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Tag: Marxisme
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Les éditions Marxisme.be éditent "La révolution trahie" de Trotsky
La Révolution Trahie de Léon Trotsky constitue la première analyse marxiste approfondie du stalinisme. L’ouvrage a été écrit en 1936 alors que Trotsky, expulsé d’Union soviétique en 1929, était déjà en exil depuis plusieurs années.Ce livre n’a toutefois rien d’un règlement de compte entre l’auteur et Staline, il s’agit d’une analyse des conditions objectives qui ont permis l’émergence et l’arrivée au pouvoir d’une bureaucratie réactionnaire dans ce qui fut le premier Etat ouvrier de l’Histoire.
Dès 1936, Trotsky prévenait du danger d’une restauration capitaliste dans le cas où aucune révolution politique ne parvenait à se développer en Union soviétique, sous l’influence d’évènements révolutionnaires dans le reste du monde, afin d’écarter la bureaucratie au profit de l’épanouissement d’une véritable démocratie des travailleurs.
Les édition Marxisme.be, qui éditent les publications du PSL, sont heureuses de pouvoir annoncer que ce livre sera disponible lors de la journée “Socialisme 2015” ce 28 mars, en français et néerlandais. Il s’agira d’ailleurs de la toute première publication de cet ouvrage majeur de Trotsky en néerlandais.
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Trotsky : Pourquoi Staline l’a-t-il emporté?
En 1917 se déroula la révolution qui porta pour la première fois dans l’histoire de l’Humanité les masses exploitées au pouvoir. Hélas, à cause de l’arriération de la jeune République Soviétique héritée de l’ancien régime tsariste et des destructions dues à la Première Guerre Mondiale et à la guerre civile, à cause aussi de l’isolement du premier Etat ouvrier suite à l’échec des révolutions dans les autres pays – et plus particulièrement en Allemagne – une bureaucratie a su émerger et usurper le pouvoir.
Staline a personnifié ce processus, tandis que Trotsky, proche collaborateur de Lénine et ancien dirigeant de l’insurrection d’Octobre et de l’Armée Rouge, a été la figure de proue de ceux qui étaient restés fidèles aux idéaux socialistes et qui, tout comme Trotsky lui-même en 1940, l’on bien souvent payé de leur vie.
Dans ce texte de 1935 qui répond aux questions de jeunes militants français, Trotsky, alors en exil, explique les raisons de la victoire de la bureaucratie sur l’opposition de gauche (nom pris par les militants communistes opposés à la dérive bureaucratiques et à l’abandon des idéaux socialistes et internationalistes par l’Union Soviétique).
Il explique aussi pourquoi il n’a pas utilisé son prestige dans l’Armée Rouge – qu’il avait lui-même mis en place et organisée pour faire face à la guerre civile – afin d’utiliser cette dernière contre la caste bureaucratique.
Derrière cette clarification d’un processus majeur lourd de conséquences pour l’évolution ultérieure des luttes à travers le monde se trouvent aussi la question du rôle de l’individu dans le cours historique ainsi qu’une réponse à la maxime « la fin justifie les moyens », deux thèmes qui n’ont rien perdu de leur actualité.
Pourquoi Staline l’a-t-il emporté ? – Trotsky
« Comment et pourquoi avez vous perdu le pouvoir ? », « comment Staline a-t-il pris en main l’appareil ? », « qu’est-ce qui fait la force de Staline ? ». La question des lois internes de la révolution et de la contre-révolution est posée partout et toujours d’une façon purement individuelle, comme s’il s’agissait d’une partie d’échec ou de quelque rencontre sportive, et non de conflits et de modifications profondes de caractère social. De nombreux pseudo-marxistes ne se distinguent en rien à ce sujet des démocrates vulgaires, qui se servent, en face de grandioses mouvements populaires, des critères de couloirs parlementaires.
Quiconque connaît tant soit peu l’histoire sait que toute révolution a provoqué après elle la contre-révolution qui, certes, n’a jamais rejeté la société complètement en arrière, au point de départ, dans le domaine de l’économie, mais a toujours enlevé au peuple une part considérable, parfois la part du lion, de ses conquêtes politiques. Et la première victime de la vague réactionnaire est, en général, cette couche de révolutionnaire qui s’est trouvée à la tête des masses dans la première période de la révolution, période offensive, « héroïque ». […]
Les marxistes savent que la conscience est déterminée, en fin de compte, par l’existence. Le rôle de la direction dans la révolution est énorme. Sans direction juste, le prolétariat ne peut vaincre. Mais même la meilleure direction n’est pas capable de provoquer la révolution, quand il n’y a pas pour elle de conditions objectives. Au nombre des plus grands mérites d’une direction prolétarienne, il faut compter la capacité de distinguer le moment où on peut attaquer et celui où il est nécessaire de reculer. Cette capacité constituait la principale force de Lénine. […]
Le succès ou l’insuccès de la lutte de l’opposition de gauche (1) contre la bureaucratie a dépendu, bien entendu, à tel ou tel degré, des qualités de la direction des deux camps en lutte. Mais avant de parler de ces qualités, il faut comprendre clairement le caractère des camps en lutte eux-mêmes ; car le meilleur dirigeant de l’un des camps peut se trouver ne rien valoir pour l’autre camp, et réciproquement. La question si courante et si naïve : « pourquoi Trotsky n’a-t-il pas utilisé en son temps l’appareil militaire contre Staline ? » témoigne le plus clairement du monde qu’on ne veut ou qu’on ne sait pas réfléchir aux causes historiques générales de la victoire de la bureaucratie soviétique sur l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat…
Absolument indiscutable et d’une grande importance est le fait que la bureaucratie soviétique est devenue d’autant plus puissante que des coups plus durs se sont abattus sur la classe ouvrière mondiale (2). Les défaites des mouvements révolutionnaires en Europe et en Asie ont peu à peu miné la confiance des ouvriers soviétiques dans leur allié international. A l’intérieur du pays régnait toujours une misère aiguë (3). Les représentants les plus hardis et les plus dévoués de la classe ouvrière soit avaient péris dans la guerre civile, soit s’étaient élevés de quelques degrés plus hauts, et, dans leur majorité, avaient été assimilés dans les rangs de la bureaucratie, ayant perdu l’esprit révolutionnaire. Lassée par les terribles efforts des années révolutionnaires, privée de perspectives, empoisonnée d’amertume par une série de déceptions, la grande masse est tombée dans la passivité. Une réaction de ce genre s’est observée, comme nous l’avons déjà dit, après chaque révolution. […]
[…] L’appareil militaire […] était une fraction de tout l’appareil bureaucratique et, par ses qualités, ne se distinguait pas de lui. Il suffit de dire que, pendant les années de la guerre civile, l’Armée Rouge absorba des dizaines de milliers d’anciens officiers tsaristes (4).
