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Tag: Ben Ali
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Syrie : Le massacre de Houla augmente la crainte d’une véritable guerre civile
Le meurtre de 108 personnes près de la ville syrienne de Houla a interpelé et choqué dans le monde entier. Le meurtre de 49 enfants, dont beaucoup ont été tués à bout portant, est particulièrement odieux. Les tensions sectaires alimentées par cet acte barbare font planer la terrible menace d’un glissement vers un conflit plus large et d’une véritable guerre civile. Comme toujours, les travailleurs et les pauvres en souffriront le plus. En lutte contre le régime brutal de Bachar El Assad, la classe ouvrière doit s’opposer au sectarisme et à l’intervention impérialiste
Niall Mulholland, Comité pour une Internationale Ouvrière
Depuis 15 mois maintenant, des manifestations massives ont lieu dans beaucoup d’endroits de Syrie contre le règne dictatorial de la famille Assad, qui dure depuis plus de 40 ans. A l’origine, ces protestations se sont déroulées dans le cadre des révolutions au Moyen Orient et en Afrique du Nord. Mais en l’absence d’un mouvement indépendant de la classe ouvrière dirigeant la lutte et avec de plus en plus d’intervention dans la région de la part de régimes réactionnaires tels que ceux du Qatar et d’Arabie Saoudite ainsi que l’ingérence impérialiste, le conflit syrien a de plus en plus adopté un caractère de guerre civile teinté de sectarisme.
Les puissances occidentales, en particulier les USA, la Grande Bretagne et la France, ont été rapides à condamner les atrocités de Houla. Elles ont fait reporter tout le poids de la faute sur le régime syrien du président Bachar el-Assad, qui décline de son côté toute responsabilité. Il est certain que beaucoup de témoins et de survivants accusent les forces armées syriennes et les gangs de Shabiha (qui peut se traduire par ‘‘bandits’’), qui massacrent et enlèvent régulièrement les opposants. Les investigateurs de l’ONU ont dit qu’il y a des indices que les Shabiha aient accompli au moins une partie de la tuerie des 25 et 26 mai.
Les accusations des puissances impérialistes sont toutefois profondément hypocrites et écœurantes. Des centaines de milliers de civils ont perdu la vie en Irak comme en Afghanistan du fait de l’invasion occidentale et de l’occupation. Dans le cadre de leur quête de pouvoir, d’influence et de contrôle des ressources, des attaques aériennes impérialistes de drones ont quotidiennement lieu au Pakistan, en Somalie et au Yémen. Le lendemain du massacre de Houla, une attaque de l’OTAN dans l’est de l’Afghanistan a déchiqueté les 8 membres d’une famille.
Les puissances occidentales justifient l’utilisation de la force militaire en déclarant attaquer des cibles ‘‘terroristes’’, ce qui est une rhétorique similaire à celle de la dictature de Bachar el-Assad. Dans les deux cas, ces attaques au hasard, approuvées par l’Etat, équivalent à des exécutions sommaires et à de potentiels crimes de guerre.
Environ 15.000 personnes sont mortes en Syrie, majoritairement des mains de l’armée Syrienne et des forces pro-Assad, depuis l’insurrection de mars 2011. Mais sous le mandat d’Obama, plus de 500 civils ont été tués par des attaques aériennes dans le seul Pakistan, dont 175 enfants.<p
A couteaux tirés
Les USA, appuyant l’opposition syrienne, et la Russie, soutenant le régime d’Assad, sont de plus en plus à couteaux tirés à mesure qu’empire la situation du pays. Cela se traduit par des conflits au Conseil de Sécurité des Nations Unies sur la manière de traiter la dossier syrien.
La Russie et la Chine ont voté contre les résolutions anti-Assad soutenues par les USA, la Grande Bretagne et la France. Malgré cette rhétorique, les positions des USA et de la Russie n’ont rien à voir avec la situation critique du peuple Syrien. Elles sont liées aux intérêts de leurs classes dominantes respectives et à celles de leurs plus proches alliés.
Les USA, la Grande Bretagne et la France ont clairement affirmé qu’ils veulent la fin du régime d’Assad. Depuis longtemps, ils le considèrent comme un obstacle à leurs intérêts impérialistes dans la région. Ils veulent à sa place un gouvernement docile et pro-occidental. Suite aux révolutions de l’année dernière qui ont renversé deux alliés cruciaux de l’occident dans la région – Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte – les puissances impérialistes sont déterminées à s’assurer que la révolte populaire en Syrie ne dépasse pas des barrières de ‘‘l’acceptables’’ (c’est-à-dire vers une position d’indépendance de classe) et qu’elle reste à l’avantage des impérialistes.
Les USA instrumentalisent l’échec du ‘‘plan de paix’’ de Kofi Annan (émissaire conjoint de l’Organisation des Nations unies et la Ligue arabe sur la crise en Syrie ) pour menacer d’entrer en action ‘‘en dehors du plan Annan’’ et de l’autorité du Conseil de Sécurité des Nations Unies, avec le soutien des plus proches alliés dans le conflit Syrien ; la Grande Bretagne et la France. Cela rappelle l’infâme coalition militaire menée par George Bush et Tony Blair qui a envahi l’Irak en toute illégalité.
D’un autre côté, la Russie considère le régime d’Assad comme un allié crucial dans la région, un allié qui lui offre un accès à un port de Méditerranée. Le ministre russe des affaires étrangères a ainsi indiqué qu’il pourrait être préparé à mettre en œuvre ce qu’il appelle la ‘‘solution Yéménite’’, c’est-à-dire qu’Assad soit renversé alors que la plupart de la structure de son régime resterait en place. Cette solution est calquée sur un plan de la Ligue Arabe au Yémen, où le président Ali Abdullah Saleh a perdu le pouvoir en février 2012, après des mois de manifestations massives.
Le Kremlin est cependant fermement opposé à toute intervention militaire occidentale, en particulier après l’expérience amère du conflit libyen l’an dernier. La Russie soutenait une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU basée sur la constitution d’une zone d’exclusion aérienne, une ‘‘no-fly-zone’’. Mais les puissances occidentales ont utilisé cette résolution pour permettre une intervention armée de l’OTAN en Lybie, déviant la révolution de sa trajectoire, renversant le régime du Colonel Kadhafi et, selon leurs propres termes, installant un régime pro-occidental.
L’OTAN
Bachar el-Assad ne semble pas prêt de perdre le pouvoir ou d’être placé devant le risque imminent d’un coup d’Etat. Alors que la Syrie est frappée par des sanctions économiques, une part significatrice de la population dont beaucoup d’hommes d’affaires sunnites, n’ont pas encore catégoriquement rompu leurs liens avec le régime. Damas parie aussi sur le fait que l’Ouest serait incapable de mener une intervention militaire directe du type libyen.
Le ministre des affaire étrangères britannique, William Hague, a récemment menacé qu’aucune option ne puisse être écartée dans le traitement de Bachar el-Assad, laissant entendre la possibilité d’une action militaire occidentale. Mais l’attaque de l’OTAN contre la Lybie l’an dernier ne peut pas tout simplement être répétée en Syrie, un pays qui possède une population beaucoup plus élevée et dont les forces d’Etat sont, selon les experts militaires, plus puissantes, mieux entrainées et mieux équipées.
Assad a à sa disposition une armée de 250.000 personnes, en plus de 300.000 réservistes actifs. L’an dernier, l’OTAN a été capable d’envoyer des milliers de missions aériennes et de missiles sur la Lybie sans rencontrer de réelle résistance. Mais la Syrie possède plus de 80 avions de chasse, 240 batteries anti-aériennes et plus de 4000 missiles sol-air dans leur système de défense aérien. Les stratèges militaires occidentaux admettent qu’une invasion du pays demanderait un effort monumental. Leurs troupes seraient irréductiblement embourbées dans de larges zones urbaines hostiles.
Quant aux diverses propositions visant à aider la population et à affaiblir le régime Syrien sans offensive militaire directe (‘‘corridor humanitaire’’, ‘‘zone d’exclusion aérienne’’,…), elles exigent tout de même des opérations militaires offensives.
Chaque ère protégée devraient très certainement être sécurisés avec des troupes au sol, qu’il faudrait ensuite défendre contre des attaques, ce qui exigerait l’envoi de forces aériennes. Les stratèges britanniques de la défense admettent qu’une action militaire quelconque contre la Syrie ‘‘conduirait presqu’inévitablement à une guerre civile encore plus aigüe et sanglante.’’
De plus, la composition complexe de la Syrie (une majorité sunnite avec des minorités chrétienne, alaouite, druze, chiite, kurde et autres) entraîne le risque de voir l’intervention militaire occidentale déclencher une véritable explosion dans la région, sur bases de divisions ethniques et sectaires.
Même sans une intervention occidentale directe, la Syrie continue de glisser vers une guerre civile ‘‘à la libanaise’’. L’implication directe des régimes locaux de droite et des puissances mondiales qui soutiennent soit l’opposition, soit le régime, encourage cela.
Les puissances sunnites réactionnaires de la région, avec à leur tête l’Arabie Saoudite et le Qatar, utilisent la crise syrienne pour appuyer leur position contre les régimes chiites. Avec le soutien des USA et d’Israël, les régimes sunnites s’opposent à l’Iran, le plus important allié de la Syrie dans la région.
Il apparait que la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Qatar et les autres Etats du Golfe, chacun suivant son plan, acheminent des fonds et des armes à l’opposition Syrienne, avec le soutien tacite des USA. Une base de passage à la frontière existe même depuis la Turquie. Les forces d’opposition armée disent avoir tué 80 soldats syriens le weekend du début du mois de juin. En même temps, un commandant en chef des Gardiens de la Révolution en Iran a récemment admis que les forces iraniennes opèrent dans le pays pour soutenir Assad.
Patrick Cockburn, le journaliste vétéran du Moyen-Orient, a écrit que les rebelles armés ‘‘pourraient probablement commencer une campagne de bombardement et d’assassinats sélectifs sur Damas’’ (Independent, dimanche 03/06/12). Le régime d’Assad riposterait en ayant recours à des ‘‘sanctions collectives’’ encore plus sauvages. Damas serait ‘‘ victime de la même sorte de haine, de peur et de destruction qui ont ébranlé Beyrouth, Bagdad et Belfast au cours de ces 50 dernières années.’’
Le sectarisme s’approfondit. La minorité chrétienne craint de subir le même sort que les chrétiens d’Irak, ‘‘ethniquement purgés’’ après l’invasion américaine de 2003. Le régime d’Assad exploite et alimente cette peur pour se garder une base de soutien dans la minorité chrétienne, ainsi que chez les Alaouites, les Druzes et les Kurdes. Les USA, la Grande Bretagne, la France et l’Arabie Saoudite et leurs alliés sunnites dans la région ont utilisé sans scrupules la carte du sectarisme pour défendre un changement de régime à Damas et pour leur campagne contre l’Iran et ses alliés. Tout cela a des conséquences potentiellement très dangereuses pour les peuples des Etats frontaliers et dans toute la région.
Le conflit Syrien s’est déjà déployé au Liban frontalier, où le régime d’Assad a le soutien du Hezbollah, qui fait partie de la coalition gouvernementale. Le conflit entre les sunnites et les alaouites pro-Assad dans la ville de Tripoli au Nord du Liban a fait 15 morts en un weekend. Ces dernières semaines, le conflit s’est dangereusement exporté à Beyrouth, faisant craindre la ré-irruption d’un conflit sectaire généralisé au Liban.
La classe ouvrière de Syrie et de la région doit fermement rejeter toute forme de sectarisme et toute intervention ou interférence impérialiste.
Intervention
L’insurrection de mars 2011 en Syrie a commencé par un mouvement authentiquement populaire contre la police d’Etat d’Assad, l’érosion des aides sociales, les degrés élevés de pauvreté et de chômages et le règne de l’élite riche et corrompue.
En l’absence d’un mouvement ouvrier fort et unifié avec un programme de classe indépendant, les courageuses manifestations massives semblent avoir été occultées et dépassées par des groupes d’oppositions armés et hargneux. Alors que beaucoup de Syriens restent engagés pour un changement révolutionnaire et résistent à la provocation sectaire, de plus en plus de dirigeants de ces forces sont influencés par les régimes réactionnaires de la région et par l’impérialisme.
Les combattants islamistes de la province irakienne d’Anbar, de Lybie et d’ailleurs ont rejoint l’opposition armée libyenne. Une attaque à la voiture piégée à Damas qui a tué un nombre de personnes record en mai dernier est largement reproché aux combattants de l’opposition liés à Al-Qaeda.
Le Conseil National Syrien (CNS), un groupe d’opposition exilé, demande une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies autorisant l’usage de la force contre Assad, ce qui paverait la voie à une intervention armée, à l’instar de la Lybie.
Alors qu’une grande partie du peuple libyen est dans une situation désespérée et que certains peuvent sincèrement espérer une intervention militaire extérieure, les évènements en Lybie illustrent que l’implication de l’OTAN ne conduit ni à la paix, ni à la stabilité. Le nombre de morts a connu une percée après que l’OTAN ait commencé ses attaques aériennes sur la Lybie, se multipliant par 10 ou 15 selon les estimations. Le pays, ruiné par la guerre, est maintenant dominé par des centaines de milices en concurrence qui dirigeants des fiefs.
Environ 150 personnes sont mortes dans un conflit tribal dans le sud de la Lybie en mars, et le weekend dernier, une milice a temporairement pris le contrôle du principal aéroport du pays. La supposée administration centrale du pays (le Conseil National de Transition, non-élu et imposé par l’Occident) a sa propre milice, le Conseil Suprême de Sécurité, fort de 70.000 hommes. Les dirigeants de l’opposition bourgeoise et pro-impérialiste en Syrie cherchent sans doute à être mis au pouvoir d’une manière similaire par le pouvoir militaire occidental.
Révolutions
Cependant, la menace d’une intervention impérialiste en Syrie et l’implication de plus en plus forte des régimes réactionnaires Saoudiens et Qataris n’ont aucune raison de soutenir le régime d’Assad. Pour les socialistes, l’alternative a été clairement montrée lors des révolutions de l’année dernière en Tunisie et en Egypte, ainsi qu’aux débuts de la révolte syrienne en 2011.
Elles ont illustré que c’est le mouvement massif et unifié des la classe ouvrière et des jeunes qui est capable de renverser les despotes et leurs régimes pour engager la lutte pour un changement réel aux niveaux politique et social. La reprise du mouvement révolutionnaire en Egypte, suite à l’issue injuste du procès de Moubarak et de ses sbires, souligne que ce n’est que par un approfondissement de l’action de masse du fait de la classe ouvrière et des jeunes qu’il peut y avoir un véritable changement.
