déçu du résultat, mais cela m’a aidé à avoir les idées plus claires. Je vous écrit pour demander à rejoindre votre parti. Je suis à 100% derrière le Socialist Party.’’
Une grande participation
3,6 millions de personnes ont participé au référendum, soit un taux de participation de 85%, qui a battu tous les records. Le taux de participation dans les quartiers ouvriers est sans précédent. Dans les logements sociaux d’Ecosse, il atteint les 70% et même plus. Il faut comparer à cela le taux de participation aux élections municipales qui est de 25 ou 30%. Des centaines de milliers de travailleurs ont voté ‘‘Oui’’, en considérant ce vote comme une échappatoire à l’austérité brutale et comme une expression de leur opposition à l’élite politique capitaliste. Les bastions ouvriers, dont les plus grandes villes d’Ecosse (Glasgow, Dundee, North Lanarkshire et West Dunbartonshire), ont voté ‘‘Oui’’. Les communautés ouvrières dans les villes et villages à travers le pays ont aussi connu une majorité de ‘‘Oui’’. Mais certains travailleurs ont également voté ‘‘Non’’, beaucoup à contrecœur, face au tsunami de menaces et de chantage lancé par les grandes entreprises et les médias, qui affirmaient que les entreprises iraient s’installer en Angleterre et que les travailleurs seraient perdants avec l’indépendance.
Les médias ont été massivement hostiles à l’indépendance. Un seul journal écossais, l’édition dominicale du Herald, a soutenu le ‘‘Oui’’. La BBC a provoqué l’indignation et a clairement été considérée comme une arme aux mains des grandes entreprises. L’échec des dirigeants du SNP (Scottish National Party) pour répondre aux attaques, leur manière de souligner leur volonté de réduire les taxes pour les grandes entreprises et leurs déclarations quant à la recherche d’une union monétaire qui aurait piégé l’Ecosse indépendante dans l’austérité ont laissé toute la propagande du ‘‘Projet de la Peur’’ largement sans réponse.
Le manque de confiance de la direction SNP pour une Ecosse indépendante a constitué un autre facteur clé dans le résultat. Toutes ses propositions reposaient sur la continuation du capitalisme et pas sur la fin de l’austérité. Le manque de confiance d’Alex Salmond et du SNP a continuellement été mis en lumière au cours de la campagne. Un sondage a dévoilé que la plupart des gens estimaient que leur situation économique serait pire sous une Ecosse indépendante dirigée par le SNP.
Construire un nouveau parti
Si un parti de masse des travailleurs avait existé, il aurait pu mobiliser beaucoup plus de soutien pour un ‘‘Oui’’ basé sur une claire politique anti-austérité, pour la propriété publique des grands moyens de production, pour l’instauration d’un salaire décent pour tous, etc. Cela aurait signifié de défendre une Ecosse socialiste au service de la population et pas des millionnaires.
La participation et l’enthousiasme qui ont accompagné la tournée de Tommy Sheridan et la campagne ”L’Espoir contre la peur’’, dans laquelle le Socialist Party Scotland a joué un rôle de premier plan, a souligné ce potentiel. Il est urgent d’œuvrer dès à présent à la construction d’un nouveau parti de masse des travailleurs afin d’offrir une expression politique à la classe ouvrière. Tout retard fait craindre le danger que des occasions soient perdues au bénéfice du SNP, un parti pro-capitaliste. Même le parti travailliste, en dépit de ses nombreuses trahisons, pourrait gagner un certain soutien électoral à court terme aux prochaines élections pour le parlement de Westminster, à Londres, l’an prochain, alors que sera posée la question de la fin du gouvernement conservateur.
L’exemple de l’Espagne et de la percée de Podemos aux dernières élections européennes, une initiative sortie de nulle part et ayant réussi à gagner des millions de votes, illustre ce qui est possible à réaliser. L’autorité construite à travers la tournée ‘‘L’Espoir contre la peur’’ signifie que Tommy Sheridan – aux côtés de militants véritablement socialistes, de syndicalistes du RMT (syndicat des transports) et d’autres – pourrait aider à lancer un nouveau parti qui pourrait rapidement se construire.
Tout comme le Socialist Party Scotland l’avait prévu, ce référendum a été utilisé comme une arme par un très grand nombre de travailleurs afin de protester contre l’élite politique et contre l’austérité. Le caractère de classe de ce vote était très marqué.
Les zones les plus riches de la classe moyenne et les zones rurales ont clairement voté pour le ‘‘Non’’, tout comme une majorité des plus de 55 ans. Le taux de participation a été élevé à travers l’Ecosse, mais ses plus hauts résultats ont été vus dans la classe moyenne et dans les zones rurales, fortement mobilisées pour tenter d’assurer la défaite du ‘‘Oui’’. Ce fut même le cas dans des zones où le SNP a ses bases traditionnelles de soutien.
Une victoire médiocre
Le résultat du référendum est finalement une victoire bien fade pour la classe capitaliste et l’élite politique. Il marque le début d’une situation nouvelle et instable pour le capitalisme britannique. Concéder plus de pouvoirs à l’Écosse est désormais chose incontournable. Des exigences similaires vont se développer pour le Pays de Galles et l’Irlande du Nord, tout comme la volonté des formes de décentralisation en Angleterre.
Le Premier ministre conservateur David Cameron a déclaré quelques heures après le résultat qu’un nouvel accord constitutionnel devait arriver avec ‘‘des députés anglais se prononçant sur des lois anglaises.’’ Comme on a pu l’entendre à la BBC : ‘‘Ce qui a commencé comme un vote sur une Écosse indépendante ou non s’est terminé par une extraordinaire révolution constitutionnelle annoncée aux portes de Downing Street par le Premier ministre.’’
Mais la question de l’indépendance de l’Ecosse n’est pas ‘‘réglée pour une génération’’ comme l’a pourtant déclaré David Cameron. Un autre référendum sera réclamé. Particulièrement après les élections de 2015, tous les principaux partis, y compris le parti travailliste, poursuivrons l’application de l’austérité.
Le parti travailliste a perdu la classe ouvrière
Plus important encore, ce référendum a exposé l’érosion du soutien pour les principaux partis pro-capitalistes, et en particulier le parti travailliste écossais. Les conservateurs et les libéraux-démocrates sont presque une espèce disparue en Ecosse. La base électorale travailliste parmi la classe ouvrière a été ébranlée par l’activité du parti en tant que principal soutien pour le ‘‘Projet de la Peur’’ et de par sa collaboration avec les conservateurs. Comme un travailleur des soins de santé nous l’a dit ; ‘‘Les travaillistes ont sauvé l’Union, mais ils ont perdu la classe ouvrière.’’ Le dirigeant du Parti travailliste en Ecosse, Johann Lamont, a décrit ce vote comme une ‘‘victoire’’. Mais l’ancienne base ouvrière des travaillistes a été décimée et elle ne leur pardonnera pas le rôle qu’ils ont joué.
Les étroites limites de la direction du SNP ont été exposées au grand jour. Le potentiel pour un nouveau parti de masse des travailleurs en Ecosse a énormément grandit au cours de cette campagne. Des mesures urgentes et concrètes doivent être prises pour capitaliser sur ce point dans les semaines à venir. Il y aura à la fois déception et colère parmi la classe ouvrière à l’issue de ce résultat. Des manifestations sont susceptibles d’avoir lieu dans les prochains jours.
Le sentiment qu’il faut s’en prendre aux médias, aux grandes entreprises et à l’establishment politique augmentera ne fera que croître. Il n’existe aucune chance que l’énorme radicalisation qui a pris place au cours de ce référendum soit dissipée. Il faut construire sur cette base.
Le Socialist Party Scotland déclare :• Pas un penny de plus pour que l’austérité de Westminster soit instaurée en Écosse par un gouvernement SNP ou travailliste ou encore dans les conseils municipaux SNP. Nous voulons des budgets qui défendent l’emploi et les services publics.
• Construisons un mouvement de masse de grèves, de manifestations et d’actions de protestation de masse contre l’austérité. Les syndicats doivent lancer une grève coordonnée à travers l’Écosse et la Grande-Bretagne.
• Pour un nouveau parti de masse des travailleurs pour offrir une alternative combative au 1.6 million de personnes qui ont défié le Projet Peur.
• Rejoignez le Socialist Party Scotland et luttez pour le socialisme ! -
Écosse : Un référendum qui pourrait ébranler le capitalisme britannique
« Au cours des quatre dernières semaines, le soutien à l’Union a perdu du terrain à un rythme stupéfiant. La campagne pour le “Oui” à l’indépendance n’a pas seulement entamé le territoire du “Non” : il s’agit en fait d’une véritable invasion. » – Peter Kellner, de l’agence YouGov
Par Philip Stott, Socialist party Scotland (CIO-Ecosse)
L’Écosse votera pour ou contre son indépendance du Royaume-Uni au cours d’un référendum historique le 18 septembre prochain. C’est la première fois depuis le début de la campagne pour le référendum qu’un sondage d’opinion fait ressortir une majorité en faveur du “Oui” – à présent de 51 % contre 49 % de “Non” (c’est-à-dire, pour maintenir l’Écosse en tant que partie prenante du Royaume-Uni). La publication le 6 septembre des résultats de ce sondage, réalisé par l’agence YouGov pour le compte du journal The Sunday Times, a plongé la caste politique capitaliste britannique dans la panique la plus totale.
