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  • De l’occupation de places à l’occupation d’entreprises !

    Quelles méthodes pour les 99%?

    Au cours de cette année 2011, nous avons vu croître la résistance contre l’austérité, et les mobilisations ont gagné en ampleur à travers le monde. Avec le rejet croissant du capitalisme, la question de l’alternative à défendre et de la façon d’y parvenir devient de plus en plus aigüe. En Tunisie, en Egypte, en Espagne, en Grèce, aux Etats-Unis et ailleurs s’est imposée la tactique de l’occupation des places. Elle a joué un rôle important, tant pour rendre le mécontentement visible que pour offrir un point de rassemblement afin de discuter largement de la poursuite du mouvement en Assemblée populaires. Comment aller de l’avant ?

    Par Nicolas Croes

    Partout où ils sont présents, les partisans du Comité pour une Internationale Ouvrière, dont le PSL est la section belge, préconisent de s’orienter vers le mouvement organisé des travailleurs, c’est-à-dire vers ceux qui produisent les richesses dans la société sans pour autant avoir le moindre mot à dire sur la manière dont cette production est gérée. Comme nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises dans les pages de ce journal, ce n’est nullement un hasard si les grèves générales ont été décisives pour renverser Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte.

    Cette orientation vers les travailleurs et la base syndicale, qui n’était pas claire au début du mouvement en Espagne, par exemple, s’est par la suite développée peu à peu. Cela a notamment été illustré par cet appel à la grève générale lancé par les activistes d’Occupy Oakland aux Etats-Unis le 2 novembre dernier. Même s’il ne s’agissait pas d’une véritable grève générale, cet appel a trouvé écho auprès de la base syndicale, dont de nombreux militants ont participé à la mobilisation de 20.000 personnes qui a bloqué le port de la ville. La méthode d’action retenue à chaque étape d’un mouvement doit être celle qui mobilise les couches les plus larges de travailleurs et force est de constater que, sur base de l’expérience de ces derniers mois, ce qui a le mieux fonctionné, ce sont des revendications claires centrées sur le quotidien des masses, heurté de plein fouet par l’austérité, en combinaisons d’actions de masses radicales.

    En Espagne ou encore aux USA, nous défendons que les différentes Assemblées populaires soient reliées les unes aux autres par l’élection démocratique de représentants, afin de coordonner démocratiquement les actions aux niveaux local et national. Mais nous pensons également qu’il est crucial de développer ces assemblées générales sur les lieux de travail eux-mêmes, et d’amener très concrètement la question de la démocratie syndicale. Pourquoi d’ailleurs, là où la situation le permet, ne pas passer de l’occupation de places et de lieux symboliques à l’occupation d’entreprises ? Pourquoi ne pas envisager de préparer l’occupation du cœur même de la structure du capitalisme ?

    Les 99% contre les 1%

    Dans le cas de menace de fermetures ou de licenciements, cette question de l’occupation se pose très concrètement. C’est une méthode que nous défendons d’ailleurs dans la lutte des travailleurs d’ArcelorMittal contre la fermeture de la phase à chaud liégeoise, en tant que première étape vers l’expropriation de la sidérurgie et sa nationalisation sous le contrôle démocratique des travailleurs.

    Depuis que cette crise économique a éclaté, plusieurs usines ont été occupées pour lutter contre des restructurations (Republic Windows à Chicago en 2008, Visteon en Angleterre et en Irlande du Nord en 2009, Waterford Chrystal en Irlande en 2009, INNSE en Italie en 2009,…) A différents moments de l’histoire des luttes d’ailleurs, comme dans les années ’30 ou ‘70, de véritables vagues d’occupations d’usines ont déferlé, causant une peur panique au Capital. En France, l’occupation de l’usine de montres LIP, en 1973, a profondément marqué les esprits : les travailleurs en étaient venus à vendre eux-mêmes leur production.

    Une occupation instaure une double pression sur le patronat. Tout d’abord, il est privé de son profit, puisque la grève a stoppé la production. Ensuite, et c’est fondamental, cela pose la question de la propriété des moyens de production : qui dirige l’entreprise ? Les travailleurs sont responsables du fonctionnement quotidien de l’entreprise et de la création de richesses, mais ils n’ont rien à dire sur l’organisation de la production et son orientation. Voilà ce qui se situe au cœur de la lutte des ‘‘99% contre les 1%’’ : le patron a besoin de travailleurs, les travailleurs n’ont pas besoin de patrons.

    Pour la démocratie réelle dans l’entreprise

    Toute lutte a besoin de construire un rapport de forces qui lui est favorable, d’impliquer un maximum de travailleurs dans l’action ainsi que d’assurer une solidarité maximale dans les autres entreprises et au sein de la population. Tout comme cela a été le cas sur les différentes places occupées, une entreprise occupée permet de développer une discussion large entre tous les travailleurs avec des Assemblées générales capables d’éviter les tensions et divisions entre syndicats, entre ouvriers et employés,… tout en constituant un lieu d’information et de débat permanent pour accueillir chaque personne voulant aider la lutte. Une structure unifiée de direction pour la lutte est un élément crucial pour empêcher les patrons et les autorités de l’Etat de venir jouer sur les différences existantes (entre contrat de travail, syndicats,…) pour semer le trouble et la division.

    Il est crucial qu’un comité de grève soit élu démocratiquement par l’Assemblée générale des travailleurs et qu’il jouisse de tout son soutien, avec notamment l’assurance de pouvoir révoquer des représentants élus à tout moment. Ce comité, responsable devant l’assemblée générale souveraine, doit organiser la lutte et la diffusion maximale de l’information, avec pour principal objectif d’impliquer chaque travailleur dans le travail à effectuer et dans la prise de décision. Ce travail d’organisation est une tâche titanesque et, tout comme cela est le cas sur les places occupées, il faut développer des commissions spécifiques.

    Il n’en est pas allé autrement dans les différentes commissions des Assemblées Populaires des Indignés. Ainsi, en Espagne par exemple, on trouvait des commissions très pratiques (cuisines, santé, traduction, informations,…) mais aussi des commissions ‘‘grève générale’’ chargée d’organiser l’agitation autour de cette idée vers la base syndicale, ‘‘femmes’’ pour aborder la thématique de l’oppression des femmes, ‘‘immigrés’’,… Ces commissions ont réellement constitué des espaces de formation politique pour tous ceux qui s’y sont impliqués. Face à un comité de grève élu et révocable, cette formation permet de construire la confiance de la base des travailleurs et d’assurer qu’elle reste réellement aux commandes de sa lutte.

    Lors de différentes occupations, on a aussi vu d’autres mesures de contrôle sur les responsables élus se développer, comme de retransmettre par haut-parleur les négociations entre responsables du comité de grève et représentants patronaux afin d’éviter tout marchandage secret. Quand nous parlons de démocratie réelle, c’est de cela dont nous parlons : d’une structure où chaque représentant est constamment soumis à l’autorité de sa base.

    Enfin, en déplaçant le centre de la résistance contre l’austérité dans les entreprises, on rend beaucoup plus difficile le travail de la répression. Il est beaucoup plus malaisé d’encercler et de réprimer un mouvement retranché dans une usine qui lui est familière, où les outils peuvent aussi servir de moyen de défense. Dans le mouvement ouvrier belge, le souvenir de la lutte des métallos de Clabecq en 1996-97 est encore vivace, avec leurs assemblées générales régulières, mais aussi cette fois mémorable où les grévistes étaient sortis de leur usine avec des bulldozers. Un barrage policier avait – brièvement – tenter de bloquer le trajet de la manifestation qu’ils avaient pourtant négocié…

    Double pouvoir

    De telles méthodes ne servent pas seulement à travailler au renversement de la société capitaliste. Une nouvelle société est en germe dans ces luttes. Les comités de lutte démocratiques et les Assemblées générales sont les embryons de cette future société où les 99% de la population auront leur mot à dire sur ce qui est produit, comment il est produit et comment il est distribué, grâce à une économie démocratiquement planifiée, basée sur la collectivisation des secteurs-clés de l’économie.

    A mesure que la lutte gagnera de l’ampleur et se généralisera, les tâches de ces comités et assemblées se développeront au point de concurrencer le pouvoir de l’Etat capitaliste et de sa démocratie fantoche. Cette situation de double pouvoir sera un moment crucial, où le mouvement aura besoin d’une direction révolutionnaire hardie et reconnue par les masses, qui pourra lancer les mots d’ordres cruciaux pour éviter de sombrer dans le statu-quo et assurer que les travailleurs, les pauvres et les jeunes puissent arracher le contrôle de la société. Dans une telle période de crise révolutionnaire, un parti comme le PSL sera crucial.

  • Tunisie: La révolution est-elle terminée?

    Les élections pour l’Assemblée Constituante qui se sont tenues le 23 octobre dernier en Tunisie avaient été conquises de haute lutte par les mobilisations révolutionnaires de masse du début d’année, en particulier suite à la deuxième occupation de la place de la Kasbah. Pourtant, l’immense majorité des élus à l’assemblée Constituante sortie des urnes n’ont pas joué le moindre rôle dans la révolution, quand ils ne s’y sont pas même opposés jusqu’à la dernière minute.

    Un militant du CIO récemment en Tunisie

    En fait, l’enthousiasme des masses à l’égard des élections était plutôt limité, et ce alors qu’elles avaient la possibilité de voter “réellement” pour la première fois dans le cadre d’élections qui soient autre chose qu’une pure mascarade trafiquée aux résultats grotesques connus d’avance.

    ‘‘Transparentes’’, ces élections l’étaient sans aucun doute davantage que ce que la population tunisienne avait connu durant ces dernières décennies, ce qui n’est pas vraiment difficile. Pour autant, le pouvoir de l’argent, le soutien des milieux d’affaire, les pratiques d’achats de voix, l’activité des réseaux de l’ancien parti mafieux et des médias toujours dans les mains de proches de l’ancien régime ont accompagné cette campagne électorale.

    Ces élections ont été l’occasion d’une surenchère de la part des médias occidentaux, vantant une supposée participation “spectaculaire”. Pour l’occasion, les dirigeants impérialistes – qui en début d’année s’étaient fort bien accommodés de la répression meurtrière contre les manifestants tunisiens, voire qui lui avaient offert leurs services – ont tous applaudi en cœur ce “festival de la démocratie”. Des chiffres farfelus parlant de plus de 90% de votants ont même circulé.

    Toute cette propagande a un but évident: elle vise à présenter ces élections comme l’épisode qui clôture pour de bon le chapitre révolutionnaire, ouvrant la voie à un pouvoir “légitime” et “démocratique”. Les masses ont maintenant eu ce qu’elles voulaient, tout le monde doit retourner au travail, et arrêter la “dégage mania”…Mais qu’en est-il réellement?

    Un taux de participation pas si spectaculaire

    S’il est vrai qu’une frange non négligeable des électeurs avait décidé de se rendre aux urnes pour se réapproprier un droit dont ils avaient été privés toute leur vie, une analyse sérieuse des résultats montre cependant qu’une partie tout aussi importante de la population n’a même pas considéré utile d’aller voter.

    Le taux de participation global n’est que de 52%. Quand on sait que 31,8% de ceux qui ont voté (près d’un million 300 mille personnes) ont eu leurs voix “perdues” (car ayant voté pour des listes qui n’ont pas récolté suffisamment de suffrages pour obtenir un siège à l’Assemblée), cela relativise sérieusement l’assise sociale de l’Assemblée Constituante, et du gouvernement qui en sortira. Au plus on s’approche des couches qui ont été au cœur des mobilisations révolutionnaires (dans la jeunesse et dans les régions plus pauvres de l’intérieur du pays en particulier), au plus le taux d’abstention s’envole, traduisant une profonde méfiance à l’égard de l’establishment politique dans son ensemble.

    Ennahda, un parti fait de contradictions

    Le parti islamiste Ennahda a remporté 41% des voix, et 89 sièges a l’Assemblée sur 217. La victoire de ce parti s’est appuyée sur un travail méthodique d’intervention dans les quartiers populaires et les mosquées. Auréolé de l’image de martyr dû à leur persécution sous l’ancien régime (le secrétaire général du parti, Hamadi Jebali, futur premier ministre, a passé 14 ans dans les geôles de Ben Ali), vu comme un parti “de rupture” face a la myriade de partis issus de l’ancien parti unique le RCD (jusqu’à 40 des partis en lice), Ennahda a su se construire une base certaine de soutien, profitant aussi de la faiblesse et des erreurs nombreuses de la gauche.

    Arrosé d’aides financières provenant, entre autres, du riche régime Qatari, le parti a déployé tout un réseau d’organisations caritatives actives parmi la population pauvre, et a fait du clientélisme une véritable méthode de campagne. Il faut y ajouter l’exploitation des sentiments religieux d’une partie de la population, aidée en cela par une campagne centrée sur ‘‘l’identité’’ dans laquelle les partis bourgeois laïcs se sont mordus les doigts, la laïcité – dont le terme n’existe même pas en arabe – étant pour beaucoup associée aux élites de la dictature, aux mesures répressives du pouvoir de Bourguiba et de Ben Ali, ainsi qu’aux campagnes racistes contre les musulmans dans la France de Sarkozy.

    Bien que la direction du parti soit maintenant engagée dans une opération de séduction vis-à-vis des grandes puissances impérialistes, montrant “patte blanche” quant à leur politique en matière de mœurs et de droits des femmes, Ennahda demeure sous la pression de courants islamistes plus radicaux qui, encouragés par la victoire électorale de ce parti, ont augmenté leur visibilité et leurs activités au cours de la période récente. Au début du mois de novembre, une grève du personnel de la fac de Tunis a eu lieu, afin de protester contre le harcèlement et les agressions dont certaines enseignantes et étudiantes font l’objet du fait qu’elles ne portent pas le voile.

    Les dirigeants d’Ennahda vont être amenés à jouer sur plusieurs tableaux. Alors que Rached Ghannouchi, principal dirigeant d’Ennahda, s’est récemment lancé dans une diatribe contre la langue française assimilée à une “pollution”, la direction du parti caresse les capitalistes français dans le sens du poil. D’un côté, le parti se profile comme un parti “du peuple”, de l’autre il s’appuie sur le modèle turc ultralibéral, fait de privatisations et d’attaques systématiques contre les droits de la classe ouvrière.

    ‘‘Le capital est bienvenu’’

    C’est une chose de remporter des élections, c’en est une autre de satisfaire les revendications d’un peuple qui vient de faire une révolution. Et sur ce plan, Ennahda sera attendu au tournant. La principale préoccupation des dirigeants du parti depuis le 23 octobre n’a été que d’étaler leurs promesses d’allégeance au marché, aux hommes d’affaire et aux investisseurs privés, visant à montrer qu’islamisme et Big business peuvent faire bon ménage. ‘‘Le capital national et étranger est bienvenu’’, a insisté Abdelhamid Jelassi, directeur du bureau exécutif d’Ennahda. Ce souci de défendre les intérêts de la classe capitaliste ne peut qu’entrer en contradiction avec la soif de changement social qui continue d’animer de larges couches de la population.

    Cette soif de changement social s’est clairement illustrée par les émeutes qui ont explosé à Sidi Bouzid, dans les jours qui ont suivi les élections, suite à l’annonce de l’annulation dans six régions de la liste électorale “El Aridha” pour cause d’irrégularités. Cette liste, menée par un arriviste millionnaire, ancien supporter de Ben Ali, qui a mené campagne au travers de sa chaine satellitaire émettant depuis Londres, sans mettre un pied en Tunisie, était encore complètement inconnue il y a quelques mois.

    En parlant pédagogiquement un langage qui s’adresse aux pauvres et à leurs problèmes, il a cependant été capable de rafler 26 sièges à l’Assemblée! Son discours était fait de promesses sociales telles qu’une allocation de chômage de 200 dinars pour tous les chômeurs, des soins de santé gratuits, des transports gratuits pour les personnes âgées, etc.

    Cet exemple démontre par la négative l’espace qui existe pour la gauche radicale, si du moins celle-ci s’efforce de développer un programme qui traduise les aspirations sociales des travailleurs, des chômeurs et des pauvres, et lie ces revendications sociales avec une lutte conséquente pour un changement fondamental de la société. Malheureusement, sur 110 listes présentes aux élections, pas une n’avait un tel programme socialiste clair à proposer. Cela explique en partie pourquoi les partis de la gauche radicale, le PCOT et le Mouvement des Patriotes Démocrates, n’ont récolté que 3 et 2 sièges respectivement.

    Rien n’a vraiment changé

    La colère populaire reste partout latente, du fait que, près d’un an après l’immolation de Mohamed Bouazizi, la situation sociale n’a fait que se dégrader pour la majorité de la population. Côté pile, Bouazizi reçoit à titre posthume le ‘‘prix Sakharov pour la liberté’’ au Parlement européen; côté face, le silence est de mise concernant le fait que la situation de désespoir qui a poussé Bouazizi à s’immoler par le feu reste le lot de la majorité des jeunes Tunisiens. “Des emplois ou la mort” était ainsi le slogan d’un récent sit-in à la raffinerie pétrolière de Bizerte, dans le Nord du pays. Le taux de chômage a explosé, le pays comptant actuellement plus de 700.000 chômeurs officiels, chiffre probablement plus proche du million dans la réalité.

    Les prix de l’alimentation de base sont en forte hausse eux aussi, tandis que la zone euro, principal débouché commercial des exportations tunisiennes, traverse une crise économique sans précédent. Beaucoup des raisons objectives ayant poussé la population tunisienne à faire la révolution sont donc toujours présentes dans leur quotidien.

    Le refrain “rien n’a changé” est de plus en plus audible, celui d’une “deuxième révolution” aussi. Parallèlement, les libertés démocratiques restent très précaires et sont régulièrement remises en question par des accès de violence de la part des forces de sécurité. La torture continue de manière récurrente dans les commissariats, et le gigantesque appareil policier continue de pendre comme une épée de Damoclès au-dessus de la révolution.

    La veille même des élections, la police a chargé violemment un sit-in devant les bâtiments gouvernementaux, sit-in organisé par des jeunes blessés par balles pendant l’insurrection. Ils demandaient simplement que leur assistance médicale soit prise en charge par les autorités. Ces jeunes héros de la révolution sont traités comme des chiens, pendant que les snipers, assassins et autres hommes de main de l’ancien régime continuent de courir en liberté.

    La mobilisation “Occupy Tunis” du 11 novembre dernier, en solidarité avec le mouvement international des Indignés, qui a vu la plus grosse manifestation dans les rues de Tunis depuis le mois d’août, a elle aussi été violemment attaquée par la police sans raison apparente, si ce n’est la volonté d’intimider ceux qui continuent à vouloir “revendiquer”.

    Et ceux-ci sont nombreux: depuis la fin des élections, une nouvelle vague de grèves secouent beaucoup de secteurs. Les travailleurs du secteur touristique, les mineurs de fer du Kef (Nord-Ouest), les travailleurs de la brasserie Celtia, les employés des chemins de fer et ceux de la sécurité sociale, tous ont connu des mouvements de grève successifs et solidement suivis. Malgré la propagande incessante présentant les grévistes comme des “irresponsables”, le récent rapport de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) de septembre 2011 est venu confirmer que “les salaires en Tunisie restent faibles malgré des taux de profit en hausse.”