Les travailleurs de Syrie, quelle que soit leur appartenance ethnique ou religieuse, ont le droit de se défendre eux-mêmes contre la machine d’Etat d’Assad et contre toutes les milices sectaires. Les véritables socialistes, basés sur les traditions du marxisme révolutionnaire, appellent à la constitution immédiate de comités de défense indépendants, démocratiquement élus et contrôlés par les travailleurs, pour défendre les manifestations, les quartiers et les lieux de travail.
Cela doit être lié à une nouvelle initiative de la classe ouvrière en Syrie, construisant des comités d’action dans toutes les communautés et les lieux de travail, en tant que base pour un mouvement indépendant des travailleurs.
L’une de ses tâches serait d’enquêter indépendamment sur les responsables de la tuerie de Houla et de tous les autres massacres et assassinats sectaires. Cela montrerait aussi le rôle du régime d’Assad et de ses milices, ainsi que celui des puissances voisines et impérialistes.
Comme partout, les Nations Unies sont incapables, à cause de leur asservissement aux principales puissances mondiales, d’empêcher les atrocités contre les civils ou de résoudre les conflits armés dans l’intérêt de la classe ouvrière.
Suite au massacre de Houla, les grèves de ‘‘deuil’’ ont éclaté dans certains endroits de la Syrie. Les manifestations contre Assad continuent dans certaines villes, dont à Damas. Il est crucial que de telles manifestations prennent un caractère anti-sectaire et pro-classe ouvrière. Un mouvement de la classe ouvrière en Syrie développerait les manifestations de travailleurs, les occupations de lieux de travail et les grèves, dont des grèves générales, pour rompre avec le sectarisme et lutter pour le renversement du régime d’Assad. Un appel de classe aux soldats pauvres du rang à s’organiser contre leurs généraux, à se syndiquer et à rejoindre les manifestants, pourrait diviser les forces d’Etat meurtrières et les neutraliser.
Les travailleurs syriens de toutes religions et ethnies ont besoin d’un parti qui leur est propre, avec une politique socialiste indépendante. Un tel parti avec un soutien massif peut résister avec succès au sectarisme et aux politiques empoisonnées du diviser pour mieux régner d’Assad, des régimes sunnites et chiites de la région et de l’impérialisme hypocrite.
Un programme socialiste – appelant à un contrôle et une gestion démocratiques de l’économie par les travailleurs pour transformer les conditions de vie, créer des emplois avec des salaires décents et une éducation, la santé et les logements gratuits et de qualités – inspirerait les travailleurs et les jeunes à rejoindre le camp de la révolution.
Sous un drapeau authentiquement socialiste, en opposition aux forces prétendument ‘‘socialistes’’ qui soutiennent le régime dictatorial de Bachar el-Assad, la révolte populaire contre le régime syrien appellerait les travailleurs de la région à étendre la révolution.
En liant ensemble les mouvements révolutionnaires qui ont lieu en Syrie, en Tunisie, en Egypte et ailleurs en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, sur base d’un programme d’orientation socialiste, où les secteurs clés de l’économie seraient aux mains des masses, la classe ouvrière pourrait dégager les tyrans et porter de puissants coups au capitalisme pourri et à l’ingérence impérialiste. Cela pourrait se transformer en une lutte pour une confédération socialiste volontaire et équitable du Moyen-Orient, dans laquelle les droits de toutes les minorités seraient garantis.
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Tunisie: la ‘Journée des Martyrs’ laisse de nombreux blessés par la répression policière
La troïka tunisienne tombe le masque
Le lundi 9 avril, au centre de Tunis, une brutalité effroyable a été utilisée par la police tunisienne afin de réprimer des manifestants pacifiques. Il s’agit sans doute de la pire vague de répression policière dans le pays depuis des mois. Ce qui est déjà évoqué comme le ‘‘lundi noir’’ livre une lumière des plus éclairantes sur le véritable caractère de la nouvelle coalition tripartite au pouvoir (la ‘troïka’), une coalition prête à assimiler les pires méthodes de la dictature de Ben Ali pour mater toute opposition à son pouvoir.
Protestation à l’ambassade tunisienne de Belgique
- Stop à la répression politique contre les militants politiques et syndicaux
- Défendons la liberté d’expression et d’organisation
- Pour la libération immédiate de tous les manifestants arrêtés
- Pour une enquête indépendante réalisée par les le syndicat UGTT, l’UDC,… pour rechercher les responsables de cette violence policière
Ce vendredi 13 avril, 10h Avenue de Tervuren, n°278, 1150 Bruxelles (A partir de Bruxelles Central (environ 20 min), métro 1 direction Stockel jusqu’à Montgomery, Tram 39 direction Ban-Eik, jusqu’à l’arrêt Jules Ceasar ou le Tram 44 direction Tervuren jusqu’à l’arrêt Jules Ceasar)
Différentes manifestations et rassemblements avaient lieu dans la capitale ce jour-là pour commémorer l’anniversaire de la ‘‘Journée des Martyrs’’, en référence à la répression sanglante de manifestants pro-indépendantistes par les troupes coloniales françaises en 1938.
Cette occasion a été saisie par un grand nombre de gens afin de protester contre le gouvernement dirigé par le parti Ennahda, pour honorer les martyrs tombés sous les coups de la contre-révolution l’an dernier, ainsi que pour défier l’interdiction de manifester avenue Bourguiba, interdiction imposée par le ministère de l’Intérieur à la fin du mois de mars. Certains manifestants avaient marché plusieurs jours en provenance des régions de l’intérieur du pays pour manifester dans la capitale.
Les gens ont commencé à se rassembler au centre-ville tôt le matin, le plus grand rassemblement ayant lieu sur l’avenue Mohamed V. Alors que la foule de manifestants, comprenant des enfants et des personnes âgées, se dirigeait sur l’avenue Bourguiba, une répression brutale s’est soudainement déchainée: une énorme quantité de gaz lacrymogène a été balancée, tandis que les coups de matraque et de gourdin ont commencé à pleuvoir dans tous les sens.
La scène est rapidement devenue le théâtre d’une vengeance aveugle par la police, provoquant l’évanouissement et la suffocation de personnes à cause des gaz, des fourgons de police ainsi que des motos avec des flics masqués fonçant dans la foule, et des dizaines de personnes ont été sauvagement tabassées, y compris de simples passants, des avocats , des journalistes et des membres de Assemblée constituante présents sur les lieux.
Beaucoup de gens ont du être transportés à l’hôpital avec des blessures graves, et un nombre inconnu d’arrestations a également eu lieu. Ces arrestations et passages à tabac ont particulièrement ciblé des militants de gauche connus. Un jeune manifestant, victime d’une hémorragie cérébrale suite à un tabassage en règle, se trouve toujours à l’hôpital entre la vie et la mort.
Ajouté à cela, de nombreux rapports et des photos et vidéos mettent en évidence la présence de milices de civils armés aidant la police à pourchasser les manifestants et a ‘nettoyer’ les rues avoisinantes, en utilisant des méthodes de violence de rue peu différentes de celles de groupes fascistes. La plupart des gens soupçonnent ces voyous ayant assisté les flics dans leur sale besogne d’être des partisans notoires d’Ennahda.
Les mensonges du gouvernement
Le ministère de l’Intérieur, relayé par d’autres voix officielles, a inventé et tronqué un certain nombre de faits afin d’incriminer les manifestants, prétendant entre autres que des cocktails Molotov auraient été utilisés par ces derniers. Bien qu’il y ait de nombreuses preuves attestant de la provocation violente de la police, rien de tel ne peut être trouvé pour étayer de telles affirmations.
Dans la même logique, le président Moncef Marzouki a condamné le ‘‘degré inacceptable de violence’’, en mettant sur un même pied d’égalité l’agression arbitraire d’une force de police lourdement armée d’une part, et la prétendue ‘violence’ de civils sans défense, dont la réaction la plus ‘violente’ a été que certains jeunes en colère ont jeté des pierres sur les policiers en réaction au comportement sauvage de ces derniers.
Apres ces déclarations, ceux qui pensaient encore que le passé de Moncef Marzouki en tant que militant des droits de l’homme pourrait être une sorte de ‘garantie’ contre les abus sauront désormais à quoi s’en tenir.
‘‘La Tunisie n’est pas menacée par la dictature, elle est menacée par le chaos’’, a déclaré Rached Ghannouchi, chef de file d’Ennahda, en mettant le blâme sur ce qu’il décrit comme des ‘‘anarchistes staliniens’’ qui veulent semer le chaos dans le pays. Ces couvertures politiques de la répression policière trahissent le fait que ce qui s’est passé lundi n’est pas du tout accidentel, mais orchestré par ceux au pouvoir dans une tentative d’intimider et de décourager les couches les plus actives et les plus combatives de la population de poursuivre leurs aspirations au changement.
Ces événements sont censés servir d’’exemple’ a l’égard de tous ceux qui osent défier le gouvernement, dont l’incapacité et la réticence à répondre à ces aspirations est de plus en plus claire de jour en jour aux yeux des masses populaires. Mais la réussite d’une telle opération par les nouvelles autorités est une toute autre question.
Un point tournant
La répression d’hier suit directement la répression d’une autre marche, organisée samedi par l’UDC (Union des Diplômés Chômeurs), avec la revendication centrale du droit à un travail décent pour tous. La réponse de la police fut similaire, avec plusieurs personnes arrêtées et/ou blessées, une sorte de ‘‘répétition générale’’ des événements de lundi. La semaine dernière, une manifestation à laquelle participaient des blessés de la révolution et des familles de martyrs en face du siège du ministère des droits de l’homme (!) a également été violemment attaquée par la police. Nous avions déjà signalé en février les raids physiques organisés contre les bureaux de l’UGTT.
Mais ce nouvel élan de répression représente un point tournant. Bien que la manifestation de lundi fût relativement petite, l’impact de la répression est lui déjà très large, et est susceptible d’encourager la radicalisation d’une plus large couche de la population contre le gouvernement d’Ennahda.
Cela va renforcer la compréhension croissante du fait que les partis au pouvoir sont des ennemis de la révolution, et n’ont aucune réponse si ce n’est la répression aux revendications de la population. Il y a un sentiment largement partagé d’un retour aux méthodes traditionnelles de la police de Ben Ali, et des dangers de tentatives visant à restaurer une nouvelle dictature. Nombreux sont ceux qui ne manqueront pas de remarquer le ‘deux poids deux mesures’ du gouvernement, dont l’attitude complaisante à l’égard de groupes salafistes réactionnaires contraste étrangement avec la répression brutale déchainée contre les actions de gauche et syndicales.
Dans tout le pays, le climat est maintenant particulièrement tendu, et cette répression pourrait susciter un ‘retour de flamme’; plusieurs manifestations de solidarité (notamment à Monastir, Sousse et Sfax), ainsi que des affrontements de jeunes avec la police ont déjà eu lieu depuis lundi dans plusieurs régions du pays. Une grève générale a eu lieu à Ktar (dans la région de Gafsa), une autre est en cours à Sidi Bouzid, et les bureaux d’Ennahda ont été brûlés en plusieurs endroits. Une grève de tous les élèves et étudiants a été engagée à Sousse, et d’autres actions par le syndicat étudiant, l’UGET, sont également l’objet de discussions en ce moment.
Aujourd’hui (le 11 avril), un Conseil des ministres a décidé de lever l’interdiction de manifester sur l’avenue Bourguiba. Cela montre que le gouvernement n’est pas complètement confiant de s’engager dans une attaque frontale contre la jeunesse révolutionnaire et les travailleurs, et craint une réaction plus large dont le contrôle pourrait lui échapper. Le choc immédiat occasionné par l’ampleur de la répression, ainsi que les réactions populaires qui l’ont suivi, ont poussé le gouvernement à prendre une telle décision afin de tenter de calmer la situation.
Après ce qui s’est passé lundi, cette victoire est petite mais lourde de significations. La répression brutale utilisée par le régime l’a finalement conduit, entre autres choses, à céder sur l’une des principales revendications des manifestants: se réapproprier leur avenue Bourguiba, un symbole historique de la révolution qui a renversé le dictateur Ben Ali en janvier de l’année dernière.
Cependant, les événements des derniers jours indiquent clairement la direction dans laquelle le nouveau régime veut s’engager. De nouvelles tentatives de contre-attaquer vont nécessairement resurgir.
Une nouvelle période, faite de luttes acharnées, ne fait en réalité que commencer. L’UGTT et l’UGET pourrait considérer la possibilité d’organiser une journée de grève nationale, en signe de protestation et d’avertissement au gouvernement comme quoi toute tentative de porter atteinte aux droits démocratiques et sociaux se heurtera à une résistance solide des travailleurs, des étudiants, de la jeunesse révolutionnaire, et de tous ceux qui veulent que la ‘révolution de la liberté, de l’emploi et la dignité’ accomplisse ses objectifs.
Le CIO dénonce la répression policière croissante et le harcèlement des militants politiques et syndicaux, exige la liberté d’expression et de rassemblement pour tous, la fin immédiate de l’état d’urgence toujours en cours, ainsi que la libération immédiate de tous les manifestants arrêtés au cours des derniers jours. Une enquête indépendante doit être menée par l’UGTT, l’UDC et d’autres organisations populaires afin de déterminer les responsabilités dans les violences policières qui ont eu lieu au cours du week-end et lundi.
Nous exprimons notre solidarité avec tous ceux qui luttent pour leurs droits en Tunisie, et ferons tout ce qui est entre notre pouvoir pour dévoiler le vrai visage de la prétendue nouvelle Tunisie ‘‘démocratique’’, et pour aider comme nous le pouvons les militants révolutionnaires dans ce qui sera une lutte prolongée contre les tentatives de réaffirmation d’un nouveau régime autoritaire et oppressif.
