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[INTERVIEW] Abdelhak Laabidi, syndicaliste et militant politique tunisien
Il y a trois ans, le 14 Janvier 2011, un nouveau chapitre s’ouvrait sur la scène politique mondiale. Le renversement du dictateur Ben Ali en Tunisie, balayé par un mouvement révolutionnaire, a marqué le déclenchement et la source d’inspiration pour l’explosion de mouvements de masse à travers le monde, et pour une transformation complète du paysage politique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. En accompagnement de l’interview ci-dessous, nous vous invitons à lire l’article suivant : “Tunisie: trois ans apres la chute de Ben Ali, la revolution continue”.
Abdelhak Laabidi, peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Abdelhak Laabidi , marié et père de 3 enfants , militant politique et fervent défenseur des droit de l’homme ; syndicaliste et actuellement secrétaire général de l’UGTT à Béja (secteur de la santé), et militant dans le parti FOVP (Force Ouvrière pour la Victoire du Peuple).
Comment et quand as-tu commencé à militer?
Depuis le début, j’étais présent dans chaque manifestation, mais tout cela sans une appartenance claire à un parti politique. Cela a commencé au sein du mouvement lycéen ; d’ailleurs, ma première arrestation fut en 1976, à l’âge de 16 ans, suite à la manifestation contre la visite de Anouar Essadet en Israël.
La première action que j’ai organisée personnellement fut sous la casquette syndicaliste à Béja, en 2006: une action devant le siège local de l’UGTT. Il y a eu une marche depuis l’hôpital jusqu’au siège de l’UGTT, habillés en blouse blanche. L’itinéraire de cette marche passait devant le tribunal, la commune, la mairie, plusieurs lycées ; c’était une première dans cette ville. Mais suite à cette action, j’ai été trahi par le secrétaire général de l’époque : on m’a délesté de la couverture syndicale et pour punition de m’être insurgé, j’ai été chassé de chez moi.
Tout comme plusieurs habitants de Béja, ma maison appartenait anciennement aux colons français ; après que ces derniers aient quitté la Tunisie, les Tunisiens ont pu gagner leurs maisons. Cependant il n’y a que moi qui fut viré de chez moi de la sorte, et cela d’une manière des plus barbare: cela s’est passé en plein hiver (et l’hiver de Beja est très rude), mes enfants étaient en pleine semaine d’examen et comble de l’histoire, ma maison a été transformée en un local du RCD ! Vous voyez la symbolique des choses … Suite à cela, ma mère est morte après 4 mois, et j’étais totalement délaissé par sa famille et par tous les partis de gauche de Béja. C’était une période difficile pour moi.
On sait que dernièrement tu as été agressé. Peux-tu nous parler de cela?
Le 14 janvier, je me suis dis que la Tunisie allait vivre une ère nouvelle, pleine de liberté et toutes ces bonnes choses. C’était pour moi, si je peux m’exprimer ainsi, mon « orgasme politique ». Dans la réalité je vois clairement que strictement rien n’a changé, et je vis toujours dans un bain constant de harcèlement, qu’il soit judiciaire ou physique.
Pour mettre l’histoire dans son contexte, il faut savoir que dernièrement je me suis présenté aux élections régionales de l’UGTT, et cela a déplu à certains, qui veulent injecter les pions du parti islamiste Ennahda à ce poste. Pour m’en dissuader, chaque jour ils me provoquent et lancent des sous-entendus. En passant devant un café, des personnes crient « il faut égorger les mécréants et tuer les militants de gauche », et plein de provocations de ce genre. En voyant que je ne cédais pas aux provocations et que je les ignorais, ils se sont dits: s’il ne vient pas à nous, nous viendrons à lui. C’est aussi simple que ca.
Le samedi 21 décembre à 10h 30 du matin, en sortant de chez moi j’ai été agressé par surprise et passé à tabac par deux personnes. J’ai eu pour séquelle une hémorragie interne dans mon œil ; c’est par chance que je n’ai pas été aveuglé. J’ai aussi eu quelques cotes fêlées et des contusions un peu partout sur mon corps. Heureusement qu’au moment de l’attaque mon fils m’a entendu l’appeler, du coup ils se sont enfuis en le voyant. Je pense qu’ils voulaient me battre à mort ; mais je pardonne en quelque sorte à ceux qui m’ont attaqué car je sais que ce n’est pas leur faute, en premier lieu c’est la pauvreté qui est le réel fautif. Pour une poignée de dinars en effet, ces gens sont capables du pire, c’est pourquoi ils sont la cible des « fascistes »: à la place de leurs offrir un travail décent pour subvenir à leurs besoins, ils préfèrent faire d’eux leurs sbires et hommes de main.
Quoiqu’il en soit, cette attaque me rendra plus fort, car c’est ceux qui dérangent qui sont visés. Ce fut le cas pour les martyrs Chokri Belaid et Mohamed Brahmi ; bien sûr, je ne veux pas me comparer à eux, car qu’est ce que vaut mon agression comparé à leur assassinat ? Mais quelque part je sais que je suis sur la bonne voie car je suis entrain de déranger, comme ils l’ont fait en leur temps.
Mis à part cette agression, l’histoire se répète : je suis aussi souvent mis en examen que je l’ai été avant le 14 janvier (via tribunaux, poste de police, etc ).
Après la mort de Mohamed Toujeni, agent des forces de sécurité originaire de Beja, le peuple de Beja, suite à son enterrement le 23 octobre, s’est révolté contre Ennahda et sa politique ; le local d’Ennahdha a été incendié. Le 6 février, j’ai été convoqué par la police, et l’agent qui prenait mes dires était lui-même convaincu de mon innocence (car il y avait des photos, des vidéos de surveillance et je n’étais même pas présent dans cette manif-là !)
Ils ont aussi essayé de m’attaquer dans mon intimité en tentant de s’en prendre à mon « nid familial ». Après le 14 janvier, j’avais repris de force ma maison, et ils ont essayé de me la reprendre avec les mêmes moyens que ceux de Ben Ali et de sa police ; il y a eu un procès dont j’ai retardé le jugement le 17 novembre – motif : « reprise par la force » d’un lieu pour lequel il y a eu jugement, vol, et incendie d’archives. On m’a viré de force, alors j’ai repris ma maison de force en l’occupant ; et l’archive que je suis accusé d’avoir brulé, c’est une archive du RCD et de leur activité ; cela s’est pourtant passé ainsi dans tous les locaux du RCD dans toute la Tunisie.
Mais je ne céderais pas, coûte que coûte je serai toujours présent à défendre la cause des travailleurs par le billet du syndicalisme, et des pauvres et des délaissés par le billet du parti dans lequel je milite, le FOVP, pour ces causes que la Troïka au pouvoir a trahies dès le début en laissant la situation sociale et politique s’engouffrer de plus en plus.
Peux-tu nous présenter le FOVP ?
Le FOVP est un parti de la gauche radicale, issu d’un schisme de la LGO joint par d’autres militants; ce sont des militants qui ont refusé la ligne directive de la direction du Front Populaire, laquelle s’est associée avec Nidaa Tounes et Ennahda pour s’assoir autour d’une table en vue d’une soi-disant « entente nationale ». Je ne comprends pas comment le Front Populaire peut tendre la main à la droite, qu’elle soit barbue ou en costume cravate. Comment pourrais-je m’assoir à la même table que les ex-RCDistes, qui levaient leur bâton bien haut pour me frapper ? Comment, d’autre part, m’assoir à la même table qu’un parti historiquement sanguinaire ? Est-ce cela une « ligne révolutionnaire » ?
C’est ce qui nous a poussé à quitter la LGO et le Front Populaire, pour un nouveau parti qui est le FOVP, lequel a une ligne révolutionnaire claire, avec en priorité le militantisme pour les causes des plus démunis, des travailleurs, de l’égalité des sexes, des droits de l’homme, de la liberté, liberté d’expression, un pouvoir judiciaire réellement indépendant etc. ; et bien sûr, essayer d’améliorer la conscience de classe, car à cause notamment de la baisse du pouvoir d’achat et de la hausse vertigineuse des prix, on entend des personnes dire que si Ben Ali était resté au pouvoir ça serait mieux. Il faut essayer de sauver cette révolution pour qu’on la revoie s’émuler à l’échelle internationale. Ceci est dans les mains du peuple tunisien, il faut que la révolution aboutisse coûte que coûte ; cette marche sera fatigante et pleine d’embuches, mais espérons qu’elle aboutira ! D’ailleurs, la force populaire a le potentiel de défaire n’importe quelle force réactionnaire.
Et que pense du rôle de l’UGTT dans tout cela?
L’UGTT est l’organisation qui détient le plus grand pouvoir dans le pays, celui des travailleurs.
Tout gouvernement devrait être amené à craindre cette organisation, malheureusement la bureaucratie n’arrête pas de lancer des bouées de sauvetage à ces gouvernements dont tout le monde a vu les échecs répétés dans tous les domaines, qu’ils soient social, politique (étrangère et intérieure), sécurité etc.
Comment peux-t-on poser la question de l’entente nationale avec des partis qui sont concrètement entrain de paupériser les travailleurs et les couches le plus démunies? La bureaucratie syndicale a encore une fois trahi la cause, et devra assumer cela historiquement.
Comme elle devra assumer, elle et la direction du Front Populaire, de ne pas avoir oser prendre le pouvoir quand il s’offrait à eux (cela avait pourtant été le souhait du peuple le jour de l’enterrement de Chokri Belaid), et de le donner réellement aux travailleurs et à la population, en créant des comités régionaux et en instaurant l’autogestion, et en multipliant cela à une large échelle.
Y a-t-il des actions du FOVP qui auront lieu à court terme ?
Le 6 juin, j’ai organisé à Beja la 17éme commémoration de la mort de Cheikh Imam Issa (=chanteur égyptien révolutionnaire) et on a rendu un hommage au poète Ahmed Najm, parolier du Cheikh Imam au centre culturel de Béja; le FOVP donne beaucoup d’importance à la culture. Pour nous, la musique révolutionnaire et les textes peuvent être un outil important pour élever la conscience de classe du peuple tunisien.
Le 28 de ce mois aura lieu mon procès au tribunal de Beja, et le FOVP lance un appel à manifester massivement devant le tribunal.
On a vu que trois syndicalistes ont été malmenés, chacun d’une manière différente en l’espace de deux semaines ; tu as été agressé et passé à tabac, ensuite il y a eu l’arrestation de Abdeslam El Hidouri à Sidi Bouzid, puis des personnes sont entrées de force chez Adnen Hajji en faisant croire à un cambriolage, et on a agressé sa femme en voyant qu’il n’était pas chez lui ; que penses-tu de tout cela ?
Je pense que la guerre contre les syndicalistes a commencé le jour de la commémoration de l’assassinat du martyr Farhat Hached. Ce jour-là, le 4 décembre 2012, plusieurs syndicalistes ont été attaqués par la milice d’Ennahda ; ils ont essayé de nous faire peur par cette action, mais voyant que les syndicalistes de base n’arrêtent pas de militer, de lancer des actions, des grèves, etc., ils essaient de nous faire taire un par un! Il faut s’organiser, frapper ensemble au cœur de leurs faiblesses, avec des grèves régionales et sectorielles, et puis générale. Car contre ce parti fasciste, il faut être solidaire pour se protéger les un les autres, et pour frapper ensemble.
Un mot pour conclure ?
Je veux que les slogans criés spontanément par le peuple tunisien soient exaucés par n’importe quels moyens ; les deux principaux slogans sont: « al chaab yourid isakat al nidham » (=le peuple veut la chute du système) et « al chaab yourid al thawra men jaddid » (le peuple veut une autre révolution).
Je veux cela pour que mes enfants et la génération à venir n’aient pas à vivre ce qu’on a vécu, et puissent vivre des jours meilleurs et que les Hommes redeviennent des Hommes et la terre un jardin.
Merci.
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Tunisie: trois ans après la chute de Ben Ali, la révolution continue
Il y a trois ans, le 14 Janvier 2011, un nouveau chapitre s’ouvrait sur la scène politique mondiale. Le renversement du dictateur Ben Ali en Tunisie, balayé par un mouvement révolutionnaire, a marqué le déclenchement et la source d’inspiration pour l’explosion de mouvements de masse à travers le monde, et pour une transformation complète du paysage politique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.
Serge Jordan, Comité pour une Internationale Ouvrière
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis. Les classes dirigeantes des pays impérialistes -prises par surprise lorsque la vague révolutionnaire en Tunisie fit tomber un de leurs allié-clé- s’accrochent maintenant désespérément à ce pays, leur dernier espoir d’un modèle soi-disant « présentable » d’une prétendue « transition démocratique », et cela dans une région marquée par un chaos sans précédent, touchée par des vagues de violence, par l’instabilité politique chronique, et par une augmentation des divisions sectaires.
Pour les masses tunisiennes cependant, les perspectives enthousiastes d’une victoire révolutionnaire rapide et facile qui conduirait à un changement structurel dans leur vie, ont depuis longtemps été remplacées par un regain des difficultés, et de la colère qui les accompagnent.
Si la plupart des médias internationaux font l’éloge de ce qu’ils appellent souvent le « modèle tunisien » du Printemps arabe, l’idée d’une telle « success story » résiste difficilement à une analyse sérieuse.
Il est vrai que par rapport à des pays comme l’Egypte, la Syrie, le Yémen ou la Libye, la Tunisie apparaît beaucoup plus «stable». Ceci est largement dû à l’existence d’un mouvement syndical fort et structuré, grâce à la puissante et emblématique UGTT, l’Union Générale Tunisienne du Travail.
Dans une certaine mesure , la vigilance et les actions des travailleurs ont agi comme une sorte de «glue» pour unir les classes opprimées, et comme un contrepoids afin d’empêcher la société de valser dans le type de chaos et de violence –qu’elle provienne des forces de l’État ou de groupes religieux sectaires- que nous avons pu voir s’épanouir ailleurs.
Un pays en crise
Toutefois, il ne s’agit ici que d’un côté de la médaille. En dépit d’être relativement plus «stable», la Tunisie traverse en effet une crise sociale et politique sans précédent, et ne correspond pas vraiment à l’image idyllique que certains essaient de dépeindre.
Tant que la classe ouvrière ne prend pas le contrôle effectif du fonctionnement de la société, et que l’économie continue d’être pillée pour les bénéfices de quelques multinationales et de riches familles tunisiennes, tous les ingrédients sont là pour que l’instabilité se perpétue et, selon toute probabilité, qu’elle augmente dans la période à venir.
Le chômage continue d’augmenter, les prix des produits de base ont explosé, les infrastructures dans les régions intérieures manquent toujours désespérément, les pratiques de la police faites de corruption, de torture et de violence arbitraire sont loin d’être éteintes, l’extrémisme religieux et les groupes djihadistes réactionnaires ont pris une dangereuse importance, 24,7% de la population vit officiellement avec moins de 2 dollars par jour (chiffre très probablement sous-estimé ), et une couche croissante de Tunisiens n’arrive même plus répondre à ses besoins alimentaires de base.
Alors que le pays continue de fonctionner pour les intérêts d’une petite élite dirigeante, la grande majorité de la population est confrontée à des conditions socio- économiques qui sont pires, à bien des égards, que sous la dictature précédente. Pas étonnant dans une telle situation que dans un sondage récent, mené par la firme de recherche tunisienne ‘3C Etudes’, 35,2% des Tunisiens regrettent la chute du régime de Ben Ali.
La répression judiciaire et les menaces contre les militants syndicaux et politiques ont aussi subi un coup d’accélérateur dans les derniers mois. L’interview que nous publions également, celle d’Abdelhak Laabidi, militant syndical actif dans le secteur de la santé à Béja, en est un nouvel exemple frappant. En ce jour du 28 janvier a lieu son procès au tribunal de Béja, et un appel a été émis pour manifester massivement devant le tribunal. Le CIO soutient pleinement cet appel, car nous estimons que la mobilisation et la solidarité, y compris au-delà des frontières, reste les meilleures armes dans les mains du mouvement ouvrier et syndical pour faire face à ce type de harcèlement et de répression.
Ennahda : testée, et rejetée
Deux ans d’expérience du règne du parti islamiste de droite Ennahda ont fourni aux masses un baromètre clair afin d’évaluer dans quelle mesure ce parti était disposer à satisfaire leurs exigences. Et le résultat est consternant: sous bien des aspects, la société a fait un bond en arrière, la vie est plus difficile, et la colère populaire transpire par tous les pores.
Le projet de « renaissance islamique » promis par Ennahda a été exposé comme un échec lamentable pour faire face aux revendications les plus élémentaires de la majorité de la population tunisienne.
Il y a trois ans, des millions de jeunes, de chômeurs, de travailleurs étaient descendus dans la rue au péril de leur vie pour en finir avec la dictature de Ben Ali, au coût de plus de 300 morts. Ils exigeaient « emplois, liberté, dignité nationale», « du pain et de l’eau, mais pas Ben Ali », etc. La vérité peu reluisante pour Ennahda est que pendant ces journées, le parti islamiste était absolument invisible dans la rue.
À l’époque, les masses réclamaient du pain, des emplois décents, la fin de la pauvreté et de l’exploitation du travail, la fin de la marginalisation sociale des régions de l’intérieur du pays; elles exigeaient des services publics et des infrastructures dignes de ce nom; elles réclamaient la liberté d’expression et la fin de la violence d’État – toutes des notions qui se sont révélées complètement étrangères à la politique menée par Ennahda, une politique pro-capitaliste dans son contenu, violente et répressive dans sa forme politique.
Agitation sociale
La nouvelle année à peine commencée a déjà fourni une nouvelle série d’exemples pour illustrer ce dernier point. Au début du mois de janvier, le gouvernement dirigé par Ennahda a annoncé de nouveaux prélèvements fiscaux, y compris une nouvelle taxe sur le transport, dans le cadre du budget 2014.
Derrière le gouvernement se cache le FMI et d’autres bailleurs de fonds internationaux, lesquels réclament des mesures d’austérité drastiques, y compris la réduction des subventions d’Etat sur des produits de première nécessité- mesures que le gouvernement, assis sur un chaudron social bouillant, ne s’était pas encore senti suffisamment en force et en confiance que pour mettre en œuvre concrètement.
La propagande officielle a notamment consisté à expliquer les raisons du déficit budgétaire actuel comme étant le résultat de la hausse des salaires des travailleurs du secteur public au cours des dernières années. Le caractère ridicule et scandaleux de ce type d’argument peut être aisément mis en lumière quand on sait qu’une clique de 70 milliardaires tunisiens possède un patrimoine équivalant à 37 fois le budget actuel de l’Etat tunisien.