Quelques heures à peine après cette révélation, George Osborne (ministre des Finances, membre du parti LibDem) a annoncé que les trois partis Tories, Labour et LibDem s’étaient mis d’accord sur un “plan d’action” afin de donner « plus de pouvoirs à l’Écosse, en termes de taxation, de budget, et de sécurité sociale ». La peur est telle parmi les partisans du “Non” qu’ils ont décidé de réaliser cette ultime concession même après que 500 000 personnes aient déjà envoyé leurs votes par la poste.
Une erreur monumentale
Tout cela est encore plus amusant si l’on se rappelle que la direction du Parti national écossais (SNP, démocrates bourgeois pro-indépendance) avait en 2012 proposé un référendum à choix multiple, qui aurait inclus la possibilité de demander plus de pouvoirs pour l’Écosse – en organisant un grand transfert de compétences. Cette proposition a été refusée par le Labour et par les partis conservateur et libéraux-démocrate qui, dans leur arrogance, s’imaginaient pouvoir infliger une défaite décisive au SNP et par là-même étouffer toute velléité future d’indépendance, en organisant à la place un simple référendum « Pour ou contre l’indépendance » – tant ils étaient convaincus que personne ne choisirait la séparation d’avec le Royaume-Uni. Il s’agit bien entendu d’une erreur monumentale de leur part : les voilà à présent pris à leur propre piège.
Comme le répétait d’ailleurs l’analyste et conseiller politique Andrew Rawnsley dans les pages de l’Observer la semaine passée : « Si les gens avaient pu faire ce choix, je suis sûr qu’ils auraient voté en masse pour la proposition d’un transfert massif de compétences. De ceci, je tire cette conclusion : si l’Écosse vote en faveur de l’indépendance et donc, de la fin du Royaume-Uni, nous allons bientôt voir toute une génération de politiciens londoniens rédiger leurs mémoires après leur démission, dans lesquelles ils s’efforceront d’expliquer comment ils ont pu à tel point fermer leurs yeux sur la catastrophes, puis être si lents à réagir à la crise. »
Quand bien même le “Non” l’emporterait jeudi prochain, il est clair que l’Écosse recevra forcément de nouveaux pouvoirs de la part de Londres afin d’éviter que la population ne réclame un nouveau référendum pour l’indépendance dans quelques années, comme ç’avait été le cas au Québec dans les années ’90.
Une révolte contre l’élite politique
Nous voyons donc à présent la possibilité d’obtenir une majorité de votes pour l’indépendance. Il ne fait aucun doute qu’il y a une très forte tendance au “Oui”, surtout dans les quartiers et villes ouvrières d’Écosse. Comme le Socialist Party Scotland (CIO – Écosse) l’a expliqué à de nombreuses reprises, des centaines de milliers de gens considèrent ce référendum comme une manière de se venger des riches politiciens qui mènent une politique d’austérité au bénéfice des grandes entreprises.
Le sondage YouGov a d’ailleurs bien mis cet élément en évidence. Au cours des quatre dernières semaines, le soutien au “Oui” est passé de 18 % à 35 % parmi les électeurs du Labour, la parti travailliste. Pour les jeunes de moins de 40 ans, ce soutien est passé de 39 % à 60 % ; pour les électeurs issus d’un milieu ouvrier, le soutien est passé de 41 % à 56 %. Parmi tous ces électeurs, on remarque que les femmes sont de plus en plus nombreuses à soutenir le “Oui” – leur soutien est passé de 33 % à 47 % au cours des quatre dernières semaines.
La possibilité d’une victoire du “Oui” est perçue par de nombreux travailleurs comme une arme pour frapper l’élite politique anglaise tant détestée – cette même élite qui est responsable des coupes dans les budgets sociaux, du gel des salaires et des coupes brutales dans les services publics. La campagne pré-référendum s’est donc changée en une révolte massive de la part des victimes de l’austérité contre leur ennemi de classe.
Car aujourd’hui, en l’absence de toute action de masse organisée par les syndicats contre les coupes budgétaires – malgré l’insistance du Socialist Party, qui réclame de telles actions en tant que stratégie pour battre l’austérité –, le référendum pour l’indépendance est devenu une sorte de substitut à la lutte de classe, reflétant l’immense colère et l’énorme désir de changement social et économique.Une participation massive
Au fur et à mesure que la date cruciale approche, des milliers de gens font la file devant les mairies partout en Écosse afin de s’assurer qu’ils seront bien inscrits pour le vote. On estime que 300 000 personnes se sont déjà inscrites rien que sur les deux derniers mois. On s’attend à avoir un taux de participation d’une ampleur jamais vue, à plus de 80 %.
L’héritage du thatchérisme, avec ses taxes iniques, la répression de la grève des mineurs, le chômage de masse et la destruction des services publics commis par le parti Tories dans les années ’80 et aujourd’hui – tout cela s’amalgame dans le vote pour le “Oui”. Partout où l’on va et où nos militants discutent avec la population, on entend les gens dire « C’est notre tour à présent ». Le capitalisme britannique est en train de payer le prix de ses crimes passés et présents.
Le rejet de l’élite politique
Les dirigeants du Labour, qui promettent s’ils sont élus de continuer la même politique d’austérité que celle qui est menée par les Tories à présent, sont tout autant détestés que le gouvernement. Lors de chaque assemblée ou meeting que nous organisons, on entend s’exprimer une vive colère et un profond dégout envers Ed Milliband, Alistair Darling et Tony Blair (dirigeants présents et passés du Labour). Cela se retrouve également dans les résultats des sondages : parmi la population, 61 % de gens ne font pas confiance à Alistair Darling (membre du Labour, l’ancien ministre des Finances de Gordon Brown, qui est aussi porte-parole de la campagne “Vivre mieux ensemble”, contre l’indépendance) ; 67 % ne font pas confiance à Ed Milliband (le président du Labour), qui ne s’en sort qu’un tout petit mieux que David Cameron (le Premier ministre actuel, du parti Tory, les conservateurs) qui est officiellement détesté par 73 % de la population.
Mais les dirigeants du SNP (Parti national écossais) n’inspirent guère plus de confiance au peuple. 58 % des Écossais disent se méfier d’Alex Salmond, le président du SNP. La plateforme politique du SNP promet en effet de réduire les impôts pour les grandes entreprises et les multinationales et cherche à trouver un accord monétaire avec la Banque d’Angleterre qui signifiera plus d’austérité, tout en appliquant en Écosse et sans la moindre protestation la politique d’austérité qui leur est aujourd’hui dictée par les Tories. C’est pourquoi les travailleurs ne doivent pas avoir le moindre espoir envers ces politiciens “nationaux”
C’est pour cette raison, comme le Socialist Party Scotland l’avait déjà prédit il y a deux ans, qu’un énorme espace s’est ouvert à la gauche du SNP et des dirigeants de la campagne officielle pour le “Oui”. Le débat autour du référendum a suscité un vif intérêt parmi la population, et aujourd’hui, tout le monde discute de politique : si nous obtenons notre indépendance, comment allons-nous nous y prendre pour construire une Écosse faite de “Bien-être et d’égalité” ? Est-ce que cela signifie que nous allons arrêter les coupes budgétaires, obtenir de meilleurs salaires et sauver les services publics ?
C’est pourquoi nous participons à la grande tournée de Tommy Sheridan, intitulée “L’espoir malgré la peur”. Partout où nous allons, nos divers orateurs sont acclamés, ce qui est en soi une expression concrète de ce désir d’une transformation définitive de la société.Les meetings organisés dans le cadre de cette tournée sont de véritables assemblées de la classe des travailleurs, vibrant de colère et d’énergie. Tommy Sheridan y prend la parole pour condamner l’élite capitaliste, et pour rappeler que sous l’indépendance, nous pouvons en finir avec l’austérité en nationalisant le pétrole et le secteur de l’énergie, en donnant un salaire décent à tout un chacun, et en interdisant les contrats de travail à “zéro heure”. À chaque fois, il reçoit l’ovation enthousiaste du public.
Tommy Sheridan est devenu un acteur majeur dans le cadre de cette campagne, et ce n’est pas pour rien : beaucoup de gens se souviennent évidemment de son rôle de dirigeant et de militant dans la lutte de masse contre Thatcher dans les années ’80 et ’90 ; mais c’est aussi le résultat du vide immense à gauche, l’illustration du potentiel qui s’offre à nous pour la construction d’un nouveau parti combatif de la classe des travailleurs.
Aucune solution sous le capitalisme
Le Socialist Party Scotland se bat lui aussi pour les réformes et améliorations du niveau de vie de la classe des travailleurs défendues par Tommy Sheridan. Cependant, nous expliquons en plus, de la manière la plus claire possible, que si l’Écosse indépendante demeure dans le cadre du système capitaliste, alors l’austérité se poursuivra. De fait, Alex Salmond et son parti SNP se sont déjà dits prêts à poursuivre les coupes budgétaires après le référendum, quelle qu’en soit l’issue. Seule une politique véritablement socialiste nous permettra de mettre un terme à l’austérité, tel que nous le disons dans notre programme pour une Écosse socialiste que nous avons largement diffusé et présenté tout au long de la campagne.