[…] Ces cadres d’officiers et de fonctionnaires remplirent dans les premières années leur travail sous la pression et la surveillance directe des ouvriers avancés. Dans le feu de la lutte cruelle, il ne pouvait même pas être question d’une situation privilégiée pour les officiers : le mot même était rayé du vocabulaire. Mais après les victoires remportées et le passage à la situation de paix, précisément l’appareil militaire s’efforça de devenir la fraction la plus importante et privilégiée de tout l’appareil bureaucratique. S’appuyer sur les officiers pour prendre le pouvoir n’aurait pu être le fait que de celui qui était prêt à aller au devant des appétits de caste des officiers, c’est-à-dire leur assurer une situation supérieure, leur donner des grades, des décorations, en un mot à faire d’un seul coup ce que la bureaucratie stalinienne a fait progressivement au cours des dix ou douze années suivantes. Il n’y a aucun doute qu’accomplir un coup d’Etat militaire contre la fraction Zinoviev-Kaménev-Staline (5), etc., aurait pu se faire alors sans aucune peine et n’aurait même pas coûté d’effusion de sang ; mais le résultat d’un tel coup d’Etat aurait été une accélération des rythmes de cette même bureaucratisation et bonapartisation, contre lesquels l’opposition de gauche entrait en lutte.
La tâche des bolcheviques-léninistes, par son essence même, consistait non pas à s’appuyer sur la bureaucratie militaire contre celle du parti, mais à s’appuyer sur l’avant-garde prolétarienne et, par son intermédiaire, sur les masses populaires, et à maîtriser la bureaucratie dans son ensemble, à l’épurer des éléments étrangers, à assurer sur elle le contrôle vigilant des travailleurs et à replacer sa politique sur les rails de l’internationalisme révolutionnaire. Mais comme dans les années de guerre civile, de famine et d’épidémie, la source vivante de la force révolutionnaire des masses s’était tarie et que la bureaucratie avait terriblement grandit en nombre et en insolence, les révolutionnaires prolétariens se trouvèrent être la partie la plus faible. Sous le drapeau des bolcheviques-léninistes se rassemblèrent, certes, des dizaines de milliers des meilleurs combattants révolutionnaires, y compris des militaires. Les ouvriers avancés avaient pour l’opposition de la sympathie. Mais cette sympathie est restée passive : les masses ne croyaient plus que, par la lutte, elles pourraient modifier la situation. Cependant, la bureaucratie affirmait : « L’opposition veut la révolution internationale et s’apprête à nous entraîner dans une guerre révolutionnaire. Nous avons assez de secousses et de misères. Nous avons mérité le droit de nous reposer. Il ne nous faut plus de « révolutions permanentes ». Nous allons créer pour nous une société socialiste. Ouvriers et paysans, remettez vous en à nous, à vos chefs ! » Cette agitation nationale et conservatrice s’accompagna, pour le dire en passant, de calomnies enragées, parfois absolument réactionnaires (6), contre les internationalistes, rassembla étroitement la bureaucratie, tant militaire que d’Etat, et trouva un écho indiscutable dans les masses ouvrières et paysannes lassées et arriérées. Ainsi l’avant-garde bolchevique se trouva isolée et écrasée par morceau. C’est en cela que réside tout le secret de la victoire de la bureaucratie thermidorienne (7). […]
Cela signifie-t-il que la victoire de Staline était inévitable ? Cela signifie-t-il que la lutte de l’opposition de gauche (bolcheviques-léninistes) était sans espoirs ? C’est poser la question de façon abstraite, schématique, fataliste. Le développement de la lutte a montré, sans aucun doute, que remporter une pleine victoire en URSS, c’est-à-dire conquérir le pouvoir et cautériser l’ulcère de bureaucratisme, les bolcheviques-léninistes n’ont pu et ne pourront le faire sans soutien de la part de la révolution mondiale. Mais cela ne signifie nullement que leur lutte soit restée sans conséquence. Sans la critique hardie de l’opposition et sans l’effroi de la bureaucratie devant l’opposition, le cours de Staline-Boukharine (8) vers le Koulak (9) aurait inévitable abouti à la renaissance du capitalisme. Sous le fouet de l’opposition, la bureaucratie s’est trouvée contrainte de faire d’importants emprunts à notre plate-forme (10). Les léninistes n’ont pu sauver le régime soviétique des processus de dégénérescence et des difformités du pouvoir personnel. Mais ils l’ont sauvé de l’effondrement complet, en barrant la route à la restauration capitaliste. Les réformes progressives de la bureaucratie ont été les produits accessoires de la lutte révolutionnaire de l’opposition. C’est pour nous trop insuffisant. Mais c’est quelque chose. »
Ce texte est tiré de : Trotsky, Textes et débats, présentés par Jean-Jacques Marie, Librairie générale Française, Paris, 1984.
1) Opposition de gauche – bolcheviques-léninistes
On a tendance à séparer Lénine de la lutte contre la bureaucratie incarnée par le conflit entre Trotsky contre Staline et ses différents alliés successifs. Pourtant, la fin de la vie de Lénine est marquée par le combat commencé de concert avec Trotsky contre Staline, qu’il rencontrait à chaque fois qu’il voulait s’attarder sur un problème spécifique (constitution de l’URSS, monopole du commerce extérieur, affaire de Géorgie, transformation de l’inspection ouvrière et paysanne, recensement des fonctionnaires soviétiques,…).
En 1923, Lénine paralysé, Staline s’est allié à Zinoviev et Kamenev contre Trotsky. La politique de la troïka ainsi créée à la direction du Parti Communiste s’est caractérisée par l’empirisme et le laisser aller. Mais dès octobre 1923, l’opposition de gauche a engagé le combat, c’est-à-dire Trotsky et, dans un premier temps, 46 militants du Parti Communiste connus et respectés de longue date en Russie et dans le mouvement ouvrier international. La base de leur combat était la lutte pour la démocratie interne et la planification (voir au point 10). Le terme de bolchevique-léninistes fait référence à la fidélités aux principes fondateurs du bolchevisme, principes rapidement foulé au pied par Staline et les bureaucrates alors qu’ils transformaient Lénine en un guide infaillible et quasi-divin. Le terme « trotskiste » a en fait été inventé par l’appareil bureaucratique comme une arme dans les mains de ceux qui accusaient Trotsky de vouloir détruire le parti en s’opposant à la « parole sacrée » de Lénine détournée par leurs soins.
2) « des coups plus durs se sont abattus sur la classe ouvrière mondiale »
Pour les révolutionnaires russes, la révolution ne pouvait arriver à établir le socialisme qu’avec l’aide de la classe ouvrière des pays capitalistes plus développés. Lénine considérait par exemple qu’il fallait aider la révolution en Allemagne, pays à la classe ouvrière la plus nombreuse et la plus organisée, jusqu’à sacrifier le régime soviétique en Russie si la situation l’exigeait. Cependant, si la Révolution russe a bien engendré une vague révolutionnaire aux nombreuses répercussions, partout les masses ont échoué à renverser le régime capitaliste.
