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Tag: Crise économique
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La crise est finie, vive la crise !

L’anarchie de la production en régime capitaliste ne peut rien signifier d’autre que des crises économiques, sociales et environnementales.
‘‘La croissance s’intensifie et le nombre de citoyens européens au travail est sans précédent. Profitons de ce momentum pour effectuer un bond résolu en avant’’(1) déclarait Charles Michel le 4 mars. Ce n’est qu’un des derniers exemples de la confiance de façade affichée par la bourgeoisie et son personnel politique. Mais, au vu de la situation économique, le bond en avant annoncé pourrait aussi bien être une glissade.
Par Clément (Liège)
Il est vrai qu’une certaine reprise économique semble se manifester. En 2017, le PIB mondial aurait crû de +3% (+2,4% dans la zone euro) selon la Banque mondiale(2). Le FMI et l’OCDE s’accordent pour annoncer la perspective d’une croissance de 3,9% pour les deux années à venir (2,2% dans la zone euro)(3). En Belgique, la Fédération des Entreprises de Belgique se réjouit de la perspective d’une croissance de 2% pour 2018 (1,7% selon la Banque nationale) et annonce que ‘‘le moteur de l’emploi tourne à plein régime’’(4).
Les germes d’une nouvelle crise sont bien présents
Cela doit immédiatement être nuancé, car ces niveaux de croissance restent bien inférieurs à ceux d’avant la crise. Ensuite, tant l’OCDE que le FMI soulignent que les tensions géopolitiques, les phénomènes climatiques extrêmes, l’instabilité politique et le protectionnisme économique constituent de sérieuses menaces pour l’économie(5). Le risque de guerres commerciales est également présent(6). Lors de la chute des valeurs boursières de février 2018, ‘‘l’indice de la peur’’ sur les marchés boursiers (le VIX, ‘‘the fear index’’) a atteint des sommets inconnus depuis 2009(7), poussant le FMI à appeler à ne pas céder à la panique. Les capitalistes et leurs économistes ne sont finalement pas si confiants que ça.
Dix ans après la crise, la dette cumulée des États, des entreprises et des ménages est environ 64% supérieure au niveau de 2007 et représente plus de 300% du PIB mondial(8). La croissance actuelle reste dépendante de l’injection d’argent dans l’économie pour éviter un effondrement total. L’assouplissement quantitatif (créer des liquidités pour racheter des titres de la dette) est toujours de mise et actuellement la BCE rachète mensuellement pour 30 milliards de ces titres, avec 2.400 milliards rachetés depuis mars 2015. Malgré de timides augmentations aux USA, les taux d’intérêts auxquels les banques centrales prêtent aux banques privées restent très bas, ce qui stimule les comportements à risque.
Martin Wolf, directeur du Financial Times, souligne que ‘‘parmi les pays du G7, le taux d’investissement net reste en dessous de son niveau d’avant la crise, et que la productivité du travail y est en-dessous de sa moyenne entre 1995 et 2007’’ (Financial Times 5/12/2017). Et pour cause, les liquidités injectées auront principalement servi à gonfler les dividendes reversés aux actionnaires ou auront servi à des fins de spéculation boursière où un fort profit à court terme reste assuré, plutôt qu’à développer les forces productives ce qui, bien qu’indispensable, assure un profit moindre.
Au vu de ces différents éléments la question n’est pas tant de savoir si une nouvelle crise surviendra, mais plutôt quand elle arrivera, d’où et sous quelle forme.
Contre la casse de nos conditions de vie, il nous faut une alternative
Si les représentants de la bourgeoisie célèbrent la croissance avec tant d’emphase, c’est notamment qu’ils essayent de renforcer la légitimité de leur système. Ainsi, sur l’année 2017, 1% de l’humanité a capté 82% de la valeur créée(9). La casse des conditions de travail et des salaires n’est pas étrangère à un tel résultat. Se focaliser sur la quantité en parlant des ‘‘bons chiffres de l’emploi’’ masque la qualité de ces emplois : les relativement bons emplois qui ont disparu sont systématiquement remplacés par des contrats précaires, ultra-flexibles ou à temps partiel. La pénibilité présente sur les lieux de travail couplée aux discours triomphalistes sur la croissance peut aussi stimuler la lutte, comme cela a été le cas en Allemagne, où le syndicat IG Metall a pu obtenir une augmentation salariale de 6% (voir notre édition précédente).
Lutter pour de meilleures conditions est évidemment indispensable, mais cela ne suffira pas à fondamentalement régler le problème. La recherche de profit des capitalistes se fait à court terme, sans la moindre attention pour répondre aux besoins de la population, tant que l’exploitation reste possible. L’anarchie de la production sous le capitalisme ne peut signifier autre chose que des crises économiques, sociales et environnementales. Nous avons besoin d’un système économique rationnel, d’une économie démocratiquement planifiée pour répondre aux besoins de la majorité sociale et de l’environnement. Revendiquer le contrôle des secteurs-clefs par les travailleurs est une condition cruciale pour y arriver.
1) http://premier.fgov.be/fr/r%C3%A9action-face-%C3%A0-la-%C2%AB-grande-coalition-%C2%BB-en-allemagne-nous-ne-pouvons-pas-perdre-de-temps
2) http://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2018/01/09/global-economy-to-edge-up-to-3-1-percent-in-2018-but-future-potential-growth-a-concern
3) http://www.oecd.org/fr/eco/perspectives/perspectives-economiques-analyses-et-projections/
https://www.imf.org/fr/Publications/WEO/Issues/2018/01/11/world-economic-outlook-update-january-2018
4) https://www.rtbf.be/info/economie/detail_previsions-de-croissances-et-d-emploi-la-feb-optimiste-pour-2018?id=9802823
5) http://trends.levif.be/economie/politique-economique/la-banque-mondiale-optimiste-sur-la-croissance-mais-pas-a-long-terme/article-normal-781249.html
6) https://www.lesechos.fr/monde/europe/0301388896700-le-risque-de-guerre-commerciale-incite-la-bce-a-la-prudence-2159200.php
7) https://www.lecho.be/actualite/archive/La-fete-est-finie-La-volatilite-revient-sur-les-marches/9981413
8) https://www.reuters.com/article/us-global-debt-iif/worldwide-debt-more-than-triple-economic-output-as-central-bank-shift-looms-idUSKBN1CU1V9
9) Rapport sur les inégalités d’Oxfam, édition de 2018, “Récompenser le travail, pas la richesse”. -
[TEXTE de CONGRES] Un capitalisme qui a vécu
Le texte de perspectives qui a été discuté et voté lors du Congrès national du PSL de novembre 2015 a, comme c’est traditionnellement le cas, commencé par un aperçu de la situation économique. L’instabilité croissante de la Chine a ses implications, notamment pour les pays émergeant émergents. Cette situation économique a des conséquences politique, dont un accroissement de l’instabilité et des tensions inter-impérialistes. Ces questions sont abordées dans la deuxième partie qui paraîtra demain sur ce site.Ce texte est également disponible sous forme de livre et arrivera de chez l’imprimeur début de semaine prochaine. Commandez dès maintenant votre exemplaire en versant 10 euros sur le compte BE48 0013 9075 9627 de ‘Socialist Press’ avec pour mention “texte de Congrès”. Les commandes seront envoyées à partir du lundi 1er février.
Perspectives internationales et belges pour un capitalisme qui a vécu
On rigole de temps à autre avec la longueur des titres des documents de perspectives du PSL. Celui de 2012 en avait un particulièrement long : « A la veille de nouveaux conflits encore plus durs, les contradictions de classe commencent à s’exprimer également sur le terrain politique. La crise structurelle du capitalisme exige un programme socialiste. » Après coup, cela parait être une description assez précise des développements et défis qui nous attendaient alors. Le dernier Congrès national du PSL date de décembre 2012. L’an dernier, le Comité national avait décidé de différer la tenue du Congrès d’une année, une décision nécessaire afin de concentrer le parti dans sa totalité ainsi que toute sa périphérie sur le plan d’action syndical contre le gouvernement Michel.Ces trois dernières années n’ont pas été des moindres. Le capitalisme mondial n’a toujours pas surmonté sa crise de 2008-2009. Les chiffres de croissance économique restent historiquement bas et les autorités, banques centrales et institutions internationales doivent toujours maintenir l’économie à flot avec de l’argent bon marché et régulièrement aller éteindre les incendies qui se déclarent. [1]
« Si le moteur du bien-être n’est pas relancé maintenant, alors ce sera quand ? » s’est demandé Sturtewagen dans le quotidien flamand De Standaard. [2] Depuis la moitié de 2014, le marché du pétrole s’est écroulé. En une année de temps, le pétrole est devenu moitié meilleur marché. Tous les prix de l’énergie et des matières premières suivent cette tendance baissière. L’index des prix pour les matières premières du Comodities Research Bureau a atteint son niveau le plus bas en 16 ans, et c’était encore avant le ralentissement inquiétant de l’économie chinoise. [3] Parallèlement, emprunter de l’argent est très bon marché. Les taux d’intérêt, le «prix» de l’argent, sont proches de 0. De plus, depuis le début de la crise, l’augmentation des coûts salariaux nominaux diminue d’année en année. [4] Ce sont des conditions idéales pour investir, mais ce n’est pas ce qui se passe. Selon les termes de Sturtewagen « l’argent et le pétrole coulent à flot, mais l’économie continue de hoqueter ».
Sturtewagen se demande si nous avons perdu de vue quelque chose qui, dans quelques années, semblera évident. Des analystes plus sérieux ne peuvent pas se permettre d’attendre Godot. [5] Dans son rapport de la fin de l’année passée – «Démarrer le moteur et passer à une vitesse supérieure» [6] – l’OCDE vante les mérites de la politique monétaire souple des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Ce rapport conseille parallèlement à la Banque centrale européenne (BCE) et à la Commission européenne de quitter la voie de la politique d’austérité dure. Sinon, affirme l’OCDE, une dangereuse combinaison de chute de la demande, de croissance nulle et de déflation pourrait être créée, sans que la politique ne puisse la contrôler puisque ce processus acquerrerait un caractère auto-nourrissant, développant sa propre dynamique.
Cela semble écarté pour l’instant. Mais que ce serait-il passé si la BCE n’avait pas réduit son taux d’intérêt à 0,05% en décembre 2014 et, surtout, si elle n’avait pas parallèlement annoncé un programme d’achats d’obligations à la hauteur de 1000 milliards d’euros pour stimuler le crédit ? Le spectre du Japon n’était plus très loin. Sept ans après la crise bancaire de 1987, le Japon s’est retrouvé embourbé dans la déflation. A l’instar de l’Europe, le pays est toujours aujourd’hui confronté à une dette publique immense, à des taux d’intérêts extrêmement bas et à un vieillissement de sa population. Depuis 25 ans, tous les quelques mois, le Japon glisse en récession. [7] « A problème japonais, solutions japonaises », doit s’être dit Mario Draghi, le président de la BCE. Sa politique visant à inonder d’argent l’économie est déjà qualifiée de Draghenomics, en référence aux Abenomics du premier ministre japonais.
Une « expérience proche de la mort » pour la zone euro
Entretemps, la BCE et la Commission européenne ont réussi à éviter un autre cauchemar, un « Griexit » qui aurait probablement signifié le début du processus de décomposition de la zone euro. Le gouvernement grec de Tsipras a cédé face aux menaces et au sabotage. N’avait-il pas d’autre choix ? Au cours du référendum du 5 juillet, la très grande majorité de la population (61%) avait pourtant clairement laissé savoir qu’elle rejetait les conditions usurières et asphyxiantes des « Institutions » pour de nouveaux prêts. Le mouvement des travailleurs et surtout la jeunesse s’étaient massivement mobilisés dans la campagne en faveur du non. Ils ne s’étaient pas laissés tromper par les médias et étaient prêts à aller en confrontation avec Juncker et compagnie. Ils étaient conscients des centaines de manifestations de solidarité qui se déroulaient ailleurs en Europe et aussi que probablement jamais auparavant autant de gens à l’étranger n’avaient su comment dire « non » en grec (Oxi). Beaucoup regardaient déjà aussi avec espoir vers les élections espagnoles de l’automne.
Dans « Où va la France », Trotsky décrit comment, dans les années ‘30, des réformes ou des concessions d’un gouvernement ne se produisaient depuis quelques temps qu’en produit collatéral de la lutte révolutionnaire. [8] Des éléments de cela sont aujourd’hui présents. Tsipras et Varoufakis ne l’avaient pas compris. Ils pensaient, de façon erronée, qu’ils pouvaient convaincre la troïka de mettre fin à l’austérité insupportable. Le gouvernement de Tsipras n’avait ni l’analyse ni le programme ni le calibre pour appliquer le mandat du référendum et a donné aux innombrables activistes enthousiastes une douche froide comme la glace. Cela fait partie du difficile processus de maturation à travers lequel doit passer le mouvement ouvrier. Cela mènera probablement à une démoralisation temporaire, peut-être à un renforcement d’Aube Dorée, mais cela créé aussi les bases pour une nouvelle formation de gauche appelée Unité Populaire, en référence à l’Unidad Popular de Salvador Allende.
L’establishment européen n’a pas eu beaucoup de temps pour se remettre de cette « expérience proche de la mort ». A peine Tsipras est-il rentré dans les rangs qu’un nouvel enfant terrible s’avançait déjà. Jeremy Corbyn a remporté les élections pour la présidence du Parti Travailliste en Grande Bretagne. Comme si l’establishment européen n’avait pas déjà suffisamment d’inquiétudes avec la montée du nationalisme écossais et la promesse de Cameron d’un référendum « Brexit ». L’establishment du parti travailliste va saboter Corbyn, voire même organiser une scission. Récupérer le parti travailliste pour le mouvement ouvrier se révèlera extrêmement difficile et signifiera en tout cas un changement fondamental de ce parti. Mais malgré cela, l’élection de Corbyn représente en soi un tournant dans le processus du rassemblement des forces pour un nouveau parti des travailleurs. Par son rôle dans le rassemblement d’activistes et de syndicalistes dans le TUSC (Trade Unions and Socialists Coalition), le Socialist Party (Le PSL en Angleterre et au Pays de Galles) sera un facteur difficile à contourner dans ce processus.