    Ces mouvements continuent cependant à souffrir d’un manque de coordination, due au refus systématique de la direction exécutive de l’UGTT d’assister ces luttes, de leur donner un caractère plus général et des mots d’ordre précis.

    Les bureaucrates de la centrale, amis d’hier du dictateur Ben Ali, ont été impliqués dans toutes les basses manœuvres du gouvernement transitoire pour faire payer la crise économique et la dette de l’ancien régime aux travailleurs et aux pauvres, et pour tenter de restaurer la situation aux bénéfices des capitalistes et des multinationales.

    Cette manière de poignarder les travailleurs dans le dos de la part de la bureaucratie syndicale corrompue, et le peu d’empressement qu’ont eu les dirigeants de la gauche radicale a contester ouvertement cet état de fait – malgré l’esprit de lutte inconditionnel qui anime beaucoup de leurs militants – ont empêché que tout le poids de l’UGTT soit mis dans la balance. Ceci a incontestablement joué en faveur des Islamistes, qui se sont vus offert un boulevard d’intervention vers les couches les plus pauvres et les chômeurs, dont le sort a été largement ignoré depuis des mois par la direction de l’UGTT.

    Pour un gouvernement des travailleurs et des pauvres

    Si nous comprenons que certaines illusions peuvent exister quant à l’avènement d’un nouveau pouvoir élu, nous devons sobrement reconnaitre que la nouvelle Assemblée Constituante ne représente pas les aspirations du peuple Tunisien, et que tout parti qui s’appuie sur la continuation du système capitaliste pourri n’aura rien de bon à offrir a la masse de la population tunisienne.

    Or, aucun des partis engagés dans les pourparlers pour la formation du nouveau gouvernement (Ennahda, le Congrès pour la République, et Ettakatol) ne remet en question la soumission de l’économie tunisienne aux grands groupes capitalistes, pas plus que le paiement de la dette aux institutions financières internationales. En gros, ils se préparent à continuer la politique économique de l’ancien régime.

    La situation en Tunisie demeure explosive. La combinaison de crises que traversent le pays, et l’expérience accumulée par les masses lors de la dernière année – dont la plus importante est la rupture du mur de la peur – vont inévitablement se cristalliser dans de nouvelles explosions de lutte. Ces luttes doivent pouvoir bénéficier d’un prolongement politique, un parti de masse qui se batte pour un gouvernement des travailleurs, des couches populaires et de la jeunesse.

    Au lieu de proposer la cotation en bourse des entreprises et des actions précédemment détenues par les familles mafieuses, comme le suggère Ennahda, un tel gouvernement prendrait comme mesure immédiate leur nationalisation, sous le contrôle démocratique des travailleurs et de la population, comme point de départ d’un vaste plan visant a réorienter la production et l’économie au service du développement du pays et de l’amélioration du niveau de vie des masses.

    Les graines d’une société socialiste, basée sur la coopération et la solidarité des travailleurs, ou les notions d’exploitation, de profit et de corruption auraient disparu, se sont affirmés au travers du formidable mouvement révolutionnaire tunisien. La priorité est de construire un parti qui puisse organiser les couches qui se retrouvent autour d’un tel objectif, afin de faire germer ces graines, et de prévenir un retour en arrière au profit de la poignée de capitalistes qui profite de la misère et du chômage du plus grand nombre.

  • #Occupy Wall Street : quand l’Amérique s’indigne !

    Depuis le 17 septembre, jeunes, travailleurs et militants occupent une place à deux pas de la bourse de Wall Sreet, contre la dictature des banques et des patrons, sous le slogan: ‘‘nous sommes les 99 % qui ne tolèrent plus l’avidité et la corruption des 1 % restant’’. Les références du mouvement étaient claires dès les origines : les mouvements de masse en Espagne, en Grèce, en Tunisie et en Egypte. Le 24 septembre, une première manifestation a eu lieu, d’un millier de personnes, rapidement réprimée par les forces de l’ordre. Mais cette tentative de clouer le bec au mouvement a été un cuisant échec et a en réalité mis le feu aux poudres !

    Par Olivier (Liege), article tiré de l’édition de novembre de Lutte Socialiste

    Très vite, tandis que de plus en plus de gens s’intéressaient à #Occupy Wall Street, les ‘‘#Occupy’’ se sont répandus dans tout le pays (#Occupy Chicago, #Occupy Madison,…) et des milliers d’Américains ont rejoint le mouvement. Très vite aussi, les syndicats ont apporté leur soutien et ont marché côte-à-côte avec ‘‘Indignés de Wall Street’’ et d’ailleurs.

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    Cela faisait déjà longtemps que la colère se développait au sein de la population. Pendant longtemps, il semblait que seule la droite extrêmement réactionnaire du Tea Party en était l’illustration. Mais, début de cette année, un mouvement de masse a pris place au Wisconsin contre des attaques sur les droits syndicaux et contre l’austérité, illustrant à la fois que la ‘‘lune de miel’’ d’Obama avec la population était terminée, et que la colère contre la politique pro-capitaliste commençait à chercher une expression. La rapidité avec laquelle #Occupy Wall Street a fait des émules en est une nouvelle illustration.

    Comme en Espagne, ce mouvement a pris par surprise les directions syndicales, dont le manque de volonté d’organiser la lutte est responsable de l’échec des protestations véritablement massives du Wisconsin, et les politiciens. Certains ont eu des réactions frôlant le ridicule, comme le candidat aux primaires du Parti Républicain Herman Cain qui a déclaré : ‘‘Cessez d’accuser Wall Street ou les grosses banques, si vous n’avez pas de travail et que vous n’êtes pas riche, c’est de votre faute.’’ Mais d’autres tentent de récupérer le mouvement, comme le président Obama qui dit soutenir le mouvement ou comme différentes personnalités du Parti Démocrate qui ont été jusqu’à se montrer à quelques manifestations ! Mais les Démocrates et les Républicains ne sont que les deux facettes d’une même médaille, celle du soutien au monde de la finance et à Wall Street.

    De nombreux défis

    A côté du défi de la récupération par des personnalités pro-capitalistes, le mouvement a face à lui de nombreux obstacles à surmonter. Pour l’instant, dans les diverses villes américaines, la répression n’a fait que renforcer la détermination des militants et attirer l’attention de couches plus larges de la population. Il faut maintenant s’assurer que ces couches larges s’impliquent activement et réellement dans la lutte et, pour cela, adopter des revendications claires concernant l’emploi, les expulsions de logement, la défense des services publics comme l’enseignement ou les soins de santé,… Les assemblées populaires sont des endroits extraordinaires pour discuter de ces revendications et pour organiser la lutte en dépassant les freins que peut représenter la bureaucratie syndicale.

    En de nombreux endroits, notamment à New York, les syndicats ont rejoint le mouvement à des degrés divers. Cette orientation vers le mouvement organisé des travailleurs doit être favorisée et amplifiée. Le rejet des directions syndicales peut se comprendre, mais la base veut bouger et lutter.

    De nombreux militants se réfèrent à l’Égypte et à la Tunisie en disant que ce sont les occupations de places qui ont fait fuir les dictateurs, mais les choses sont un peu plus complexes. L’élément déterminant a été l’implication de la classe ouvrière. Ce n’est pas un hasard si le jour où Moubarak et Ben Ali sont tombés étaient des journées de grève générale en Egypte et en Tunisie.

    Les occupations doivent s’étendre à travers le pays, y compris vers les écoles, les lieux de travail et les collectivités. En organisant des manifestations de masse le week-end contre les coupes dans les services sociaux et en défendant un programme basé sur la création d’emplois, la fin des guerres, des coupes massives dans le budget militaire, pour la défense des droits syndicaux et des droits démocratiques,… il est possible d’impliquer des couches très larges de gens qui ne sont pas encore impliqués dans l’activité politique.

    Nos camarades de Socialist Alternative (section du CIO aux USA) proposent également de construire une semaine d’action nationale du 16 au 23 novembre (lors d’une réunion du Congrès destinée à discuter de coupes budgétaires) comme étape vers l’organisation d’actions plus larges. Ils défendent aussi que le mouvement propose ses propres candidats en 2012, anticapitalistes et issus de la classe ouvrière, afin de s’opposer aux politiques des deux partis de Wall Street et comme une étape vers la constitution d’un nouveau parti des 99%, un parti des travailleurs de masse. C’est la seule manière d’assurer que le mouvement ne soit pas récupéré tout en lui assurant un écho plus puissant encore.

  • [DOSSIER] Libye : L’impérialisme essaie de récupérer le mouvement révolutionnaire à son avantage. Comment la gauche réagit-elle?

    Pendant quelques mois, l’impérialisme a été paralysé par les évènements en Afrique du Nord et au Moyen Orient. En Egypte et en Tunisie, les dictateurs ont été chassés du pouvoir en peu de temps par un mouvement de masse. Tout a été tenté pour assurer que les changements de régime dans ces pays se limitent à de simples changements de marionnettes, sans fondamental changement social. Mais les révolutions se sont répandues, avec la conviction que les masses opprimées sont capables de se débarrasser des régimes dictatoriaux et pro-capitalistes.

    Par Michael B. (Gand)

    De semaine en semaine, une vague de protestations de masse sans précédent a progressé dans des pays aussi divers que le Yémen, le Bahreïn, le Maroc, la Libye et la Syrie. Les mouvements en Tunisie et en Egypte ont construit de profondes racines sociales parmi les opprimés, en balayant les divisions ethniques et religieuses. Grâce aux comités populaires dans les quartiers et aux comités ouvriers dans les usines, toutes les couches des masses de travailleurs et de pauvres ont été impliquées. Mais ces révolutions sont loin d’être terminées : les forces de la contre-révolution essaient maintenant de regagner le contrôle de ces pays.

    Alors qu’aujourd’hui beaucoup – mais pas tous – de Libyens célèbrent la disparition du régime de Kadhafi, les véritables socialistes doivent clarifier que, contrairement à la disparition de Moubarak en Egypte et de Ben Ali en Tunisie, la disparition de Kadhafi est, cette fois, également une victoire pour l’impérialisme.

    L’objectif des interventions impérialistes en Libye était de développer son contrôle dans la région, de créer un régime fiable aux pays occidentaux (même si les puissances impérialistes avaient par le passé conclu des marchés avantageux avec Kadhafi), et d’introduire un nouveau modèle dans la région, c’est-à-dire un changement de régime rendu possible grâce à l’aide des pays occidentaux, et au service de ces derniers bien entendu.

    Ces éléments doivent tous entrer en ligne de compte lorsque les marxistes essaient d’analyser les récents développements en Libye et en Syrie. Les vautours se rassemblent autour du cadavre de l’ancien régime ; les entreprises occidentales veulent conclure des transactions ultra-avantageuses avec le nouveau régime en échange des bons services rendus par l’Occident, qui a porté le nouveau régime au pouvoir.

    Mais cette critique de l’intervention impérialiste ne signifie toutefois pas que les marxistes peuvent défendre la situation qui prévalait jusque là, ou encore qu’ils peuvent entretenir des illusions envers le caractère de l’ancien régime de Kadhafi. C’est pourtant exactement ce qui a été fait par les organisateurs d’une manifestation à la Bourse de Bruxelles le vendredi 2 septembre dernier (1), des organisations liées au PTB (qui a défendu Kadhafi dans son hebdomadaire ‘‘Solidaire’’ (2)). Nous n’avons pas soutenu la plate-forme de cette action et nous voulons expliquer cette décision.

    L’ennemi de notre ennemi n’est pas notre allié par définition !

    L’action a eu lieu sous le slogan principal ‘‘Manifestation pour la paix en Libye et contre les bombardements de l’OTAN – Stop aux bombes "humanitaires" de l’OTAN’’. Évidemment, nous sommes pour la paix en Libye et opposés à l’intervention de l’OTAN, cette dernière ne pouvant en effet que conduire à une sorte de ‘‘recolonisation par l’Occident.’’ Mais de quelle paix parlons-nous ? Et de quelle façon devons nous concrètement traduire cela ?

    Notre problème avec l’appel pour cette manifestation se situe principalement au niveau de la question de l’alternative. Une série de faits divers sur la Libye énumérés dans la plateforme tentait d’éviter d’aborder le mécontentement, réel, qui existe parmi de larges couches de la population libyenne. Ainsi, par exemple, était totalement ignoré le mécontentement chez les pauvres, les travailleurs et les jeunes dans l’Est du pays, une région victime des tactiques de division de Kadhafi destinées à protéger son règne. Les ‘‘faits’’ présentés insinuaient un soutien à l’ancien régime de Kadhafi en disant que le dictateur avait offert la médicine gratuite, l’égalité entre hommes et femmes et qu’il avait permis d’atteindre un niveau de vie élevé.

    Il est vrai que Kadhafi a offert un certain niveau de vie à la population libyenne. Kadhafi est arrivé au pouvoir en 1969 après que l’ancienne monarchie ait été abattue. A cette époque, il soutenait le soi-disant ‘‘socialisme arabe’’, qui n’était en rien un socialisme démocratique mais bien une tentative de se positionner entre l’impérialisme et le stalinisme dans le contexte de la guerre froide. Il a nationalisé de nombreuses industries, y compris l’industrie pétrolière et le rendement du secteur n’allait pas vers les dirigeants d’une clique de multinationales occidentales, mais à l’Etat libyen lui-même. Cela a permis à Kadhafi de garantir dans une certaine mesure l’accès à des soins de santé et à l’éducation avec une sorte d’Etat-providence. Cela a donné au régime un certain soutien parmi la population.

    Mais le texte de l’appel semble supposer qu’il s’agit là d’une réussite qui mérite tous les hommages. Kadhafi – mi-monarque, mi-militaire – savait comment maintenir un soutien de la part de la population tout en préservant des liens avec les grandes puissances, parfois en se liant à l’Union soviétique, parfois à l’ouest. Occasionnellement, il s’était profilé comme un ‘‘communiste’’, mais il n’a jamais aboli les interdictions portant sur les syndicats et les organisations de travailleurs libres dans le pays. En 1971, Kadhafi a aussi renvoyé un grand nombre de communistes soudanais de Libye vers le Soudan, où ils sont tombés aux mains du dictateur Jafaar Nemeiry. Est-ce cette ‘‘liberté’’ que nous voulons voir revenir aux Libyens ?

    Après la chute de l’Union Soviétique, la Libye a tenté de se rapprocher de l’Occident. Cela a conduit à serrer vigoureusement la main de Sarkozy et d’Obama, par exemple. Ou encore à la conclusion d’un accord avec Berlusconi concernant le blocage des réfugiés africains qui tentaient de franchir la Méditerranée, mais aussi à laisser les multinationales pétrolières entrer dans le pays et encore à se lancer dans de nombreuses privatisations. La Libye est également devenue une célèbre investisseuse en Europe. Le fonds d’investissement libyen (FIL) gérerait pas moins de 70 milliards de dollars d’investissements. Kadhafi possède une partie de la plus grande banque italienne (UniCredit), de Juventus, de Fiat et 3% de la société qui possède le plus grand journal du monde, le Financial Times. Il possède également des actions dans des sociétés russes et turques, etc. Kadhafi était donc un ennemi de l’impérialisme dans les termes, mais dans les actes, il en allait autrement…

    Quand un politicien social-démocrate cumule les postes dans des Conseils d’administration d’entreprises et essaye de couvrir cela par une rhétorique ‘‘socialiste’’, il est dénoncé (à juste titre!) mais, quand il s’agit de Kadhafi, tout est soudainement vu comme de grands gestes contre l’impérialisme !

    Nous sommes évidemment d’accord pour dire que le soutien européen et américain aux rebelles est hypocrite. Les puissances impérialistes ont appris des révolutions en Afrique du Nord et au Moyen Orient, et elles voulaient cette fois être capable d’intervenir du premier rang. Mais cette hypocrisie provient aussi de leurs relations passées avec le régime de Kadhafi. Il n’était pas toujours fiable, mais quand même: Berlusconi – un vrai capitaliste – a même appelé à un cessez-le-feu. Ni l’impérialisme, ni Kadhafi ne défendent les intérêts de la population libyenne. Nous ne pouvons pas soutenir n’importe qui sous prétexte qu’il se positionne contre l’impérialisme occidental en mots (ou même en actes) alors qu’il mène simultanément une politique réactionnaire. Nous ne pouvons donc pas non plus soutenir un dictateur réactionnaire comme Ahmadinejad en Iran. Les ennemis de nos ennemis ne sont pas nécessairement nos amis ou nos alliés. Certes, le monde et les positions politiques seraient beaucoup plus faciles ainsi mais, hélas, ce n’est pas le cas !

    Il est également étrange de lire dans un texte de militants de gauche, affiliés à un parti qui s’appuie sur les idées du socialisme, que sous Kadhafi il existait une égalité entre hommes et femmes. En termes de sexisme, Kadhafi pourrait très bien s’entendre avec son ami italien Silvio Berlusconi… Il est important de voir les choses dans leur processus. Il y a eu une certaine émancipation sous Kadhafi en termes d’éducation, de droit de vote, d’abolition du mariage forcé des enfants, etc. mais ce n’était certainement pas plus que, disons, en Europe. Le taux de chômage était environ de 10% mais, pour les femmes, il était de 27% en 2006 (soit une augmentation de 6% depuis 2000).

    L’égalité ne peut pas être atteinte avec un régime dictatorial. Il faut lutter pour l’obtenir. Durant les révolutions en Afrique du Nord et du Moyen-Orient, nous avons pu voir le rôle actif joué par les femmes. Les révolutions doivent être renforcées pour leur assurer un progrès réel. L’intervention de l’Occident et le gouvernement de transition qu’il soutient ne va pas dans cette direction.

    Une perspective marxiste sur la révolte en Libye

    Comme expliqué dans l’introduction, nous n’imaginons pas que l’Occident représente une meilleure alternative pour les masses du pays. En outre, la plate-forme de la manifestation a raison de dire que la situation actuelle est souvent expliquée de manière très partiale. De nombreux facteurs ont déterminé l’impasse militaire en Libye.

    Aujourd’hui, la situation en Libye est particulièrement polarisée et compliquée. Tout d’abord, le mouvement de masse spontané contre le régime de Kadhafi a illustré que de larges couches de la population détestent ce régime. Ce mouvement n’est pas, contraire à ce qu’affirme la plateforme de la manifestation, le résultat des activités d’un groupe de rebelles terroristes et islamistes et il n’est pas basé sur d’anciens combattants de Kadhafi. Ce fut un mouvement de masse dans l’Est du pays (les images de l’occupation de Benghazi parlent d’elles-mêmes). Par ailleurs, le mouvement initial a énormément perdu de son potentiel radical.

    Le mouvement spontané a, faute d’une classe ouvrière organisée et d’une stratégie révolutionnaire claire, vite été dévié par des leaders des rebelles autoproclamés. Ces derniers sont des anciens amis de Kadhafi ou des soldats et des partisans de l’ancienne monarchie. Par conséquent, le mouvement a rapidement perdu son caractère de masse et a également perdu le soutien dont ils jouissaient à ses débuts.