En Allemagne, c’est cette crise révolutionnaire qui a mis fin à la guerre impérialiste et au IIe Reich. Mais, bien que cette période révolutionnaire a continué jusqu’en 1923, l’insurrection échoua en janvier 1919 et les dirigeants les plus capables du jeune Parti Communiste allemand, Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, ont été ensuite assassinés. Quelques semaines plus tard, les républiques ouvrières de Bavière et de Hongrie ont également succombé dans un bain de sang. En France faute de direction révolutionnaire, le mouvement des masses a échoué à établir le socialisme, de même qu’en Italie où la désillusion et la démoralisation a ouvert la voie au fascisme. La stabilisation momentanée du capitalisme qui a suivit a cruellement isolé la jeune république des soviets et a favorisé l’accession au pouvoir de la bureaucratie.
Quand sont ensuite arrivés de nouvelles opportunités pour les révolutionnaires sur le plan international, la bureaucratie avait déjà la mainmise sur l’Internationale Communiste.
Ainsi, quand la montée de la révolution chinoise est arrivée en 1926, la politique de soumission à la bourgeoisie nationale et au Kouomintang de Tchang Kaï-Chek dictée par Moscou a eu pour effet de livrer les communistes au massacre. En mars 1927, quand Tchang-Kaï-Chek est arrivé devant la ville de Shangaï soulevée, le mot d’ordre de l’Internationale Communiste sclérosée était alors de déposer les armes et de laisser entrer les nationalistes. Ces derniers ont ainsi eu toute la liberté d’exécuter par millier les communiste et les ouvriers désarmés…
3) « A l’intérieur du pays régnait toujours une misère aiguë. »
En 1920, alors que la guerre civile devait encore durer jusqu’à l’été 1922, l’industrie russe ne produisait plus en moyenne que 20% de sa production d’avant-guerre, et seulement 13% en terme de valeur. A titre d’exemple, la production d’acier était tombée à 2,4% de ce qu’elle représentait en 1914, tandis que 60% des locomotives avaient été détruites et que 63% des voies ferrées étaient devenues inutilisables. (Pierre Broué, Le parti bolchevique, Les éditions de minuit, Paris, 1971).
La misère qui découlait de ces traces laissées par la guerre impérialiste de 14-18 puis par la guerre civile entre monarchistes appuyés par les puissances impérialistes et révolutionnaires a mis longtemps à se résorber.
4) « Durant la guerre civile, l’Armée Rouge absorba des dizaines de milliers d’anciens officiers tsaristes. »
La dislocation de l’Etat tsariste et la poursuite de la participation de la Russie à la Première Guerre Mondiale entre le mois de février (où le tsarisme s’est effondré) et l’insurrection d’Octobre par les différents gouvernements provisoires avaient totalement détruit l’armée russe. Arrivés au pouvoir, les soviets durent reconstruire à partir de rien une nouvelle armée capable de défendre les acquis de la Révolution face aux restes des troupes tsaristes aidés financièrement et militairement par différentes puissances étrangères (Etats-Unis, France, Angleterre, Allemagne, Japon…).
C’est à Trotsky qu’a alors été confiée la tâche de construire l’Armée Rouge. Face à l’inexpérience des bolcheviques concernant la stratégie militaire, Trotsty a préconisé d’enrôler les anciens officiers tsaristes désireux de rallier le nouveau régime. Approximativement 35.000 d’entre eux ont accepté au cours de la guerre civile. Ces « spécialistes militaires » ont été un temps encadrés par des commissaires politiques qui avaient la tâche de s’assurer que ces officiers ne profitent pas de leur situation et respectent les ordres du gouvernement soviétique.
5) Fraction Zinoviev-Kaménev-Staline
Comme expliqué dans le premier point, Zinoviev et Kamenev, dirigeants bolcheviques de premier plan et de longue date, se sont alliés à Staline dès la paralysie de Lénine pour lutter contre Trotsky. Son combat contre la bureaucratisation du parti et de l’Etat les effrayait tout autant que sa défenses des idées de l’internationalisme, à un moment où ils ne voulaient entendre parler que de stabilisation du régime. Finalement, cette fraction volera en éclat quand la situation du pays et du parti forcera Zinoviev et Kamenev à reconnaître, temporairement, leurs erreurs. Ils capituleront ensuite devant Staline, mais seront tous deux exécutés lors du premier procès de Moscou en 1936.
6) Calomnies enragées
Faute de pouvoir l’emporter par une honnête lutte d’idées et de positions, les détracteurs de l’opposition de gauche n’ont pas lésiné sur les moyens douteux en détournant et en exagérant la portée de passages des œuvres de Lénine consacrés à des polémiques engagées avec Trotsky il y avait plus de vingt années, en détournant malhonnêtement des propos tenus par Trotsky, en limitant le rôle qu’il avait tenu lors des journées d’Octobre et durant la guerre civile, ou encore en limitant ou en refusant tout simplement à Trotsky de faire valoir son droit de réponse dans la presse de l’Union Soviétique.
Parallèlement, Lénine a été transformé en saint infaillible – son corps placé dans un monstrueux mausolée – et ces citations, tirées hors de leurs contextes, étaient devenues autant de dogmes destinés à justifier les positions de la bureaucratie. La calomnie, selon l’expression que Trotsky a utilisée dans son autobiographie, « prit des apparences d’éruption volcanique […] elle pesait sur les conscience et d’une façon encore plus accablante sur les volontés » tant était grande son ampleur et sa violence. Mais à travers Trotsky, c’était le régime interne même du parti qui était visé et un régime de pure dictature sur le parti a alors été instauré. Ces méthodes et manœuvres devaient par la suite devenir autant de caractéristiques permanentes du régime stalinien, pendant et après la mort du « petit père des peuples ».
7) « bureaucratie thermidorienne » :
Il s’agit là d’une référence à la Révolution française, que les marxistes avaient particulièrement étudiée, notamment pour y étudier les lois du flux et du reflux révolutionnaire.
« Thermidor » était un mois du nouveau calendrier révolutionnaire français. Les journées des 9 et 10 thermidor de l’an II (c’est-à-dire les 27 et 28 juillet 1794) avaient ouvert, après le renversement de Robespierre, Saint-Just et des montagnards, une période de réaction qui devait déboucher sur l’empire napoléonien.
8) Staline-Boukharine
En 1926, l’économie ainsi que le régime interne du parti étaient dans un état tel que Kamenev et Zinoviev ont été forcés de reconnaître leurs erreurs. Ils se sont alors rapproché de l’opposition de gauche pour former ensemble l’opposition unifiée. Staline a alors eu comme principal soutien celui de Boukharine, « l’idéologue du parti », dont le mot d’ordre était : « Nous devons dire aux paysans, à tous les paysans, qu’ils doivent s’enrichir ». Mais ce n’est qu’une minorité de paysan qui s’est enrichie au détriment de la majorité… Peu à peu politiquement éliminé à partir de 1929 quand Staline a opéré le virage de la collectivisation et de la planification, Boukharine a ensuite été exécuté suite au deuxième procès de Moscou en 1938.