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En Bref…
Chaque samedi, nous publions dans cette rubrique quelques faits marquants, des citations, des cartoons, de petites vidéos,…
Reynders et la Tunisie
Didier Reynders a quitté son poste de Ministre des Finances pour devenir Ministre des Affaires Etrangères. Que notre bon Didier avait une certaine vision de la fiscalité, personne n’en doutait, et il a su se montrer digne de la confiance que plaçaient en lui les milieux d’affaires. Il semble que sur le terrain des Affaires Etrangères, il bénéficie aussi d’une certaine expérience… en ayant porté le titre de consul honoraire de Tunisie de 2004 à 2011, en pleine dictature de Ben Ali ! Ce poste sert avant tout à « favoriser le développement de relations commerciales, économiques, culturelles et scientifiques entre l’Etat d’envoi et l’Etat de résidence » selon la convention de Vienne. Plusieurs politiciens ont dénoncé cette relation particulière avec un dictateur. Ceci dit, c’est avant tout une manière bien facile et hypocrite de s’attaquer au MR. Nous attendons des commentaires aussi acerbes de la part de Véronique De Keyser (PS) ou de George Dallemagne (CDH) concernant la mission économique belge envoyée en 2012 au Kazakhstan…
Le racisme est une "réalité structurelle" en Belgique
L’ENAR (European Network Against Racism) a publié cette semaine un rapport intitulé "le racisme et les discriminations qui y sont associées en Belgique" à l’occasion de la Journée internationale contre le racisme. Selon la coordination nationale belge de l’ENAR, les communautés noire et musulmane ainsi que les gens du voyage sont les communautés les plus vulnérables face au racisme dans notre pays. Ce rapport dénonce "le racisme lourd en raison de la couleur de la peau" que subissent les populations "noires" tout en regrettant "qu’aucun rapport officiel n’apporte de chiffre ou d’analyse spécifique sur cette forme de discrimination". Il s’agit "d’un mouvement inquiétant" initié par "une coalition de partis conservateurs." Les secteurs les plus touchés par des faits présumés de discrimination sont l’emploi, l’enseignement, le logement et les médias, selon l’ENAR.
Londres annonce une baisse d’impôt pour les plus riches
Ce 21 mars, le budget 2012-2013 a été présenté par le ministre des finances britannique. Le gouvernement de coalition conservateur-libéral-démocrate vient de réduire le taux supérieur d’imposition sur les revenus de 50 % à 45 % pour les personnes gagnant plus de 179.500 euros par an, avec l’objectif de revenir le plus vite possible à un taux unique de 40 %. Pendant ce temps, les chômeurs de longue durée sont obligés de travailler gratuitement pour pouvoir continuer à percevoir leurs allocations de chômage… Comment mieux illustrer la guerre de classe actuellement à l’œuvre en Europe et dans le monde ?
«A tout moment la rue peut aussi dire NON !»
Voici un film de combats réalisé par les métallos Wallonie-Bruxelles de la FGTB. Il s’agit de 11 minutes d’images et de paroles de métallos en colère, un vidéo-tract qui sonne comme un avertissement, sur un rock prêt à mordre du groupe français Eiffel. Cette vidéo rappelle les actions et les combats récents menés par les militants et leur détermination à ne pas plier. Accéder à cette vidéo sur le site metallos.be
Le FMI fait quelques recommandations à la Belgique…
L’encre du conclave budgétaire de mars n’est pas encore sèche que le FMI propose déjà de nouvelles attaques ! Comme nous l’avons déjà dit, nous sommes face à une avalanche d’austérité, et elle ne s’arrêtera pas sans résistance ! Pour le Fonds Monétaire International, l’âge de la pension doit être relevé et l’indexation des salaires doit être revue. Rien que ça… Le prochain cheval de bataille de la Belgique doit être de booster sa position de concurrence, souligne le FMI. Quand s’arrêtera donc cette spirale négative ? Le gouvernement, toujours selon le FMI, doit maintenant se focaliser sur une restriction des dépenses dans les pensions, les soins de santé et l’emploi dans le secteur public.
ArcelorMittal : 138 % de bonus en plus
Selon le rapport annuel 2011, les dirigeants de la multinationale ont reçu 17,2 millions de dollars de rémunérations variables liées aux performances à court terme, contre 7,2 millions en 2010 (soit 138% de plus). Le bonus personnel de Lakshmi Mittal a augmenté de 199 % à lui seul… Durant la même année, le groupe a fermé ou annoncé la fermeture de plusieurs sites, notamment à Liège, à Rodange & Schifflange au Luxembourg et à Florange en France. Comment justifier de lancer un secteur économique aussi important aux mains de tels rapaces ?
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Tunisie : Nouvel essor de la lutte, alors que le gouvernement s’attaque aux syndicats
"Plus de peur, le pouvoir est aux mains du peuple" – Des dizaines de milliers de personnes dans les rues de Tunis pour exiger la chute du gouvernement
Le samedi 25 février, des milliers de personnes sont descendues dans les rues du centre-ville de Tunis, dans ce qui représente à n’en pas douter une des plus grandes démonstrations de force des masses révolutionnaires tunisiennes depuis des mois. Ceci fait suite à des raids physiques contre la fédération syndicale l’UGTT, qui ont avaient lieu dans différentes régions du pays les jours précédents (lire notre article à ce sujet). Ces attaques coordonnées, visant à essayer de détruire la capacité de résistance du syndicat contre l’agenda réactionnaire du nouveau régime pro-capitaliste dirigé par Ennahda, ont agi comme un déclencheur pour pousser les gens dans les rues en masse afin de défendre leurs droits et leur révolution.
Par des correspondants du CIO
Une réaction de défi contre le gouvernement
La protestation a commencé vers midi, sur la place Mohamed Ali, là où se trouve le siège de l’UGTT. Les centaines se sont rapidement transformés en milliers et, alors que la place était devenue trop étroite pour accueillir le nombre croissant de manifestants, la foule s’est déplacée vers l’avenue Bourguiba dans une marée humaine composée de travailleurs, des syndicalistes, des sympathisants de l’UGTT, d’organisations de gauche, de jeunes, de défenseurs des droits de l’homme, etc. Les femmes, inquiétées par les menaces croissantes sur leurs droits et libertés, étaient présentes en grand nombre.
"Le peuple veut la chute du régime", "Manifestations et affrontements jusqu’à la chute du gouvernement ", "Citoyens réveillez-vous, le gouvernement essaie de se jouer de vous!", "Ennahda dégage!", "Emploi, liberté, dignité nationale" , "Vive l’UGTT", "Pas touche à notre UGTT", "L’UGTT est la force réelle dans le pays", "Plus de peur, le pouvoir est aux mains du peuple", "Fidèles, fidèles au sang des martyrs " ; tels sont seulement quelques-uns des slogans criés par les manifestants, attestant de la réplique militante face au gouvernment, fortement soupçonné d’être derrière les actes de provocation et de vandalisme contre les bureaux de l’UGTT. A la pointe de la manif se trouvaient les travailleurs municipaux, impliqués dans une grève nationale depuis lundi dernier.
La colère des manifestants était également dirigée contre la tenue à Tunis de la Conférence des « Amis de la Syrie ». Cette initiative, parrainée par les puissances impérialistes et les cheiks du Golfe, est destiné à la planification de la période post-Assad en accordance avec les intérêts de ce gang de régimes criminels. L’influence croissante des régimes qatari et américain sur la politique tunisienne était également dénoncée par les manifestants.
"Une ambiance de 14 Janvier"
Les rapports dans les médias parlent de ce qui transparaît comme un tout petit nombre de manifestants lors de cette manif de samedi, de l’ordre de 3.000 à 5.000 personnes. Toutefois, un simple coup d’œil aux photos et aux vidéos prises lors de la manif, montrant une avenue bondée de manifestants portant bannières de l’UGTT, drapeaux rouges et tunisiens, portraits de Farhat Hached – le fondateur de l’UGTT, assassiné en 1952 par un groupe armé pro-colonial lié aux services secrets français et dont la tombe avait été vandalisée seulement deux jours avant la manifestation de samedi – est suffisante pour nier ces allégations ridicules.
Un partisan du CIO présent dans la manif mentionnait qu’il y avait "une ambiance de 14 Janvier", en référence à la date de la manifestation gigantesque qui avait pris place sur la même avenue en 2011, précédant de quelques heures le départ du dictateur Ben Ali. L’UGTT, qui parle de «dizaines de milliers de manifestants », est sans aucun doute plus proche de la réalité que certains médias pro-establishment, dont la capacité a dénigrer les actions des travailleurs n’a plus besoin d’être expliquée.
Répression policière sauvage
La fin de la manif a été marquée par lune importante violence policière déployée contre des manifestants pacifiques, ainsi que contre un certain nombre de journalistes et de passants. Lorsque la marche s’est approchée de l’infâme bâtiment du ministère de l’Intérieur, en scandant le slogan désormais familier, "Dégage!", la police est devenue de plus en plus nerveuse. Autour de 15 heures, après qu’une partie de la manif s’était dispersée, des gaz lacrymogènes, des insultes et des coups se sont déchaînés sur la foule, suivant ensuite un schéma bien connu, avec des groupes de policiers traquant arbitrairement les gens sur l’Avenue Bourguiba et les ruelles avoisinantes, et recourant à la violence aveugle, blessant et arrêtant plusieurs personnes dans la foulée.
Un témoin parle sur son blog d’ « images dignes d’une guerre au centre-ville… des hordes de policiers dont certains sont cagoulés et armés de bâtons et de matraques, lançant du lacrymo. Une férocité incroyable. Des blessés, des femmes et des enfants transportés en urgence à l’hôpital Charles Nicole… Atmosphère étouffante.. Les affrontements se poursuivent à l’heure qu’il est par les bourreaux de la république qui répriment gratuitement et illégalement une manifestation pacifique autorisée dans cette Tunisie post-révolutionnaire"
Une douzaine de journalistes ont été tabassés, une tentative évidente pour les empêcher de faire des rapports sur les abus policiers. Les actes de violence policière contre des journalistes ont subis une augmentation importante dans la période récente. Le SNJT (Syndicat national des journalistes tunisiens) a déclaré que «Les agressions répétées des journalistes entrent dans le cadre d’une stratégie visant à mettre la main sur les médias et à reproduire le scénario de l’oppression novembriste exercée par le dictateur Ben Ali».
Cela illustre une fois de plus la menace permanente de la brutalité d’un Etat policier omnipotent, mais aussi la vulnérabilité des manifestations si elles ne sont pas correctement encadrées. La répression policière et les provocations, qui visent à instaurer un climat de peur pour dissuader les gens d’assister aux manifestations de rue, a été une caractéristique constante durant la quasi-totalité des manifestations de taille importante qui ont eu lieu dans le centre de Tunis au cours de l’année écoulée.
Les leçons de tels événements doivent être tirées, afin d’éviter que cette stratégie de la police devienne un facteur important de démobilisation de larges couches. Les syndicats ont une responsabilité importante à faire en sorte que les manifestations qu’ils organisent soient encadrées et protégées de manière adéquate, avec des équipes disciplinées de stewards tout au long du parcours, armés de bâtons si nécessaire, pour défendre les manifestants et veiller à ce que tout mouvement engagé par ceux-ci soit fait de la manière la plus collective possible. Cela devrait empêcher que des individus vulnérables et sans défense, ou de petits groupes de personnes, puissent être ciblés et attaqués par des policiers lourdement armés, ou que certains jeunes soient poussés dans des réactions qui prennent la forme d’émeutes contre-productives.
Les dirigeants syndicaux doivent nommer une date pour une grève générale de 24 heures
La manifestation de samedi, malgré son succès, n’a montré qu’un petit aperçu de ce que le mouvement ouvrier organisé est capable. Bien que la manifestation était grande, il ne s’agit que d’une petite indication de ce que l’UGTT, forte de centaines de milliers d’adhérents, peut mobiliser, dans les rues aussi bien que sur les lieux de travail et dans les entreprises. Tout en donnant un signal fort, cette manifestation ne sera pas suffisante, en tant que telle, pour écarter les menaces contre-révolutionnaires qui pèsent sur les forces vives de la révolution, la classe ouvrière, la jeunesse révolutionnaire et sur leurs organisations.
C’est pourquoi ce combat ne peut être laissé sans suite, car il est clair que le gouvernement et ses partisans feront tout pour reprendre l’initiative, pour à nouveau essayer d’affaiblir le rôle de l’UGTT. Il n’y a pas de «négociation» ou de « dialogue » possible avec un gouvernement qui pratique une politique de la terre brûlée, visant à museler la classe ouvrière, saper les syndicats et envoyer ses voyous et la police contre ceux qui veulent maintenir en vie la révolution et ses objectifs.
Déjà, sur une station de radio privée, le Premier ministre Jebali a qualifié les participants à la marche de samedi de « résidus du RCD » (l’ex-parti unique au pouvoir), et a accusé des « hommes d’affaires » d’avoir financé le transport des manifestants vers la capitale pour protester contre le gouvernement.
Cette déclaration est une tentative consciente d’essayer de salir l’héritage combatif du puissant syndicat qu’est l’UGTT, ainsi que de sa résistance contre les diktats du nouveau régime. C’est aussi une insulte profonde a l’égard des centaines de milliers de militants syndicaux sincères qui ont joué un rôle crucial dans le mouvement révolutionnaire. Ce rôle héroïque de beaucoup de travailleurs a été joué en dépit du rôle traître des bureaucrates pro-Ben Ali qui ont dirigé le syndicat jusqu’à une date récente (dont certains ont eu le culot de se présenter a la manif de samedi), et qui ont contribué à saper pendant toute une période historique la lutte des travailleurs qu’ils étaient censés représenter.
L’élection, lors du dernier Congrès, d’une nouvelle direction de l’UGTT, qui est perçue comme plus militante, a été suivie par une croissance certaine des conflits du travail dans de nombreux secteurs et régions. Cela a convaincu la classe dirigeante de se livrer à des tentatives plus déterminées pour ‘dompter’ le syndicat.
La direction actuelle de l’UGTT ne devrait pas permettre que l’élan initié par la manifestation de samedi lui glisse des mains, mais doit au contraire entamer immédiatement une campagne visant à la construction d’un mouvement de masse capable de défier ce gouvernement pro-impérialiste et ses politiques néolibérales. Le slogan populaire dans la manif « Des manifestations et affrontements jusqu’à la chute du gouvernement » reflète la volonté d’un grand nombre, parmi les travailleurs et les couches populaires, d’engager une telle bataille sans compromission. Le potentiel pour une telle lutte pourrait rapidement être concrétisé par des couches importantes de militants de gauche, de syndicalistes, de jeunes et de travailleurs.
L’UGTT doit déployer tous ses efforts pour mobiliser toute sa puissance, ce qui ne peut se faire qu’en abordant non seulement les problèmes immédiats des récentes attaques contre ses locaux, mais aussi en liant cela avec les questions politiques et sociale plus générales qui forment la base de la frustration actuelle de millions de personnes, dont la révolution n’a pas conduit au changement fondamental qu’ils attendaient ou espéraient.
Le rôle de la gauche organisée dans ce processus est crucial, par exemple en encourageant l’UGTT à nommer sans plus tarder la date pour une grève générale de 24 heures. Des assemblées de masse, sur les lieux de travail, dans les usines et les quartiers, etc, dans tous les coins du pays, pourrait jouer un rôle clé dans la préparation d’une telle grève et permettre une véritable contribution de chacun à la lutte et à l’élaboration de sa stratégie. Un tel programme d’action combatif et déterminé pourrait susciter un grand enthousiasme parmi les masses, et leur donner la confiance que la bataille entamée est une bataille digne d’être menée.
