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Tag: Histoire
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[FILM] Howard Zinn, une histoire populaire américaine
« Tant que les lapins n’avaient pas d’historiens, l’histoire était racontée par les chasseurs. »C’est sur cette phrase que commence le documentaire réalisé par Olivier Azam et Daniel Mermet sur les travaux de l’historien américain Howard Zinn et plus particulièrement son livre « Une histoire populaire des Etats-Unis » (1980). Dans ce dernier, ce fameux historien militant se revendiquait très clairement d’une autre approche de l’Histoire, « Une histoire qui penche clairement dans une certaine direction ce qui ne me dérange guère tant les montagnes de livres d’histoire sous lesquelles nous croulons penchent clairement dans l’autre sens. Ces ouvrages font preuve d’un si grand respect envers les chefs d’Etat et sont si peu attentifs (…) aux mouvements populaires qu’il nous faut faire contrepoids pour éviter de sombrer dans la soumission. »
Il poursuivait en expliquant : « Un pour cent de la population américaine détient un tiers de la richesse nationale. Le reste est réparti de telle manière que les 99% de la population restante sont montés les uns contre les autres : les petits propriétaires contre les plus démunis, les Noirs contre les Blancs, les « natifs » américains contre les citoyens d’origine étrangère, les intellectuels et les professions libérales contre les travailleurs non-qualifiés et non diplômés. Ces groupes se sont opposés et ont oublié qu’ils étaient tous réduits à se partager les maigres restes de la richesse nationale. (…) L’histoire que j’ai écrite tente de rendre compte de leur intérêt commun, même lorsque ce dernier a été détourné, voire dissimulé. » C’est à cet esprit que voulait rendre hommage ce documentaire.
Bread and Roses
Le grand mérite de ce film – le premier d’une trilogie dont la suite dépend du succès du premier opus – est d’oeuvrer à populariser le travail d’Howard Zinn et, par ce biais, de donner un bref aperçu d’une autre manière de voir l’Histoire et ceux qui la font. Pari tenu jusque là. De la guerre d’indépendance à la Révolution russe (1776-1917), différentes grandes étapes de l’Histoire des Etats-Unis sont passés en revue, concentrés autour de la nature de classe de la société, de l’émergence de la force organisée de la classe ouvrière et de la réaction du patronat, admirablement synthétisée par cette phrase de John Rockfeller : « Il ne faut pas leur laisser croire que la révolte peut marcher. »
A l’époque, les « barons voleurs » tels que Rockefeller possèdent alors 40% des richesses du pays. L’un d’entre eux, Henry Clay Frick, n’hésitait pas à dire : « J’ai les moyens d’acheter la moitié de la classe ouvrière et lui demander de massacrer l’autre moitié », et il n’en est pas resté à la parole… Lors d’une grève, il n’a pas hésité a recourir à 300 employés de l’agence Pinkerton pour tirer à la mitrailleuse sur les grévistes!
Le titre de ce premier volet « Bread and Roses » (Du pain et des roses) fait référence à la très emblématique lutte des ouvrières textiles de Lauwrence, en 1912, dont le slogan était ce titre d’un poème de James Oppenheim dédié aux « femmes de l’Ouest » qui déclarait entre autres : « Nos vies ne seront pas passées à suer de la naissance à la mort – Le coeur a faim tout comme le corps, Donnez-nous du pain, mais aussi des roses. » Le second volet devrait être concentré sur la crise de 1929, la Grande Dépression et de la guerre civile d’Espagne, le troisième volet abordant quant à lui le Maccarthysme et la chasse aux militants progressistes et communistes qui a suivi la Seconde Guerre ainsi que la révolte des Noirs et la lutte pour les droits civiques. Nous espérons bien entendu que les deux autres volets pourront être produits.
Mais, à l’instar des réalisateurs, nous espérons surtout que ce travail suscitera l’envie de lire « Une histoire populaire des Etats-Unis », un ouvrage militant qui appelle à prendre sa place dans le combat social – un aspect crucial qui manquait hélas à ce premier volet documentaire – et à tirer les leçons des luttes du passé. Dans un dernier chapitre ajouté après le 11 septembre 2001, Howard Zinn expliquait ainsi dans son livre que dans « les années ’20 [la] désaffection (…) des classes moyennes vis-à-vis du politique (…) aurait pu s’exprimer de différentes manières – rappelons que le Klu Klux Klan comptait à l’époque des millions de membres – mais, dans les années ’30, le travail d’une gauche dynamique dirigea ce sentiment de désarroi vers les syndicats et vers les mouvements socialistes. »
Howard Zinn est hélas décédé en 2010, il n’a pas pu voir de ses yeux le mouvement Occupy qui a déferlé aux Etats-Unis à la suite du processus de révolution et de contre-révolution au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Il n’a pas non plus pu voir l’essor du mouvement pour l’augmentation du salaire minimum ou encore le mouvement #Black Lives Matter. De ces luttes peuvent sortir considérablement grandies des forces qui, tels qu’il le souhaitait, peuvent retirer les leviers du pouvoir des mains des grandes entreprises.
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«Militant» : Histoire d’un journal pas comme les autres…
En octobre de l’an dernier, nous avons fêté le 50e anniversaire du premier numéro du journal «Militant», publication du groupe «The Militant», prédécesseur du Socialist Party of England And Wales, le parti-frère du PSL en Angleterre et Pays de Galle. Dans l’article ci-dessous, Peter Taaffe, secrétaire général du Socialist Party, revient sur l’histoire de ce journal qui a accompagné les luttes sociales un demi-siècle durant.
50 ans de lutte des classes et d’idées socialistes
Quand nous avons commencé à publier le journal «Militant» en octobre 1964, plusieurs de nos adversaires s’attendaient à ce que nous ne soyons pas en mesure de continuer cette publication pendant 50 ans, encore moins que nous devenions un facteur important dans les luttes du mouvement des travailleurs.
A travers cette période nous avons été témoins et acteurs de mouvements colossaux de la classe des travailleurs durant de grands événements historiques : la superbe grève avec occupation d’usine de mai 68 en France qui mobilisa 10 millions de jeunes et de travailleurs – la plus belle grève générale de l’histoire – ainsi que les vagues révolutionnaires des années ‘70 des travailleurs grecs, portugais et espagnols qui ont démantelé les dictatures sanglantes de leurs pays respectifs.
Nous avons participé aux mouvements de masse à Londres et ailleurs contre l’occupation stalinienne des Soviétiques à Prague en ‘68 également. De jeunes socialistes et moi-même menions des contingents de jeunes en défendant la démocratie ouvrière en Tchécoslovaquie et l’armement de la classe ouvrière pour qu’elle puisse se défendre.
En France
Durant ces événements, que nous avons scrupuleusement reportés et analysés dans les pages de notre journal, les travailleurs et les jeunes français avait le pouvoir à portée de main. Et ils auraient pu le conquérir. Le régime semi-dictatorial du Général De Gaulle, apparemment «puissant», se retrouva complètement paralysé par les actions de masse de la classe des travailleurs. Mais, comme à bien des moments dans l’histoire des organisations de masse de la classe ouvrière, le Parti Communiste Français et les dirigeants soi-disant «socialistes» freinèrent des quatre fers au moment décisif, ce qui déboulonna le mouvement et sauva ainsi le capitalisme français.
C’était à un moment où les capitalistes eux-mêmes semblaient avoir abandonné tout espoir de sauvegarde de leur système. A un moment, De Gaulle, sans issue, s’était envolé pour l’Allemagne rejoindre les forces armées. En 1975, le journal The Times titrait que «le capitalisme est mort au Portugal». En fait il n’était que partiellement mort, 75% des grosses fortunes et des grandes entreprises furent ôtées des mains des capitalistes via la nationalisation des banques à la suite des mobilisations de masses et de l’échec de la tentative de coup d’Etat de l’extrême-droite. C’était le résultat d’un pouvoir politique concret concentré dans les mains des travailleurs dans les usines et des soldats révolutionnaires radicalisés dans les casernes.
Et ce n’était pas seulement en Europe. La plus forte des puissances sur la planète, les Etats Unis, convulsait et se retrouvait paralysé par la guerre du Vietnam et par le vent de révolte qui soufflait dans les rangs des jeunes conscrits. Aux côtés de ces soldats se trouvaient les jeunes participants au gigantesque mouvement anti-guerre combiné au soulèvement des Afro-américains. Tous ces mouvements, ces oppositions, ces manifestations ont créé une situation explosive qui, de fait, avait en substance tout d’une crise prérévolutionnaire pour l’impérialisme US.
Tous ces événements et bien d’autres encore furent décris et analysés dans les colonnes du journal «Militant» qui trouva un écho à travers des couches toujours plus large de jeunes et de travailleurs. Le journal passa du stade de mensuel à celui de bimensuel en 1971, puis devint un hebdomadaire l’année suivante tandis que le nombre de pages augmenta jusque 16. Nous fûmes forcés de repasser à un format de 12 pages plus tard à cause de la situation défavorable pour la gauche et les luttes sociales à la suite du l’effondrement du Stalinisme entre 1989 et 1991. Mais nous avons continué à publier un numéro chaque semaine et à construire nos forces, y compris dans des situations qui étaient objectivement très compliquées.
D’une organisation basée essentiellement à ces débuts dans les zones de Liverpool, Londres, Glasgow et la Galle du Sud, nous avons créé le cadre d’une organisation nationale qui grandissait dans chaque région d’Angleterre. Ce fut suivi par l’accroissement de notre influence à l’échelle mondiale via le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), qui fut fondé en 1974. Ce dont nous manquions en taille nous l’avions par l’enthousiasme de nos jeunes membres, la finesse de nos analyses et l’explication méthodique de notre programme. Nous sommes parvenus à toucher les jeunes et les travailleurs les plus conscients politiquement.
Dans les années ‘70 mais plus encore dans les années ‘80, nous avons commencé à parler à de plus larges audiences. Le groupe autour du journal «Militant» était (en termes de nombre et d’influence) le groupe Marxiste/Trotskyste qui connut le plus de succès depuis l’Opposition de Gauche de Trotsky dans les 30′ (en comprenant notamment plus de 8.000 membres au milieu des années ’80, NDT).
A Liverpool
Aucune autre organisation marxiste ne réussit aussi bien à se connecter à la classe ouvrière comme nous l’avons fait dans la lutte héroïque que nous avons mené à Liverpool entre 1983 et 1987ou durant la lutte contre la poll-tax (une taxe voulue par M. Thatcher et qui fit tomber son gouvernement, NDT) Nous avons écrits deux livres (Liverpool, a city that dared to fight et The rise of Militant) qui traitent de ces luttes.Certains ont cherché à rabaisser le rôle crucial de la direction du Militant et de ses membres dans la bataille de Liverpool, et toutes ces attaques ne venaient pas de la droite du parti Travailliste. Georges Galloway, le lunatique parlementaire de gauche, d’abord élu sous la bannière du parti Travailliste puis en tant qu’indépendant, a délibérément choisi d’attaquer la stratégie du conseil communal de Liverpool et de se dissocier des mouvements de masse qui avaient lieu à Liverpool à cette époque. Il s’accorda avec les attaques de Neil Kinnock (à l’époque leader de droite du Parti Travailliste, NDT) sur le budget décidé par le conseil communal qui força la main et obtint des concessions de la part de Thatcher et qui permit de construire des milliers de logements, des salles de sport, des parcs, des écoles, etc. (1)
La « dame de fer » elle-même détruisit indirectement les critiques de Galloway sur le groupe Militant et les 47 élus du conseil communal de Liverpool qui s’était dressé pour la faire tomber. Le discours qu’elle prévoyait de faire à la conférence nationale du parti conservateur en 1984 (conférence qui fut annulée à cause de l’attentat de l’IRA sur le lieu de réunion.) prévoyait de mettre sur un même pied le conseil de Liverpool et le groupe «Militant» avec les mineurs en grèves en tant qu’ennemi de l’intérieur – de façon comparable au général Galtieri qu’ «elle» a battu lors de la guerre des Malouines.
Les représentants de la classe dirigeante, via leurs habitudes et traditions, sont entraînés à être implacables dans un contexte de lutte des classes. Et bien que Thatcher venait de la petite bourgeoisie (son père tenait un petit magasin) elle incarnait parfaitement cet entrainement, en particulier quand elle eut les rênes du pouvoir.
La lutte des mineurs
Thatcher fut défaite par les mineurs en 1981 quand elle dut temporairement annuler le programme de fermetures des mines. Mais avec sa clique comme Norman Tebbit, «un putois a moitié apprivoisé», elle utilisa les énormes réserves de charbon pour faire pression sur les mineurs et leur infliger une défaite. Ce ne fut cependant possible qu’avec la complicité de la direction de droite des syndicats.