Le point central de ce programme est la nécessité de forger l’unité de la classe des travailleurs pour riposter contre l’austérité capitaliste, pas seulement en Écosse, mais aussi en Angleterre, au Pays de Galles et en Irlande du Nord. La solidarité de classe des syndicalistes doit s’exprimer en une campagne unifiée d’action de masse, par la grève générale dans tout le Royaume-Uni : ce n’est que comme ça qu’on pourra recommencer à reprendre du terrain contre la vague de politique antisociale et de privatisations. Un autre point crucial est la nécessité de construire un nouveau parti de masse des travailleurs, qui représentera les intérêts de la majorité de la population – la classe des travailleurs.
L’idée mise en avant par beaucoup de militants de gauche, y compris Tommy, est qu’il serait possible de parvenir à une transition vers une forme de capitalisme plus juste et plus équitable. C’est ce qu’on voit aussi dans la politique de la plateforme du Common Weal (le “Bien commun”), un groupe d’intellectuels de gauche libéral ou socio-démocrate qui propose de copier le “modèle nordique” en vigueur en Norvège, au Danemark et en Suède pour obtenir cette nouvelle Écosse de l’égalité.
Nous avons répondu au Common Weal en expliquant que, vu l’ampleur de la crise économique mondiale, il n’y a aujourd’hui pas la moindre possibilité d’obtenir une amélioration durable et sur le long terme pour la classe des travailleurs dans le cadre du capitalisme actuel. Il nous faut construire un mouvement de masse des syndicats et de la classe des travailleurs au sens large afin de vaincre la politique d’austérité, mais en même temps, il faut que cette lutte soit liée à l’objectif de sortir du capitalisme en mettant en place une politique socialiste conséquente et décisive.
Si le “modèle nordique” a pu être érigé dans les pays scandinaves, c’est uniquement parce qu’après la Seconde Guerre mondiale, ces pays ont connu une situation de croissance économique sans précédent qui a permis aux politiciens socio-démocrates de procéder à une redistribution des richesses dans le cadre du capitalisme. Mais aujourd’hui, le capitalisme est à l’offensive contre l’ensemble de ces acquis sociaux gagnés par la classe des travailleurs, y compris dans les pays scandinaves où le fameux “modèle nordique” est en passe d’être démantelé.
Quelles répercussions ?
Il reste moins de dix jours avant le vote. Le résultat est très difficile à prédire, et tout peut encore changer. Les conséquences d’un vote “Oui” à l’indépendance seront dévastatrices pour l’élite capitaliste britannique, et sans précédent. Cela aura de très nombreuses répercussions et pas seulement au Royaume-Uni. Cameron pourrait se voir contraint de démissionner, le parti Tory (conservateurs) plongé dans la crise, ce qui rendrait encore plus probable le départ de toute une fraction du parti vers la nouvelle formation Ukip (Parti de l’indépendance du Royaume-Uni, droite populiste nationaliste). Comme le disait Martin Kettle, commentateur politique, ce lundi 7 septembre dans le journal The Guardian : « Ce week-end, c’est l’impensable qui a pris les rênes de la politique britannique. Tous les autres sujets ont perdu tout intérêt. Sans doute ces dix jours ne seront pas les dix jours qui ébranlèrent le monde, comme le disait John Reed dans sa chronique de la révolution russe. Mais ce seront tout de même dix jours qui vont changer notre vie à tous, qui vont ébranler les fondations de l’État britannique et stupéfier sa population ».
Afin d’éviter cette catastrophe, l’élite capitaliste tente de trouver de nouvelles concessions. D’ici jeudi prochain, il faut aussi s’attendre à une nouvelle recrudescence de la part de la campagne d’intimidation anti-indépendance. La reine d’Angleterre s’est déjà déclarée « horrifiée » par le résultat des derniers sondages et « inquiète » pour sa position constitutionnelle en cas de victoire du “Oui”. L’intervention militaire britannique en Syrie ou en Irak qui devrait être lancée le même jour, le jeudi 18 septembre, pourrait également avoir un impact sur le vote. Nous allons également nous retrouver submergés par une nouvelle vague de propagande quant à l’effondrement certain de l’économie et des finances écossaises en cas d’indépendance.
Le Labour se retrouverait lui aussi plongé dans la crise en cas d’une victoire du “Oui”. Comme l’analyse Paul Mason : « Si, le matin du 19 septembre, nous nous réveillons pour apprendre que l’indépendance l’a emporté, le choc parmi l’élite sera terrible. Le Labour sera encore plus traumatisé. Il pourra certainement faire une croix sur l’idée d’un gouvernement à majorité Labour après les élections de 2016 ».
En réalité, si le Labour adoptait un programme socialiste combatif et proposait une alternative bien définie contre l’austérité sans fin, il pourrait facilement obtenir la majorité au parlement – même sans ses députés écossais. C’est l’adhésion sans faille de Miliband et de Ball à la politique capitaliste et aux plans des Tories qui sapent les possibilités pour un éventuel retour du Labour au pouvoir. C’est pourquoi les syndicats doivent prendre plus au sérieux pour aller vers la construction d’un nouveau parti de masse des travailleurs, et se dépêcher.
La “Team Scotland”
La direction du SNP tente à présent d’inclure des dirigeants Labour (comme Alister Darling et Johann Lamont) dans sa “Team Scotland” (“Équipe pour l’Écosse”), en plus de figures publiques issues des Tories ou des LibDem. La Team Scotland est le comité qui devra mener les discussions avec le gouvernement britannique en cas de victoire du camp de l’indépendance, pour obtenir les arrangements nécessaires. Cela fait partie des tentatives du SNP de calmer l’ardeur des travailleurs écossais, qui ont à présent d’énormes attentes et vont demander un changement réel et radical après le référendum.
Les socialistes et les syndicalistes doivent s’opposer à cette approche : il est hors de question de laisser à des politiciens pro-austérité le monopole du débat sur des questions aussi importantes, telles que quelle monnaie nous allons utiliser, ou de quels pouvoirs l’Écosse indépendante bénéficiera. Au lieu de ça, nous exigeons des élections démocratiques à un organe de négociations ouvert à tous, y compris aux candidats socialistes ou issus du milieu syndical, afin de porter la voix de la classe des travailleurs de manière indépendante de la bourgeoisie. Par exemple, nous devons réclamer du Royaume-Uni qu’il rende les 4 milliards volés au financement des services publics par le parti Tory du fait de la politique d’austérité menée depuis 2010.
Quel que soit le résultat du référendum, l’atmosphère est clairement à la combativité : nous ne donnerons plus un penny pour l’austérité ! Même en cas de défaite, environ deux millions de personnes auront voté en faveur du “Oui” à l’indépendance dans l’espoir d’en finir avec l’austérité et avec la baisse constante du niveau de vie. Malgré cela, la direction du SNP promet de poursuivre les coupes budgétaires à hauteur de 3 milliards de livres sterling (2000 milliards de francs CFA) au cours des deux prochaines années. Les syndicats doivent immédiatement appeler à arrêter cette politique en Écosse, en organisant en parallèle une campagne de masse d’action de grève généralisée et coordonnée contre l’austérité.
Le potentiel est là pour aller plus loin
Il est urgent d’agir afin d’utiliser à bon escient l’énorme potentiel que nous avons vu se développer durant la campagne pour le référendum parmi des centaines de milliers de travailleurs qui cherchent une issue à l’austérité. L’excellent accueil qui a été fait à la tournée “L’espoir contre la peur”, couplée à la réemergence de Tommy Sheridan en tant que figure publique majeure nous ouvrent à présent la porte pour renforcer le camp du socialisme après le référendum et de lui donner une expression politique.
Le Socialist Party Scotland participe à l’appel à une conférence de la Coalition des socialistes et syndicalistes écossais prévue le 1er novembre à Glasgow, dont le but sera de rassembler tous ceux qui désirent aider à bâtir une alternative électorale de la classe des travailleurs, anti-austérité et socialiste.
Si le “Oui” devait l’emporter, nous verrons certainement le début du lancement de nouvelles coalitions ou partis de gauche parmi les forces pro-indépendance, notamment de la part de certains éléments de la Campagne pour l’indépendance radicale et de certains intellectuels qui gravitent autour du Common Weal. Mais si ces initiatives se basent sur le programme du Common Weal – et comme lui, ne cherchent pas à s’adresser à la classe des travailleurs –, alors on ne pourra pas dire avec certitude que cela constituera un pas en avant pour résoudre le problème du manque de représentativité politique des travailleurs.
Quel que soit le résultat du vote de jeudi prochain, le terrain politique en Écosse en sortira complètement bouleversé. Notre tâche urgente est de capitaliser et canaliser l’immense colère qui s’est exprimée de manière si frappante lors de cette campagne, afin de lancer une lutte de masse pour vaincre les plans d’austérité et pour renforcer les idées du socialisme en Écosse. C’est à cela que nous devrons nous atteler et consacrer toutes nos forces dès le matin du 19 septembre.