9) Koulak
Terme utilisé pour qualifier les paysans riches de Russie, dès avant la révolution. Ses caractéristiques sont la possession d’une exploitation pour laquelle il emploie une main d’œuvre salariée, de chevaux de trait dont il peut louer une partie aux paysans moins aisés et de moyens mécaniques (comme un moulin, par exemple).
10) « la bureaucratie s’est trouvée contrainte de faire d’importants emprunts à notre plate-forme »
Dès 1923, devant la crise dite « des ciseaux », c’est-à-dire le fossé grandissant entre les prix croissants des biens industriels et la diminution des prix des denrées agricoles, Trotsky avait mis en avant la nécessité de la planification afin de lancer l’industrie lourde. A ce moment, la Russie était encore engagée dans la nouvelle politique économique (NEP), qui avait succédé au communisme de guerre en 1921 et avait réintroduit certaines caractéristiques du « marché libre » pour laisser un temps souffler la paysannerie après les dures années de guerre. Mais cette politique devait obligatoirement n’être que momentanée, car elle permettait au capitalisme de retrouver une base en Russie grâce au koulaks et au « nepmen » (trafiquants, commerçants et intermédiaires, tous avides de profiter de leurs avantages au maximum, car ils ne savent pas de quoi sera fait le lendemain de la NEP). Une vague de grève avait d’ailleurs déferlé en Russie cette année-là.
Finalement, en 1926, 60% du blé commercialisable se trouvait entre les mains de 6% des paysans (Jean-Jaques Marie, Le trotskysme, Flammarion, Paris, 1970). L’opposition liquidée, la bureaucratie s’est attaquée à la paysannerie riche en collectivisant les terres et en enclenchant le premier plan quinquennal. Mais bien trop tard… Tout le temps perdu depuis 1923 aurait permit de réaliser la collectivisation et la planification en douceur, sur base de coopération volontaire des masses. En 1929, la situation n’a plus permit que l’urgence, et Staline a « sauvé » l’économie planifiée (et surtout à ses yeux les intérêts des bureaucrates dont la protection des intérêts était la base de son pouvoir) au prix d’une coercition immonde et sanglante.
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Critique : Thomas Piketty : le nouveau Marx ?
Le capital au vingt-et-unième siècle
Au Royaume-Uni, les 20 % les plus pauvres de la population constituent une des couches les plus démunies d’Europe occidentale, avec un niveau de vie comparable à celui de la Slovénie ou de la Tchéquie. Parallèlement, les 1 % les plus riches du pays sont parmi les plus riches du monde, s’accaparant à peu près un tiers du revenu mondial !
Par Hannah Sell, Socialist Party (CIO en Angleterre et pays de Galles)
Cela fait un certain temps que le Royaume-Uni n’est plus champion dans quoi que ce soit, mais en ce qui concerne l’inégalité, il en a largement à remontrer : parmi les pays “développés”, le Royaume-Uni est le deuxième pays le plus inégal après les États-Unis. Mais la croissance de l’inégalité, qui semble à présent si inévitable, est en réalité un phénomène mondial. Selon l’ONG Oxfam, les 85 personnes les plus riches au monde possèdent à elles seules autant de richesses (1700 000 milliards de dollars) que la moitié de la population mondiale (3,5 milliards de personnes).
Les stratèges du capitalisme (du moins, ceux parmi eux qui ne sont pas des farceurs) reconnaissent vaguement le fait que cette inégalité croissante menace l’avenir du capitalisme. Lorsqu’on voit par exemple la directrice du FMI et le gouverneur de la Bank of England proclamer que « Il faut faire quelque chose » pour préserver la « stabilité », on comprend que l’élite mondiale commence à sérieusement s’inquiéter du risque de grèves, de révoltes et de révolutions.
Une inégalité de plus en plus grande
C’est dans ce contexte que M. Thomas Piketty, économiste français, a publié son œuvre Le capital au vingt-et-unième siècle. Piketty a collaboré avec d’autres économistes tout au long des quinze dernières années afin de fournir des preuves selon lesquelles la tendance naturelle du capitalisme sur le long terme est d’aller vers un accroissement de l’inégalité. Piketty remarque à très juste titre le fait que la période “dorée” d’après la Seconde Guerre mondiale (années ’60-’70) était une période d’exception et que, depuis lors, le système est revenu à la “normale”, avec une tendance marquée à un renforcement de l’inégalité. Il explique par exemple que « entre 1977 et 2007, les 1 % des plus riches Américains se sont approprié 60 % de la croissance du revenu national ».
Le capitalisme mène à l’inégalité : cela n’est pas une idée nouvelle. Karl Marx lui-même, il y a plus de cent ans, écrivait qu’il y a : « corrélation fatale entre l’accumulation du capital et l’accumulation de la misère, de telle sorte qu’accumulation de richesse à un pôle, c’est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage, au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même.» (Le Capital, chapitre 25)
Réactions
Néanmoins, les informations statistiques rassemblées par Piketty et ses collaborateurs sont extrêmement utiles, et sont également clairement perçues comme une menace par les défenseurs du capitalisme.
Le Financial Times a vigoureusement attaqué leurs données sur l’inégalité, en relevant quelques erreurs statistiques relativement mineures dans le but de discréditer l’ensemble des conclusions de Piketty. Le problème de tout ceci, cependant, est que loin d’être “révolutionnaires” ou “nouvelles”, les données de Piketty ne font que confirmer une tendance marquée depuis des décennies. Piketty lui-même a répondu que son livre est selon lui loin d’exagérer la réalité de l’inégalité, puisque de nouvelles recherches parues depuis indiquent que « la hausse de la part de la richesse pour les plus riches Américains au cours des dernières décennies serait en réalité encore plus élevée que ce que j’ai calculé dans mon livre ».
Même si certaines personnes de droite ont tenté de discréditer Piketty, son livre a connu un grand succès auprès du public, se hissant en tête des ventes dans de nombreux pays. Nombreux sont ceux à gauche qui l’ont applaudi, y compris le secrétaire général du syndicat britannique Unite, Len McCluskey, qui avouait : « Je suis enthousiaste quand je pense jusqu’où Piketty pourrait nous mener ». Cependant, ceux qui espèrent que ce livre leur fournira une analyse convaincante de ce pourquoi le capitalisme crée cette inégalité croissante seront plutôt déçus ; encore plus déçus seront ceux qui attendent une solution de la part de l’auteur.
Puisque le titre du livre ressemble à celui du chef d’œuvre de Karl Mark, Le Capital, beaucoup de commentateurs affirment que Piketty est le digne successeur de Marx. Piketty a quant à lui répondu que ce n’est pas comme ça qu’il se perçoit, et qu’en fait, il n’a jamais lu Le Capital. Cela n’est guère étonnant, vu que les seules fois où Piketty mentionne Marx dans son livre, c’est pour le critiquer, et souvent pour des choses que Marx n’a jamais dites ni écrites.