Elle suivit la même tactique contre Liverpool, d’abord en se retirant quand le rapport de force lui était défavorable puis revenant prendre sa revanche quand les conseil communaux de «gauche» (celui de David Blunkett à Sheffield et celui de Ken Livingstone au grand conseil de Londres) avaient capitulé et laissé Liverpool isolé. Aidé dans sa tâche par Neil Kinnock, le leader Travailliste, elle réussit à évincer les conseillers de Liverpool par les cours de «justice».
Kinnock profita alors de la situation et du choc causé pour exclure du part les leaders de la lutte, Derek Hatton, Tony Mulhearn et d’autres. Tom Sawyer, un employé du Syndicat national des employés du Public (National Union of Public Employees) qui participa à la fondation de Unison (ndlr : autre syndicat) dit alors au Bureau Executif du parti Travailliste en février 1986 : «Je défie quiconque de me dire comment vous réussirez à aller à Liverpool et battre le groupe Militant en argumentant».
La Lutte de la poll-tax
Cependant, ce fut une autre paire de manche pour Thatcher de lutter contre le mouvement anti-poll-tax.(Taxe gouvernementale qui devait s’élever au même montant pour tous les ménages quelque soient leurs revenus, NDT). Militant, à travers les fédérations Anti Poll-Tax de toute la Grande Bretagne, mobilisa près de 18 millions de personnes sur le slogan «Can’t Pay , Won’t pay» («Je ne peux pas payer, je ne payerai pas»). Mais la victoire ne fut pas facile à arracher. Des centaines de personnes furent emprisonnés dont 34 membres du groupe Militant. Terry Fields, parlementaire travailliste et membre de Militant, apprécié nationalement des travailleurs et particulièrement à Liverpool, et ses collègues de Militant et conseillers communaux Dave Nellist et Pat Wall ont refusé de payer la Poll Tax. Pat mourut alors que la campagne gagnait en ampleur, mais Dave et Terry furent emprisonnés. Ce fut à ce moment là que la droite revancharde du parti Travailliste choisit de l’expulser.Et pourtant Terry Fields et les centaines de personnes qui furent emprisonnées et molestées dans ces prisons ont réussi là où les leaders syndicaux et les dirigeants discrédités du parti Travailliste ont lamentablement échoué : la campagne du non-paiement défia la Poll-Tax gouvernementale et par la même occasion fit chuter le gouvernement Thatcher, mettant à bas la « Dame de fer ».
Cela vint de paire avec le développement du Militant, nous avons grandi par bonds tout au long des années ’80. Cela se refléta parfois même de façon inattendue. Par exemple Jeffrey Archer (parlementaire conservateur, écrivain et coupable d’agressions sexuelles à de multiples reprises qui lui valurent la disgrâce, NDT) écrivit une nouvelle «First among equals» dans laquelle un parlementaire imaginaire travailliste se retrouve destitué à cause de la montée de 5 membres du Militants dans le comité exécutif de son parti. De même l’Union National des Journalistes écrivit dans sa publication mensuelle qu’en ce temps ils avaient l’impression que le Militant était partout ainsi : «Central TV filmait le pilote d’une nouvelle série où un grand groupe devait simuler une manifestation avec drapeau et calicots quand vint un groupe vint et essaya de leur vendre des exemplaires du journal «Militant» » !Les expulsions
Chaque attaque contre nous, qu’elle vienne de la droite du Parti Travailliste ou du poison de la presse capitaliste, servit à renforcer notre soutien et notre influence. L’expulsion du parti Travailliste des 5 membres du Comité de Rédaction du Militant en 1983 (Peter Taaffe, Lynn Walsh, Clare Doyle, Keith Dickinson et Ted Grant) créa encore plus d’intérêt pour nos idées.
Ces 5 étaient parmi les membres dirigeants du Militant. D’autres, comme Alan Woods, ont récemment clamé avoir joué un rôle central dans la fondation du groupe Militant dans l’idée d’accroître leur réputation en tant que participants clé du travail du Militant, les luttes de Liverpool et de la Poll Tax, etc. Il ne joua toutefois aucun rôle dans ces événements majeurs quand le Militant grimpa jusqu’à 8,000 membres, passant la plupart de son temps en Espagne où il joua un rôle dans la construction de la section espagnole du Comité pour une Internationale Ouvrière.
Ted Grant joua un rôle historique de marxiste en aidant à étayer et à orienter avec succès les nouvelles couches de jeunes et de travailleurs qui étaient à notre périphérie dans les années ’60 et ’70. Néanmoins, son approche dogmatique l’amena à se confronter avec l’écrasante majorité des dirigeants et des membres de Militant et il continua jusqu’à rompe avec le Militant en 1992 sur la question de quitter ou non le parti Travailliste (Militant et ses partisans du monde entier ont choisi de quitter la sociale-démocratie là où Grant et choisit d’y rester, NDT) Ses partisans ne réunirent que 7% des voix autour de leurs idées à la Conférence Nationale du Militant. Nous avancions qu’il était nécessaire de travailler et de nous construire en dehors du parti travailliste dans l’idée de gagner les meilleures, les plus combattantes couches des jeunes, à l’époque le parti Travailliste expulsait des travailleurs pour le «crime» d’avoir combattu la Poll-Tax.
Le Parti Travailliste
En opposition à nos arguments, Ted Grant et Alan Woods affirmèrent dogmatiquement que nous rompions avec une «tradition vieille de 40 ans» (leur propre approche du travail du Militant) et que les masses se tourneraient encore et encore vers le parti Travailliste et influeraient sur sa politique. Aujourd’hui, plus de 20 ans plus tard, nous attendons toujours de voir leur diagnostique se réaliser. En revanche, nous avons vu qu’entre 1997 et 2010 le parti Travailliste a perdu 5 millions de voix et que tant politiquement qu’opérationnellement il est désormais devenu une coquille vide. A tel point que ce groupe ne mentionne même plus dans son matériel la nécessité de «transformer le parti travailliste» !
Nous avons réfuté cette approche théorique aride mais les événements l’ont d’autant plus prouvé. De fait, suite au référendum écossais ils ont eux-mêmes conclus que le parti travailliste écossais étaient finis et qu’ils devaient désormais travailler à l’extérieur. Ils cachent cependant de façon éhontée qu’ils font désormais l’inverse de ce qu’ils prônaient hier encore.
Dans le tout premier numéro de notre journal, nous écrivions en 1964 à propos du rôle dirigeant dans le mouvement des travailleurs que : «en se montrant « responsable » les leaders [du parti Travailliste] ne se différenciaient en rien des conservateurs, les leaders Travaillistes ont joué le même jeu que les conservateurs» ce qui est mille fois plus encore le cas aujourd’hui qu’hier avec des Millibands et des Balls qui imitent scrupuleusement tout – y compris les coupes budgétaires sauvages – ce que des Cameron et Osborne ont mis en avant.
Le mouvement des travailleurs en Grande Bretagne fut sujet aux mêmes pressions issues de la crise du capitalisme en Europe et dans le monde. Nous avons construit une position forte basée sur les luttes des jeunes, riches de nos expériences lors de grèves des apprentis en 1960 et 1964 et dans la direction de l’organisation de jeunesse du parti Travailliste, les Sections des Jeunes Socialistes (Young Socialist Section)
A cette époque le parti Travailliste était encore un outil massivement investi par les travailleurs et les jeunes qui réussissaient fréquemment à le faire pencher à gauche, surtout au niveau local. Dans ces cas ce devint un instrument (dans certaines zones tout du moins) pour les travailleurs en lutte et à travers cela nous construisîmes patiemment une important position. Cependant, le tournant vers la droite incita le Militant à chercher à organiser les travailleurs et les socialistes en dehors du parti Travailliste. Et même lorsqu’il apparut de plus en plus évident que c’était le cas à la fin des années ’80 et au début des années ’90, nous pensions pourtant qu’il était toujours possible un jour de réintégrer le parti Travailliste lorsqu’il se re-remplirait de travailleurs suite à une lutte. Mais sous la coupe de Tony Blair puis de Gordon Brown, suivi de Milliband, le parti Travailliste a été bien trop à droite et n’est aujourd’hui pas différent des conservateurs ou des libéraux-démocrates, devenant ainsi une version anglaise des Démocrates américains, liés strictement à un système à deux partis pro-capitalistes.
Il y a peu de chances que le parti Travailliste agisse de façon différente si il regagne le pouvoir. Cela implique de continuer à avancer la nécessité de construire un nouveau parti de masse des travailleurs, ce qui était condamné par ceux-là même qui voulurent rester dans le parti Travailliste. Militant a gagné ses victoires non grâce à une interprétation rigide du marxisme. Oui, nous défendons les idées et méthodes de Marx, Engels, Lénine et Trotsky, mais nous avons aussi toujours affiché une grande flexibilité tactique.
De nouvelles convulsions
Les années ’90, après la chute du stalinisme, furent des années extrêmement difficiles pour les socialistes et pour le mouvement des travailleurs en général. Ce fut utilisé pour chercher à discréditer le mot « socialisme » et l’économie planifiée, et cela plongea l’axe idéologique dominant vers la droite. Néanmoins, depuis la chute du mur de Berlin, nous avons vu la banqueroute du capitalisme, et cela couplé avec des conflits sans fin (le Moyen Orient, les Balkans…) et, plus récemment, la dévastatrice crise économique mondiale. Cela prépara la route aux convulsions et aux mouvements que nous avons vu en Egypte et ailleurs.
La crise économique est si sévère en Grande Bretagne que même «les jeunesses travaillistes veulent perdre les élections» [The Evening Standard, 2 octobre 2014] Le parti Travailliste droitier est maintenant effrayé par le fait de gouverner, peur d’hériter du calice empoisonné après les élections de mai prochain. Cela, pour eux, pourrait discréditer «le parti Travailliste pour des générations», bien qu’il soit déjà largement discrédité aux yeux de millions de jeunes et de travailleurs.
Comme par le passé, le Socialist Party England and Wales est le seul avoir appliqué avec succès les méthodes marxistes et tracé les chemins à prendre. Le chemin du voyage passe clairement par la création d’un nouveau parti de masse, ce qui pourrait préparer les forces qui réaliseront le socialisme en Grande Bretagne.
Note :
(1) – Le conseil communal de Liverpool, élu de 1984 à 1987, composé notamment de socialistes du Militant et surnommé « les 47 de Liverpool », entra en fonction à l’époque de Thatcher et de son austérité dure. Malgré les attaques de celles-ci qui utilisa tout son arsenal juridique et policier contre les élus démocratiquement élus et soutenus par la classe ouvrière, jusqu’à faire enfermer un certain nombre de militants du groupe Militant, les « 47 » réussirent à :
-Reloger 6,300 familles
-Détruire 2,873 immeubles ,1,315 studios et 2,086 maisons insalubres
-Reconstruire 4,800 maisons et appartements
-Rénover 7,400 maisons et appartements
-Construire 600 maisons et 1,315 studios
-Construire 25 maison sociale de proximité
-Construire et ouvrir 6 classe maternelle
-Ouvrir, rénover et réorganiser 17 écoles
-Dépenser 10 millions de livres pour améliorer l’éducation
-Construire et ouvrir 5 centres sportifs dont un avec une piscine
-Création de 2,000 emplois supplémentaires
-Emploi de 10,000 personnes par an dans le cadre du Council’s Capital Programme
-Création de 3 parcs
-Gel des loyers pendant 5 ans -
Meeting "La Commune de Paris : à l'assaut du ciel"
La Commune de Paris est un moment-clé dans l’histoire du Mouvement ouvrier. C’est la première tentative de révolution prolétarienne, et elle a été un véritable champ d’expérimentations en matière d’organisation et de projets politiques pour la gauche: place des femmes, autogestion, internationalisme concret, …. Des thématiques d’une actualité frappante! Pour en parler, le CHOC (Cercle d'Histoire Ouvrière de Charleroi) a fait appel à Nathanaël Uhl, militant français et historien.
Rendez-vous le 18 avril à 15h à la maison des 8h pour une conférence débat en présence de Nathanaël Uhl. Place Charles II, 6000 Charleroi.