Le Socialist Party Scotland appelle à voter “Oui” à l’indépendance de l’Écosse, et à ce que les pouvoirs conférés par cette indépendance soient utilisés afin de :
- Nationaliser, sous contrôle et gestion démocratique des travailleurs, les secteurs du gaz et du pétrole, le secteur de l’énergie renouvelable et les secteurs-clés de l’économie écossaise. Cela apporterait des milliards à l’État écossais, que nous pourrions utiliser pour lancer un plan massif d’investissement dans la création d’emplois et pour reconstruire nos services publics.
- Nationaliser les banques et le secteur de la finance, sous le contrôle démocratique de la classe des travailleurs
- Renationaliser le gaz, l’électricité, les transports et les secteurs de l’économie nationale qui ont été privatisés.
- Taxer les riches et les grandes entreprises.
- Augmenter le salaire minimum et annuler les attaques sur la sécurité sociale.
- Garantir un salaire décent pour tous, supprimer les contrats “zéro heures”.
- Sortir de l’Otan. Virer d’Écosse le projet Trident de sous-marins nucléaires britanniques, et virer toutes les armes de destruction massive qui sont entreposées sur notre territoire. Investir à la place dans des emplois socialement utiles.
- Abolir toutes les lois antisyndicales.
- Rompre les liens entre les syndicats et le Labour pour construire un nouveau parti de masse des travailleurs.
- Annuler les coupes budgétaires. Obtenir un gouvernement écossais qui représentera l’ensemble de la population travailleuse, les chômeurs et les pauvres, afin de défendre l’emploi, les salaires, les services publics et les pensions, et de refuser toute coupe d’austérité visant à payer pour la crise.
- Mettre en place un plan socialiste de production dans le cadre d’une Écosse indépendante et socialiste, partie prenante d’une confédération volontaire socialiste des iles britanniques (avec l’Angleterre, le Pays de Galles et l’Irlande réunifiée), en tant que première étape vers une Europe socialiste.
Une foule nombreuse se presse pour venir voir Tommy Sheridan et entendre l’appel à une indépendance socialiste
Les meetings avec Tommy Sheridan et nos camarades du Socialist Party Scotland “Socialist Case For Independence” ont pu compter sur une large audience, avec plus de 18.000 participants au total. Ci-dessus, le meeting de Dundee.La tournée “L’espoir contre la peur – Un appel socialiste à voter ‘Oui’” a organisé un meeting dans la ville de Dundee ce jeudi 4 septembre. Plus de 500 personnes se sont massées dans la salle pour y entendre nos orateurs. La presse locale a même compté plus de 800 personnes. Les spectateurs ont dû rester debout serrés les uns contre les autres, tandis que 100 personnes sont restées dehors après que nous ayons fermé les portes dix minutes avant le début officiel du meeting, tant la place manquait. Cependant, nous sommes parvenus à organiser à l’improviste une sonorisation pour que les personnes debout et assises dehors puissent entendre ce qu’il se disait à l’intérieur de la salle.
Le meeting a été ouvert par notre camarade du Socialiste Party Scotland (CIO-Écosse), Sinead Daly, qui a expliqué que ce meeting était le 96ème meeting de notre tournée “L’espoir contre la peur”, et que 20 000 personnes étaient déjà venues voir et entendre le socialiste Tommy Sheridan défendre devant elles le “Oui” à l’indépendance de l’Écosse. La participation massive dans toutes les villes, et même dans tous les villages où nous sommes passés en Écosse est le reflet de l’intérêt énorme qui vit parmi la population envers les idées de gauche et la possibilité d’une indépendance socialiste.
« Ce soir, nous allons devoir discuter ensemble, de la manière dont nous pourrions utiliser les pouvoirs conférés par l’indépendance de notre pays pour en finir à jamais avec la pauvreté et pour construire une société pour les millions – pas pour les millionnaires. Nous voulons voir une Écosse indépendante socialiste, bâtie dans les intérêts de la classe des travailleurs », a dit Sinead.
Pour Jim McFarlane, un dirigeant du syndicat Unison dans la ville de Dundee, également membre du Socialist Party Scotland : « À Dundee, 26 % des enfants vivent dans la pauvreté. Ce 18 septembre, des centaines de milliers de travailleurs peuvent enfin rendre leur verdict quant à toutes ces années de coupes budgétaires et de chute du niveau de vie. Je vais voter “Oui”, parce que je suis un syndicaliste et parce que je suis un socialiste.
J’ai travaillé pour le conseil communal avec le Labour au pouvoir, j’ai travaillé pour le conseil communal avec le SNP au pouvoir, et je peux vous dire que lorsqu’il s’agit de procéder à des coupes dans les budgets sociaux, ces deux partis les appliquent sans même la moindre protestation.Nous menons campagne pour la nationalisation des banques, du pétrole et du gaz, et de tous les secteurs-clés de l’économie. Les pouvoirs de l’indépendance doivent être utilisés afin de garantir un salaire décent pour tous, en finir avec les contrats “zéro heures”, et bâtir une sécurité sociale solide et disposant d’importants moyens financiers.
Il nous faut un nouveau parti de masse des travailleurs, qui défende une politique socialiste, afin de réaliser cette politique dans le cadre de l’Écosse nouvellement indépendante. La seule solution pour échapper à l’austérité brutale, est de construire un mouvement de masse contre les coupes d’austérité et pour une Écosse indépendante socialiste, et de lier ce mouvement à la lutte pour le socialisme en Angleterre, au pays de Galles et en Irlande du Nord comme du Sud. »
Angela McCormick, membre du Socialit Workers party (SWP, section écossaise de la Tendance internationale socialiste, IST), a également pris la parole afin de rappeler le cout scandaleux du projet militaire Trident et tout ce qu’on pourrait faire avec cet argent à la place, en termes d’emploi, d’infrastructure et de services publics.
C’est sous un tonnerre d’applaudissements que Tommy Sheridan s’est levé pour prendre la parole. Tommy a vertement critiqué les politiciens pro-austérité, de Thatcher à sa “progéniture” en la personne, pour en finir avec Ed Milliband : « Je ne lui ferais même pas confiance pour gérer un lavoir, je ne vois pas comment il pourrait gérer un pays ! »
Plus loin dans son discours, il a dit : « Personne en Écosse n’avait voté pour Thatcher, personne en Écosse n’a voté pour Cameron, mais on s’est quand même retrouvés dirigés par ces gens-là. Allez dire à tous vos collègues, à tous vos camarades qui n’ont pas encore décidé quoi voter jeudi prochain, qu’ils n’ont qu’à aller voter “Oui”. Parce qu’après, ils pourront rentrer à la maison, s’asseoir avec leurs enfants, et leur dire : « Mes enfants, grâce à mon vote aujourd’hui, je vous ai sauvé à tout jamais du gouvernement Tory. Ils ne reviendront jamais en Écosse ».
Selon Tommy toujours, « Après l’indépendance, nous allons investir dans toutes ces choses qui sont véritablement importantes pour la population, pas dans des armes de destruction massive illégales et amorales ». Tommy a aussi appelé à la nationalisation de l’économie, à un salaire décent pour tous, à en finir une bonne fois pour toutes avec la pauvreté dans la nouvelle Écosse indépendante. Il a terminé son discours à nouveau dans un tonnerre d’acclamations enthousiastes qui s’est prolongée plusieurs minutes.
Lors du meeting, nous avons vendu 100 exemplaires de notre journal “Le Socialiste” et distribué plus de 300 exemplaires de notre brochure spéciale de 4 pages sur le référendum. Des centaines de livres sterling ont aussi été données par les participants dans les seaux de collecte que nous avons tenus à la sortie du meeting.
-
Ecosse : Un référendum sur le fil du rasoir
“Expulsons les conservateurs”Au cours des quinze derniers jours de la campagne pour le référendum sur l’indépendance de l’Écosse, qui se tiendra le 18 septembre prochain, les sondages se resserrent et le soutien à l’indépendance a obtenu son plus haut niveau. Un sondage YouGov datant du 1er septembre illustre qu’à l’exclusion des électeurs indécis, le soutien à l’indépendance a gagné 8 points en mois, pour atteindre les 47%. Les partisans du ‘‘Non’’ n’ont dorénavant plus que 6 points d’avance et se trouvent à 53% alors qu’ils disposaient encore d’une avance confortable de 14 points à la mi-août.
Par Matt Dobson, Socialist Party Scotland (CIO-Écosse)
Le soutien au ‘‘Oui’’ est maintenant synonyme de crise majeure pour la majorité de l’élite capitaliste britannique. Le Premier ministre britannique David Cameron parle ainsi ouvertement de ses ‘‘préoccupations’’ et de sa ‘‘nervosité’’ face à l’idée de l’indépendance de l’Écosse. La campagne ‘‘Better Together’’ pour le ‘‘Non’’, qui réunit les conservateurs du parti Tory, les travaillistes et les Libéraux-Démocrates est en plein surmenage. Tout un spectre de personnalités allant de responsables des milieux patronaux aux célébrités en passant par les élites universitaires d’Écosse constitue un chœur de plus en plus strident ne cessant de prévenir des conséquences désastreuses de l’indépendance.