Malgré les obstacles subjectifs, les déceptions, la trahison et les défaites, la crise du capitalisme fait rebondir de plus en plus fort le processus objectif de formation de nouveaux partis des travailleurs. Dans presque tous les pays d’Europe occidentale, de nouvelles formations «de gauche radicale» se sont constituées à la gauche de la social-démocratie et des verts. L’époque où on se plaçait en marge de la société en votant pour la gauche « radicale » commence à tourner. Jusque récemment, cela n’était qu’un vote de protestation sans l’ambition de changer de politique, ce qui restait le terrain exclusif des partis gouvernementaux et d’opposition de l’establishment.
C’est toujours la caractéristique dominante. La participation au pouvoir par certains partis de gauche « radicale » en tant que « partenaire » junior sur le plan national, régional ou local n’a pas changé cela. Mais malgré la trahison, la formation du gouvernement Syriza, la prise par des « listes unitaires de gauche » du conseil municipal d’une dizaine de villes espagnoles dont Barcelone et Madrid et maintenant aussi la présidence de Corbyn ont – un peu – changé les choses. Il n’est plus complètement inimaginable qu’une véritable force de gauche véritablement désireuse de changer de société puisse peut-être suffisamment obtenir de soutien pour cela.
Ce n’est pas « secondaire ». Celui qui ne voit dans ces premières petites victoires que des illusions et de la trahison et n’y voit pas la recherche d’un programme alternatif et d’une organisation ad hoc ne saura jamais construire un parti révolutionnaire de masse. Cela ne se fait pas dans un environnement idéal imaginaire, mais dans le monde réel où il est impossible de faire abstraction des inévitables illusions à travers lesquelles doivent passer les masses.
C’est pourquoi Marx s’attaquait tellement durement au puriste Weitling lors de sa visite en 1846 à Bruxelles. [9] C’est pourquoi l’Internationale Communiste contenait, dans ces 21 conditions d’admission, à côté des conditions contre le réformisme et le centrisme, une condition importante insistant sur la nécessité de travailler au sein des organisations de masse. [10] C’est pourquoi Trotsky, dans les années ’30, exhortait les trotskistes américains à défendre la nécessité d’un parti des travailleurs plus larges à côté de la construction d’un parti révolutionnaire et insistait en Europe pour que les trotskistes adhèrent à la social-démocratie alors que celle-ci était le théâtre de luttes entre des courants de gauche et de droite. C’est aussi pourquoi, contrairement à des sectaires incurables, le Comité pour une Internationale Ouvrière estime que la construction d’un parti révolutionnaire n’est possible qu’en aidant le mouvement des travailleurs à régler ses comptes avec ses propres illusions au lieu de débiter des vérités universelles du haut de sa tour d’ivoire.
6 à 7 années de crise et de stagnation économiques ont fortement secoué l’establishment politique en Europe. A tel point que la Deutsche Bank a consacré une étude aux partis « populistes » en Europe. [11] Par ce terme, elle désigne les partis de la gauche « radicale » et l’extrême droite. Parmi les raisons pour lesquelles on vote pour ces partis, elle cite la situation économique, le chômage, l’immigration et la pression sur le système social. Tous des phénomènes pour lesquels l’establishment ne parvient plus à trouver de solutions. La banque aurait pu ajouter à cette liste les nombreux scandales de corruption ainsi que la question nationale. Il est d’ailleurs frappant que parmi les partis « populistes » n’est cité aucun parti régionaliste ou nationaliste. Probablement cela est-il trop sensible.
L’étude confirme que si la gauche n’offre pas de réponse, la droite populiste ou des partis néofascistes rempliront le vide. En Autriche, le FPÖ se trouve en tête des sondages avec 27%, en France, le FN, en mars, avec 25%, n’a dû s’incliner que devant l’UMP au premier tour. Évidemment, cela crée des complications. La création de formations de gauche se base néanmoins sur des fondements plus solides. Cela répond à un processus objectif : la force du mouvement des travailleurs. Bien que les résultats électoraux de formations de droite populistes ou néofascistes puissent sembler plus impressionnant, elles sont basées sur des fondements plus superficiels, principalement des frustrations subjectives sur base du manque d’une alternative à gauche. Cela peut changer si le mouvement des travailleurs subit toute une série de défaites fondamentales, mais cela n’est pas la perspective la plus probable.
Bien que le CIO avait venu venir depuis le début des années ’90 la formation de nouveau partis travailleurs, le seul courant politique à l’avoir fait, pendant longtemps, nous avons été réduits au rang de spectateurs qui n’avaient que peu voire pas de forces sur le lieu des évènements. Il suffit de penser à Refondation Communiste en Italie ou au Bloc de Gauche au Portugal. Ce n’est qu’avec le nouveau millénaire que nous sommes devenus acteurs à part entière de ces processus. Il semble maintenant que, petit à petit, nous commençons à percer dans le noyau du processus. Le troisième mémorandum signifie le suicide économique pour la Grèce. Pour les travailleurs et leurs familles, cela revient à un drame social encore plus profond. Tsipras voulait des élections au plus vite avant que ce qu’il avait signé ne soit devenu clair. Depuis lors, il les a gagnées avec un pourcentage semblable à celui de janvier 2015. Mais l’énorme démoralisation s’exprime dans une participation historiquement basse : moins de 50% malgré le vote obligatoire. Syriza a perdu 300.000 électeurs.
Contrairement à l’Italie, où la trahison de Refondation Communiste avec sa participation au gouvernement Prodi II (mai 2006-janvier 2008) a politiquement décapité le mouvement des travailleurs et l’a laissé sans aucune représentation politique, de la trahison de Tsipras a émergé une nouvelle formation de gauche, Unité Populaire (LAE). Celle-ci a raté de justesse de franchir le seuil électoral (2,87% au lieu de 3%), principalement suite à la démoralisation générale, mais aussi en raison du temps limité pour s’organiser et, hélas, de par l’attitude pédante et non-démocratique initialement adoptée par sa direction. Tout cela fait que l’avenir de LAE est une question ouverte. Mais si LAE prend vie, alors Xekinima, le PSL en Grèce, y jouera un rôle important. Xekinima a gagné le respect de nombreux activistes par sa réputation d’avocat le plus conséquent de l’unité de la gauche non-sectaire autour d’un programme anticapitaliste, entre autres avec l’Initiative des 1000, puis avec des alliances de gauche locales, puis le mouvement du 17 juillet et finalement en souscrivant à l’appel contre le nouveau mémorandum.
Mais c’est surtout dans la république irlandaise avec l’Anti Austerity Alliance que nous pouvons pour la première fois jouer le rôle clé dans ce processus. Surtout maintenant que plus d’une vingtaine d’activistes, dont le parlementaire Paul Murphy (membre du Socialist Party, le PSL en Irlande), sont trainés en justice pour la «prise d’otage» de la ministre travailliste Joan Burton. Nous sommes curieux de voir l’effet que cela aura lorsque Burton, à quelques mois des élections, sera appelée comme témoin central dans un procès contre les victimes de sa propre politique d’austérité. Ceux-là ont osé protester dans un contexte où 57% des ménages refusent de payer la nouvelle taxe détestée sur l’eau. Que ce soit à la Cour ou au Parlement, notamment avec les trois députés du Socialist Party, ce fait ne manquera pas d’être mentionné.
Partout, les difficultés économiques interminables minent la stabilité sociétale. Les contradictions deviennent plus aigües, les solutions plus radicales et les évènements se suivent à un rythme plus élevé. L’autorité des instruments traditionnels de domination et l’efficacité des mécanismes classiques de concertation et de gestion de conflits font défaut. Cela n’assure pas seulement que l’espace pour le changement diminue petit à petit et que des réformes n’arrivent plus que comme produit collatéral de la lutte révolutionnaire, mais aussi que la situation peut vite changer. Des changements brusques et des tournants abrupts sont caractéristiques de cette époque.
Etats-Unis : le bipartisme menacé
Aux Etats-Unis également, pour les présidentielles, les deux partis du grand capital doivent faire face à des candidats qu’ils détestent. Chez les Républicains, Trump est toujours en tête des primaires, mais ce sont surtout les mauvais sondages concernant Jeb Bush qui inquiètent l’establishment du parti. Chez les Démocrates, Bernie Sanders semble devenir le principal adversaire de Clinton. La résistance annoncée par «The Battle of Seattle» (1999) et qui a de nouveau rejailli avec les mouvements Occupy, 15NOW et Black Lives Matter commence également à se refléter sur le plan politique fédéral. Seul Socialist Alternative (le PSL aux Etats-Unis) avait su reconnaître cette tendance et la saisir de manière réfléchie mais audacieuse au travers de ses participations électorales. L’élection de Kshama Sawant que Socialist Alternative a réussi à faire reconnaitre ce fait, mais aussi à renforcer le processus en transformant la revendication du salaire minimum de 15 dollars de l’heure de propagande en agitation et en le mettant sur le haut de l’agenda politique. Et puis aussi à accélérer le processus en augmentant la pression sur Sanders pour se présenter en candidat aux présidentielles.
La perspective de l’OCDE que l’économie américaine allait « croître fortement » était trop optimiste, mais il y a bien une reprise économique, la plus lente depuis 1945. [12] Pourtant, cela suffit à renforcer la confiance du mouvement des travailleurs et à expliquer la popularité de la revendication pour les 15 dollars de l’heure. Les Etats-Unis profitent des bas prix de l’énergie, de l’arrivée de capitaux à la recherche de sécurité et de la politique d’intérêt nul. Mais cela crée également des nouvelles bulles de dettes. Selon Stephen Roach (une voix déterminante à Wall Street à l’époque), la FED sème ainsi les graines d’une nouvelle crise. [13] Selon l’ancien économiste en chef de la banque pour les payements internationaux, les dettes des entreprises, des ménages et des autorités dans les 20 plus grandes économies sont aujourd’hui à un niveau 30% plus élevé qu’en 2007. [14] Il faut donc d’urgence augmenter les taux d’intérêt mais ceci n’est pas sans danger. Lorsqu’en mai 2013, la FED a annoncé commencer à faire du « Tapering », commencer à réduire l’injection mensuelle de liquidités fraiches dans l’économie, cela a provoqué la panique sur les marchés financiers mondiaux. C’est ce qui explique l’extrême prudence avec laquelle Janeth Yellen, actuelle gouverneure de la FED, a annoncé que la FED considère augmenter son taux d’intérêt le 17 septembre à condition d’un troisième rapport favorable concernant l’emploi.
A cela s’ajoute encore une complication supplémentaire, dans « Faire démarrer le moteur et passer à une vitesse supérieure », l’OCDE était encore convaincue que les pays en développement, surtout, allaient encore croître fortement. Quelques mois plus tard, le Brésil est touché par la récession, l’inflation, une crise fiscale et des protestations massives. Le marché immobilier chinois s’est écroulé, sur les bourses de Shangaï et Shenzen, 4000 milliards d’euros sont partis en fumée, et la production industrielle et l’exportation ont fortement diminué. L’économie russe a connu un rétrécissement de 4,6% de son économie au 2e trimestre de 2015 comparé au même trimestre en 2014 et ceci après un rétrécissement de 2,2% au premier trimestre face au même trimestre de l’année précédente. Les 15 plus grands pays en développement connaissent la plus grande fuite de capitaux depuis le début de la grande récession en 2009 et ce flux part principalement en direction des Etats-Unis. Si Yellen augmente les taux d’intérêt, ce flux s’accélérera encore. Mais entretemps, nous savons que Yellen a postposé cette mesure pourtant jugée urgente. Et les bulles continuent de gonfler.