Néanmoins, pensant qu’il pouvait tromper les masses en surfant sur l’effet l’annonce de l’accord récent formellement conclu à la mi-décembre avec l’opposition sur l’idée d’un cabinet de « technocrates », le gouvernement sortant a décidé de faire passer ces « mesures impopulaires » si chères à la grande bourgeoisie.
La réponse du peuple tunisien ne s’est pas fait attendre: immédiatement après les hausses de taxes annoncées, des manifestations quotidiennes ont balayé le pays du Nord au Sud. Les manifestants, révoltés par la nouvelle augmentation d’impôts, ont attaqué des bâtiments gouvernementaux, pris d’assaut les postes de police, bloqué les routes, et saccagé les bâtiments locaux du parti au pouvoir.
Les protestations et les grèves ont commencé les 7 et 8 janvier dans les villes du centre et du sud, en particulier Kasserine, Thala et Gafsa, parmi les plus pauvres du pays. A Kasserine, une grève générale prit place le 8, jour qui coïncidait avec le troisième anniversaire de la mort du premier martyr de la ville par la police de Ben Ali. La grève avait réussi à fermer tous les commerces et les institutions publiques de la région. De violents affrontements ont également eu lieu entre la police et des habitants dans les quartiers populaires de la ville.
En outre, le mardi 7, les magistrats tunisiens ont entamé une grève de trois jours, orientée contre les tentatives du gouvernement de domestiquer le système judiciaire. La grève a été suivie dans tous les tribunaux du pays.
Plusieurs bâtiments et postes de police furent pris d’assaut et même incendiés, comme à Feriana et Maknassy, dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, tandis que de nombreux barrages routiers ont été érigés à travers le pays. Le jeudi 9, de violentes manifestations ont éclaté dans la ville de Tataouine, dans le Sud du pays. Les manifestants ont brûlé des véhicules de police, attaqué le poste de police, brûlé le siège régional du parti au pouvoir, et même attaqué le bureau régional de l’emploi.
Finalement, les manifestations ont gagné la capitale, Tunis. Le 10 janvier, des manifestations de masse eurent lieu à l’extérieur des bâtiments des finances publiques, et de violents affrontements entre des jeunes et les forces de l’État éclatèrent dans la banlieue pauvre d’Ettadamen.
Le rôle de l’UGTT
Au-delà de la taxe en question, qui a agi comme un déclencheur, un grand nombre de manifestants étaient de jeunes chômeurs, exprimant leur colère contre la situation générale du pays.
Souvent, durant les trois dernières années, la jeunesse a été une étincelle importante dans l’éruption des mouvements sociaux, l’emploi des jeunes ayant été à l’épicentre des motivations initiales ayant alimenté le feu de la révolution tunisienne.
Cependant, comme le CIO l’a souligné à plus d’une reprises, le mouvement ouvrier organisé, surtout considérant le poids lourd représenté par la fédération syndicale l’UGTT, occupe en Tunisie une position stratégique dans l’économie et la société, que de nombreux travailleurs à l’échelle internationale envieraient sans doute. Cette position particulière du mouvement syndical tunisien a le potentiel de donner une portée qualitativement différente, ainsi qu’un caractère plus organisé, et plus massif aussi, aux mouvements sociaux. Forte de son million de membres, et de ses 150 bureaux à travers tout le pays, l’UGTT offre une base organisationnelle puissante pour mettre la classe ouvrière au cœur d’une stratégie visant à s’emparer du pouvoir politique.
Pourtant, à d’innombrables reprises, les travailleurs ont été bloqués dans leur route par les manœuvres de sa direction nationale, dont la réticence à mener une lutte soutenue contre les gouvernements pro-capitalistes qui se sont succédé depuis la chute de Ben Ali a été une caractéristique constante de la situation des trois dernières années.
Depuis l’été dernier, le secrétaire général de l’UGTT Houcine Abassi et son équipe ont offert la médiation du syndicat pour résoudre la crise politique que traverse le pays ; cela non pas en poussant les revendications révolutionnaires dans la rue et en encourageant les travailleurs et les pauvres à construire leur lutte pour s’emparer du pouvoir, mais bien plutôt en essayant d’asseoir à la même table les différentes ailes politiques de la classe capitaliste, et de négocier un accord qui leur convienne à tous.
Comme Abdelhak Laabidi le déclare dans son interview : « L’UGTT est l’organisation qui détient le plus grand pouvoir dans le pays, celui des travailleurs. Tout gouvernement devrait être amené à craindre cette organisation ; malheureusement, la bureaucratie n’arrête pas de lancer des bouées de sauvetage à ces gouvernements dont tout le monde a vu les échecs répétés dans tous les domaines, qu’ils soient social, politique (étrangère et intérieure), sécurité etc. Comment peux-t-on poser la question de l’entente nationale avec des partis qui sont concrètement entrain de paupériser les travailleurs et les couches le plus démunies? »
Malgré la présence, dans certaines régions et localités, de dirigeants syndicaux combatifs, et malgré un nombre infini de mouvements de grève, souvent solides, prenant place régulièrement au niveau local, régional et sectoriel, la bureaucratie nationale de l’UGTT a fait littéralement tout en son pouvoir pour empêcher la lutte de s’engager sur la voie d’un affrontement généralisé avec le régime au pouvoir, ainsi qu’avec les intérêts de l’élite capitaliste. Le contraire est le cas: la bureaucratie syndicale a en réalité systématiquement fourni ses services afin de sauver le système à chaque fois que celui-ci était sur le point d’être menacé par les masses.
Les couches urbaines paupérisées, et la question des émeutes
Ceci a conduit à l’approfondissement de la frustration chez les travailleurs et les militants syndicalistes de base, mais aussi parmi toute une couche de jeunes et des couches urbaines paupérisées -dont beaucoup tentent désespérément de survivre au quotidien via toutes sortes d’activités informelles.
Désespérées et de plus en plus souvent aliénées par un syndicat qui ne semble pas donner la moindre perspective pour faire avancer la lutte révolutionnaire, certains de ces couches ont pu être plus aisément tentées d’emprunter la voie des émeutes afin d’exprimer leur rage, une rage bien légitime, mais bien souvent sans direction. Parfois, de petits criminels locaux ont également profité de l’état de confusion pour commencer à piller des magasins ou des propriétés, qu’elles soient publiques ou privées.
Ce phénomène a été encore observé dans le cycle des récentes mobilisations de janvier. Les raisons en sont d’abord le rôle traître jouée par la direction de l’UGTT, qui a échoué à plusieurs reprises à offrir une perspective de construire un mouvement de masse soutenu et ambitieux: un mouvement qui prenne sérieusement en considération les griefs des jeunes chômeurs et des plus démunis, et qui mobilise pleinement et efficacement la « cavalerie lourde », à savoir la classe ouvrière en tant que telle, lorsque la situation l’exige de la manière la plus pressante.
D’autre part, bien que nous comprenons parfaitement les raisons de ces émeutes, ces dernières contribuent malheureusement souvent à pousser les larges masses hors de la rue, à fournir des munitions à la propagande de l’État pour « rentrer dans le tas » et diviser le mouvement, et en plus, à dégrader encore plus les quartiers pauvres qui souffrent déjà cruellement du manque d’investissements publics.
Le gouvernement recule
Néanmoins, en dépit de ces complications, l’explosion de masse de la fureur populaire en janvier fut suffisante pour que le gouvernement tremble sur ses bases. Pressé par le risque de perdre le contrôle de la situation, le jeudi 9, à la suite d’une réunion d’urgence du cabinet ministériel, le Premier ministre sortant Ali Laarayedh annonça lors d’une conférence de presse que tous les nouvelles taxes imposées par le nouveau budget 2014 seraient suspendues jusqu’à nouvel ordre.
Ce recul du gouvernement montre que la pression du FMI et Cie pour mener l’austérité d’une part, et la colère de masse dans la société d’autre part, n’offriront que très peu de marge de manœuvre à n’importe quel gouvernement capitaliste pour « naviguer calmement » dans les mois qui viennent. De nouvelles confrontations sociales et de nouveaux troubles politiques sont aussi inévitables que la nuit succède au jour.
Dans le même temps, le mouvement de protestation de janvier a forcé la démission du gouvernement. Bien que cette démission faisait officiellement partie d’un accord déjà conclu à la fin de l’année dernière, il n’y avait pas de calendrier précis ni de garantie claire que cela se fasse pour de bon ; dans ce sens, il n’y a pas de doute que la démission concrète et immédiate d’Ennahda a été précipitée par la pression du mouvement populaire.
« A la surprise des sceptiques laïcs, Ennahda a tenu parole », commentait récemment le magazine ‘The Economist’ sur le fait que le parti a finalement décidé de démissionner. Pourtant, ce « départ volontaire » » n’a rien à voir avec le fait que les islamistes d’Ennahda aient « tenu leur parole », mais tout à voir avec le rejet massif de ce parti dans la rue, et avec la peur des classes dirigeantes quant à de nouvelles flambées révolutionnaires si Ennahda reste au pouvoir trop longtemps.
Ce dernier point, les dirigeants et les stratèges les plus intelligents d’Ennahda avaient sérieusement commencé à le comprendre. C’est la principale raison pour laquelle le CIO avait déjà affirmé depuis des mois que, depuis l’assassinat de Mohamed Brahim en août dernier (voir notre article), la fin du règne d’Ennahda n’était plus une question de «si» mais plutôt de «quand».
Un gouvernement « indépendant » ?
La démission du gouvernement de Laarayedh a consisté dans le passage du pouvoir à un nouveau gouvernement de soi-disant « technocrates indépendants». Ce changement est pompeusement présenté comme clôturant le chapitre de la crise politique ouverte par l’assassinat de Mohamed Brahmi.
Pourtant, si la fin du règne d’Ennahda pourrait apporter temporairement une certaine accalmie dans la lutte de classes, et un effet de soulagement parmi certaines couches de la population, cette accalmie, selon toute vraisemblance, sera de très courte durée.
Le nouveau Premier ministre en charge n’est rien d’autre que l’ancien ministre de l’Industrie, Mehdi Jomaa. L’idée qu’un gouvernement dirigé par un membre de la coalition sortante -et dont l’essentiel de la carrière fut passée dans une position dirigeante et lucrative au service de la multinationale française Total- peut être étiqueté comme «indépendant» est tout à fait risible.
L’essence de ce gouvernement est de répondre aux exigences de la classe dirigeante, qui cherche à reconstruire un gouvernement soi-disant plus «consensuel», nettoyé des figures les plus controversées et les plus embarrassantes, afin de faire avaler plus facilement aux masses la pilule de l’austérité à venir.
Le rôle des masses dans la révolution, et la nouvelle Constitution
Peu de gens, parmi les commentateurs et les politiciens pro-capitalistes, sont prêts à admettre le rôle crucial joué par les masses tunisiennes dans le cours des évènements des trois dernières années.
En effet, les grèves et protestations de masse de la part des travailleurs, de la jeunesse et des masses populaires ont non seulement évincé Ben Ali du pouvoir en Janvier 2011, mais ont également été le facteur déterminant dans le cours de tous les événements politiques d’importance depuis lors. Toute analyse qui omettrait de tenir compte, en particulier, de la force et de l’influence unique du mouvement syndical tunisien peut difficilement expliquer quoi que ce soit de ce qui se passe dans le pays.
Par exemple, dimanche dernier, la nouvelle Constitution a été adoptée par une écrasante majorité des membres de l’Assemblée Constituante. Cette constitution est présentée comme très «avancée», du moins comparativement au reste du monde arabe (adoptant en théorie l’égalité des sexes, ne mentionnant pas la charia comme principale source du droit, etc.)
Un grand nombre de commentateurs et de journalistes expliquent cela par le fait qu’Ennahda a soi-disant une politique plus « conciliante », mois « jusqu’au-boutiste » que ses homologues des Frères Musulmans dans d’autres pays tels que l’Egypte. Mais peu se réfèrent aux traditions séculaires et féministes encore importantes qui existent en Tunisie, en raison du rôle historique joué par l’UGTT sur ces questions, et à la résistance prévisible qu’Ennahda rencontrerait sur son chemin si elle visait à s’attaquer pour de bon à ces acquis (comme l’interdiction de la polygamie, l’égalité d’accès au divorce, etc). Ces éléments sont pourtant essentiels afin d’expliquer la raison pour laquelle les islamistes ont été contraints à plus de «pragmatisme» dans leur projet d’islamisation de la société.
Ceci dit, il n’y a pas de quoi se réjouir de cette nouvelle constitution pour autant. Sur la question des droits des femmes, dire qu’il y a encore un long chemin à parcourir vers l’égalité des sexes est un euphémisme. Par exemple, alors que 70 % des hommes en Tunisie sont classés comme faisant partie de la population active, le chiffre n’est que de 27 % pour les femmes. Un article publié l’an dernier sur notre site (voir ici) évoquait toutes les menaces et les défis que rencontrent les femmes en Tunisie, que tout article formel dans une Constitution ne sera pas en mesure d’adresser sans qu’une lutte sérieuse ne soit menée sur le terrain pour transformer fondamentalement la manière dont la société fonctionne.
De nombreux commentateurs insistent sur le fait qu’avoir une nouvelle constitution est, en soi, la satisfaction d’une revendication importante de la révolution. Mais la constitution elle-même n’a jamais représenté qu’une parmi de nombreuses revendications révolutionnaires, dont les revendications économiques et sociales constituaient clairement le cœur.
De surcroit, la revendication d’une Assemblée constituante pour rédiger une nouvelle Constitution telle qu’elle avait été soulevée initialement, avait, dans l’esprit de beaucoup de travailleurs et de jeunes révolutionnaires, un caractère complètement différent de celle qui a été érigée. En effet, l’élite politique, dans l’Assemblée et au gouvernement, et le texte constitutionnel qu’elle a produit, n’ont pas même commencé à effleurer la question de la transformation sociale et économique à laquelle la majorité de la population aspirait. Au contraire, les politiques continuellement menées jusqu’à présent n’ont fait qu’empirer les choses pour les ‘99 %’ de la population tunisienne. Ce n’est certainement pas la nouvelle Constitution qui va, par magie, y changer quelque chose.
Pour finir, d’un point de vue politique , comment peut-on parler de «démocratie» quand des accords gouvernementaux sont ficelés derrière les rideaux, sans que les masses aient leur mot à dire et un contrôle sur quoi que ce soit ; quand les ministres et les membres de l’Assemblée Constituante vivent de salaires et de privilèges scandaleusement élevés alors que de larges pans de la population rencontrent au quotidien des difficultés financières croissantes ; et quand les instruments de répression, y compris de vieilles lois dictatoriales utilisées sous Ben Ali, sont resservies aux quatre coins du pays pour museler ceux et celles qui résistent ?
Pour une politique socialiste, au service des pauvres et des travailleurs
Pour résumer, malgré la propagande en cours, les exigences et revendications de la révolution tunisienne n’ont absolument pas abouties, que du contraire. Cela ne peut d’ailleurs pas se faire dans le carcan d’une économie capitaliste, où la richesse produite est siphonnée pour les profits de quelques-uns.
Un autre modèle de société, une société démocratique et socialiste, portée et construite par les travailleurs, mettrait fin à la spoliation et au gaspillage capitaliste, et utiliserait les ressources disponibles afin d’élever considérablement les capacités de la société à pouvoir répondre aux besoins de la population.
Un gouvernement véritablement révolutionnaire, contrairement à ceux qui ont été au pouvoir depuis la chute de Ben Ali, mettrait en œuvre des moyens radicaux pour s’attaquer aux problèmes de la pauvreté, de la corruption et de la faim dans le pays. Il mobiliserait en masse les travailleurs, les jeunes, les pauvres des villes et des zones rurales, afin de construire le soutien le plus large possible pour une politique se confrontant directement au système capitaliste, aux intérêts des grands patrons et des propriétaires terriens, et à leur État.
Pour commencer, il ferait peu de cas de la dette à payer aux créanciers internationaux, en refusant tout simplement de l’honorer. Il imposerait un contrôle de l’Etat sur le commerce extérieur, et nationaliserait les grands conglomérats privés sous le contrôle démocratique des travailleurs.<p<
Construire la riposte, dès à présent
Une lutte de masse, indépendante des partis de la bourgeoisie, sera nécessaire pour imposer un tel gouvernement. Une lutte qui devra être bien organisée et structurée à tous les niveaux pour être pleinement efficace.
Dans l’immédiat, des comités d’action anti-austérité pourraient par exemple être mis en place dans les quartiers populaires, sur les lieux de travail, sur les campus universitaires et dans les lycées, pour se préparer à la nouvelle vague d’austérité qui s’annonce.
Des discussions larges devraient être organisées sans plus tarder dans les cellules locales de l’UGTT et de l’UGET (le syndicat étudiant) à travers le pays, pour essayer de coordonner la riposte des masses. Une grève générale préventive de 24H à travers le pays serait un bon début pour ramener la balle dans le camp du mouvement ouvrier, et afin de donner un avertissement fort au nouveau gouvernement que la moindre mesure d’austérité sera répondue par une résistance farouche et sans concession.
Bien sûr, comme l’expérience de l’an dernier l’a amplement démontrée, une telle grève, laissée sans lendemain, serait un coup dans l’eau. Elle ne prendrait du sens que si elle s’inscrit dans un agenda ambitieux visant à l’escalade des mobilisations : à savoir renforcer chaque action de grève et de désobéissance civile par de nouvelles actions plus ambitieuses, plus organisées et plus massives encore, avec des revendications non seulement défensives mais aussi offensives, s’attaquant directement au diktat de la classes capitaliste.
Afin d’éviter de voir la lutte être une fois de plus détournée par la bureaucratie syndicale et politique, construire des structures de lutte révolutionnaire contrôlées par les masses elles-mêmes, et englobant le nombre le plus large possible de gens qui veulent s’impliquer dans le mouvement, est une tâche absolument vitale. Des comités populaires et d’action, comités révolutionnaires, comités de quartier ou quelqu’en soit le nom, ce type de structures collectives doivent aider à organiser le mouvement par la base et pour la base.
De telles structures, connectées via un système de délégation à l’échelle locale, régionale, et nationale, poserait la base pour préparer les travailleurs, les masses populaires et les jeunes à se substituer pour de bon au pouvoir des capitalistes et de leur Etat, et à construire une société qui réponde à leurs aspirations.
La gauche tunisienne et le mouvement présent
Malheureusement , les dirigeants des principaux partis qui se disent «socialiste», «marxiste» ou «communiste» en Tunisie ont, pour leur plus grande part, abandonné la défense d’un tel programme socialiste, ayant décidé plutôt de courir après des accords sans scrupules et sans principes avec des partis politiques qui défendent un agenda néo-libéral.
Les dirigeants de la coalition du « Front populaire », en particulier, en concluant honteusement l’an dernier un accord politique avec les forces liées à l’ancien régime, au travers du « Front de Salut National », portent une lourde responsabilité quant à la crise que traverse à présent la gauche organisée.