Le dirigeant travailliste Ed Miliband a annoncé qu’il sera en déplacement en Écosse jusqu’à la fin du référendum. Il ne veut pas à l’avenir devenir Premier ministre d’un Royaume-Uni amputé de l’Écosse, a-t-il affirmé. Le soutien des travaillistes à la campagne pour le ‘‘non’’ à l’indépendance et pour le Project Fear (Projet Peur, surnom de la campagne ‘‘Better Together’’) est en train de faire de sérieux dégâts à ce qui restait encore de la réputation de ce parti au sein de la classe des travailleurs. Le niveau auquel a été élevé le chantage au cours de cette campagne est véritablement sans précédent, mais le Project Fear ne parvient malgré tout pas à enrayer la marée croissante de soutien pour le ‘‘Oui’’.
Les craintes de Cameron et Miliband sont justifiées. Le soutien pour l’indépendance est extrêmement visible à travers les villes et villages du pays à l’aide d’autocollants, de stands de rue, d’affiches et de banderoles officielles ou faites-main. C’est ainsi que s’exprime la volonté d’un changement social et économique fondamental pour des millions de travailleurs et de jeunes.
Le récent sondage YouGov a mis en lumière que la croissance du soutien au ‘‘oui’’ a été plus forte parmi la classe ouvrière. Diverses régions populaires d’Écosse, dont Dundee et Glasgow, pourraient disposer d’une majorité de ‘‘Oui’’. Ce vote représente une opposition à l’austérité sans fin de la période écoulée, une occasion de développer la contestation face aux inégalités et aux coupes budgétaires que les principaux partis politiques ne sont pas prêts à remettre en cause.
Le journaliste Paul Mason a récemment expliqué dans un article du Guardian que ‘‘Quelque chose d’incroyable se passe en Écosse. Lorsque l’enthousiasme politique atteint le monde relativement apolitique des HLM, des pubs et des discothèques et que cela énergise les gens, la participation peut faire des choses étranges sur les sondages d’opinion (…) Ils ont entendu tous les avertissements macro-économiques désastreux – sur la livre sterling, sur les banques, sur la dette, sur la non-fiabilité de l’argent du pétrole. Mais face à l’opportunité de rompre clairement avec la politique de Londres et l’économie néolibérale, beaucoup d’entre eux sont prêts à assumer ces risques (…) Si cela prend passe, c’est que beaucoup de choses sont à pointer du doigt, mais il est d’ores et déjà très clair de constater où réside le plus grand problème : il est devenu impossible d’exprimer son opposition à l’économie de marché via les principaux partis du parlement de Westminster à Londres’’.
Paul Mason a toutefois tort lorsqu’il décrit les quartiers à HLM comme étant ‘‘relativement apolitique’’. La majorité de la population est complètement détachée de l’establishment politique capitaliste, mais la colère est intense contre les coupes budgétaires et la chute du niveau de vie.
De plus en plus de gens font activement campagne pour le ‘‘Oui’’ et se rendent en masse aux réunions publiques, ce qui contraste de façon éclatante avec les récentes élections qui ont connu un taux de participation très bas et peu d’enthousiasme face aux politiciens traditionnels. Cela exprime l’espoir de voir le ‘‘Oui’’ devenir une possibilité des plus réalistes et constituer la chance, pour la première fois dans la vie de très nombreuses personnes, de voir être positivement modifiées les conditions de vie des travailleurs et des jeunes. Cette excitation et ces attentes se sont développées en dépit des tentatives de la direction du Scottish National Party et de la direction de la campagne officielle pour le ‘‘Oui’’ visant à ne pas susciter d’espoirs trop élevés concernant ce que l’indépendance peut offrir sur une base capitaliste.
Le résultat du référendum est actuellement difficile à prédire. La tension s’est accrue dans les rues et les militants du ‘‘Non’’ prétendent être intimidés par ceux du ‘‘Oui’’. Le dirigeant de droite du parti travailliste Jim Murphy s’est ainsi vu attaquer dans sa tournée “Non Merci” dans divers centre-villes par des passants devenus perturbateurs. Ils s’est retrouvé à devoir essuyer des tirs d’œufs tandis que des gens dénonçaient en criant la participation des travaillistes aux politiques d’austérité.
Mais il existe des éléments de la campagne pour le ‘‘Non’’ qui visent à exacerber les divisions racistes et les tensions sectaires. Nigel Farage, par exemple, le dirigeant du parti populiste de droite Ukip, est arrivé en Écosse pour ‘‘sauver l’Union’’ tandis que l’Ordre d’Orange (des extrémistes nationalistes protestants) organise une manifestation nationale contre l’indépendance à Édimbourg lors de la dernière semaine de campagne.
Le facteur majeur qui explique pourquoi le ‘‘Non’’ a encore une avance, ce sont les doutes légitimes quant à savoir ce qu’une Écosse indépendante capitaliste aura à offrir à la majorité sociale. Les promesses du SNP se limitent à des réductions d’impôts pour les grandes entreprises et à la poursuite de la politique d’austérité. Ce sont autant d’obstacles majeurs pour le ‘‘Oui’’.
Les meetings avec Tommy Sheridan et nos camarades du Socialist Party Scotland “Socialist Case For Independence” ont pu compter sur une large audience. Ci-dessus, meeting de Dundee, en présence de 500 participants.En revanche, la tournée ‘‘Hope Over Fear – Socialist Campaign for Independence’’ (l’Espoir sur la peur – Campagne socialiste pour l’indépendance), avec le militant socialiste bien connu Tommy Sheridan et à laquelle participe le Socialist Party Scotland, bénéficie d’une audience de plus en plus grande. Cela illustre le potentiel que représente la défense des idées du socialisme et leur concrétisation politique comme que l’utilisation de l’indépendance pour en finir avec l’austérité et la mise sous propriété publique des richesses pétrolières et gazières de même que le système bancaire peut bénéficier d’une audience de masse et développer le soutien en faveur du ‘‘Oui’’.
Le Socialist Party Scotland, tout en soutenant énergiquement le ‘‘Oui’’ a clairement expliqué la nécessité d’utiliser les forces de l’indépendance pour mettre fin aux mesures d’austérité et pour placer sous propriété publique et sous contrôle démocratique les principaux secteurs de l’économie. Ce n’est qu’ainsi, par une politique socialiste, par la réalisation d’une Écosse socialiste indépendante dans le cadre de la construction d’une confédération socialiste volontaire plus large, que la classe ouvrière pourra voir ses conditions de vie fondamentalement améliorées. A cette fin et pour défendre leurs intérêts, les travailleurs et les jeunes ont besoin d’un nouveau parti de masse de leur classe.
-
Huit questions à propos du référendum sur l’indépendance de l’Écosse
Les meetings avec Tommy Sheridan et nos camarades du Socialist Party Scotland “Socialist Case For Independence” ont pu compter sur une large audience, avec plus de 18.000 participants au total. Ci-dessus, meeting de Dundee, en présence de 500 participants.Le 18 septembre, un référendum sur l’indépendance aura lieu en Écosse. Partout dans le pays on parle du référendum, y compris de ce qu’une Écosse indépendante pourrait signifier pour l’emploi et le niveau de vie des travailleurs. Cela mettrait-il fin aux dures mesures d’austérités de ces dernières années? Le ‘Socialist Party Scotland’, parti-frère du PSL en Écosse, appelle à voter ‘oui’ et milite pour une Écosse indépendante et socialiste.
Point-de-vue du ‘Socialist Party Scotland’, section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Ecosse
Pourquoi voter oui à ce référendum?
Un nombre croissant de travailleurs – surtout en comparaison des années ‘70 et ‘80 – considère l’indépendance comme un moyen de sortir de la pauvreté croissante et de l’austérité. Depuis 1999 et la création du Parlement écossais, nous avons exigé un Parlement qui ait son mot à dire en matière d’économie, d’impôts, de salaire minimum, de sécurité sociale, de pensions,…
Qu’en est-il des travailleurs et des jeunes qui ne sont pas convaincus que l’indépendance sous le règne du SNP (Scottish National Party) serait un pas en avant?
Nous sommes d’accord avec eux sur ce point. Si nous appelons à voter ‘oui’, il s’agit d’un soutien critique. Nous mettons en avant que le modèle du SNP pour l’indépendance n’apportera aucun changement véritable. À cette fin, une politique socialiste est nécessaire !
Tribune du meeting de DundeeUne Écosse indépendante administrée par le SNP apporterait plus de prospérité aux grandes entreprises, pas aux travailleurs. Les plans du premier ministre écossais visent à offrir des avantages fiscaux supplémentaires aux multinationales. La direction du SNP s’oppose à la propriété publique du secteur pétrolier. Elle ne soutient même pas la renationalisation des compagnies d’énergie. Ce parti pense que le capitalisme – un système économique qui connaît sa plus grave crise depuis les années 1930 – peut constituer la base d’une meilleure Écosse, alors que nous sommes convaincus que cela est exclu. Seules des mesures socialistes telles que la propriété publique et démocratique des banques, du secteur pétrolier et d’autres secteurs clés de l’économie permettront de construire les bases d’une économie qui soit dans l’intérêt de l’ensemble de la population.