    Contrairement à l’Egypte et à la Tunisie, il n’y avait pas eu d’expansion des comités et des assemblées populaires, et il n’y a pas eu d’appel à la grève générale. La vigueur que l’on a pu voir à l’œuvre en Tunisie et en Egypte a manqué en Libye. Cela est partiellement dû à une population très divisée, qui a également bénéficié de divers privilèges sous le régime de Kadhafi, et à une classe ouvrière faiblement organisée. Au lieu de la perspective d’une élévation des conditions de vie, ce que des comités de base auraient pu soulever, il était déjà clair avant même l’intervention de l’OTAN que les choses avaient tourné en un affrontement entre forces pro et anti Kadhafi. Les forces pro-Kadhafi voyaient dans le drapeau monarchiste utilisé par certains rebelles la contestation des gains sociaux obtenus par le peuple libyen durant les premiers temps de Kadhafi. De leur côté, les dirigeants rebelles autoproclamés comptaient sur l’intervention de l’OTAN pour l’emporter. En échange de l’aide matérielle et d’une reconnaissance diplomatique comme représentants légitimes du peuple libyen, l’impérialisme aurait vu sa position largement renforcée en Libye. Le conseil national de transition a obtenu son soutien en échange de concessions sur l’exploitation du pétrole (33% pour la France par exemple).

    ‘‘Soutien aux masses et à leurs révolutions ! Aucune confiance dans l’intervention impérialiste!’’

    La plateforme semble aboutir en conclusion à un soutien au nationalisme libyen, à la souveraineté du pays. Qu’est-ce que cela veut dire ? La souveraineté de chaque dictateur à faire ce qu’il veut avec son peuple ? La souveraineté de décider de la nature des liens à entretenir avec l’impérialisme ? Le peuple libyen devait-il subir le régime de Kadhafi parce qu’il y a d’autres bandits ? Nous ne pensons pas ainsi. Nous sommes pour l’autodétermination des peuples et des nations, mais cela n’a rien à voir avec un choix entre la domination occidentale et une domination intérieure. La souveraineté réelle d’un peuple ou d’une nation réside dans la classe des travailleurs et des jeunes, qui doivent se libérer des intérêts d’une élite capitaliste – qu’elle soit autochtone ou étrangère.

    Le retour à une sorte de "restauration" est une revendication réactionnaire. L’intervention de l’OTAN est contre-révolutionnaire. Ainsi, nous pouvons mettre en avant pour chaque révolte actuelle le slogan: ‘‘Soutien aux masses et à leur révolution ! Aucune confiance envers les interventions impérialistes et leurs gouvernements fantoches! Pour des comités de travailleurs et des comités populaires démocratiques en à la révolution et pour son développement!"

    Nous ne sommes pas opposés par principe à une résolution pacifique du conflit, mais une solution pacifique ne peut pas se limiter à un ‘‘retour à l’ordre’’ de Kadhafi. Si nous proposons seulement des solutions pacifistes, nous sapons la possibilité de la population à s’armer et de s’opposer à la domination de leur propre élite (Kadhafi ou le gouvernement de transition). Si le peuple libyen veut se débarrasser lui-même du joug de Kadhafi et du capital occidental, nous devons soutenir la révolution. Des comités de travailleurs, de jeunes, etc. peuvent constituer la base de la révolution avec des grèves générales et des manifestations.

    Comme on peut le voir, cela n’a rien d’un processus linéaire. Même en Tunisie et en Egypte, ces comités font l’expérience de difficultés pour former une opposition solide en défense de la révolution. Mais c’est la seule méthode capable d’assurer et de développer les acquis des masses. Nous sommes pour la renationalisation complète des secteurs clés en Libye mais, cette fois, sous le contrôle démocratique des travailleurs et non pas sous le contrôle d’une élite comme c’était le cas sous Kadhafi. Seuls des comités démocratiques de travailleurs peuvent assurer que les acquis sociaux soient maintenus et renforcés. Grâce à des grèves et des manifestations de masse, ils peuvent organiser la résistance contre la clique de Kadhafi et contre l’OTAN pour acquérir une véritable liberté et une véritable démocratie, libérée de la dictature des marchés.

    Les révolutions en Tunisie et en Egypte doivent se poursuivre, non seulement pour renvoyer les dictateurs, mais aussi pour renverser l’ensemble du système et le remplacer par une alternative socialiste démocratique. Cela serait une gigantesque source d’inspiration pour renouveler le mouvement des travailleurs et des pauvres en Libye.


    Notes

    (1) Intal et Comac-ULB. Voir aussi: http://www.intal.be/fr/manifestation-pour-la-paix-en-libye-et-contre-les-bombardements-de-lotan

    (2) “Libye : Au moins trente morts après une attaque des rebelles”, de façon plus explicite dans le paragraphe “Le Conseil national de transition fera-t-il mieux que le gouvernement Kadhafi?” sur http://www.ptb.be/nieuws/artikel/libye-au-moins-trente-morts-apres-une-attaque-des-rebelles.html

  • Kadhafi: du ‘socialisme arabe’ au capitalisme

    Une région en révolte – ce qui a précédé… (4)

    Le dictateur libyen Kadhafi est une des figures parmi les plus étranges de la scène politique mondiale. Tout d’abord partisan de Nasser, il s’était retrouvé ces dernières années à mener une politique de privatisations et de concessions aux grandes multinationales. Il nous semble utile de revenir sur un certain nombre d’éléments historiques.

    La monarchie libyenne s’est effondrée en 1969 avec un coup d’Etat opéré par un groupe d’officiers, les ‘‘Officiers libres pour l’unité et le socialisme’’, dont était membre Kadhafi. Ce groupe était d’inspiration nassériste, du nom du leader égyptien Nasser. Nasser était lui-aussi parvenu au pouvoir après un coup d’Etat militaire, et avait lui-aussi renversé un roi corrompu. Nasser n’a pas mis fin au régime capitaliste dans son pays, mais utilisait par contre une rhétorique ‘‘socialiste’’ afin de disposer d’un soutien plus large parmi la population. Sa politique consistait essentiellement à louvoyer entre l’impérialisme occidental et le soutien de l’Union Soviétique. Il appelait cela le ‘‘socialisme arabe’’. Au vu de la période de croissance économique mondiale de l’époque, il lui a été possible d’améliorer le niveau de vie de la population sur base de réformes, entre autres en investissant dans l’enseignement, le développement d’un secteur public, en opérant des nationalisations,…

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    Quelques photos que certains aimeraient beaucoup oublier aujourd’hui…

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    Kadhafi était devenu membre des ‘‘Officiers libres pour l’unité et le socialisme’’ en 1963, alors qu’il était en formation à l’académie militaire de Benghazi. En 1969, cette organisation a commis un coup d’Etat contre le Roi Idris Ier, qui devait abdiquer en faveur de son fils. Les militaires proclament la ‘‘République arabe libyenne’’ et portent Kadhafi au pouvoir. Ce dernier mêlait des idées islamistes au panarabisme de Nasser. En 1972, il est même arrivé, purement officiellement, à une ‘‘Union des républiques arabes’’ dont étaient membres la Libye, l’Égypte et la Syrie, mais qui ne verra jamais véritablement le jour. Par la suite, en 1973-1974, il a tenté d’établir une union tuniso-libyenne qui, après un accord initial du président Habib Bourguiba, ne se concrétise pas non plus. Kadhafi a également soutenu des organisations telles que l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) avec des armes et des camps d’entraînement.

    Cet échec dans ses tentatives d’instaurer une fédération régionale ont poussé Kadhafi à rechercher du soutien plus à l’extérieur. Cette nécessité avait particulièrement été inspirée par la crise économique internationale à partir de 1974. Le soutien qu’a alors trouvé Kadhafi auprès de l’Union Soviétique ne représentait pas un choix idéologique conscient. En 1971, Kadhafi avait encore envoyé à une mort certaine un grand nombre de communistes soudanais en les renvoyant de Libye vers le Soudan, où ils sont tombés aux mains du dictateur Jafaar Numeiri. L’Union Soviétique était de son côté fort intéressée par le pétrole libyen, certainement après que Kadhafi ait nationalisé les possessions de British Petroleum dans le pays. Une partie des militaires impliqués dans le coup d’Etat de 1969 ont eu des problèmes avec ce nouveau cours et ont tenté de démettre Kadhafi en 1975, sans succès. Un d’eux, Omar Mokhtar El-Hariri, est une des figures actuelles du Conseil National de Transition et dirigeant du gouvernement provisoire de Benghazi. Entre-temps, d’innombrables indications démontraient l’implication de la Libye dans des attentats terroristes, dont le plus connu est probablement celui de Lockerbie en 1988, où un Boeing 747 de la compagnie américaine Pan American World Airways a explosé au-dessus du village de Lockerbie en Écosse et causa le décès de 270 personnes.

    Kadhafi a essayé d’idéologiquement étayer son virage et a publié son ‘‘Livre vert’’ à la moitié des années ’70. Il y décrivait sa vision de ce qu’il qualifiait de ‘‘socialisme’’, un mélange de rhétorique à consonance socialiste concernant des comités populaires et des congrès populaires jusqu’à la ‘‘suppression du travail salarié’’, en plus d’influences religieuses, sans toutefois les appeler ainsi. Mais après la chute du stalinisme, Kadhafi a à nouveau opéré un virage. Mais il est frappant de constater que des mesures anti-travailleurs décidées dès 1969 (comme l’interdiction de tout syndicat indépendant et les restrictions du droit de grève) n’ont jamais été remises en question, quelque soit le virage de Kadhafi…

    Dans le contexte de la nouvelle situation mondiale qui a suivi la chute du mur et l’effondrement de l’Union Soviétique, Kadhafi a dû rechercher de nouveaux alliés, ce qui impliquait un nouveau virage. Le régime libyen a donc recherché à se rapprocher de l’impérialisme occidental, et Kadhafi a donc été le premier dirigeant arabe à condamner les attentats du 11 septembre 2001. Il s’est aussi excusé pour l’attentat de Lockerbie, et lors de l’invasion de l’Irak, il a expliqué que le pays stoppait son programme de développement ‘‘d’armes de destruction massive’’,… Ces dix dernières années Kadhafi a pu installer ses tentes chez presque tous les dirigeants du monde à Bruxelles, à Paris, à Washington,… Très peu ont continué à le considérer comme un ‘‘anti-impérialiste’’, le président vénézuélien Hugo Chavez est l’un des derniers. Chavez se trompe lourdement d’ailleurs : soutenir un dictateur qui s’oppose aux intérêts des travailleurs et des pauvres ne signifie pas d’avancer dans la lutte contre le capitalisme et l’impérialisme. Chavez se trouve en douteuse compagnie à cet égard, car Kadhafi a même reçu le soutien de l’extrême-droite européenne pour son ‘‘anti-impérialisme’’ bien particulier (il a été chuchoté ça et là que les contrats pétroliers entre la Libye et la province autrichienne de Carinthie à l’époque où le dirigeant d’extrême-droite Jörg Haider y était au pouvoir a été obtenu grâce aux très bons liens personnels entre Haider et Saïf Al-Islam Kadhafi, le fils de Kadhafi).

    Les revenus du pétrole ont donné durant plusieurs années la possibilité à la dictature de louvoyer entre les différentes classes sociales et les puissances internationales. Une certaine forme d’Etat-Providence a même pu être développée, qui a accordé au régime un relatif soutien. D’ailleurs, malgré la politique de privatisations de ces dernières années, il reste encore certaines mesures sociales.

    L’accès au pétrole libyen pour les multinationales occidentales a assuré que la Libye soit peu à peu retirée de la liste des ‘‘Etats voyous’’. Le premier dictateur tombé cette année en Afrique du Nord (Ben Ali en Tunisie), a toujours pu compter sur le soutien de Kadhafi. Berlusconi a aussi conclu un accord avec la Libye pour empêcher les immigrants africains de parvenir en Italie. D’autre part, des dirigeants internationaux tels que Tony Blair ou Condoleezza Rice se sont rendus en Libye pour discuter avec Kadhafi.

    Mais malgré ce nouveau virage de Kadhafi, il n’a jamais été considéré comme un allié véritablement fiable. La possibilité de le faire tomber sur base du mouvement initié à Benghazi a été saisie par l’impérialisme pour partir en guerre contre lui. Mais la victoire n’est pas venue rapidement. Les exemples des pays voisins comme l’Égypte et la Tunisie illustrent la meilleure manière de faire chuter un dictateur: par un mouvement de masse, initié par la base même de la société.

  • Le G8 à Deauville : Festival de l’hypocrisie impérialiste 2011, 37e édition

    Ces 26 et 27 mai, 8 des plus grandes puissances économiques de la planète (Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni, Canada, Etats-Unis, Japon, Russie) se réuniront de manière informelle à Deauville, en France. Que peut-on attendre de ce sommet annuel ?

    Par Baptiste (Wavre)

    Ce rendez-vous annuel se donne pour objectif d’avoir des directives communes aux grandes puissances en vue de ‘‘régler’’ des problèmes majeurs dans la situation mondiale. Historiquement, les premières réunions furent ainsi convoquées en réponse au pic pétrolier des années ’70. Depuis le sommet de Pittsburgh en 2009, le G8 précise ses préoccupations : ‘‘les enjeux géopolitiques et de sécurité, les partenariats avec l’Afrique au niveau politique et économique, et les sujets d’intérêt commun aux pays du G8.’’

    10 ans après le sommet de Gênes

    De la fin des années ’90 au début des années 2000, le G8 était devenu le symbole de la mondialisation, ce processus économique ultralibéral qui semblait tout dévaster sur son passage. Après une décennie d’idéologie dominante sans partage à la suite de la chute de l’URSS, le mouvement antimondialisation remit à l’ordre du jour le rejet du système dans la jeunesse, bien que l’expression eut une certaine confusion.

    Le sommet du G8 de Gênes en 2001 fut l’apogée de cette radicalisation dans la jeunesse avec des manifestations importantes contre le sommet. La répression scandaleuse des manifestants s’est soldée par 600 blessés et la mort par balle de Carlo Giuliani. Amnesty International a d’ailleurs qualifié cet épisode comme ‘‘la plus grave atteinte aux droits démocratiques dans un pays occidental depuis la fin de la seconde guerre mondiale.’’

    ‘‘Régler les problèmes’’, c’est beaucoup dire. En conclusion du sommet de l’an dernier, le communiqué final se targuait ainsi d’avoir acquis une régulation financière, aussi bien à l’égard de la spéculation aveugle des Hedge founds et aux bonus des tout aussi borgnes traders. Rien n’est plus évident, au vu des nouveaux bénéfices monstres dans la finance, des bonus tout aussi gigantesques qui vont de pair, pour récompenser une spéculation qui a retrouvé toute sa fougue dans les matières premières, les monnaies, l’immobilier et les dettes publiques, entre autre.

    Derrière ‘‘régler les problèmes’’, il s’agit surtout pour ces dirigeants d’envoyer de la poudre aux yeux de la population pendant qu’ils tentent en réalité de défendre les intérêts de leurs capitalistes. La coopération minimum pour des profits individuels maximum. On peut dès lors facilement comprendre que depuis la stagflation des ’70, ce G8 fut régulièrement derrière l’impulsion de politiques néolibérales. Ces politiques néolibérales qui n’ont précisément rien réglé aux problèmes des travailleurs et leurs familles, mais qui ont juste permis aux capitalistes d’accumuler le plus de profits possible.

    Cette année, le G8 se réunit dans un contexte de crise mondiale pour le capitalisme, avec une accélération des bouleversements à tous les niveaux, comme le reconnaît Sarkozy, le président hôte du sommet : économie mondiale, crise des dettes publiques, tensions entre économies et changements des rapports de force, inflation sur fond de spéculation sur les matières premières, problème du nucléaire et de l’énergie, chômage, augmentation de la pauvreté, mouvements révolutionnaires en Afrique du Nord et Moyen-Orient, etc.

    Nul doute que l’hyper-président ne ratera pas l’occasion d’enfiler le costume de chevalier-blanc-sauveur-desmaux- de-la-planète à la clôture du sommet, avec toutes sortes de grandes déclarations solennelles et promesses creuses pour 2020, 2030. Il a d’ailleurs déjà prévenu de l’élaboration d’un ‘‘socle de protection sociale universelle’’. Une rhétorique d’acquis social pour un contenu de course vers le fond des conditions de vie et de travail ?

    Il n’y a aucune confiance à avoir en ces dirigeants impérialistes. Il est illusoire de croire que ces dirigeants avides de profits puissent régler les différents problèmes de société, tous ces problèmes sont inhérents au système qu’ils défendent bec et ongles : le capitalisme. Ce sont les mêmes qui ont stimulé la course au profit dans le nucléaire au mépris de la sécurité et de l’environnement. Ce sont les mêmes qui ont soutenu les Moubarak, Khadafi, Ben Ali, Gbagbo et autres dictateurs du monde néocolonial, et qui retournent leurs vestes pour mieux protéger leurs intérêts économiques et stratégiques. Ce sont les mêmes qui appliquent depuis des décennies les politiques néolibérales et appliquent les politiques d’austérité. Leurs intérêts sont systématiquement opposés aux nôtres !

    Quel que soit le thème, ils veulent faire du business. Nous devons mener notre lutte pour défendre nos intérêts. Et cette lutte est précisément dirigée contre le système capitaliste qu’ils défendent. Seule une société socialiste permet à tous d’obtenir des conditions de vie et de travail décentes, la démocratie la plus aboutie, d’abolir la pauvreté et d’avoir une gestion du secteur énergétique en accord avec les besoins environnementaux.

  • Les révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord en danger

    Les semaines passées ont montré qu’aucune victoire des révolutions en Afrique du Nord n’est véritablement acquise, et ce malgré l’appel des masses à de vrais changements et à la liberté, et aussi malgré les événements héroïques des semaines passées. En Égypte et en Tunisie les classes dominantes font des efforts désespérés pour maintenir leur richesse et leur pouvoir.

    Par Robert Bechert

    Depuis la fuite de Ben Ali, la Tunisie a connu trois gouvernements qui ont dû accepter des élections pour une assemblée constitutionnelle. L’élite fait tout ce qu’elle peut pour préserver ses positions privilégiées. L’ancienne police secrète devait être dissoute, mais le nouveau ministre aux affaires intérieures Habib Essid est l’ancien chef du cabinet du ministère aux affaires intérieures entre 1997 et 2001. Le ‘nouveau’ ministre a donc été impliqué dans les tortures, la répression et tout le sale boulot de l’ancien régime de Ben Ali.

    De même, le gouvernement militaire qui a remplacé Moubarak en Égypte se bat continuellement contre la révolution. Comme en Tunisie, un nombre croissant de salariés et de jeunes se rendent compte du fait que l’armée n’est pas l’amie de la révolution. Les militaires ont déjà annoncé des plans pour criminaliser des grèves, des actions de protestations, des sit-in et des réunions rassemblant jeunes et travailleurs.