En décembre dernier, de nouveau, la direction du Front populaire, après avoir rencontré l’ambassadeur américain, a réaffirmé son soutien à la mise en place d’un gouvernement « technocratique ». Au cours des derniers jours, les dirigeants du Front se sont contentés de contester le choix du ministre de l’Intérieur du nouveau gouvernement Jomaa, sans pour autant rejeter en principe ce qui n’est pourtant rien d’autre que la nouvelle formule gouvernementale imposée par la classe dirigeante afin d’appliquer ses politiques viscéralement anti-ouvrières.
Les partisans du CIO en Tunisie essaient d’encourager les discussions avec d’autres militants de gauche sur la nécessité de la construction d’une nouvelle alternative politique de masse, qui puisse véritablement représenter la classe ouvrière et les pauvres, et rester fidèles à leurs aspirations au changement révolutionnaire.
Beaucoup, dans les rangs de la gauche, parmi les membres de base du Front populaire, dans les mouvements sociaux et ailleurs, s’interrogent sérieusement sur l’orientation et le programme appliqués par les dirigeants de la gauche politique ces dernières années: en essence, servir de couverture de gauche aux plans de la classe dirigeante visant à mettre fin au processus révolutionnaire. De la même manière, beaucoup au niveau de la base de l’UGTT, et à certains niveaux intermédiaires du syndicat dans une certaine mesure, sont très critiques vis-à-vis des politiques menées par la direction centrale du syndicat.
En conséquence, de nombreux réalignements politiques ont lieu dans les partis de gauche tunisiens, à la suite de l’expérience révolutionnaire récente. Le FOVP (« Force Ouvrière pour la Victoire du Peuple », mentionné dans l’interview), résultat d’une scission au sein de la LGO (« Ligue de la Gauche Ouvrière », aujourd’hui section tunisienne du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale) est l’une parmi plusieurs expressions politiques de ce processus.
La mise en place d’une plate-forme large, ouverte à tous les militants et les groupes qui refusent des accords politiques avec les partis pro-capitalistes, et qui veulent construire la lutte selon des lignes de classe claires, serait un pas en avant bienvenu, afin de reconstruire l’instrument politique révolutionnaire dont les travailleurs et les masses pauvres en Tunisie ont désespérément besoin pour la réussite de leur révolution inachevée.
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Crise politique en Tunisie : des manoeuvres contre-révolutionnaires en cours
Interview d’Hidouri Abdessalem, chercheur en philosophie, membre du bureau syndical régional de Sidi Bouzid pour l’enseignement secondaire

A l’heure ou cette interview est publiée, la crise politique en Tunisie traverse son énième épisode. L’ampleur et la profondeur de la colère populaire contre le régime de la ‘Troika’, marquée par l’éruption quasi volcanique de protestations dans tout le pays à la suite de deux assassinats politiques de dirigeants de gauche cette année (l’un, celui de Chokri Belaid, en février, l’autre, de Mohamed Brahmi, fin juillet) constituent la toile de fond et la raison fondamentale de cette crise.
Image ci-contre : “La révolution continue!”
Les pourparlers qui se tenaient entre les partis gouvernementaux et ceux de l’opposition, appelés «l’initiative de dialogue national » viennent d’être suspendus ce lundi. En bref, «l’initiative de dialogue national » n’est rien d’autre qu’une tentative des classes dirigeantes de négocier un arrangement « par le haut » qui puisse apporter une solution à la crise politique tout en évitant que « ceux d’en-bas », à savoir les travailleurs et syndicalistes, la jeunesse révolutionnaire, les chômeurs, les pauvres, ne s’en mêlent un peu trop.
En effet, lorsque les voix provenant de l’establishment, des grandes puissances et des médias traditionnels s’alarment des dangers d’un « vide politique » prolongé en Tunisie, ce n’est pas en premier lieu la montée de la violence djihadiste qu’ils ont en tête; leur principale crainte est que l’exaspération des masses explose à nouveau sur le devant de la scène.
Le « dialogue national » vise à préparer une retraite ordonnée et négociée pour le pouvoir Nahdaoui, et la mise en place d’un gouvernement soi-disant «indépendant» et « apolitique ». Les discussions ont, officiellement du moins, buté sur le choix du nouveau Premier Ministre, discussions qui exposent à elles seules le caractère contre-révolutionnaire des manœuvres en cours. En effet, les différents noms qui ont circulé pour diriger un futur gouvernement sont tous soit des vétérans séniles de l’ancien régime, soit des néolibéraux pur jus.
Bien sûr, tout cela n’a rien ni d’indépendant ni d’apolitique. De nouvelles attaques sur les travailleurs et les pauvres sont en cours de préparation, poussées entre autres par le FMI et les autres créanciers de la Tunisie; pour ce faire, les puissances impérialistes et les grands patrons tunisiens plaident pour un gouvernement suffisamment fort que pour être en mesure de maintenir les masses sous contrôle et leur faire payer la crise. C’est ainsi qu’il y a quelques jours, le gouverneur de la Banque centrale a déclaré que la Tunisie « a besoin d’un gouvernement de commandos pour sortir le pays de la crise».
L’UGTT est de loin la force la plus organisée du pays. Aucun arrangement politique quelque peu durable ne peut être réglé selon les intérêts de la classe capitaliste sans au moins l’accord tacite de sa direction. Pour les travailleurs et les couches populaires cependant, le nœud gordien du problème réside précisément dans le fait que la direction de la centrale syndicale, au lieu de mobiliser cette force pour imposer un gouvernement ouvrier et populaire, pris en charge par un réseau national de comités de base démocratiquement organisés à tous les niveaux, se révèle être un partenaire très coopératif pour la classe dirigeante et les pays impérialistes, dans les tentatives de ces derniers d’imposer un gouvernement non élu au service du grand capital. Tant et si bien qu’elle joue honteusement le rôle moteur dans l’organisation et la médiation de ce « dialogue national ».
Les dirigeants syndicaux, au lieu de mobiliser sérieusement leurs troupes, ont mis tous leurs efforts à tenter de démêler un accord derrière les rideaux entre les principaux agents de la contre-révolution. Tout cela couronné par l’approbation et la participation directe, dans ces pourparlers, des dirigeants du Front Populaire, malgré l’opposition manifeste d’une large couche de ses propres militants et sympathisants.
Cette stratégie, comme l’explique Abdessalem dans l’interview qui suit, est une impasse complète, les dirigeants de la gauche et du syndicat délivrant de fait les intérêts de leurs militants sur l’autel des plans cyniques de leurs pires ennemis. Trotsky disait que dans une période de crise profonde du système capitaliste, les directions réformistes « commencent à ressembler à l’homme qui s’accroche désespérément à la rampe, cependant qu’un escalier roulant l’emporte rapidement vers le bas. »
Cette métaphore résume assez bien le tableau tunisien aujourd’hui. Le pays est au bord d’une crise d’une ampleur sans précédent. Le 30 octobre, deux tentatives d’attentats-suicide ont été évitées dans des zones touristiques. Une semaine avant, dans la région centrale de Sidi Bouzid, au moins 9 membres des forces de sécurité ont été tués dans de violents affrontements avec des salafistes armés.
En réaction, la section locale de l’UGTT appela à une grève générale régionale dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, mot d’ordre rapidement suivi dans la région voisine de Kasserine, afin de protester contre ces tueries. Ce genre de réflexes indiquent où résident les forces sociales qui peuvent offrir une solution viable et autour de laquelle une véritable alternative politique peut et doit être construite à la misère et la violence croissantes du système actuel.
Comme le mentionne Abdesslem, il existe aujourd’hui en Tunisie un paradoxe: « les vraies fabricateurs du processus révolutionnaire sont en-dehors de la scène politique ». Le CIO partage largement ce constat. C’est pourquoi il y a une urgence à reconstruire, à l’échelle du pays, une force politique de masse au service de ces « fabricateurs », indépendante des partis pro-capitalistes, et armé d’un programme socialiste clair visant à mettre les principales ressources du pays dans les mains des travailleurs et de la population.
Il fut un temps où tel était le but affiché du programme de l’UGTT. Lors de son congrès de 1949, l’UGTT demandait ainsi “le retour à la nation des mines, des transports, du gaz, de l’eau, de l’électricité, des salines, des banques, des recherches pétrolières, de la cimenterie, des grands domaines et leur gestion sous une forme qui assure la participation ouvrière.” La réactualisation d’un tel programme, combiné avec des mots d’ordre d’action précis, pourraient revigorer la lutte de masses et transformer radicalement la situation.
Les militants, au sein du Front Populaire et de l’UGTT, qui veulent poursuivre la révolution et refusent les manœuvres actuelles -et ils sont nombreux- devraient à nos yeux exiger le retrait immédiat et définitif de leurs dirigeants du dialogue national, et demander à ce que ces derniers rendent des comptes auprès de leur base pour la stratégie désastreuse qu’ils ont suivie. Au travers de discussions démocratiques, les leçons des erreurs, présentes et passées, doivent être tirées, menant à un processus de clarification et de ré-organisation à gauche, sur le type de programme, de stratégie et de tactiques nécessaires pour mener à bien la révolution.
Les militants du CIO en Tunisie sont ouvert à discuter et collaborer avec tous ceux et toutes celles qui partagent ces considérations. Car c’est seulement par ce biais que l’ «outil » et le « programme » révolutionnaires nécessaires, qu’Abdesslem évoque à la fin de l’interview, pourront être forgés en vue des futures batailles.
Depuis l’assassinat de Mohamed Brahmi, une vague de mobilisations sans précédent contre le régime d’Ennahda a secoué la Tunisie. Quel bilan tires-tu de ces mobilisations?
Les mobilisations contre le régime d’Ennahda, provoquées par l’assassinat de Mohamed Brahmi, et de Chokri Belaid avant lui, expriment plus largement une reprise du processus révolutionnaire visant à la chute du gouvernement de la ‘Troïka’ et à la chute du système.
Mais devant l’absence d’un programme clair et d’un groupe révolutionnaire suffisamment influent, ces mobilisations ont été manipulées par la bureaucratie nationale de l’UGTT, par les partis politiques libéraux et par la direction opportuniste des partis de gauche, dans le but de dépasser la crise par l’outil du « dialogue national », sans pousser ces mobilisations vers leurs véritables objectifs: la chute du système.
Au nom de l’unité dans la lutte contre les islamistes, la direction de la coalition de gauche du Front Populaire a rejoint Nidaa Tounes (un parti dans lequel se sont réfugiées beaucoup de forces du vieil appareil d’Etat et de l’ancien régime), ainsi que d’autres forces politiques, dans l’alliance du ‘Front de Salut National’. Que penses-tu de cette alliance et quelles conséquences a-t-elle sur la lutte de masses?
La scène politique actuelle en Tunisie est caractérisée par une sorte de tripolarisation: le pôle des réactionnaires islamistes avec Ennahda et ses alliés, le pôle des libéraux de l’ancien régime (avec à sa tête le parti Nidaa Tounes, regroupées sous la direction de Caid Essebsi), et en contrepartie à ces deux pôles, le Front Populaire et l’UGTT.
A l’époque de l’assassinat de Chokri Belaid, la situation a changé : les forces dites « démocratiques » et « modernistes » se sont regroupées contre la violence et le terrorisme (dans un « Congrès de Salut ») : cette étape a marqué le début de l’impasse politique pour le Front Populaire, car la direction de celui-ci a commencé à faire alliance avec les ennemis de la classe ouvrière et des opprimés, associés à l’ancien régime de Ben Ali.
Ces derniers sont en compromis indirect avec les islamistes aux niveaux des choix politiques et économiques du pays.
En conséquence, la lutte de masse a été manipulée et freinée par la direction du Front Populaire et de l’UGTT, suivant le rythme du « dialogue national » et des intérêts de ses différents partis et de leurs agendas politiques.
Fin juillet, il avait été rapporté que dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, des formes de contre-pouvoirs locaux s’étaient mis sur pied, reprenant la gestion des affaires locales des mains des Nahdaouis. Qu’en est-il aujourd’hui?
On peut dire que dans les régions intérieures, il y a une sorte de vide politique au niveau des services, de l’administration et de la sécurité. Dans les moments révolutionnaires, les mobilisations lèvent le slogan de l’autogestion, et à sidi Bouzid, nous avons essayé de construire un contre-pouvoir à travers les communautés régionales et locales.
Mais face à la répression de la police, ainsi que du manque d’appui et de relais de ce genre d’initiatives à l’échelle nationale, on n’a pas pu dégager pour de bon le gouverneur régional de Sidi Bouzid.
Depuis le début, la position de la direction nationale de l’UGTT a été de s’opposer au double-pouvoir, car ce dernier obstrue le «dialogue » et le « compromis » avec le régime, vers lequel cette direction pousse à tout prix.
Peux-tu expliquer ce qui s’est passé le 23 octobre et dans les jours qui ont suivi?
Le 23 octobre, selon la Troïka, est la date de la réussite de la transition démocratique (une fête politique), mais selon les autres partis et pour la majorité de la population tunisienne, c’est la date de l’échec. D’où les protestations massives qui ont repris de plus belle contre Ennahda ainsi que contre les terroristes.
Mais une fois encore, les mobilisations du 23 et du 24 contre la Troïka ont été manipulées par les partis politiques en place pour améliorer leurs positions dans le dialogue national, et non pas pour la chute du système et du gouvernement.
Quelle est selon toi la réalité du danger salafiste/djihadiste dans la situation actuelle? Quels sont les rapports de ces groupes avec le parti au pouvoir? Comment expliques-tu la montée de la violence dans la dernière période, et comment les révolutionnaires peuvent–ils face à cette situation?
Quand on parle politiquement du pole islamiste, on parle d’un réseau d’horizon mondial, articulé avec certaines grandes puissances et avec les intérêts du capitalisme mondial, donc je crois qu’il est difficile de distinguer entre les djihadistes et Ennahda, ou même avec le parti salafiste ‘Ettahrir’.
On peut considérer les salafistes comme les milices du gouvernent actuel, qui pratiquent la violence avec des mots d’ordre venus d’Ennahda, contre les militants, contre les syndicalistes…Leur objectif c’est de rester au pouvoir à l’aide de ces milices.
Devant cette situation, je crois que les forces révolutionnaires doivent s’organiser de nouveau, pour continuer le processus dans les régions internes. Devant l’absence des outils et des moyens, cette tâche sera difficile, mais pas impossible.
Quels sont à tes yeux les forces et les limites du rôle joué par l’UGTT dans la crise actuelle?
D’une part la direction de l’UGTT a joué un rôle de secours pour tous les gouvernements transitoires depuis le 14 janvier 2011 jusqu’au 23 octobre 2013, entre autres à travers l’initiative du dialogue national. Actuellement elle fait le compromis avec les patrons (l’UTICA). D’autre part, les militants syndicalistes de base essaient de continuer le processus révolutionnaire.
Quelles sont à ton avis les initiatives à entreprendre à présent pour la poursuite et le succès du mouvement révolutionnaire en Tunisie?
Ce qui se passe en Tunisie et dans le monde arabe est un processus révolutionnaire continu, avec un horizon nationaliste et socialiste contre le capitalisme et le sionisme, mais actuellement on parle dans le processus d’un paradoxe: les « vrais fabricateurs » du processus révolutionnaire sont en-dehors de la scène politique, et les forces contre-révolutionnaires s’attellent au détournement du processus, donc nous sommes face à une révolution trahie.
Les initiatives à entreprendre à présent pour la poursuite et le succès du mouvement révolutionnaire en Tunisie, c’est de continuer le processus avec des garanties concernant l’outil, le programme et le parti révolutionnaire. Sur le plan pratique il faut construire des comités locaux et régionaux pour la lutte.
Quelles leçons/conseils donnerais-tu aux militants socialistes, syndicalistes, révolutionnaires en lutte contre le capitalisme dans d’autres pays?
Les leçons et les conseils qu’on peut tirer du processus révolutionnaire selon mon point de vue c’est:
- De viser le pouvoir dès le début du processus et lutter sur la base de tâches révolutionnaires bien précises. Car beaucoup des forces de gauches et de jeunes révolutionnaires et syndicalistes n’ont pas visé le pouvoir à Tunis, mais ont cru pouvoir pousser vers la réforme du système.
- De s’unifier en tant que forces révolutionnaires contre nos ennemis, et de créer des groupes de lutte avec des moyens qui dépassent la théorie vers la pratique, c’est-à-dire agir sur le terrain jour et nuit.
- De transformer le conflit avec les ennemis dans les mass media, pour créer une opinion publique contre les ennemis
- De trouver un réseau de lutte capable de soutenir les protestations qui dépasse l’horizon national, vers l’international.
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Tunisie: le rappeur Klay BBJ acquitté!
Une modeste mais importante victoire dans la lutte pour la liberté d’expression
Le rappeur engagé Ahmed Ben Ahmed, alias Klay BBJ, qui avait été condamné par contumace à 21 mois de prison pour des chansons entravant soi-disant “les bonnes mœurs” (voir notre article à ce sujet) a été acquitté lors d’un procès en appel ce jeudi.
Par des correspondants du CIO
Klay, ainsi qu’un autre rappeur répondant au nom d’artiste de ‘Weld El 15′ (Alaa Yaacoubi), après avoir été violemment arrêtés sur scène et maltraités physiquement par la police à la suite d’un concert dans la ville de Hammamet au mois d’août, avaient été tous les deux condamnés à une peine d’emprisonnement de 21 mois, sans avoir été convoqués au tribunal ou même avoir été informés de la tenue de leur procès.
Klay avait décidé de faire appel de cette décision, tandis que Weld El 15 est en cavale depuis sa condamnation. Un premier procès en appel le 26 septembre avait décidé d’une réduction de peine à six mois de prison ferme pour Klay. L’avocat du rappeur avait fait appel de ce nouveau verdict, ce qui a finalement conduit au récent acquittement, jeudi. L’avocat a déclaré que Weld El 15 ferait désormais appel lui aussi.
Les militants et sympathisants du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) dans le monde entier avaient vocalement exprimé leur indignation face à la condamnation de ces jeunes artistes engagés (voir entre autres la vidéo ci-dessous, une chanson de rap produite par des partisans du CIO provenant de 5 pays différents), et réclamant l’abandon des poursuites à l’égard de Klay BBJ et Weld El 15).
Il ne fait aucun doute que la pression qui s’était accumulée contre cette condamnation, nationalement et internationalement – incluant entre autres une lettre de protestation signée par 12 députés européens de gauche à l’initiative de Paul Murphy, parlementaire du Socialist Party (section du CIO en République irlandaise) – a contribué à la libération de Klay. Le CIO salue cette victoire importante, qui s’inscrit dans le cadre de la bataille acharnée qui se déroule actuellement en Tunisie contre les tentatives répétées de limiter la liberté d’expression et de faire taire toutes les voix critiques du régime en place.
