Tag: Belgique

  • Travailler plus longtemps pour le même salaire?

    Emploi

    LES DERNIERS mois ont été féconds en exigences patronales, toutes plus exorbitantes les unes que les autres. Semaine de 40 heures sans augmentation de salaire; suppression des prépensions; gel des salaires; assouplissement des heures supplémentaires; annualisation du temps de travail; des crédits-temps à payer de notre poche;… La bourgeoisie belge s’apprête à emboîter le pas aux Pays-Bas et à l’Allemagne qui imposent des mesures d’austérité «historiques». Le patronat belge ne veut pas être en reste.

    Peter Delsing

    Chez Siemens en Allemagne, les syndicats ont été mis au pied du mur en juin: soit le passage des 35 heures aux 40 heures/semaine sans augmentation de salaire, soit la délocalisation en Hongrie avec la perte de 2000 emplois à la clé. La direction syndicale s’y est finalement résignée. Daimler Chrysler et Thomas Cook ont aussitôt emboîté le pas à Siemens. En France et aux Pays-Bas aussi, les patrons «brisent les tabous». En Belgique, la FEB (Fédération des Entreprises de Belgique) pense également qu’il faut «débattre» de la semaine de 40 heures sans augmentation de salaire. Paul Soete, administrateur-délégué d’Agoria, assène que «nous devons choisir entre travailler plus ou perdre notre emploi»(1).

    Le problème avec cette logique de concurrence, c’est qu’on n’en voit pas la fin. En Pologne, le salaire mensuel moyen est de 460 euros. Faudra-t-il s’y aligner?

    Si le phénomène de la délocalisation est réel, il ne faut cependant pas le surestimer. Dans son rapport annuel de 2003, la Banque Nationale dit que les 10 nouveaux Etats-membres de l’UE – à l’exception de la Slovénie – ont une balance commerciale déficitaire. La BN ajoute que les investissements étrangers directs en Europe de l’Est (donc y compris les délocalisations) «commencent à se raréfier». Les investissements directs de l’UE y ont baissé successivement en 2002 et 2003. Les menaces de délocalisation ne sont souvent rien d’autre qu’un chantage mensonger des patrons.

    Dans une tribune de La Libre Belgique, Paul Soete va droit au but: «Mais revenir par exemple dans les secteurs de l’industrie technologique à 40 heures, permettrait de réduire le coût horaire moyen de 7,4%».(2) Les patrons veulent diminuer leurs coûts – à nos frais – pour rester compétitifs vis-à-vis de la concurrence internationale.

    Dans les pays concurrents, on dit la même chose aux travailleurs. Nous ne pouvons pas faire nôtre la logique de profit et de concurrence des patrons sous peine de perdre tous nos acquis. La politique néo-libérale de baisse des allocations et des salaires réels, de flexibilité à outrance, de hausse de la pression du travail,… est à l’oeuvre depuis les années ’80. La grande majorité des salariés, des chômeurs, des pensionnés,… ont vu reculer leur pouvoir d’achat et leurs conditions de vie et de travail. Après 25 ans de politique néo-libérale de régression sociale, les patrons et leurs gouvernements n’ont rien trouvé de mieux qu’un plan d’austérité encore plus drastique. Quel aveu d’échec !

    La Belgique est le pays le plus productif au monde à l’exception des Etats-Unis. Un allongement de la semaine de travail ne fera qu’augmenter le stress. Ce n’est pas ça non plus qui va aider les gens à trouver du travail alors qu’il y avait à la fin de l’année passée 1.143.500 allocataires à charge de l’ONEm. Certains patrons, comme ceux de l’industrie automobile où le marché est déjà saturé, proposent le «gel des salaires» comme alternative à l’allongement de la semaine de travail. Soete (Agoria) et De Muelenaere (Confédération du Bâtiment) plaident en choeur pour l’annualisation du temps de travail. De Muelenaere le dit sans ambages: «C’en est fini des horaires hebdomadaires uniformes pendant toute l’année». (3)

    Herwig Jorissen, qui est pourtant une figure droitière de la FGTB, a dit que l’allongement de la semaine de travail n’était «pas négociable». (4) Cela reflète la pression de la base. Chez Marechal Ketin à Liège, le personnel a rejeté à l’unanimité une proposition de la direction en ce sens. Chez Volkswagen à Forest en revanche, la FGTB tente d’éviter 200 licenciements en liant la baisse du temps de travail à une baisse des charges salariales pour le patron. Cela sape pourtant les fondements de la sécurité sociale qui serait déjà confrontée à un déficit d’un milliard d’euros.

