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  • Pour en finir avec la crise, les guerres, l’austérité, le chômage, la destruction de l’environnement… dégageons le capitalisme, construisons un monde socialiste!

    Combien de temps encore devra-t-on croire au refrain tant répété comme quoi le pire de la crise économique serait « derrière nous »? Les faits parlent d’eux-mêmes : partout, la classe des super-riches et les politiciens qui la servent redoublent d’efforts pour nous faire avaler sans cesse de nouvelles attaques sur nos droits et nos conditions de vie. Et partout, la colère des “99%” gronde : de Sidi Bouzid à Athènes, de Port Saïd à Sofia, de Pretoria à Moscou, de Montréal à New Delhi, la résistance de la jeunesse, des travailleurs et des masses pauvres ne faiblit pas, face aux conséquences dévastatrices de la crise historique que traverse le système capitaliste mondial.

    Tract général du Comité pour une Internationale Ouvrière distribué au Forum Social Mondial de Tunis

    «L’accumulation de richesse à un pôle signifie en même temps à l’autre pôle une accumulation de misère» (Marx)

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    Socialisme 2013. Dimanche prochain, à l’occasion du week-end "Socialisme 2013", un rapport de la situation actuelle en Tunisie sera livré par Nicolas Croes, rédacteur de socialisme.be et de notre mensuel, de retour de Tunisie.

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    Le destin tragique du jeune qui s’est immolé par le feu en plein coeur de Tunis est le cri de désespoir de toute une jeunesse qui n’en peut plus, condamnée au chômage de masse et à la misère quotidienne. La crise actuelle expose comme jamais la totale incapacité du capitalisme -un système basé sur la recherche incessante de profits pour l’infime minorité qui contrôlent les moyens de production et les décisions d’investissements- à offrir un avenir à la majorité d’entre nous.

    Selon une étude récente de ‘Futures Company’, 86% de la population mondiale estime que le monde des affaires « maximise les profits aux dépens de la communauté et des consommateurs ». Pendant que des pays entiers sont mis en coupe réglée, que le chômage atteint des records mondiaux, et que plus d’un sixième de l’humanité souffre de la faim, la concentration des richesses est devenue telle que le revenu gagné par les 100 plus grands milliardaires au monde rien qu’au cours de l’an dernier représente quatre fois la somme nécessaire pour abolir la pauvreté sur toute la planète!

    Comme d’habitude, le prix de la crise, tout le monde le paie, sauf ceux qui en sont responsables. Pour l’élite capitaliste en effet, l’année 2012 fut un “grand cru”: malgré la crise, les multinationales et les grandes banques qui contrôlent l’économie mondiale (BMW, JPMorgan Chase, Goldman Sachs, Samsung, Adidas, Ryanair,…) ont réalisé des bénéfices record.

    Comme dans un gigantesque casino, une poignée d’acteurs financiers se font des juteux profits en spéculant sur le prix des biens de première nécessité, pendant que dans l’ensemble du Maghreb, du Moyen-Orient et ailleurs, la hausse vertigineuse de ces prix, aggravée par les mesures antisociales imposées par le FMI, poussent des pans entiers de la population dans une pauvreté encore plus grande.

    Aux Etats-Unis, alors que les grandes banques annoncent toutes des nouveaux profits spectaculaires, le pouvoir d’Obama prépare l’opinion à une nouvelle cure d’austérité massive.

    Sur l’ensemble du continent européen aussi, les travailleurs sont priés de payer la note du sauvetage des banques et des spéculateurs, subissant pour cela une offensive d’austérité sans précédent, faite de centaines de milliards d’euros de coupes dans les dépenses publiques, tandis que les taux de chômage en Europe du Sud atteignent des chiffres dignes de la Grande Dépression des années ’30. En parallèle, la trésorerie accumulée par les 265 grandes sociétés européennes ayant publié leurs résultats 2012 atteint…364 milliards d’euros ; une immense montagne de liquidités que les capitalistes refusent d’investir dans l’économie, et un exemple de plus du caractère absurde, parasitaire et complètement pourri du système en place.

    Ce système craque de toutes parts. Car pour maintenir la richesse opulente d’une poignée de patrons, de banquiers et d’actionnaires, il n’a d’autre choix que de renforcer la répression contre ceux qui résistent, d’encourager la division des opprimés pour affaiblir leurs luttes, d’imposer de nouvelles souffrances, de nouveaux drames sociaux, humains et écologiques aux quatre coins du monde.

    Début mars, à l’occasion du tragique anniversaire de la catastrophe de Fukushima, des dizaines de milliers de Japonais et de Taïwanais sont descendus dans les rues pour dénoncer la politique pro-nucléaire de leurs gouvernements : encore une fois, c’est la course au profit, à travers l’avidité de la multinationale énergétique TEPCO, qui avait conduit à une des plus grosse catastrophe environnementale et humanitaire de tous les temps. Dans le contexte de crise, la compétition accrue entre grandes puissances pour les zones d’influence et le contrôle des marchés est aussi à l’origine d’un accroissement des conflits armés, dont l’intervention impérialiste au Mali n’est que le dernier exemple en date. Derrière le discours d’une France « libératrice » au Mali se cachent en effet des ambitions stratégiques dans une région riche en ressources, mais aussi un juteux business de guerre pour l’industrie militaire française.

    La lutte de masse à l’ordre du jour

    En contrepartie, ces dernières années ont vu des millions de travailleurs et de jeunes à travers le globe s’engager sur le chemin de la lutte de masse, des grèves, des manifestations, des sit-in, des occupations…

    • Le 2 mars, environ 1,5 million de personnes ont manifesté dans les rues du Portugal, sous le slogan “Que la Troïka aille se faire voir” : la plus importante mobilisation de l’histoire du pays.
    • Les 20 et 21 février, l’Inde a connu la plus grande grève de son histoire, plus de 100 millions de travailleurs paralysant l’économie du pays pour protester contre la hausse des prix, la précarité et les privatisations.
    • L’Afrique du Sud a été submergée par une déferlante de grèves sans précédent dans le secteur minier, chez les ouvriers agricoles, et dans d’autres secteurs encore, pour protester contre les bas salaires, contre les conditions de travail épouvantables, et contre le régime corrompu, anti-démocratique et pro-capitaliste de l’ANC.
    • La récente révolte dans le village de Shangpu dans le Sud de la Chine, où des paysans protestant contre la saisie de leurs terres ont tenu tête pendant plus de deux semaine aux autorités, est symptomatique de la colère et de l’agitation sociale de plus en plus audible contre la dictature du Parti “Communiste” Chinois.

    Les trois derniers exemples illustrent aussi que les pays du “BRICS” (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) n’offrent clairement pas une alternative viable pour la population de ces pays. Au contraire, là aussi, les masses se lèvent pour demander leur part d’une croissance ayant essentiellement profité aux riches.

    Une époque de révolutions et de contre-révolutions

    Tous les symptômes de bouleversements révolutionnaires majeurs sont en gestation, et cela dans quasiment toutes les parties du monde. Le seul élément manquant est une alternative politique de masse qui puisse organiser la classe ouvrière, la jeunesse et les pauvres autour d’un programme cohérent de transformation sociale. Cela est illustré par ce qui se passe aujourd’hui en Tunisie et en Egypte.

    Le renversement de Ben Ali et de Mubarak avait démontré la puissance du mouvement des travailleurs lorsque celui-ci se met en action de manière unie et décidée. C’est en effet la menace de paralysie de l’économie, l’entrée en scène des travailleurs salariés dans de puissants mouvements de grève, mettant directement en péril les intérêts des capitalistes et des grands propriétaires, qui avait poussé ces dictateurs vers la porte de sortie. C’est d’ailleurs aussi en grande partie la faiblesse d’un tel mouvement s’appuyant sur la force collective et unifiée de la classe ouvrière qui est à l’origine de l’impasse croissante du conflit en Syrie.

    Cependant, les nouveaux régimes arrivés au pouvoir au Caire et à Tunis ont rapidement dévoilé leurs vrais visages: celui de la contre-révolution. Sous leur règne, la pauvreté et le chômage ont franchi de nouveaux records. La montée de l’intégrisme religieux, l’exploitation économique, le mépris des élites et la violente répression contre tous ceux et toutes celles qui aspirent à un réel changement continuent plus que jamais.

    Après les premières victoires initiales, la suite des événements a mis en évidence le fait que l’esprit de sacrifice et toute la détermination du monde ne sont pas, en soi, des ingrédients suffisants pour aboutir à une victoire décisive pour la révolution. Si dans les deux pays, le potentiel pour une nouvelle vague révolutionnaire est bien présent, encore faut-il que celle-ci soit armée d’un programme et d’une stratégie clairs, visant à en finir pour de bon avec la vieille société, et à concrétiser les aspirations de la population à une vie meilleure.

    La Grèce, devenue un symbole de la résistance héroïque des travailleurs et des jeunes face à la thérapie de choc des politiques capitalistes, a connu dans les trois dernières années pas moins de 21 grèves générales de 24h, ainsi que trois de 48h. Pourtant, l’austérité continue plus que jamais : la répétition de grèves générales fort étalées dans le temps, sans objectifs bien précis, ne s’inscrivant pas dans un plan d’action à long terme visant à renforcer les mobilisations jusqu’à renverser le système en place, contribue à semer l’épuisement et le découragement plus qu’autre chose. La stratégie timorée des directions syndicales bureaucratiques a clairement montré ses limites: à l’heure d’un offensif tout azimut de la part des capitalistes, de telles demi-mesures ont autant d’efficacité que de jeter des verres d’eau sur un bâtiment en flammes. C’est pourquoi la reconstruction de syndicats de combat, organisés démocratiquement et dont les dirigeants sont responsables devant leurs membres, est une partie essentielle du processus nécessaire pour mener une lutte efficace contre l’offensive capitaliste.

    Quelle alternative ?

    La classe des travailleurs, alliée aux masses pauvres, aux petits paysans, et au dynamisme vital de la jeunesse, a clairement le pouvoir de transformer la société. Seule les travailleurs possèdent la puissance économique (au travers des mobilisations de masse, des grèves, des occupations d’entreprise) pour bloquer tous les canaux vitaux sur lesquels reposent la puissance et les instruments de violence des possédants.

    Mais « bloquer » la société ne suffit pas : il faut que les masses laborieuses se réapproprient les leviers stratégiques de l’économie, pour la reconstruire sur des bases nouvelles. Aboutir à un tel changement nécessite la construction d’une organisation capable d’unifier les diverses couches des masses en lutte, afin de les mener résolument à l’offensive et d’arracher le pouvoir des mains des capitalistes. Au travers de comités organisés sur les lieux de travail, les universités, dans les écoles et les quartiers, coordonnés à chaque niveau, et composés de représentants démocratiquement élus, les bases pourraient être posées pour une reprise en mains collective de la société au service de ceux qui la font véritablement tourner, et non des exploiteurs actuels. Le potentiel pour un tel changement, une révolution socialiste, n’est pas une utopie: il est contenu en germes dans les luttes et les aspirations des masses qui se mettent en mouvement aux quatre coins du monde contre les horreurs du système en place.

    Le socialisme signifie une société gérée démocratiquement par les travailleurs, où la production et ses fruits sont mis sous propriété publique et planifiés rationnellement et démocratiquement, en vue de satisfaire les besoins de chacun. Toutes les techniques, cultures, sciences et capacités productives modernes seraient ainsi mises ainsi au service de l’ensemble de la population, au lieu d’être monopolisées par une minorité qui s’enrichit toujours plus sur le dos de l’immense majorité des habitants de la planète.

    • A bas la dictature des marchés!
    • L’impérialisme hors du monde néocolonial ! A bas le FMI et tous ses plans de misère ! Répudiation du paiement de toutes les dettes, sans conditions !
    • Non aux privatisations ! Non aux coupes dans les services publics, non à l’austérité !
    • Pour le partage du temps de travail entre tous et toutes!
    • Pour une éducation et une santé gratuite et de qualité, pour un revenu minimum vital pour tous et toutes!
    • Stop au racisme, au sexisme, à la discrimination religieuse, à l’homophobie…Pour une lutte unifiée des travailleurs, des jeunes et des masses pauvres contre le capitalisme et l’impérialisme!
    • Pour la nationalisation des banques et des secteurs-clés de l’économie, sous le contrôle et la gestion démocratique des travailleurs et de la population
    • Pour un plan de production socialiste, déterminé démocratiquement en fonction des besoins sociaux, et respectueux de l’environnement !
    • Pour une société socialiste, débarrassé de l’exploitation, des guerres et de la misère !

    Qu’est-ce que le CIO ?

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) est une organisation internationale socialiste, qui lutte sans relâche pour les intérêts des travailleurs, des jeunes et des peuples opprimés à travers le monde. Nous disposons de partis, de groupes et de militants dans une cinquantaine de pays sur tous les continents, du Sri Lanka au Québec, du Kazakhstan au Chili. Le capitalisme est un système mondial; par conséquent, les travailleurs, les jeunes et les opprimés du monde entier ont besoin de s’unir à la même échelle pour le mettre à bas.

    Si vous voulez nous rejoindre ou disposer de plus d’infos: contactez nous via cwi@worldsoc.co.uk – 0021622837971 ou visitez notre site web: www.socialistworld.net – (www.socialisme.be ou www.gr-socialisme.org en francais)

  • Un Forum Social Mondial très politisé

    Le Forum Social Mondial (FSM) s’est déroulé à Tunis du 26 au 30 mars dernier, et a rencontré un succès inattendu. Près de 70.000 militants issus du monde entier s’étaient réunis en Tunisie, un choix des plus approprié. Et force est de constater que le processus révolutionnaire que connait le pays a conduit à une forte politisation.

    Rapport de Jeroen Demuynck, collaborateur de Paul Murphy au parlement Européen

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    Socialisme 2013. Dimanche prochain, à l’occasion du week-end "Socialisme 2013", un rapport de la situation actuelle en Tunisie sera livré par Nicolas Croes, rédacteur de socialisme.be et de notre mensuel, de retour de Tunisie.

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    Les militants tunisiens étaient bien entendu présents en masse, ce qui s’est ressenti au niveau des discussions politiques. Le processus révolutionnaire est toujours en cours en Tunisie. L’arrivée au pouvoir du parti islamiste conservateur Ennaha n’a conduit à la résolution d’aucun des problèmes qui furent à la base du soulèvement révolutionnaire. Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO, dont le PSL est la section belge) était présent avec des militants issus de six pays différents, et les idées marxistes révolutionnaires que nous défendons ont pu compter sur un large écho.

    Les organisateurs du FSM ont longtemps douté de la faisabilité de cette édition. Les forums précédents, depuis Porto Alegre au Brésil, avaient connu une participation limitée. Cette crainte a été partiellement confirmée par la participation limitée provenant d’Asie et d’Amérique latine. D’autre part, de nombreuses inquiétudes ont été alimentées par l’instabilité politique du pays, très certainement depuis l’assassinat politique de Chokri Belaïd, le célèbre opposant de gauche (voir notre article à ce sujet).

    La très forte participation au Forum, tout spécialement d’Afrique du Nord, est une indication que le processus révolutionnaire en Tunisie et dans la région se poursuit et continue à faire appel à l’imagination de nombreux militants de gauche, mais aussi bien au-delà. De nombreux militants de base tunisiens étaient là, l’UGTT (Union générale tunisienne du travail) avait environ 1.000 de ses militants présents. Malheureusement, certaines décisions des organisateurs ont eu un effet néfaste qui a conduit à des tensions entre des militants tunisiens et les organisateurs du FSM. Ainsi, les étudiants du campus universitaires avaient dû céder leurs logements à des participants du FSM, sans qu’ils n’en aient été avertis au préalable !

    Le processus révolutionnaire est loin d’être terminé

    Le sentiment dominant parmi les militants tunisiens est que la révolution est encore à achever. Le processus révolutionnaire se développe et est visible au travers de la forte polarisation politique qui prend place dans le pays. D’une part, la grande majorité de la population s’identifie à la révolution. Mais, deux ans après la chute de Ben Ali, la vie quotidienne reste marquée par de très nombreux problèmes. Le taux de chômage est monumental et toute une génération de jeunes n’a pas de perspectives d’avenir. Quant à ceux qui ont un emploi, ils travaillent souvent dans des conditions très précaires pour des salaires de misère, souvent inférieurs au salaire minimum officiel de 200 dinars (100 euros) par mois.

    D’autre part, il y a le gouvernement de coalition dirigé par les islamistes réactionnaires du parti Ennahda et les puissances capitalistes nationales et étrangères qui veulent défendre les intérêts de l’élite. Depuis son arrivée au pouvoir, Ennahda n’a fait qu’appliquer une politique similaire à celle qui prévalait sous le règne du dictateur déchu : encore et toujours la politique néolibérale. Le gouvernement a récemment signé un prêt d’environ 1,35 milliards d’euros avec le Fonds Monétaire International. En contrepartie, le gouvernement a promis d’abolir les subsides d’Etat pour la nourriture et l’essence alors que les prix des denrées alimentaires ont déjà fortement augmenté jusqu’à présent. Pendant ce temps, de nombreuses entreprises sont parties à l’offensive contre les salaires et les conditions de travail.