Nous nous félicitons également de l’initiative récente de rappeurs tunisiens d’avoir formé un syndicat national pour défendre leurs droits contre la répression de l’Etat. Ce genre d’initiatives pourrait encourager à lier la défense des droits des artistes ainsi que la lutte de la jeunesse des quartiers pauvres – desquels proviennent la grande majorité des rappeurs tunisiens – au mouvement ouvrier organisé.
La lutte continue
Le régime d’Ennahda s’est largement appuyé sur le code pénal hérité de l’ancien régime de Ben Ali, toujours en vigueur, et a reproduit des traits assez similaires à ce régime afin de faire taire ses opposants: brutalité policière, tortures, arrestations arbitraires, attaques contre les journalistes, et même assassinats politiques.
Même au cours du procès en appel devant se prononcer sur le sort de Klay BBJ, des journalistes et des représentants d’ONG venus assister au procès, telles que Human Right Watch, ont été empêchés par la police d’entrer au sein du tribunal. Pendant ce temps, des dizaines de musiciens et autres artistes demeurent en prison ou dans la clandestinité.
Ces exemples montrent que si une bataille a été gagnée, la lutte ne doit pas s’arrêter pour autant! Comme Klay BBJ le disait dans une lettre ouverte qu’il a écrit lorsqu’il était encore en prison: “La liberté d’expression, dans ce pays, la Tunisie, est limitée. Je dis toujours le droit mot, et jamais je ne baisserai la tête…No Pasaran”
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Tunisie: Une nouvelle vague d'arrestations frappe les réseaux militants
Le Samedi 21 septembre 2013, au quartier Lafayette à Tunis, vers 4h du matin, la police a fait une descente au domicile de Nejib Abid -activiste et fondateur de ‘‘Radio Chaabi’’, une des premières radios libres qui vit le jour après l’éviction du dictateur Ben Ali- et procédé à 8 arrestations totalement arbitraires.
CIO en Tunisie
Outre Nejib, Yahya Dridi, technicien son, Abdallah Yahya, cinéaste engagé, les musiciens Slim Abida, Mahmoud Ayed et Skander Ben Abid, ainsi que deux autres militantes, ont été embarqués, sans qu’aucune raison officielle justifiant leur arrestation ne soit communiquée.
Tous sont des ‘enfants de la révolution’, que le régime envoie en prison pendant que les assassins, les terroristes et les hommes d’affaires corrompus bénéficient de la complaisance et de l’impunité de la clique au pouvoir.
Leurs liens présumés avec l’acteur et réalisateur engagé Nasreddine Shili, aujourd’hui arrêté lui aussi, dans un état de santé précaire, et menacé de jusqu’à sept ans de prison pour avoir cassé un œuf sur la tête du Ministre de la Culture (!), semblent avoir été à l’origine de cette perquisition complètement illégale.
Ces arrestations, qui suivent une série d’arrestations et de condamnations similaires, confirment un processus méthodique de répression contre les forces vives de la révolution, processus qui a connu une escalade dans les dernières semaines.
L’acharnement judiciaire et policier qui frappe de nombreux militants, artistes, journalistes à l’heure actuelle en Tunisie révèle l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques, dans un contexte de contestation populaire et de rejet large du pouvoir islamiste actuel.
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Pour en savoir plus:
- Tunisie : Liberté d’expression en danger ! Deux rappeurs ont été condamnés pour avoir dénoncé la brutalité de la police – SOLIDARITE !
- Tunisie : Grandes manœuvres au sommet, profonde méfiance parmi les masses L’alliance du Front populaire avec ‘‘Nidaa Tounes’’ provoque du remous dans la gauche.
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De manière croissante, le gouvernement actuel d’Ennahda reproduit les méthodes de la dictature de Ben Ali pour taire les voix d’opposition, par l’entremet des mêmes institutions policières et des lois qui ont formé la colonne vertébrale du système Ben Ali des années durant.
Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) et ses militants en Tunisie condamnent la vague de terreur et de répression en cours contre les opposants, et exige la libération immédiate et inconditionnelle de ces camarades et de tous les prisonniers politiques dans le pays.
Nous voulons encourager tous ceux et toutes celles qui le peuvent à se mobiliser urgemment pour protester contre ces arrestations et contre la machine répressive de l’Etat tunisien.
Tant que cet Etat sera aux ordres d’un gouvernement fonctionnant dans le cadre du système capitaliste, il ne pourra que recourir à une brutale répression contre les forces vives de la révolution. Dans ce sens, nous ne pouvons que nous opposer aux alliances de circonstance avec Nidaa Tounes, refuge politique de vieille garde de la dictature.
- Non aux arrestations arbitraires et aux procès politiques !
- Défense de tous les droits démocratiques !
- Libération de tous les prisonniers d’opinion !
- Non à une nouvelle dictature ! A bas le régime d’Ennahda !
- Pour la poursuite de la révolution, pour un gouvernement révolutionnaire des travailleurs et de la jeunesse !
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Tunisie : Grandes manœuvres au sommet, profonde méfiance parmi les masses
L’alliance du Front populaire avec ‘‘Nidaa Tounes’’ provoque du remous dans la gauche
Dans la foulée de l’assassinat politique du dirigeant de gauche nassérien Mohamed Brahmi, le 25 Juillet, une cascade de protestations a traversé tous les coins de la Tunisie. Une grève générale massive a secoué le pays le vendredi 26, et un ‘sit-in’ permanent a eu lieu depuis en face de l’édifice de l’Assemblée Nationale Constituante, à la place du Bardo à Tunis, rejoint par la suite par de nombreux manifestants venus des régions de l’intérieur pour marcher sur la capitale, déterminés à en découdre avec le pouvoir en place.
Serge Jordan, Comité pour une Internationale Ouvrière
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- Tunisie: A bas Ennahda, à bas la ‘Troika’ ! (7 août 2013)
- Tunisie: le calme avant la tempête? De nouvelles confrontations à l’horizon (9 mai 2013)
- Achever le processus révolutionnaire : après la chute de Ben Ali, la chute du capitalisme ! (6 mai 2013)
- Rubrique de “socialisme.be” consacrée au Moyen Orient et à l’Afrique du Nord
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Le 6 août, la plus grande manifestation anti-gouvernementale depuis le meurtre de Brahmi a pris place, les estimations les plus sérieuses faisant état de plus de 450.000 manifestants. Le mouvement ‘Tamarrod’ (‘Rébellion’) affirme avoir recueilli plus de 1,7 million de signatures (à peu près 10% de la population) en faveur de la destitution du gouvernement de la ‘Troika’, dirigé par les islamistes d’Ennahda. Et dans les régions pauvres de l’intérieur du pays, les mobilisations ont été accompagnées par le développement de diverses structures de pouvoir révolutionnaires locales : dans certaines régions, les manifestants ont occupé les gouvernorats et mis en place des comités autogérés, en défi direct au gouvernement d’Ennahda.
Laïcs contre islamistes ?
Contrairement à ce qui a été clamé par de nombreux commentateurs dans les médias, les principaux acteurs de la bataille en cours ne sont pas simplement des ‘islamistes’ contre des ‘laïques’. Présenter les choses de cette manière tend à nourrir le jeu de pouvoir au sein de l’élite, une élite qui a tout intérêt à essayer d’obscurcir les questions de classe sous-jacentes.
Bien sûr, il serait faux de nier la colère de masse liée à la bigoterie religieuse de la clique au pouvoir, ainsi que les attaques et menaces perpétrées au nom de l’islam politique. L’encouragement du fondamentalisme religieux et les frontières poreuses entre Ennahda et certains groupes salafistes violents a sans aucun doute nourri la colère du peuple tunisien contre le régime actuel. Alors que chaque jour qui passe apporte son lot d’histoires d’attaques aux frontières, de menaces à la bombe ou de tentatives d’assassinats, la situation sécuritaire du pays et la menace de la violence terroriste sont devenus une préoccupation importante pour la population.
Les récentes déclarations gouvernementales caractérisant officiellement le mouvement salafiste extrémiste « Ansar al-Sharia » comme une «organisation terroriste» doivent être comprises dans ce contexte: il s’agit d’une tentative des dirigeants d’Ennahda d’écarter leurs propres responsabilités en affichant une certaine dose de pragmatisme politique envers la rue et le mouvement d’opposition, dans un geste désespéré pour tenter de restaurer leur crédibilité, quitte à s’aliéner certains de leurs alliés potentiels et une partie de leur propre base ultraconservatrice.
Les socialistes s’opposent sans ménagement à la tendance croissante au fondamentalisme religieux, utilisé comme un instrument d’oppression par le pouvoir en place, qui représente une grave menace pour la liberté d’expression et les droits démocratiques, en particulier en ce qui concerne ses effets corrosifs sur les femmes.
La manifestation en défense des droits des femmes appelée par le syndicat UGTT le 13 août a été ralliée par une foule nombreuse de dizaines de milliers de personnes, réclamant la chute du gouvernement. Cela indique que de nombreux manifestants intègrent très justement la lutte pour défendre les droits des femmes dans une lutte plus large contre le gouvernement actuel.
Mais si ces questions ont incontestablement joué un rôle important, le cœur de la lutte en cours remonte directement aux aspirations initiales de la révolution de 2010-2011, qui n’ont tout simplement pas été satisfaites.
Une enquête menée au début de 2011 indiquait que 78% des jeunes Tunisiens pensaient à ce moment-là que la situation économique s’améliorerait au cours des prochaines années, ce qui est bien loin de la réalité actuelle. Pour une grande partie de la population en effet, les difficultés croissantes de la vie quotidienne, la hausse constante des prix des denrées alimentaires, la terrible absence d’emplois pour les jeunes, l’état catastrophique des infrastructures publiques, les bas salaires et les conditions de travail épouvantables dans les usines, la marginalisation continue des régions de l’Ouest et du Sud, toutes les questions sociales au sens large fournissent le ‘carburant’ de la rage actuelle contre le gouvernement.
Dans la ville de Menzel Bourguiba, au Nord de Tunis, 4000 travailleurs ont été récemment licenciés du jour au lendemain sans préavis, après la fermeture totale de leur usine de chaussures. C’est à ce genre de préoccupations que la clique au pouvoir a été absolument incapable de répondre tout au long de son mandat.
Les enjeux ici portent sur qui détient le pouvoir économique dans la société, et au service de quels intérêts de classe le gouvernement travaille. En ce sens, tout gouvernement fonctionnant dans le cadre du système capitaliste, centré sur la maximalisation du profit pour les grosses entreprises (qu’il s’agisse d’un gouvernement avec Ennahda, avec des partis laïques, d’un ‘cabinet de technocrates’, d’un ‘gouvernement d’élections’, de ‘compétences’, d’unité nationale’ ou de n’importe quelle autre formule de ce genre) ne livrera rien d’autre que sensiblement la même politique, voire pire encore, pour la masse de la population.
Le caractère supposément ‘laïque’ du régime de Ben Ali, par exemple, ne l’a nullement empêché de détruire la vie des gens, d’écraser toute opposition à son règne, de briser le niveau de vie des travailleurs, et d’être finalement renversé par un mouvement révolutionnaire sans précédent.
Est-ce que ‘les ennemis de nos ennemis’ sont nos amis ?
Bien qu’ayant initialement subi des coups sévères par la révolution, les anciens vestiges du régime, les milieux et réseaux de l’ex-RCD, ainsi que les familles bourgeoises qui ont rempli leurs poches pendant les années Ben Ali, n’ont pas ‘disparu’. Ils sont toujours représentés à l’intérieur de l’appareil d’Etat, dans de nombreux secteurs de l’économie, dans les médias, dans de nombreux partis politiques, organisations et associations, ils ont aussi des connections, entre autres, au sein du régime algérien, et des liens avec les puissances impérialistes.
L’héritage politique le plus évident de l’ancien régime est le parti ‘Nidaa Tounes’ (=‘Appel pour la Tunisie’), épine dorsale de la coalition ‘Union pour la Tunisie’. Nidaa Tounes, dirigé par le dinosaure politique de 87 ans Beji Caïed Essebsi (une figure de premier plan pendant la dictature de Habib Bourguiba, qui dirigea le pays de 1957 à 1987) est essentiellement un refuge politique de vieille garde de la dictature: éléments liés à la bureaucratie qui constituait le tronc de l’ancien parti au pouvoir, groupes d’ intérêts avec des connections à l’intérieur de l’‘Etat profond’, riches capitalistes dont les intérêts commerciaux sont en conflit avec la stratégie d’Ennahdha, couplés avec toutes sortes de nostalgiques et parasites de l’ancien régime qui abusaient de leurs positions à travers le vaste système de népotisme.
Cependant, c’est précisément avec ce parti et avec ses partenaires politiques, tous farouchement défenseurs du ‘marché’, que les dirigeants de la gauche tunisienne ont décidé de conclure un accord politique, comme si l’élan populaire contre Ennahda, qui avait atteint un point de quasi-ébullition dans les dernières semaines, rendait soudainement ces forces plus acceptables ou ‘amies’ de la révolution populaire.
En effet, après l’assassinat de Mohamed Brahmi, une alliance politique a été mise en place par la direction de la coalition de gauche du ‘Front populaire’ avec la coalition ’Union pour la Tunisie’, ainsi qu’avec d’autres forces de droite (y compris avec la principale fédération des patrons, l’UTICA). Cet accord a donné naissance à la création du ‘Front de Salut National’, dont l’objectif commun proclamé est de faire campagne pour la formation d’un gouvernement de ‘salut national’, dirigé par une soi-disant ‘personnalité nationale indépendante’.
Cette alliance a jeté un seau d’eau froide sur les désirs révolutionnaires de beaucoup de militants, à la base du Front populaire ainsi que parmi de nombreux jeunes et de travailleurs tunisiens. Cet accord ne fut pas une réelle surprise pour le CIO. Nous avions mis en garde depuis longtemps, dans notre analyse du caractère et de l’évolution de l’orientation du Front populaire au cours des derniers mois, contre la stratégie erronée, poursuivie par ses dirigeants, de la ‘révolution par étapes’: en gros, l’idée qu’il faut d’abord consolider la ‘démocratie’ et la réalisation d’un ‘État civil’, tout en reportant les tâches de la révolution socialiste à un avenir indiscernable.
Ce récent accord est le point culminant d’une telle approche erronée. S’unir contre l’ennemi islamiste commun, perçu comme une menace pour la démocratie, est devenue la ligne de justification pour la conclusion d’accords avec une force politique complètement réactionnaire, armée d’un programme néolibéral qui ne diffère en rien de fondamental de celui de ses opposants islamistes. Cet accord subordonne de facto les intérêts de la classe ouvrière et des pauvres, qui constituent la majorité des forces militantes du Front populaire, à des forces motivées par un programme résolument pro-capitaliste et pro-impérialiste.
Arguer du fait qu’un accord de cette nature est ‘nécessaire’ pour le mouvement afin d’être ‘suffisamment fort’ si l’on veut faire tomber le gouvernement actuel, comme certains l’ont prétendu, ne tient pas la route.
Le magnifique mouvement qui avait débuté après la mort de Brahmi a connu depuis une chute significative, la vague de grèves s’est en partie épuisée, et la composition de classe des manifestations de rue a également changé, ayant été partiellement reprise en charge par des forces pro-bourgeoises, déguisés pour l’occasion par les chefs de la gauche comme étant du côté du peuple. Une certaine nostalgie pour le régime de Bourguiba a également refait surface, avec une couche de manifestants essentiellement issus de la classe moyenne, encouragés par Nidaa Tounes et d’autres forces similaires, affichant des portraits de l’ancien autocrate dans les rues.
Cela ne signifie pas pour autant que le mouvement est ‘mort’. La situation reste extrêmement volatile, et la colère qui existe parmi de larges couches de la population tunisienne contre l’état général du pays, sur les plans à la fois social et politique, pourrait rapidement resurgir au travers de nouvelles explosions de masse.
Mais incontestablement, l’alliance entre la gauche et Nidaa Tounes & cie a eu pour effet immédiat d’affaiblir le mouvement de masse et la confiance des travailleurs et des jeunes dans ce pour quoi ils se battaient et sont sortis dans la rue au départ.
La campagne ‘Erhal’ (‘Dégage’) a été lancée par le Front de Salut National il y a deux semaines, dans le but de faire dégager les gouverneurs, administrateurs et dirigeants d’institutions publiques nommés par le gouvernement d’Ennahdha. Essebsi est sorti publiquement à la fin du mois d’août contre cette campagne, en disant qu’il ‘plaçait son soutien dans le concept de l’Etat’.
Cela montre encore une fois que Essebsi et ses forces poursuivent un agenda aux antipodes du mouvement révolutionnaire, en utilisant leur position pour tenter de briser la dynamique du mouvement, qui avait pourtant vu plusieurs exemples de structures de double pouvoir émerger dans diverses localités, et des gouverneurs et chefs locaux d’Ennahda chassés par la population.
Le côté ironique de l’histoire est que récemment, il a été révélé que des négociations secrètes avaient eu lieu à Paris entre Rached Ghannouchi, dirigeant d’Ennahda, et Essebsi lui-même, dans une tentative de trouver un accord commun entre les deux partis. Selon toute vraisemblance, ils ont été poussés dans le dos par les pays impérialistes, afin de désamorcer la crise actuelle et éviter une impasse politique prolongée qui pourrait exacerber les tensions et potentiellement donner lieu à de nouveaux soulèvements révolutionnaires.
Les centaines de milliers de jeunes, de travailleurs et de pauvres qui ont inondé les rues pour manifester leur colère contre le pouvoir en place durant le courant du mois dernier se rendent compte que toute cette énergie pourrait arriver à un accord pourri entre les deux principales forces de la contre-révolution, et tout cela avec l’accord tacite des dirigeants des principaux partis de gauche.
Turbulences à gauche
A nos yeux, c’est seulement autour des revendications de la classe ouvrière et des opprimés, ceux et celles qui ont fait la révolution et partagent un intérêt commun à la poursuite et à la victoire de celle-ci, qu’une alternative politique viable peut être construite, capable de répondre aux préoccupations profondes de la majorité.
C’est pour cette raison que beaucoup de militants, syndicalistes, chômeurs et autres sympathisants de la gauche radicale avaient accueilli avec enthousiasme les objectifs initiaux de la mise en place du Front Populaire: rassembler tous ceux et toutes celles qui ressentent la nécessité d’un pôle d’attraction révolutionnaire indépendant, explicitement distinctif, dans ses objectifs, à la fois d’Ennahda et des diverses forces néolibérales ou/et liées a l’ancien régime qui se trouvent dans l’opposition.