=> Page de l’évènement Facebook
=> La Commune de Paris, texte de Peter Van der Biest
Une initiative de l’ASBL Le Progrès et des Jeunes FGTB de Charleroi, en collaboration avec Marxisme.be et avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
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1934 : Des camionneurs révolutionnaires
Célébration du 80ème anniversaire des grèves de Minneapolis de 1934
Cette année marque le 80ème anniversaire d’une des plus grands révoltes ouvrières de l’histoire des Etats-Unis : les grèves des camionneurs de Minneapolis en 1934. Menée par des révolutionnaires socialistes, cette grève historique a ouvert une période de révolte sans précédent de la part de la classe ouvrière aux Etats-Unis. Au cours des dix années suivantes, le mouvement syndical s’imposera comme une institution puissante dans la société américaine et transformera les vies de millions de travailleurs pour les futures générations.
Par Alan Jones et Ty Moore.
Avec un supplément spécial à leur journal, nos camarades de Socialiste Alternative ont voulu familiariser une nouvelle génération de travailleurs et de jeunes avec les évènements et les leçons des grèves de Minneapolis de 1934. Pour ce dossier, ils se sont beaucoup inspiré du nouveau livre Les camionneurs révolutionnaires – Les grèves des camionneurs de Minneapolis de 1934, écrit par le Professeur canadien Bryan D. Palmer (Haymarket Press, 2014). Il s’agit de l’étude la plus détaillée et sérieuse jamais publiée sur les grèves de Minneapolis de 1934. C’est une contribution inestimable, à la fois à l’histoire ouvrière et aux défis qui se dressent devant la gauche et la classe ouvrière aujourd’hui. Face à un système capitaliste en déliquescence et au moment où nous entrons dans une période de lutte et de révoltes à travers le monde, chaque personne sérieuse qui veut changer le monde devrait étudier les leçons de 1934.
Pourquoi étudier les grandes grèves de 1934 à Minneapolis
Après une décennie de défaites et de déboires dans les années 20 et au début des années 30, le pouvoir des travailleurs et le taux de syndicalisation étaient au plus bas. Le syndicat était dominé par le syndicalisme corporatiste conservateur de l’American Federation of Labor (AFL), la Fédération américaine du travail. Cette mauvaise situation s’est empirée avec la Grande Dépression qui a causé un chômage de masse et une chute brutale des salaires.
En 1933, la colère refoulée des travailleurs s’est traduite à travers des campagnes de syndicalisation militantes à travers le pays. Mais elles aboutirent presque toutes à un échec à cause de dirigeants syndicaux conservateurs incapables de défendre les travailleurs contre la violence policière et les attaques féroces des patrons et de leurs mercenaires.
La victoire de la grève des camionneurs de Minneapolis de 1934 a illustré que des méthodes combattives de lutte de classe et un ”syndicalisme de combat” de masse pouvaient vaincre le patronat et ses alliés au gouvernement. Ceci contrastait nettement avec l’approche erronée des dirigeants conservateurs du ”syndicat de métiers”. Ces derniers cantonnèrent les luttes à de maigres et partielles revendications propres à la profession qu’ils représentaient au lieu de se battre pour la classe ouvrière tout entière.
”Finalement, une mobilisation impressionnante de camionneurs en grève dirigée par des trotskystes américains mit sur pied un syndicalisme militant dans une ville qui avait la mauvaise réputation d’être un bastion d’entreprises qui interdisaient toute représentation syndicale”; écrit Palmer. ”Bien plus que des luttes isolées d’un secteur particulier, les grèves des camionneurs de 1934 ont été des initiatives explosives de la classe ouvrière qui galvanisèrent l’ensemble de tous les travailleurs de Minneapolis – qualifiés ou pas, chômeurs et salariés, syndiqués et non syndiqués, hommes et femmes – et polarisèrent la ville dans des camps de classe opposée” (Palmer, p.3).
Les confrontations de classe féroces qui se sont déroulées à Minneapolis ont abouti à une des trois grandes victoires de grèves en 1934, toutes menées par des socialistes, qui ont ouvert la voie à un soulèvement historique de la classe ouvrière les dix années suivantes. A côté des camionneurs de Minneapolis, les travailleurs de l’usine de pièces pour automobiles de Toledo et les dockers de San Francisco ont prouvé aux yeux de tous que les travailleurs pouvaient se battre et gagner lorsqu’ils utilisaient comme arme la grève de masse.
Ces trois grèves victorieuses ont ouvert une brèche. Des millions de travailleurs de la production de masse dans le textile, l’automobile, la sidérurgie, les mines et d’autres secteurs se sont organisés et ont gagné la reconnaissance syndicale à la suite des luttes de classes les plus titanesques dans l’histoire des Etats-Unis. Cela a conduit, en 1937, à l’émergence du puissant Congress of Industrial Organizations (CIO), Congrès des organisations industrielles.
Les évènements de 1934 sont loin d’être le seul moment historique où les idées véritables du marxisme ont prouvé qu’elles étaient le guide le plus efficace pour que le mouvement ouvrier remporte des victoires.
Ce n’est pas une coïncidence si Seattle a été la première grande ville du pays à obtenir le salaire minimum de 15$/heure. Même les médias bourgeois ont été obligés de reconnaitre le rôle de la direction de Socialist Alternative (section du Comité pour une Internationale Ouvrière aux USA et parti-frère du PSL) et de la conseillère municipale Kshama Sawant dans la lutte – laquelle a transformé en une année un slogan lancé par quelques grévistes courageux des fast-food en une réalité pour 100.000 travailleurs à bas salaires à Seattle, pour un total de 3 milliards de dollars de transfert de richesse les 10 prochaines années.
L’urgente nécessité de reconstruire une base socialiste active et organisée comme épine dorsale pour un mouvement syndical renaissant est aussi pressante aujourd’hui – si pas plus – que dans les années ’30. Ce point se trouve au cœur de l’étude de Palmer sur les « camionneurs révolutionnaires » de 1934. Le livre démontre de façon très détaillée le rôle indispensable du marxisme et de son analyse, de son programme, de sa stratégie et de son organisation dans la direction du mouvement des masses à Minneapolis vers la victoire, là où d’autres tendances idéologiques du mouvement ouvrier ont échoué.
Palmer écrit : « La grève de masse et sa plus haute expression, la grève générale, a ainsi révélé la capacité du mouvement ouvrier américain à cet époque de se mobiliser de manière combattive, mais a aussi reflété l’importance de dirigeants de gauche au sein des syndicats mais très différents des bureaucraties bien installées qui ont si souvent dirigé des actions de base dans les organisations traditionnelles» (p.24). Les traditions de militantisme industriel à Minneapolis puisent leurs origines au cours des premières années du 20ème siècle. Les travailleurs les plus dévoués et respectés de la section locale du syndicat des camionneurs, la Teamsters Local 574 – ceux qui ont dirigé les grèves – étaient d’obédience socialiste et des vétérans de la lutte de classe.
Ils avaient été expulsés du Parti Communiste en 1928 pour avoir refusé de dénoncer Léon Trotsky. Ils étaient internationalistes et défendaient les idéaux démocratiques des débuts de la Révolution russe de 1917, lesquels avaient été abandonnés par Staline et ses partisans dans les partis communistes du monde entier. Après leur expulsion, les défenseurs du mouvement de l’Internationale « trotskyste » aux U.S.A. ont formé la Communist League of America (CLA).
Les trotskystes faisaient preuve d’une opposition sans relâche face à la bureaucratisation et à la dégénérescence de la Révolution russe sous Staline : « Trotsky et ses partisans ont été les premières victimes de Staline et de sa machine brutale de terreur et de répression dans l’Union Soviétique… » écrit Palmer.
Stratégie et tactiques marxistes
L’étude de Palmer détaille l’importance en 1934 des travailleurs qui avaient de l’expérience en tant que militants et de profondes connaissances de l’analyse marxiste du capitalisme. Il ne s’agissait pas simplement de lutter contre la timidité et le conservatisme des bureaucrates syndicaux avec un esprit révolutionnaire et des principes rigoureux. Ces traits étaient essentiels mais ils étaient combinés à des perspectives claires, une compréhension de la stratégie et des tactiques de la lutte de classe et à la façon de lier les revendications immédiates des travailleurs au défi plus vaste contre le capitalisme et la dictature du patronat.
Palmer explique : « Les trotskystes à Minneapolis (…) ont fait preuve d’une très grande compréhension sur la manière de négocier le plus efficacement la multitudes de contradictions – politiques et économiques, organisationnelles et idéologiques – en jeu dans l’enchevêtrement complexe des relations qui touchaient les luttes de classe locales en 1934. Cette perspicacité organisationnelle était un produit de la Communist League of America (l’organisation trotskyste de l’époque) dont des membres dirigeants et des cadres secondaires ont conçu les plans à l’insu du syndicat des camionneurs, ont développé la stratégie de grève pour les mettre en oeuvre dans le courant du printemps et de l’été 1934. Un camionneur militant, lequel avait rejoint les idées trotskystes en plein milieu de ces batailles et leur était reconnaissant des acquis gagnés pour la classe ouvrière de Minneapolis, a été amené à faire la déclaration suivante : « On n’aurait jamais pu faire ça sans un parti révolutionnaire discipliné » (p.73).
La figure de proue dans la C.L.A. (Communist League of America), James Cannon, qui a aussi joué un rôle central dans la grève, a expliqué qu’ « à Minneapolis nous avons vu le militantisme inné des travailleurs fusionner avec une direction politiquement consciente. »
Les critiques de l’extrême-gauche
Les critiques contre la direction de la C.L.A. ne venaient pas seulement de la presse capitaliste qui décrivait les grèves des camionneurs comme « une tentative révolutionnaire de créer un socialisme à la soviétique dans une ville ». Palmer souligne aussi les attaques du Parti Communiste stalinien qui a attaqué les dirigeants de la grève membres du C.L.A. en tant que « rien de plus que des apologistes du réformisme blafard d’Olson [Gouverneur du Minnesota], chantres de la loi martiale et dirigeants traitres d’une classe ouvrière américaine instinctivement révolutionnaire ». (p.220).
Palmer répond à ces attaques de l’extrême-gauche en attirant l’attention sur le fait que « Cannon et ses camarades de Minneapolis étaient à l’écoute d’une part de la nécessité d’une lutte militante et déterminée et, de l’autre part d’ « une évaluation réaliste de la relation de forces et les objectifs limités du combat » » (p.220).
Voulant tirer des enseignements précieux à l’intention des marxistes d’aujourd’hui, Palmer cite le constat que faisait Cannon : « Pour nous la grève était une lutte préalable et partielle avec pour objectif de créer le syndicat et contraindre les patrons de le reconnaitre. (…) Le syndicat puissant qui a émergé de la grève sera capable de combattre à nouveau et de protéger ses membres en attendant. La réussite est assez modeste. Mais si nous voulons jouer un rôle actif dans le mouvement ouvrier, nous ne pouvons pas nous permettre d’oublier que la classe ouvrière américaine est seulement en train de commencer à avancer sur les chemins de la lutte de classe » (p. 220).
Comment la grève a-t-elle été victorieuse?
Au début de l’année 1934, la petite section locale du syndicat des camionneurs, la Teamsters Local 574, qui ne comptait pas plus de 120 membres, bloquait par la grève les dépôts de charbon de Minneapolis. Menée par un petit noyau de socialistes, le syndicat prit les employeurs par surprise. La grève avait été prévue en plein milieu d’une vague de froid de l’hiver au Minnesota et cela a effectivement perturbé les approvisionnements en charbon essentiels pour le chauffage des entreprises et des maisons. Le syndicat a rapidement gagné : les patrons durent reconnaitre formellement la Local 574.
Pourtant, les patrons des transports routiers, avec la Citizen’s Alliance (l’Alliance des citoyens) – la puissante association patronale locale qui dirigeait effectivement Minneapolis – voulaient à tout prix écraser l’activité syndicale. Ils montraient de la fierté à garder Minneapolis comme l’une des villes antisyndicales la plus connue du pays.
L’Alliance des citoyens « resta cantonnée dans sa position et refusa de négocier avec les travailleurs sauf sur une base individuelle ». Les patrons de la ville « adhérèrent à l’idée que le communisme sévissait à Minneapolis et le mouvement de grève était comparable à une révolution soviétique », écrit Palmer, ajoutant que « le clash entre les camionneurs et leurs patrons progressait vers un conflit titanique et irréconciliable. »
N’ayant pas réussi à arracher un accord, après des actions de grève partielle en avril, la section syndicale locale 574 des camionneurs appela à un rassemblement de masse le 12 mai afin de voter la grève dans tous les secteurs industriels.
Construire un syndicat fort
Contrairement au syndicat corporatiste, modèle dominant à cette époque-là, la Local 574 adopta une approche industrielle du syndicat qui permit à des milliers de camionneurs, manutentionnaires, magasiniers et travailleurs de différents secteurs d’y devenir membres. Tout travailleur qui avait un lien avec le transport était le bienvenu. Grâce à cette approche, en mai 1934 les effectifs de la Local 574 atteignirent 3000 membres.
