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Tag: Histoire
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La guerre du Rif et Abdelkrim : quand la résistance anticolonialiste affronta la barbarie

Les guerres coloniales de l’Espagne et de la France contre les insurgés kabyles du Rif au Maroc sont bien documentées. Ce sont des faits historiques présents dans la conscience collective des peuples d’Afrique du Nord comme dans celle des pays impérialistes susmentionnés. Néanmoins c’est une histoire beaucoup moins connue en Allemagne où fut fabriqué le gaz toxique qui, au Maroc tua des dizaines de milliers de civils durant les années 1920. Cette arme chimique fut employée par l’armée espagnole sous les ordres du général Franco. Près d’une décennie plus tard celui-ci devait se déchaîner avec la même cruauté «sur le front intérieur» contre les travailleurs d’Espagne.Par Marcus Hesse (SAV, section allemande d’ASI)
À la fin du XIXe siècle, les puissances coloniales se divisèrent le monde entre elles. La France occupait le rang de deuxième puissance coloniale au monde. En même temps, l’Espagne, jadis au premier rang parmi les puissances coloniales, ayant perdu toutes ses colonies en Amérique et ainsi que les Philippines, n’était plus que l’ombre de ce qu’elle avait été. Mais la couronne d’Espagne et sa bourgeoisie voulaient avec d’autant plus d’acharnement préserver leurs possessions coloniales restantes et les étendre. Le Maroc actuel était alors morcelé en «zones d’influence» : la France avait obtenu le sud et l’Espagne le nord, habité par des tribus kabyles. Lorsque des matières premières furent découvertes au Maroc, plusieurs puissances s’empressèrent à faire valoir leurs droits. Les habitants, principalement des agriculteurs et des bergers, furent déplacés de force. Puis, en 1904-06 et à nouveau en 1911, la guerre faillit éclater entre l’Allemagne et la France.
Pour parvenir à leurs fins les puissances coloniales s’appuyaient sur les anciennes élites féodales et sur certains chefs tribaux corrompus. Le sultan coopérait avec les puissances coloniales, puisque celles-ci maintenaient la soumission des paysans et des ouvriers agricoles. Cependant, la résistance des tribus était particulièrement forte au nord, dans les montagnes de l’Atlas. L’Espagne y mena par deux fois la guerre contre les 39 tribus rifaines. Un premier conflit en 1893 se termina par un traité de paix. La guerre de Melilla de 1909 se solda par une douloureuse et humiliante défaite pour les troupes espagnoles. Alors que la classe capitaliste et l’armée espagnoles voulaient assurer leur influence sur ces territoires étrangers, les travailleurs espagnols s’opposèrent à cette guerre par des grèves et des manifestations. Ils n’avaient aucune envie d’être envoyés défendre les intérêts des riches!(1) Les querelles des grandes puissances autour du Maroc prirent fin en 1912 avec la division du pays. L’Allemagne renonça à un contrôle direct en échange de concessions territoriales en Afrique centrale. Malgré la défaite de 1909, l’État espagnol a su s’assurer la région hispano-marocaine, officiellement déclarée colonie à partir de 1912, grâce à une présence militaire massive.
Création de la République du Rif
La domination coloniale espagnole au Maroc fut extrêmement brutale. L’écrivain espagnol Arturo Barea qualifia la région du Rif comme un «mélange de champ de bataille, de bordel et de taverne». La résistance des tribus usant des tactiques de guérilla fut férocement réprimée par l’armée espagnole. En guise de dissuasion les rebelles capturés furent assassinés et sauvagement mutilés. Sur des images de cartes postales des membres de l’armée coloniale se paraient de têtes coupées comme trophées macabres. Parmi les généraux qui combattirent les Rifains avec ces mesures terroristes on retrouve les futurs dictateurs militaires Primo de Rivera et Francisco Franco.
L’un des chefs rebelles affrontant le pouvoir colonial était le religieux Abdelkrim el-Khattabi. Issu d’un milieu plutôt modeste, il crut d’abord à une coopération avec l’Espagne pour moderniser le pays. Il étudia à Madrid, mais rejoignit la résistance anticoloniale durant la Première Guerre mondiale. S’étant révélé comme plus conséquent que les autres chefs de tribu kabyles, à partir de 1920 un soulèvement contre le colonialisme espagnol se groupa autour de lui. En tant que chef rebelle, Abdelkrim proclama une république indépendante dans une partie de la région Kabyle.
À partir de 1921 l’État espagnol se lança dans une guerre pour écraser la république du Rif. Cette troisième guerre du Rif sera la plus longue et la plus sanglante de toutes. En fait, cette république du Rif fut la première république d’Afrique du Nord et du monde arabe issue d’un soulèvement anticolonial. Abdelkrim n’était pas socialiste, mais se considérait comme un «révolutionnaire national» au sens de Mustafa Kemal. La république du Rif mit en œuvre des réformes progressives, améliora les droits des femmes, assura le droit à l’éducation gratuite et limita l’influence des chefs tribaux féodaux. Parallèlement, il orienta la loi vers une interprétation modérée de la charia et propageât un «jihad» contre les puissances coloniales. Abdelkrim fut un dirigeant bourgeois démocratique dans un pays où il n’existait pratiquement aucune bourgeoisie à proprement parler. De nombreux chefs tribaux conservateurs le rejetèrent en raison de ses origines modestes et de ses idées à leurs yeux trop progressistes. Certains de ces chefs tribaux rentrèrent ainsi au service de l’armée coloniale.
Il est important de noter que la République du Rif ne fut reconnue par aucun pays au monde, à l’exception de l’Union Soviétique, dont le gouvernement annonça publiquement son soutien. Malheureusement il alors était impossible pour l’URSS de fournir une aide financière ou même militaire au jeune Etat.
La Société des Nations, l’organisation qui précéda l’ONU et que Lénine qualifia «d’antre des voleurs» impérialistes et de «cuisine de voleurs», considéra l’établissement de la République du Rif comme une attaque contre les «droits légitimes» des puissances coloniales. Toutes les puissances coloniales étaient d’accord : la République du Rif devait être combattue. Mais tout d’abord, l’armée d’Abdelkrim infligea une cinglante défaite à l’armée espagnole lors de la bataille d’Anoual en 1921. L’Espagne y perdit environ 10.000 soldats. Ceci ne fit que pousser la classe dirigeante espagnole à être encore plus brutale. De nouveau, les travailleurs espagnols s’opposèrent à la guerre à travers des manifestations de masse et des grèves. En 1925 la France rentra en guerre au côté de l’Espagne. La République du Rif était désormais exposée à une guerre sur deux fronts contre deux armées bien équipées. Les groupes panarabes et le Parti communiste français se montrèrent solidaires et collectèrent des fonds pour la République du Rif. La guerre reçut beaucoup d’attention, notamment dans la presse communiste. Dans l’Internationale Communiste du milieu des années 1920, il existait de grands espoirs que la guerre du Rif pourrait déclencher une vague de révolutions anticoloniales en Afrique du Nord et dans le monde arabe. Mais le soutien de ses forces était avant tout de nature morale et propagandiste: les appels aux dons ne rapportèrent pas assez pour contrecarrer la puissance militaire concentrée des puissances coloniales. Pour l’establishment bourgeois et la presse occidentale, les adeptes d’Abdelkrim n’étaient rien d’autre que des «criminels».
L’atrocités des guerres impérialistes
L’État espagnol fit rapidement recours à une guerre de terreur massive contre la population civile de la petite république du Rif (laquelle ne comptait que 150.000 habitants). L’armée espagnole acheta du gaz moutarde et du phosgène à la firme Hugo Stolzenberg à Hambourg. Ces produits chimiques furent utilisés de manière systématique du moins à partir de 1923. Dès 1924 la population civile fut ciblée sans discernement par des attaques chimiques aériennes. L’opération fit environ 10.000 morts, pour la plupart des non-combattants. Nombreux furent ceux qui ne moururent qu’après des mois d’agonie. Jusqu’à la fin de la guerre, environ 10.000 conteneurs (soit plus de 500 tonnes) de gaz toxique furent largués sur la région. Après près d’un siècle ces armes rendent toujours malade. Ainsi le taux de cancer dans les régions touchées est beaucoup plus élevé qu’ailleurs dans le pays.(2)
En 1921, après le désastre d’Anoual, le haut-commissaire espagnol au Maroc, Dámaso Berenguer Fusté, écrivit dans un télégramme au ministre de la Guerre que c’était «avec un réel plaisir qu’il utilisait des gaz toxiques contre les peuples indigènes». (El Mundo, 18 mars 2001). À la même époque le haut officier de l’armée de l’air britannique Sir Arthur Travers Harris, alias «Bomber Harris», s’attaquait lui aussi aux populations civiles, notamment en Irak. Ici encore une terreur aérienne aveugle devait mater les insurrections anticoloniales. En 1930 Harris se justifia affirmant que «la seule chose que l’Arabe comprend, c’est la main lourde». Il n’est donc pas surprenant que les diplomates britanniques et français se montraient également très compréhensifs vis-à-vis de l’Espagne qui, avec l’aide des fabricants allemands de gaz toxique, utilisa au Maroc des armes interdites internationalement tout en contournant la réglementation du Traité de Versailles. Le représentant de l’Espagne à Genève qualifia l’action contre la république du Rif de «défense de la paix» et de l’ordre européen d’après-guerre. Il reçut en effet l’approbation des principales puissances victorieuses de la Première Guerre, la France et la Grande-Bretagne. Ceci était donc aussi l’opinion des puissances coloniales dite «démocratiques», les piliers de la Société des Nations!
Après six années de résistance acharnée, la république du Rif dû céder face à la terreur concentrée de l’impérialisme espagnol et français. Abdelkrim fût forcé à l’exil. Prisonnier, le gouvernement français l’afficha comme trophée dans les films d’actualités. Ceci ne fit qu’augmenter son prestige dans les pays arabes et africains, où, malgré sa défaite, il fut longtemps considéré comme un symbole de la résistance anticoloniale. Il décéda en 1963 et fut enterré solennellement au Caire.
Les meurtriers firent également des ravages en Europe
L’extrême violence infligée aux «indigènes» par les puissances coloniales, y compris celles dites «démocratiques», ne resta pas confinée aux colonies. Ramenée par après sur le «front intérieur» de la «patrie» espagnole elle trouva expression dans la guerre civile et dans la lutte de classes. Le guerrier colonial de 1893, Primo de Rivera, devint dictateur de l’État espagnol en 1923. Il réprima le mouvement ouvrier espagnol et chercha à éradiquer la culture catalane. En 1934 le général colonial Francisco Franco fut envoyé par le gouvernement républicain pour écraser militairement le soulèvement des mineurs dans les Asturies. Il y fit massacrer des ouvriers marxistes et anarcho-syndicalistes comme jadis les Kabyles du Rif. L’armée coloniale au Maroc fut l’un des piliers du coup d’Etat nationaliste de juillet 1936, lequel donna l’étincelle à la guerre civile espagnole (1936-1939). Contre la classe ouvrière espagnole Franco préféra utiliser des légionnaires étrangers, des musulmans du Maroc. Certains d’entre eux étaient issus des tribus Kabyles qui avaient combattu aux côtés de la puissance coloniale contre la république du Rif. D’autres, par contre, étaient des enfants de paysans ou de bergers analphabètes des zones rebelles. Ceci était leur chance de se venger des «espagnols» pour les atrocités commises par leur armé coloniale. Par une ironie perfide, c’était cette même armée coloniale qui les envoya en campagne contre le prolétariat espagnol. Durant la guerre civile espagnole la tâche des fascistes fut rendue inutilement facile par le gouvernement du Front Populaire espagnol. Celui-ci composé de bourgeois de gauche, de nationalistes catalans, de sociaux-démocrates et de staliniens, refusa de proclamer l’indépendance du Maroc par considération pour les «démocraties» occidentales (surtout la France et l’Angleterre). En surcroît, dans leur propagande ils firent parfois recours à des préjugés racistes contre les troupes marocaines de Franco, les “Moros” (“Maures”).