Pour les mêmes raisons, l’adoption, par les dirigeants du Front populaire, du ‘Front de Salut National’ rencontre maintenant de vives critiques et un remous croissant dans les rangs du Front Populaire et dans la quasi-totalité des partis qui le constituent. Un état de semi- révolte est en gestation dans certains de ces partis. Selon un militant de l’aile jeune du ‘Parti des Travailleurs’ (ex- PCOT), cité dans un article publié sur le site nawaat.org, ‘‘Au sein de notre parti, le gros de la jeunesse est contre cette alliance.’’ Dans le même article, un membre du syndicat étudiant UGET, et sympathisant du Front Populaire, fait également valoir qu’il est contre cette alliance ‘‘avec des libéraux, qui ont un projet à l’opposé du nôtre et qui sont dirigés par des personnes ayant eu des postes importants sous Bourguiba et Ben Ali.’’ Un autre partisan du Front Populaire explique: ‘‘Cette alliance est une faute sur le plan stratégique et une trahison des principes de la gauche. Nidaa Tounes est un parti de droite sur les plans économique et social, tout comme Ennahda, et c’est un lieu de recyclage pour des anciens du RCD.’’
La LGO, le parti dans lequel les partisans du CIO ont été actifs depuis un certain temps, n’a pas été immunisée par ces développements. Une partie de la direction de la LGO s’est alignée sur l’orientation suivie par les principaux dirigeants du Front Populaire, laissant tomber leur revendication précédente pour un ‘‘gouvernement ouvrier et populaire autour de l’UGTT’’, et se cadrant au contraire dans la revendication de ‘‘gouvernement de salut national’’ préconisée par la direction du Front Populaire.
Le 3 août, la LGO a produit une déclaration, reproduite sans la moindre critique en anglais sur le site ‘International Viewpoint’ (le site international du Secrétariat International de la Quatrième Internationale) arguant que ‘‘Pour faire face aux conditions économiques et sociales actuelles, il faut combattre les facteurs de l’hémorragie financière de l’Etat et augmenter ses ressources, afin de permettre au gouvernement de salut de mettre en œuvre son programme en se basant essentiellement sur nos propres capacités nationales ( … ).’’ De manière incroyable, le texte va jusqu’à demander à ‘‘soumettre les cadres de l’Etat et ses rouages à un plan d’austérité strict’’ et exiger ‘‘une contribution de solidarité volontaire des salarié-es d’un jour de travail pendant six mois’’ !
Dès le premier jour des manifestations anti-gouvernementales après l’assassinat de Brahmi, le groupe de supporters du CIO a été le premier à sortir avec des tracts contestant cette orientation, refusant tout accord politique avec des forces qui défendent le capitalisme, exigeant une grève générale ouverte, et plaidant pour structurer la lutte dans tout le pays au travers de comités d’action de masse démocratiquement élus, afin de jeter les bases d’un ‘‘gouvernement révolutionnaire des travailleurs, des jeunes, des chômeurs et des pauvres, soutenu par l’UGTT et les militants du Front Populaire , l’Union des Chômeurs Diplômés (UDC) et les mouvements sociaux.’’
En collaboration avec d’autres, les partisans du CIO en Tunisie sont désormais engagés dans un processus de recomposition de la gauche, en vue de fonder une nouvelle plateforme d’opposition, ouverte à tous, qui puisse organiser les militants du Front Populaire dissidents, et les travailleurs et les jeunes au sens large, autour d’un programme en adéquation avec les véritables aspirations de la majorité des Tunisiens.
Le mouvement de masse a un besoin urgent de construire sa propre organisation politique indépendante. Cela ne peut être fait, à nos yeux, qu’en rejetant résolument toute transaction avec des forces de classe étrangères telles que la coalition autour de Nidaa Tounes. Agir en conformité avec ces forces ne peut que conduire à la défaite ; l’appel aux sacrifices au nom du bien commun, voilés sous la bannière du «salut national » ou de toute autre façade similaire, servira en réalité à ouvrir la voie à de nouvelles attaques sauvages sur les droits et les conditions de vie des travailleurs et des masses pauvres en Tunisie, et de faire reculer la révolution pour les bénéfices de la classe capitaliste.
Tout indique qu’un ‘‘automne chaud’’ de grèves et de protestations sociales se profile en Tunisie. Si les batailles entre clans politiques au sommet peuvent, dans certaines circonstances, prendre le dessus sur les luttes sociales, et les dissimuler dans une certaine mesure, ces dernières ne peuvent être supprimées pour autant. Les couches de la classe ouvrière qui sont sorties pour réclamer la chute du gouvernement sont pleines d’amertume, et reviendront inévitablement sur la scène pour réclamer leur du, et cela quelque soit le visage du nouveau gouvernement qui suivra la chute, quasi inévitable, de celui d’Ennahda.
La gauche doit se préparer à donner une direction effective à ces couches qui vont entrer en lutte dans les prochaines semaines et les prochains mois, et leur fournir une stratégie claire sur la façon dont elles peuvent enfin obtenir un gouvernement qui leur est propre et qui puisse représenter pleinement leurs intérêts. Le cas échéant, d’autres forces réactionnaires vont s’engouffrer dans le vide politique, et se voir offrir la possibilité de se présenter comme étant les meilleurs défenseurs soit de la foi, soit de «l’intérêt national», faisant usage d’une rhétorique sans contenu de classe afin de détourner les objectifs initiaux de la révolution et d’imposer leur agenda contre-révolutionnaire.
Les événements qui se déroulent en Égypte doivent servir d’avertissement: l’explosion révolutionnaire sans précédent du 30 Juin dernier contre le règne des Frères Musulmans a été détournée par les militaires, du fait que le mouvement ouvrier ne disposait pas de sa propre expression politique. L’ex-président de la Fédération égyptienne des syndicats indépendants (EFITU), Kamal Abou Eita, a accepté un poste de ministre du Travail et de l’Immigration dans le nouveau gouvernement post-Morsi. Une fois nommé à son poste, il a proclamé: ‘‘Les travailleurs, qui étaient champions de la grève sous l’ancien régime, doivent maintenant devenir champions de la production’’! Les erreurs de certains dans la gauche égyptienne à avoir offert une caution à la prise du pouvoir par l’armée ont été utilisées pour désarmer politiquement les travailleurs et pour attaquer leurs luttes, tandis que les vestiges de l’‘‘Etat profond’’ de l’ère Mubarak, certaines figures-clés de l’ancien régime, les services de sécurité intérieure et les réseaux de patronage de l’ex-parti au pouvoir le NPD font clairement un retour en force sur la scène.
Direction et programme
Ni Ennahda et ses partenaires au sein de la Troïka, ni ‘l’Union pour la Tunisie’, ni aucune des variations islamistes du type salafiste ou djihadiste, n’ont un programme sérieux de transformation économique à offrir aux masses. Tous utilisent différentes cartes idéologiques afin de sanctifier une société fondée sur des privilèges matériels considérables attribués à une poignée de gens, tandis que la majorité de la population doit accepter une spirale incessante vers le bas.
La gauche marxiste doit offrir un chemin visant à couper court aux divisions ‘‘religieux / non-religieux’’, à travers la construction d’une lutte commune de tous les travailleurs et les pauvres visant à renverser le capitalisme. Une telle lutte doit intégrer la défense de droits politiques égaux pour tous, y compris le droit de chacun et de chacune à pratiquer sa religion, ou de n’en pratiquer aucune, sans ingérence de l’État.
Les deux grèves générales de masse anti-gouvernementales qui ont déjà eu lieu en Tunisie cette année , parmi beaucoup d’autres exemples, ont démontré qu’il existe une volonté incontestable parmi la classe ouvrière, la jeunesse et les pauvres, de se battre pour un véritable changement révolutionnaire, et, pour commencer, de faire tomber le gouvernement actuel– à condition qu’il existe une direction digne de ce nom pour animer leur lutte. Mais c’est bien là que le bât blesse.
Comme un article de l’agence de presse ‘Reuters’ le mentionnait récemment, en faisant des références aux événements en Egypte ‘‘L’Union générale tunisienne du travail (UGTT ) n’a ni chars, ni ambitions militaires, mais elle peut se targuer d’une armée d’un million de membres qui éclipse les partis politiques, maintenant à couteaux tirés à Tunis.’’
Pourtant, l’image assez révélatrice de manifestants tunisiens scandant « le peuple veut la chute de l’Assemblée nationale constituante », tandis que l’UGTT plaidait officiellement pour son maintien, a mis en évidence le contraste évident entre les «solutions» offertes par la direction nationale de l’UGTT et le sentiment qui règne parmi les masses.
Plutôt que de jouer le rôle embarrassant de conciliateurs entre le parti au pouvoir et l’opposition, et de réanimer sans cesse les tentatives futiles au ‘dialogue national’, rôle que les principaux leaders de l’UGTT ont joué allégrement dans le cours des dernières semaines, ces mêmes dirigeants auraient pu utiliser -et pourraient toujours utiliser- la force massive et influente de leur syndicat pour paralyser le pays du jour au lendemain et balayer d’un revers de la main le gouvernement et l’Assemblée Constituante. C’est ce que les partisans du CIO en Tunisie n’ont eu cesse de mettre en avant.
Un tel geste audacieux, déployant la pleine puissance du mouvement ouvrier organisé, couplée avec la mise en place de comités d’action élus démocratiquement et structurés dans tout le pays, pourrait servir de base pour contester et renverser le pouvoir en place et le remplacer par une Assemblée Constituante révolutionnaire, véritable Parlement des masses opprimées, basée sur la puissance et l’organisation du mouvement révolutionnaire dans tous les recoins de la Tunisie: dans les rues, dans les usines et les lieux de travail, dans les écoles et les universités, dans les quartiers, etc
Un gouvernement révolutionnaire des travailleurs, des jeunes et des pauvres pourraient couronner ce processus, et entamer ainsi la transformation de la société selon les désirs de la majorité de la population, en nationalisant les secteurs-clés de l’économie, afin d’élaborer une planification rationnellement organisée de la production pour répondre aux besoins sociaux de tout un chacun.
A cet effet, la reconstruction d’un front unique, sur la base d’une perspective de classe indépendante, armée d’un véritable programme socialiste et internationaliste, est à notre avis la seule voie vers la victoire révolutionnaire.
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Tunisie: A bas Ennahda, à bas la ‘Troika’ !
L’UGTT et le Front Populaire doivent offrir une stratégie pour en finir avec le capitalisme – Non à des accords avec des forces liées à l’ancien régime!
Vers un gouvernement révolutionnaire et socialiste des travailleurs, de la jeunesse, des chômeurs et des masses pauvres!
Deux ans et demi après la chute de Ben Ali, la situation pour les masses tunisiennes n’a fait qu’aller de mal en pis, et la colère gronde comme jamais aux quatre coins du pays. Le fameux slogan de la révolution « pain, liberté, dignité nationale » n’a sans doute jamais autant été en contraste avec la réalité vécue sur le terrain par des millions de Tunisiens et de Tunisiennes, faite d’une explosion insupportable des prix, de l’absence d’emplois et de perspectives pour les jeunes, d’une augmentation de l’insécurité et de la violence terroriste, d’une paupérisation accélérée des classes moyennes, d’une « colonisation » rampante des rouages de l’appareil de l’Etat par le parti islamiste, d’attaques redoublées sur les maigres acquis démocratiques….
Dans ce contexte, l’assassinat politique du dirigeant d’opposition de gauche Mohamed Brahmi ne pouvait être qu’un nouveau catalyseur de la furie des travailleurs, des jeunes et des masses révolutionnaires, dont la volonté de se débarrasser du régime de la ‘Troïka’ (la coalition au pouvoir dirigée par Ennahda) a atteint un point de non-retour. Depuis cet assassinat, le pays traverse une crise politique sans précédent, et, malgré la chaleur intense et le jeûne du Ramadan, vit au rythme des manifestations quotidiennes, des sit-in et des grèves, et d’un climat proche de l’insurrection dans certaines régions pauvres et militantes de l’intérieur du pays en particulier.
Le pouvoir Nahdaoui au pilori
La survie du régime islamiste en Tunisie est clairement posée. Les masses demandent partout la chute de ce dernier, et la centrale syndicale UGTT a émis un ultimatum d’une semaine au gouvernement pour se rendre avant d’envisager d’autres actions. Dans la capitale Tunis, tous les jours, des dizaines de milliers de manifestants se réunissent devant le Parlement au Bardo pour exiger la fin du gouvernement, un sit-in ouvert joint aussi par des ‘caravanes’ provenant de l’intérieur du pays.
Même dans les coins les plus reculés de la Tunisie, des manifestations massives, y compris en pleine nuit, expriment clairement le rejet viscéral du pouvoir en place, tandis que le rassemblement pro-Ennahda de samedi dernier, point culminant de la contre-offensive du parti au pouvoir, faisait toujours pâle figure face au « million » de personnes annoncées au préalable par la direction de ce parti, et ce malgré tous les efforts logistiques déployés. Surtout lorsque l’on sait que beaucoup de ces manifestants étaient payés pour manifester leur attachement à la ‘légitimité’ !
Le gouvernement est isolé comme jamais, sa cote de popularité est en chute libre dans les sondages, et son emprise sur la situation, en particulier dans les régions intérieures du pays, est proche de zéro. Dans certaines localités, des structures de pouvoir parallèles ont émergé de la lutte, montrant ce qu’il est possible de faire pour se débarrasser dans les faits de ce pouvoir honni. Le silence quasi complet dans les médias dominants sur ces développements indique l’état de panique qui traverse les classes dirigeantes quant au risque d’ « émulation » de ces expériences ailleurs.
Dans la ville de Sidi Bouzid par exemple, berceau de la révolution tunisienne, les habitants refusent désormais tout lien avec les autorités officielles nahdaouies, et ont érigé un comité de Salut qui a pris en mains les affaires de la ville. La permanence locale du parti Ennahda a été fermée, et les manifestants se rassemblent quotidiennement devant les bâtiments du gouvernorat pour empêcher le retour de l’ancien gouverneur. Les forces vives de ce mouvement sont constituées de militants du ‘Front Populaire’ (coalition de divers partis de gauche et nationalistes) et de syndicalistes de l’UGTT. Des conseils similaires ont été créés dans trois localités dépendant du gouvernorat de Sidi Bouzid: Regueb, Mekessi et Menzel Bouzaine. Mais Sidi Bouzid n’est pas la seule région du pays à ne plus reconnaître le pouvoir central. Au Kef, à Gafsa, à Sousse, à Kairouan, et en bien d’autres endroits, des comités locaux sous diverses formes ont été mis sur pied en vue de gérer les affaires locales.
Pour agrandir leur soutien de masse et assurer leur caractère authentiquement révolutionnaire, ces comités devraient être élus démocratiquement par la base, avec des délégués soumis à révocabilité. Par ailleurs, il est essentiel que ces expériences ne restent pas isolées à l’échelon local, car une telle situation donnerait plus de latitude à l’appareil d’Etat pour les étouffer dans l’œuf. Il est essentiel que tous les efforts soient au contraire entrepris en vue de les élargir à l’ensemble du territoire et, en les liant entre eux au travers de comités démocratiquement élus à chaque niveau, de poser les bases en vue de l’établissement d’un gouvernement des travailleurs, des jeunes et des masses pauvres. Un simple appel dans ce sens de la part de l’UGTT serait suffisant pour transformer la situation dans le pays en l’espace de quelques heures, de balayer le régime actuel dans les poubelles de l’histoire, et de donner un nouveau souffle à la révolution.
Crise au sommet
Le pouvoir tremble sur ses bases et est maintenant entré dans une phase avancée de désintégration. Les prétentions pathétiques des dirigeants d’Ennahda à parler encore au nom de la révolution ne vont tromper personne. Depuis que ce parti est arrivé au pouvoir, plus de 40.000 grèves, plus de 120.000 sit-ins, et environ 200.000 manifestations ont eu lieu à travers le pays. De quelle révolution parlent-ils donc?
Tout indique que le gouvernement actuel ne survivra pas la présente crise. Déjà le ministre de l’Éducation, Salem Labyedh, a remis sa démission, et d’autres ministres ont menacé de faire de même. Ettakatol et le CPR, partis fantoches qui jouent depuis le début le rôle de cinquième roue du carrosse nahdaoui, continuent leur descente aux enfers, tandis que le porte-parole d’Ettakatol a annoncé que le parti se retirerait de la coalition gouvernementale à moins que le cabinet ne soit dissous et remplacé par un cabinet d’union nationale. La chute du gouvernement de la ‘Troïka’ n’est sans doute plus maintenant qu’une question de temps.
Le grand révolutionnaire russe Lénine définissait comme « crise révolutionnaire » une situation marquée par l’impossibilité pour les classes dominantes de maintenir leur domination sous une forme inchangée, par l’aggravation plus qu’à l’ordinaire de la détresse et de la misère des classes opprimées, et par une accentuation considérable de l’activité des masses. Sans aucun doute, ces ingrédients évoquent la situation en Tunisie aujourd’hui, et le scénario exprimé par tant d’activistes d’une « nouvelle révolution » n’est pas loin.
Cependant, Lénine rajoutait que la révolution ne surgit pas de toute situation révolutionnaire, mais seulement dans le cas où, à tous les changements objectifs énumérés ci-dessus, vient s’ajouter un changement subjectif, à savoir : « la capacité, en ce qui concerne la classe révolutionnaire, de mener des actions révolutionnaires de masse assez vigoureuses pour briser complètement l’ancien gouvernement, qui ne ‘tombera’ jamais, même à l’époque des crises, si on ne le ‘fait choir’. »
D’où l’importance pour les révolutionnaires de s’armer d’un programme d’action audacieux et répondant aux nécessités du moment. Un parti de masse véritablement marxiste pourrait, dans une telle situation, faire une différence énorme et décisive. Les forces pour construire un tel parti ne manquent pas, parmi les dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes tunisiens qui s’identifient aux idées socialistes et communistes, et dont beaucoup sont dans et autour de la coalition du Front populaire. Un programme pour un tel parti aurait besoin de s’enrichir des expériences passées, et en dégage les leçons nécessaires à chaque étape. Et une de ces leçons essentielles en Tunisie aujourd’hui est la nécessaire indépendance politique des forces révolutionnaires, des travailleurs et de leur syndicat l’UGTT, par rapport aux velléités et tentatives de sabordage de la révolution orchestrées par les classes ennemies.
En effet, les forces néolibérales, celles liées à l’ancien régime ainsi que les puissances impérialistes, traversées par une vague de frayeur quant à la possibilité d’une nouvelle conflagration révolutionnaire, cherchent par tous les moyens à bloquer la dynamique en cours et à reconstruire un pouvoir politique capable de faire barrage aux revendications des masses, de préserver les intérêts de l’élite capitaliste et la continuité de son appareil d’Etat, mis à mal par les développements récents.