Le très grand rassemblement du 12 mai vota la grève sur base des revendications de la semaine de travail de 40h, les congés payés, une augmentation salariale et la reconnaissance du syndicat dans les entreprises pour que tous les travailleurs de l’industrie soient représentés par le syndicat.
La grève de masse commença le 16 mai et toucha presque toutes les entreprises de Minneapolis, des grands magasins aux usines jusqu’aux épiceries et boulangeries. Pas un seul camion ne pouvait circuler à Minneapolis sans la permission du syndicat, et il n’était permis de distribuer exclusivement que les produits comme le lait, la glace, et d’autres choses dont les travailleurs avaient besoin. Dans ses écrits sur le mouvement de grève, Farell Dobbs, l’un des dirigeants de la grève qui avait rejoint la Ligue Communiste Américaine en mars, expliqua que la grève était « caractérisée par des masses militantes tenant des piquets dès le premier jour… [et] elles étaient à la fois audacieuses et efficaces… Le développement et l’usage d’équipes de piquets mobiles était un exemple remarquable d’ingéniosité de la base. »
La tactique clé que les travailleurs ont employée pour paralyser la ville était les « brigades volantes », des piquets mobiles positionnés dans toute la ville et envoyées vers les quartiers généraux de la grève par téléphone quand un camion conduit par un jaune était repéré. Des piquets contrôlaient les routes principales et arrêtaient tous les camions non syndiqués.
Pour illustrer un fait exemplaire dans la préparation de la grève, une équipe de 120 personnes pouvait en une seule journée en mobiliser 10.000 à partir des quartiers généraux et il y avait un hôpital avec deux docteurs et trois infirmières. 500 grévistes se trouvaient en permanence aux quartiers généraux prêts à être envoyés au moment venu. Le nombre de membres de la Local 574 augmenta rapidement pour dépasser les 6.000.
Le véritable pouvoir qui dirigeait la grève était le comité de grève élu par la base comptant 100 camionneurs qui se réunissaient régulièrement pour prendre toutes les décisions importantes. Ils rendaient des comptes aux grévistes et à leurs alliés par des meetings qui se déroulaient chaque soir. Cette approche du syndicalisme démocratique et de la participation des masses, du presque jamais vu jusqu’à aujourd’hui, a formé la colonne vertébrale de la force syndicale à Minneapolis.
Les femmes s’organisent
Palmer dédie tout un chapitre à montrer le rôle extraordinaire de la Women’s Auxiliary (l’Auxiliaire des femmes) dont beaucoup de membres du syndicat, entièrement constitué d’hommes, y étaient d’abord opposés. Palmer décrit comment les dirigeants de la grève ont répliqué à cela par une « création explicite, consciente et réussie d’un contingent organisé de femmes de la classe ouvrière alliées à la main d’œuvre masculine de l’industrie routière. »
Farell Dobbs, un des dirigeants de la grève, a expliqué l’importance d’impliquer les femmes de grévistes dans le mouvement : « Au lieu d’avoir le moral rongé par les problèmes financiers engendrés par la grève », les femmes doivent être « parties prenantes des combats où elle pourraient apprendre le syndicalisme par leur participation directe » (Palmer, p.79).
En vue de préparer la bataille contre les patrons, The Organizer, un quotidien publié par la section locale 574 – le premier du genre dans l’histoire du mouvement ouvrier aux U.S.A. – écrivait qu’ « engager les femmes dans la lutte ouvrière c’est doubler la force des travailleurs et lui insuffler un esprit et une solidarité qu’il n’aurait pas pu avoir autrement. » Grâce à sa direction marxiste, la section locale 574 était l’une des rares organisations syndicales dans les années 30 (avec les Progressive Miners) qui a compris la nécessité d’organiser les femmes et de faire de leur organisation « un axe essentiel de la machine qu’est la grève » (p.80).
Les patrons contre-attaquent
L’Alliance des citoyens répondit au succès du syndicat par un appel à « un grand mouvement des citoyens » pour briser la grève. Ils commencèrent par engager des « adjoints spéciaux » pour aider la police afin de se préparer à éliminer dans la violence la grève et mettre fin aux piquets.
La fameuse Battle of the Deputies Run (la bataille des adjoints en déroute) se solda par l’envoi de 30 policiers à l’hôpital et une débâcle pour l’Alliance des citoyens. Cette confrontation épique entre les travailleurs, la police et les « adjoints » fortunés a été filmée et photographiée. Le public a travers le pays sauta de joie et applaudit quand il vit les grévistes tenir bon et mettre en déroute leurs opposants bien nantis pour maintenir un véritable contrôle sur la ville.
L’Alliance des citoyens lança en guise de réponse une énorme campagne de chasse aux rouges contre « la direction communiste terroriste » de la section locale syndicale 574 des camionneurs. Les patrons gagnèrent un soutien inattendu du président national conservateur du syndicat des camions, Daniel Tobin, lequel attaqua les dirigeants de la section locale 574 d’alimenter le « mécontentement et la rébellion » !
Après plusieurs jours de négociations, le syndicat accepta un compromis pour arrêter temporairement la grève. Ils gagnèrent la reconnaissance de la section locale 574 et des augmentations de salaire pour les camionneurs pendant que les autres questions étaient envoyées en arbitrage devant la Commission locale du Travail.
Cependant, comme les patrons ne voulaient pas arrêter leur politique antisyndicale par leur refus de reconnaitre le droit syndical à chaque travailleur de l’industrie, la section locale 574 commença les préparatifs pour une autre grève. Au début du mois de juillet, le syndicat organisa ce que la presse a appelé le « plus grand rassemblement dans l’histoire de Minneapolis » dans la salle du « Municipal Auditorium ». Parmi les milliers de personnes présentes, il y avait des délégations d’autres syndicats, des organisations de fermiers, les organisations des chômeurs et de la gauche.
En s’adressant à l’audience massive, les orateurs demandèrent que tout le mouvement ouvrier et les travailleurs soutiennent la Local 574 et expliquèrent que tous les travailleurs risquaient de perdre ou de gagner dans cette bataille. Miles Dunne, un membre de la Communist League of America et un des tout premiers dirigeants de la grève, s’adressa au public pour répondre aux attaques contre les communistes de la Local 574 :
« Ils ont soulevé maintenant le problème rouge et nous accusent d’être des rouges et des radicaux… ou vouloir installer une nouvelle forme de gouvernement et je vous dis ici franchement… quand un système de société permet aux patrons à Minneapolis de s’engraisser sur la misère, la famine et l’humiliation de la majorité, il est temps qu’on change le système, il est grand temps que les travailleurs prennent celui-ci en main et pour eux-mêmes au moins une part équitable de la richesse qu’ils produisent ». Les masses assemblées étaient d’accord avec la notion que « dorénavant quand une personne souffre, ce sont tous les travailleurs qui souffrent » (p.141).
Lorsque la troisième grève éclata le 16 juillet, la section locale 574 commença à publier The Organizer, un journal quotidien avec un tirage à 10.000 exemplaires. Edité par James Cannon, la figure centrale de la Communist League of America, The Organizer contra l’attaque de la propagande et des mensonges des patrons du transport routier et de l’Alliance des citoyens, en même temps que le journal expliquait la stratégie du syndicat aux travailleurs dans tout Minneapolis.
La loi martiale
Le 20 juillet, la police armée ouvrit le feu sur les grévistes pour tenter de briser la grève en utilisant la terreur et blessa 67 personnes. Deux grévistes moururent des suites de leurs blessures. Les dirigeants de l’Alliance des citoyens étaient certains qu’ils en finiraient avec la grève mais la réalité était complètement à l’opposé. La brutalité policière renforça la solidarité, la détermination et la résolution des travailleurs. Des dizaines de milliers d’entre eux protestèrent contre le massacre et presque 100.000 participèrent à l’énorme marche funéraire d’Henry B. Ness – âgé de 49 ans, père de 4 enfants, un vétéran de guerre et membre de la section locale 574 depuis 16 ans.
Face au soulèvement qui ne cessait pas et menaçait d’embraser toute la ville, le Gouverneur Floyd Olson, membre du Farmer –Labor Party (Parti des agriculteurs et travailleurs), proclama la loi martiale et fit appeler les troupes de la Garde Nationale pour jouer le rôle de jaunes. Lors d’un rassemblement de masse, les travailleurs décidèrent de reprendre les piquets au mépris du gouverneur et de la Garde Nationale. Olson ordonna l’arrestation des cadres dirigeants de la grève et boucla les quartiers généraux.
Les troubles qui explosèrent après les arrestations révélèrent la force d’un mouvement de masse démocratique et d’un comité de grève élu comptant une centaine de travailleurs. Derrière la direction centralisée il y avait des centaines de dirigeants issus de la base qui avaient appris la stratégie et les tactiques de la lutte des classes et qui étaient capables de continuer la grève. « Malgré tout ce que les militaires essayèrent de faire… la grève censée être décapitée de sa direction était pleine de vie, » écrivait Dobbs.
La victoire
Poussé par le Président Roosevelt qui craignait que la révolte ouvrière à Minneapolis ne s’étende, le gouverneur Olson fit marche arrière, rappela les troupes, relâcha les dirigeants de la grève et leva le siège des quartiers généraux.
Soutenus par l’Alliance des citoyens, les patrons du transport routier résistèrent encore deux semaines supplémentaires. La grève se transforma en guerre d’usure qui se prolongea et imposa une épreuve énorme pour le syndicat et les grévistes. Finalement, la grève se termina le 21 août avec un accord conclu par voie de médiation par une victoire sans pareille pour le syndicat. Plus important, la section locale 574 gagna le droit de représenter tous les travailleurs, ce qui brisa l’attachement infaillible des patrons à avoir des entreprises sans représentations syndicales.
Suite à la défaite de l’Alliance des citoyens à la solde des patrons, les travailleurs des autres entreprises gagnèrent la confiance à s’organiser. D’une ville gérée par les entreprises, Minneapolis devint une ville des syndicats.
A travers tout le Midwest et partout dans le pays, inspirés par les évènements de Minneapolis, les travailleurs s’organisèrent eux-mêmes. Les années suivantes, sous la direction socialiste de la section locale 574, une grande partie du secteur du transport routier inter-états était syndiquée. Cette campagne a transformé le syndicat des camionneurs d’un petit syndicat d’environ 75.000 membres au niveau national en 1934 à un édifice puissant d’un syndicat organisé atteignant 400.000 membres en 1939.
Le syndicat des camionneurs de Minneapolis de 1934 constitue, pour l’époque et aujourd’hui, un exemple de la manière dont un syndicat solide contrôlé par la base avec une direction socialiste peut obtenir un soutien des masses et gagner des victoires décisives.
La voie à suivre pour le mouvement ouvrier d’aujourd’hui
Un élément important de la grève générale de Minneapolis de 1934 est que celle-ci a remporté des grandes victoires à une époque où le mouvement ouvrier était ravagé par la Grande Dépression et des années de défaites amères. Les dirigeants syndicaux de l’ALF, la Fédération américaine des travailleurs, ont complètement échoué à développer une stratégie et des tactiques afin de montrer la voie à suivre aux centaines de milliers de travailleurs prêts à se battre au moment même où l’économie commençait à se relever. La section locale 574 du syndicat des camionneurs de Minneapolis, la Teamsters Local 574, sous une direction socialiste, montra qu’il était possible de se battre et gagner. Avec les deux autres grèves générales dirigées par la gauche cette année-là, cela a préparé le terrain pour la plus grande offensive organisée de l’histoire du mouvement ouvrier américain.
Aujourd’hui, après six années passées dans la pire crise économique et sociale que le capitalisme a créée depuis les années 30, le mouvement ouvrier est comme à l’époque dans le creux de la vague. Dans le secteur privé, moins de 7 % des travailleurs sont syndiqués, le plus bas niveau depuis 1916. Au cours de ces trente dernières années, une offensive ininterrompue de la classe dominante a repris aux travailleurs les acquis qu’ils ont gagnés entre les années 30 et 60. On peut chiffrer ce transfert massif de richesses du travail vers le capital au gouffre énorme entre les riches et les pauvres.
Même dans le secteur public qui a le plus haut niveau de syndicalisation, les travailleurs ont vu leurs salaires, assurances santé, pensions et conditions de travail être attaqués. Dans certains états comme au Wisconsin, des forces de la droite ont voulu retirer le droit des travailleurs du secteur public à se syndiquer.
