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  • Russie : Nouvelles attaques contre la communauté LGBT

    Solidarité contre l’homophobie – les droits de la communauté LGBT et les droits des travailleurs sont menacés

    Igor Yashin, membre du CIO et militant pour les droits LGBT, a été arrêté et mis en prison ainsi que d’autres manifestants alors qu’ils protestaient contre les lois anti-LGBT adoptées par le parlement russe en novembre dernier. Igor, libéré depuis lors, décrit dans le texte ci-dessous ce que lui et d’autres manifestants ont vécu ce 19 novembre, et aborde également les questions plus larges autour de cette nouvelle législation répressive.

    Par Igor Yashin, CIO-Moscou

    Une quinzaine de personnes avaient été arrêtées à l’extérieur de la Douma d’Etat (le parlement russe) à Moscou le 19 novembre 2012, le jour où le parlement tenait la première lecture d’une loi qui vise à interdire la prétendue ‘‘propagande homosexuelle parmi les mineurs d’âge.’’ Cette loi, en réalité, restreindra les droits et libertés de la communauté LGBT, conduira à la menace de la croissance des préjugés homophobes et créera des difficultés réelles pour les adolescents LGBT.

    La Russie détient un des plus hauts niveaux de violence domestique et de suicides d’adolescents au monde. Il est déjà connu que, dans les pays occidentaux, le taux de suicide parmi les adolescents LGBT est de 3 à 4 fois supérieur à celui des jeunes hétéros. Mais en Russie, aucune étude n’a été lancée pour disposer de cette information. Sous couvert du prétexte de la ‘‘moralité’’, la Douma frauduleusement élue essaye d’exploiter les préjugés répandus dans la société afin de servir ses propres intérêts politiques. En agissant ainsi, elle ignore complètement le bien-être des enfants et des adolescents.

    Au moment même de l’adoption de cette nouvelle loi, la Douma vote une autre loi interdisant l’adoption d’orphelins russes par des familles américaines. En Russie, les orphelins souffrent d’un sort peu enviable, mais les législateurs trouvent nécessaire de prendre une ‘‘revanche’’ contre les USA qui ont promulgué la ‘‘loi Magnistkii’’ qui sanctionne les bureaucrates russes impliqués dans des affaires de corruption. Ces orphelins sont donc utilisés comme des pions dans le conflit entre Poutine et l’Occident. Les ‘‘patriotes’’ du Parti Communiste russe ont presque tous voté pour ces nouvelles lois !

    Le régime de Poutine fait passer cette nouvelle loi homophobe en même temps que d’autres lois antidémocratiques et antisociales. L’élite dirigeante tente de maintenir sa position au pouvoir face aux protestations de masse.

    Au niveau régional, de telles lois ont été votées avant les élections parlementaires de décembre 2011 et avant le début des protestations de masse. Sentant que sa position dans la société s’affaiblit, le parti au pouvoir, Russie Unie, a décidé d’exploiter ces préjugés pour ses propres objectifs politiques.

    Il n’est pas anodin que la loi homophobe ait été discutée par le pouvoir législatif régional à Saint-Pétersbourg en même temps que d’autres lois concernant la ‘‘protection’’ des enfants. Mais après les élections, le gouvernement régional a rejeté toutes ces lois sauf celle limitant les droits des LGBT.

    Des attaques réactionnaires

    Les autorités n’arrêtent pas leurs attaques réactionnaires. Les membres du groupe rock Pussy Riot ont été condamnés à 2 ans de prison pour une manifestation pacifique dans une cathédrale ; le gouvernement réfléchit actuellement à une nouvelle loi qui protégerait ‘‘les droits des croyants’’. Les autorités politiques mette en place une censure sur le net pendant que les scandales de corruption dans le gouvernement et au sommet de la hiérarchie de l’église continuent.

    Les effets négatifs de ces nouvelles lois se font déjà sentir dans de nombreuses régions. Les lois elles-mêmes ont tellement été mal écrites qu’elles sont pratiquement impossibles à exécuter, mais leur existence même crée des difficultés énormes pour les organisations LGBT. Les gens ont tout simplement peur de soutenir des actions LGBT ou de parler ouvertement des droits LGBT par crainte de représailles. Il y a eu aussi ouvertement des attaques physiques contre des militants LGBT et contre différents évènements culturels et sociaux sur des thématiques LGBT.

    Même à Moscou, où, jusqu’à ce jour, aucune loi anti-LGBT concrète n’a été votée, les autorités refusent aux militants LGBT l’autorisation d’organiser des protestations contre la nouvelle loi en discussion. Pour se justifier, elles déclarent que les manifestations ‘‘causeront une réaction négative dans la société’’ et qu’elles ‘‘sont provocantes, nuisent aux enfants et aux adolescents, offensent les sensibilités religieuses et morales et font du tort à la sensibilité humaine des citoyens.’’

    Le mercredi 19 décembre 2012, des militants du CIO ont rejoins des activistes LGBT dans une ‘‘manifestation individuelle’’ devant la Douma d’Etat (une ‘‘manifestation individuelle’’ est la seule forme de protestation qui ne demande pas d’autorisation de l’Etat, cela consiste à une seule personne tenant une pancarte). On pouvait lire sur nos pancartes ‘‘On n’a pas besoin de lois homophobes, mais des crèches, écoles et hôpitaux gratuits’’ et ‘‘L’homophobie est l’ennemi des travailleurs – unité contre la division, pour des droits démocratiques et sociaux.’’ Nous sommes restés là pendant une heure et demie dans le froid glacial en tentant de transformer cette manifestation individuelle en manifestation collective.

    Vers midi, une trentaine d’activistes et de sympathisants de la cause LGBT se sont rassemblés et, pour exprimer leur protestation, ils ont décidé d’organiser un flash-mob en s’embrassant sur les marches de la Douma d’Etat. Cependant, au même moment, les ‘‘activistes russes orthodoxes’’ pro-gouvernementaux ont commencé à lancer des œufs pourris sur les manifestants. Au début, les policiers n’ont pas réagi et puis ils se sont avancés vers nous. J’ai été arrêté par la police juste parce que je me suis plaint auprès d’eux qu’ils ne faisaient rien contre les agresseurs. Cela s’est terminé par l’arrestation – pendant plusieurs heures – de 10 militants LGBT et de 5 agresseurs.

    ‘‘Hooliganisme’’

    Nous avons été détenus 30 heures dans les cellules de la police. Malgré une puissante campagne de protestation contre notre arrestation, peu de personnes seulement ont été relâchées après quelques heures. Ils nous ont dit que nous étions accusés de ‘‘hooliganisme’’ et menacés de 15 jours de prisons. Ce n’est que le soir suivant notre arrestation que nous avons été autorisés à voir le document relatant notre arrestation, qui stipulait que nous nous étions battus en hurlant !

    Les policiers eux-mêmes étaient mal à l’aise avec cette situation et ont ouvertement admis qu’ils ne voulaient pas nous garder en détention. Un coup de téléphone ‘‘d’en-haut’’ leur a toutefois fait changé d’avis. Ce n’est qu’à l’aube que la police a relâché l’une d’entre nous, la journaliste Elena Kostyuchenko, notamment connue pour son courage et son reportage concernant le massacre de Jhanaozen, au Kazakhstan. Le 16 décembre 2012, cette journaliste russe a pris la parole lors de la manifestation moscovite de commémoration des victimes de ce massacre.

    Le jour après notre arrestation, ils nous ont attaqués en justice mais nos avocats et nous mêmes avions réussi à rassembler plus de 10 témoins oculaires ainsi qu’une vidéo pour assurer notre défense. La Juge Borovkova, célèbre pour son enthousiasme à envoyer des opposants en prison, a simplement refusé d’entendre notre cas parce que la police avait commis des erreurs dans la feuille de charge. Nous avons été renvoyés vers le commissariat de police. Finalement, nos avocats sont parvenus à un accord avec la police qui a bien voulu nous relâcher. Nous avons dû payer chacun une amende de 500 roubles (12 euros) pour ‘‘hooliganisme’’ et, après 30 heures, nous avons enfin été libérés.

    Le 22 janvier prochain, la première lecture du projet de loi se poursuivra. Des militants LGBT et leurs sympathisants seront encore une fois dans l’opposition. Pour beaucoup de militants LGBT, il est devenu clair que la politique homophobe des autorités est complètement liée à la crise politique et économique du pays. Il est donc nécessaire de chercher la solidarité avec d’autres groupes qui luttent en ce moment.

    Maintenant, plus de militants LGBT se tournent vers diverses protestations sociales et de défenses d’autres droits démocratiques. Cette année, lors du défilé du 1er Mai, des douzaines d’activistes LGBT et féministes ont rejoint la délégation du Comité pour une Internationale Ouvrière qui portait des banderoles avec des slogans sociaux et des revendications pour l’égalité des droits.

    Nikolai Kavkazskii – plusieurs mois dans les geôles de la police

    La répression contre l’opposition frappe les militants LGBT. Un des militants les plus connus des droits LGBT, Nikolai Kavkazskii, a déjà passé plusieurs mois dans les geôles de la police suite à des arrestations liées à la manifestation de masse du 6 mai, laquelle a été brutalement attaquée par la police. Il a été arrêté juste après son retour de l’école d’été du Comité pour une Internationale Ouvrière. Un autre activiste LGBT a été forcé de fuir en Europe après qu’il soit devenu clair que son arrestation était imminente.

    Malheureusement, les préjugés anti-LGBT sont répandus parmi la Gauche russe et dans les mouvements de protestations. Cela freine leur développement. Le 7 novembre (le Jour de la révolution) un nombre de ‘‘militants de gauche’’ ont attaqué un des militants qui portait un drapeau arc-en-ciel, criant que ‘‘le mouvement LGBT est bourgeois’’. Ironiquement, l’activiste qui a été attaqué, un sympathisant du CIO, était un jeune ouvrier électricien qui avait tout juste quitté l’extrême-est de la Russie pour Moscou à la recherche de travail. Mais alors que ces ‘‘militants de gauche’’ s’inquiètent de la présence de militants LGBT, ils ne se plaignent pas de la présence d’un grand nombre de nationalistes d’extrême-droite dans les mêmes défilés !

    Cet incident a néanmoins provoqué une discussion à large échelle sur les préjugés homophobes et nationalistes sans les partis de gauches traditionnels. Des représentants des syndicats indépendants ont approchés les LGBT pour proposer une lutte commune pour l’égalité des droits.

    Aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les droits des LGBT qui sont menacés mais les droits et libertés de la majorité – les travailleurs, les étudiants et les retraités. Aujourd’hui, comme jamais auparavant, nous devons dépasser les vieux préjugés pour être unis dans une lutte commune afin d’obtenir nos droits.

    Nous appelons donc toutes les organisations LGBT, les militants et les sympathisants à manifester des actes de solidarité le 22 janvier en soutien de la lutte en Russie.

  • ‘‘Pussy Riot’’, les bouc-émissaires de Poutine

    Personne ne les a vu venir ces ‘‘rockeuses punks féministes de la troisième génération’’ qui se surnomment les ‘‘Pussy Riot’’ et se vêtissent de Balaklavas aux couleurs éclatantes et de bas collants de laine. Il aurait en effet été difficile de prévoir, il y a un an, qu’elles deviendraient non seulement un symbole de l’opposition grandissante au régime de Poutine mais aussi le sujet de ses colères vindicatives. Trois membres de ce groupe ont été arrêtées en février pour avoir participé à une ‘‘prière punk’’ à l’autel de la cathédrale orthodoxe principale de Moscou. Elles ont été accusées ‘‘d’hooliganisme’’ et retenues en prison depuis six mois alors que deux d’entre elles sont mères de jeunes enfants. Elles n’ont pas pu voir leurs compagnons, leurs familles ou leurs amis jusqu’à aujourd’hui.

    Par Rob Jones, Moscou

    Désormais, les ‘‘Pussy Riot’’ représentent plus un mouvement politique qu’un groupe musical. Elles ont de nombreux membres qui agissent sous les pseudonymes de Blondie, Terminator, Garage, Séraphin, Le chat, Schumacher et qui échangent leurs noms dès que nécessaire afin de conserver l’anonymat. Des dizaines de personnes soutiennent leurs actions multiples qui peuvent aller de la simple satyre à la pure provocation. Au départ, des membres ont pris part à des actions organisées par le groupe ‘‘Voina’’. Par exemple, ils ont peint un organe génital masculin sur l’un des ponts tournants de Saint-Pétersbourg. Quand le pont était levé la nuit, ceux qui travaillaient dans les bureaux de la police politique (FSB) en face, se sont retrouvés à contempler ce commentaire pictural représentant ce que de nombreuses personnes pensent de leurs activités. Mais les actions sont devenues de plus en plus politiquement explicites au fur et à mesure que l’opposition au régime de Poutine grandissait dans les manifestations de masse. Les termes utilisés dans leurs ‘‘prières punks’’ sont clairement anti-Poutine et contre la hiérarchie cléricale.

    Leur participation à la ‘‘prière punk’’ dans la ‘‘Cathédrale du Christ-Sauveur’’ à Moscou a enragé l’élite au pouvoir. Ils ont pratiquement unanimement demandé à ce que des actions fermes soient prises à l’encontre de ces femmes. La cathédrale symbolise à elle seule toute la pourriture de la nouvelle Russie capitaliste, construite (ou plutôt reconstruite sur le site de l’ancienne cathédrale commémorative de la victoire russe face à Napoléon) dans la moitié des années ’90, elle est minée par des scandales de corruption. Pendant le pic de la dépression économique qui a suivi l’effondrement de l’Union Soviétique, le régime d’Eltsine a dépensé des millions de roubles afin de construire cette église. Ses dômes ont été plaqués avec 50 kilogrammes d’or, offert par un nouveau banquier oligarque à la réputation criminelle. Aujourd’hui, seulement 7% de la cathédrale est utilisée pour les services religieux, le reste accueille toute sorte d’activités commerciales. Mais tout cela importe peu aux yeux de l’Eglise Orthodoxe Russe, l’une des Eglises les plus réactionnaires au monde. Au contraire, les portes paroles de l’Eglise Orthodoxe russe ont défilé les uns après les autres pour littéralement diaboliser les ‘‘Pussy Riot’’. Selon l’avocat de l’Eglise, les ‘‘Pussy Riot’’ représentent une forme de ‘‘pouvoir supérieur tentant détruire l’Eglise Orthodoxe Russe. Il s’agit de la même force qui est à l’origine des actes terroristes du 11 septembre aux Etats-Unis : Satan !’’

    Vsevolod Chaplin, le porte-parole officiel de l’Eglise blâme en premier lieu le ‘‘groupe diabolique’’ et en second lieu le ‘‘gouvernement mondial’’ (dans l’histoire de la Russie, il s’agit d’un synonyme pour parler d’une conspiration juive). Il a expliqué que ces groupes étaient étroitement liés à Satan. Il croit que les rockeuses-punks sont des pêcheuses qui devraient être sévèrement punies. Quand on lui demande de justifier cela, il dit que c’est ‘‘Dieu’’ qui le lui a dit !

    Chaplin est connu pour ses croyances réactionnaires et violentes. Plus tôt cette année, il a exigé que les travaux de Lénine et de Trotsky soient jugés ‘‘extrémistes’’ et retirés de circulation. Il a continué en déclarant qu’il croyait qu’il s’agissait d’un devoir moral pour tous les chrétiens du monde de tuer autant de bolchéviques que possible. Ce n’est pas étonnant de voir que l’Eglise orthodoxe soit souvent vue aux côtés des fascistes lors des manifestations contre le droit à l’avortement, contre les droits des femmes ou encore contre la communauté LGBT.

    Aucun des partis officiels parlementaire ne s’est opposé à la campagne vicieuse menée à l’encontre des ‘‘Pussy Riot’’. Au début du dernier procès, Genaddy Zyuganov, le leader du parti ‘‘communiste’’ russe a publié un communiqué de presse dans lequel il ‘‘rejette fermement la dernière provocation anti orthodoxe’’. Lors d’une interview à la radio, il a même été plus loin. Il s’est plaint de l’influence grandissante de l’Occident et de l’OTAN et a prévenu que le ‘‘Printemps Arabe aurait des conséquences tragiques sur les Chrétiens’’. Il a expliqué que le Parti Communiste ‘‘est à une large échelle le représentant de l’Eglise Orthodoxe en politique. J’ai toujours défendu et défendrai toujours les intérêts des croyants… Nous sommes prêts à utiliser toute notre influence pour défendre la réputation et l’autorité des prêcheurs qui ont souffert du ridicule, des calomnies et de la diffamation.’’

    Les ‘‘Pussy Riot n’ont pas bénéficié d’un procès équitable. Le juge n’a pas arrêté de faire des commentaires contre elles, l’avocat général des chefs d’accusation a soumis plus de 200 pages de preuves sans laisser le temps aux avocats de la défense de les lire. De plus, les témoins qui désirent parler en faveur du groupe sont rejetés par le juge.