Les déclarations de Néjib Chebbi, dirigeant du parti d’opposition libéral ‘Al Joumhouri’, qui évoque le risque d’un mois de septembre socialement « très chaud » et réfère aux conséquences de la crise sociale en termes quasi apocalyptiques, en disent long sur l’état d’esprit qui doit régner dans les villas et les salons de la bourgeoisie tunisienne. « Ce sera Siliana 1, 2, 3 .. à Sidi Bouzid, Gafsa, Kasserine, le Kef sans oublier les grandes villes du littoral, avec leurs cortèges de comités autonomes », dit-il.
Ces gens savent maintenant que le régime de la Troïka est sur ses genoux, et tentent d’exploiter le mouvement en cours pour avancer leurs pions sur l’échiquier politique et, en jouant d’une certaine fibre populistes dans leurs discours, essaient par tous les moyens de canaliser la colère populaire dans un sens favorable aux classes dirigeantes. Face à ces pressions, Ennahda tente de sauver la face, et se dit prêt à ouvrir le gouvernement à d’autres partis, tout en refusant de céder le poste de chef du gouvernement.
Cependant, la crise actuelle ne peut se résumer à une question de postes ministériels, à l’incompétence ou à la mauvaise foi de l’un ou de l’autre politicien. La crise actuelle trouve sa source dans l’incapacité de ceux au pouvoir d’offrir autre chose qu’une voie de garage aux revendications révolutionnaires des masses tunisiennes. Et ce pour une raison bien simple : ce pouvoir défend les intérêts de la classe capitaliste, des multinationales et des fonds d’investissements, des hommes d’affaires et des spéculateurs, tous ceux dont le seul but est de continuer par tous les moyens à exploiter le peuple tunisien pour satisfaire leur soif de profits.
Dans cette optique, toutes les forces politiques qui défendent ce même système capitaliste, un système qui nage dans une crise économique profonde à l’échelle internationale, se retrouveront rapidement confrontées aux mêmes problèmes. C’est pour cela que pour accomplir les objectifs originaux de la révolution, derrière Ennahda c’est tout ce système qui doit dégager !
Le Front Populaire face à ses responsabilités
La coalition de gauche du Front Populaire rassemble de nombreux militants révolutionnaires, syndicalistes et de jeunes qui aspirent à poursuivre la révolution jusqu’au bout, jusqu’à un pouvoir au service des travailleurs et des masses populaires, un pouvoir qui en finisse avec le système d’exploitation capitaliste, et son lot de misère, de chômage et de répression.
Cependant, la direction du Front Populaire lorgne de plus en plus ostensiblement vers des compromissions avec des forces hostiles au camp des travailleurs, des pauvres et de tous ceux et toutes celles qui ont fait la révolution. Les dirigeants du Front Populaire et de ‘l’Union pour la Tunisie’ ont ainsi tenu samedi une réunion de coordination qui scelle le rapprochement entre la direction du Front et un ensemble de partis dont plusieurs abritent des forces liées directement à l’ancien régime et à la bourgeoise destourienne.
Le Front fait écho à ‘l’Union pour la Tunisie’ dans son appel à la constitution d’un gouvernement de « salut national ». Bien que nous comprenons que dans un contexte marqué par un vomissement du parti islamiste en place, un gouvernement dans lequel ce parti n’occupe plus le siège de conducteur pourrait être accueilli favorablement par une partie de la population, il est du devoir pour tous les révolutionnaires d’appeler un chat un chat. Il n’y a pas de « salut » possible avec des gens qui défendent le camp des patrons licencieurs, des semeurs de misère du FMI, et qui n’hésiteront pas demain à brandir la matraque face aux grèves et aux revendications des travailleurs, de la jeunesse au chômage et des masses pauvres au sens large. Les habitants de Sidi Bouzid l’avaient pourtant compris, eux qui l’an dernier criaient « ni Jebali, ni Sebsi, notre révolution est une révolution des pauvres ».
Le seul objectif de partis comme ‘Nida Tounes’ est d’en finir avec la lutte des masses populaires, des jeunes et de classe ouvrière, au profit de certains clans de l’élite dirigeante et de grandes puissances qui sentent le vent tourner. Nida Tounes, c’est le parti de la restauration, et de la dictature sous une autre forme. Le règne de Sebsi sous son bref mandat provisoire a clairement démontré en quoi sa politique consiste : accords de Deauville avec les puissances du G8 pour poursuivre l’endettement de la Tunisie, ‘autorité de l’Etat’ érigé en dogme justifiant la répression systématique des mouvements sociaux, la torture et le meurtre de manifestants…
Le CIO pense que la force du mouvement syndical tunisien et le poids du Front Populaire, au lieu de servir de ‘flanc gauche’ à des forces contre-révolutionnaires, devraient au contraire être mis au service de la lutte indépendante des masses laborieuses, en vue de constituer un pouvoir à elles, appuyé et contrôlé démocratiquement par des comités d’action à l’échelle de tout le pays. Si les dirigeants du Front refusent de respecter les aspirations de leur base, laquelle rejette en grande majorité des accords politiques avec des forces telles que ‘L’Union pour la Tunisie’, alors il revient aux militants et militantes de base de prendre les choses en main partout où c’est possible, afin de changer le cours des choses avant qu’il ne soit trop tard.
Mettre sur pied une plate-forme organisée d’opposition de gauche regroupant tous les militants du Front populaire qui sont en désaccord avec la trajectoire politique actuelle menée par la direction pourrait être une étape vers la reconstruction d’une force de gauche de masse sur la base des aspirations initiales des membres et sympathisants du Front Populaire.
L’UGTT
De même, l’abandon par l’UGTT de la demande pour en finir avec l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) a été largement perçue comme une trahison par nombre de militant(e)s. Cet abandon s’inscrit dans une logique de concessions vers un pouvoir pourtant rejeté dans la rue, alors que cette ANC n’a plus aucune légitimité, ni formelle, ni réelle. Aux yeux des masses, elle n’évoque qu’amertume et colère, une Assemblée remplie de politiciens opportunistes en tout genre, dont le train de vie est à mille lieux des préoccupations et des souffrances des travailleurs, des pauvres et de leurs familles. Cette ANC a failli, elle doit dégager. La seule Assemblée Constituante légitime serait une Assemblée composée de représentants sincères des couches qui ont fait la révolution, de syndicalistes, de chômeurs, de militants et de gens ordinaires qui partage le même quotidien que la majorité de la population.
Au lieu de chercher à composer avec l’ANC actuelle, l’UGTT pourrait lancer une vaste campagne visant à encourager, dans toutes les localités du pays, la convocation d’assemblées générales sur les lieux de travail et dans les quartiers, visant à élire démocratiquement des représentants directement issus des masses et de leurs luttes, qui auraient la confiance et le contrôle de ceux et celles qui les ont élus, et seraient responsables et révocables à tout instant pour le travail qu’ils font. En partant directement de la base, de telles élections pourraient ainsi permettre l’érection d’une véritable Assemblée Constituante révolutionnaire, caisse de résonance la plus représentative possible du mouvement réel et des aspirations de la masse en lutte.
Il n’y a pas de compromis possible ! L’UGTT et le Front Populaire peuvent et doivent en finir avec le régime pourri actuel et prendre le pouvoir dans leurs mains
La direction du Front Populaire et celle de l’UGTT, au lieu de se tourner vers des forces de droite dont les intérêts divergent à 180 degrés avec ceux de la révolution, feraient bien mieux plutôt de proposer un plan d’action révolutionnaire clair aux masses tunisiennes afin de balayer non seulement le pouvoir actuel, mais aussi tout l’échafaudage économique sur lequel ce dernier repose. Chercher le grand écart avec des forces hostiles au peuple et à sa révolution ne peuvent mener qu’au manque de clarté, à la confusion et en définitive, à la défaite, dont la gauche risque de payer un prix très lourd.
Bien sur, nous ne pouvons qu’appuyer l’appel à poursuivre les moyens de pression et la « désobéissance civile », mais ces mots d’ordre ont le défaut de rester assez flous. Le seul langage que ce gouvernement peut comprendre est le même langage que celui qui a fait tomber Ben Ali : celui du rapport de force dans la rue et dans les entreprises, celui du déploiement massif et coordonnée de la force de frappe de la classe ouvrière et de son puissant syndicat, l’UGTT.
A temps exceptionnel, mesures exceptionnelles ! L’enjeu de la situation exige plus qu’une grève générale de 24H, surtout si celle-ci reste sans lendemain et sans objectifs précis. D’ores et déjà, plusieurs secteurs ont annoncé des actions de grève dans les jours et les semaines qui viennent. D’autant plus que la situation économique et sociale ne fait que se détériorer chaque jour un peu plus : les usines ferment, les patrons licencient, le chômage s’étend, et les mesures d’austérité imposées par le FMI frappent à la porte. Ce contexte sert de toile de fond aux bouleversements actuels.
C’est avec toute cette situation qu’il faut en finir ! La dynamique du mouvement actuel doit être utilisée pour entamer une vaste campagne visant à restituer le pouvoir économique et les richesses à ceux qui travaillent et produisent. Dans ce sens, les exemples tendant vers l’occupation des bâtiments publics et vers l’auto-administration des affaires par la population elle-même doivent être encouragés à l’échelle des entreprises, des usines et des lieux de travail également.
Pour en finir avec la dictature des bas salaires, des mauvaises conditions de travail et des licenciements, exigeons la nationalisation immédiate des entreprises qui ne garantissent pas l’emploi, et des centaines d’entreprises qui ont été privatisées dans les dernières décennies au profit d’une poignée de riches actionnaires ! Pour en finir avec la corruption des hauts cadres, avec l’augmentation continue des prix et l’évasion fiscale, exigeons l’ouverture immédiate des livres de comptes des grandes entreprises à des représentants élus du personnel ! Pour en finir avec le sous-développement des régions et le manque cruel d’emplois dignes de ce nom, luttons pour un plan massif d’investissement public, géré démocratiquement par la population !
Pour réaliser tout ca, rien ne sera donné, tout devra être arraché par la lutte et la construction d’un rapport de force à la hauteur des enjeux. C’est dans ce sens que les sympathisants du CIO en Tunisie défendent la perspective d’une grève générale ouverte, en encourageant les travailleurs à occuper leurs lieux de travail. Un tel mouvement permettrait non seulement d’apporter le coup de grâce au gouvernement de la Troïka, mais aussi de remettre toutes les questions sociales et économiques au centre du jeu. Il permettrait de couper l’herbe sous le pied des partis pro-capitalistes de l’opposition qui surfent sur le mouvement actuel, et de préparer le terrain en vue d’une véritable révolution, sociale celle-là, donnant le pouvoir aux travailleurs, à la jeunesse révolutionnaire, aux chômeurs et aux pauvres, en vue de réorganiser la société selon leurs propres besoins sociaux.
Au contraire, l’absence de mots d’ordre clair à l’échelle nationale sur comment prolonger et organiser les actions dans les jours prochains risquent de laisser place à la lassitude, la frustration et la démobilisation, et en définitive, pourrait laisser un terrain plus favorable à la contre révolution pour s’engager dans toutes sortes de manœuvres de coulisses pour restituer l’ordre selon le bon vouloir des classes dirigeantes et des grandes puissances impérialistes. <p< Pour éviter un tel scenario, structurer démocratiquement le mouvement par la base est d’une importance cruciale. Les sympathisants du CIO en Tunisie appellent à la constitution de comités révolutionnaire à l’échelle des entreprises, des lieux de travail et d’étude, des quartiers populaires, en vue d’organiser collectivement et démocratiquement le mouvement selon la volonté des masses mobilisées. De tels comités sont essentiels pour assurer le contrôle du mouvement par la base, et, par leur structuration locale, régionale et nationale, pourraient ainsi servir de levier vers l’institution d’un gouvernement révolutionnaire au service des travailleurs, des jeunes et des opprimés, appuyée par la force de l’UGTT, par les milliers de militants du Front Populaire, de l’UDC (Union des Diplômés Chômeurs) et des divers mouvements sociaux.
Terrorisme
Parallèlement au mouvement actuel, une montée fulgurante des actes de violence terroriste a pris place dans les deux dernières semaines sur plusieurs parties du territoire tunisien. Le gouvernement a multiplié les opérations policières et militaires « anti-terroristes » contre certains groupes ou individus jihadistes armés, tandis que 8 soldats tunisiens ont été sauvagement tués le 29 juillet au mont Chaambi, près de la frontière algérienne.
Bien que les responsabilités derrière ces attaques ne soient pas clairement établies à ce stade, force est de constater que le gouvernement cherche à les instrumentaliser à son avantage, en tentant de recréer un sentiment d’unité derrière lui. C’est ainsi que Lotfi Ben Jeddou, ministre de l’Intérieur, s’est empressé de déclarer que « lorsqu’un pays est frappé par le terrorisme, tous ses citoyens serrent les rangs ».
Pourtant, il est significatif que dans un récent sondage, 74% des Tunisiens font endosser à Ennahda la responsabilité de la montée du terrorisme dans le pays. La montée de l’extrémisme religieux a été favorisée tout au long du règne de la Troïka par le parti au pouvoir et ses milices, certains représentants nahdaouis appelant même ouvertement au meurtre d’opposants. C’était Bhi Atik, chef du Bloc Ennahda à l’Assemblée constituante, qui avait promis récemment que « Toute personne qui piétine la légitimité en Tunisie sera piétinée par cette légitimité et (…) la rue tunisienne sera autorisée à en faire ce qu’elle veut y compris de faire couler son sang » Pas étonnant dans ces conditions qu’une majorité de Tunisiens refusent de donner au gouvernement carte blanche sur ce sujet, pas plus que sur tous les autres sujets d’ailleurs.
Face à la montée généralisée de la violence, la multiplication des assassinats politiques, des actions de milices réactionnaires, du terrorisme sanglant, il est essentiel que la population s’organise. L’autodéfense des quartiers, du mouvement révolutionnaire, des bâtiments publics, des syndicats, s’impose plus que jamais.
La répression des mouvements pacifiques par les forces de l’Etat, telles que les tentatives de répression du mouvement populaire à Sidi Bouzid, montre aussi que la violence, bien que loin d’être au même niveau de barbarie, n’est pas l’exclusive de groupes terroristes pour autant. Pour éviter que les armes utilisées dans la lutte anti-terroriste aujourd’hui ne soient utilisées contre les révolutionnaires demain, il est essentiel de forger des liens entre le mouvement révolutionnaire et les forces armées sur lesquelles le pouvoir s’appuie aujourd’hui pour l’exercice de la violence, dont beaucoup sont issues du peuple. De plus, les soldats envoyées dans des opérations difficiles telles que celle au Mont Chambi gagnent bien souvent une misère, et n’ont pas de droits syndicaux.
C’est pourquoi les sympathisants du CIO en Tunisie appellent à la constitution de comités de défense ouvriers et populaires partout où c’est possible. Et cela y compris au sein des forces armées, afin de faire valoir les intérêts des soldats du rang et leur droit à une rémunération et des conditions de travail décentes, à la hauteur des sacrifices exigés. Des appels à la constitution de comités de soldats démocratiquement élus dans l’armée, des appels à la désobéissance des forces de l’Etat et la défense de leur droit à refuser d’être utilisés pour réprimer la lutte des travailleurs et des jeunes, pourraient servir de base pour opérer la jonction entre les masses révolutionnaires en lutte d’une part, et, d’autre part, ces couches qui servent aujourd’hui de chair à canon pour les calculs abjects de la clique au pouvoir.
- Troïka dégage! Pour une grève générale ouverte, jusqu’à la chute du régime
- Non à des accords gouvernementaux avec des forces politiques qui défendent la continuation du capitalisme. L’ « Union pour la Tunisie » défend les hommes d’affaire, pas la révolution ni les travailleurs !
- Pour un gouvernement des travailleurs, de la jeunesse et des masses pauvres, appuyé par les organisations de gauche, syndicales et populaires (UGTT, Front Populaire, UDC…)
- Pour la répudiation de la dette – pour le rejet des accords avec le FMI – pour la nationalisation sous contrôle démocratique des travailleurs et de la collectivité, des banques et des secteurs vitaux de l’économie
- Pour la lutte internationale des jeunes et des travailleurs contre le capitalisme et l’impérialisme – pour une société socialiste mondiale, où l’économie est planifiée démocratiquement selon les intérêts de la majorité.
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Tunisie : Le ministère de la femme couvre les atteintes aux droits des femmes !
Dans l’article ci-dessous, Aïda, une sympathisante du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) en Tunisie, revient sur la situation des droits des femmes en Tunisie, dans le contexte particulier de révolution et de contre-révolution qui y prend place. La lutte pour les droits des femmes est intégralement liée à celle du mouvement des travailleurs et de la jeunesse pour la défense et la poursuite de la révolution, afin d’en finir avec le pouvoir actuel, ses visées intégristes et le capital qui le nourrit.
Prêches et propagande Wahhabite
La Tunisie du gouvernement Ennhadha accueille à bras ouverts les Imams et les Cheikhs wahhabites. Le prédicateur égyptien Wajdi Ghonim, défenseur de l’excision, a donné plusieurs conférences dans de nombreuses régions en Tunisie en février 2012. D’autres imams et prêcheurs wahhabites (tel que Amr Khaled, Safwet Hejazy, ou récemment Nabil Al Aouadhi) se relaient en Tunisie afin de propager leurs prêches. Interrogée sur l’accueil de Nabil Al Aouadhi à Zarzis par des petites filles à l’âge des fleurs, toutes en Hijab (portant le voile), la ministre des affaires de la femme et de la famille, Sihem Badi (du parti CPR, allié d’Ennahda dans le gouvernement de la Troïka tunisienne) répond : ‘‘Au lieu de le rapatrier, il faudrait laisser les idées s’affronter, c’est l’essence même de la démocratie que nous sommes en train d’instituer. L’invitation du prédicateur koweïti s’inscrit dans ce cadre.’’
Pas un mot sur l’instrumentalisation de fillettes âgées de 4 à 7 ans, qui ont de plus eu droit à l’appellation de ‘‘princesses de Zarziz’’ par le site islamiste ‘Zitouna Tv’. Ce site est dirigé par Oussama Ben Salem, fils de Moncef Ben Salem, ministre de l’Enseignement supérieur, cofondateur de l’association ‘‘Liberté et Equité’’, et actuel membre du comité de la Choura d’Ennahdha (le Conseil de direction du parti). Ce dernier point ne fait d’ailleurs que confirmer la relation étroite entre Ennahdha et le Wahhabisme, version ultraréactionnaire de l’Islam sunnite, et ossature idéologique du régime théocratique et capitaliste saoudien.