Leur morale, notre indignation
Les économistes bourgeois ne s’en sortent plus. Ils se contredisent l’un l’autre et eux-mêmes. Cela gêne Peter Vanden Houte, économiste en chef chez ING, que le professeur d’économie Larry Summers aux Etats-Unis, ancien secrétaire d’Etat aux finances sous Clinton, parle de « stagnation séculière ». [15] C’était la terminologie exprimant après la grande dépression des années ’30 que l’on s’attendait encore à des années de faible croissance. Selon Vanden Houte, c’est trop pessimiste : « Il n’est pas impossible que de nouvelles innovations révolutionnaires puissent causer un choc positif de productivité. La prédiction d’une stagnation éternelle après la grande dépression ne s’est pas réalisée non plus. » Mais, ajoute-t-il, « les pessimistes ont raison de dire qu’il a fallu une guerre mondiale avant que l’économie soit relancée. » Quelques mois plus tard, ce Vanden Houte conclut un article où il compare la situation en Chine avec celle du Japon dans les années ’90 : « il n’est pas tout à fait clair ce que nous pouvons encore attendre de l’économie chinoise pour les prochaines années, mais il semble certain que la croissance sera plus volatile et en moyenne plus basse. » [16] Dans cet article, il fait également référence au fameux « piège au revenu moyen », nous l’avons déjà abordé de manière extensive en 2011. [17]
L’époque de la soi-disant rationalité, l’idée des économistes classiques selon laquelle l’intérêt général est le mieux servi lorsque chacun rechercher la satisfaction de son propre intérêt, est remise en question depuis quelques temps. Le converti le plus frappant est l’ancien thatchérien et ancien parlementaire des libéraux flamands (VLD) Paul Degrauwe. Mais aussi Mia Doornaert, du quotidien flamand De Standaard, pointe dans son article « La revanche du capital » [18] que le bien-être en Europe occidentale avant la chute du Mur de Berlin (novembre 1989) « n’était pas le résultat d’un libre-marché rampant, mais de la politique, d’une politique consciente de répartition des richesses. (…) Au cœur de l’Europe, une compétition était à l’œuvre entre le communisme et la liberté [le capitalisme, NDA]. De cette lutte est né l’Etat-Providence. (…) Si quelqu’un a profité de l’existence de l’Union soviétique et de son empire, ce sont les travailleurs en Europe occidentale. » Elle conclut : « Il n’existe pas de système qui génère automatiquement la richesse et le bien-être. Pour cela, il faudra toujours une politique qui sauvegarde l’équilibre délicat entre liberté et solidarité. Et qui fait donc respecter les règles morales du jeu, y compris par les marchés. »
Même Yvan Van de Cloot, du Think Thank de droite Itinera, trouve que cela commence à suffire. [19] Il se plaint que 43% des actifs financiers des environ 8000 banques européennes se trouvent dans les comptes de 15 grandes banques uniquement. Que seulement 10% des produits financiers vendus et achetés concernent l’économie réelle. Que moins de 10% de toutes les dettes concernent des sociétés non-financières. Que seulement 5% des activités d’échange ont à voir avec de l’importation et de l’exportation réelles de biens et de services. « Le secteur financier européen commerce donc essentiellement avec lui-même. Il existe un énorme degré de consanguinité. Le meilleur qui peut nous arriver », conclut Van de Cloot, « c’est la destruction d’un genre spécifique de capitalisme, c’est-à-dire la destruction du capitalisme financier basé sur les transactions. Nous devons revenir au capitalisme basé sur des relations. » Van de Cloot arrive finalement, donc, au même point que Mia Doornaert : « l’économie n’a de sens que si elle est moralement correcte. » [20]
Cette question de la moralité se base évidemment sur quelque chose. Selon Oxfam, mais les chiffres sont contestés, la fortune combinée des 80 personnes les plus riches au monde en 2014 serait équivalente à celle des 3.500.000 les plus pauvres. En 2010, il fallait encore les 388 personnes les plus riches pour parvenir au même résultat. [21] Un rapport d’Oxfam de 2012 affirmait que les 240 milliards de dollars gagnés par les 100 personnes les plus riches de cette année-là suffisaient à éradiquer 4 fois l’extrême pauvreté dans le monde. [22] Dans le Global Risk Report, le rapport annuel du Forum économique mondial rédigé par 700 experts concernant les plus grands dangers pour les 10 années à venir, l’inégalité croissante est considérée comme la plus grande menace. [23] Le salaire des patrons de la Bourse londonienne – salaire de base, boni, stock-options et autres avantages compris, mais évidemment pas les dividendes ou d’autres revenus du capital – était en moyenne, en 2010, l’équivalent de 160 fois le revenu moyen d’un employé à temps plein. En 2014, c’était déjà 183 fois. [24] Il faut donc aux employés à temps plein de ces groupes en moyenne 15 années et 3 mois pour gagner ce que leur patron encaisse en un mois, contre 13 années et 4 mois il y a 4 ans !
La seule excuse que l’on peut encore inventer, c’est que ces super-riches d’aujourd’hui seraient dépassés par quelques figures historiques. Pour cela un modèle de calcul spécial a été élaboré. MeasuringWorth.com ne tient pas seulement compte de la propriété, mais aussi de son impact dans le PIB, des moyens technologiques, etc. Bill Gates ne serait ainsi que le 9e plus riche de l’Histoire, avant Gengis Khan (10e), mais après Rockfeller (7e), Staline (5e) et l’empereur Romain Auguste. [25] Le roi des rois africains de l’empire du Mali, Manse Moussa (fin du 13e, début du 14e siècle) serait le plus riche de tous les temps. Nous doutons que cela rend moins grave qu’il y ait 4700 milliards d’euros en fortunes financières cachés dans les paradis fiscaux et que le fisc perd ainsi chaque année 130 milliards d’euros en manque de revenus. [26] Tout comme l’exonération légale de paiement d’impôts sur son salaire annuel de 380.939 euros innocente moralement Christine Lagarde, directrice générale du FMI, lorsqu’elle pense pouvoir exhorter les Grecs pour qu’ils paient leurs impôts correctement. [27] Mais il ne faut pas que ce soit illégal ou d’un standard moral douteux pour susciter l’indignation. Selon une étude de la société de gestion internationale Henderson Global Investors, en 2014, les 1200 entreprises les plus grandes au monde ont payé en dividendes 1023 milliards d’euros à leurs actionnaires, une augmentation de 10,5% comparé à 2013. [28]
L’absence d’issue fait surgir des questions existentielles
Il y a eu des années où tout ce que les capitalistes touchaient semblait se transformer en or. Cette période est passée. Aujourd’hui, tout semble avoir une face sombre. Les prix bas des matières premières font que les consommateurs dépensent moins pour l’essence, le diésel ou le gasoil, mais cela réduit aussi l’inflation, déjà basse, qui menace de devenir déflation. [29] Cela peut à son tour pousser les consommateurs à repousser leurs dépenses et créé ce que l’on appelle une chute de liquidités qui fait en sorte que la baisse des dépenses d’énergie ne se traduit pas, ou seulement partiellement, dans d’autres consommations. La déflation, ou la baisse des prix de vente, réduit également la marge de profit des entreprises.
Par contre, la baisse des prix de l’énergie et des matières premières représente également une économie pour plein d’entreprises, surtout dans le transport et l’aéronautique. Mais pour le secteur pétrolier et ses sous-traitants, cela n’est pas le cas. Et pas non plus pour les pays producteurs de pétrole tels que le Venezuela, la Russie ou la Norvège. [30] La Norvège dépend du pétrole à hauteur de 50% de ses exportations, depuis la baisse des prix, 20.000 emplois ont été perdus dans le secteur. Au premier trimestre de 2015, l’économie norvégienne a connu une contraction de -0,1%. [31] Des Etats pétroliers tels que le Dakota du Nord et la Louisiane doivent compenser la perte de revenu par des économies sur leurs dépenses publiques. Les entreprises de forage pétrolier postposent leurs investissements. [32] Depuis juillet 2014, déjà 200 milliards de dollars seraient ainsi gelés. C’est d’ailleurs l’objectif, du moins de la part de l’OPEP et surtout de l’Arabie Saoudite, qui tiennent leur production à un niveau élevé dans l’espoir de contrarier le développement de l’extraction de pétrole de sables bitumineux aux Etats-Unis. Cette pratique n’est rentable qu’à partir de 60 à 70 dollars le baril, là où l’exportation de pétrole saoudien l’est déjà à partir de 10 à 30 dollars. [33] Le prix actuel tourne autour de 40 dollars, le niveau le plus bas depuis 2009. [34] Le bas prix du pétrole assure également que l’on investit moins dans des sources d’énergie alternatives. [35]
La politique monétaire souple des Etats-Unis et de la Grande Bretagne vantée par l’OCDE a aussi son côté sombre. Selon l’agence de consultance MCKinsey, la dette totale – particuliers, entreprises et autorités combinés – des économies les plus importantes sur le plan mondial, ont crû de 40% depuis 2007 à 200.000 milliards de dollars, soit 286% du PIB mondial. Les banquiers de l’ombre, des banques non-reconnues, qui échappent à la régulation classique, ont déjà atteint les 75.000 milliards de dollars, autant que le PIB mondial. [36] La Banque des règlements internationaux (BRI) pointe qu’à mesure que les règles pour les banques sont devenues plus contraignantes, le rôle des fonds de capitaux à risque et des agences de gestion de patrimoine sur les marchés financiers a pris en importance. Eux aussi valent maintenant un capital d’investissement de 75000 milliards de dollars. Ce qui est plus grave, une vingtaine de fonds de gestion en détiennent 40%. [37] William White avertit de l’arrivée d’une nouvelle crise financière. [38]
Autant de contradictions doivent inévitablement faire poser des questions existentielles. Que penser d’autre des titres tels que « La force destructive de l’inégalité » [39] ou encore « les robots pourraient occuper la moitié de nos emplois » [40] et « comment la technologie menace de faire dégringoler notre pouvoir d’achat ». [41] La crise est toujours la conséquence d’une confluence particulière de divers facteurs. Expliquer des crises exclusivement sur base de l’un ou quelques facteurs est spécifique des écoles d’économistes bourgeois, qu’ils soient mercantilistes, libéraux classiques, de l’école autrichienne, de l’école historique, du marginalisme, de l’utilitarisme, du monétarisme, du libertarisme, du keynésianisme, du néo-keynésianisme ou encore d’autres.
Progrès et capitalisme
L’économie critique (ou marxiste) étudie les processus vivants qui s’articulent et s’influencent les uns les autres. Cela ne signifie pas encore qu’il n’y aurait pas à l’œuvre de lois tendancielles – en contradiction avec des « lois d’airain » ou lois absolues – propres au mode de production capitaliste. [42] Par exemple la tendance systématique à la surproduction, puisque le profit provient du travail non-rémunéré des travailleurs. Des néo-keynésiens tels que Paul De Grauwe, Paul Krugman, Joseph Stigliz et pourquoi pas Yanis Varoufakis n’ont pas complètement torts lorsqu’ils accentuent que la demande est à la traine. Selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), les salaires dans les pays développés n’avaient toujours pas atteint l’année passée, après une croissance décevante de 0,1% en 2012 et 0,2% en 2013, le niveau d’avant 2007. L’OIT estime que cela explique la faible reprise et le risque croissant de déflation dans l’eurozone. La demande en berne, due à la répartition inégale des richesses, est certainement un facteur très important dans la crise actuelle.
L’OIT confirme encore une autre « loi tendancielle » du capitalisme. C’est-à-dire qu’elle créée ses propres fossoyeurs. Si les salaires sur le plan mondial ont encore connu une certaine croissance, c’est principalement dû à une augmentation dans les pays en développement, avec 6,7% en 2012 et 5,9% en 2013. Surtout en Chine, le mouvement des travailleurs a saisi la croissance de ces 15 dernières années pour arracher de meilleurs salaires. Sans la Chine, en 2013, la croissance des salaires sur le plan mondial n’était pas de 2%, mais de 1,1% seulement. [43]
Aucune « loi tendancielle » démontrée par Marx n’a été plus critiquée que celle sur l’appauvrissement (relatif) de la classe des travailleurs. Mais maintenant, même l’OCDE avertit qu’une diminution des inégalités est nécessaire. « Ces dernières décennies, 40% de la population de l’OCDE n’ont pas profité de la croissance », ce qui fait qu’une partie des classes moyennes recule. Ces gens reçoivent un enseignement plus mauvais, moins de travail et moins d’opportunités. Cela stoppe la mobilité sociale dans nos Etats-membres. » Selon l’OCDE, la croissance des écarts entre revenus entre 1985 et 2005 aurait freiné la croissance entre 1990 et 2010 à hauteur de 4,7%. « A l’époque, nous pensions que l’égalité était quelque chose de communiste », affirme le dirigeant de l’OCDE Angel Gurria, « mais il n’y a rien d’idéologique à cela. Plus d’égalité de revenus assure plus de croissance économique, plus de cohésion sociale et plus de confiance dans la politique. » [44]
Mais la distribution inégale n’a pas toujours été un frein sur la croissance économique du capitalisme. Jusque tard dans le 19e siècle, avec le développement de la compétition, c’était justement une condition nécessaire pour accumuler suffisamment de capitaux afin de pouvoir démarrer une révolution dans le développement des moyens de production. La peur des artisans, des paysans, des domestiques et des ouvriers manufacturiers de l’époque quant à l’effet de destruction d’emploi de l’introduction des machines n’était pas totalement dénué de fondement. Mais finalement, la révolution industrielle a tout de même créé plus d’emplois que ce qui avait été détruit par les machines. Aujourd’hui, des patrons aiment se référer à cette période historique lors des restructurations et des fermetures. Les travailleurs et les syndicats qui s’y opposent sont accusés de conservatisme. La comparaison avec les luddites anglais qui brisaient les machines au début du 19e siècle n’est jamais très loin. Mais tout comme l’inégalité a changé cet élément d’un facteur progressiste sur le progrès au facteur de frein sur le progrès (est devenu son opposé dialectique, en termes marxiste) l’effet sur l’emploi de nouvelles applications techniques et scientifiques est différent aujourd’hui par rapport à la phase de naissance du capitalisme.
Chômage technologique
Keynes l’avait déjà reconnu en 1930, lorsqu’il mettait en garde concernant le « chômage technologique », le chômage consécutif au progrès technologique et scientifique. Dans un texte où il tentait d’imaginer les choses un siècle plus tard « vers les possibilités qui pourraient jaillir pour nos arrières enfants à condition qu’il n’y ait ni guerre importante ni croissance de la population », Keynes soulevait que le capitalisme pourrait absorber le chômage technologique en diminuant la durée de travail hebdomadaire moyenne à 15 heures par semaine, ou 3 heures par jour. [45] Mais cette redistribution du travail ne se fait pas automatiquement, elle est déterminée par les relations de force entre travail et capital. Après une période de réduction du temps de travail à l’époque de l’Etat-Providence, nous constatons aujourd’hui non seulement un allongement du temps de travail et un accroissement de la pression au travail, mais aussi un chômage massif structurel. Cela créé une armée de chômeurs, que Marx appelle une « armée de réserve » de travailleurs, qui fait diminuer le prix de la force de travail et renforce la position du capital dans la lutte des classes.