    Il est assez perturbant de voir que le juge a demandé l’avis d’un expert-psychiatre, tout comme Staline utilisait les hôpitaux psychiatriques afin de punir les dissidents. Cet expert a déclaré que les trois femmes souffraient de troubles de la personnalité, qu’il a décrit dans un cas comme ‘‘voulant une position sociale active et un désir d’autoréalisation’’ et pour les autres comme ‘‘une tendance aux activités d’opposition’’ ! Apparemment entendre la ‘‘voix de Dieu’’ et appeler ‘‘au meurtre d’autant de Bolchéviques que possible’’ n’est pas considéré comme un trouble de la personnalité !

    Néanmoins l’affaire des ‘‘Pussy Riot’’ n’est pas un cas isolé. Elle s’est accompagnée d’une vague d’autres arrestations associées à une croissance du mouvement de l’opposition. Le bureau du procureur se confronte à de nombreux leaders connus tel que le blogger de droite Aleksei Navalniy. Les accusations les plus récentes datent du temps où il agissait en tant que conseiller du gouverneur régional de Kirov, quand il a préconisé un contrat de vente sur le bois de construction de la région, ce qui a conduit à des pertes financières significatives, si pas, comme le procureur le dit, à la mauvaise utilisation de fortes sommes d’argent. Cette accusation est particulièrement ironique compte tenu du fait que Navalny a mené une campagne contre la corruption nommée ‘‘Pilrus’’ basée sur le mot commun utilisé pour désigner la corruption ‘‘scier l’argent’’. Il risque jusqu’à dix ans d’emprisonnement pour ces accusations.

    Cependant, parallèlement à ces cas célèbres, 16 autres activistes ont été arrêtés et attendent leurs procès pour des accusations qui pourraient bien en laisser certains en prison pour plusieurs années.

    Mais le régime se trouve dans l’impasse avec ces arrestations. Les arrestations des ‘‘Pussy Riot’’ ont conduit à d’énormes contestations à l’échelle internationale. Peter Gabriel, Sting, Steven Fry, Danny de Vito, Terry Gilliam et Pete Townsend font partie de ceux qui soutiennent publiquement le groupe. Des groupes internationaux qui jouent des concerts en Russie montrent de plus en plus de solidarité envers les ‘‘Pussy Riot’’ en portant des tee-shirts ou en donnant aux autres membres du groupe du temps pour jouer. C’est le cas par exemple de Franz Ferdinand, des Beastie Boys, de Patti Smith, de Faith No More et des Red Hot Chilli Peppers. Même si de nombreux artistes russes continuent à soutenir le régime en place, en sachant bien que s’ils s’y opposent, ils perdront leur temps d’antenne, il est significatif de voir que plus de 100 artistes en vogue, nombres d’entre eux étaient encore récemment pro-Poutine, se soient exprimés contre le régime.

    Mais ce qui est bien plus inquiétant pour le régime, c’est que la population toute entière commence à changer de point de vue brusquement. Dans les semaines qui ont suivi l’action, la vaste majorité de la société russe soutenait les actions du gouvernement contre le groupe, vu la condamnation sans appel de tous les officiels ainsi que des hauts responsables de toutes les croyances russes confondues. Néanmoins, les dernières enquêtes d’opinion montrent que plus de 20% des Russes (cela représente environ 30 millions de personnes) sont prêts à protester activement contre le gouvernement.

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière en Russie appelle à la libération immédiate des ‘‘Pussy Riot’’ mais aussi de tous les autres opposants arrêtés lors des récentes manifestations d’opposition. Toutes ces accusations doivent être levées. Il doit y avoir une séparation immédiate entre l’Eglise Orthodoxe Russe et l’Etat à tous les niveaux. Une réelle liberté d’expression – avec le droit de critiquer l’Etat, le Président et l’Eglise – doit être instaurée à tous les niveaux. Le régime de Poutine doit se diriger vers la création d’une assemblée constituante démocratique formée par des représentants des lieux de travail, des institutions de l’éducation et des zones résidentielles afin de décider quelles sont les meilleures formes de gouvernement pour la Russie. Un parti de masse des travailleurs avec un programme socialiste prêt à se battre pour le pouvoir politique doit être construit et il est impératif de construire une nouvelle société socialiste libre du capitalisme, des bureaucrates et des prêtres.

  • Moscou : Quand la manifestation vire à la bataille rangée

    Ce dimanche 6 mai, le pouvoir a démontré dans la pratique que son atout le plus important en ce qui concerne les manifestations de l’opposition anti-Poutine sera son appui sur les forces de l’ordre. L’opposition s’est quant à elle, comme auparavant, révélée impuissante à mobiliser les larges couches de travailleurs. Plus précisément, l’opposition libérale et le “Front de gauche” qui se traine à sa queue n’ont même pas essayé de se tourner vers les travailleurs, et cela se reflète dans leur programme et dans leur tactique de lutte.

    Art Jeleznovski, Komitiét za rabotchi internatsional, Moscou

    La “marche des millions” annoncée par Oudaltsov (leader du “Front de gauche”) lors de la manifestation du 10 mars à Novy Arbat devait, selon la logique du comité d’organisation, être la conclusion du mouvement d’opposition débuté en décembre. Mais par quoi conclure l’“étape” en cours ? Par un véritable plan d’actions à proposer au mouvement ? Par la fondation d’une organisation politique de masse ? Par une décision d’organiser de nouveaux types d’action avec un niveau plus élevé de conscience ? Non. Il est clair que cette opposition ne peut se vanter de quoi que ce soit. Et c’est pourquoi il ne reste à utiliser que cette ressource qui est toujours traditionnellement utilisée afin de faire redescendre un mouvement – l’extension d’une action bonne à rien sur le plan politique en un “action plan” complètement absurde. Mais cette fois, à mon avis, cela s’est avéré plus difficile, et les conséquences des événements d’aujourd’hui se répercuteront certainement dans le futur. Trop de personnes nouvelles en politique ont aujourd’hui perdu leurs illusions tant en ce qui concerne l’opposition libérale qu’en ce qui concerne les autorités.

    Il y eu en gros deux chapitres dans les événements d’aujourd’hui : tout d’abord le cortège pacifique jusqu’au cinéma Oudarnik, ensuite l’opposition contre l’OMON (les forces spéciales de la police) qui s’en est suivie, jusqu’à la dispersion de l’ensemble des manifestants, qui constitue la répression la plus brutale dans l’histoire de la Nouvelle Russie, avec une énorme quantité d’arrestations (on parle à présent d’un chiffre de 500 personnes, mais selon nos observations ce chiffre doit sans doute être multiplié par deux). La surprise a été provoquée tant par le nombre de manifestants (entre 30 et 40 000 personnes selon notre estimation, bien que les autorités ne parlent que de 8000), que par les mesures de contrôle policier (ils fouillaient soigneusement tous les sacs à l’entrée, en inspectant tout le contenu, sans afficher la moindre bienveillance envers les participants, en confisquant même les bouteilles d’eau et la nourriture). Il est clair à présent que le pouvoir se préparait de cette manière à une répression rapide des manifestants, les privant de tout moyen de résistance ou de toute possibilité de lancement d’un mouvement d’occupation (ils nous ont même pris nos bouteilles d’eau !)

    De manière générale, cette manifestation de part le nombre de participants a frôlé l’ampleur des actions de l’opposition en décembre ; mais en plus, on peut maintenant constater que le nombre de militants politiques a considérablement augmenté. Tant la présence que l’influence de l’extrême-droite a aussi considérablement diminué. Tout comme auparavant, il y avait peu de travailleurs, sans parler de la moindre représentation syndicale ou autre. L’abondance de jeunes ne permet malheureusement pas de constater une hausse dans la conscience idéologique des manifestants, mais seulement que le pouvoir est en train de perdre le contrôle sur la jeunesse de manière générale.

    Pendant le cortège, les militants du Komitiét za rabotchi internatsional (KRI, section russe du Comité pour une Internationale Ouvrière) étaient, tout comme lors du 1er Mai, présents dans le bloc LGBT, écologiste et féministe. Par deux fois, nos camarades se sont vus impliqués dans des échauffourées avec un groupe d’individus portant des masques, qui nous attaquaient au nom d’une “Russie propre” ; mais ils ont été contraints de battre en retraite devant l’unité de notre bloc et notre détermination à défendre notre drapeau. Par contre, sur le front de l’opposition avec l’OMON, il se trouvait très peu de défenseurs de la “pureté de la nation russe” ; et ceux-là étaient représentés par les fameux mouvements impériaux, et non pas par d’étranges nazis portant des masques. Après quoi, le drapeau LGBT n’est pas descendu du front. Il faut dire que, vu l’ampleur de leur mobilisation et la qualité de leurs slogans, les LGBT ont devancé de très loin de nombreux habitués des manifestations, et se sont depuis longtemps déjà révélés se trouver de facto à l’avant-garde de la lutte contre le régime.

    En arrivant au cinéma Oudarnik, le cortège s’est subitement arrêté. On a alors appris qu’Oudaltsov et ses compagnons du Front de gauche avaient arrangé un sit-in près de l’entrée de la place du Marais, revendiquant que l’on les laisse traverser le Grand pont en pierre (Bolchoï Kamenny most) qui mène au Kremlin. Tentant de conserver leur autorité politique vu l’absence de slogans de lutte clairs, et sans aucune mobilisation conséquente des autres participants à l’action, de telles actions non concertées ne peuvent être estimées que comme une provocation. De même en ce qui concerne la tentative de dresser un camp d’occupation : vu la désorganisation des manifestants, il ne s’est écoulé en tout qu’une demi-heure entre l’édification de quelques tentes sur la place du Marais et leur démolition par l’OMON.

    En réponse à l’action d’Oudaltsov, les autorités ont instantanément déclaré prohibé le meeting qui venait de commencer (c’est tout juste si l’on a entendu une chanson des hauts-parleurs), ont encerclé la foule, et ont déclenché la répression totale. Il semble que les autorités étaient au courant des plans d’Oudaltsov, mais ne faisant aucun pronostic à l’avance d’actions si massives, s’étaient déjà préparées à organiser la débâcle physique de tous ceux qui s’étaient rassemblés là. Mais ici aussi, la rigidité de la mentalité des bureaucrates fonctionne comme un mécanisme enrouillé. La suppression d’une action si massive, même en prenant en compte la désorganisation plus complète de ses participants, à la veille de l’intronisation de Poutine, est une action dont les conséquences se retourneront bientôt contre le pouvoir lui-même.

    Vu le grand nombre de manifestants, la répression s’est prolongée pendant des heures, accompagnée de toute une série d’âpres combats, au cours desquels les manifestants ont tenté de tenir la défensive, et sont même plusieurs fois passés à l’offensive, arrosant les policiers de pierres et tentant de les frapper à l’aide de leurs drapeaux et d’armes improvisées. Il y a eu des tentatives de dresser des barricades, mais à bien y regarder, il n’y avait sous la main rien sur base de quoi les construire (mis à part des containers à poubelles et des cabines WC). Il est intéressant de remarquer que les gens ont eux-mêmes tenté d’organiser la défense ; on en a même vus qui ont tenté d’arranger une formation de combat qui a été capable de résister de manière efficace à l’OMON ; d’autres ont mené la mobilisation au cœur même de la masse des manifestants qui se trouvaient à l’arrière et avaient du mal à comprendre ce qui se passait au juste. Bref, l’OMON a tout simplement nettoyé l’ensemble du territoire, et l’ensemble des manifestants, ou en tous cas une grande majorité d’entre eux, a succombé sous l’averse des coups de matraques. Quittant le lieu des combats avec une épaule cassée et une oreille fracassée par les matraques de l’OMON, l’auteur de ces lignes ne pouvait s’empêcher de constater qu’il devient de plus en plus difficile d’intimider la population. Malgré la brutalité de l’OMON – pourtant qualifiée de trop molle par Peskov, le secrétaire de presse de Poutine -, malgré la folie des bureaucrates qui ont arrangé en plein centre de Moscou une grande offensive sur une foule de gens désarmés qui souhaitaient tout seulement se rendre à un meeting afin d’y exprimer leur opposition au régime, malgré tout cela donc, l’effet d’intimidation n’a clairement pas fonctionné.

    Vu le manque d’organisation et la faiblesse politique des manifestants, ce combat était perdu d’avance ; cependant, les gens montraient les dents, les affrontements ont repris encore et encore, et la foule a commencé à scander des slogans de plus en plus politiques. Nombre d’entre ceux qui sont tombés aujourd’hui dans ce hachoir ont sans doute perdu leur crainte des combats, et sauteront au contraire frénétiquement sur la moindre raison de protester encore plus. Et apporter aux manifestations un vecteur social, les remplir d’un sens politique, y entrainer la classe ouvrière, fonder des comités de lutte pour la mobilisation – voilà la tâche prioritaire des socialistes.

  • Russie : Du résultat des élections, des erreurs tactiques et de l'avenir de l'opposition

    Ce n’est pas Poutine qui a triomphé, mais le régime. Cette victoire a été organisée non seulement par la Commission électorale centrale et par les “ressources administratives”, mais aussi par les interventions inoffensives et dénuées de tout contenu de l’opposition non-parlementaire, et par sa tactique au fond complètement erronée. Cette victoire a été organisée par les partis officiels qui ont détourné les manifestants les plus actifs vers le mouvement absurde des observateurs électoraux. Chacun a apporté sa pierre au spectacle avec le résultat couru d’avance que nous constatons aujourd’hui. Cependant, cette farce a elle aussi connu ses propres surprises : la chute de Mironov (le candidat “social-démocrate), et la brusque envolée de Prokhorov. Que signifie tout cela, et que faire après les élections ?

    Denis Razoumovski et Lev Sosnovski, KRI, Moscou

    Une tactique erronée

    L’union de l’opposition des libéraux, des nationalistes et de la “gauche” a adopté une tactique du “vote pour n’importe qui sauf Poutine”, que la “gauche” a ensuite concrétisé par son slogan du vote “contre Poutine et la droite”, espérant ainsi répéter le succès des élections parlementaires. Leur analyse se basait sur une simple analogie, se disant que si les gens en avaient marre de Russie unie, alors c’est qu’ils en avaient marre de Poutine. Mais Poutine n’est pas Russie unie. Et les élections présidentielles ne sont pas les élections parlementaires. Quelle est la différence ?

    Les élections au parlement se déroulent sur base de listes régionales, sur lesquelles se présentent des candidats connus localement et qui ont une crédibilité bien définie. Par exemple, les travailleurs de la province de Léningrad étaient prêts à soutenir Alekseï Etmanov en tant que célèbre militant syndical qui avait mené la grève à l’usine Ford. Etmanov, à son tour, a utilisé la confiance que lui accordaient les travailleurs afin d’appuyer la liste de Juste Russie. Ainsi, lors des élections parlementaires, il y a toujours eu des candidats au niveau régional capables de recueillir les votes de protestation afin de punir Russie unie, avec qui le simple citoyen se heurte chaque jour en la personne des bureaucrates ou de ses patrons. Les gens utilisaient la “tactique Navalny” uniquement tant qu’ils voyaient une réelle alternative autour d’eux, ou simplement de nouvelles têtes. Mais les élections présidentielles sont une toute autre affaire.

    Appeler à voter contre Poutine signifie appeler à voter pour d’autres candidats, mais pour lesquels ? Pour le clown de droite populiste Jirinovski ? Pour l’ex-bureaucrate soviétique Ziouganov ? Pour Mironov, qui ne se lasse pourtant pas de répéter que son programme est à 90 % identique à celui de Poutine ? Ou pour Prokhorov, le Monsieur-12-heures-de-travail-par-jour ? On voit ces gens tous les jours, et la confiance en eux, la certitude qu’ils sont capables d’accomplir un réel changement, est quelque peu inférieure à celle que l’on peut placer en Poutine. Il suffit de comparer les huit millions de voix que Juste Russie a reçu aux élections parlementaires, aux seulement deux millions en faveur de Mironov aux présidentielles. La seule exception est Prokhorov, qui a reçu la deuxième place dans trois des plus grandes villes, du fait que beaucoup le considéraient comme une “figure fraiche”. Lorsqu’on discutait avec les gens lors de l’action du “Cercle blanc”, on pouvait les entendre dire que la destruction du budget social ne leur plaisait pas, c’est pourquoi ils s’apprêtaient à voter pour Prokhorov, dont le programme semblait être fait d’une coupe plus rapide du budget et de réformes plus vives que celles de Poutine. Le vote de protestation auquel s’attendait le régime est parti en direction de Prokhorov ; son image d’“homme d’affaires à succès” a été un atout supplémentaire comparé aux autres populistes sur scène.

    Ziouganov a reçu son plus bas niveau de soutien de toute sa carrière politique (2012 : 12 millions de votes, 2008 : 13 millions, 2000 : 21 millions, 1996 : 30 millions) – le juste paiement de son soutien constant au régime et de son mépris affiché pour le mouvement de protestation. Juste Russie a perdu 6 millions de votes, et il est peu probable qu’il puisse jamais se remettre de cette chute.