    Le 8 avril, ces travailleurs et ces jeunes sont retournés la place Tahrir afin de reprendre eux-mêmes l’initiative. Des centaines de milliers de salariés, de jeunes et d’officiers militaires (contre la volonté du sommet de l’armée) se sont réunis pour un ‘vendredi du nettoyage’. On y a lancé des appels pour balayer le régime de Moubarak. Les salariés du secteur textile ont revendiqué la renationalisation des entreprises privatisées, la disparition de l’ancien syndicat d’Etat, un salaire minimum d’environ 200 dollars et la poursuite judiciaire de la bande de gangsters corrompus autour de Moubarak.

    L’armée a déjà tenté de réprimer ces protestations. Cette répression a été soutenue par un représentant des Frères Musulmans, Al-Bayourni. Celui-ci a déclaré que ‘‘rien ne doit empêcher l’unité de la population et de l’armée’’. Derrière cette soi-disant unité, il y a des tentatives des Frères Musulmans d’arriver à un accord avec le sommet de l’armée. La répression ne s’est pas arrêtée après cette action du 8 avril. Le 11, le bloggeur Mikel Nabil a été condamné à trois ans de prison après avoir mis à nu les crimes de l’armée durant la révolution. Il est clair que nous ne pouvons pas faire confiance au sommet de l’armée. Il faut une force indépendante des masses.

    Sans une telle force de la population laborieuse, le contrôle se maintiendra dans les mains des classes dominantes et des élites. Ce n’est qu’en construisant des organisations de masse, dont de véritables syndicats libres, et avant tout un parti indépendant, que les vrais révolutionnaires (les travailleurs, les jeunes, les petits paysans et les pauvres) pourront disposer d’un instrument avec lequel combattre les tentatives de l’ancien régime qui s’accroche au pouvoir et avec lequel créer une véritable alternative, à savoir un gouvernement formé par les représentant des salariés, de petits paysans et des pauvres.

    Quelle voie en avant en Libye ?

    En Libye, l’absence d’organisations propres aux masses a contribué au déraillement de la révolution. La révolte initiale des masses a échoué dans la partie occidentale du pays autour de Tripoli. Cela est dû en partie au fait que le régime disposait d’une certaine base (entre autres grâce à une série d’éléments de progrès social réel obtenus ces dernières quarante années), mais aussi parce que la révolution ne disposait pas d’une réelle direction.

    Quelques rebelles dans l’Est ont brandi l’ancien drapeau monarchiste, un symbole très impopulaire dans l’Ouest du pays. Les éléments plus radicaux à Benghazi ont été mis de côté et les éléments pro-capitalistes, renforcés par les déserteurs du régime de Kadhafi, ont gagné le contrôle du processus avec le soutien de l’impérialisme. La résistance contre Kadhafi est très limitée à l’Ouest de la Libye, où habitent les deux tiers de la population.

    Ainsi, le mouvement se trouve sans issue. Il est probable que la Libye sera divisée en deux pour une certaine période au moins. L’intervention de l’ONU et de l’OTAN ne vise pas la défense des masses, mais vise à établir un régime pro-capitaliste fiable. Kadhafi était un allié trop incertain. Le journal britannique Financial Times a déclaré très honnêtement qu’il fallait ‘‘amplifier les actions militaires dans la région afin de défendre les intérêts du Royaume-Uni’’ (FT, 08/04).

    Le fait que les grandes puissances mondiales se taisent sur la répression continuelle au Bahreïn et qu’ils protestent de manière sélective contre la conduite du régime syrien illustrent que les intérêts de la majorité de la population ne comptent pas du tout. L’argument ne sert qu’à masquer les intérêts de classe de l’impérialisme.

    Il faut l’action décisive du mouvement ouvrier !

    Les révolutions en Afrique du Nord et au Moyen-Orient font face à des tournants. Au Bahreïn, en Libye, en Syrie et au Yémen, la question centrale est : comment progresser et renverser la dictature ? En Égypte et en Tunisie, les anciens vestiges des anciens régimes doivent être balayés. La solution appartient aux masses. En Tunisie et en Égypte, il s’est avéré que la lutte déterminée peut mettre de côté des dictateurs. Mais la volonté de se battre ne suffit pas.

    Les masses doivent s’organiser dans des syndicats indépendants et démocratiques et dans un parti de masse des travailleurs et des pauvres autour d’un programme clair qui puisse protéger et étendre les acquis des révolutions.

    Des forces révolutionnaires sincèrement au côté des masses doivent rejeter toute alliance avec des forces pro-capitalistes telles que l’ONU ou l’OTAN. Afin de l’emporter sur des régimes dictatoriaux, les travailleurs et les jeunes doivent forger leurs propres instruments, seuls capables d’amener la victoire des révolutions, une victoire qui n’impose pas uniquement les droits démocratiques, mais qui assure aussi que les richesses de la société reviennent véritablement aux masses et soient gérées et contrôlées démocratiquement dans leurs propres intérêts.

    Cela pourrait créer la base pour une liberté véritable et pour un véritable socialisme démocratique.

  • La “zone d’exclusion aérienne” et la gauche

    Les puissances impérialistes ont mis en place une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye afin de protéger leurs propres intérêts économiques et stratégiques et de restaurer leur prestige endommagé. Il est incroyable de voir que certaines personnes de la gauche marxiste soutiennent cette intervention militaire.

    Peter Taaffe – article paru dans Socialism Today, le magazine mensuel du Socialist Party (CIO – Angleterre et Pays de Galles)

    La guerre est la plus barbare de toutes les activités humaines, dotée comme elle l’est dans l’ère moderne de monstrueuses armes de destruction massive. Elle met aussi à nu la réalité des relations de classe, nationalement et internationalement, qui sont normalement obscurcies, cachées sous des couches d’hypocrisie et de turpitude morale des classe dirigeantes. Elle est l’épreuve ultime, au côté de la révolution, des idées et du programme, non seulement pour la bourgeoisie, mais égalemet pour le mouvement ouvrier et pour les différentes tendances en son sein.

    La guerre en cours en ce moment en Libye – car c’est bien de cela qu’il s’agit – illustre clairement ce phénomène. Le capitalisme et l’impérialisme, déguisés sous l’étiquette de l’“intervention militaire à but humanitaire” – totalement discréditée par le massacre en Irak – utilisent ce conflit pour tenter de reprendre la main. Pris par surprise par l’ampleur de la révolution en Tunisie et en Égypte – avec le renversement des soutiens fidèles de Moubarak et de Ben Ali – ils cherchent désespérément un levier afin de stopper ce processus et avec un peu de chance de lui faire faire marche arrière.

    C’est le même calcul qui se cache derrière le massacre sanglant au Bahreïn, perpétré par les troupes saoudiennes, avec un large contingent de mercenaires pakistanais et autres. Aucun commentaire n’est parvenu du gouvernement britannique quant aux révélations parues dans l’Observer au sujet d’escadrons de la mort – dirigés par des sunnites liés à la monarchie – et au sujet de la tentative délibérée d’encourager le sectarisme dans ce qui avait auparavant été un mouvement non-ethnique uni. Les slogans des premières manifestations bahreïniennes étaient : « Nous ne sommes pas chiites ni sunnites, mais nous sommes bahreïniens ».

    De même, les “dirigeants du Labour” – menés par le chef du New Labour Ed Miliband, qui a promis quelque chose de “différent” par rapport au régime précédent de Tony Blair – sont maintenant rentrés dans les rangs et soutiennent la politique de David Cameron en Libye et l’imposition de la zone d’exclusion aérienne. 

    Il est incroyable de constater que cette politique a été acceptée par certains à gauche, y compris quelques-uns qui se revendiquent du marxisme et du trotskisme. Parmi ceux-ci, il faut inclure Gilbert Achar, qui a écrit des livres sur le Moyen-Orient, et dont le soutien à la zone d’exclusion aérienne a au départ été publié sans aucune critique dans International Viewpoint, le site internet du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale (SUQI). Son point de vue a toutefois été répudié par le SUQI par après.

    Mais on ne peut par contre pas qualifier d’ambigüe la position de l’Alliance pour la liberté des travailleurs (Alliance for Workers’ Liberty, AWL). Les cris stridants de cette organisation, en particulier dans ses critiques d’autres forces de gauche, sont en proportion inverse de ses faibles forces et de son influence encore plus limitée au sein du mouvement ouvrier. L’AWL a même cité Leon Trotsky pour justifier l’intervention américaine avec la zone d’exclusion aérienne. Un de leurs titres était : « Libye : aucune illusion dans l’Occident, mais l’opposition “anti-intervention” revient à abandonner les rebelles » Un autre titre impayable était : « Pourquoi nous ne devrions pas dénoncer l’intervention en Libye » (Workers Liberty, 23 mars).

    Ces derniers exemples sont en opposition directe avec l’essence même du marxisme et du trotskisme. Celle-ci consiste à insuffler dans la classe ouvrière et dans ses organisations une indépendance de classe complète par rapport à toutes les tendances de l’opinion bourgeoise, et à prendre les actions qui en découlent. Ceci s’applique à toutes les questions, en particulier pendant une guerre, voire une guerre civile, ce dont le conflit libyen comporte clairement des éléments.

    Il n’y a rien progressiste, même de loin, dans la tentative des puissances impérialistes que sont le Royaume-Uni ou la France de mettre en place une zone d’exclusion aérienne. Les rebelles de Benghazi ne sont que menue monnaie au milieu de leurs calculs. Hier encore, ces “puissances” embrassaient Mouammar Kadhafi, lui fournissaient des armes, achetaient son pétrole et, via Tony Blair, visitaient sa “grande tente” dans le désert et l’accueillaient au sein de la “communauté internationale”. Ce terme est un complet abus de langage, tout comme l’est l’idée des Nations-Unies, utilisée à cette occasion en tant qu’écran derrière lequel cacher que l’intervention en Libye avait été préparée uniquement en faveur des intérêts de classe crus de l’impérialisme et du capitalisme.

    Il ne fait aucun doute qu’il y a des illusions parmi de nombreux jeunes et travailleurs idéalistes qui attendent de telles institutions qu’elles résolvent les problèmes que sont les guerres, les conflits, la misère, etc. Certains sont également motivés dans leur soutien à la zone d’exclusion aérienne parce qu’ils craignaient que la population de Benghazi serait massacrée par les forces de Kadhafi. Mais les Nations-Unies ne font que rallier les nations capitalistes, dominées de manière écrasante par les États-Unis, afin de les faire collaborer lorsque leurs intérêts coïncident, mais qui sont de même fort “désunis” lorsque ce n’est pas le cas. Les guéguerres de positionnement et les querelles entre les différentes puissances impérialistes quant à l’intervention libyenne illustre bien ceci.

    Éparpillement américain et incertitude

    Les révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont tout d’abord révélé l’incertitude – voire la paralysie – de la plus grande puissance impérialiste au monde, les États-Unis, quant à l’intervention adéquate. L’administration de Barack Obama a été forcée de tenter de se distinguer de la doctrine de George Bush d’un monde unipolaire dominé par l’impérialisme américain, avec son écrasante puissance militaire et économique. Les USA conservent toujours cet avantage militaire comparés à leurs rivaux, mais il est maintenant sapé par l’afaiblissement économique des États-Unis.

    Il y a aussi le problème de l’Afghanistan et la peur que cela ne mène à un éparpillement militaire. C’est ce qui a contraint Robert Gates, le secrétaire à la défense américain, à dès le départ déclarer son opposition – et, on suppose, celle de l’ensemble de l’état-major américain – par rapport à l’utilisation de troupes américaines terrestres où que ce soit ailleurs dans le monde. Il a aussi affirmé être “certain“ qu’Obama n’autoriserait aucune troupe au sol américaine à intervenir en Libye. Il a souligné cela lors de son interview où il se déclarait “dubitatif par rapport aux capacités des rebelles”, décrivant l’opposition comme n’étant en réalité rien de plus qu’un groupe disparate de factions et sans aucun véritable “commandemet, contrôle et organisation”. (The Observer du 3 avril).

    Obama, a sur le champ cherché à formuler une nouvelle doctrine diplomatique militaire, en ligne avec la nouvelle position des États-Unis sur le plan mondial. Il a tenté de faire une distinction entre les intérêts “vitaux” et “non-vitaux” de l’impérialisme américain. Dans les cas “vitaux”, les États-Unis agiront de manière unilatérale si la situation le requiert. Cependant les États-Unis, a-t-il proclamé de manière arrogante, ne sont plus le “gendarme du monde”, mais agiront dans le futur en tant que “chef de la gendarmerie” mondiale. Ceci semble signifier que les États-Unis accorderont leur soutien et seront formellement à la tête d’une “coalition multilatérale” tant que cela ne signifie pas le déploiement effectif et automatique des troupes.

    Malgré cela, la pression qui s’est effectuée pour empêcher un “bain de sang” a obligé Obama à signer une lettre publique avec Nicolas Sarkozy et Cameron, déclarant que ce serait une “trahison outrageuse” si Kadhafi restait en place et que les rebelles demeuraient à sa merci. La Libye, ont-ils déclaré, menace de devenir un “État déchu”. Ceci semble jeter les bases pour un nouveau saut périlleux, en particulier de la part d’Obama, qui verra l’emploi de troupes terrestres si nécessaire. Lorsqu’il a été incapable d’intervenir directement, à cause de l’opposition domestique par exemple, l’impérialisme n’a pas hésité à engager des mercenaires pour renverser un régime qui n’avait pas sa faveur ou pour contrecarrer une révolution. Telle était la politique de l’administration Ronald Reagan lorsqu’elle a employé des bandits soudards, les Contras, contre la révolution nicaraguayenne.

    L’impérialisme a été forcé dans la dernière intervention par le fait que Kadhafi semblait sur le point de gagner ou, en tous cas, d’avoir assez de force militaire et de soutien résiduel pour pouvoir éviter une complète défaite militaire, à moins d’une invasion terrestre. Les rebelles ne tiennent que l’Est, et encore, une partie seulement. L’Ouest, dans lequel vivent les deux tiers de la population, est toujours en grande partie contrôlé par Kadhafi et par ses forces. Ce contrôle n’est pas uniquement dû à un soutien populaire par rapport au régime. Ses forces possèdent la plupart des armes, y compris des armes lourdes, des tanks, etc. Il a toujours surveillé l’armée régulière de peur qu’un coup d’État n’en provienne. Patrick Cockburn a écrit dans The Independant du 17 avril : « L’absence d’une armée professionnelle en Libye signifie que les rebelles ont dû se fier à de vieux soldats à la retraite depuis longtemps pour entraîner leurs nouvelles recrues». Kadhafi est aussi capable d’attirer un soutien de la part des tribus, de même que du capital politique qu’il a accumulé pour son régime grâce au bon niveau de vie en Libye (avant le conflit) par rapport aux autres pays de la région.

    La révolution espagnole

    De nombreux partisans de la zone d’exclusion aérienne ont pris cette position en supposant que l’impérialisme ne serait pas capable d’aller plus loin que ça. Mais que feront-ils si, comme on ne peut l’exclure, des troupes au sol sous une forme ou une autre sont déployées avec la complicité des puissances impérialistes que sont les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ?

    Lors du débat à la Chambre des Communes (House of Commons) du 21 mars, Miliband (le nouveau chef du Parti travailliste) a accordé un soutien enthousiaste pour l’action militaire de Cameron. Voilà encore une nouvelle confirmation de la dégénerescence politique du Labour Party, qui d’un parti à base ouvrière, est devenu une formation bourgeoise. Les rédacteurs de la classe capitaliste reconnaissent eux aussi platement cette réalité : « Il fut un temps où le Labour party était le bras politique de la classe ouvrière organisée. Tous les trois principaux partis constituent maintenant le bras politique de la classe capitaliste organisée. Ce phénomène n’est pas propre à la Grande-Bretagne. Presque chaque démocratie avancée, surtout les États-Unis, lutte pour contrôler le monde des affaires » (Peter Wilby, The Guardian du 12 avril).

    Comparez seulement la position du dirigeant “travailliste” actuel avec celle de son prédécesseur Harold Wilson au moment de la guerre du Vietnam. Au grand regret de Lyndon Johnson, le président américain de l’époque, Wilson – bien qu’il n’aurait pas été contre l’idée de soutenir des actions militaires à l’étranger s’il avait cru pouvoir s’en tirer après coup – a refusé d’impliquer les troupes britanniques. Toute autre décision aurait provoqué une scission du Labour de haut en bas, ce qui aurait probablement mené à sa démission. En d’autres termes, il avait été forcé par la pression de la base du Labour et des syndicats à refuser de soutenir l’action militaire de l’impérialisme américain.

    Aujourd’hui Miliband soutient Cameron, en provoquant à peine un froncement de sourcils de la part des députés Labour ou de la “base”. Il a invoqué le cas de l’Espagne pendant la guerre civile afin de justifier le soutien au gouvernement, déclarant ceci : « En 1936, un politicien espagnol est venu au Royaume-Uni afin de plaider notre soutien face au fascisme violent du général Franco, disant “Nous nous battons avec des bâtons et des couteaux contre des tanks, des avions et des fusils, et cela révolte la conscience du monde qu’un tel fait soit vrai” » (Hansard, 21 mars).

    Le parallèle avec l’Espagne est entièrement faux. C’était alors une véritable révolution des travailleurs et des paysans pauvres qui se déroulait, avec la création (tout au moins au cours de la période initiale après juillet 1936) d’un véritable pouvoir ouvrier, de comités de masse et avec l’occupation des terres et des usines. L’Espagne était confrontée à une révolution sociale. Cette révolution a surtout été vaincue non pas par les forces fascistes de Franco, mais par la politique erronnée de la bourgeoisie républicaine qui a fait dérailler la révolution, aidée et soutenue par le Parti communiste sous les ordres de Staline et de la bureaucratie russe. Ceux-ci craignaient à juste titre que le triomphe de la révolution espagnole ne soit le signal de leur propre renversement.

    Dans une telle situation, la classe ouvrière du monde entier se rassemblait pour soutenir la revendication d’envoyer des armes à l’Espagne. Alors l’impérialisme, et en particulier les puissances franco-anglaises, ont tout fait pour empêcher l’armement des travailleurs espagnols. Pourtant, le député Tory Bill Cash était entièrement d’accord avec Miliband pour affirmer qu’il y a en effet “un parallèle avec ce qui s’est passé en 1936”, et soutenait donc “l’armement de ceux qui résistent contre Kadhafi” à Benghazi. Cela n’est-il pas un indicateur de la nature politique de la direction actuelle à Benghazi et à l’Est, qui inclut d’anciens partisans de Kadhafi tels que l’ancien chef des forces spéciales Abdoul Fattah Younis ? Si la tendance au départ à Benghazi (des comités de masse avec la participation de la classe ouvrière) s’était maintenue, il n’y aurait maintenant pas la moindre question d’un soutien de la part des Tories de droite ! Miliband a donné une nouvelle justification pour son soutien de la zone d’exclusion aérienne : « Il y a un consensus international, une cause juste et une mission faisable… Sommes-nous réellement en train de dire que nous devrions être un pays qui reste sur le côté sans rien faire ? »

    Aucune force de gauche sérieuse ne peut prôner une politique d’abstention lorsque des travailleurs sont soumis aux attaques meurtrières d’un dictateur brutal tel que Kadhafi. Il est clair qu’il fallait donner un soutien politique à la population de Benghazi lorsqu’elle a éjecté les forces de Kadhafi de la ville par une insurrection révolutionnaire – et ceci était la position du CIO dès le départ. Voilà une réponse suffisante pour ceux qui cherchent à justifier le soutien à l’intervention militaire de l’extérieur, sur base du fait que la population de Benghazi était sans défense. Les mêmes personnes ont utilisé les mêmes arguments au sujet de l’impuissance du peuple irakien qui se trouvait sous l’emprise d’un dictateur brutal pour justifier le bombardement puis l’invasion de l’Irak, avec les résultats criminels que nous voyons à présent. Mais cet argument a été mis en pièces par les révoltes des populations tunisienne et égyptienne qui ont écrasé les dictatures, sous leurs puissants millions.