Le plus grand guerrier colonial de la France dans la guerre du Rif devait aussi réapparaître plus tard. En effet, le maréchal Pétain, «héros» de guerre de la Première Guerre mondiale et chef de troupe contre Abdelkrim, devint en 1940 chef du gouvernement de Vichy et en tant que tel collabora avec l’Allemagne nazie. Fait qui n’a d’ailleurs pas empêché Emmanuel Macron de lui rendre hommage par la suite.(3)
Les troupes qui avaient été déployées dans les colonies avaient intériorisé dans leur lutte contre les «personnes de couleur» le racisme, la mentalité de la race supérieure tout comme une misanthropie brutale. De retour chez eux, leur savoir-faire militaire fut réorienté contre «l’ennemi intérieur», contre l’insurrection, contre la classe ouvrière organisée. Ceci fut également le cas en Allemagne où une partie non négligeable des ‘Freikorps’ et des troupes de la Reichswehr étaient d’anciens guerriers coloniaux. De 1918 à 1923 ces mercenaires et tueurs à gage assassinèrent les travailleurs allemands pour le compte des «héros de la démocratie» et des grands du SPD comme Ebert et Noske. Un exemple frappant fut le général Georg Maercker, qui pouvait faire recours à son expérience en Tanzanie et en Namibie. À partir de 1919 il se prouva un «conquérant de villes» redoutable affrontant tour à tour les travailleurs révolutionnaires à Berlin, en Saxe, à Braunschweig, Erfurt, Weimar, Gotha, Eisenach, Halle, Helmstedt, Leipzig et Magdebourg. Comme beaucoup de ses pairs, il considérait cette activité comme la continuation logique de son «travail» précédent.
Le même système qui défendait l’exploitation et la violence dans les colonies frappa également la classe ouvrière européenne – les auteurs de ces crimes étaient souvent les mêmes.
Notes :
1) Dont la “Semaine tragique” de Barcelone en 1909. Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Semaine_tragique_(Espagne)
2) TAZ.de, 26 januari 2002. voir : https://taz.de/!1128814/
3) Der Spiegel, 7 novembre 2018 -
Une rencontre avec Marguerite Staquet – Ouvrière, féministe et fière de l’être!
Ce 6 octobre 2021 en début d’après-midi, Emily, Stefanie (militantes de Rosa) et moi avons rendez-vous chez Marguerite Staquet, une ex-ouvrière de l’ancienne usine Bekaert-Cockerill de Fontaine-l’Évêque, près de Charleroi. Marguerite a mené en 1982 une lutte exemplaire pour défendre le droit des ouvrières. Elle et son mari habitent une petite maison à Anderlues. Heureusement que le GPS existe pour trouver notre chemin !Par Guy Van Sinoy
Ce 6 octobre, c’est aussi l’anniversaire de Marguerite. C’est pourquoi Emily a apporté une tarte aux pommes. Une fois les présentations faites, nous nous installons autour de la table, dans la pièce de devant. Marguerite prépare le café et Emily découpe la tarte. La conversation peut commencer.
Emily : Juste avant cette lutte de 1982, quel était le climat dans l’entreprise ?
– Marguerite : C’était une usine qui employait majoritairement des ouvriers et une minorité d‘ouvrières. La plupart habitaient les environs. Il y avait aussi un certain nombre de couples travaillant dans l’usine.
J’ai longtemps discuté avec les délégués parce que les hommes passaient la visite médicale (médecine du travail) et les femmes pas. Or nous étions toute la journée, hommes et femmes, dans la poussière. Quand il y avait des assemblées, les femmes n’avaient pas le droit à la parole. On n’était bonne qu’à travailler !
En faisant le même travail que les hommes, on touchait 10 francs de l’heure en moins ! 10 francs, c’était énorme ! A l’époque je gagnais environ 22 à 23.000 francs belges par mois. C’était un beau salaire mais on avait du mal. Car on soulevait des caisses de clous qui pesaient 25 kilos, soit 1 tonne ou 2 tonnes de clous par jour. Les 10 francs de plus à l’heure étaient justifiés non pas parce que le travail des hommes était différent ou plus lourd, mais par le fait que c’étaient des hommes !
A cette époque-là dans l’usine la mentalité était la suivante : « Les femmes elles travaillent parce qu’elles le veulent bien ! » Pendant la grève, combien de fois on ne nous criait pas : « Allez torcher vos gosses ! Allez à vos casseroles ! »
Stefanie : En 1982 il y a d’abord eu une grève de tout le personnel pendant 9 semaines ?
– Marguerite : Oui, cette grève contre la restructuration a débuté au mois d’août 1982. Après 9 semaines de grèves une réunion de conciliation a proposé le choix entre 3 options : soit le passage à 36 heures pour tous et toutes avec perte de salaire, soit le licenciement de 13 ouvriers, soit le passage au temps partiel pour 13 femmes « non chef de ménage ». C’est finalement la troisième proposition qui a été adoptée : 120 pour, 60 contre (dont toutes les ouvrières) et 40 abstentions. Le vote s’est déroulé dans des conditions particulières car on remplissait le bulletin de vote sous l’œil des délégués qui le dépliaient avant de le glisser dans l’urne. Et les 40 abstentions ont été comptabilisées avec les « Pour ».
Le patron avait préparé une liste de 13 ouvriers à licencier, dont 3 délégués. Il faut savoir que ces délégués ne travaillaient pas. Ils arrivaient le matin avec leur serviette et demandaient : «Ça va ?». Quand on disait tout ce qui n’allait pas il répondaient : «On en reparlera plus tard!». Ces délégués menacés de licenciement ont proposé à la place le passage à mi-temps des femmes qui n’étaient pas chef de famille. Nous avons alors reçu nos préavis pour nous réengager à mi-temps. Mais nous n’étions pas d’accord car nous perdions ainsi toute notre ancienneté.
Les femmes ont refusé le passage à mi-temps et sont donc parties en grève le 3 novembre. De mon côté, je voulais faire valoir le droit des femmes, mais je ne savais pas comment. Dans un petit village, on n’est au courant de rien. Alors mon neveu m’a mis en contact avec Christiane Rigomont, de la Maison des Femmes de La Louvière. Elle est venue chez nous et nous a expliqué nos droits et a fait connaître notre situation. Ensuite beaucoup d’avocates se sont manifestées pour nous soutenir et nous expliquer nos droits.
Dorénavant, dans les assemblées à l’usine, nous prenions la parole pour dire que nous n’étions pas d’accord. Les délégués disaient : « Oui mais, Marguerite Staquet, elle rêve ! Elle invente n’importe quoi ! » Mais moi j’avais en mains les preuves de nos droits. Et quand nous nous sommes défendues, les délégués ont crié « Au Secours ! Elles ont fait venir des «extrémistes» de l’extérieur ! »
Emily : La proposition de ne licencier que des femmes est donc venue des délégués ?
– Oui ! Parce que on n’était pas considérées comme des travailleuses à part entière. On n’était considérée comme des salaires d’appoint. Nos maris qui travaillaient dans l’entreprise ne disaient rien car ils avaient un petit peu peur aussi. Souvent on demandait à nos maris : « Qu’est-ce qu’on fait, on continue jusqu’au bout ? » Ils nous ont toujours soutenues dans ce combat.
Quand il y eu l’assemblée avec tous les gens de l’extérieur venus nous soutenir, les délégués syndicaux étaient contre le mur et n’osaient rien dire. On aurait dit des prisonniers à la prison de Jamioulx ! Il y avait tellement de monde qui venait nous aider qu’on ne pouvait pas se tromper.
Stefanie : Et maintenant, 40 ans après, quel regard portes-tu sur cette lutte ?Aujourd’hui tout cela me semble très loin. Mais je vois que fondamentalement les choses n’ont pas beaucoup changé. La femme n’est toujours pas l’égale de l’homme. Maria, la sœur de mon mari a une petite fille qui est une vraie rebelle ! J’admire cette petite-fille car elle dit : « Moi je suis l’égale de mon compagnon. Et quand on rentre du travail, c’est le premier qui rentre qui commence à faire à manger ». Cela ma belle-sœur ne l’accepte pas, mais je lui dit : «Maria, c’est comme ça la vie ! On s’est battues pour ça ! »
Après notre licenciement, on nous appelait souvent pour aller parler dans les écoles. Le but n’était pas de nous mettre en valeur mais de défendre notre droit au travail. Devant des jeunes de 17 ou 18 ans, filles et garçons, on expliquait le pourquoi de notre grève. Un jour la maman d’une jeune fille nous a dit : « Vous ne trouvez pas que vous êtes allées trop loin ? Parce après tout vous n’êtes que des femmes ! » Je lui ai répondu : « Vous avez une fille ? Si vous pensez comme ça, vous devriez lui faire arrêter l’école ! Car si vous parlez ainsi ça ne vaut pas la peine qu’elle fasse des études car elle va prendre la place d’un homme !»
Guy : Et les responsables syndicaux de l’époque?
François Cammarata, responsable régional des métallos CSC, nous a carrément torpillées. Il a menacé par téléphone de faire licencier les maris des ouvrières qui continuaient la grève.
Du côté de la FGTB, Georges Staquet, Secrétaire général des métallos FGTB de Charleroi, ne nous a pas attaquées,… mais il n’ a rien fait pour nous non plus. Je me souviens que dans les locaux de la FGTB il était occupé au téléphone avec Ernest Glinne, député européen qui s’inquiétait de notre situation. Georges Staquet lui répétait : « Ne vous inquiétez pas Ernest, tout est arrangé ! » Nous entendions cela à travers la porte du bureau de Staquet car nous restions sur place dans les locaux de la FGTB. Après cela j’ai demandé à Marcelle Hoens (responsable nationale des Femmes FGTB) de nous mettre en rapport directement avec Ernest Glinne. J’ai expliqué à Glinne que, contrairement à ce qu’affirmait Georges Staquet, rien n’était réglé pour nous. Ernest Glinne m’a répondu : « Ce soir, je suis chez vous. ! » On lui a expliqué et il nous a dit : « Je vais vous emmener au Parlement européen à Strasbourg ».
Un jour, après mon licenciement, la honte car je devais pointer au bureau de chômage, c’était au moment des élections, le délégué principal FGTB Vandestrick était là en train d’expliquer à la chômeuse qui me précédait dans la file : « La femme qui est derrière vous, elle s’est battue pour ses droits et nous l’avons soutenue… » Je n’ai pas pu m’empêcher de dire : « Ne le croyez pas ! Il vous raconte des bobards ! Nous nous sommes battues CONTRE lui. Car s’il avait voulu nous aider, on n’en serait pas là et je ne serais peut-être pas en train de pointer aujourd’hui.» Il est parti sans demander son reste…
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Il y a 30 ans… Le «Dimanche noir» déclenchait un mouvement de masse antiraciste

L’une des nombreuses actions de Blokbuster au début des années 1990. En l’occurrence, une manifestation à Tielt, en Flandre occidentale, le 24 novembre 1994. La première grande percée électorale du Vlaams Belang (qui s’appelait alors le Vlaams Blok) s’est déroulée le 24 novembre 1991, une journée baptisée depuis le « Dimanche noir ». Des milliers de jeunes avaient alors envahi les rues. C’est à ce moment que notre campagne antifasciste Blokbuster a réuni 2.000 membres organisant des dizaines d’actions sous le slogan « Du travail, pas de racisme ! »
Du fumier sur un système pourri
La crise économique des années 1970 et l’essor du néolibéralisme dans les années 1980 ont mis fin à l’espoir de progrès social pour la classe ouvrière. Pour garantir les profits des grandes entreprises, de lourdes coupes budgétaires ont frappé les services publics. Les cadences de travail augmentaient et le chômage prenait son envol. En Europe, le chômage est resté stable autour de 2 % entre 1960 et 1975. Mais à partir de 1975, il a quadruplé pour atteindre 8 % au milieu des années 1980 et 10 % au milieu des années 1990. En Belgique, le taux de chômage a doublé au milieu des années 1970 et à nouveau au début des années 1980.