    Le vainqueur est en réalité le candidat “boycott”. Si l’on compare le résultat des élections avec 2004 et 2008, le régime a perdu environ 10 % de voix. Plus de 40 % des électeurs ont soit refusé d’aller voter, soit déchiré leur bulletin. C’est 5 % de plus que lors des élections précédentes, c’est 10 % de plus que le vote pour Poutine. Ces gens expriment aujourd’hui de manière passive leur méfiance envers le système. Si seulement une campagne de boycott actif avait été organisée de manière aussi large que les appels à participer au cirque électoral, elle aurait pu inciter ces gens à aller voter dans la rue : par des manifestations, par des occupations de places, et par des grèves contre le régime. On aurait pu bloquer le travail du parlement tout de suite après les élections de décembre – n’est-il pas illégitime ?

    Tous les candidats et partis existants sont d’une manière ou d’une autre des piliers du système poutine ; ils ont plus d’une fois exprimé leur soutien à son égard. Dans ces conditions, aucun changement n’est à attendre de la part des élections, même en cas d’élections transparentes et honnêtes, quelle que soit la tactique électorale choisie. Les libéraux, les nationalistes et la “gauche” à la Oudaltsov ne sont pas capables de se détacher des élections bourgeoises, de se tourner vers les masses avec une tactique de boycott actif qui place la question d’une assemblée constituante. Le démantèlement de l’ensemble du régime n’est pas dans leur intérêt ; ils ne veulent que le placer sous leur propre contrôle.

    La désillusion des observateurs aux élections mérite une mention à part. Dans de nombreux bureaux de vote, à la grande surprise des observateurs indépendants, tout s’est déroulé de manière parfaitement honnête. Supposant que le soutien à Poutine n’était pas aussi grand que le proclament les médias pro-gouvernementaux, de nombreuses personnes avaient décidé que le fait de s’inscrire en tant qu’observateur indépendant afin de veiller à l’honnêteté des élections amènerait en soi à la chute du régime ; mais il en a été tout autrement. Poutine a réellement, sans besoin de la moindre fraude, obtenu en moyenne plus de 50 % dans tout le pays. Voici par exemple le témoignage extrêmement intéressant d’un de ces observateurs : « J’ai gardé l’urne comme un cerbère, j’ai parcouru à fond tous les documents dans les moindres détails, j’ai observé attentivement chaque bulletin qui était placé dans l’urne, j’ai décortiqué les registres, et une fois tous les votes étalés devant moi, je n’ai pas pu en croire mes yeux – j’ai tout revérifié, autant que possible, mais cela n’a rien changé … Dans notre bureau de vote, Poutine avait obtenu 58,2 % des voix. Les gens étaient venus et avaient voté. … Je crains que cela soit la véritable expression de la volonté de ce quartier dépressif de la ville de Perm. Pas que cela ait été pour moi complètement inattendu, mais… Mais si c’est vraiment partout comme ça, alors ce pays n’a aucun avenir – il est vraiment temps de se casser d’ici. » De cette manière, au lieu de donner une réponse politique au questionnement de la majorité, de proposer une auto-organisation dans la lutte contre le régime, l’opposition a appelé à participer en masse aux élections en tant qu’observateur indépendant, dont le seul résultat a été de confirmer la victoire de Poutine.

    Unité imaginaire – frein à la lutte

    Nous avons maintes et maintes fois entendu les discours sur la nécessité de l’unité de toutes les forces d’opposition. Cette unité s’est spontanément formée après le tout premier meeting aux Clairs Étangs : les libéraux, les nationalistes et la gauche ont formé un comité d’organisation qui a par la suite organisé pratiquement toutes les actions. Mais, en réalité, cette unité est devenue un frein au développement du mouvement. Comme si les travailleurs du Caucase allaient soutenir des actions auxquelles des nationalistes cachés et des nazis déclarés appelaient de la tribune à « un pouvoir rousski » ! Alors que c’est justement au Caucase que l’on a vu la plus grande proportion de votes en faveur de Poutine : 90 %. Il est certain que ce chiffre est falsifié, mais pour pouvoir chasser les barons locaux à la solde du Kremlin qui livrent les statistiques de vote requises au gouvernement, les travailleurs du Caucase doivent se lier à la lutte commune. La xénophobie et le nationalisme sont un des freins les plus puissants pour la diffusion du mouvement à l’échelle de tout le pays.

    Les libéraux sont incapables de proposer quoi que ce soit qui soit différent du programme de Poutine (lisez par exemple la “Feuille de route” du groupe “Solidarnost”!), ils ne pourront jamais un soutien de masse. Tout le monde sait qu’ils ne sont en réalité rien d’autre que des éléments déchus du régime poutinien, chair de la chair de ce régime.

    La gauche non-officielle, qui à la première occasion s’est alignée derrière Ziouganov, a dans les faits démontré ce que valent toutes ses phrases radicales sur son opposition au capitalisme. Une véritable lutte et une juste tactique, qui se fonde sur une analyse des forces de classe, demandent un effort minutieux dans la vie de tous les jours – et non pas incendier des poubelles lors des manifestations ou jeter de la merde sur l’ambassade américaine. La chute de la direction de gauche est d’autant plus profonde que son discours parle de compromis et de collaboration avec les libéraux et les nationalistes, pour la création d’un gouvernement de coalition : « Aucune force de l’opposition aujourd’hui n’a de perspectives d’arriver au pouvoir, seule un gouvernement de coalition pourrait dans un futur proche remplacer l’autocratie des “Saints-Pétersbourgeois”. Ainsi en effets les places mêmes ont déjà formé une coalition, une série de structures autogérées, horizontales, comme on aime à le dire, qui montrent bien que la démocratie est tout à fait possible – pas comme l’imitation qui en est faite par la Douma, mais en tant que processus de recherche de compromis en-dehors des structures artificiellement créées par le pouvoir. Et ici justement est représenté l’ensemble du spectre politique, des libéraux les plus à droite aux radicaux de gauche, en passant par les nationalistes. Le résultat le plus important de ces actions de protestation contre la fraude électorale, est le réveil de toutes les forces politiques et leur saine concurrence dans le processus de collaboration » (Interview d’Oudaltsov dans “Russie littéraire”). Mais quel compromis est-il possible entre la défense de la gratuité de l’enseignement et des soins de santé, et les coupes budgétaires ? Entre la journée des 7 heures et la journée des 12 heures ? À quoi bon pareille tactique ? Elle ne sert qu’à ce qu’en arrivant au pouvoir main dans la main avec l’ennemi de classe, une telle gauche se verra incapable d’accomplir en réalité même cet embryon de programme minimum qu’elle prétend défendre.

    Aussi paradoxal que cela paraisse, en vue d’une réelle unité, ce qu’il faut au mouvement du Marais aujourd’hui est justement des délimitations – une discussion politique sur le programme, les méthodes, la stratégie et la tactique dans la lutte. Sans cela, le mouvement est d’avance condamné à aller droit au mur.

    Après les élections

    Il y a bel et bien eu fraude lors des ces élections. La pratique du carrousel est un fait bien établi. Bien que celle-ci ait été moins présente que lors des élections parlementaires. Elle était nécessaire au régime afin d’accroitre l’ampleur de sa victoire, et de s’assurer d’obtenir une majorité même dans les villes les plus contestataires (Moscou, Saint-Pétersbourg), afin que le niveau de soutien au régime paraisse homogène dans tout le pays.

    Nous avons déjà écrit de nombreux articles au sujet de la scission au sein de la classe dirigeante. L’état de siège virtuel du Kremlin, les camions chargés de soldats dans le centre-ville, la rhétorique militariste – tout cela montre une tendance à un “serrage de vis”. Poutine montre aux bourgeois de l’opposition que la véritable force, c’est lui, avec ou sans soutien passif de 30 % de la population en droit de voter. Il n’existe aucune autre force semblable dans le pays, il n’en laissera apparaitre aucune. Sans la dictature de Poutine, la classe dirigeante restera face à face avec les autres manifestants qui exigent encore l’annulation des réformes néolibérales et qui cherchent à diriger le développement du pays sur une autre voie, peu avantageuses aux intérêts des grosses entreprises. C’est pourquoi l’idée d’élections honnêtes est à oublier – la seule perspective pour eux est la reconstruction d’une dictature sur base d’un nouveau visage, afin de pouvoir mener la guerre de classe avec toutes les armes à leur disposition. Et au cas où les masses de toute la Russie ne se mettent pas bientôt à soutenir l’opposition de Moscou et de Piter, il faut s’attendre à la dispersion du mouvement. La période électorale est finie, nous pouvons revenir au travail habituel.

    En l’absence de leur propre organisation et d’une direction combative, les masses qui sont descendues dans les rues après les élections parlementaires n’ont fait que piétiner sur place. Les libéraux, les nationalistes, la “gauche” – personne d’entre eux ne possède un programme de lutte – c’est pourquoi ils sont condamnés à pourrir le mouvement, si pas aujourd’hui, alors demain. Lors de la manifestation du 5 mars, le lendemain des élections présidentielles, qui n’atteignait pas et de loin le nombre habituel de participants, on pouvait déjà constater la déception de la part d’une bonne partie des militants. Et la manifestation immédiatement prévue pour le 10 mars donnera une confirmation décisive de la baisse décisive du taux d’activité. Mais l’humeur de protestation qui existe déjà ne disparaitra pas du jour au lendemain, elle se trouvera un débouché d’une manière ou d’une autre, après une réinterprétation, une analyse des erreurs et la disparition de plusieurs illusions – car le terreau pour cette humeur contestataire n’est pas les élections, mais la politique de la classe dominante, la disparition des soins de santé, de l’enseignement, la baisse du niveau de vie. La classe dirigeante ne dispose d’aucune ressource qui lui permette d’atténuer les contradictions de classe ; à l’horizon se pointe une nouvelle récession.

    Lors de la manifestation du 5 mars, comme toujours ces derniers temps, c’est une fois de plus Alekseï Navalny qui s’est révélé le plus malin, en proposant de déployer une agitation de masse. Et c’est effectivement la seule décision valable – si le régime dirigeant a dans les faits dévoilé le fait qu’il jouit d’un soutien de masse passif, alors il est temps de commencer à travailler à cela, afin de le dépouiller de ce soutien. Et ce sont les slogans d’auto-organisation qui deviennent à présent les plus actuels. À présent, après la fin du cycle électoral, les questions sociales passent à nouveau au premier plan – les soins de santé, l’enseignement, la hausse des prix, etc.

    La politique du groupe dirigeant va bientôt éloigner d’elle même ceux qui avaient voté pour la “stabilité”. Parce qu’il n’y aura pas de stabilité. Pour l’agitation, les liens entre villes et la coordination des actions à propos de la liquidation de l’enseignement et des soins de santé, de la hausse des prix et d’autres questions sociales de la vie de tous les jours, il ne nous faut pas des “comités citoyens” – qui ne sont qu’une soupe infâme de libéraux, de nationalistes et de “gens de gauche”, mais des comités de lutte constitués de travailleurs et d’employés provenant de tout le pays. Pour que les occupations de place ne virent pas à la farce, pour que les gens participent réellement massivement et restent dans le mouvement, les masses des travailleurs et de la jeunesse doivent refuser de retourner à leurs études et à leur travail, c’est-à-dire déclarer la grève. Et pour cela, il faut en premier lieu des comités syndicaux et des comités de grève.

    Les “dirigeants” qui ont tenté de grimper sur le dos des manifestants afin de se hisser au fauteuil présidentiel ou à un poste de ministre, ont déjà révélé leur impuissance et leur faillite. La cause est maintenant la nôtre, c’est l’affaire de chacun d’entre nous. Organisons-nous ! Pour un deuxième tour – dans les rues !

  • Kazakhstan : Libération de Natalia Sokolova, l'avocate des grévistes du pétrole !

    Le régime est sous la pression de la campagne internationale

    Le 8 mars, la Cour Suprême du Kazakhstan a pris la décision de ‘requalifier’ les charges criminelles pesant sur Natalia Sokolova, l’avocate des grévistes de l’entreprise pétrolière “KarazhanbasMunai”. En conséquence, la sentence de 6 ans de prison rendue en août 2011 a été annulée. A la place, Natalia Sokolova a été condamnée à 3 ans de conditionnelles, elle sera sous la surveillance de la police pour 2 années supplémentaires et est interdite de participer à des “activités sociales” (c’est-à-dire des activités politiques ou syndicales). Elle a donc été relâchée et a pu retourner chez elle, auprès de son mari.

    Déclaration du Mouvement Socialiste du Kazakhstan

    Le Mouvement Socialiste du Kazakhstan félicite Natalia Sokolova, les travailleurs du Kazakhstan et, plus particulièrement, les travailleurs du secteur pétrolier de Mangystau pour la libération de Natalia Sokolova. Il s’agit là d’une victoire pour la classe ouvrière du Kazakhstan toute entière. Les autorités considéraient la condamnation de Natalia Sokolova comme un avertissement lancé à la population du Kazakhstan, afin de défier quiconque de lutter. Mais au lieu de cela, le régime a dû faire face à une campagne croissante de solidarité internationale, jusqu’au point d’être forcé de la relâcher.

    La campagne internationale de solidarité a impliqué plusieurs syndicats, syndicalistes, organisations de défense des droits de l’Homme, partis de gauche, etc. Un rôle particulièrement important a été joué par le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) et ses différentes sections à travers le monde, qui ont organisé une série de piquet, de protestations et de conférences de presse exigeant, notamment, la libération de Natalia Sokolova. Depuis le Nouvel An, ce travail a été organisé par la Campaign Kazakhstan.

    Ce n’est pas une coïncidence si le Parlement Européen a discuté de la situation au Kazakhstan la semaine suivante. Grâce au travail de la Gauche Unitaire Européenne et, en particulier, de Paul Murphy (député européen du Socialist Party en Irlande et section irlandaise du CIO) ainsi que son équipe, même les factions de droite au Parlement ont soutenu la revendication de la libération de Natalia Sokolova dans leurs résolutions. Ces derniers ignorent généralement la condition des travailleurs et des syndicalistes, qui souffrent sous la poigne de régimes autoritaires, et préfèrent concentrer leur attention sur le cas des politiciens pro-capitalistes et des militants des droits de l’Homme. Mais grâce à la pression continue du bureau de Paul Murphy, cela ne s’est pas produit cette fois-ci. Il était quasiment certain que l’appel à la libération de Natalia Sokolova allait être repris par le Parlement Européen la semaine suivante.

    La visite d’Andrej Hunko au Kazakhstan (un membre du Bundestag allemand et du parti de gauche Die Linke) a également constitué un évènement important. Il soutient la Campaign Kazakhstan. Andrej Hunko a visité le Kazakhstan en tant qu’observateur durant les élections frauduleuses organisées par le régime dans le pays en janvier dernier. Il a utilisé cette opportunité pour visiter Natalia Sokolova en prison, pour lui exprimer sa solidarité et lui assurer qu’il participerait aux efforts visant à mettre le maximum de pression sur le régime.

    Piquets do solidarité

    Dans le monde russophone, la section russe du CIO a été impliquée dans l’organisation de piquets de solidarité dès le début du conflit social dans le pétrole. Plusieurs conférences de presse ont été tenues afin de briser le silence médiatique à propos de la grève et pour assurer que la libération de Natalia Sokolova soit soulevée à chaque fois que cela était possible. Par la suite, ce travail a été renforcé par des piquets tenus à Moscou, Saint Pétersbourg et Kiev avec l’aide d’autres groupes de gauche et d’organisations syndicales.

    En janvier, Natalia a été nominée par le syndicat Zhanartu (affilié au Mouvement Socialiste du Kazakhstan) pour recevoir le prix de l’International Trade Union Congress en tant que “syndicaliste de l’année”. Cette nomination est soutenue par Comité Norvégien Helsinki et par le Bureau International des Droit de l’Homme du Kazakhstan. Cette nomination à elle seule a causé un grand embarras au régime kazakh. Des pressions ont régulièrement été exercées par la sureté d’Etat (KNB) sur Natalia afin qu’elle rejette cette nomination.

    Le rôle joué par le Mouvement Socialiste du Kazakhstan dans le pays n’est pas non plus à négliger. Plusieurs actions et piquets ont été tenus au Kazakhstan, avec souvent à la clé l’arrestation des militants. Zhanna Baitelova, Dmitry Tikhonov et Arman Ozheubaev ont ainsi été détenus en prison durant deux périodes de 15 jours. Des dizaines d’autres activistes ont reçu des amendes pour avoir participé aux actions de protestation. Nos camarades du syndicat Odak ont assuré que l’information concernant ces arrestations et intimidations se répandent dans tout le pays.

    Maintenons la pression sur le régime

    Il est impossible de faire ici une liste complète de toutes les actions qui ont été organisées dans de nombreux pays, en Autriche, en Australie, en Belgique, à Hong Kong, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Irlande, aux USA, en Suède, en France, au Venezuela, au Pakistan et en Pologne. Des supporters en Irlande et en Belgique ont également déployé des banderoles lors de matchs où jouait l’équipe du Kazakhstan. Des piquets ont été tenus devant des grandes entreprises ayant des contrats au Kazakhstan à Londres et à Berlin. Des dizaines de délégations syndicales à travers le monde se sont aussi saisi du sujet.