    Les gens de Benghazi ont déjà vaincu les forces de Kadhafi une fois. Cela a été réalisé lorsque des méthodes révolutionnaires ou semi-révolutionnaires ont été employées. Ces méthodes semblent maintenant avoir été reléguées à l’arrière-plan par des forces bourgeoises et petites-bourgeoises qui ont mis de côté les forces véritablement révolutionnaires. Sur base de comités ouvriers de masse, une véritable armée révolutionnaire – plutôt que le ramassis de soudards qui soutient le soi-disant “gouvernement provisoire” – aurait pu être mobilisée afin de capturer toutes les villes de l’Est et d’adresser un appel révolutionnaire aux habitants de l’Ouest, et en particulier à ceux de la capitale, Tripoli.

    Il y a dans l’Histoire de nombreux exemples victorieux d’une telle approche, en particulier dans la révolution espagnole à laquelle Miliband se réfère mais qu’il ne comprend pas. Par exemple, après que les travailleurs de Barcelone aient écrasé l’insurrection fasciste de Franco en juillet 1936, José Buenaventura Durruti a formé une armée révolutionnaire qui a marché à travers la Catalogne et l’Aragon jusqu’aux portes de Madrid. Ce faisant, il a placé les quatre-cinquièmes de l’Espagne entre les mains de la classe ouvrière et de la paysannerie. C’était bel et bien une guerre “juste” de la part des masses qui défendaient la démocratie tout en luttant pour une nouvelle société socialiste, plus humaine. En outre, cette guerre bénéficiait d’un réel soutien international de la part de la classe ouvrière européenne et mondiale. Les critères utilisés par Miliband pour décider de ce qui est “juste” ou pas se situent dans le cadre du capitalisme et de ce qui est mieux pour ce système, et non pas pour les intérêts des travailleurs qui se trouvent dans une relation opposée et antagoniste par rapport à ce système, et de plus et plus aujourd’hui.

    Le “deux poids, deux mesures” des puissances occidentales

    Notre critère pour mesurer ce qui est juste et progressiste, y compris dans le cas de guerres, est de savoir dans quelle mesure tel ou tel événement renforce ou non les masses ouvrières, accroit leur puissance, leur conscience, etc. Tout ce qui freine cette force est rétrograde. L’intervention impérialiste capitaliste, y compris la zone d’exclusion aérienne, même si elle devait parvenir à ses objectifs, ne va pas renforcer le pouvoir de la classe ouvrière, ne va pas accroitre sa conscience de sa propre puissance, ne va pas la mener à se percevoir et à percevoir ses organisations comme étant le seul et véritable outil capable d’accomplir ses objectifs. Au lieu de ça, l’intervention attire l’attention des travailleurs de l’Est vers une force de “libération” venue de l’extérieur, abaissant ainsi le niveau de conscience des travailleurs de leur propre puissance potentielle.

    Comme l’ont fait remarquer même les députés Tory lors du débat à la Chambre des Communes, Miliband semble complètement adhérer à la “doctrine Blair” – une intervention militaire soi-disant humanitaire en provenance de l’extérieur – dont il avait pourtant semblé se distancier lorsqu’il avait été élu dirigeant du Labour. Ceci revient à justifier les arguments de Blair comme ceux de Cameron concernant le où et quand intervenir dans le monde. Miliband s’est rabattu sur la vague affirmation suivante : « L’argument selon lequel parce que nous ne pouvons pas faire n’importe quoi, alors nous ne pouvons rien faire, est un mauvais argument ». “Nous” (c’est-à-dire l’impérialisme et le capitalisme) ne pouvons pas intervenir contre la dictature en Birmanie, ne pouvons pas hausser “notre” ton contre les attaques meurtrières de la classe dirigeante israélienne contre les Palestiniens de Gaza. “Nous” sommes muets face aux régimes criminels d’Arabie saoudite et du Bahreïn. Néanmoins, il est “juste” de “nous” opposer à Kadhafi – même si “nous” le serrions encore dans “nos” bras pas plus tard que hier – et d’utiliser “notre” force aérienne (pour le moment) contre lui et son régime.

    C’est le journal “libéral” The Observer qui a fait la meilleure description de l’approche hypocrite arbitraire du capitalisme : « Pourquoi ce régime du Golfe (le Bahreïn) a-t-il le bénéfice du doute alors que d’autres dirigeants arabes n’y ont pas droit ? Il est clair qu’il n’est pas question d’intervenir au Bahreïn ou dans tout autre État où les mouvements de protestation sont en train d’être réprimés. L’implication en Libye ne laisse aucun appétit pour le moindre soutien actif, diplomatique ou militaire, pour les autres rébellions. S’il fallait choisir de n’attaquer qu’un seul méchant dans l’ensemble de la région, alors le colonel Kadhafi était certainement le meilleur candidat. » (The Observer du 17 avril)

    Ce qui est par contre entièrement absent de cette argumentation, ce sont les véritables raisons derrière l’intervention en Libye, qui sont les intérêts matériels du capitalisme et de l’internationalisme, pour le pétrole avant tout – la Libye comporte quelques-unes des plus grandes réserves de toute l’Afrique. Certains ont nié cet argument – ils ont dit la même chose à propos de l’Irak. « La théorie de la conspiration pour le pétrole … est une des plus absurdes qui soit » affirmait Blair le 6 février 2003. Aujourd’hui, The Independant (19 avril) a publié un mémorandum secret de l’Office des affaires étrangères datant du 13 novembre 2002, à la suite d’une rencontre avec le géant pétrolier BP : « L’Irak comporte les meilleures perspectives pétrolières. BP meurt d’envie de s’y installer ».

    Un soutien honteux pour l’intervention militaire

    Tandis que la position de Miliband et de ses comparses n’est guère surprenante étant donné l’évolution droitière des ex-partis ouvriers et de leurs dirigeants, on ne peut en dire de même de ceux qui prétendent s’inscrire dans la tradition marxiste et trotskiste. Sean Matgamna de l’AWL cite même Trotsky pour justifier son soutien à l’intervention militaire en Libye : « Un individu, un groupe, un parti ou une classe qui reste “objectivement” à se curer le nez tout en regardant des hommes ivres de sang massacrer des personnes sans défense, est condamné par l’Histoire à se putréfier et à être dévoré vivant par les vers ». Dans ce passage tiré des écrits de Trotsky sur la guerre des Balkans avant la Première Guerre mondiale, celui-ci dénonce les porte-paroles du capitalisme libéral russe qui restaient silencieux face aux atrocités commises par la Serbie et la Bulgarie à l’encontre des autres nationalités.

    Il ne justifiait pas le moins du monde le moindre soutien en faveur des dirigeants d’une nation contre l’autre. Cela est clair à la lecture de la suite de ce passage, que Matgamna ne cite pas : « D’un autre côté, un parti ou une classe qui se dresse contre chaque acte abominable où qu’il se produise, aussi vigoureusement et décidément qu’un organisme réagit pour protéger ses yeux lorsqu’ils sont menacés par une blessure externe – un tel parti ou classe est pur de cœur. Le fait de protester contre les outrages dans les Balkans purifie l’atmosphère sociale dans notre propre pays, élève le niveau de conscience morale parmi notre propre population… Par conséquent, une opposition obstinée contre les atrocités ne sert pas seulement l’objectif d’autodéfense morale au niveau de l’individu ou du parti, mais également l’objectif de sauvegarde politique de notre peuple contre l’aventurisme caché sous l’étendard de la “libération”. »

    Le dernier point de cette citation ne peut être à tout le moins compris qu’allant à l’encontre de la position de l’AWL, qui soutient l’intervention impérialiste cachée sous l’étendard trompeur de la “libération”. Et pourtant, nous trouvons ici l’affirmation surprenante selon laquelle : « La soi-disant gauche s’emmêle encore une fois dans un faux dilemme politique : la croyance selon laquelle il est obligatoire de s’opposer de manière criarde à l’“intervention libérale” franco-britannique en Libye au sujet de chacun de ses actes (ou au moins de chacun de ses actes militaires), sans quoi cela reviendrait à lui accorder un soutien général. En fait, ce dilemme n’est que de leur propre invention ». Tentant de trouver la quadrature du cercle, Matgamna ajoute ensuite que : « Bien entendu, les socialistes n’accordent aucun soutien aux gouvernements et aux capitalistes au pouvoir au Royaume-Uni, en France et aux États-Unis, ni aux Nations-Unies, ni en Libye, ni nulle part ailleurs ».

    Même un enfant de dix ans se rendrait compte que le fait de soutenir la moindre forme d’action militaire est une forme de “soutien politique actif”. L’AWL prétend pouvoir nettement séparer le soutien pour ce type d’action des perspectives plus globales concernant les puissances qui entreprennent ce type d’action. Mais elle agit dans la pratique comme un défenseur de la France et du Royaume-Uni : « L’ONU, se servant du Royaume-Uni et de la France, a fixé des objectifs très limités en Libye. Il n’y a aucune raison de croire que les “Grandes Puissances” veulent occuper la Libye ou sont occupées à quoi que ce soit d’autre que d’effectuer une opération de police internationale limitée sur ce qu’elles perçoivent comme constituant la “frontière sud” de l’Europe ». L’AWL ajoute même gratuitement que : « Les âpres leçons du bourbier iraqien sont encore très vives dans la mémoire de ces puissances ». Et poursuit avec ceci : « Au nom de quelle alternative devrions-nous leur dire de ne pas utiliser leur force aérienne pour empêcher Kadhafi de massacrer un nombre incalculable de ses propres sujets ? Voilà quelle est la question décisive dans de telles situations ». Et quiconque ne s’aligne pas sur ce non-sens est selon l’AWL un pacifiste incorrigible.

    Pour montrer à quel point ces annonciateurs “trotskistes” sont éloignés de la réelle position de Trotsky par rapport à la guerre, regardons sa position au cours de la guerre civile espagnole concernant la question du budget militaire du gouvernement républicain. Max Shachtman, qui était en ce temps un de ses partisans, s’est opposé à Trotsky qui défendait en 1937 le fait que : « Si nous avions un membre dans le Cortes [le parlement espagnol], nous voterions contre le budget militaire de Negrin ». Trotsky a écrit que l’opposition de Shachtman à sa position « m’a étonné. Shachtman était prêt à exprimer sa confiance dans le perfide gouvernement Negrin ».

    Il a plus tard expliqué que : « Le fait de voter en faveur du budget militaire du gouvernement Negrin revient à lui donner un vote de confiance politique… Le faire serait un crime. Comment expliquer notre vote aux travailleurs anarchistes ? Très simplement : Nous n’accordons pas la moindre confiance en la capacité de ce gouvernement à diriger la guerre et à assurer la victoire. Nous accusons ce gouvernement de protéger les riches et d’affamer les pauvres. Ce gouvernement doit être broyé. Tant que nous ne serons pas assez forts que pour le remplacer, nous nous battrons sous son commandement. Mais en toute occasion, nous exprimerons ouvertement notre méfiance à son égard : voici la seule possibilité de mobiliser les masses politiquement contre ce gouvernement et de préparer son renversement. Toute autre politique constituerait une trahison de la révolution » (Trotsky, D’une égratignure au risque de gangrène, 24 janvier 1940). Imaginons maintenant à quel point Trotsky dénoncerait le soutien honteux de l’AWL à l’intervention impérialiste en Libye aujourd’hui.

    Une position de classe indépendante

    On reste sans voix devant le fait que l’AWL, avec son apologie de l’intervention impérialiste, prétende défendre par-là une “politique ouvrière indépendante”. Mais il n’y a pas le moindre atome de position indépendante de classe dans son approche. Nous nous opposons à l’intervention militaire, tout comme s’y sont opposées les masses de Benghazi au cours de la première période. Les slogans sur les murs proclamaient en anglais : « Non à l’intervention étrangère, les Libyens peuvent se débrouiller par eux-mêmes ». En d’autres termes, les masse avaient un instinct de classe bien plus solide, une suspicion par rapport à toute intervention militaire extérieure, en particulier par les puissances qui dominaient autrefois la région – le Royaume-Uni et la France. Elles craignaient à juste titre que la zone d’exclusion aérienne, malgré les grands discours proclamant le contraire, ne mènent à une invasion, comme cela a été le cas en Irak.

    Cela signifie-t-il que nous nous contentons de rester au niveau de slogans généraux, que nous restons passifs face à l’éventuelle attaque de Kadhafi sur Benghazi ? Non. Mais dans une telle situation, nous insistons sur la nécessité d’une politique de classe indépendante, sur le fait que les masses ne doivent avoir confiance qu’en leur propre force, et ne pas accorder le moindre crédit à l’idée que l’impérialisme agit pour le bien des masses. Il est tout à fait vrai que nous ne pouvons en aucun cas répondre à l’argument du massacre potentiel par des affirmations du style : “La triste réalité est que les massacres sont une caractéristique chronique du capitalisme. La gauche révolutionnaire est, hélas trop faible pour les empêcher » (Alex Callinicos, un des dirigeants du SWP britannique).

    Les forces du marxisme peuvent être physiquement trop faibles pour empêcher des massacres – comme dans le cas du Rwanda par exemple. Nous sommes néanmoins obligés de défendre le fait que le mouvement ouvrier large adopte la position la plus efficace afin de défendre et de renforcer le pouvoir et l’influence de la classe ouvrière dans toute situation donnée. Par exempe, en Irlande du Nord en 1969, les partisans de Militant (prédécesseur du Socialist Party) se sont opposés à l’arrivée des troupes britanniques pour “défendre” les zones catholiques nationalistes de Belfast et de Derry contre l’attaque meurtrière des milices B-specials à prédominance loyaliste. Le SWP, bien qu’il l’ait plus tard nié, soutenait le débarquement des troupes britanniques. Lorsque les troupes sont arrivées, elles ont protégé ces zones des attaques loyalistes et ont été accueillies en tant que “défenseurs”. Mais, comme nous l’avions prédit, à partir d’un certain point ces troupes se transformeraient en leur contraire et commenceraient à être perçues comme une force de répression contre la minorité catholique nationaliste. Et c’est exactement ce qui s’est passé.

    Toutefois, confrontés au massacre potentiel de la population catholique, nous n’avons pas adopté une position “neutre” ou passive. Dans notre journal Militant de septembre 1969, nous appelions à la création d’une force de défense unitaire ouvrière, au retrait des troupes britanniques, au démantèlement de la milice B-specials, à la fin des discriminations, à la création d’emplois, de logements, d’écoles, etc. pour tous les travailleurs. En d’autres termes, nous étions donc en faveur d’une unité de classe et pour que les travailleurs se basent sur leurs propres forces et non pas sur celles de l’État capitaliste. Une approche similaire, basée sur l’indépendance de classe la plus complète, et adaptée au contexte concret de la Libye et du reste de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, est la seule capable de mener à la victoire de la lutte des travailleurs dans une situation aussi compliquée.

    Nous ne pouvons suivre Achar non plus, lorsqu’il dit : « Selon ma conception de la gauche, quiconque prétend appartenir à la gauche ne peut tout bonnement ignorer la demande de protection émanant d’un mouvement populaire, même de la part des ripoux impérialistes, lorsque le type de protection demandé n’en est pas un par lequel le contrôle sur leur pays peut être exercé. Aucune force progressiste ne peut se contenter d’ignorer la demande de protection provenant des rangs des insurgés ».

    Il est erroné d’identifier “les insurgés”, qui provenaient au départ d’un authentique mouvement de masse – comme nous l’avons fait observer – à leur direction actuelle, bourrée d’éléments bourgeois et pro-bourgeois, y compris de renégats en provenance du régime de Kadhafi. Qui plus est, il est entièrement faux – comme certains l’ont fait – de comparer l’acceptation de la part de Lénine de nourriture et d’armes fournies par une puissance impérialiste pour en repousser une autre, sans aucune condition militaire ou politique liée, à un soutien à la zone d’exclusion aérienne. La question pour les marxistes n’est pas de ce qui est fait, mais de qui le fait, comment et pourquoi.

    Défendre la révolution

    Au final, l’objectif de l’intervention impérialiste est de sauvegarder sa puissance, son prestige et son revenu de la menace de la révolution qui se développe dans la région. Comme l’a bien expliqué un porte-parole de l’administration Obama, la principale source d’inquiétude n’est pas ce qui se passe en Libye, mais bien les conséquences que cela pourrait avoir en Arabie saoudite et dans les États du Golfe, où sont concentrées la plupart des réserves pétrolières desquelles dépend le capitalisme mondial. Les impérialistes considèrent une intervention victorieuse en Libye comme étant un rempart contre toute menace de révolution dans ces États et dans l’ensemble de la région. Ils sont aussi inquiets de l’influence régionale de l’Iran, qui s’est énormément accrue en conséquence de la guerre d’Irak.

    La situation en Libye est extrêmement fluide. La manière dont se résoudra le conflit actuel est incertaine. En ce moment, il semble que cela se termine par une impasse, dans laquelle ni Kadhafi ni les rebelles ne sont capables de porter un coup décisif pour s’assurer la victoire dans ce qui est à présent une guerre civile prolongée. Ceci pourrait mener à une réelle partition du pays, ce qui est déjà le cas dans les faits. Dans cette situation, toutes les divisions tribales latentes – qui étaient en partie tenues en échec par la terreur du régime Kadhafi – pourraient remonter à la surface, créant une nouvelle Somalie au beau milieu de l’Afrique du Nord, avec toute l’instabilité que cela signifie, en particulier en ce qui concerne la lutte pour les réserves de pétrole de la Libye. D’un autre côté, l’impérialisme cherche désespérément à éviter de donner l’impression que Kadhafi ait obtenu une victoire partielle dans cette lutte, ce qui renforcerait la perception d’impuissance des puissances impérialistes à pouvoir décider de l’issue des événements.

    Mais la responsabilité du mouvement ouvrier au Royaume-Uni et dans le monde est claire : opposition absolue à toute intervention impérialiste ! Que le peuple libyen décide de son propre destin ! Soutien maximum de la part de la classe ouvrière et du mouvement ouvrier mondial aux véritables forces de libération nationale et sociale en Libye et ailleurs dans la région, y compris sous la forme d’un approvisionnement en nourriture et en armes !