Il n’y avait plus d’espace pour des réformes en faveur du monde du travail. En France, François Mitterrand, élu sur base de promesses de réformes progressistes, a été mis sous pression par le capital et a dû revenir sur ses premières mesures. La chute du bloc de l’Est à la fin des années 1980 a renforcé l’offensive idéologique de ceux qui affirmaient qu’il n’y avait pas d’alternative. Cela a eu un profond impact sur les vieux partis ouvriers et la gauche en général.
En Belgique, le gouvernement de droite de Martens et Verhofstadt était tombé en 1986, à la suite de la mobilisation syndicale contre le Plan Val Duchesse. Les sociaux-démocrates sont revenus au gouvernement en 1987, sans que les promesses de changement de politique soient concrétisées… Les coupes budgétaires ont continué avec le PS et le SP au gouvernement.
C’est ce contexte qui permet de comprendre la percée du Vlaams Blok: d’abord aux élections communales à Anvers en 1988, puis avec plus de 10% en Flandre lors des élections législatives du 24 novembre 1991, sur base de slogans racistes tels que « Un demi-million de chômeurs, pourquoi avoir des travailleurs immigrés ? », ce qui est finalement devenu « Notre peuple d’abord », avec un gant de boxe symbolisant le rejet du monde politique traditionnel.
Une manifestation antifasciste de masse
Si le monde politique a été choqué par ces résultats, c’était essentiellement en raison des sièges perdus. Pour des dizaines de milliers de jeunes et de travailleurs, les choses se présentaient de manière toute différente : ils étaient sincèrement choqués par la montée du racisme et de l’extrême droite et sont spontanément descendus dans la rue.
La campagne antifasciste Blokbuster a été lancée à l’été 1991 avec l’objectif de donner aux jeunes un outil pour s’organiser localement et débattre des revendications et de la tactique pour contrer l’extrême droite. Au plus fort du mouvement, il existait 50 comités d’action de ce type en Flandre et presque toutes les réunions du Vlaams Blok ont connu des rassemblements de protestation autour du slogan « Du travail, pas de racisme !».
Ce slogan entendait balayer le terreau sur lequel se développe l’extrême droite en capitalisant le mécontentement social. L’accès au travail était une question centrale à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Au lieu de la division comme réponse aux pénuries, nous voulions y répondre en défendant l’emploi et les services publics. Blokbuster agissait contre toutes les formes de racisme et de discrimination en faisant le lien avec un programme social : semaine des 32 heures sans perte de salaire et avec embauches compensatoires, investissements dans les services publics, etc.
Outre des dizaines d’actions locales, Blokbuster a été à l’initiative de plusieurs grandes manifestations nationales, voire internationales. En 1992, une manifestation européenne contre le racisme a réuni 40.000 personnes à Bruxelles, dont d’importantes délégations d’Allemagne, où des néonazis avaient peu avant attaqué et incendié des centres d’asile à Rostock. Un an plus tard, une Marche des Jeunes pour l’Emploi et contre le Racisme a été organisée avec succès, avec le soutien des Jeunes FGTB et du Front antifasciste (AFF), et d’autres.
Une situation différente aujourd’hui
Après les nombreuses actions contre l’extrême droite dans la première moitié des années 1990, l’indignation est restée forte, mais les actions ont baissé d’intensité. Lorsque le Vlaams Belang a connu un déclin à partir de 2006-07, nous avons dit que ce n’était que temporaire. Un système reposant sur les carences sociales crée des tensions sociales et les éléments de division, comme le racisme. La N-VA a repris les électeurs du VB pendant un certain temps, mais a fini par rendre le racisme du VB plus « acceptable ».
Après la récession économique de 2008-09, la « reprise » n’a pas amélioré les conditions de vie de la majorité de la population. La crédibilité de toutes les institutions a encore chuté. C’est dans ce contexte que les populistes de droite du monde entier ont progressé aux élections, et sont même arrivés au pouvoir. Avec Trump, Modi et Bolsonaro, jusqu’à récemment, trois grands pays étaient gouvernés par des populistes de droite. Mais la politique de haine et de division n’apporte aucune solution aux problèmes sociaux : ces trois pays sont précisément ceux où le nombre de décès dus au coronavirus a été le plus élevé. La crise profonde du système laisse place à l’extrême droite et à l’essor de toutes sortes de préjugés, voire de théories du complot. Cet espace est plus grand en l’absence d’action collective de la part du mouvement ouvrier pour proposer l’alternative d’une autre société et ranger au placard les soi-disant « réponses » de la droite radicale.
Trente ans après le premier « Dimanche noir » et le mouvement antiraciste qui a suivi, il y a, à première vue, des raisons d’être pessimiste. Malgré toutes ces actions, l’extrême droite est plus forte qu’à l’époque, notamment au niveau électoral. Mais nous sommes optimistes. En 2020, le mouvement Black Lives Matter a créé le plus grand mouvement social des États-Unis depuis des décennies avec pour slogan populaire « C’est tout le système qui est coupable ! ». Parallèlement, on assiste à une résistance croissante au sexisme, à la LGBTQI+phobie et à tout ce qui nous divise.
Un système en crise tente de trouver des boucs émissaires : c’est toujours la faute de quelqu’un d’autre et de préférence les groupes les plus faibles dans la société : les réfugiés, les migrants, les chômeurs, les jeunes,… Les travailleurs et les jeunes ne doivent pas tomber dans le panneau. Sans quoi nous risquons d’être le prochain bouc émissaire. En revanche, nous avons besoin de lutter ensemble pour défendre nos conditions de vie et, en fin de compte, pour un changement radical de société. Pour imposer le changement indispensable, nous avons besoin de l’unité des travailleurs et de toutes les personnes opprimées. L’extrême droite et le racisme sont des obstacles dans ce combat.
Si les antiracistes d’aujourd’hui doivent retenir quelque chose du mouvement antiraciste des années 1990, c’est l’importance des comités d’action pour diriger la lutte et la nécessité d’un programme politique qui, avec des revendications sociales et des initiatives audacieuses, renforce l’unité nécessaire pour atteindre une société socialiste.
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Sophia Poznanska. L’histoire d’une héroïne de la Résistance antinazie
La résistance antifasciste au nazisme a donné naissance à de nombreux héros. Un nouveau livre d’Anne Vanesse raconte ainsi l’histoire de Sophia Poznanska, une jeune femme d’origine juive devenue communiste en Palestine et son rôle important dans l’Orchestre rouge, un mouvement de contre-espionnage soviétique. Les nazis ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour empêcher que les précieuses informations ne parviennent à Moscou. Sophia Poznanska a finalement été arrêtée et s’est suicidée à la prison de Saint-Gilles pour échapper aux tortures de la Gestapo.Le combat et la vie des résistants sont généralement méconnus du grand public. Il revient aux antifascistes et au mouvement ouvrier de raconter l’histoire de leurs propres héros. Ce livre sur Sophie Poznanska doit être considéré dans ce cadre. Il fait explicitement référence à des pionniers comme Gilles Perrault qui, dans les années 1960, a fait connaître à un large public l’histoire remarquable de Léopold Trepper et de l’Orchestre rouge. À la fin de ce nouveau livre se trouve une interview intéressante de Gilles Perrault. On m’a demandé d’écrire une préface sur le regard que les marxistes portent sur l’Orchestre rouge, sur le rôle de certains autres membres de l’Orchestre rouge, comme l’Anversoise Vera Akkerman, et de faire le lien avec les luttes antifascistes actuelles.
Poznanska a connu une jeunesse difficile en Pologne, où elle s’est engagée très tôt dans le mouvement Hachomer Hatzaïr. Ce mouvement de jeunesse était sioniste de gauche, un mouvement fortement implanté parmi les migrants juifs en Palestine. Le sionisme était une réaction au racisme anti-juif en Europe. En Palestine, Poznanska, comme Léopold Trepper et d’autres, s’est détournée du sionisme. Elle constatait que la « terre promise » ne signifiait pas la fin de la lutte des classes et fut choquée par l’oppression de la population arabe. Poznanska est devenue communiste parce qu’elle a compris que pour mettre fin à toutes les formes d’oppression, il fallait changer la société. De nombreux dirigeants du Parti communiste palestinien ont dû partir dans les années 1930 en raison de la répression exercée par les colons britanniques. Sophia s’est retrouvée à Paris, puis à Bruxelles. Elle y a poursuit ses activités, entre autres dans l’Orchestre rouge. Ce groupe de résistance transmettait des informations à Moscou, notamment les plans d’invasion de l’Union soviétique par les nazis. Sophia Poznanska a joué un rôle central dans la branche bruxelloise de ce groupe de résistance. En 1941, elle a été arrêtée et torturée par la Gestapo. Elle n’a pas avoué. Pour s’assurer qu’elle ne donnerait aucune information aux nazis, elle s’est suicidée en 1942 à la prison de Saint-Gilles.
Ce livre raconte non seulement l’histoire de Sophia Poznanska, mais fournit également des informations intéressantes sur les origines du Parti communiste palestinien et les débats au sein de la gauche de l’époque sur la lutte contre toutes les formes d’oppression. Il faut davantage de livres qui mettent en lumière le rôle des héros de la résistance antifasciste et qui peuvent servir d’inspiration à ceux qui se dressent aujourd’hui contre l’extrême droite, contre l’oppression et pour une société socialiste.
– Anne Vanesse, Sophia Poznanska. Du Parti communiste palestinien à l’Orchestre rouge, Éditions Cimarron, 2021, 250 pages. En vente en ligne auprès de notre webshop au prix de 12€ + frais de port.
– Lancement du livre le vendredi 5 novembre à 17 heures au centre “De Markten” (Rue du Vieux Marché aux Grains n°5, Bruxelles). Intervenants : Anne Vanesse et Geert Cool. -
Les premiers pas du mouvement communiste en Chine

Chen Duxiu Au cours de cet été 2021, les médias ont évoqué le 100e anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois. Mais à part la date de fondation du parti (28 juillet 1921), le lieu (une petite maison située dans la concession française de Shanghai) et une référence à la Longue Marche (1934-1935) emmenée par Mao Zedong, rien de significatif n’a été publié. Il est vrai qu’en Europe on connaît en général très peu l’histoire de la Chine, son passé lointain et les bouleversements révolutionnaires qui ont ébranlé ce pays au 20e siècle. Impossible, dans le cadre d’un court article, de retracer le cours de tous ces événements en une fois. Aussi, la suite paraîtra dans le prochain numéro de ce journal.
Par Guy Van Sinoy, texte paru en 2 partie dans le mensuel Lutte Socialiste (édition de septembre et octobre 2021)
1911: l’empire chinois tombe en miettes
L’empire chinois remontait à 20 siècles avant J-C(1). Au 19e siècle, la Chine faisait l’objet de la convoitise des puissances impérialistes. La Grande-Bretagne mène de 1839 à 1842 une guerre pour ouvrir la Chine au trafic de l’opium produit en Inde. Ensuite une coalition impérialiste (Grande-Bretagne, France, États-Unis) mène une deuxième guerre de l’opium, de 1856 à 1860. Ces expéditions militaires impérialistes visaient à dépouiller le pays et arracher des concessions territoriales. D’autre part, plus de 1.500 seigneurs de la guerre, grands et petits, se battaient les uns contre les autres, district contre district, en empochant les impôts avec des années d’avance.
En octobre 1911 à Wuhan, le cœur économique de la Chine centrale, quatre bataillons de l’armée menés par de jeunes officiers républicains, qui s’opposaient depuis des années à la dynastie Quing, occupent l’arsenal, attaquent le palais et forcent le gouverneur à fuir. En moins d’un mois, la plus grande partie de la Chine méridionale passe du côté de la révolution. L’empire s’écroule comme un château de cartes. Puyi, dernier empereur de la dynastie Quing, abdique le 10 octobre 1911 et un gouvernement provisoire, présidé par Sun Yat-sen, est formé à Nankin, la capitale.
En 1912 Sun Yat-sen fonde un parti nationaliste bourgeois, le Kuomintang (Parti national du Peuple). La bourgeoisie chinoise prônait la réunification du pays, l’unification du marché national et l’élimination de tous les obstacles, comme l’avait fait la bourgeoisie en Europe au cours des siècles de son ascension. Malgré sa volonté de débarrasser le pays des vestiges féodaux, la bourgeoisie chinoise redoutait la montée en puissance de la classe ouvrière.