Le modèle scandinave n’illustre-t-il pas qu’un capitalisme plus juste est possible ?
Le modèle scandinave se réfère à la situation en Norvège, en Suède, au Danemark et en Finlande depuis 1945, en période de croissance économique. Cette période est désormais révolue et avec elle ce ‘modèle’. La sécurité sociale très développée et le faible niveau de pauvreté – allant de pair avec des impôts élevés pour la population active – font de plus en plus partie du passé.
La fin de la croissance d’après-guerre de la fin des années 1970 a été aggravée par la crise économique mondiale depuis 2007-2008. Cela a érodé le modèle scandinave en engendrant des privatisations et de lourdes mesures austérités. Sur une base capitaliste, il n’est pas possible que l’indépendance de l’Écosse conduise à un niveau de vie décente et à l’arrêt de l’austérité.
Tout ne vaut-il pas mieux que les politiques conservatrices actuelles du gouvernement britannique, pour lesquelles l’Écosse n’a quasiment pas voté ?
Les compétences de l’Écosse indépendante pourraient être utilisées pour changer la vie de millions de personnes, mais dans ce cas, les intérêts de la majorité de la population doivent être centraux. Le SNP propose que l’Écosse fasse partie d’une union monétaire dans laquelle la ‘Bank of England‘ (Banque d’Angleterre) déterminerait ce que le gouvernement écossais peut dépenser pour l’emploi et les services publics. Le SNP veut également faire partie de l’Union européenne, laquelle est dominée par les grandes entreprises. L’UE est d’ailleurs déjà utilisée, à travers le continent, comme un bélier contre les droits syndicaux et pour imposer une austérité sauvage. Enfin, la monarchie britannique serait, après l’indépendance, toujours à la tête de l’Écosse. Les propositions du SNP apporteraient donc peu de changements.
Quelle indépendance souhaitez-vous alors?
Nous sommes pour une Écosse indépendante socialiste et nous plaidons pour une hausse des impôts pour sur les riches et les grandes entreprises, l’augmentation du salaire minimum à 10 livres par heure, l’abrogation de toutes les mesures d’austérité du gouvernement actuel et la suppression de toutes les lois anti-syndicales.
Pour utiliser efficacement les pouvoirs d’une Écosse indépendante, un programme complet de propriété publique et de contrôle démocratique des secteurs clés de l’économie est nécessaire. Cela constituerait la base d’une société socialiste gérée démocratiquement. Mais pour obtenir une telle politique dans une Écosse indépendante, nous devons construire un nouveau parti des travailleurs, de masse, dans lequel les syndicats jouent un rôle central.
Le socialisme dans un seul pays n’est-il pas de toute façon impossible?
En effet, c’est impossible. Le capitalisme est un système d’exploitation international. C’est la domination d’une élite qui possède et contrôle les moyens de production et exploite les travailleurs pour accroitre ses profits. Nous militons pour une Écosse indépendante et socialiste membre d’une confédération démocratique et socialiste avec l’Angleterre, le Pays de Galles et l’Irlande, étape vers une Europe socialiste et un monde socialiste.
La critique du SNP ne risque-t-elle pas d’affaiblir la campagne pour le ’Oui’?
Si le SNP continue de mettre en avant un agenda qui favorise principalement les grandes entreprises et refuse de mettre fin aux mesures d’austérité après l’indépendance, il sape de lui-même la victoire du ‘Oui’. Ceci est renforcé par l’expérience des syndicalistes et des travailleurs ordinaires qui font face aux mesures d’austérité imposées par le gouvernement écossais, sous la direction du SNP ou par les pouvoirs locaux là où le SNP est au pouvoir.
La seule réponse au “Project Fear” et à la campagne “Better Together” est un plaidoyer pour une rupture fondamentale avec les politiques d’austérité de tous les partis traditionnels. Si la direction du SNP soutenait une grève générale de 24 heures contre les mesures d’économie budgétaire du gouvernement britannique, pour la propriété publique de l’économie et pour un refus de l’austérité, le soutien à l’indépendance augmenterait considérablement.
L’appel à voter ‘oui’ ne va-t-il pas diviser les travailleurs ?
La meilleure façon d’éviter cela, c’est de mettre en place une campagne syndicale propre au référendum qui mette l’accent sur une politique allant à l’encontre de toutes les mesures d’austérité. Une campagne qui unisse les intérêts de la grande majorité de la population, indépendamment de ce qu’ils votent lors du référendum.
Nous sommes pour l’unité de tous les travailleurs d’Écosse et d’Angleterre. Nous soutenons que les syndicats doivent lancer conjointement une action de grève de masse, une grève générale de 24 heures, pour combattre les politiques d’austérité. Et les syndicats doivent porter l’initiative d’un nouveau parti de masse des travailleurs qui lutte pour le socialisme.
-
Socialisme et droits nationaux
Contribution au débat autour de la situation en Ukraine, Israël-Palestine et autres pays
manifestation contre la guerre à Gaza, 17 août 2014, délégation du PSL et des Étudiants de Gauche Actifs. Photo : MediActivista.Avec le conflit sanglant en Ukraine et le massacre du peuple palestinien à Gaza, la “question nationale” revient une fois de plus en force à l’avant-plan du débat. Quelle feuille de route pour résoudre des conflits apparemment vieux de plusieurs siècles ? C’est la question qui est directement posée au mouvement des travailleurs, dans les régions immédiatement affectées par la guerre mais aussi à l’échelle internationale.
Article de Peter Taaffe, secrétaire général du Socialist Party, section du CIO en Angleterre et Pays de Galles.
L’Ukraine
Les évènements de ces derniers mois ont fort bien illustré le fait que les différentes puissances capitalistes n’ont pas la moindre volonté ni d’ailleurs la moindre capacité à trouver une solution démocratique et équitable à la situation en Ukraine. D’un côté, l’hypocrisie éhontée du capitalisme américain et du capitalisme européen ; de l’autre, le régime oligarchique de Poutine en Russie – et ces deux camps cherchent à se faire passer pour le défenseur des “minorités et nations opprimées” – bien que peu de travailleurs conscients en soient dupes. Tout cela n’est que pur calcul, couplé à des enjeux cruciaux sur le plan stratégique, politique et militaire. Le “droit à l’auto-détermination” n’est pour ces puissances qu’un slogan vide de toute substance, une petite monnaie politique facilement jetable au cas où elle irait à l’encontre de leurs intérêts.
« Nous allons mettre la Russie à genoux avec nos sanctions », crient les puissances impérialistes occidentales, États-Unis en tête. « Nous répondrons par nos propres sanctions, en confisquant les actifs des entreprises britanniques comme Shell ou British Petroleum », leur répond le régime poutinien.
Si les capitalistes, leurs partis et leurs représentants politiques n’offrent aucune solution, certains militants de gauche, dont certains se considèrent même marxistes, révèlent une profonde confusion idéologique et une totale incapacité à s’y retrouver parmi ces graves conflits ethniques et nationaux en Ukraine et au Moyen-Orient. Au Royaume-Uni, il n’y a pas une once de socialisme – et encore moins de marxisme – dans l’approche et l’analyse mises en avant par la plupart des forces qui se réclament pourtant de la “gauche”.
Par exemple, un tract distribué à Londres par la campagne “Solidarité avec la résistance antifasciste en Ukraine” lors de la dernière manifestation de soutien à la population de Gaza, proclamait : « Nous sommes contre le soutien accordé au régime d’extrême-droite de Kiev par les gouvernements britannique et occidentaux ». Nous sommes d’accord avec cela, surtout vu que le gouvernement de Kiev se base sur des forces de droite radicale, voire néofascistes, pour mener sa campagne meurtrière dans l’Est ukrainien.
Mais pourquoi ne pas également condamner le régime oligarchique impérialiste russe dirigé par Poutine, en donnant une critique de son intention de dominer le “proche étranger”, ce qui inclut plusieurs pays de l’ex-Union soviétique, en mettant de côté les droits nationaux et démocratiques de ces pays ?
Nulle mention de cela dans ce tract. Par contre, un des principaux dirigeants de cette campagne est intervenu lors du meeting de lancement pour dire : « Ce n’est pas mon rôle de critiquer l’oligarchie russe ; mais si je devais le faire, alors ma critique porterait non pas sur le fait qu’elle intervient trop, mais sur le fait qu’elle n’intervient pas du tout ! ». Poursuivant sur sa lancée, cette même personne a été jusqu’à dire que « il n’y a pas de question nationale » en Ukraine, et que « Quand je vois arriver en face l’impérialisme américain, l’Otan, Angela Merkel, le gouvernement britannique et les fascistes ukrainiens – moi je connais mon camp ». L’idée donc est que le mouvement des travailleurs – puisque cette intervention vient d’un “marxiste” – devrait se ranger du côté du régime oligarchique de Poutine et soutenir son intervention en Ukraine.
