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55 ans d’occupation chinoise au Tibet
Le 7 octobre 2005 a marqué le 55ème anniversaire du début de l’occupation militaire du Tibet par la Chine, en 1950. Cet anniversaire fait suite à la récente commémoration par le Parti Communiste Chinois (PCC) au pouvoir du 40ème anniversaire de la fondation, le 1er septembre 1965, de la “Région Autonome du Tibet” (RAT).
Cet anniversaire controversé fut marqué par une parade de 6000 soldats de l’Armée de Libération Populaire (ALP) à travers la capitale tibétaine, Lhassa, où les immigrants Han (l’ethnie majoritaire chinoise) ont maintenant dépassé en nombre les Tibétains.
Malgré une économie rapidement croissante dans la région (plus de 10 pourcent par an lors de la dernière décennie), la rancoeur anti-chinoise est répandue. Cet état d’esprit est l’héritage des lourdes mesures répressives et bureaucratiques du régime de Beijing, lesquelles, dans la conscience des masses tibétaines, pèse bien plus lourd que l’abolition du servage et l’implémentation de profondes réformes sociales. Ainsi que Robespierre l’avait dit, les gens n’apprécient guère “les missionnaires à baïonnettes”.
Lors de la seconde moitié du siècle passé, plus d’un cinquième de la population tibétaine a été arrêtée ou harcelée en liaison avec les opérations “anti-séparatistes”, si on s’en réfère seulement aux statistiques officielles du gouvernement. Au moins 100 000 personnes ont été tuées au cours de nombreuses rébellions, ou en conséquence des conditions de détention et du travail forcé. Alors que les règles gouvernant la pratique religieuse ont été détendues depuis les jours de la soi-disant Révolution Culturelle (1966-76), pendant lesquels la plupart des monastères tiébtains ont été détruits, le fait de porter un portrait du Dalai Lama, le “dieu-roi” bouddhiste en exil, est toujours considéré comme un délit. Cependant, en dépit de tout ceci, l’emprise du régime chinois sur le Tibet n’est encore que très superficielle.
Ce conflit tire ses origines de l’occupation et de l’incorporation forcée du Tibet à la République Populaire de Chine (RPC) par Mao Zedong en 1950, un an après la victoire de la Révolution Chinoise. De telles tensions nationales sont également très répandues ailleurs en Chine, en particulier dans les zones frontalières faiblement peuplées, dans lesquelles les Chinois Han ne sont qu’un minorité. Comme l’a écrit John Pomfret dans le Washington Post, “les régions de Chine dominées par les deux minorités les plus récalcitrantes – les Tibétains et les Ouïghours – s’étendent sur 4 millions de km² (NDT: environ six fois la France, ou 130 fois la Belgique), c’est-à-dire près de la moitié de la Chine, et comprennent la plupart de ses zones frontalières vulnérables historiques.”
Ces dernières années, les Tibétains ont été confrontés à une nouvelle menace : la marginalisation économique dans le cadre d’une économie de plus en plus capitaliste, directement importée de Chine, et dominée par des capitalistes et des professionnels Han. Ceci “exacerbe grandement, et de plus en plus, l’inégalité de revenus entre la ville et la campagne, et entre les Han et les Tibétains,” avertit le président de l’ONG “Fonds pour l’Atténuation de la Pauvreté au Tibet”, Arthur Holcombe. Même dans le secteur d’Etat, une bonne pratique de la langue chinoise (putonghua) est une condition pour trouver un travail. Etant donné que le taux d’alphabétisation des adultes au Tibet n’avoisine que les 50 pourcent – comparé au 85 pourcent de Han qui savent lire – l’organisation du marché du travail à la ville pèse sur la population autochtone.
Une telle marginalisation est renforcée par un racisme plus ou moins affiché envers les Tibétains, perçus comme “arriérés” et “inférieurs” ; de telles idées ont été utilisées depuis des décennies par le régime de Beijing pour justifier sa politique répressive.
“C’est encore pire que la discrimination des Blancs par rapports aux Indiens d’Amérique,” selon Wei Jingsheng, un écrivain chinois dissident.
Immigration et pauvreté rurale
“La politique de développement économique de la Chine pour le Tibet”, commentait le Business Week (19 septembre 2003), “renforce aussi la pauvreté urbaine, le crime et le problème galopant de la prostitution, au fur et à mesure que des jeunes Tibétains, souvent pauvrement éduqués, déménagent dans les villes et trouvent peu d’occasions légales de survivre.”
Le boom économique est, en tous cas, un phénomène urbain, laissant largement sur le côté les zones rurales où 80% de la population tibétaine habite. Les statistiques officielles révèlent un état qui est probablement le plus large fossé de richesse de toute la Chine, entre les zones rurales, dans lesquelles la population est, dans son ensemble, tibétaine, et les villes, de plus en plus dominées par les immigrants Han. Le revenu net des paysans et bergers tibétains était de 1861 yuan (225 dollar US) en 2004, parmi les plus bas revenus de Chine. Les salaires des professionnels et des fonctionnaires d’état, d’un autre côté, sont les plus hauts de Chine, et pour les ouvriers industriels, ces salaires sont les seconds plus hauts de Chine, après Shanghai. Dans une période où le gouvernement central ne peut plus ordonner aux fonctionnaires et spécialistes Han d’aller s’installer dans les régions “stratégiques”, une espèce de “prime Tibet” a été mise en place pour y attirer le personnel Han. Les vacances y sont plus longues, les heures de travail plus courtes, et les colons peuvent recevoir des allocations d’altitude, des bonus d’isolement, et une foule d’autres subsides.
En dépit de tout cela, les tentatives du gouvernement de Beijing pour organiser une colonisation de Han à grande échelle du Tibet, en tant que contrepoids au “séparatisme”, ont donné des résultats mitigés. Officiellement, les Tibétains comptent toujours pour 93%, ou 2,4 millions des 2,7 millions d’habitants de la RAT. La taille de la population Han est certainement plus grande que ce que suggèrent les chiffres officiels, puisque des garnisons de soldats de l’ALP et de dizaines de milliers d’ouvriers immigrés s’y trouvent. Mais même ainsi, la migration de Han au Tibet est loin d’être équivalente à celle qui a eu lieu au Xinjiang, la région voisine – où les han comptent maintenant pour 40% de la population – et ceci n’est pas par hasard. En plus du froid et de l’atmosphère très pauvre en oxygène – le Tibet est aussi connu sous le nom de “Toit du Monde” – les colons Han doivent faire face à la pauvreté généralisée et au mécontentement de la population autochtone. Au cours des années 1959-1999, un total de 110 000 fonctionnaires chinois ont été envoyés au Tibet. Certains d’entre eux, dans les toutes premières années du moins, se sont portés volontaires, poussés par un idéal révolutionnaire ou patriotique. La majorité d’entre eux s’en alla assez vite.
Dans les années 1980s, sous la campagne de “Tibétanisation” promulguée par Hu Yaobang, les fonctionnaires Han se virent ordonnés de rentrer au foyer, et devinrent les boucs émissaires des excès de la Révolution Culturelle. Lorsque le président actuel, Hu Jintao, tenait le poste de Secrétaire du Parti dans la RAT, de 1988 à 1992, il passait la plupart de son temps à Beijing, pour se remettre du “mal de l’altitude”. Ce n’était pas la seule raison pour laquelle Hu tenait ses distances. Jonathan Mirsky, du Guardian, se souvient que : “J”ai eu un jour la chance de rencontrer Hu. Ne sachant pas que j’étais journaliste, il me raconta à quel point il détestait le Tibet pour son altitude, son climat et son manque de culture. Il gardait sa famille à Beijing, me dit-il, et craignait que si un jour il devait y avoir une émeute contre les Chinois, aucun Tibétain ne le protégerait.”
Les ouvriers immigrants Han, ainsi que les soldats démobilisés qui conduisent les taxis de Lhassa et travaillent sur ses sites de construction, sont évidemment faits d’un meilleur matériau. Mais eux aussi, pour la plupart, projettent de rentrer au pays une fois fortune faite – en général après deux ou trois ans. Comme dut l’admettre un militant pro-Tibet qui a parcouru le pays en long et en large : “La présence des Chinois au Tibet est vraiment très mince. Dès qu’on arrive au-dessus de 3000 mètres en-dehors des villes, il n’y a simplement plus de Chinois… La majorité des Chinois en fait ne veulent vraiment pas être ici.” [John Ackerley, ICT, Washington Post, 31/10/99]
Pour renforcer son emprise sur le Tibet, le gouvernement central a construit l’autoroute Qinghai-Xizang, un chantier de 1142 kilomètres, bientôt terminé. C’est l’un des projets d’infrastructure les plus prestigieux et des plus coûteux qui ait jamais été entrepris dans un pays où les projets de prestige abondent . A une altitude de 4000 mètres au-dessus du niveau de la mer, cette autoroute sera la plus haute du monde, opérant à une altitude plus haute que celle à laquelle de nombreux petits avions ne peuvent même pas voler. Ce projet a demandé des défis technologiques massifs, dus au paysage gelé et montagneux, aux problèmes de manque d’oxygène et de basse pression atmosphérique. Les locomotives seront équipées de turbochargeurs pour leur alimentation en oxygène, tandis que les cabines des passagers seront pressurisées de la même manière que les avions. Avec des wagons première classe qui comporteront une station thermale et un restaurant de luxe, le train symbolise la prédilection actuelle de la Chine pour les distinctions de classe. Beijing est aussi occupée à construire de nouvelles routes, ainsi que des projets de stations électriques hydrauliques au Tibet, en tant que moyen d’accélérer l’intégration économique à la Chine.
Abolition du féodalisme
Contrairement à la version romantique décrite par l’idéal Hollywoodien du Tibet d’avant 1949, présenté comme une terre d’harmonie spirituelle, les conditions de vie y régnaient ressemblaient à celles que l’on pouvait trouver en Europe au Moyen-Âge. 58% de la population étaient des serfs, forcés à travailler gratuitement pour leurs maîtres, en grande partie des lamas (moines). Les serfs qui tentaient de s’enfuir étaient soumis à des châtiments cruels tels que la flagellation ou la mutilation. Même Jung Chang et Jon Halliday, les auteurs de Mao : L’histoire inconnue, une tentative de discréditer la Révolution Chinoise, admettent que c’était une “facette très sombre” de la vieille théocratie (état religieux) tibétaine, bien qu’ils ne développèrent pas ce point, ajoutant immédiatement après que “le règne de Mao était bien pire”. Le féodalisme tibétain était profondément lié à la branche “Lamaïste” du Bouddhisme, le produit de siècles d’isolation dans un environnement très dur, dans lequel aucun peuplement humain à grande échelle n’était possible. Les monastères étaient eux-mêmes de gros propriétaires terriens, avec 40% des terres du Tibet leur appartenant en 1950. Ils avaient aussi une fonction de tribunaux et de collecteurs d’impôts, imposant de fortes taxes religieuses aux pauvres. Même aujourd’hui, il est estimé que les Tibétains payent un tiers de leur revenu annuel aux monastères.
De la même manière que le système féodal Confucéen a finalement implosé sous le poids des pressions militaire et économique externes, le féodalisme tibétain, dépassé, finit par être aboli, mais il le fut par l’arrivée du stalinisme chinois. Depuis que la théocratie bouddhiste a été évincée, le PNB par habitant a été multiplié par 33. De grandes améliorations ont été apportées au niveau de l’électricité, de l’apport en eau potable, et autres infrastructures. Mais à cause du fait que ces mesures, indéniablement progressives, ont été imposées de manière bureaucratique – au moyen d’une occupation militaire – plutôt que d’être développées à partir d’un mouvement social autochtone (qui aurait pu se tourner vers l’aide des travailleurs et paysans chinois), elles l’ont été au prix d’un coût énorme et inutile vis à vis des masses tibétaines et chinoises.
En dépit d’une croissance économique rapide, basée sur les technologies et capitaux importés de Chine, le Tibet se traîne derrière les autres régions de la RPC en ce qui concerne la santé, l’éducation et la plupart des autres critères. Selon le recensement de 2000, 45,5% des enfants tibétains ne vont même pas à l’école primaire, comparé à une moyenne chinoise de 7,7% d’enfants non scolarisés. Ceci représente une amélioration considérable par rapport la situation d’avant 1959 (pendant laquelle seuls 2% des enfants tibétains recevaient une éducation primaire), mais c’est tout de même le moins bon taux de scolarisation comparé à celui de toutes les autres minorités chinoises. De la même manière, seuls 13,3% des tibétains suivent une éducation secondaire, comparé à 52,3% des autres chinois [recensement national de 2000]. La prévalence de l’agriculture de subsistance signifie que les familles paysannes gardent un enfant (le plus souvent, une fille) à la maison pour y travailler (d’où le taux extrêmement bas d’alphabétisation des femmes). C’est aussi une des raisons pour lesquelles les Tibétains, et d’autres minorités nationales, sont se vus exemptés de la politique de l’enfant unique promulguée par Beijing.
Le taux de mortalité infantile a aussi brutalement chuté, passant de 43% en 1959, à 3,7% en 1998 – mais ce taux reste toujours trois fois plus élevé que celui de la RPC prise dans son ensemble. Et une fois de plus, tandis que l’espérance de vie moyenne des hommes a été augmentée, passant de 36 ans en 1949, à 65 ans de nos jours, elle est l’espérance de vie la plus basse de toutes les 18 nationalités chinoises (la moyenne chinoise d’espérance de vie masculine se portant à 68,9 ans).
Les racines du conflit
L’argument des nationalistes Han, y compris celui du régime de Beijing, selon lequel le Tibet a toujours fait partie “intégrante” de la Chine, est fausse. Un précédent historique n’est de toutes façons pas un argument décisif au sujet du droit des petites nations, mais bien plutôt la conscience des masses, en particulier de la paysannerie et de la classe ouvrière. Sur base d’événements, surtout de convulsions majeures, une conscience nationale peut se développer, là où auparavant elle était inexistante, comme ce fut le cas avec le Pakistan ou l’Erythrée.
Au cours des mille dernières années, le Tibet fut à différentes reprises un tributaire de l’Empire Mongol, de l’Inde Moghole, et, plus tard, de la Chine sous la dynastie Qing (prononcé : Tching). Le Tibet fut soumis au contrôle Qing en 1728, sur base de la soi-disant relation “prêtre – maître” entre le Dalai Lama et la cour impériale. Les empereurs Qing (qui n’étaient pas des Han, mais des Mandchous), offraient la protection au Dalai Lama et à l’élite féodale contre les rébellions internes, tandis qu’en échange, le Lamaisme était adopté en tant que religion nationale pour la Chine, et que le Dalai Lama devenait son “chef suprême”. Cet arrangement découlait des projets de la cour Qing afin d’assujettir les territoires du Nord et de l’Ouest, qui étaient dominés par des tribus mongoles, qui pratiquaient également le bouddhisme tibétain. Même avec la bénédiction du Dalai Lama, la conquête des fiefs mongols par la dynastie Qing nécessita toute une série de terribles guerres génocidaires. Ce processus vit l’Etat chinois s’étendre vers le Sud, jusqu’en Birmanie et au Vietnam, à l’Est vers la Corée, et à l’Ouest, en Asie Centrale et au Tibet.
Mais alors que l’Etat Qing commençait à se désagréger au 19è siècle sous l’impact combiné de la rébellion interne, et des pressions impérialistes venues de l’extérieur, le Tibet commença à échapper à son contrôle. Au début des années 1900s, l’impérialisme britannique cherchait par tous les moyens à s’assurer l’hégémonie sur le Tibet, pour y construire un barrage à l’expansion de la Russie en Asie Centrale.
