Tag: Pays-Bas

  • « Le SP ne suit pas ses propres principes »

    Pays-Bas : des membres critiques du SP lancent un nouveau parti

    Interview avec Rick Denkers, ex-président du SP à Emmen et membre de la direction provisoire du nouveau parti Solidara. La création de Solidara a été rendue publique à la mi-septembre après l’exclusion du député Düzgün Yildirim par la direction du parti.

    Rick, d’où vient cette commotion dans le parti ?

    Rick Denkers : Après les élections provinciales, il est apparu que le fonctionnement interne du SP était très déficient. Un parti qui récolte 16% des voix tout en continuant à fonctionner sur base de vieilles méthodes maoïstes se heurte évidemment à des problèmes. Ces dernières années, de nombreux socialistes ont adhéré au SP sans en partager le passé. Le manque d’espace pour le débat interne les heurte de plein fouet.

    Le SP est vu comme une success story par une grande partie de la gauche en Europe. Ne connaît-il pas une euphorie consécutive aux victoires électorales qui permet à la direction d’empêcher toute discussion ?

    RD : Non, ce n’est pas le cas. La base du parti est composée de militants, même si le SP compte beaucoup plus de membres sur papier. Aujourd’hui, ce sont justement les militants de base qui demandent un débat dans le parti. Et la seule réponse de la direction est la répression partout où ça se produit : exclusions, suspensions, campagnes de calomnies,… Il y a en ce moment des centaines de membres, dont pas mal de mandataires élus, qui sont en train de quitter le SP. Dans ce sens, le sommet du parti se coupe de plus en plus de sa propre base.

    Cet été, un groupe de membres a mis sur pied le Comité pour la Démocratisation du SP et plusieurs d’entre eux ont déjà choisi d’être actifs dans la construction d’un nouveau parti, Solidara. Quelle est la suite ?

    RD : Une partie du CDSP continue la lutte pour plus de démocratie dans le parti. Ils comptent sur le congrès que le parti tiendra en novembre pour engager la discussion. D’autres oeuvrent déjà à la création d’un nouveau parti parce que nous faisons le constat qu’un SP démocratique n’est plus possible à moins de faire table rase de toute la structure actuelle du parti avant de recommencer à construire. Nous avons opté pour un nouveau parti qui se base sur les vrais principes socialistes.

    Le nouveau gouvernement Balkenende – qui réunit le parti chrétien CDA et les sociaux-démocrates du PvdA (qui ont remplacé les libéraux) – a révélé ses projets pour l’année prochaine. Comment le SP et Solidara y réagissent-ils ?

    RD : En dépit de son énorme score électoral et des moyens dont il dispose, le SP n’est pas en mesure de formuler une réplique digne de ce nom au gouvernement. Le fait que Wilders (1) ait le champ libre pour faire son show et apparaître comme l’opposition à Balkenende en est le meilleur exemple. Solidara a déjà clairement et publiquement pris position contre Wilders, contre sa manière de détourner la démocratie pour semer la haine et le racisme. Avec Solidara, nous voulons aussi mettre en avant un programme clairement internationaliste en prenant exemple sur le socialiste allemand Karl Liebknecht qui disait que la classe ouvrière n’avait pas de patrie.

    Düzgün a déclaré qu’il avait déjà enregistré 1.400 adhésions au nouveau parti. Quels sont les projets dans un proche avenir ?

    RD : Il faut donner des pieds et des mains au parti. Nous sommes en train de metttre en place des sections locales, d’élaborer des statuts, de mener des discussions,… Nous voulons lancer un parti qui soit très clairement démocratique à la base et où ce sont les membres qui prennent les décisions. Nous fonctionnons aujourd’hui avec une direction provisoire qui prépare un congrès en janvier au cours duquel les membres pourront décider d’un premier programme, des statuts et des structures.


    1. Geert Wilders est le dirigeant du PVV – un petit parti populiste de droite, anti-immigrés et anti-islam – et est comparable à Dedecker en Flandre

  • Pays-Bas. Pour un SP démocratique et socialiste

    Aux Pays-Bas existe depuis longtemps un petit parti à gauche du PvdA, le parti socialiste « officiel ». Ce parti, le SP, a connu ces dernières années une croissance importante : il a obtenu 16% aux dernières élections et s’est élargi jusqu’à compter aujourd’hui plus de 52.000 membres. Le SP montre ainsi qu’il y a un espace pour une initiative politique à la gauche de la social-démocratie et des verts. Mais ces progrès ne règlent pas tout. Car de nombreux problèmes se posent aussi dans le SP.

    Bas de Ruiter

    Début juin, le mécontentement dans le SP s’est exprimé publiquement suite à la manière dont la direction nationale s’est comportée lors de l’élection de Düzgün Yildirim au Sénat (dont les membres ne sont pas élus directement mais par les élus provinciaux). Yildirim a ainsi été élu sur base des votes de préférence exprimé par les 83 élus provinciaux du SP, au détriment d’une candidate soutenue par la direction. Les dirigeants du SP ont attaqué publiquement Yildirim dans les médias et ont voulu le forcer à démissionner.

    Dans le SP existe une bonne tradition de laisser la base décider qui va représenter le parti. Mais la direction nationale restreint de plus en plus cette démocratie interne, ce qui limite la participation réelle des membres et leurs possibilités de faire entendre. Comme la direction bloquait toute possibilité de débat ouvert, Yildirim et ses partisans ont mis sur pied un Comité pour un SP Démocratique. Offensief, l’organisation soeur de MAS/LSP aux Pays-Bas, qui est aussi active dans le SP, collabore à cette initiative.

    Il y a actuellement un fort mécontentement parmi les membres du SP, tant sur la question de la démocratie interne que sur l’orientation que doit suivre le parti. Dans de larges couches de la population, le SP est vu comme une nouvelle force conséquente de gauche. Mais cette image est néanmoins menacée par le cours actuel de la direction du parti qui s’oriente de plus en plus vers la transformation du SP en un parti de pouvoir social-démocrate mettant de côté son programme et sa base militante pour rechercher des postes et le pouvoir.

  • Ecole d’été du CIO: Une alternative au capitalisme est nécessaire et possible !

    Plus de 300 membres du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO, l’organisation internationale dont le MAS/LSP fait partie) venus essentiellement d’Europe mais aussi d’Amérique, d’Asie et d’Afrique se sont rassemblés début août pour une semaine de discussions et d’analyses politiques.

    Els Deschoemacker

    Un grand thème de discussion cette année a été la possibilité d’une nouvelle crise économique dans la foulée de la crise boursière de cet été et les conséquences qu’une telle crise aurait pour le capitalisme mondial. L’autre fait marquant a été la radicalisation de la lutte pour le socialisme en Amérique Latine qui peut jouer un rôle d’exemple pour les travailleurs partout dans le monde.

    Cette lutte se développe à un moment où capitalisme connaît des problèmes grandissants, sur le plan économique et politique. Les interventions impérialistes en Irak ou en Afghanistan ont mené à la misère et à l’instabilité sans apporter de victoires pour l’impérialisme. Parallèlement, des alliés-clés pour l’impérialisme américain connaissent des problèmes aigus et une instabilité croissante. C’est notamment le cas pour la Turquie et le Pakistan.

    En Europe, le mécontentement envers la politique néolibérale augmente. Là où des formations crédibles de gauche existent, elles ont obtenu des scores électoraux parfois très importants comme aux Pays-Bas ou en Allemagne. Là où il n’y a pas de telles forces crédibles, la droite a gagné du terrain dans les élections et les gouvernements. Cela peut mener à des confrontations sociales et politiques plus dures dans lesquelles la nécessité d’un nouveau parti des travailleurs apparaitra plus clairement et prendra une grande importante.

    Pendant cette école d’été, nous avons eu des discussions plénières avec tous les participants mais également des commissions plus réduites permettant d’’avoir des discussions moins formelles. Ces commissions ont porté entre autres sur le rôle de la religion, notre travail jeune, le racisme et l’immigration, la position des femmes dans la société, notre travail en Afrique, la situation dans les pays de l’Europe de l’Est,…

    L’école d’été s’est clôturée avec des rapports vivants des activités des sections du CIO partout dans le monde. L’année dernière, nous avons consolidé les premières bases de la construction d’une nouvelle section au Venezuela, nous commençons également à construire en Bolivie ou en Italie ert nous avons une série d’opportunités dans d’autres pays.

    Dans la construction de nos sections nationales, nous sommes souvent confrontés à l’absence de partis politiques qui soient préparés à répondre au mécontentement existant dans la société et à lui offrir une réponse politique claire de rupture avec le capitalisme. La confusion idéologique qui a suivi la chute du stalinisme n’a certainement pas totalement disparu, malgré la croissance de la résistance active contre le néolibéralisme.

    Le manque de clarté sur les possibilités d’une alternative au système peut freiner le développement d’une résistance active et des mouvements de lutte contre les attaques auxquelles nous sommes confrontés.

    La croissance économique des dernières années était surtout basée sur une super-exploitation des travailleurs et sur une croissance du fossé entre riches et pauvres. Cette croissance économique a laissé un peu de marge de manoeuvre aux gouvernements.

    Mais une crise peut mettre fin à ces marges de manoeuvre et amener patronat et gouvernement à lancer des attaques beaucoup plus dures. Cellesci pourront mener à une résistance, pour autant qu’il y ait des perspectives pour la construction des mouvements de lutte collective. Sinon la méfiance passive et la débrouille individuelle continueront à dominer.

    Le CIO a construit des points de support partout dans le monde. Nous avons gagné une certaine autorité et du respect avec nos campagnes et nos interventions. Les possibilités pour la construction d’une alternative socialiste peuvent croître dans la prochaine période avec une ouverture plus grande pour des critiques anticapitalistes.

    Nous devons nous préparer à des changements rapides et fondamentaux dans la conscience de larges couches de la population. En même temps nous devons continuer à mener des actions et à diffuser nos idées parmi ceux qui sont déjà maintenant ouverts à la discussion sur une alternative socialiste.

    N’hésitez pas à rejoindre le MAS et donc aussi notre organisation internationale, le CIO. Ensemble avec vous, nous voulons lutter pour un monde plus juste, un monde socialiste !

  • La Russie de Poutine fait couler du sang homosexuel

    "Pédés, pervers!" "Renvoyez les tapettes dans les camps de concentration"… Voilà les cris qui ont déchaîné Moscou lors du 14ème anniversaire de la dépénalisation de l’homosexualité en Russie. Rien (ou presque) ne laissait présager que ce dimanche d’apparence ordinaire serait marqué par des violences homophobes dans la capitale ni que les visages en sang des rescapés homosexuels allaient horrifier l’Europe toute entière à la veille du sommet du G8 en Allemagne.

    Tout remonte à l’année dernière, au moment où des centaines de militants LGBT (lesbiennes, gays, bi’s, trans-genres ou hétéros) se sont rassemblés à Moscou pour la première Gay Pride russe. Cette manifestation avait été interdite. Devant la ténacité des homos à faire valoir leurs droits, celle-ci a quand même eu lieu, mais fût violement réprimée (un article de notre Internationale publié sur ce site relate ces évènements).

    Aujourd’hui, les plaies ayant cicatrisé, les homos ont décidé de revenir à la charge. Au programme cette année, manifester devant le bureau du maire de la ville et lui remettre une pétition pour protester contre l’interdiction de la Moscow Pride 2007.

    Evidemment, les déclarations des politiciens et des religieux ne se sont pas faites attendre. Le mufti suprême de la région de Talgat Tajuddin a également déclaré: "S’ils vont dans la rue, il faudra les frapper. Tous les gens normaux le feront, qu’ils soient musulmans ou orthodoxes." Il a ajouté que le Prophète Mahomet a ordonné de tuer les homosexuels, car "leur comportement conduirait à la fin de l’espèce humaine". Selon l’évêque orthodoxe Daniel Yuzhno-Sakhalinsk, cette marche n’est qu’une "plaisanterie cynique", il a comparé l’homosexualité à la lèpre et a mis en garde la population contre "la propagande du vice".