Piketty, par exemple, prétend que « Tout comme ses prédécesseurs, Marx a totalement négligé la possibilité d’un progrès technologique durable et d’une productivité sans cesse croissante », ou encore que « La théorie de Marx est implicitement fondée sur l’hypothèse d’une hausse zéro de la productivité sur le long terme ». Ces affirmations sont complètement à l’opposé de la véritable analyse de Marx. Marx expliquait justement qu’une caractéristique fondamentale du capitalisme est la façon dont la course aux profits force les capitalistes à entrer en concurrence avec leurs rivaux en investissant dans la science et dans la technologie – “progrès technologique” donc – afin d’accroitre leur productivité. C’est cette course débridée vers plus de profits qui conduit à la crise – à la récession et à la dépression – mais qui jette également les bases pour la transition vers une société socialiste démocratique.
Le fait que les taux d’investissements aient atteint à présent leur point le plus bas de l’histoire – et certainement au Royaume-Uni – indique que le capitalisme est un système en faillite, incapable de faire progresser la société plus en avant. Le capitalisme a créé – tout comme Piketty le décrit – une richesse immense, mais seul une planification socialiste démocratique de la production permettrait à présent de reprendre le contrôle sur les forces productives afin de protéger la planète et de satisfaire aux besoins de base de l’humanité – ce que le capitalisme est incapable de faire – en assurant le droit à un emploi décent, sûr et bien payé, à un logement, à un enseignement gratuit et à la retraite à 60 ans (et même avant).
Le marxisme
Le marxisme et les idées socialistes sont cependant complètement inconnus pour Piketty. Il n’essaie pas une seule fois d’expliquer les raisons de la crise capitaliste. Il ne parle pas non plus de la production de marchandises, ni de leur vente : il préfère se concentrer exclusivement sur la répartition de la richesse. Sa “nouvelle théorie” pour expliquer l’inégalité est que le taux de retour sur “capital” est toujours supérieur au taux de retour sur “revenu”. Piketty dit que c’est là la contradiction centrale du capitalisme. Cependant, il ne donne aucune explication pour nous permettre de comprendre en quoi cette contradiction serait si importante.
De plus, il se trompe dans son usage du mot “capital”. Pour les marxistes, toute richesse n’est pas capital. Est capital uniquement la part de la richesse mise en œuvre par les capitalistes afin de tenter d’engranger un profit ; la source de tout profit étant l’exploitation de la classe prolétaire, la classe des travailleurs. Mais lorsque Piketty parle de capital, il parle de richesse de manière générale, qu’il s’agisse d’un investissement, d’un collier en diamant ou encore de la maison d’un travailleur. Il ne considère pas non plus que la force et l’action du mouvement des travailleurs, que la capacité des travailleurs à se battre pour défendre leurs salaires et conditions de travail, soit un facteur qui détermine la répartition de la richesse entre capitalistes et travailleurs.
Les énormes lacunes du livre de Piketty signifient que cet ouvrage ne parvient en réalité pas à offrir ne serait-ce que le début d’une analyse du capital au vingt-et-unième siècle – ce qui a d’ailleurs été reconnu par ses admirateurs. Lawrence Summers, par exemple, ex-secrétaire du Trésor américain, loue le “tour-de-force” que représente ce travail, tout en restant très sceptique quant à son analyse : « Quand je me projette dans le futur, je vois que le principal élément créateur d’inégalité et lié à l’accumulation de capital ne sera pas, contrairement à ce que croit Piketty, le fait que les riches amassent des fortunes. La principale raison de cette inégalité sera le développement de l’impression en 3D, de l’intelligence artificielle, de toutes ces choses qui auront des conséquences désastreuses pour les personnes occupées à des tâches manuelles routinières. D’ailleurs, nous avons déjà plus de personnes détentrices d’une assurance handicap que de personnes occupées à la production dans l’industrie ».
M. Summers exprime ici une grande crainte de la classe capitaliste, à laquelle Piketty ne touche même pas. Les nouvelles technologies rendent chaque travailleur de plus en plus productif, mais pour chaque travailleur productif, il y a de plus en plus de sans-emploi ou de personnes sous-employées. Tout cela ne promet que plus de crises économiques et d’instabilité sociale à l’échelle mondiale.
Cela rend également de plus en plus évidente la nécessité du passage au socialisme, afin que les nouvelles technologies qui posent un problème au capitalisme puissent être mises en œuvre non pas pour licencier les travailleurs en masse, mais pour répartir le temps de travail entre tous et donc réduire la semaine de travail à 30 heures par semaine sans perte de salaire, voire même encore moins. Au lieu de ça, on voit que, malgré le fait que la lutte pour la journée des huit heures a été entamée depuis la création même du mouvement ouvrier, cette revendication n’est toujours pas acquise pour des millions de travailleurs de par le monde.
Piketty ne cherche pas à en finir avec le capitalisme : il veut l’aider à s’en sortir. Quand il est passé à la télévision, on lui a demandé s’il voulait en finir avec l’inégalité. Sa position était très claire : selon lui, c’est un problème que 50 % des Britanniques ne possèdent que 3 % de la richesse nationale, mais s’ils en possédaient 5 ou 8 %, ce ne serait pas un souci !
Afin de parvenir à cette toute petite hausse de l’égalité, Piketty appelle à une hausse de taxe pour la population riche, qu’on devrait taxer à hauteur de 80 %, et à une taxe progressive sur la richesse au niveau mondial. En tant que socialistes, nous soutenons ces revendications, qui seraient certainement également soutenues avec enthousiasme par la majorité de la population. Cependant, même les plus enthousiastes parmi les admirateurs de Piketty ne peuvent s’empêcher de sourire à cette idée. Même le célèbre économiste keynésien Paul Krugman, qui n’a que louanges pour cet ouvrage, s’est vu contraint d’admettre qu’il « est aisé d’exprimer un certain cynisme à l’égard de toute proposition de ce genre ». Le journaliste et professeur honoraire à l’université de Wolverhampton Paul Mason a exprimé la même idée dans le quotidien britannique Guardian, de manière un peu plus brutale : « Il est plus facile d’imaginer la chute du capitalisme que d’imaginer l’élite consentir à une telle taxe ».
Nous arrivons donc au nœud du problème. Piketty espère pouvoir appeler les capitalistes à la “raison”, en les priant de reconnaitre que s’ils veulent préserver leur système, ils doivent laisser un petit peu plus pour les “99 %”. Ça rappelle les discours du dirigeant social-démocrate britannique Ed Milliband, qui parle d’un “capitalisme plus équitable”, sans donner la moindre proposition concrète en ce sens comme la taxation des riches ou des grandes entreprises.
Un capitalisme fait de partage et d’amour ?