Le colonel Younghusband, un britannique, à la tête d’une force militaire composée en majorité d’Indiens, massacra en 1904 plus de 900 Tibétains faiblement armés, pour imposer un accord de commerce au gouvernement de Lhassa. Un traité en 1906, accepté de force par un gouvernement Qing décrépit, fit du Tibet un protectorat britannique. C’est ici que se trouve la vérité au sujet du soi-disant Tibet “indépendant” de l’époque, que la propagande du gouvernement en exil mené par le Dalai Lama présente si souvent comme un “âge d’or”. Sur base du capitalisme et de l’impérialisme, il ne peut y avoir aucune indépendance véritable pour les petits Etats économiquement faibles ; de la même manière qu’il est impossible à une petite entreprise “indépendante” de survivre dans l’économie capitaliste moderne autrement qu’en tant que sous-traitant des grandes corporations Les tentatives du 13ème Dalai Lama de mendier les faveurs de l’impérialisme britannique comprenaient entre autres l’offre “pacifiste” de 1000 troupes tibétaines qui sont allées se battre pour les Britanniques lors de la Première Guerre Mondiale.
Du point de vue des Chinois, le transfert du Tibet dans la sphère d’influence britannique était encore un nouvel exemple de l’humiliante occupation étrangère, sur un pied d’égalité avec la conquête de la Mandchourie par la Russie en 1901, et l’annexion de l’île de Formose (Taiwan) par le Japon en 1895. La réunification du Tibet et de la “patrie” chinoise fut incorporé au Credo de tous les nationalistes chinois, de Chiang Kai-shek à Mao Zedong et à ses stalinistes.
Cette attitude n’était pas celle des trotskystes chinois, cependant. Chen Duxiu, le fondateur du PCC, qui fut plus tard un important soutien pour l’Opposition de Gauche menée par Léon Trotsky, disait de prendre garde au “nationalisme et au patriotisme égoïstes”, qu’il décrivait ironiquement comme étant des “marchandises de mauvaise qualité importées du Japon”, qui devaient être boycottées par la classe ouvrière chinoise, comme ils le faisaient pour les autres marchandises !
La révolution de 1949
La révolution chinoise de 1949 représente un énorme paradoxe historique. En abolissant le capitalisme et les droits seigneuriaux, et en lançant l’industrialisation sur base de la propriété d’Etat et de la planification, elle secoua la Chine au point de la faire sortir de plus d’un siècle de paralysie et de déclin. La Chine était la preuve vivante de la phrase de Karl Marx : “La révolution est le moteur de l’histoire”. Mais à cause du caractère déformé que prit cette révolution sous une direction staliniste, dont le modèle était la dictature bureaucratique de l’URSS, le nouvel Etat arriva vite en confrontation directe avec les Tibétains et d’autres minorités nationales, et ensuite avec des couches larges des travailleurs et paysans chinois Han.
Plutôt que de s’appuyer sur l’internationalisme ouvrier conscient qui animait Lénine, Trotsky et les autres chefs de la Révolution Russe de 1917, la vision du monde qu’avait le régime de Mao Zedong ne pouvait être décrit qu’au mieux comme un nationalisme Han radical, combinant l’opposition à l’impérialisme étranger, à une attitude chauviniste et intolérante envers les minorités nationales de l’ancien Empire Chinois. Le Tibet, le Xinjiang et la Mongolie Intérieure étaient perçues comme de simples lopins de terre à valeur stratégique, à être incorporés à tout prix au nouvel Etat, à la fois pour des raisons de sécurité nationale, et pour redorer le prestige des Han. Etant donné cette approche, une bonne partie de la bonne volonté de ces peuples au départ fut mise de côté.
La situation était quelque peu différente en Mongolie Intérieure qui, au contraire du Tibet et du Xinjiang, avait été occupée par le Japon dans les années 1930s, et où les communistes mongols avaient activement pris part à la guerre civile contre les forces nationalistes de Chiang Kai-shek. Mais aujourd’hui, le nationalisme mongol remonte parmi la jeune génération. Malgré une croissance économique spectaculaire basée sur l’explosion de la demande en charbon (le PIB de la Mongolie intérieure a doublé en termes nominaux entre 1999 et 2004), des manifestations ont éclaté récemment contre les projets de privatiser le tombeau de Gengis Khan, un héros national. Bien qu’ils aient officiellement été des Etats “socialistes” (en réalité, stalinistes) dans le passé, les deux Mongolies (“Intérieure” et “Extérieure”) sont restées séparées par les bureaucraties chinoises et russes.
La position de Mao et des stalinistes chinois était en complète opposition avec la tradition du marxisme authentique, qui défend le droit des nations à disposer d’elles-mêmes. Dans le cas de la Chine, le nouveau régime reconnut seulement “le droit d’exercer une autonomie régionale nationale” au sein de l’Etat chinois. Comparez cela à la position de Lénine, qui accorda l’indépendance à la Finlande en décembre 1917 – puisque tel était le voeu clairement exprimé de la population finnoise – après des décennies de “russification” forcée par le régime tsariste. Pour les bolcheviks (communistes) russes, le point crucial était l’unité et la cohésion politique des travailleurs, quelles que soient les frontières nationales. Sous Lénine, la constitution de l’URSS permettait le droit à l’autodétermination pour toutes les républiques membres, y compris le droit à la séparation. Mais, en conséquence de la dégénération bureaucratique de l’Union Soviétique sous Staline, ce droit fut aboli dans la pratique, ainsi que le furent les Soviets – les conseils des travailleurs élus – organes à travers lesquels la classe ouvrière exerçait le pouvoir dans les premières années de l’Etat soviétique. En comparaison, la révolution chinoise triompha sans organes de pouvoir démocratiques pour les travailleurs, mais avec une caste bureaucratique “prête à l’emploi”, au sein des corps d’officiers “communistes” de l’Armée de Libération Populaire, basée sur les paysans. La foi exagérée en les solutions militaires du nouveau régime chinois (“Le pouvoir vient du barillet d’un fusil”), combinée au chauvinisme Han, a fait que, au lieu de résoudre la question nationale en Chine, de nouveaux conflits explosifs sont apparus.
Le Tibet et la Guerre Froide
L’invasion du Tibet en octobre 1950 eut lieu trois mois après le début de la Guerre de Corée, qui représentait une remontée importante de la “Guerre Froide” entre l’”Orient” staliniste, et l’”Occident” capitaliste. Mao fut forcé par l’ascension tragique des tensions internationales, de mettre en branle ses plans d’invasion. Le 7 octobre, 40 000 soldats de l’ALP occupèrent la ville du Tibet oriental de Chamdo, écrasant la minuscule armée tibétaine, et forçant le gouvernement du Dalai Lama à négocier. Cette approche, plutôt que celle d’une force d’invasion décisive, montrait bien les problèmes logistiques que connaissait l’ALP afin de soutenir une grande armée dans un terrain de haute altitude, presque sans aucune route.
L’occupation de Chamdo se fit seulement deux jours après que les “Forces des Nations Unies” – un drapeau opportun pour servir d’excuse à une force en majorité composée d’Américains – prit la décision de traverser le 38ème parallèle pour pénétrer en Corée du Nord, avec pour objectif de renverser son régime staliniste.
L’entrée de l’ALP au Tibet avait donc pour but de prévenir toute poussée indépendantiste de la part du gouvernement de Lhassa, qui serait soutenue par l’occident. Au troisième jour de la Guerre de Corée, le 27 juin, le président Truman ordonna à la 7ème Flotte américaine de “neutraliser” le détroit de Taiwan, pour contrecarrer l’attaque chinoise, imminente, sur Taiwan. La droite républicaine aux Etats-Unis, dont le champion était le Général Douglas MacArthur, Commandant en Chef des Forces de l’ONU en Corée, exigeait que la guerre fût portée en Chine. MacArthur était pour le bombardement des bases aériennes chinoises, et l’utilisation d’armes nucléaires tactiques du côté chinois de la frontière coréenne, surtout après que plus d’un million de “volontaires” chinois (en réalité, des unités régulières de l’ALP) fussent entrés en Corée en novembre 1950. Mais à ce moment, des conseils plus avisés parvinrent à s’imposer à Washington, avec pour conséquence le renvoi de MacArthur par le président Truman, en avril 1951.
La position de Truman reflétait les réalités géopolitiques. Les Etats-Unis et leurs alliés n’étaient pas en position de risquer une attaque directe en territoire chinois, pas juste après la Seconde Guerre Mondiale, à une époque de luttes de libérations nationales qui secouaient alors l’Asie, l’Afrique, et l’Amérique du Sud. Il avait fallu insister très fort pour convaincre le gouvernement du Labour en Angleterre de remplir ses obligations en Corée. Ni les Etats-Unis, ni la Grande-Bretagne, n’auraient pu intervenir au Tibet, et leurs tentatives de négocier une intervention militaire indienne furent ignorées par le gouvernement Nehru. Après la Guerre de Corée, l’impérialisme américain fournit, il est vrai, des armes et de l’entraînement au mouvement sporadique de guérilla anti-chinoise au Tibet, mais d’après les rapports, ce soutien prit fin en 1969, à la veille de la visite de Kissinger en Chine, par laquelle la Chine et les Etats-Unis arrivèrent à une entente historique. C’était alors la quatrième fois en un demi-siècle que les dirigeants tibétains avaient placé tous leurs espoirs sur l’intervention de la part d’une des grandes puissances (Royaume-Uni, Japon, Inde, et Etats-Unis), uniquement pour en sortir cruellement déçus.
Le dévouement massif du gouvernement chinois à défendre la Corée du Nord – jusqu’à 400 000 soldats chinois y furent tués, y compris un des fils de Mao – ne découlait évidemment pas d’un idéal d’”Aide à la Corée” gratuit, tel qu’il était affiché dans la propagande officielle, mais bien des conséquences qu’aurait pu avoir une victoire américaine pour son propre règne (et non des moindres, la création d’un Etat vassal au service des Etats-Unis, et l’établissement d’une base militaire à la frontière orientale de la Chine). Néanmoins, puisqu’il intervenait en soutien à une lutte nationale contre un impérialisme étranger, l’intervention du gouvernement chinois en Corée profita d’un soutien large, que ce soit dans son propre pays, ou à travers l’Asie dans son ensemble.
Le “Front Unique” avec le féodalisme
Au Tibet, cependant, au lieu de venir en aide au mouvement autochtone qui se développait contre le féodalisme et le colonialisme, c’est le régime chinois lui-même qui prit le rôle d’un agresseur militaire. Pour rendre les choses pires, Pékin chercha alors à renforcer sa position au moyen d’une “alliance patriotique” avec le Dalai Lama et l’élite féodale tibétaine.
Comme l’expliquait un commentateur, “Mao n’était pas pressé d’apporter la révolution au Tibet. Les intentions du PCC, au contraire, étaient de “gérer” le pays à distance, d’une manière très similaire au modèle des Qing. Malgré ses prises de position révolutionnaires, le PCC n’essaya pas, dans un premier temps, d’implémenter la moindre réforme sociale au Tibet. La souveraineté avait la priorité. Tant que le Tibet “revenait dans le giron de la grande famille de la patrie”, Pékin y était plutôt d’accord de tolérer la préservation du “système de servage féodal”.”
[Réflexions sur le Tibet, Wang Lixiong]
Un véritable gouvernement socialiste en Chine se serait engagé à assister le développement d’une révolution démocratique, càd agraire, au Tibet, aurait fait de l’agitation parmi les paysans pour le contrôle de la terre, la confiscation des domaines féodaux et monastiques, et des droits démocratiques larges, y compris le droit à l’autodétermination. Ce gouvernement aurait expliqué qu’à l’ère de l’impérialisme, avec les pays néo-coloniaux sous la domination brutale du capitalisme étranger, la lutte révolutionnaire serait forcée d’aller au-delà de ses tâches purement bourgeoises, d’adopter des mesures socialistes et de faire le lien avec la lutte révolutionnaire des ouvriers et des paysans en Chine, en Inde, et dans le monde.
Mais plutôt que de se baser sur la petite couche d’intellectuels et de travailleurs radicalisés, les dirigeants du PCC préférèrent négocier avec les “éminences” de la société tibétaine. Le petit Parti Communiste Tibétain, mené par Phüntso Wangye, dont le statut indépendant aurait été un énorme atout, étant donné la complexité de la question, fut fusionné de force avec le Parti Communiste Chinois en 1948. Contre leur gré, les communistes tibétains acceptèrent d’abandonner leur slogan en faveur d’un “Tibet communiste et indépendant”, mais espéraient toujours que la révolution chinoise mènerait à la restructuration du Tibet en tant que “république autonome qui fonctionnerait d’une manière similaire à celle des républiques socialistes de l’Union Soviétique… Elle serait sous souveraineté chinoise, mais contrôlée par les Tibétains” [Un Révolutionnaire Tibétain, Phüntso Wangye]. En 1958, Wangye fut dénoncé par le régime chinois pour “nationalisme local”, et condamné à 18 ans de prison. Son arrestation était un avant-goût de la répression qui allait ébranler la société tibétaine après l’effondrement de l’alliance de Pékin avec l’oligarchie féodale.
Le traité de 1951 entre le régime de Mao et le Dalai Lama, alors âgé de 16 ans, constitua un prototype de la formule “Un pays, deux systèmes” de Den Xiaoping concernant Hong Kong et Macao dans les années 1990s. Ce traité stipulait que le gouvernement de Pékin n’allait pas “altérer le système politique existant au Tibet” et que “en ce qui concerne les différentes réformes au Tibet, il n’y aura aucune obligation de la part des autorités centrales”. L’accord fournissait une approbation rétroactive de l’invasion chinoise par le Dalai Lama, et donnait à Beijing le contrôle de la politique étrangère et de la défense. Dans la sphère sociale, cependant, à part de la réduction des taux d’intérêts usuriers et de la construction de quelques hôpitaux et routes (qui avaient surtout un but militaire), les changements qui furent introduits à cette période étaient très limités. Comme l’explique un chroniqueur, “Aucune propriété monastique ni aristocratique ne fut confisquée, et les seigneurs féodaux poursuivirent leur règne sur les paysans qui leur étaient liés de manière héréditaire”
[La Panthère des Neiges et le Dragon, Melvyn Goldstein].
Mao fit passer cela pour un “front uni” avec le peuple tibétain, alors qu’en fait, ce n’était qu’un retour de la politique staliniste catastrophique de collaboration de classes qui avait été appliquée en Chine durant les années 20s et 30s (l’”alliance” du PCC avec les nationalistes de Chiang Kai-shek). La différence à ce moment-là, bien entendu, était que le régime de Mao agissait d’une position de force. Il exerçait un contrôle ultime sur l’Etat, grâce aux 100 000 soldats de l’ALP qui étaient basés au Tibet. Tout en flattant les élites tibétaines, les efforts du régime chinois de se construire un soutien parmi les masses au Tibet furent, au mieux, incompétents : “Désorientés par les nouvelles pistes offertes par les Han, craignant les Han qui appelaient à la “libération” des serfs vis-à-vis de leurs maîtres féodaux, en même temps qu’ils forgeaient des alliances avec ces maîtres, ils ne rejoignirent pas leurs “libérateurs” en très grands nombres” [La création du Tibet moderne, Tom Grunfeld]. En 1954, le Dalai Lama fut nommé Vice-Président du Comité Permanent du parlement bidon organisé par les Chinois, le Congrès Populaire National, malgré le fait que sa demande de rejoindre le PCC (!) ait été rejetée. En 1955, le premier ministre de Mao, Zhou Enlai, dit au dirigeant tibétain que si le Tibet n’était pas encore prêt pour une réforme agraire, la période d’attente “pouvait être prolongée d’encore 50 ans”.
La rébellion de 1959
Mais la lutte des classes et les variations de la conscience populaire ne se déroulent pas selon un plan bureaucratique. Sous l’impact de la transformation de la Chine elle-même, le vieux Tibet commença à se fissurer. Alors, comme maintenant, plus de la moitié de la population tibétaine vivait dans les provinces avoisinantes de Qinghai, Gansu, Sichuan et Yunnan. L’esprit bureaucratique étroit qui était celui du régime pékinois signifiait que, tandis qu’il maintenait, de manière implacable, sa position de “aucune réforme” au Tibet en lui-même, il ne vit aucune raison d’appliquer la même politique vis-à-vis des communautés tibétaines des autres provinces? En réponse à la collectivisation de l’agriculture, introduite dans ces provinces à partir du début de 1956, des centaines de rébellions éclatèrent, dans lesquelles 10 000 Tibétaines furent tués [Rapport de la 11ème division de l’ALP, 1952-1958].