La lutte de classes secoue le pays
La situation misérable du prolétariat chinois rappelait, en pire, la situation de la classe ouvrière anglaise décrite par Engels en 1844. Les grèves éclatent le plus souvent spontanément pour des motifs économiques et pour l’amélioration des conditions de travail. Des grèves de masse marquent la période 1922-1923. En janvier 1922 120.000 marins de Hongkong font grève pendant 56 jours pour améliorer les salaires. Les armateurs étrangers doivent céder. En octobre, 50.000 mineurs à Kailan (une mine gérée par la Chine et la Grande-Bretagne) cessent le travail pendant 25 jours pour arracher une hausse de salaire. La répression est souvent brutale. Lors de la grève générale des cheminots en 1923, Lin Xiangqian, secrétaire du syndicat, est décapité au sabre pour avoir refusé d’appeler à la reprise du travail.
23 juillet 1921: fondation du PC chinoisA son congrès de fondation le Parti communiste chinois est une organisation très petite : quelques dizaines de membres! Il a comme figures de proue Li Dazaho et Chen Duxiu, un intellectuel prestigieux qui est élu Secrétaire général. Mao Zedong, bien que présent au congrès, n’a eu aucune part active dans les débats. A partir de son expérience en Indonésie, l’envoyé du Komintern, Maring (2), propose, contre l’avis de Chen Duxiu, que le PCC soutienne le Kuomintang. Au début des années 1920, le Kuomintang est désorganisé et Sun Yat-sen demande à Moscou(3), qui répond favorablement, à renforcer son organisation.
En 1923 le PC chinois compte 420 membres. Il entre dans le Kuomintang qui, de son côté, a 50.000 membres ! Sun Yat-sen meurt en mars 1925. Tchang-Kaï-Chek, un militaire de carrière, manœuvre pour prendre la direction du Kuomintang…
Shanghai, 1927: l’écrasement de la révolution chinoise (2e partie)
Dans le numéro de septembre 2021 j’ai brièvement fait le portrait de la Chine au début du XXe siècle : pays semi-colonial avec une économie où les masses paysannes étaient exploitées par de grands propriétaires terriens. La dynastie Qing, liée à l’aristocratie terrienne, vivait repliée sur la Cité interdite en déléguant le pouvoir en province à des gouverneurs locaux et cédait aux grandes puissances impérialistes des « concessions » territoriales où se concentraient les industries.
Le Kuomintang (KMT)
Un parti nationaliste et républicain (Kuomintang), fondé en 1905 par Sun Yat-Sen, un intellectuel occidentalisé, portait les aspirations des couches intermédiaires de la société. Le KMT prit la tête d’un soulèvement initié par le corps des officiers et la république fut proclamée en 1911. Le Nord de la Chine resta aux mains des seigneurs de la guerre tandis que l’influence du KMT s’étendait dans les villes du Sud où se concentraient les industries : Canton, Shanghai, Hongkong, Wuhan.
Le Komintern, le PCC et le KMT
À sa fondation, en 1921, le Parti communiste chinois (PCC) ne comptait que quelques dizaines de membres. Sous les recommandations des envoyés du Komintern, les membres du PCC durent s’affilier individuellement au KMT pour tenter de l’orienter. À la mort de Sun Yat-sen, en 1925, Tchang Kaï-chek, un officier de carrière, prit la tête du KMT. Le PCC était alors devenu un parti de masse et comptait 60.000 membres. L’aile droite du KMT prit peur et, avec l’accord de Tchang Kaï-chek, décida de combattre les communistes.
Après l’échec de la révolution allemande en 1923, les responsables du Komintern portaient leurs espoirs révolutionnaires sur la Chine afin de briser l’isolement de la Russie soviétique. À Moscou, Staline et Boukharine soutenaient la participation du PCC au KMT, dans le cadre de la pseudo théorie du « bloc des quatre classes » (bourgeoisie nationale, petite bourgeoisie, prolétariat, paysannerie). Alertés par le suivisme du PCC à l’égard du KMT, Trotsky et Zinoviev tiraient la sonnette d’alarme et recommandaient au PCC de rompre avec le KMT.
Canton 1926, Shanghai 1927
À Canton en 1926, la quasi-totalité du pouvoir était aux mains du comité de grève qui, depuis juin 1925, organisait les travailleurs et disposait de milices armées. Le 20 mars 1926, Tchang Kaï-chek proclama la loi martiale, fit désarmer les piquets de grève, arrêta les communistes qui dirigeaient la grève. Le PCC, paralysé par les consignes du Komintern, ne réagit pas.
Shanghai regroupait alors la moitié des ouvriers d’usine du pays. Tchang Kaï-chek, appuyé par les seigneurs de la guerre, prit alors contact avec les puissances impérialistes pour obtenir leur soutien. Le 12 avril 1927 les troupes de Tchang Kaï-chek attaquèrent les syndicats et toutes les organisations ouvrières de la ville. Des milliers de communistes furent exécutés (fusillés, décapités, ou encore brûlés vifs dans les chaudières des locomotives). Cet épisode tragique de la lutte de classes marqua la fin de l’influence de masse du PCC dans la classe ouvrière chinoise. La révolution chinoise qui aura lieu des décennies plus tard sous la direction de Mao Tsé-toung, s’appuiera sur les campagnes.
Après coup, l’Exécutif du Komintern a rendu Chen Du-xiu, secrétaire du PCC, responsable de la défaite. Écarté de la direction, puis exclu, Chen Du-xiu se rallie à Trotsky et à l’opposition de gauche. Condamné à 13 ans de prison par le KMT en 1932, il meurt en prison. Peng Shu-zhi, bras droit de Chen Du-xiu, avait proposé à plusieurs reprises de rompre avec KMT. Exclu de la direction, puis du PCC, avec Chen Du-xiu, il rallie l’opposition de gauche puis, en exil, la 4e Internationale où il restera politiquement actif jusqu’à sa mort en 1983.
Notes :
1) Ainsi, l’armée des guerriers en terre cuite enterrée à Xian, remonte à l’empire Quin (220 ans avant J-C), une époque antérieure à l’empire romain.
2) Maring était le pseudonyme de Henk Sneevliet, un militant communiste néerlandais qui avait lutté contre le colonialisme en Indonésie de 1913 à 1918.
3) Le 28 août 1921, Sun Yat-sen écrit à un responsable bolchevik : « Je suis extrêmement intéressé par votre œuvre, en particulier par l’organisation de vos soviets, de votre armée, de votre éducation. Avec mes meilleurs vœux pour vous-même, pour mon ami Lénine et pour tous ceux qui ont tant œuvre pour la cause de la liberté humaine. » (Lénine, Œuvres, tome 45, p. 747)Pour en savoir plus…
– L’envol du communisme en Chine (mémoires de Peng Shuzhi), Ed. NRF, Paris, 1983, 488p.
– Origines et défaite de l’internationalisme en Chine 1919-1927, Anthologie, Ed. Science marxiste, Montreuil-sous-Bois, 2021, 560p.
– Histoire de l’Internationale communiste 1919-1943, Pierre Broué, Fayard, Paris ; 1997, 1120 p. -
Retour sur la défaite soviétique en Afghanistan

Le texte qui suit a été publié le 10 février 1989 dans le numéro 931 du Militant, qui était alors le journal de la section britannique du Comité pour une Internationale Ouvrière, devenu depuis lors Alternative Socialiste Internationale.
Introduction
La décision de la bureaucratie soviétique, sous la direction de Mikhaïl Gorbatchev, de retirer ses forces militaires d’Afghanistan – décidée en mars 1988 et achevée en février 1989 – a marqué un tournant décisif. C’était un tournant non seulement pour l’Afghanistan, mais aussi pour l’ancienne Union soviétique, qui était à l’aube de l’effondrement interne qui a suivi la chute du mur de Berlin en novembre 1989. Juste après le retrait soviétique, le régime “marxiste” de Najibullah a d’ailleurs rapidement été renversé, ouvrant la voie à une guerre interne barbare entre les groupes de moudjahidin. Cette nouvelle période de guerre civile, qui a infligé la mort, la destruction et la dépossession à de larges pans de la population afghane, a créé les conditions de la montée en puissance des talibans et de leur prise de pouvoir en 1996. La déclaration que nous republions ici, publiée pour la première fois sous forme d’éditorial dans le numéro du 10 février 1989 de Militant, offrait, à notre avis, une perspective prémonitoire qui a été largement confirmée par les événements ultérieurs.
L’accord entre Moscou et l’impérialisme, avertissait l’éditorial, allait “ouvrir une période de guerre civile au cours de laquelle l’Afghanistan sera déchiré entre seigneurs de guerre rivaux”. L’article prédisait une phase encore plus sanglante de la guerre civile : les milices rivales étaient “incapables… de former un gouvernement”. “Avec les moudjahidin, l’impérialisme a créé un monstre”. Nous avions également averti que, si Najibullah était renversé, les avancées sociales acquises sous le régime, qui étaient importantes bien que limitées et contradictoires, seraient rapidement supprimées. Cela s’est avéré exact. Même si les talibans devaient aller encore plus loin par la suite, les forces islamiques qui se disputaient le pouvoir sous le gouvernement chancelant de Burhanuddin Rabbani à Kaboul ont abrogé les mesures de réforme agraire, imposé la charia (la loi islamique) et refusé aux femmes l’éducation et l’accès aux professions libérales.
Le cours des événements a justifié la position que nous avons adoptée tant à l’égard de l’occupation soviétique que du retrait des forces soviétiques. Lorsque la bureaucratie soviétique a envoyé des forces en décembre 1979 pour soutenir le gouvernement chancelant de Karmal, Militant s’est opposé sans équivoque à cette invasion. Selon nous, tout avantage pour le peuple afghan découlant de la défense de la réforme agraire et des changements sociaux radicaux ne feraient pas le poids face à la réaction à l’invasion soviétique, la première intervention directe des forces soviétiques en dehors du “bloc de l’Est” depuis le lendemain de la seconde guerre mondiale. L’impérialisme américain, bien sûr, a réagi férocement, utilisant l’”agression” soviétique comme prétexte pour une nouvelle accélération de son armement. Dans le même temps, les travailleurs politiquement conscients au niveau international ont réagi contre les tentatives d’imposer un changement “socialiste” par le haut et la force militaire, sans base de soutien de masse, et apparemment sans tenir compte des conditions et de la culture locales. En outre, il était évident que la faible base du régime, et l’opposition armée incessante à laquelle il était confronté, érodaient les réformes qui avaient été mises en place après l’arrivée au pouvoir du régime stalinien afghan en 1978.
Malgré cela, une fois les forces soviétiques envoyées sur place, nous n’avons pas défendu leur retrait. Selon nous, un retrait aurait signifié l’effondrement inévitable du régime, l’annulation des mesures sociales progressistes et la plongée du pays dans une guerre civile barbare. Les seigneurs de guerre islamiques étaient liés à des forces sociales réactionnaires, à des chefs tribaux, à des propriétaires terriens, à des marchands, à des vendeurs au noir et à des barons de la drogue, dont les intérêts prévaudraient en cas de conflit chaotique. Cela ne s’est avéré que trop vrai.
La décision de Gorbatchev de se retirer d’Afghanistan était principalement motivée par le désir de trouver un arrangement avec l’impérialisme américain, bien que la pression interne croissante ait également joué un rôle important. La guerre en Afghanistan s’avérait être un bourbier, un gaspillage sans fin de ressources, tandis que les pertes soviétiques croissantes suscitaient un mécontentement grandissant dans le pays. Gorbatchev, représentant de l’aile technocratique et plus jeune de la bureaucratie soviétique, souhaitait un rapprochement avec l’impérialisme afin de se ménager un espace pour sa tentative de réforme de l’appareil stalinien dépassé. En réalité, il était trop tard. La profondeur et l’étendue de la décomposition de l’économie planifiée, due à la mauvaise gestion bureaucratique et à la corruption de l’élite dirigeante (la “nomenklatura”) étaient telles que toute tentative de modernisation interne du système était vouée à l’échec. Il est vite apparu clairement, avec la chute du mur de Berlin, que le système bureaucratique du stalinisme ne pouvait plus assurer le progrès social le plus basique – croissance économique, plein emploi et protection sociale élémentaire – en Union soviétique ou dans les États satellites d’Europe de l’Est. Faut-il s’étonner, dans cette optique, que les dirigeants soviétiques aient abandonné Najibullah (qui a remplacé Babrak Karmal en 1986) à son horrible sort ?