Le président français François Hollande avait promis de mettre en place une “taxe des millionnaires” afin de se faire élire. Cela a suscité une virulente opposition de la part du capitalisme français. Finalement, Hollande a fait passer devant la Cour constitutionnelle une version fortement édulcorée de sa taxe sur les riches. Mais il a fini par capituler devant les exigences des capitalistes. Le magazine Forbes titrait à cette occasion : « Hollande converti, propose l’austérité et une baisse des taxes pour renforcer la croissance en France ».
On a beau montrer de beaux arguments et supplier, on ne parviendra pas à mettre en place un capitalisme “à visage humain”. Les seules fois où les capitalistes se voient contraints de faire des concessions importantes pour la majorité de la population est lorsqu’ils sont confrontés à des mouvements de masse de la classe des travailleurs qui menacent l’avenir de leur système. Et même lorsque des concessions sont faites, ils tentent toujours de les récupérer d’une autre manière un peu plus tard.
Tout gouvernement qui demeure dans le cadre du capitalisme ne sera jamais en mesure de mettre en pratique les quelques propositions de Piketty. On estime à 20.000 milliards de dollars la richesse planquée dans des paradis fiscaux, la moitié de cette richesse appartenant à à peine 100.000 personnes. Cette somme est supérieure à la dette nationale cumulée de tous les pays développés. Personne ne paie de taxe sur cette immense richesse. Rien qu’au Royaume-Uni, on estime que la fraude fiscale (surtout du fait des riches) s’élève à 120 milliards de livres par an.
Une popularité révélatrice
Piketty reconnait en partie le fait que les capitalistes seront toujours tentés d’éviter de payer des taxes, en déménageant à l’étranger, etc. C’est pourquoi il parle d’une taxe progressive sur la richesse au niveau mondial. À nouveau, en tant que socialistes, nous soutenons cette revendication, mais nous ne pensons pas qu’il soit possible – dans un monde fait de flux et reflux de capitaux que les gouvernements sont incapables de contrôler – de parler de cette revendication sans l’introduire dans le cadre d’un programme plus large fait de revendications socialistes. Qui voterait cette taxe ? Un impôt mondial sur la fortune ne pourra qui plus est jamais être prélevé sans le monopole étatique sur le commerce étranger et la nationalisation des banques à échelle nationale puis internationale. Sans quoi, ce serait comme quelqu’un qui tenterait d’arracher ses griffes à un tigre de manière “douce”.
Malgré ses limites, la popularité du livre de Piketty illustre néanmoins le fait que de plus en plus de gens sont à la recherche d’une alternative au capitalisme du vingt-et-unième siècle, qui ne nous offre qu’un sombre avenir fait d’emplois mal payés, de contrats flexibles et précaires et de logements impossibles à payer. Nul doute que beaucoup de ceux qui aujourd’hui dévorent le livre de Piketty, demain mordront à pleines dents Le Capital de Karl Marx, qui leur donnera une analyse bien plus “moderne” et “pertinente” du capitalisme que celle de Piketty.
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Le marxisme, une grille d’analyse toujours actuelle ?
Au cours de ces dernières années – surtout depuis la crise financière – le nom de Marx s’est régulièrement refait entendre. Ainsi, Nouriel Roubini (l’un des rares économistes bourgeois à avoir anticipé la crise économique) a-t-il déclaré dans une interview : ‘‘Marx avait raison, il est possible que le capitalisme lui-même se détruise à un certain moment. Vous ne pouvez pas transférer des revenus du travail vers le capital sans créer une surproduction et une rupture de la demande.’’ Cette approche reste essentiellement intellectuelle. Marx, à l’opposé des intellectuels de salon, désirait comprendre le monde avant tout pour le changer. Il s’est ainsi également investi dans la construction des organisations du mouvement ouvrier.
Par Peter Delsing
Le regain d’intérêt dans les idées de Marx n’est en rien un hasard. Des temps de crise entraînent une recherche de solutions. Selon la théorie économique libérale, ce qui s’est produit depuis la crise de 2008 était impossible. Au lieu d’un retour automatique à une période de croissance stable, le système est en plein marasme et menace même de replonger dans une nouvelle récession.
Le capitalisme a pu être maintenu par l’injection de sommes colossales dans le secteur bancaire. Mais ce n’est que temporaire, la surproduction et le chômage structurel actuels rendent la crise et la stagnation plus permanentes.
A la chute du stalinisme (1989-91), la ‘‘fin de l’histoire’’ a été proclamée, la démocratie libérale était alors largement considérée comme la forme de société la plus aboutie. L’idée d’une alternative socialiste a connu un recul dans la conscience générale des masses. Les sociaux-démocrates (le PS et le SP.a en Belgique) sont totalement devenus pro-capitalistes et ont perdu leur base ouvrière active. Quant aux dirigeants syndicaux de droite, ils ont embrassé la logique de privatisation et de déréglementation.
Pour les marxistes, même dans les années ’90, il était clair que le capitalisme n’allait pas connaître un développement équilibré et stable. Aucune amélioration générale des conditions de vie n’était d’ailleurs observée. Depuis les années ‘70 et l’arrivée du néolibéralisme en tant que politique dominante dans les années ‘80, le capitalisme était en déclin. Le mouvement contre la mondialisation capitaliste au début de ce siècle, les récentes révolutions et les mouvements de masse au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, le mouvement Occupy et les protestations contre le règne des 1% les plus riches aux États-Unis, le mouvement des Indignés,… tout cela a démontré que cette idée de la ‘‘fin de l’histoire’’ et de la fin de la lutte pour changer de société était totalement erronée.
Au cours de cette dernière période, nous avons d’ailleurs assisté à la résurgence des mobilisations de la classe ouvrière dans des pays comme la Grèce, l’Espagne, le Portugal,… avec une série de grèves générales et partielles. L’Europe du Sud est en ébullition contre la dictature de la Troïka (FMI, BCE, UE) qui plonge de plus en plus ces sociétés vers la barbarie.
On estime que la dernière victime de la crise de l’euro, Chypre, va connaître ces prochaines années une contraction économique de 20%. Le pays rejoint ainsi la Grèce et l’Espagne dans la perspective d’une dépression économique. L’appauvrissement massif et le chômage qui s’y développent ne sont comparables qu’à la période des années ’30. La différence réside dans l’absence de partis larges de la classe ouvrière et des jeunes capables d’organiser la résistance à large échelle. Les partis traditionnels du monde du travail – sociauxdémocrates ou staliniens – ont à peine survécu à la baisse de conscience de classe des années ‘90 et à l’absence totale d’une réponse politique de la part de leurs directions. Voilà qui illustre très clairement l’importance de la théorie, de l’élaboration de perspectives, et de la construction d’un mouvement révolutionnaire basé sur les meilleures traditions du mouvement des travailleurs en termes de discussions politiques, de prise de décision démocratique et de lutte collective.