    Même si Natalia est toujours considérée comme coupable, sa libération est une grande victoire pour le mouvement ouvrier et la campagne internationale de solidarité. Cela démontre que des victoires peuvent être obtenues malgré l’opposition du régime, des patrons et de leurs partisans sur la scène internationale, malgré aussi le silence des médias officiels et la résistance des bureaucrates syndicaux. La pression exercée sur l’Ak-ordy (la résidence présidentielle) a fonctionné. Nous devons maintenant poursuivre cette campagne et maintenir la pression pour la libération des 43 travailleurs du pétrole actuellement détenus pour “incitation au conflit social” et participation à des “réunions syndicales illégales”, pour la libération de Vadim Karamshin, pour le retrait des charges pesant contre les dirigeants de l’opposition Ainur Kurmanov et Esenbek Ukteshbayev, et pour la libération de tous les prisonniers politiques du pays.

  • Une nouvelle manifestation de 100.000 personnes à Moscou contre Poutine : comment continuer ?

    Le 4 février à Moscou, par des températures proches de -20ºC, a eu lieu une nouvelle manifestation massive, regroupant sans doute plus de 100.000 personnes, afin de protester contre la fraude lors des élections parlementaires de décembre en Russie, et contre la victoire déjà annoncée de Vladimir Vladimirovitch Poutine aux présidentielles du 4 mars. Des manifestations semblables, bien que plus petites, se sont déroulées dans d’autres villes un peu partout en Russie. Pendant ce temps, à Moscou, Poutine et ses partisans ont organisé une contre-manifestation. Jennia Otto, de la section moscovite du Komitiét za rabotchi internatsional (KRI, CIO-Russie), décrit dans cet article ce qu’elle a vu pendant la manif de l’opposition.

    Jennia Otto, Komitiét za rabotchi internatsional (CIO-Russie)

    La manifestation du 4 février était très organisée. Elle était menée par une foule de “sans-partis”, qui composait plus de la moitié du cortège. Puis, suivaient les partis politiques. Les libéraux en tête, suivis des nationalistes et des fascistes, puis, tout au fond, la “coalition de gauche” et le “bloc rouge et noir” (anarchistes). Les organisateurs ont de la sorte isolé les militants de gauche – avec le consentement de beaucoup de ces mêmes militants – du gros des manifestants.

    Le KRI était présent à la manifestation du bloc de gauche, avec des pancartes sur lesquelles étaient écrites : ‘‘À bas le président : pour une assemblée constitutionnelle de tous les travailleurs !’’, ‘‘Aucune confiance dans les candidats du patronat et de la bureaucratie – pour un boycott actif des élections !’’, et ‘‘Non au nazisme et à la xénophobie – pour l’unité de tous les travailleurs !’’ Nous essayons de trouver des gens qui soient d’accord avec notre position, selon laquelle dans les élections présidentielles du 4 mars, il est nécessaire d’organiser un boycott actif, plutôt que de soutenir la “gauche” officielle existante que déclarent être le très chauviniste Parti communiste (KPRF) et le candidat pro-Kremlin du parti “Juste Russie” (SR).

    Mais la principale raison pour laquelle nous sommes venus à la manifestation était que nous voulions dialoguer avec les militants sociaux, les simples gens qui étaient venus sur la place pour connaitre leur position politique et pour discuter de comment porter le mouvement de l’avant. Par conséquent, la majorité de nos militants se trouvait dans le gros de la manifestation, dans sa partie “civile”, avec nos banderoles et nos tracts. Il y avait là toutes sortes de gens : des étudiants de l’université de Moscou, des petits actionnaires floués, des écologistes, et autres militants citoyens. Bon nombre d’entre eux portait simplement des ballons blancs. Nos banderoles disaient : ‘‘Faisons payer la crise au patronat – non aux coupes budgétaires ! – Nationalisation de l’industrie et des banques’’, ‘‘Le pouvoir aux millions, pas aux millionnaires !’’, et ‘‘Ils sont tous d’accord. Boycottons les élections ! Votons par la grève’’. C’est cette dernière banderole qui a obtenu le plus d’attention. Des jeunes sont venus pour dire qu’il n’y avait personne pour qui ils voulaient voter dans ces élections ; beaucoup ont ensuite commencé à parler de l’Égypte. Les manifestants plus âgés n’étaient pas aussi chauds ; ils se disaient prêts à voter pour n’importe qui sauf Poutine.

    La revendication de la nationalisation a provoqué des discussions. Certaines personnes disaient que ‘‘S’il n’y a pas de patron, les gens ne travailleront pas’’. Ils ont même tenté de nous convaincre que cela avait été scientifiquement prouvé. Nos militants ont répondu en disant que lorsqu’un patron capitaliste décide d’investir pour répondre à un besoin social, c’est toujours dans le but d’augmenter ses profits. Nous avons aussi discuté de la différence entre le contrôle bureaucratique de l’industrie et de la société qui existait du temps de l’Union soviétique et la nécessité d’une nationalisation sous contrôle et gestion démocratique par les travailleurs. Par contre, il était amusant de constater que nombre de personnes qui se disaient contre l’idée de nationalisation acceptaient par contre l’idée de réquisitionner les palais de Poutine pour en faire des orphelinats ou des écoles – donc le problème n’est pas l’expropriation.

    ‘‘Poutine – vor !’’

    Parmi la foule des militants sociaux, certains slogans naissaient pour mourir aussitôt. D’autres étaient rapidement repris en chœur. Le plus populaire de ces slogans reste de loin ‘‘Poutine – vor !’’ (Poutine – voleur !). Lorsqu’on discutait de ce slogan avec les gens, il était clair qu’ils étaient conscients que Poutine n’est pas le seul voleur dans le pays, ni le seul responsable de la crise. Personne n’était chaud pour soutenir les autres candidats lors des prochaines élections. Nos slogans les plus populaires étaient ‘‘Narod – nié skot ! vyboram boïkot !’’, et ‘‘Vlast – millionam ! a nié millioniéram !’’ (‘‘Le peuple n’est pas un troupeau – boycottons les élections’’ ; ‘‘Le pouvoir aux millions, pas aux millionnaires’’).

    La tribune jouait de la musique, alternant entre des chansons romantiques et de la musique pop. Les organisateurs prenaient de temps en temps le micro pour demander aux gens d’attendre que la fin de la manif arrive. La musique a en tout duré une heure. Un des manifestants a crié : ‘‘A politika boudiét ?’’ (La politique c’est pour quand ?). Puis, lorsque les politiciens sont finalement arrivés sur la tribune, ils ont eux aussi mis la patience des manifestants à rude épreuve. Aucun d’entre eux n’a de nouveau tenté de donner la moindre ébauche de plan d’actions.

    La majorité des discours suivaient le même schéma : les orateurs remerciaient les gens d’être passés, ont raconté une ou deux histoires sur la manière dont les élections ont été truquées, et ont critiqué les autorités pour le manque de liberté politique. Puis, ils ont demandé des nouvelles élections, et la démission de Tchourov, le chef de la commission électorale centrale. Ils ont appelé les gens à ne pas voter pour Poutine, mais de s’enregistrer en tant qu’observateurs le jour des élections pour contrôler le comptage des votes. Ils ont demandé la libération des prisonniers politiques, non seulement pour ceux qui ont été arrêtés lors des manifestations, mais aussi de toute une série d’hommes d’affaires qui sont en prison pour diverses raisons. Les problèmes sociaux, tels que la hausse du prix de l’électricité et la commercialisation des services d’État, n’ont été mentionnés qu’une seule fois – dans la chanson “Chute libre” chantée sur la tribune par un groupe de soldats. Les personnalités politiques ont complètement ignoré toutes ces questions. De plus, deux personnes qui étaient pourtant sur la liste des intervenants votée lors du “forum d’organisation” avant la manifestation se sont finalement vu refuser l’accès au podium ; il s’agissait des représentants du syndicat indépendant de l’enseignement “Outchitel” (“Instit”) et de l’organisation “Grajdanine izbiratel” (“Citoyen électeur”).

    Les discours de l’intelligentsia pro-capitaliste ne méritent pas le moindre commentaire – ils étaient dégoulinants de bon sentiments, mais sans aucun contenu. L’écrivain Loudmila Oulitskaïa a limité son intervention au commentaire suivant ‘‘Aujourd’hui, c’est une nouvelle, très bonne histoire qui commence’’. La journaliste Irina Iassina a appelé les manifestants à être attentifs à développer leur propre honnêteté et conscience, de sorte que nous puissions avoir au pouvoir des gens avec de hautes valeurs morales. Le journaliste de la télévision Léonid Parfionov a profité de l’occasion pour faire la publicité de son projet de “télévision sociale”, concluant par un appel du type ‘‘Réveillez-vous !’’

    Les personnes présentes sur la place ont réservé un accueil plutôt froid à tous ces orateurs. Une des premières personnes à parler était le meneur d’extrême-droite Aleksandr Biélov. Il a essayé de chauffer la foule en criant ‘‘Rossiya biez Poutina !’’ et ‘‘Kto obvoroval Rossiyou ?’’ (‘‘Russie sans Poutine’’, ‘‘Qui a dévalisé la Russie ?’’), mais la foule a simplement répondu ‘‘Dégage !’’. Le représentant de “Juste Russie” (le parti pseudo-social-démocrate pro-Kremlin) a tenté de nous dire qu’il faudrait une Russie démocratique et que les autorités devraient être contrôlées par la population. Mais lorsqu’il a crié ‘‘La Russie sera libre !’’ (‘‘Rossiya boudiét svobodnoï !’’) , il s’est vu rétorquer ‘‘Rends ton mandat !’’ et ‘‘À bas tous !’’ (‘‘Doloï ikh vsiekh !’’).

    Ilia Iachine du mouvement “Solidarnost” (Solidarité) s’est émerveillé de l’unité de la plate-forme de l’opposition. ‘‘L’essence de nos revendications est simple : à bas l’autocratie, vive la république, rendez au peuple ses élections !’’ Il a aussi appelé les enseignants à ne pas céder à la pression du gouvernement et à ne pas participer à la falsification des élections ni aux meetings pro-gouvernement (auxquels ils sont souvent obligés d’aller par ordre de leur direction). Cependant, tant que les fonctionnaires et autres travailleurs ne possèdent pas leur propre parti politique, alors leur intransigeance, dans le meilleur des cas ne fera que contribuer aux querelles entre les divers secteurs de la bourgeoisie. Mais 99% des gens resteront comme avant dépourvus de leur propre voix.

    Le dirigeant du parti libéral “Iabloko”, Grigori Iavlinski, a déclaré que : ‘‘Ils veulent nous tous nous écarter des élections’’. Selon toute apparence, sous “nous tous”, il voulait dire lui-même. Le libéral a répété encore le même discours sur l’unité : ‘‘Malgré que toutes les personnes ici présentes soient différentes, nous sommes tous d’une seule couleur – celle du drapeau tricolore russe’’. Mais en parlant de la création ‘‘d’une réelle unité politique’’, il a promis de ne pas rendre le pouvoir ‘‘Ni aux voleurs, ni aux fascistes, ni aux stalinistes et autres parasites’’. La base de la politique pour lui, doit être l’éthique et la morale.

    Le “dirigeant des forces de gauche”, Sergueï Oudaltsov, a vivement critiqué le pouvoir pour ses “mensonges et ses provocations” : « Ils nous accusent du fait que nous agirions en réalité dans l’intérêt des États-Unis », a-t-il déclaré, avant de s’écrier que lui-même avait personnellement été « lancer de la merde sur l’ambassade américaine » en 1999, et même « jusqu’au quatrième étage ». Mais où étaient Poutine et Medvedev ce jour-là ? s’est-il demandé. Après cela, il a récusé l’argument comme quoi nous faisons partie d’une “révolution des manteaux de vison” – à ce qu’il dit, lui-même porte le même blouson depuis déjà trois ans. ‘‘C’est chez vous au Kremlin qu’on voit toutes ces fourrures, ces milliards, ces villas. Mais nous sommes ici dans les intérêts de la majorité, qui aujourd’hui est indignée, humiliée, et vit dans la misère’’. Mais son seul conseil pour les élections du 4 mars était d’aller se faire inscrire comme observateur et de demander les résultats des comptages à chaque commission électorale. En conclusion, Oudaltsov a “symboliquement” déchiré un portrait de Poutine en scandant à nouveau ‘‘Rossiya biez Poutina !’’

    Les “forces de gauche”

    Le fait que ce “dirigeant des forces de gauche” ait reçu la parole n’était pas un accident. La majorité des organisations de gauche de Moscou se sont unies en un “Front de Gauche”, qui a donné à Oudaltsov le droit de parler en son nom. C’est exactement ce que les libéraux désiraient – être capables de s’appuyer sur la gauche pour gagner encore plus de légitimité pour la direction du mouvement. Oudaltsov venait de signer un accord avec Guénnadi Ziouganov, le dirigeant du soi-disant Parti “communiste”. Ainsi, non seulement il n’a pas appelé au boycott des élections, mais il n’a rien dit du fait que c’est le système capitaliste et non pas Poutine qui est responsable de la crise, et n’a rien dit au sujet de supprimer la position présidentielle en tant qu’institution.

    Bien sûr, afin de maintenir l’“unité” du comité d’organisation, Oudaltsov n’a pas dit le moindre mot contre la xénophobie, appelant à l’“unité” (dans les faits, des travailleurs avec les patrons et leurs politiciens fantoches), tandis que l’extrême-droite se promenait parmi la foule avec ses slogans pour diviser la population sur base de nationalité, de genre, et d’orientation sexuelle, afin d’empêcher tout développement d’une réelle solidarité. Ce “dirigeant de la gauche” a également évité de soulever la moindre revendication sociale, de peur de se faire mal voir des libéraux. Un discours contre la commercialisation de l’éducation et pour la nationalisation des banques et de l’industrie aurait été contraire aux droits à la propriété privée et au libre marché tels que propagés par les libéraux. Le programme d’Oudaltsov est aujourd’hui à peine différent de celui des libéraux. Le seul élément de “gauche” dans son discours a été la référence à sa propre pauvreté.

    Pas un des candidats enregistrés pour les élections présidentielles n’est venu parler, démontrant une fois de plus à quel point ils sont liés au Kremlin. Il est donc impossible de comprendre pourquoi la gauche s’est unie pour soutenir la candidature des Communistes ou de Juste Russie. Enfin, nous devons nous corriger – la coalition de gauche à Moscou, afin d’échapper aux critiques, a mis sur pied d’habiles formulations du type : ‘‘Aucun vote pour Poutine ni pour la droite’’. D’autres militants se justifient même en disant que le KPRF ou SR sont tout aussi à droite, mais cela signifie que ce slogan ne peut être interprété qu’en tant que non-appel au boycott. Les militants de province, qui ne sont, eux, pas experts en matière de technique moderne d’herméneutique, ont tout compris de travers, ajoutant entre parenthèses, sur le tract qui leur était venu de la capitale, la précision : ‘‘Pour le KPRF ou pour Juste Russie’’.

    Dans la foule, on entendait la blague ‘‘Et si on foutait le feu à la place ?’’ Vu la réaction froide face aux interventions des orateurs, il faut entendre par-là un sous-entendu politique. À la fin du meeting, les organisateurs ont appelé les gens à revenir. Mais plus tard, sur les blogs on a vu partout reprise la photo d’une des pancartes d’un des manifestants : ‘‘Bon voilà on est venus, et après ?’’

    Des élections illégitimes

    Les élections présidentielles sont prévues pour le 4 mars. Elles ne seront pas plus légitimes que celles des élections parlementaires de décembre. Il n’y a que cinq candidats : Poutine, Ziouganov (le “communiste”, de plus en plus nationaliste de droite), Mironov (le dirigeant du parti “social-démocrate” Juste Russie, un parti monté de toutes pièces par les politologues du Kremlin pour tenter de neutraliser l’opposition), Prokhorov (un oligarque néolibéral, dont la revendication la plus célèbre est son appel à la semaine des 60 heures, là aussi calculé pour donner une image de “gauche” à Russie unie), et Jirinovski, le clown de droite nationaliste. Même Grigori Iavlinski, libéral plutôt “sage” et qui n’aurait de toute façon eu aucune chance de gagner, s’est vu refuser sa candidature. Les même méthodes de fixation de quotas de votes et de fraude qui ont été utilisées en décembre sont aujourd’hui en train d’être préparées pour les présidentielles de mars. Des ordres ont déjà été envoyés aux dirigeants régionaux pour leur communiquer quel est le pourcentage de voix pour Poutine qu’ils doivent obtenir. Une nouvelle manifestation est d’ores et déjà prévue pour le 5 mars.