- Non aux attaques contre l’UGTT et contre les droits démocratiques! Non à la violence policière!
- Non au détournement de la révolution! Non à une nouvelle dictature!
- Pour le renouvèlement de la lutte pour mettre fin au règne des patrons, des riches et de leurs représentants politiques. Pour la construction d’un mouvement de masse pour la chute de ce gouvernement, et pour la mise sur pied d’un gouvernement basé sur de véritables représentants des masses pauvres, de la jeunesse et de la classe ouvrière!
- Pour l’adoption par le mouvement d’un programme de nationalisation, sous contrôle démocratique des travailleurs, de toutes les grandes entreprises privées ; pour la planification des secteurs-clés de l’économie pour répondre aux besoins toujours pressants de la majorité de la population.
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Tunisie: Bas les pattes de l'UGTT !
- Contre le gouvernement pro-capitaliste et antisocial
- Pour la construction d’une grève générale de masse de 24H, en riposte aux attaques contre les syndicats et pour la défense des droits démocratiques
- Pour l’accomplissement des objectifs de la révolution
Ces derniers jours, plusieurs sièges de la centrale syndicale tunisienne UGTT ont été attaqués, saccagés, brûlés, ou ont été la cible de différents actes de vandalisme, tels que le déversage de déchets devant les bureaux du syndicat. Ce n’est pas une pure coïncidence que ces actes, répétés dans différentes régions du pays, ont lieu juste après le début d’une grève nationale de trois jours lancée par les employés municipaux affiliés à l’UGTT, parmi lesquels les éboueurs, grève qui a débuté le lundi 20 février pour exiger une amélioration générale des conditions de travail et des salaires.
Déclaration du Déclaration du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO/CWI)
Au bureau local du syndicat à Feriana, dans le gouvernorat de Kasserine, certains des agresseurs ont exigé du fonctionnaire local de l’UGTT d’ouvrir son bureau, en menaçant de le brûler dans le cas où il n’obtempérait pas. Par la suite, le bureau a été saccagé et brûlé, et des documents syndicaux officiels ont été détruits dans l’incendie. Les quartiers généraux de la centrale syndicale à Tunis, ainsi que plusieurs locaux régionaux et locaux du syndicat à Monastir, Kairouan, Kebili, Ben Arous, Douze, Thala et La Manouba, ont subis des attaques similaires.
Tant que la tête de l’UGTT était dominée par de serviles bureaucrates de droite pro-Ben Ali, la classe capitaliste pouvait vivre avec une telle situation. Cependant, depuis le récent Congrès de la centrale en décembre dernier, qui a vu l’élection d’un Bureau Exécutif bien plus hostile à Ben Ali et aux gouvernements provisoires qui se sont succédés depuis le début de la révolution, la situation a changé, les actions de grève et revendicatives se sont accélérées, et les tensions se sont accumulées entre l’UGTT d’un côté, et la nouvelle coalition au pouvoir de l’autre, laquelle s’appuie sur la vieille machine d’Etat qui, bien qu’ayant été coupée de certaines de ses figures les plus notoires, est en substance toujours celle de la dictature de Ben Ali.
Le caractère systématique de ces attaques suggère qu’il ne s’agit pas d’incidents isolés, mais d’une série d’attaques planifiées et coordonnées dans tout le pays, dans le but d’intimider et de briser l’esprit de résistance qui anime de larges couches de la classe ouvrière, résistance symbolisé par leur puissante centrale syndicale. En effet, à travers l’UGTT, c’est bien tous ceux qui persévèrent dans la lutte pour leurs droits sociaux et démocratiques, toutes les organisations et les individus qui sont déterminés à poursuivre et à approfondir la lutte révolutionnaire contre les tentatives des dirigeants actuels de la faire reculer, qui sont indirectement visés.
Ces actions vicieuses et préméditées sont destinées à paralyser l’opposition des travailleurs au nouveau gouvernement, et à son agenda pro-capitaliste visant à la restauration de ‘l’ordre’, au détriment des droits et des conditions de vie de la majorité des Tunisiens qui ont été au cœur de la révolution. Il s’agit d’une offensive calculée par des éléments liés à la nouvelle élite dirigeante, qui cherchent à mettre l’UGTT sous la botte de son régime, lequel est fondamentalement opposé aux intérêts de la classe ouvrière et des couches populaires.
Attaquer les bâtiments de l’UGTT est hautement symbolique, car ceux-ci ont toujours été une sorte de refuge contre la répression engagée par les différents régimes autoritaires tunisiens par le passé. Les affiliés de l’UGTT ont joué un rôle clé dans le mouvement de masse qui a fait tomber la dictature de Ben Ali, et, au début de la révolution en particulier, dans différents régions, c’est souvent à partir des locaux de l’UGTT que les premières mobilisations ont été organisées et sont parties.
En janvier 1978 déjà, après l’appel à la grève générale par l’UGTT, qui avait été l’étincelle pour un soulèvement populaire contre le régime de Bourguiba, celui-ci avait tenté de briser le syndicat et envoyé ses milices pour attaquer le siège du syndicat. Ces méthodes ont été répétées en 1985, au travers d’une campagne massive visant à détruire le syndicat, dans la suite de la répression des ‘émeutes du pain’ de 1984. Maintenant, une fois de plus, le régime tunisien, cette fois sous la façade d’un gouvernement ‘démocratiquement’ élu, a décidé de passer à l’offensive par une tentative d’intimider ce qui représente sa plus grande menace: la classe ouvrière organisée.
Les chiffres récents dévoilés par le Premier ministre Hamadi Jebali ont révélé que les 12 derniers mois ont vu 22.000 ‘mouvements de protestation’, avec 600.000 journées de travail perdues par des grèves. C’est exactement ce dont se plaint la classe capitaliste, dont la nouvelle coalition au pouvoir dirigée par le parti religieux Ennahda a promis de défendre les intérêts. Le gouvernement actuel préfère en effet défendre les intérêts de ses amis milliardaires Qataris plutôt que d’améliorer les conditions sociales de la majorité de la population. Et ce gouvernement s’empresse d’assurer qu’il paiera la dette contractée sous Ben Ali -et donc n’étant pas celle du peuple tunisien- (5 milliards de dollars pour la prochaine échéance, d’après la Banque centrale de Tunisie) tandis qu’il refuse de satisfaire les revendications des travailleurs et des masses.
L’UGTT occupe une position unique dans le Maghreb par sa force organisationnelle, et c’est bien pourquoi les exploiteurs, leurs nouveaux représentants politiques et les restes de l’ancien régime, tous rêvent de lui briser le cou.
Le secrétaire général du bureau syndical régional de Kasserine a affirmé qu’un groupe d’activistes appartenant à Ennahdha est venu dans la matinée au siège du syndicat le mardi pour protester contre la grève des employés municipaux, et que ce sont eux qui auraient mis le feu au bâtiment par la suite. Le communiqué publié par l’UGTT, pour sa part, a accusé les partis au pouvoir actuel de la volonté de « restaurer une dictature ». Sami Tahri, un porte-parole de l’UGTT, a fait remarquer qu’ « il s’agit d’un acte politique, bien organisé par le mouvement Ennahda. »
Bien que l’identité exacte des auteurs de ces attaques ne soit pas connue, il est hors de doute que la responsabilité première de ces actes repose sur les épaules de l’actuel gouvernement, de ces bailleurs de fond et de ces soutiens issus du monde de la finance et des grosses entreprises, et de leurs relais dans les médias et dans l’appareil d’État. La campagne idéologique de dénigrement contre le syndicat et contre les grèves et les sit-in, consistant à accuser les travailleurs, les chômeurs et les pauvres qui luttent pour leurs droits d’être responsables de la crise économique, du chaos et de la destruction d’emplois, a été systématique et perpétuelle dès le 14 janvier de l’année dernière, et a pris un ton de plus en plus agressif dans les dernières semaines.
À la fin du mois de janvier, Sadok Chourou, un éminent dirigeant d’Ennahda, a déclaré à l’Assemblée nationale que les grévistes étaient des ‘ennemis de Dieu’ et a ouvertement déclaré que la meilleure solution pour mettre fin aux grèves et aux sit-in consécutives était la force, suggérant, en citant un verset du Coran, de les exécuter ou de les crucifier, ou de leur couper une main ou une jambe.
Voilà tout ce qu’ont à répondre les riches dirigeants d’Ennahdha, face à des gens qui luttent pour en finir avec des conditions de travail dangereuses et insalubres, en particulier les éboueurs qui jouent un rôle majeur pour assurer la propreté des villes et des quartiers.
Les partenaires gouvernementaux d’Ennahda, le CPR et Ettakatol, qui ont été dans l’opposition à Ben Ali, vont-ils continuer à participer à un gouvernement qui s’attaque de front aux droits des travailleurs, des jeunes et des masses populaires, un gouvernement qui s’attelle à mettre peu à peu en place une nouvelle dictature ?
Zoubeir Ch’houdi, un porte-parole d’Ennahda, a déclaré que le ministère de la Justice a été chargé d’ouvrir une enquête pour déterminer qui se cache derrière les récentes agressions. Aucune confiance ne peut être mise dans un corps qui n’a guère été réformé depuis la révolution. Seul un organisme indépendant, composé de représentants véritables des travailleurs et des syndicats locaux, devraient être en charge d’une telle enquête.
Mais bien que nécessaire, cela ne sera pas suffisant. En plus de dénicher les coupables de ces attaques barbares, il y a une question beaucoup plus large qui est en jeu ici. La question de savoir comment renforcer le mouvement ouvrier et d’éviter que de telles attaques contre-révolutionnaires soient répétées dans le futur.
En juin de l’année dernière déjà, le CIO commentait: « Des forces de défense bien organisées par les travailleurs ont besoin d’être mises en place pour protéger les grèves et les actions contre les briseurs de grève, quelque soit leur origine. Toutes les manifestations, sit-in et autres protestations doivent être systématiquement encadrées par des militants volontaires ; les bâtiments syndicaux, qui ont été attaqués ou pillés à plusieurs reprises en de nombreux endroits, doivent être défendus de la même manière ». Cette remarque retient toute sa pertinence à la lumière des récents événements.
Déjà plusieurs manifestations locales, telles qu’à Bizerte, ont pris place dans les derniers jours contre ces attaques. Une grande manifestation, sous le slogan «Tout le monde avec l’UGTT contre la violence» est appelée pour ce samedi 25 Février. Le CIO soutient pleinement ces initiatives, mais pense aussi qu’une réponse plus audacieuse sera nécessaire pour poursuivre le combat. En effet, ces attaques prennent place dans un contexte plus large de menaces croissantes, de violence, de répression et d’intimidation contre les militants politiques, les organisations et associations de gauche, contre les femmes, et contre tous et toutes celles qui représentent le progrès et la lutte pour un avenir meilleur.
Une grève générale de masse de 24H pourrait vraiment permettre d’inscrire le mouvement ouvrier dans la situation, de réaffirmer sa force, de donner un nouvel élan à tous les opprimés qui se battent avec ténacité depuis des mois, de renforcer toutes les actions industrielles locales et les protestations en cours, et de les unir au travers d’une réponse puissante, organisée à l’échelle nationale. Cela donnerait une leçon solide à tous les ennemis de la classe ouvrière, comme premier avertissement en prévision de futures actions.
A cette fin, des assemblées générales et des réunions de quartier devraient être organisées, par l’UGTT et ses soutiens, et par tous ceux qui ne veulent pas voir se mettre en place une nouvelle dictature, pour s’organiser et mobiliser collectivement, pour cette action mais aussi pour ses suites, afin de discuter ensemble de la continuation de la lutte et des revendications, et de comment inscrire le mouvement dans la durée pour poursuivre la révolution jusqu’à la victoire.
Cela implique une lutte durable et conséquente non seulement pour la défense des droits démocratiques et syndicaux, mais aussi pour la réalisation des nombreuses revendications sociales, pour en finir avec la pauvreté, les bas salaires, le chômage de masse ! Pour un emploi décent pour tous et toutes avec un salaire permettant de vivre dignement, pour un logement décent pour tous et toutes, pour l’amélioration des infrastructures et pour des services publics de qualité et accessibles dans toutes les régions du pays, contre le paiement de la dette, pour une purge effective de l’appareil d’Etat et pour un gouvernement des travailleurs et des masses populaires.
Pour réaliser tout cela, en dernière instance, une rupture complète avec le capitalisme et un changement socialiste de la société seront nécessaires.
Le CIO apporte sa pleine solidarité à tous les travailleurs, les jeunes, les femmes, les chômeurs, et tous ceux qui en Tunisie continuent leur combat courageux contre l’exploitation, la misère et la violence imposée par le système actuel.
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Révolution et contre-révolution en Afrique du Nord et au Moyen Orient : leçons des premières vagues de mouvements révolutionnaires
Le Comité Exécutif International (CEI) du Comité pour une Internationale ouvrière (CIO) s’est réuni du 17 au 22 janvier 2011 en Belgique, avec plus de 33 pays représentés, d’Europe, Asie, Amérique Latine et Afrique. Daniel Waldron fait dans ce texte un rapport de la session consacrée aux mouvements révolutionnaires en Afrique du nord et au Moyen-Orient.
Daniel Waldron, Socialist Party (CIO Irlande)
L’onde de choc des mouvements révolutionnaires qui ont commencé en Tunisie en janvier 2011 s’est répercutée dans toute l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et à travers le monde. Cette vague de soulèvements a conduit au renversement de dictateurs dont certains dirigeaient leur État depuis des décennies, et a atteint presque tous les pays de la région. Les travailleurs et les jeunes du monde entier ont été inspirés par l’héroïsme et la détermination des masses et se sont identifiés à leur mouvement, du Wisconsin (aux Etats-Unis) au Nigéria. Un an après, le mouvement surnommé "Printemps Arabe" connaît une nouvelle phase.
Cela a constitué la trame de l’excellente discussion, introduite par Niall Mulholland et conclue par Robert Bechert du Secrétariat International, que nous avons eu au Comité Exécutif International du Comité pour une Internationale Ouvrière. On a pu voir parmi les contributeurs des camarades de pays d’Afrique du Nord et Moyen-Orient, et également des camarades du CIO qui se sont rendus en Egypte au moment des événements révolutionnaires en 2011.