    Les patrons se servent de l’allongement de la semaine de travail comme d’un bélier pour battre en brèche tous les acquis sociaux. Si la logique du capitalisme est incompatible avec les besoins de la majorité de la population, alors il faut en finir avec elle. Nous devons remettre à l’ordre du jour la vieille revendication syndicale de la semaine des 32h avec embauche compensatoire obligatoire pour commencer à résorber le chômage. Sans perte de salaire: on a déjà pris plus qu’assez dans nos poches pendant 25 ans. Seule la formation d’une tendance combative au sein des syndicats, prolongée sur le plan politique par un nouveau parti ouvrier avec des dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes dans ses rangs, permettra d’en finir avec les profits d’une petite élite et l’enrichissement d’une minorité au détriment de la grande majorité.



    (1) De Morgen, 19/8/2004

    (2) La Libre Belgique, 12/8/2004

    (3) De Standaard, 25/8/2004

    (4) De Morgen, 19/8/2004

  • Energie: Libéraliser pour payer plus cher

    Comme nous l’avions prédit, la libéralisation en Flandre du marché de l’énergie n’a pas provoqué une baisse des prix, bien au contraire! Selon un récent sondage de TestAchats, il ressort que depuis la libéralisation, une famille dépense en moyenne 50 euros de plus mensuellement pour se fournir en électricité.

    Karel Mortier

    Pour la plupart des utilisateurs, le gaz naturel est également plus cher qu’avant. De plus, avant la libéralisation, les communes percevaient annuellement quelques 250 millions d’euros; mais depuis la libéralisation, ces rentrées ont quasiment disparu. Dès lors, un certain nombre de villes et de communes ont augmenté les taxes et sabré dans le budget des services sociaux afin de compenser les pertes.

    Une cause importante de la montée des prix de l’énergie est la position quasi monopoliste d’Electrabel. D’après Luc Barbé, le chef de cabinet de l’ancien secrétaire d’Etat à l’énergie Olivier Deleuze (Ecolo), l’actuel gouvernement devrait garder délibérément les prix de l’énergie élevés en Belgique afin qu’Electrabel puisse utiliser ces revenus pour s’agrandir à l’étranger. De cette manière, il pourrait écraser ses concurrents qui finiraient par crouler sous les dettes.

    Pour les partis bourgeois, la baisse des prix de l’énergie reste cependant le principal argument en faveur de la libéralisation. Selon Steve Stevaert la libéralisation est «une bonne chose pour les gens» car ils devront moins payer de leur poche. Et maintenant qu’on en voit les résultats, la réponse de la social-démocratie est …libéralisons encore plus!

  • Turnhout. Non à la violence nazie dans nos quartiers!

    Manifestation à Turnhout le 18 septembre:

    Non à la violence nazie dans nos quartiers!

    LE 7 FEVRIER une fête de musique rap se déroulait dans la maison de jeunes de Turnhout De Wollewei. Une bande de jeunes fascistes a soudain investi la fête. Ils venaient chercher la bagarre en criant des slogans racistes et en faisant à plusieurs reprises le salut hitlérien, alignés en rang d’oignon. Plus tard, après avoir semé la pagaille dans le quartier alentour, ils ont été embarqués par la police.

    Simon Van Haeren

    Une deuxième action d’intimidation, encore plus violente, a eu lieu le 20 mai, de nouveau lors d’une fête au Wollewei. Des jeunes d’origine immigrée ont été tabassés en rue, d’autres ont été dévalisés. Partout dans le quartier, ce n’étaient que dégradations, vitres brisées,… Comme la police devait d’abord appeler des renforts, les skins fascistes n’ont été arrêtés qu’après avoir semé le désordre dans la ville pendant une bonne partie de la soirée.