Malheureusement, il y a longtemps qu’au sein de la plupart des syndicats les dirigeants ont renoncé aux méthodes de la lutte de classe à la base de la construction de ces mêmes syndicats. Ils ne sont pas partis de l’analyse que les patrons et les travailleurs n’ont pas les mêmes intérêts. La direction du tout-puissant syndicat United Auto Workers négocie depuis des dizaines d’années des concessions, à un tel point que beaucoup de travailleurs du secteur automobile se demandent quel est l’avantage d’être syndiqué. Au plus haut sommet des plus grands syndicats il y a une couche de fonctionnaires avec des salaires très élevés qui sont totalement déconnectés de la réalité que vivent leurs membres. Souvent, leurs salaires et styles de vie les placent résolument parmi les 1% les plus riches.
Mais le problème ne vient pas juste de la crise de direction. La globalisation a radicalement changé des pans de l’économie et la composition de la force de travail, ce qui pose des défis concrets concernant la construction et la survie de syndicats efficaces. La conscience de classe a aussi fait des pas en arrière surtout depuis la chute de l’Union soviétique mais aussi à cause du réformisme des directions syndicales. Une grande différence avec aujourd’hui et 1934 est qu’à l’époque il y avait dans le mouvement syndical une couche importante de militants aguerris, situation qui aujourd’hui fait largement défaut. Actuellement, la couche de militants est beaucoup plus petite et a moins d’expérience.
Mais, comme dans le milieu des années 30, le discours du « relèvement » économique que la plupart des travailleurs ne voient pas du tout, donne le courage à beaucoup d’entre eux de vouloir réagir. Le mouvement Occupy a canalisé ce sentiment. Ces deux dernières années, on a vu les arrêts de travail héroïques des travailleurs des fast-foods à travers tout le pays et les débuts du mouvement de masse pour gagner un salaire minimum de 15$/heure.
Ce dont nous avons besoin
Reconquérir les syndicats : les militants syndicaux qui en ont assez du « nivellement par le bas » et veulent prendre position doivent s’unir pour s’opposer aux contrats précaires et prôner l’engagement et la mobilisation des membres. Afin de regagner la confiance des travailleurs, les représentants syndicaux de gauche devraient s’engager à toucher uniquement le salaire des travailleurs qu’ils représentent.
Récemment, il y a eu des signes d’agitations dans plusieurs syndicats. Dans un certain nombre de syndicats locaux d’enseignants, des groupes d’opposition rebelles ont gagné les élections ou y sont presque arrivés avec un programme qui promettait une politique plus combattive. Le cas le plus connu est celui d’un comité d’enseignants et d’acteurs de l’éducation qui fait partie du Syndicat des Enseignants de Chicago qui a évincé la vieille direction et a mené une grève exemplaire en 2012. Il y a aussi quelques syndicats qui montrent la voie, comme le Syndicat national des infirmiers et infirmières qui a une direction encore plus à gauche.
Des campagnes de syndicalisation massives : « Syndiquer les non-syndiqués » était le cri de guerre dans les années 30 et doit l’être encore aujourd’hui. Il y a des millions de travailleurs dans l’industrie, la vente et ailleurs qui pourraient être syndiqués – mais pas en jouant selon les règles établies par le National Labor Relations Board (Commission Nationale des relations au travail, une sorte d’inspection du travail). Tous les rouages de cette commission des « relations au travail » sont rouillés ; celle-ci ne fonctionne pas dans les intérêts des syndicats, et cela n’a jamais été le cas. Il faut remplacer l’approche timide et bureaucratique qu’ont la plupart des syndicats en matière d’organisation par des actions de masse et de grande préparation pour défier les lois antisyndicales.
Se réapproprier la grève en tant qu’arme : la force la plus fondamentale qu’ont les travailleurs est d’arrêter le travail et de bloquer aux patrons leur accès à plus de profits. Aujourd’hui, le nombre de grèves et leur ampleur sont à des niveaux historiquement bas. Quand les grands syndicats industriels ont été construits, il y a eu généralement des grèves pour gagner leur reconnaissance, suivies d’une deuxième vague de grèves pour arracher des acquis. On en reviendra à de telles méthodes si on fait reculer les capitalistes rapaces comme Walmart et si on reconstruit le mouvement ouvrier en une force vraiment puissante.
Allier une stratégie politique et industrielle : aujourd’hui, un grand nombre de travailleurs ne se sentent pas assez forts pour affronter leur patron sur leur lieu de travail. C’est vrai, bien sûr, là où il n’y a pas de syndicats, mais c’est aussi vrai là où il y a des syndicats, précisément où des dirigeants syndicaux conservateurs barrent la route à la lutte sur le lieu de travail.
Dans beaucoup de cas, engager des actions politiques, précisément au niveau local, peut être un premier pas en avant pour montrer la marche à suivre aux travailleurs. Mais pour être efficace, l’action politique ne peut pas signifier soutenir les Démocrates « amis du syndicat », lesquels ont souvent, pour ne pas dire toujours, mis en avant l’austérité et les attaques sur les travailleurs syndiqués. Les travailleurs ont besoin de leurs propres représentants politiques indépendants comme Kshama Sawant, la conseillère municipale socialiste de Seattle, ou comme les candidats indépendants qui se présentent sur des listes syndicales qui en ont assez de la trahison des Démocrates dans le Comté de Lorain en Ohio. On doit faire le lien entre les défis électoraux et la construction de campagnes de masse telles que « 15 Now » qui a joué un rôle décisif en forçant le Conseil municipal de la ville de Seattle à voter pour un salaire minimum de 15$.
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L’héritage des Black Panthers : Quelles leçons tirer ?
Le Black Panther Party for Self Defense fut fondé à Oakland, en Californie, en 1966. Cet événement était le point culminant de la grande rébellion contre le racisme et la pauvreté qui a balayé les USA dans les années 50 et 60. Hannah Sell (Socialist Party, section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et au pays de Galles et parti-frère du PSL) revient dans cet article (datant de 2006) sur les leçons à tirer de la montée et de la chute de ce mouvement.
Au plus fort de leur influence, J Edgar Hoover, dirigeant du FBI, a qualifié les Black Panthers de ‘‘menace numéro 1 pour la sécurité des USA’’. 40 ans plus tard, Arnold Schwarzenegger, alors qu’il était gouverneur de Californie, les considérait encore comme une menace. Il a refusé de revenir sur la condamnation à mort de Stanley ‘‘Tookie’’ Williams parce qu’il ne pensait pas qu’il ait changé. Tookie était un membre fondateur du fameux gang Crips ; il a depuis changé son point de vue et a consacré sa vie à décourager les jeunes de rejoindre les gangs. La principale justification de Schwarzenegger pour refuser de croire que Tookie a changé était qu’il a dédicacé son livre à l’héroïque George Jackson, un Black Panther et révolutionnaire qui a été tué par des gardiens de prison en 1971.Mais alors que la classe dominante se rappelle des Black Panthers avec crainte, ces derniers seront vus comme des héros par la nouvelle génération de jeunes qui entre en lutte.
Le racisme et la pauvreté que subissaient les noirs-américains dans les années 50-60 n’ont pas fondamentalement changé aujourd’hui (ce qui a encore été illustré par la révolte de Ferguson, NDLR). Il est vrai qu’il y a maintenant une classe moyenne noire beaucoup plus nombreuse et plus riche qu’à cette époque. Une mince couche a même pénétré l’élite de la société américaine, comme Condoleezza Rice, secrétaire d’Etat sous George Bush, ou le président Obama. La classe dominante américaine a répondu à la révolte des années 50 et 60 par la décision consciente de développer une classe moyenne noire afin de freiner les mouvements futurs en créant une version du ‘‘rêve américain’’ pour les Noirs.
Ce rêve américain reste toutefois un mythe pour la classe ouvrière noire-américaine, encore plus que pour la classe ouvrière blanche. Selon les statistiques officielles, en 2004, 24,7% des noirs étaient catégorisés comme pauvres, contre 8,6% des blancs non-hispaniques. Le chômage est deux fois plus fort chez les noirs que chez les blancs et ils ont deux fois plus de chances de mourir d’une maladie, d’un accident ou d’un meurtre, à toute étape de leur vie. L’ouragan Katrina a révélé la réalité de la vie aux USA au 21e siècle : ce sont les pauvres qui ont été laissés en arrière alors que les digues étaient submergées, et la majorité de ces pauvres étaient noirs.
Dans les années 1960, pour reprendre les mots de George Jackson, ‘‘les hommes noirs nés aux USA et assez chanceux pour dépasser l’âge de 18 ans étaient conditionnés à accepter l’inéluctabilité de la prison.’’ Jackson lui-même a été condamné à une peine de prison ‘‘d’un an à vie’’ (condamnation à un an minimum, mais sans maximum, avec délibérations chaque année pour décider de la sortie où non) pour avoir braqué une station-service. De nos jours, la situation a peu changé pour les jeunes hommes de la classe ouvrière noire. Il y a constamment 11% d’entre eux en prison. Dans la plupart des États, purger une peine de prison signifie perdre définitivement le droit de vote. Dans les faits, le suffrage universel n’existe pas pour les hommes noirs. Dans les années 1960, comme aujourd’hui, le système pénitentiaire brutalisait des millions de jeunes noirs.
Cependant, dans cette période de radicalisation, pour beaucoup, la prison a servi d’université pour les idées révolutionnaires. Jackson expliquait : ‘‘J’ai rencontré Marx, Lénine, Trotsky, Engels et Mao quand je suis entré en prison, et ça m’a indemnisé.’’ Les Panthers, dont beaucoup ont été emprisonnés en raison de leurs activités, ont gagné un énorme soutien dans les prisons américaines.
Le capitalisme américain au 21e siècle a rejeté la classe des travailleurs noire-américaine. L’Histoire des Black Panthers n’est donc pas seulement d’intérêt historique, c’est également une leçon importante pour la nouvelle génération qui entre en lutte, en particulier aux USA, mais aussi dans le monde entier.
Ce n’est pas une coïncidence si le ‘‘mouvement des droits civiques’’ a éclaté dans les années 1950. La seconde guerre mondiale a eu un effet déclencheur. Non seulement des milliers de soldats noirs se sont battus et sont morts au nom de l’impérialisme américain, mais ils ont également été frappés par l’hypocrisie de la propagande de guerre. Ils se trouvaient face à une classe capitaliste qui proclamait qu’ils devaient se battre contre le racisme des nazis, alors que dans leur propre pays un racisme brutal était la norme. De plus, le capitalisme américain entrait dans une période prolongée de prospérité économique. Cela signifiait que de plus en plus de noirs partaient du Sud rural vers les villes, en particulier vers le Nord. En 1940, la moitié de la population noire vivait dans les villes. En 1970, c’étaient les trois quarts.
Devenir partie intégrante de la classe ouvrière – les communautés rurales isolées étant déplacées vers les grands centres urbains – a augmenté leur confiance et leur capacité de lutter. De plus, l’enrichissement et l’augmentation du niveau de vie de la classe moyenne blanche a rendu la pauvreté et la déchéance de la majorité des noirs de plus en plus visible. Finalement, les luttes de libération des masses en Afrique et en Asie, qui sont parvenues à renverser les empires coloniaux, ont constitué une grande source d’inspiration.
Alors que la lutte se développait, elle a changé le point de vue de la plupart de ceux qui y ont pris part. Le Civil Rights Act a été voté en 1965. S’il s’agissait bien d’une concession législative, elle ne changeait pourtant rien à la réalité de la pauvreté et de la brutalité policière. Même Martin Luther King, qui avait d’abord pensé que le rôle du mouvement était d’utiliser des méthodes pacifiques pour mettre la pression sur les Démocrates afin de garantir les droits civiques, a changé son point de vue dans la période qui a précédé son assassinat. Quand King a été brutalement tabassé par la police à Birmingham, en Alabama, en 1963, des émeutes ont éclaté dans tout le pays. Au milieu des décombres, King a déclaré avec justesse que les émeutes étaient « une révolte de classe des sous-privilégiés contre les privilégiés ». En 1967, il a été forcé de conclure : « Nous sommes entrés dans une époque qui doit être une époque de révolution (…) A quoi bon pouvoir entrer dans les cafétérias si on ne peut pas se payer un hamburger ? » Il a particulièrement commencé à défendre la nécessité d’en appeler aux travailleurs blancs et d’organiser la lutte sur une base de classe. Il était en faveur des méthodes de grève lorsqu’il a été assassiné.