Tandis que le gouvernement d’Ennahdha refuse d’octroyer le visa d’entrée en Tunisie à certains militants ou personnalités de gauche, on ne compte plus le nombre de prédicateurs wahhabites ayant visité le pays et prêché dans des mosquées et espaces culturels, propageant l’extrémisme religieux et servant de porte-paroles aux ennemis de la révolution, notamment aux fortunés du Golfe. La récente ‘‘tournée’’ fort médiatisée et chaleureusement accueillie par les dirigeants du mouvement Ennahdha du prédicateur Béchir Ben Hassen, met encore en évidence la nécessité de s’organiser partout dans le pays pour prévenir le danger de ces prêches.
Jeunes filles envoyées en Syrie
La ministre des Affaires de la femme Sihem Badi observe sa confortable posture de garder le silence face au nouveau phénomène de ‘‘Djihad du Nikah’’ : une vingtaine, peut-être plus, de jeunes filles se trouvent ainsi en Syrie afin d’assouvir les désirs sexuels des djihadistes combattant le régime de Bachar Al Assad. Face au désarroi des parents et des familles qui ont signalé la disparition de leurs jeunes filles adolescentes, après des suppositions qu’elles partiraient en Syrie, le ministère des affaires de la femme et de la famille appelle à l’encadrement familial et dénonce le manque d’éducation religieuse !
Vague de viols sur tout le territoire
Un nombre croissant et sans précédent d’agressions et de viols sont aussi constatées à travers plusieurs régions du territoire. Au mois de février, une femme enceinte accompagnée de son mari a été violée à Ben Arous par deux malfrats sous les yeux de son mari qui n’a rien pu faire. Le 23 mars 2013, une jeune fille handicapée âgée de 11 ans a été violée à Boumhel, dans la banlieue sud de Tunis. Le 26 mars deux adolescentes de 14 ans, sortant du domicile de leur professeur qui leur donnait des cours particuliers, ont été violées par deux délinquants au Kef. À Béjà au nord-ouest du pays, une jeune fille handicapée âgée de 20 ans a été kidnappée et violée par un groupe de personnes ; le viol a malheureusement provoqué la grossesse de la victime. Une autre femme a été violée à Kairouan par un policier et deux de ses amis sur la route, ainsi qu’une mère de famille et sa sœur, victime d’un cambriolage et d’un viol par deux énergumènes aux casiers judiciaires garnis, à l’intérieur même de leur maison. Il ne s’agit là que de cas déclarés et médiatisés, mais on ne compte plus les tentatives de viols, agressions physiques et viols non déclarés.
Le viol de la petite fille de trois ans dans un jardin d’enfant à la Marsa a bouleversé le pays. La forte médiatisation autour de cette affaire a contribué à raviver la lutte des Tunisiennes pour leurs droits et leurs libertés. L’affaire de la jeune femme de 27 ans violée en septembre 2012 par trois policiers -qui ont également extorqué l’argent du fiancé de la victime- avait déjà suscité la colère et les mobilisations de rue, le ministère de la justice ayant même fait passer la victime de la barre des témoins au banc des accusés. Cette culpabilisation de la victime s’inscrit dans la banalisation du viol, une des conséquences d’un système capitaliste inégalitaire et expression ultime de la domination d’un être humain sur un autre.
Réactions scandaleuses de la ministre Sihem Badi, à l’image d’un gouvernement de réactionnaires
Les représentants des autorités et du gouvernement tunisien ont une manière bien particulière de répondre à l’indignation de la société face à ces crimes, ou à la peine et à la souffrance des victimes et de leurs familles, ou encore aux luttes et aux revendications de l’opposition et des militants féministes. Si Khaled Tarrouche, porte-parole du ministère de l’intérieur, avait déclaré que la jeune fille violée par trois policiers en septembre 2012 était ‘ ‘‘dans une mauvaise posture avec son fiancé’’, Sihem Badi a implicitement pris la défense du violeur de la petite fille de trois ans en déclarant que celui-ci faisait partie de la famille de la victime -remettant ainsi en question les déclarations des parents et de l’enfant elle-même- et déresponsabilisant la direction du jardin d’enfants qui n’avait pas de licence, comme des milliers de jardins d’enfants clandestins en Tunisie.
Face au viol de la femme enceinte en présence de son mari, même indifférence et aucune mesure d’encadrement ou de protection, surtout que la famille du mari qui logeait le couple a mis la victime et son mari à la porte après le « scandale » que cette affaire a provoqué à la famille.
Sihem Badi n’a cependant pas hésité à descendre victorieusement et fièrement à l’Avenue Bourguiba (l’avenue centrale de la capitale) pour participer à la manifestation du 9 février 2013 en soutien au gouvernement Ennahdha et à la ‘‘légitimité des élus’’. Cette manifestation ne fut qu’une ‘‘démonstration de force’’ contre la vraie légitimité, celle du peuple et de la rue, et une réponse à la grève générale de l’UGTT et de l’enterrement du militant du Front Populaire, Cholri Belaid, le 8 février, lorsque des millions de gens ont répondu présents dans la capitale comme dans l’ensemble du pays. (voir notre article à ce sujet)
Sous ce gouvernement, la lutte pour les droits des femmes est plus que jamais d’actualité
La ministre des affaires de la femme n’est qu’une bonne élève du clan nahdhaoui et n’a qu’une réponse à la bouche : ‘‘Je ne démissionnerai pas’’. Face à un régime clairement contre-révolutionnaire et capitaliste, l’inquiétude sur la situation des femmes en Tunisie grandit.
Les acquis des femmes marquent de ce fait plusieurs pas en arrière. D’un combat sous le régime de Ben Ali concentré sur les énormes sommes d’argents volées au pays afin de financer des associations féminines détenues par des corrompus du système, des responsables du RCD et la femme du président elle-même, ainsi que des questions fondamentales telles que l’égalité dans l’héritage ou le droit au mariage à un non musulman sans que celui-ci ne soit obligé de changer de religion, on passe à une étape où on doit se battre pour préserver les droits anciennement acquis et protéger l’intégrité physique de la femme.
Tandis que la situation de la femme rurale, des ouvrières à l’usine et des femmes de ménage est des plus précaires, les députés nahdhaouis se préoccupent au sein même de l’Assemblée Constituante de retour à la polygamie et d’une constituante qui se base sur la loi islamique, la ‘‘Châria’’. Aucun progrès n’est exprimé en ce qui concerne le statut de la femme dans la société tunisienne, qui reste inférieur à celui de l’homme, en raison entre autres de l’inégalité salariale et d’embauche, et à la double tâche qui reste propre à la femme. Cette dernière restera tiraillée entre son exploitation matérielle et sociale, et la charge majoritairement féminine des tâches ménagères et de l’éducation des enfants, tant qu’il n’y aura pas de réponses collectives claires se substituant aux « solutions » individuelles prônées par le système capitaliste. Pour cela, il faut des revendications qui trouvent pleinement leur place dans la lutte du mouvement ouvrier et de la jeunesse pour la défense et la poursuite de la révolution, afin d’en finir avec ce pouvoir, avec ses visées intégristes et avec le capital qui le nourrit. Ces revendications doivent comprendre des emplois décents rémunérés sans aucune discrimination de sexe – à travail égal, salaire égal ; de bons services publics et sociaux, incluant des crèches publiques gratuites en nombre suffisant et bien encadrées en termes de personnel, le financement public de centres de soutien pour les femmes abusées, victimes de viol etc.
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Tunisie: le calme avant la tempête? De nouvelles confrontations à l'horizon
Quatre lycéens morts dans un accident de la circulation sur la route de l’école, fauchés à la fleur de l’âge, entassés qu’ils étaient à l’arrière d’un vieux pick-up arpentant une route non goudronnée dans un état lamentable: un fait divers, tragique, passant presqu’inaperçu, illustrant pourtant la réalité amère que continue à vivre tant de Tunisiens après la révolution.
Par un reporter du CIO à Tunis
Les investissements dans l’entretien des routes, les transports publics et autres infrastructures de base sont négligés depuis de nombreuses années, en particulier dans les régions marginalisées de l’intérieur du pays. Sans compter la pratique courante de hauts fonctionnaires corrompus empochant au passage une partie des maigres fonds publics alloués au développement des régions.
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Pour en savoir plus
- Achever le processus révolutionnaire : après la chute de Ben Ali, la chute du capitalisme !
- Tunisie : Non au gouvernement Larayedh! Grève générale, jusqu’à la chute du régime! Le pouvoir aux travailleurs, aux masses pauvres et à la jeunesse ! Tract distribué lors du Forum Social Mondial
- Tunisie: Non à Larayedh, ministre de la chevrotine! A bas Ennahdha! Pour la chute du système!
- Tunisie : La grève générale fait trembler le pays et précipite la crise politique au sommet de l’Etat – Le fouet de la contre-révolution provoque une nouvelle étape dans la lutte de masse
- Tunisie : L’assassinat du dirigeant de gauche Chokri Belaïd provoque des protestations de masse dans tout le pays
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Les hautes sphères de la société tunisienne continuent d’être gangrénées par le népotisme, les privilèges, les passe-droits et la corruption. La vie de la majorité des Tunisiens, quant à elle, s’empire de jour en jour. L’explosion des prix (le taux d’inflation réel actuel est estimé à 10% par certains économistes) continue de rogner le pouvoir d’achat des travailleurs et des pauvres, tandis qu’elle permet d’engraisser la poignée d’hommes d’affaires qui contrôlent l’essentiel des circuits de distribution.
Déliquescence sociale
Comme corolaire à la crise que connaît le pays, les symptômes de désintégration sociale et les actes de désespoir individuel se multiplient. En atteste par exemple la banalisation, dans le paysage tunisien, des immolations par le feu, dont la Tunisie est en passe de battre le record mondial absolu, "rivalisant" seulement avec le Tibet sur ce macabre sujet.
Se nourrissant du désespoir et de l’aliénation sociale, des prédicateurs obscurantistes multiplient les appels et les recrues pour mener le "jihad" en Syrie, ciblant dans les quartiers populaires les proies faciles que représentent ces milliers de jeunes désœuvrés et sans perspectives, enrichissant au passage quelques "marchands de la mort" organisateurs et profiteurs de ce trafic morbide.
Les potions du FMI s’invitent une nouvelle fois en Tunisie
Bien loin de prendre des mesures pour rendre la vie des masses plus supportables, le gouvernement remanié de la "Troïka" concocte de nouveaux plans antisociaux, sous les recommandations du Fonds Monétaire International, de la Banque Mondiale et l’œil bienveillant des grandes puissances impérialistes.
Un accord de principe vient d’être conclu entre le gouvernement et le FMI, suite à des négociations (tenues secrètes pendant plusieurs semaines…bienvenue en Tunisie "démocratique"). Cet accord a pour but d’octroyer un prêt "de précaution" de 1.7 milliards de dollars à la Tunisie. Un prêt destiné à assurer la viabilité du paiement des dépenses courantes, parmi lesquelles le remboursement de la dette déjà existante, héritée de la dictature de Ben Ali, constitue le premier pilier : un montant qui, soit dit en passant, représente trois fois le budget de la santé et cinq fois celui de l’emploi. Et cela alors que les hôpitaux sont étranglés par le manque de moyens et de personnel et que le chômage continue sa course folle vers des sommets inégalés.
L’idée qu’un tel prêt va aider à "soutenir la croissance tunisienne", tel que clamé officiellement, est une vaste supercherie. Le long héritage des politiques du FMI dans la région et les exemples plus récents des pays d’Europe du Sud sont là pour nous montrer où nous mène cette logique de l’endettement et des conditions "douloureuses" qui s’y rattachent: vers une dépendance encore accrue à l’égard du capital international, un étouffement de la croissance, et surtout, un désert social pour la masse de la population.
Les conditions attachées à ce prêt vont être en effet, comme partout, des armes de destruction massive contre les travailleurs et les masses pauvres. Au menu: augmentation du prix des produits de base via une réforme du système de subventions publiques, nouvelle baisse de charges pour les entreprises, privatisations en cascade, modération salariale, gel des embauches, …. C’est sans doute ce que la présidente du FMI, Christine Lagarde, décrit cyniquement comme étant « de bonnes nouvelles » pour la Tunisie.
L’augmentation des prix des carburants décidée en février n’a été qu’un hors-d’œuvre de ce vaste plan d’attaques en préparation. Entre autres, le ministère des Finances s’est penché avec le FMI sur l’élaboration d’une étude approfondie sur l’ensemble du système des subventions publiques en Tunisie, visant à des "réformes structurelles" dans ce domaine. S’attaquant aux maigres filets qui permettent à des milliers de Tunisiens de tenir encore la tête hors de l’eau, de telles réformes sont une véritable bombe à retardement sociale.
De nouvelles explosions sociales se préparent
Surtout que pendant ce temps, les ministres et députés mènent allègrement leurs trains de vie faste, à mille lieux des préoccupations du plus grand nombre. Comble de l’ironie, certains ont même voulu faire passer une augmentation de leurs salaires et indemnités -avec effet rétroactif- pendant qu’on s’apprête une nouvelle fois à demander aux travailleurs et aux pauvres de se serrer la ceinture. Alors que les nombreux chômeurs et chômeuses qui s’accumulent dans le pays ne bénéficient d’aucune indemnité de subsistance, la vice-présidente de l’Assemblée Nationale Constituante, Maherzia Laabidi, du parti Ennahda, s’octroie un salaire de pas moins de 39.000 dinars (près de 20.000 euros)!
Tout cela ne fait que jeter de l’huile sur les braises encore chaudes de la colère populaire. Il s’en faut de peu de choses pour que ces dernières s’enflamment à nouveau. D’ailleurs, elles n’ont jamais été complètement éteintes. En témoigne les chiffres procurés par le Ministère des Affaires Sociales, qui parle de 126 grèves ayant pris place durant le premier trimestre de l’année 2013, un chiffre en hausse de 14% par rapport à la même période l’an dernier.
La fin du mois d’avril a vu une nouvelle poussée de grèves en cascade: grève nationale des magistrats les 17 et 18 avril, grève générale à Sidi Thabet (gouvernorat de l’Ariana, Nord-Ouest de Tunis) le 20 avril, grève des agents de douane le 22, grève de l’enseignement de base le 24, grève générale régionale à Zaghouan (Nord Est) le 26, grève des boulangers les 29 et 30. Et le mois de mai démarre déjà sur les chapeaux de roue, avec une grève des transporteurs de carburant les 2, 3 et 4 mai.
Si ces grèves sont pour la plupart déclenchées sur des questions liées au statut, aux heures de travail ou aux salaires (y compris pour exiger l’application de gains obtenues lors de grèves précédentes), le mépris profond du pouvoir en place est bien là en toile de fond, et la frontière entre grèves économiques et celles plus politiques de la contestation du pouvoir en place est souvent très vite franchie.
Les instituteurs, dont la grève visant à protester contre leurs mauvaises conditions de travail a été suivie à plus de 90%, n’ont pas hésité par exemple à donner à leur combat une dimension franchement politique. A Tunis, devant le siège de la centrale syndicale Place Mohamed Ali, les instituteurs grévistes criaient «Oui, on y laissera nos vies, mais Ennahdha finira par être déraciné de notre terre» ; ils ont ensuite rejoint, à la fin de leur rassemblement, la manifestation hebdomadaire organisée par la coalition de gauche du Front Populaire, organisée tous les mercredis à l’avenue Bourguiba pour demander aux autorités: «Qui a tué Chokri Belaïd?».
Discrédit profond du pouvoir en place
Le pouvoir est profondément discrédité et impopulaire. Les défaites écrasantes subies par les Nahdaouis aussi bien lors des élections des représentants des étudiants dans les conseils de faculté des universités en mars dernier (l’UGET, le syndicat étudiant de gauche, a décroché 250 sièges contre 34 en faveur du syndicat islamiste de l’UGTE, proche du pouvoir) que lors des élections de l’Association des Jeunes Avocats, ne sont que deux exemples récents et symptomatiques d’un climat qui se développe plus largement dans toute la société.
Face à la colère bouillonnante et à l’érosion du pouvoir en place, ce dernier n’a pratiquement que l’arme de la répression pour tenter d’imposer le silence et la mise au pas de ceux et celles qui luttent. Agressions en hausse contre les journalistes, menaces de mort à l’encontre des opposants politiques et des syndicalistes,…La troisième mouture de la constitution, rendue publique récemment, met directement en cause le droit de grève et vise clairement à la compression des libertés syndicales.
A côté de cela, on assiste à une multiplication des procès politiques, ciblant en premier lieu les jeunes révolutionnaires. C’est toute une génération engagée, qui était aux premières loges du soulèvement contre le régime de Ben Ali, qui se trouve maintenant sur le banc des accusés. Deux jeunes tagueurs de Gabès (sur la côte Est) risquaient ainsi jusqu’à cinq ans de prison pour avoir peint sur des murs : "Le pauvre est un mort-vivant en Tunisie" et "le peuple veut des droits pour les pauvres". Ils n’ont finalement écopé que de 100 dinars d’amende, suite entre autres à la furie populaire que leur incrimination a suscitée. Les habitants de la région d’Ajim, sur l’île de Djerba, avaient quant à eux observé une grève générale le 22 avril dernier en signe de protestation contre les jugements prononcés dans l’affaire dite de "la jeunesse d’Ajim" : 10 jeunes originaires de la région avaient en effett été condamnés à 10 ans de prison ferme pour incendie de la maison d’un fonctionnaire de police lors des événements révolutionnaires qui ont suivi la chute de Ben Ali le 14 janvier 2011.
Importation du terrorisme jihadiste en Tunisie ?
Beaucoup de Tunisiens ont été choqués par la découverte de camps d’entrainement jihadistes dans la zone montagneuse de Chaambi, dans le gouvernorat de Kasserine (près de la frontière algérienne) et par les explosions de mines anti-personnel posés par ces terroristes, qui ont fait plusieurs blessés parmi des agents de l’armée et de la Garde Nationale, dont certains ont perdu des membres.
Cela ne peut pourtant surprendre. Bien que le rôle d’Ennahda dans ces événements n’est pas clair à cette heure, le pouvoir actuel en porte une responsabilité évidente quoiqu’il en soit : la prolifération du salafisme jihadiste a pignon sur rue et a bénéficié d’un climat d’impunité, quand ce n’est pas de la complicité directe, par ceux-là mêmes qui dirigent le pays depuis plus d’un an et demi.