L’impérialisme américain, à travers ses bases au Népal, fournissait des armes et de l’entraînement aux dirigeants de cette rébellion des “Khampa”. Naturellement, les dirigeants de ce mouvement – pour la plupart, de riches fermiers et des nobles dépossédés – dressèrent la bannière de la religion et de la nationalité afin de rassembler derrière eux les sections pauvres de la population. Une fois de plus, la situation fut aggravée par la réponse brutale des autorités maoïstes. Pour réaffirmer son contrôle, l’ALP commença à bombarder des monastères, à arrêter des vieux moines et des dirigeants de la guérilla, et à mettre sur pied des exécutions publiques. Ces événements menèrent à une remontée spectaculaire des tensions de part et d’autre de la frontière du Tibet, où la répression contre les rebelles “Khampa” était largement interprétée comme une attaque génocidaire sur le peuple tibétain et sur leur religion, dans les régions dominées par les Han. L’atmosphère devint explosive lorsque des renforts massifs pour l’ALP commencèrent à arriver à Lhassa à la fin de 1958, avec pour but avoué d’encercler les 60 000 réfugiés “Khampa” qui s’y étaient réfugiés. Une rumeur s’était répandue, disant que l’ALP était venue pour arrêter le Dalai Lama, ce fit se dresser des barricades autour du Palais d’Eté par des milliers de gens, criant “Virez les Han” et “Le Tibet aux Tibétains”.
L’émeute du 10 mars 1959 à Lhassa fut rapidement écrasée, causant la fuite du Dalai Lama et d’à peu près 100 000 disciples, surtout membres de l’ancienne élite féodale, vers Dharamsala en Inde septentrionale. Là, ils créèrent un gouvernement en exil, qui n’a toutefois jamais été reconnu par aucun gouvernement. Mao intervint en personne pour s’assurer que le Dalai Lama puisse s’enfuir, par peur de la réaction des pays bouddhistes et de l’Inde, eût-il été tué. L’émeute était un mouvement réactionnaire et féodal, qui était surtout soutenu par les lamas, par la noblesse féodale et par les corps d’officiers de l’ancienne armée tibétaine. Mais à cause de la politique criminelle du régime de Pékin, qui n’était pas basé sur le ralliement des masses au socialisme, mais sur des manoeuvres bureaucratiques, au nom de l’”unification de la patrie”, de larges couches de la population tibétaine ne virent les événements de mars que du point de vue de la lutte nationale contre l’occupation chinoise.
Dans les 18 mois qui suivirent directement l’émeute, 87 000 Tibétains furent tués, selon les données de l’ALP, qui se mettait ainsi à dos des couches encore plus marges de la population. Cette force expressive était dictée, plus que par la situation au Tibet, par une crise sérieuse au sein du régime de Beijing lui-même. Le criticisme vis-à-vis de Mao montait, tandis que les résultats catastrophiques du “Grand Bond en Avant” commençaient à se faire sentir. L’estimation initiale de la récolte de grains en 1958, de 375 millions de tonnes, était tombée drastiquement à 215 millions de tonnes. Au cours des trois années qui vinrent, la Chine allait être ravagée par la pire famine du 20ème siècle, aggravée par toute une série de désastres naturels, qui entraîna la mort de 30 millions de personnes.
Un mois après l’émeute de Lhassa, Mao fut remplacé à la tête du gouvernement par Liu Shaogi, un allié de Den Xiaoping, bien que Mao conservait le poste encore plus important de président du Parti Communiste. L’ambiance dans les coulisses du pouvoir était tellement infecte à l’époque, que Mao se plaignait d’être déjà traité comme un “ancêtre mort”. Dans la sphère internationale, un conflit âpre bouillonnait avec Moscou, qui allait éclater dans les trois mois qui suivirent l’émeute. En juin 1959, Khrushchev, le dirigeant soviétique, se moqua publiquement des communes de Mao, disant d’elles qu’elles n’étaient qu’un bricolage réalisé par des gens “qui ne comprennent ni le communisme, ni la manière dont il doit être construit”. Lors du même mois, l’Union Soviétique retira son soutien au programme d’armement nucléaire chinois. Par une reprise perverse du Grand Jeu en Asie Centrale, la bureaucratie soviétique avait commencé à enflammer le discours anti-Pékin qui vivait parmi les Kazakhs et les autres minorités turques du Xinjiang, pour ses propres intérêts cyniques. La réponse lourde de Pékin à la rébellion tibétaine était une tentative de rétablir son prestige – à la fois à l’intérieur et à l’extérieur – et de décourager le “séparatisme” dans d’autres parties de la Chine. Selon la maxime chinoise : “Tue le poulet pour effrayer le singe” !
A la suite de l’émeute, Beijing exécuta un tournant à 180 degrés au Tibet : revenant de leur position qui consistait à tolérer les pires humiliations féodales, ils décidèrent d’éliminer le féodalisme par en haut. Etant donné le bas niveau d’alphabétisation et d’expérience administrative parmi la population tibétaine, des “cadres” (bureaucrates) Han furent assigné au Tibet en grands nombres afin de mettre en oeuvre la nouvelle politique. La répression militaire, la destruction des monastères qui avaient servi de bases à la rébellion, et l’exécution d’un ordre absurde de Mao qui exigeait que les moines et nonnes soient mariés de force, étaient tous destinés à “la destruction de la capacité des élites à relancer la révolte” [Wang Lixiong].
La Révolution Culturelle
Alors que la redistribution des terres féodales et monastiques au début des années 60s avait effectivement créé une base de soutien au régime chinois au Tibet, elle fut largement annihilée par les événements de la Révolution Culturelle. En 1969, le gouvernement central décida d’introduire les soi-disant “Communes Populaires” (des fermes collectives à grande échelle) au Tibet, une décennie après le reste de la Chine. Les paysans et bergers interprétèrent cela comme étant l’expropriation des pâturages et du bétail qu’ils avaient gagnés au début de la décennie et, une fois encore, la révolte armée fit rage à travers la campagne tibétaine. Les socialistes sont en faveur de l’agriculture collective, qui peut énormément améliorer les rendements. Mais ceci ne peut se faire que sur une base volontaire, avec des bonus pour inciter les gens qui décident de rejoindre la collectivisation. Pour ce travail, il doit y avoir une solide base industrielle qui peut fournir les machines agricoles, les engrais et l’approvisionnement en toutes sortes d’objets manufacturés, en échange des produits de la ferme. Ceci n’était pas le cas dans la Chine des années 60s, et encore moins au Tibet. Le résultat fut plus d’une décennie de stagnation économique, tandis que de larges couches de la paysannerie allèrent effectivement “travailler pour régner”, en signe de protestation. Ceci était déguisé par l’introduction de réformes importantes, telles que les soins de santé et l’éducation gratuits. Néanmoins, en 1980, 500 000 paysans – plus d’un quart de la population tibétaine – ne vivaient guère mieux qu’avant l’arrivée des communes. A côté du chaos dans l’agriculture, la Révolution Culturelle impliquait l’écrasement brutal de la religion bouddhiste, avec la destruction des derniers monastères tibétains, et la “rééducation” obligatoire pour les moines et les nonnes. Alors qu’on trouvait 2463 monastères au Tibet en 1959, il n’y en avait plus que 10 en 1976. Selon le Panchen Lama, “Les Saintes Ecritures servirent de compost, et les images de Bouddha et des soutras furent délibérément utilisées afin de fabriquer des chaussures”.
En 1980, les dirigeants chinois reconnurent avoir commis “de graves erreurs” au Tibet. Cet état des affaires, à première vue étonnant, n’était qu’un sous-produit de la lutte âpre qui se déroulait au sein de la bureaucratie chinoise après la mort de Mao en 1976. Face à une crise économique de plus en plus grave, Deng Xiaoping et “l’aile réformatrice” de la bureaucratie préconisèrent un tournant en direction de méthodes capitalistes, une politique qui fut au départ accueillie avec la plus dure des résistances de la part des loyalistes maoïstes au sein de la bureaucratie. Hu Yaobang, un “réformiste” radical qui était secrétaire général du PCC, visita le Tibet en 1980 et réaffirma, lors d’une conférence de l’élite des dirigeants, que “les cadres tibétains devraient avoir le courage de défendre leurs propres intérêts nationaux”. Hu amorça des changements en profondeur – le démantèlement des communes, l’adoucissement de la persécution religieuse, l’amnistie pour plus de 300 personnes qui avaient été emprisonnées lors de la rébellion de 1959, et la “tibétanisation” de la bureaucratie régionale (le remplacement des dirigeants Han par des “cadres” tibétains). La reconstruction de nombreux monastères lors de cette période n’était pas juste une tentative de Beijing d’encourager la religion afin de pacifier la population (pour que les gens y trouvent une solution à leurs problèmes plutôt que par la rébellion) ; le régime y voyait également l’opportunité d’utiliser le tourisme pour raviver l’économie tibétaine. La “tibétanisation” dut être relativisée, cependant, lorsque le départ d’un si grand nombre d’administrateurs bien formés mena à une paralysie bureaucratique. Néanmoins, la population Han au Tibet fut réduite de 40 pourcent entre 1980 et 1985, à travers le rapatriement d’une foule de bureaucrates. Leurs remplaçants provenaient, dans leur grande majorité, de l’ancienne élite tibétaine éduquée, des chefs de clans traditionnels et des nobles.
Le choix de Hu pour le titre de secrétaire du parti au Tibet fut Wu Jinghua, un libéral, lequel, par son appartenance à la minorité des Yi, fut le premier non Han à jouir de cette position. Rompant avec la politique menée par ses prédécesseurs, les années Wu apparurent comme un “âge des lumières”, bien que de courte durée. Lors des éruptions anti-chinoises de l’hiver 1987-88, la politique permissive de Wu fut blâmée car elle aurait “encouragé au séparatisme”. A l’époque, le bienfaiteur de Wu, Hu Yaobang, était aussi tombé face à Den Xiaoping, et avait été chassé de son poste pour le crime de “libéralisme bourgeois”. Les manifestations anti-chinoises de la fin des années 80’s préparèrent donc un nouveau virage abrupt dans la politique du Tibet. L’homme qui fut chargé de superviser un retour à des méthodes plus répressives n’était nul autre que Hu Jintao.
Hu fut responsable de l’implémentation de la loi martiale en mars 1989, et d’actes de répression qui servirent de répétition générale pour la répression encore plus brutale, trois mois plus tard, des manifestations de la place Tiananmen à Beijing. Ceci montre comment le perfectionnement des méthodes de répression dans le cadre de la lutte contre le “séparatisme” au Tibet est ensuite employé contre les travailleurs et les paysans des communautés Han, ou autres, partout en Chine lorsqu’ils osent élever la voix contre la corruption, l’injustice et le manque de droits démocratiques. Ceci est l’une des raisons pour lesquelles tous les travailleurs doivent s’opposer à la répression exercée par le régime chinois au Tibet.
Malgré le coup de vernis passé sur l’administration grâce à la nomination de dirigeants tibétains (66 pourcent de la bureaucratie régionale en 1989), aucun Tibétain n’a jamais tenu le poste-clé de secrétaire du parti dans la RAT. Cette place est plus importante dans la hiérarchie de l’Etat chinois que le poste de chef du gouvernement. De la même manière, les commandants des forces de l’ALP et de la PAP (Police Armée Populaire) stationnées au Tibet ont toujours été des officiers Han. Ceci en particulier est une source de ressentiment parmi les dirigeants tibétains. Les retournements constants de politique sur ordre de Beijing ont aussi mené à un soutien croissant pour les idées d’une autonomie “réelle” – ou “à la Hong Kong” – parmi la même couche. Cette position est quasi identique à celle prônée par le Dalai Lama et le gouvernement en exil, tirée de la vieille classe féodale, ce qui souligne une large symétrie de points de vue entre les ailes internes et externes de l’élite tibétaine.
Le Dalai Lama abandonne l’idée “d’indépendance”
De l’extérieur, les tensions entre la Chine et le Tibet semblent s’être apaisées, avec la reprise de pourparlers sporadiques entre Beijing et les représentants du Dalai Lama. Les discussions entre les deux parties avaient été suspendues après les manifestations indépendantistes de la fin des années 80’s. Le dirigeant bouddhiste a jusqu’ici mené une lutte au sein du mouvement nationaliste tibétain afin d’annuler les demandes d’indépendance, préconisant une “authentique autogestion à l’intérieur de la Chine” en tant qu’alternative. Cette “troisième voie” autoproclamée – une tentative de revenir aux termes du traité de 1951-59 – est une reconnaissance du fait que les tentatives de gagner le soutien de Washington et des autres gouvernements capitalistes à la cause des Tibétains ont échoué. Cela reflète également la pression de la nouvelle élite privilégiée à l’intérieur du Tibet, qui a évolué et est devenue prospère sous le patronage des Chinois.
La stratégie et la politique bourgeoise du gouvernement tibétain en exil ont montré leur complète faillite. En dépit de la popularité du Dalai Lama en tant que symbole de la nation tibétaine, il y a parmi les exilés tibétains un mécontentement et un criticisme croissant vis-à-vis de la stratégie de leur direction. Le Congrès de la Jeunesse Tibétaine (une organisation d’exilés), par exemple, a récemment averti qu’il n’exclurait pas la lutte armée dans le cadre de la recherche de l’indépendance. Mais une telle tactique a déjà été tentée auparavant, dans les années 50-60’s, alors que l’on disposait à l’époque d’armes et d’un entraînement américains. Une lutte purement militaire, càd, une guérilla, serait encore plus impossible à gagner aujourd’hui, avec la modernisation de l’ALP et le développement d’unités de “contre-terroristes” d’élite. Les soi-disant méthodes de “guérilla urbaine”, ou terrorisme, comme la montré l’expérience du Xinjiang de la fin des années 90’s, mènent invariablement à une intensification de la répression étatique, et minent les possibilités de développer un mouvement de masse.
La seule lutte qui peut montrer une issue en avant est une lutte socialiste, qui se détournerait des capitalistes et de leurs gouvernements, y compris le régime pro-capitaliste actuellement aux commandes à Beijing, et se tournerait vers la classe des travailleurs, en particulier vers ce colosse qui se réveille, la classe ouvrière chinoise. Même si le Tibet recevait son indépendance sur une base capitaliste, que signifierait cela pour la masse de la population ? Ses voisins himalayens sont un exemple frappant de ce qui veut dire “l’indépendance” dans le contexte de la division impérialiste du monde. Le Bhoutan et le Népal ne sont en réalité rien de plus que des Etats vassaux de l’Inde, tandis que le Sikkim, qui a obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne en 1918, a été jugé “déficitaire” et absorbé par l’Inde en 1975.
Ces Etats connaissent de plus hauts taux de mortalité infantine et une moins bonne espérance de vie que le Tibet (la mortalité infantiel du Bhoutan est presque le triple de celle du Tibet ; l’espérance de vie au Népal est de 59,8 ans, au Bhoutan elle est de 54,4 ans, alors qu’elle est de 65 ans au Tibet). Découlant de la politique menée par les dirigeants locaux sur ordre du FMI et de la Banque Mondiale (sur laquelle la Chine exerce une influence grandissante), le Népal et le Bhoutan ont tous les deux un plus grand nombre de réfugiés hors de leur territoire que le Tibet. La politique raciste du gouvernement bhoutanais a mené un cinquième de la population (134 000 personnes) à l’exil au début des années 90’s. Le Népal, dirigé par son propre “roi-dieu” (hindou), est en prises à la plus sanglante des guerres civiles d’Asie, laquelle a fait perdre la vie à 10 000 personnes depuis 2001. Par une des grandes ironies de l’histoire, le gouvernement chinois fournit des armes au roi Gyanendra contre la guérilla maoïste, sa crainte de voir le “mal népalais” se répandre au Tibet n’étant pas une de ses moindres raisons là-derrière.