    L’impérialisme ne sera pas capable d’arrêter la marche en avant de la révolution en Afrique du Nord et dans le Moyen-Orient. Certes, comme le CIO l’avait prédit, il existe une grande déception parmi les masses, qui estiment que les fruits de leurs victoires contre Moubarak et Ben Ali ont jusqu’ici été volées par les régimes qui les ont remplacés. L’appareil de sécurité et la machine d’État tant haïs qui existaient auparavant demeurent largement intacts, malgré les puissantes convulsions de la révolution. Mais ceux-ci sont en train d’être combattus par des mouvements de masse.

    Les révolutions tiennent bon, et des millions de gens ont appris énormément de choses au cours du mouvement. Espérons que leurs conclusions mèneront à un renforcement de la classe ouvrière et au développement d’une politique de classe indépendant. Un tel renforcement serait symbolisé par le développement par les travailleurs de leurs propres organisations, de nouveaux et puissants syndicats et partis ouvriers, avec l’objectif de la transformation socialiste de la société, accompagnée par la démocratie en Libye et dans l’ensemble de la région.

  • [DOSSIER] Hausse des prix: Une réponse socialiste

    En février, nous avons payé nos achats en moyenne quasiment 3,4% plus cher que l’an dernier, la plus forte augmentation de l’inflation depuis octobre 2008. Grâce à l’indexation automatique des salaires, cela sera heureusement compensé – avec retard et de façon partielle seulement. Mais juste au moment où cette indexation doit nous protéger de la perte de pouvoir d’achat, le patronat lance son offensive. Il peut compter sur l’appui des institutions internationales. Quelle est la réponse socialiste face aux hausses des prix ?

    Par Eric Byl

    Comment expliquer les hausses des prix?

    Souvent, on associe la crise aux hausses des prix ou à l’inflation. C’est pourtant l’inverse en général. Les crises vont de pair avec des baisses de prix, la déflation, alors que les reprises s’accompagnent d’une hausse de l’inflation. En temps de crises, lorsque les produits se vendent plus difficilement, les patrons ont tendance à baisser les prix. Ils diminuent les coûts de production, surtout les salaires, ou se contentent d’une marge de profit plus restreinte. Lors de la reprise, ils essayent alors de vendre à des prix plus élevés afin de rehausser la marge de profit. Dans un monde où l’offre et la demande s’adapteraient de façon équitable, les prix évolueraient de façon assez stable autour de la valeur réelle du produit, c.à.d. la quantité moyenne de temps de travail nécessaire pour produire la marchandise, de la matière première au produit fini.

    Mais le monde réel s’accompagne de changements brusques, avec des accélérations soudaines et des ralentissements abrupts. La nature ellemême connait de nombreux caprices. De mauvaises récoltes en Russie et en Ukraine, pour cause de sécheresse, ont contribué à faire augmenter les prix de la nourriture. Un système de société peut tempérer ces caprices, les corriger, mais aussi les renforcer. Les incendies de forêts, les tempêtes de neige, les inondations, les tremblements de terres et les tsunamis s’enchaînent, avec en ce moment au Japon la menace d’une catastrophe nucléaire. Nous ne connaîtrons avec certitude la mesure exacte de l’impact humain sur le réchauffement de la planète qu’au moment où la recherche scientifique sera libérée de l’emprise étouffante des grands groupes capitalistes. Mais que la soif de profit pèse sur l’être humain et son environnement, conduit à la négligence des normes de sécurité et à des risques inacceptables, le PSL partage avec beaucoup cette conviction.

    La Banque Mondiale estime que la hausse des prix de l’alimentation a, depuis juin 2010, poussé 44 millions de personnes en plus dans l’extrême pauvreté. Son index des prix de l’alimentation a gagné 15% entre octobre 2010 et janvier 2011. Diverses raisons sont citées: la croissance démographique dans les régions pauvres, la demande de biocarburants, la sécheresse, les inondations et d’autres catastrophes naturelles, la faillite de paysans africains face à la concurrence des excédents agricoles de l’occident, la spéculation qui accélère les hausses des prix. La hausse des prix de l’alimentation et la montée du coût de la vie ont constitué des éléments primordiaux dans les révolutions au Moyen- Orient et en Afrique du Nord.

    Le seul système qui fonctionne?

    L’establishment prétend que le capitalisme est le seul système de société qui fonctionne. La noblesse féodale et les esclavagistes avant elle prétendaient de même à leur époque concernant leurs systèmes. Chaque système fonctionne, il n’existerait pas sinon. Il répond toujours à un certain degré de développement de nos capacités productives. Dès qu’un système de société devient un frein à l’application de savoirs scientifiques et techniques, il provoque le chaos plutôt que le progrès. C’est alors que le moteur de l’histoire se déclenche; la lutte des classes.

    Brûler des combustibles fossiles est un gaspillage de richesses livrées par des processus naturels qui ont pris des millions d’années, et c’est catastrophique pour notre environnement.

    Nous le savons depuis plusieurs dizaines d’années. Mais depuis ce temps, la recherche scientifique concernant les sources d’énergies alternatives est sabotée par les fameuses ‘’sept soeurs’’, les sept sociétés pétrolières les plus grandes au monde. Des moteurs actionnés par hydrogène, énergie solaire et éolienne, masse bio, etc. sont trop menaçants pour leurs profits. Au lieu d’orienter la recherche vers les énergies renouvelables, elle a pratiquement été exclusivement consacrée au développement du nucléaire ‘’bon marché’’. Avec la ponctualité d’une horloge, nous sommes rappelés à la réalité des dangers de cette technologie.

    Ce n’est pas une surprise si la demande d’énergie augmente. On aurait pu investir depuis longtemps pour des économies d’énergie et dans le développement de sources d’énergie renouvelables. Mais ce n’est pas ainsi que fonctionne le capitalisme.

    Les investisseurs privés ne sont intéressés que s’ils peuvent récupérer à cout terme leur investissement, avec une bonne marge de profit. C’est valable pour les mesures d’économies d’énergie et pour l’énergie renouvelable tout autant que pour les combustibles fossiles plus difficiles à extraire, par exemple. Avec la spéculation, le manque d’investissements pour garantir une offre suffisante a été à la base de la forte envolée des prix du pétrole, jusqu’à atteindre 147$ le baril, il y a deux ans. La récession a fait retomber la demande et le prix, mais le problème a continué à proliférer. La perversité du capitalisme s’exprime dans la réaction des ‘‘marchés’’ face aux insurrections démocratiques contre les dictateurs corrompus au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Les ‘‘marchés’’ craignent que la démocratie menace l’approvisionnement en pétrole. Au cas où la dictature en Arabie-Saoudite succomberait elle aussi, un prix de 200$ ou plus est à l’horizon pour le pétrole. Pour l’économie capitaliste mondiale, cela équivaudrait à une crise cardiaque.

    Les prix de l’énergie et de l’alimentation en hausse en Belgique

    Cette perversité du capitalisme échappe à ceux qui plaident pour la mise sous curatelle de l’indexation salariale en Belgique. Ils savent que les prix du pétrole et de l’alimentation sont en hausse partout dans le monde, ce qu’ils n’expliquent pas par le capitalisme, mais comme quelque chose qui nous tombe dessus tel un phénomène naturel. Ce ‘‘phénomène naturel’’ s’infiltre en Belgique. Les prix de l’énergie et de l’alimentation, surtout, ont augmenté en flèche ces derniers temps. Sans produits liés à l’énergie – le fuel, le diesel, le gaz et l’électricité – l’inflation serait plus basse de moitié.

    La bourgeoisie belge préfère couper dans l’investissement pour le renouvellement de la production. Aujourd’hui, elle se trouve à la queue du peloton en termes d’investissements dans la recherche et le développement. Nos politiciens en sont le parfait miroir. Depuis des années, ils économisent sur les investissements nécessaires dans l’entretien des routes, des bâtiments scolaires, de l’infrastructure ferroviaire, etc.

    Nous en subirons les conséquences des années encore. ‘’Si la politique énergétique de nos autorités ne change pas immédiatement, des coupures d’électricité se produiront, littéralement’’. C’était la conclusion d’une récente émission de Panorama. ‘’La Belgique manque d’électricité parce que nos gouvernements ont fait construire trop peu de centrales et parce que le réseau à haute tension qui devrait importer du courant supplémentaire n’a pas la capacité de répondre à la demande.’’ Mais GDF Suez, la maison mère d’Electrabel, a réalisé l’an dernier un profit record de 4,62 milliards d’euros.

    Le secteur de l’énergie n’est pas le seul à manier des marges de profits indécentes. Selon le rapport annuel de l’observatoire des prix, les hausses des prix des matières premières mènent à des adaptations de prix exagérées en Belgique. En plus, cela n’est qu’à peine corrigé lorsque les prix des matières premières reculent. Toutes les chaines de supermarchés le font. Ce sont les prix des produits de base tels que les pommes de terre, les oignons, le fuel et le gaz qui haussent fortement. Des marchandises moins couramment achetées, comme les télévisions à écran 16/9e ou les PC, ont vu leur prix baisser.

    Indexation des salaires, un acquis du mouvement ouvrier

    Il existe des moyens de tempérer les caprices de la nature et du système capitaliste. La classe ouvrière en a arraché plusieurs durant le siècle précédent. Ainsi, après la révolution Russe de 1917 et la vague révolutionnaire qu’elle a engendrée, un index des prix à la consommation a été obtenu dès 1920 en Belgique. A l’origine, seul un nombre limité de conventions collectives avaient introduit l’indexation automatique des salaires. Mais après chaque grande grève, ce nombre s’est élargi.

    Dans son Programme de Transition de 1938, Trotsky plaidait en faveur de l’échelle mobile des salaires, l’appellation contemporaine de l’adaptation automatique des salaires au coût de la vie, afin de protéger les foyers des travailleurs de la pauvreté. Parallèlement, il plaidait aussi pour l’introduction d’une échelle mobile des heures de travail, où l’emploi disponible est partagé entre tous les travailleurs disponibles, cette répartition déterminant la longueur de la semaine de travail. ‘’Le salaire moyen de chaque ouvrier reste le même qu’avec l’ancienne semaine de travail. La “possibilité” ou l’ “impossibilité” de réaliser les revendications est, dans le cas présent, une question de rapport des forces, qui ne peut être résolue que par la lutte. Sur la base de cette lutte, quels que soient ses succès pratiques immédiats, les ouvriers comprendront mieux toute la nécessité de liquider l’esclavage capitaliste.’’

    Après la deuxième guerre mondiale, le rapport de forces était favorable au mouvement ouvrier. Le système a graduellement été introduit dans tous les secteurs. Mais comme toute victoire du mouvement ouvrier, cet acquis aussi a été attaqué dès que le rapport de forces a commencé à se modifier. En 1962, le ministre des affaires économiques, Antoon Spinoy (PSB !) a essayé de retirer de l’index la hausse des prix des abonnements sociaux pour le transport public. En 1965, ce même gouvernement a à nouveau essayé, cette fois-ci avec le prix du pain. En 1978, de nouveau avec le PSB, le gouvernement a réussi à remplacer les produits de marques compris dans l’index par des produits blancs. En mars 1976, la loi de redressement de Tindemans – Declercq a aboli l’indexation pour la partie du salaire supérieure à 40.250 francs belges (1.006,25 euros). Cette mesure sera retirée en décembre, suite à la résistance de la FGTB.

    La victoire du néolibéralisme à la fin des années ’70 et au début des années ’80 a conduit à des attaques systématiques contre le mécanisme de l’indexation. Le gouvernement de droite des libéraux et des chrétiens-démocrates a appliqué trois sauts d’index entre 1984 et 1986. A trois reprises, donc, l’indexation des salaires n’a pas été appliquée. Ceci continue encore aujourd’hui à agir sur les salaires. En 1994, le gouvernement de chrétiens-démocrates et de sociaux-démocrates a retiré le tabac, l’alcool et l’essence de l’index ‘’santé’’. Depuis, dans divers secteurs, des accords collectifs all-in et saldo ont été introduits. Ces accords neutralisent en partie l’effet de l’indexation des salaires.

    La Belgique est-il le seul pays où s’app lique l’indexation automatique des salaires ?

    Dans certains secteurs de l’industrie aux États-Unis et en Grande-Bretagne, de tels accords étaient largement répandus jusqu’en 1930. En Italie, cela a été introduit dans les années ’70, mais a, depuis, été partiellement aboli. Au Brésil, au Chili, en Israël et au Mexique, l’indexation salariale a été abolie cette dernière décennie.

    Aujourd’hui, l’indexation automatique des salaires ne s’applique plus qu’en Belgique et au Luxembourg. A Chypre, elle existe aussi, mais ne s’applique pas à tous les travailleurs. En Espagne, au Portugal, en Finlande, en Italie, en Pologne et en Hongrie, des mécanismes d’indexation salariale sont repris dans des accords de secteurs où dans des contrats individuels. En France, en Slovénie et à Malte, les salaires minimaux sont indexés.

    D’abord produire, ensuite partager

    Dans leurs attaques contre l’indexation automatique, les politiciens et les économistes bourgeois accentuent toujours qu’il faut ‘’d’abord produire les richesses avant de pouvoir les partager’’. Il faut raconter cela au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ! Tant Moubarak que ses fils Gamal et Alaa sont milliardaires. De l’ancien dictateur Tunisien Ben Ali et sa famille, il est connu qu’il dispose d’une fortune immobilière correspondant à une valeur de 3,7 milliards d’euros en France uniquement. Les barons du textile belge qui ont massivement délocalisé vers la Tunisie dans les années ’70 y sont devenus indécemment riches. Combien de richesses faut-il avant que le partage ne commence ?

    Ce n’est pas de cela qu’ils parlent, mais bien des effets soi-disant pervers de l’indexation de salaires. Ainsi, l’indexation créerait selon Thomas Leysen dans Le Soir du 19 mars, une perception erronée de la marge salariale. L’économiste Geert Noels appelle cela ‘’le handicap concurrentiel automatique’’. Pour le professeur en économie Joep Konings (KULeuven) l’indexation automatique protège les habituels bien payés, mais complique l’accès aux emplois pour ceux qui n’en ont pas, puisque les entreprises seraient plus prudentes avant de recruter: ‘’Abolir l’indexation salariale automatique serait donc une mesure sociale.’’ Il rajoute qu’il faut l’accompagner de l’abolition de l’indexation des allocations sociales, au risque de voir la différence entre travailler ou ne pas travailler se réduire.

    Unizo, l’organisation des petits patrons en Flandre, plaide en faveur de ‘’quelques sauts d’index’’. Le professeur Peersman (UGand) veut annuellement adapter le salaire aux objectifs de la Banque Centrale Européenne. Son collègue De Grauwe (KULeuven) veut retirer le coût de l’énergie importée de l’index. Wivina Demeester, ancienne ministre CD&V, plaide pour une indexation en chiffres absolus au lieu de pourcentages. Mais selon De Grauwe, cela rendrait le travail non qualifié relativement plus cher et aurait par conséquent un effet non souhaitable. La Banque Nationale s’en tient à mettre en garde contre une spirale salaire-prix où des hausses de prix entraineraient des augmentations salariales qui seraient compensées par de nouvelles hausses de prix et ainsi de suite. Ce n’est pas un nouvel argument. Elle veut nous faire croire que lutter pour des augmentations salariales n’a pas de sens.

    Marx a déjà répondu à ces argument il y a 150 ans dans sa brochure ‘’Salaire, prix, profit’’ En réalité, le patron essaye d’empocher lui-même une partie aussi grande que possible de la valeur que nous avons produite. La peur de l’inflation n’a jamais freiné les patrons à empocher le plus de profits possibles. Avec un profit à hauteur de 16 milliards d’euros, une hausse d’un tiers comparée à 2009, les plus grandes entreprises belges disposent à notre avis de beaucoup de marge. En plus, des dividendes sont royalement versés aux actionnaires. Le producteur de lingerie Van de Velde, pour donner un exemple, a versé en 2010 quelque 70% du profit réalisé à ses actionnaires. Même en pleine crise, en 2009, les patrons des entreprises du Bel 20 s’étaient accordés en moyenne une augmentation salariale de 23%.

    Contrôles des prix

    Il n’y a rien à reprocher aux travailleurs en Belgique. Nous sommes toujours parmi les plus productifs du monde, loin devant nos collègues des pays voisins. Grâce à notre mécanisme d’indexation, la demande intérieure a mieux résisté à la crise de 2009 que dans d’autres pays, y compris en Allemagne. La contraction économique et le recul des investissements ont été moindres, tout comme la hausse du chômage. A l’époque, tout le monde a reconnu que c’était dû aux prétendus stabilisateurs automatiques, ce qui fait référence à la sécurité sociale et au mécanisme d’indexation.

    Nos prix de l’énergie sont largement plus élevés que ceux pratiqués à l’étranger. Des profits énormes sont drainés vers les poches des actionnaires, qui ne se trouvent d’ailleurs pas tous en France. De plus, en Belgique, l’industrie est très dépendante de l’énergie, mais là aussi on investit à peine dans une utilisation rationnelle de l’énergie. Nulle part ailleurs en Europe autant de voitures d’entreprises ne sont utilisées à titre de compensation salariale afin d’éviter des charges sociales. En comparaison des pays voisins, il y a en Belgique très peu de logements sociaux. Nos bâtiments résidentiels, tout comme nos bâtiments scolaires vieillis, sont extrêmement mal isolés et souvent encore chauffés au fuel, d’où les plaidoyers pour des contrôles transparents sur les prix.

    Le SP.a vise en premier lieu les prix de l’énergie. Le PS veut s’attaquer à l’inflation par des contrôles des prix d’au moins 200 produits. Nous sommes un peu étonnés que personne n’ait encore proposé d’introduire, à côté de la norme salariale, une norme des prix, où les prix ne pourraient monter plus que la moyenne pondérée des prix pratiqués dans nos pays voisins. Pour beaucoup de gens, le contrôle des prix de l’alimentation, de l’énergie et du loyer serait le bienvenu. Au Venezuela, Chavez a également introduit des contrôles des prix sur les denrées alimentaires, mais les rayons sont presque vides. Morales en Bolivie s’est heurté à une grève des employeurs lorsqu’il a voulu bloquer les prix des tickets de bus. Les propriétaires ont organisé un lock-out.

    Nous ne croyons pas que cela se produirait facilement en Belgique, ni pour l’alimentation, ni pour les loyers, ni pour l’énergie. Mais la leçon à tirer est qu’il est impossible de contrôler la distribution sans que l’autorité reprenne également la production en main, en assurant que le revenu du petit producteur soit garanti. Les contrôles des prix sont en fait une forme de contrôle des profits. Les entreprises privées essayeront de restaurer leur marge de profit aux dépens des travailleurs et si cela échoue, ils menaceront de délocaliser ou de stopper les investissements prévus.