    La façade ‘‘démocratique’’ du gouvernement s’effondre face à son incapacité de répondre aux aspirations sociales et aux revendications de la population. La lutte de classe se développe, et la riposte des autorités se limite à une répression de plus en plus brutale, y compris à l’aide des Ligues de Protection de la Révolution, des milices réactionnaires islamistes radicales qui agissent comme "mercenaires" pour Ennahda.

    L’assassinat de Chrokri Belaid est à considérer dans ce cadre. Mais la réponse du mouvement des travailleurs, venus en masse assister à son enterrement, fut une grève générale de 24 heures dans tout le pays. Les revendications de la fédération syndicale UGTT ont malheureusement été limitées à la condamnation de la violence politique. Cette grève aurait pu être utilisée pour développer un plan d’action vers la chute du gouvernement.

    Un tel plan disposerait d’un vaste soutien dans la société. Un jeune militant nous a ainsi exprimé sa détresse en déclarant que ‘‘nous n’allons tout de même pas nous laisser voler notre révolution.’’ Ce sentiment est largement partagé, et se reflète en partie dans le score élevé obtenu par le Front populaire, une alliance de partis et d’organisations de gauche qui a déjà obtenu dans les 20% dans plusieurs sondages. Mais en raison de l’absence d’une stratégie claire de la part de l’UGTT et du Front Populaire pour aller de l’avant, beaucoup de jeunes et de militants sont à la recherche de moyens pour accélérer le processus révolutionnaire.

    La soif d’idées révolutionnaires

    Cette quête d’idées pour renforcer et accélérer le processus révolutionnaire – jusqu’à la question du contrôle des moyens de production et du socialisme démocratique – a été illustrée par l’intérêt qu’ont pu susciter nos divers tracts et notre matériel politique. Dès le premier jour du FSM, la quasi-totalité de nos journaux, livres et brochures avaient disparu. Quant à nos tracts (l’un portant sur la situation en Tunisie, l’autre présentant le CIO, tous deux disponibles en arabe, en français et en anglais), ils ont été pris avec enthousiasme.

    Le va-et-vient fut constant à notre stand tout au long du FSM. Souvent, des gens revenaient après avoir lu notre matériel politique afin d’en discuter avec nos militants. Ces discussions ont pu être très poussées politiquement, l’intérêt était grand pour l’idée de vagues de grèves de 24 heures successives jusqu’à la chute du gouvernement et son remplacement par un gouvernement des travailleurs, des jeunes et des pauvres. L’essentiel de nos discussions ont porté sur la stratégie à adopter pour rompre avec le système capitaliste et passer à l’instauration d’une société socialiste démocratique. Il n’était donc pas uniquement question de renverser ce gouvernement pourri, mais aussi de construire un système fondamentalement différent. Cela a créé une dynamique et une ambiance animées à notre stand, avec de petits meetings spontanés réunissant de petits groupes de passants autour de l’un de nos militants. Notre meeting consacré à la lutte internationale contre le capitalisme a pu compter sur une présence de 80 participants, malgré la difficulté de trouver la salle. Ce meeting a également été diffusé en direct sur le site du FSM, et 1.200 personnes y ont assisté virtuellement.

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière fera tout son possible pour accroître sa présence dans la région et pour aider à y construire un mouvement révolutionnaire conséquent armé d’un programme socialiste.

  • Tunisie : Action de protestation en soutien au camarade Abdelhak Laabidi, militant de la LGO

    Abdelhak Laabidi, militant de la LGO (Ligue de la Gauche Ouvrière), s’est vu accusé à tort d’avoir incendié le local du parti au pouvoir, Ennahda, dans la ville de Beja (Nord-Ouest). Quand on ne tait pas des militants trop bruyants avec des balles, le pouvoir judiciaire – encore fortement dépendant de l’exécutif depuis l’époque de Ben Ali – est utilisé pour tenter de les jeter en prison.

    Par Samy Ben Rezgui

    Le 3 avril 2013, une action en soutien à Abdelhak Laabidi a eu lieu sous la bannière de la coalition de gauche du « Front Populaire ». Cette action fut aussi une action de protestation contre le système et son injustice. Toutes les Béjoises et tous les Béjois savent qu’en vérité, ce sont des jeunes mal encadrés qui, en réaction à l’assassinat de Chokri Belaid le 6 février, ont incendié ce fameux local – ce qui s’est d’ailleurs vu dans de nombreuses villes du pays autres que Beja.

    L’action s’est déroulée en 2 volets :

    • une action devant le tribunal de première instance en soutien à Abdelhak ;
    • une seconde action devant la mairie, dans le cadre de l’action « Qui a tué Chokri ??? », réclamant les commanditaires du meurtre de Belaïd.

    Les militants du Front, ainsi que des membres du syndicat des travailleurs de la santé, étaient au début au nombre de 70. Peu à peu, beaucoup d’habitants de Béja ont afflué et se sont rapprochés, au début timidement. Vers la fin de l’action, on s’est retrouvé à plus de 200 personnes !

    En plus de subir les attaques du nouveau pouvoir, notre camarade Abdelhak Laabidi vit toujours dans l’injustice causée par le régime de Ben Ali. En 2007 en effet, il s’est vu éjecter de son domicile avec sa femme et ses deux fils, en pleine période d’examen, pour la raison fallacieuse d’habiter une maison d’ancien colons, alors que c’est chose commune en Tunisie.

    Après la chute de Ben Ali, Abdelhak a réoccupé sa maison de force. Il vit toutefois dans des conditions déplorables, sans eau courante ni électricité, et l’administration nahdhaouie, à la place de redonner une vie digne à Abdelhak – un militant de longue date et un des artisans de la révolution tunisienne – ne déploie aucun effort dans ce sens. Abdelhak continue de subir les travers de la bureaucratie administrative et le mépris du pouvoir en place, et cela dans un pays où il y a eu une révolution et où l’une des principales revendications était la dignité…

    Le CIO et ses sympathisants en Tunisie tiennent à apporter leur pleine solidarité au camarade Abdelhak dans son combat.

  • 10 ans après le début de la guerre en Irak

    La moisson impérialiste de la mort et la destruction

    Il y a dix ans de cela, sous la dénomination, la coalition dirigée par les États-Unis attaquait l’Irak. Malgré une énorme opposition publique, symbolisée par dix millions de manifestants anti-guerre à travers le monde le 15 et 16 février 2003, la campagne ‘‘choc et effroi’’ de bombardement débuta le 20 mars suivie, quelques heures plus tard, de l’invasion territoriale.

    Par Niall Mulholland, Socialist Party (CIO Angleterre et Pays de Galles)

    L’énorme force militaire envahissait une population qui avait souffert de 35 ans de dictature sous Saddam Hussein, de la guerre du Golfe de 1991, et de 13 ans de sanctions cruelles des Nations Unies, qui ont détruit l’économie irakienne, réduit des millions de gens à la pauvreté et couté de un demi-million à un million de vies irakiennes.

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    ‘‘Ravager, massacrer, usurper sous de faux noms, ils appellent cela l’empire ; et, où ils ont fait un désert, ils disent qu’ils ont donné la paix.’’ Caius Cornelius Tacitus (Tacite, 56-117), historien romain.

    La fiction des armes de destruction massive

    La guerre de 2003 fut « justifiée » par un torrent de propagande et de mensonges émanant de Washington et de Downing Street, relayé par la complicité de l’appareil médiatique de droite.

    Le président Bush accusait alors le dictateur irakien, Saddam Hussein, de tenter d’acquérir de l’uranium pour développer des « armes de destruction massive ». Le secrétaire d’État américain, Colin Powell, annonça aux Nations Unies que l’Irak se munissait de capacité d’armes biologiques. Tony Blair, le premier ministre anglais du Labour Party, proclama que les armes de destruction massive irakiennes pouvaient être prêtes à être utilisées « dans les 45 minutes ». Saddam fut aussi accusé de soutien à Al-Qaida.

    Tout ceci n’était que mensonges. Très vite après l’invasion, les forces occupantes ne purent apporter les preuves d’existence des armes de destruction massive de Saddam ou des liens entre l’ancien régime de Saddam et le « terrorisme ». En fait, ce fut l’occupation qui causa le ressentiment qui permit à la terreur d’Al-Qaida de s’installer en Irak.

    A la veille du 10ème anniversaire de la guerre, l’ancien premier ministre déclarait encore à la BBC : « Quand vous me demandez si je pense aux pertes de vie depuis 2003, bien sûr. Je serais inhumain de ne pas le faire, mais pensez à ce qui serait arrivé si on avait laissé Saddam en place. »

    Les commentaires habituels de Blair ne s’attachent pas à l’énorme coût humain de la guerre. Selon plusieurs études ; de 2003 à 2011, de 150.000 à 400.000 irakiens ont violemment perdu la vie. The Lancet, journal médical réputé, a estimé un chiffre encore plus gros de 600.000 morts violentes entre 2003 et 2006 seulement. Ajouté à cela, il y a des milliers d’irakiens qui sont toujours portés disparus et des milliers d’américains, d’anglais et d’autres soldats de la coalition militaire qui ont péris ou ont été sévèrement blessés.

    La moisson de la mort en Irak a laissé 2 millions de veuves qui doivent, seules, rapporter le pain dans leur foyer et 4 à 5 millions d’orphelins (dont 600.000 qui vivent dans les rues). La guerre a poussé 4 millions de personnes à fuir, dont 1 million vers la Syrie. 1,3 millions d’irakiens ont dû fuir ailleurs en Irak. Depuis 2008, de ceux-ci, seule 1 personne sur 8 de a pu rentrer chez elle.

    L’aventure irakienne de Bush et Blair a également eu un énorme coût pour l’économie américaine. Selon l’économiste Joseph Stiglitz, ancien chef de la Banque Mondiale, cela a prélevé 3 trillions de dollars hors de l’économie américaine. Alors qu’il y a toujours des fonds pour mener des guerres à l’étranger pour le compte des profits et des intérêts commerciaux, les travailleurs anglais et américains voient leur niveau de vie tomber dramatiquement.

    Les justifications de Blair continuent

    Les interviews de Blair n’arrivent pas à lui faire avouer les véritables raisons de l’invasion. A la place de la guerre d’agression impérialiste, c’est « l’intervention humaniste » et les tentatives de Blair et de Bush d’exporter la démocratie libérale de type occidentale au Moyen Orient qui est présentée.

    Les classes dirigeantes internationales étaient divisées quant à l’Irak. Les pouvoirs mondiaux et régionaux étaient craintifs quant aux conséquences de l’invasion et aux gains que les États-Unis allaient se faire sur leur dos. Les néo-conservateurs de Bush ont tout de même poussé à la guerre.

    Les impérialismes américain et britannique, qui avaient précédemment soutenu Saddam, ne sont pas partis en guerre pour arrêter l’oppression, introduire des droits démocratiques ou améliorer les niveaux de vie.

    Pendant des décennies, le régime sadique de Saddam a tué et terrorisé les irakiens tout en profitant du soutien occidental. Après le renversement d’un autre despote favori des occidentaux, le Shah d’Iran, l’occident encouragea Saddam à envahir son voisin. Des millions de personnes périrent ou souffrirent de terribles blessures à la suite de cette guerre qui dura 8 années.

    Mais Saddam, en envahissant le Koweït voisin en 1991, est allé à l’encontre des intérêts des impérialistes occidentaux. Le potentiel qu’avait Saddam de contrôler l’approvisionnement vital en pétrole a terrifié les pouvoirs occidentaux qui ont très rapidement constitué une force militaire massive.

    Lors de la première guerre du Golfe, la coalition menée par les États-Unis a vite repris le petit État riche en pétrole mais fut arrêtée aux frontières irakiennes. Peu d’intérêt fut porté à l’opposition à Saddam en 1991. Les forces militaires occidentales croisèrent les bras alors qu’un soulèvement des chiites et des kurdes fut brutalement réprimé par le dictateur.

    Exploitant cyniquement l’attaque terroriste atroce d’Al-Qaida du 11 septembre 2001, la Maison Blanche et Downing Street ont avidement sauté sur l’opportunité d’une intervention militaire directe pour renverser Saddam et pour imposer un régime docile pro-occidental.

    S’emparer du contrôle des réserves abondantes de pétrole irakien, estimé à 9% du total mondial, était un objectif clé pour l’impérialisme américain, en tant qu’intérêts géostratégiques vitaux dans le Moyen-Orient.

    Peut-être était-ce pour éviter que ces véritables intentions ne deviennent de notoriété publique que le Cabinet a insisté pour que le rapport Chilcot publié tardivement ne contienne aucune preuve évidente qui pourrait révéler de quoi discutaient Bush et Blair avant l’invasion.

    Appui aux dictateurs

    Avant la première guerre du Golfe et les années de sanction, le taux d’alphabétisation en Irak dépassait les 90%. 92% des irakiens avaient accès à l’eau potable et 93% bénéficiaient de soins de santé gratuits.

    En 2011, après l’occupation impérialiste, 78% des adultes sont instruits et 50% de la population vit dans des bidonvilles (17% en 2000).

    Plus d’un million d’irakiens sont exilés à travers l’Irak. Près de la moitié des 400.000 réfugiés dans la capitale (personnes déplacées victimes de la terreur sectaire) vivent dans la misère des bidonvilles.

    Selon la Banque Mondiale, un quart des familles irakiennes vit sous le seuil de pauvreté. Moins de 40% des adultes disposent d’un emploi. Des millions de personnes manquent d’électricité, d’eau potable et d’autres services essentiels.
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    Bush et Blair n’ont pas été confrontés à la justice pour leurs crimes de guerre irakiens. La Cour pénale internationale, tout comme les Nations Unies, est dominée par les intérêts des Etats-Nations les plus puissants. Seuls les anciens despotes et les seigneurs de guerre des Balkans et d’Afrique, qui s’étaient confrontés à l’impérialisme, ont été poussés devant la Cour à La Haye.

    Parmi toutes ses justifications pour ses massacres de guerre, Blair a demandé « Si nous n’avions pas retiré Saddam du pouvoir, pensez juste, par exemple, ce qui serait arrivé si les révolutions arabes s’étaient poursuivies à l’heure actuelle et que Saddam, qui est probablement 20 fois pire qu’Assad en Syrie, essayait d’écraser un soulèvement en Irak ?

    Il est incontestable que Saddam était un tyran brutal et que son régime a massacré de nombreuses personnes dont des communistes et des syndicalistes. Mais l’ancien premier ministre n’a aucun problème avec les dictateurs en-soi. Les associés de Tony Blair conseillent aujourd’hui le despote du Kazakhstan, Nazarbayev, le boucher des travailleurs du pétrole en grève. Et l’Irak « libérée » de Blair est actuellement dirigée par le Premier Ministre Nouri al-Maliki, que même le journal de droite The Economist accuse de « tendances dictatoriales ».

    L’invasion de 2003 a considérablement augmenté parmi les arabes le sentiment d’humiliation et d’injustice vis-à-vis de l’impérialisme. Cela a été un facteur important qui a conduit aux révolutions de 2011 contre les dictateurs soutenus par l’occident dans le Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Tout comme cela a semé la colère contre l’absence de droits démocratiques, le chômage de masse et la pauvreté dans ces sociétés.

    Le « Printemps arabe » ne justifie pas du tout l’aventure néocoloniale de Blair mais confirme en fait nos positions dans le déroulement de la guerre en Irak : que le renversement du tyrannique Saddam était la tâche de la classe ouvrière irakienne par un mouvement de masse unifié.

    Fin 2010 et début 2011, le renversement des proches alliés de l’occident, Ben Ali et Moubarak – qui étaient des dictateurs soi-disant « imprenables » tout comme Saddam – a montré que c’est aussi une voie d’action possible pour les masses irakiennes.

    « Résoudre le conflit israélo-palestinien ? »

    John Prescott, Vice-Premier ministre du Royaume-Uni (Labour) en 2003, aujourd’hui Lord Prescott, a admis récemment à la BBC que l’invasion de l’Irak en 2003 « ne pouvait être justifiée ». Il a déclaré avoir soutenu l’invasion parce qu’il croyait que George Bush avait un plan pour résoudre le conflit israélo-palestinien.

    Bush et Blair ont proclamé que la défaite de Saddam Hussein pouvait être une impulsion pour un nouveau plan pour la paix en Israël et en Palestine. Mais comme nous l’avions prévu en 2003, l’oppression des palestiniens allait continuer sans relâche après l’invasion irakienne. Pour ses propres intérêts impérialistes géostratégiques, les États-Unis continuent de soutenir Israël, son plus proche allié dans la région, pendant que l’indépendance et l’auto-détermination palestiniennes sont plus éloignées que jamais.