Bien sûr, l’Afghanistan n’était pas le seul cas. Sous Gorbatchev, la bureaucratie soviétique a fait savoir qu’elle n’était plus disposée à apporter un énorme soutien économique et militaire aux régimes bonapartistes de type stalinien qui avaient été soutenus sous Brejnev dans les années 1970, lorsque la bureaucratie s’efforçait d’étendre son pouvoir stratégique international. Dans les années 1980, il est devenu évident que les régimes de pays comme l’Éthiopie et l’Angola, ainsi que l’Afghanistan, ne pouvaient pas garantir la stabilité et la croissance économique – et ne pouvaient plus compter sur le soutien inconditionnel des Soviétiques. Le message sans équivoque des dirigeants soviétiques selon lequel ils n’étaient pas prêts à apporter un soutien matériel et stratégique conséquent au régime sandiniste du Nicaragua, malgré le soutien indéfectible des États-Unis aux Contras, a marqué un changement décisif dans la politique étrangère de Moscou.
Au début de l’année 1989, cependant, nous ne savions pas exactement – ni personne d’autre d’ailleurs – où en était le processus de décomposition interne des États staliniens. L’éditorial suggérait, par exemple, qu’un scénario possible en Afghanistan pourrait être une partition du pays, l’Union soviétique soutenant un régime de Najibullah réduit dans la zone nord, ne serait-ce que pour protéger sa propre frontière. En l’occurrence, Moscou n’a même pas tenté de sauver les derniers vestiges de son ancien régime-client. Quelques mois plus tard, les différents éléments de l’élite soviétique au pouvoir se battaient entre eux pour s’assurer de nouvelles sources de pouvoir politique et se chamaillaient pour s’emparer de leur propre part du butin alors que l’économie autrefois dirigée par l’État se fragmentait. Le retour, par le biais d’une contre-révolution politique, à une économie capitaliste barbare et primitive dans l’ancienne Union soviétique était le pendant de la descente en enfer de l’Afghanistan dans la guerre civile sauvage et la régression sociale.
L’impérialisme américain a célébré sa grande “victoire sur le communisme”, mais a immédiatement tourné le dos à l’Afghanistan, n’offrant aucune ressource pour la reconstruction du pays déchiré par la guerre. Washington était indifférent au conflit entre les milices en présence. Avec la disparition de l’Union soviétique, ce pays lointain n’était plus considéré comme ayant une réelle importance stratégique. Ironiquement, il s’agit d’un retour à la position adoptée par les États-Unis dans les années 1960 et 1970, lorsque leur réticence à fournir une aide économique a conduit des dirigeants nationalistes comme Mohammed Daoud à se tourner de plus en plus vers l’Union soviétique pour obtenir une aide militaire et économique.
Entre le renversement de Najibullah en 1992 et 1995-96, les seigneurs de guerre rivaux se sont battus jusqu’à une impasse si destructrice qu’ils ont créé un vide chaotique qui a facilité l’émergence d’une nouvelle force, les Talibans, financée, armée et entraînée par l’armée pakistanaise et le régime réactionnaire saoudien. En outre, l’état anarchique du pays, dépourvu de gouvernement central efficace, en a fait une base idéale pour les groupes armés islamiques non étatiques provenant de plusieurs pays, dont ceux d’Oussama ben Laden et du réseau Al-Qaïda.
L’Afghanistan après les Russes (Militant, n°931, 10 février 1989)
À la grande surprise des gouvernements capitalistes occidentaux, toutes les forces russes seront retirées d’Afghanistan avant le 15 février. L’empressement de Gorbatchev à respecter le délai convenu est cependant aussi unilatéral que les accords de Genève de 1988. Dans le cadre de cet accord parrainé par les Nations unies entre l’URSS, les États-Unis et le Pakistan, les deux parties ont convenu de cesser toute “ingérence” et de supprimer progressivement le soutien militaire aux forces en présence en Afghanistan. Bien que l’Union soviétique ait méticuleusement respecté le pacte à la lettre, ni les États-Unis (par l’intermédiaire de la CIA), ni le Pakistan n’ont cessé de financer et d’armer les moudjahidin.
Lorsqu’il est devenu évident que les forces russes allaient effectivement se retirer à la date convenue, les puissances occidentales, menées par les États-Unis et soutenues avec ferveur par Thatcher, ont intensifié leurs efforts pour déstabiliser le régime du président Najibullah. Le retrait de toutes les missions diplomatiques occidentales, par exemple, était manifestement une tentative calculée de contribuer à précipiter l’effondrement du régime de Kaboul.
Les reportages sur l’Afghanistan ont toujours été marqués par des histoires de propagande exagérées, et cela continue sans aucun doute. Néanmoins, l’image de chaos et d’effondrement croissant qui émerge des reportages télévisés et des journaux capitalistes sérieux est trop cohérente pour être ignorée.
Najibullah proclame qu’il combattra les moudjahidin jusqu’au bout. Il soutient qu’il ne se retirera pas pour laisser la place à un gouvernement de compromis. Rejetant les affirmations selon lesquelles son régime est au bord de l’effondrement, il déclare que l’armée afghane a été renforcée. Kaboul, affirme-t-il, continuera à être approvisionnée, avec l’aide de la Russie. Cependant, les moudjahidin, malgré leurs rivalités internes, ont intensifié leurs efforts pour assiéger Kaboul et d’autres villes, et pour couper l’autoroute Salang, qui est la voie de communication vitale de Kaboul. Les rapports font état de pénuries de pain et d’essence. La ville est envahie par plus d’un million de réfugiés. La dureté des conditions de vie de certaines parties de la population a été aggravée par un hiver exceptionnellement froid. Certains rapports, sans doute hostiles au régime, affirment que les fonctionnaires et les membres de l’armée afghane désertent de plus en plus leurs postes. Najibullah a récemment déclaré aux journalistes : “Bien sûr, bien sûr – je suis confiant”. Les porte-parole des gouvernements occidentaux, en revanche, affirment que ses jours sont comptés.
Quelle que soit la tournure des événements, il ne fait aucun doute que la situation a atteint un point critique. Les différents groupes de moudjahidin, encouragés par le départ des Russes, ont intensifié leur offensive. Unis dans leur opposition au régime de Najibullah, ils s’opposent désormais de manière intransigeante à la participation du parti au pouvoir, le Parti démocratique des peuples d’Afghanistan (PDPA), à toute assemblée provisoire ou gouvernement de transition. Le PDPA ayant été privé du soutien militaire russe, les moudjahidin ne voient aucune raison de faire des compromis.
Cependant, à part cela, les moudjahidin sont totalement divisés. Il existe sept groupes dont les chefs sont basés au Pakistan, et huit groupes dont les chefs sont en Iran. Ils représentent différentes sections des anciennes strates dirigeantes de l’Afghanistan et ont différents commanditaires et mécènes réactionnaires à l’étranger (bien que la plupart d’entre eux reçoivent une part de l’argent et des armes en provenance des USA). Ils sont divisés sur des lignes ethniques et tribales locales. Certains sont sunnites et d’autres chiites, dont beaucoup sont des fondamentalistes islamiques extrémistes.
Les groupes rivaux se battent entre eux pour le contrôle des zones et du butin autant que contre le régime. Jusqu’à récemment, certains groupes avaient conclu une longue trêve avec l’armée russe. Ces “résistants héroïques” sont responsables d’une grande partie du million de morts. Une grande partie des sept millions d’Afghans qui sont aujourd’hui réfugiés ont été contraints de fuir leur région d’origine en raison des activités barbares des moudjahidin.
Dans les moudjahidin, l’impérialisme a créé un monstre. Le chef d’une faction, le Front national islamique “modéré” basé au Pakistan, a dénoncé ses rivaux chiites comme étant “plus sauvages que les communistes parce qu’ils pillent et tuent sous le couvert de l’Islam. S’ils prennent le pouvoir, le bain de sang se poursuivra pendant encore dix ans”.
Aujourd’hui, alors que des signes indiquent que le régime de Kaboul risque sérieusement de perdre le contrôle des villes clés du sud et des axes routiers stratégiques, le mouvement de “résistance” menace le pays d’une réaction violente et barbare. Loin de garantir la paix et la stabilité, les “accords” entre l’impérialisme et la bureaucratie dirigeante de l’URSS ouvriront une période de guerre civile dans laquelle l’Afghanistan sera déchiré entre les seigneurs de la guerre rivaux.
L’invasion soviétique
Comment en est-on arrivé à cette situation ? Pourquoi, après avoir envahi le pays à Noël 1979, les dirigeants russes ont-ils retiré leurs forces si précipitamment ? Quel sera le sort du régime et des changements sociaux fondamentaux (mais déformés) amorcés en 1978-79 ?
Lorsque la bureaucratie russe a envahi l’Afghanistan, Militant s’est prononcé contre. Tout gain obtenu par la défense des mesures visant à abolir le pouvoir des seigneurs de guerre et le capitalisme en Afghanistan, avons-nous soutenu, serait complètement annulé par les effets négatifs sur la conscience de la classe ouvrière au niveau international.
Néanmoins, une fois que les forces russes sont entrées en Afghanistan, nous avons fait valoir que ce serait une erreur de demander leur retrait. Cela aurait signifié, en fait, soutenir les moudjahidin – dont le programme était de rétablir la réaction médiévale.
Cette analyse a été confirmée par les événements. La stratégie erronée des dirigeants du Kremlin, ainsi que les méthodes bureaucratiques utilisées en Afghanistan, ont abouti au pire des mondes.
Lorsque Brejnev a ordonné l’invasion de l’Afghanistan, il ne s’attendait pas à la réaction furieuse de l’impérialisme américain et de ses alliés. Après tout, même sous le précédent régime bourgeois bonapartiste de Daoud, l’Afghanistan avait été dans la sphère d’influence de la Russie. L’arrivée au pouvoir d’un régime bonapartiste prolétarien (basé sur une économie planifiée et nationalisée mais présidé par une élite totalitaire) sous Taraki en avril 1978 a évidemment pris le Kremlin par surprise. Mais lorsque la survie du nouveau régime a été menacée par sa propre discorde interne et ses mesures autocratiques visant à imposer une révolution par le haut, les dirigeants russes se sont sentis obligés d’intervenir pour défendre leur régime-client.
La bureaucratie avait récemment envoyé des armes et une aide économique pour consolider les régimes bonapartistes prolétariens qui avaient pris le pouvoir en Angola et au Mozambique. Et à cette époque, les effets de la défaite de Washington au Vietnam l’empêchait encore d’intervenir activement contre les mouvements révolutionnaires. L’invasion de l’Afghanistan, cependant, est survenue alors que la position de l’impérialisme américain avait changé. Sous Carter, et surtout sous Reagan, les États-Unis s’efforçaient de surmonter le “syndrome du Vietnam” et de réaffirmer leur puissance sur la scène mondiale.
L’invasion était une occasion en or, un cadeau de propagande, qui pouvait être utilisé pour dénoncer “l’agression communiste” et justifier un nouvel élan dans la construction des arsenaux militaires et des forces de frappe américains. Sous Brejnev, les dirigeants russes étaient prêts à supporter à la fois le coût de la guerre et ses répercussions internationales. Mais depuis 1979, la position de la bureaucratie a également changé. Sous Gorbatchev, elle a dû faire face aux conséquences d’une croissance économique en déclin due à une mauvaise gestion bureaucratique de l’économie nationalisée.