    Entre ces deux dates et depuis lors, il y a encore eu des incidents mineurs avec des skins locaux, mais ce sont surtout les faits ci dessus qui ont choqué et dégoûté beaucoup de gens.

    Vlaams Blok?

    A première vue, ce n’est qu’un ramassis de fêlés qui sèment la pagaille à Turnhout. On trouvera pourtant aisément un lien avec le Vlaams Blok. Cela n’a rien d’étonnant: le Blok de Turnhout n’a eu de cesse de manifester ouvertement son hostilité envers la maison de jeunes. La période de violence fait suite à plusieurs réunions dans un café lié au Vlaams Blok, De Schalmei.

    Des skins de Turnhout s’y réunissaient, mais aussi des membres de l’organisation nazie Blood and Honor et sans doute aussi des militants du Vlaams Blok qui préféreront tenir cela secret. C’est dans ce café que les skins se sont rassemblés avant leur première assaut du 7 février. Nous avons appris entre temps qu’un responsable de Combat 18, une organisation néo nazie qui est membre du service d’ordre du Vlaams Blok, est impliqué dans la campagne de violence.

    Action!

    Blokbuster a appelé dès le début à isoler les nervis fascistes et leur idéologie au sein de la population locale et des jeunes. Nous devons réagir collectivement à chaque incident avec l’extrême droite. Nous appelons les habitants du quartier, les habitués du Wollewei, les lycéens, les étudiants,… à manifester pour mettre le holà aux agissements du Vlaams Blok et des skins. Une manifestation réussie fera la démonstration éclatante que les skins de droite ne peuvent compter sur aucun soutien. Non à la violence nazie dans nos quartiers!

    Pauvreté, chômage, pénurie de logements,… : c’est le terreau sur lequel pousse la violence fasciste!

    La force de la campagne Blokbuster, dans sa lutte contre l’extrême droite, c’est sa dénonciation radicale des problèmes sociaux. Les dernières années le coût de la vie à augmenté, les chiffres du chômage explosent, la pauvreté s’accroit. La politique du gouvernement se réduit à préserver les profits des grandes entreprises.

    Avant, des manifestations contre le chômage des jeunes ont été organisées à Turnhout par les syndicats. Mais pratiquement aucun emploi digne de ce nom n’a vu le jour. Le Vlaams Blok profite de la frustration croissante et engrange ainsi les votes de protestation.

    La difficulté de trouver un emploi est aussi ressentie par des jeunes qui sont encore à l’école. Le manque de perspectives et le sentiment d’impuissance jettent certains d’entre eux dans les mains de l’extrême droite et des skinheads néo nazis.

    Il faut une lutte généralisée

    Le racisme est un moyen pour diviser les travailleurs et de détourner leur attention de la véritable cause de leurs problèmes. Car même en temps de crise, les profits des entreprises ne cessent pas de grimper. Les pauvres deviennent plus pauvres, les riches plus riches.

    Pour le Vlaams Blok, et pour les partis au pouvoir, les profits des entreprises sont sacrés. Les plans antisociaux du gouvernement et du patronat comme l’allongement du temps de travail, le gel des salaires, etc ne sont pas appliqués d’un seul coup à toute la population laborieuse. Le gouvernement et les patrons préfèrent cibler les différents groupes les uns à la suite des autres pour mieux les diviser.

    Hier, Siemens en Allemagne affirmait "qu’il faut travailler plus", sinon "nous ne pourrons pas soutenir la concurrence des pays de l’Est". Aujourd’hui, les médias belges disent que "la Belgique doit suivre l’Allemagne, sinon nous sommes perdus". Et demain les travailleurs flamands seront dressés contre les travailleurs wallons. D’où notre slogan "Tout ce qui nous divise nous affaiblit!"

    Blokbuster appelle les jeunes et les habitants du quartier à construire ensemble une opposition de gauche à la politique de droite!

    MANIFESTATION:

    Rendez-vous samedi 18/9 à 19h00. La manif démarre au Grote Markt.

  • Allemagne: Mobilisation contre le gouvernement et le patronat

    ALORS QU’ICI le Parti socialiste ne compte plus ses efforts pour garder son image «de gauche», en Allemagne, c’est le Parti Social-Démocrate (SPD) qui mène les attaques contre les travailleurs.