    Dans une interview accordée à l’édition nocturne de la BBC, Blair a consenti que « la vie quotidienne en Irak aujourd’hui n’est pas ce qu’il souhaitait qu’elle soit » quand il a mené son invasion dix ans plus tôt. Il poursuivait en disant qu’il y avait des « améliorations significatives » mais que « c’était loin d’être ce que ça devait être ».

    C’est un euphémisme ! Nous nous sommes résolument opposé à l’intervention impérialiste en 2003 et prédisions très justement que cela mènerait à l’oppression et au chaos – ouvrant les portes à une conflit sectaire – et que l’impérialisme serait englué dans un long conflit.

    La politique impérialiste de dé-Baasification du régime de Saddam largement basé sur les sunnites et la dislocation de l’armée irakienne, a entraîné des purges sectaires des sunnites. Cela a enflammé la résistance de ceux-ci.

    L’occupation coloniale brutale, incluant la torture et l’abus systématique des civils dans les prisons comme celle d’Abu Ghraib, le siège de la ville de Falloujah et le massacre de combattants de la résistance et de beaucoup de civils dans des villes comme Haditha et Balad, ont provoqué une opposition de masse croissante – non exclusivement sunnite – contre l’occupation menée par les États-Unis. Le sentiment anti-guerre a grandi aux États-Unis, en Angleterre et partout dans le monde.

    En dépit de son impressionnante machine militaire et de son trésor de guerre, la coalition fut incapable d’écraser la résistance et a recouru à la technique de « diviser pour mieux régner ». Ils ont soutenu les chiites contre les sunnites, créant une orgie de sang.

    Conséquences

    En 2004, selon des enquêtes du Guardian et de la section arabe de la BBC, l’administration Bush s’est tournée vers « l’option salvadorienne » – nommée ainsi suite au rôle joué par les États-Unis dans la gestion des escadrons de la mort d’extrême droite au Salvador dans les années ‘80. Les milices chiites ont été armées et financées par les États-Unis. Des centaines de milliers d’irakiens ont été tués et des millions exilés par la suite. Les sunnites furent les grands perdants de la guerre civile sectaire.

    Une constitution imposée par les États-Unis a institutionnalisé les divisions sectaires et ethniques. Les élections en 2005 ont vu les partis chiites remporter la majorité au parlement et le poste de premier ministre.

    Une classe dirigeante corrompue et réactionnaire et des partis politiques sectaires se battent pour les ressources naturelles irakiennes pendant que la majorité de la population vit dans la pauvreté. Bien que l’Irak dispose de 100 milliards de dollars annuels en revenus pétroliers, très peu de cet argent est alloué à la population. L’Irak est le 8ème pays le plus corrompu au monde selon Transparency International.

    La Capitale Bagdad, qui héberge un cinquième des 33 millions d’irakiens, est toujours une ville en guerre, divisée par les postes de contrôle militaires et en proie aux attentats sectaires. Bagdad et le centre du pays souffrent quotidiennement de bombardements, d’assassinats et d’enlèvements.

    L’héritage de Bush et de Blair comprend un quintuplement des malformations congénitales et une multiplication par quatre du taux de cancer dans et autour de Falloujah. Ce sont des conséquences de l’utilisation par les forces de la coalition de munitions radioactives appauvries en uranium.

    Les politiciens occidentaux aiment différencier Bagdad à la paix relative qui règne dans la région kurde riche en pétrole et dans les provinces majoritairement chiites. Mais ce n’est qu’illusion.

    Les chiites dans le sud sont relativement protégés car une communauté domine largement. Le chômage y est cependant élevé et la plupart des chiites vivent encore dans une pauvreté effroyable.

    Les Kurdes

    Des tensions entre les Kurdes, les Arabes et d’autres minorités sont toujours présentes dans le gouvernement régional kurde semi-indépendant. Au grand dam du gouvernement central de Bagdad, le régime kurde a conclu 50 accords pétroliers et gaziers avec des compagnies étrangères et exporte directement du pétrole en Turquie.

    Après des décennies d’oppression brutale, beaucoup de Kurdes espèrent pouvoir obtenir une véritable auto-détermination. Mais le gouvernement régional kurde est entouré d’états qui ont une longue histoire dans l’oppression kurde. Les dirigeants réactionnaires kurdes se sont alliés aux États-Unis et à la Turquie, qui fut l’un des pires auteurs de leur oppression.

    Un élément indicateur du conflit grandissant autour du pétrole et des territoires entre le gouvernement régional turc et le régime central irakien est l’affrontement entre les combattants peshmerga kurdes et les troupes irakiennes.

    Le retrait de Saddam n’a pas transformé le monde en « un lieu sûr » comme l’avaient promis Bush et Blair. Dans les faits, le monde est devenu encore plus violent et instable. Saddam ne possédait pas d’armes de destruction massive mais, après l’invasion de 2003, les « Etats voyous », comme la Corée du Nord, ont conclu que le seul moyen d’arrêter les attaques menées par les États-Unis contre eux était d’acquérir ces armes.

    Malgré la déroute de l’impérialisme en Irak, les États-Unis et la Grande-Bretagne continuent de mener des conflits partout dans le monde pour servir leurs intérêts vitaux. Tentant de maintenir une distance avec la guerre de Blair, Ed Miliband a déclaré que la guerre en Irak avait été une erreur mais il continue à soutenir les troupes britanniques en Afghanistan et ne plaide pas pour la fin des frappes de drones américains.

    La guerre de 2003 et l’occupation ont eu des conséquences à long terme pour la région. Installer des forces occidentales en Irak visait à isoler et à encercler davantage l’Iran. Mais Téhéran a compris qu’elle avait une influence sur le gouvernement irakien dominé par les chiites et « l’arc chiites » a été renforcé.

    En partie pour contrer l’Iran, les États réactionnaires du Golf et l’impérialisme occidental sont intervenu en Syrie, exploitant l’opposition sunnite à Assad. Le conflit syrien se répercute au Liban et en Irak, ou un « Printemps sunnite » a vu des manifestions d’opposition de masse dans les zones sunnites.

    Révolution

    La majorité des irakiens ne veulent pas être replongés dans les horreurs de la guerre civile. Mais pour empêcher d’autres conflits, pour en finir avec l’interférence impérialiste et pour se débarrasser des élites dirigeantes réactionnaires et corrompues, les travailleurs ont besoin d’une alternative.

    L’Irak avait une gauche forte jusqu’à ce qu’elle soit écrasée par la CIA dans les années ‘60 et par le régime de Saddam par la suite.

    La plus importante leçon de cette tragédie et des horreurs de la dernière décennie est la nécessité pour les travailleurs d’avoir un parti de classe indépendant pour lutter pour leurs intérêts. Un tel parti revendiquerait la nationalisation des richesses pétrolières, sous la propriété publique démocratique au bénéfice de la population.

    Comme les révolutions de 2011 en Égypte et en Tunisie l’ont montré, des luttes de masse peuvent se développer contre les tyrans et, malgré les limites du mouvement, peuvent les démettre du pouvoir. Mais pour parvenir à un véritablement changement de société, les travailleurs ont besoin d’un programme socialiste dans chaque pays, régionalement et internationalement.

  • Tunisie: Non à Larayedh, ministre de la chevrotine! A bas Ennahdha! Pour la chute du système!

    La colère du peuple tunisien est profonde. Alors que l’élite politique a échoué à ne fut-ce que commencer à résoudre les problèmes quotidiens du plus grand nombre, et cela après plus de 14 mois au pouvoir, l’assassinat de Chokri Belaïd le 6 février a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, exaspérant l’ensemble du pays et poussant de ce fait le gouvernement haï d’Ennahdha dans ses retranchements.

    Par des partisans du CIO en Tunisie

    Le pays traverse désormais sa plus grave crise politique depuis la chute de Ben Ali. Les manœuvres par le Premier ministre Hamadi Jebali de former un gouvernement de soi-disant «technocrates» étaient destinées, comme Jebali l’a d’ailleurs dit lui-même explicitement, à «estomper la colère populaire», et à redonner de la marge de manœuvre au parti dominant, en perte de vitesse. Cependant, mardi, Jebali a annoncé l’échec de ces tentatives et sa démission, face à l’opposition de son propre parti à lâcher les postes ministériels-clé qu’il contrôle.

    Maintenant, la nouvelle mascarade d’Ennahdha est de resservir, encore, du neuf avec du vieux, en nommant son ministre de l’Intérieur, Ali Larayedh, comme nouveau chef de gouvernement. Il ne s’agit rien de moins que d’une pure provocation. Ali Larayedh a chapeauté le "ministère de la terreur" depuis plus d’un an, responsable d’abus et de violences systématiques par les forces de l’ordre, cette même flicaille aux ordres qui, rodées aux méthodes apprises sous Ben Ali, n’a répondu aux griefs et aux attentes de la population qu’a coups de matraques, de tortures, de gaz lacrymogènes et même de chevrotine, comme cela s’est passé lors du soulèvement dans la région de Siliana en décembre dernier.

    Cette nouvelle manœuvre politique montre, s’il le fallait encore, que les pourris d’Ennahdha ne lâcheront pas le pouvoir aussi facilement. Le parti, qui depuis plus d’un an, s’est attelé a placer ses pions un peu partout dans l’appareil d’Etat, dans les médias, dans les administrations, ne va pas s’en aller sans une lutte d’arrache-pied imposée par la rue.

    Ceci dit, les événements des dernières semaines ont donné une nouvelle indication, et non des moindres, de ce qui est possible d’accomplir par la mobilisation de masse, pour autant que celle-ci soit soutenue et armée d’une stratégie claire pour en finir avec le pouvoir actuel. En effet, malgré les tentatives désespérées de donner l’image du contraire, les racines de la crise institutionnelle actuelle résident dans la résistance de masse à laquelle le gouvernement dirigé par Ennahdha est confronté depuis des mois et des mois par le mouvement ouvrier organisé, par la jeunesse, les femmes, les pauvres des zones urbaines, les paysans, les chômeurs, les petits commerçants, etc. Cette résistance a atteint son paroxysme avec l’explosion de colère qui a secoué le pays le 8 février dernier, lorsqu’une grève générale d’une ampleur historique a secoué le pays, et que plus d’un million de personnes sont descendues dans les rues de Tunis et d’autres villes afin de commémorer la mort de Chokri Belaïd.

    Le bilan d’Ennahdha

    Le pouvoir d’Ennahdha a reproduit tous les mécanismes qui ont poussé les masses tunisiennes vers la route de la révolution il y a un peu plus de deux ans. Quand les masses se sont soulevées contre Ben Ali, l’un de leur principal slogan était: «Le travail est un droit, bande de voleurs». Depuis lors, plus de 200.000 personnes se sont rajoutées à la liste déjà longue des sans-emploi, malgré les prétentions d’Ennahdha de créer 500.000 emplois durant son mandat.

    Contrastant avec toutes les promesses vides du pouvoir en place, les régions du Sud et du Centre-Ouest du pays continuent à s’enfoncer dans une spirale de misère extrême, dans certains cas dépourvus des infrastructures les plus élémentaires.

    La hausse continue des prix des produits alimentaires (qui ont enregistré une augmentation globale de 8,4% en l’espace d’un an) poussent la survie quotidienne et le rationnement à la limite du supportable pour de nombreuses familles pauvres. Et c’est dans ces conditions déjà extrêmes que la clique au pouvoir a récemment décidé l’augmentation du prix des carburants, du tabac et de l’électricité, un nouveau hold-up sur les poches déjà vides des Tunisiens, plutôt que de s’attaquer aux intérêts des grosses entreprises et des spéculateurs qui s’enrichissent a partir de la misère généralisée.

    De nombreux parents demeurent jusqu’à ce jour dans l’ignorance des personnes responsables de la mort de leurs enfants tués sous les coups des balles de la machine répressive de Ben Ali, tandis que des dizaines de blessés continuent de souffrir en attendant désespérément des traitements médicaux appropriés.

    A cela se sont ajoutés l’étouffement systématique des droits démocratiques, les attaques contre la culture et contre la liberté d’expression. Tout au long de l’année dernière, les tribunaux ont appliqué des lois répressives datant de la dictature de Ben Ali afin de persécuter ce que le gouvernement considère comme nocif pour les «valeurs, la moralité ou l’ordre public, ou visant à diffamer l’armée.»

    Des gangs salafistes ont également participé de manière répétée à de violentes attaques contre tout ce qu’ils considèrent comme incompatible avec leur version rétrograde de l’Islam, bénéficiant, pour ce sale boulot, de la complaisance, voire de la collaboration directe, de certaines factions d’Ennahdha, utilisant ces milices salafistes ainsi que les "Ligues de Protection de la révolution" comme troupes auxiliaires de leur contre-révolution rampante.

    Les affrontements perpétrés par des milices armées d’Ennahda contre le syndicat UGTT à Tunis en décembre dernier ont abouti à la création d’une commission d’enquête. Mais comme celle qui avait été mise en place suite à la répression policière sauvage de la manifestation du 9 avril dernier a Tunis, cette commission n’a rien fait pour traduire les auteurs de ces actes en justice; elle a au contraire été essentiellement utilisée pour couvrir leurs abus.

    Les décisions politiques concernant le sort de millions de personnes sont quant à elles canalisées dans les hautes sphères du pouvoir entre Carthage, La Kasbah, Le Bardot et Montplaisir, à l’abri des regards et du contrôle de tous ceux et toutes celles qui ont fait la révolution, autrement dit, de tous ceux et toutes celles qui ont contribué, par leurs sacrifices et leur lutte héroïque, à mettre cette clique assassine et corrompue la ou elle est.

    En bref, tous les objectifs essentiels de la révolution restent non seulement sans réponse, mais sont mis en péril par les aspirants à l’imposition, de fait, d’une nouvelle dictature.

    Mais celle-ci est aussi d’ordre économique. Ennahdha, tout comme Nida Tounes (un repère de vieux destouriens et de partisans de l’ancien régime), défendent tous deux les impératifs de la classe patronale, des multinationales occidentales implantées en Tunisie, et des institutions créancières internationales, lesquelles poussent a réintroduire les "normes" économiques d’autrefois, celles qui ont permis à une clique de parasites de s’enrichir en saignant à blanc les travailleurs et le peuple tunisiens.

    Ces institutions capitalistes ne chôment d’ailleurs pas: pendant que toute l’attention des médias est portée vers les magouilles en cours dans la classe politique, le FMI poursuit ses "négociations" avec les autorités tunisiennes afin d’octroyer un "prêt" d’une valeur de 1,78 milliard de dollars qui, comme tous les prêts du FMI, sera conditionné à de nouvelles mesures drastiques d’appauvrissement de la population: réduction des salaires et licenciements dans la fonction publique, nouvelles privatisations, diminution des subventions sur les produits de base,…

    La Nahdha a échoué.. Qu’elle dégage!

    Il n’y a pas de meilleur exemple du discrédit du parti au pouvoir et de l’érosion de sa base sociale que les deux manifestations que ce parti a organisé récemment dans le but, précisément, de prouver le contraire. La dernière en date, organisée une semaine après la grève générale, était sensée être une de leur plus grande démonstration de force, certains dirigeants d’Ennahda prédisant même "une marche d’un million". Le parti avait mobilisé pour ce faire tous ses réseaux de soutien, amenant des bus de supporters des quatre coins du pays, pour en faire un succès. Des biscuits au chocolat furent même distribués aux gens présents pour rendre l’événement plus attractif. Pourtant, pas plus de 15.000 personnes se montrèrent pour l’occasion!

    Ce genre d’exemples constitue une gifle au visage de tous les commentateurs cyniques qui avait prévu, lors des élections d’octobre 2011, un "triomphe islamiste" clôturant le chapitre des espoirs révolutionnaires, et plongeant le pays dans un hiver long et sombre de réaction fondamentaliste. Si le danger de la réaction islamiste est loin d’être hors du jeu, il est clair que les mobilisations de rue survenues immédiatement après la mort de Chokri Belaïd ont démontré d’une manière limpide de quel côté pèse encore le rapport de forces pour le moment. La révolution n’est pas finie: partout, la tâche du moment doit être de se préparer pour le ‘deuxième round’!

    Les tâches de la gauche, le rôle du Front Populaire et de l’UGTT

    La classe ouvrière et la jeunesse tunisienne disposent encore de réserves de force insoupçonnées, qui ont plus d’une fois surpris même certains des commentateurs les plus avertis. Cet état de fait, cependant, ne doit pas être considéré comme définitivement acquis. L’aptitude de la gauche à saisir les opportunités ouvertes sera soumise à rude épreuve dans les semaines et mois à venir. Si l’énergie des masses n’est pas canalisée dans un programme clair d’action révolutionnaire, celle-ci pourrait se dissiper ou se perdre dans des explosions de colère localisées et désordonnées, le vent pourrait tourner rapidement, et un climat potentiellement favorable pourrait être perdu pour toute une période historique. La tergiversation ou la passivité dans cette situation risque de jouer le jeu de l’ennemi, lui donnant de nouveaux répits pour rassembler ses forces et contre-attaquer.