    Lors de la première Gay Pride, un député nationaliste criait fièrement: "J’ai une solution pour les homos: la Sibérie!". Depuis l’an dernier déjà, le maire de Moscou, Iouri Loujkov, affirme que toute tentative pour organiser une Gay Pride (qu’il qualifie d’"acte satanique" sic!) serait "résolument écrasée". Issu de la droite dure, Igor Artioumov a tenté de légitimer sa récente attaque contre une boîte homo de Moscou en déclarant: "Je proteste contre ces sodomites qui rampent comme des cafards!". Le président russe a lui même sous-entendu lors de sa conférence de presse annuelle que "les homosexuels nuisent à la cause nationale en ne participant pas au renouvellement des générations" etc.

    Les organisateurs de la Gay Pride avaient quant à eux invité les journalistes internationaux, des VIP’s et plusieurs députés d’Angleterre, de Belgique, de France, des Pays-Bas, d’Italie, du Brésil et du Parlement européen, croyant naïvement que leur présence empêcherait que le mouvement soit à nouveau réprimé.

    Mais rien à faire, la Russie de Poutine se la joue dure. Comme en 2006, la disproportion entre le dispositif policier et le petit nombre de manifestants était évidente.

    La presse de droite colporta si bien les menaces homophobes que le rassemblement dégénéra en une véritable chasse aux homosexuels. Des néo-fascistes ont rué de coups les manifestants aux cris de "morts aux homosexuels". A chaque fois, les policiers ont tardé à intervenir. Le député européen Marco Cappato a été agressé par un groupe de néo-nazis alors qu’il parlait à des journalistes. "Que fait la police? Pourquoi ne nous protégez-vous pas?", a-t-il lancé aux policiers qui l’ont ensuite arreté malgrè son immunité parlementaire puis placé dans le même camion que plusieurs militants d’extrême droite.

    En Russie, le climat anti-gay a en effet donné confiance aux fascistes pour entrer en jeu et laisser sortir toute leur haine, sans scrupule. Un groupe de jeunes hommes solidement bâtis se sont présentés équipés de masques chirurgicaux, destinés selon leurs termes à les protéger de la "maladie homosexuelle". D’autres, brandissant fièrement des photos d’Hitler, faisaient le salut nazi en beuglant "nous sommes pour un véritable amour (sic!)". Un homme muni d’un crucifix "venu aider les policiers" a menacé de s’en servir pour frapper tout homosexuel qui croiserait son chemin.

    En plus de recevoir des coups, les homosexuels qui défendaient leurs droits ont été arreté manu militari, jetés dans un camion de la police et emmené sous les yeux de dizaines de journalistes. Plusieurs fachos ont également été interpellés (puis immédiatement relachés) pour avoir frappés des homos ou des députés. La lenteur de l’intervention des policiers leur laissait cependant tout l’espace pour asséner plusieurs coups rapportent les témoins. Selon Scott Long, un militant de Human Rights Watch, ONG de défense des droits de l’homme: "La police n’a pas vraiment essayé de séparer les deux camps et, par conséquent, des gens ont été passés à tabac. Je conseillerais aux autorités russes de protéger la liberté de rassemblement et la liberté d’expression, et de protéger les manifestants."

    "Nous défendons simplement nos droits" a déclaré un jeune homosexuel qui saignait du nez après avoir reçu un puissant coup de poing au visage par un homme hurlant "les homos sont des pervers". "C’est atroce, mais cela ne me fait pas peur. C’est un endroit assez effrayant, un pays assez effrayant pour les homosexuels. Mais nous persisterons jusqu’à ce qu’ils nous permettent d’exercer nos droits", a-t-il ajouté.

    "Il faut que nous nous battions pour faire valoir nos droits!" insistait Lena, toute jeune lesbienne qui avec un groupe de copines aura tenu plusieurs minutes face à des néo-nazis qui les couvraient d’insultes. "Vous êtes des animaux!", "Sales putes!" leur lançaient les crânes rasés, bavant de rage. "C’est plutôt vous les animaux!" répondaient bravement les filles. Cette scène-là s’est achevée par des crachats et quelques coups de pieds dans le dos quand elles ont finalement battu en retraite. "Mais nous reviendrons l’année prochaine, et jusqu’à ce qu’on puisse enfin s’affirmer homo en Russie !" assuraient-elles au journal français LIBERATION.

    Les deux chanteuses russes du groupe TATU qui ont bâti leur célébrité en s’affichant lesbiennes étaient également présentes à la manifestation, assaillies tant par les néofascistes que par les journalistes, celles-ci ont rapidement dû fuir la mêlée. Quelque secondes après son arrivée, le leader du mouvement gay, Nikolaï Alexeïev, a été "emmené sans explication" dans un poste de police du centre de Moscou.

    Un député Vert allemand, Volker Beck, déjà roué de coups lors de la première Gay Pride l’an dernier, a de nouveau été battu par des néo-nazis puis interpellé par la police. Une fois libéré, il a déclaré à la presse avoir été ensuite roué de coups par les policiers. Le député allemand a ajouté que lui et ses compagnons d’infortune s’étaient fait confisquer leur passeport au cours de leur détention. La présidente de son parti a exigé que la chancelière Angela Merkel évoque la question des droits de l’homme avec le président russe lors du sommet du G8 prévu le mois prochain en Allemagne.

    Un célèbre défenseur britanique des homosexuels, Peter Tatchell, à été jeté au sol et frappé à deux reprises. Quand il s’est relevé, couvert de sang, il a été frappé une nouvelle fois à l’oeil et embarqué par deux policiers anti-émeutes qui n’étaient visiblement pas génés par les caméras filmant la scène.

    Des nationalistes ont lancé des oeufs sur une député transexuelle de Rifondazione Comunista, Vladimir Luxuria, qui, tremblante, déclarait après coup: "Dès mon retour, je vais faire pression sur notre parlement pour que le président italien évoque ce grave incident avec Vladimir Poutine lors de sa prochaine visite. Malheureusement Nikolaï Alexeïev (le leader du mouvement) restera cette nuit au poste de police et il y aura un procès lundi car il est accusé d’avoir résisté à la police".

    Cependant, ces réactions homophobes ne reflètent pas forcément l’opinion publique car, selon un sondage récent, 51% des russes pensent que les gays et les lesbiennes devraient avoir les même droits que les autres. Mais il est clair que les déclarations politiques ou autres propagent la haine et la violence dans le pays tout entier. Poutine est d’ailleurs arrivé au pouvoir en attisant la haine et les divisions dans son pays (Tchétchénie, terreur, assassinats politiques, magouilles financières…). Le sommet du G8 nous a montré que sa doctrine était: "diviser pour mieux régner". Tenter de faire pression sur la Russie à cette occasion n’est pas sérieux.

    Que faire, alors?

    Nous devons bien sûr nous organiser pour combattre le racisme sous toutes ses formes. Pour changer la donne, nous devons dépasser le chacun pour soi et rester unis: homos et hétéros, hommes et femmes, travailleurs et chômeurs, flamands et francophones, belges et immigrés… mais ce n’est qu’un début.

    Aucun changement radical n’est possible tant que nos vies seront dirigées par des puissances économiques, comme le G8. Notre rôle en tant que socialistes est de prouver que c’est seulement en combattant le système capitaliste, ainsi que toutes les pourritures toxiques qui émannent de lui et en mettant sur pied une nouvelle société basée cette fois sur la solidarité et l’égalité -une société socialiste-, que ces problèmes seront réglés une fois pour toutes.

  • Flightcare: Vindevoghel gagne son procès, mais regagnera-t-elle son emploi?

    En juillet 2005, Maria Vindevoghel, déléguée LBC (la Centrale flamande des Employés de la CSC) avait été licenciée sous prétexte qu’elle n’avait pas respecté les règles de sécurité, traquée par la direction pour qui la moindre excuse était bonne pour se débarasser d’une déléguée trop gênante.

    Par un militant LBC/CNE

    La Cour du Travail de Bruxelles vient de juger qu’elle avait été injustement licenciée par Flightcare, que la déléguée et son syndicat avaient été discriminés par cette entreprise et qu’elle devrait maintenant retrouver sa place.

    En soi, c’est une victoire importante. Mais que faire si Flightcare ne réintègre pas la déléguée malgré tout ?

    La Cour du Travail a notamment déclaré qu’il n‘existe aucune base légale pour imposer des astreintes. Il n’existe donc concrètement aucun levier et Flightcare n’a d’ailleurs donné aucune suite à cette décision si ce n’est de faire appel à la Cour de Cassation.

    En France et aux Pays-Bas, un employeur doit d’abord recevoir la permission avant de licencier un délégué. Dans le cas contraire, le licenciement est annulé.

    En Belgique, le renforcement de la protection des délégués est un thème crucial, surtout à l’approche des élections sociales de 2008. Si des astreintes imposées à l’employeur peuvent être une option, la réintégration des délégués injustement licenciés doit être obligatoire.

    Le droit de grève et la protection des délégués ont été acquis sur base de la lutte et de la solidarité, c’est par la lutte et la solidarité que ces acquis seront préservés et élargis.

  • La révolution russe.

    (conférence donnée par Léon Trotsky, en 1932 à Copenhague)

    Léon Trotsky

    « Chers auditeurs, permettez-moi dès le début d’exprimer le regret sincère de ne pas avoir la possibilité de parler en langue danoise devant un auditoire de Copenhague. Ne nous demandons pas si les auditeurs ont quelque chose à y perdre. En ce qui concerne le conférencier, l’ignorance de la langue danoise lui dérobe toutefois la possibilité de suivre la vie scandinave et la littérature scandinave directement, de première main et dans l’original. Et cela est une grande perte !

    La langue allemande à laquelle je suis contraint de recourir ici est puissante et riche. Mais ma “langue allemande” est assez limitée. Du reste, sur des questions compliquées on ne peut s’expliquer avec la liberté nécessaire que dans sa propre langue. Je dois par conséquent demander par avance l’indulgence de l’auditoire.

    Je fus pour la première fois à Copenhague au Congrès socialiste international et j’emportais avec moi les meilleurs souvenirs de votre ville. Mais cela remonte à près d’un quart de siècle. Dans le Ore-sund et dans les fjords, l’eau a depuis plusieurs fois changé. Mais pas l’eau seulement. La guerre a brisé la colonne vertébrale du vieux continent européen. Les fleuves et les mers de l’Europe ont charrié avec eux beaucoup de sang humain. L’humanité, en particulier sa partie européenne, est passée à travers de dures épreuves, est devenue plus sombre et plus rude. Toutes les formes de lutte sont devenues plus âpres. Le monde est entré dans une époque de grands changements. Ses extériorisations extrêmes sont la guerre et la révolution.

    Avant de passer au thème de ma conférence — à la Révolution russe — j’estime devoir exprimer mes remerciements aux organisateurs de la réunion, l’Association de Copenhague des étudiants sociaux-démocrates. Je le fais en tant qu’adversaire politique. Il est vrai que ma conférence poursuit des tâches scientifiques-historiques et non des tâches politiques. Je le souligne aussitôt dès le début. Mais il est impossible de parler d’une révolution d’où est sortie la République des Soviets sans occuper une position politique. En ma qualité de conférencier, mon drapeau reste le même que celui sous lequel j’ai participé aux événements révolutionnaires.

    Jusqu’à la guerre, le parti bolchévique appartint à la social-démocratie internationale. Le 4 août 1914, le vote de la social-démocratie allemande en faveur des crédits de guerre a mis une fois pour toutes une fin à ce lien et a conduit à l’ère de la lutte incessante et intransigeante du bolchevisme contre la social-démocratie. Cela doit-il signifier que les organisateurs de cette réunion commirent une erreur en m’invitant comme conférencier ?