    LE PSL TROUVE QUE LES TRAVAILLEURS N’ONT PLUS À PAYER LA CRISE PROVOQUÉE PAR DES SPÉCULATEURS

    • Pas touche à l’indexation automatique, pour le rétablissement complet de l’index. Liaison au bien-être de toutes les allocations.
    • Pas d’allongement du temps de travail, mais une semaine de travail de 32 heures, sans perte de salaire et avec embauches compensatoires, pour que le travail disponible soit réparti entre tous. Cela peut s’accompagner de crédit bon marché aux indépendants et de subsides salariaux sur base de coûts prouvés.
    • Ouverture des livres de comptes de toutes les grandes entreprises afin de contrôler leurs véritables coûts, les profits, les salaires des directions et les bonus.
    • Nationalisation du secteur énergétique sous contrôle des travailleurs et sous gestion des travailleurs eux-mêmes, pour être capables de libérer les moyens afin d’investir massivement dans l’énergie renouvelable et l’économie de l’énergie.
    • Pour le monopole d’État sur les banques et le crédit sous contrôle démocratique de la communauté. Au lieu de devoir supplier les directions des banques afin d’obtenir du crédit, le public pourrait alors planifier les investissements publiques nécessaires aux besoins réels de la population.
    • Pour une société socialiste démocratiquement planifiée et pour rompre avec le chaos capitaliste
  • Monde et Europe: Une nouvelle période d’instabilité et de révolutions (1)

    Thèses du bureau européen du CIO

    Début avril, des dirigeants du CIO venus d’Europe, mais aussi du Pakistan et d’Israël, se sont rencontrés pour discuter des développements internationaux, et en Europe en particulier. Les thèses suivantes y ont été discutées et amendées après discussion.

    Il y a à peine trois mois que s’est tenu le Congrès Mondial du CIO, et depuis la situation mondiale a radicalement été modifiée par les révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Puis, il y a eu la double catastrophe naturelle du séisme et de l’immense tsunami au Japon. Ces événements ont servi à renforcer l’impression, créée par la crise économique persistante, d’un monde en chaos. Le danger de la fusion des réacteurs nucléaires – et des répercussions que cela pourrait avoir avec la possibilité de retombées radioactives à la Tchernobyl – a aussi eu pour effet de souligner l’irresponsabilité du capitalisme en ce qui concerne l’environnement. La construction de centrales nucléaires sur des lignes de faille sismiques reconnues, avec la fuite de particules radioactives et les dangers de tout un héritage de déchets nucléaires pour les générations futures, a horrifié le monde.

    La révolution au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

    Le CIO avait bel et bien prédit les événements du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Dans le dernier document sur les relations mondiales adopté lors du 10ème Congrès du CIO en décembre 2010, nous avions correctement anticipé le fait que le Moyen-Orient était au bord d’une explosion sociale, mettant en avant la possibilité du renversement du régime Moubarak. Nous avions entre autres écrit ceci : ”Un autre “point chaud” pour l’impérialisme est le Moyen-Orient. Il n’y a aucun régime stable dans la région” (paragraphe 54). En particulier, nous avions prédit dans le même document que : ”Bien que le conflit entre les Arabes et les Israéliens est important, ce n’est pas le seul facteur qui doit être pris en considération lorsque nous établissons les perspectives pour cette région. Plus que jamais, la situation économique de ces pays les prépare à de grands mouvements sociaux et politiques. C’est particulièrement le cas pour l’Égypte … des revirements d’une ampleur sismique sont à l’ordre du jour dans ce pays. Le règne de Moubarak, long de 30 ans, approche de sa fin”. (paragraphes 62-63). Ce pronostic a été confirmé par les événements tumultueux qui se déroulent encore en ce moment, et par lesquels la révolution ou l’idée de révolution a bondi d’un pays à l’autre.

    En conséquence de ces mouvements, on a une fois de plus vu venir à l’avant-plan la théorie trotskiste de la Révolution permanente. Toutefois, les idées de Trotsky ne se prêtent pas à une interprétation superficielle et unilatérale de la manière dont le processus de Révolution permanente va se dérouler. Trotsky n’a jamais envisagé un processus linéaire et direct. Les révolutions russes n’ont pas triomphé sans de sérieuses tentatives de contre-révolution. En Tunisie et en Égypte, étant donné la non-préparation des masses et le manque d’organisations indépendantes, couplés au fait que l’appareil sécuritaire militaire du vieux régime n’a pas été complètement démantelé, la contre-révolution allait forcément poser une grave menace à la victoire encore non assurée des masses. L’impact de la révolution était à son tour conditionné au fait que les masses venaient d’émerger de la nuit noire de décennies de dictature, ce qui était également renforcé par le manque de véritables partis ouvriers révolutionnaires, avec des cadres capables de rapidement orienter les masses politiquement. Néanmoins, chaque effort de la contre-révolution n’a fait que provoquer une opposition tenace, et, à chaque fois qu’il semblait hésitant ou endormi, a ressuscité le mouvement de masse contre les restes des vieux régimes et, en Tunisie, a poussé la révolution plus en avant.

    En Égypte, l’occupation du quartier général de la police secrète – après des rumeurs selon lesquelles ses agents tentaient de détruire des fichiers détaillant la torture sous le régime Moubarak et le rôle que l’armée a joué dans celle-ci –, de même qu’un mouvement tout aussi tenace que celui de Tunisie, indiquent qu’une révolution ne peut pas être aussi facilement balayée. Mais l’intervention impérialiste en Libye (la soi-disant “zone d’exclusion aérienne”) fait partie d’une tentative d’intimider les masses révolutionnaires. Elle se fait passer pour un soutien à l’opposition libyenne alors qu’en réalité, elle est partie prenante d’une offensive générale de la réaction dans la région et à l’échelle internationale qui tente de stopper et de compliquer le processus révolutionnaire. Elle est aussi une tentative d’assurance de la part de l’impérialisme occidental afin d’assurer le maintien de son emprise sur les ressources pétrolières de la Libye. Après avoir courtisé Kadhafi, lui avoir fourni des armes, etc., la meilleure manière maintenant, selon les calculs de l’impérialisme, d’accomplir ses objectifs est d’abandonner son ancien “ami” pour s’assurer d’être “du bon côté de l’Histoire” – surtout de l’Histoire économique ! Comme l’ont montré les événements en Égypte, en Tunisie et, plus récemment, au Yémen, ils n’y parviendront pas.

    Le massacre brutal au Yémen n’a servi qu’à renforcer la résolution du mouvement de masse, menant à la plus grande manifestation encore jamais vue contre le régime, et au départ probable de Saleh. La défection du chef du personnel de l’armée, qui est passé au camp de la révolution, a été un moment crucial. Ceci indique que Saleh n’a pas assez de forces sur lesquelles se baser. Mais l’accueil qui a été fait au général par l’opposition yéménite montre la confusion de la conscience – c’est le moins que l’on puisse dire – parmi les rangs de la révolution. Son portrait a été enlevé de la gallerie des méchants contre-révolutionnaires, et replacé parmi les anges !

    L’intervention brutale de l’Arabie saoudite au Bahreïn pour y écraser la révolution est destinée à intimider les masses bahreïnies, de même que les travailleurs et paysans des pays qui ne se sont pas encore engouffrés dans la vague révolutionnaire, afin de les décourager de marcher dans les traces de l’Égypte et de la Tunisie. En interne, dans chaque pays, la contre-révolution attend son heure – forcée maintenant de plier sous le vent révolutionnaire – jusqu’à ce qu’elle puisse utiliser les déceptions engendrés par les résultats de la révolution afin de contre-attaquer. Le référendum sur les amendements constitutionnels des généraux venait seulement d’être terminé en Égypte, que l’armée a annoncé son intention de restreindre et de bannir les manifestations et les grèves. Néanmoins, la tendance dans la prochaine période sera à un approfondissement de la révolution mais, bien sûr, les perspectives varient d’un pays à l’autre.

    De plus, il ne faut pas exclure une nouvelle guerre au Moyen-Orient. Le déclenchement d’une telle guerre pourrait provenir de la recrudescence de violence entre Palestiniens et Israéliens, avec l’attentat qui a fait sauter un bus à Jérusalem et l’accroissement du conflit à et autour de Gaza. Si une telle guerre survenait, et en particulier si elle venait à se développer en un conflit majeur, elle pourrait impliquer les États arabes ; l’armée égyptienne, par exemple, qui n’est plus maintenant tenue en laisse par le régime servile pro-USA et pro-Israël de Moubarak. Dans la nouvelle situation, la pression de la part des masses arabes pour défendre les Palestiniens sera intense. Ceci sera encore plus le cas si des mouvements de masse comme celui du 15 mars en Cisjordanie continuent à se développer.

    Au moment où ce document était en préparation, la Libye se tenait dans l’œil du cyclone. Pour toutes les raisons que nous avons expliquées – dans les articles sur notre site – la situation en Libye est bien plus compliquée que les processus en Égypte et en Tunisie, étant donné le caractère particulier du régime Kadhafi. Il ne fait aucun doute que le régime Kadhafi est couvert de sang. L’insurrection de Benghazi a tout d’abord vaincu les troupes de Kadhafi – dirigées par ses fils – qui ont alors fui pour se mettre à l’abri à Tripoli. Des comités populaires ont commencé à prendre forme, mais ont malheureusement été dominés – et ceci a été renforcé depuis – par des forces bourgeoises et petites-bourgeoises, dont d’anciens ministres du régime Kadhafi. Notre revidencation qui demandait que ces comités soient fermement ancrés parmi les masses, avec une pleine démocratie ouvrière, et sur base d’un programme clair, aurait pu mener, si nécessaire, à la formation d’une armée révolutionnaire. Celle-ci aurait pu se développer de la même manière que les colonnes de Durutti après l’insurrection contre les fascistes à Barcelone au début de la Guerre civile espagnole en juillet 1936. La simple annonce d’une telle force aurait pu en soi avoir été l’étincelle qui aurait mené à une insurrection victorieuse contre Kadhafi à Tripoli.

    Le caractère tribal de la Libye – renforcé par des divisions régionales, en particulier entre l’Ouest et l’Est – a permis à Kadhafi d’obtenir une certaine marge de manœuvre. Le fait de brandir le drapeau royaliste – le roi Idris provenait de Benghazi et était à la tête de la “tribu” Senoussi qui regroupe un tiers des Libyens – a permis au régime de Kadhafi de dépeindre Benghazi comme étant la base des forces contre-révolutionnaires qui souhaitent renverser le cours de l’Histoire. Cette impression a été renforcée par la décision des dirigeants du mouvement de Benghazi de faire appel à l’assistance de l’impérialisme – avec leur “zone d’exclusion aérienne”. Ceci représentait une volte-face par rapport à la position précédente à Benghazi, qui s’opposait à l’intervention impérialiste en disant : ”Les Libyens peuvent le faire eux-mêmes”.

    Il est difficile de définir exactement de quelle manière la situation va se résoudre. Le soutien pour la zone d’exclusion aérienne va se désintégrer si les résultats ne mènent pas à un renversement rapide de Kadhafi. L’opinion publique aux États-Unis – où il y a une massive majorité de deux tiers en faveur d’un retrait d’Afghanistan – est opposée à toute campagne terrestre. Les forces US et françaises sont incapables d’entamer une offensive au sol efficace. Qui plus est, l’opinion publique, qui semblait initialement en faveur du bombardement de Kadhafi, pourrait se renverser en son contraire si le nombre de pertes venait à s’accroitre. Les États-Unis et le Royaume-Uni sont déjà débordés par le bourbier afghan. En outre, le soutien pour des mesures militaires au Royaume-Uni est extrêmement ténu, avec une crainte largement répandue – y compris parmi la bourgeoisie – que l’action soit limitée et se mue petit à petit en un engagement militaire prolongé.

    L’impérialisme – associé aux forces de Benghazi – espère qu’une pression militaire suffisante mènera à une répétition de ce qui s’est passé au Yémen, avec la défection des généraux de Kadhafi. D’un autre côté, un blocage sur le plan militaire pourrait survenir, et on assisterait à une partition de la Libye dans les faits. Ceci mènerait probablement à des campagnes militaires ou terroristes contre les principales puissances impérialistes qui se sont engagées contre le régime de Kadhafi. Il est fortement improbable que les forces des grands pays arabes – comme l’Égypte – puissent être utilisées pour renverser Kadhafi, étant donné la nature instable et suspicieuse de l’opinion publique dans le monde arabe en ce qui concerne les interventions extérieures dans la région. Même Amr Moussa – le chef de la Ligue arabe – qui a tout d’abord soutenu la zone d’exclusion aérienne, a été forcé de faire marche arrière lorsque, comme c’était inévitable, des civils ont été tués et blessés par les frappes aériennes britanniques, américaines et françaises. En fait, les grandes puissances impérialistes sont déjà divisées – malgré la résolution des Nations-Unies qui a sanctionné leur action – et ces divisions vont s’accroitre si cette guerre venait à se prolonger et à s’intensifier.

    L’Égypte est une arène cruciale où pourrait se décider la bataille épique entre les forces de la révolution et de la contre-révolution. Les chefs de l’armée, en collusion avec l’establishment politique, les Frères musulmans et les restes du NDP (le parti de Moubarak) ont organisé un référendum visant à supprimer certaines des lois répressives du régime Moubarak et à poser la base pour des élections dans les six mois. Les éléments les plus conscients de l’opposition à l’armée ont appelé à un boycott. Mais l’appel au boycott a eu un certain effet ; il n’y a eu que 41% de participation. Toutefois, l’opposition n’a pas eu assez de succès pour faire échouer le référendum ; 77% de ceux qui ont voté se sont déclarés en faveur des amendements. Notre revendication en faveur d’une véritable assemblée constituante révolutionnaire garde donc toute sa force. Ce qui est crucial par contre est la tâche urgente de construire les forces ouvrières indépendantes, en particulier les syndicats, et de poser la base pour un nouveau parti des travailleurs de masse. L’impérialisme – via les dirigeants syndicaux de droite en Europe et aux États-Unis – intervient comme il l’a fait lors de la révolution portugaise afin de dévoyer les nouveaux syndicats dans une direction pro-capitaliste. Au Portugal, ils ont utilisé les dirigeants syndicaux allemands, alliés au SPD, pour construire le Parti socialiste de Mario Soares et son syndicat affilié, l’UGT, pour contribuer à faire dérailler la révolution.

    En Tunisie, ce sont les mêmes tâches fondamentales qui se posent, mais bien entendu la situation n’est pas identique à celle de l’Égypte. La Tunisie a une certaine histoire d’opposition organisée clandestinement contre Ben Ali, rassemblée en particulier autour des syndicats. Il faut ajouter à cela une conscience culturelle et politique relativement élevée, ce qui veut dire que les masses sont bien conscientes que la révolution a été faite par leurs sacrifices, mais qu’elles n’en ont pas encore récolté les fruits. Néanmoins, ce mouvement de la base est parvenu à renverser toute une série de gouvernements. Nos camarades, en Égypte comme en Tunisie, ont accompli des efforts héroïques afin d’atteindre les forces les plus conscientes et de chercher à les attirer à la bannière du CIO. Ce travail doit continuer au cours de la prochaine période.

    Nous pouvons nous attendre à de nouveaux mouvements qui vont affecter quasiment chaque pays de la région. En plus de l’Égypte, de la Tunisie, de la Libye et du Bahreïn, les régimes de Syrie, des États du Golfe – malgré les pots-de-vin massifs octroyés par la monarchie saoudie –, d’Iraq et même d’Iran seront affectés. Il n’y a aucun retour possible ; il est impossible de réétablir les vieux régimes sur les mêmes bases qu’auparavant. Il y a une réelle soif d’idées, et une demande insistante pour des droits démocratiques partout, de même qu’une haine viscérale des régimes despotiques et dictatoriaux. Du côté de la classe ouvrière, il y a une tentative de créer des organisations indépendantes à la fois sur le plan syndical et politique. Pris tout ensemble, ceci revient à une situation favorable pour les idées du marxisme authentique et du trotskisme. Ce ne sera pas facile, étant donné les idéologies rivales du marxisme contre lesquelles nous nous voyons forcés de lutter. Mais pour la première fois, peut-être, depuis la faillite des partis communistes/staliniens à cause de leurs théories “en stades” erronnées, le terrain n’a jamais été aussi fertile pour la croissance des idées marxistes et trotskistes. De même, la situation économique et sociale générale – largement dominée par le scénario économique mondial et par son impact dans la région – signifie qu’il ne peut y avoir aucune réelle stabilité. Après tout, ç’a été la détérioration de la situation économique, manifestée par le chômage en progression constante et en particulier chez les jeunes, qui a été le facteur déclenchant des insurrections en Tunisie et en Égypte, et de tout ce qui a suivi. Ceci souligne l’importance cruciale d’avoir des perspectives économiques, comme le CIO l’a toujours mis en avant. Cependant, si la classe ouvrière ne devait pas parvenir à imposer sa marque sur la situation – via ses propres organisations indépendantes – ce serait alors l’islam politique de droite, largement marginalisé jusqu’ici, qui pourrait croitre à nouveau. Les conflits en Égypte entre coptes et musulmans (délibérément encouragés par l’armée) en sont un avertissement, tout comme les efforts délibérés de divisions entre chiites et sunnites au Bahreïn

    L’économie mondiale

    Le Moyen-Orient exerce également une énorme influence sur l’économie mondiale, en particulier à travers la matière première cruciale qu’est le pétrole. Et les remous colossaux dans la région ont exercé des pressions à la hausse sur le prix du pétrole, qui va maintenant probablement atteindre des records fumants étant donné les complications militaires en Libye, pays producteur de pétrole. En conséquence de cela, la “reprise” économique mondiale vacillante va sans doute être stoppée, si pas repartir en chute libre. L’envolée actuelle des prix du pétrole est la cinquième hausse de cette ampleur depuis 1973, et à chacune de ces hausses, le résultat a été une récession. Certains experts s’attendent à ce que le prix du pétrole brut atteigne les 160$/barril, d’autres s’attendent à plus encore. Un résultat inattendu de tout ceci est le bénéfice qu’en retirent les États producteurs de pétrole : ainsi, chaque hausse de 10$ du prix du barril gonfle le revenu de la Russie de 20 milliards de dollars supplémentaires ; l’Iran et le Venezuela, de même que les pays arabes, vont eux aussi en tirer parti. Certains ont été capables d’utiliser ceci – comme c’est le cas pour l’Arabie saoudite – pour racheter, ou du moins tenter de racheter, l’opposition interne croissante. Le chœur d’analystes capitalistes qui proclamaient que le capitalisme était en passe de complètement se remettre de la crise et parlaient déjà un peu plus tôt dans l’année de “sommets économiques ensoleillés” s’est complètement fourvoyé.

    Des prétentions similaires avaient été faites en 2005, comme quoi le boom continuerait à jamais. Il est vrai que l’index boursier au Royaume-Uni a passé la barre des 6040 points au tournant de l’année. Cependant, suivre cette logique revient à dire que le meilleur endroit où investir aujourd’hui serait la Mongolie ou le Sri Lanka ! Même cette prétention a été sapée par les inondations dévastatrices au Sri Lanka, où un million de gens ont été affectés et 20% de la production de riz détruite.

    Le tourniquet des marchés boursiers mondiaux – ce casino géant – n’ont que peu d’intérêt aujourd’hui pour mesurer la santé économique, ni les perspectives de croissance réelle dans le futur. Ce qui a plus d’intérêt, est l’aveu de l’analyste et historien “libéral” pro-capitaliste Simon Schama : ”Les vies de millions de gens dans notre Amérique hamburguerée ne passent que via les banques et les chèques alimentaires. Soixante-dix pourcent de la population a un ami proche ou un membre de la famille qui a perdu son travail. Nous vivons toujours dans l’Amérique en 3D : désolation, dévastation, destitution”. Et nous parlons ici du moteur du capitalisme mondial !