    En particulier, les couches de la population pauvre les plus opprimées et désespérées, si elles ne voient aucun espoir sérieux et radical provenant du mouvement syndical et de la gauche organisée, pourrait devenir la proie de démagogues réactionnaires du type salafiste ou autres. Le meurtre de Chokri Belaïd doit en ce sens servir d’avertissement sur le fait que ces groupes ne reculeront devant aucune méthode pour briser le cou de la révolution. La descente du pays dans une spirale de violence, avec des éléments de guerre civile larvée, pourrait prendre le dessus si la lutte révolutionnaire pour transformer la société n’est pas menée jusqu’à sa fin, et si les tentatives des fondamentalistes pour perpétrer leurs crimes contre la gauche et contre les «mécréants» n’est pas contrecarrée par une lutte de masse et unifiée des travailleurs, de la jeunesse et des pauvres.

    L’immense force du mouvement syndical tunisien, qui n’a d’équivalent dans aucun pays de la région, doit être utilisée à plein pour imposer sa marque sur la situation. Pour cela, une trajectoire radicalement différente de celle offerte jusqu’a présent par la direction nationale de l’UGTT est urgemment nécessaire. Une chose doit être absolument claire: chercher à éviter une confrontation pourtant inéluctable avec le pouvoir en place courre seulement le risque de l’avoir quand même, mais dans des conditions bien plus défavorables pour le camp de la révolution.

    L’absence de plan d’action offert par l’UGTT pour poursuivre et renforcer les mobilisations a la suite du succès indéniable de la grève générale du 8 février est, dans ce sens, le genre d’épisode à ne pas reproduire. De plus, comme lors de la grève générale avortée de décembre dernier, la limitation des mots d’ordre au "refus de la violence" et à la dissolution des "milices parallèles" est bien en-dessous des enjeux du moment: en effet, c’est bien du futur de la révolution pour l’emploi, la liberté et la dignité dont il est question.

    De surcroit, la dissolution effective de ces milices ne proviendra pas de mesures administratives prises par en-haut (le pouvoir ne sciera pas la branche sur laquelle il est assise), mais bien d’une mobilisation de tous les instants, couplée a l’organisation et a la coordination de groupes d’auto-défense composés de syndicalistes, de jeunes révolutionnaires et de tout ce que la révolution compte de forces vives, afin de faire face efficacement a la violence croissante de la réaction.

    Beaucoup de travailleurs et de jeunes ont leurs yeux tournés vers la coalition de gauche du Front Populaire. Cependant, depuis la grève du 8 février, la direction du Front n’a fourni aucun véritable mot d’ordre mobilisateur. Ses appels répétés à des formules gouvernementales et institutionnelles peu lisibles aux yeux des travailleurs et des jeunes ("gouvernement de compétences nationales", "Congrès national de dialogue", etc.) ne fournissent pas d’outil clair sur la marche à suivre et laissent les masses dans l’expectative. Un encouragement, par exemple, à une nouvelle grève générale aurait permis de rebondir sur celle du 8, et de construire la confiance parmi les larges masses que le Front Populaire est préparé a mener la bataille jusqu’au bout: jusqu’a la confrontation avec ce régime pourri, et avec le système économique tout aussi pourri qui le sous-tend.

    Un immense fossé sépare la majorité des Tunisiens de l’establishment politique actuel. Si le Front Populaire ne formule pas urgemment de propositions d’action visant à organiser et construire le mouvement des masses dans cette nouvelle étape cruciale de la révolution, il risque d’en payer les frais, lui aussi.

    Pour une nouvelle révolution! Pour la construction d’une lutte de masse afin d’imposer un gouvernement révolutionnaire des travailleurs, de la jeunesse et des pauvres!

    Probablement jamais depuis la chute de Ben Ali la crise du pouvoir n’a été aussi clairement exposée aux yeux de tous qu’aujourd’hui. Mais le fait que la seule manifestation d’ampleur qui ait pris place contre le régime en place depuis la démission de Jebali ait été prise a l’initiative d’activistes indépendants sur les réseaux sociaux, atteste a la fois d’un certain vide en termes d’initiatives prises par la gauche, mais aussi de la détermination et de la disposition d’une couche importante du peuple tunisien, de sa jeunesse active en particulier, de ne pas lâcher la rue.

    La plupart des organisations de la gauche tunisienne, à l’exception notable de la Ligue de la Gauche Ouvrière, défendent de fait une position ‘gradualiste’ de la révolution, considérant que la Tunisie doit d’abord devenir un pays capitaliste ‘développé’ et ‘démocratique’, libre de toute ingérence impérialiste, avant d’envisager, plus tard, une lutte pour le socialisme et pour le pouvoir des travailleurs. Cependant, une telle perspective gradualiste entre en conflit avec la réalité vivante, dans laquelle les questions démocratiques et économiques sont organiquement liées.

    L’expérience des deux dernières années a clairement démontré que le développement social et la démocratie véritable ne viendront pas tant que le capital règne sur l’économie. La perpétuation d’un système axé sur le profit individuel et l’exploitation des travailleurs va main dans la main avec la nécessité de «domestiquer» les travailleurs et la population, et s’accompagne nécessairement d’un mouvement irrésistible vers la restauration d’une dictature économique et politique, sous une forme ou l’autre.

    En Tunisie comme partout à travers le monde, le capitalisme est synonyme de pauvreté de masse, de crise économique et d’austérité généralisée. En Tunisie, cela va de pair avec une offensive majeure pour faire reculer la roue de l’histoire sur les questions sociétales et culturelles, utilisées comme un instrument de détournement et de domination. Les droits, les libertés et les loisirs des femmes, des jeunes, des artistes, des journalistes, des intellectuels et du mouvement ouvrier en tant que tel sont dans la ligne de mire des réactionnaires au pouvoir, de leur flicaille et de leurs milices.

    Dans une telle situation, la seule voie possible pour arracher des mesures durables et substantielles afin d’alléger la souffrance des masses, ne peut être que de transformer les luttes défensives actuelles en une vaste offensive révolutionnaire vigoureuse afin de retirer le pouvoir économique et politique d’entre les mains de l’élite dirigeante et des forces capitalistes qui la soutiennent. Ceci afin de réorganiser la société en fonction des intérêts de la masse des Tunisiens, sur les bases d’un plan économique géré démocratiquement par les travailleurs et la population. Cette lutte doit être liée avec les luttes montantes du mouvement ouvrier international, dans l’objectif de renverser le capitalisme et d’établir une société libre, démocratique et socialiste, fondée sur la coopération, la solidarité et l’utilisation rationnelle des immenses ressources et techniques de la planète pour le bien de tous.

    C’est pourquoi les sympathisants du CIO en Tunisie, actifs dans la Ligue de la Gauche Ouvrière (elle même composante du Front Populaire), militent en vue des revendications suivantes:

    • A bas le régime actuel et ses milices!
    • Ennahdha dégage! Pour la désobéissance civile jusqu’a la chute du régime nahdhaoui et de ses alliés! Pour l’organisation rapide d’une nouvelle grève générale de 24H, a renouveler jusqu’au balaiement de la clique au pouvoir!
    • Pour la convocation d’assemblées dans les quartiers, dans les universités, les écoles et les lieux de travail, afin de préparer la résistance collective contre le régime en place!
    • Pour la formation de comités de défense par les travailleurs, les jeunes et les masses pauvres, afin de protéger toutes les mobilisations contre les agressions et les attaques de la contre-révolution!
    • Stop a l’état d’urgence et a la répression! Pour la défense résolue du droit de manifestation et de rassemblement, et de toutes les libertés démocratiques!
    • A bas la vie chère! Pour une augmentation immédiate des salaires! Pour la formation de collectifs populaires de contrôle des prix pour lutter contre la spéculation!
    • Un emploi décent pour tous! Pour le partage collectif du temps de travail. Pour des indemnités permettant de vivre décemment pour tous les chômeurs du pays. Pour un plan ambitieux d’investissement public dans les régions pauvres!
    • Non aux plans antisociaux du FMI! Non au paiement de la dette de Ben Ali! -Non aux privatisations! Pour la réquisition sous contrôle des travailleurs de toutes les entreprises qui licencient!
    • Pour la nationalisation et la gestion, par les travailleurs, des secteurs-clés de l’économie: banques, compagnies d’assurance, entreprises industrielles, mines, transports, grande distribution,…
    • Pour un gouvernement révolutionnaire des travailleurs et de la jeunesse, appuyée par l’UGTT, l’UDC et le Front Populaire, sur la base d’un programme socialiste.
  • Tunisie : La grève générale fait trembler le pays et précipite la crise politique au sommet de l’Etat

    Le fouet de la contre-révolution provoque une nouvelle étape dans la lutte de masse

    Comme l’interview ci-dessous l’indique, l’assassinat du dirigeant de gauche Chokri Belaïd représente un « point tournant» dans le processus de révolution et de contre-révolution qui se déroule en Tunisie depuis plus de deux ans maintenant. Cet épisode a ouvert un nouveau chapitre de confrontations dans la bataille en cours entre la masse des travailleurs tunisiens, des pauvres et des jeunes, et le gouvernement largement discrédité dirigé par Ennahdha. Il a aussi précipité la crise politique au sommet de l’appareil de l’Etat.

    Article suivi d’une interview de Dali Malik, sympathisant du CIO en Tunisie

    De nombreux commentateurs décrivent les événements récents comme un « sursaut laïque contre les islamistes ». Si les tentatives faites par Ennahdha et par d’autres groupes islamistes, en particulier les gangs salafistes, de faire reculer les traditions séculaires de longue date en vigueur dans le pays ont joué un rôle dans l’alimentation de la colère générale, une telle vision simpliste n’explique que très peu la situation. En effet, comme en Egypte, les questions sociales sont au cœur de la bataille en cours. Le chômage de masse, la flambée généralisée des prix, la misère sociale et la marginalisation des régions constituent l’arrière-plan de la colère politique de masse dirigée contre les dirigeants actuels, dont les politiques économiques néolibérales ont suivi exactement le même chemin désastreux pour la majorité de la population que celles de la clique mafieuse qui a été balayée du pouvoir il y a deux ans.

    Depuis mercredi dernier, le parti au pouvoir est dans la ligne de mire de manifestants en colère dans tout le pays, réclamant la chute du régime et une nouvelle révolution. Pendant des jours, des affrontements entre manifestants et forces de police ont eu lieu dans de nombreux endroits, en particulier dans les régions militantes de l’intérieur du pays comme Gafsa ou Sidi Bouzid. La grève générale de vendredi, la première dans le pays depuis 1978, a complètement paralysé l’économie du pays et a été combinée avec une mobilisation historique dans les rues de la capitale pour la commémoration de la mort de Belaïd. Le slogan «Chokri, repose-toi, nous continuerons ton combat! » exprimait un sentiment largement partagé: il s’agissait en effet d’un cortège funèbre très politique, l’ambiance dans les rues était celle d’une opposition et d’un mépris de masse à l’égard du régime. Des centaines de Tunisiens ont protesté à nouveau lundi devant l’Assemblée Nationale, demandant la démission du gouvernement.

    Des pourparlers sont maintenant engagés depuis plusieurs jours dans les coulisses du pouvoir pour tenter de former un gouvernement de soi-disant «unité nationale». Comme c’est arrivé un certain nombre de fois depuis la chute de Ben Ali, la classe dirigeante, craignant la vague révolutionnaire, est à la recherche de la mise en place d’un gouvernement qui puisse assurer la «continuité» de l’Etat, ou plutôt de «leur» Etat: un Etat qui puisse maintenir les masses laborieuses en échec, réprimer leurs actions et revendications, et bloquer leurs prétentions à prendre les choses entre leurs mains.

    La gauche et la centrale syndicale, l’UGTT, ne doivent pas mettre les pieds dans ces manœuvres! Comme Dali l’explique, la coalition de gauche du Front populaire doit « refuser tout accord avec des forces hostiles aux travailleurs et aux camps de la révolution ». Le Front Populaire argumente à présent en faveur d’un « Congrès National de Dialogue» et appelle à un gouvernement d’«urgence», ou de «crise». Tant le Parti des Travailleurs que le Parti des Patriotes Démocrates Unifié (l’organisation de Belaïd) se positionnent en faveur d’un gouvernement de «compétences nationales», toutes des formulations très vagues au demeurant, ouvrant la porte à d’éventuels arrangements gouvernementaux entre une partie de la direction du mouvement ouvrier et de la gauche, avec des éléments pro-capitalistes. L’idée de construire « l’unité nationale » présente à nos yeux le problème fondamental de ne pas clairement tracer la ligne de démarcation entre les amis et les ennemis de la révolution.

    Le CIO pense pour sa part qu’il n’y a qu’une seule unité possible: l’unité de la classe ouvrière, de la jeunesse et des pauvres pour poursuivre leur révolution, et ce jusqu’à la mise en place, à travers la lutte de masse, d’un gouvernement qui leur appartient, par la construction d’instruments ad hoc: comités de grève, comités de quartier, etc.

    Pour faire valoir ses arguments vers de larges couches de la population, le Front Populaire pourrait affirmer qu’il ne rentrerait dans un gouvernement que sur la base d’un certain nombre de conditions, qui inclurait : le retour de toutes les entreprises privatisées dans l’orbite du public, l’annulation totale de la dette, le lancement d’un plan d’investissements publics dans les infrastructures via la création massive d’emplois socialement utiles, l’imposition d’un monopole de l’État sur le commerce extérieur, et la prise en charge des secteurs stratégiques de l’économie entre les mains des travailleurs, au travers de représentants démocratiquement élus par eux. En pratique, un tel programme ne pourrait être mis en œuvre qu’indépendamment de tous les partis qui défendent la logique du capitalisme, et qui sont seulement intéressés à négocier des postes ministériels dans un futur gouvernement composé de représentants et défenseurs des grosses entreprises.

    En outre, d’importantes unités de l’armée ont été déployées ces derniers jours dans la capitale ainsi que dans d’autres villes. L’état d’urgence est toujours en cours, et l’ancien appareil policier continue son sale boulot de répression et d’abus et de violence contre les manifestants. Les masses ne doivent pas laisser les forces de l’État contrôler les rues, mais doivent les réclamer, en conjonction avec la construction d’organes de défense révolutionnaires, composés de militants ouvriers, de syndicalistes, de jeunes etc, pour empêcher la violence de la réaction de riposter. Des appels en direction des soldats du rang devraient être encouragés dans ce but, afin de diviser l’Etat selon des lignes de classe, et construire un puissant contrepoids face à la menace de possibles complots provenant des classes supérieures.

    Le Front populaire devrait mettre en avant un plan d’action clair, visant à renforcer la révolution et à la défendre contre les tentatives de la repousser en arrière, que ce soit par l’armée, par la police ou par des milices réactionnaires. Par exemple, il pourrait appeler à des assemblées de masse dans les lieux de travail et les localités, dans les universités et les institutions publiques, dans les écoles et dans les quartiers, etc, pour que les masses puissent discuter et déterminer, de la manière la plus démocratique et collective possible, quelles devraient être les prochaines étapes de leur lutte, et comment s’organiser partout contre la contre-révolution. Une nouvelle grève générale, après le succès de celle de vendredi, pourrait peut-être servir à réaffirmer la force de la révolution et de la classe ouvrière organisé, et contribuer à en finir avec la clique dirigeante actuelle, dont la légitimité, aux yeux de la majorité, a disparu depuis longtemps.

    Dans certaines régions, les récents incidents ont encouragé les masses à renouveler instinctivement avec des formes antérieures d’auto-organisation: des comités de quartiers ont rejailli dans certains quartiers populaires de Tunis, au Kef et en quelques autres endroits. Ces exemples doivent être utilisés pour être élargis ailleurs, jusques et y compris sur les lieux de travail et dans les usines, pour servir de tremplin vers l’institution du contrôle et de la gestion, par les travailleurs eux-mêmes, des leviers économiques de la société.

    L’appel à un « Congrès national » prendrait tout son sens s’il s’adresse aux masses révolutionnaires elles-mêmes. Cette proposition devrait être liée à la nécessité de construire et de coordonner des comités de lutte au niveau local, régional et national, élisant leurs représentants, révocables, issus directement des forces vives de la révolution, des couches combatives de l’UGTT, du mouvement ouvrier et de la jeunesse. De tels comités prépareraient ainsi la classe ouvrière et les pauvres à l’exercice du pouvoir et à la reconstruction de la société, sur la base d’un plan socialiste de production organisé de manière démocratique par la population. Une telle démarche audacieuse, vers l’établissement d’une Tunisie socialiste et démocratique, aurait un impact électrifiant et inspirant pour les travailleurs et les jeunes, dans la région et dans le monde entier. Elle établirait rapidement le lien avec le mouvement ouvrier révolutionnaire égyptien et d’autres, afin d’engager les premiers pas vers la construction d’une fédération socialiste libre des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.