Notre analyse est que nous soutenons sans réserve les aspirations nationales légitimes des peuples de l’Ukraine, de Crimée, etc. tout en nous opposant et en combattant les forces d’extrême-droite et ouvertement fascistes en Ukraine, qui n’ont en réalité pas obtenu plus de 3 % des voix lors des dernières élections. En même temps, nous cherchons à forger et renforcer une unité de classe, en donnant un soutien critique aux forces véritablement socialistes sur le terrain, même si elles sont faibles.
Pas de formule toute faite
Il est extrêmement important de soutenir les aspirations nationales et démocratiques authentiques des peuples de l’Ukraine et de la sous-région. Par exemple, si on prend la question de la Crimée, il était correct de soutenir le droit à l’auto-détermination – y compris la sécession d’avec l’Ukraine, ce qui semblait être le souhait de l’immense majorité de la population. Mais en même temps, les marxistes ont pour devoir, lorsqu’ils donnent leur soutien critique à tout mouvement pro-indépendance authentique, de défendre les droits de toutes les minorités : dans le cas de la Crimée, cela inclut les Ukrainiens de Crimée, les Tatars, et les autres minorités nationales (Biélorusses, Arméniens, Juifs, Grecs, Rroms)
Des voix ont dénoncé le fait que le référendum en Crimée n’a pas été organisé de manière équitable et pacifique. Mais il ne fait aucun doute que la majorité de la population désirait réellement revenir à la Russie. Tous ces doutes auraient pu cependant être dissipés par l’élection d’une assemblée constituante – ou parlement – révolutionnaire composé de délégués élus lors d’assemblées de masse locales afin de faire respecter la décision populaire ou d’organiser un référendum démocratique.
Cela signifie-t-il que nous sommes pour le séparatisme et la désagrégation de tout État multinational ? Non, pas de manière automatique. Devant la question nationale, il n’existe aucune solution ou formule toute faite. La situation sur le terrain en Ukraine est d’ailleurs extrêmement fluide : ce qui peut être une revendication correcte aujourd’hui pourrait se voir demain emporter par les évènements.
Par contre, nous sommes contre la rétention par la force d’un groupe ou d’une nationalité au sein d’un État qui est considéré par ce groupe ou cette nationalité comme étant un oppresseur. Nous sommes pour une confédération socialiste sur base volontaire. C’est en suivant cette méthode qu’a été créée la véritable Union soviétique fondée par Lénine et Trotsky – pas sa caricature sanglante stalinienne qui ne faisait en fait que masquer la domination de l’élite bureaucratique russe centralisée.
Mais comme Lénine le disait d’ailleurs il y a un peu plus de cent ans, la société nouvelle, qui devrait nécessairement être démocratique tout autant que socialiste, ne pourra être ba?tie sur base de “la moindre contrainte” envers un groupe ou une nationalité. De manière générale, le droit à l’auto-détermination s’applique à une nationalité liée à une entité territoriale bien définie. Cependant, cette entité peut aussi parfois prendre la forme d’une ville, ou d’une entité plus petite qui se considère malgré tout comme différente et à part des autres pays ou régions l’entourant. Par exemple, nous avons déjà envisagé l’éventualité de voir apparaitre dans le futur une entité spéciale pour la ville de Bruxelles – au sein d’une confédération socialiste belge –, vu que la population de cette ville se considère clairement ni flamande, ni wallonne.
De même, la lutte en Ukraine, et en particulier dans l’Est, pourrait se voir si fragmentée par le conflit sanglant en cours aujourd’hui, que cela pourrait avoir pour résultat non pas un État ni un micro-État continu, mais un processus de “cantonisation” de la région. Dans la grande ville de Donetsk, bombardée par les forces du gouvernement ukrainien et dont la majorité de la population (autrefois d’un million de personnes) a pris la fuite, on pourrait voir se développer une situation où la population réclamerait une séparation de l’Ukraine comme de la Russie. Il incombera dans ce cas aux marxistes, si c’est la volonté de la population de la ville, de soutenir cette aspiration, tout en liant cette revendication à celle d’une confédération socialiste d’Ukraine et de la sous-région.
Une telle solution n’est pas du tout utopique, comme le suggèrent nos adversaires. Le monde unipolaire des dernières décennies, dans lequel les États-Unis étaient en mesure d’imposer leur volonté et d’influencer directement le cours des évènements sur la scène mondiale, n’est plus. Les États-Unis restent, il est vrai, la première puissance économique et militaire, et le resteront encore pendant un certain temps. Mais cette puissance a des limites. Un nouveau “syndrome” post-iraqien est apparu aux États-Unis, où la population est fatiguée de la politique guerrière menée par son État et exprime de plus en plus son opposition à l’interventionnisme. C’est pourquoi les bombardements aériens et l’utilisation de drones sont devenues les méthodes d’intervention préférées. D’un autre côté, de tels bombardements ne produisent bien souvent que l’effet inverse de celui qui était désiré.
Israe?l-Palestine
Tel un fil d’Ariane, seule une analyse marxiste consistante peut nous mener à travers le dédale de la question nationale. Ceci vaut en particulier pour la question très complexe des droits nationaux des peuples palestinien et israélien, une fois de plus mis en avant par la dernière offensive sur Gaza – qui ressemble maintenant plus à Grozny en Tchétchénie, avec d’innombrables morts et dont un quart de la population de 1,2 millions d’habitants a fui.
Le CIO a toujours et patiemment expliqué que la seule issue par rapport à ce conflit sanglant qui puisse satisfaire les droits des Palestiniens comme des Israéliens serait de mettre en avant une solution à deux États sur le long terme – une Palestine et un Israël socialiste – avec la possibilité d’une capitale partagée à Jérusalem, en liant cela au concept d’une confédération socialiste. C’est cette idée, ainsi que notre opposition à des sanctions non ciblées envers Israël – parce que cela pourrait avoir pour conséquence de pousser les travailleurs israéliens encore plus dans les bras de la droite et du gouvernement israélien – qui est maintenant attaquée aux États-Unis par l’Organisation socialiste internationale (ISO).
Cette organisation a émis le 17 aout une critique de nos camarades américains du groupe Socialist Alternative, selon laquelle “Leur attitude envers les travailleurs juifs israéliens coïncide avec la position traditionnelle de ce groupe et du CIO selon laquelle l’existence d’Israël serait légitime (…) C’est cette croyance dans le droit des Israéliens à former leur propre nation qui justifie également le CIO à s’opposer au boycott d’Israël. Mais cette approche se base sur une compréhension fondamentalement erronée du principe socialiste du droit des nations à l’auto-détermination. Dans toute la tradition du marxisme authentique, il n’y a jamais eu le moindre soutien envers le droit à l’existence d’un État colonisateur – qui est par définition un État d’apartheid, que ce soit un État juif dans lequel les non Juifs sont privés de droits politiques, ou que ce soit l’État d’apartheid sud africain dans lequel les non-blancs étaient également privés de ces droits.”
Le droit à l’auto-détermination n’est pas un “principe socialiste”, comme l’affirme l’ISO, mais une tâche démocratique ; même s’il est vrai qu’à notre époque, les véritables principes démocratiques ne peuvent plus être défendus et résolus que par la révolution socialiste. Nous avons déjà répondu à de nombreuses reprises à ces arguments et à beaucoup d’autres. Dans notre ouvrage “Marxism in Today’s World”, nous écrivions ceci : « La loi la plus importante de la dialectique est que la vérité est concrète. Si on prend les débats historiques, il est clair que le trotskisme, en partant de Trotsky lui-même, s’est opposé à la formation d’un État juif sur le territoire de la Palestine. C’était la position qu’il a adoptée dans la période de l’entre-deux-guerres. Cependant, il a modifié sa position après que la persécution des Juifs par les Nazis soit devenue évidente. Une nouvelle situation était survenue. Trotsky a toujours été très flexible lorsqu’il fallait prendre en compte de nouveaux facteurs importants. Il y avait réellement un sentiment de la part de la population juive qu’il fallait absolument quitter l’Allemagne et l’Europe, et cela était accompagné du rêve d’une nouvelle terre promise.”
« Sous le socialisme, raisonnait Trotsky, si les Juifs désiraient un État, disons, quelque part en Afrique, avec l’accord des populations africaines, ou en Amérique latine – cela pourrait être considéré ; mais pas en Palestine. Car il s’agirait là pour les Juifs d’une véritable souricière ». Il est surprenant de voir à quel point cette prédiction s’est réalisée… Le mouvement trotskiste s’est opposé à la création d’un État juif séparé en Israël, parce qu’il aurait constitué un frein à la révolution arabe. Israël a été créé sur base de la colonisation des terres arabes en en chassant les Palestiniens et en utilisant un mélange de rhétorique nationaliste radicale, voire “socialisante”, destinée à la population juive qui avait échappé au cauchemar de l’Holocauste et de la Seconde Guerre mondiale.
Sur la question des États colonisateurs, nous avons déclaré : « Un État ou une série d’États peuvent être établis par le déplacement brutal de populations. Jetons un œil par exemple à la déportation forcée de la population grecque de nombreuses régions d’Asie mineure ou à celle des Turcs de Grèce à la suite de l’effondrement de l’Empire ottoman. Si on revenait en arrière pour redessiner la carte, on aurait de nouveau d’énormes échanges de population. Ailleurs, les crimes terribles commis en Europe à l’encontre des Juifs sous le capitalisme nazi ont été utilisés en tant que justification pour un nouveau crime à l’encontre du peuple palestinien. Cela demeure un fait historique indiscutable.”