    Nicolas Croes

    Attaques, d’abord, contre les chômeurs. Car, dans le cadre de «l’agenda 2010», visant à rendre l’Allemagne plus compétitive, il est prévu de diminuer les indemnités de chômage. Dans certaines régions, à partir de janvier 2005, c’est presque 20% de la population qui devra se contenter de 345 euros, augmentés d’une aide minime pour le loyer. Les chômeurs ne pouvaient rester inactifs contre cette loi. Reprenant l’exemple des manifestations du lundi qui, en 1989, protestaient contre le régime stalinien d’Allemagne de l’Est, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues, cruel camouflet pour Schröder, maintenant comparé à un Honnecker…

    Bien loin de s’essouffler, ces mobilisations gagnent en intensité et l’on attend 2 millions de manifestants pour le 3 octobre. Ce sera nécessaire pour élargir la lutte des chômeurs vers les entreprises afin de créer une dynamique soutenue contre l’Agenda 2010. Il faut des actions de grève régionales et nationales, comme pas suivant dans la mobilisation, pour montrer la force de frappe des travailleurs et de leur famille, capable de bloquer la machine capitaliste.

    Il faut dire que les chômeurs ne sont pas seuls sur la sellette, puisque les pressions pour augmenter le temps de travail continuent. A l’origine prévue comme un «rempart contre la délocalisation», les 40 heures sont maintenant appliquées dans certains services publics régionaux allemands (on peut cependant difficilement imaginer comment délocaliser l’administration locale).

    Face aux chômeurs et aux travailleurs qui voient leurs conditions de vie et de travail diminuer de manière inqualifiable, la coalition rouge-verte au pouvoir proteste, s’indigne même. Non pas contre les patrons, premiers à mettre en avant l’austérité et derniers à en payer les frais, mais contre cette «hystérie» qui s’est emparée du précieux électorat allemand (la population est-elle encore considérées autrement?).

    Vers un nouveau parti des travailleurs?

    En effet, en plus des mobilisations, un nouveau parti se constitue à la gauche du SPD et de nombreux membres du parti du chancelier Schröder sont tentés, dégoûtés par la politique néo-libérale des sociaux-démocrates.

    Cette nouvelle formation issue de deux groupes («Alternative électorale» et «Initiative pour le Travail et la Justice sociale») dispose déjà de moyens importants: 3.000 membres, 70 sections locales,… et suscite un tel intérêt dans la population qu’il semble impossible pour le SPD et Shröder de remporter les prochaines élections.

    Jusqu’à présent cette nouvelle formation est peu radicale, mais cela montre qu’il existe un espace pour un nouveau parti des travailleurs. Mais il est possible que l’orientation politique change sous la pression de la base: qu’elle ne se limite pas aux revendications immédiates (maintien des allocations sociales, refus des privatisations, etc.) mais qu’elle mette à nu les causes véritables de la politique menée (la crise capitaliste). Notre organisation soeur Sozialistische Alternative Voran (SAV) participe à cette nouvelle initiative afin d’y développer une opposition révolutionnaire socialiste.

    Il est important de suivre les répercussions, dans notre pays, des événements d’Allemagne. La proposition du patronat de Marichal Ketin d’augmenter le nombre d’heures de travail sans augmentation de salaire ou le plan Vandenbroucke visant à diminuer le nombre de chômeurs montrent que l’offensive de la bourgeoisie touche également la Belgique. Nous assistons tous à des attaques en règles contre nos acquis, et si le Parti socialiste est encore fort en gueule, jamais des mesures concrètes n’ont étés proposées, et leurs quelques lamentations bruyantes n’auront offert d’emplois qu’aux journalistes.

  • “Adieu, la prospérité!”

    C’EST LE titre d’un article de l’hebdomadaire Knack du 25 août sur l’Allemagne. Le plan d’austérité de Schröder est un bain de sang social. Les chômeurs de longue durée vont par exemple se retrouver avec une allocation de moins de 350 euros par mois dès janvier!