    Là-dessus, l’auditoire sera en état de juger seulement après ma conférence. Pour justifier mon acceptation de l’invitation aimable à faire un exposé sur la Révolution russe, je me permets de rappeler que pendant les 35 années de ma vie politique, le thème de la Révolution russe constitua l’axe pratique et théorique de mes préoccupations et de mes actions. Peut-être cela me donne-t-il un certain droit d’espérer que je réussirai à aider non seulement mes amis et amis d’idées, mais aussi des adversaires, du moins en partie, à mieux saisir maints traits de la Révolution qui jusqu’à aujourd’hui échappaient à leur attention. Toutefois, le but de ma conférence est d’aider à comprendre. Je ne me propose pas ici de propager la Révolution ni d’appeler à la Révolution, je veux l’expliquer.

    La Révolution signifie un changement du régime social. Elle transmet le pouvoir des mains d’une classe qui s’est épuisée entre les mains d’une autre classe en ascension. L’insurrection constitue le moment le plus critique et le plus aigu dans la lutte de deux classes pour le pouvoir. Le soulèvement ne peut mener à la victoire réelle de la révolution et à l’érection d’un nouveau régime que dans le cas où il s’appuie sur une classe progressive qui est capable de rassembler autour d’elle la majorité écrasante du peuple.

    A la différence des processus de la nature, la Révolution est réalisée par des hommes au moyen des hommes. Mais dans la Révolution aussi, les hommes agissent sous l’influence des conditions sociales qui ne sont pas librement choisies par eux, mais qui sont héritées du passé et qui leur montrent impérieusement la voie. C’est précisément à cause de cela, et rien qu’à cause de cela que la Révolution a ses propres lois.

    Mais la conscience humaine ne reflète pas passivement les conditions objectives. Elle a l’habitude de réagir activement sur celles-ci. A certains moments, cette réaction acquiert un caractère de masse, tendu, passionné. Les barrières du droit et du pouvoir sont renversées. Précisément, l’intervention active des masses dans les événements constitue l’élément le plus essentiel de la révolution.

    Mais même l’activité la plus fougueuse peut rester au niveau d’une démonstration, d’une rébellion, sans s’élever à la hauteur de la révolution. Le soulèvement des masses doit mener au renversement de la domination d’une classe et à l’établissement de la domination d’une autre. C’est alors seulement que nous avons une révolution achevée. Le soulèvement des masses n’est pas une entreprise isolée que l’on peut déclencher à son gré. Il représente un élément objectivement conditionné dans le développement de la révolution de même que la révolution est un processus objectivement conditionné dans le développement de la société. Mais les conditions du soulèvement existent-elles, on ne doit pas attendre passivement, la bouche ouverte : dans les affaires humaines aussi, il y a comme le dit Shakespeare, des flux et des reflux : “There is a tide in the affairs of man which, taken at the flood, leads on to fortune.”

    Pour balayer le régime qui se survit, la classe progressive doit comprendre que son heure a sonné, et se poser pour tâche la conquête du pouvoir. Ici s’ouvre le champ de l’action révolutionnaire consciente où la prévoyance et le calcul s’unissent à la volonté et la hardiesse. Autrement dit : ici s’ouvre le champ d’action du parti.

    Le “coup d’Etat”

    Le parti révolutionnaire unit en lui le meilleur de la classe progressiste. Sans un parti capable de s’orienter dans les circonstances, d’apprécier la marche et le rythme des événements et de conquérir à temps la confiance des masses, la victoire de la révolution prolétarienne est impossible. Tel est le rapport des facteurs objectifs et des facteurs subjectifs de la révolution et de l’insurrection.

    Comme vous le savez, dans des discussions, des adversaires — en particulier dans la théologie — ont l’habitude de discréditer fréquemment la vérité scientifique en la poussant à l’absurde. Cette vérité s’appelle même en logique en : Reduction ad absurdum. Nous allons tenter de suivre la voie opposée : c’est-à-dire que nous prendrons comme point de départ une absurdité afin de nous rapprocher plus sûrement de la vérité. En tout cas, on ne peut se plaindre d’un manque d’absurdités. Prenons-en une des plus fraîches et des plus crues.

    L’écrivain italien Malaparte, quelque chose comme un théoricien fasciste — il en existe aussi — a récemment lancé un livre sur la technique du coup d’Etat ; l’auteur consacre bien entendu un nombre de pages non négligeables de son “investigation” à l’insurrection d’Octobre.

    A la différence de la “stratégie” de Lénine qui reste liée aux rapports sociaux et politique de la Russie de 1917, “la tactique de Trotsky n’est — selon les termes de Malaparte — au contraire nullement liée aux conditions générales du pays”. Telle est l’idée principale de l’ouvrage ! Malaparte oblige Lénine et Trotsky, dans les pages de son livre, à conduire de nombreux dialogues dans lesquels les interlocuteurs font tous les deux montre d’aussi peu de profondeur d’esprit que la nature en a mis à la disposition de Malaparte. Aux objections de Lénine sur les prémisses sociales et politiques de l’insurrection, Malaparte attribue à Trotsky soi-disant la réponse littérale suivante : “Votre stratégie exige beaucoup trop de conditions favorables ; l’insurrection n’a besoin de rien, elle se suffit à elle-même”. Vous entendez ? “L’insurrection n’a besoin de rien”. Telle est précisément, chers auditeurs, l’absurdité qui doit nous servir à nous rapprocher de la vérité. L’auteur répète avec persistance qu’en octobre ce n’est pas la stratégie de Lénine mais la tactique de Trotsky qui a triomphé. Cette tactique menace, selon ses propres termes, encore maintenant, la tranquillité des Etats européens. “La stratégie de Lénine — je cite textuellement — ne constitue aucun danger immédiat pour les gouvernements de l’Europe. La tactique de Trotsky constitue pour eux un danger actuel et par conséquent permanent”. Plus concrètement : “Mettez Poincaré à la place de Kerensky et le coup d’Etat bolchévik d’Octobre 1917 eut tout aussi bien réussi”. Il est difficile de croire qu’un tel livre soit traduit en diverses langues et accueilli sérieusement.

    En vain chercherions-nous à approfondir pourquoi en général la stratégie de Lénine dépendant des conditions historiques est nécessaire, si la “tactique de Trotsky” permet de résoudre la même tâche dans toute la situation. Et pourquoi les révolutions victorieuses sont-elles si rares si, pour leur réussite, il ne suffit que d’une paire de recettes techniques ?

    Le dialogue entre Lénine et Trotsky présenté par l’écrivain fasciste est dans l’esprit comme dans la forme une invention inepte du commencement jusqu’à la fin. De telles inventions circulent beaucoup dans le monde. Par exemple maintenant à Madrid un livre est imprimé sous mon nom : La vida del Lenin (“La vie de Lénine”) pour lequel je suis aussi peu responsable que pour les recettes tactiques de Malaparte. L’hebdomadaire de Madrid Estampa présenta de ce soi-disant livre de Trotsky sur Lénine en bonnes feuilles, des chapitres entiers qui contiennent des outrages abominables contre la mémoire de l’homme que j’estimais et que j’estime incomparablement plus haut que quiconque parmi mes contemporains.

    Mais abandonnons les faussaires à leur sort. Le vieux Wilhelm Leibknecht, le père du combattant et héros immortel Karl Leibknecht, aimait répéter : “L’homme politique révolutionnaire doit être pourvu d’une peau épaisse”. Le docteur Stockmann recommandait encore plus clairement à celui qui se propose d’aller à l’encontre de l’opinion sociale de ne pas mettre de pantalons neufs.

    Nous enregistrons ces deux bons conseils, et nous passons à l’ordre du jour.

    Quelles questions la Révolution d’Octobre éveille-t-elle chez un homme qui réfléchit ?

    1) Pourquoi et comment cette révolution a-t-elle abouti ? Plus concrètement : pourquoi la révolution prolétarienne a-t-elle triomphé dans un des pays les plus arriérés d’Europe ?

    2) Qu’a apporté la Révolution d’Octobre ?

    Et enfin :

    3) A-t-elle fait ses preuves ?

    Les causes d’Octobre

    A la première question — sur les causes — on peut déjà maintenant répondre d’une façon plus ou moins complète. J’ai tenté de le faire le plus explicitement dans mon Histoire de la Révolution. Ici, je ne puis que formuler les conclusions les plus importantes.

    Le fait que le prolétariat soit arrivé au pouvoir pour la première fois dans un pays aussi arriéré que l’ancienne Russie tsariste, n’apparaît mystérieux qu’à première vue ; en réalité cela est tout à fait logique. On pouvait le prévoir et on l’a prévu. Plus encore : sur la perspective de ce fait, les révolutionnaires marxistes édifièrent leur stratégie longtemps avant les événements décisifs.

    L’explication première est la plus générale : la Russie est un pays arriéré mais elle n’est seulement qu’une partie de l’économie mondiale, qu’un élément du système capitaliste mondial. En ce sens, Lénine a résolu l’énigme de la Révolution russe par la formule lapidaire : la chaîne est rompue à son maillon le plus faible.

    Une illustration nette : la grande guerre, issue des contradictions de l’impérialisme mondial, entraîna dans son tourbillon des pays qui se trouvaient à des étapes différentes de développement, mais elle posa les mêmes exigences à tous les participants. Il est clair que les charges de la guerre devaient être particulièrement insupportables pour les pays les plus arriérés. La Russie fut la première contrainte à céder le terrain. Mais pour se détacher de la guerre, le peuple russe devait abattre les classes dirigeantes. Ainsi la chaîne de la guerre se rompit à son plus faible chaînon.

    Mais la guerre n’est pas une catastrophe venue du dehors comme un tremblement de terre, c’est, pour parler avec le vieux Clausewitz, la continuation de la politique par d’autres moyens. Pendant la guerre, les tendances principales du système impérialiste du temps de “paix” ne firent que s’extérioriser plus crûment. Plus hautes sont les forces productives générales, plus tendue la concurrence mondiale, plus aigus les antagonismes, plus effrénée la course aux armements, et d’autant plus pénible est la situation pour les participants les plus faibles. C’est précisément pourquoi les pays arriérés occupent les premières places dans la série des écroulements. La chaîne du capitalisme mondial a toujours tendance à se rompre au chaînon le plus faible.

    Si à la suite de quelques conditions extraordinaires ou extraordinairement défavorables (par exemple une intervention militaire victorieuse de l’extérieur ou des fautes irréparables du gouvernement soviétique lui-même) le capitalisme russe était rétabli sur l’immense territoire soviétique, en même temps que lui serait aussi inévitablement rétablie son insuffisance historique, et lui-même serait bientôt à nouveau la victime des mêmes contradictions qui le conduisirent en 1917 à l’explosion. Aucune recette tactique n’aurait pu donner la vie à la Révolution d’Octobre si la Russie ne l’avait portée dans son corps. Le parti révolutionnaire ne peut finalement prétendre pour lui qu’au rôle d’accoucheur qui est obligé d’avoir recours à une opération césarienne.

    On pourrait m’objecter : vos considérations générales peuvent suffisamment expliquer pourquoi la vieille Russie, ce pays où le capitalisme arriéré auprès d’une paysannerie misérable était couronné par une noblesse parasitaire et une monarchie putréfiée, devait faire naufrage. Mais dans l’image de la chaîne, et du plus faible maillon, il manque toujours encore la clé de l’énigme proprement dite : comment dans un pays arriéré, la révolution socialiste pouvait-elle triompher ? Mais l’histoire connaît beaucoup d’exemples de décadence de pays et de cultures avec l’écroulement simultané des vieilles classes pour qui il ne s’est trouvé aucune relève progressiste. L’écroulement de la vieille Russie aurait dû, à première vue, transformer le pays en une colonie capitaliste plutôt qu’en un Etat socialiste.