Une méthode scientifique
Dans les médias bourgeois, on ne parle du marxisme qu’avec condescendance, comme s’il s’agissait d’une idéologie ringarde. C’est toutefois la méthode la plus adéquate pour comprendre totalement la crise économique. Marx, en élaborant les perspectives pour la société capitaliste, avait livré les outils nécessaires pour anticiper la crise actuelle. Les partisans du système capitaliste, par contre, ont vu la crise leur arriver dessus d’un coup, sans y comprendre quoi que ce soit.
Marx a dégagé des tendances qui sont toujours d’actualité : la tendance à la concentration sans cesse plus importante de capital dans de moins en moins de mains ou encore l’arrivée d’un chômage structurel de masse à un moment donné en conséquence de la tendance à la surproduction et à la suraccumulation issue de l’exploitation de la classe ouvrière et des inégalités inhérentes au système. Marx a parlé de la tendance à la baisse du taux de profit provenant des limites de l’augmentation de la productivité des salariés sur base capitaliste. La productivité est particulièrement stimulée par des investissements dans les machines et la technologie. Mais la plus-value (le travail non rémunéré, d’où viennent les profits) est uniquement créée par le travail vivant. Le ‘‘travail mort’’ accumulé dans les machines est amorti sur une certaine période et transféré dans le produit final. Ce processus n’augmente pas la plus-value. Une augmentation rapide des investissements dans les machines, etc. par rapport à la main-d’oeuvre entraîne relativement moins de valeur – et donc de bénéfice – par unité de capital investi.
Marx a aussi expliqué que la nation constituerait un obstacle croissant pour le développement de la production. Sur base de la propriété privée des moyens de production et de la concurrence, les Etats capitalistes poursuivant chacun leurs propres intérêts et finissent inévitablement par entrer en conflit. C’est dans ce cadre qu’il faut placer la crise de la zone euro. Il parlait encore d’une polarisation croissante entre les classes sociales et de la maturation des conditions nécessaires pour connaître des mouvements de masse et des révolutions contre le capitalisme.
Prenons la concentration du capital dans de moins en moins de mains. Fin des années ‘90 déjà, le Wall Street Journal dénonçait que les secteurs de l’automobile, de l’industrie pharmaceutique, de l’aéronautique,… – secteur après secteur – étaient aux mains de quelques multinationales à peine. Le pouvoir de quelques centaines de multinationales est aujourd’hui sans commune mesure avec la situation d’il y a 50 ou 100 ans, elles possèdent la moitié de ce qui est produit mondialement.
Le chômage structurel ? En Belgique, nous connaissons un taux de chômage supérieur à 10% depuis les années ‘80. À l’apogée des années ‘60, jusqu’à la crise du milieu des années ‘70, il n’était question que de 1% à 2%. Dans la zone euro, le taux de chômage a atteint un nouveau record en février dernier (12%) tandis que le chômage des jeunes est de 23,5%.
La tendance à la surproduction – du fait que la majorité exploitée produit plus que ce qu’elle n’est en mesure d’acheter avec son salaire – est particulièrement visible aujourd’hui. A force de poignarder nos salaires, la partie de notre travail qui est rémunérée, les capitalistes ne peuvent plus vendre les voitures produites, pour ne prendre qu’un exemple. Eux vont d’ailleurs plutôt utiliser leur argent pour des voitures de luxe, pas pour ce genre de modèle. C’est la maximisation des profits qui se cache derrière ce processus.
La surproduction ou la suraccumulation sont particulièrement évidents au vu de l’essor du chômage structurel et du plus bas taux de croissance, ce à quoi nous assistons depuis la crise des années ‘70. La croissance du Produit Intérieur Brut mondial (la richesse produite en un an) a été, entre 1973 et 2003, inférieure de moitié à celle de la période d’après-guerre, de 1950 à 1973. Le secteur industriel américain utilisait à son apogée, dans les années ‘60, près de 90% de sa capacité de production. Ce niveau a constamment baissé au cours des décennies suivantes, jusqu’à atteindre les 68% au cours de la dernière récession.
Imaginons ce qu’il serait possible de faire avec une économie nationalisée et démocratiquement planifiée, un système où la production ne serait pas artificiellement limitée et déformée par l’exploitation ! Quel est le coût de la faillite du capitalisme en termes d’écoles supplémentaires, de logements, de transports en commun, d’infrastructures collectives,… ?
Fin des années ‘60 – avant la hausse des prix du pétrole en 1973 – une baisse du taux de profit était déjà observable. Ce fut le cas à cause de la lutte des travailleurs pour de meilleurs salaires, mais aussi à cause de la nécessité d’investissements dans les machines et la technologie sans cesse plus rapides et de la part que cela représentait par rapport à la plus-value produite par le travail. Malgré le retour des bas salaires et la baisse des prix du pétrole au milieu des années ‘80, les bénéfices récupérés par montant de capital investi restaient faibles dans les pays industriels les plus fondamentaux.
Le capital excédentaire, dans le contexte d’une économie réelle marquée par les économies néolibérales, a alors trouvé sa voie vers les Bourses. Cela, de pair avec la montagne de dettes faramineuse, a posé les bases d’une série de bulles spéculatives (immobilière, technologique, hypothécaire, des matières premières,…). Les périodes de croissance ont été plus courtes et plus faibles et la récession n’a été ‘‘résolue’’ qu’en ouvrant à fond les robinets à crédit jusqu’à un point où ces dettes, après 2008, ont menacé d’engloutir l’ensemble du système. Le cycle de vie naturel du capitalisme, fait de crises, avait été trop longtemps artificiellement étiré (c’est aussi la raison pour laquelle la plupart des économistes bourgeois n’avaient rien vu venir). La crise et la récession étaient une menace permanente.
Si le problème d’origine est un manque de demande, par exemple, et que vous décidez de rétablir les profits en attaquant les salaires, que se passe-t-il ? Et si la rentabilité diminue, notamment à cause des investissements limités dans la force de travail durant toute une période, et que vous commencez à licencier et développez ainsi un chômage structurel ? Sans avoir ouvert les vannes du crédit aussi fortement, un tel système de contradictions n’aurait jamais duré aussi longtemps. Nous devons remercier Marx et d’autres révolutionnaires socialistes pour nous avoir fourni une méthode critique capable de comprendre le monde. Mais cela doit impérativement servir à le changer par une révolution socialiste.
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Liège : une soixantaine de personnes au meeting "Le marxisme aujourd'hui"
Les Étudiants de Gauche Actifs avaient organisé hier un meeting consacré au marxisme, une initiative qui a remporté un franc succès. La participation à cet évènement ainsi que les très bons échos obtenus durant la campagne de mobilisation sont une illustration de l’ouverture qui prend actuellement place dans la société pour la gauche ainsi que pour la recherche d’une alternative. Notre camarade Eric Byl a introduit la discussion en abordant les bases du marxisme en relation avec la crise économique actuelle et, par exemple, l’annonce de la fermeture de Ford Genk. Un grand nombre de participants ont d’ailleurs fait part de leur volonté de participer à la manifestation de solidarité avec les travailleurs de Ford de ce dimanche 11 novembre.