    Le KRI, section russe du CIO, appelle à un boycott des élections présidentielles. Ceci ne signifie pas rester sans rien faire, mais au contraire, nous trouvons que l’opposition devrait mobiliser ses partisans pour mener une campagne active dans les entreprises, dans les établissements d’enseignement, dans les cités, avec des tracts, meetings, etc., pour organiser de véritables comités d’action en opposition à la fraude. Les députés de la soi-disant “opposition”, qu’ils soient “communistes” ou “socio-démocrates”, qui ont élus à la suite des élections frauduleuses de décembre, ne boycottent pas le travail de la Douma, mais ont à la place reconnu la “légitimité” des élections. Le CIO appelle à l’abolition du poste de Président de la Fédération, pas seulement pour établir une “république parlementaire”, mais afin de permettre la convocation d’une assemblée constituante véritablement démocratique à laquelle la classe ouvrière et les opprimés pourrait envoyer leurs représentants afin de décider de la manière dont la société devrait être organisée. Outre cela, le CIO appelle la classe ouvrière à s’organiser en syndicats indépendants et à fonder un parti des travailleurs véritablement de gauche et capable de remettre en question l’hégémonie des hommes d’affaires et de leurs représentants au Kremlin, ainsi que de lutter pour la formation d’un gouvernement qui représente les travailleurs et les masses opprimées, avec un programme socialiste audacieux.

  • APPEL URGENT. Nos camarades Kazakhs Esenbek Uktesbhaev et Aimur Kurmanov sont en danger

    Ci-dessous, une lettre de nos camarades, qui ont de bonnes raisons de craindre une arrestation ou un enlèvement dans les jours qui viennent. Nous devons faire le maximum pour l’éviter. Nous prenons des mesures concrètes en Russie, mais une campagne internationale de soutien aux travailleurs en lutte doit s’organiser.

    Veuillez envoyer rapidement des mails de protestations à l’ambassade du Kazakhstan en Belgique à : bolat.temirbayev@gmail.com ainsi qu’au ministère des affaires étrangères kazakhes via l’adresse : mid@mid.kz (mail-type en anglais)

    Communiqué de presse:

    Au directeur exécutif de tous les mouvements des droits de l’homme en Russie, Lev Aleksandrovitch Ponomarev.

    Au directeur de l’institut pour les droits humain, Valentin Michaelovitch Gefter.

    De la part de Esenbek Uktesbhaev, president du syndicat Kazakh “Zhanartu” (rennaissance), et le vice président de Zhanartu , Aimur Kurmanov.

    Nous, les leaders du syndicat indépendant des travailleurs, Zhanartu – Esenbek Uktesbaev, président, et le vice président, Aimur Kurmanov- tenons à vous alerter sur le fait que nous pourrions bientôt être soumis à une arrestation ou à un l’enlèvement, résultant de notre éloignement de force du territoire de la République du Kazakhstan, où l’arrestation et l’emprisonnement nous attendent inévitablement.

    Le fondement de ces affirmations est dû à la venue à Moscou du chef du Département des affaires internes de la région de Mangistau, le colonel Amanzhol Kabylov, avec un groupe d’officiers des renseignements, pour mener des négociations avec les policiers de la Fédération de Russie. Nous l’avons appris par le biais de journalistes russes et aussi par nos sources au Kazakhstan. Le sujet de ces négociations est évident – planifier la réalisation de notre arrestation en collaboration avec les forces russes, car nous sommes actuellement sur le sol de Russie.

    Le dit Colonel de haut rang du Ministère des affaires intérieures Kazakhes, est actuellement chargé de "l’enquête" sur le cas des événements sanglants du 16 Décembre dans la ville de Zhanaozen et à la station Shetpe dans la région Mangistau, qui, selon nos informations, ont abouti à la mort d’un grand nombre de travailleurs en grève et leurs proches qui avaient été impliqués dans une manifestation pacifique.

    En tant que résultat de la collaboration du ministère de l’Intérieur et le Service de sécurité du Kazakhstan, de nombreuses affaires criminelles ont été déposées et des dizaines de personnes ont déjà été arrêtées. Tels que les travailleurs prenant part à la grève massive du pétrole, une grève qui dure depuis le 17 mai, ainsi que les dirigeants du parti d’opposition «Alga» («En avant») – Vladimir Kozlov, Ayzhangul Amirov, Ruslan Simbinov, Serik Sapargali, ainsi que le rédacteur en chef du journal indépendant, «Vzglyad» («Point de vue») , Igor Vinyavski.

    Tous ceux-ci, ainsi que des dizaines de personnes qui sont interdites de voyager, sont accusés en vertu de plusieurs articles du Code criminel: 164 ‘d’incitation à la discorde sociale ", 241’ d’avoir organisé des émeutes" et 170 "d’appeler au renversement du système constitutionnel actuel». Nous sommes, depuis le 7 Octobre, dans une visite prolongée en Russie, où nous avons échangé des expériences avec les organisations des travailleurs et les médias qui appuient les travailleurs du secteur pétrolier en grève dans Mangistau et les membres de notre syndicat au Kazakhstan. Chez nous, dans notre pays, en été, il y avait aussi une affaire portée au pénal contre nous à l’initiative de l’arbitraire autorité locale – en vertu de l’article 327 du Code pénal. Mais en ce moment, il est suspendu et il est censé être totalement arrêté en raison d’une amnistie qui a été annoncée.

    Mais comme nous l’avons appris par nos sources au sein des organes de répression, une nouvelle affaire pénale est déjà en cours de fabrication relevant de l’article 164 du Code pénal pour «incitation à la discorde sociale". En fait, il s’agit d’une tentative de nous rendre responsable, ainsi que l’opposition, pour les événements tragiques du 16 décembre à Mangistau. C’est la raison pour laquelle le premier commandant de Zhanaozen est à Moscou, afin d’organiser notre arrestation et notre remise ultérieure à Aktau. Nous craignons que notre arrestation puisse être faite dans le secret et réalisée sous la forme d’un enlèvement, sans aucune annonce au niveau international, ni aucun respect des conditions pour l’extradition. Cela a déjà été fait par les services spéciaux ouzbeks et tadjiks contre leurs opposants et dissidents politiques, qui se trouvaient dans la Fédération Russe. De même, nous vous assurons que nous sommes en Russie légalement et nous n’avons commis aucune infraction envers la loi Russe. Nous nous sommes seulement engagés dans la défense de nos concitoyens, leurs droits étant violés par les autorités dans notre pays. Nous vous demandons de l’aide, et l’organisation d’une campagne de défense en cas d’arrestation illégale ou d’enlèvement par les services secrets kazakhs, sur le territoire de la Fédération Russe.

    Sincèrement vôtres,

    Esenbek Uktesbhaev, président du syndicat Kazakh “Zhanartu” , et le vice président de Zhanartu , Aimur Kurmanov.

  • Critique : ‘‘Trotski’’, une biographie de Robert Service

    Ce livre a l’air fort épais – plus de 600 pages – mais est en fait très léger au niveau du contenu. C’est par ces mots que notre camarade Peter Taaffe (secrétaire général du Socialist Party, section du CIO en Angleterre et pays de Galles) entamait sa revue de cet ouvrage. Maintenant également disponible en français, celui-ci a notamment été commenté dans La Libre début janvier, sous le titre « Trotski, un orgueilleux sans humanité ». Une réponse s’imposait, et nous avons donc traduit l’article de Peter consacré à ce tissu de mensonges et d’approximations.

    Par Peter Taaffe (Secrétaire général du Socialist Party, section du CIO en Angleterre et Pays de Galles)

    Ce livre a l’air fort épais – plus de 600 pages – mais s’avère en fait très léger lorsqu’on le soumet à un examen et à une analyse politique honnêtes des idées de Léon Trotsky, le sujet de la “brique” de Robert Service. Sa justification ? Ce livre est, selon lui, la toute première « biographie intégrale de Trotski écrite par quelqu’un d’extérieur à la Russie et qui n’est pas un Trotskiste ». Il veut bien cependant bien accorder le fait qu’Isaac Deutscher (qui a écrit une trilogie sur Trotski) et Pierre Broué (qui a produit une étude de 1.000 pages en 1989) ont écrit avec “brio” ; quant à l’autobiographie de Trotsky, Ma vie, elle est qualifiée « d’égoïste exemple d’autoglorification » !

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    • Trotsky : « Pourquoi Staline l’a-t-il emporté ? »
    • En quoi les idées de Léon Trotski sont toujours utiles aujourd’hui ?
    • Quelle réponse face à la crise? Léon Trotsky à propos du plan De Man
    • La révolution permanente aujourd’hui
    • Programme de transition et nationalisations
    • Oeuvres en ligne de Léon Trotsky

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    Voilà un exemple des doux surnoms par lesquels Robert Service caractérise Trotski, lequel présentait des « inexactitudes plus que sérieuses dans son écriture », était « un despote intellectuel » et n’était en définitive que « vanité et égocentrisme ». Cela n’empêche en rien l’auteur de dire, deux lignes à peine après cette charge, que Trotski « détestait la vantardise » ! Les accusations sont souvent du plus bas niveau, comme cette allégation selon laquelle « il a abandonné sa première épouse » et ses deux filles ; Service a toutefois l’honnêteté d’indiquer qu’il s’enfuyait en fait de Sibérie pour rejoindre Lénine et les chefs du POSDR (Parti ouvrier social-démocrate de Russie, qui donna naissance aux partis menchévique et bolchévique) qui produisaient l’Iskra (l’Étincelle), le journal révolutionnaire de l’époque. En fait, à pratiquement chaque page de l’ouvrage se trouve une déformation, pour ne pas dire plus, des idées de Trotski, de sa vie personnelle, etc.

    Il n’y a dans ce livre aucun fait nouveau qui s’ajoute à ce que nous savions déjà de Trotsky sauf, peut-être, d’apprendre que les enfants de Trotsky avaient acquis « un accent viennois »… surprise, surprise, quand ils vivaient dans cette ville. Il y a, dans cette biographie par Robert Service, une abondance de mensonges issus en droite ligne du camp capitaliste, de même que nombre de calomnies diffusées par le régime stalinien contre les idées de Trotski et ses actions du moment où il devint actif dans le parti révolutionnaire russe clandestin jusqu’au jour de son assassinat en 1940.

    Des affirmations incorrectes

    Aussi fou que cela puisse paraitre, nous apprenons, par exemple, qu’avant 1914, Trotsky n’était pas « un théoricien marxiste » ! Malheureusement pour Service, il a écrit un petit détail qui déforce ses propres affirmations, quand il explique que Trotski a été président du soviet de Pétrograd lors de la révolution de 1905 – alors le plus grand événement pour les ouvriers et les exploités du monde entier depuis la commune de Paris (en 1871). Durant cette révolution, Trotsky avait également édité et écrit pour un quotidien et un magazine théorique marxistes.

    C’est d’ailleurs bien avant 1914 que Trotsky avait formulé sa théorie de la Révolution permanente, qui explique que la révolution bourgeoise démocratique (réforme agraire, formation d’un État unifié, fin du féodalisme et de la dictature tsariste) dans un pays sous-développé comme la Russie de l’époque ne pouvait pas être accomplie par les capitalistes eux-mêmes. Avec cette idée, il était un des seuls à voir clair dans la situation avec Lénine et les Bolchéviks. Mais Trotsky est allé plus loin et a prouvé que seule la classe ouvrière – avec ses caractéristiques dynamiques spéciales en Russie – était capable de jouer le premier rôle dans une alliance avec la paysannerie en accomplissant la révolution capitaliste-démocratique. C’était une perspective clairvoyante par rapport à ce qui s’est produit réellement en 1917 : un gouvernement ouvrier et paysan avec un mode de production socialiste – et les fameux “10 jours qui ébranlèrent le monde”.

    Robert Service poursuit en affirmant que Trotsky n’était « pas original »; cette théorie étant, selon lui, la propriété intellectuelle d’Alexandre Helfand (mieux connu sous le pseudonyme de Parvus), qui avait collaboré avec Trotsky. Malheureusement pour Service, nous savons déjà par les mots de Trotsky lui-même que Parvus avait contribué à la « part du lion » de cette théorie ; mais Parvus s’était arrêté avant de tirer la conclusion révolutionnaire avancée par Trotsky.

    Parvus défendait le fait que le résultat d’une telle alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie se limiterait au cadre du capitalisme, installant probablement un gouvernement de type travailliste comme en Australie. Trotski, au contraire, disait qu’une fois la réalisation de la révolution capitaliste-démocratique, un gouvernement ouvrier et paysan viendrait au pouvoir, qui se verrait alors contraint d’aller plus loin, jusqu’à l’accomplissement des tâches de la révolution socialiste, conduisant à un mouvement révolutionnaire international.

    Mais les tentatives de l’auteur de voler la contribution théorique originale de Trotski dans la partie précédente du livre sont alors totalement anéanties quand, en renâclant, il est forcé de concéder plus tard le fait que Lénine avait admis, dans des entretiens privés avec Joffe – un des amis de Trotsky –, que Trotsky avait eu raison au sujet des perspectives de la révolution russe. La théorie de Trotsky est aujourd’hui encore des plus valides dans le monde néo-colonial, dans des pays qui n’ont pas encore entièrement accompli leur révolution bourgeoise.

    Tous les commentaires acerbes de Service au sujet de Trotsky sont tout simplement des idées réchauffées déjà servies par de précédents critiques, qu’il s’agisse de staliniens, de capitalistes ou de sociaux-démocrates aigris et réformistes. Nous retrouvons donc dans ces pages des accusations bien connues contre Trotsky, liées au terrorisme, à la révolte de Kronstadt, à l’autoritarisme… sans l’ombre d’une nouvelle preuve pour soutenir toutes ces fables.

    Trotsky, par exemple, est accusé d’avoir omis dans son autobiographie Ma Vie de mentionner la révolte de Kronstadt de 1921. Trotsky a déjà expliqué cela dans les années ’30, dans un article consacré à Kronstadt : il aurait omis d’en parler pour la simple et bonne raison que cet événement n’était pas du tout considéré comme important à l’époque, avant que les anarchistes ne le ressuscite dans les années ’30 et, malheureusement, avec également l’aide de Victor Serge. Trotsky a été accusé d’avoir « réprimé » les marins de Kronstadt, « les mêmes » qui avaient participé à la révolution d’octobre 1917.

    Dans sa réponse, Trotsky a démontré que cela n’était aucunement le cas. Lui-même n’avait joué aucun rôle direct dans la répression de la révolte de Kronstadt, même s’il avait complètement accepté la “responsabilité morale” des mesures qui avaient été prises. Les rebelles de Kronstadt demandaient des “soviets sans Bolchéviks”, un slogan alors applaudi par les contre-révolutionnaires russes et du monde entier. Robert Service ne fait que répéter des inepties déjà bien connue des militants – avancées sans aucune preuve – pour nous convaincre que les marins insurgés de 1921 étaient les mêmes personnes que les révolutionnaires héroïques d’octobre 1917 (alors que ces derniers étaient partis aux quatre coins du pays pour protéger la révolution dans le cadre de la guerre civile). La grande majorité des ouvriers de Pétrograd a soutenu l’action entreprise contre eux.

    À l’aide de sources indépendantes, Trotsky a par contre prouvé que les dirigeants de la révolte avaient – en pleine guerre civile – exigé des privilèges spéciaux et même menacé la flotte rouge, car Kronstadt, avec le dégel de la glace entre la Russie et la Finlande, aurait ouvert les portes de la Russie révolutionnaire à une attaque impérialiste au cœur même de la toute jeune république soviétique. À contrecœur, donc, le gouvernement ouvrier russe, après que les mutins aient refusé de négocier, s’est vu contraint de mater la révolte pour protéger la révolution.

    Démocratie

    Autre approche douteuse, Service ne décrit pas les événements dans leur enchainement, notamment vis-à-vis de la révolution russe elle-même. C’était selon lui « un coup d’État » et les accusations de « terrorisme » sont ressuscitées contre Trotski et les Bolchéviks. En fait, la révolution russe s’est déroulée sur base d’un vote démocratique au Congrès des soviets (“conseils” en russe) – le système le plus démocratique de l’Histoire – exprimant ainsi la volonté des ouvriers, des soldats et des paysans de Russie à ce moment. La prise du palais d’Hiver fit très peu de victimes – et certainement au regard des cinq millions de Russes tués et terriblement blessés lors de la Première Guerre mondiale. Service “oublie” de mentionner le fait que la révolution a mis fin à ce massacre monumental qu’était la guerre de 14-18. À l’échelle de l’histoire, quel était l’événement qui contenait le plus de progrès : la révolution russe, qui a fait peu de pertes humaines, ou la guerre mondiale ?

    L’auteur accuse Trotsky et Lénine de totalitarisme et de dictature, pour avoir proscrit les partis autres que le parti bolchévique. Dans la première période, après la révolution, on a permis à tout les partis – y compris les Menchéviks et les Socialistes-révolutionnaires – de poursuivre leurs activités. Seuls les Cents-Noirs, ouvertement réactionnaires, ont été interdits. Cela a évolué lorsque ces partis ont pris le camp des armées blanches issues des propriétaires terriens et des capitalistes contre le camp de la révolution. En fait, les Bolchéviks avaient même fait acte d’indulgence en libérant sur parole de nombreux réactionnaires, comme le général Krasnov qui, après avoir organisé un soulèvement contre-révolutionnaire, a été libéré par les Bolchéviks, et qui a illico assemblé une nouvelle armée blanche qui a tué des milliers d’ouvriers et de paysans.