Une solution socialiste
La nouvelle “troisième voie” prônée par le gouvernement tibétain en exil – un arrangement avec le régime chinois – n’a pas plus de chances de succès que ses précédents stratagèmes diplomatiques. Beijing voit surtout les discussions comme un moyen de détourner la critique internationale de ses actions au Tibet. En privé, la stratégie de Beijing est probablement d’attendre la mort du Dalai Lama septuagénaire et sa “réincarnation” dans un enfant. Ayant déjà imposé leur propre Panchen Lama (la deuxième figure la plus importante du bouddhisme tibétain) après la mort mystérieuse du dixième Panchen Lama en 1989, les cadres “communistes” espèrent pouvoir truquer la sélection du prochain Dalai Lama.
Pour le régime chinois, la renonciation à l’indépendance n’est pas assez ; il insiste pour que les Tibétains abandonne aussi de manière explicite tout espoir à l’arrangement de “une nation, deux systèmes” suivant les lignes de Hong Kong. Dans le cas de Hong Kong, Beijing a fait d’importantes concessions afin de s’assurer que la classe capitaliste de la cité-état ne décampe pas après la réunification, emportant avec eux tous leurs milliards. Par la formule de “une nation, deux systèmes”, Hong Kong a son propre système légal, monétaire et financier, et bien que son “parlement” n’est qu’une façade, la population jouit de droits démocratiques de base (liberté d’assemblée, droit de grève, etc.) qui sont uniques en Chine. Une telle “carotte” a aussi été tendue à Taiwan dans l’espoir de la voir retourner “dans le giron de la mère-patrie”. Mais Beijing craint – non sans fondement – que des concessions similaires dans le cas du Tibet créent un dangereux précédent. Ceci serait perçu comme une récompense pour l’insubordination tibétaine, et ouvrirait les portes à des revendications similaires de la part d’autres provinces et régions.
Pour vaincre, les masses tibétaines doivent lier leur lutte pour des droits démocratiques et la fin de l’occupation militaire à la lutte qui se développe maintenant, de la classe laborieuse chinoise surexploitée. Suivant un agenda parfait, l’élite tibétaine poursuit sa réconciliation avec Beijing au moment même où une explosion de protestations des travailleurs et paysans chinois secoue pratiquement chaque province de Chine. La jeunesse tibétaine, en particulier, doit soutenir et construire des liens avec la lutte des travailleurs chinois, qui combattent le même oppresseur, et recherchent fondamentalement les mêmes libertés : la fin du règne du parti unique et de la terreur policière, la liberté d’assemblée, de parole et de culte, le droit à s’organiser, et l’abolition de l’exploitation de classe à travers la socialisation de l’industrie sous contrôle démocratique. En d’autres mots, la lutte tibétaine doit être une lutte socialiste, reliée aux masses opprimées de la région de l’Himalaya, de la Chine et du monde.
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Perspectives pour la lutte des classes en République « Populaire » de Chine
Lors de notre dernière école d’été s’est tenue une large discussion sur la Chine. Dans quelle direction s’engage ce colosse d’Asie ? La Chine a-t-elle les moyens de sortir l’économie mondiale de ses crises ? Quelle sont les conditions de vie dans ce pays qui soi-disant construit le « socialisme » ? C’est à ces questions – et à bien d’autres, comme celle de la pollution – que nous nous sommes intéressés. Voici un résumé des différentes contributions.
Enlèvement et trafic d’enfants esclaves : un élément révélateur de la situation en Chine
Tout récemment, l’implication du Parti « Communiste » Chinois dans le trafic d’esclaves en Chine a pu être prouvée. La nouvelle de cette exploitation immonde ainsi que le soutien avéré du gouvernement à ces pratiques a été un choc pour la population : des enfants enlevés travaillaient 18 heures par jour et depuis des années (l’un d’entre eux a été exploité ainsi durant 7 ans avant de réussir à s’échapper). A côté des enlèvements, on trouve aussi des enfants vendus par des parents désespérés par leur situation économique. Comment cela a-t-il pu être possible – et surtout pendant aussi longtemps ? Dans une des briqueteries liée à ce scandale, un enfant a expliqué que le propriétaire possédait en réalité toute la ville. Quand la police passait, ils ne faisaient que discuter avant de s’en aller. En fait, cette affaire révèle l’ampleur de la corruption qui sévit en Chine ainsi que la manière dont le régime choisit ses priorités.
Un des responsables du gouvernement a ainsi déclaré : « Il s’agit d’un conflit entre le travail et le capital, nous ne pouvons pas intervenir ». Un autre responsable du PCC a lui déclaré : « Ce n’est pas notre faute si vos enfants sont kidnappés, vous n’avez qu’à mieux vous en occuper ». Le gouvernement a toutefois été contraint d’autoriser la divulgation de ces informations, qui ont défilé sans arrêt durant une semaine sur la chaîne officielle.
Alors que l’on parle sans cesse du boom économique chinois, cette situation est une réalité pour des centaines de milliers de Chinois, particulièrement dans les régions rurales beaucoup plus pauvres.
Des conditions de travail qu’apprécient les multinationales…
Pour régler cette situation catastrophique, la bourgeoisie a ses solutions. Le ministre du commerce de Suède a par exemple déclaré « Au plus nous commercerons avec la Chine, au plus celle-ci évoluera vers la démocratie ». Cette déclaration est révélatrice de la manière dont les profits des entreprises passent avant toute autre chose dans le système capitaliste. Car les moindres coûts de la Chine sont le résultat d’une exploitation sans précédent : salaires de misère, horaires insoutenables, punitions corporelles, retenues sur salaires,… Mais, à cela, les entreprises étrangères ont leurs réponses. Ainsi, quand H&M est critiquée pour l’exploitation d’enfants en Chine, l’entreprise rétorque : « Ce n’est pas nous, ce sont les sous-traitants ».
De fait, la Chine développe un labyrinthe de sous-traitants derrière lesquels se cachent les multinationales (comme cela se fait aussi ailleurs, au Bangladesh notamment). Ainsi, alors que les multinationales ont – sous la pression des consommateurs – adopté des clauses éthiques, il ne s’agit en réalité que d’une gigantesque escroquerie destinée à gagner la confiance du marché. Les multinationales disent aussi envoyer régulièrement des inspecteurs vérifier s’il n’y a pas d’enfants au travail ou d’autres abus. Mais tout comme cela se faisait au 19e siècle, les entreprises sont prévenues à l’avance de leur arrivée. L’utilisation de différentes cartes de pointages a aussi été instauré : l’une n’excède pas les huit heures tandis que l’autre compte encore quatre ou cinq heures de plus. Il y a même un système de salaires officiels et officieux, les travailleurs rendant le « surplus » à la sortie. On estime en fait que 60% des entreprises en Chine ne respectent pas la législation.
Même si une loi est récemment passée instaurant un nouveau salaire minimum, il est très difficile de vérifier l’étendue de son application. Comme la plupart des lois chinoises, celle-ci est plus une ligne de conduite à respecter (ou non) plutôt qu’une véritable loi contraignante. Le plus bas salaire minimum dans une province est de 25 euros par mois, tandis que le bas salaire le plus haut en Chine est de seulement 85 euros par mois. Quant à la couverture sociale, seul un dixième des travailleurs possède une couverture sociale.
Il y a actuellement quelques 600.000 entreprises étrangères en Chine. En fait, pour tenir le coup face aux concurrents, c’est devenu presque une obligation de s’implanter dans ce pays. L’économie chinoise est ainsi devenue celle qui se développe le plus au monde avec une croissance économique pour cette année de 12%, un record depuis 1995 (ce chiffre est à nuancer, la Chine a déjà connu des croissances beaucoup plus impressionnantes). Il semblerait même que la Chine ait dépassé l’Allemagne sur le plan économique, lui raflant la troisième place dans l’économie mondiale. On peut aujourd’hui comparer l’économie chinoise à une gigantesque locomotive lancée à toute allure et que personne ne sait comment arrêter. La Chine a par exemple construit plus de voitures que les USA l’an dernier alors que la production était quasiment inexistante il y a 10 ans. Selon le Financial Times, sur les 100 plus grandes entreprises au monde, 7 sont françaises, 3 italiennes, 6 japonaises, et 6 chinoises. De même, depuis la privatisation des 4 grandes banques chinoises, 3 d’entre elles sont déjà bien installées dans le top 10 des plus grandes banques du monde tandis que la dernière vient d’y faire sont apparition. Mais bien que le marché intérieur se développe un peu, la Chine est incapable de fournir un milliard de nouveaux consommateurs, contrairement aux désirs de l’Organisation Mondiale du Commerce dont la Chine est membre depuis maintenant 6 ans…
Une croissance économique au détriment des travailleurs et de leur environnement
La Chine est l’un des plus grands pollueurs mondiaux. En 2006, elle a émis 8% de gaz carbonique en plus que les USA. D’ici 2020, en terme de production de gaz toxiques (tous confondus), la Chine sera un 2e Etats-Unis. Le gouvernement chinois n’a en fait plus aucun contrôle sur son économie, qui est devenue un jouet aux mains du marché mondial. De plus, le pouvoir central a du mal à se faire respecter par les pouvoirs régionaux. Donc, et ce malgré les déclarations fracassantes du régime, l’évolution prend la forme d’un recul sur la question environnementale. C’est ainsi qu’au bas mot 750.000 personnes meurent chaque année en Chine à cause de la pollution, principalement celle de l’air. L’indice de pollution de l’air à Pékin est deux fois supérieur à celui relevé à Mexico ou à Los Angeles. Pour les enfants, on calculé que cela revenait à fumer 40 cigarettes par jour. Cette situation est similaire dans les deux-tiers des villes chinoises dont l’air est de très mauvaise qualité. Mais le gouvernement ne ménage bien entendu pas ses efforts pour ne pas ébruiter ces informations de crainte de susciter des troubles : il y a déjà eu des centaines de milliers d’actions de protestation concernant uniquement la thématique de l’environnement ces dernières années. Quelques- unes ont même réussi à obtenir des effets positifs. Les slogans utilisés lors de ces actions sont du genre : « Nous ne voulons pas de PIB, nous voulons une vie ».
Services publics et acquis en déclin
Il y a aujourd’hui plus de voitures à Pékin qu’à Londres et 1.000 voitures supplémentaires arrivent chaque jour. Le sous-investissement dans les transports en commun, lui, est tout aussi flagrant. A titre de comparaison, on trouve dans une ville comme Shanghai moins de la moitié des transports en commun qui existent dans une ville d’un pays capitaliste développé. Dans 1/3 de la Chine, il n’existe d’ailleurs aucun subside gouvernemental pour les transports en commun alors que, malgré les privatisations, de tels subsides existent encore dans les villes des pays capitalistes.
Le système de soins de santé a lui aussi beaucoup souffert alors qu’il était un modèle et un exemple dans le monde néo-colonial il y a trente ans. L’espérance de vie de la population était même passée de 39 ans en 1949 à 70 ans en 1969. Mais aujourd’hui, plus de 400 millions de Chinois n’ont pas les moyens de faire appel à un véritable médecin et plus de la moitié des malades n’ont accès à aucun traitement quel qu’il soit. Dans un pays ou plus de 70% de la population rurale n’a pas accès à des sanitaires… Et si les hôpitaux sont encore propriété d’Etat, ils ne reçoivent aucun subside et doivent fonctionner seuls et donc adopter une attitude commerciale pour s’en sortir. Tomber malade est devenu un véritable cauchemar.
Dans certaines villes, le personnel porte même un gilet pare-balles en prévention de la colère des familles ou des patients mécontents. Un hôpital a par exemple été rasé par 2.000 personnes en réaction à la mort d’un enfant pauvre qui n’avait reçu aucun soin à l’hôpital. Pourtant, un cinquième des réserves en liquidités de l’Etat suffiraient à résoudre le problème des soins de santé. Mais la Chine est obligée d’utiliser cet argent pour investir dans les obligations américaines pour éviter l’inflation. Voilà une absurdité des plus ridicules : l’argent existe, mais on ne peut pas l’utiliser.
Une situation pareille est d’autant plus infâme qu’elle côtoie des écoles d’élite à 300.000 euros par an où les cours de golf sont obligatoires, pour les enfants de la bureaucratie « communiste » et de la classe capitaliste naissante.
Un gouvernement à la fois impuissant et complice
Les luttes entre les régions et le centre sont millénaires en Chine, mais il faut aujourd’hui y ajouter les conflits avec – et entre – les mafias, les relations avec les entreprises et les Etats capitalistes, les querelles au sein de la bureaucratie,… En fait, restaurer l’autorité du gouvernement central de manière administrative est impossible. La seule solution serait de faire appel aux masses, un peu comme lors de la révolution culturelle, mais le régime a bien trop peur, à juste titre, de perdre le contrôle du mouvement.
La classe ouvrière représente aujourd’hui en Chine 256 millions de personnes. Mais à cause de la répression, elle ne peut développer son propre mouvement. Celle-ci existait déjà du temps de Mao, mais les acquis sociaux en limitaient relativement les effets. En fait, sous la pression de la base, Mao a été forcé d’aller plus loin que ce qu’il imaginait au départ. Malgré tout, une grève démarre toutes les cinq minutes en Chine. Malheureusement, la grande majorité de ces grèves sont spontanées et sans aucune coordination. Dans cette situation, la plupart ne durent au mieux que deux jours. Les syndicats autonomes sont bien sûr interdits en Chine, ce qui représente un avantage et un attrait énorme pour les entreprises étrangères. Ainsi, 480 des 500 plus grandes entreprises au monde possèdent des usines en Chine. L’exemple récent de la ville d’Erlangmaio nous donne une idée de l’autre facette de la médaille. Cette ville de la province centrale de Sichuan est isolée par la police et le gouvernement suite à une grève de deux semaines déclenchée par plus de 3.000 travailleurs du ciment. L’accès au téléphone, à internet et au GSM a même été coupé. Le pouvoir en place a eu la possibilité de faire disparaître une ville entière du système de communication !
La part de l’économie aux mains de l’Etat diminue sans cesse. Plus de la moitié des entreprises nationales ont disparu : on est passé de 100 millions à 48 millions. La privatisation s’effectue peu à peu, tranche par tranche. A l’origine, c’est sous le « règne » de Deng Xiaoping que se sont développées les enclaves capitalistes au sein de l’économie planifiée. Petit à petit, le reste du pays a suivi. C’est d’ailleurs sur base de ces enclaves qu’a été brisée la règle des huit heures, l’un des acquis de la révolution chinoise.
Entre 1997 et 1999 seulement, 30 millions de travailleurs ont été licenciés, suite aux privatisations et à la crise financière asiatique de 1997. Mais alors que la Chine connaît actuellement une croissance énorme, les problèmes demeurent et même empirent, et les réactions se développent. Il y a eu de véritables explosions de rage ces 15 dernières années, et le nombre d’« incidents de masse » (selon la terminologie gouvernementale) est passé de 9.300 en 1990 à 87.000 en 2005. Il semblerait que ce chiffre ait ensuite un peu baissé, mais il est terriblement difficile de savoir exactement ce qui se déroule là-bas, le gouvernement faisant tout son possible pour masquer l’ampleur de la contestation, agissant ainsi dans ce domaine de la même manière qu’avec les données sur l’environnement. Toutefois, l’ampleur de ces actions a elle aussi augmenté et il n’est pas rare qu’elles impliquent des dizaines de millier de personnes. Les protestations se basent principalement sur des revendications liées aux salaires et conditions de travail, à l’écologie et enfin aux expropriations. En fait, la moitié des conflits en zone rurales sont dus à des questions liées à la terre. L’abolition des taxes sur les produits agricoles fait partie des petites mesures destinées à calmer le jeu autrement qu’en utilisant uniquement la répression.