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Le marxisme, son actualité et sa pertinence
Comment parvenir à un changement de système, et par quoi le remplacer ?
Chaque nouvelle phase de la crise économique s’accompagne d’un profond soupir poussé du fond des bureaux d’experts et de journalistes économiques bourgeois. Comment, à nouveau, fournir une explication ? Au plus il devient clair que la fin de cette crise est loin d’arriver, au plus ces idéologues du patronat ont tendance à aller jeter un œil du côté du marxisme (enfin, ce qu’ils en ont compris en tout cas). Combien cela doit-il être frustrant pour eux d’avoir à reconnaître que la seule grille d’analyse capable de livrer un aperçu crédible de la nature même du capitalisme est le fruit de la réflexion d’un homme qui a consacré sa vie à le combattre !
Par Tim (Bruxelles)
Le capitalisme mène à la crise
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Cet essor des idées marxistes n’est guère surprenant. Marx fut le premier à dégager l’essence du fonctionnement du système capitaliste afin de parvenir à une explication des crises récurrentes de ce système. Il a expliqué pourquoi les capitalistes ont besoin de lancer de continuelles attaques contre les conditions de travail et les salaires afin de sauvegarder leurs profits à cour terme contre une concurrence sans cesse plus féroce. Cette concurrence constitue la base d’une nouvelle crise à long terme, puisque de plus maigres salaires impliquent que moins d’argent est disponible pour acheter tout ce qui est produit. Pour Marx, la solution est de remplacer le capitalisme par un nouveau et meilleur système : une société socialiste où on produit pour les besoins de tous et non pas pour les profits de quelques uns.
D’autres après Marx ont utilisé cette méthode pour développer et approfondir le marxisme. Lénine a ainsi contribué au marxisme avec son analyse sur l’impérialisme : la période historique dans laquelle le capitalisme se trouve aujourd’hui et dans laquelle les banques et les spéculateurs dominent l’économie. Trotsky a quant à lui apporté d’importantes contributions portant sur la nature du stalinisme et sur la montée des forces réactionnaires d’extrême-droite si la classe ouvrière ne dispose pas de son propre parti armé d’une bonne stratégie. Le marxisme devient ainsi très concret.
Une méthode pour parvenir au changement
Le marxisme n’est donc pas un dogme, mais une méthode vivante pour placer les événements d’une société dans un contexte plus large afin de les analyser. Les marxistes d’aujourd’hui expliquent que la crise des dettes que nous vivons est la conséquence de décennies de politique néolibérale : la baisse du pouvoir d’achat de la classe ouvrière a été compensée en donnant massivement accès au crédit. Pour pouvoir postposer l’éclatement des contradictions du capitalisme, une énorme montagne de dette a été construite, ce qui est aujourd’hui la cause principale de la crise.
Les marxistes se posent alors des questions sur l’absurdité d’un système dans lequel des dizaines de milliards de dollars ne sont plus investis dans l’économie alors qu’il y a tant de besoins dans la société : des listes d’attente gigantesques pour la construction d’écoles, un manque de crèches, d’hôpitaux, de logements,… Un programme marxiste pointe directement la cause commune de ces problèmes : le capitalisme et ses insolubles contradictions. Le marxisme offre aussi une solution sur base de la lutte des masses : un monde socialiste où les richesses sont utilisées pour résoudre ces problèmes gigantesques, et non plus pour assouvir les pulsions spéculatives des supers riches.
C’est aussi la raison pour laquelle les idées socialistes trouvent souvent autant de soutien chez les travailleurs et les jeunes partout dans le monde lorsqu’ils rentrent en lutte contre les excès du capitalisme. Les idées socialistes et marxistes ont été largement discutées dans tous les grands mouvements sociaux de ces dernières années – des révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord en passant par les mouvements de masse en Grèce, en Espagne, en France et même au sein du mouvement Occupy aux Etats-Unis. Une lutte des masses contre le capitalisme conduit forcément à d’âpres discussions sur la possible alternative.
Voilà qui explique la pertinence du marxisme aujourd’hui : il vise l’idéologie de la classe ouvrière, le seul groupe dans la société qui est capable de renverser le capitalisme. Les marxistes se basent sur 150 années de lutte de classe, ils étudient les victoires de la classe ouvrière et tirent les leçons des défaites pour être mieux préparés à la lutte de demain.
La lutte est à l’agenda
Les partis marxistes et révolutionnaires ont toujours joué un rôle important sur ce plan : ils continuaient à défendre des idées socialistes, même quand cela était difficile, même quand le capitalisme semblait invincible. Ils ont joué un grand rôle dans la remontée des idées marxistes dans les mouvements de lutte qu’on voit aujourd’hui : ils renforcent des tendances qui sont présentes dans la classe ouvrière et assurent que les processus politiques s’accélèrent. La classe en soi devient ainsi une classe pour soi, explique Marx : quand la population ouvrière devient consciente de sa force potentielle, elle devient toute-puissante. Ainsi une grève générale, suivie massivement, montre comment le patronat et ses laquais politiques sont faibles. Pas de travailleurs, cela signifie pas de profits pour le patronat ! Cela explique pourquoi les médias traditionnels sortent leur plus forte propagande antisyndicale quand la lutte des masses est à l’agenda, ou pourquoi ils tentent de taire les grands mouvements de lutte à l’étranger. Ils ont cependant affaire à des travailleurs et des jeunes qui échangent internationalement leur expérience de lutte, comme le mouvement Occupy qui a inspiré des luttes partout dans le monde.
Tout cela montre que les marxistes vont faire face à d’énormes défis dans les années à venir, dans le monde entier. En Belgique, les politiciens et le patronat attendent avec impatience que les élections communales soient passées pour mettre un nouveau plan d’austérité sur la table. La lutte va sans aucun doute être à l’agenda et un programme marxiste sera nécessaire pour donner à cette lutte un fondement solide. Lorsque nous plaidons pour un tel programme, dans lequel les richesses sont utilisées pour les besoins gigantesques qui existent aujourd’hui, quelques uns vont nous demander si cela est bien réaliste. Nous répondrons avec une contre-question : est-ce réaliste que les milliards de personnes aujourd’hui dupées par la crise puissent continuer à l’accepter sans rien faire ? Les mouvements de lutte de ces dernières années partout dans le monde nous prouvent le contraire.
Pour les marxistes, il s’agit d’être aussi présents que possible dans cette lutte, de faire connaître leurs idées, de défendre leur programme. De l’autre côté de la barrière se trouvent les milliardaires et leurs politiciens, leurs médias, leur appareil de police et de justice bourgeoises, mais s’ils ont le chiffre, nous avons le nombre. Si on le veut, tout l’engrenage capitaliste peut être paralysé. Et si le mouvement est armé d’un programme marxiste, aucune force ne saurait alors stopper la construction d’une économie basée sur les besoins des 99% et non pas sur les profits des 1%.