    Peux-tu expliquer rapidement quelles sont le contexte et l’implication de l’assassinat de Chokri Belaïd?

    La mort de Chokri Belaïd représente un événement majeur et un point tournant dans le processus révolutionnaire tunisien. Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’une immense colère s’accumulait déjà depuis des mois contre le gouvernement en place. La mort de Belaïd a pris place dans un contexte où l’establishment politique, le gouvernement et l’Assemblée Nationale Constituante nageaient déjà dans une crise sans précédent. Cette situation reflète l’incapacité des classes dominantes à faire tenir une formule ministérielle capable d’imposer leurs plans contre-révolutionnaires tout en ayant suffisamment d’assise populaire pour le faire. C’est une équation impossible.

    Cela fait sept mois maintenant qu’on nous parle d’un remaniement ministériel mais ils n’arrivent toujours pas à se mettre d’accord, en premier lieu du fait de la colère sociale gigantesque qui s’exprime aux quatre coins du pays. La haine anti-gouvernementale avait déjà atteint un très haut niveau d’intensité avant que l’assassinat de Chokri Belaïd n’ait lieu. Cet assassinat a donc mis le feu aux poudres. Belaïd n’était pas « le » dirigeant révolutionnaire le plus en vue, mais c’était un militant avec une certaine stature, qui s’est fait connaitre surtout suite à la révolution.

    Des mobilisations massives ont explosé très vite partout suite à l’annonce de sa mort, certaines avec un caractère insurrectionnel. 72 locaux d’Ennahdha ont été incendiés dans les derniers jours ! Des manifs de grande dimension ont pris place dans la demi-heure qui a suivi la mort de Belaïd ; des sit-in, des grèves, des clashs avec les flics, etc font partie intégrante du paysage, à un niveau encore plus élevé que d’habitude, depuis mercredi. Et le jour de l’enterrement, une avalanche humaine a déferlé sur la capitale, ainsi que des manifestations de masse dans toute une série de villes. Certains chiffres évoquent plus d’un million de personnes dans les rues de Tunis vendredi ; il est impossible de décrire avec des mots l’ambiance qui y régnait. Les slogans repris dans la manif appelaient à la chute du régime, à une nouvelle révolution, accusaient Rached Ghannouchi (le chef d’Ennahdha) d’être un assassin, etc.

    Quel a été l’impact de la grève générale de vendredi ?

    La grève générale a été extrêmement bien suivie. L’adhésion était massive et totale. Même des entreprises où il n’y a pas de représentation syndicale, des institutions qui ne font jamais grève, ont débrayé. Cela est aussi vrai pour de nombreux cafés, des petits techniciens, des petits commerçants supposés pro-Ennahdha, qui ont fait grève également. Tout le pays était paralysé, comme cela ne s’est probablement jamais produit dans l’histoire de la Tunisie. Cette grève et la mobilisation qui l’a accompagnée a donné un nouveau coup de ‘boost’ à la révolution et à la confiance des masses. Elle a aussi touché de plein fouet le gouvernement, qui tremble maintenant littéralement sur ses bases.

    Le premier ministre Jebali est à présent engagé dans des pourparlers incessants pour essayer de sauver la face du pouvoir. Il tente de recomposer un appareil gouvernemental qui peut « tenir la face ». Mais la colère contre Ennahdha a atteint un paroxysme, au point que ce parti est au bord de l’implosion. L’aile radicale du parti a tente de mobilisé ses troupes samedi, mais ce fut un flop : même en payant des gens, ils n’ont pas réussi à faire descendre plus de 3000 personnes dans le centre de Tunis !

    La crise institutionnelle est profonde. Toute l’opposition a gelé sa présence à l’Assemblée Constituante, et le régime est vraiment déstabilisé. Aussi, des frictions se sont fait jour avec les puissances impérialistes sur la marche à suivre. Du point de vue des classes dirigeantes, il n’y a donc pas de solution évidente. Il y a quinze jours encore, des discussions étaient en cours avec les institutions financières internationales pour engager un programme de « réformes structurelles » (un euphémisme pour des plans d’attaques néolibérales, telles que la baisse de certaines subventions à des produits de base, de nouvelles privatisations, des baisses de salaires, etc) mais la mort de Belaïd a tout court-circuité. L’aile pragmatique d’Ennahdha autour de Jebali ainsi que les impérialistes semblent privilégier l’option d’un gouvernement de « technocrates » ; mais même une telle formule est pour eux difficile à mettre en place, et même si elle l’est, il n’est pas sûr qu’elle puisse tenir le coup. Dans ces conditions, nous devons être sur nos gardes, car même l’option d’un coup d’état ne peut plus être écartée, bien qu’il ne s’agisse pas de la perspective la plus immédiatement plausible.

    Qu’en est-il de la coalition de gauche du Front Populaire ?

    Le Front Populaire a une forte implication dans les luttes et les mouvements sociaux depuis sa fondation. Il joue un rôle central dans les mobilisations, et ses militants sont une force agissante dans presque toutes les mobilisations. Par exemple, le Front a joué un rôle décisif dans la grève régionale de Siliana en décembre dernier, ainsi que dans la plus récente grève régionale au Kef. Dans ce sens, le Front est vue largement comme la force politique du coté des luttes révolutionnaires, et sa base est essentiellement composée de jeunes révolutionnaires, de syndicalistes, de chômeurs… Chokri Belaïd était un des porte-parole du Front Populaire; à travers lui, c’est donc aussi le travail du Front et de ses militants qui est visé.

    Cependant, le Front a aussi d’importants déficits et limites quant à la lecture de la situation actuelle, ses propositions concrètes, son fonctionnement interne aussi. Bien qu’il a une importante base militante sur le terrain, ces mêmes militants n’ont que peu de poids sur les prises de position de ses dirigeants, et sur les décisions qui y sont prises, qui sont peu inclusives.

    Surtout, le Front demeure dans le flou en ce qui concerne la question la plus importante de la révolution, et qui en conditionne beaucoup d’autres : celle de qui détient le pouvoir. Le Front n’est pas homogène, et à l’intérieur, certaines de ses composantes sont toujours fortement influencées par la stratégie d’une révolution « par étapes », qui consiste à dire qu’il faut d’abord consolider la démocratie et les libertés avant de s’en prendre au capitalisme. Cette logique les amène à penser la démocratie dans un cadre qui ne remet pas en question les institutions existantes, ou à concevoir une prise de pouvoir uniquement par la voie du parlementarisme classique. Bien sûr, nous sommes en faveur de la plus grande démocratie possible et nous nous battons pour les libertés. Mais nous estimons qu’on ne peut pas détacher ces questions du contenu social de la révolution. Comme les marxistes le disent souvent, sous le capitalisme, la démocratie « s’arrête à la porte des usines ». Nous pensons qu’une vraie démocratie ne peut se réaliser que si les travailleurs ont la mainmise sur leurs instruments de travail et contrôlent directement ce qui est fait du fruit de leur labeur. Nous nous battons pour une vraie démocratie qui traverse toute la société, impliquant l’exercice du pouvoir par les masses elles-mêmes à tous les niveaux : dans les entreprises, dans les quartiers, dans les écoles,…Nous luttons à l’intérieur du Front pour renforcer ces points, pour que le Front formule un programme sans ambigüité sur le contenu d’une prise de pouvoir, et pour refuser tout accord gouvernemental avec des forces qui soient hostiles au camp de la révolution et des travailleurs.

    Le Front Populaire parle aujourd’hui de la nécessité d’un « gouvernement de crise ». Mais tout dépend du contenu que l’on donne à une telle formulation. A nos yeux, une sortie de crise ne peut avoir lieu sans la perspective de renverser un système économique et social qui baigne jusqu’au coup dans la crise, et fait payer chaque jour aux masses travailleuses son fonctionnement anarchique. Cela implique selon nous l’annulation pure et simple de la dette, question qui est source de divergences au sein du Front : certains proposent juste de la « geler » pour quelques temps, et d’instaurer un audit afin d’en déterminer la part odieuse. Cette logique implique qu’une partie tout au moins de la dette serait somme toutes légitime, alors qu’elle est le résultat du pillage des biens publics par l’ancienne mafia au pouvoir, avec le concours des institutions capitalistes internationales. Nous sommes aussi en faveur de la nationalisation sous contrôle ouvrier de toutes les entreprises qui licencient, ainsi que celle des banques et des multinationales, dont l’activité est uniquement orientée en vue de sucer le sang des masses et d’enrichir une poignée de parasites.

    Nous sommes prêts à travailler en commun avec d’autres forces à la réalisation de ces objectifs. Pour cela, nous sommes prêts à une certaine souplesse, mais il y a un point sur lequel nous ne dérogerons pas : celui qui fait le constat que la crise du capitalisme a atteint un point de retour, et qu’il faut une stratégie claire pour en sortir. Cela afin d’offrir un futur et de véritables opportunités à la majorité de la population, entre autres au million de chômeurs que compte ce pays. Si les travailleurs décidaient eux-mêmes des plans d’investissement, et réorganisaient l’économie selon une planification générale dépendant des besoins de chacun et de chacune, les moyens pourraient être développés pour procurer un emploi décent et qui plus est, socialement utile, à tout le monde. Aujourd’hui nous sommes minoritaires à mettre en avant un tel programme, mais la logique des événements implique qu’un jour ces propositions pourront être reprises par la majorité.

  • Tunisie : Grève générale le 13 décembre – La révolution tunisienne à la croisée des chemins

    Près de deux ans après l’immolation de Mohamed Bouazizi, les yeux de beaucoup de travailleurs et de jeunes se tournent une nouvelle fois vers la Tunisie

    La révolution tunisienne est entrée maintenant dans une phase décisive. L’appel à une grève générale nationale le 13 décembre par le syndicat historique l’UGTT (Union Générale Tunisienne du Travail) engage les travailleurs et les masses révolutionnaires dans la voie d’une confrontation ouverte avec le nouveau régime de la ‘Troïka’, dirigé par le parti de droite religieux Ennahda.

    Par des correspondants du CIO

    Un peu plus d’un an après la montée au pouvoir de ce parti, la colère de la population est immense, ainsi que le désir d’en découdre avec ce gouvernement d’usurpateurs et de vendus. « Le peuple veut la chute du régime », « Le peuple en a marre des nouveaux Trabelsi », « Gouvernement du colonialisme, tu as vendu la Tunisie », les slogans se répètent et se font écho aux quatre coins d’un pays las de la misère, du chômage de masse, du mépris et de la violence du nouveau pouvoir, ainsi que de sa politique économique néolibérale, de plus en plus clairement assimilée à celle de l’ancien régime.

    Cette grève s’inscrit dans un contexte où les tensions sont à leur comble, et où le gouvernement, fortement affaibli, est assis sur un baril de poudre. Depuis des mois et des mois, le pays vit au rythme presqu’ininterrompu des grèves -y compris un nombre incalculable de grèves générales localisées- des actes de désobéissance civile, des blocages de routes, des manifestations, des sit-ins et des émeutes.

    Les récents événements dans la ville de Siliana (Sud-Ouest de Tunis), épicentre d’une importante explosion sociale accompagnée d’une violente répression policière, ont contribué à précipiter la crise actuelle. Ils ne sont pourtant qu’un symptôme de ce qui couve dans tout le pays, et en particulier dans les régions plus pauvres de l’intérieur. Ces régions n’ont rien vu venir comme changement depuis la chute de Ben Ali, si ce n’est la couleur politique du parti qui organise leur misère et commande la flicaille qui leur tire dessus.

    Les cinq jours de grève générale qui ont pris place à Siliana ont obligé le gouvernement à lâcher un peu de lest sur une des revendications principales des habitants, à savoir le départ du gouverneur local, dans une tentative de désamorcer la crise et prévenir son extension. En parallèle, les négociations qui avaient lieu entre la fédération patronale l’UTICA et les syndicats, ont abouti à ce que le patronat concède une augmentation salariale de 6% dans le secteur privé.

    Ces deux épisodes ont contribué à construire une atmosphère de confiance et de victoire parmi d’importantes couches de travailleurs, face à une coalition gouvernementale plus divisée que jamais, et dont le soutien est en perte de vitesse vertigineuse.

    C’est dans ce contexte que le parti au pouvoir, humilié et blessé, a tenté un coup de force en envoyant ses milices par centaines, armées de bâtons et de couteaux, contre une manifestation tenue par des syndicalistes à Tunis, en commémoration du soixantième anniversaire de la mort de Ferhat Hached, le fondateur de l’UGTT.

    Cette provocation, qui a mené à plusieurs dizaines de blessés dans les rangs des syndicalistes, a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Elle eut un effet électrifiant et fut rapidement suivie de manifestations spontanées de travailleurs et de jeunes, dans beaucoup d’endroits, exigeant que l’UGTT appelle à la grève générale.

    Dès le soir même, les sections régionales de l’UGTT de quatre gouvernorats stratégiques (Gafsa, la ville minière aux longues traditions militantes, Sfax, le poumon industriel du pays, Sidi Bouzid, berceau de la révolution du 14 janvier, ainsi que Kasserine, la ville qui a payé le plus lourd tribut en termes de martyrs durant la révolution) annonçaient des grèves générales régionales dans leur fiefs respectifs pour le jeudi 6 décembre.

    Le lendemain, la réunion exceptionnelle de la Commission administrative de l’UGTT, sous la pression de ses supporters et affiliés, décrétait la grève générale nationale pour le 13 décembre en réponse aux attaques perpétrées sur ses militants.

    Un nouveau chapitre

    Cette décision marque un point tournant dans la relation entre le pouvoir chancelant et le mouvement syndical tunisien, dont la force de frappe a peu d’égal dans la région, et dont la mobilisation des troupes avait déjà été décisive dans la chute du dictateur déchu Ben Ali. Strictement parlant, il ne s’agit que de la troisième véritable grève générale dans toute l’histoire du pays.

    La dernière eut lieu en 1978, comme point culminant d’une période de confrontation grandissante entre l’UGTT et le régime nationaliste de Bourguiba. Elle fut écrasée dans le sang par l’armée, menant à plusieurs centaines de morts, des milliers d’arrestations, et à une répression féroce contre la gauche dans la foulée.

    Dans la conscience collective de la classe ouvrière tunisienne, la grève générale est une affaire sérieuse. Dans le climat actuel, elle pourrait prendre des allures d’insurrection. Depuis des mois en effet, beaucoup de secteurs et de localités se sont retrouvés a se battre souvent isolés les uns des autres contre le pouvoir en place. La grève du 13 décembre offre pour la première fois l’opportunité d’une riposte coordonnée le même jour à l’échelle du pays tout entier. Incontestablement, elle sera vue par les masses comme un jour historique offrant une occasion unique pour une démonstration de force contre le gouvernement et ses valets et soutiens divers.

    L’appel à la grève générale par la direction de l’UGTT n’allait pourtant pas de soi. Depuis des mois en effet, la direction du syndicat a tergiversé avec le pouvoir, jouant le chaud et le froid, mariant une rhétorique occasionnelle de confrontation avec des propositions d’apaisement et de ‘dialogue national’. De ce fait, beaucoup de temps a déjà été perdu. « Les dirigeants syndicaux doivent nommer une date pour une grève générale de 24 heures », disions-nous déjà à la suite de la manifestation réussie du 25 février dernier, organisée par l’UGTT en réaction a une attaque ultérieure des milices d’Ennahda sur ses locaux.

    La même direction syndicale qui évoquait encore il y a quelques semaines la nécessité d’un consensus large impliquant toutes les forces politiques majeures du pays, a repris depuis le chemin des critiques acerbes à l’égard du pouvoir, sous la pression de sa propre base.

    Pour un plan de bataille sérieux qui s’inscrit dans la durée

    Pour faire de cette journée un succès, un sérieux plan de bataille est nécessaire, qui s’inscrit dans la durée et qui n’a pas peur d’identifier clairement les ennemis de la révolution et d’en tirer toutes les conclusions qui s’imposent.

    Cette grève doit être une étape décisive en vue de faire tomber ce gouvernement. Le pouvoir en place doit en effet être reconnu comme ce qu’il est : un gouvernement au service de la contre-révolution capitaliste, animé par la seule volonté de restaurer l’ordre au profit des exploiteurs privés, des propriétaires d’usines, des multinationales et des spéculateurs qui s’enrichissent sur le dos de la population.

    Pour atteindre ce but, le gouvernement est prêt a tout, y compris en ré-adoptant les méthodes de l’ancien régime, en tirant sur les protestataires à coups de chevrotine, en muselant les médias, ou en envoyant ses milices contre l’UGTT, sans laquelle pourtant ce pouvoir ne serait même pas la où il est.