    Cette objection est très intéressante. Elle nous mène directement au coeur de tout le problème. Et cependant cette objection est vicieuse, je dirais dépourvue de proportion interne. D’une part elle provient d’une conception exagérée en ce qui concerne le retard de la Russie, d’autre part d’une fausse conception théorique en ce qui concerne le phénomène du retard historique en général.

    Les êtres vivants, entre autres les hommes naturellement aussi, traversent suivant leur âge des stades de développement semblables. Chez un enfant normal de 5 ans, on trouve une certaine correspondance entre le poids, le tour de taille et les organes internes. Mais il en est déjà autrement avec la conscience humaine. En opposition avec l’anatomie et la physiologie, la psychologie, celle de l’individu comme celle de la collectivité, se distingue par l’extraordinaire capacité d’assimilation, la souplesse et l’élasticité : en cela même consiste aussi l’avantage aristocratique de l’homme sur sa parenté zoologique la plus proche de l’espèce des singes. La conscience, susceptible d’assimiler et souple, confère comme condition nécessaire du progrès historique aux “organismes” dits sociaux, à la différence des organismes réels, c’est-à-dire biologiques, une extraordinaire variabilité de la structure interne. Dans le développement des nations et des Etats, des Etats capitalistes en particulier, il n’y a ni similitude ni uniformité. Différents degrés de culture, même leurs pôles se rapprochent et se combinent assez souvent dans la vie d’un seul et même pays.

    N’oublions pas, chers auditeurs, que le retard historique est une notion relative. S’il y a des pays arriérés et avancés, il y a aussi une action réciproque entre eux ; il y a la pression des pays avancés sur les retardataires ; il y a la nécessité pour les pays arriérés de rejoindre les pays avancés, de leur emprunter la technique, la science, etc. Ainsi surgit un type combiné du développement : des traits de retard s’accouplent au dernier mot de la technique mondiale et de la pensée mondiale. Enfin, les pays historiquement arriérés, pour surmonter leur retard, sont parfois contraints de dépasser les autres.

    La souplesse de la conscience collective donne la possibilité d’atteindre dans certaines conditions sur l’arène sociale le résultat que l’on appelle dans la psychologie individuelle, “la compensation”. Dans ce sens, on peut dire que la Révolution d’Octobre fut pour les peuples de la Russie un moyen héroïque de surmonter leur propre infériorité économique et culturelle.

    Mais passons sur ces généralisations historico-politiques, peut-être quelque peu trop abstraites, pour poser la même question sous une forme plus concrète, c’est-à-dire à travers les faits économiques vivants. Le retard de la Russie au XXème siècle s’exprime le plus clairement ainsi : l’industrie occupe dans le pays une place minime en comparaison du village, le prolétariat en comparaison de la paysannerie. Dans l’ensemble, cela signifie une faible productivité du travail national. Il suffit de dire qu’à la veille de la guerre, lorsque la Russie tsariste avait atteint le sommet de sa prospérité, le revenu national était 8 à 10 fois plus bas qu’aux Etats-Unis. Cela exprime numériquement “l’amplitude” du retard, si l’on peut en général se servir du mot amplitude en ce qui concerne le retard.

    En même temps la loi du développement combiné s’exprime dans le domaine économique à chaque pas dans les phénomènes simples comme dans les phénomènes complexes. Presque sans routes nationales, la Russie se vit obligée de construire des chemins de fer. Sans être passée par l’artisanat européen et la manufacture, la Russie passa directement aux entreprises mécaniques. Sauter les étapes intermédiaires, tel est le sort des pays arriérés.

    Tandis que l’économie paysanne restait fréquemment au niveau du 17ème siècle, l’industrie de la Russie, si ce n’est par sa capacité du moins par son type, se trouvait au niveau des pays avancés et dépassait ceux-ci sous maints rapports. Il suffit de dire que les entreprises géantes avec plus de mille ouvriers occupaient aux Etats-Unis moins de 18% du total des ouvriers industriels, et par contre en Russie plus de 41%. Ce fait se laisse mal concilier avec la conception banale du retard économique de la Russie. Toutefois, il ne contredit pas le retard, il complète dialectiquement celui-ci.

    La structure de classe du pays portait aussi le même caractère contradictoire. Le capital financier de l’Europe industrialisa l’économie russe à un rythme accéléré. La bourgeoisie industrielle acquit aussitôt un caractère de grand capitalisme, ennemi du peuple. De plus, les actionnaires étrangers vivaient hors du pays. Par contre, les ouvriers étaient bien entendu des Russes. Une bourgeoisie russe numériquement faible qui n’avait aucune racine nationale se trouvait de cette manière opposée à un prolétariat relativement fort avec de fortes et profondes racines dans le peuple.

    Au caractère révolutionnaire du prolétariat contribua le fait que la Russie — précisément comme pays arriéré obligé de rejoindre les adversaires — n’était pas arrivée à élaborer un conservatisme social ou politique propre. Comme pays le plus conservateur de l’Europe, même du monde entier, le plus ancien pays capitaliste, l’Angleterre me donne raison. Le pays d’Europe le plus libéré du conservatisme pouvait bien être la Russie.

    Le prolétariat russe, jeune, frais, résolu, ne constituait cependant toujours qu’une minorité infime de la nation. Les réserves de sa puissance révolutionnaire se trouvaient en dehors du prolétariat même : dans la paysannerie, vivant dans un semi-servage, et dans les nationalités opprimées.

    La paysannerie

    La question agraire constituait la base de la révolution. L’ancien servage Etatique-monarchique était doublement insupportable dans les conditions de la nouvelle exploitation capitaliste. La communauté agraire occupait environ 140 millions de déciatines. A trente mille gros propriétaires fonciers, dont chacun possédait en moyenne plus de 2 000 déciatines, revenait un total de 70 millions de déciatines, c’est-à-dire autant qu’à environ 10 millions de familles paysannes, ou 50 millions d’êtres formant la population agraire. Cette statistique de la terre constituait un programme achevé du soulèvement paysan.

    Un noble, Boborkin, écrivit en 1917 au Chambellan Rodzianko, le président de la dernière Douma d’Etat : “Je suis un propriétaire foncier et il ne me vient pas à l’idée que je doive perdre ma terre, et encore pour un but incroyable, pour expérimenter l’enseignement socialiste”. Mais les révolutions ont précisément pour tâches d’accomplir ce qui ne pénètre pas dans les classes dominantes.

    A l’automne 1917, presque tout le pays était atteint par le soulèvement paysan. Sur 621 districts de la vieille Russie, 482 — c’est à dire 77% — étaient touchés par le mouvement. Le reflet de l’incendie du village illuminait l’arène du soulèvement dans les villes.

    Mais la guerre paysanne contre les propriétaires fonciers, allez-vous m’objecter, est un des éléments classiques de la révolution bourgeoise et pas du tout de la révolution prolétarienne !

    Je réponds : tout à fait juste, il en fut ainsi dans le passé ! Mais c’est précisément l’impuissance de vie de la société capitaliste dans un pays historiquement arriéré qui s’exprime en cela même, que le soulèvement paysan ne pousse pas en avant les classes bourgeoises de la Russie, mais au contraire les rejette définitivement dans le camp de la réaction. Si la paysannerie ne voulait pas sombrer, il ne lui restait rien d’autre que l’alliance avec le prolétariat industriel. Cette jonction révolutionnaire des deux classes opprimées, Lénine la prévit génialement, et la prépara de longue main.

    Si la question agraire avait été résolue courageusement par la bourgeoisie, alors, assurément le prolétariat russe n’aurait nullement pu arriver au pouvoir en 1917. Venue trop tard, tombée précocement en décrépitude, la bourgeoisie russe, cupide et lâche, n’osa cependant pas lever la main contre la propriété féodale. Ainsi, elle remit le pouvoir au prolétariat, et en même temps le droit de disposer du sort de la société bourgeoise.

    Afin que l’Etat soviétique se réalise, l’action combinée de deux facteurs de nature historique différente était par conséquent nécessaire : la guerre paysanne, c’est-à-dire un mouvement qui est caractéristique de l’aurore du développement bourgeois, et le soulèvement prolétarien qui annonce le déclin du mouvement bourgeois. En cela même réside le caractère combiné de la Révolution russe.

    Qu’il se dresse une fois sur ses pattes de derrière, et l’ours paysan devient redoutable dans son emportement. Cependant il n’est pas en état de donner à son indignation une expression consciente. Il a besoin d’un dirigeant. Pour la première fois dans l’histoire du monde, la paysannerie insurgée a trouvé dans la personne du prolétariat un dirigeant loyal.

    4 millions d’ouvriers de l’industrie et des transports dirigent 100 millions de paysans. Tel fut le rapport naturel et inévitable entre le prolétariat et la paysannerie dans la révolution.

    La question nationale

    La seconde réserve révolutionnaire du prolétariat était constituée par les nations opprimées, d’ailleurs à composition paysanne prédominante également. Le caractère extensif du développement de l’Etat, qui s’étend comme une tache de graisse du centre moscovite jusqu’à la périphérie, est étroitement lié au retard historique du pays. A l’est, il subordonne les populations encore plus arriérées pour mieux étouffer, en s’appuyant sur elles, les nationalités plus développées de l’ouest. Aux 10 millions de grands-russes qui constituaient la masse principale de la population, s’adjoignaient successivement 90 millions d’“allogènes”.

    Ainsi se composait l’empire dans la composition duquel la nation dominante ne constituait que 43% de la population, tandis que les autres 57% relevaient de nationalités de culture et de régime différents. La pression nationale était en Russie incomparablement plus brutale que dans les Etats voisins, et à vrai dire non seulement de ceux qui étaient de l’autre côté de la frontière occidentale, mais aussi de la frontière orientale. Cela conférait au problème nationale une force explosive énorme.

    La bourgeoisie libérale russe ne voulait, ni dans la question nationale, ni dans la question agraire, aller au-delà de certaines atténuations du régime d’oppression et de violence. Les gouvernements “démocratiques” de Milioukov et de Kerensky qui reflétaient les intérêts de la bourgeoisie et de la bureaucratie grand-russe se hâtèrent au cours des huit mois de leur existence précisément de le faire comprendre aux nations mécontentes : vous n’obtiendrez que ce que vous arracherez par la force.

    Lénine avait très tôt pris en considération l’inévitabilité du développement du mouvement national centrifuge. Le parti bolchévique lutta durant des années opiniâtrement pour le droit d’autodétermination des nations, c’est-à-dire pour le droit à la complète séparation étatique. Ce n’est que par cette courageuse position dans la question nationale que le prolétariat russe put gagner peu à peu la confiance des populations opprimées. Le mouvement de libération nationale, comme aussi le mouvement paysan se tournèrent forcément contre la démocratie officielle, fortifièrent le prolétariat, et se jetèrent dans le lit de l’insurrection d’Octobre.

    La révolution permanente

    Ainsi se dévoile peu à peu devant nous l’énigme de l’insurrection prolétarienne dans un pays historiquement arriéré.

    Longtemps avant les événements, les révolutionnaires marxistes ont prévu la marche de la révolution et le rôle historique du jeune prolétariat russe. Peut-être me permettra-t-on de donner ici un extrait de mon propre ouvrage sur l’année 1905 :

    “(…) Dans un pays économiquement plus arriéré, le prolétariat peut arrivé plus tôt au pouvoir que dans un pays capitaliste avancé.

    “(…) La révolution russe crée (…) de telles conditions dans lesquelles le pouvoir peut passer (et avec la victoire de la révolution, doit passer) au prolétariat, même avant que la politique du libéralisme bourgeois ait eu la possibilité de déployer dans toute son ampleur son génie étatique.