En 2008, les Jeux Olympiques se dérouleront en Chine et on peut faire un parallèle avec la Corée du Sud où s’étaient tenus les jeux en 1998. Cet événement avait mené à l’époque à des protestations massives contre le régime militaire en place. Le même potentiel existe actuellement en Chine et pourrait devenir un point de cristallisation du mécontentement.
En fait, même parmi la classe moyenne – qui vit mieux qu’il y a 10 ans – le sentiment que la société ne va pas dans la bonne direction s’est répandu. L’ampleur du mécontentement ouvre la voie au développement de sectes religieuses diverses ainsi qu’au Kuomintang, l’ancien parti bourgeois nationaliste qui s’est réfugié avec ses dirigeants à Taiwan après la victoire de Mao en 1949. Ce parti réactionnaire a reconstruit des cellules clandestines en Chine. Peut être le PCC sera-t-il amené à créer lui-même sa propre opposition en se scindant pour servir de soupape de pression.
De fait l’orientation actuelle du Parti Communiste Chinois est étrange. On a ainsi pu lire récemment dans le China Daily, organe du PCC, un article fustigeant le processus qui se développe en ce moment en Amérique Latine : « Quand certains régimes en Amérique Latine imposent de force plus de justice sociale, cela augmente la dette et crée des désordres économiques ».
Où va la Chine ?
La Chine se dirige de plus en plus vers le capitalisme et un retour au stalinisme est devenu impossible, même s’il subsiste encore des ruines et des vestiges de cette tradition. Le processus de restauration du capitalisme est avancé et organisé par l’Etat. Cela peut paraître contradictoire au premier abord mais la bourgeoisie naissante n’a pas intérêt à essayer de modifier de suite ce processus, faute de disposer d‘un autre moyen de maintenir la cohésion du pays et de contenir l’agitation sociale. Il n’y a plus rien dans cet Etat corrompu qui puisse lutter contre la place grandissante laissée au capitalisme dans le pays. Comme Trotsky l’a expliqué : « Des restes d’anciens régimes ne sont pas des facteurs dominants en général, même si l’on doit les prendre en compte ». La Chine combine aujourd’hui le pire du stalinisme et du capitalisme sans élément positif ni de l’un, ni de l’autre. Et ce phénomène se répand, en Afrique notamment, à travers les entreprises chinoises.
Il est extrêmement difficile de pronostiquer ce qui peut arriver. Si la croissance économique continue au rythme actuel pendant quelques années encore (ce qui est le scénario le moins probable), la classe capitaliste naissante va entrer de plus en plus en conflit avec la bureaucratie. Mais si une crise économique se développe au niveau mondial (sur base des rapports entre la production chinoise et la consommation américaine), alors elle touchera également la Chine et renforcera l’élément bureaucratique au sein de la société. Ce ne serait finalement qu’une déformation de la tendance au protectionnisme que l’on trouverait alors ailleurs. Mais la bureaucratie sera incapable de contrôler éternellement le développement de la situation. Le processus actuel n’est pas un choix de sa part, elle est obligée de continuer sur cette voie qu’elle ne maîtrise que fort partiellement.
La question fondamentale n’est cependant pas de savoir si la Chine est déjà capitaliste ou pas et, si non, quand elle le sera. La question cruciale est de savoir comment les masses vont réagir face aux changements. Cependant, sans connaître exactement le niveau de conscience des masses, répondre à cette question est difficile. Dans un premier temps, c’est probablement un Etat démocratique bourgeois que réclameront les masses qui s’éveillent et la réaction de l’Etat et des différentes tendances et niveau de la bureaucratie à ce moment seront déterminants. Sans compter que le problème des nationalités gagne en importance et qu’il n’est pas impossible de voir des sécessions se produire.
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Ecole d’été. Meeting : 90 ans après la révolution russe, quelle est son actualité ?
Si nous avons tenu un tel meeting durant notre école d’été, c’est parce que nous basons nos méthodes sur l’expérience passée du mouvement ouvrier. A travers celle-ci, nous pouvons acquérir une meilleure vision de la manière dont un mouvement se développe. D’une façon générale, cette expérience passée nous a démontré l’importance de la classe ouvrière et de la construction de ses instruments de lutte. Quant à la révolution russe, elle nous a montré qu’il était possible de briser les chaînes du capitalisme.
Durant ce meeting, quatre orateurs ont pris la parole : Lucy Redler, de notre organisation-sœur en Allemagne, Sandi Martinez, de notre organisation-sœur au Venezuela, Denis Youkovitch, de notre organisation-sœur en Russie et enfin Peter Taaffe, de notre Secrétariat International.
Lucy Redler : « La révolution russe ne fut pas seulement un événement russe : l’exemple de l’Allemagne »
« John Reed a eu bien raison d’appeler son livre-reportage sur la révolution russe « Les 10 jours qui ébranlèrent le monde » : l’enthousiasme créé par cet événement unique a été gigantesque. D’emblée, la révolution russe est devenue un point de référence crucial pour tous ceux qui voulaient en finir avec le capitalisme et la guerre.
L’écho formidable de la Révolution russe en Allemagne
En Allemagne, comme dans d’autres pays, ce n’est pas seulement le front qui a été touché par l’onde de choc de la révolution, l’arrière également en a subit l’influence. Mais dès avant 1917 existait déjà une couche de militants radicaux qui n’avaient pas accepté la trahison direction du SPD, le parti social-démocrate allemand qui s’était aligné sur sa bourgeoisie dans la guerre. Ces militants radicaux sortirent peu à peu de l’isolement et l’on a vu, par exemple, une grève se développer en avril 1916 contre les souffrances et les privations imposées par la guerre. Les principales figures parmi ces militants radicaux étaient Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, les fondateurs du groupe Spartakus qui a rassemblé les révolutionnaires.
La révolution russe eut pour effet de radicaliser la classe ouvrière allemande, ce qui entraîna une vague de grèves et de protestations diverses. L’aile gauche du SPD scissionna et créa un nouveau parti, l’USPD, centriste et pacifiste. Tant parmi les masses que parmi les révolutionnaires, le slogan bolchévique de « paix sans annexions » avait un gigantesque échos. Deux mois à peine après l’Octobre Rouge russe, une grève réclamant la fin de la guerre fut menée par les deux tiers des travailleurs allemands. Des travailleurs allaient jusqu’à saboter dans les usines les tanks qui étaient destinés à être envoyés en Russie pour soutenir les contre-révolutionnaires durant la guerre civile.
Le développement des idées révolutionnaires en Allemagne revêtait une importance particulière pour les bolcheviks. Quand, en septembre 1917, Lénine déclara que l’on se dirigeait vers une chaîne de révolutions, il ne faisait qu’exprimer une certitude répandue chez tous les révolutionnaires : ils ne croyaient pas au « socialisme dans un seul pays ». Dans la Pravda, le journal des bolcheviks, Lénine salua les révolutionnaires russes qui avaient enclenché la révolution mondiale. A ce moment, l’Allemagne avait la classe ouvrière la plus organisée au monde. Nadeja Kroupskaïa, la femme de Lénine, raconta que les premiers jours de la révolution allemande furent les plus beaux de la vie de Lénine.
Très rapidement, Karl Liebknecht proclama la naissance de la république socialiste allemande du balcon du palais du Kaiser Guillaume II en tendant la main aux révolutionnaires du monde entier pour qu’ils continuent la révolution.
Hélas, la vieille machine d’Etat était encore sur pied et grâce à l’aide de l’armée et à la trahison de la direction des sociaux-démocrates, la révolution a été noyée dans le sang. Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg ont été exécutés, ce qui a laissé la classe ouvrière allemande et le tout jeune Parti Communiste allemand sans direction.
En fin de compte, lors de la révolution allemande, les soviets et conseils ouvriers n’étaient pas assez organisés, il n’y avait pas une direction révolutionnaire reconnue par la classe ouvrière et l’influence du groupe Spartakus le jour où éclata la révolution était hélas trop faible.
La défaite de la révolution allemande et ses monstrueuses conséquences
Malgré tout, le processus révolutionnaire dura jusqu’en 1923. Cette défaite de la révolution allemande a eu des répercussions énormes au niveau international et pour l’Allemagne même. Si la révolution avait triomphé, l’histoire aurait été totalement différente. Le nazisme n’aurait jamais vu le jour, la Deuxième Guerre Mondiale non plus. D’autre part, l’isolement des révolutionnaires russes dans un pays arriéré a ouvert la voie à la réaction et à la dictature bureaucratique. En 1924, Staline mit en avant le « socialisme dans un seul pays », à la fois pour se débarrasser de la tâche de la construction de la révolution mondiale ainsi que pour protéger les intérêts de la bureaucratie et ses privilèges, y compris en empêchant le développement d’une autre révolution qui aurait remis tout cela en cause.
Ainsi, quand le nazisme gagna en importance et en influence, les directions du Parti Communiste stalinisé et du Parti Social-Démocrate ont refusé le front unique ouvrier pour empêcher la prise du pouvoir par le fascisme, comme l’avait préconisé Léon Trotsky.
Après la Deuxième Guerre Mondiale, une économie planifiée a été instaurée en RDA, mais sans contrôle démocratique de la classe ouvrière.
Malgré tout ça, les Allemands croient encore dans une certaine mesure au socialisme. Malgré le stalinisme et la propagande actuelle contre le socialisme, 48% des anciens Allemands de l’Est pensent que le socialisme et la démocratie sont possibles. »
Sandi Martinez : « Au Venezuela : le Socialisme ou la mort ! »
« Notre révolution doit être internationale. A ce titre, deux points sont particulièrement importants pour la révolution russe.
- La conscience des travailleurs. En Russie, l’évolution de cette conscience entre 1905 et 1917 a été fort grande.
- Le rôle de Lénine et Trotsky dans le cadre du développement de cette conscience pour que les travailleurs prennent le pouvoir pour construire une société socialiste.
Il y a un parallèle à faire avec le Venezuela. Aujourd’hui, la conscience que les travailleurs doivent prendre le pouvoir par eux-même n’existe pas. Une des tâches les plus importantes de notre organisation au Venezuela est de faire prendre conscience de cette nécessité aux travailleurs vénézuéliens. Les conditions existent pour effectuer cette prise de pouvoir, mais il manque encore un instrument – une organisation – et une direction. Construire cet outil de lutte est une tâche cruciale.
Nous pensons que le parti révolutionnaire de masse dont les masses vénézuéliennes ont besoin n’a rien à voir avec le nouveau parti de Chavez qui ne se construit pas à partir du bas de la société. Ce que nous voulons est un véritable parti révolutionnaire, pas un mélange des anciennes organisations plutôt réformistes qui ont récemment fusionné. Il est absolument nécessaire d’avoir une idéologie claire.
Quoi qu’il puisse arriver à l’avenir, nous devons nous assurer que le thème du parti des travailleurs ne tombe pas à l’eau.
Le socialisme ou la mort ! »
Denis Youkovitch : « Les acquis de la révolution ont été dégénérés par Staline et la bureaucratie »
La révolution russe a été le tournant le plus fondamental dans l’histoire humaine. Pour la première fois de l’Histoire, ce sont les travailleurs qui ont pris le pouvoir entre leurs mains en montrant qu’un autre monde était possible.
Malheureusement, cette expérience n’a pas été aussi loin que ce que nous voulions.
Le premier des acquis obtenus par la révolution russe, l’économie planifiée, a permis à la Russie arriérée de faire des bonds gigantesques en avant. Il faut ajouter à cela bien d’autres acquis dont l’un des plus importants a été le droit laissé aux minorités à disposer d’elles-mêmes.
Mais tout cela a été dégénéré par Staline et la bureaucratie. Aujourd’hui, la bourgeoisie russe, qui descend de la bureaucratie, tente de récupérer l’Histoire à son avantage. Mais le capitalisme créé lui-même ses fossoyeurs.
Jeunes et travailleurs remettent actuellement de plus en plus en cause le système d’exploitation capitaliste.
Pour en finir avec la pauvreté : en avant vers la révolution socialiste mondiale ! »
Peter Taaffe : « Faisons du 21e siècle celui de la révolution socialiste ! »
« Durant cette semaine d’école d’été, nous avons déjà beaucoup discuté, mais il est absolument correct de prendre le temps de regarder cet événement qui a été le plus grand de l’histoire.
Comment les capitalistes voyaient-ils la révolution russe ?
Un général russe s’étonnait, et s’indignait, de voir par exemple un concierge devenir ministre, de voir des travailleurs prendre en main leur destinée. Mais sur le coup, la classe capitaliste n’a cependant pas accordé beaucoup d’importance à l’événement. L’ambassadeur de France déclara même qu’un régiment de cosaques suffirait à faire revenir l’ordre. Même l’écrivain Maxime Gorki, pourtant compagnon des bolcheviks, estimait que la révolution russe ne durerait pas deux semaines.
Ce n’est que par après que s’est enclenchée la plus grande campagne réactionnaire de tout les temps.
Le grand quotidien bourgeois anglais The Times titrait régulièrement « Lénine assassiné par Trotsky », « Trotsky assassiné par Lénine »,… et même une fois en première page « Trotsky a assassiné Lénine au cours d’une bagarre d’ivrognes ». Mais cette campagne est restée sans effet !
Pour les masses, la révolution russe n’était pas vue comme un désastre, mais comme une porte ouverte vers un avenir meilleur. Suite au manque d’effet de cette propagande, c’est la pression militaire qui s’est exercée sur la Russie, à tel point qu’à un moment, il ne restait presque plus que Moscou et Petrograd sous le contrôle des soviets. Si ces derniers ont réussi à aller jusqu’à la victoire, ce ne fut pas grâce à la puissance militaire, mais bien grâce au fait que les révolutionnaire surent gagner à eux les masses exploitées de Russie. Car la guerre civile fut en premier lieu politique.
Après la guerre civile, la campagne menée par les capitalistes fut une campagne de distorsion de l’histoire. Jusqu’à la chute du Mur de Berlin et l’effondrement de l’Union Soviétique, c’était assez logique. Mais pourquoi continuer après ?
C’est que les capitalistes du monde entier craignent que cela se reproduise un jour.
Tirons les leçons de la révolution russe !
Nous ne vivons pas du passé, nous apprenons de lui. Marx et Engels avaient ainsi analysé la révolution française pour comprendre le flux et le reflux révolutionnaire. Lénine et Trotsky ont quant à eux regardé la Commune de Paris en 1871 ou encore la première révolution russe de 1905. De la même manière que les généraux regardent les batailles passées pour améliorer leur technique, nous devons apprendre de l’expérience de la classe ouvrière.
Les bourgeois ne comprennent pas que la révolution est un processus qui englobe de larges masses et dans lequel les révolutionnaires agissent par la propagande et l’agitation. La révolution ne se fait pas sous l’action de « grands hommes ».
C’est la guerre impérialiste de 14-18 qui a accéléré le rythme de la révolution. Mais il n’y eut que deux hommes qui ont compris ce qui se passait en Russie dès le mois de février 1917, l’un à Zurich, l’autre à New-York : Lénine et Trotsky. A l’opposé des autres Bolcheviks, y compris Staline, ils ne voulaient accorder aucun soutien au Gouvernement Provisoire qui succéda au Tsarisme et qui défendait en dernière instance les intérêts de la bourgeoisie. Il y a là un parallèle à faire avec Bertinotti et Refondacione Comunista actuellement en Italie, qui sont entrés dans le gouvernement de Prodi. Quand Lénine est arrivé à la gare de Saint Petersbourg et qu’un jeune lui déclara son désir de le voir intégrer le Gouvernement Provisoire, il l’écarta et s’adressa à la foule en saluant les travailleurs russes pour avoir commencé la révolution mondiale.