    Deux ans après la révolution, les conditions de vie de la majorité sont, sous de nombreux aspects, pires qu’avant. Les prix des produits de base explosent, le chômage aussi, les patrons jettent des milliers de travailleurs à la porte et ferment les usines à la recherche de plus juteux bénéfices, tandis que le pouvoir non seulement s’engage à payer les dettes de l’ancien régime, mais contracte de nouveaux prêts vis-à-vis de créanciers internationaux, dont la note sera inévitablement présentée aux pauvres, aux chômeurs, aux travailleurs et à leurs familles.

    Inutile de dire qu’il n’y a absolument rien à attendre d’un gouvernement pareil. Les moralistes bien-pensants et représentants effarouchés des partis de pouvoir qui lèvent tous les yeux au ciel pour dénoncer l’acte ‘politique’ de l’UGTT n’y feront rien : ce gouvernement a perdu toute forme de légitimité, laquelle ne se mesure pas par une arithmétique électorale dépassée par les faits, mais par les faits eux-mêmes.

    Ces faits sont sans ambigüité : sans surprise, ce gouvernement a failli sur absolument toutes les revendications élémentaires de la révolution, et agit et légifère contre elle à chaque instant. Un tel gouvernement doit dégager. S’il ne veut pas quitter la scène, le mouvement révolutionnaire, et le mouvement ouvrier en particulier, en redéployant toute sa puissance, lui indiquera la porte de sortie. Si la grève du 13 n’est pas suffisante pour lui faire comprendre, une autre mobilisation générale devra lui succéder.

    Malheureusement, jusqu’à présent, la direction de l’UGTT s’en tient à des revendications d’ordre minimal pour la grève: elle exige la dissolution des milices au service d’Ennahda et leur traduction en justice. Au moment ou partout dans le pays, des manifestations exigent la chute du régime, ces revendications sont bien en-dessous de ce que la situation exige : demander à Ennahda de dissoudre ses propres milices demeurera un vœux pieu si on lui laisse les rênes du pouvoir entre les mains.

    De plus, le gouvernement, bien qu’affaibli, n’a pas encore dit son dernier mot. Si l’objectif de la grève manque d’ambitions, et ne s’inscrit pas dans une dynamique de luttes visant à arracher le pouvoir des mains de la contre-révolution afin de le transmettre à la révolution elle-même ; si l’élan enclenché fait place a des tergiversations sur la suite à donner au mouvement, ou à une nouvelle phase de tentatives de négociations avec le pouvoir, la contre-révolution pourrait tenter de reprendre l’initiative et s’engager dans une violente contre-attaque. Pour cela, Ennahda pourrait s’appuyer sur une partie importante de l’appareil d’Etat qui, bien qu’en désaccords ponctuels avec ce parti sur la marche à suivre, pourrait très bien trouver un terrain d’entente lorsqu’il s’agit de briser le coup de la révolution et de ‘neutraliser’ une UGTT par trop bruyante à son gout.

    Un succès initial de la grève pourrait forcer l’ennemi à battre en retraite pour un temps, mais s’accompagner ensuite d’un ‘retour de flamme’ par des actes de représailles et de violence vengeresse ciblant les symboles de la révolution et ses forces vives, à commencer par l’UGTT elle-même.

    C’est pourquoi l’enjeu du combat qui s’engage doit être saisi correctement. Les jours qui viennent doivent pouvoir permettre une préparation minutieuse de la grève. Des meetings de masse dans les quartiers, des assemblées générales sur les lieux de travail et dans les facs, doivent aider à construire un soutien massif et actif pour la grève partout dans le pays, et de discuter largement sur l’engagement de chacun et de chacune à en faire une réussite. Des comités d’action dans les quartiers, des piquets de grève volants, des services d’ordre aguerris et coordonnés entre eux, ainsi que des manifestations massives et disciplinées aideront à assurer le bon déroulement de la grève et à prévenir toutes attaques, provocations ou débordements.

    Pour un gouvernement des travailleurs et de la jeunesse révolutionnaire !

    Même avant l’annonce de la grève générale, le président de la République Moncef Marzouki avait cru bon de préciser lors d’un discours télévisé que « Nous n’avons pas une seule Siliana (…) j’ai peur que cela se reproduise dans plusieurs régions et que cela menace l’avenir de la révolution ». Une phrase qui en dit long sur l’incertitude et la panique qui traversent les rangs du pouvoir.

    Le spectre de la révolution qui a fait chuter Ben Ali effraie, dans le palais de Carthage et dans les ministères. En effet, l’UGTT occupe une place centrale dans le paysage tunisien, et est incontestablement la seule force organisée qui dispose d’un appui de masse dans la population tunisienne. Son appel à la grève générale a fait tomber les masques de tous ceux qui essaient de surfer sur le mécontentement populaire pour leurs propres intérêts opportunistes.

    Le chargé d’information du parti salafiste ‘Hizb Attahrir’ a par exemple émis un appel à condamner et à incriminer l’UGTT, qualifiant l’appel à une grève générale le 13 décembre de « saut vers l’inconnu », ajoutant aussi que l’UGTT a été du côté de Ben Ali jusqu’au bout, et niant un quelconque apport de la centrale syndicale a la révolution de janvier 2011.

    L’apport qu’aurait eu Hizb Attahrir à la révolution est une question tellement ridicule en soi qu’elle ne mérite même pas débat. Par contre, si la direction précédente de l’UGTT était effectivement mouillée jusqu’au coup à la dictature de Ben Ali, le syndicat, qui dispose de centaines de milliers de travailleurs dans ses rangs, n’en a pas moins fourni la colonne vertébrale des mobilisations révolutionnaires qui ont abouti à la chute de la dictature.

    Et c’est aujourd’hui vers la restauration d’une dictature, bien que sous un vernis idéologique différent, que la trajectoire d’Ennahda se dirige, lentement mais surement. Déjà, la torture a repris du service, les milices ont pignon sur rue, les procès politiques se multiplient, la corruption pullule, et les masses souffrent, encore et toujours.

    Le temps d’en finir avec ce pouvoir est maintenant venu, et ca, les masses l’ont bien compris. La grève générale, qui couvait depuis des mois, est l’arme la plus puissante dont dispose la classe ouvrière dans son arsenal. De sa réussite et de ses suites dépendent rien de moins que le sort de la révolution et le futur du pays.

    Même la Confédération Générale Tunisienne des Travailleurs (CGTT), un petit syndicat formé après la révolution et qui réclame quelque 50.000 membres, a déclaré jeudi dernier qu’il était en « pleine solidarité » avec l’UGTT. Le syndicat des agents et cadres de l’assemblée nationale constituante (ANC) relevant de l’UGTT a décidé quant à lui d’observer une grève du 11 au 13 décembre pour témoigner de son refus “des nominations partisanes” et de la tentative de la Troika de s’ingérer  dans l’administration. Ce genre d’exemples illustre à quel point si la force des travailleurs, tous secteurs confondus, est mobilisée dans toute sa puissance, le pays peut s’arrêter de tourner du jour au lendemain, et le pouvoir ne tenir plus qu’à un fil.

    Déjà, les grèves générales régionales le 6 décembre ont vu une participation massive, avec par exemple 95% de participation dans le gouvernorat de Gafsa, selon les chiffres donnés par l’UGTT. Dans tous les gouvernorats concernés, les différentes villes et localités étaient largement paralysées, avec une proportion très importante d’institutions publiques et privées complètement fermées.

    Cela donne une indication du caractère potentiellement explosif que la grève générale du 13 décembre pourrait acquérir. Malgré que la direction nationale de l’UGTT essaie d’en limiter l’impact, cet appel en soi a ouvert une brèche dans laquelle les masses pourraient s’engouffrer, avec la possibilité que ce mouvement échappe en partie au contrôle et au cadre que ses dirigeants veulent lui donner.

    Tous les politiciens et les capitalistes savent qu’une chute du gouvernement actuel ouvrirait un nouveau chapitre pour la révolution tunisienne. En démontrant une fois de plus la force des travailleurs et du mouvement de masses, un tel développement s’accompagnerait d’une nouvelle poussée revendicative et de répercussions dépassant les frontières tunisiennes.

    Najib Chebbi, du parti ‘Al Joumhouri’, dont le parti n’a visiblement plus d’autre ambition que de servir de rustine à la bourgeoisie lorsqu’elle en a besoin, n’exprime pas autres chose lorsqu’il demande à Ennahda de faire des « excuses publiques » à l’UGTT. Tous savent qu’une grève générale crée les conditions objectives pour une possible chute du pouvoir en place. Le pouvoir est déchiré comme jamais, et la grève du 13 pourrait lui donner le coup fatal.

    Le moment est en ce sens historique : la contradiction entre la possibilité pour l’UGTT, vu le poids qu’elle a dans le mouvement ouvrier tunisien, de prendre le pouvoir d’une part, et le manque de volonté de sa propre direction à le prendre effectivement entre les mains, d’autre part, pourrait être posée dans les prochaines journées et semaines de manière plus aigue que jamais.

    La tournure des événements pourrait même forcer la classe dominante, dans le contexte d’une impasse politique structurelle, à tenter de composer un nouveau gouvernement impliquant des représentants de la direction de l’UGTT. Dans ce contexte, il est crucial que les leçons du passé récent soient tirées : si tous les gouvernements qui se sont succédé depuis la chute de Ben Ali ont été incapables de répondre aux besoins des masses et à leurs aspirations révolutionnaires, la raison en est simple : tous ont agi avec la volonté, affichée ou inavouée, de défendre les intérêts du capital contre ceux du travail, les profits des actionnaires et des investisseurs -qui n’investissent pas- plutôt que les besoins sociaux criants de la population. Dans le contexte de la crise historique et globale du capitalisme, la possibilité pour une amélioration durable quelconque des conditions de vie de la population est complètement illusoire.

    C’est pourquoi la seule solution réside dans la préparation stratégique des masses travailleuses à la prise du pouvoir politique et économique. Les travailleurs doivent refuser avec obstination tout accord gouvernemental entre des représentants de la gauche et du mouvement ouvrier avec des forces ou des politiciens pro-capitalistes, quelles qu’ils soient.

    En ce sens, le Front Populaire (=une coalition de partis d’extrême-gauche et nationalistes arabes), qui joue un rôle de premier plan dans les mobilisations actuelles, a une responsabilité première à formuler un programme d’action et une stratégie qui maintiennent une indépendance totale vis-à-vis de la classe capitaliste et de ses partis.

    Malheureusement, les formules ambigües formulées par certains dirigeants du Front, évoquant «un gouvernement de crise» sans en préciser le contenu politique et économique, atteste de la réticence manifeste de ces derniers à appeler un chat un chat.

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) pense que l’UGTT, en tant que la plus grosse organisation ouvrière du pays, doit encourager les travailleurs à exercer le pouvoir en leurs noms, assistée en ce sens par l’UDC et par les organisations de gauche et populaires qui partagent ce but. Pour qu’une telle opération ne soit pas le prélude à une démoralisation et à une désillusion massive dans les rangs des masses révolutionnaires, dont certains flancs de la réaction (police, armée salafistes, milices du pouvoir) risqueraient de profiter par la suite, un tel gouvernement devra user de l’élan révolutionnaire ainsi créé pour s’attaquer sans tarder au système économique capitaliste actuel, lequel produit la pauvreté, le chômage, la vie chère et les bas salaires dans l’unique but d’enrichir toujours plus une clique de parasites qui possèdent et contrôlent les moyens de production.

    Seul un programme socialiste, organisant les travailleurs, la jeunesse et les pauvres en vue de la saisie des grandes propriétés, la nationalisation des banques et des multinationales, la réquisition des entreprises qui ferment et licencient, le refus de payer la dette, et la mobilisation rationnelle, démocratique et planifiée de toutes les ressources du pays en vue de répondre aux besoins sociaux, pourra offrir un avenir décent à la hauteur des sacrifices effectués.

    • Bas les pattes de l’UGTT ! Pour la défense de l’expression syndicale et du droit de grève
    • Ennahda dégage ! Grève générale en vue de la chute du gouvernement !
    • Pour la constitution et la généralisation de comités d’action partout dans le pays pour préparer la grève et ses suites
    • Pour une lutte soutenue jusqu’à un gouvernement révolutionnaire des travailleurs et de la jeunesse, appuyé par l’UGTT et les organisations populaires
    • Pour la nationalisation immédiate des secteurs stratégiques de l’économie sous le contrôle des travailleurs
    • Solidarité avec nos frères et sœurs d’Egypte dans leur lutte
    • Pour le socialisme démocratique, pour la révolution internationale.
  • Libye : La société post-Kadhafi toujours volatile et violente

    Pour réaliser les revendications des travailleurs, il leur faut s’auto-organiser avec des objectifs clairs

    Un peu plus d’un mois à peine après la mort de l’ambassadeur américain, les développements en Libye révèlent l’instabilité, et même le chaos, qui règne en de nombreux endroits du pays. En l’absence de véritable gouvernement, les combats continuent autour de Bani Walid (considéré comme une zone pro-Kadhafi) par les forces de Misrata, en colère contre l’emprisonnement et la mort d’Omran Shaban, le combattant rebelle qui a retrouvé Kadhafi après une attaque aérienne de l’OTAN contre son convoi il y a un an.

    Robert Bechert, CIO

    L’année dernière, nous expliquions qu’alors que Kadhafi, un ”dirigeant autocrate, entouré de sa famille et de ses amis privilégiés”, avait été renversé, la situation n’était pas similaire à celle qui a fait tomber Ben Ali et Moubarak en Tunisie et en Egypte. ”Cela aurait été largement applaudi si c’était le pur résultat de la lutte de la classe ouvrière libyenne, mais l’implication directe de l’impérialisme assombrit le futur de la révolution.” (CIO, www.socialistworld.net: ”Gaddafi Regime Crumbles”, 26 août 2011)

    L’un des plus grands changements au cours de cette année fut la reprise de la production de pétrole. En ce moment, le revenu du pétrole libyen est d’environ 1 milliard de dollars tous les 10 jours, ce qui n’est pas mal dans un pays de 6,5 millions d’habitants. Mais de nouveaux gangs de pillards se mettent déjà en place. En octobre, Le Monde Diplomatique a rapporté que les ministres perçoivent des salaires de 7800$ par mois et habitent dans des hôtels de luxes de Tripoli à 325$ la nuit. Même si les élections se sont déroulées pacifiquement en juillet, en réalité, le Congrès Général National est impuissant face aux milices concurrentes.

    Cette situation chaotique n’était pas inévitable. Quand les manifestations de masse ont commencé en février 2011, Kadhafi a lancé une contre-offensive brutale contre Benghazi et les autres centres de l’opposition. Benghazi, cependant, aurait pu être défendue par les masses populaires de la ville qui compte un million d’habitants, avec un appel aux travailleurs, aux jeunes et des pauvres du reste de la Libye. Cela aurait pu conduire plus rapidement à la victoire et ne laisser aucune excuse pour une intervention étrangère.

    A Benghazi, au début de la révolution, des affiches en anglais déclaraient : ”Non à l’intervention étrangère – Les Libyens peuvent se débrouiller tous seuls.” Mais la direction autoproclamée du Conseil National de Transition, dominée par des transfuges du régime de Kadhafi et des pro-impérialistes, a ignoré le sentiment populaire initial contre une intervention étrangère. Elle a recherché du soutien auprès des puissances impérialistes occidentales et des Etats Arabes semi-féodaux.

    Un grand nombre de Libyens se sont réjouis de la chute de Kadhafi en août 2011, mais pas tous, et ce n’étaient pas seulement l’élite privilégiée autour de Kadhafi et les groupes favorisés par son régime. Il existait également une part de réelle opposition contre le rôle des puissances occidentales et des régimes arabes autocratiques, ainsi que la peur des fondamentalistes religieux.

    Chacune des révolutions du printemps arabe avait ses propres caractéristiques. En Tunisie et en Egypte, les organisations ouvrières se développaient ou se transformaient. En Libye, le soulèvement initial spontané n’a pas mené à l’auto-organisation démocratique des travailleurs et des jeunes à une large échelle.

    Malgré l’implication d’un grand nombre de Libyens dans les combats et l’armement de la population, il n’y a pas le moindre signe pour l’instant que les travailleurs, les jeunes et les pauvres libyens qui lutteraient pour établir leur propre pouvoir collectif sur la société. Sans organisations démocratiques et indépendantes dans la plupart des communautés et des lieux de travail, les milices prennent les devants pour maintenir la sécurité. Mais la plupart de ces milices sont divisées sur des lignes territoriales, tribales, religieuses ou ethniques, et leurs dirigeants ont leurs objectifs propres.