    “(…) Le sort des intérêts révolutionnaires les plus élémentaires de la paysannerie (…) se noue au sort de toute la révolution, c’est-à-dire au sort du prolétariat. Le prolétariat arrivant au pouvoir apparaîtra à la paysannerie comme le libérateur de classe.

    “(…) Le prolétariat entre au gouvernement comme représentant révolutionnaire de la nation, comme dirigeant reconnu du peuple en lutte contre l’absolutisme et la barbarie du servage.

    “(…) Le régime prolétarien devra dès le début se prononcer pour la solution de la question agraire à laquelle est liée la question du sort de puissantes masses populaires de la Russie.”

    Je me suis permis d’apporter cette citation pour témoigner que la théorie de la Révolution d’Octobre présentée aujourd’hui par moi n’est pas une improvisation rapide, et ne fut pas construite après coup sous la pression des événements. Non, elle fut émise sous la forme d’un pronostic politique longtemps avant l’insurrection d’Octobre. Vous serez d’accord que la théorie n’a de valeur en général que dans la mesure où elle aide à prévoir le cours du développement, et à influencer vers ses buts. En cela même consiste, pour parler de façon générale, l’importance inestimable du marxisme comme arme d’orientation sociale et historique. Je regrette que le cadre étroit de l’exposé ne me permette pas d’étendre la citation précédente d’une façon plus large, c’est pourquoi je me contente d’un court résumé de tout l’écrit de l’année 1905.

    D’après ses tâches immédiates, la Révolution russe est une révolution bourgeoise. Mais la bourgeoisie russe est anti-révolutionnaire. Par conséquent la victoire de la révolution n’est possible que comme victoire du prolétariat. Or, le prolétariat victorieux ne s’arrêtera pas au programme de la démocratie bourgeoise, il passera au programme du socialisme. La Révolution russe deviendra la première étape de la révolution socialiste mondiale.

    Telle était la théorie de la révolution permanente, édifiée par moi en 1905 et depuis exposée à la critique la plus acerbe sous le nom de “trotskysme”.

    Pour mieux dire : ce n’est qu’une partie de cette théorie. L’autre, maintenant particulièrement d’actualité, exprime :

    Les forces productives actuelles ont depuis longtemps dépassé les barrières nationales. La société socialiste est irréalisable dans les limites nationales. Si importants que puissent être les succès économiques d’un Etat ouvrier isolé, le programme du “socialisme dans un seul pays” est une utopie petite bourgeoise. Seule une Fédération européenne, et ensuite mondiale, de républiques socialistes, peut ouvrir la voie à une société socialiste harmonieuse.

    Aujourd’hui, après l’épreuve des événements, je vois moins de raisons que jamais de me dédire de cette théorie.

    Le bolchévisme

    Après tout ce qui vient d’être dit, est-il encore la peine de se souvenir de l’écrivain fasciste Malaparte, qui m’attribue une tactique indépendante de la stratégie et découlant de recettes insurrectionnelles techniques qui seraient applicables toujours et sous tous les méridiens ? Il est du moins bon que le nom du malheureux théoricien du coup d’Etat permette de le distinguer sans peine du praticien victorieux du coup d’Etat : personne ne risque ainsi de confondre Malaparte avec Bonaparte.

    Sans le soulèvement du 7 novembre 1917, l’Etat soviétique n’existerait pas. Mais le soulèvement même n’était pas tombé du ciel. Pour la Révolution d’Octobre, une série de prémisses historiques était nécessaire.

    1° La pourriture des anciennes classes dominantes, de la noblesse, de la monarchie, de la bureaucratie ;

    2° La faiblesse politique de la bourgeoisie qui n’avait aucune racine dans les masses populaires ;

    3° Le caractère révolutionnaire de la question agraire ;

    4° Le caractère révolutionnaire du problème des nationalités opprimées ;

    5° Le poids social imposant du prolétariat.

    A ces prémisses organiques, on doit ajouter des conditions conjoncturelles hautement importantes :

    6° La Révolution de 1905 fut la grande école ou, selon l’expression de Lénine, la “répétition générale” de la Révolution de 1917. Les soviets, comme forme d’organisation irremplaçable du front unique prolétarien dans la révolution, furent constitués pour la première fois en 1905 ;

    7° La guerre impérialiste aiguisa toutes les contradictions, arracha les masses arriérées à leur état d’immobilité, et prépara ainsi le caractère grandiose de la catastrophe ;

    Mais toutes ces conditions qui suffisaient complètement pour que la Révolution éclate, étaient insuffisantes pour assurer la victoire du prolétariat dans la Révolution. Pour cette victoire, une condition était encore nécessaire :

    8° Le parti bolchévique.

    Si j’énumère cette condition comme la dernière de la série, ce n’est que parce que cela correspond à la conséquence logique, et non parce que j’attribue au parti la place la moins importante.

    Non, je suis très éloigné de cette pensée. La bourgeoisie libérale, elle, peut s’emparer du pouvoir et l’a pris déjà plusieurs fois comme résultat de luttes auxquelles elle n’avait pas pris part : elle possède à cet effet des organes de préhension magnifiquement développés. Cependant, les masses laborieuses se trouvent dans une autre situation, on les a habituées à donner et non à prendre. Elles travaillent, patientes, aussi longtemps que cela va, espèrent, perdent patience, se soulèvent, combattent, meurent, apportent la victoire aux autres, sont trompées, tombent dans le découragement, elles courbent à nouveau la nuque, elles travaillent à nouveau. Telle est l’histoire des masses populaires sous tous les régimes. Pour prendre fermement et sûrement le pouvoir dans ses mains, le prolétariat a besoin d’un parti qui dépasse de loin les autres partis comme clarté de pensée et comme décision révolutionnaire.

    Le parti des bolchéviks que l’on désigna plus d’une fois et à juste titre comme le parti le plus révolutionnaire dans l’histoire de l’humanité, était la condensation vivante de la nouvelle histoire de la Russie, de tout ce qui était dynamique en elle. Depuis longtemps déjà la chute de la monarchie était devenue la condition préalable du développement de l’économie et de la culture. Mais pour répondre à cette tâche, les forces manquaient. La bourgeoisie s’effrayait devant la Révolution. Les intellectuels tentèrent de dresser la paysannerie sur ses jambes. Incapable de généraliser ses propres peines et ses buts, le moujik laissa cette exhortation sans réponse. L’intelligentsia s’arma de dynamite. Toute une génération se consuma dans cette lutte.

    Le 1er Mars 1887, Alexandre Oulianov exécuta le dernier des grands attentats terroristes. La tentative d’attentat contre Alexandre III échoua. Oulianov et les autres participants furent pendus. La tentative de remplacer la classe révolutionnaire par une préparation chimique, avait fait naufrage. Même l’intelligentsia la plus héroïque n’est rien sans les masses. Sous l’impression immédiate de ces faits et de ses conclusions, grandit et se forma le plus jeune frère de Oulianov, Vladimir, le futur Lénine, la plus grande figure de l’histoire russe. De bonne heure dans sa jeunesse, il se plaça sur le terrain du marxisme et tourna le visage vers le prolétariat. Sans perdre des yeux un instant le village, il chercha le chemin vers la paysannerie à travers les ouvriers. En héritant de ses précurseurs révolutionnaires la résolution, la capacité de sacrifice, la disposition à aller jusqu’au bout, Lénine devint dans ses années de jeunesse l’éducateur de la nouvelle génération intellectuelle et des ouvriers avancés. Dans les luttes grévistes et de rues, dans les prisons et en déportation, les travailleurs acquirent la trempe nécessaire. Le projecteur du marxisme leur était nécessaire pour éclairer dans l’obscurité de l’autocratie leur voie historique.

    En 1883 naquit dans l’émigration le premier groupe marxiste. En 1898, à une assemblée clandestine fut proclamée la création du parti social-démocrate ouvrier russe (nous nous appelions tous en ce temps sociaux-démocrates). En 1903, eut lieu la scission entre bolchéviks et mencheviks. En 1912, la fraction bolchévique devint définitivement un parti indépendant.

    Il enseigna à reconnaître la mécanique de classe de la société dans les luttes, dans de grandioses événements, pendant 12 ans (1905-1917). Il éduqua des cadres aptes également à l’initiative comme à l’obéissance. La discipline de l’action révolutionnaire s’appuyait sur l’unité de la doctrine, les traditions des luttes communes et la confiance envers une direction éprouvée.

    Tel était le parti en 1917. Tandis que l’“opinion publique” officielle et les tonnes de papier de la presse intellectuelle le mésestimaient, il s’orientait selon le mouvement des masses. Il tenait fermement le levier en main au-dessus des usines et des régiments. Les masses paysannes se tournaient toujours plus vers lui. Si l’on entend par nation non les sommets privilégiés, mais la majorité du peuple, c’est-à-dire les ouvriers et les paysans, alors le bolchevisme devint au cours de l’année 1917 le parti russe véritablement national.

    En 1917, Lénine, contraint de se tenir à l’abri, donna le signal : “La crise est mûre, l’heure du soulèvement approche”. Il avait raison. Les classes dominantes étaient tombées dans l’impasse en face des problèmes de la guerre et de la libération nationale. La bourgeoisie perdit définitivement la tête. Les partis démocratiques, les mencheviks et les socialistes révolutionnaires, dissipèrent le dernier reste de leur confiance auprès des masses, en soutenant la guerre impérialiste par la politique de compromis impuissants et de concessions aux propriétaires bourgeois et féodaux. L’armée réveillée ne voulait plus lutter pour les buts de l’impérialisme qui lui étaient étrangers. Sans faire attention aux conseils démocratiques, la paysannerie expulsa les propriétaires fonciers de leurs domaines. La périphérie nationale opprimée de l’empire se dressa contre la bureaucratie petersbourgeoise. Dans les conseils d’ouvriers et de soldats les plus importants, les bolchéviks dominaient. Les ouvriers et les soldats exigeaient des actes. L’abcès était mûr. Il fallait un coup de bistouri.

    Le soulèvement ne fut possible que dans ces conditions sociales et politiques.

    Et il fut aussi inéluctable. Mais on ne peut plaisanter avec l’insurrection. Malheur au chirurgien qui manie négligemment le bistouri. L’insurrection est un art. Elle a ses lois et ses règles.

    Le parti réalisa l’insurrection d’Octobre avec un calcul froid et une résolution ardente. Grâce à cela précisément, elle triompha presque sans victimes. Par les soviets victorieux, les bolchéviks se placèrent à la tête du pays qui englobe un sixième de la surface terrestre.

    Il est à supposer que la majorité de mes auditeurs d’aujourd’hui ne s’occupaient en 1917 encore nullement de politique. Cela est d’autant mieux. La jeune génération a devant elle beaucoup de choses intéressantes, mais aussi des choses pas toujours faciles.

    Mais les représentants des vieilles générations dans cette salle se rappelleront certainement très bien comment fut accueillie la prise du pouvoir par les bolchéviks : comme une curiosité, un malentendu, un scandale, le plus souvent comme un cauchemar qui devait se dissiper au premier rayon de soleil. Les bolchéviks se maintiendraient 24 heures, une semaine, un mois, une année. Il fallait repousser les délais toujours plus… Les maîtres du monde entier armaient contre le premier Etat ouvrier : déclenchement de la guerre civile, nouvelles et nouvelles interventions, blocus. Ainsi passa une année après l’autre. L’histoire a eu à enregistrer entre temps quinze années d’existence du pouvoir soviétique.

    Oui, dira quelque adversaire : l’aventure d’Octobre s’est montrée beaucoup plus solide que beaucoup d’entre nous le pensions. Peut-être ne fut-ce pas complètement une “aventure”. Néanmoins la question conserve toute sa force : qu’a-t-on obtenu pour ce prix si élevé ? Peut-être a-t-on réalisé ces tâches si brillantes annoncées par les bolchéviks à la veille de l’insurrection ? Avant de répondre à l’adversaire supposé, observons que la question en elle-même n’est pas nouvelle. Au contraire, elle s’attache aux pas de la Révolution d’Octobre depuis le jour de sa naissance.