Mais l’existence d’une armée de réserve de travailleurs conduit aussi, à un certain point, à plus de désavantages que d’avantages pour les capitalistes. Des prédictions selon lesquelles d’ici une ou deux décennies l’usage de robots de plus en plus intelligents rendra superficiels 47% des emplois américains sont de plus en plus prix au sérieux. [46] Il existe entre temps des entreprises totalement automatisées où des machines tournent 24 heures sur 24 sans intervention humaine, des entreprises appelées light-out. Cela ne menace pas seulement des emplois industriels, mais aussi par exemple des emplois médicaux avec des robots qui assistent des docteurs et des infirmières ou dans l’enseignement avec des cours en ligne. [47] Selon une étude d’ING; 2,2 millions des 4,5 millions d’emplois actuels en Belgique pourraient être automatisés dans les décennies à venir, dont 96% des comptables, 95% des vendeurs, 93% des fonctionnaires fiscaux, 90% des serveurs, 86% des facteurs, 66% des agents d’assurance, 49% des plombiers,… [48] Le correspondant de « Robotica et Intelligences Artificielles » Nico Tangha, rapportait à ce titre dans De Standaard sa visite d’une usine robotisée futuriste au Japon. [49] A plus long terme, cela menace le pouvoir d’achat de la couche basse et moyenne, avertit City-group, et cela peut paralyser l’économie. [50]
La science et la technique se sont développées à un niveau où le capitalisme n’est plus capable de gérer le processus. Des nouveaux produits exigent souvent des années d’investissement dans une recherche très coûteuse. Freiner le progrès est une caractéristique typique des sociétés en déclin. Cela vaut dans une certaine mesure pour les opprimés, dans ce cas-ci des travailleurs qui s’opposent à l’innovation car ils comprennent que sous le capitalisme cela conduit au chômage et à la pauvreté. Mais cela vaut encore beaucoup plus pour la classe dominante capitaliste qui, à l’instar de ses prédécesseurs féodaux, essaye de limiter le développement libre et l’échange nécessaire des sciences et techniques, dans leur cas pour essayer de sauvegarder leur avantage compétitif. Cela signifie un énorme gaspillage. Du moment qu’un produit est à point, il faut en plus le rendre rentable dans le moins de temps possible d’où l’usage abondant d’entreprise qui ne s’arrêtent jamais, au travail mauvais pour la santé et au rythme de travail inhumain. D’où aussi la demande de travail dominical, de crèches fonctionnant 24 heures sur 24, d’une économie 24/24. Chaque année, Apple sort un nouvel IPhone pour ne pas être en retard, des modèles de voitures ne doivent dorénavant plus être renouvelés tous les 6 à 7 ans mais tous les 5 ans avec un lifting intermédiaire après 2 et 3 ans. Cela nécessite de grands investissements mais, pourtant, la durée de vie moyenne des voitures ne cesse de monter. En Belgique, par exemple, de 6 ans et 3 mois en 1993 à 8 ans et un mois en 2013. [51]
Marc Goblet raconte que dans les secteurs pour lesquels il était responsable en tant que président de la Centrale Générale avant d’être devenu Secrétaire Général de la FGTB, les coûts salariaux ne représentaient que de 7 à 20% des coûts totaux. [52] A cause du développement de la science et de la technologie, la part de capital dépensée en énergie et en machines ensemble avec les bâtiments et les matières premières, appelée capital fixe, a crû proportionnellement aux dépens de la partie variable qui est dépensée pour les coûts salariaux. Marx appelle cette proportion la constitution organique du capital. Mais puisque le capital fixe transfère sa valeur dans le produit fini sans y ajouter de la nouvelle valeur et que seul le capital variable ajoute de la valeur ou de la plus-value, le taux de profit (le profit par quantité de capital investit) a tendance à baisser. C’est ce que Marx appelle la baisse tendancielle du taux de profits. C’est ce phénomène qui explique pourquoi, depuis les années ’70, les marchés financiers ont connu une croissance exponentielle. Beaucoup de capitalistes préfèrent la spéculation boursière à l’investissement dans la production réelle parce que les profits qu’ils espèrent y réaliser leur semble insuffisants ou incertains.
Nombre de facteurs contribuent à expliquer la « stagnation séculière » ou plus précisément la longue phase descendante, avec des périodes de faible reprise mais aussi de nouvelles chutes profondes. La baisse tendancielle du taux de profit est sans doute l’explication sous-jacente la plus importante. L’absence de croissance de productivité malgré la révolution digitale en est l’expression. Tout comme le manque d’investissements productifs dans l’économie réelle. [53] Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de forces contradictoires à l’œuvre. Ces dernières années, le taux de profit a même été partiellement restauré par l’augmentation du rythme de travail, en utilisant des contrats de travail ultra-flexibles, en enlevant des moments non-productifs dans le processus de travail, en se concentrant sur le core-business plus productif, etc. Bref, en augmentant le taux d’exploitation. Une des conséquences de cela est l’augmentation du fossé entre le pouvoir d’achat commun de tous les travailleurs et la valeur totale des biens et des services produits par eux. Le crédit et l’usage de l’épargne peut temporairement contrarier ce phénomène. Sans nier l’importance de la baisse tendancielle du taux de profit dans la conjoncture actuelle, c’est surtout la peur de ne pas trouver de marché qui freine les investissements productifs. En terminologie marxiste, c’est ce que l’on appelle la peur du capitaliste de ne pas pouvoir réaliser la plus-value produite par manque d’acheteurs.
Les pays en développement la guerre monétaire mondiale
Entre janvier 2013 et janvier 2014, le réal brésilien a perdu -16,46% de sa valeur face au dollar. Le Peso argentin -37,93%. La lire turque -21,80%. La Roupie -13,80%. La raison principale était le tapering, la réduction de l’injection d’argent par la FED à laquelle nous avons déjà fait référence. Cela a provoqué un renversement du carry-trade. C’est le phénomène ou des spéculateurs empruntent de l’argent aux Etats-Unis à un taux d’intérêt bas pour acheter des obligations dans des pays en développement à un taux plus élevé avec l’objectif d’encaisser la différence. Un des effets secondaires avait été que cela augmentait la valeur des monnaies et des cours boursiers dans ces pays en développement et assurait une injection de crédits bons marchés. Le rapatriement de ces fonds vers les Etats-Unis a provoqué l’effet inverse. Les monnaies de ces pays en développement perdent de leur valeur, les produits importés deviennent donc plus chers, ce qui provoque une inflation et les investissements s’arrêtent. En Inde et en Argentine, les prix ont augmenté de presque 10%. En juillet 2014, deux fonds vautours qui n’avaient pas accepté en 2005 la restructuration des dettes négociée avec 93% des créanciers, ont ramené l’Argentine au seuil de la banqueroute. La même année, un front de trois organisations trotskistes (FIS) a obtenu 1,2 million de votes, trois députés nationaux et plusieurs députés régionaux.
Seule la Chine semblait facilement digérer le revers économique, mais sur base d’une injection d’investissements basée sur le crédit. La dette totale en Chine – autorités, particuliers et entreprises ensemble – était de 160% du PIB en 2008 et déjà de 230% en 2014. Les investissements représentent en 2014 plus de 50% du PIB. [54] Depuis, la dette totale a déjà atteint 300% du PIB. [55] L’économie chinoise est confrontée à la surcapacité, à la déflation, à une crise dans l’immobilier et à une crise de dette des autorités locales. En tout cas, la croissance est beaucoup plus basse que les chiffres officiels, certain économistes avertissent de la perspective d’un atterrissage dur. L’année passée, les dirigeants chinois disaient encore que le ralentissement économique était une intervention contrôlée pour rééquilibrer la croissance économique trop basée sur l’investissement vers une croissance durable basée sur la consommation. Mais maintenant que tant la consommation que les investissements stagnent, comme à peu près tout le reste, le « ralentissement contrôlé » et le « rééquilibrage » semble être un déraillement. [56]
Fin juin début juillet, les bourses de Shangaï et de Shenzen ont connu un crash. Cela a provoqué une réaction de panique de la part du régime chinois. Beaucoup des investisseurs chinois sont des particuliers, la classe moyenne urbaine, une couche sociale importante pour le régime, avait déjà été touchée par le crash de l’immobilier. Le régime avait pensé pouvoir compenser par une croissance forte des bourses pour que cette couche sociale ne soit pas perdante et pour elle-même sortir enrichie. Il a poussé la population à investir dans la bourse pour compenser le ralentissement de la croissance aussi sur base d’emprunts. [57] Ce rêve chinois vient d’éclater en plein vol. La situation réelle de l’économie chinoise fait surface : des prix à la production qui continuent de baisser depuis 40 mois minent les profits des entreprises et rend plus difficile l’amortissement des dettes ; une inflation de seulement 1,6%, en fait une déflation sans tenir compte des prix de la nourriture ; en juillet une baisse des exportations de 8,3% sur base annuelle et une forte augmentation du Yuan face à l’euro et au yen, ce qui explique pourquoi l’exportation vers l’Europe durant les sept premiers mois de 2015 a diminué de 2,5% et celle vers le japon de 10,5%. [58]
Résultat : mobilisation générale. Depuis le 27 juin, les taux d’intérêts ont été abaissés. Plus de capital a été injecté dans les banques, de nouvelles actions ont été bloquées à la Bourse, des fonds de pension et des entreprises publiques ont été obligés d’acheter des actions et un fonds de stabilisation du marché a été créé. Tout le système financier des autorités a été mobilisé dans une opération de sauvetage massive qui a connu son sommet avec l’annonce, le 5 juillet, que la banque centrale allait acheter des actions afin d’arrêter la chute. Cela a été décrit par certains commentateurs comme du « Quantitative Easing » à la chinoise. Ces mesures désespérées indiquent que la situation est probablement encore pire que ce qui est connu en ce moment-ci. Une réaction en chaîne entraînant beaucoup d’entreprises, d’autorités locales et de banques est possible. Le prestige du régime est en jeu. Fin 2012, Xi Jinping avait d’ailleurs lancé sa stratégie de réformes où les marchés ont reçu un rôle déterminant. Le régime peut encore regretter cela.
Cela explique aussi le changement drastique dans la stratégie du régime chinois. Autant pendant la crise monétaire asiatique de la fin des années ’90 que lors de la crise de 2008, le régime chinois s’était tenu à sa politique d’une monnaie forte. Il espère d’ailleurs faire du Yuan une monnaie de réserve et en plus, une perte de valeurs du Yuan provoquerait une fuite des capitaux hors de Chine. Selon Tom Orlik, l’économiste responsable pour le continent asiatique chez Bloomberg, chaque pourcent de perte de valeur du yuan contre le dollar provoquerait le départ d’environ 40 milliards de dollars de Chine. Mais cette politique est maintenant devenue intenable et donc la banque populaire chinoise a décidé le 11 août une dévaluation unique de -1,9%, suivie le 12 août d’une nouvelle de -1,6% et d’une 3e le 13, de -1%. La banque populaire prétend qu’elle rend ainsi le taux d’échange plus orienté sur le marché. Probablement spécule-t-elle sur le fait que par manque de confiance envers l’économie chinoise, les marchés continueront à mettre pression sur le Yan. La Chine a ainsi enclenché la tendance vers la dévaluation et rejoint donc la guerre des monnaies mondiale dans une tentative d’exporter la déflation et de se procurer un avantage commercial face aux autres marchés économiques.
La décision chinoise porte la guerre des monnaies qui était enclenchée depuis quelques temps à un niveau qualitativement plus élevé. Immédiatement après la dévaluation chinoise, le Baht thaï a perdu -0,7% face au Dollar et le Dollar de Singapour a chuté de -1,2%, son plus bas niveau en cinq années. Le Peso philippin se trouve aussi à son niveau le plus bas depuis 5 ans et les monnaies indonésiennes et malaisiennes se trouvent à leur plus bas niveau depuis la crise asiatique de 1998. Depuis, le Vietnam et le Kazakhstan ont également dévalué leurs monnaies. [59] Ces pays ne font qu’appliquer ce qui leur avait déjà été montré par l’Europe. La planche à billets avait largement été utilisée depuis 2014 pour stimuler l’économie, rendre les emprunts meilleurs marchés, stimuler les investissements, contrarier la déflation mais aussi pour affaiblir l’euro pour relancer l’exportation. Dans son rapport annuel de manipulation des échanges, le secrétariat d’Etat américain aux finances pointe du doigt l’eurozone à ce sujet. [60] Mais en fait, l’eurozone ne fait que ce que les Etats-Unis ont eux-mêmes appliqués lorsque leur économie était plus faible. Ce n’est que ces dernières années que les Etats-Unis essayent prudemment de revenir sur cette politique, il n’est pas inimaginable que lorsque la croissance économique aux USA retombera à cause du prix bas du pétrole et du dollar fort que les USA postposent l’augmentation du taux d’intérêt (ce qui s’est fait entretemps) et en reviennent aux mêmes au Quatitative Easing. Dans ce cas, la guerre des monnaies serait complète. [61]
1 https://www.conference-board.org/retrievefile.cfm?filename=The-Conference-Board-2015-Productivity-Brief-Summary-Tables-1999-2015.pdf&type=subsite
2 Pompen of verzuipen, De Standaard 19 juni 2015
3 Le prix des matières premières devrait être durablement bas, Le Soir 28 août 2015
4 Les chiffres d’Eurostat: http://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/show.do?dataset=lc_lci_r2_a&lang=en
5 En attendant Godot est une pièce de théâtre de Samuel Beckett où deux personnages attendent un certain Godot, ici dans le sens d’un sauveur qui ne viendra jamais.