Les dépenses militaires, qui absorbaient environ 15 % de la production nationale de l’URSS, sont devenues un énorme fardeau. La bureaucratie doit trouver les ressources nécessaires à la modernisation de l’industrie, tout en essayant de maintenir le niveau de vie de la classe ouvrière. Gorbatchev s’efforce donc de trouver un arrangement avec l’impérialisme américain. Il cherche désespérément des accords qui ralentiront l’escalade paralysante des dépenses d’armement. Ces derniers jours, il a annoncé une réduction de 19 % du budget officiel de la défense de l’URSS (bien que le budget réel soit beaucoup plus élevé). Un demi-million de soldats seront démobilisés et 10 000 chars seront mis hors service. Ces réductions visent à la fois à rassurer les dirigeants capitalistes et à influencer les opinions publiques occidentales pour qu’elles fassent pression sur leurs gouvernements en vue d’une réduction des armements.
Dans les calculs de Gorbatchev, le maintien de la position en Afghanistan est d’une importance secondaire par rapport à la possibilité de conclure des accords avec la superpuissance américaine et ses alliés capitalistes. Toutefois, sa conviction qu’il sera possible de parvenir à un accord durable avec l’impérialisme est une illusion. Malgré tous les pourparlers et les concessions russes jusqu’à présent, les États-Unis continuent de renforcer leur soutien aux moudjahidin en Afghanistan. Lorsque la crise du capitalisme mondial s’intensifiera, l’antagonisme social fondamental entre l’impérialisme et le stalinisme entraînera inévitablement un retour à des politiques ouvertement hostiles.
L’Afghanistan n’est pas le seul endroit où la bureaucratie russe bat en retraite. Le Kremlin exerce des pressions pour parvenir à un accord avec les États-Unis et l’Afrique du Sud sur la Namibie. Il a retiré un soutien important au régime sandiniste du Nicaragua, qui est au bord de l’effondrement économique. En Asie du Sud-Est, les dirigeants russes font pression pour le retrait des forces vietnamiennes du Cambodge.
Une défaite pour la bureaucratie
Dans le cas de l’Afghanistan, cependant, la bureaucratie russe se retire sans avoir réussi à consolider le régime de manière décisive. Dans certaines régions, notamment dans le nord, la réforme agraire a été menée à bien. L’assainissement et la santé ont été améliorés, et la situation de certaines catégories de femmes s’est énormément améliorée. L’éducation a commencé à s’attaquer à l’analphabétisme écrasant de la population afghane. Mais les progrès sont inégaux, et seule une couche très mince de la société a été fermement soutenue.
La bureaucratie russe est intervenue en premier lieu en raison des méthodes bureaucratiques maladroites du régime afghan. Dans les régions où il y avait de grands domaines, les réformes agraires ont reçu un soutien général. Dans d’autres régions, cependant, la situation était plus compliquée, avec de nombreuses formes différentes de régime foncier, de métayage, de droits de pâturage tribaux, etc. Le régime a tenté de faire passer les changements en force sans obtenir un soutien massif de la part de la paysannerie et des populations tribales, et sans le soutien matériel nécessaire pour assurer le succès des réformes.
La société afghane a toujours été divisée par les loyautés tribales, et les méthodes bonapartistes de Kaboul ont suscité une opposition féroce dans de nombreuses régions. Aucun gouvernement de Kaboul n’a jamais exercé plus qu’une vague suzeraineté sur l’ensemble du pays. Ensuite, l’intervention d’un envahisseur étranger pour soutenir le nouveau régime de Kaboul a provoqué une opposition encore plus large de la part des différents groupes nationaux et tribaux.
La bureaucratie russe a fourni un énorme soutien économique et militaire. Elle a forcé Najibullah à abandonner l’étiquette “marxiste”, dans le but d’élargir son soutien. Mais ils ne sont toujours pas parvenus à consolider une base solide pour le régime. Cet échec a ouvert un terrain fertile à l’impérialisme pour fomenter une résistance religieuse et nationaliste.
Le retrait russe, dans ces circonstances, est une défaite pour la bureaucratie. Cela a été admis, implicitement, dans les récentes déclarations de Gorbatchev et du ministre des Affaires étrangères Chevardnadze. Les soldats russes de base partent sans avoir le sentiment d’un “accomplissement révolutionnaire”.
Mais la comparaison entre cette défaite de la bureaucratie et la défaite de l’impérialisme américain au Vietnam est totalement fausse. Malgré le coût de la guerre, les 15 000 morts russes et bien d’autres victimes, la bureaucratie n’est pas chassée par la défaite militaire. Gorbatchev et compagnie ont décidé que, compte tenu de leurs objectifs politiques mondiaux, il n’était pas utile de s’accrocher à l’Afghanistan.
De plus, au Vietnam, les États-Unis ont été confrontés à une lutte nationale unie, fondée sur les intérêts sociaux de la paysannerie, en particulier sa demande de terres. Le ramassis de groupes religieux et tribaux qui composent la “résistance afghane” est incapable de s’unifier en un mouvement national cohérent avec des objectifs communs. Grâce à l’argent et aux armes des mécènes étrangers, ils ont pu paralyser le régime dans de nombreuses régions. Ils menacent maintenant de plonger l’Afghanistan dans une nouvelle phase de guerre civile, encore plus sanglante. Mais ils sont eux-mêmes incapables de former un nouveau régime.
Le régime de Najibullah survivra-t-il ? Son sort est clairement dans la balance. Gorbatchev et Chevardnadze continuent de lui apporter un soutien indéfectible. Pourtant, ces dernières semaines, les diplomates du Kremlin ont négocié intensivement avec les dirigeants des moudjahidin. Ils ont avancé l’idée d’une shura (assemblée) représentant tous les groupes, y compris le PDPA au pouvoir. En échange d’un nouveau gouvernement comprenant de “bons musulmans” (les ministres actuels qui ne sont pas membres du PDPA) et un ou deux membres du PDPA, ils ont indiqué qu’ils seraient prêts à laisser tomber Najibullah et à le faire sortir du pays, lui et son cabinet, par avion, vers les villas déjà préparées pour eux en URSS.
Si certains chefs moudjahidin sont prêts à accepter de “bons musulmans”, aucun n’est prêt à accepter la participation du PDPA. Le Kremlin n’a donc guère d’autre choix que de continuer à soutenir Najibullah. Lui couper l’herbe sous le pied maintenant précipiterait sans aucun doute l’effondrement total du régime. En outre, Najibullah bénéficie toujours du soutien de ceux qui ont un intérêt direct dans le régime, en particulier les soldats, les policiers et les fonctionnaires, dont la tête sera mise à prix si le régime tombe. Quels que soient leurs doutes, de nombreux soldats afghans se battront si la seule alternative est une vengeance sanglante aux mains des moudjahidin.
Il ne fait guère de doute, cependant, que Moscou a déjà commencé à mettre en œuvre des plans d’urgence en cas de chute de Kaboul. Certains rapports indiquent que, tout en se retirant, les forces russes consolident une enclave fortifiée – dans laquelle un régime tronqué de Najibullah pourrait être défendu – autour de la ville septentrionale de Mazar-e-Sharif, près de la frontière avec l’Union soviétique.
Un retour à la barbarie
De nombreux fonctionnaires du gouvernement et leurs familles y ont été déplacés, ainsi qu’une forte concentration de soldats afghans. Des armes et des vivres russes y ont été rassemblées, et il est possible que du personnel russe reste dans cette zone.
C’est dans cette région que la réforme agraire et les autres changements ont été les plus réussis. L’agriculture y est relativement fertile et la région dispose de réserves de gaz naturel. C’est également dans cette région que le développement industriel récent a été le plus important. Si Kaboul tombe, la bureaucratie russe, ne serait-ce que pour protéger ses intérêts stratégiques cruciaux dans cette région, soutiendrait très probablement le maintien du régime de Najibullah dans cette enclave. Dans les faits, cela signifierait la partition de l’Afghanistan. La zone du nord serait contrôlée par un bonapartisme prolétaire client de la bureaucratie russe. Le reste du pays pourrait être divisé entre des seigneurs de la guerre rivaux, à leur tour clients des États-Unis, de la classe dirigeante pakistanaise et du régime iranien.
Des mouvements au sein du corps des officiers de l’armée afghane visant à évincer Najibullah sont également possibles. Un nouveau gouvernement bonapartiste, répudiant le PDPA, pourrait bien être en mesure d’attirer certains des chefs moudjahidin. Même s’ils aimeraient beaucoup prendre Kaboul, un assaut frontal par des groupes de guérilleros divisés conduirait à un horrible massacre.
Un coup d’État militaire, avec le soutien de sections du corps des officiers, des couches
de professions libérales, des commerçants et de certains chefs moudjahidin, pourrait être en mesure d’établir un nouveau régime à Kaboul. La bureaucratie russe a déjà évoqué l’idée d’un gouvernement élargi. Il n’est pas exclu que, pour autant que leurs intérêts stratégiques à la frontière afghano-soviétique soient sauvegardés, ils soutiennent un nouveau régime bonapartiste.Dans une situation aussi instable, avec de nombreux facteurs inconnus, il est impossible de prédire avec certitude le cours probable des événements. Mais quoi qu’il arrive, il semble désormais inévitable que les changements révolutionnaires inaugurés en 1978/79 soient réduits à néant dans une grande partie de l’Afghanistan. La responsabilité de ce recul incombe au stalinisme, qui n’a rien en commun avec le marxisme ou l’internationalisme authentique.
Si le régime actuel est sapé, même dans une partie du pays, le progrès social sera rejeté de plusieurs décennies en arrière. La domination des moudjahidin signifie un retour à la barbarie. Avec le temps, après une période de réaction douloureuse, les conditions se développeront pour un nouveau mouvement visant à changer la société.
Mais la leçon des dix dernières années est qu’il faut un nouveau mouvement, basé d’en bas, mobilisant les travailleurs, les paysans et les populations tribales d’Afghanistan autour d’un programme marxiste. La révolution en Afghanistan doit être liée, dans une perspective internationale, à la lutte des travailleurs et des paysans de toute l’Asie.
Pour assurer une révolution sur des lignes socialistes saines, la révolution afghane doit également être liée au programme de révolution politique en Union soviétique, en Europe de l’Est et en Chine, pour renverser la bureaucratie et établir la démocratie ouvrière.
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Sur les océans et dans les ports… La section maritime du Komintern (1923-1943)
Il était une fois dans l’histoire de la lutte de classePubliée aux États-Unis en 1941 sous le titre Out of The Night(1) l’autobiographie de Jan Valtin (pseudonyme de Richard Krebs), un marin communiste allemand actif sur tous les océans et dans la plupart des ports (Hawaï, la Californie, la Chine, la Malaisie, l’Europe occidentale, la Russie) devient vite un best-seller.
Par Guy Van Sinoy
Né en Allemagne en 1904 l’auteur, dont le père était inspecteur maritime en Extrême-Orient, suit sa famille de port en port. « A 14 ans, outre ma propre langue, je parlais assez bien le chinois le malais ; je me débrouillais en suédois, en anglais et en italien ». Revenu en Allemagne pendant la Première Guerre mondiale, Valtin rejoint le parti communiste à 16 ans et participe à l’insurrection de Hambourg en 1923. Sa vie va désormais se conjuguer étroitement avec l’incendie révolutionnaire qui s’est propagé dans le monde entier au cours des années vingt et trente. Devenu marin, il sillonne les océans, le plus souvent comme passager clandestin, et organise des noyaux communistes dans la plupart des ports sur tous les continents. Ce travail politique visant à jeter les bases d’une Internationale des marins et des dockers se fait dans le cadre de l’Internationale syndicale rouge (Profintern).
Figure de l’ombre et du secret, Jan Valtin appartient à cette avant-garde “rouge” qui tentait sans relâche de mener les masses ouvrières sur le chemin de l’insurrection armée. Obéissant, malgré ses doutes, aux consignes de son Parti, il finira comme ses camarades par admettre que l’ennemi principal, en Allemagne, est d’abord la social-démocratie. Entre mille révélations passionnantes, ce livre dévoile aussi tout ce que l’accession de Hitler au pouvoir doit aux stratégies dictées par Moscou.
Mais la Gestapo arrête Valtin en 1933 et l’envoie, comme des milliers de communistes et de socialistes, dans les premiers camps de concentration. Son fils est enrôlé de force dans les Jeunesses hitlériennes. Après des années de tortures, Valtin échappe à l’enfer en faisant mine(2) de jouer l’agent double au sein de son organisation.