    Le journaliste français Claude Anet qui séjournait à Petrograd pendant la Révolution, écrivait déjà le 27 Octobre 1917 :

    “Les maximalistes (c’est ainsi que les français appelaient alors les bolchéviks) ont pris le pouvoir, et le grand jour est arrivé. Enfin, me dis-je, je vais voir se réaliser l’Éden socialiste qu’on nous promet depuis tant d’années… Admirable aventure ! Position privilégiée !”, etc., etc., et ainsi de suite. Quelle haine sincère derrière ces salutations ironiques ! Dès le lendemain de la prise du Palais d’Hiver, le journaliste réactionnaire s’empressait d’annoncer ses prétentions à une carte d’entrée pour l’Éden. Quinze années se sont écoulées depuis l’insurrection. Avec un manque de cérémonie d’autant plus grand, les adversaires manifestent leur joie maligne qu’aujourd’hui encore le pays des Soviets ressemble très peu à un royaume de bien-être général. Pourquoi donc la Révolution et pourquoi les victimes ?

    Bilan d’Octobre

    Chers auditeurs, je me permets de penser que les contradictions, les difficultés, les fautes et les insuffisances du régime soviétique ne me sont pas moins connues qu’à qui que ce soit. Personnellement, je ne les ai jamais dissimulées, ni en paroles ni en écrits. Je pensais et je pense que la politique révolutionnaire — à la différence de la politique conservatrice — ne peut être édifiée sur le camouflage. “Dire ce qui est” doit être le principe le plus élevé de l’Etat ouvrier.

    Mais il faut des perspectives dans la critique, comme dans l’activité créatrice. Le subjectivisme est un mauvais aiguilleur, surtout dans les grandes questions. Les délais doivent être adaptés aux tâches et non aux caprices individuels. Quinze années ! Qu’est-ce pour une seule vie ? Pendant ce temps, nombreux sont ceux de notre génération qui furent enterrés, chez les survivants les cheveux gris se sont beaucoup multipliés. Mais ces mêmes quinze années : quelle période minime dans la vie d’un peuple ! Rien qu’une minute sur la montre de l’histoire.

    Le capitalisme eut besoin de siècles pour s’affirmer dans la lutte contre le moyen âge, pour élever la science et la technique, pour construire les chemins de fer, pour tendre des fils électriques. Et alors ? Alors, l’humanité fut jetée par le capitalisme dans l’enfer des guerres et des crises ! Mais au socialisme, ses adversaires, c’est-à-dire les partisans du capitalisme, n’accordent qu’une décade et demi pour instaurer sur terre le paradis avec tout le confort. Non, nous n’avons pas à assumer sur nous de telles obligations. Nous n’avons pas posé de tels délais. On doit mesurer les processus de grands changements avec une échelle qui leur soit adéquate. Je ne sais si la société socialiste ressemblera au paradis biblique. J’en doute fort. Mais dans l’Union soviétique, il n’y a pas encore de socialisme. Un Etat de transition, plein de contradictions, chargé du lourd héritage du passé, en outre, sous la pression ennemie des Etats capitalistes y domine. La Révolution d’Octobre a proclamé le principe de la nouvelle société. La République soviétique n’a montré que le premier stade de sa réalisation. La première lampe d’Edison fut très mauvaise. Sous les fautes et les erreurs de la première édification socialiste, on doit savoir discerner l’avenir.

    Et les calamités qui s’abattent sur les êtres vivants ?

    Les résultats de la Révolution justifient-ils peut-être les victimes causées par elles ? Question stérile et profondément rhétorique : comme si les processus de l’histoire relevaient d’un plan comptable ! Avec autant de raison, face aux difficultés et peines de l’existence humaine, on pourrait demander : cela vaut-il vraiment la peine d’être sur la terre ? Lénine écrivit à ce propos : “Et le sot attend une réponse”… Les méditations mélancoliques n’ont pas interdit à l’homme d’engendrer et de naître. Même dans ces jours d’une crise mondiale sans exemple, les suicides constituent heureusement un pourcentage peu élevé. Mais les peuples n’ont pas l’habitude de chercher refuge dans le suicide. Ils cherchent l’issue aux fardeaux insupportables dans la Révolution.

    En outre, qui s’indigne au sujet des victimes de la Révolution socialiste ? Le plus souvent, ce sont ceux qui ont préparé et glorifié les victimes de la guerre impérialiste ou du moins qui s’en sont très facilement accommodés. C’est notre tour de demander : la guerre s’est-elle justifiée ? Qu’a-t-elle donné ? Qu’a-t-elle enseigné ?

    Dans ses 11 volumes de diffamation contre la grande Révolution française, l’historien réactionnaire Hyppolyte Taine décrit non sans joie maligne les souffrances du peuple français dans les années de la dictature jacobine et celles qui la suivirent. Elles furent surtout pénibles pour les couches inférieures des villes, les plébéiens, qui, comme sans-culotte, donnèrent à la Révolution la meilleure partie de leur âme. Eux ou leurs femmes passaient des nuits froides dans des queues pour retourner le lendemain les mains vides, au foyer familial glacial. Dans la dixième année de la Révolution, Paris était plus pauvre qu’avant son éclosion. Des faits soigneusement choisis, artificiellement compilés, servent à Taine pour fonder son verdict destructeur contre la Révolution. Voyez-vous, les plébéiens voulaient être des dictateurs et se sont jetés dans la misère !

    Il est difficile d’imaginer un moraliste plus plat : premièrement, si la Révolution avait jeté le pays dans la misère, la faute en retombait avant tout sur les classes dirigeantes qui avaient poussé le peuple à la révolution. Deuxièmement : la grande Révolution française ne s’épuisa pas en queues de famine devant les boulangeries. Toute la France moderne, sous certains rapports toute la civilisation moderne sont sorties du bain de la Révolution française !

    Au cours de la guerre civile aux Etats-Unis, pendant l’année soixante du siècle précédent, 50 000 hommes sont tombés. Ces victimes se justifient-elles ?

    Du point de vue des esclavagistes américains et des classes dominantes de Grande-Bretagne qui marchaient avec eux — Non ! Du point de vue du négre ou du travailleur britannique Complètement ! Et du point de vue du développement de l’humanité dans l’ensemble — il ne peut aussi là-dessus y avoir de doute. De la guerre civile de l’année 60, sont issus les Etats-Unis actuels avec leur initiative pratique effrénée, la technique rationaliste, l’élan économique. Sur ces conquêtes de l’américanisme, l’humanité édifiera la nouvelle société.

    La Révolution d’Octobre a pénétré plus profondément que toutes celles qui la précédèrent dans le saint des saints de la société, dans les rapports de propriété. Des délais d’autant plus longs sont nécessaires pour que se manifestent les suites créatrices de la Révolution dans tous les domaines de la vie. Mais l’orientation générale du bouleversement est maintenant déjà claire : devant ses accusateurs capitalistes, la République soviétique n’a aucune raison de courber la tête et de parler le langage de l’excuse.

    Pour apprécier le nouveau régime au point de vue du développement humain, on doit d’abord répondre à la question : en quoi s’extériorise le progrès social, et comment peut-il se mesurer ?

    Le critère le plus objectif, le plus profond et le plus indiscutable, c’est le progrès qui peut se mesurer par la croissance de la productivité du travail social. L’estimation de la Révolution d’Octobre, sous cet angle, est déjà donnée par l’expérience. Pour la première fois dans l’histoire, le principe de l’organisation socialiste a montré sa capacité en fournissant des résultats de production jamais obtenus dans une courte période.

    En chiffres d’index globaux, la courbe du développement industriel de la Russie s’exprime comme suit : Posons pour l’année 1913, la dernière année avant la guerre, le nombre 100. L’année 1920, le sommet de la guerre civile est aussi le point le plus bas de l’industrie : 25 seulement, c’est-à-dire un quart de la production d’avant guerre ; 1925, un accroissement jusqu’à 75, c’est-à-dire jusqu’aux trois-quarts de la production d’avant-guerre ; 1929, environ 200 ; 1932, 300 ; c’est-à-dire trois fois autant qu’à la veille de la guerre.

    Le tableau devient encore plus clair à la lumière des index internationaux. De 1925 à 1932, la production industrielle de l’Allemagne a diminué d’environ une fois et demie, en Amérique environ du double ; dans l’Union soviétique, elle a monté à plus du quadruple ; le chiffre parle pour lui-même.

    Je ne songe nullement à nier ou dissimuler les côtés sombres de l’économie soviétique. Les résultats des index industriels sont extraordinairement influencés par le développement non favorable de l’économie agraire, c’est-à-dire du domaine qui ne s’est pas encore élevé aux méthodes socialistes, mais qui fut en même temps mené sur la voie de la collectivisation, sans préparation suffisante, plutôt bureaucratiquement que techniquement et économiquement. C’est une grande question qui, cependant, déborde les cadres de ma conférence.

    Les chiffres des indices présentés appellent encore une réserve essentielle. Les succès indiscutables et brillants à leur façon de l’industrialisation soviétique exigent une vérification économique ultérieure du point de vue de l’harmonie réciproque des différents éléments de l’économie, de leur équilibre dynamique et, par conséquent, de leur capacité de rendement. De grandes difficultés et même des reculs sont encore inévitables. Le socialisme ne sort pas dans sa forme achevée du plan quinquennal comme Minerve de la tête de Jupiter ou Vénus de l’écume de la mer. On est encore devant des décades de travail opiniâtre, de fautes, d’amélioration et de reconstruction. En outre, n’oublions pas que l’édification socialiste, d’après son essence, ne peut atteindre son achèvement que sur l’arène internationale. Mais même le bilan économique le plus défavorable des résultats obtenus jusqu’à présent ne pourrait révéler que l’inexactitude des données, les fautes du plan et les erreurs de la direction, il ne pourrait contredire le fait établi empiriquement : la possibilité d’élever la productivité du travail collectif à une hauteur jamais existante, à l’aide de méthodes socialistes. Cette conquête, d’une importance historique mondiale, personne et rien ne pourra nous la dérober.

    Après ce qui vient d’être dit, à peine faut-il s’attarder aux plaintes selon lesquelles la Révolution d’Octobre a mené la Russie au déclin de la culture. Telle est la voix des classes régnantes et des salons inquiets. La “culture” aristocratico-bourgeoise renversée par la révolution prolétarienne n’était qu’une simili-parure de la barbarie. Pendant qu’elle restait inaccessible au peuple russe, elle apportait peu de neuf au trésor de l’humanité.

    Mais aussi en ce qui concerne cette culture tant pleurée par l’émigration blanche, on doit préciser la question : dans quel sens est-elle détruite ? Dans un seul sens : le monopole d’une petite minorité sur les biens de la culture est anéanti. Mais tout ce qui était réellement culturel dans l’ancienne culture russe est resté intact. Les Huns du bolchevisme n’ont piétiné ni la conquête de la pensée ni les oeuvres de l’art. Au contraire, ils ont soigneusement rassemblé les monuments de la création humaine et les ont mis en ordre exemplaire. La culture de la monarchie, de la noblesse et de la bourgeoisie est maintenant devenue la culture des musées historiques.

    Le peuple visite avec zèle ces musées. Mais il ne vit pas dans les musées. Il apprend. Il construit. Le seul fait que la Révolution d’Octobre ait enseigné au peuple russe, aux dizaines de peuples de la Russie tsariste, à lire et à écrire, se place incomparablement plus haut que toute la culture russe en serre d’autrefois.