6 ‘Economische motor dringend starten’, De Standaard 26 november 2014 – OCDE – l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques. Commencé comme le club des pays riches, consiste maintenant de 34 pays toujours principalement les plus riches
7 Japan, van spookbeeld tot voorbeeld, De Standaard 6 september 2014
8 Où va la France, Léon Trotsky, le 9 novembre 1934
9 Voir pour cela Hal Draper, Karl Marx’ Theory of Revolution, Volume III
10 Voir le deuxième congrès de la troisième internationale, 1920
11 A profile of Europe’s populist parties, Deutsche Bank 28 April 2015
12 La Chine fait trembler l’économie mondiale, Le Soir 25 août 2015
13 ‘Onze welvaart stoelt op fundament van bubbels’, De Tijd 5 juli 2014
14 Ik maak me nu meer zorgen dan in 2007, De Tijd 17 juni 2014
15 Eeuwige stagnatie, De Standaard 18 april 2015
16 Yang met de pet, De Standaard 5 september 2015
17 Les révoltes mondiales contre ce système sans perspective, résolution du BE pour les congrès de districts de 2011, BI 39
18 De wraak van het kapitaal, De Standaard 29 juli 2015
19 De degeneratie van de banken – Ivan Van de Cloot De redactie 31 juli 2014
20 ‘Economie is enkel zinvol als ze moreel is’, De Morgen 4 oktober 2014
21 Tachtig rijksten bezitten evenveel als helft wereldbevolking, De Standaard 19 januari 2015
22 World’s 100 richest earned enough in 2012 to end global poverty 4 times over, RT news, 20 January 2013
23 Kloof tussen arm en rijk grootste kopzorg voor wereldeconomie, De Tijd, 17 januari 2014
24 Les patrons gagnent 183 fois le salaire moyen d’un employé, Le soir 18 août 2015
25 De 10 rijksten doorheen de eeuwen, De Morgen 1 augustus 2015
26 Gabriel Zucman: “4.700 milliards d’euros cachés dans les paradis fiscaux”, Le Soir 4 janvier 2014
27 Christine Lagarde non plus ne paie pas d’impôt sur les revenus, Le Monde 28 mai 2012
28 Bedrijven keerden in 2014 dik 1.000 miljard euro uit, De Tijd 16 februari 2015
29 Twijfel over groeibonus van goedkope olie, De Standaard 7 januari 2015
30 Selon la financieel dagblad des Pays-Bas en Russie il faudrait un prix du pétrole de 105 $ pour équilibrer le budget, de 122 $ au Nigéria, de 117 $ au Venezuela et de 130 $ en Iran. Petrostaten schudden van angst, fd 9 januari 2015
31 Noorse economie kampt met lage olieprijs, De Financiële Telegraaf 20 augustus 2015
32 Coup de frein pour l’industrie du brut, Le Soir 28 juillet 2015
33 L’OPEP devrait garder ses robinets grands ouverts, Le Soir 2 juin 2015
34 Olieprijs flirt met laagste peil sinds 2009, De Tijd 21 augustus 2015
35 Lage olieprijs is goed en slecht nieuws, De Morgen 2 december 2014
36 “Subprimes, saison 2”, Le Soir 14 mars 2015
37 BIS ziet grote risico’s bijb fondsen en vermogensbeheerders, De standaard 29 juni 2015
38 ‘De speculatieve excessen van 2007 zijn terug’, De standaard 6 december 2013
39 De kostprijs van de kloof, De Standaard 4 oktober 2014
40 Les robots pourraient occuper la moitié de nos emplois, Le Soir, 20 juillet 2014
41 Hoe technologie onze koopkracht dreigt weg te vreten, De Standaard 15 april 2015
42 Dans ‘Critique du programme de Gotha’ Marx critique justement les adhérents de Lasalle pour leur conception de ‘lois d’airain’ des salaires, basé sur leur point de vue erronée que le salaire ne peut jamais être plus élevé que le strict minimum de survie.
43 Les salaires ont pratiquement stagné dans le monde en 2013, RTBF-info 5 décembre 2014
44 ‘Toenemende ongelijkheid is slecht voor groei’, De Standaard 22 mei 2015
45 Economic Possibilities for our Grandchildren, John Maynard Keynes (1930)
46 Les robots pourraient occuper la moitié de nos emplois, Le Soir 19 juillet 2014
47 Will robots en capitalism, socialistworld.net 14 augustus 2015
48 Alleen topjobs en rotklussen zijn straks nog veilig, De Standaard 9 februari 2015
49 Revolutie op de werkvloer, De Standaard 27 juni 2015
50 Hoe technologie onze koopkracht dreigt weg te vreten, De Standaard 15 april 2015
51 Le cycle de vie des voitures raccourcit, Le Soir 19 novembre 2014
52 Chercher
53 The great productivity slowdown, Michael Roberts, August 8, 2015
54 La crise des pays émergents inquiète la planète, La Soir 29 janvier 2015
55 Crash boursier en Chine: le gouvernement s’en mêle
56 China ervaart nu een harde landing, socialisme.be 7 juni 2015, vertaald vanop chinaworker.info
57 Chinese beurscrash kan tot politieke crisis leiden, socialisme.be 9 juli 2015, interview met Vincent Kolo van chinaworker.info
58 Devaluatie Chinese munt leidt tot onrust op wereldmarkten, socialisme.be 13 augustus 2015, standpunt van Chinaworker.info
59 Les pays émergents inquiètent, Le Soir 20 août 2015
60 Don’t mention de muntoorlog, De Standaard 11 april 2015
61 Breekt wereldoorlog tussen de munten los?, de Morgen 7 februari 2015 -
L'austérité n'est pas un bon carburant pour l'économie et ce n'est pas prêt de changer
L’éternel argument choc des partis austéritaires, c’est que l’austérité ça a beau faire mal, ce serait nécessaire pour faciliter la croissance économique. Il semble pourtant bien qu’après un an d’activité d’un gouvernement particulièrement partisan de l’austérité la plus dure, la croissance de l’économie belge se retrouve sous la moyenne européenne pour la première fois depuis des années. Le taux de chômage ne diminue pas – c’est-à-dire que le nombre de travailleurs sans emploi ne diminue pas, mais le nombre de chômeurs exclus de leur droit aux allocations augmente – et même l’OCDE constate que le moteur économique belge hoquète. Le principal argument qui soutient l’édifice austéritaire semble donc être des plus erronés… Baptiste (Hainaut) se penche sur l’état de l’économie.
L’économie mondiale passe en mode ‘‘nouvelle médiocrité’’
Ce sont les termes de Christine Lagarde lors de la dernière assemblée générale du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (BM). Ils font suite à une nouvelle révision à la baisse des perspectives de croissance économique. Non seulement les prévisions de croissance sont revues à la baisse pour 2015 et 2016 (+3,1% et +3,6% contre +3,4% estimés en 2014), mais en plus le climat est délétère, avec les symptômes d’une nouvelle phase de crise maniaco-dépressive dans le secteur financier.
La Chine devait être le nouveau moteur de l’économie mondiale. C’était du moins l’attente des capitalistes, après que leurs espoirs dans la capacité des pays émergents dans leur ensemble à dynamiser la croissance se soient avérés être des illusions. Néanmoins, de la même manière que pour le reste des pays émergents, l’économie chinoise est totalement imbriquée dans l’économie mondiale et, par conséquent, elle est pieds et poings liés aux contradictions gigantesques de la crise économique.
Une espèce de Frankenstein chinois de la finance
Ces dernières années, les plans massifs de stimulation mis en place par les autorités publiques chinoises ont donné lieu à des investissements dans l’infrastructure sur fond de dettes colossales et à de la spéculation, notamment dans le secteur immobilier. Les chiffres de croissance se sont retrouvés gonflés dans un premier temps, donnant l’impression que la Chine pouvait continuer à croître pendant que tout le reste de la planète s’écrasait dans la récession. Mais tout cela ne permet pas de développer ‘‘durablement’’ une économie condamnée à se heurter à la surproduction du capitalisme tant les conditions de vie des travailleurs sont précaires et tant les exportations ne trouvent plus suffisamment de débouchés.
Selon les chiffres officiels, la croissance devrait être de 6,3 % en 2015, soit le plus bas en 25 ans. À côté de ces chiffres officiels peu crédibles, d’autres données économiques sont encore plus négatives : en un an, il y a par exemple une diminution en volume du fret ferroviaire et de la consommation d’électricité. Et quand il y a un ralentissement économique, les inévitables travers financiers ne peuvent plus être relativisés. On estime aujourd’hui le montant total de la dette (publique et privée) à 280 % du PIB (soit 28.000 milliards de dollars) ! Sans oublier que l’importance de l’endettement a donné lieu à un réseau bancaire de l’ombre, totalement hors de contrôle et aux conséquences imprévisibles. Les bulles spéculatives arrivent à la limite de leur expansion, notamment dans le crédit et l’immobilier. Et quand une bulle arrive à son expansion, elle ne peut qu’éclater, comme cela s’est déroulé une première fois durant l’été avec un krach des bourses en Chine l’onde de choc qui s’en est suivi partout dans le monde.
À défaut d’être le nouveau moteur de l’économie mondiale, la Chine tend à présent à être le nouvel épicentre de l’instabilité ! Quant aux pays émergents, dont l’économie a été défigurée ces dernières années en économie d’exports de matières premières vers la Chine (pétrole, métaux, minerais…), la note est salée. Le ralentissement est conjugué à un effondrement des cours des matières premières. Si ce paramètre est positif pour les pays industrialisés, c’est en revanche une catastrophe pour les pays émergents. Au Brésil par exemple, on estime pour cette année que la récession sera deux fois plus forte que prévu (-3 % du PIB) !
En route vers une stagnation séculaire ?
Pour les blocs économiques formés par les États-Unis et la zone Euro, si la situation est à l’accalmie, c’est grâce au maintien des perfusions de liquidités par les banques centrales et à la baisse du prix des matières premières. Mais malgré cela, il n’y a pas de redémarrage réel de l’économie, il n’y a pas de rétablissement de l’emploi. Que du contraire : les politiques d’austérité continuent de saper les conditions de vie et de travail, aggravant la crise de surproduction !
À présent, qu’il n’y a plus même un ersatz de nouveau moteur de l’économie mondiale, le spectre d’une longue récession est de plus en plus partagé. C’est la ‘‘stagnation séculaire’’, mêlant une stagnation sur laquelle les politiques économiques et monétaires semblent sans effet, et un cercle vicieux de la déflation sur fond de guerres monétaires.
Le capitalisme est un système sans avenir
Les classes dirigeantes n’ont cessé de nous vendre une « reprise proche », pour mieux justifier une austérité soi-disant temporaire. Ce prêchi-prêcha de cartomancien véreux n’est qu’un écran de fumée pour masquer une véritable guerre de classe. Et c’est bien la seule chose que ce système nous réserve pour l’avenir. Nous avons besoin d’une alternative de société, une alternative socialiste !
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Une reprise économique ? Pas pour tout le monde…
Comment cela a-t-il pu être possible ? Le capitalisme a été confronté en 2008 à la pire crise depuis la Seconde Guerre mondiale. La production industrielle, les cours de la bourse, le taux d’emploi,… sont retombés à une vitesse rappelant le krach de Wall Street de 1929. La crise des années 30 avait également été marquée par d’énormes inégalités, par une surproduction, des bulles financières et des investissements dans de nouvelles technologies qui augmentaient plus vite que ceux dans la main-d’œuvre. Selon Karl Marx ce cocktail toxique conduit au chômage et à des crises massives en raison des efforts déployés pour restaurer le taux de profits.
Par Peter Delsing
Nous sommes maintenant 6 ans plus tard. Est-ce la reprise ? Les médias l’affirment et les politiciens le crient sur tous les toits. Les devins capitalistes n’expliquent-ils pas qu’après la crise survient automatiquement la reprise, comme le soleil revient après la pluie ?
“Parvenir à éviter la catastrophe n’est pas garanti”
Les syndicalistes combatifs et la jeunesse radicalisée ne doivent pas se laisser endormir par ces belles paroles. Depuis 2008, le ‘‘libre marché’’ ne peut faire un pas sans les béquilles des autorités publiques. Sous les circonstances actuelles, le système ne peut survivre sans interventions des Etats jadis si détestés. La collectivité a dû débourser des milliards d’euros pour sauver les banques, ce que nous payons maintenant sous forme d’attaques contre nos pensions, notre enseignement, nos allocations de chômage ou de maladie,… Une crise issue du ‘‘trop plein de dettes’’ dans le secteur bancaire a été ‘‘résolue’’ par plus de dettes, mais cette fois-ci auprès des gouvernements capitalistes.
Le crédit est aujourd’hui invraisemblablement bon marché afin de stimuler les Bourses. Les actions atteignent à nouveau des sommets, de nouvelles bulles spéculatives sont complètement déconnectées des perspectives de croissance sous-jacentes. La Banque centrale européenne (BCE) a récemment été encore plus loin en portant son taux directeur à 0,15% (le taux auquel les banques se refinancent à ses guichets), un seuil historiquement bas. Mais selon certains analystes, c’est trop peu et trop tard: il faillait un nouveau cycle de création de monnaie, selon eux, pour sauver la zone euro d’une nouvelle et plus profonde récession.
Il n’y a pas eu de spirale infinie de faillites bancaires entrainant dans le gouffre le reste de l’économie, c’est vrai, en raison du transfert des dettes vers les gouvernements et des interventions d’Etat. L’immense plan d’investissement dans les infrastructures chinoises, financé grâce à un endettement monstrueux, a aussi contribué à soutenir la croissance mondiale pendant un temps. Aux États-Unis et dans certains pays européens, comme l’Allemagne, une relative création d’emplois a encore eu lieu. Les intérêts que devaient verser les pays d’Europe du Sud pour leurs obligations d’Etat sont retombés, également après l’intervention de la BCE. Les attaques contre nos salaires, nos conditions de vie, la sécurité sociale,… ont contribué à restaurer les profits du capital. Les ménages de salariés ont perdu une bonne part de leurs revenus aux États-Unis et dans d’autres pays développés. En Belgique, les salaires ont été gelés. En bref, les fruits de la nouvelle (modeste) croissance se sont essentiellement dirigés vers les poches de l’establishment capitaliste.
Toute la propagande concernant la reprise économique a des fins politiques. Mais les plus sérieux observateurs de la classe dominante ne sont pas convaincus. Ils tirent aujourd’hui l’alarme face à la croissance lente ou inexistante en Europe et face au risque de déflation : la baisse des prix qui diminue les bénéfices parce que les marchés et le pouvoir d’achat des travailleurs sont minés.