Les représentants du capitalisme ont été pris de court par les mouvements révolutionnaires en Tunisie et en Égypte. Quelques mois à peine avant son renversement, le journal The Economist saluait encore Moubarak pour avoir apporté la "stabilité" dans la région. En d’autres termes, pour avoir agi en tant qu’agent fiable de l’impérialisme. Alors que Ben Ali avait déjà été renversé en Tunisie et que les masses égyptiennes avaient commencé leur révolte, ce torchon du capitalisme international clamait toujours qu’il ne tomberait pas. Mais il est bel et bien tombé. Les forces de l’impérialisme occidental n’étaient pas préparées et furent abasourdies alors que leurs alliés furent renversés, ne sachant rien faire d’autre que d’exprimer leur "soutien" tardif aux révoltes tout en essayant désespérément de garder le contrôle.
Le CIO n’a toutefois pas été surpris par les évènements bouleversants qui ont balayé la région. Dans les documents que nous avions adoptés suite à notre Congrès Mondial de décembre 2010, nous mettions en lumière la possibilité de mouvements convulsifs en Afrique du Nord et au Moyen Orient ; la région était telle une boîte d’allumettes, prête à s’embraser.
Ben Ali – le premier domino d’une longue rangée
Nous avions insisté sur le fait que sa population particulièrement jeune et appauvrie, opprimée par des régimes autoritaires incapables de leur offrir un meilleur avenir, pourrait être le déclencheur d’explosions sociales dans ce contexte de crise mondiale du capitalisme. Ces soulèvements n’ont pas été provoqués uniquement par une colère contre les dictatures ; ils étaient aussi le reflet du fait que les masses n’acceptaient plus l’existence misérable que le capitalisme est la seule à pouvoir leur apporter. Le dirigeant tunisien Ben Ali, représentant féru du capitalisme néolibéral, fut le premier de la liste à ressentir la force des mouvements de masse et à tomber.
Ben Ali s’est fait dégager 28 jours après le suicide tragique par immolation du jeune vendeur de rue Mohamed Bouazizi. Le dictateur a rapidement été suivi par son ancien premier ministre, Ghannouchi. Une semaine plus tard, le règne trentenaire de Hosni Moubarak en Egypte s’est lui aussi effondré. Alors que les images des manifestations sauvagement attaquées par la police d’Etat encore fidèle à l’ancien régime étaient diffusées autour du monde, on aurait pu croire que le renversement de ces dictatures était en fait un processus assez simple et linéaire : les masses prenaient la rue et refusaient de la lâcher tant que leurs revendications contre la dictature ne seraient pas satisfaites. L’occupation de la place Tahrir au Caire, par exemple, est devenue un véritable symbole et a directement inspiré les mouvements Démocratie Réelle ou Occupy.
Les manifestations massives et les occupations ont évidemment joué un rôle clé ; mais le facteur décisif dans le succès des révolutions égyptienne et tunisienne a été l’implication de la classe ouvrière organisée. Malgré le fait que les dirigeants de la confédération syndicale UGTT étaient fortement incorporés au régime de Ben Ali, un degré important d’action indépendante et d’opposition à la dictature existait localement et nationalement. La classe ouvrière égyptienne, la plus nombreuse de la région, a une vraie tradition de mouvements puissants et indépendants.
Dans ces deux pays, des comités de travailleurs ont émergé dans les lieux de travail et les usines. Cette méthode d’auto-organisation s’est étendue aux places, aux villes et aux villages, donnant une cohésion au mouvement et lui apportant tant une base organisationnelle qu’une capacité à répondre efficacement aux attaques du régime. Par exemple, lorsque des gros bras pro-Moubarak armés ont essayé de reprendre la place Tahrir début février 2011, cela a déclenché une grève générale dans tout le pays, paralysant le régime, renforçant le mouvement, et qui a rapidement mené au départ de Moubarak.
A l’inverse de l’Egypte et de la Tunisie, l’absence de mouvements massifs de la classe ouvrière a été une faiblesse des soulèvements révolutionnaires dans les autres pays ; et a notamment amené à des affrontements avec le régime qui se sont révélés beaucoup plus longs, compliqués et sanglants. En Libye, le mouvement contre le régime de Mouammar Kadhafi a commencé dans la ville de Benghazi. Au début, il avait l’allure d’un soulèvement populaire. Des comités du peuple émergeaient dans la ville. Pourtant, l’absence d’organisations indépendantes des travailleurs (torpillées par le régime brutal de Kadhafi) ont affaibli la capacité du mouvement à surmonter les profondes divisions ethniques et tribales existant dans le pays. Même si la révolte s’est étendue à Misrata et à d’autres villes, elle est restée relativement isolée et divisée.
Le rôle de l’impérialisme en Libye
Les forces de l’impérialisme se sont vite regroupées et ont utilisé le blocage de la révolution libyenne comme moyen pour intervenir afin de s’assurer qu’elle se développerait sans menace pour leurs intérêts dans la région. Kadhafi avait été inclus dans les petits papiers des pouvoirs occidentaux, en échange d’un accès aux ressources en pétrole du pays, mais l’impérialisme pouvait bien voir que sa capacité à apporter la "stabilité" à la région était à l’agonie. Ils s’unirent alors pour promouvoir une opposition pro capitaliste autour de Benghazi, comprenant de récents détracteurs du régime, sous la forme du Conseil National de Transition.
Alors que les masses à Benghazi, dans la phase initiale de la révolution, étaient clairement opposées à une intervention impérialiste, le CNT a supplié les forces occidentales d’intervenir. Leurs médias, notamment par la voix d’Al Jazeera (messager du régime qatari pro impérialiste), ont mené une campagne de propagande pour exagérer la menace posée pas l’armée de Kadhafi et augmenter la popularité de l’intervention occidentale.
Le CIO n’a pas succombé à la pression, comme tous les marxistes auraient dû l’analyser, mais a justement expliqué que l’impérialisme ne pouvait pas jouer de rôle progressiste dans la situation. Leur seul but était d’installer un régime clientéliste suffisamment fiable pour ne pas apporter une quelconque liberté ou améliorer le quotidien des masses libyennes. Seul un mouvement massif des travailleurs et des pauvres libyens pouvait apporter un véritable changement.
Et ce que nous avions dit s’est révélé être juste. La campagne de bombardement qu’a mené l’OTAN a freiné le mouvement. Pire encore, de nombreux éléments de guerre civile se sont développés ; avec des caractéristiques raciales et tribales. Des atrocités ont été commises, tant d’un côté que de l’autre. Kadhafi a été destitué, au bonheur de beaucoup. Mais il a été remplacé par un « gouvernement » du CNT non représentatif. Les tensions ethniques dans le pays se sont aggravées, notamment avec l’émergence de milices tribales. Il se pourrait qu’on assiste à une partition sanglante du pays autour de conflits sur les ressources naturelles, à moins qu’une alternative basée sur les intérêts communs des travailleurs et des masses pauvres soit construite.
La Syrie
De manière similaire en Syrie, le mouvement contre le régime d’Assad a été freiné par l’absence d’organisations unifiées de la classe ouvrière et des pauvres. Non content de réprimer brutalement le mouvement (on reporte plus de 5000 tués par les forces de l’Etat et un usage répandu de la torture), Assad a invoqué des chimères de bain de sang sectaire pour décourager les minorités alawites et chrétiennes de s’engager dans le soulèvement.
L’impérialisme occidental et les élites sunnites qu’ils sponsorisent dans la région aimeraient assister à la destitution d’Assad ; car cela affaiblirait l’influence et le pouvoir du régime Iranien. Cela a notamment été reflété dans l’appel fait à Assad pour qu’il se retire de la Ligue Arabe (d’habitude impuissante), mais aussi dans les sanctions économiques qui ont été prises et qui auraient coûté au régime deux milliards de dollar, selon les estimations. Comme en Égypte, une opposition pro-occidentale est en train d’être préparée pour prendre le pouvoir ; en l’occurrence sous la forme du Conseil National Syrien. Toutefois, le déclenchement de conflits sectaires une fois Assad tombé pourrait avoir de sérieuses conséquences pour les intérêts de l’impérialisme dans la région, et une forme de compromis avec Assad n’est pas à exclure.
Les derniers mouvements des masses tunisienne et égyptienne les ont vues revenir sur la scène de l’Histoire dans une tentative de changer fondamentalement la société. Les emblèmes des dicatures qu’étaient Ben Ali et Moubarak, ainsi que tellement d’autres de leurs alliés, ont été balayés. Cependant, même si les anciens régimes ont été ébranlés jusque dans leurs fondements, ils n’ont pas encore été détruits. Les vieilles élites qui soutenaient ces régimes restent intactes dans leur large majorité, malgré la détermination des masses.
En Tunisie, l’élite a offert Ben Ali et par la suite Ghannouchi en sacrifice pour pacifier les mouvements révolutionnaires et les empêcher de menacer la position même de la classe capitaliste. En Égypte, les dirigeants de l’armée, un des piliers de l’Etat, ont été incapables d’étouffer la révolte ; et sont de fait intervenus pour prendre le pouvoir « au nom du peuple ». Parmi de larges couches des masses révolutionnaires, il n’y avait que peu de confiance dans les intentions des élites et un véritable désir d’aller vers un changement complet de la société. Mais en l’absence d’un parti de masse de la classe ouvrière avec un programme clair pour une transformation révolutionnaire de la société, l’énergie des masses épuisées a été dissipée, et les classes dirigeantes furent en capacité de regagner un certain degré de contrôle.
Malheureusement, la vague révolutionnaire n’a trouvé que des forces défaillantes dans la gauche socialiste. Les maoïstes de l’UGTT, dont l’influence est considérable, ont adopté une approche dite étapiste, clamant qu’un capitalisme libre et une démocratie bourgeoise devaient être développés avant que des revendications pour la classe ouvrière et le socialisme soient mises en avant. Ce qui ne correspondait en rien à l’attitude des travailleurs tunisiens, dont les revendications portaient sur de meilleurs salaires et conditions de travail, la nationalisation de l’énergie ; ainsi que des éléments de contrôle ouvrier. Plutôt que d’appeler à une coordination des conseils des travailleurs et des pauvres pour former la base d’un gouvernement révolutionnaire, les maoïstes ont filé le train à l’opposition libérale.
La gauche en Égypte
En Égypte, une majeure partie de la gauche se traînait aussi derrière le mouvement. Ils tendaient à suivre la direction imposée pas les Frères Musulmans et d’autres forces d’opposition pro capitaliste, dont certains dirigeants appelaient à la formation d’un « gouvernement de salut national » au lieu d’un gouvernement révolutionnaire qui représenterait les intérêts des masses. Mais les dirigeants des Frères Musulmans se sont continuellement dirigés contre la gauche.
Les élections parlementaires dans les deux pays ont vu la victoire de forces religieuses de droite (Ennahda en Tunisie et les Frères Musulmans en Égypte). Le parti salafiste Al Nour en Égypte a aussi gagné des voix. Ce n’était en rien une issue inévitable. Au moins au début, Ennahda et les Frères Musulmans se sont tenus à l’écart des mouvements. Il y un an, Ennahda ne pesait que 4% dans les sondages et leurs slogans religieux ne rencontraient pas d’écho parmi les masses. La montée de ces forces reflète le vide politique énorme qui existe, et qui pourrait potentiellement être rempli par un parti de la classe ouvrière doté d’un programme pour un changement socialiste.
Alors que les médias occidentaux agitaient le spectre de la menace de l’« Islam politique » pendant les soulèvements révolutionnaires, il est clair que ces forces ne représentent pas une menace mortelle face aux intérêts de l’impérialisme. D’ailleurs les deux partis ont adopté des positions pro-occidentales. Le régime qatari a joué un rôle direct dans la sélection du gouvernent Ennahda. Les Frères Musulmans ont annoncé qu’ils voulaient modeler la « nouvelle » Égypte comme le régime pro-capitaliste de l’AKP en Turquie.
L’élection de ces gouvernements ne mettra pas fin au processus révolutionnaire engagé en Afrique du Nord. Au contraire, il est clair qu’on assiste à un renouveau des luttes de la classe ouvrière et des pauvres. La souffrance quotidienne des masses n’a fait que s’approfondir depuis la chute des dictateurs ; le coût de la vie et le chômage ayant augmenté. Les travailleurs et les jeunes n’accepteront pas calmement que la vie continue ainsi, dans la pauvreté, même avec de nouveaux dirigeants. Le sentiment que la révolution a été « volée », qu’il en faudrait une deuxième ou une troisième, grandit.
La tentative de l’élite militaire égyptienne de contrôler les élections et la nouvelle Constitution afin qu’elle leur soit favorable a provoqué de gigantesques conflits avec les travailleurs et jeunes révolutionnaires. Malgré une répression massive avec des milliers d’arrestations, ils furent forcés de faire des concessions. Après les élections, il y a eu encore plus de conflits avec le régime pendant l’anniversaire de la révolte. Les illusions qui existaient dans le caractère « pro-populaire » des dirigeants de l’armée ont volé en éclats chez de plus en plus d’Egyptiens. L’organisation indépendante de la classe ouvrière et les actions dans les usines se développent.
L’élection du nouveau gouvernement tunisien a été suivie de manifestations massives pour de meilleures conditions de vie. Une grève générale se prépare dans une importante région minière, où des éléments de pouvoir ouvrier existent aujourd’hui. Les travailleurs continuent de se battre obstinément pour des améliorations concrètes et immédiates dans la santé, l’éducation et toute une série d’autres domaines ; et ce malgré la forte désapprobation des dirigeants de l’UGTT.
Le rapport de forces régional
La vague révolutionnaire a terrorisé le régime d’Israël, menaçant de déstabiliser le rapport de forces régional, déjà fragile. Le mouvement des masses égyptiennes en particulier a posé la possibilité de développer des liens de solidarité avec le peuple palestinien – malgré l’approche conciliante des Frères Musulmans et de l’armée envers Israël. Netanyahou a tenté de soulever les questions nationalistes et la peur des masses arabes parmi la population juive pour essayer de dompter l’agitation qui régnait en Israël et de préparer la population à la possibilité d’excursions militaires pour défendre l’élite nationale. Mais en vain.
Le mouvement des tentes qui a balayé Israël pendant l’été était une preuve remarquable de la capacité qu’ont les mouvements révolutionnaires à dépasser les divisions ethniques, religieuses, sectaires et nationales. Le mouvement a englobé une énorme proportion de la population et beaucoup de ceux qui se sont retrouvés directement impliqués ont naturellement connecté leur lutte avec celle des masses à travers la région. Alors que les dirigeants n’apportaient ni objectifs clairs ni stratégie, le mouvement exprimait le rage que les travailleurs et les jeunes juifs ressentent par rapport à la minuscule élite corrompue qui dirige le pays. Dans des endroits comme Haifa, le mouvement a eu beaucoup de soutien de la part des Palestiniens. Ceci montre la possibilité de construire un mouvement unifié des travailleurs à travers la région et de trouver une solution socialiste et démocratique à la question nationale.