    La Révolution d’Octobre a posé la base pour une nouvelle culture destinée non à des élus mais à tous. Les masses du monde entier le sentent. D’où leurs sympathies pour l’Union soviétique, aussi ardentes qu’était jadis leur haine contre la Russie tsariste.

    Chers auditeurs, vous savez que le langage humain représente un outil irremplaçable, non seulement pour la désignation des événements, mais aussi pour leur estimation. En écartant l’accidentel, l’épisodique, l’artificiel, il absorbe en lui le réel, il le caractérise et le ramasse. Remarquez avec quelle sensibilité les langues des nations civilisées ont distingué deux époques dans le développement de la Russie. La culture aristocratique apporta dans le monde des barbarismes tels que tsar, cosaque, pogrom, nagaika. Vous connaissez ces mots et vous savez ce qu’ils signifient. Octobre apporta aux langues du monde des mots tels que bolchévik, soviet, kolkhoz, Gosplan, piatiletka. Ici la linguistique pratique rend son jugement historique suprême !

    La signification la plus profonde, cependant plus difficilement soumise à une mesure immédiate, de chaque révolution consiste en ce qu’elle forme et trempe le caractère populaire. La représentation du peuple russe comme un peuple lent, passif, mélancolique, mystique est largement répandue et non par hasard. Elle a ses racines dans le passé. Mais jusqu’à présent, ces modifications profondes que la Révolution a introduites dans le caractère du peuple ne sont pas suffisamment prises en considération en Occident. Pouvait-il en être autrement ?

    Chaque homme avec une expérience de la vie peut éveiller dans sa mémoire l’image d’un adolescent quelconque connu de lui qui — impressionnable, lyrique, sentimental enfin — devient plus tard, d’un seul coup, sous l’action d’un fort choc moral, plus fort, mieux trempé, et n’est plus à reconnaître. Dans le développement de toute une nation, la Révolution accomplit des transformations morales du même genre.

    L’insurrection de février contre l’autocratie, la lutte contre la noblesse, contre la guerre impérialiste, pour la paix, pour la terre, pour l’égalité nationale, l’insurrection d’Octobre, le renversement de la bourgeoisie et des partis qui tendaient aux accords avec la bourgeoisie, trois années de guerre civile sur une ceinture de front de 8 000 kilomètres, les années de blocus, de misère, de famine et d’épidémies, les années d’édification économique tendue, les nouvelles difficultés et privations ; c’est une rude, mais bonne école. Un lourd marteau détruit le verre, mais il forge l’acier. Le marteau de la Révolution forge l’acier du caractère du peuple.

    “Qui le croira ?” On devait déjà le croire. Peu après l’insurrection un des généraux tsaristes, Zaleski, s’étonnait “qu’un portier ou qu’un gardien devienne d’un coup un président de tribunal ; un infirmier, directeur d’hôpital ; un coiffeur, dignitaire ; un enseigne, commandant suprême ; un journaliste, maire ; un serrurier, dirigeant d’entreprise”.

    “Qui le croira ?” On devait déjà le croire. On ne pouvait d’ailleurs pas ne pas le croire, tandis que les enseignes battaient les généraux, le maire, autrefois journalier, brisait la résistance de la vieille bureaucratie, le lampiste mettait de l’ordre dans les transports, le serrurier, comme directeur, rétablissait l’industrie. “Qui le croira ?” Qu’on tente seulement de ne pas le croire.

    Pour expliquer la patience inhabituelle que les masses populaires de l’Union soviétique montrèrent dans les années de la Révolution, nombre d’observateurs étrangers font appel par ancienne habitude à la passivité du caractère russe. Anachronisme grossier ! Les masses révolutionnaires supportèrent les privations patiemment mais non passivement. Elles construisirent de leurs propres mains un avenir meilleur et elles veulent le créer à tout prix. Que l’ennemi de classe essaie seulement d’imposer à ces masses patientes du dehors sa volonté ! Non, mieux vaut qu’il ne l’essaie pas!

    Pour conclure, essayons de fixer la place de la Révolution d’Octobre non seulement dans l’histoire de la Russie, mais dans l’histoire du monde. Pendant l’année 1917, dans l’intervalle de 8 mois, deux courbes historiques se rencontrèrent. La Révolution de février — cet écho attardé des grandes luttes qui se sont déroulées dans les siècles passés sur les territoires des Pays-Bas, d’Angleterre, de France, de presque toute l’Europe continentale — se lie à la série des révolutions bourgeoises. La Révolution d’Octobre proclame et ouvre la domination du prolétariat. C’est le capitalisme mondial qui subit sur le territoire de la Russie sa première grande défaite. La chaîne cassa au plus faible maillon. Mais c’est la chaîne et non seulement le maillon qui cassa.

    Vers le socialisme

    Le capitalisme comme système mondial s’est historiquement survécu. Il a cessé de remplir sa mission essentielle ; l’élévation du niveau de la puissance humaine et de la richesse humaine. L’humanité ne peut stagner sur le palier atteint. Seule une puissante élévation des forces productives et une organisation juste, planifiée, c’est-à-dire socialiste, de production et de répartition, peut assurer aux hommes — à tous les hommes — un niveau de vie digne, et conférer en même temps le sentiment précieux de la liberté en face de leur propre économie. De la liberté sous deux sortes de rapports : premièrement, l’homme ne sera plus obligé de consacrer la principale partie de sa vie au travail physique. Deuxièmement, il ne dépendra plus des lois du marché, c’est-à-dire des forces aveugles et obscures qui s’édifient derrière son dos. Il édifiera librement son économie, c’est-à-dire selon un plan, le compas en main. Cette fois, il s’agit de radiographier l’anatomie de la société, de découvrir tous ses secrets et de soumettre toutes ses fonctions à la raison et à la volonté de l’homme collectif. En ce sens, le socialisme doit devenir une nouvelle étape dans la croissance historique de l’humanité. A notre ancêtre qui s’arma pour la première fois d’une hache de pierre, toute la nature se présenta comme la conjuration d’une puissance mystérieuse et hostile. Depuis, les sciences naturelles en collaboration étroite avec la technologie pratique ont éclairé la nature jusque dans ses profondeurs les plus obscures. Au moyen de l’énergie électrique, le physicien rend maintenant son jugement sur le noyau atomique. L’heure n’est plus loin où, en se jouant, la science résoudra la tâche de l’alchimie, transformant le fumier en or, et l’or en fumier. Là où les démons et les furies de la nature se déchaînaient, règne maintenant toujours plus courageusement la volonté industrieuse de l’homme.

    Mais tandis qu’il lutta victorieusement avec la nature, l’homme édifia aveuglément ses rapports avec les autres hommes, presque comme les abeilles ou les fourmis. Avec retard et beaucoup d’indécision, il aborda les problèmes de la société humaine. Il commença par la religion pour passer ensuite à la politique. La réforme représenta le premier succès de l’individualisme et du rationalisme bourgeois dans un domaine où avait régné une tradition morte. La pensée critique passa de l’Eglise à l’Etat. Née dans la lutte contre l’absolutisme et les conditions moyenâgeuses, la doctrine de la souveraineté populaire et des droits de l’homme et du citoyen grandit. Ainsi se forma le système du parlementarisme. La pensée critique pénétra dans le domaine de l’administration de l’Etat. Le rationalisme politique de la démocratie signifiait la plus haute conquête de la bourgeoisie révolutionnaire.

    Mais entre la nature et l’Etat se trouve l’économie. La technique a libéré l’homme de la tyrannie des anciens éléments : la terre, l’eau, le feu et l’air, pour le soumettre aussitôt à sa propre tyrannie. L’homme cesse d’être l’esclave de la nature pour devenir l’esclave de la machine et, pis encore, l’esclave de l’offre et de la demande. La crise mondiale actuelle témoigne d’une manière particulièrement tragique combien ce dominateur fier et audacieux de la nature reste l’esclave des puissances aveugles de sa propre économie. La tâche historique de notre époque consiste à remplacer le jeu déchaîné du marché par un plan raisonnable, à discipliner les forces productives, à les contraindre d’agir avec harmonie, en servant docilement les besoins de l’homme. C’est seulement sur cette nouvelle base sociale que l’homme pourra redresser son dos fatigué et — non seulement des élus — mais chacun et chacune, devenir un citoyen ayant plein pouvoir dans le domaine de la pensée.

    Mais cela n’est pas encore l’extrémité du chemin. Non, ce n’en est que le commencement. L’homme se désigne comme le couronnement de la création. Il y a certains droits. Mais qui affirme que l’homme actuel soit le dernier représentant le plus élevé de l’espèce homo sapiens ? Non, physiquement comme spirituellement, il est très éloigné de la perfection, cet avorton biologique dont la pensée est malade et qui ne s’est créé aucun nouvel équilibre organique.

    Il est vrai que l’humanité a plus d’une fois produit des géants de la pensée et de l’action qui dépassent les contemporains comme des sommets sur des chaînes de montagne. Le genre humain a le droit d’être fier de ses Aristote, Shakespeare, Darwin, Beethoven, Goethe, Marx, Edison, Lénine. Mais pourquoi ceux-ci sont-ils si rares ? Avant tout, parce qu’ils sont issus à peu près sans exception des classes les plus élevées et moyennes. Sauf de rares exceptions, les étincelles du génie sont étouffées dans les profondeurs opprimées du peuple, avant qu’elles puissent même jaillir. Mais aussi parce que le processus de génération, de développement et d’éducation de l’homme resta et reste en son essence le fait du hasard ; non éclairé par la théorie et la pratique, non soumis à la conscience et à la volonté.

    L’anthropologie, la biologie, la physiologie, la psychologie ont rassemblé des montagnes de matériaux pour ériger devant l’homme, dans toute leur ampleur, les tâches de son propre perfectionnement corporel et spirituel, et de son développement ultérieur. Par la main géniale de Sigmund Freud, la psychanalyse souleva le couvercle du puits nommé poétiquement “l’âme” de l’homme. Et qu’est-il apparu ? Notre pensée consciente ne constitue qu’une petite partie dans le travail des obscures forces psychiques. De savants plongeurs descendent au fond de l’Océan et y photographient de mystérieux poissons. Pour que la pensée humaine descende au fond de son propre puits psychique, elle doit éclairer les forces motrices mystérieuses de l’âme et les soumettre à la raison et à la volonté.

    Quand il aura terminé avec les forces anarchiques de sa propre société, l’homme s’intégrera, dans les mortiers, dans les cornues du chimiste. Pour la première fois, l’humanité se considérera elle-même comme une matière première, et dans le meilleur des cas comme une semi-fabrication physique et psychique. Le socialisme signifiera un saut du règne de la nécessité dans le règne de la liberté, aussi en ce sens que l’homme d’aujourd’hui plein de contradictions et sans harmonie frayera la voie à une nouvelle race plus heureuse ».

  • Quelles leçons tirer du SP hollandais?

    Les deux piliers les plus importants à la base du succès du SP (Parti Socialiste) hollandais sont, d’une part, son opposition conséquente à la politique néolibérale et, d’autre part, un militantisme local important.

    Bas de Ruiter

    Aux Pays-Bas comme ailleurs, la politique néolibérale domine avec ses coupes d’austérité dans la sécurité sociale et les services publics, les privatisations,… Tout cela a eu des répercussions sur les plans local, régional et national pour la majorité de la population néerlandaise. C’est à ces trois niveaux que le SP a entrepris des actions contre cette politique.

    Progrès aux élections

    Cette attitude militante (notamment dans les grandes mobilisations syndicales contre les projets de réforme des pensions, puis contre la Constitution européenne) soutenant un programme alternatif à la politique économique dominante, est la clé de la croissance du SP. Elle lui a permis de devenir un parti qui compte aujourd’hui plus de 50.000 membres et vient d’obtenir en 2006 et 2007 trois victoires électorales successives.