    La Chine

    La Chine et l’Asie, cependant, semblent toujours aller de l’avant, propulsées par l’immense plan de relance en Chine, dont l’ampleur et les effets avaient été prédits par le CIO. Le plan de relance chinois a permis de tirer de nombreux pays vers le haut, avec un certain effet en Europe. Dans le monde néocolonial, certains pays connaissent un boom des matières premières et, dans une certaine mesure, un marché accru pour leurs exportations. Toutefois, le revers de la croissance chinoise est l’accumulation de bulles à une échelle massive, qui pourrait bien mettre un terme brutal à la croissance chinoise, bien plus vite que ne se l’imaginent les économistes capitalistes. L’ampleur du secteur immobilier en surchauffe se reflète dans les effets dévastateurs sur les habitants des villes, en particulier dans des endroits tels que Pékin. L’inflation est toujours un enjeu extrêmement sensible pour l’État chinois, à cause du rôle historique qu’elle a joué dans la révolution chinoise qui a mené au renversement du Guomindang à la fin des années ’40 et qui a amené Mao au pouvoir. En janvier, l’inflation a atteint le record de 5,1%, ce qui a suscité un grand ”mécontentement par rapport aux hausses de prix qui ont atteint leur niveau le plus élevé depuis le début des statistiques en 1999”, selon un récent sondage de la Banque centrale.

    Ce que cela signifie pour les millions de Chinois qui espéraient en vain pouvoir gravir les échelons de la propriété est montré par les estimations qui indiquent ”combien de temps les citoyens devraient travailler pour pouvoir se payer un appartement de 100m² dans le centre de Pékin, qui vaut en ce moment environ 3 millions de renminbi (450 000$). En supposant qu’il n’y ait aucune catastrophe naturelle, un paysan travaillant un lopin de terre moyen ne pourrait s’offrir un appartement que s’il avait commencé à travailler sous la dynastie Tang (qui s’est terminée en l’an 907) ! Un ouvrier chinois qui aurait gagné un salaire mensuel de 1500 renminbi depuis les guerres de l’opium de la moitié du 19ème siècle et aurait travaillé tous les jours depuis et même les week-ends, disposerait alors maintenant de tout juste de quoi se payer son propre logement aujourd’hui.”

    Au même moment, la croissance économique colossale et incontrôlée de la Chine inflige chaque année pour plus de 1000 milliards de yuan (105 milliards d’euro) en dégâts environnementaux, selon les planificateurs du gouvernement. Le cout des déchets, des fuites, de la détérioration du sol et autres impacts a atteint les 1,3 milliards de yuan en 2008 (140 milliards d’euro). C’est l’équivalent de 3,9% du PIB du pays. La perte du sol et de l’eau ”pose de graves menaces à l’écologie, à la sécurité alimentaire et au contrôle des inondations”, a ainsi déclaré le vice-ministre chinois responsable des ressources en eaux. Les réservoirs sont incapables de satisfaire aux demandes d’une population croissante et de plus en plus développée. Pékin dépend déjà de nappes aquifères non-renouvelables pour pallier au déficit en eau de la ville qui s’accumule. Ce dernier pourrait mener à des contrôles dans la consommation de l’eau, surtout pour les gros utilisateurs tels que les usines. D’un point de vue économique, le développement pêlemêle de la Chine sur une base capitaliste n’est pas vivable, et ceci est encore plus évident dès lors que l’on parle d’environnement.

    La radicalisation aux États-Unis

    En ce qui concerne les États-Unis, ceux-ci laissent filer un déficit budgétaire béant (à tous les niveaux de gouvernement) qui promet un naufrage fiscal. À un moment l’an passé, la vente de bons du Trésor, nécessaire pour le financement continu du déficit, n’a obtenu qu’un faible résultat et a amené la menace d’une crise dans les finances du gouvernement. Toutefois, avec tous ces capitalistes qui possèdent des surplus massifs d’argent sans avoir un seul débouché où l’investir de manière productive – ce qui est en soi une expression de la crise organique du capitalisme – la vente de bons suivantes a, elle, été bien accueillie. L’administration Obama est confrontée à la perspective délicate de devoir chercher à réduire le déficit, ce qui aura un grave impact sur le niveau de vie. Si cette réduction se concentre sur l’armée – ce qu’espère la droite républicaine – cela aggravera énormément la situation sociale et mènera à une grande radicalisation.

    Les événements spectaculaires au Wisconsin mettent en valeur ce qu’il se passe lorsque la droite républicaine se lâche contre la classe ouvrière américaine, qui semblait endormie et passive. Enhardi par le succès du Tea Party lors des élections de mi-mandat pour le Congrès, le gouverneur républicain du Wisconsin a lancé une offensive déclarée sur les droits de négociations des syndicats et sur les conditions des travailleurs. C’est ce qui a provoqué un soulèvement de la classe ouvrière sans précédent aux États-Unis depuis des décennies. L’ironie étant qu’il y a beaucoup de travailleurs qui avaient voté pour les candidats du Tea Party et qui sont devenus eux-mêmes victimes de ces attaques, et ont donc rejoint le mouvement d’opposition. Les travailleurs ont soulevé l’exemple de la révolution égyptienne ! Ils ont eu recours à des arrêts de travail spontanés et ont appelé à la grève générale. Des travailleurs d’autres Etats, comme en Indiana et en Ohio, ont suivi le Wisconsin ; ils ont eux aussi subi les mêmes attaques de la part de gouverneurs républicains inflexibles.

    Tel un coup de tonnerre, le Wisconsin a réveillé le géant endormi de la classe ouvrière américaine, et a ouvert la voie à une opportunité très favorable pour notre section américaine. La question de savoir si cela va ou non mener à un revirement à gauche durable dépend, comme ailleurs, de la création d’un pôle d’attraction à gauche sous la forme d’un nouveau parti ou d’une nouvelle formation politique. La majorité des dirigeants syndicaux tente désespérément de diriger ce mouvement vers un soutien aux Démocrates, bien que parfois seulement en tant que “moindre mal”. C’est la même chose qui se passe en Europe avec nos dirigeants syndicaux qui ont peur et qui sont incapables de mener une lutte industrielle victorieuse contre les programmes d’austérité de la bourgeoisie. Ils cherchent à faire dévier le mouvement sur le plan électoral en renforçant le soutien à la social-démocratie. D’un autre côté, le fait d’attaquer l’énorme budget de la “défense” susciterait encore plus de critiques sur Obama et son administration de la part des Républicains de droite – menés par le Tea Party. Jusqu’à présent, il a fait face à cette offensive de droite par des pas en arrière et des concessions, par exemple sur la taxation des riches. Cette attitude pourrait encourager la droite à forcer Obama à faire encore plus de concessions. D’un autre côté, les attaques sur la classe ouvrière par les Républicains de droite amènent un soutien de “moindre mal” en faveur d’Obama pour les prochaines élections présidentielles en 2012. Il sera maintenant probablement réélu.

    L’Europe et l’économie mondiale

    En Europe, l’effondrement économique de l’Irlande menace de se propager au Portugal et même à l’Espagne, qui selon certains économistes capitalistes est la quatrième plus grande économie d’Europe et “est trop grosse pour être sauvée”. Même l’Italie et le Royaume-Uni ne sont pas totalement immunisés des effets de la crise bancaire européenne – parce que c’est bien d’une telle crise qu’il s’agit – qui a été déclenchée par les événements en Irlande. Le renflouement des banques irlandaises est un signe que c’est maintenant une question, comme l’a dit Samuel Johnson, de “tenir ensemble, ou tenir séparés”. Malgré tout, l’Irlande va sans doute faire défaut sur sa dette – ou la “reporter”, comme on dit dans le langage plus diplomatique des économistes capitalistes – en dépit de tous les efforts des États membres de l’UE et de leurs différents gouvernements nationaux pour renflouer le pays. Le Chancelier de l’Échiquier britannique Osborne a trouvé 7 milliards de livres sterling pour aider l’Irlande – en réalité, pour sauver les banques britanniques qui seraient affectées par un effondrement de l’économie irlandaise – en tant que “bon voisin”. Et pourtant, on ne peut pas dire de lui qu’il agit en “bon Samaritain” pour les pauvres et pour les travailleurs du Royaume-Uni, vu qu’il cherche à leur imposer le plus grand plan d’austérité depuis 80 ans.

    Surtout basée sur les développements de l’économie chinoise, la machinerie et les consructeurs automobiles allemands ont pu rapidement se remettre de la première vague de la crise. Utilisant sa force compétitive, le capitalisme allemand semble être le grand vainqueur de la crise. Mais cette reprise se développe sur une base faible et sera remise en question dans un futur pas si lointain. Malgré cette faiblesse sous-jacente, cela a donné au capitalisme allemand une marge économique qui lui a permis de contribuer à éviter un effondrement économique complet en Europe et aussi – bien que de manière réticente et hésitante – de faire quelques concessions pour sauver l’euro jusqu’ici. Cela n’était pas assez pour sauver l’économie européenne ou pour démarrer un nouveau boom ; cependant, cela aura un impact décisif si de futures éruptions économiques en Allemagne venaient à frapper les développements européens.

    Les destins entrelacés de toutes les économies d’Europe à travers la crise de la dette souveraine montre comment des développements cruciaux à l’échelle internationale façonnent les événements à l’échelle nationale, parfois de manière décisive. L’hypothèse sous-jacente du gouvernement ConDem au Royaume-Uni est que, malgré la brutalité des coupes, au final “Tout sera bien qui finira bien”. Les événements devraient selon eux aller dans leur sens, à cause de l’“inévitable” rebond de l’économie. Le cycle économique “normal” devrait se réaffirmer, disent-ils, une crise étant toujours suivie d’un boom, et ainsi le carrousel continue. Ces espoirs seront anéantis par la marche des événements. Car nous n’avons pas affare ici à un cycle similaire à celui des années 1950 à 75, ni à la phase de croissance plus faible des années ‘2000. Cette crise est totalement inhabituelle de par son caractère, sa profondeur et sa gravité, à la fois pour les dirigeants actuels et pour leurs “administrés”.

    Au mieux, l’économie mondiale va continuer à boitiller de l’avant ; elle ne va pas immédiatement reprendre son niveau d’avant la crise de 2008. Ceci signifie que sur le long terme, le chômage endémique tendra à se consolider, bien qu’avec des hauts et des bas. Des millions de travailleurs ne pourront jamais être réintégrés dans l’industrie. Là où ils trouveront un travail, ce travail sera précaire, temporaire, à l’image de ce que l’on appelle aux États-Unis un job “de survie”. Les travailleurs les prendront dans l’espoir vain de pouvoir de nouveau se hisser à la position qu’ils avaient dans le passé. Mais pendant toute la période prévisible devant nous, l’époque des emplois à plein temps, d’un niveau de vie croissant ou même stagnant est terminée pour la majorité de la population.

    La consommation joue un rôle crucial pour soutenir l’économie capitaliste moderne, en particulier dans les économies les plus avancées. Aux États-Unis pendant le 19ème siècle, près de 20% de l’économie provenait de la consommation. Aujourd’hui, aux États-Unis, celle-ci compte pour 70% du produit total. En Chine, d’un autre côté, la consommation vaut aujourd’hui 38% du PIB – ce qui est relativement beaucoup moins que les 50% sous le régime stalinien de Mao. Toutefois, les programmes d’austérité qui sont devenus la principale politique économique de la majorité des gouvernements bourgeois a pour effet de déprimer l’économie, précisément à cause du rôle crucial que jouent les consommateurs. Et ceci n’est pas compensé par la redirection de l’investissement – du surplus social – dans l’industrie productive, comme c’était la norme dans le passé. La politique dévastatrice de la financialisation du capitalisme mondial est enracinée dans le manque de débouchés profitables pour le capital, essentiellement à partir de la fin des années ’70. C’est quelque chose que le CIO a toujours mis en avant, encore et encore, dans son matériel écrit – une position presque unique parmi les marxistes.

    Les investissements colossaux de capitaux fictifs – via le système de crédits – ont jeté la base pour les bulles qui ont maintenant éclaté. Mais le capitalisme, pris dans son ensemble et à une échelle mondiale, n’a rien appris de cela, et n’applique maintenant aucune nouvelle politique ni dans le vieux continent européen ni aux États-Unis. En fait, nous avons vu une répétition de la même politique que celle des années ‘2000, qui ne fait en réalité que gonfler de nouvelles bulles, même alors que le système lutte déjà pour se libérer des immenses conséquences de sa politique précédente, du surplus de dette. Par conséquent, les investissements dans l’industrie – qui est la réelle force pour créer de la valeur – sont à la traine. En fait, les investissements ont en réalité chuté en termes réels dans l’industrie de transformation. Le Royaume-Uni, par exemple, est passé d’une des nations les plus industrialisées du monde au 19ème siècle, à la cinquième position aujourd’hui. Selon le ministre des finances brésilien, sa nation a dépassé le Royaume-Uni et est devenue la cinquième plus grande économie mondiale, surtout après la croissance de 7,5% en 2010, son plus haut taux depuis 1986.

    La reprise sur les marchés boursiers a été acclamée comme étant le précurseur de la croissance économique, ce qui est complètement faux. En fait, les “experts” en comportement des marchés boursiers sont historiquement du côté des “ours” – des pessimistes qui s’attendent à une Apocalypse financière. Une personne a récemment commenté dans le Guardian britannique que : ”Lorsque les marchés entrent une nouvelle phase de folie, moi je reste là à me gratter la tête d’étonnement. L’idée comme quoi nous sommes revenus à une reprise économique durable est aussi grotesque qu’elle l’était en 2005-07. Mais les investisseurs sont de retour sur la piste de danse, pirouettant droit vers la prochaine et inévitable implosion, au sujet de laquelle ils affirmeront une fois de plus par après qu’elle était imprévisible !”

    Le capitalisme moderne semble incapable d’absorber le “surplus de travail” – un euphémisme pour “chômage de masse” – créé par la suraccumulation reflétée par la crise, à moins de pouvoir obtenir un taux de croissance soutenu d’au moins 3%, et même ainsi, à un taux combiné. Pourtant, même les plus optimistes des économistes bourgeois ne se font aucune illusion sur le fait que le capitalisme – même dans les économies qui semblent être dans une position favorable, comme l’Allemagne par exemple – sera capable d’atteindre un tel taux de croissance dans le futur prévisible. Axel Weber, le président sortant et complètement discrédité de la Bundesbank, disait à Londres récemment que l’Allemagne ne reviendrait pas d’ici la fin de 2011 à un niveau d’avant la crise. ”Il ne s’agit pas d’une success story, mais bien de trois années perdues”. Il a ensuite ajouté pour la forme que : ”La tendance de croissance sur le long terme pour l’économie allemande est de 1%. Nous n’avons pas affaire à un moteur dynamique pour l’économie européenne”.

    Le chômage

    La production de l’économie mondiale est revenue au niveau de 1989 ! Le FMI estime qu’en 2008, l’économie mondiale a perdu la somme colossale de 50 trillions de dollars en actifs dévalués et en termes de perte de production, une somme équivalant à la production totale de biens et services du monde entier pendant une année. La crise a laissé un immense legs débilitant que le capitalisme aura du mal à surmonter, si jamais il y parvient entièrement. La politique quasi-keynésienne d’Obama – avec ses divers plans de relance – a complètement échoué à endiguer le chômage, qui se tient officiellement à 9% de la force de travail (mais est dans les faits sans doute à deux fois ce niveau), et est restée à ce niveau depuis les 20 derniers mois sans discontinuer. Quarante-sept états sur cinquante ont même perdu des emplois depuis les plans de relance d’Obama.

    Il y a dans le monde officiellement plus de 200 millions de gens au chômage, dont 78 millions ont moins de 24 ans. Et ceci est sans doute une énorme sous-évaluation, parce que ces chiffres ne tiennent pas compte du sous-emploi, des emplois partiels, etc. Selon l’Organisation internationale du travail, 1,5 milliards de gens sont en situation d’emploi précaire. En outre, la population mondiale va sans doute s’accroitre d’encore 2 milliards de personnes au cours des 40 prochaines années. En Europe, le chômage des jeunes se trouve en moyenne à 20,2% dans 17 pays de la zone euro, alors qu’il était à 14-15% il y a trois ans. Le chômage des jeunes est monté au niveau effarant de 35% en Grèce et même de 40% en Espagne !

    Étant donné qu’il n’y a que très peu de soutien étatique pour les chômeurs dans ces pays – qui sont alors forcés de compter sur le soutien de leurs famille et amis – il est étonnant que nous n’ayons pas encore aperçu d’expression réelle de l’encore plus grand mécontentement que ces chiffres garantissent. Il est vrai que nous avons vu de grandes et furieuses grèves générales, mais étant donné la condition de la classe ouvrière, surtout dans le sud de l’Europe, nous pouvons nous attendre au cours de la prochaine période à des mouvements de protestation ouvrière qui pourraient déborder les limites de la société “officielle”. Déjà en Grèce, nous voyons que les masses, par pur désespoir – très souvent convaincues qu’elles n’ont aucune chance de succès – se sont néanmoins jetées dans la bataille, comme avec les travailleurs des bus d’Athènes, qui insistaient pour continuer leur lutte contre l’avis de leur direction syndicale, malgré le fait que le décret contre lequel ils se battaient avait déjà été mis en application ; ou avec les 2500 travailleurs (temporaires) de la Ville d’Athènes, qui ont occupé la salle du Conseil communal pour empêcher le nouveau maire PASOK de les licencier afin d’engager de nouveaux travailleurs intérimaires avec encore moins de salaire et encore moins de droits. Ce genre d’actions risque de devenir contagieuse – et pas seulement en Grèce – pour d’autres travailleurs qui vont chercher à les imiter, de même que pour les étudiants qui vont une fois de plus entrer en conflit avec le gouvernement ou avec les autorités éducationnelles.

    Mais la conscience politique est toujours en retard, et parfois de manière chronique, par rapport à la situation économique objective. Le krach de Wall Street en 1929 a stupéfait la classe ouvrière américaine, et il a fallu au moins quelques années pour qu’elle puisse rallier ses forces et résister à l’offensive du capitalisme. Un mouvement offensif n’a réellement commencé, comme nous l’avons fait remarquer à maintes reprises, qu’au moment du début du boom à partir de 1934. Il est hautement improbable, surtout à un niveau global, qu’une telle croissance survienne, au moins dans les pays industriels avancés. Comme le Brésil l’a démontré, il est possible qu’un certain niveau de croissance se réalise dans certains pays et certaines régions, même au beau milieu d’une récession mondiale générale. Il y a une raison spécifique dans le cas du Brésil, comme dans d’autres pays ; cette croissance s’est effectuée portée par la croissance chinoise, la Chine cherchant à mettre la main sur des ressources naturelles afin de maintenir son industrie en état de marche.

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