Les Bolcheviks n’avaient au début que peu d’influence mais, malgré cela, les pressions qu’ils eurent à subir de toutes parts furent gigantesques. Mais ils sont allés vers les masses en ignorant les querelles parlementaires. Aujourd’hui, agissons de même : ignorons les bureaucrates syndicaux et allons nous adresser à la base !
Mais Lénine ne disait pourtant pas directement qu’il fallait renverser le Gouvernement Provisoire : il fallait que la classe ouvrière apprenne peu à peu sous la propagande bolchévique dont les slogans étaient : « Tout le pouvoir aux soviets » et « A bas les 10 ministres capitalistes ».
Nous ne pourrons pas ici entrer dans tous les détails et tous les niveaux de la révolution russe mais cet événement doit être étudié avec la plus grande attention.
En juillet 1917, à Petrograd, la classe ouvrière est descendue dans la rue : après avoir fait la révolution, les travailleurs se sont aperçu qu’on leur volait les fruits de leurs luttes. Et cette question reste d’actualité : comment faire pour aller jusqu’à la victoire ? Il ne faut pas s’arrêter, on ne peut pas faire la révolution aux trois-quarts.
Faire la révolution jusqu’au bout
Quand en 1936, suite à la tentative de coup d’Etat fasciste, les travailleurs espagnols sont passés à l’offensive dans les rues, les capitalistes sont partis, il ne restait plus que leurs ombres. Les 4/5 de l’Espagne étaient aux mains des travailleurs. Hélas, cela se termina pourtant par un échec car le processus révolutionnaire n’est pas allé jusqu’au bout et avait été freiné sous le mot d’ordre de « lutter d’abord contre le fascisme ». En définitive, ce sont les fascistes qui remportèrent donc la victoire.
Le 20e siècle a été un siècle de révolutions : en Russie en 1905 et 1917, en Chine en 1926-27, en Allemagne en 1918-23, en Espagne en 1936, mai ’68 en France,…
En 1968, De Gaule avait même quitté le pays et imaginait marcher sur la France avec le général Massu. Pourquoi cet événement fut-il un échec pour les travailleurs ? Il n’y avait pas de parti révolutionnaire de masse, le Parti Communiste stalinisé jouant le jeu de la réaction.
Les historiens bourgeois disent que le stalinisme découle du léninisme. L’objectif est de détruire le bolchévisme. Mais Staline représentait la réaction totalitaire de la bureaucratie contre l’émancipation libératrice du socialisme. Trotsky a passé le reste de sa vie à lutter contre Staline et l’a payé de sa vie.
Rendons hommage à la révolution russe : Organisons-nous pour la prochaine révolution !
Dans la période où nous entrons, l’expérience de la révolution russe ressurgira. Il s’agissait d’une révolution dans un pays arriéré et, dans un certain sens, il était peut-être plus facile de prendre le pouvoir dans un tel pays où la bourgeoisie était très faible que dans un pays capitaliste développé. Mais ce pouvoir était par contre plus difficile à garder. Aujourd’hui, les conséquences d’une révolution dans un pays comme l’Inde ou le Brésil seraient beaucoup plus grandes qu’à l’époque.
Quand la Deuxième Internationale s’est effondrée suite au vote des crédits de guerre, Lénine et Trotsky ont dit qu’il fallait une autre Internationale. C’est pour réaliser cet objectif que se déroula en 1915 la conférence de Zimmerwald. Trotsky a dit à cette occasion que les internationalistes tenaient en deux voitures. Nous avons aujourd’hui un peu plus de voitures. Mais, deux années plus tard, il y avait la révolution russe. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’il y aura une révolution dans deux ans !
Notre objectif est de créer une Internationale révolutionnaire de masse. Le Comité pour une Internationale Ouvrière pourrait en être l’embryon. Nous ne proclamons pas ce que nous ne sommes pas mais, en comparant nos idées à celles des autres, nous pouvons être marqués par le potentiel et l’accumulation de cadres que nous avons déjà réalisés.
Cela ne fait aucun doute que le capitalisme ne peut pas dépasser ses limites. Ce n’est pas du dogmatisme, c’est de l’analyse. La question est de savoir si nous allons être capables de ne pas reproduire les erreurs du passé.
A l’occasion de l’anniversaire de la révolution russe, pensons aussi à ces milliers et milliers d’anonymes qui ont fait cette révolution. Mais saluons aussi, entre autres, Karl Marx, Friedrich Engels et Rosa Luxembourg, la plus grande femme révolutionnaire de tous les temps. Faisons du 21e siècle celui de la révolution socialiste ! »
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Pendant ce temps, en Chine…
On parle beaucoup de la Chine ces derniers temps. La presse relate régulièrement les voyages de nos « représentants » qui ont pris l’habitude d’aller y « vendre » notre pays dans l’espoir de conclure investissements et contrats juteux.
Gilles
Il est aussi fort souvent question ces dernières années de l’émergence d’une « classe moyenne » de cadres et de salariés du secteur privé dans la capitale et les grandes villes côtières et de l’opulence des nouveaux riches qui ont fait fortune grâce à « l’ouverture du pays » (la Chine compte aujourd’hui environ 250.000 millionnaires en $). L’exemple chinois est également fréquemment employé pour justifier les nombreux chantages à la délocalisation que nous devons subir, avec l’argument que les travailleurs chinois se contentent d’un salaire beaucoup plus bas, travaillent beaucoup plus longtemps et dans des conditions bien pires. Enfin, il reste ceux, de moins en moins nombreux il est vrai, qui pensent que la Chine reste un « modèle à suivre » et la preuve vivante du « triomphe socialiste ».
Mais dans tous les cas, ce que la société et les médias actuels tendent à occulter, est le fait qu’un grand nombre de Chinois ne sont pas heureux de leur situation. Et qu’ils luttent, eux aussi, pour une vie meilleure, et depuis longtemps.
Un pays d’injustices
La petite récession du début de cette année a touché beaucoup de Chinois : plus de 100 millions de personnes possèdent actuellement des actions, nombre qui croit actuellement en moyenne de 1 million par semaine, puisque les gens espèrent ainsi faire fructifier leurs économies (la banque n’étant pas jugée assez fiable) alors que les prix continuent à monter (le prix du porc a par exemple augmenté de 30% l’an dernier).
Dans les campagnes, le gouvernement vend des terres (d’Etat) à des entreprises étrangères, sans se soucier du fait que ces terres sont occupées par des villages établis là depuis des siècles. Les populations sont donc déplacées à coups d’opérations militaires. De telles «expropriations» ont également été employées pour « faire de la place » pour la construction du nouveau stade olympique à Pékin.
Dans la foulée, le gouvernement a interdit la culture du riz dans la province de Pékin, sous prétexte qu’il fallait éviter toute coupure d’eau pendant les JO de 2008. Des chantiers préparant les JO ont été bloqués pendant plusieurs semaines par une occupation d’autoroute qui a eu lieu près d’une ville de la taille de Paris, avant que l’armée soit finalement appelée pour disperser les barrages.
Ces luttes tendent à se développer avec les années. Le vent de réformes et de privatisations qui a soufflé sur la Chine au cours du dernier quart de siècle n’a pas été accompagné par une hausse significative du niveau de vie pour l’ensemble dela population. Une minorité s’est fortement enrichie, le niveau de vie des salariés des grandes villes a un peu progressé, celui des centaines de millions de paysans et des dizaines de millions de travailleurs migrants (qui ont quitté les campagnes dans l’espoir de trouver du travail dans les villes et qui s’entassent dans des bidonvilles en subsistant par le travail au noir) a stagné voire baissé.
La répression policière est toujours aussi forte et il n’existe toujours aucune liberté démocratique. Les syndicats sont obligatoires dans toutes les entreprises, (y compris la multinationale américaine Walmart, qui n’a jamais autorisé de syndicats dans aucune de ses autres filiales !) mais ce sont des appareils de contrôle de l’Etat sur les travailleurs bien plus que de vrais syndicats.
Au début de ce mois de juin 2007, 2.000 étudiants ont combattu la police dans les rues de Zhengzhou après que des policiers aient été observés en train de battre une étudiante qui se voyait contrainte de vendre des marchandises dans la rue (sans licence, évidemment) afin de financer ses études (en Chine, le minerval universitaire coûte plus de 1.000 dollars par an – bien plus que le salaire annuel d’un travailleur – conséquence de dix ans de « libéralisation » de l’enseignement). Qu’un « fait divers » de ce genre soit capable de mobiliser spontanément une telle foule révèle bien l’ampleur de la crise sociale qui se déroule en ce moment en Chine. Et ce n’est pas un cas isolé : il y a un an, dans la même ville, 10.000 étudiants s’étaient déjà révoltés et avaient dans la foulée détruit certains bureaux de l’université.
En mai 2007, ce sont plus de 20.000 personnes qui ont manifesté à Xiamen contre le plan de construction d’une usine hautement polluante près de leur ville (les normes de sécurité demandent que les usines de ce type soient établi à 100 km de toute habitation !). Le pouvoir a tout fait pour empêcher la manifestation : les directeurs d’école ont menacé de virer les étudiants qui s’y rendraient, le Parti Communiste a déclaré qu’il punirait tous les participants et les rayerait de sa liste de membres, etc. La manif’ a quand même été un énorme succès, et ceci grâce à l’essor des nouvelles technologies de communication : plus d’un million de SMS de mobilisation ont été envoyés dans les deux mois précédant la manif !
Pour empêcher de nouvelles manifestations, cette ville de 1,5 million d’habitants a été transformée en un véritable camp militaire. Cependant, le gouvernement a dû déclarer qu’il était « prêt à reconsidérer le projet ».
Des mouvements de masse dans tout le pays
Le régime chinois est en fait terrifié à l’idée que de tels mouvements, rendus publics notamment grâce à internet, se répandent dans tout le pays. Il a récemment avoué que, durant les 9 premiers mois de 2006, le pays a connu un nombre de 17.900 « incidents de masse », ce qui représente, il est vrai, une baisse de 22% par rapport à 2005. Au moment même où avait lieu la manifestation de Xiamen, les émeutes contre la loi de l’enfant unique ont repris dans la province rurale de Guangxi. Dans cette province, ce sont 50.000 personnes, dans plusieurs villages, qui ont attaqué les bureaux de police, allant jusqu’à démolir le QG d’un gouvernement régional. La même semaine, à Yentai – une ville industrielle de la province de Shandong – 2.000 pensionnés de l’Etat et de l’armée ont protesté contre le non-paiement de leur pension.
Pour juguler le mécontentement, le gouvernement emploie 40.000 « policiers du web » pour bannir tous les sites jugés « illégaux» à l’aide des logiciels et accords passés avec Microsoft et Cisco (pour un budget de plusieurs milliards de dollars chaque année).
La solution passe par une nouvelle révolution
Aux demandes de rompre avec la loi du parti unique et les mesures totalitaires, le gouvernement chinois a toujours tenté de justifier son monopole par de grandes phrases du style « les valeurs de la démocratie occidentale sont contraires à la culture chinoise ».
En réalité, le gouvernement chinois veut restaurer le capitalisme en Chine, avec une nouvelle classe capitaliste directement issue des bureaucrates qui dirigent aujourd’hui le pays – exactement comme c’est le cas aujourd’hui en Russie. Mais ils veulent éviter un éclatement du pays – à cause des disparités énormes entre les villes côtières en plein développement et les campgnes de l’intérieur du pays, du mécontentement existant dans les minorités nationales, des risques de crise économique importante qui pourraient suivre des changements trop brusques,… C’est pourquoi "l’ouverture" ne se fait que de manière graduelle et les dirigeants veulent maintenir à tout prix le contrôle du pays par le biais du Parti Communiste.
De plus, le gouvernement sait que la moindre ouverture démocratique dans son système mènerait inévitablement à une crise sociale de plus en plus grande – avec encore plus d’émeutes, de manifestations et d’organisations populaires autonomes. La porte doit donc à tout prix rester fermée aux revendications démocratiques, le temps de contenir la pression qui monte. Mais au plus le verrou tient, au plus la pression monte et au plus l’éruption risque d’être violente.
La Chine est donc un pays en pleine transition où le secteur privé se développe rapidement, où des investissements étrangers arrivent en masse tandis que des groupes capitalistes chinois pénètrent sur le marché mondial mais où de larges pans de l’économie appartiennent (encore) à l’Etat, le tout encadré par un Etat et un Parti fortement bureaucratisés.
Quoi qu’il en soit, les travailleurs et les nations opprimées de Chine n’ont rien à attendre ni du capitalisme, ni de la vieille bureaucratie « communiste » de l’Etat, ni des notables des anciennes structures traditionnelles (clergé bouddhiste, imams des zones musulmanes, Dalaï Lama et autres partisans du retour à un Etat féodal). L’ économie planifiée doit être maintenue et renforcée, mais surtout mise sous le contrôle réel de la population à travers ses propres organes de gestion. Les luttes qui se développent un peu partout à travers tout le pays renforcent ces possibilités d’organisation à la base.
La Chine tremble. Elle pourrait fort bien être le foyer de nouveaux soubresauts dont les répercussions se feront inévitablement sentir au niveau mondial.
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Marx et Engels : défendre les travailleurs, c’est défendre leur milieu
Certains, dès le 19e siècle déjà, ont cependant refusé de se laisser enfermer dans de faux problèmes comme d’opposer l’écologie à la technique ou de dire que le combat environnemental dépasse les clivages politiques. Parmi eux se trouvaient Karl Marx et Friedrich Engels, les auteurs du Manifeste du Parti Communiste.
Nicolas Croes
Friedrich Engels disait par exemple : « qu’il s’agisse de la nature ou de la société, le mode de production actuel tient uniquement compte du résultat immédiat manifeste ». Pour eux, c’est le capitalisme, et non l’industrie, qui est le véritable virus à la base de la dégradation de l’environnement. Les intérêts à court terme de la minorité qui possède les moyens de production et contrôle la société vont à l’encontre de ceux de l’humanité, avec des conséquences évidentes pour le respect du milieu de vie.
En prenant exemple sur l’agriculture, Marx déclarait par exemple, bien avant l’utilisation massive des pesticides : « Tout l’esprit de la production capitaliste, axée sur le gain d’argent immédiat, est en contradiction avec l’agriculture, qui doit desservir l’ensemble des besoins permanents des générations humaines qui se chevauchent». Il précisait : « Chaque progrès de l’agriculture capitaliste représente un progrès non seulement dans l’art de dépouiller le travailleur, mais dans celui d’appauvrir la terre ; toute amélioration temporaire de la fertilité des sols rapproche des conditions d’une ruine des sources durables de cette fertilité ».
Engels, dans son ouvrage La dialectique de la nature, allait dans le même sens : « Nous ne dominons nullement la nature à l’instar du conquérant d’un peuple étranger, comme si nous étions placés en-dehors de la nature (…) toute la souveraineté que nous exerçons sur elle se résume à la connaissance de ses lois et à leur juste application, qui sont notre seule supériorité sur toutes les autres créatures. En effet, chaque jour, nous apprenons à mieux pénétrer ses lois et à reconnaître les effets plus ou moins lointains de nos interventions (…). » Il avertit cependant qu’arriver à une solution « exige de nous autre chose qu’une simple connaissance », et « nécessite le bouleversement total de notre production, y compris l’ordre social actuel dans son ensemble (…) Le profit obtenu par la vente est le seul et unique mobile du capitaliste (…) ce qui advient ultérieurement de la marchandise et de son acquéreur est le dernier de ses soucis. Il en va de même quand il s’agit des effets naturels de ces agissements».
Tous deux ont finalement démontré que la société industrielle et la nature ne sont pas incompatibles. Mais la production industrielle doit être organisée de manière consciente, planifiée dans les intérêts de tous et avec la participation de tous, afin d’éliminer les gaspillages et la logique de profit à court terme qui définit notre société actuelle. C’est cette dernière qu’il faut changer de fond en comble, radicalement. Toute position intermédiaire ne saurait être que l’équivalent d’une aspirine donnée à un cancéreux.