    Accusations de terrorisme

    Robert Service se plaint du « manque de démocratie » après la révolution. Les Nordistes et Abraham Lincoln ont-ils permis aux propriétaires esclaves sudistes d’agir en toute impunité dans le Nord pendant la guerre civile américaine ? Est-ce qu’Oliver Cromwell a laissé les royalistes anglais agir librement dans les secteurs contrôlés par les parlementaires durant la guerre civile anglaise ? La terrible guerre civile qui a frappé la Russie et a vu pas moins de 21 armées impérialistes arriver dans le pays en soutien des armées blanches a eu comme conséquence de grandes destructions, en plus d’une terrible famine. L’entière responsabilité de cette situation repose sur les épaules de l’impérialisme qui a essayé d’écraser la révolution par tous les moyens.

    Les légendes au sujet de l’impopularité des Bolchéviks (ou de Lénine et de Trotski) au moment où ils étaient au pouvoir sont même réfutées par Robert Service lui-même. Il précise, par exemple, que la révolution s’est à un moment retrouvée cantonnée à la vieille province de Moscou et aux deux principales villes, Pétrograd et Moscou. Pourquoi donc la révolution a-t-elle réussi à triompher ? Comment la république soviétique a-t-elle pu vaincre les Blancs ? Comment a-t-elle réussi à repousser les diverses armées impérialistes hors de Russie ? Elle n’a triomphé que parce que les masses ont vu les avantages d’un gouvernement ouvrier et paysan redistribuant les terres, balayant l’oppression tsariste et fournissant du pain. Les ouvriers du monde entier soutenaient également la classe ouvrière de Russie.

    Mais c’est sur la lutte de Trotsky contre Staline et la bureaucratie que la superficialité de la méthode de Service est la plus patente. Dans son introduction figurent les motivations réelles de son travail. Tout d’abord, on peut y lire une défense émouvante de Staline qui n’était « pas médiocrité mais disposait en réalité d’une gamme impressionnante de talents et de compétences avec, de plus, un véritable sens du leadership ». Selon Service, Staline, Trotsky et Lénine « ont bien plus de choses en commun que de points de divergences ». La conclusion implicite – définie dans son analyse – est la suivante : le régime de Staline était, en fait, une “conséquence” du bolchévisme de Lénine et du bolchévisme “acquis” de Trotsky.

    En réalité, entre le régime de Lénine et Trotsky – celui de la révolution, le régime caractérisé par la participation des masses et par la démocratie ouvrière – et celui de Staline, il y a “un fleuve de sang”. Les purges des années ’30 – que Robert Service mentionne à peine – ont représenté une véritable guerre civile contre les restes du bolchévisme. Mais l’auteur y compare ces purges monstrueuses aux « jugements pour l’exemple » des Socialistes-révolutionnaires de 1921. En réalité, les SR avaient commis de véritables attentats, et avaient ainsi tenté d’assassiner Lénine et notamment tué deux Bolchéviks, Ouritski et Volodarski.

    Trotsky n’a par contre jamais commis le moindre acte de terrorisme contre Staline ou son régime. D’ailleurs, les Bolchéviks avaient permis à deux éminents Sociaux-démocrates de la Seconde Internationale de défendre les accusés de 1921. Ceux-ci n’ont d’ailleurs pas non plus été exécutés, même s’ils ont été reconnus coupables. Staline n’a pas adopté une approche similaire lors des sanglants procès de Moscou, loin de là.

    Le stalinisme n’était pas « un développement normal » du léninisme, mais bien sa négation. Cela, l’auteur est incapable de le voir. Il se situe farouchement dans le camp des commentateurs capitalistes et d’autres adversaires du marxisme – dont le trotskisme n’est que la manifestation moderne – qui souhaitent éliminer des mémoires les leçons de la révolution russe et de la lutte de Trotsky.

    Le véritable Trotski

    Les militants les plus déterminés et les plus consciencieux de la cause des travailleurs, des femmes, des Noirs et des Asiatiques, à la recherche d’une méthode de lutte adaptée à leurs besoins, redécouvriront Léon Trotsky. Trotsky a lutté pour un monde nouveau, dans lequel la démocratie des travailleurs et la collaboration socialiste libéreront l’homme de l’exploitation. Ses biographes actuels ne font en fait que participer aux efforts visant à prolonger la vie d’un système malade. C’est là le véritable objectif de ce livre qui s’évertue à déformer les idées de Trotsky.

    Robert Service a tort lorsqu’il décrit Trotsky comme un Menchévik et quand il l’accuse de ne pas avoir une approche scientifique des choses. Service fait preuve de l’absence la plus complète de compréhension de l’attitude de Trotsky envers la révolution allemande de 1923. Il affirme ainsi que Trotsky n’a pris aucune position concernant cet événement qui a véritablement ébranlé la terre à ce moment. Pourtant, Brandler, le dirigeant du parti communiste allemand, voulait que Trotsky vienne en Allemagne pour aider la classe ouvrière à prendre le pouvoir.

    En fait, il faudrait un livre encore plus grand que le sien pour réfuter toutes les erreurs et les calomnies commises par Robert Service dans sa biographie de Trotski.

    L’auteur ne comprend pas non plus pourquoi Trotsky – avec le consentement tacite des défenseurs du capitalisme de l’époque – a accepté de voir ses filles, ses deux fils, lui-même et pratiquement toute sa famille se faire assassiner par Staline. Staline pensait qu’il pouvait de la sorte éliminer une idée et une méthode. Mais il n’a pas réussi. Trotsky et ses idées vivent encore. Si la puissante machine stalinienne, ses mensonges, ses déformations, ses assassinats… n’a pas réussi à éliminer les idées de Trotsky, comment Service peut-il espérer réussir ? L’aspect le plus nauséabond de ce livre est probablement l’ensemble des attaques personnelles portées contre Trotski. « Attaquez les idées d’un homme ou d’une femme, mais laissez l’homme tranquille »… cette maxime ne fait apparemment pas partie des habitudes de l’auteur.

    Il ne s’agit pas d’idéaliser Trotsky ni de se soumettre à un culte de la personnalité. Mais il est de la plus haute importance d’apprendre de Trotsky sa méthode d’analyse marxiste, qui nous permet de développer les outils politiques capables de préparer et édifier un monde socialiste.

    Mais tout cela ne figure pas dans le livre de Service. Si vous voulez l’apprendre, allez plutôt voir du côté de l’autobiographie de Trotsky, Ma Vie, ainsi que du côté de la trilogie d’Isaac Deutscher (ces deux ouvrages pouvant être commandés à la rédaction à info@socialisme.be). L’ouvrage de Deutscher, bien qu’imparfait et certainement pas trotskiste, essaye toutefois de présenter une image réelle de la vie de Trotsky et de ce qu’il a représenté. Lisez également le matériel produit par le Comité pour une internationale ouvrière et ses sections (dont le Parti socialiste de lutte est la section belge) concernant la vie de Trotsky et sa pertinence pour aujourd’hui.

    Ce livre est clairement prévu en tant que plateforme à des fins d’offensive politique future contre le danger que représente les idées de Trotsky pour ce système capitaliste. C’est qu’une nouvelle génération s’éveille à la politique.

    Nous avons proposé en Angleterre que Robert Service vienne débattre avec des représentants de nos camarades du Socialist Party au sujet des idées exposées dans son livre. Robert Service a systématiquement refusé de confronter ses idées.


    VIDEO : Réponse de Peter Taaffe à Robert Service

  • Kazakhstan : En défense des travailleurs du pétrole

    La bureaucratie syndicale et les groupes de ‘gauche’ attaquent la solidarité du CIO avec les grévistes

    Avec une brutalité incroyable, le régime de Nazarbayev, au Kazakhstan, a tenté de briser l’esprit de combativité des travailleurs du pétrole à Zhanaozen et Aktau, en utilisant la troupe, la police, des tirs à balles réelles, des arrestations de masse, l’imposition d’un couvre-feu et jusqu’à la torture. Le régime admet lui-même que 16 personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées en décembre. En réalité, des dizaines de personnes ont été tuées, des centaines d’autres blessées, et beaucoup sont encore ceux qui sont toujours en garde à vue ou qui sont forcés de se cacher pour éviter la persécution de l’État.

    Rob Jones, CIO-Moscou

    La manifestation des travailleurs du pétrole du 16 décembre dernier à Zhanaozen était une action tout à fait non-violente. Les diverses vidéos, y compris celles de la police, montre les travailleurs du pétrole et leurs partisans sur une place centrale, sans la moindre arme, sans même agiter de bâtons. Elles montrent d’ailleurs au contraire que lorsque l’atmosphère a commencé à s’échauffer et que des insultes ont été lancées en direction de la police, des travailleurs plus expérimentés sont directement intervenus pour calmer la situation.

    Au cours de leur longue grève de 7 mois, ces grévistes avaient déjà pu démontrer en de nombreuses reprises quels étaient leur sang-froid et leur retenue. Les représentants qu’ils avaient élus ont été arrêtés et confrontés à une violence des plus brutales. Leur avocate, Natalia Sokolova, a été condamnée à 6 ans de prison. Des travailleurs ont vu leurs logements brûlés tandis qu’un gréviste et la fille d’un autre gréviste ont été lâchement assassinés. Des milliers de travailleurs du pétrole ont été licenciés. Mais malgré toutes ces provocations, ces héroïques travailleurs ont fait tout leur possible pour maintenir les protestations disciplinées et pacifiques.

    Mais leur patron, avec le soutien plein et entier du régime, a toujours refusé de commencer de véritables négociations avec les grévistes. À plusieurs reprises, l’Etat s’est montré préparé à aller vers une confrontation violente, mais cette approche a été refreinée, par crainte de provoquer un conflit plus large encore à travers le pays. Il ne fait aucun doute que la solidarité croissante envers les grévistes, y compris au niveau international, a joué un rôle important.

    La violence et les révolutions de palais – deux faces d’une même médaille

    Mais à l’approche du 16 décembre, soldats et policiers avaient été déployés à l’avance dans la région, avec armes et balles réelles. Mis à part à Astana, la capitale, tout ce qui avait été prévu dans le pays pour célébré le 20e anniversaire de l’indépendance du pays (le 16 décembre) avait été annulé.

    Il semble que l’attaque armée contre la manifestation des travailleurs du pétrole à Zhanaozen faisait partie d’un plan plus vaste organisé par une partie de l’élite dirigeante. Les violences qui ont dégénéré hors de tout contrôle suite à la fusillade perpétrée par la police ont été utilisées comme prétexte pour démettre plusieurs personnalités clés au sein du régime et des structures du pouvoir. Un des beaux-fils de Nazarbayev, Timur Kulibayev, a été démis de sa fonction de président de ‘KazMunaiGaz’ et du fonds national ‘Samruk-Kazyn’. De plus, des rumeurs font état du possible remplacement du chef de la KNB (la police secrète) par des personnes plus fidèles au groupe Massimov-Musin. Tout indique qu’une révolution de palais s’est produite dans les sphères dirigeantes.

    Attaques contre les grévistes

    Pourtant, les travailleurs du pétrole et leurs partisans ne cessent d’être accusés d’être responsables des tragiques évènements du 16 décembre. Ces accusations des porte-paroles du régime, qui prennent différentes formes, sont reprises telles quelles par les médias, la bureaucratie syndicale et même par certains de groupes de ‘‘gauche’’, qui agissent ainsi en apologistes du régime dictatorial de Nazarbayev.

    Le régime prétend que la ‘‘raison majeure de ces troubles de masse réside dans les actions d’un groupe de hooligans qui a profité du conflit de longue date entre les salariés licenciés et la direction de la société ‘Ozenmunaigaz’.’’ (Déclaration émise par l’Ambassade de la République du Kazakhstan en Autriche, 23 décembre 2011)

    L’ambassadeur kazakh aux Etats-Unis, Erlan Idrissov, a affirmé le 21 décembre 2011, que ‘‘la police a essayé de se comporter aussi responsablement que possible afin de protéger la vie des civils (…) A l’origine, sur la place [de Zhanaozen], seul le chef de la police avait une arme (…) Ce n’est que lorsque le vandalisme a commencé et que des menaces ont commencé à peser sur des vies innocentes – après l’incendie de la Akimat [les locaux des autorités locales] – que la police a dû recourir aux moyens nécessaires pour rétablir l’ordre.’’

    Selon une déclaration faite par le Daulbayev Askhat, le Procureur Général de la République du Kazakhstan, le 16 décembre, les perturbations ont été causées quand ‘‘un groupe de hooligans [sur la place] ont commencé à tabasser les civils et à fracasser les voitures garées près de la place." La déclaration se poursuit comme suit : ‘‘En raison des perturbations, le bureau du bourgmestre, un hôtel et le bâtiment de la société Ozenmunaigaz ont été brûlés.’’

    Ces déclarations, en réaction aux protestations qui se sont déroulées dans le monde entier, sont très manifestement destinées à tromper l’opinion internationale sur les sanglants événements qui se sont produits à Zhanaozen. Dans les premières déclarations du Procureur Général, le 16 décembre, il est affirmé que les bâtiments ont été brûlés "en conséquence des troubles’’, mais cette version a été changée deux jours plus tard pour donner l’impression que ces destructions avaient pris place avant l’intervention meurtrière de la police.

    Mais les différentes déclarations officielles du régime suffisent déjà à poser des questions très sérieuses :

    • Si ce qui s’est passé à Zhanaozen n’était qu’une émeute causée par des hooligans, pourquoi les ‘‘moyens habituels’’ de la police (balles en caoutchouc, canons à eau) n’ont-ils pas été utilisés ? Pourquoi directement recourir aux tirs à balles réelles ?
    • Si la police protégeait la population de la place de ces hooligans, pourquoi ont-ils tirés à balles réelles au sein même de la foule qu’elle était censée protéger ?
    • Si l’action de la police n’a constitué qu’une réponse à des émeutes, pourquoi l’ambassadeur du Kazakhstan aux Etats-Unis juge-t-il nécessaire de consacrer une partie importante de sa déclaration à s’en prendre aux grévistes du pétrole ?
    • Si cela n’était tout simplement qu’une émeute, pourquoi le gouvernement a-t-il interdit toute manifestation, réunion publique et grève et a été jusqu’à interdire l’utilisation de photocopieuses, de TV, de radios, de vidéos et de haut-parleurs ? C’est bien étrange, que les hooligans ont d’habitude fort peu tendance à éditer des tracts et à organiser des conférences de presse.

    Les vidéos et les témoins dissent démontrent clairement que l’attaque policière n’avait aucun fondement

    La vérité, c’est que le massacre de Zhanaozen n’était pas une conséquence d’une riposte légitime de la police face à du hooliganisme ou à des émeutes, il s’agissait bel et bien d’une attaque prédéterminées contre les grévistes du pétrole. C’était une nouvelle tentative de briser leur grève. Plusieurs vidéos démontrent que la place, juste avant l’attaque de la police, n’était occupée que par des manifestants pacifiques, sans armes, et que la police ainsi que les soldats, en marche vers la place, tiraient sur la foule de loin. Dans une vidéo particulièrement pénible à regarder – certaines scènes rappelant celles des journées de juillet 1917 à Petrograd (quand l’armée a tiré sur les manifestants et en a tué des centaines sur la perspective Nevsky) – on eut voir les manifestants fuir à travers la place alors qu’on leur tire dans le dos et que les blessés à terre sont brutalement frappés par les voyous aux ordres du régime.

    Ces films sont tellement révélateurs que même le Procureur général du Kazakhstan a été forcé de réagir. Le 27 décembre, il a annoncé qu’une enquête criminelle était lancée au sujet des "décès causés par la police à la suite d’un ordre de tirer pour tuer.’’ Nous n’avons bien entendu aucune confiance envers les possibilités que cette enquête soit honnêtement et sérieusement menée jusqu’à son terme, mais il est plus que révélateur que la responsabilité des agents de police dans ces meurtres soit reconnue d’une certaine manière. Ceci dit, tandis que ces policiers sont menacés de 5 à 10 ans de prison, l’avocate des grévistes du pétrole, Natalia Sokolova, dont le seul tort est d’avoir honnêtement défendu la cause des grévistes, a déjà été condamné à 6 ans de prison.

    Une autre confirmation qu’un ordre de tirer pour tuer a été lancé provient du ministre de l’Intérieur du Kazakhstan, rien de moins, K. Kazymov. Dans une interview réalisée le 16 décembre, il a admis qu’il avait donné l’ordre d’ouvrir le feu sur la foule. Il a essayé de justifier cet ordre en prétendant que les manifestants "étaient armés d’armes automatiques, et nous aussi". Il a confirmé que la police continuerait de tirer des citoyens kazakhs si cela était ‘‘nécessaire’’. Son interview a été publiée sur internet, accompagnée de vidéos montrant la foule courir dans tous les sens face à la police qui tire très visiblement dans le dos de manifestants désarmés et paniqués.

    Nazarbayev dénonce les ‘influences étrangères’ et les ‘criminels’

    A la lumière de tout cela, les déclarations du dictateur Noursoultan Nazarbayev selon lesquelles les troubles auraient été causés par des ‘‘groupes organisés de criminels en liaison avec des forces étrangères’’ sont particulièrement cyniques.

    Pour une bonne partie de la population du Kazakhstan, le plus grand groupe criminel organisé du pays est celui du clan Nazarbayev lui-même, protégé par un bataillon de soldats formé et équipé par les Etats-Unis. Les diverses photos font toujours apparaître des voitures blindées de confection américaines aux postes de contrôle d’Aktau et de Zhanaozen.