Origine et création des Panthers
A la base du mouvement, des discussions prenaient place parmi les militants qui essayaient de trouver les méthodes de lutte les plus efficaces. Les idées pacifistes étaient de plus en plus rejetées, en particulier par la jeune génération. Dans le chaos de ces événements, les idées des Black Panthers se sont développées.A plus d’un titre, le mouvement des Black Panthers était un pas en avant. C’était une rupture avec le pacifisme et l’orientation de l’action vers les Démocrates, un parti du pro-capitaliste. En même temps, les Panthers avaient leurs limites, en particulier ses sous-entendus séparatistes et l’absence de programme clair.
Malcolm X s’était écarté du nationalisme noir du mouvement Black Power et avait tiré des conclusions anticapitalistes à un degré bien plus élevé que d’autres dirigeants, déclarant clairement qu’ « il ne peut y avoir de capitalisme sans racisme ». Malcolm X a été tué en février 1965. Les Black Panthers ont été fondés fin 1966 et considéraient qu’ils reprenaient les choses là où Malcolm X les avaient laissées. Les deux membres fondateurs, Huey P. Newton et Bobby Seale, se sont impliqués dans la lutte à une époque où l’on sentait qu’il n’y avait aucune voie claire pour avancer.
La jeune génération de militants était à la recherche d’idées. Newton et Seale ont commencé leur recherche, comme beaucoup de cette génération, avec les « nationalistes culturels », mais leur ont rapidement trouvé des lacunes. Dès le tout début, leurs désaccords se centraient sur la question de classe. Seale explique dans sa biographie, Seize the Time, comment Newton a commencé à contrer l’idée d’acheter dans des magasins noirs : « Il expliquait souvent que si un chef d’entreprise noir te fait payer le même prix ou plus cher, des prix encore plus élevés que chez les chefs d’entreprises blancs exploiteurs, alors lui non plus n’est rien d’autre qu’un exploiteur ».
Les Panthers rejetaient le séparatisme des nationalistes culturels et ont été fondés avec ce concept magnifique : « Nous ne combattons pas le racisme par le racisme. Nous combattons le racisme par la solidarité. Nous ne combattons pas le capitalisme exploiteur par le capitalisme noir. Nous combattons le capitalisme par le socialisme. Et nous ne combattons pas l’impérialisme par plus d’impérialisme. Nous combattons l’impérialisme par l’internationalisme prolétarien ».
En deux ans, les Panthers se sont propagés comme un feu de prairie, d’une poignée à Oakland, en Californie, à des sections dans toutes les villes les plus importantes des USA, vendant 125.000 exemplaires de leur journal, The Black Panther, par semaine. Ayant gagné un soutien phénoménal au cours des premières années, les Panthers ont décliné tout aussi rapidement, rongés par les scissions. Ils ont fait face à une pression policière énorme. La classe dirigeante était terrifiée par les Panthers et a décidé de les écraser. Il est estimé que le « cadre », ou le noyau, de l’organisation des Black Panthers n’a jamais dépassé les 1000 membres, et pourtant il est arrivé que 300 d’entre eux soient traduits en justice au même moment. 39 Panthers ont été abattus dans la rue ou chez eux par la police. De plus, la police a largement infiltré les Panthers. Cependant, ce n’était pas seulement une répression d’Etat très brutale qui a été responsable de la disparition des Black Panthers, mais aussi son échec à adopter une approche marxiste.
Les dirigeants des Panthers étaient à un niveau supérieur des organisations précédentes, se décrivant comme « marxistes-léninistes ». Les meilleurs des Panthers s’efforçaient héroïquement de trouver la meilleure voie pour gagner la libération des Noirs Américains, et en sont venus à comprendre que c’était lié à la lutte pour le socialisme. Toutefois, ils ont dû faire face à tous les problèmes liés au fait que leur mouvement se développait avant une lutte de masse généralisée de la classe ouvrière américaine. Ils n’ont pas été capables, dans la courte période de leur influence de masse, d’élaborer complètement la stratégie pour parvenir à leurs fins.
Le programme des Panthers
L’influence du stalinisme a engendré énormément de confusion dans le mouvement. Et une responsabilité plus grande qu’il n’y parait en incombe à celles de ces organisations, en particulier le SWP (Socialist Workers Party) américain, qui se disait trotskiste mais qui ne faisaient rien d’autre que suivre le mouvement Black Power, sans rien faire pour développer les vraies idées du Marxisme chez les militants radicaux noirs. En fait, loin d’aider les Panthers à développer leurs méthodes et leur programme, le SWP américain a même critiqué les Panthers parce qu’ils osaient s’opposer au racisme des nationalistes culturels : « Le concept qu’il est possible pour les Noirs d’être racistes est l’un de ceux que le mouvement nationaliste a dû toujours combattre depuis le premier réveil de la conscience noire ».
La plus grande force des Panthers était qu’ils s’acharnaient à défendre une solution aux problèmes des Noirs-américains basée sur la classe plutôt que sur la race. L’attitude du SWP américain contrastait avec celle de Bobby Seale : « Ceux qui veulent obscurcir la lutte avec les différences ethniques sont ceux qui aident à maintenir l’exploitation des masses. Nous avons besoin d’unité pour vaincre la classe des patrons – toute grève le montre. Toute bannière d’organisation de travailleurs déclare : ‘L’union fait la force’ ».
Les Panthers ont été fondés autour d’un programme en dix points : « Ce que nous voulons et ce en quoi nous croyons ». La première revendication est : « Nous voulons la liberté. Nous voulons le pouvoir de déterminer la destinée de la communauté noire. Nous croyons que les Noirs ne seront libres que lorsque nous serons capables de déterminer notre destinée ». La seconde était pour le plein emploi, la troisième pour la fin du vol de la communauté noire par l’homme Blanc, la quatrième pour des logements décents et un système d’éducation « qui expose la vraie nature de cette société américaine décadente ». D’autres revendications incluaient la fin de la brutalité policière, l’exemption des Noirs du service militaire, et « pour tout homme noir traduit en justice, le droit d’être jugé par un jury composé de ses pairs ou de personnes des communautés noires ».
A leur début, ils ont combiné la campagne autour du programme en dix points avec l’organisation de la défense de leur communauté locale contre la brutalité policière. Pendant cette période, la principale activité des Panthers était de « surveiller les porcs », c’est-à-dire, de surveiller l’activité policière pour essayer de s’assurer que les droits civiques des Noirs soient respectés. Quand les membres des Panthers voyaient la police contrôler un conducteur noir, ils s’arrêtaient et observaient l’incident, habituellement les armes à la main. A cette époque, il était légal en Californie de porter les armes dans certaines limites et les Panthers affirmaient leur droit à le faire, citant les articles de lois correspondant. La troisième composante du travail des Panthers était de fournir de la nourriture, des vêtements et des soins médicaux gratuits dans les communautés noires pauvres et ouvrières. Les Panthers ont aussi pris une position claire et positive sur la question des droits des femmes, et la direction a lutté pour assurer que les femmes puissent jouer un rôle complet dans le parti.
Cela montrait que la communauté noire devait avoir ses propres organisations, et l’appartenance aux Panthers n’était ouverte qu’aux Noirs. Cependant, ils soutenaient qu’ils devraient travailler ensemble avec des organisations basées dans d’autres communautés. De fait, un certain nombre d’autres organisations ont été fondées (souvent basées au début autour d’ex-membres de gangs) dans les communautés ouvrières urbaines, qui se sont inspirées des Panthers. Il y avait ainsi une organisation portoricaine basée à New York, les Young Lords, et une organisation blanche, les Young Patriots, à Chicago.
Cependant, ce fut le mouvement de masse contre la guerre du Vietnam qui a montré le plus clairement aux Panthers qu’une partie des Blancs étaient prête à lutter. Comme le formulait Huey P Newton : « Les jeunes révolutionnaires blancs sont montés au créneau pour le retrait des troupes du Vietnam mais aussi de l’Amérique Latine, de la République Dominicaine, des communautés noires ou des colonies noires. Il s’agit donc d’une situation dans laquelle les jeunes révolutionnaires blancs tentent de s’identifier aux peuples des colonies et contre les exploiteurs ».
Les Panthers étaient, en général, inspirés par les luttes contre les empires coloniaux qui prenaient place dans le monde entier. Leur attitude envers le Vietnam était claire. Dans un appel aux soldats noirs, ils ont déclaré : « Il est juste que les Vietnamiens se défendent eux-mêmes, défendent leur pays et luttent pour l’auto-détermination, parce qu’ils ne nous ont JAMAIS opprimés. Ils ne nous ont JAMAIS traités de ‘nègres’. »
La révolte contre la guerre au Vietnam a eu un effet majeur sur la communauté noire. En général, c’était la classe ouvrière qui souffrait le plus de la conscription. Les Panthers qui étaient conscrits montaient des groupes dans l’armée. Ils travaillaient sur un terrain fertile. Un sondage a montré que 45% des soldats noirs au Vietnam auraient été prêts à prendre les armes pour servir la justice chez eux. Le soulèvement contre la guerre du Vietnam a pétrifié la classe dominante américaine. Durant la guerre d’Irak, les USA n’ont pas osé réintroduire la conscription tant la classe dominante et les Américains en général se souviennent du Vietnam et de ses conséquences.
Mais, si les Panthers ont bien accueilli la radicalisation de la jeunesse blanche dans le mouvement anti-guerre, trouver des alliés concrets avec qui travailler s’est révélé plus difficile. Les Panthers se sont présentés aux élections avec le Peace and Freedom Party, qui faisait campagne en premier lieu contre la guerre au Vietnam et l’oppression des communautés noires. En 1967, quand Huey était en prison, les Panthers ont travaillé avec le PFP pour « libérer Huey ».
Cependant, ni le PFP, ni aucune des organisations avec qui les Panthers ont travaillé, n’avaient une base signifiante dans la classe ouvrière. Newton l’a reconnu en expliquant en 1971 : « Notre prise de contact avec les radicaux blancs ne nous a pas donné accès à la communauté blanche, parce qu’ils ne guident pas la communauté blanche ».
Peu de liens avec les travailleurs
La principale orientation des Panthers n’était pas non plus la classe ouvrière noire organisée. Ils organisaient des « comités » avec les syndicats, comme le raconte Bobby Seale, « pour aider à éduquer le reste des membres des syndicats au fait qu’ils peuvent aussi avoir une vie meilleure. Nous voulons que les travailleurs comprennent qu’ils peuvent contrôler les moyens de production, et qu’ils devraient commencer à utiliser leur pouvoir pour contrôler les moyens de production pour servir tout le peuple. »
C’était une conception correcte mais, en réalité, le travail syndical était une toute petite partie de ce que les Panthers faisaient. Ils s’orientaient consciemment en priorité vers les sections de la communauté noire les plus opprimées et touchées par le chômage – qu’ils décrivaient, utilisant l’expression de Marx, comme le « lumpenproletariat ». Il est vrai que ces sections les plus désespérées de la société sont capables de sacrifices incroyables pour la lutte, et comme les Panthers le disaient, qu’il est important de gagner ces sections les plus opprimées à un parti révolutionnaire. C’était le cas en particulier étant donné les conditions sociales horribles dans lesquelles la plupart des Noir-américains étaient obligés de vivre.
L’urbanisation qui a accompagné le boom d’après-guerre a mené à une migration de masse des travailleurs noirs vers les villes industrielles du Nord. Ils arrivaient pour vivre dans des ghettos, dans la pire des pauvretés. Dans beaucoup d’endroits, la majorité était au chômage. Cependant, les travailleurs noirs formaient une partie significative de la force de travail et, en raison de son rôle dans la production, la classe ouvrière industrielle a un rôle-clé à jouer dans la transformation socialiste de la société.
Les travailleurs noirs ont été à l’avant-garde des meilleures traditions de la classe ouvrière américaine. Avant la guerre, beaucoup de Noirs ont été influencés par les grandes luttes syndicales des années ’20 et ’30, en particulier la grande vague de grèves qui a éclaté en 1934, dont des grèves avec occupation et des grèves générales dans des villes (la rébellion des camionneurs à Minneapolis et l’occupation d’Auto Lite à Toledo, Ohio). Les campagnes de masse d’organisation parmi les ouvriers industriels et les travailleurs non-qualifiés ont donné naissance au Congress of Industrial Organisations (CIO), formé en 1936. Les nouveaux syndicats industriels (United Automobile Workers, United Mine Workers, United Steel Workers (métallurgistes), etc) ont immédiatement attiré plus de 500.000 membres noirs, au contraire des vieux syndicats corporatistes comme l’American Federation of Labor. Cette expérience a été utilisée à bon escient pendant la guerre, par exemple pendant la grève de 1941 du syndicat des bagagistes noirs, la Brotherhood of Sleeping Car Porters, qui a forcé le gouvernement à en finir avec la discrimination raciale ouverte dans les usines d’armement fédérales.