URSS et Chine « populaire »
Bien évidemment, quant on met en avant comme solution de détruire le capitalisme pour résoudre, entre autres, les problèmes environnementaux, un simple regard porté sur la pollution qui sévit en ex-Union Soviétique ou en Chine ne pousse pas à aller plus avant sur cette voie. Actuellement, un cinquième de la population russe vit dans une région tellement sinistrée écologiquement qu’elle est un danger pour la santé. De même, les pluies acides couvrent un tiers du territoire chinois.
Pour nous, le « socialisme » qui a été appliqué dans ces pays n’a finalement été qu’une caricature sanglante caractérisée notamment par un productivisme à outrance. Pour fonctionner, une économie planifiée a besoin de démocratie comme un corps a besoin d’oxygène. En ce sens, le règne dictatorial de la bureaucratie dans ces pays n’a pas eu uniquement comme conséquence la répression, les déportations et le goulag mais aussi des dégâts causés à l’environnement qui devront encore être supportés par de nombreuses générations. De plus, tant le passage brutal de la Russie à l’économie capitaliste que la transition accélérée sur la même voie qui se déroule actuellement en Chine n’ont en rien atténué cette situation. Bien au contraire.
Sauver l’environnement par la lutte collective
En définitive, le peu de mesures qui ont été prises sont concentrés dans les pays développés, là où la pression de l’opinion publique et parfois les mobilisations populaires ont pu porter. Mais la pollution n’entre que légèrement en ligne de compte dans les politiques des gouvernements et des dirigeants des multinationales. Sinon, une autre politique serait mise en œuvre, basée sur le développement des transports publics, une meilleure utilisation des transports ferroviaires et fluviaux, une relocalisation des activités de production,…
En France, la première législation face aux effets toxiques aux environs des usines date de 1810, bien avant toute loi en faveur des travailleurs et même des enfants. Si les travailleurs ont réussi entre-temps à obtenir des améliorations de leurs conditions de travail, c’est par leur lutte collective pour arracher des acquis aux exploiteurs des industries et de la finance. La lutte pour la sauvegarde de notre planète doit suivre la même voie. Par la lutte, retirons des mains des profiteurs la direction de la société !
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EADS/Airbus. Les profits s’envolent, l’emploi s’écrase!
Nouvelle onde de choc dans le monde des travailleurs : EADS a décidé de supprimer 10.000 emplois en quatre ans sur les 55.000 que compte sa filiale Airbus. Une fois encore, ce n’est pas une entreprise en crise qui se sépare d’une partie de ceux qui ont forgé ses richesses : le chiffre d’affaire d’EADS s’élève à 39,4 milliards d’euros pour 2006, soit une hausse de 15% par rapport à 2005.
Nicolas Croes
La société Airbus a été créée en 1970 et rassemble des entreprises aérospatiales nationales française, anglaise, allemande et espagnole. Nombreux étaient ceux qui voyaient dans ce consortium un des symboles les plus parlants de l’Union Européenne. Il y a deux ans à peine, le président français Chirac, le premier ministre britannique Blair, son collègue espagnol Zapatero et le chancelier fédéral allemand Schröder avaient eux-mêmes repris la métaphore à l’occasion de la sortie de l’A380. Finalement, le parallèle est effectivement très significatif, bien plus d’ailleurs que ne l’auraient souhaité ces chefs d’Etat…
18% : une aumône…
En 1999, le gouvernement français du « socialiste » Jospin a décidé de privatiser l’aérospatiale française. Rapidement, les intérêts du privé ont dominé au sein du nouveau groupe nommé EADS. Ce groupe est devenu n° 2 mondial dans l’aéronautique civile avec Airbus et n° 1 dans les hélicoptères militaires avec Eurocopter, le lancement de satellites avec Arianespace, le positionnement géosatellitaire avec Galileo et les missiles militaires avec MBDA.
Pour les cinq années à venir, les carnets d’Aibus sont copieusement remplis : 2.357 appareils sont commandés, ce qui correspond à 258 milliards de dollars. Une situation qui ravit les actionnaires qui, depuis la privatisation de 1999, s’en mettent plein les fouilles: les actions rapportent en moyenne plus de 18% de bénéfices chaque année. Mais ce n’est pas encore suffisant. C’est même très loin de l’être pour étancher la soif de profit de la direction et des actionnaires.
En conséquence, 4.300 travailleurs français seront jetés à la porte, au même titre que 3.700 allemands, 1.600 anglais et 400 espagnols. Ceux qui restent n’auront qu’à se réjouir, ils pourront même rester plus longtemps dans les usines… pour le même salaire! C’est ce que révèle le magazine allemand Focus : la direction d’Airbus envisagerait de faire passer les travailleurs de 35 heures de travail par semaine à 40, sans aucune compensation salariale.
C’est exactement ce qu’avait fait le groupe américain Boeing quand Airbus était devenu n°1 mondial (place qu’il a perdue cette année). Boeing a pu se hisser à nouveau à la première place en escaladant les corps des travailleurs laissés sur le côté : 42% de l’effectif de 1998 ont été licenciés alors que ceux qui ont évité la trappe doivent subir des cadences infernales. C’est maintenant au tour d’Airbus, tandis que la Chine vient juste de décider de se lancer sur le marché aéronautique, menaçant l’hégémonie des deux compagnies occidentales.
Sauver les meubles… pas les travailleurs
Comment enrayer le cycle infernal des travailleurs sacrifiés sur l’autel de la concurrence? La décision du conseil d’administration d’EADS aura aussi des répercussions en Belgique. Depuis le début des années 1980, plusieurs sous-traitants d’Airbus sont des entreprises belges (la Sonaca, la Sabca, Asco et Eurair). Lors du dernier conseil extraordinaire des ministres à Louvain, le gouvernement belge a décidé de débloquer 150 millions d’EUR. C’est autant d’argent qui sortira de nos impôts pour compenser la rapacité d’un groupe infime de grands actionnaires.
Cependant, pour beaucoup de politiciens placés devant ce drame humain – finalement si caractéristique de la société d’exploitation que nous connaissons – la solution se trouve là : faire intervenir l’Etat (et notre argent). Attention! Il n’est en aucun cas question de revenir sur les privatisations! Si l’Etat doit intervenir, c’est uniquement quand les choses vont mal. Pour le reste, les bénéfices peuvent continuer à alimenter la folie des grandeurs des capitalistes, et uniquement elle. En France, où Airbus s’est infiltré dans la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a par exemple déclaré qu’il soutiendrait Airbus comme il l’avait «fait avec Alstom» (l’Etat avait pris 20% du groupe quand celui-ci était en difficulté).
Pour d’autres, le sort des travailleurs ne compte absolument pas. Le Premier ministre français Dominique de Villepin a ainsi précisé que s’il mesurait « pleinement l’inquiétude » des salariés, ce plan est pour lui « nécessaire pour sortir définitivement de la situation d’incertitude et préparer l’avenir »!
Airbus – ou VW-Forest pour prendre un autre exemple récent – illustre combien les logiques de « nos » gouvernements sont incapables de résoudre les problèmes de l’économie de marché. Pour sauver les emplois d’Airbus, il faut renationaliser l’entreprise, sans achat ni indemnité. Les travailleurs doivent avoir accès aux comptes de l’entreprise et à toutes les informations sans restrictions pour prévenir les erreurs de gestion et les magouilles. Mais seule une transformation socialiste de la société pourra sauvegarder définitivement les emplois d’Airbus et d’ailleurs.
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Crash en Chine : 140 milliards de $ de valeurs boursières partent en fumée
Crash en Chine : 140 milliards de $ de valeurs boursières partent en fumée
L’index boursier de Shanghai et de Shenzhen a plongé de pas moins de 9,2% ce mardi 27 février, ce qui correspond à 140 milliard de dollars de pertes en valeurs boursières. Les bourses de Tokyo, Hong Kong, Séoul, Kuala Lumpur et Sidney ont suivis le lendemain. Au Mexique, en Argentine et au Brésil, des pertes de 5,8% à 7,5% ont été enregistrées. A New York, le Dow Jones a connu sa plus grande chute depuis le 11 septembre et, en Europe, 3% des valeurs en moyenne sont parties en fumée. Cela ne mènera probablement pas dans l’immédiat à une récession, mais c’est un signal appréciable d’un futur tremblement de terre de l’économie mondiale.
Eric Byl
La croissance mondiale de ces dernière années n’a pas été basée sur un renouvellement des techniques de production, mais surtout sur une baisse d’impôts pour les entreprises et une intensification de l’exploitation des forces de travail. Suite à la chute des caricatures de socialisme à l’Est, l’arrivée de nouveaux travailleurs a fortement augmenté la concurrence sur le marché de l’emploi. Les tentatives de la bureaucratie stalinienne chinoise pour instrumentaliser l’ancien appareil d’Etat et l’infrastructure construite sous l’économie planifiée, afin de se transformer graduellement en nouvelle classe capitaliste, a encore renforcé ce processus. Le nombre de travailleurs mondialement disponibles a doublé, avec pour conséquences des salaires plus bas et des conditions de travail détériorées.
Les forces de travail très bon marchés et la baisse systématique des charges patronales a conduit à des profits records. La valeur des actions a bondit, provoquant à son tour des investissements spéculatifs et la surévaluation des marchés d’actions, des « bulles ». Si les bas salaires minent le pouvoir d’achat, cela est cependant temporairement compensé par la concentration croissante de richesses dans les mains d’une élite constamment plus petite, ce qui créé un afflux d’argent liquide. Cet argent est mis à disposition à bas taux d’intérêts pour acheter de l’immobilier ou des produits de consommation. Notre pouvoir d’achat est diminué, mais grâce à des crédits bon marchés, nous dépensons aujourd’hui les salaires que nous devons encore gagner à l’avenir. Les ménages, surtout aux Etats-Unis, ploient sous des dettes massives.
Cette situation ne peut durer. L’abondance d’argent liquide devrait mener à une baisse de la valeur du dollar, mais grâce à l’arrivée de produits chinois bon marchés, l’inflation reste basse pour l’instant. De plus, la Chine, quelques pays asiatiques en voie de développement et les pays de l’OPEP investissent leurs surplus commerciaux en bonds d’Etat américains pour financer les déficits commerciaux et budgétaires des Etats-Unis. Un avertissement de l’ancien président de la Banque Fédérale américaine, Alan Greenspan, sur la possibilité d’une récession aux Etats-Unis ce deuxième semestre a mené à la panique.
Si la demande de produits chinois aux Etats-Unis et ailleurs diminue, cela provoquera de nombreuses faillites, d’abord en Chine, puis sur le plan mondial. Cela produirait en plus une forte chute du dollar et donc l’implosion des réserves investies dans cette monnaie.
Ce déséquilibre doit être corrigé. Au plus on attend, au plus se sera pénible. L’économie mondiale se comporte comme un drogué à l’héroïne. L’héroïne mène au dépérissement total de l’organisme mais, à chaque fois, le dernier shoot provoque un sentiment de soulagement. L’économie mondiale est intoxiquée de dettes, qui mènent inévitablement au dépérissement du tissu économique, mais chaque nouveau crédit créé temporairement ce sentiment de soulagement. Dans son chef d’œuvre sur la dépression de 1929, J.K. Galbraith écrit que la raison principale de ce crash était l’énorme écart entre riches et pauvres. A l’occasion du rassemblement de Davos, en Suisse, pour dirigeants d’entreprises et politiciens, Stephen Roach, économiste à Morgan Stanley, a pointé lui aussi les dangers liés à cet écart. Pierre Huylenbroeck, responsable Argent et Investissement au journal flamand Tijd, a écrit que si les cours boursiers ou les profits des entreprises augmentent durant des années de 10%, ou même plus, une rechute devient inévitable. Il a avertit : “Au plus quelque chose monte, au plus cela peut chuter plus tard”.
Ce crash ne mènera pas immédiatement à une dépression, de nouveaux crédits seront pompés dans l’économie. Mais tôt ou tard, les contradictions énormes du système capitaliste devront exploser et provoquer, comme pendant des récessions précédentes, un doublement, voire plus, du chômage et un accroissement catastrophique de la pauvreté. Les travailleurs ont un intérêt à ce que cela soit postposé afin de pouvoir au mieux préparer leurs forces.
Le capitalisme ne survit qu’en abusant des travailleurs, de leurs familles, de nos communautés et de notre environnement. Notre choix se limite à l’exploitation chaotique de nous-mêmes et de notre environnement ou à l’utilisation des richesses indescriptibles dont nous disposons en fonction des besoins de tous. Cette dernière option n’est possible que si les travailleurs et leurs familles construisent une force capable de rendre accessible l’alternative du socialisme démocratique.
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La direction de VW fait chanter les travailleurs afin d’imposer le recul social
La direction de Volkswagen/Audi a fait chanter les travailleurs de Forest afin de leur imposer des économies drastiques. Après des mois à traînailler pendant que le personnel demeurait dans l’incertitude, les travailleurs ont finalement eu le choix: s’adapter au recul social ou ficher le camp.
Geert Cool
Un référendum sans choix
Le 27 février, un nouveau référendum s’est tenu. Les travailleurs devaient se prononcer sur une déclaration d’intention signée par les directions syndicales et la direction de VW et Audi.
Dans celle-ci, le maintien de 2.200 emplois est confirmé, mais seulement jusqu’en 2009/2010. Au cas où l’Audi A1 ne décollerait pas, de nouveaux licenciements, ou même une fermeture, pourraient suivre. La déclaration d’intention fixe seulement la production entre 2007 et 2009/2010.
En échange du maintien des 2.200 emplois, une réduction des « coûts salariaux » de 39,9 euros à 32 euros par heure (-20%) est exigée. Concrètement, il s’agit d’une augmentation du temps de travail de 35 à 38 heures par semaine, mais cela ne suffira pas à tempérer la soif de profits des patrons ni à arriver à assainir 20% des coûts actuels. Les directions syndicales ont annoncé « développer des alternatives afin de réduire les coûts salariaux pour un minimum d’impact sur les acquis sociaux. »
La direction d’Audi a posé ses conditions et les travailleurs se sont retrouvés le dos au mur dans ce nouveau référendum. Choisir entre la peste et le choléra n’est pas un vrai choix : les travailleurs étaient d’office perdants. La direction et les dirigeants syndicaux voulaient un référendum moins serré que le premier (bien que 24% des ouvriers ont tout de même voté contre cette fois-ci!). Après coup, il leur est possible d’affirmer que les travailleurs se sont mis d’accord sur le recul social.
VW: 2,75 milliards d’euros de profit en 2006
Après avoir repris le travail sans garanties sur papier, il était déjà clair que ce serait difficile d’arracher des concessions supplémentaires à la direction. Après la lutte de novembre et décembre, des primes de départ élevées ont été obtenues. Selon l’organisation patronale Agoria, c’étaient « des primes extraordinaires ».
Agoria a ajouté que le recul social s’est fait selon les normes allemandes: là aussi, les patrons ont imposé un allongement du temps de travail (de 28,8 à 33 heures par semaine) et un assainissement de 20% sur les salaires. Après l’Allemagne, les travailleurs belges doivent eux aussi suivre la spirale vers le bas sur les salaires et les conditions de travail. Seule question : où s’arrêtera cette spirale, en arrivant aux conditions de travail de l’Europe de l’Est ou de la Chine et l’Inde ?
Cette casse sociale a pas mal coûté aux patrons. Gilbert Demez, professeur en droit social à l’UCL, s’étonne de la hauteur des primes de départs à VW : « La hauteur de la prime de départ paraît assez incompréhensible, dit-il. La restructuration se justifie d’autant moins aujourd’hui. Avec l’argent qu’elle met sur table pour financer les primes de départ, l’entreprise aurait facilement pu maintenir la production du site de Forest à son niveau actuel pendant plusieurs années. » (La Libre, 11 décembre 2006)
Mais Forest doit servir d’exemple en matière de recul social et la direction est prête à en payer le prix. Après les menaces de fermeture précédentes, le nouveau chantage se basait toujours sur la possibilité de fermeture. Le choix des travailleurs était : accepter ou se noyer.