“Cependant, la réalité aujourd’hui est que, au fil du temps, nous avons vu se former une conscience nationale juive ou israélienne. Que disent les marxistes à ce sujet ? Devrions-nous simplement ignorer la situation réelle et maintenir coute que coute notre vieille position ? La solution de [l’ISO] et d’autres militants de gauche est d’avoir un seul État palestinien – ce qui était notre position au début –, un État palestinien unifié avec des droits à l’autonomie pour les Juifs en son sein. Cependant, ces gens ont mis en avant cette revendication dans un cadre capitaliste, alors que nous ne l’avions jamais envisagé autrement que sur base du socialisme. Nous n’avons pas non plus une position d’une solution à deux États sur base capitaliste, comme le font certains petits groupes. Car il s’agit là d’une utopie ».
“D’autres propositions considéraient seulement de donner une petite portion de la Palestine historique au peuple palestinien. La proposition de l’ancien Premier ministre israélien Olmert, pour une redivision de la Palestine (dont plus personne ne parle à présent), n’aurait laissé que 10 % du territoire aux Palestiniens pour y former leur État : un véritable bantoustan. Et certainement pas une solution pour un État viable du point de vue des Palestiniens. Dans le cadre du capitalisme, il n’y a pas la moindre possibilité de parvenir à une solution viable à deux États. On ne peut exclure un arrangement temporaire, mais cela ne serait pas non plus une solution aux problèmes nationaux des Palestiniens ni des Israéliens. Néanmoins, l’idée d’une solution à deux États, d’une Palestine socialiste et d’un Israël socialiste dans le cadre d’une confédération socialiste du Moyen-Orient est, à ce stade, une revendication programmatique correcte.” (Marxism in Today’s World, édition 2013, pp. 29-30)
Il ne fait aucun doute que l’ISO et autres rejettent l’idée d’une confédération socialiste du Moyen-Orient en tant que solution irréalisable par rapport aux souffrances des masses à travers la sous-région. Mais les capitalistes eux-mêmes se rendent bien compte des énormes retombées économiques qui pourraient provenir de la mise en place d’une telle confédération : « Par exemple, l’Égypte bénéficie d’une main d’œuvre à bon marché mais a un taux de chômage élevé. La Libye a du capital en excès, d’immenses projets d’infrastructures et une demande insatiable de main d’œuvre. La Turquie a l’expertise pour la construction d’aéroports, de ponts et de routes. Tous ces éléments doivent être rassemblés. Selon notre recherche, au moins 20 milliards de dollars ont été promis à l’Égypte par les pays du Golfe au cours des derniers mois, mais sans aucun plan sur le long terme. La Ligue arabe, en tant que structure régionale, ne possède pas non plus ni la crédibilité, ni la capacité, ni la créativité nécessaires au rassemblement de toutes ces nations ». (Financial Times, 20 June 2014)
Les capitalistes du Moyen-Orient sont incapables de réaliser un tel projet. Mais la classe des travailleurs, œuvrant de manière unifiée tout en instaurant le socialisme démocratique à travers toute la sous-région, serait bien capable de mettre sur pied une confédération socialiste.
Les campagnes de boycott d’Israël
L’ISO compare de manière grossière Israël aujourd’hui à l’Afrique du Sud de l’apartheid. Cependant, cela ne renforce pas sa critique du CIO, bien au contraire. Contrairement à ce que prétend l’ISO, il y a de profondes différences entre le régime d’apartheid sud-africain et Israël, surtout du point de vue démographique. En Afrique du Sud, il y avait sept fois plus de Noirs et “colorés” que de Blancs. Cela ne correspond pas du tout à la situation actuelle en Israël-Palestine. Si elle se sent menacée de destruction, la population israélienne ripostera.
Nous écrivions dans Marxism in Today’s World (p. 32) que : « Même le “camp de la paix” prendra les armes si il voit remis en question le droit des Juifs à un État séparé. La classe des travailleurs israéliens se battra si elle se voit menacée de se faire jeter à la mer. Par conséquent, il nous faut employer des revendications transitoires afin d’approcher les masses. Pour nous, la population doit décider d’elle-même quelles seront les frontières du futur État dans le cadre d’une confédération socialiste. Nous pourrions même voir, à la suite d’une révolution socialiste au Moyen-Orient, les Israéliens et Palestiniens décider de vivre ensemble dans le cadre d’un seul État avec une autonomie pour les deux peuples. Nous ne pouvons rien prédire à l’avance. Mais la dialectique de cette situation est que, dans le contexte actuel, si vous tentez d’imposer un État unique à ces peuples, cette proposition sera rejetée.
Israël est une plaie béante au beau milieu de la sous-région. Un enjeu vital pour la révolution au Moyen-Orient est de trouver une méthode pour dissocier les travailleurs israéliens de leur classe dirigeante. Mais si vous les menacez ou remettez en question l’idée d’un “foyer” israélien, alors il n’y a aucune chance d’arriver à cet objectif ».
En ce moment, nous devons assumer le fait que les peuples palestinien et juif ont décidé qu’ils ne peuvent pas vivre ensemble au sein d’un même État. C’est ce que leur dicte leur conscience. Que doivent dire les marxistes ou les trotskistes dans une telle situation ? L’ISO se contente tout bonnement de répéter des formules abstraites qui n’ont absolument aucun lien avec la situation sur le terrain. Les socialistes et marxistes ne peuvent forcer différents peuples à vivre au sein d’un même État.
À propos des campagnes de boycott, l’ISO a maintenant commencé à s’en prendre à un article de Judy Beishon, publié il y a un an dans notre magazine Socialism Today (nº 169). Une fois de plus, leurs arguments sont non seulement erronés, mais tombent en plus à côté de la plaque. Ni Judy, ni le CIO n’est contre le boycott de manière générale. Nous préférons, il est vrai, insister sur le fait que seule une action de masse et unie de la part des travailleurs israéliens et palestiniens pourra donner naissance à une force capable de renverser les capitalistes, en Israël comme en Palestine. Cependant, des boycotts ciblés peuvent jouer un rôle auxiliaire afin d’affaiblir l’État israélien : par exemple, le boycott des exportations d’armes israéliennes, ainsi que des marchandises produites dans les territoires occupés, ou des universités qui y sont situées. De telles mesures pourraient être utiles, car elles serviraient à dénoncer l’oppression des Palestiniens. Mais en elles-mêmes, elles ne seront jamais suffisantes pour sérieusement saper l’emprise du gouvernement et de la classe dirigeante israéliens – pas plus que les sanctions et boycotts de produits sud-africains n’ont véritablement affaibli le régime d’apartheid. En outre, cette campagne ciblée, qui pourrait acquérir un nouveau soutien vu la vague d’horreur qui vient de déferler à Gaza, devrait être discutée non seulement avec les Palestiniens, mais surtout avec les travailleurs israéliens. Tout cela était décrit et détaillé dans l’article de Judy, avec lequel nous sommes en plein accord.
La même approche unilatérale a été adoptée par l’ISO par rapport aux tirs de missiles lancés par le Hamas sur Israël en guise de représailles. Nous ne nous sommes jamais opposés au droit des Palestiniens à se défendre contre les attaques israéliennes, y compris à organiser une défense armée de Gaza et à lancer des attaques légitimes sur des cibles militaires en Israël même. Mais nous avons toujours par contre souligné non seulement l’inefficacité des méthodes employées actuellement – c’est comme lancer des cailloux sur des tanks – mais aussi leur caractère carrément contre-productif lorsque ces méthodes sont employées envers des civils, car elles ne font que repousser les travailleurs israéliens dans les bras de leur propre pire ennemi : le gouvernement de droite de Netanyahu – tout comme les attaques d’Israël envers des civils ne fait en réalité que renforcer le Hamas plutôt que l’affaiblir.
La question nationale est incomparablement plus compliquée aujourd’hui que celle qui existait à l’époque de Lénine et Trotsky. Pour les marxistes, elle a deux facettes. D’un côté, nous sommes opposés au nationalisme bourgeois, qui cherche à diviser la classe des travailleurs. Nous sommes pour l’unité maximale de la classe des travailleurs au-delà des frontières et des continents et à l’échelle mondiale. Mais de l’autre côté, nous sommes contre toute incorporation forcée de nationalités distinctes au sein d’un même État contre leur volonté. Nous sommes pour l’indépendance de l’Ukraine, mais sommes totalement opposés au régime de Kiev et à sa politique de répression des droits des minorités tout en s’appuyant sur des éléments de droite néofasciste et nationalistes ukrainiens. De même, nous sommes contre le chauvinisme grand-russe de Poutine et de ses partisans, et luttons pour une indépendance de classe dans la lutte pour une confédération socialiste de la sous-région.
Ce n’est que de cette manière, avec un programme de classe et des perspectives nettes, qui évitent la propagande abstraite, que nous pourrons tracer un chemin afin de gagner les travailleurs aux idées du socialisme et du marxisme, même dans des situations objectives difficiles faites de guerres et de conflits.