Au cours du premier trimestre de cette année, la croissance économique de la zone euro était de 0,2% comparée à celle du trimestre précédent. La France a connu une croissance nulle et l’Italie un déclin de 0,1%. C’est l’Allemagne qui a fait le mieux, avec une croissance trimestrielle de 0,8% – ce qui assurerait une croissance de 3% sur base annuelle. L’inflation dans la zone euro est d’environ 0,7%, soit bien loin de l’objectif poursuivi de 2%. Selon Martin Wolf, du Financial Times, la BCE doit encore promettre de ‘‘faire tout ce qu’il faut faire’’ pour éviter une nouvelle chute économique (FT, 13/05/14).
Wolf affirme que les marchés supposent que l’austérité en Europe du Sud ‘‘va durer éternellement.’’ Politiquement, ce n’est pas si évident que ça à réaliser… Un récent rapport de l’OCDE, a récemment livré une estimation des dettes des gouvernements d’Europe du Sud d’ici 2015 : l’Espagne aurait une dette équivalente à 109% de sa production annuelle de richesses (le Produit Intérieur Brut), l’Irlande à 133%; le Portugal à 141%; l’Italie à147% et la Grèce à 189%! Wolf avertit : ‘‘parvenir à éviter une catastrophe n’est pas encore garanti.’’ Ce n’est évidemment pas ton utilisé dans la presse traditionnelle, dont les contes de fée visent essentiellement à nous rassurer pour nous pousser à la consommation et ainsi essayer d’éviter une amplification des nombreux problèmes qui se posent aux capitalistes.
Le caractère de la croissance
Il est encore possible qu’une légère croissance existe aux Etats-Unis dans la période à venir. Mais l’économie chinoise est en plein ralentissement et l’immense marché immobilier s’y dégrade. N’oublions pas que l’économie chinoise est un important moteur de la croissance de divers ‘‘pays émergents’’ (Brésil, Russie, Inde, Turquie,…).
L’actuelle création d’emploi est très instable. En Belgique, le taux d’emplois à temps partiel chez les moins de 30 ans est passé de 20% à 30% depuis la crise de 2008 ! Les entreprises accordent de moins en moins de bons contrats de travail aux nouveaux employés, ou les font travailler à temps partiel. Mais les loyers et le coût de la vie ne sont pas à ‘‘temps partiel’’ ! Aux États-Unis, la perte des 2 millions d’emplois depuis le début de la crise aurait été récupérée, mais il s’agit essentiellement d’emplois à temps partiel et mal payés. En équivalents temps plein, 650.000 emplois restent à récupérer uniquement pour retrouver le niveau de 2007 !
Le capitalisme se trouve dans une impasse sans issue. Mais il ne s’effondrera pas tout seul. Les travailleurs et les jeunes devront se battre pour avoir un avenir, massivement, et à l’aide de leurs partis et syndicats combatifs et démocratiques, afin de pouvoir disposer d’une société socialiste démocratique.
Les causes de la crise
Karl Marx considérait le capitalisme comme un système qui repose sur ses propres contradictions. La profonde dépression des années ‘30 ou la dépression plus étendue – une période de stagnation économique et de déclin des forces productives – depuis les années ‘70 peuvent être expliquées grâce aux idées de Marx.
– Une tendance à la surproduction
Marx considérait que le capitalisme pourrait être confronté de différentes manières à la surproduction et à la suraccumulation. La forte inégalité entre l’élite capitaliste et la majorité des travailleurs assure que la classe des travailleurs ne peut pas racheter tout ce qu’elle produit elle-même. Les capitalistes vont dès lors se spécialiser dans les marchés de luxe, et cela peut conduire à une surproduction.
Il est de plus contraint d’utiliser des machines plus productives pour faire face à la concurrence, chaque capitaliste essayant d’engranger plus de profits que ses concurrents. Cela peut conduire à une production plus rapide que ce que les consommateurs peuvent absorber. La production dépasse alors les marchés existants. Marx distingue également une tendance à la suraccumulation de capital. La contrainte des nouvelles technologies conduit à l’exclusion de la force de travail. Depuis les années ‘70, nous constatons d’ailleurs une croissance des capacités de production dans divers secteurs en parallèle à la constitution d’un chômage structurel croissant, en partie facilitée par le remplacement du travail par la technologie.
– La baisse tendancielle du taux de profit
Sous pression de la concurrence, les capitalistes ont tendance à consacrer une plus grande part de leurs profits aux nouvelles technologies. Mais Marx a démontré que la valeur – et donc les profits – provient de la part du travail qui ne revient pas aux travailleurs sous forme de salaire. Les machines, dans les faits, transfèrent leur propre valeur au nouveau produit, c’est ainsi qu’elles sont amorties. Depuis les années ’60 et ’70, cela a conduit à une pression sur le taux de profit. Les politiques néolibérales ont partiellement pu inverser cette tendance, mais au détriment du développement de nouvelles contradictions.
– Contradiction entre le développement des forces productives et l’Etat-Nation
Les première et deuxième guerres mondiales résultaient en partie de cette contradiction. L’existence des Etats-nations concurrents a également assuré qu’il fut impossible de créer un véritable marché européen. Seule la classe des travailleurs peut unifier les nations.
– Une production sociale, mais une appropriation ‘‘individuelle’’
Le problème fondamental, la base de toutes les autres contradictions, c’est que la production est effectuée par de larges groupes de personnes, elle est socialisée, mais elle est appropriée par un petit groupe de capitalistes. La propriété privée des moyens de production dans le cadre de la recherche de profits est un obstacle irrationnel au développement de l’Humanité autant qu’une recette pour un approfondissement de la crise économique et sociale. Pour réellement sortir de la crise, la production doit être socialisée.
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Espagne 2014. Une reprise ? Pour qui ?
Que l’année 2014 soit celle de la grève générale politique !
Voici ci-dessous une version légèrement adaptée de l’éditorial de l’édition de février du journal La Brecha, publication de nos camarades de Socialismo Revolucionario, la section du Comité pour une Internationale Ouvrière dans l’Etat espagnol. Si cet article traite de la situation qui prévaut dans l’État espagnol, les leçons tirées des évènements économiques, politiques et sociaux de l’année 2013 sont extrêmement riches pour les travailleurs et les jeunes de toute l’Europe, dans le cadre de leur lutte contre l’austérité.
Pour l’État espagnol, l’année 2013 a représenté une aggravation des principaux processus mis en branle par la crise capitaliste qui a explosé il y a 5 ans de cela. Le naufrage de l’économie a continué à jeter des millions de personnes dans une extrême pauvreté au cours d’une année à nouveau marquée par des licenciements massifs, des attaques contre les salaires et des expulsions de logements. La profonde crise politique du système se poursuit avec un gouvernement en permanence dans les cordes. La crise de légitimité des institutions capitalistes et de l’Etat lui-même a connu de nouveaux épisodes, en particulier autour de la question nationale en Catalogne.
Mais nous avons également assisté à d’importantes avancées réalisées dans le processus parallèle clé qui se développe également et qui constitue une source d’inspiration dans ces moments de crise économique et sociale. Il s’agit du processus de l’activité de la classe ouvrière et de la résistance sociale, ce qui représente en soi les premières ”pousses vertes” de la lutte pour une société nouvelle. Dans l’ensemble, 2014 nous offre la promesse de puissants événements et de grandes opportunités. Tous ces processus vont se poursuivre et s’approfondir.
L’année 2014, une année de reprise ? Pour qui ?
Tout au long de l’année 2014, nous allons assister à la constante tentative de la classe dirigeante, avec la collaboration active du gouvernement et des médias dominants, ”d’élever l’atmosphère générale” dans la société. Il s’agit essentiellement d’une tentative visant à diluer la colère des masses et de la résistance en nous assurant que la reprise économique a commencé et que des temps meilleurs sont à venir. Ils promettent d’ailleurs que cette année, l’économie va croitre de… 0,6% !
Pour les marxistes et pour la classe des travailleurs, la question clé est de savoir quel sera le caractère de cette croissance. Cela va-t-il changer le cours de la crise ? Cela va-t-il provoquer une hausse de notre niveau de vie ? Si les réponses à ces questions sont négatives, nous sommes en droit de légitimement nous demander : quelle valeur peut donc bien avoir ce qu’on qualifie de croissance à nos yeux ?
Tout d’abord, nous devons expliquer que pour atténuer la brutalité de la crise – un chômage de masse qui couvre plus d’un quart de la main-d’œuvre – presque tous les économistes (même capitalistes) conviennent que la croissance doit être supérieure à 2% au moins. Aucun économiste sérieux ne prédit un tel niveau de croissance pour cette année ou celles à venir. La quantité infime d’emplois en cours de création nous donne un aperçu du type de reprise que le capitalisme espagnol nous réserve : l’extinction des contrats à durée indéterminée et des bonnes conditions de travail. Les patrons profitent de la crise pour réaliser une contre-révolution sur le marché du travail et pour imposer un nouveau modèle basé sur la précarité et des conditions de vie misérables.
Ensuite, cette situation cauchemardesque est combinée avec toute une vague d’attaques contre nos conquêtes sociales et nos droits démocratiques, la classe dirigeante tirant également parti de la crise pour éliminer les conquêtes historiques du mouvement ouvrier, comme le droit de manifester et de faire grève, ou encore de librement décider de son propre corps et de sa maternité. Cette réalité – qui comprend également la destruction de l’État-providence et des services publics – dévoile la base dont ils ont besoin pour leur prétendue ”reprise” : une destruction constante de notre niveau de vie pour finalement imposer en Espagne et au continent des normes issues du “tiers monde”.
Pour une année 2014 combative avec une lutte constante et généralisée ! Pour une grève générale politique !
Le prix du plus grand obstacle au développement de la lutte en 2013 doit être accordé aux dirigeants des principaux syndicats. Comme nous l’avons expliqué à plusieurs reprises dans les pages de La Brecha, ils ont joué un rôle-clé dans le maintien en place du gouvernement, malgré les crises profondes dans lesquelles il est empêtré.
Mais malgré ce rôle de frein qu’ils ont joué, nous avons pu voir tout au long de l’année 2013 que les travailleurs ont continué leur lutte et l’ont intensifiée, en recourant à des méthodes de plus en plus militantes. 2013 a été l’année de la grève illimitée, à partir du secteur de l’éducation dans la région des Baléares jusqu’à la grève héroïque de plus de 100 jours de l’usine Panrico. Ces exemples se distinguent très nettement de la politique que les dirigeants syndicaux continuent à défendre, faite de grèves purement symboliques et insuffisantes d’une journée, sans intensification de la lutte et sans la moindre continuité, ce qu’exige pourtant la situation actuelle.
Ce fut encore l’année de victoires importantes, en particulier celle des nettoyeurs de rue de Madrid [qui sont parvenus à repousser les menaces de licenciement et de réduction de leurs salaires de 40% grâce à l’action de la grève illimitée, NDLR] qui ont ainsi montré la voie que doit prendre l’ensemble des travailleurs. Une fois de plus cependant, le rôle de frein joué par les dirigeants syndicaux a empêché pareils exemples de militantisme d’obtenir une expression généralisée au niveau de l’État.
Le récent mouvement de lutte qui s’est développé dans le quartier de Gamonal, à Burgos [où des mobilisations de masse répétées ont attiré l’attention à l’échelle nationale et ont paralysé un important projet spéculatif, NDLR] est un autre exemple de la façon dont la lutte peut obtenir des résultats pour peu qu’elle soit menée de façon déterminée et militante et qu’elle soit basée sur un soutien de masse.
Dans la perspective des nouvelles attaques auxquelles les travailleurs, les jeunes et les pauvres auront à faire face en 2014 – notamment avec les contre-réformes sur les retraites et sur le droit à l’avortement – il est essentiel que ce militantisme soit exprimé à une échelle toujours plus grande. Il est urgent de mettre sur table la question d’une action généralisée, et en particulier de l’unification de la force et des luttes de la classe des travailleurs au sein d’une nouvelle grève générale.
Cependant, il est tout aussi essentiel que les grèves générales qui seront nécessaires en 2014 se différencient fondamentalement de celles établies sous le modèle des dirigeants syndicaux en 2012, c’est-à-dire uniquement organisées sous une pression insupportable de la base, de façon symbolique et isolée, seulement suivies de longues périodes de démobilisation.
Nous avons besoin d’une nouvelle grève générale capable d’unir les luttes et d’élever l’atmosphère de combativité et la confiance de la classe ouvrière au sens large. Nous n’avons pas besoin d’une simple grève de protestation, il nous faut une grève générale avec des revendications et des objectifs capables d’unifier les luttes de la classe ouvrière autour de la lutte pour une solution générale aux problèmes qui les provoquent, en commençant par assurer la chute du gouvernement et en initiant la lutte pour une alternative politique favorable aux travailleurs.
Pour l’unité de la classe des travailleurs dans leur lutte pour la liberté de tous les peuples nationaux
En ce qui concerne la question nationale, nous assistons à un nouveau tournant, en particulier en Catalogne (bien que cette question devienne de plus en plus importante également au pays basque).
D’une part, le PP (et le parti social-démocrate PSOE avant lui) ne se lassent pas de parler de“l’unité indiscutable de la patrie”, mais ce politiciens semblent perdre leur ferveur patriotique dès lors qu’il s’agit de s’agenouiller devant les exigences de la troïka. D’autre part, en Catalogne, les partis CiU et ERC prétendent défendre la cause de la lutte pour l’autodétermination et les intérêts du ”peuple”, mais ils n’ont aucun problème à saigner le ”peuple” avec leur politique d’austérité. Ils ont promis la tenue d’un référendum concernant l’indépendance catalane, mais ont admis n’avoir aucune stratégie (ni même de volonté) pour répondre à l’inévitable interdiction de celui-ci par le gouvernement du PP, avec le soutien du PSOE.
La seule force sociale capable de lutter de manière conséquente pour les droits de tous les peuples de la nation afin qu’ils puissent décider de leur propre avenir, c’est la classe des travailleurs. Il s’agit de la seule classe capable de libérer la Catalogne, et la société espagnole, de la misère de la crise du capitalisme. C’est dans la lutte de classe contre les gouvernements soumis au marché, unis au niveau de l’État et au niveau international, que la base d’une véritable solution à la question nationale pourra être trouvée, ce pour quoi le système capitaliste a maintes fois démontré son incapacité.