    Les intégristes religieux

    A présent, les intégristes religieux s’impliquent de plus en plus et les éléments qui ont lutté au côté de Kadhafi contre ce qu’ils considéraient comme une intervention étrangère perdurent. Ainsi, en plus des rivalités entre les milices, il y a eu la démolition de sanctuaires Soufi par les Salafistes intégristes et quatre attaques de représentants occidentaux avant l’attaque du consulat américain à Benghazi le 11 septembre et d’une base semi-secrète de renseignements américaine.

    La manifestation du 20 septembre qui a expulsé de Benghazi la milice Ansar al-Sharia, initialement accusée de l’attaque du consulat américain, n’était pas une simple réaction populaire contre les milices. La manifestation était dirigée par la police militaire qui a alors procédé à l’attaque de la base de la milice Rafallah al-Sahati (fondée par des Qatari) qui travaille avec le ministère de la défense basé à Tripoli. Rien n’est encore clair concernant le cadre dans lequel cette seconde cible a été choisie en fonction du contexte des rivalités entre les dirigeants de Benghazi et de Tripoli. Ces tensions continuent. Le 21 septembre, le commandant militaire de Benghazi a été kidnappé pendant six heures. Trois jours plus tard, les milices pro-Tripoli à Benghazi ont commencé à arrêter les participants à la manifestation du 20 septembre, dont 30 officiers de l’armée.

    Alors que certains Libyens sont encore reconnaissants du soutien des USA dans le renversement de Kadhafi, l’opposition augmente – surtout à caractère religieux, en ce moment – face à l’implication prolongée des USA en Libye. Cela va probablement accroître les tentatives des puissances occidentales de renforcer leur présence. En septembre, l’administration Obama a accordé 8 millions de dollars pour l’entraînement d’une force ”anti-terroriste” d’élite de 500 hommes en Libye.

    Le sentiment de libération de beaucoup de Libyens est encore important. Cela pourrait être la base d’une opposition aux milices sectaires et réactionnaires, dont le potentiel a été vu dans les manifestations contre Ansar al-Sharia. Cependant, cette manifestation a aussi montré que sortir dans la rue est insuffisant. Pour que les revendications des travailleurs soient réalisées, il est nécessaire de s’auto-organiser avec des objectifs clairs, sinon d’autres forces peuvent tirer profit de tels mouvements.

    Beaucoup de Libyens, en particulier les jeunes, sentent que l’année dernière ils ont eu une chance, et le pouvoir, de décider de leur propre avenir. Maintenant, il est de plus en plus clair que cela demande de l’organisation, un programme et une lutte pour l’unité des travailleurs et des jeunes dans une bataille commune, sinon il y a le risque d’une spirale de dégradation.

    Les divisions entre les zones sont de plus en plus fortes, malgré le ciment du revenu du pétrole. Misrata, par exemple, est maintenant pratiquement autonome. Dans la région Cyrénaïque riche en pétrole autour de Benghazi, il y a des revendications répétées pour plus d’autonomie, ce qui fait peur aux autres régions. En l’absence d’organisations indépendantes et démocratiques des travailleurs, les autres forces prendront la tête.

    L’opposition à une présence étrangère, la peur du retour de l’ancienne élite ou de la montée d’une nouvelle peuvent constituer la base de différentes formes de populisme – religieux, régional, tribal, ethnique ou nationaliste. Alors que les richesses pétrolières de la Libye peuvent maintenir le pays ensemble, particulièrement du point de vue des zones non-productrices de pétrole, des luttes peuvent éclater entre les élites rivales sur le partage du pillage ou, à un certain stade, sur la question de l’éclatement du pays.

    Il est essentiel de créer des organisations indépendantes et démocratiques des travailleurs

    La création d’organisations indépendantes et démocratiques de travailleurs, et notamment la question cruciale d’un parti de la classe des travailleurs, est d’une importance vitale. C’est le seul moyen pour que les travailleurs, les opprimés et les jeunes soient capables de surmonter les divisions de plus en plus présentes et d’entamer une lutte pour une véritable transformation révolutionnaire du pays et ainsi contrecarrer les projets des impérialistes, en finir avec la dictature et transformer radicalement la vie des masses.

    Pour parvenir à ses fins, un mouvement des travailleurs aura besoin de défendre tous les droits démocratiques, d’impliquer les travailleurs immigrés en abordant la défendre de leurs droits, et de s’opposer à la privatisation des atouts de la Libye. Il faut revendiquer le retrait de toutes les forces armées étrangères, s’opposer à toute intervention militaire étrangère et par-dessus tout, rejeter la participation à tout gouvernement avec des forces capitalistes.

    Le mouvement des travailleurs doit lutter pour un gouvernement de représentants des travailleurs et des pauvres, basé sur des structures démocratiques dans les lieux de travail et les collectivités. Un tel gouvernement utiliserait les ressources de la Libye dans l’intérêt de la population. Cela serait la réelle victoire pour les travailleurs et les jeunes Libyens et permettrait de mettre en avant un exemple international de fin d’un régime dictatorial et des misères du capitalisme.

  • Révolution & socialisme. Un autre monde est possible – Lequel et comment y parvenir ?

    Les révolutions qui ont fait chuter les dictateurs Ben Ali et Moubarak ont été un véritable tremblement de terre idéologique. Ainsi donc, révolutions et irruptions des masses sur le devant de la scène politique n’avaient pas sombré avec le vingtième siècle ! Ces admirables mobilisations ont suscité un extraordinaire enthousiasme aux quatre coins du globe, non seulement parmi les militants révolutionnaires, mais plus largement aussi, parmi ces millions d’opprimés et d’exploités aux prises avec les terribles conséquences de la crise du système capitaliste et qui, jusque là, n’avaient pas encore rejoint le camp de la lutte.

    Dossier par Nicolas Croes

    A partir du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord, le souffle de la révolte des masses a déferlé sur le monde avec le mouvement des Indignés, le mouvement Occupy Wall Street, l’explosion de grèves générales historiques dans des pays aussi divers que le Nigeria ou l’Inde, le ‘‘printemps érable’’ québecquois,… Tous ces gens ont découvert l’incommensurable force qui est la leur une fois leur colère collectivement exprimée. La question essentielle est toutefois celle-ci: comment, à partir de là, transformer la contestation de masse en une énergie capable de renverser ce système haï ?

    Pendant toute une période, cette question a été étouffée par l’offensive idéologique de la classe dominante. L’effondrement du stalinisme avait été saisi pour dire qu’aucune alternative au capitalisme n’était viable. C’était la ‘‘fin de l’Histoire’’, pour reprendre l’expression du philosophe américain Francis Fukuyama. Mais la réalité est plus forte que la propagande et, aujourd’hui, même les partisans les plus acharnés du capitalisme ne parviennent pas à cacher qu’ils n’ont aucune réelle solution capable de restaurer la stabilité du système. Face à cette faillite systémique, tout tourne pour eux autour de l’austérité (teintée ou non d’un soupçon de rhétorique de croissance), un peu à la manière de ces médecins des temps jadis qui avaient pour remède universel de saigner leurs patients, parfois jusqu’à la mort. De la même manière, combien d’économies ne succombent-elles pas actuellement sous les coups des ‘‘remèdes’’ imposés par la dictature des marchés ? Nulle part la cure d’austérité, à plus ou moins forte dose, n’a conduit à une sérieuse convalescence économique.

    Fort heureusement pour le bien de l’humanité, la médecine a progressé et a tourné le dos à la pratique destructrice de la saignée. Le reste de la société doit suivre cette voie, et baser sa gestion des ressources sur une méthode rationnelle, diamétralement opposée au dogme de la ‘‘main invisible automatiquement régulatrice’’ des marchés, dont les extrêmes limites ont dramatiquement été dévoilées par la crise économique.

    Reprendre le contrôle de l’économie

    Fondamentalement, la solution réside dans la collectivisation démocratique des moyens de production. Impossible d’obtenir une démocratie réelle en Afrique du Nord et au Moyen Orient sans retirer les leviers économiques des mains de ceux à qui bénéficiaient les dictatures de Ben Ali et de Moubarak. Impossible aussi d’éviter le naufrage des conditions de vie de la population tant que les pertes des banques, des spéculateurs et des grands actionnaires sont épongées par les ressources de la collectivité. Impossible toujours, dans un registre tout récemment remis à la une de l’actualité avec le sommet RIO+20 (20 ans après le sommet de la Terre de Rio), de sortir de la destruction systémique de l’environnement tant que la soif de profit constitue l’alpha et l’oméga de l’extraction des ressources naturelles et de leur utilisation.

    Si les secteurs-clés de l’économie étaient placés sous contrôle démocratique de la collectivité, il serait possible de démocratiquement planifier l’activité économique. Ainsi, une véritable guerre pourrait être menée contre la pauvreté et pour l’élévation de l’humanité au niveau que permettrait la technique actuelle libérée de la camisole de force de l’économie de marché et de concurrence. C’est cela que nous appelons le socialisme. Actuellement, l’énergie créatrice de millions de personnes est gâchée par le chômage et la misère alors que les nécessités sociales sont gigantesques. Hôpitaux, écoles, logements sociaux, transport en commun et autres besoins de base manquent ou sont même détruits par les réductions budgétaires, tandis que des sommes faramineuses dorment sur des comptes, les capitalistes craignant comme la peste de ne pas pouvoir faire suffisamment de profit en les investissant. Une force sociale est capable de s’approprier ces moyens : la classe des travailleurs.

    La classe ouvrière n’a pas disparu

    Le terme suscite de grandes controverses. Pour certains, la population des pays capitalistes avancés est essentiellement composée de consommateurs, la vieille classe ouvrière aurait été annihilée et avec elle ses possibilités. C’est faux. La classe ouvrière, une catégorie sociale forcée de vendre sa force de travail puisqu’elle ne dispose pas de la propriété des moyens de production, constitue aujourd’hui une force sociale de centaines de millions de personnes. En ce 21e siècle, elle est plus puissante qu’elle ne l’a jamais été, et plus dans les pays dits développés seulement. C’est ce qu’ont illustré la grève générale de janvier au Nigeria et les deux grèves générales quasiment continentales qu’a connu l’Inde en cette première moitié de 2012.

    En fait, le potentiel de la classe ouvrière n’a cessé d’être révélé ces derniers mois. Le rôle joué par l’OTAN et l’impérialisme dans la chute de Kadhafi ne peut pas occulter le soulèvement de Benghazi. Mais l’impérialisme occidental craignait surtout la contagion dans la région des exemples tunisiens et égyptiens, où la classe ouvrière avait joué un dangereux rôle indépendant en bloquant l’économie entière. Ce n’est aucunement un hasard si Ben Ali et Moubarak ont quitté le pouvoir qu’ils occupaient depuis plusieurs décennies le jour de grèves générales. Pas de hasard non plus dans le silence des médias traditionnels, eux aussi sous l’étroit contrôle du capital, à ce sujet. D’autre part, en Belgique et ailleurs, les travailleurs ont pu se rendre compte que la hargne des médias dominants ne s’étale jamais si fortement que lorsque les ‘‘syndicats dépassés’’ composés de ‘‘grévistes preneurs d’otages’’ partent en action ‘’irresponsable’’ contre ‘’l’intérêt économique du pays’’. C’est en soi également une très bonne indication de là où se trouve la grande peur de la classe dominante.

    Le danger de l’électoralisme

    Récemment, en Grèce ainsi qu’en France (bien que dans une moindre mesure), nous avons pu voir cette résistance s’exprimer également par le biais des urnes, ce qui est une source d’encouragement. Cela rend d’autant plus crucial d’accorder une attention particulière à la relation entre les luttes concrètes, surtout syndicales, et les élections. Au début du vingtième siècle, le militant socialiste allemand Karl Kautsky soutenait que la clé de la stratégie à adopter pour renverser le capitalisme était une “accumulation passive” de forces basée sur une non-participation gouvernementale jusqu’à atteindre la majorité électorale et pouvoir ainsi gouverner seul. Les élections sont un moyen à utiliser pour faire entendre la voix d’une alternative politique, mais cette optique unilatéralement électorale – qui a déchaîné les critiques des révolutionnaires socialistes (notamment de Lénine) mais a été à la base de l’action de la social-démocratie – fut un échec tout au long du vingtième siècle. Des éléments de cette analyse persistent toutefois parmi ceux qui considèrent comme essentiel de se concentrer uniquement sur la construction d’une force électorale.

    En Égypte et en Tunisie, nombreux ont été les militants, y compris parmi la gauche dite révolutionnaire, qui ont désigné la voie électorale comme la manière de poursuivre le combat entamé avec les débuts des révolutions. Le temps laissé à leur organisation a offert un espace à la contre-révolution pour se réorganiser et a permis à une couche de la population d’être gagnée par la lassitude face au désordre social, politique et économique. Cela, les réactionnaires ont bien compris qu’ils pouvaient l’instrumentaliser. Pourtant, au moment de la chute des dictateurs, des éléments de double pouvoir étaient présents dans la situation. En Égypte, de grandes divisions étaient également apparues parmi les Frères Musulmans, sur base de contradictions sociales entre une direction définitivement pro-capitaliste et une base touchée par les revendications sociales hardies portées par le mouvement révolutionnaire.

    Des comités de quartiers et de défense s’étaient organisés dans le cadre de la lutte, tout comme des comités de grève et des comités d’entreprise qui ont même été placés devant le contrôle de sites désertés par les patrons liés aux dictateurs. Sur base de ces assemblées de travailleurs et de jeunes et de la méthode de la grève générale, il était possible de commencer à poser la question d’une autre société, avec une activité politique et une production démocratiquement gérée par des comités de base coordonnés entre eux, avec l’élection de représentants révocables à tout moment et ne disposant pas de privilèges. Un tel système est à l’opposé de la sanglante caricature de socialisme que fut le stalinisme.

    C’est en ce sens que la gauche aurait dû orienter ses efforts, avec audace et confiance envers les capacités révolutionnaires des masses. Trotsky, un révolutionnaire marxiste qui fut l’un des dirigeants de la révolution russe, a souligné dans son ouvrage consacré à cette révolution que ‘‘plus le prolétariat agit résolument et avec assurance, et plus il a la possibilité d’entraîner les couches intermédiaires, plus la couche dominante est isolée, plus sa démoralisation s’accentue ; et en revanche, la désagrégation des couches dirigeantes apporte de l’eau au moulin de la classe révolutionnaire.’’ Hélas, c’est une certaine timidité qui l’a provisoirement emporté, héritée des années de dictature et du poids de la pensée unique néolibérale consécutive à la chute du Mur de Berlin.

    Des partis de lutte

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    Le programme de transition

    Aujourd’hui, la compréhension des tâches exigées par la situation de crise économique (la “conscience politique” de la classe des travailleurs) est en retard sur cette situation objective. Cela s’est déjà présenté et c’est à cet effet que Trotsky avait élaboré le Programme de transition, en tant qu’aide pour que les révolutionnaires touchent d’abord les couches de la classe ouvrière les plus politiquement avancées, puis les masses de travailleurs par la suite.

    Dans ce texte écrit en 1938 en prévision de la Seconde Guerre Mondiale, on peut notamment lire que ‘‘Le chômage croissant à son tour approfondit la crise financière de l’État et affaiblit davantage le système monétaire instable’’. N’est-ce pas là une description presque parfaite de la crise qui se développe actuellement autour de la soi-disant “dette souveraine” ? Cela illustre l’extraordinaire actualité de ce texte.

    Le fossé entre la situation objective qui ne fait qu’empirer et la conscience de la classe ouvrière va se refermer au cours de la prochaine période. Les événements vont dans ce sens. Au bord du gouffre, la masse des travailleurs va se retourner contre le système capitaliste, parfois sans une idée claire de ce qui pourrait être mis à la place. La route vers une conscience socialiste et révolutionnaire peut cependant être considérablement raccourcie si la classe ouvrière devait s’approprier la méthode transitoire et un programme transitoire qui lie les luttes quotidiennes à l’idée du socialisme.

    Ainsi, concernant la lutte contre le chômage, le programme de transition développe la revendication de la répartition du temps de travail nécessaire en fonction des forces disponibles, avec embauches compensatoires et sans perte de salaire. Cette approche somme toute des plus logiques remet en fait puissamment en question le contrôle de l’embauche et, in fine, de la production par les capitalistes. Liée aux autres revendications du Programme de transition, notamment la nationalisation des monopoles, elle pose directement la question du contrôle et de la gestion des principaux leviers économiques par les travailleurs eux-mêmes.