L’expérience de la première vague de mouvements révolutionnaires a augmenté la conscience politique des travailleurs et des jeunes en Égypte et en Tunisie et peut paver la route pour de nouveaux soulèvements. Cela donnerait une nouvelle vigueur aux mouvements en Syrie, au Yémen, en Iran et dans toute la région. De plus en plus de personnes tireront la conclusion que pour avoir un futur décent et une vraie démocratie, la classe ouvrière et les masses pauvres doivent prendre le pouvoir en leurs propres mains, rompre avec l’impérialisme et briser le système capitaliste lui-même. Si l’immense richesse et toutes les ressources de la région étaient reprises des mains des élites corrompues et parasitaires et planifiées démocratiquement par les travailleurs et les pauvres, les conditions de vie des masses pourrait être rapidement transformées.
La construction de partis de travailleurs qui unifieraient les masses pauvres autour d’un programme pour un changement socialiste et révolutionnaire de la société est une nécessité urgente. Les forces du CIO et les marxistes dans la région travaillent à cet objectif ; et peuvent croître pendant la prochaine période de défis auxquels la classe ouvrière et les jeunes se trouveront confrontés.
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[INTERVIEW] Tunisie : Un an après la chute de Ben Ali “Les masses continuent la lutte”
Le 14 janvier dernier marquait le premier anniversaire de la chute du dictateur détesté Zine El Abidine Ben Ali, suite à la révolution Tunisienne. Nous avons eu la chance de pouvoir discuter avec deux socialistes authentiques qui militent en Tunisie et qui sympathisent avec les idées politiques du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO).
Par Nico M. (Bruxelles)
Socialisme.be : Pouvez vous décrire la situation aujourd’hui en Tunisie ?
La Révolution n’est pas un simple acte isolé, c’est un processus. Ce processus continue aujourd’hui, ce qu’on peut d’ailleurs voir avoir la nouvelle vague de protestations qui prennent place en Tunisie et spécialement depuis ce début d’année. Chaque jour se déroulent à travers le pays de nouvelles protestations contre les autorités, de nouvelles grèves pour de meilleures conditions sociales, des sit-ins pour exprimer les plaintes.
L’anniversaire de la Révolution a débouché sur ce qui semble être la plus grosse vague de mobilisations depuis un an, avec à certains endroits un caractère presque insurrectionnel. Dans la région minière autour de Gafsa, la situation est explosive, avec des grèves et des manifestations régulières et certaines villes autogérées par les habitants.
Une grève générale régionale a également pris place pendant 5 jours dans le gouvernorat (région) de Siliana, dans le sud, entre le 13 et le 18 janvier, afin de protester contre la pauvreté et la marginalisation sociale de la région.
”Révolution”, en arabe, ça signifie une rupture complète, fondamentale avec le passé; mais cela ne s’est pas encore produit. Les conditions pour la majorité n’ont pas fondamentalement changé. Toutes ces protestations illustrent que la population doit continuer à lutter. Les conditions objectives dans la société qui ont causées cette poussée révolutionnaire sont toujours d’actualité. Dans beaucoup d’aspects de la vie quotidienne de la majorité, elles sont mêmes actuellement pires. Le chômage a littéralement explosé, ce qui fait que ce thème est en première ligne des revendications de la population.
Depuis le 14 janvier de l’année passée, il y a eu 107 cas d’immolation à travers le pays, dont 6 au moins durant les premières semaines de 2012. La plupart d’entre eux sont des chômeurs, désespérés et prêts à tout pour trouver un emploi.
Il n’y a pas eu de rupture fondamentale avec l’ancien système. En conséquence il est clairement prévisible que les gens continuent de lutter. Il est clair que la révolution – lorsque les gens cherchent des changements réels et font éruption sur la scène politique pour les imposer – est toujours vivante.
Socialisme.be : Après la première étape de la révolution, pouvez vous dresser un bilan de ce qui a été gagné et de ce qui reste à gagner ?
La première chose à noter est que la classe capitaliste se fondait sur l’ancien régime du président Ben Ali pour défendre ses intérêts. Quand Ben Ali a été éjecté, les capitalistes ont été initialement déstabilisés. Faisant face à une révolution qui mettait à mal leur existence sociale, ils ont dû concéder d’importantes revendications, plus particulièrement vis-à-vis de la sphère politique, afin de restaurer un certain contrôle.
Sous la pression des mobilisations, un grand nombre de figures dirigeantes de l’appareil d’Etat ont été virées, l’ex-parti dirigeant – le RCD de Ben Ali – a été dissout, etc. Le mouvement était si puissant que même les commentateurs des médias capitalistes ont été forcés d’admettre qu’il s’agissait d’une révolution.
Cependant, depuis la première vague révolutionnaire, il y a eu une tentative consciente des capitalistes, de concentrer l’attention sur les seules questions de démocratie, de représentation politique, et de ne rien concéder à propos des fondations sociales fondamentales du capitalisme. Il y a également eu une grosse campagne idéologique présentant les élections comme une réussite. La campagne de propagande de la part de la bourgeoisie fut incroyable autour de ces élections, afin de les présenter comme un aboutissement. L’establishment a tenté de pervertir l’opinion publique en parlant notamment d’un taux de participation de 90% dans tous les médias. Ces chiffres ont été inventés, parce qu’ils avaient besoin d’illustrer un angouement pour ces élections. La réalité est qu’une partie de la population ne croyait pas en ces élections, même si le sentiment de pouvoir voter pour la première fois sans la pression du régime était bien présent.
Avec ces différents éléments, la classe capitaliste a déployé ses efforts pour faire dérailler le processus révolutionnaire vers les voies sécurisées de la ”légalité”, vers la constitution et les institutions existantes sous l’ancien régime. Ce furent les jeunes et les travailleurs révolutionnaires qui ont imposé les élections pour une nouvelle Assemblée Constituante après la deuxième occupation massive de la place Kasbah.
La majorité n’a pas d’objectifs clairs quant à la direction que doit prendre la société, la conscience politique est assez mitigée. Les masses tentent de naviguer à travers la pauvreté quotidienne et la bureaucratie d’Etat corrompue qui pèse sur eux. Cependant, beaucoup réalisent qu’en éjectant seulement les leaders de l’ancien régime, leurs conditions de vie n’ont pas amélioré et ne vont pas fondamentalement le faire.
Les gens sont en colère et frustrés par l’absence de progrès. Beaucoup ont perdu des proches dans la révolution et voient que ces sacrifices ont été détournés par la classe dirigeante. Même les familles des martyres n’ont pas eu droit à une réelle justice. Un grand nombre d’assassins sont toujours libres, dont l’identité de certains est clairement connue.
Les personnes blessées par la répression d’Etat au début de l’année se sont vues refuser l’accès à une assistance médicale adéquate. 90% des gens qui se sont fait tirer dessus ont toujours les balles dans leurs corps à cause du manque de traitement médical sérieux! Beaucoup ont depuis perdu leur emploi, voire même leur vie. Dans certains cas, la police a même était envoyée contre eux lorsqu’ils protestaient.
Socialisme.be: La presse a fait couler beaucoup d’encre à propos de la victoire électorale des partis islamistes. Quel est le regard des socialistes authentiques à ce propos?
Le parti religieux ”modéré” Ennahda est le principal vainqueur des élections parlementaires de décembre dernier. Il a fait des gains au détriment d’autres partis en exploitant les questions sociales urgentes de la majorité : pauvreté, chômage, etc.
Ennahda a aussi été capable de convaincre beaucoup d’électeurs que les autres partis ”laïques” étaient ”anti-religieux” et voulaient attaquer l’islam. Cela a été possible car la plupart des partis ”laïques” ont poussé à ce que le débat se focalise sur ce sujet, si bien que les questions sociales n’ont pas été réellement abordées.
Ennahda a aussi acheté des votes avec l’argent du régime du Quatar ou d’autres pays. Les membres d’Ennahda ont promis aux électeurs des cadeaux de toutes sortes, comme des moutons pour les sacrifices de la fête ‘Aid al-Adha’. Quand ces promesses ne se sont pas matérialisées, elles ont déclenché des protestations.
Ce n’est pas qu’Ennahda est une force importante dans la société, c’est d’avantage le fait que les autres partis d’opposition sont très faibles. Ainsi Ennahda a été capable de remplir le vide politique.
Cependant, Ennadha risque de perdre son soutien s’il s’avère incapable d’améliorer les conditions sociales des pauvres. Et il ne peut pas en être autrement, vu que la politique d’Ennahda n’est rien d’autre qu’une nouvelle version de la politique de l’ancien régime. Beaucoup de gens sont en train de tirer de telles conclusions. En janvier, Ennahda a tenté d’installer des figures associées à l’ancien régime à la tête des médias publics. Cela a provoqué un tel tollé qu’ils ont du reculer.
Ennahda a d’ailleurs déjà fait l’expérience de la chute de soutien dans les sondages, passant de 41% à 28%. Une certaine couche du soutien électoral à Ennahda se retrouve d’ailleurs dans les rues pour protester contre le parti pour lequel ils ont voté. Cela ne signifie pas un effondrement automatique du soutien à l’aile droite de l’islam en général – des ailes plus fondamentalistes essayent également de se positionner – par contre, cela illustre qu’une partie significative des électeurs d’Ennahda n’est pas construite sur une base solide.
La première chose qu’a dit le premier ministre ne concernait ni les chômeurs, ni les problèmes sociaux. Il a déclaré en premier lieu qu’il allait renforcer l’amitié et les accords de la Tunisie avec l’Union Européenne et les USA, que les nouveaux dirigeants seraient des alliés de l’OTAN dans la région. Ensuite, le premier ministre s’est rendu à la Bourse afin de rassurer le monde de la finance et de la spéculation. Le gouvernment ne remet pas en cause la mainmise des firmes étrangère sur l’économie.
Le programme d’Ennahda, c’est le plan du jasmin concoté par le G8, un programme tout fait, discuté dans les salons de Washington avant même la création d’Ennahda et que ce parti a repris tel quel, point par point, chiffre par chiffre. Nous pensons qu’Ennahda est une carte jouée par la bourgeoisie tunisienne et l’impérialisme étranger. Dans l’Histoire, dans différents pays, l’islamisme politique a été l’instrument destiné à contrer une percée de la gauche. Cette carte de l’islmamisme politique se résume à “qui va prendre le pouvoir sans remettre en cause les intérêts du capitalisme dans la région”. Ce n’est pas anodin qu’un parti qui n’existait pas le 14 janvier, qui n’a pas pris part au processus révolutionnaire, remporte les élections avec 40%.
Socialisme.be : Les travailleurs, au travers d’actions de grèves, ont joué un rôle décisif dans la révolution. Quelle est la situation maintenant dans le mouvement ouvrier ?
En décembre 2011, un nouveau bureau national a été élu à l’UGTT (Union Générale Tunisienne du Travail). C’est important car cette nouvelle direction se trouve aujourd’hui en ”guerre froide” avec le gouvernement. Parmi les 13 membres de ce nouveau bureau, 9 prétendent être issus des traditions marxistes.
L’UGTT est potentiellement plus puissant que n’importe quel parti du pays et, dans une certaine mesure, la nouvelle direction comprend cela. Bien que cette nouvelle direction ne soit pas révolutionnaire, même si elle provient d’une tradition marxiste, qu’elle ne fait pas référence dans ses activités quotidiennes ou sa propagande à la transformation socialiste de la société, elle est néanmoins beaucoup plus à gauche que l’ancienne direction et n’est pas directement associée à l’ancien régime, comme c’était le cas de l’ancienne direction.
Un certain nombre de ces nouveaux dirigeants viennent d’un milieu militant, ils savent que la crise du système capitaliste aggrave les attaques contre la classe ouvrière et sont plus sensibles aux sentiments des travailleurs de la base. Ils sont du coup sous pression pour adopter le langage de la lutte des classes et adopter une position plus radicale vis-à-vis du nouveau gouvernement.
Aujourd’hui, des luttes de travailleurs explosent un peu partout en Tunisie, y compris dans les secteurs clés de la classe ouvrière, par exemple dans l’industrie du gaz où un blocage du port de Gabès a pris place. Le secteur pétrolier a aussi été frappé par des actions de grèves. Les travailleurs et les pauvres ont été impliqués dans des blocages de voies ferrées, de routes. Les chiffres indiquent qu’il y a quatre blocages routiers par jour en moyenne. Il y a eu des sit-in et dans certains cas des grèves de la faim pour améliorer les conditions de travail et revendiquer plus d’emplois.
Ça fait un an que les revendications ont été mises en avant, des manifestations ont pris place, la classe ouvrière a tout fait pour se faire entendre, sans résultats. Aujourd’hui, il est normal que la tension augmente, que les situations se crispent. A Gafsa par exemple, pendant un mois, aucun véhicule ou personne liée à l’Etat n’a pu entrer. La classe ouvrière sent l’anarque, voit que la transparence n’est toujours pas de mise.
Plusieurs luttes ont abouti. Par exemple, dans le secteur universitaire, il y a eu une confrontation sur la question de la légalisation du Niqab à l’université, une demande des salafistes. Les syndicats étudiants et ceux des enseignants se sont mobilisés et ont bloqué cette revendication. Dans son budget, le gouvernement a aussi tenté de couper 4 jours de salaires chez les fonctionnaires, la lutte a permis de les faire reculer sur cela aussi. Ce dernier point démontre aussi clairement quel est le caractère réel du programme d’Ennahda.
Ces grèves ne portent pas seulement sur des revendications sociales ou économiques mais ont un caractère politique également, revendiquant l’éviction des fonctionnaires corrompus ou des dirigeants liés à l’ancien régime, ciblant l’impuissance du nouveau gouvernement à répondre à leurs revendications.
Le principal défi est de transformer l’UGTT en un organe combatif et démocratique pour l’organisation de la classe ouvrière, ce qui implique aussi de l’orienter vers les masses de chômeurs en colère, et d’adopter un programme offensif capable de contester la domination du capitalisme.
Bien sûr nous ne sommes pas utopiques. Sans un parti de masse des travailleurs capable de constituer un levier pour parvenir à une révolution socialiste, toutes sortes de perspectives peuvent prendre place. C’est pourquoi construire un tel parti est aujourd’hui la tâche la plus importante pour les révolutionnaires.