Parallèlement, les profits de VW continuent à monter. En 2006, le groupe a réalisé le double des profits nets de l’année précédente: 2,75 milliards d’euros. C’est une augmentation très forte comparée au 1,12 milliard d’euros de 2005, mais VW veut plus encore. L’objectif est 5 milliards d’euros de profits. Pour cela, c’est aux travailleurs de payer.
Les politiciens traditionnels prennent parti pour la direction
Le gouvernement intervient sans hésiter dans les discussions sur le recul social à VW. Selon lui, les restructurations sont normales et nécessaires. Le gouvernement veut les rendre plus faciles et intervient dans le débat en ce sens. Le professeur libéral Marc De Vos déclare dans le quotidien flamand De Morgen: « Celui qui prend comme perspective une vision globale comprend que des restructurations sont nécessaires pour moderniser l’économie. Les travailleurs de Forest ont voté en faveur du futur. »
Il a l’air de quoi ce futur? Faire travailler plus longtemps pour gagner moins afin de stimuler le profit et les cours boursiers. Et, si nécessaire, avec l’appui actif des autorités, malgré le dégoût que cela provoque généralement dans le public libéral. Verhofstadt a été négocier lui-même avec la direction de VW et il a offert des cadeaux fiscaux, des assainissements sur les salaires et une flexibilité accrue.
Il faut une autre politique!
Le 28 février, De Morgen a donné exceptionnellement la parole aux rebelles de Volkswagen – qualifié de « noyau dur » dans les médias. L’un d’entre eux disait: « Il ne faut pas reculer de 50 ans. Nous ne sommes pas esclaves, mais travailleurs. Le patronat doit nous respecter. » La réalité, c’est que le site de VW à Forest était rentable, mais la direction veut augmenter son profit sur le plan mondial au dépens des travailleurs.
Pendant de nombreuses années, VW était exemplaire en terme de normes sociales acquises par les travailleurs. Aujourd’hui, VW est tout aussi exemplaire, mais dans la casse sociale. Si ils arrivent à imposer plus de temps de travail sans augmentation salariale à VW, pourquoi alors d’autres entreprises et secteurs ne suivraient-ils pas ? General Motors menace déjà le site d’Opel à Anvers d’une restructuration drastique.
Celui qui s’oppose à cette logique de casse sociale est présenté comme un « gros bras », un « emmerdeur », un « hooligan »,… Tel a été le sort des rebelles de Volkswagen. Ils ont été attaqués par toute la scène politique traditionnelle, par les médias et même par leurs dirigeants syndicaux.
On les a insulté, mais comme l’un des rebelles l’explique au De Morgen: « Je ne suis pas un homme de beaucoup de mots. Je n’ai pas peur du travail, mais il faut que les conditions soient justes. Si nous devons bosser 38 heures par semaine, c’est trop dur. Vingt minutes de pause, ce n’est quand-même pas possible ? Quand pourrons nous manger nos tartines à l’aise? »
Ce n’est pas une position isolée ou limitée à une « centaine de têtes brûlées » ou de « gros bras de la FGTB Métal Wallonne » (Gazet van Antwerpen du 27 janvier). Même lors du référendum du 27 février, 24% ont rejeté les plans de la direction d’Audi. A côté des 500 qui ont voté contre, beaucoup de travailleurs ont voté pour sans aucun enthousiasme. Par manque de stratégie de lutte contre la casse sociale, ils n’ont vu d’autres issues que d’accepter les plans de la direction d’Audi.
Nous pensons qu’il faut une autre politique où ce ne sont plus les profits d’une petite minorité qui déterminent tout. Nous voulons par contre une politique répondant aux besoins des travailleurs et de leurs familles, qui s’oppose aux licenciements, au démantèlement social et au chantage patronal.
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9e Congrès Mondial du CIO. Unifier la planète pour un monde socialiste!
9e Congrès Mondial du CIO
Venus d’une trentaine de pays des quatre coins du globe, 130 militants se sont réunis à la mi-janvier pour une pleine semaine de discussions portant sur la situation politique, économique et sociale internationale, mais également sur la construction de l’organisation marxiste internationale qu’est le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO). Ce Congrès restera dans les mémoires grâce au formidable enthousiasme et à la grande confiance en notre travail qui font suite aux résultats positifs obtenus depuis notre dernier Congrès Mondial, il y a un peu plus de quatre ans en 2002.
Nicolas Croes
La domination américaine contestée
Depuis lors, de grands changements sont survenus, à la fois pour la la bourgeoisie et pour les travailleurs du monde entier. A l’époque, la scène internationale était dominée par les attentats du 11 septembre et leurs répercussions. L’impérialisme américain était résolu à s’occuper par la force armée, même unilatéralement, de tous les points "chauds" et on nous rabattait les oreilles de perspectives grandioses pour le "siècle américain". Ce siècle n’a pourtant duré que quelques années… Jamais dans l’Histoire l’influence d’une puissance n’a connu de déclin aussi rapide et nous ne sommes encore qu’au début d’une crise prolongée. La majorité de la population mondiale considère à l’heure actuelle que Washigton est une plus grande menace que Téhéran !
Dans ce processus, l’intervention en Irak a été un point crucial. Depuis mars 2003, il y a eu en moyenne 4.000 personnes tuées chaque mois, majoritairement des civils et ce chiffre n’a pas arrêté d’augmenter au cours des derniers mois. Alors que l’Irak était autrefois l’un des pays les plus modernes du monde arabe, les infrastructures essentielles sont détruites, la population tente de survivre quasiment sans électricité ni eau courante. La majorité des habitants affirme vivre dans des conditions pires que sous Saddam alors que le pays s’enfonce toujours plus dans une guerre civile, à la fois confessionelle et pour le contrôle des richesses. Tout le Moyen-Orient est secoué par une série de crises (Iran, Liban, Palestine,…) que les Etats-Unis ont de plus en plus de mal à contrôler.
Même dans l’antre de la bête US, le mouvement ouvrier commence à montrer ses crocs, poussé par les travailleurs immigrés (qui ont manifesté à plusieurs millions contre les lois racistes de Bush l’an dernier) largement issus d’Amérique Latine et qui réflètent la formidable remontée de la lutte des travailleurs qui s’opère dans cette région.
Mais l’impérialisme américain n’est pas le seul colosse au pied d’argile sérieusement ébrêché. L’expérience est le meilleur professeur qui soit, et la mondialisation est maintenant vue par les masses – et non plus par les seules couches radicalisées – comme un signe d’insécurité et de pollution extrême. L’ère du "Nouvel Ordre Mondial" et le règne proclamé éternel du néo-libéralisme ont subi le même sort que le "siècle américain".
Des riches plus riches, des pauvres plus pauvres
Notre monde connaît partout une croissance économique soutenue. Or, comme le disait Marx, "une croissance économique doit aussi se refléter dans la poche des travailleurs". Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui et si les profits augmentent bien et atteignent des records faramineux, les salaires sont loin de suivre la même courbe : il est plutôt question de sortir de la classe moyenne que d’y rentrer.
Les capitalistes deviennent de plus en plus des parasites: le 0,01% le plus riche de la population mondiale contrôle pour ses seuls intérêts 24% des richesses…
Cependant, la masse d’argent qui tombe dans leurs mains et l’arrogance sans limites qui est l’apanage de ces puissants les aveuglent alors que des nuages menaçants s’accumulent au-dessus des Bourses.
Car l’économie mondiale s’érige sur le sable extrêmement mouvant des relations économiques entre les USA et la Chine: les investissements américains dans la Chine soi-disant "communiste" contribuent à la production massive de produits chinois qui, en retour, sont vendus à bas prix aux consommateurs américains. Cela permet de maintenir la consommation – et la croissance économique – aux Etats-Unis malgré la stagnation des salaires réels depuis 20 ans. En échange, les profits chinois sont placés en dollars dans les coffres des banques américaines, ce qui permet de limiter l’effet de l’endettement astronomique des Etats-Unis. Mais les consommateurs américains sont aussi des travailleurs. A force d’attaques sur les salaires et les conditions de vie, ceux-ci éprouvent des difficultés croissantes à maintenir leur consommation. Et la politique de crédit à bas prix qui les a poussés à dépenser même l’argent qu’ils n’avaient pas encore gagné a des limites. Il est encore trop tôt pour dire si une récession arrivera en 2007 – le timing est trop aléatoire (des événements comme, par exemple, le cyclone Katrina et ses conséquences sont imprévisibles) mais l’important est de voir le processus et celui-ci mène à une crise d’importance.
La Chine peut-elle sauver l’économie mondiale?
Ce qui est certain, c’est que la Chine ne dispose pas d’un marché intérieur capable d’absorber sa production. Une récession, plus que probable, du marché mondial, engendrerait donc une crise majeure dans le pays au grand déplaisir de la bureaucratie chinoise qui tente lentement de transformer l’économie bureaucratiquement planifiée du pays en une économie capitaliste (entre 1989 et 2002, 45 millions d’emplois ont été perdus à cause de privatisations).
L’impact de cette crise ne serait pas seulement économique, mais également politique. Actuellement, il y a déjà une grève toutes les 5 minutes en Chine "populaire" et il y a eu officiellement 78.000 actions de protestation rien que pour l’année 2005, à la fois contre les conditions de travail (dans certaines usines, on travaille 12 heures par jour, 7 jour sur 7 et parfois même de nuit quand les objectifs ne sont pas atteints, pour des salaires de misère) et contre la pollution croissante.
Montée de la résistance anti-néolibérale
Mais en terme de remontée des luttes et d’espoir, l’Amérique Latine fait figure de phare. Nous sommes arrivés à un moment crucial dans cette région où le capitalisme n’a jamais été autant critiqué. Dans plusieurs pays, les luttes massives des travailleurs et des pauvres ont amené au pouvoir des gouvernements qui évoluent vers des positions plus radicales sous la pression de la base.
Même les gouvernements de droite restés au pouvoir connaissent une contestation grandissante qui rend leur position instable (l’exemple le plus flagrant est celui du Mexique). L’impérialisme américain, habitué à faire appliquer sa loi en Amérique Latine (on se rappelle de Pinochet…) est aujourd’hui fortement affaibli. Outre le fait que 40% de son matériel militaire est immobilisé en Irak, le discrédit du néo-libéralisme et la crise de la domination idéologique américaine laisse plus de marges à un développement favorable des protestations anti-capitalistes dans cette région comme partout ailleurs.
Un des éléments importants dans ce développement est l’exemple, même imparfait, donné par Cuba comme alternative au capitalisme. Mais celui qui a le plus aidé à la diffusion des idées socialistes a été le président vénézueliens Hugo Chavez. Il a même été récemment jusqu’à annoncer que le Venezuela allait devenir une république socialiste et à dire qu’il était trotskiste (ce qui voudrait dire communiste anti-stalinien et opposé à la collaboration avec la bourgeoisie nationale dans le cadre de la lutte contre l’impérialisme et pour la construction d’une société socialiste)!.
Mais ce sont surtout là des paroles car dans un même temps, Chavez appelle les capitalistes vénézuéliens à rejoindre le processus révolutionnaire! Au Vénézuela comme partout en Amérique Latine ou dans le reste du monde néo-colonial, les travailleurs ne doivent compter que sur leurs seules forces pour arracher leurs chaînes et ne pas remplacer celles qu’ils subissent actuellement par celles que les bourgeoisies locales rêvent de leur attacher.
Jadis engourdis par la capitulation des anciens partis ouvriers et des directions syndicales face au néo-libéralisme et à la nouvelle situation née de l’effondrement du stalinisme, les travailleurs recommencent partout à prendre le chemin de la lutte. Même l’Europe connaît cette situation comme l’ont exprimé les mobilisations contre la Constitution Européenne, les grèves générales en Italie, en Grèce (et même en Belgique !) ou encore la lutte contre le Contrat Première Embauche en France.
Plus que jamais, notre tâche est d’aider au développement de cette résistance en développant des organes de lutte comme de nouveaux partis des travailleurs dans lesquels nous défendons une orientation clairement socialiste tout en continuant la construction de notre parti révolutionnaire international.
Balisons la route vers un avenir débarassé de l’exploitation, un avenir socialiste!
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Népal. Mouvement de masse et crise révolutionnaire
Une grève générale de 18 jours, doublée de protestations de masse, ont contraint le roi du Népal Gyanendra à rétablir le parlement le 24 avril. La crise était profonde. S’il y avait eu un parti socialiste révolutionnaire de masse au Népal, la question de la création d’un Etat des travailleurs et des paysans se serait posée sans aucun doute.
Depuis le 1er février 2005, le roi dictatorial tenait fermement les rènes du pouvoir. Il avait alors proclamé l’état d’urgence pour trois mois. En 2005, la moitié des cas de censure recensés dans le monde étaient dus au Népal d’après un rapport de Reporters Sans Frontières.
Le roi sest lui-même isolé chaque jour davantage de toutes les couches de la population au fur et à mesure que la répression et le marasme social s’accentuaient. Non seulement les travailleurs et les paysans le rejetaient, mais aussi la classe moyenne. Il y a eu des élections communales au Népal le 9 février de cette année. Le roi voulait de cette manière restaurer quelque peu son image. Ce fut pourtant un coup d’épée dans l’eau. Les rebelles maoïstes ont appelé à une semaine de grève et une grande manifestation de l’opposition a rassemblé 150.000 participants. Le régime était clairement aux abois.
Les 18 jours de grève en avril n’ont pas choqué que l’élite népalaise. Les USA et les grandes puissances régionales comme la Chine et l’Inde redoutaient elles aussi une insurrection populaire. L’Inde est elle-même aux prises avec une rébellion maoïste dans certaines régions. Le gouvernement chinois avait encore envoyé à la fin de l’année passée 18 camions remplis d’armes au Népal. Elles devaient servir à réprimer la guérilla maoïste et les mouvements de protestation subversifs en général. Ce soutien militaire est révélateur de la politique des dirigeants chinois qui font passer leurs intérêts économiques et diplomatiques avant tout et ne veulent surtout pas voir triompher une révolution à leurs portes.
Les derniers jours de la grève d’avril ont vu des centaines de milliers de personnes participer aux manifestations. Les fonctionnaires et la plupart des syndicats ont rallié la grève générale. Lorsque la police a abattu 3 manifestants le 20 avril, cela n’a fait que radicaliser le mouvement dans les jours qui ont suivi. Les masses ne voulaient plus continuer à vivre de cette façon à tel point que la peur de mourir les avaient quittées ; la classe moyenne soutenait le mouvement; l’appareil d’Etat commençait à se fissurer;… Les conditions d’une crise révolutionnaire étaient réunies.
Par crainte d’une manifestation monstre – 2 millions de participants attendus – prévue pour le 25 avril, le roi a décidé la veille de restaurer le parlement. L’opposition parlementaire est cependant largement discréditée. Le Parti du Congrès népalais a mené une politique néolibérale dans les années ‘90 quand il dirigeait le pays. Quant au Parti communiste unifié – marxiste-léniniste qui a une audience plus large, il se prononce pour une “république démocratique “ en renvoyant le socialisme à un futur lointain, selon la théorie stalinienne de la révolution en deux stades. L’un comme l’autre veulent ménager leurs alliances avec des partis bourgeois.
La guérilla maoïste – qui détient 75% des campagnes – ne répugne pas non plus à des accords avec les partis bourgeois et ne prône qu’une “république démocratique” à court terme.
Il n’est pourtant pas possible de sortir le Népal du marasme économique et social dans le cadre du capitalisme. Il faut combiner les revendications démocratiques comme la réforme agraire et les droits démocratiques avec des revendications comme les nationalisations et le contrôle ouvrier. Un appel à une fédération socialiste d’Asie aurait des répercussions importantes dans la région et sur le plan mondial.