    Anja Deschoemacker

    Et la Belgique va suivre la même voie. La bourgeoisie a mis toutes ses cartes sur la table: les patrons ont mis en avant une liste impressionnante de revendications afin que le gouvernement tente d’imposer des restructurations sociales très dures. Celles-ci n’ont qu’un but: accroître les profits, au détriment des travailleurs et de ceux qui vivent d’une allocation.

    En Belgique si ceux qui siègent au gouvernement étaient d’authentiques représentants des travailleurs ils auraient mis en avant un plan d’action sérieux sur base des informations parues dans la presse au cours des dernières semaines. Ils s’apercevraient à juste titre que dans un des pays les plus riches du monde, plus de 2/3 des pensionnés (66,32%) vivent avec moins de 1.000 euros par mois, et 39,11% avec moins de 750 euros par mois. Et que la pension minimale est de 34% inférieure à la moyenne européenne. Il feraient tout pour résoudre ces problèmes, en commençant par mettre le holà à la politique de diminution des charges patronales qui vide les caisses de sécurité sociale.

    Mais ce ne sont pas des représentants des travailleurs au gouvernement. Ce sont des arrivistes qui vivent dans un milieu «particulier». Bruno Tobback, par exemple, dit qu’il n’y a pas vraiment de problème concernant les pensions, mis à part le fait que «dans l’avenir» les pensionnés ne vont «plus» pouvoir passer de somptueuses vacances en Afrique. De quels pensionnés parletil? Ou plutôt: sur quelle planète vitil?

    Il y a énormément de problèmes à résoudre. Cependant, si on suit les médias, le vrai problème en Belgique reste un problème communautaire. Il est donc probable que le gouvernement va en arriver à la scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde, ou de quelque chose dans ce goût-là. Par contre tous les partis des deux cotés de la frontière linguistique s’accordent (même si certains parviennent à mieux l’emballer que d’autres) sur la nécessité d’une offensive contre la réglementation du travail, les services publics et la sécurité sociale. Quoiqu’il advienne, une chose est sûre: si les travailleurs ne descendent pas dans la rue pour défendre leurs acquis d’après-guerre, ceux-ci vont disparaître.

    Nous espérons que les travailleurs de notre pays ne se laisserons pas détourner par les querelles communautaires. Si Vandenbroucke affirme qu’il ne pouvait aller plus loin dans ses mesures d’austérité et ses attaques contre les chômeurs flamands, c’est parce qu’il espère gagner cette offensive en Flandre pour l’imposer plus tard sur le plan national. Cette politique de chantage aide les partis francophones à vendre leur politique d’austérité, «parce qu’ils y sont contraints».

    Et pendant que la question nationale est poussée à l’avant-plan par les médias, on peut retrouver derrière l’écran le patronat et leurs gouvernements main dans la main, en accord total sur le fait que l’état providence est devenu ingérable et qu’il doit donc être démantelé. Bref, si nous ne suivons pas l’exemple de résistance dont ont fait preuve les travailleurs français, espagnols, italiens et maintenant aussi allemands, les patrons l’emporteront!

  • Les réponses des grands partis ne tiennent pas la route

    Il n’y a pas beaucoup d’obserteurs qui font le rapport entre le score de l’extrême droite du 13 juin et les problèmes liés au travail. Cela fait pourtant 25 ans que la bourgeoisie est à l’offensive sur ce front.

    Peter Delsing

    1975-’81: travail et capital sont en équilibre

    En 1975, la crise atteint la Belgique. Le chômage double quasiment: de 96.933 à 174.484. Frappés de plein fouet par la crise pétrolière, les patrons exigent la suppression de l’index qui adapte les salaires à la hausse des prix. La puissance des syndicats y fera obstacle pendant des années. Les grands mouvements de grève du début des années 70 toute l’Europe s’était radicalisée dans la foulée de Mai 68 avaient mis sous pression les bénéfices des entreprises. De 1970 à 1975, les salaires réels ont crû de 44%, la productivité «seulement» de 31%.

    La crise de surproduction était pourtant déjà annoncée. La hausse des salaires des années 60 et du début des années 70 n’avait pas empêché les investissements de croître énormément.

    A tel point que, à cause de la répartition inégale des richesses entre les capitalistes et le reste de la population, la croissance du marché ne pouvait plus suivre celle de la capacité de production.