    Les adversaires du marxisme dépeignent les revendications transitoires comme étant “impossibles”, “utopiques”, “irréalistes”, etc. Trotsky a précisé à ce titre : “La “possibilité” ou l’ “impossibilité” de réaliser les revendications est, dans le cas présent, une question de rapport des forces, qui ne peut être résolue que par la lutte.’’ Allant un peu plus loin, il a ajouté que : “Les révolutionnaires considèrent toujours que les réformes et acquisitions ne sont qu’un sous-produit de la lutte révolutionnaire. Si nous disons que nous n’allons demander que ce qu’ils peuvent donner […] alors la classe dirigeante ne donnera qu’un dixième ou rien de ce que nous demandons. Le plus étendu et le plus militant sera l’esprit des travailleurs, le plus sera revendiqué et remporté.’’
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    Même si la pression vers la tenue d’assemblées constituantes sur le modèle parlementaire bourgeois était trop forte, une agitation conséquente sur ce thème de la prise du pouvoir économique et politique aurait trouvé un écho et un soutien conséquents sur lesquels un puissant outil politique aurait pu être développé. Car il reste bel et bien nécessaire pour les luttes de disposer d’un prolongement politique. Nous ne parlons pas ici d’un ramassis de politiciens, mais bien d’un instrument de combat social visant à organiser le plus grand nombre vers un même objectif. Trotsky, toujours dans son Histoire de la révolution russe, disait que ‘‘Sans organisation dirigeante, l’énergie des masses se volatiliserait comme de la vapeur non enfermée dans un cylindre à piston. Cependant le mouvement ne vient ni du cylindre ni du piston, mais de la vapeur.’’

    La tâche cruciale aujourd’hui pour ceux qui aspirent à un changement de société fondamental est de construire de tels partis révolutionnaires, avec un programme qui lie les attentes quotidiennes du plus grand nombre à la lutte pour une société réellement socialiste, basée sur la propriété collective des moyens de production. Cette approche ne saurait pas directement être saisie à une échelle de masse et des partis révolutionnaires comme les sections du Comité pour une Internationale Ouvrière à travers le monde auront encore à argumenter en défense de ce point de vue avec acharnement. Mais la nécessité de s’organiser s’impose d’elle-même, de nouvelles formations politiques de gauche se développent, et elles constituent autant de laboratoires idéologiques pour les militants politiques, des lieux où les révolutionnaires peuvent participer au débat et à l’analyse de l’expérience concrète du combat politique.

    En Grèce, Syriza a démontré que de telles formations larges peuvent rapidement évoluer sous la pression des évènements. Même si le programme de cette coalition de la gauche radicale comporte encore selon nous de nombreuses faiblesses, son évolution vers la gauche a été réelle ces derniers mois. Cela peut se poursuivre pour autant que le débat démocratique soit plus favorisé en son sein, afin que l’expérience et les discussions des militants de la base puissent s’épanouir et être réellement reflétées dans la politique du parti. Il est également crucial que l’activité de celui-ci soit orientée vers les luttes et qu’elle ne considère pas l’activité électorale comme le moyen unique d’assurer l’arrivée d’une autre société.

    Le début d’une nouvelle ère

    Le développement de la situation actuelle n’est pas linéaire, la révolution y est à l’œuvre de même que la contre-révolution. Mais les bases matérielles qui poussent à la lutte pour un changement de société restent présentes. En Égypte, lors du premier tour des élections présidentielles, le candidat le plus identifié aux idéaux de la révolution du 25 janvier 2011 a obtenu 22%, à peine 2 et 3% derrière le candidat des Frères Musulmans et celui de l’armée et sans disposer de leurs solides réseaux. De plus, les Frères Musulmans avaient perdu près de 20% des voix qu’ils avaient obtenues aux élections législatives de janvier 2012. Cela illustre, en plus du développement de nouvelles structures syndicales et des grèves, le développement de la révolution vers le reversement du système économique qui soutenait la dictature. Mais l’armée est décidée à garder son pouvoir, raison pour laquelle elle avait sacrifié Moubarak en espérant ainsi freiner la colère des masses.

    Lénine disait notamment qu’une situation révolutionnaire pouvait s’épanouir quand ‘’ceux d’en bas ne veulent plus être gouvernés comme avant, et quand ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner comme avant’’. Il ajoutait : ‘’La révolution ne surgit pas de toute situation révolutionnaire, mais seulement dans le cas où, à tous les changements objectifs énumérés vient s’ajouter un changement subjectif, à savoir la capacité pour la classe révolutionnaire de mener des actions assez vigoureuses pour briser complètement l’ancien gouvernement qui ne tombera jamais, même à une époque de crise, si on ne le fait choir’’.

    Aujourd’hui, si le poids des années ‘90 est certes encore très grand en termes de recul de la conscience des masses et de faiblesse au niveau des organisations de luttes politiques et syndicales des travailleurs (notamment en raison du rôle joué par des directions syndicales qui ne croient pas en un changement de système), l’évolution peut être rapide. La sévérité de la crise économique fait tomber les masques et les occasions de construire un outil révolutionnaire de masse seront nombreuses.

  • Tunisie : Quelle situation un peu plus d’un an après la chute du dictateur et après les premières élections ?

    Dans son rapport du mois de juin, l’International Crisis Group (ICG) soulignait le risque de nouvelles explosions de colère en Tunisie, du fait de l’incapacité du gouvernement à faire face à des problèmes majeurs du pays, à savoir le chômage, les inégalités et la corruption. Ces problèmes sont exactement les mêmes qui ont causé les mouvements de masse des jeunes, travailleurs et pauvres qui aboutirent à la fuite de Ben Ali.

    Rapport d’une discussion tenue à l’école d’été du CIO, par Baptiste L.

    La Tunisie pieds et poings liés au marasme économique mondial

    Les causes économiques de ces maux sont toujours à l’œuvre et la grave crise économique qui touche la Tunisie ne permet pas d’envisager d’autre perspective. Alors que le gouvernement dirigé par Ennahdha annonçait 2012 comme l’année de la reprise (croissance prévue entre 2,6% et …4,7% selon le ministre), le plus probable est que cette année amorce une nouvelle phase de contraction de l’économie. De fait, les exportations vers l’Europe chutent substantiellement, or c’est le cœur de l’économie. En outre, des partenaires traditionnels de la région comme la Lybie ne sont pas dans une situation pour stimuler les échanges commerciaux.

    Depuis la chute de Ben Ali, 134 entreprises ont quitté le pays et parmi ces 134, environ 100 se justifient par les risques de grève accrus. Un tel fait suffit à illustrer à quel point la moindre tentative d’amélioration des conditions de vie ou de travail est d’emblée confrontée au chantage. Cela se retrouve encore de différentes manières dans l’économie. Ainsi, si l’inflation est officiellement de 5,7%, l’augmentation des prix des denrées de base est totalement disproportionnée. En un an, le prix des tomates a par exemple été multiplié par 8 !

    Une situation sociale toujours dans l’impasse

    Cela n’est pas un hasard ou la conséquence des méfaits du climat, mais une politique consciente du patronat de sorte à reprendre d’une main ce qu’ils ont dû concéder de l’autre (comme des augmentations de salaires conséquentes aux luttes et grève de la dernière période). Les luttes n’ont pas pris fin avec la chute de Ben Ali, que du contraire : la chute du dictateur honni a ouvert une boîte de Pandore en termes de revendications sociales. D’ailleurs, les magouilles derrière l’augmentation des prix des denrées de base pourraient donner naissance à une nouvelle vague de luttes sur ce sujet et où serait en train de germer l’idée de comités populaires pour contrôler les prix.

    De son côté, le chômage n’a pas baissé depuis la fin de Ben Ali, que du contraire. Les grèves de la faim et les immolations sont autant d’actes de désespoir en augmentation face à cette situation. Le gouvernement fait d’ailleurs aveu de son échec et de son incapacité en proposant explicitement aux chômeurs d’aller tenter l’aventure en Lybie pour gagner de quoi vivre.

    Ennahdha et l’islam politique déjà totalement discrédités

    Dans une telle situation, les sondages faisant part du discrédit du gouvernement ne sont guère surprenants : pour 86 % des sondés le gouvernement Ennahdha est en échec complet sur la question de l’emploi et du chômage, pour 70 % il est également en échec face à la corruption et pour 90 % également sur la question des prix, où il apparaît qu’ils n’ont strictement rien fait. Ce bilan pour le gouvernement est si lourd qu’il va jusqu’à remettre en question l’existence de ce gouvernement, comme cela est avancé à juste titre dans le rapport de l’ICG.

    Ennahdha, parti de droite et se réclamant de l’islam politique, est arrivé au pouvoir en octobre 2011. Cette victoire aux premières élections depuis Ben Ali ne signifiait pas pour autant un virage vers la droite des masses qui avaient mis fin à la dictature. Il suffit de voir que la participation électorale n’était que de 75 % et que 60 % de ceux-là n’ont pas voté en faveur d’Ennahdha. La base sociale d’Ennahdha prend plutôt ses racines dans des couches de la population qui furent inactives durant la révolution. En fait, cette victoire par défaut signifiait plus l’absence d’une alternative crédible pour répondre aux attentes sociales. Il est également crucial de voir ce résultat électoral comme une photo, un « instantané », et non comme une vue complète sur le processus dans lequel a pris place l’élection. Si Ennahdha a pu gagner en autorité suite à sa victoire, ils n’ont que plus perdu en crédit depuis avec le test de la pratique.

    La contre-révolution prend ses marques

    Suite à son incapacité à avancer une réponse sur le plan socio-économique, Ennahdha s’est décidé à s’engouffré sur la voie de la répression. Les contrôles arbitraires et la répression policière rappellent parfois ni plus ni moins que les méthodes de Ben Ali, à un degré différent toutefois. Cela est d’autant plus choquant quand on sait que le président Moncef Marzouki a été représentant pour Amnesty International et pour la ligue des droits de l’homme, et que le premier ministre Hamadi Jebali fut lui-même victime de la répression et connut la prison sous Ben Ali. La manière dont de telles figures ont adopté si rapidement ces méthodes répressives nourrit l’idée que ce qui est nécessaire est de renverser l’ensemble du système et pas seulement les têtes les plus visibles du régime. Ennahdha n’hésite d’ailleurs pas à déclarer que le vrai problème de l’ancien régime était avant tout une question de personnes. Une telle déclaration achève d’enterrer le mythe de l’islam politique.

    L’enracinement dans l’appareil d’Etat de la nouvelle couche dirigeante de Ennahdha n’est évidemment pas encore aboutie comme a pu l’être l’enracinement du RCD de Ben Ali. Cette espace permet à des déchus du l’ancien régime de s’organiser derrières d’anciennes figures encore présentes surtout dans l’appareil militaire. Cette situation génère un conflit latent entre le nouvel et l’ancien establishment. Cette réorganisation des anciens de Ben Ali s’opère également au sein de « l’Appel de Tunisie ». Au sein de ce mouvement on retrouve d’anciens diplomates, ministres et notamment de l’ancien premier ministre provisoire Béji Caïd Essebsi. « Appel de Tunisie » se profile comme ‘moderniste’ et libéral, en contraste avec le caractère islamiste de Ennahdha et dans le but de se présenter comme des partenaires plus fiables pour les impérialistes et la bourgeoisie tunisienne. Sur base de l’expérience au sein de l’ancien régime, ils cherchent également à se profiler comme un gage de stabilité par rapport à Ennahdha dont le gouvernement est en crise.

    Au final, Ennahdha et l’Appel de Tunisie ne sont rien d’autre que deux des visages de la contre-révolution. Leur volonté commune est de faire plier le mouvement ouvrier, son organisation, et de pérenniser le capitalisme en Tunisie. Ce n’est pas un hasard si une solidarité de classe apparaît lors de certaines situations socialement chaudes, comme lors de la répression d’un piquet de grève.

    Les défis pour le mouvement ouvrier restent d’une importance critique

    L’idée selon laquelle la Tunisie est le miracle du printemps arabe est donc loin d’être vrai. Bien sûr, il n’y a pas eu les interminables scénarios de guerre civile et de violence comme le connaissent la Syrie, la Lybie ou l’Egypte. Une des raisons qui explique cette différence est le poids conséquent de l’UGTT. Dans les autres pays cités précédemment, la structuration du mouvement ouvrier est beaucoup plus affaiblie. De toute la région (Afrique du Nord et Moyen-Orient), la Tunisie présente la plus grande tradition syndicale.

    Depuis la chute de Ben Ali, le nombre de syndiqués a doublé pour atteindre un million de personnes. Sous Ben Ali, l’UGTT était le seul syndicat reconnu et sa direction avait tendance à être plus loyale au gouvernement qu’à sa base. Depuis le congrès de décembre 2011, une nouvelle direction a été élue à l’UGTT, largement plus sensible aux militants syndicaux de la base. Si à l’époque de la chute de Ben Ali le renversement de la direction de l’UGTT était une nécessité, aujourd’hui il s’agit plutôt de réaliser la tactique du front unique pour permettre au mouvement ouvrier de décrocher des victoires et d’augmenter sa conscience de classe.

    Chaque occasion ratée donnera des opportunités à la droite

    Le climat social est toujours bouillonnant, en atteste le nombre accru de grèves. Aux mois de mars et d’avril, une vague de grèves générales de villes pris place. Vingt villes réalisèrent à tour de rôle une grève générale. Cette expérience unique n’avait rien d’un mouvement de grèves désordonné. Que du contraire, ce mouvement de grève fut massivement suivi dans chaque ville avec la solidarité à chaque fois d’un grand nombre de petits commerçants. La solidarité de telles couches de la société est significative de l’autorité qu’a gagnée l’UGTT et de son potentiel. Ce potentiel est tel qu’il a donné lieu à certaines situations de double pouvoir.

    Néanmoins, l’attitude de la direction de l’UGTT reste défensive et manque d’audace. Cela reflète en dernière instance un manque de confiance dans les capacités de la classe ouvrière et le manque d’une alternative politique. La direction actuelle pratique en fait un populisme de gauche, fait de balancement entre un radicalisme, poussé par la base, et des appels à la conciliation, faute de perspective politique. Un tel manque de stratégie n’est pas anodin et peut rapidement mener à une démoralisation ; d’autant plus que dans une période révolutionnaire chaque occasion manquée est une opportunité pour l’ennemi : la contre-révolution.

    Les salafistes, l’immonde symptôme d’un régime agonisant

    La situation actuelle peut être caractérisée comme très volatile : tout peut basculer d’un côté comme de l’autre. Une polarisation extrême se développe entre des éléments de révolution et contre-révolution. Cela s’est récemment illustré avec la croissance des forces de salafistes, qui défendent une lecture très réactionnaire de l’islam avec notamment l’organisation d’une police morale en défense de la charia. Ces salafistes ont une base sociale similaire aux fascistes : du lumpen (le ‘‘sous-prolétariat en haillons’’), des éléments de la petite bourgeoisie et des éléments aliénés de la classe ouvrière. Ils ont en commun également le recours à la violence envers le mouvement ouvrier organisé. De nombreux cas d’attaques envers des femmes « mal habillées », des bars à alcool et des militants politiques sont à recenser. Il faut toutefois remarquer que tous les salafistes ne sont pas des intégristes religieux. Il s’y trouve parfois de simples délinquants et autres petites frappes, ce qui est lié à la base sociale des salafistes.

    L’attitude d’Ennahdha vis-à-vis des salafistes est symptomatique : les critiques sont toujours contrebalancées de justifications. Cette attitude s’explique en partie par le fait qu’au sein d’Ennahdha est présente une aile plus radicale, liée aux salafistes. La direction d’Ennahdha n’affronte donc pas les salafistes pour s’accommoder cette aile plus radicale. En outre, les salafistes sont consciemment instrumentalisés par Ennahdha pour faire le sale boulot envers les militants politiques et les travailleurs en lutte, mais également pour dévier les tensions de classe vers des tensions religieuses ou encore de profiter du climat délétère pour justifier la mise en place de couvre-feux. Parallèlement, des soupçons existent sur le fait que d’anciens pontes du RCD renforceraient les salafistes afin de déstabiliser le pouvoir en place.

    Une stratégie vers la victoire est nécessaire pour écraser la réaction

    Au mois de juin, dans la foulée des plus grandes manifestations depuis la chute de Ben Ali, les salafistes ont mis le feu à des bureaux de l’UGTT. Ce développement des forces salafistes appuie et illustre l’absolue nécessité pour le mouvement ouvrier de s’organiser de manière indépendante, pour pouvoir répondre à de tels défis critiques. Ces évènements de juin sont une première alarme à cet égard. La gauche doit construire un pôle indépendant de la classe ouvrière autour de l’UGTT. Nous n’avons aucune illusion à avoir dans le rôle soi-disant progressiste de l’Appel de Tunisie d’Essebsi ; les prochaines victoires du processus révolutionnaire seront le fait de la classe ouvrière et non des capitalistes à visage démocratique.

    Les expériences de luttes pour les masses furent une véritable école révolutionnaire. Nous devons capitaliser sur cette expérience pour continuer la lutte pour une société basée sur des conditions de vie décentes, pour créer massivement des emplois, pour la nationalisation des banques et des grandes entreprises, pour un plan de développement des infrastructures par des investissements massifs. Seule la lutte pour le socialisme permet une économie démocratiquement gérée dans les intérêts des travailleurs et des pauvres.

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