Avec une orientation correcte, le potentiel existait indubitablement pour les Panthers de gagner le soutien de parties importantes de la classe ouvrière, dont une couche des travailleurs blancs. Bien sûr, toutes sortes de préjugés racistes existaient parmi une partie des travailleurs blancs (y compris ceux qui étaient syndiqués) et devaient être combattus. Cependant, la fin du redressement d’après-guerre a mené à une montée du chômage et à une intensification du travail pour toutes les couches de la classe ouvrière. Alors que la classe ouvrière noire était la plus combative, pour avoir fait face à des conditions bien pires, la classe ouvrière blanche commençait aussi à se radicaliser.L’absence d’une base parmi la classe ouvrière est un des éléments qui a augmenté la tendance vers un régime autoritaire parmi les Panthers. Elle s’est aussi ajoutée à la tendance, qui avait toujours existé dans une certaine mesure, à essayer de prendre des raccourcis en se substituant aux masses avec des actes courageux, comme les manifestations armées au parlement d’État californien.
C’était l’influence du stalinisme qui était en grande partie responsable de l’échec des Panthers à avoir une orientation consistante envers la classe ouvrière. La direction des Panthers s’est inspirée en particulier des révolutions cubaine et chinoise, toutes deux dirigées par des dirigeants de guérilla petit-bourgeois basés sur la paysannerie, avec une classe ouvrière jouant un rôle passif. De plus, les Panthers, de nouveau en suivant les staliniens et sur base sur leur propre expérience de la brutalité de l’État américain, ont faussement conclu que le fascisme était sur le point d’arriver aux USA. Cela, combiné aux conditions désespérées des Noirs, a créé une impatience irrésistible d’une solution immédiate et s’est ajouté à l’absence d’une stratégie consistante pour gagner patiemment de plus larges sections de la classe ouvrière.
Cependant, le SWP américain porte aussi une responsabilité pour avoir échoué à mettre en avant un programme qui aurait pu gagner les sections les plus avancées de la classe ouvrière américaine. A Cuba, malgré l’absence d’une authentique démocratie ouvrière, le SWP n’était pas du tout critique vis-à-vis du régime. Aux USA, le SWP a pris part aux mouvements anti-guerre et Black Power mais n’a absolument fait aucune tentative pour les mener au-delà de leur niveau de développement existant. L’existence des Black Panthers, malgré leurs limites, montrait en pratique comment la conscience se développe en résultat de la lutte contre les réalités brutales du capitalisme. Le fait qu’il n’existait pas de parti résolument marxiste qui aurait pu offrir une stratégie aux Black Panthers et aux centaines de milliers de personnes qui ont été touchées par ce mouvement reste une tragédie.
Un État noir séparé ?
Une partie de l’explication du triste rôle du SWP américain réside dans l’incompréhension des écrits de Trotsky sur le nationalisme noir datant des années 1930. Trotsky se basait sur l’approche développée par Lénine et les Bolcheviks en ce qui concerne la question nationale et le droit des nations à l’auto-détermination.
Lénine, en particulier, comprenait complètement que pour le succès de la révolution en Russie, il était vital de défendre le droit à l’auto-détermination, jusque et y compris le droit à faire sécession, pour les nombreuses nationalités qui souffraient de l’oppression brutale de la Russie tsariste. C’était seulement sur cette base qu’il était possible de parvenir à lutter pour le maximum d’unité de la classe ouvrière au-delà des divisions nationales et religieuses. Défendre le droit de faire sécession, cependant, ne signifiait pas nécessairement défendre la sécession. En fait, c’est l’approche extrêmement habile et sensible de Lénine qui a permis que, dans la période immédiate après la révolution, la République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie a intégré beaucoup des nationalités opprimées par le Tsarisme, mais sur une base libre et volontaire.
Trotsky avait soulevé des points sur ces questions dans des discussions avec ses partisans américains dans les années 1930, après que le Parti Communiste stalinien ait suggéré l’idée d’un Etat noir séparé aux USA. Les partisans de Trotsky ont d’abord réagi en rejetant cette revendication et en l’opposant à la nécessité de l’unité de classe. Trotsky a mis en avant que, à une certaine étape, face à la répression brutale, la revendication d’un État séparé – c’est à dire, le développement d’une conscience nationale – pourrait émerger parmi de larges couches, et que dans ce cas, les Marxistes devraient soutenir le droit des Noirs-américains à un État.
La méthode d’analyse de Trotsky était correcte. Mais un changement des circonstances a eu comme conséquence que la revendication d’un État séparé au sein du territoire américain n’a pas été avancée. A l’époque où Trotsky écrivait, il y avait une majorité de Noirs dans deux États du Sud, le Mississippi et l’Alabama, et la plupart des Noirs pauvres vivaient dans le Sud. En 1970, trois quart des Noirs vivaient dans les grandes villes, et une majorité dans le Nord. Alors que la conscience des Noirs était, et est toujours, extrêmement forte, il était donc moins probable qu’elle se développe en la demande d’une nation séparée.
Cependant, même si cela avait été la conscience du peuple noir, cela n’aurait pas excusé l’approche du SWP américain. Trotsky mettait en avant le rôle de la classe ouvrière comme seule force capable de gagner la libération nationale en tant que partie de la lutte pour le socialisme. Il expliquait l’importance d’une position indépendante de la classe ouvrière, et qu’il serait une profonde erreur de compter sur les dirigeants bourgeois et petit-bourgeois des mouvements nationalistes. A leur crédit, les Black Panthers se sont approchés bien plus de la compréhension de ces points que les Trotskistes auto-déclarés du SWP américains, qui ont suivi sans aucune critique les idées petite-bourgeoises des nationalistes culturels.
Pertinence en Grande-Bretagne
De nos jours en Grande-Bretagne, la situation à laquelle nous faisons face est très différente de celle qui existait aux USA dans les années 1960. Mais il y a des leçons à en tirer. L’histoire différente de la Grande-Bretagne fait que, d’un côté, il y a un plus haut degré d’intégration dans les communautés ouvrières. La pauvreté aux USA a un élément beaucoup plus « racial » qu’en Grande-Bretagne. Cependant, en général, les travailleurs des minorités ethniques souffrent plus du chômage et de la pauvreté que la classe ouvrière globalement. Par exemple, en 1999, 28% des familles blanches vivaient sous le seuil de pauvreté contre 41% des familles caribéennes et 84% des familles bangladaises. D’un autre côté, la classe dominante britannique n’a jamais réussi à développer une élite noire à la mesure de ce que la classe dirigeante américaine a fait suite aux soulèvements des années 1950 et 1960.
Si toutes les minorités ethniques souffrent du racisme, ce sont les musulmans qui sont les principales cibles du racisme et des préjugés dans la dernière période en Grande-Bretagne. L’histoire des musulmans de Grande-Bretagne a été une histoire de pauvreté et de discriminations. Historiquement, cette discrimination a été seulement l’une des facettes du racisme de la société capitaliste. Sur la dernière décennie, cependant, et en particulier depuis l’horreur du 11 septembre 2001, il n’y a aucun doute que les préjugés antimusulmans et l’islamophobie, ont dramatiquement augmenté. Alors que d’autres formes de racisme subsistent, les musulmans font face aux pires formes de discriminations en Grande-Bretagne aujourd’hui. La participation du gouvernement aux guerres brutales d’assujettissement contre l’Afghanistan et l’Irak, deux pays majoritairement musulmans, avec toute la propagande de dénigrement des peuples de ces deux pays, a encore augmenté l’islamophobie. La politique étrangère du gouvernement a aussi mis les Musulmans britanniques énormément en colère.
S’il y a beaucoup de grandes différences entre les deux situations, une comparaison limitée peut toutefois être faite entre la colère et la radicalisation des musulmans aujourd’hui et la colère des Noirs-américains au début du mouvement des droits civiques. La toile de fond générale est différente. Depuis la chute des régimes staliniens grotesques il y a plus de 10 ans, que les capitalistes faisaient faussement passer pour le socialisme authentique, les idées socialistes ne sont pas encore vues comme une alternative viable par les masses de la classe ouvrière, y compris la plupart des musulmans. D’un point de vue international, il n’existe pas de luttes de masse pour la libération nationale comparables à celles qui existaient dans les années 1950 et 1960 et qui ont inspiré la révolte aux USA. En leur absence, les idées de l’Islam politique de droite, y compris les idées hautement réactionnaires et les méthodes d’organisations terroristes comme Al-Qaïda, ont occupé la place vide. La grande majorité des Musulmans de Grande-Bretagne sont dégoûtés par Al-Qaïda, mais une petite minorité est tellement aliénée qu’elle est prête à soutenir de telles idées réactionnaires.
Cependant, beaucoup de Musulmans ont été touchés par le mouvement anti-guerre qui, à son apogée, a vu 2 millions de personnes de tous groupes ethniques et religieux marcher dans les rues de Londres. Il faut se souvenir que les idées socialistes touchaient une toute petite minorité au début du soulèvement noir-américain mais se sont ensuite fortement répandues lorsque le mouvement a été confronté au capitalisme américain. Il existe aujourd’hui une opportunité de gagner aux idées socialistes les travailleurs et les jeunes musulmans les plus avancés. Sur base des événements, il sera possible de gagner les masses dans le futur. A moyen et long terme, l’absence du stalinisme permettra de gagner plus facilement le soutien aux idées du socialisme authentique. Dans les années 1960, même si le stalinisme constituait un certain pôle d’attraction, il avait aussi un effet fortement déformant sur des idées socialistes adoptées aux USA et ailleurs.
Les idées socialistes
Pourtant, pour gagner des parties de la classe ouvrière au vrai socialisme, il est nécessaire de mettre en avant un vrai programme socialiste. Malheureusement, en Grande-Bretagne, l’organisation socialiste la plus connue dans le mouvement anti-guerre, le Socialist Workers’ Party (sans rapport avec le SWP américain), n’a pas encore adopté cette approche. Par exemple, alors qu’il est à la tête de la coalition Stop the War, le SWP a décidé de ne pas développer les idées socialistes dans cette plate-forme, et a fait en sorte que les autres socialistes ne puissent pas avoir l’occasion de le faire.
Respect, le parti que le SWP a cofondé avec le parlementaire George Galloway, est né du mouvement anti-guerre et a eu certains succès électoraux, en particulier en faisant élire George Galloway comme parlementaire de Bethnal Green and Bow. Cependant, il s’est surtout concentré sur une seule section de la société, la communauté musulmane, qu’il est important de gagner, mais pas au détriment du contact avec le reste de la classe ouvrière. Si Respect continue à se développer dans une direction l’assimilant à un « parti musulman », cela pourrait repousser d’autres parties de la classe ouvrière et même renforcer les idées racistes par inadvertance, tout en renforçant l’idée incorrecte que la communauté musulmane peut gagner sa libération en agissant comme un bloc musulman.
Le SWP pourrait-il tenter d’établir une comparaison avec les Black Panthers pour soutenir cette stratégie erronée ? En dehors des différences sociales et politiques importantes (non des moindres, le fait que les Musulmans représentent 2,8% de la population britannique alors que les Noirs forment 11% de celle des USA), il y a la question cruciale de la direction prise. Les Black Panthers partaient du nationalisme noir pour arriver à une position de classe. Dans le futur, il est possible que les groupes organisés de travailleurs musulmans se développent dans une direction similaire, cherchant peut-être à s’affilier ou à travailler avec un futur parti de la classe ouvrière. Cela représenterait un pas en avant. L’une des raisons pour lesquelles nous défendons le fait que les nouveaux partis de travailleurs disposent de structures fédéralistes est précisément pour permettre aux différents groupes de travailleurs de garder leurs propres organisations tout en travaillant ensemble à construire un parti large.
Cependant, la situation de Respect est très différente. La majorité des militants de Respect sont des socialistes de longue date mais, loin d’utiliser l’opportunité de gagner les Musulmans de la classe ouvrière aux idées socialistes, ils ont baissé leur bannière. Malheureusement, dans leur manque d’approche principielle, il y a une comparaison à faire avec les erreurs de leur homonyme, le SWP américain.