    Mais les déclarations de M. Nazarbayev ne sont destinées qu’à détourner l’attention du rôle de la police, du ministre de l’Intérieur, des troupes spéciales et de ceux qui, au sein du cercle présidentiel, ont planifié ce massacre. C’est pour cela qu’il blâme des personnages du régime tels que Mukhtar Ablazov, Rakhat Aliyev et Bulat Abilov.

    Ces oligarques, tous d’anciens membres de la clique dirigeante, vont sans aucun doute tenter d’exploiter l’opposition qui se développe face au régime actuel pour se construire un certain soutien public afin de défendre leurs propres politiques pro-capitalistes. Mais les divers clans sont tous résolument opposés à l’idée que les travailleurs du pétrole puissent avoir leurs propres syndicats indépendants et leur propre parti politique, pour les travailleurs et sous leur contrôle exclusif.

    Les grévistes du pétrole étaient pacifiques et disciplinés

    L’idée selon laquelle les grévistes du pétrole auraient pu être dirigés, contrôlés et manipulés par une quelconque force secrète de l’extérieur est une véritable insulte à leur détermination ainsi qu’à leur discipline. La décision d’organiser la manifestation pacifique du 16 décembre a été prise ouvertement et collectivement, lors d’un meeting de masse sur cette place. Cette décision a ensuite été publiquement annoncée et les travailleurs du pétrole ont eux-mêmes été prévenir les autorités qu’ils avaient l’intention d’organiser une telle manifestation en avertissant qu’il y avait des risques que des provocations soient organisées par des sections des forces spéciales.

    La manière très publique dont les choses ont été organisées a permis à la campagne ‘‘Campaign Kazakhstan’’ et aux sections du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) de planifier une série d’actions de solidarité et de protestation devant les ambassades du Kazakhstan et les sièges d’entreprises aux intérêts commerciaux liés au régime kazakh dans un certain nombre de pays ce jour-là (notamment en Belgique). Le caractère de solidarité a bien entendu largement cédé la place à celui de la protestation lorsque les nouvelles de ce bain de sang sont parvenues aux manifestants devant les ambassades.

    La semaine qui a suivi le massacre, diverses manifestations ont été organisées à travers l’Europe, y compris à Londres, Bruxelles, Vienne, Berlin, Moscou, Stockholm, Dublin, Athènes et ailleurs également, comme à New York, Hong Kong et Tel Aviv. Le député européen Paul Murphy (élu de la section du CIO en République irlandaise, le Socialist Party) a à la rupture de tous pourparlers entre l’Union Européenne et le gouvernement du Kazakhstan, et a aussi écrit une lettre de protestation signée par plus de 40 eurodéputés. Des communiqués de presse ont été émis dans un certain nombre de pays (lire notamment Massacre au Kazakhstan: Quand l’agence Belga se fait complice du régime) et de conférences de presse ont été organisées à Moscou et à Almaty. [Vous pouvez accéder à différents rapports des protestations sur le site socialistworld.net].

    Rompre le blocage de la presse

    La politique de l’Union Européenne, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et des Etats-Unis est directement dictée par les intérêts de ces institutions pour l’exploitation du pétrole et du gaz kazakhs. Elles ont tout d’abord ignoré ou réagi de façon bien équivoque face aux nouvelles du massacre. Dans une certaine mesure, cela s’est reflété dans la politique éditoriale d’une grande partie des médias du monde entier. Les premières heures après le massacre, par exemple, des reporters internationaux basés à Moscou ont refusé de relayé les rapports du bain de sang sans ‘‘confirmation indépendante’’ tout en relayant par contre les déclarations officielles du régime. United Press International, par exemple, a qualifié les grévistes du pétrole de ‘‘voyous’’ à trois reprises dans un article de 150 mots seulement.

    La campagne menée par le CIO et Campaign Kazakhstan a aidé à vaincre les tentatives du régime de dissimuler l’ampleur du massacre. Finalement, le poids écrasant cumulé des témoignages, vidéos et rapports de journalistes ont eu raison de cette attitude complice, et les rapports dans les médias ont commencé à être plus équilibrés.

    ‘‘An injury to one is an injury to all’’ – Ce qui en touche un nous touche tous

    Tout aussi rapidement, des syndicalistes ont réagi face à la crise, mais de façon bien différente. A Anvers, par exemple, la délégation de TOTAL a relayé les rapports en direct du CIO sur le site de leur délégation, de sorte que les travailleurs pouvaient voir par eux-mêmes l’étendue de l’horreur des événements. Bien que le site du CIO au Kazakhstan a immédiatement été bloqué par le régime après la fusillade, le site russe du CIO a continuer à fonctionner, jusqu’à ce qu’arrivent des problèmes dus aux trop grand nombre de visiteurs sur le site, dont de nombreux journalistes de médias du monde entier.

    En Suède, Gruvtolvan, le syndicat de l’industrie minière de Kiruna, a condamné sans équivoque "la violence contre les travailleurs (…) suite à l’attaque de la police et des militaires contre une manifestation dans la ville de Zhanaozen." Ils ont appelé le mouvement syndical suédois à activement soutenir les travailleurs du pétrole du Kazakhstan sous la devise "Une victoire pour les travailleurs, où qu’ils soient, est une victoire pour tous les travailleurs, partout!" Cet appel a été accompagné d’une importante donation pour les grévistes.

    Si une véritable organisation syndicale nationale indépendante existait au Kazakhstan, il y aurait immédiatement eu après le 16 décembre convocation de meetings, d’actions de protestations et de grèves dans tout le pays en riposte au massacre de Zhanaozen.

    Une commission indépendante internationale doit enquêter

    Malheureusement, alors que des militants syndicaux ont réagi partout à travers le monde, certains membres de la bureaucratie syndicale internationale ont adopté l’approche de renvoyer chacun dos à dos. Ainsi, la Confédération syndicale internationale (CSI) a publié une déclaration le 16 décembre, signée Sharan Burrow, secrétaire général, qui déclare : "une situation extrême de tension et de désespoir a provoqué des troubles, la panique et le chaos. La violence doit immédiatement cesser, et toutes les parties doivent reconnaître que la seule façon de résoudre des conflits est le dialogue ouvert et la négociation. Le gouvernement doit immédiatement agir pour commencer ce processus."

    Cette déclaration ignore donc la responsabilité du régime dans ce massacre, une attitude partagée par de nombreuses autres organisations, telles que Human Rights Watch, qui a publié une déclaration le 22 décembre. Dans celle-ci sont détaillés plusieurs cas de graves tortures du fait des forces gouvernementales à Zhanaozen et, ensuite, l’organisation tire la conclusion incroyable que ‘‘les autorités du Kazakhstan doivent mener immédiatement une enquête.’’ Cela n’aboutirait qu’à une enquête ignorant totalement la responsabilité écrasante du ministère de l’Intérieur et qui, dans le meilleur des cas, trouverait quelques boucs émissaires afin de laissait un peu de colère s’échapper.

    Le CIO estime qu’il est nécessaire d’organiser une commission d’enquête internationale, totalement indépendante du gouvernement, des structures étatiques et des intérêts pétroliers et gaziers, afin de faire toute la lumière sur les causes réelles du massacre et sur les véritables responsables de ces horribles évènements.

    La “gauche” et les bureaucrates syndicaux poignardent les grévistes dans le dos

    Mais si la Confédération Syndicale Internationale n’a pas ouvertement condamné le régime de Nazarbayev, elle n’a au moins pas directement attaqué les travailleurs du pétrole. De la façon la plus incroyable qui soit, les 17 et 18 décembre, des déclarations sont apparues sur des sites internet de langue russe contrôlés par des syndicats et des groupes de gauche qui, tout en condamnant la violence, se sont lancés dans des attaques contre les grévistes du pétrole, contre leurs revendications et leurs tactiques, répétant d’ailleurs bien souvent l’argumentation des patrons et du gouvernement.

    Le Mouvement Socialiste Russe [section russe du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale, à laquelle est reliée la LCR belge, n’ayant aucun rapport avec le Mouvement Socialiste du Kazakhstan] a contribué à détourner l’attention de la responsabilité du gouvernement Nazarbayev pour ce massacre en répétant grossièrement les mensonges du régime concernant l’implication de l’oligarque Mukhtar Ablyazov. Ce faisant, ils réduisent le rôle de l’autodiscipline et de la conscience politique des travailleurs du pétrole en les réduisant à l’état de simples pions joués par les oligarques kazakhs et en donnant du crédit aux déclarations du dictateur qui blâme les influences étrangères (Ablyazov vit à Londres) pour tous les problèmes rencontrés au Kazakhstan.

    Les attaques les plus importantes proviennent toutefois de l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation (UITA) et de la Confédération du travail de Russie. Même avant les événements du 16 décembre, d’anciens fonctionnaires de l’Union Internationale des travailleurs de l’alimentation à Genève et à Moscou ont travaillé à saper le soutien à la grève. Des pressions ont ainsi été exercées sur Alexei Etmanov, le syndicaliste indépendant le plus connu en Russie, ce qui l’a conduit à revenir sur sa promesse d’organiser des actions de solidarité avec les travailleurs du pétrole par l’intermédiaire du syndicat des travailleurs de l’automobile.

    Le prétexte donné ensuite à ce désistement était que les travailleurs du pétrole avaient été manipulés par des représentants de la ‘‘gauche révolutionnaire’’ – c’est-à-dire par le Comité pour une Internationale Ouvrière. Cela a d’ailleurs été confirmé dans une déclaration de l’UITA le 9 décembre 2011 qui disait: ‘‘Avec pourtant un énorme potentiel d’organisation, dans tout ce temps, les grévistes n’ont jamais mis en place leur propre organisation, tout comme avant ils ne disposent pas de leurs propres représentants et direction élus, avec le droit de représenter les travailleurs dans les négociations avec la direction de la société et les autorités. Cela signifiait que, dès le début, différents groupes politiques ont été en mesure d’utiliser l’énergie sociale et le potentiel du mouvement ouvrier de masse dans leurs propres intérêts. S’exprimant au nom des travailleurs et réécrivant constamment les revendications des travailleurs, ils ont apporté d’énormes préjudices au mouvement, ont fait sortir le conflit du champ de la lutte syndicale et ont réduit au minimum les chances de succès, privant ainsi les habitants de Zhanaozen de leur grève.’’

    Cette déclaration fait écho aux arguments des patrons et du gouvernement et est particulièrement honteuse étant donné que les travailleurs, dès le début, ont élu leurs représentants pour les négociations, ces représentants rencontrant ensuite une répression sévère. Nous avons déjà dit que Natalia Sokolova, l’avocate des grévistes, a été condamnée à 6 ans de prison, Akzhanat Aminov a reçu une peine de deux ans avec sursis, tandis qu’un troisième a vu sa maison brûler !

    Les grévistes du pétrole luttaient pour le droit d’instaurer leurs propres syndicats indépendants

    Il convient de rappeler que la grève de la faim des travailleurs du pétrole a commencé en mai dernier après que les membres du syndicat de Karazhanbasmunai, à Aktau, ont exigé le retour de documents syndicaux de leur ancien président après qu’il ait été démis de ses fonctions par le vote des membres du syndicat. L’ancien leader syndical avait collaboré avec la direction de l’entreprise pour éviter toute véritable négociation portant sur les salaires et les conditions de travail. Il avait été jusqu’à envoyer des gros-bras armés pour qu’ils battent ses adversaires. En Juin, l’UITA avait envoyé toute une série de questions bureaucratiques aux grévistes, dont les réponses ont nécessité 60 pages de documents. Le résultat final a été de déclarer que les travailleurs avaient eu tort de démettre leur ancien dirigeant syndical, comme ils ne pouvaient changer de président qu’une fois tous les 5 ans !

    L’affirmation selon laquelle le CIO a constamment "réécrit" les revendications des travailleurs est absolument ridicule, comme toutes les autres calomnies visant à salir les grévistes. Depuis le début de la grève, le CIO a publié sur ses sites toutes les déclarations produites par les grévistes. Le 1er Juin 2011, après que la police anti-émeute ait attaqué les grévistes de la faim de Zhanaozen, le comité de grève de Zhanaozen avait publié les revendications suivantes:

    • La démission de la direction de la société “KazMunaiGaz” à Aktau;
    • La restauration du statut autonome de la société “OzenMunaiGaz”;
    • L’augmentation de 60% des salaires des médecins et des enseignants de la ville pour compenser la dureté de leur travail dans des conditions écologiques difficiles;
    • Le retour sous statut public, c’est-à-dire la nationalization, des enterprises regroupées dans la société “OzenMunaiGaz” – en particulier TOO “Burylai”, TOO “KazGPZ”, TOO “Kruz”, TOO “Zhondei”.

    En Juillet, des incendies criminels ont eu lieu contre des maisons de militants grévistes, et Zhaksylyk Turbayev a été assassiné quand il est devenu clair qu’il serait élu à la présidence du nouveau syndicat. L’avocate Natalia Sokolova et le militant syndical Akzhanat Aminov ont été arrêtés et ont été confrontés à de graves accusations. Des milliers de grévistes ont été licenciés. Lors de leur rencontre avec le député européen Paul Murphy en juillet dernier, les travailleurs ont défini leurs revendications de la façon suivante:

    • La reconnaissance des droits des travailleurs, notamment leur droit d’élire leurs propres représentants, sans interférence de qui que ce soit ;
    • La libération immédiate de Natalia Sokolova et de Akzhanat Aminov;
    • Le réengagement de tous les travailleurs licenciés aux conditions qui prévalaient avant leur licenciement;
    • L’abandon de toutes les poursuites judiciaires contre les grévistes;
    • Le commencement de véritables négociations avec les représentants élus des travailleurs.

    Les bureaucrates syndicaux soutiennent les briseurs de grève et les éléments diviseurs dans le syndicat

    En réalité, l’UITA et ses ‘‘organisation fraternelle’’ en Russie (KTR) et au Kazakhstan (la ‘‘Confédération des syndicats libres du Kazakhstan’’, CFTUK) tentent depuis le début de faire dévier la grève. Au Kazakhstan, le CFTUK dirigé par Sergei Belkin a depuis longtemps cessé d’exister en tant qu’authentique organisation syndicale. En 2009, Belkin a signé un accord avec le gouvernement destiné à stopper toutes les grèves, les protestations et les manifestations de travailleurs afin de permettre au régime de "maintenir la stabilité’’. En novembre dernier, quand le gouvernement a annoncé qu’il était temps de mener des ‘‘négociations’’ à Zhanaozen, Belkin, totalement absent depuis le début du conflit, est soudain arrivé comme ‘‘expert indépendant’’ pour aider le gouvernement et ses tentatives de briser la grève. La tactique du régime était alors d’essayer par tous les moyens de diviser les grévistes en offrant à certains d’entre eux des emplois dans une nouvelle société, tout en encourageant Belkin pour qu’il mette en place un nouveau syndicat anti-grève dans le cadre de la Confédération syndicale CFTK. Les grévistes, cependant, ont rejeté ces tactiques, insistant pour que tous les travailleurs sans exceptions soient être réintégrés dans leur ancien emploi.

    Hypocritement, l’UITA et le KTR, après avoir soutenu les activités visant à briser la grève et le syndicat anti-grève de Belkin, ont donné des conseils aux travailleurs en leur disant qu’ils devraient : ‘‘décider de suivre le chemin de la construction de leur propre syndicat indépendant, qui peut décider d’une stratégie d’action et proposer leurs revendications à tous niveaux, en s’assurant qu’ils obtiennent, ainsi que leurs familles, les moyens nécessaires pour se défendre et pour mobiliser un soutien international.’’

    Il faut construire de véritables syndicats indépendants

    Depuis le début de la grève, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) a entièrement pris ses responsabilités en soutenant, non seulement en paroles mais aussi en actes, l’appel diffusé à Zhanaozen et à Aktau sous la signature de milliers de travailleurs en novembre (soit avant les ‘‘conseils’’ de l’UITA. Dans cet appel, ils expliquent que : ‘‘notre combat démontre que vaincre l’injustice et l’arbitraire ne peut se faire qu’en unissant nos forces. Dans cette situation difficile et compliquée, le meilleur soutien et moyen d’action sera de créer une organisation syndicale indépendante et de développer des revendications capables d’unir, comme l’augmentation des salaires, l’amélioration des conditions de vie et de travail et la non-ingérence de l’employeur dans le travail du syndicat. En faisant ce travail d’unification des travailleurs, ce syndicat deviendra une solide fondation pour la création d’un syndicat national indépendant au Kazakhstan.’’

    Le CIO estime que si les syndicats tels que l’UITA et le KTR soutiennent véritablement les travailleurs du pétrole, ils devraient alors publiquement retirer tout leur soutien à la Confédération syndicale kazakh CFTK et donner un soutien pratique et moral à ceux qui tentent de construire un authentique syndicat indépendant dans ces circonstances extrêmement difficiles. Mais même si l’UITA et le KTR refusent d’agir de la sorte, le CIO va continuer à soutenir les grévistes et à les aider.