    Aux élections communales de mars 2006, le SP a doublé son nombre de sièges (de 157 à 333). Aux élections pour la Chambre en novembre 2006, le SP a quasiment triplé son résultat, obtenant 1.630.803 voix (16,6%) et passant de 9 à 25 sièges. Et, en février, aux élections provinciales le SP a aussi triplé son nombre de sièges (83). Pour les élections du Sénat, qui est élu à partir des provinces, le SP est passé de 4 à 12 sièges. Dans onze communes, le SP est même devenu le premier parti.

    Participation au pouvoir

    Depuis cette croissance électorale, la discussion sur la participation au pouvoir dans les communes et les provinces ainsi qu’au gouvernement national s’est amplifiée au sein et en dehors du parti. Avant 2006, le SP participait au pouvoir dans cinq communes ; aujourd’hui il figure dans vingt majorités communales.

    La direction du SP a essayé de manoeuvrer pour faire entrer le SP au gouvernement national et pour participer au pouvoir provincial, comme dans le Brabant du Nord où le SP a obtenu 21% des voix.

    Vu que la participation à des majorités dans les conseils locaux s’est traduite par une augmentation en voix dans la majorité de ces communes, la direction du parti a affirmé que le SP pouvait encore croître en participant au pouvoir dans plus de communes encore, mais aussi dans les provinces et au gouvernement national.

    Mais s’il est vrai que, dans la plupart de ces communes, le SP est devenu effectivement le parti le plus important sur la scène locale, il est également vrai que, dans des communes où le SP joue un rôle actif d’opposition, il est aussi devenu le parti principal. Par ailleurs, là où le SP participait au pouvoir, il a dû avaler des concessions importantes : à Nijmeger par exemple, le SP a même voté la libéralisation des transports en commun locaux (bus) et la vente d’habitations sociales anciennement mises en location.

    Résistance résolue

    Le SP prendra(it) un gros risque en participant à des pouvoirs locaux – et encore plus au gouvernement national – parce qu’il doit s’allier pour cela à d’autres partis qui mènent une politique ouvertement néolibérale. Dans un premier temps, beaucoup d’électeurs qui votent pour le SP se réjouiront de cette participation à des coalitions en espérant qu’elles offriront une possibilité de changer de politique. Mais ils deviendront rapidement mécontents si le SP finit par mener la même politique que tous les autres partis.

    Le SP ne pourra utiliser son potentiel que s’il continue à résister résolument à chaque mesure politique néolibérale. Dans une coalition avec les autres partis, il sera contraint de diluer sa politique. Les partis traditionnels social-démocrates ont perdu leur base active de salariés en participant à des coalitions avec les partis bourgeois : c’est une dure leçon à retenir pour le développement du SP.


    Rappelons que le SP, malgré son nom, n’a rien à voir avec le SP.a et le PS belges.

  • 31 mars: Socialisme 2007

    31 mars: Socialisme 2007

    Pour la septième année consécutive, le MAS/LSP organise une journée de discussion nationale. Pourquoi ? Parce que nous pensons que la lutte contre le néolibéralisme et le capitalisme a besoin d’une alternative.

    Els Deschoemacker

    Nous y débattrons de thèmes importants, tant sur le plan international que national. Au niveau international, par exemple, nous parlerons de l’échec de l’impérialisme américain en Irak et au Moyen-Orient. Apporter la “démocratie” a-t-il été le réel motif de l’intervention? Quelles sont les conséquences de cette défaite et comment pouvons-nous mettre fin au cauchemar de la population irakienne ?

    L’immigration et ses effets sur les conditions de travail seront un autre thème débattu. Comment élaborer un programme pour les travailleurs immigrés et belges et comment nous battre ensemble contre les profits grandissants faits sur notre dos? Un camarade de Pologne sera présent à ce sujet afin de parler de la condition des travailleurs polonais et de la manière dont nous pouvons arriver à faire un front commun.

    Les nouveaux partis de gauche ont succité un intérêt grandissant l’année dernière et des expériences importantes ont été acquises notamment en Allemagne, aux Pays-Bas, en Ecosse et en Italie. Pour en discuter, des camarades de chacun de ces différents pays serons là.

    Dans la recherche d’une alternative à la société actuelle, les mouvements de lutte en Amérique latine occupent une place centrale. Au Venezuela, Chavez a fait un pas dans la direction d’une révolution socialiste, à Cuba, la maladie de Castro est une épée de Damoclès pendue au-dessus du pays et la Bolivie peut sombrer dans une guerre civile portant sur l’unité du pays. Des intérêts opposés sont en lutte, ceux des pauvres contre ceux des riches. Nous ferons état dans cette discussion des débats qui ont pris place au Congrès Mondial de notre organisation internationale, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), et des interventions de nos sections dans quelques-uns de ces pays.

    D’autres thèmes seront encore abordés: l’histoire du trotskisme en Belgique, une réponse marxiste aux problèmes environnementaux, la critique d’un livre sur la révolution russe, la thématique des femmes au sein du mouvement ouvrier, etc.

    Le grand débat électoral occupera toutefois une place centrale. Les orateurs ne sont pas encore définis, mais nous voulons que des candidats de gauche et des membres du Comité pour une Autre Politique (CAP) prennent la parole et se rencontrent afin de trouver une solution contre les programmes néo-libéraux et asociaux des partis de droite. Jef Sleeckx sera bien évidemment de la partie, mais nous nous adresserons au monde syndical et aux mouvements sociaux dans les semaines à venir pour leur demander de nous faire partager leur opinion.

    Vu l’agenda bien rempli de ces prochains mois, il n’a pas été possible d’organiser un week-end entier. La participation sera donc moins élevée: entre 5 et 7 euros et nous espérons persuader trois cents personnes de venir engager le débat avec nous.

    S2007 aura lieu le samedi 31 mars, à Bruxelles, dans les salles de l’ULB. La journée commencera au début de l’après-midi et finira le soir avec le débat électoral.

    Vous pouvez vous inscrire en envoyant un mail à S2007@lsp-mas.be, ou en nous contactant au 02/345.61.81. Alors, on se voit le 31 mars?

  • SP Hollandais. « De meilleurs Pays-Bas avec les mêmes moyens »?

    Le 22 novembre se dérouleront aux Pays-Bas les élections parlementaires. Le SP (Parti Socialiste) 1, qui est le parti le plus à gauche représenté au parlement, peut y enregistrer un progrès important. Il y a néanmoins des dangers et des limites à la progression actuelle du SP qui a reculé sur de nombreux points de son programme et semble se préparer à des alliances “progressistes”.

    Nous espérons évidemment que le SP va connaître une progression lors des élections. La politique d’austérité néolibérale du gouvernement Balkenende fait porter le poids des profits croissants des entreprises sur le dos des travailleurs et de leurs familles. Les partis traditionnels veulent poursuivre et amplifier cette politique après les élections. Le CDA (chrétiens-démocrates) de Balkenende veut rallonger la semaine de travail tandis que le PvdA (sociaux-démocrates) veut attaquer les pensions. Le SP représente la seule voix politique de gauche qui s’oppose à cette politique.

    Mais le SP connaît une évolution politique inquiétante. Il mène actuellement campagne sous le slogan “De meilleurs Pays-Bas avec les mêmes moyens”. Dans son nouveau programme, l’augmentation des impôts pour les riches a disparu et le SP ne remet plus en cause l’affiliation des Pays-Bas à l’OTAN. Le SP espère que son nouveau programme ouvrira la voie à “une alliance sociale avec le PvdA”. Il espère ainsi repéter les expériences locales de coalitions entre le PvdA, GroenLinks (écologistes) et le SP au plan national.

    Mais là où le SP a participé à des coalitions avec ces partis, il a accepté nombre de mesures néolibérales. A Nijmegen, par exemple, le SP a accepté un programme d’assainissement de 16 millions d’euros et la privatisation d’une entreprise locale d’autobus.

    Quelles seraient les conséquences d’une telle politique sur le plan national? Le SP cesserait d’être vu comme un instrument capable de renforcer la résistance contre le néolibéralisme – même si, dans un premier temps, il ne perdrait sans doute pas beaucoup de votes, tant à cause de l’absence d’une autre alternative à gauche et vu la pression de l’argument du “moindre mal”.

    Offensief est actif au sein du SP parce que ce parti est toujours vu comme une alternative possible dans laquelle des couches larges de travailleurs peuvent se reconnaître et devenir actives. Mais nous nous opposons néanmoins à la voie suivie par la direction du parti ainsi qu’à toute participation au pouvoir avec des partis appliquant une politique néo-libérale.

    Lors du Congrès du 7 octobre, la section de Breda du SP a introduit 10 propositions pour changer le nouveau programme. Ces propositons étaient toutes littéralement reprises du programme de 2003 du parti. Cette section n’était pas tellement enthousiaste envers l’ancien programme, mais elle voulait utiliser ce dernier pour montrer le contraste saisissant avec les glissements du programme actuel.

    Offensief s’oppose au programme de la direction et soutient le programme en 10 points de la section de Breda qui défend la nécessité d’une augmentation importante des salaires, le rétablissement de la sécurité sociale, le partage du temps de travail comme solution contre le chômage, l’arrêt du démantèlement des contrats de travail, des libéralisations et des privatisations, un enseignement gratuit et de qualité pour tous, un programme public de construction de logements sociaux et enfin des soins de santé gratuits.

    Avec un programme combatif, la force de frappe du SP serait aggrandie et le parti pourrait donner plus de direction aux mouvements de protestations contre le prochain gouvernement.


    (1) Contrairement à ce que son nom pourrait nous faire croire, le SP n’a rien à voir avec nos PS et SP.a belges. C’est une formation nettement à gauche du Parti du Travail (PvdA), qui est, lui, l’équivalent de notre PS.
  • Un instrument pour l’amélioration des conditions de travail transformé en rouleau compresseur néolibéral

    Entamées secrètement pendant la guerre, des négociations entre employeurs et certains dirigeants syndicaux aboutissent en 1944 à la mise sur pied de la sécurité sociale. En 1955, un accord est conclu sur la semaine de 45 heures. Entre 1960 et 1975, le modèle social belge est sur les rails. Pendant cette période, sept accords centraux sont conclus, chacun pour une période de deux ans.

    Eric Byl

    En 1970, la semaine de 41 heures et en 1971 la semaine de 40 heures sont instaurées. La loi du 5 décembre 1968 stipule qu’un avantage accordé à un certain niveau ne peut pas être moindre que celui accordé à un niveau supérieur. La norme salariale conclue nationalement est alors un minimum auquel tout le monde a droit.

    Avec le début de la crise en 1975, les négociations sociales bloquent. Dix années durant, aucun accord central n’est conclu, à l’exception de 1981. Le gouvernement choisit le camp patronal : il introduit un gel des salaires et trois sauts d’index, modifie le système d’indexation et élabore la première norme de compétitivité (1983).

    Entre 1985 et 1997, cinq accords centraux sont conclus, où il n’est plus question d’une diminution du temps de travail ou d’une meilleure rémunération. A la place : compétivité de l’économie et modération salariale. Dans son Plan Global (1993), le gouvernement impose l’index-santé (un index trafiqué dont sont sortis les alcools, le tabac et l’essence), un gel salarial pour 1995-1996, une baisse structurelle des charges sociales patronales pour les bas salaires, la flexibilité dans les contrats de travail et le financement alternatif de la sécurité sociale.

    La loi de 1996 sur la compétitivité stipule qu’une norme salariale (c’est-à-dire un plafond à ne pas dépassé) est fixée par comparaison entre les coûts de travail en Allemagne, en France et aux Pays-Bas. La norme salariale n’offre dorénavant plus de garanties pour une protection minimale et pour un salaire décent pour les salariés des secteurs les plus faibles, mais elle est devenue une norme minimale qui garantit les intérêts des entreprises.

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