Bientôt pourchassé par les tueurs de la Guépéou comme par ceux de la Gestapo, il s’exile aux États-Unis et, sans rien renier de ses combats antérieurs, rédige d’un trait ce livre témoignage à couper le souffle. Son livre est un puissant témoignage de l’immense courage et de l’esprit d’abnégation de toute une génération de militants ouvriers face au nazisme. Il est aussi une des premières dénonciations « grand public » des crimes du stalinisme.
1) L’édition française du livre est parue sous le titre Sans Patrie ni Frontières (Actes Sud, 13,70€)
2) Valtin fera mine d’adhérer au nazisme, sur les instruction de son supérieur communiste Ernst Wollweber. De 1953 à 1957, Wollweber deviendra, en République Démocratique Allemande, le responsable de la police politique (Stasi). -
Les congés payés ? Un grand merci aux grèves de nos grands-parents !

1936. En Allemagne, les nazis sont au pouvoir et une politique anti-ouvrière brutale est menée. Chez nous aussi, l’extrême-droite fait une percée lors des élections du 24 mai 1936. En Espagne et en France, ce sont des gouvernements de gauche, mais qui – entre autres, sur insistance de la Russie stalinienne – refusent de casser avec le capitalisme et restent ainsi pris en entaille par la crise capitaliste. La colère est grande et cherche à s’exprimer.
Par Geert Cool
Une vague de grèves spontanées de la base
Lors de la campagne électorale, deux militants du syndicat socialiste des transports BTB-UBOT ont été assassinés par des militants d’extrême-droite : Albert Pot et Theofiel Grijp. Une grève de 24 heures le jour de leurs funérailles était insuffisante aux yeux de nombreux militants. Cette violence mortelle n’était pas seule visée. Les salaires ne suivaient pas l’augmentation des prix et les conditions de vie des travailleurs étaient mises à mal depuis des années.
La direction du BTB s’est vue contrainte, sous pression de la base – avec, entre autres, une bagarre devant les locaux du BTB au Paardenmarkt – d’appeler à une grève avec pour revendications centrales : la semaine des 40 heures, une augmentation salariale générale, un salaire minimum de 32 francs par jour et six jours de congés payés annuels. Les leaders syndicaux ont reconnu que la grève “débordait la direction”.
La grève s’est ensuite étendue à d’autres secteurs : les réparateurs de bateaux, le secteur du diamant, … et à partir du 9 juin, les mines de charbon, le secteur du métal, etc. La FN-Herstal a été occupée par le personnel ; la première grande occupation d’entreprise de l’Histoire sociale belge, à l’initiative de militants combatifs qui s’étaient insurgés pendant le mouvement de grève de 1932.
Les centres de gravité du mouvement se trouvaient à Anvers, Liège et dans le Borinage. Les militants avaient répondu à l’unisson aux tentatives de division communautaire par le slogan: “Mon prénom est flamand ou wallon, mon nom est ouvrier.” Le nombre de grévistes est monté à un demi-million. Le gouvernement s’est vu contraint, pour la première fois dans l’Histoire nationale, de se concerter avec les directions syndicales et les employeurs.Gouvernement et patronat doivent faire des concessions
Si le gouvernement et les employeurs ont fait des concessions en 1936, ce n’était pas par sens social, mais parce qu’ils avaient le couteau de la grève sous la gorge.
Une augmentation de salaire de 7 à 8 % a été obtenue, ainsi que l’instauration d’un salaire minimum légal, de la semaine de 40 heures dans les mines et le droit à 6 jours de congés payés. Dans plusieurs secteurs, des commissions paritaires ont été instaurées pour la première fois (pour la concertation entre employeurs et travailleurs). Les dirigeants syndicaux nationaux ont proposé de reprendre le travail à partir du 24 juin, mais la grève s’est encore poursuivie à plusieurs endroits.
Le 8 juillet 1936, la loi sur les congés payés était une réalité. Des actions ont cependant encore été nécessaires pour qu’elle soit appliquée dans tous les secteurs. Les actions de grève qui ont conduit à l’obtention des congés payés ont fait des blessés et même un mort : une femme de Quaregnon est tombée sous les balles de la gendarmerie qui tirait arbitrairement suite à des confrontations précédentes avec les grévistes.Comment la gauche peut-elle se construire dans les mouvements ?
Des militants de gauche – dont des activistes du Parti Communiste de Belgique (PCB), mais aussi d’autres courants, ont connu une influence croissante durant cette période. De son côté, la social-démocratie était dans le gouvernement et entendait y rester après les élections. Des leaders syndicaux alliés – certains siégeaient au parlement au nom du POB – freinaient aussi des quatre fers.
Après la scission du PCB en 1928 (lorsque les partisans de Trotsky ont été exclus) et le choc de la récession économique, la gauche était très affaiblie. La grève de 1932 a marqué un tournant avec une augmentation du poids syndical des militants de gauche. Sur le plan politique, cela s’est limité à une timide croissance du PCB.
La radicalisation des années précédant 1936 a surtout bénéficié, sur le plan politique, à la base du POB. Le “plan De Man”, un programme se limitant à des réformes par la voie parlementaire, a suscité un grand espoir de changement. Trotsky a proposé d’émettre une critique politique de ce Plan, mais aussi “de montrer à une couche d’ouvriers la plus large possible que, tant que la bourgeoisie tente de contrecarrer le Plan, nous lutterons à leurs côtés pour les aider à traverser cette expérience. Nous partagerons avec eux toutes les difficultés de la lutte, mais ce que nous ne partagerons pas, ce sont les illusions qui y sont liées.” La critique du Plan ne devait pas mener à l’augmentation de la “passivité des ouvriers” en donnant une “prétendue justification théorique”, mais au contraire à renforcer les forces révolutionnaires.
Un petit groupe de trotskystes belges, surtout organisés à Charleroi, a construit à la base du POB un front unique. Ils collaboraient avec le courant de gauche ‘Action Socialiste’ qui a vite été placé devant un choix : une cassure révolutionnaire ou l’acceptation du capitalisme. Spaak, entre autres, a choisi la dernière option et a été récompensé par des postes de ministre et la fonction de secrétaire général de l’OTAN. Sous la houlette de Walter Dauge et l’influence de trotskystes, une partie a choisi la cassure révolutionnaire avec le capitalisme. Ce groupe a été exclu du POB et a formé le Parti Socialiste Révolutionnaire avec environ 800 membres et une implantation et influence dans le Hainaut. Ainsi, Dauge a obtenu une majorité aux élections communales à Flénu, le roi a alors refusé de le nommer bourgmestre.
La défaite en Espagne et le fait que le mouvement français ne s’est pas développé ont fait que la phase ascendante de la lutte des classes a été stoppée en 1936. Cela a offert plus d’espace aux développements contre-révolutionnaires. Cela a, avec la guerre qui approchait, rendu difficile la consolidation de la nouvelle organisation trotskyste en Belgique.
Le mouvement offensif de 1936 a mené à une victoire. De plus, cela a amené la question d’alternatives politiques. Le prestige international de l’Union soviétique a aussi fait que c’est surtout le PCB qui a tiré profit de ce mouvement. Mais les trotskystes aussi ont pu devenir un facteur d’importance, là où ils répondaient audacieusement à la radicalisation et aux mouvements de masse sans faire de concessions sur leur détermination programmatique.
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« Résistance internationale, contre l’Europe du capital ! » Retour sur le mouvement contre la mondialisation capitaliste

Cette semaine, il y a exactement 20 ans, une manifestation contre un sommet européen à Göteborg, en Suède. Une délégation du PSL a participé à cette manifestation. Il y a 20 ans, la Belgique s’apprêtait à prendre la présidence tournante de l’Union européenne dans un contexte très particulier, celui d’un mouvement international de mobilisation de la jeunesse contre les institutions internationales du capital (G8, OMC, UE,…). Le PSL et son internationale se sont pleinement engagés dans ces actions, notamment via leur campagne Résistance Internationale / International Socialist Resistance. Nous en avons discuté avec Bart Vandersteene, porte-parole du PSL/LSP.
Propos recueillis par Nicolas Croes
Quand on pense à ce mouvement, on pense immanquablement à la « bataille de Seattle » de 1999, quand un sommet de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a dû se terminer prématurément en raison des 40.000 manifestants. Les images avaient saisi l’imagination à travers le monde…
J’ai coutume de dire que Seattle m’a personnellement touché à trois reprises. La première fois avec Nirvana, la dernière avec l’extraordinaire travail de nos camarades de Socialist Alternative et de Kshama Sawant, et au milieu avec cet événement. Ces 3 choses sont d’ailleurs assez liées.
Toute une couche à l’époque, et certainement aux États-Unis, avait bien conscience de l’impact de ce pays sur le monde avec le commerce mondial, ses conséquences sur le pillage du monde néocolonial et la destruction de l’environnement,… La mobilisation inédite contre ce sommet de l’OMC a donné une expression concrète au sentiment qu’il fallait faire quelque chose contre le règne de ce type d’institution. Il était très important de comprendre que le problème était bien plus global. La globalisation capitaliste était un problème partout dans le monde dès lors que l’on ne faisait pas partie de l’élite d’ultra-riches. C’est ce qu’avait illustré quelques années plus tôt le documentaire de Michael Moore « Roger and Me » autour de la suppression de 30.000 emplois dans les usines de General Motors à Flint (Michigan).
Nous sommes entrés aujourd’hui dans un moment-charnière de l’histoire, où le néolibéralisme perd tout crédit. Quelque part, les premiers éléments de cette situation sont apparus à l’époque.
Il faut imaginer qu’à ce moment-là, le néolibéralisme était incontesté. Tout le monde acceptait des idées telles que « la mondialisation, c’est le progrès », « la théorie du ruissèlement fonctionne », « le privé marche mieux que le public, il faut privatiser »,… Même les verts et la social-démocratie suivaient, avec des nuances bien entendu. C’était le règne de la pensée unique néolibérale.
Et alors est arrivé le mouvement contre la mondialisation capitaliste qui a tapé du poing sur la table en disant : « Non, nous ne sommes pas d’accord ! » Pour la première fois, il y avait une critique structurelle autour d’une idée centrale : ce qui se passe n’est pas réformable, c’est toute la mondialisation capitaliste qu’il faut balancer à la poubelle. Des institutions comme l’OMC étaient les illustrations par excellence de ce système d’exploitation gigantesque de la nature et des travailleurs par les multinationales. Elles ont donc été particulièrement ciblées.
Le règne de la pensée unique néolibérale commençait à se fissurer. C’était le début d’une recherche d’alternative, avec des actions, des manifestations mais aussi des essais de prolongement politique des luttes en Amérique latine et en Europe. Il s’agissait d’actions combatives, avec l’ambition d’être en masse dans la rue contre un ennemi clair : les institutions du capital. Toute une nouvelle génération de jeunes s’est retrouvée embarquée dans les mobilisations et les débats que cela suscitait.
Débats que l’on trouvait jusque dans la musique ! Je me souviens qu’au sommet du G8 d’Evian, en 2003, les militants qui allaient écouter Manu Chao et ceux qui allaient écouter Ska-P ne se lançaient pas des regards très tendres…
A la base le mouvement est né comme une réaction à l’approche reposant sur les changements de comportements individuels. Mais par la suite, quand le mouvement de masse a commencé à s’essouffler, ces éléments ont commencé à refaire surface. Finalement, on a assisté au même processus avec le mouvement pour le climat en 2019. Après une première phase explosive qui donnait confiance en l’idée d’une transformation de la société, beaucoup de gens ont considéré qu’ils ne pouvaient rien changer hors du choix de ce qu’ils mettent dans leur caddie. Les problèmes sont tellement grands, tellement structurels, qu’il est quasiment impossible de garder le cap sans une solution globale d’où découle une stratégie capable de passer à travers les moments les plus durs.
D’autres questions étaient débattues. Devait-on rester entre radicaux ou s’adresser à des couches plus larges ? Était-il acceptable de participer aux élections et à la vie politique ? A l’époque, nous avons souligné la nécessité de nous lier aux préoccupations des travailleurs et de la jeunesse pour donner plus d’échos aux mobilisations et impliquer plus largement. Cela exigeait de sortir de slogans abstraits, même s’ils sonnaient bien à l’oreille, pour aborder des revendications concrètes. C’était aussi crucial pour aller au-delà des manifestations et permettre de stopper la machine à profits grâce à la grève des travailleuses et des travailleurs.