Dans le tract que le CIO avait distribué au récent Forum Social Mondial à Tunis, nous avions mis en garde contre les risques d’éléments de déstabilisation et de violence devenant plus prégnant en Tunisie en cas de stagnation du processus révolutionnaire :
« La misère grandissante dans les quartiers pauvres nourrit le terreau à partir duquel les salafistes et jihadistes embrigadent, surtout parmi des jeunes qui n’ont plus rien à perdre. Les couches de la population pauvre les plus désespérées, si elles ne voient pas d’issue du côté du mouvement syndical et de la gauche, pourraient devenir la proie de ces démagogues réactionnaires. La seule façon dont la classe ouvrière et la jeunesse révolutionnaire peuvent gagner à elles la masse des laissés-pour-compte est de créer un mouvement national puissant capable de lutter pour les revendications de tous les opprimés. Cela implique de lier la nécessaire lutte pour la défense et l’élargissement de tous les droits démocratiques avec le combat sur des problèmes tels que l’emploi, le logement, la vie chère,…Dans le cas contraire, l’érosion du pouvoir nahdaoui pourrait partiellement profiter aux salafistes et à leur surenchère, lesquels pourraient gagner de nouveaux secteurs de la population pauvre, des exclus et des marginalisés à leur cause et les mobiliser contre la révolution. Le pays pourrait glisser dans une spirale de violence dont les masses paieraient le premier prix. »
Bien sûr, la classe ouvrière et la jeunesse révolutionnaire n’ont pas jusqu’à présent subi de défaites d‘importance majeure ; elles disposent encore de réserves de force insoupçonnables, et ont goûté à l’expérience d’avoir renversé une dictature il y a de cela pas si longtemps. La réponse magnifique des masses tunisiennes à l’assassinat de l’opposant de gauche Chokri Belaïd a donné un aperçu des difficultés auxquelles la classe dirigeante sera confrontée si elle veut passer à des méthodes plus brutales de répression. Pour les mêmes raisons, la descente du pays dans une situation de guerre civile ouverte, à l’instar de ce qui s’est passé en Algérie dans les années 1990, n’est pas immédiatement posée. Cela étant dit, il serait dangereusement illusoire de minimiser les conséquences potentielles qu’aurait une défaite de la révolution sur le long terme.
La classe ouvrière et ses organisations
A la base dans la société, la volonté de lutter est manifeste, s’exprimant quotidiennement de mille et une façons. Les conditions objectives qui ont initié la révolution, les problèmes sous-jacents -et s’aggravant- de la pauvreté et de la répression, préparent clairement le terrain pour de nouveaux soulèvements. Par ailleurs, l’existence d’une puissante centrale syndicale et d’organisations de gauche dont l’implantation n’est pas négligeable est un atout puissant pour la poursuite de la révolution. Encore faut-il que celles-ci soient utilisées à bon escient.
La centrale syndicale, l’UGTT, et le Front Populaire sont les organisations les plus représentatives des couches de la population tunisienne qui ont fait la révolution, et qui partagent un commun intérêt à poursuivre celle-ci jusqu’au bout. Cependant, le potentiel que ces forces représentent est loin d’être mis à profit comme il pourrait l’être.
La bureaucratie nationale du syndicat bloque de facto la perspective d’une confrontation décidée avec le pouvoir en place, et laisse les régions, les localités et les secteurs se battre chacun dans leurs coins. Les appels futiles au "dialogue national", encore réitérés par le secrétaire général Hassine Abassi lors du premier mai, se substituent à l’organisation, vitale et urgente, d’une lutte unifiée à l’échelle du pays visant à la chute de la Troïka au pouvoir et à la poursuite ferme et décidée des mobilisations révolutionnaires jusqu’à la victoire.
Le Front Populaire représente un vecteur potentiellement vital de reconstruction d’une représentation politique pour la révolution, la classe ouvrière et les opprimés. Mais une certaine amertume légitime est cependant perceptible parmi beaucoup de ses sympathisants et de militants de base, face au manque d’initiatives d’ampleur prises par sa direction, et à l’absence de mots d’ordre clair à la suite du succès de la grève générale du 8 février. Entre l’optique résolument révolutionnaire encouragée par beaucoup des militants, et le choix de la « transition démocratique » et des formules réformistes et institutionnelles respectant les règles posés par l’Etat capitaliste en place, -orientation encouragée par une partie importante de la direction-, le Front navigue à vue.
Tel que le CIO l’a mis en garde à plus d’une reprise, si le Front Populaire ne se dote pas urgemment d’un plan d’action stratégique audacieux, axé sur des réponses socialistes claires, résolument orienté vers la lutte des masses laborieuses et ce jusqu’à la mise en place d’un gouvernement qui représentent directement ces dernières, l’élan qui a été construit autour du Front pourrait être perdu.
Le danger d’une certaine édulcoration politique (à savoir d’une évolution vers la droite et vers la recherche de compromis avec des forces non ouvrières), pourrait pointer le bout de son nez remonter à la surface d’une manière plus explicite. En particulier, il est vital que le Front maintienne une indépendance totale à l’égard de toutes les forces pro-capitalistes qui prônent « l’union sacrée » contre les islamistes afin de mieux dévier l’attention de la guerre de classe à l’œuvre dans le pays. L’histoire de toute la région est parsemée de défaites révolutionnaires catastrophiques du fait que la gauche s’est fourvoyée dans des alliances dangereuses avec des forces nationales bourgeoises. Il s’agit d’en dégager toutes les leçons nécessaires.
Le ralliement au Front Populaire du mouvement « El Chaâb », par exemple, n’est pas forcément de bonne augure. Les déclarations de son secrétaire général, annonçant récemment que le Front Populaire représente « l’espoir de voir réaliser un jour les objectifs de la révolution à savoir : la justice, la démocratie et la productivité » ( !) représentent une sérieuse entorse à ce pourquoi se battent l’immense majorité des militants, syndicalistes, jeunes, chômeurs, qui sont aujourd’hui membres ou sympathisants du Front.
Plus que jamais, le Front Populaire a besoin de se doter d’un programme révolutionnaire clair et offensif. Un programme qui:
1) Lutte pour les pleins droits démocratiques, pour le droit de manifester, de se rassembler et de faire grève, pour la fin immédiate de l’état d’urgence, pour l’arrêt de tout procès politique et de la brutalité policière.
2) Engage clairement les mobilisations dans la perspective d’une lutte soutenue visant à dégager pour le bon le pouvoir en place. Cela pourrait commencer par un appel à une nouvelle grève générale, soutenue par de solides mobilisations à l’échelle de tout le pays. Non pas une grève générale d’un jour sans aucun lendemain comme ce fut le cas pour la grève du 8 février, mais une grève générale comme point de départ d’un combat déterminé, prolongé et sans répit, déployant toute la force du mouvement ouvrier organisé jusqu’à la chute du gouvernement actuel (ainsi que de son Assemblée Constituante pourrie et non représentative).
3) En appelle à la mise en œuvre de mesures économiques radicales telles que :
- l’occupation des sites qui menacent de fermeture, de licenciements ou de délocalisation, ainsi que leur expropriation et leur nationalisation sous le contrôle démocratique des salariés ;
- le refus intégral et inconditionnel du paiement de la dette, et la préparation d’un vaste travail d’agitation et de mobilisation pour engager la contre-attaque face aux plans de misère concoctés par le FMI et le gouvernement ;
- l’introduction de l’indexation automatique des revenus à l’évolution des prix, et l’ouverture immédiate des livres de compte de toutes les grandes compagnies de distribution ;
- la nationalisation, sous contrôle de la collectivité, des banques et des grandes industries, et l’introduction d’un monopole d’Etat sur le commerce extérieur ;
- la mise en place d’un vaste programme d’investissement public dans des projets d’infrastructure (routes, centres hospitaliers, éclairage public, zones vertes, complexes pour les jeunes,…) pour fournir de l’emploi aux centaines de milliers de chômeurs et en finir avec la marginalisation des régions ;
- la division du travail disponible entre tous et toutes, au travers de l’introduction de la semaine de 38h/semaine sans perte de salaires, dans tous les secteurs d’activité.
4) Encourage, partout où c’est possible, l’élection de structures d’organisation révolutionnaires, à l’échelle des quartiers, des villages, des lieux de travail et d’étude, sous la forme de comités d’action composées de délégués élus et combatifs, afin de coordonner la lutte des masses à chaque niveau. Des organes collectifs d’auto-défense doivent aussi urgemment être mis sur pied, pour contrer les violences des milices ainsi que la répression de la machine d’Etat. Cela doit être combiné à des appels de solidarité de classe en direction des couches inférieures des forces de l’Etat, en particulier vers les soldats conscrits.
5) Popularise dès à présent la perspective d’un gouvernement révolutionnaire composé de véritables représentants des acteurs-clés de la révolution : des travailleurs, de la jeunesse révolutionnaire, des chômeurs, des paysans pauvres. L’appel à un « Congrès de Salut» initié par le Front populaire, compris de cette façon, prendrait alors tout son sens: un Congrès révolutionnaire, composé de délégués élus provenant directement des forces vives de la révolution aux quatre coins du pays, érigeant son propre pouvoir, capable de contester directement le régime existant et tous ses appendices.
En fin de compte, la viabilité d’un tel pouvoir dépendra de la réalisation d’un programme qui puisse rassembler le soutien de la majorité de la population, en Tunisie comme internationalement. Seule une économie planifiée, socialiste et démocratique, peut permettre cet objectif. C’est un tel programme que les sympathisants du CIO en Tunisie, actifs au sein de la Ligue de Gauche Ouvrière (LGO), elle-même composante du Front Populaire, continueront à défendre dans les présentes et futures mobilisations.
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Achever le processus révolutionnaire : après la chute de Ben Ali, la chute du capitalisme !
Initiée il y a maintenant plus de deux ans, la révolution tunisienne a connu un tournant au début de ce mois de février avec l’assassinat du dirigeant de gauche Chokri Belaïd. Quelques jours après sa mort, plus d’un million de personnes étaient dans les rues (sur une population de 12 millions d’habitants) pour lui rendre hommage et en opposition au gouvernement, tandis que prenait place la première grève générale nationale depuis 1978. De retour du Forum Social Mondial de Tunis, notre camarade Nicolas Croes nous parle de l’actualité du processus de révolution et de contre-révolution en Tunisie.
Par Nicolas Croes
Une situation qui reste explosive
Les événements qui se sont succédés après l’assassinat de Chokri Belaïd ont profondément déstabilisé le régime et le parti islamiste réactionnaire au pouvoir, Ennadha. La colère et la haine éprouvées contre lui n’ont fait que se renforcer ces derniers mois, à mesure de l’aggravation de toutes ces questions sociales qui étaient au cœur de la révolution de 2011.
En effet sur le ‘’terrain’’, le chômage est énorme tandis que l’inflation massive des prix a avalé la plupart des augmentations salariales acquises de haute lutte par les travailleurs. La misère sociale est encore plus criante dans diverses régions maintenues dans le sous-développement. Dans les faits, la politique des dirigeants actuels suit une voie néolibérale identique à celle de l’ancienne clique mafieuse autour du dictateur Ben Ali. A titre d’exemple, les conditions du récent prêt conclu avec le Fonds Monétaire International prévoient notamment d’abolir les subsides d’Etat pour les denrées alimentaires. Cette mesure suffira à elle seule pour précipiter directement 400.000 personnes de plus dans la pauvreté. Quant à l’ancien appareil policier, si ses maîtres ont changé, il poursuit inlassablement son sale boulot de répression et de violence, sur fond d’un état d’urgence toujours en vigueur. En bref, toutes les conditions matérielles qui furent à la base de l’explosion révolutionnaire de décembre 2010 – janvier 2011 sont toujours bien présentes et n’ont fait que devenir plus aigües.
Avant même les événements de février, l’establishment politique était déjà embourbé dans une crise profonde dont les fondements résident dans l’incapacité des classes dominantes à trouver la formule magique leur permettant d’appliquer la politique contre-révolutionnaire tout en disposant d’une assise relative parmi les masses. Sorti vainqueur des dernières élections, Ennadha est littéralement au bord de l’implosion et voit aujourd’hui son autorité s’effondrer. Cette perte d’influence a été illustrée par la tentative de son aile la plus radicale d’opérer un tour de force au lendemain de la grève générale par l’organisation d’une manifestation. Malgré tout l’argent destiné à payer les participants à cette manifestation ‘‘massive’’, seuls quelques milliers de personnes avaient répondu à l’appel. Un sondage paru en avril dans le journal tunisien Le Quotidien accordait au dirigeant d’Ennhada Rached Ghannouchi (largement considéré comme l’assassin de Belaïd) un taux de popularité de 1,9%.
Quelle voie de sortie ?
Dans l’opposition, deux grands blocs se font face, à côté d’une myriade de petits partis. On trouve d’une part le parti Nidaa Tounès, qui se positionne comme le parti de l’opposition bourgeoisie laïque et tente de rallier à lui sous le slogan de ‘‘Tout sauf les islamistes’’. Mais il s’agit surtout du refuge de tout un tas d’anciens membres du RCD (Rassemblement Constitutionnel Démocrate), le parti de l’ancien dictateur Ben Ali ! Son dirigeant, Essebsi, fut d’ailleurs notamment ministre sous Bourguiba et président de la Chambre sous Ben Ali. Fondamentalement, Ennadha et Nidaa Tounes ne représentent que deux des têtes de l’hydre de la dictature du capital et de la contre-révolution. Chacune de ces têtes essaye d’attirer l’attention sur la fracture entre les religieux et les laïcs, avant tout pour dévier l’attention de la véritable guerre de classe à l’œuvre dans le pays. Chacune clame que la révolution est maintenant terminée. Elles se font l’écho de tous ceux pour qui Ben Ali pouvait bien tomber le vendredi 14 janvier 2011 pourvu que les travailleurs retournent à l’usine le lundi.
Mais les slogans que l’on pouvait entendre lors de la grève générale de février dans les cortèges massifs et historiques de manifestants parlaient de la chute du gouvernement et de la nécessité d’une nouvelle révolution. Des jours durant, des affrontements eurent lieu entre manifestants et forces de police dans de nombreux endroits, en particulier dans les régions militantes de l’intérieur du pays comme Gafsa (où avaient éclaté les émeutes du bassin minier en 2008) ou Sidi Bouzid (d’où est parti le mouvement révolutionnaire qui mit fin au règne de Ben Ali). Heureusement, bien qu’encore imparfaite, cette colère dispose d’un embryon d’expression politique.
Car à côté d’Ennadha et de Nidaa Tounès, on trouve le Front Populaire, une organisation créée en octobre 2012 réunissant le large spectre de la gauche radicale tunisienne. En son sein se trouvent différentes organisations et courants se réclamant du maoïsme (notamment le Parti des Travailleurs et le Parti des Patriotes Démocrates Unifié), du trotskisme (la Ligue de la Gauche Ouvrière), du nassérisme ou encore de l’écologie politique. La dynamique enclenchée autour de ce Front est porteuse d’un grand potentiel pour construire une réelle expression politique pour les luttes des travailleurs et des couches populaires. Mais pour l’instant, sa direction, tout comme celle de la grande fédération syndicale UGTT (Union Générale Tunisienne du Travail), manque encore d’audace et de clarté sur la stratégie à adopter aujourd’hui. Or, chaque moment de répit laissé à l’hydre de la contre-révolution se payera chèrement dans le camp des travailleurs. Si ce n’est pas encore la perspective la plus immédiate, le danger d’un coup d’État est bien présent dans la situation.
Pour la chute du gouvernement, pour la chute du système capitaliste
Aujourd’hui, la gauche et la centrale syndicale UGTT doivent prendre garde à ne pas sombrer dans les diverses manœuvres pour ‘‘l’unité nationale’’ ou pour ‘‘l’unité contre les islamistes’’. Il ne saurait être question d’une alliance avec des forces hostiles aux travailleurs, la ligne de démarcation doit être clairement tracée entre les amis et les ennemis de la révolution !
La seule unité possible est celle de la classe ouvrière, de la jeunesse et des pauvres pour poursuivre leur révolution jusqu’à l’instauration, à travers la lutte de masse, d’un gouvernement qui leur appartient. Le potentiel est aujourd’hui gigantesque pour cela, et il n’est pas exagéré de dire que le pouvoir a été à portée de main des masses à plusieurs reprises ces deux dernières années, et très certainement en février dernier. Parmi la population, la compréhension que les droits démocratiques ne peuvent êtres défendus que par une démocratie économique est très grande (cela implique de placer sous contrôle et gestion démocratique des travailleurs et des masses pauvres les secteurs-clés de l’économie). L’idée de la nécessité du ‘‘socialisme’’ est fort répandue, directement issue de la puissance du syndicat UGTT, de sa place dans l’histoire du pays et des fortes traditions issues de l’activité de la gauche radicale, y compris sous la dictature. Mais il règne un grand flou concernant ce que ce terme peut bien signifier.
Aujourd’hui, il faut un plan d’action clair avec l’organisation d’une nouvelle grève générale suite au succès de celle de février liée à la tenue d’assemblées de masse dans les lieux de travail, les quartiers, les universités, les écoles, etc. pour discuter et déterminer les prochaines étapes de la lutte de la manière la plus démocratique et collective possible.
Selon nous, la meilleure voie à suivre est de construire des comités de lutte et de les coordonner aux échelons local, régional et national par l’élection de représentants révocables directement issus des forces vives de la révolution (les couches combatives de l’UGTT, du mouvement ouvrier et de la jeunesse). Ces comités ne doivent pas seulement avoir pour tâche d’organiser une lutte efficace contre les forces de la contre-révolution et de protéger la population contre l’action de la police ou des milices réactionnaires islamistes, mais aussi de préparer les travailleurs et les pauvres à l’exercice du pouvoir et à la construction d’une société socialiste démocratique. De façon similaire à la vague de mobilisations de masse qui a déferlé sur le monde après la révolution tunisienne, une telle démarche audacieuse vers le véritable socialisme initierait un élan révolutionnaire international extraordinaire, tout particulièrement dans le contexte actuel de crise du capitalisme.
Revendications défendues par les partisans du CIO en Tunisie
- Ennahda dégage ! Pour l’organisation rapide d’une nouvelle grève générale de 24h, à renouveler jusqu’à la chute du régime !
- Pour la formation de comités de défense par les travailleurs, les jeunes et les masses pauvres, afin d’organiser la protection contre les attaques de la contre-révolution !
- Stop à l’état d’urgence et à la répression des mouvements sociaux ! Pour la défense résolue de toutes les libertés démocratiques !
- Non aux attaques contre les droits des femmes ! Pour l’égalité de traitement à tous niveaux !
- Un revenu et un logement décents pour tous et toutes ! A bas la vie chère ! Pour l’indexation automatique des revenus au coût de la vie !
- Non aux plans antisociaux du FMI, aux privatisations et à l’austérité ! Non au paiement de la dette de Ben Ali !
- Nationalisation, sous contrôle démocratique des travailleurs et de la population des banques et des grandes entreprises !
- Pour un gouvernement des travailleurs, de la jeunesse et des masses pauvres, appuyé par les organisations de gauche, syndicales et populaires (UGTT, Front Populaire,…)
- Pour la lutte internationale des jeunes et des travailleurs contre le capitalisme et l’impérialisme – pour le socialisme international !
Quelques photos du Forum Social Mondial