Cette solution est celle de la lutte pour une confédération libre et volontaire des peuples ibériques, construite sur le ciment du droit universel à l’autodétermination, y compris le droit à l’indépendance. Une telle lutte ne peut être gagnée qu’en menant le combat pour société socialiste, fondée sur la propriété publique démocratique des richesses et des secteurs-clés de l’économie .
Ceci souligne la nécessité de forger et de renforcer l’unité de la classe des travailleurs et de ses organisations, en commençant par un front uni de la gauche, du mouvement ouvrier et des mouvements sociaux, dans la lutte pour faire tomber le PP et disposer enfin d’un gouvernement des travailleurs.
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La crise économique débarque en Asie du Sud
Rapport de l’école d’été du CIO
Jusqu’à récemment, les économies “émergentes” des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) croissaient encore à un rythme soutenu. La Chine semblait particulièrement défier les lois de la gravité économique ou plutôt, les lois de la crise, typiques de toute économie capitaliste. On a entendu toute une série de gens nous dire que ces pays pourraient maintenir l’économie à flot et sauver le monde de la crise qui continue à ravages l’Europe et les États-Unis. L’effondrement tragique du taux de croissance au Brésil (qui est passé de 7,5 % en 2010 à… 0,9 % en 2012), et la révolte de masse des travailleurs et des jeunes de ce pays, ont mis un terme à cette illusion.
Clare Doyle, Comité pour une Internationale Ouvrière
Le ralentissement actuel en Chine, dont l’économie “surboostée” lui avait permis de ravir au Japon sa place de deuxième PIB mondial (après les États-Unis), est maintenant source de gros ennuis pour la clique dirigeante en Chine et partout dans le monde. La Chine est très fortement impliquée dans de grands projets de capitalisation dans toute une série de pays, pour des raisons économiques aussi bien que stratégiques ; mais la baisse de ses exportations a déjà un effet sur les économies des pays dans lesquels la Chine a délocalisé certaines opérations industrielles de base et à partir desquels elle tire les matières premières qui alimentent son industrie.
L’Inde – qui est la troisième plus grande économie d’Asie, et qui ne s’est que récemment ouverte au marché mondial – a vu son taux de croissance chuter, de 10,5 % en 2010 à 3,2 % en 2012. La croissance de l’économie de la Malaisie, qui est extrêmement dépendante du commerce avec la Chine, a ralenti pour n’atteindre que 4,1 % cette année. La plupart des pays asiatiques ont au départ bénéficié de la baisse des investissements productifs (càd, profitables) qui s’est produite ailleurs dans le monde. D’énormes quantités de capitaux “dormants”, qui ne généraient que peu ou aucun intérêt dans les banques des pays pratiquant l’assouplissement quantitatif (l’impression d’argent), se sont déversées sur l’Asie en tant qu’“investissements” spéculatifs.
Le Financial Times commentait ainsi que les marchés obligataires en monnaies locales « ont beaucoup prospéré du fait que l’effondrement financier mondial de 2008 a libéré une masse d’argent facile […] qui a quitté les États-Unis et l’Europe. Que se passe-t-il lorsque les taux d’intérêts commencent à monter, surtout aux États-Unis ? Combien de cet argent va se retourner et prendre ses jambes à son coup ? ». Près de 50 % des bons d’État de l’Indonésie appartiennent à des étrangers ; c’est le cas aussi de 40 % des bons d’État de la Malaisie et des Philippines.
Allons-nous maintenant assister à une nouvelle “crise asiatique”, aussi grave, voire plus grave encore, que celle de 1997-98 ? Les gouvernements d’Asie du Sud et du Sud-Est (ces deux régions, qui s’étendent de l’Afghanistan à l’Indonésie, représentant ensemble 33 % de la population mondiale) parviendront-ils à éviter la tempête à venir ?
Un précédent historique
Au cours de la “crise asiatique” de 1997-99, on a vu plonger les devises de pays comme la Thaïlande, tandis que des centaines de milliers d’emplois passaient à la moulinette. Les soulèvements révolutionnaires contre la politique d’austérité imposée par le FMI ont notamment, en Indonésie, renversé le dictateur honni, Suharto. En Malaisie, un mouvement de masse qui réclamait des réformes démocratiques a menacé le long règne du Front national (BN), dominé par l’Organisation nationale des Malais unis (UMNO). À la fin 1997, la Corée du Sud a connu de nouvelles grèves générales contre les attaques néolibérales, semblables à celles qui se sont produites encore récemment.
La fois passée, le FMI avait envoyé des prêts massifs à tous ces pays en proie à la crise afin d’éviter un effondrement social et une révolution. Dans le cas de la Corée du Sud, le montant des prêts s’élevait à 57 milliards de dollars. Aucun de ces mouvements de résistance n’a pu former une voix et une ligne politique capable d’accomplir les processus révolutionnaires qui avaient vu le jour. En Indonésie, certains groupes de gauche ont entretenu des illusions dans le caractère “démocratique de Megawati Sukarnoputri, qui, une fois au pouvoir, a joué son rôle de gérante du grand capital national et international, en alliance avec les généraux de l’ancien régime. En Malaisie, Anwar Ibrahim, le très populaire dirigeant du mouvement “Reformasi”, était un ancien membre du gouvernement UMNO avec Mahathir Mohammed. En tant qu’économiste néolibéral éduqué aux États-Unis, il ne voulait pas (et ne veut toujours pas) d’un mouvement qui pourrait aller jusqu’au bout et organiser la fin du capitalisme.
Le CIO avait appelé au soutien total à ces mouvements pour les droits démocratiques et pour la liberté, et avait cherché à s’y impliquer autant que possible, mais tout en expliquant – suivant en cela le concept de la “révolution permanente” tel qu’imaginé par Trotsky – la nécessité de débarrasser ces pays néocoloniaux de la domination du capitalisme multinational aussi bien que national. Il fallait y mener une politique socialiste claire, basée sur la compréhension du rôle de la classe des travailleurs qui seule, avec le soutien des pauvres des villes et des campagnes, peut établir une véritable démocratie et transformer les vies de l’écrasante majorité de la population dans cette région.
Tandis que le vent froid de la récession mondiale a maintenant atteint les pays asiatiques, de pareils mouvements tout aussi tumultueux pourraient voir le jour. Étant donné le fait que les économies des divers pays du monde sont encore plus interconnectées aujourd’hui qu’alors, l’Inde et le Pakistan, qui avaient évité le pire de la crise de 1997-98, pourraient à présent se retrouver complètement submergés. Le FMI ne va certainement pas pouvoir intervenir de manière aussi importante qu’il l’a fait à l’époque pour sauver les gouvernements des soulèvements révolutionnaires. Les premières explosions de colère et de désespoir pourraient s’élargir pour aboutir sur un mouvement généralisé au sein duquel l’ensemble des travailleurs et des jeunes pauvres se mettraient à chercher des solutions révolutionnaires. En ce moment, aucun pays asiatique ne peut prétendre avoir un gouvernement stable, confiant et viable.
L’Inde
L’Inde est caractérisée par « l’économie de marché économique avec la moins bonne performance de l’année » (The Guardian, 7 aout), vu le fait que sa croissance s’est arrêtée au second trimestre. « Les investisseurs craignent une répétition de la crise qui avait frappé l’Inde en 1991 ».
Misère de masse et privations sont deux termes synonymes en Inde : « Quatre-cent millions d’Indiens n’ont pas l’électricité … La moitié des Indiens défèquent à l’air libre … Les taux d’immunité pour la plupart des maladies sont inférieures à ceux d’Afrique subsaharienne … Un enfant indien a deux fois plus de chances de souffrir de la faim qu’un enfant africain (ils sont 43 % à en souffrir en Inde) … Le budget de la santé publique s’élève à à peine 39 $ par personne et par an, alors qu’il est de 203 $ par personne par an en Chine, et de 483 $ au Brésil » (The Economist, 29 juin 2013)
La majorité des femmes indiennes subissent une souffrance et des difficultés sans nom. Le viol collectif et le meurtre d’une étudiante à New Delhi en décembre dernier a provoqué un large mouvement de protestation en Inde comme à l’échelle internationale. Il est possible que des mesures soient introduites afin de tenter de sévir contre les criminels sexuels, mais il faut se rendre compte que la violence contre les femmes bénéficie du soutien de nombreuses vieilles pratiques et croyances. Les catastrophes naturelles sont aggravées par la destruction irresponsable de l’environnement, comme on l’a vu avec les glissements de terrain meurtriers dans l’Uttarakhand (petit État de l’Himalaya, frontalier du Népal et du Tibet (sous domination chinoise), 10 millions d’habitants) en juin de cette année. L’état des services de secours d’urgence est lamentable, ce qui cause encore plus de morts et de souffrances.
Le gouffre qui s’étend entre la masse de la population indienne, forte de près de 1,3 milliards de gens, et la minuscule poignée de super-riches, s’élargit de plus en plus. Quelques individus issus de riches dynasties familiales ont amassé de vastes fortunes. Selon le magazine Forbes, Mukesh Ambani, patron de Reliance Industries et le 22ème homme le plus riche du monde, possède une fortune de 20 milliards de dollars (10 000 milliards de francs CFA, voir ici les photos de son yacht qui a couté 10 milliards de francs) ; le magnat de l’acier Lakshmi Mittal pèserait quant à lui 16 milliards de dollars (8000 milliards de francs). Une nouvelle classe moyenne s’est développée dans certaines villes, et fournit un certain marché pour les voitures et les produits de semi-luxe.
« Pour les riches, le seul problème est leur tour de taille », comment The Economist (06/07/13). « Transportés partout par leurs chauffeurs, dispensés de toute corvée quotidienne par leur armée de serviteurs, ils sont devenus une race à part, corpulente, qui se distingue clairement de leurs compatriotes maigrelets ». (Cela nous rappelle les vieilles caricatures du gras capitaliste, alors qu’au même moment, aujourd’hui aux États-Unis, ce sont les travailleurs qui sont obèses, vu la manière dont on les gave de nourriture bon marché mais d’origine indéterminée).
L’écrasante majorité de la population indienne continue à mener tant bien que mal une existence sordide avec un revenu de misère constamment érodé par l’inflation galopante. Les couches moyennes, qui ont pu bénéficier d’un certain développement de l’économie, voient déjà leurs espoirs brisés par le ralentissement de l’économie.
Le gouvernement de Delhi dirigé par le parti du Congrès est ravagé par l’indécision et la corruption. Des régions entières du pays échappent au contrôle du gouvernement, où les forces de guérilla naxalites (maoïstes) se sont rendues populaires en chassant les propriétaires terriens rapaces et les multinationales. Alors que des élections sont prévues en 2014, le premier ministre Manmohan Singh vacille entre la pression de l’extérieur, qui veut le forcer à mettre en place des “réformes” néolibérales, et la pression d’en-bas.
Il y a maintenant même la possibilité de voir revenir au pouvoir le parti nationaliste de droite largement discrédité, le BJP (Bharatiya Janata Party, Parti du peuple indien), dirigé par Narendra Modi. Modi est toujours détesté par des millions de gens qui le surnomment le “boucher du Gujarat” (État frontalier du Pakistan, 60 millions d’habitants) pour y avoir été responsable du meurtre de plus de 2000 musulmans en 2002. Dans de nombreux États, son parti se vautre dans la corruption. Mais comme le disait le Financial Times : « Si l’impression d’un vide étatique donnée par le Congrès continue comme ça, de plus en plus de gens seront tentés de prendre des risques avec lui » (10/06/13)
Et cela, dans un pays qui a connu en février la plus grande grève générale de l’histoire de l’humanité – plus de cent millions de travailleurs étaient partis en grève pendant deux jours. Les grévistes réclamaient entre autres la fin de la cherté de la vie et un salaire décent pour tous. (Le roupie indien a chuté de 15 % rien qu’entre mai et juillet, ce qui a fortement nuit aux revenus déjà faibles).
Les partis “communistes” de masse, jouissent toujours d’un certain soutien parmi les travailleurs et même parmi les paysans. Cependant, le “Parti communiste indien (marxiste)” a perdu énormément de plumes depuis qu’il a perdu le pouvoir au Bengale occidental (province de Calcutta/Kolkata, à la frontière avec le Bangladesh ; 100 millions d’habitants), où il régnait depuis des décennies. Il a souffert électoralement à cause des attaques brutales menées par lui sur le niveau de vie des travailleurs et des paysans, sacrifiés sur l’autel du capitalisme indien comme étranger. Il sera difficile – bien que pas impossible, en l’absence de tout autre parti des travailleurs de masse – pour le PCI(M) de regagner un soutien là ou ailleurs, tant qu’il adhère à la doctrine stalinienne traitre des “deux stades” – selon laquelle il faut d’abord installer le capitalisme avant de commencer toute lutte pour le socialisme.
Le Pakistan
La crise quasi permanente qui constitue la vie quotidienne au Pakistan illustre bien le besoin urgent pour les travailleurs de s’en prendre directement au féodalisme et au capitalisme en même temps. La vie personnelle tout comme la vie politique est oppressée par les coupures de courant, les attentats terroristes, l’effondrement des services publics et la paralysie du gouvernement.
Le Parti du peuple pakistanais (PPP), autrefois si puissant, est entré dans une période de déclin qui sera peut-être terminale. La seule raison pour laquelle son gouvernement corrompu et inapte, sous la direction de M. Zadari dit “20 %” (une amélioration depuis son titre précédent de “M. 10 %”), est parvenu à arriver jusqu’au bout de son mandat, est l’inertie affichée par toutes les autres forces. L’armée, qui contrôle en coulisses des pans entiers de l’économie et de la société, n’est pas intervenue non plus pour reprendre le pouvoir direct. Cela ne veut pas dire qu’elle ne le fera pas à nouveau dans le futur, vu le développement de la crise politique et sociale.