Les puissances impérialistes veulent présenter la Tunisie comme un modèle démocratique d’une transition contrôlée par les capitalistes. L’impérialisme serait paniqué si un mouvement des travailleurs se dirigeait vers le contrôle de l’économie. C’est un scénario qu’ils veulent éviter à tout prix avec les conséquences que cela aurait pour toute la région. C’est pourquoi il y a une telle campagne médiatique idéologique agressive pour attaquer les travailleurs en grève, une campagne qui vise à effrayer la population, expliquant que les grèves et les sit-in repoussent les investisseurs et détruisent des emplois, etc.
Ceci dit, cette campagne semble n’avoir qu’un impact limité sur la classe ouvrière. Les capitalistes ont cru qu’avec un nouveau gouvernement élu, ils auraient suffisamment d’autorité pour amener la paix sociale. L’appel du nouveau Président de la République pour une ”trêve sociale de 6 mois” reflète cela. Mais ça ne prend pas. La pression mise sur le gouvernement par les luttes et les grèves se poursuit et pourrait déboucher sur une aide financière impérialiste au gouvernement tunisien avec l’objectif de calmer la situation. Mais la conjoncture économique générale réduit leurs marges de manœuvres.
Socialisme.be : Quel rôle ont joué les forces de gauche en Tunisie ?
Dans l’Histoire, la gauche a joué un rôle central dans beaucoup de luttes importantes de la classe ouvrière et pour les acquis sociaux, y compris pour les droits des femmes et pour fournir un système de santé public.
Il y a maintenant beaucoup d’organisations à gauche. Cependant, le test décisif aujourd’hui en Tunisie est l’application d’un programme socialiste pour faire avancer les luttes des travailleurs.
Le pays pourrait connaître une période ”à la grecque” de luttes prolongées en raison de l’absence d’un parti de masse des travailleurs armé d’un programme socialiste, afin de diriger le mouvement vers une contestation du système capitaliste.
Il ne peut y avoir de solution permanente aux problèmes de la société sous le capitalisme. Les forces de gauche qui soutiennent qu’une étape préliminaire de ”capitalisme démocratique” est nécessaire avant de parler de socialisme, trompent la classe ouvrière. Le capitalisme est uniquement intéressé par l’exploitation des travailleurs, et non par la mise en place d’une réelle démocratie. La seule issue à cette impasse pour les travailleurs est l’instauration du socialisme. Concrètement, un programme socialiste se base sur le plein emploi avec le partage du travail, sur des investissements publics massifs dans l’infrastructure, sur l’obtention de conditions de vie décentes pour tous, sur le contrôle ouvrier dans l’industrie et les banques,… Malheureusement, la gauche ne met pas en avant un programme clair sur ces questions.
Pour répondre à ces questions, le groupe qui sympathise avec le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) en Tunisie revendique le non-paiement des dettes nationales contractées par l’ancien régime, la nationalisation des banques et de l’entièreté des richesses de l’ancienne classe dirigeante sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière et de la population qui a fait la révolution. Actuellement, nous militons pour l’organisation d’une grève générale comme premier pas pour unifier tous ceux qui luttent dans les différentes parties du pays en une seule illustration de leur puissante force.
Socialisme.be: Quel message voulez-vous donner aux travailleurs qui combattent les mesures d’austérité et la crise du capitalisme dans les autres pays ?
Après la révolution, les médias se sont ouverts un peu en Tunisie. A la place des traditionnels matchs de foot, nous avons également pu voir à la TV les luttes des travailleurs en Europe, comme en Grèce. La Grèce est en Europe ce qu’a été la Tunisie dans le Maghreb et la région, dans le sens que les luttes des travailleurs ont été une énorme source d’inspiration.
En Angleterre, par exemple, il y a eu récemment un recrue des grèves des travailleurs et des syndicats après une relative longue période de calme. C’est très significatif, cela illustre aussi les limites de la propagande dominante et à quel point la situation peut tourner si les travailleurs s’organisent et prennent leur destin en main.
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Les révoltes mondiales contre ce système sans perspective suscitent la recherche d’une alternative (2)
Révolution et contre-révolution
46. Cela exige une habile dose de dialectique afin de commencer à comprendre cette crise. Les vieilles certitudes sont dépassées par les contradictions que se sont accumulées sous la surface depuis des années. Des contradictions apparentes ne sont, d’un autre côté, que leurs propres compléments dialectiques. Ce qui hier fonctionnait encore bien, est aujourd’hui totalement bloqué. Les impasses et les changements de rythme vertigineux des processus graduels, leur revirement soudain et brusques transformations, caractérisent la situation. Nous nous trouvons dans une période de révolution et de contre-révolution, dans laquelle l’être humain se débarrasse de sa vieille enveloppe qui ne suffit plus aux besoins, dans ce cas le capitalisme. Des siècles auparavant, les révolutions prenaient la forme de déménagements massifs de population et par la suite, de guerres religieuses. Malgré les passions religieuses avec lesquelles elles étaient couplées, à ce moment-là aussi les conditions matérielles étaient la force motrice derrière ces processus. Que ce soit maintenant au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, ou bien en Chine, aux États-Unis, au Chili ou en Europe méridionale, les mouvements qui se sont déroulés cette année et sont toujours en cours, sont un dérivé direct de la Grande Récession.
47. De puissants groupes médiatiques, une oppression dictatoriale brutale et la mesquinerie religieuse ne pouvaient pas empêcher le fait que les conditions matérielles ont finalement poussé les masses à surgir sur la scène politique. Cela s’est produit contre toute attente de la part des dirigeants locaux et de leur large appareil policier, de l’impérialisme et aussi des militants locaux. Mohammad Bouazizi n’était certainement pas le premier jeune chômeur en Tunisie à s’être immolé en guise de protestation contre le manque de perspectives. Sa mort a été la goutte qui a fait déborder le vase. En fait, quelque chose couvait déjà sous la surface depuis le grand mouvement de grève dans les mines de Gafsa en 2008. À ce moment là, Ben Ali était encore parvenu à isoler et étouffer le mouvement. Cela avait aussi à voir avec les bonnes relations que les dirigeants de la fédération syndicale UGTT entretenaient depuis des années avec la dictature. Le RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique, le parti de Ben Ali) n’a été que le 17 janvier expulsé de l’“Internationale socialiste”, trois jours après la démission de Ben Ali.
48. Les 500 000 syndicalistes ne sont cependant pas restés insensibles avant l’explosion sociale qui s’est répandue à partir du 17 décembre à vitesse grand V de Sidi Bouzid à tout le reste du pays. Malgré le fait que la direction nationale ait menacé de poursuite judiciaire, les sections locales et régionales ont pris part aux protestations et ont souvent offert un cadre organisateur. En une semaine, les dissidents avaient gagné toutes les sections. Les protestations se faisaient de plus en plus bruyantes. Le régime a réagi avec une répression brutale, mais le mouvement avait surmonté sa peur. Cela a causé la division au sein de la clique dirigeante. Au final, même l’armée a dû être retirée de Tunis de sorte qu’elle ne soit pas contaminée. Les troupes de sécurité ont tenté de créer le chaos afin de discréditer le mouvement et de le diviser. Dans les quartiers, des comités de sécurité ont été établis en réponse à cela, et ensuite des comités pour le démantèlement du RCD, des comités pour le ravitaillement, etc. Les dirigeants d’entreprise se voyaient refuser l’accès à leur entreprise en raison de leurs liens avec le régime de Ben Ali.
La révolution enfle
49. Les marxistes décrivent une telle situation comme une situation de “double pouvoir”. Pour la bourgeoisie et l’impérialisme, il fallait supprimer le pouvoir de la rue et à nouveau canaliser le pouvoir vers ses institutions fiables. Pour le mouvement en Tunisie et pour le mouvement ouvrier international, il s’agit de ne plus laisser ce pouvoir s’échapper. De cela découle notre appel à élargir les comités, à les structurer de manière démocratique, et à les réunir sur les plans local, régional et national afin de poser la base pour une nouvelle société, avec une nouvelle constitution révolutionnaire. Un petit parti révolutionnaire de quelques dizaines de militants aurait pu changer le cours de l’Histoire avec un tel programme. Cela n’était hélas pas le cas. Les partis et groupes de gauche qui y étaient bien présents, ont choisi soit un soutien critique au gouvernement temporaire, soit d’orienter le mouvement vers les urnes et d’attribuer la question de la constitution à un comité pluraliste de “spécialistes”.
50. Leur argument a été le classique « D’abord la démocratie, et puis on verra après pour le socialisme ». Il y a toujours bien une raison : pour ne pas défier l’impérialisme, pour conserver l’unité des démocrates, ou parce que les masses n’étaient pas prêtes. Cela reflète un manque de confiance dans le mouvement ouvrier et dans la capacité des masses. Ils ont laissé passer le moment. Les comités ont néanmoins été rapidement imités en Égypte et d’ailleurs aussi en Libye. En Égypte, est arrivée la construction de camps de tentes permanents qui fonctionnaient comme quartier général de la révolution. Cela a été un exercice en autogestion avec leurs propres équipes média, équipes communication, service d’ordre et même à un moment donné une prison improvisée. Ici il n’y avait aucune trace de la bestialité de la clique dirigeante. Ici il semblait clair que les soi-disant groupes de lynchage étaient l’oeuvre d’agents provocateurs du régime. Les coptes et musulmans égyptiens y travaillaient de manière fraternelle les uns avec les autres et se protégeaient les uns les autres pendant les services religieux. Ce n’est que par après que le vieux régime, via l’armée, a pu reprendre un peu plus de contrôle, que les tensions religieuses se sont à nouveau enflammées.
51. C’était une caractéristique frappante du mouvement qu’il ait pu transcender les contradictions nationales, religieuses, tribales et ethniques avec un énorme sentiment de respect et de liberté. Ce sentiment pour le respect s’est également exprimé dans le rôle proéminent des femmes. Il y avait évidemment divers degrés, mais ce phénomène s’est produit dans toutes les révolutions, que ce soit en Tunisie, en Égypte mais aussi au Bahreïn, au Yémen, en Syrie et dans d’autres pays de la région. Dans chaque révolution, il y a des moments où les masses partent en confrontation directe avec l’élite dirigeante. La plupart prennent la forme d’une marche sur le parlement, le palais présidentiel, le ministère de la Défense, et autres institutions qui symbolisent le pouvoir dirigeant. Cela s’est passé à Tunis, au Caire, à Sana’a (Yémen), et à Manamah (Bahreïn). C’était ici que le manque d’un programme c’est exprimé de la manière la plus criante. Une fois arrivés sur place, les manifestants ne savaient en effet plus par quoi d’autre commencer. Ils restaient à trépigner sur place, puis finissaient par rentrer chez eux.
52. Trépigner sur place, ce terme a parfois été pris de manière très littérale. L’occupation de la place Tahrir, de la place Parel (à Manamah), et de tant d’autres places symbolise ceci. On sentait par intuition qu’on ne pouvait pas simplement rester là. Les travailleurs occupaient leurs entreprises, les communautés avaient pris le contrôle de leur quartier, mais le moment de la prise du pouvoir, ils l’ont laissé filer. On a estimé la contribution des travailleurs sans doute importante, tout comme celle des mosquées ou des bloggers, mais la révolution, celle-ci appartenait au “peuple”. Le caractère de classe de la société n’avait pas assez pénétré. On s’est battu contre le chômage et la pauvreté, pour de meilleures conditions sociales, pour la liberté et pour la démocratie, mais on n’a pas encore compris que c’est contre l’organisation capitaliste de la société qu’il faut lutter si on veut tout cela. On a vu les travailleurs comme une partie de la population, pas encore comme avant-garde d’une nouvelle organisation de la société sur base de la propriété collective. Les travailleurs eux-mêmes ne se voyaient pas comme ça, parce qu’il n’y avait aucune organisation ouvrière, aucun syndicat et encore moins de partis qui puissent ou qui veuillent donner une expression à cela en termes de programme et d’organisation.
53. Dans une telle situation, le vieux pouvoir, après avoir fourni les quelques sacrifices symboliques exigés, rétablit petit à petit son emprise. Les masses ont cependant développé une énorme énergie, ont surmonté leur peur, et sont devenues conscientes de leur propre force. En outre, les conditions matérielles vont continuer à les encourager à chaque fois à rentrer en action de nouveau. Une chance énorme a été perdue, mais la lutte n’est pas terminée. La prise du pouvoir n’est plus en ce moment en tête de liste à l’ordre du jour, mais la construction de syndicats, de partis ouvriers et surtout aussi de noyaux révolutionnaires, n’est pas seulement nécessaire, mais sera beaucoup mieux compris par la couche la plus consciente. De plus, une couche de militants va observer de manière beaucoup plus attentive les nuances qu’elle avait encore considérées comme peu importantes pour le mouvement.
L’impérialisme reprend pied dans le pays
54. L’impérialisme était encore en train de mener une guerre d’arrière-garde avec les partisans d’Al-Qaeda, lorsque les masses ont jeté par-dessus bord ses pantins dans la région et ont ainsi réalisé en quelques semaines ce qu’al-Qaeda n’a jamais pu faire. Il a perdu tout contrôle. Les masses dans la région étaient d’ailleurs très conscientes du fait que Moubarak, Ben Ali et autres dictateurs étaient maintenus en place par l’impérialisme. Il a fallu la brutalité du régime de Kadhafi en Libye pour que l’impérialisme puisse à nouveau prétendre jouer un rôle dans la région. Au début, les jeunes de Benghazi, qui avaient commencé la révolution, avaient laissé savoir à la presse internationale qu’ils ne souhaitaient aucune ingérence de la part de l’impérialisme. Bientôt apparaissaient cependant les drapeaux royalistes et des chefs rebelles autoproclamés, ex-laquais de Kadhafi, partaient rendre visite à l’Élysée.
55. Kadhafi a sauté sur l’occasion pour semer le doute quant aux objectifs des rebelles. Cela lui a donné la possibilité d’infléchir le conflit social et politique en un conflit militaire, avec sa propre armée armée jusqu’aux dents. À l’est du pays, cela a fait croitre l’appel à un soutien militaire d’Occident, et les ex-laquais de Kadhafi ont vu leur chance pour pouvoir arracher l’initiative hors des mains de la jeunesse révolutionnaire. Cela a duré plus longtemps et couté plus cher que l’impérialisme avait prévu au départ. Il est loin d’être sûr qu’ils parviendront à stabiliser la situation. La Libye pourrait bien devenir le seul pays de la région dans lequel le fondamentalisme islamiste parvienne à accéder au pouvoir. Il y aura bien des courants qui ainsi justifieront leur soutien à Kadhafi. Ils affirmeront que l’entrée triomphale du “libérateur” Sarkozy, est une mise en scène. C’est d’ailleurs bien possible. Ils s’apercevraient cependant mieux que Sarkozy et l’impérialisme n’auraient pas pu prendre l’initiative sans la brutalité de Kadhafi.