La tragédie des Black Panthers est que, ayant échoué à développer une approche marxiste complète, malgré leurs meilleurs efforts, ils ont rapidement décliné. Les difficultés des Panthers ont mené certains, en particulier autour de Eldridge Cleaver, à se tourner vers l’impasse du terrorisme. De nos jours, en Grande-Bretagne, nous voyons une petite minorité de jeunes musulmans prendre ce chemin erroné. Cependant, sur base de futures défaites, le danger est réel que de plus grands nombres, de toutes origines ethniques, se tournent dans cette direction parce qu’ils ne voient pas d’autres moyens efficaces de lutter. La construction d’une alternative socialiste de masse est la seule voie efficace pour couper ce processus. Les Panthers, malgré leurs limites, nous montrent la détermination de la couche avancée des travailleurs conscients, une fois qu’ils sont engagés dans la lutte, à trouver la route du socialisme authentique. Alors même que Cleaver et d’autres fonçaient tête baissée sur la route du terrorisme, Newton et d’autres ont tenté, même s’ils n’ont pas réussi, de réorienter les Panthers.
Plus tard, Newton a fait cette réflexion au sujet de leurs erreurs : « Nous étions vus comme un groupe militaire ad-hoc, opérant en dehors du tissu communautaire et trop radical pour en faire partie. Nous nous voyions comme l’avant-garde révolutionnaire et n’avions pas complètement compris que seul le peuple peut créer la révolution. C’est pourquoi le peuple ‘n’a pas suivi notre direction en en prenant les armes’. »
Tout comme Newton et Seale sont montés sur les épaules de Malcolm X, les générations futures de travailleurs et de jeunes noirs vont reprendre toutes les grandes forces des Panthers et construire sur ces bases pour créer un parti capable de mener à bien la transformation socialiste de la société.
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“Une guerre civile sans fusils”
Par Tifaine (Alternatywa Socjalistyczna, CIO-Pologne)
Il y a 30 ans, les mineurs britanniques entraient en grève contre l’accélération des fermetures de leurs mines. 47.000 emplois avaient déjà été supprimés les 5 années précédentes dans le secteur. L’intention de Thatcher était de désindustrialiser ce secteur afin de supprimer ce bastion-clé du mouvement ouvrier qui avait remporté deux grèves en 1972 et 1974 et l’avait forcée à reculer en 1981 dans son offensive pour briser le syndicalisme de classe.
Cette grève qui allait durer presque un an a été une véritable guerre civile entre les mineurs soutenus par la classe ouvrière, et la classe dominante rangée derrière Thatcher. Tout son appareil répressif (violence policière, services secrets, tribunaux, licenciements,…) a été déployé contre les grévistes ; elle avait même envisagé de mobiliser l’armée pour extraire le charbon.
Contrairement à ce qu’en ont dit beaucoup de commentateurs de droite comme de gauche, la victoire était possible, étant donné le poids économique des mineurs (les stocks de charbon constitués en vue de la grève commençaient à s’épuiser), leur combativité, leur détermination à résister aux attaques des conservateurs et le soutien qu’ils recevaient.
Ils ont trouvé un formidable soutien de la classe ouvrière britannique et des mineurs du monde entier en termes d’aide matérielle et d’actions de solidarité. Mais la trahison des dirigeants syndicaux, qui craignaient le pouvoir de la classe ouvrière organisée, a empêché que cela ne se concrétise en grève générale qui aurait pu mener à la victoire.
La défaite des mineurs a conduit à la destruction de leurs communautés et à la transformation des bassins miniers en déserts économiques et sociaux. Elle a ouvert la voie au virage à droite des directions syndicales et du Labour Party, dont les dirigeants défendaient que la lutte des classes était dépassée et qu’il fallait accepter l’économie de marché.
Si la grève avait été victorieuse, non seulement le plan de fermeture de puits aurait été suspendu, mais Thatcher et les conservateurs auraient été discrédités et peut-être mêmes renversés. Cette victoire aurait redonné confiance à la classe ouvrière pour les prochaines luttes et aurait mis la pression sur ces dirigeants.
L’auteur de ‘‘une guerre civile sans fusils’’, Ken Smith, membre de Militant (précurseur du Socialist Party, le parti-frère du PSL en Angleterre et au Pays de Galles) a présidé le groupe de soutien aux mineurs de Llynfi and Afan Valley, qui organisait le soutien politique et financier pour près d’un millier de mineurs.
Dans son livre, il combat les idées pessimistes selon lesquelles la grève ne pouvait pas être gagnée et donne une analyse marxiste des raisons de la défaite. Il revient sur les questions stratégiques et tactiques qui se sont posées pendant le conflit, comme l’opportunité d’organiser un vote sur la grève ou non, les cibles des actions à mener ou les moyens de faire pression sur les dirigeants droitiers des syndicats.
L’héroïsme et la détermination des mineurs est une source d’inspiration pour les luttes actuelles et il est important d’en tirer les leçons, en particulier pour les militants de gauche dans les syndicats.
Son ouvrage est disponible en anglais en tant que livre et en français sous forme de brochure.
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Qui prétend faire du rap sans prendre position ? (1)
Le RAP (Rythms and Poetry) est, avec le break dance, le graff et le djing l’une des 4 disciplines du hip hop. Depuis sa naissance dans les quartiers défavorisés du Bronx au début des années ‘70, le rôle du rappeur a évolué. Historiquement, le fait de parler de rap engagé ou conscient était un pléonasme, aujourd’hui de plus en plus privilégient le rap pour le rap, sans message, festif, divertissant. Le rap aurait-il vendu son âme au profit du profit ? Comment est-on passé de rappeurs politiquement engagés, enracinés dans leurs communautés et nés dans la période post mouvements des droits civiques et Black Power, aux gangsters de studio (héros rêvés de ce système capitaliste, répandant l’appât du gain, le non-respect des femmes et l’ignorance) qui tournent en boucle aujourd’hui à la radio et à la télévision ?
Par Yves (Liège)
L’école de la rue
‘‘[L’art] n’est pas un élément désincarné se nourrissant de lui-même, mais une fonction de l’homme social, indissolublement liée à son milieu et à son mode de vie.’’ (2) L’art est un phénomène social et les artistes ont une responsabilité sociale envers leurs communautés et envers leur art.
Le hip hop est né dans les quartiers Sud du Bronx, à New York ; la décennie suivant l’assassinat de Malcolm X et Martin Luther King Jr, à une époque où J. Edgar Hoover (patron du FBI) s’efforçait à démanteler et détruire les leaders noirs et révolutionnaires qui s’organisaient et commençaient à articuler leurs discours contre le capitalisme et pour le socialisme plutôt que vers le communautarisme et le nationalisme noir (à l’instar des Black Panthers). La guerre impérialiste du Vietnam envoyait des jeunes adultes mourir à des milliers de kilomètres de chez eux, et les gangs et la drogue (crack et héroïne) gangrénaient les ghettos urbains. En plus de ça, la fin de la croissance économique de la période post seconde guerre mondiale et la restructuration massive de l’échec des politiques économiques keynésiennes d’interventionnisme d’Etat en néolibéralisme, la théorie du ruissellement (selon laquelle une réduction fiscale des entreprises bénéficiera aux populations pauvres via des réinvestissements), la désindustrialisation de certaines zones urbaines qui, abandonnées par le gouvernement et fuies par les revenus moyens, se sont ghettoïsées et ethnicisées, les taux de chômages exorbitants (jusqu’à 60% – officiellement – chez les jeunes) et les baisses de salaires dans ces zones urbaines par rapport au reste des USA, finirent de dresser les conditions matérielles qui permirent la naissance du hip hop.
C’est historiquement Afrika Bambaata qui, en transformant le gang Black Spades en Universal Zulu Nation en 1973, utilisa le terme hip hop pour définir un mouvement culturel fondé sur la paix, l’amour et l’unité, réorientant l’énergie des membres de gangs vers quelque chose de positif pour leur communauté.
Sois journaliste de ta propre vie
Le rap a permis aux jeunes de toutes origines ethniques de s’exprimer politiquement, socialement et culturellement, dressant un tableau lyrique de la situation dans leurs quartiers : brutalités policières, discriminations à l’embauche (quand il y a de l’emploi), délabrement de l’enseignement public, absence de considération de leurs élus, etc. Cette génération oubliée, qui peignait sur les trains abandonnés et les murs, se donnant ainsi une visibilité dans l’espace public, qui n’avait pas accès aux instruments de musiques de leurs parents bluesmen et jazzmen, se mit à parler poétiquement et de façon rythmée sur les instruments de leurs parents (djing) ou sur les beats sortant de la bouche de leurs beatboxeurs.
Mais c’est véritablement en 1982, avec ‘‘The message’’, où Grandmaster Flas and the Furious Five décrivaient les conditions de vie dans leur ghetto, que le rap pris une tournure sociale tout en rencontrant un succès commercial. Certains rappeurs des années ’80 (KRS-One) lançaient des appels à organiser et organisaient des mouvements pour l’arrêt de la violence dans les quartiers (Stop the violence movement), pointant du doigt le chemin autodestructeur que suivaient certains jeunes, ils poussaient à l’auto-éducation et à la recherche de connaissances afin de briser ce cercle vicieux.
Le groupe Public Ennemy qui s’est rendu célèbre avec ‘‘Fight the Power’’ a articulé, plus loin que Run-DMC, des idées de changement social et collectif, d’anti-impérialisme et d’identification culturelle. Le but, comme disait Tupac (fils et filleul de Black Panthers) était ‘‘à l’opposé de promouvoir la violence, mais de montrer les détails imagés des conditions de vies des ghettos en espérant qu’il y ait du changement’’, ceci sans se poser en organisateurs politiques. ‘‘Les travailleurs culturels, tels que les artistes hip hop devraient faire plus que de rapper leurs problèmes: ils doivent construire des organisations et récolter les fonds et le pouvoir politique nécessaire pour tenter de les régler sur base et avec l’aide de leurs auditeurs.’’ (3)
De 50cent à 100 millions
Le hip hop est aujourd’hui international, et en 1999 ses fans consommaient l’équivalent de 150 milliards de dollars annuellement en disques, habits, accessoires, etc. Dr. DRE a gagné 110 millions en 2011 rien qu’en prêtant son nom à des casques audio (4)
Le ‘‘telecommunication Act’’ qui a étendu le droit de propriété des radios et télévisions à des entreprises (selon le Congrès américain ‘‘un marché dérégulé servirait mieux les intérêts du public’’), a conduit à l’absorption rapide de petites stations de radio locales par des grandes sociétés. Elles ont ainsi perdu leur rôle communautaire (et des emplois) et certaines ont systématisé l’usage de playlists standardisées.
L’image du rappeur dealer, gangster n’a pu être possible qu’avec les dérégulations néolibérales des marchés qui ont permis depuis 1970 le rachat massif des maisons de disques indépendantes par les 4 sociétés (Sony/ATV, EMI, Universal, Warner) qui se partageaient en 2000 plus de 80% de la distribution mondiale. Elles investissent massivement dans le matraquage radio quand elles ne possèdent tout simplement pas ces radios (ce qui laisse moins d’espace aux artistes indépendants). Elles n’ont aucun intérêt à promouvoir des artistes qui questionnent le système capitaliste. De plus, cette image d’authenticité (street credibility) mise en scène, remplie de stéréotypes raciaux, tend à justifier des politiques tels que les contrôles au faciès et rend la population moins sensible aux taux d’incarcération des minorités.
Aujourd’hui, avec des vecteurs tels qu’Internet, les labels musicaux participatifs, les radios et les maisons de disques perdent de plus en plus leur monopole sur la distribution. On assiste au retour de rappeurs engagés, spirituels, conscients, politiques et surtout à celui d’un public de plus en plus nombreux à les écouter et à les soutenir.
Ils sont très peu à parler véritablement de révolution socialiste (Dead Prez, Immortal Technique) mais de plus en plus d’entre eux dénoncent les pratiques des régimes totalitaires (weld-el 15 en Tunisie, qui a récemment été condamné à 22 mois de prison ferme), poussent à la réflexion et lancent des mouvements de contestation (collectif Y’en a marre au Sénégal). Le rap politique et engagé existe, mais il ne nous est pas présenté aussi facilement que ces nouveaux coons (acteurs ou actrices qui adoptent le portrait stéréotypé des noirs) et il faut malheureusement chercher pour le trouver.
NOTES
1) Calbo « je boxe avec les mots », arsenik,
2) Trotsky “Littérature et révolution”, 1924
3) Marable, “The Politics of Hip Hop.”
4) http://www.dailymail.co.uk/news/article-2199025/Dr-Dre-built-headphones-empire-paid-110million-year.html, http://www.hamptoninstitution.org/capitalismhiphoppartone.html#.UjixYY6_Zc8 How Capitalism Underdeveloped Hip Hop: A People’s History of Political Rap, Derek Ide, http://www.socialistworld.net/doc/1044 The politics of hip hop, Nicki Jonas