    Le 17 décembre, le Président du KTR, Boris Kravtchenko, a clairement tenté de blâmer le CIO pour les événements de Zhanaozen: ‘‘Nous croyons que la responsabilité de ces événement et du sang versé par les travailleurs du pétrole incombe entièrement aux dirigeants de la République du Kazakhstan. Cependant, cette responsabilité est partagée par les spéculateurs politiques, auto-désigné ‘‘comité’’ et ‘‘internationale’’, qui utilisent la protestation sociale pour leurs propres intérêts, pour réécrire les revendications des manifestants en transformant politiquement celles-ci et qui, par leurs actions provocatrices, poussent les autorités à utiliser des moyens violents.’’

    Ce que Boris Kravtchenko pense exactement du CIO n’est pas très clair. Nous avons soutenu la grève depuis sa création. Nous avons défendu que les employeurs éliminent tous les obstacles pour que des négociations sérieuses puissent commencer. Nous avons soutenu que ces négociations devraient être dirigées de façon transparente par des représentants élus des grévistes. Dès le début, nous avons été engagés dans la construction de la solidarité avec les grévistes et avons aidé à briser le blocus médiatique. Nous avons discuté avec les grévistes de leur intention d’organiser une manifestation pacifique le 16 décembre et avons convenu d’organiser une campagne internationale de solidarité autour de cet évènement.

    Les staliniens surpassent les bureaucrates syndicaux

    Une attaque encore plus vicieuse contre les travailleurs du pétrole a été lancée par le Parti communiste d’Ukraine, qui était resté silencieux sur cette question jusqu’au 4 janvier. Ce parti a finalement brisé son silence dans un article qui accuse Natalia Sokolova d’être un agent du département d’Etat américain et les travailleurs du pétrole d’être responsables de "la tentative des Etats-Unis pour déstabiliser la situation politico-économique." Ils ont continué en disant: ‘‘Les autorités du Kazakhstan ont agi durement, courageusement et de manière adéquate. Ils ont réagi fermement en instaurant l’Etat d’urgence et la police anti-émeute n’y a pas été de main morte contre les combattants bien armés qui se trouvaient derrière les travailleurs du pétrole. Ils ont montré leur courage quand le président, M. Nazarbayev, a visité la ville de Zhanaozen et a personnellement parlé aux habitants. Leur réponse a été adéquate, en agissant avec fermeté et en expliquant à ces messieurs de l’Union Européenne que ce qui se passe à Zhanaozen est une affaire interne au Kazakhstan."

    La “gauche” attaque les grévistes qui revendiquent la nationalisation

    Le 18 décembre, le site internet de gauche "RabKor" publiait un article d’Aleksei Simoyanov de l’Institut de la Mondialisation, à Moscou. Après presque sept mois de silence et à seulement 2 jours du massacre, l’auteur avait décidé de rejoindre le flot des attaques contre les travailleurs du pétrole : "Il est impossible de ne pas parler d’un certain nombre d’erreurs tactiques effectuées par les manifestants au cours de leur campagne. Aussi longtemps que les principaux slogans des manifestants étaient favorables à des meilleurs salaires, au respect des droits des travailleurs et luttaient contre la dégradation des conditions de travail, ils étaient dans une position forte. Dans les limites d’un conflit entre travailleurs et patron, les autorités avaient les mains liées, et toute pression de leur part aurait été purement illégitime. Le problème s’est compliqué quand, sous l’influence du CIO, les travailleurs ont également défendu des revendications politiques, y compris la nationalisation de la compagnie."

    Pourtant, comme cela peut être vérifié avec l’évolution des revendications des grévistes, les travailleurs du pétrole ont défendu la nationalisation de leur entreprise dès le début du litige. Ils n’ont pas eu besoin du CIO pour savoir que tant que ces entreprises restaient aux mains de capitaux privés liés au régime et aux multinationales étrangères, il n’était pas possible d’obtenir un salaire raisonnable. Le seul changement qui a été opéré avec cette revendication au cours de la grève, c’est de généraliser la revendication de la propriété publique à tout le secteur pétrolier, sous le contrôle des travailleurs. Les travailleurs du Kazakhstan ne sont d’ailleurs pas les seuls à tirer ces conclusions. En décembre, par exemple, des dizaines de milliers de syndicalistes ont défilé à Liège, en Belgique, pour exiger la nationalisation du site liégeois d’ArcelorMittal.

    Toutes les grèves sont politiques dans une certaine mesure

    Simoyanov ne fait avec son texte que démontrer sa profonde incompréhension de cette grève. La direction de l’entreprise a refusé de négocier non pas parce que les ouvriers ont soulevé la revendication de la nationalisation, mais parce qu’ils n’étaient pas prêts à mieux payer les travailleurs. La logique de son article est que les travailleurs devraient restreindre leurs luttes à des questions purement économiques et que s’ils vont plus loin, toute la pression contre eux devient ‘‘légitime’’. Suivant cette logique, les syndicats ne devraient pas exiger le limogeage des responsables antisyndicaux ou faire grève afin de faire tomber des régimes autoritaires. Suivant cette logique encore, les syndicalistes d’Europe, de Grèce, du Portugal, d’Italie et d’ailleurs qui sont en lutte par millions contre les politiques d’austérité de leurs gouvernements ne devraient pas exiger la chute de ces gouvernements ? Simoyanov pensent-il aussi que cette revendication est ‘‘illégitime’’ ?

    L’ironie est que ces critiques, en se précipitant contre les grévistes du pétrole, ont oublié de s’en prendre à la direction de l’entreprise, et finissent même au final à la droite du président Nazarbayev qui, à Aktau, a déclaré après le massacre que : ‘‘Le gouvernement, ainsi que le fonds Samruk Kazyna et la société KazMunaiGas, ont échoué à mettre en œuvre mes instructions sur la résolution rapide de ce conflit. Malheureusement, ils se sont montrés incapables de résoudre le problème."

    La caractéristique des critiques de ‘‘gauche’’ des grévistes est la manière dont ils ferment les yeux sur les bureaucrates syndicaux qui collaborent avec les régimes autoritaires ! Boris Kravtchenko est un membre du conseil consultatif du président russe Medvedev, Alexeï Etmanov est un candidat de la liste pro-Kremlin "Russie juste" et Sergei Belkin a signé une entente pour éliminer les grèves avec le régime de Nazarbayev. Ils sont en colère non pas parce que les travailleurs du pétrole ont adopté des revendications politiques – ils ne les critiqueraient pas s’ils rejoignaient le parti présidentiel. Les critiques n’arrivent que lorsque les travailleurs du pétrole déclarent qu’ils ne vont plus soutenir le parti présidentiel et lancent un appel au boycott total des élections législatives de janvier. Plutôt que de rester derrière l’un ou l’autre parti politique pro-régime et leurs conseillers dans les syndicats, les travailleurs du pétrole ont appelé à la création de leur propre, démocratique et indépendant parti des travailleurs, un instrument politique capable de représenter leurs intérêts sans devoir subir l’influence des oligarques.

    Le 16 décembre – début de la fin pour Nazarbayev

    Les événements du 16 décembre 2011 marquent un tournant dans le développement des luttes ouvrières à travers l’ancienne Union soviétique (la CEI, Communauté des Etats Indépendants). Après sept mois de lutte acharnée, les travailleurs du pétrole ont appris de nombreuses leçons. Ils ont démontré qu’ils étaient capables d’adopter une attitude pacifique et disciplinée et de rejeter les provocations destinées à les conduire à la violence. Ils sont allés plus loin que de simples exigences salariales face à un patron qui n’a aucune envie de payer plus, et ont défendu que l’entreprise devait être nationalisée, sous contrôle ouvrier, de sorte que les richesses du pays puissent être utilisées pour le peuple, plutôt que d’enrichir les oligarques et la famille présidentielle. Ils ont démontré qu’ils peuvent unir autour d’eux tous les pauvres et les exploités de la région en défendant de meilleurs salaires pour ceux qui travaillent qui travaillent dans le secteur public. Ils ont appris qu’il y a beaucoup de ‘‘dirigeants’’ et de ‘‘politiciens’’ qui inondent leurs oreilles de promesses d’amitié éternelle en échange de leurs votes, mais qui désertent aux premiers besoins. Ils ont vu que les seuls amis qu’ils ont vraiment, ce sont les travailleurs d’autres villes et d’autres pays, les seuls à avoir exprimé une véritable solidarité.

    Même après les horribles attentats de la police et de l’armée le 16 décembre 2011, et les nombreux morts, blessés et emprisonnés, les travailleurs du pétrole ont préservé leur dignité et leur discipline. Ils continuent à faire appel aux autres travailleurs pour qu’ils s’organisent en une seule fédération syndicale nationale et indépendante et pour construire un parti des travailleurs. Le Comité pour une Internationale Ouvrière et ses sections est fier de rester à leur côté, et de rester entièrement solidaire de leur combat.

  • Insurrection de masse à Jañaözen !

    Aujourd’hui, plus de 3.000 personnes se sont rassemblées pour une manifestation pacifique sur la grand’place de la ville de Jañaözen, à l’Ouest du Kazakhstan. On supposait que les travailleurs du pétrole en grève et les simples citoyens qui les soutiennent allaient pouvoir exprimer leur protestation pacifique face aux autorités du Kazakhstan. Il n’en a rien été. Actuellement, il y a au moins eu 70 morts et 500 blessés suite à la répression sanglante du régime.

    Texte traduit du site de nos camarades de Socialist Resistance (CIO-Kazakhstan)

    Alors que l’action battait son plein, un fourgon de police a foncé à toute allure dans la foule. La patience des manifestants, déjà mise à l’épreuve, a alors volé en éclats. La population, furieuse, a retourné le fourgon, a brulé les autobus de la police et le sapin de Noël qui avait été installé sur la place afin de commémorer l’indépendance du pays.

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    Pour en savoir plus


    Actions de solidarité

    Belgique : la dictature kazakhe également à l’œuvre à Bruxelles ?

    De pacifiques supporters qui voulaient soutenir les travailleurs du pétrole au Kazakhstan et dénoncer la répression à l’œuvre dans ce pays au régime dictatorial ont implacablement été arrêtés lors du match de ce vendredi 7 octobre entre les Diables Rouges et l’équipe du Kazakhstan. Le pouvoir dictatorial du Président Nazarbayev s’étend apparemment jusqu’à Bruxelles…


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    À un moment donné, les policiers se sont enfuis. Mais à présent, des troupes se concentrent dans la ville (depuis la rédaction de cet article, on parle de la présence de tanks et d’au moins 1500 soldats dans la ville, NDLR). Les habitants déclarent que si la force devait être employée contre les grévistes, alors toute la ville sortira dans les rues (actuellement, des actions de protestation sont prévues dans tout le pays pour ce samedi, NDLR). Vers le lieu de l’action continuent d’arriver de nouvelles personnes.

    Ces événements se produisent alors même qu’aujourd’hui, dans plusieurs villes du monde (essentiellement en Europe : Vienne, Berlin, Bruxelles, Londres, Dublin, Stockholm, Göteborg, mais aussi à Boston aux États-Unis, et sans doute aussi ailleurs), sont organisées des actions de solidarité par les différentes sections du Comité pour une Internationale Ouvrière (dont le PSL est la section belge, NDLR). Ainsi, aux portes de diverses ambassades du Kazakhstan, des militants protesteront contre le traitement scandaleux des travailleurs du pétrole en grève depuis des mois.

    Une action sera également menée devant le bureau du Parti Travailliste à Londres, afin de dénoncer le rôle de conseiller qu’a accepté Tony Blair auprès du dictateur kazakh, Nursultan Nazarbayev. À Moscou, les autorités ne nous ont malheureusement pas autorisés à manifester avant la semaine prochaine. Le 15 décembre, au Parlement européen, notre député européen Paul Murphy (élu de la section du CIO en République irlandaise, le Socialist Party) est intervenu pour annoncer le lancement d’une grande campagne de solidarité avec les travailleurs du pétrole kazakhs, au moment même où le régime célèbre les 20 ans de l’indépendance du pays.

    Cela fait sept mois, jour et nuit, dans la neige hivernale comme sous la chaleur estivale, que les travailleurs du pétrole occupent la place Intimak dans le centre de Jañaözen. Ces simples citoyens demandent du pouvoir la considération et le respect des efforts des travailleurs, le respect des efforts de vos frères et sœurs, le respect des efforts de nos pères et mères.

    Cela fait sept mois, que personne de l’Ak-Orda (la ‘‘Maison Blanche’’ kazakhe) – ni président, ni ministre, pas même un seul député du Majilis (le Parlement) n’est venu négocier avec eux ! Ils ne veulent pas entendre ni voir ni résoudre les problèmes du peuple !

    Cela fait sept mois que les travailleurs du pétrole sont soutenus par le mouvement ouvrier et par les syndicats indépendants du monde entier ! Ils sont soutenus par de simples ouvriers, métallurgistes, mineurs, infirmiers, enseignants, de tout le Kazakhstan ! Les travailleurs sont soutenus par des députés du Parlement européen. La lutte de nos ouvriers est suivie par le monde entier ! La lutte des travailleurs se répand au monde entier !

    Les revendications des travailleurs sont légitimes et ont un caractère pacifique. Nous comprenons fort bien que de cette lutte dépend le destin de nos enfants et par conséquent le destin de tous les travailleurs du Kazakhstan ! Nous comprenons que de simples gens : des enseignants, des médecins et infirmiers, des ouvriers, des chauffeurs et de simples agents de police veulent vivre en tant qu’êtres humains et sont obligés de soutenir la lutte des travailleurs du pétrole. Nos enfants doivent avoir un enseignement supérieur, des jardins d’enfants, des soins de santé, tous gratuits et accessibles à tous. Tous doivent avoir accès à des logements à prix abordable ! Et pour cela, dans notre pays, il y a toutes ces richesses qui, selon la Constitution, appartiennent au peuple et non aux investisseurs-pillards et aux bureaucrates qui ne font que manger !

    Frères et sœurs ! Venez avec nous, pour que tous ensemble, nous nous attelions à la construction d’une vie meilleure dès aujourd’hui, et pas demain, comme on nous le promet sans arrêt à la télévision !

    Les travailleurs du pétrole en grève ont fait énormément de sacrifices, mais ils n’ont pu les faire et tenir jusqu’ici que grâce à l’aide de simples citoyens comme vous et nous, et non du gouvernement. Allons tous ensemble soutenir les travailleurs et leurs revendications :

    • Libération de Natalia Sokolovaïa, l’avocate des travailleurs ; reconnaissance par les autorités de la grève et du lock-out qui a suivi ; réintégration de tous les travailleurs licenciés, sans exception ; suppression de tous les chefs d’accusation contre les travailleurs et les militants du syndicat.
    • Amélioration des conditions de vie et de travail, hausse des salaires, des pensions et mise en application des coefficients sectoriels et de productivité pas seulement pour les travailleurs du pétrole, mais pour tous les travailleurs de la province de Mañstau, sans exception.
    • Enquête indépendante et révocation de tous les fonctionnaires et employeurs dont les actions ont amené à l’attisement du dissentiment social, au déchainement, aux humiliations, aux persécutions judiciaires, aux tabassages et aux meurtres bestiaux de travailleurs et de membres de leur famille par des nervis.
    • Nationalisation (restitution au peuple, en propriété étatique sous contrôle des travailleurs) des entreprises du secteur de l’extraction.
    • Formation de syndicats indépendants et création de notre propre parti politique, qui nous défende nous, et pas les millionnaires et les patrons !

    Le 16 décembre 1986, nos frères et sœurs qui étaient descendus sur les places et dans les rues d’Almaty ont obtenu l’indépendance pour nous tous. Mais les autorités ont volé sa liberté au peuple et se sont emparées de toutes nos richesses, se sont emparés de nos gisements, de nos usines et de notre production, se sont emparés du travail de nombreuses générations de nos pères et de nos grand-pères. Ça fait 20 ans que les autorités mentent en nous promettant une vie meilleure, mais ne font que continuer à nous voler et voler ! Et que ferons-nous lorsque s’épuiseront les gisements de pétrole et autres ? Est-ce pour cela que nos ancêtres ont versé leur sang afin de nous transmettre ces richesses ?

    Tous ensemble nous devons faire le choix :

    Avons-nous besoin d’un gouvernement si honteux, d’un gouvernement qui se moque du peuple ?

    Avons-nous besoin d’élections au Majilis alors qu’aucun député ne représente les travailleurs et le peuple ?

    Rejoignons les travailleurs du pétrole, arrêtons le travail, créons des syndicats, des comités de travailleurs et descendons sur la place Intimak !

    • Ensemble nous obtiendrons justice !
    • Ensemble nous deviendrons maitres de nos richesses et nous obtiendrons une vie meilleure pour nous et pour tous les habitants du Kazakhstan !
    • Ensemble nous rendrons au peuple sa liberté et à notre Patrie, son indépendance !
    • Ensemble nous obtiendrons le respect des efforts et un salaire décent pour notre travail !
    • Ensemble nous sommes une force invincible !

    Nous ne sommes pas des esclaves silencieux ! Assez enduré les humiliations et les supercheries !

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