56. Le président syrien, Assad, a suivi dans les traces de Kadhafi. L’impérialisme ne va pas y intervenir aussi rapidement, à cause du danger de déstabiliser la région. Il est cependant certainement à la recherche d’une alternative à Assad, sans doute en préparation du résultat d’une probable guerre civile. Ici aussi un soutien, même critique, au régime brutal d’Assad, en guise de ce qui voudrait passer pour une rhétorique anti-impérialiste, serait une faute capitale pour la gauche et ne ferait que pousser les masses dans les bras de l’impérialisme. La manière dont l’impérialisme en revanche est déjà ouvertement en train de se partager le butin en Libye, même avant que Kadhafi ne soit renversé, illustre à nouveau le fait que le mouvement ouvrier international ne peut jamais donner la moindre confiance en l’impérialisme, et donc pas non plus ni à l’OTAN, ni à l’ONU, pour défendre ses propres intérêts. Dans nos textes, nous faisions allusion aux troupes révolutionnaires de Durruti en 1936, pendant la Révolution espagnole, afin d’illustrer ce qui aurait pu être entrepris dans une telle situation.
Révolution permanente
57. On ne peut pas être socialiste, si on n’est pas en même temps internationaliste. Les mouvements sociaux ont toujours eu une tendance à passer outre les frontières nationales. Le processus de mondialisation et les nouveaux médias ajoutent une dimension supplémentaire à cela. En Chine, le régime a pris des mesures pour étouffer dans l’oeuf toute contagion par le mouvement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Au Chili aussi, mais avec beaucoup moins de succès. Même les travailleurs et jeunes américains grèvent désormais “like an Egyptian”, entre autres au Wisconsin. Ils construisent des campements en plein dans l’antre du lion, à Wall street, et n’ont plus peur de la répression. Les syndicats sont de plus en plus impliqués. Même les travailleurs et jeunes israéliens ont donné une claque à tous ceux qui pensaient que dans ce pays vivait une grande masse réactionnaire sioniste. Cela confirme notre thèse selon laquelle le fossé entre la bourgeoise sioniste et les travailleurs et jeunes israéliens s’approfondit. Pour les masses palestiniennes, voilà leur allié le plus important.
58. Le centre du mouvement est clairement passé de l’Amérique latine au Moyen-Orient, à l’Afrique du Nord et surtout à l’Europe. L’Amérique latine a déjà servi dans les années ’80 de laboratoire pour le néolibéralisme. Cela y a mené à des mouvements de masse. Dans toute une série de pays, comme au Venezuela, en Bolivie, et en Équateur, sont arrivés au pouvoir des régimes dont les agissements n’ont pas été du gout de l’impérialisme. Ils se sont en général basés sur un populisme de gauche, ont pris tout une série de mesures sociales importantes, et malgré le fait qu’aucun d’entre eux n’ait complètement rompu avec le capitalisme, ils ont été une source d’inspiration pour de nombreux travailleurs partout dans le monde.
Révolte en Europe
59. Les recettes que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international gardaient pour le “tiers monde”, ont été après la crise de 2008 appliquées pour la première fois dans un État-membre de l’UE, d’abord dans les nouveaux, puis dans les plus anciens. Comme cela était encore requis, cela a été le test ultime de la loyauté de la social-démocratie envers la politique néolibérale. Elle a réussit avec la plus grande distinction. La réaction du mouvement ouvrier ne s’est pas fait attendre. Il y a eu des manifestations et des grèves massives en protestation contre l’austérité illimitée dans presque chaque pays de l’Union européenne. Ce n’est pas la combativité qui manque. La stratégie des dirigeants syndicaux a cependant en général été un plaidoyer en faveur d’une austérité moins dure, d’une répartition plus équitable des pertes et d’une austérité qui n’entrave pas la croissance. Toute action a été aussi freinée et sabotée que possible. Malgré le fait que l’austérité touche tous les secteurs, les mouvements spontanés ont été isolés autant que possible. Aucune perspective n’a été offerte quant à une possibilité de victoire. C’est comme si on fait grève et manifeste, seulement pour confirmer que l’on n’est pas d’accord avec la politique d’austérité mise en oeuvre, mais sans mot d’ordre clair, sans parler d’une alternative.
60. Ici et là les directions syndicales ont été obligées d’appeler à des grèves générales. Mais ce surtout des grèves appelées en vitesse et d’en haut qui, malgré la participation massive, sont peu ou pas du tout préparées, et qui ne sont pas orientées vers la construction d’un véritable rapport de force. En général ils servent tout au plus à laisser échapper de la vapeur. Dans ces mobilisations, les travailleurs sentent leur force potentielle, mais réalisent qu’il n’y a aucune stratégie derrière elles afin d’assurer une victoire. En Grèce, nous sommes entretemps à la 12ème journée de grève générale, mais le gouvernement n’a pas été ébranlé d’un millimètre. Cela mène à la frustration envers les dirigeants, qui sont désormais déjà aussi fortement haïs par leur base que les politiciens qui appliquent l’austérité. Certaines centrales qui adoptent une attitude plus combative, telle que la FIOM (Federazione Impiegati Operai Metallurgici – Fédération des ouvriers salariés métallurgistes), la centrale des métallos en Italie, membre de la CGIL (Confederazione Generale Italiana del Lavoro), ou bien quelques syndicats britanniques dans les services publics comme le PCS et le RMT (le Public and Commercial Services union et le National Union of Rail, Maritime and Transport Workers), peuvent cependant compter sur une approbation enthousiaste. Aux Pays-Bas, il n’est pas exclu que l’on voie une scission entre la FNV (Federatie Nederlandse Vakbeweging – Confédération syndicale néerlandaise) et ses deux plus grandes centrales, la FNVbondgenoten (centrale de l’industrie) et la Abvakabo (Algemene Bond van Ambtenaren / Katholieke Bond van Overheidspersoneel – Centrale générale des fonctionnaires / Centrale chrétienne du personnel étatique) sur base de la question des pensions. Nous pouvons nous attendre à ce que la lutte de classe dans la période à venir se répande également au sein des structures syndicales, avec l’expulsion des militants combatifs, mais aussi le remplacement des vieux dirigeants usés par de nouveaux représentants plus combatifs.
61. Les attaques sont cependant si dures et si généralisées que de nombreux jeunes et aussi de nombreux travailleurs ne peuvent ou ne veulent pas attendre que les choses soient réglées à l’intérieur des syndicats. Certains ne croient tout simplement plus en le fait que les syndicats puissent encore un jour devenir un instrument de lutte, encore moins pour pouvoir obtenir un véritable changement. Il faut dire que les dirigeants ne font pas le moindre effort pour réfuter cette impression. On dirait bien qu’ils sont heureux d’être libérés de ce fardeau. Toute une série de jeunes et de travailleurs se reconnaissent dans le mouvement de la place Tahrir. Ils croient que les syndicats et les partis sont des instruments du siècle passé, qui par définition mènent à la bureaucratie, aux abus et à la corruption, et que maintenant une nouvelle période est arrivée, celle des réseaux et des nouveaux médias. Il faut bien dire que ces réseaux peuvent être exceptionnellement utiles aux syndicalistes aussi, afin de pouvoir briser la structure verticale bureaucratique au sein de leurs syndicats.
62. Les nouvelles formations de gauches sont encore moins parvenues à apporter une réponse. Elles devraient se profiler en tant que partis de lutte qui formulent des propositions afin d’unifier tous les foyers de résistance et de contribuer à l’élaboration d’une stratégie qui puisse mener à une victoire. Au lieu de cela, ces nouvelles formations, dans le meilleur des cas, se contentent de courir derrière le mouvement. Elles voient la lutte sociale non pas comme un moyen de mobiliser de larges couches pour une alternative à la politique d’austérité, mais espèrent uniquement obtenir de bons scores électoraux sur base du mécontentement. C’est une grave erreur de calcul. Elles se profilent en tant qu’aile gauche de l’establishment politique, comme le Bloco de Esquerda au Portugal, qui ne va pas plus loin que la revendication de la renégociation de la dette, ou comme le PCP (Parti communiste portugais), qui ne dénonce que la répartition injuste de l’austérité. La plupart de ces nouvelles formations de gauche, comme Syriza en Grèce, le SP hollandais, ou Die Linke en Allemagne, viennent maintenant d’effectuer un virage à droite. Tandis que le monde se retrouve sens dessus-dessous, le NPA est hypnotisé par les prochaines élections présidentielles.
63. En intervenant avec tact dans le mouvement des indignados et autres mouvements qui prennent place en-dehors des mouvements sociaux traditionnels, ces nouvelles formations de gauche pourraient convaincre ces jeunes du fait qu’il ne faut pas faire l’amalgame entre la légitime aversion envers les politiciens et les dirigeants syndicaux et la base syndicale, et de la manière dont fonctionnerait un parti démocratique de la classe ouvrière. Au lieu de cela, elles restent absentes, ou participent à titre individuel. Il y a pourtant besoin d’une coordination entre les différents mouvements de protestation et d’une orientation vers la seule classe qui puisse réaliser le changement de société, la classe ouvrière. Il n’y a pas de meilleur moment pour discuter et mobiliser autour de la seule revendication capable de mettre un terme à la casse sociale : la fin du remboursement de la dette aux banques. Ce n’est que par la nationalisation des secteurs-clés de l’économie, et en particulier du secteur de la finance, sous le contrôle démocratique du personnel, que la collectivité pourra mobiliser l’ensemble des forces productives dans la société et accorder un emploi et un salaire décent pour chacun.
64. Les mouvements en-dehors des structures officielles sont très explosifs, mais ils ont aussi la tendance à rapidement s’éteindre. Les énormes contradictions et les attaques continues de la part de la bourgeoisie engendrent cependant toujours plus de nouveaux foyers. Il y a des similitudes avec le mouvement antimondialisation du début de ce millénaire. C’était surtout un mouvement contre la répartition inéquitable, mais de manière abstraite, la partie officielle du mouvement oeuvrait surtout à des issues afin de tempérer le “capitalisme sauvage”. Les dirigeants syndicaux ont soutenu, tout comme les ONG, tandis que les travailleurs étaient plutôt observateurs que participants actifs. La crise économique est maintenant présente de manière bien plus proéminente. Le mouvement exprime des questions qui portent sur le système lui-même. Ce n’est plus seulement une protestation, mais aussi un appel au changement. Les travailleurs ne sont plus observateurs, mais participants actifs. Les dirigeants syndicaux, les ONG et les universitaires ne jouent clairement plus le même rôle central. Cela concerne maintenant nos emplois, nos salaires, nos vies. La volonté de changement et la composition sociale du mouvement mène également à la recherche d’une alternative. C’est la caractéristique la plus importante.
65. Il est clair que les jeunes et les travailleurs adoptent de manière intuitive une position internationaliste. La crise frappe partout. Il n’y a aucune solution possible dans le cadre d’un seul pays. Même si le CIO n’a pas partout les quantités numériques que nous avions au milieu des années ’80, notre poids relatif à l’intérieur du mouvement ouvrier organisé est aujourd’hui plus fort qu’à ce moment-là. Nous avons des militants dans la plupart, si pas dans tous les pays où les travailleurs et les jeunes sont en mouvement, certainement en Europe. Dans un certain nombre de pays, nous jouons un rôle important, quelquefois décisif au sein des syndicats ou dans les mouvements étudiants. Nous avons la chance de disposer d’une série de figures publiques saillantes, aussi de parlementaires, y compris dans le Parlement européen. Nous devons saisir cela afin de recadrer notre lutte à l’intérieur de celle pour une fédération socialiste des États d’Europe.
66. La faiblesse de la gauche peut mener à des actes de désespoir tels que les émeutes au Royaume-Uni, que la droite ne se prive pas d’utiliser pour susciter un soutien social en faveur de plus de répression. Le populisme de droite va utiliser la défaillance de la gauche et le plaidoyer pour une austérité plus douce pour se projeter en tant que soi-disant barrage contre la casse du bien-être de la population autochtone travailleuse. La période à venir va cependant faire pencher le pendule plus à gauche. Le mouvement que nous avons vu jusqu’à présent n’est qu’un signe avant-coureur de nouvelles explosions de masses, dans lesquelles le mouvement ouvrier va se réarmer politiquement et organisationnellement. Même une poignée de socialistes de lutte tenaces et bien préparés peut jouer un rôle déterminant dans cela. La faillite de l’Argentine en 2001 a mené à des mouvements de masse. En 18 mois, il y a eu 8 grèves générales. Puis on suivi des occupations d’entreprise. Les jeunes chômeurs, les piqueteros, construisaient chaque jour des barricades dans les rues. Les classes moyennes qui voyaient leurs économies s’évaporer sont descendues en masse dans les rues avec des pots et des casseroles, les carcerolazos, comme on les a appelés. Le 19 décembre 2001, des masses de chômeurs et de travailleurs précaires ont attaqué les supermarchés pour satisfaire leur faim. Le gouvernement a appelé à l’état d’urgence. Un jour plus tard, a eu lieu une confrontation de dizaines de milliers de manifestants avec la police. Il y a eu des dizaines de morts, et des centaines de blessés. En deux semaines, se sont succédé cinq présidents.
67. Hélas, il manquait un parti révolutionnaire avec une alternative socialiste. Lorsque le mouvement social s’est terminé dans une impasse, beaucoup de gens se sont concentrés sur le terrain électoral. Luis Zamora, un ex-trotskiste avec un soutien de masse, n’aurait pas gagné les élections, mais a pu avoir utilisé son influence dans les élections pour mobiliser des milliers de travailleurs et de jeunes et avoir fait un début avec la construction d’un parti ouvrier socialiste. Zamora a hélas décidé de ne pas participer et s’est mis de côté dans cette lutte. Le contexte international dans lequel ce mouvement a pris place était cependant du point de vue de la bourgeoisie bien plus stable qu’aujourd’hui. De la même manière, nous pouvons nous attendre dans les années à venir à des mouvements explosifs qui peuvent prendre toute une série de formes possibles et de plus, auront un bien plus grand effet international. De temps à autre, ce mouvement se traduira plutôt sur le plan électoral, comme avec l’élection des cinq parlementaires de l’Alliance de gauche unie en Irlande. Pour nous, la lutte ne s’arrête pas là, mais il s’agit d’employer ce terrain aussi au maximum et d’utiliser les positions conquises en tant que tribune pour renforcer la lutte sociale.