Beaucoup d’attention était alors consacrée au blocage des sommets des institutions là où celles-ci se réunissaient, à l’image de ce qui s’était produit à Seattle. Le débat portait sur la stratégie à adopter : la violence ou être si nombreux que rien ne pouvait être organisé dans la ville. Tout d’abord, les grandes villes faisaient tout pour bénéficier du prestige de pouvoir accueillir un tel sommet. C’était du city marketing. Mais ensuite les sommets ont été organisés dans des endroits inaccessibles et tandis que la présidence de l’Union européenne a cessé d’être organisée dans un pays différent tous les six mois pour rester à Bruxelles.
De toute façon, en soi, bloquer un sommet ne signifie pas le blocage de la politique qui y est discutée. Pour cela, il faut construire un rapport de forces sur le long terme basé sur l’implication des masses. Les radicaux ne peuvent pas parvenir à une victoire qui dépasse le symbolique par eux-mêmes. C’est sous cet angle que l’on doit discuter de la violence : de quelle manière la confrontation avec la police ou les vitres cassées peuvent-elles aider à construire cette perspective à plus long terme ? C’est ce débat sur la perspective qui était finalement le plus important.
Selon nous, l’alternative à la globalisation capitaliste, c’est le socialisme démocratique. Mais à l’époque, la défaite de la sanglante caricature de socialisme que fut le stalinisme pesait encore très fort sur les consciences, y compris parmi la jeunesse.
A l’époque, les jeunes qui commençaient à s’impliquer pouvaient aussi avoir l’illusion que ce mouvement qui a duré plusieurs années et a parcouru les continents allait connaître une croissance permanente.
D’où l’intérêt d’être dans une organisation pour évaluer le mouvement à chaque étape de son développement et pas après coup. Un point tournant crucial fut le 11 septembre 2001. A ce moment-là, ce qui dominait dans la société a changé après une attaque terroriste qui a provoqué des milliers de morts. Le mouvement devait s’adapter à un tout autre contexte. Le danger terroriste existait-t-il aussi ici ? Les sommets des institutions capitalistes occidentales allaient-ils devenir des cibles pour les terroristes ? Comment réagir à l’instrumentalisation de la sécurité pour limiter nos droits ? Comment faire face à l’essor de l’islamophobie et à l’arrivée de nouvelles guerres, en Afghanistan d’abord (2001) et ensuite en Irak (2003) ?
Finalement, sans le mouvement antiglobalisation, il n’y aurait pas eu un mouvement antiguerre international aussi vigoureux, avec des millions de manifestations simultanées à travers le globe le 15 février 2003. Les dizaines de comités d’action de Résistance internationale qui se sont constitués en 2001 pour s’engager dans les mobilisations contre le sommet de l’UE en Belgique et se rendre notamment à Göteborg (sommet de l’UE en juin 2001) ou à Gênes (sommet du G8 en juillet 2001) ont rapidement tourné leur attention vers les manifestations contre la guerre. Nous avons ainsi pris l’initiative d’organiser des grèves dans les écoles et le supérieur le « Jour X », le jour où devait commencer l’invasion de l’Irak.
Un grand esprit internationaliste animait d’ailleurs le mouvement. On accueillait chez soi des activistes d’autres pays. Il nous fallait un autre monde, à construire tous ensemble. Cet esprit est resté vivant depuis lors et se retrouve aujourd’hui pleinement dans les mobilisations féministes, Black Lives Matter ou encore pour le climat.
En 2000, les 225 personnes les plus riches de la terre disposaient de la même fortune que les 50% des plus pauvres de la population mondiale. Aujourd’hui, ils sont 26, presque dix fois moins. Le mouvement contre la mondialisation capitaliste fut le précurseur d’une radicalisation plus large dans la société, radicalisation encore accrue aujourd’hui par la crise économique et la crise sanitaire. Ces combats d’il y a 20 ans sont une source d’expérience et de leçons cruciales pour être plus forts à l’avenir dans notre combat contre les oppressions, les inégalités et l’exploitation. Au centre de celles-ci se trouvent la force des mobilisations de masse, l’absolue nécessité de l’organisation et la question d’une alternative socialiste au capitalisme.
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La journée des 8 heures a un siècle

Affiche de Charles Van Roose, réalisée pour la Commission syndicale de Belgique, qui illustre les « trois fois huit » (8 heures de travail, 8 heures de loisir, 8 heure de repos). Il y a 100 ans, le 14 Juin 1921, le mouvement ouvrier organisé obtenait l’inscription dans la loi belge de la journée des huit heures. Il a fallu attendre 1970 pour arracher la limitation de la semaine de travail à 40 heures. La revendication de la réduction du temps de travail fut de tout temps chevillée au mouvement des travailleurs.
Par Clément (Liège)
Une tradition bien ancrée
Aux débuts du capitalisme industriel en Belgique, les ouvriers étaient totalement à la merci de leur patron : la loi Le Chapelier empêchait toute coalition ouvrière ou encore action de grève, et si celle-ci fut révisée en 1866, il restait toujours de sérieuses entraves à l’exercice du droit de grève, qui n’avait de droit que le nom. La journée moyenne de travail était alors de plus de 12 heures de travail effectif.
A cette époque, la limitation de la durée journalière de travail était déjà un enjeu majeur : l’Association Internationale des Travailleurs mena des campagnes d’agitation et d’action sur la durée du travail dès sa création en 1864. En 1889, c’est le POB (Parti Ouvrier Belge, ancêtre du PS et du Vooruit, nouveau nom du SP.a) qui se fait le porte-voix des travailleuses et travailleurs et réclame la journée des ‘‘3-8’’ (8 heures de travail, 8 heures de loisirs, 8 heures de repos) tout en mettant au point un argumentaire dont le but est de défendre au mieux la revendication et de convaincre les collègues sceptiques qui craignent des baisses de salaire.
À l’aube du XXe siècle, de premières victoires partielles sont acquises au niveau local dans des industries spécialisées : chez les typographes bruxellois en 1900, chez les diamantaires anversois en 1904 et chez les cotonniers gantois en 1905. Suite à ces victoires, les actions – tout en restant limitées tant par leur nombre que par leur ampleur – se multiplient et s’étendent à de nouveaux secteurs. En 1909 intervient la première limitation du temps de travail au niveau sectoriel : la journée de travail des mineurs sera ramenée à 9h.
Le tournant de la grande guerre
On entend parfois dire que l’inscription dans la loi de la journée de travail de huit heures est, à l’instar du suffrage universel, une sorte de ‘‘cadeau’’ octroyé par la bourgeoisie pour les efforts consentis par les travailleuses et travailleurs durant la guerre. Rien ne saurait être plus faux.
Au sortir de la première guerre mondiale, un élan de contestation se développe chez les travailleuses et travailleurs, qui ont payé le prix fort durant la grande guerre. En Russie, la révolution d’Octobre 1917 a mis à bas la vieille dictature tsariste pour instaurer le premier état ouvrier. Cet évènement fondamental eut un effet galvanisant sur les luttes des travailleuses et travailleurs à travers le monde. Une poussée révolutionnaire traverse alors l’Europe provoquant grèves et soulèvements. La classe dominante tremble.
En Belgique, le nombre de syndiqués augmente de manière fulgurante et passe de 252.177 en 1914 à 844.241 en 1920. De janvier à juin 1919, les grèves revendiquant les 8 heures se succèdent à un rythme effréné à travers toute la Belgique ; elles durent plusieurs jours voire semaines, et finissent bien souvent par des victoires. C’est d’ailleurs à cette époque que l’on assiste à l’une des premières grèves des transports en communs : en janvier, 5000 travailleurs des tramways bruxellois entrent en grève à plusieurs reprises et interrompent totalement le trafic des trams en région bruxelloise, ce qui frappera fortement l’opinion publique.
Le résultat de ces actions est sans appel : une enquête menée dans le cadre de la Conférence Internationale du Travail de 1919 démontre que dans la grande majorité des secteurs économiques, les huit heures ont été totalement ou partiellement introduites suite aux actions des travailleuses et travailleurs. Concrètement, la loi de 1921 n’instaurait pas les huit heures : elle consacrait et généralisait une victoire que les travailleuses et travailleurs avaient arrachée au patronat par une lutte farouche dans laquelle il fut bien peu question de concertation ou d’accommodation.
Au même moment où les 3-8 étaient conquises, l’industrie connaissait une augmentation de sa productivité suite à des gains technologiques, mais surtout grâce aux procédés de rationalisation du travail (généralisation du taylorisme, etc.) qui furent un moyen pour la classe capitaliste de récupérer le manque à gagner consécutif à la diminution du temps de travail. Cette augmentation de la productivité se traduisit par une augmentation parallèle du chômage, lequel fut dramatiquement aggravé par les effets de la crise de 1929. Pour le résorber et diminuer la concurrence entre ouvriers/ouvrière, la revendication d’une limitation de la durée hebdomadaire du temps de travail fut mise en avant et défendue, notamment durant les grèves de 1936 qui entraînèrent la conquête de multiples droits sociaux.
Face aux innovations du gouvernement, quelle réduction du temps de travail défendre ?
Aujourd’hui, la Belgique connaît de nouveau une période de réduction du temps de travail. La différence avec le début du 20e siècle est que cette réduction n’est pas choisie, mais bien subie. En 2019, le taux de chômage des moins de 25 ans est de 14,2% et le taux d’emplois dans la population active de 70,5%(1). Même pour ceux qui ont la chance d’avoir un travail, les temps partiels et autres flexi-job se généralisent: en 2020, 26,8% des travailleurs et travailleuses sont à temps partiel (42,5 % des femmes salariées et 11,8 % des hommes salariés).(2) Jan Denys, spécialiste des ressources humaines chez Randstad ne s’y trompe pas lorsqu’il déclare ‘‘le travail à quatre cinquièmes devient en quelque sorte le nouveau temps plein.’’ Mais qui dit temps partiel dit salaire partiel…
Pour répondre au chômage, il est vital que le mouvement des travailleurs remette en avant son alternative de classe : la réduction collective du temps de travail. Les gains productifs doivent être utilisés pour alléger le poids qui pèse sur les épaules des travailleuses et travailleurs en répartissant le travail disponible, et pour que celui-ci devienne enfin un droit. Parce que nous ne pouvons tolérer – comme c’est le cas aujourd’hui – qu’une diminution du temps de travail mette en péril la capacité des travailleuses et travailleurs à répondre à leurs besoins, nous défendons l’échelle mobile des salaires avec un revenu minimum garanti.
Il est certain que le patronat se battra bec et ongle pour empêcher que de telles mesures n’aboutissent. Au début du XXe siècle, seule la création d’un rapport de force conséquent, la ténacité des organisation des travailleuses et travailleurs et leur intransigeance sur leurs revendication ont permis d’imposer des changements fondamentaux. Même après la victoire des huit heures, la bourgeoisie tenta de récupérer ses gains en augmentant les cadences et en accentuant la pression sur les travailleuses et travailleurs. Pour empêcher une telle situation, et comme nous ne pouvons contrôler que ce que nous ne possédons pas, nous défendons également la revendication du contrôle des secteurs clefs de l’économie par les travailleuses et travailleurs.
La revendication de l’échelle mobile des heures de travail et des salaires ainsi que la nationalisation sous contrôle ouvrier des secteurs clés de l’économie sont les premiers pas à poser vers une société où l’économie serait au service des besoin de l’immense majorité de la population, où le travail serait synonyme d’émancipation plutôt que d’exploitation et où les travailleuses et travailleurs seraient maitres de leur destin en tant que classe plutôt qu’oppressés et aliénés par les desideratas d’une infime minorité de la population. Tel est ce que nous entendons par socialisme démocratique.
Notes:
1. indicators.be – Taux d’emploi https://www.indicators.be/fr/i/G08_EMP/Taux_d%27emploi
2. Le travail à temps partiel | Statbel (fgov.be)