Le PPP, dans lequel tant de travailleurs et de jeunes avaient placés tous leurs espoirs au début des années ’80, a maintenant perdu la plupart de son autorité. Le gouvernement de Nawaz Sharif est confronté à des problèmes impossibles à résoudre : un État en faillite, une économie en crise, le terrorisme islamiste de droite, et de puissantes forces centrifuges qui menacent de faire éclater le pays.
L’économie pakistanaise est dangereusement instable et fragile. Le nouveau prêt du FMI, d’une valeur de 5,3 milliards de dollars, est lié à l’exigence d’une “discipline financière”, càd, aucun subside pour les pauvres. La priorité est la réforme du secteur du transport de l’électricité, pour remédier aux coupures de courant qui causent maintenant chaque année à l’économie nationale des pertes estimées à 2 % du PIB.
Il est fort improbable que le nouveau gouvernement puisse y faire quoi que ce soit. Les deux-tiers de l’électorat vivent dans les zones rurales, où des propriétaires féodaux ont encore pour ainsi dire droit de vie ou de mort sur des millions de paysans. Ce sont aussi eux qui décident du résultat des élections. La lutte héroïque de Malala Yousafzai (une adolescente de 16 ans, déjà victime de plusieurs tentatives d’assassinat dont une balle dans la tête pour son blog anti-talibans) contre les talibans qui voulaient empêcher les filles de s’inscrire à l’école, leur a par la même occasion permis de redorer un peu leur blason (Yousafzai est le nom d’une grande famille noble pachtoune, une ethnie qui vit à la fois au Pakistan et en Afghanistan). Mais la lutte contre les féodaux et contre les autorités, qui ne peuvent assurer une éducation complète et gratuite des garçons et des filles à la ville et à la campagne, est loin d’être terminée.
Néocolonialisme et gouvernements faibles
Dans la plupart des sociétés asiatiques, beaucoup de droits démocratiques de base n’ont jamais été établis. Les classes capitalistes émergentes n’ont pas été assez fortes pour accomplir une réforme agraire en profondeur ni pour chasser les restes du féodalisme. En Chine, il a fallu l’État prolétarien déformé de Mao Zedong pour accomplir cette tâche. Ce qui avait été accompli au cours des siècles précédents par les classes bourgeoisies lors de leurs révolutions en Angleterre, en France et ailleurs, reste toujours inachevé dans la plupart des pays asiatiques.
Tout comme sur les autres continents, la plupart des nations asiatiques ont été créées artificiellement par des lignes tracées sur des cartes après (ou avant) des années de pillage et de destructions meurtrières. Des nations entières ont été réduits au statut de “minorité ethnique” en Birmanie, en Thaïlande, au Sri Lanka. Seuls des partis des travailleurs à la tête de gouvernements socialistes seront à même de résoudre les questions des droits des minorités nationales et d’entamer la tâche de bâtir des confédérations mutuellement coopératives de nations, à l’échelle sous-régionale.
Cela fait des décennies que le règne direct exercé par l’impérialisme a pris fin partout en Asie. Cette domination a été remplacée par des puissances régionales telles que la Chine et l’Inde, qui luttent pour des “concessions” avantageuses sur le plan stratégique ou économique, comme on le voit au Sri Lanka, en Birmanie, et ailleurs.
Des multinationales géantes fouillent la région à la recherche de marchés, de main d’œuvre bon marché et de maximalisation des profits. Dans la plupart des pays les plus pauvres du monde, le marché des graines, des engrais, des détergents, de la vente, etc. est dominé par des monopoles multinationaux. Unilever effectue ainsi 57 % de ses ventes sur les “marchés émergents”, Colgate 53 % et Procter & Gamble 40 % (Financial Times 29/07/13).
Une campagne contre l’invasion du marché de la distribution indienne par Walmart organisée par le PCI(M) a obtenu une semi-victoire. Il reste à voir si la mise en échec de Walmart sera définitive. Les “communistes” du PCI(M) ont juré de rester vigilants, mais même des campagnes de masse ne peuvent obtenir que des victoires temporaires tant que les forces du “libre marché” capitaliste déterminent l’économie.
Les géants du textile et de la chaussure que sont Primark, Gap, Reebok et Adidas tirent d’énormes profits du travail asiatique. Le Bangladesh reçoit 20 milliards de dollars par an de ses exportations de textiles fabriqués par des travailleurs payés 38 $ par mois (20 000 francs CFA). La fureur suscitée par les conditions de travail dans des entreprises telles que le complexe Rana Plaza à Dhaka (la capitalie), qui s’est effondré cette année en tuant 1300 travailleurs, s’est exprimé dans les rues par des manifestations de masse et par des grèves.
À l’échelle internationale, on verse des larmes de crocodile, puis on parvient à des accords entre les revendeurs, les organisations patronales, les ONG et les fédérations internationales de syndicat comme IndustriALL. Même des organisations modérées comme “War on Want” (Guerre à la pauvreté, une ONG britannique) se plaignent du fait que de tels accords ne mènent jamais à rien et ne permettent jamais de garantir un salaire décent, une réduction des heures de travail ou de meilleures conditions de vie pour les millions de travailleurs de l’industrie textile partout en Asie du Sud et du Sud-Est. Ces accords ne permettent pas non plus l’émergence de véritables organisations de travailleurs combatives.
Certains des géants les plus connus de l’industrie automobile possèdent aussi des usines en Asie. Ils forcent leurs travailleurs à accepter des salaires et des conditions qui ne seraient pas tolérées dans aucune autre région du monde. Mais en même temps, ils ont créé une nouvelle génération de jeunes combattants de classe qui ont organisé des grèves très importantes, comme celle de Maruti, près de Delhi (Maruti est une société industrielle appartenant à Suzuki ; les travailleurs demandaient le triplement de leur salaire et des logements ; le directeur des ressources humaines est décédé dans un incendie au cours de cette grève ; l’usine a été fermée pendant presque un an ; le conflit est toujours en cours).
Les magnats “locaux” tels que les Tata, les Mittal, les Ambani, etc. se sont tellement enrichis depuis l’“indépendance” de leur pays, sur le dos de millions de travailleurs frappés par la pauvreté, dans leur pays comme en-dehors que leurs entreprises d’acier, d’automobiles et de mines parcourent à présent le monde entier, dans leur éternelle quête de profits.
Démocratie ?
Un simple regard sur n’importe quel pays d’Asie du Sud nous confirmera l’immense, l’infranchissable “déficit démocratique”, comme les commentateurs bourgeois le disent. Au Royaume-Uni, il y a eu tout un débat afin de savoir si la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth pouvait ou non avoir lieu comme prévu au Sri Lanka cette année (ce qui laisserait le Sri Lanka présider l’organisation du Commonwealth pendant les deux prochaines années !). La presse à cette occasion signalait le fait que le seul élément de démocratie présent au Sri Lanka est l’organisation d’élections. Le Sri Lanka serait le pays le plus dangereux au monde pour les journalistes, selon l’ONG “Reporters sans frontières”. L’armée continue à saisir et à “lotir” les terres des Tamouls dans le nord du pays, tandis que son ministre de la Défense, Gotabaya Rajapakse (frère du président Mahinda Rajapakse, du ministre de l’Économie Basil Rajapakse et du président de l’Assemblée nationale Chamal Rajapakse), aime à déclarer que « Les droits de l’homme ne sont pas pour nous ».
La guerre civile au Sri Lanka a été noyée dans le sang de dizaines de milliers de Tamouls par la dictature népotiste chauviniste cingalaise de Mahinda Rajapakse. Mais aucune des grandes puissances qui luttent pour l’opportunité de faire des investissements très profitables et pour l’influence politique au Sri Lanka – notamment la Chine et l’Inde – n’est embarrassée par le manque de droits démocratiques dans le pays.
Cette année en juin, nous avons vu la première grève générale dans le pays, bien que partielle, depuis des années ; c’est là un signal d’avertissement au régime apparemment tout puissant. Un gouvernement confiant dans son avenir n’aurait pas besoin de se reposer si fortement sur l’usage de l’armée, sur la censure de la presse ou sur la traque des opposants et des éléments minoritaires.
Même dans “la plus grande démocratie du monde” – l’Inde – les votes lors des élections sont achetés et vendus. Toutes sortes de “cadeaux électoraux” – télévisions, ordinateurs, téléphones portables, etc. – sont distribués par les partis d’opposition comme du pouvoir lors des élections nationales ou régionales. De véritable fiefs de la taille de pays entiers sont détenus par des Ministres-en-chef et par leurs amis. La promesse d’éliminer l’immonde système des castes, reprises en chœur par tant de dirigeants politiques, reste irréalisée, et les minorités ethniques voient leurs terres les plus précieuses se faire arracher par des gouvernements ou des cartels qui œuvrent main dans la main (sauf là où des mouvements de masse déterminés sont parvenus à bloquer leurs projets).
Le “second monde”
La Malaisie, pays d’Asie du Sud-Est, parfois considérée comme faisant partie du “second” plutôt que du “tiers” monde, comprend trois principaux groupes raciaux (Malais, Chinois, Indiens). Le gouvernement du Barisan Nasional (Front national), qui se base sur la majorité malaise, prétend avoir à nouveau gagné les élections en mai, bien qu’il ne détienne maintenant plus la majorité des deux tiers qui lui permettait d’effectuer des modifications constitutionnelles.
Les électeurs “chinois” (càd, d’ethnie “chinoise”, et non pas de nationalité chinoise), qui constituent un quart du total des Malaisiens, se sont écartés du BN pour protester contre la continuation de sa politique pro-malais. La majorité des électeurs “indiens” malaisiens ont en général voté pour l’opposition de la Pakatan Rakyat (Alliance du peuple).
Au cours du mois qui a précédé les élections nationales, on a tout d’un coup vu tomber un “déluge” d’allocations sociales pour les familles pauvres, d’un montant total de 2,6 milliards de dollars. D’autres cadeaux ont été faits pour l’ensemble des électeurs. Malgré cela, l’alliance au pouvoir, dirigée par le BN, a sans nul doute été vaincue ; mais elle a affirmé sa victoire, malgré les très nombreux rapports de fraude électorale partout dans le pays. (Même le contrat pour l’encre nécessaire au vote a été donné à une entreprise qui appartient à un membre de l’alliance au pouvoir !)
Des jeunes radicalisés et en colère sont immédiatement descendus dans les rues pour déclarer le gouvernement illégitime ; certains de leurs dirigeants ont été arrêtés. Le dirigeant de l’opposition – ce même Anwar Ibrahim qui avait dirigé le mouvement “Reformasi” en 1997 – a condamné la fraude électorale et a exigé une enquête par les tribunaux. Mais il n’a à aucun moment demandé à ce que le gouvernement laisse le pouvoir et à manifester pour cela. Petit à petit, le mouvement des jeunes s’est essoufflé puis a disparu.
Il faut une nouvelle force politique en Malaisie, comme partout ailleurs dans la région, afin de canaliser la colère des jeunes et des travailleurs en une lutte pour une alternative socialiste. Le CIO en Malaisie, dans son journal “Solidarité ouvrière” présente une longue liste de revendications démocratiques liées à d’autres portant sur les salaires, le logement, les emplois pour les jeunes, la nationalisation des banques et des grandes entreprises sous contrôle et gestion démocratique par les travailleurs. Ce journal est vendu aux manifestations, sur les marchés de nuit, devant les entreprises – que ce soit des banques ou des usines – et dans les quartiers ouvriers.
Quel avenir
Lorsque les économies asiatiques seront soumises à la pleine force de la tempête économique qui approche, tous les partis politiques de la région seront soumis à l’épreuve. Ceux qui prétendent représenter les travailleurs, mais ne sont pas prêts à mener une lutte jusqu’au bout et sans compromis contre la domination du capitalisme et de l’impérialisme, perdront leur soutien. Ces vieux partis seront rejetés au cœur de la lutte de classes. Le développement d’une nouvelle force prolétarienne, basée sur un programme de classe combatif, est la tâche principale des socialistes en Inde, au Pakistan, en Malaisie, au Sri Lanka et dans toute la sous-région.
Des évènements terribles se préparent pour l’Asie du Sud et du Sud-Est ; c’est en particulier le cas pour les pays plus petits comme la Birmanie, le Népal, le Vietnam ou le Cambodge. Toutes les vieilles “certitudes” seront remises en question, et c’est au CIO que reviendra l’immense responsabilité de développer la capacité de lutte de la classe des travailleurs à travers toute la sous-région.
Comme Trotsky l’a écrit dans le programme fondateur de la Quatrième Internationale, rédigé il y a 75 ans : « Bons sont les méthodes et moyens qui élèvent la conscience de classe des ouvriers, leur confiance dans leurs propres forces, leurs dispositions à l’abnégation dans la lutte » (Programme de transition). Les quelques-uns qui comprennent aujourd’hui la nécessité d’un programme complet afin d’effectuer une transformation socialiste en profondeur de la société ont pris l’habitude de « nager contre le courant ». Mais la vague de soulèvements de masse en Asie et ailleurs dans le monde, contre le capitalisme sous toutes ses formes, les porteront « à la tête du flux révolutionnaire », comme l’écrivait encore Trotsky.
Que ce soit le régime chancelant de Yudyohono en Indonésie, l’alliance instable au Pakistan, le gouvernement mou de Singh en Inde, le pouvoir illégitime de Najib Raziv en Malaisie ou la dictature de verre au Sri Lanka, aucune de ces cliques corrompues ne donne la moindre apparence de stabilité pour la sous-région. Loin de là. Les tempêtes qui pointent à l’horizon les verront remplacés non par un ni deux, mais par toute une série de gouvernements de crise, jusqu’à ce qu’un parti armé d’un programme socialiste révolutionnaire parvienne à saisir les rênes du pouvoir et à inspirer une vague révolutionnaire à travers toute l’Asie et au reste du monde.