    Dans un premier temps, le gouvernement cherche la parade dans une politique keynésienne: stimuler la demande. De 1974 au début des années 80, près de 200.000 emplois sont créés dans la fonction publique. On emprunte sans compter pour financer des «programmes d’embauche» et subsidier les industries en crise. Toutes ces mesures n’ont pourtant pas fait baisser le chômage. Elles n’ont fait que limiter les dégâts.

    La bourgeoisie a mis les pouvoirs publics à contribution pour faire face à la crise, ce qui a donné lieu à des déficits budgétaires galopants, une charge de la dette écrasante et de fortes hausses de prix. Tandis que le gouvernement faisait fonctionner la planche à billets, la production cessait d’être rentable: la phase d’expansion généralisée était terminée. Dans les années 60, la croissance économique réelle était de 4,8% en moyenne. Dans les années 70, c’était 3,4%. Dans les années 80, ce n’était plus que 2% malgré la forte croissance de la dette publique. Dans les années 90, elle est passée sous la barre des 2%. Depuis la crise économique de 2001 aux Etats-Unis, les chiffres de la croissance pour l’économie belge sont encore plus faibles.

    1982: l’offensive néo- néolibérale libérale

    C’est le gouvernement Martens V qui a donné le coup d’envoi de la politique d’austérité drastique en 1982. Dès le mois de février, les dirigeants syndicaux pliaient le genou. Le président de la CSC, Jef Houthuys, avait alors permis au gouvernement de dévaluer le Franc belge de 8,5% afin de stimuler la croissance et les exportations. Le pouvoir d’achat des travailleurs a durement accusé le coup.

    Pour achever de les prendre à la gorge, on a effectué plusieurs sauts d’index. De 1981 à 1985, les salaires réels baisseront de 13% à 21% selon les catégories!

    Comment le gouvernement comptet- il résorber le chômage? L’idée de départ est qu’il faut rétablir les profits et la compétitivité des entreprises. Dans cette logique, il faut comprimer les coûts salariaux pour diminuer les frais d’embauche. A côté des attaques directes comme les sauts d’index, il y a eu le plan Maribel de 1981: les cotisations «patronales» à la sécurité sociale faisaient pour la première fois l’objet d’une réduction généralisée. C’est une atteinte au salaire indirect des travailleurs qui doit couvrir le chômage, la maladie et la vieillesse. La politique néo-libérale signifie aussi une percée de la flexibilité au milieu des années 80: on fait table rase des limitations au temps partiel et et au travail en équipes, du congé du dimanche, de la durée maximale du temps de travail,…D’autres mesures contre le chômage étaient les programmes de mise à l’emploi: stages des jeunes, Cadre Spécial Temporaire, Troisième Circuit de Travail, Agents Contractuels Subventionnés,… Il s’agit de statuts subsidiés totalement ou partiellement par les pouvoirs publics.

    L’introduction de différents systèmes de prépension devait aussi contenir le chômage. Tous ces statuts continuent pourtant de dépendre des allocations de chômage.Tous ces cadeaux au patronat n’ont pas fait reculer le chômage. Même pendant le bref regain de croissance de 1986-89, le chômage réel est resté au même niveau (phénomène de la «croissance sans emploi»). Ceci alors que le gouvernement falsifie les chiffres en recourant aux suspensions du droit aux allocations (près de 110.000 exclusions temporaires ou définitives entre 1983 et 1985) ou en évacuant des statistiques les chômeurs âgés, les stages d’attente, les prépensionnés, les chômeurs à temps partiel contre leur gré, les pausescarrières,…

    Plusieurs de ces catégories continuent pourtant de dépendre des allocations de l’ONEm.Si le chômage n’a pas reculé, ces mesures n’ont cependant pas été un coup d’épée dans l’eau pour tout le monde. Les bénéfices des entreprises sont passés de 20 milliards de FB en 1980 à 169 milliards en 1987 (en valeur de 1980).

    La chute du stalinisme (’89- ’92) et ses effets sur le mouvement ouvrier

    L’offensive néo-libérale a été entamée par des politiciens ouvertement de droite : Verhofstadt, Martens, Thatcher, Reagan, etc. Après la chute du stalinisme et l’offensive idéologique de la bourgeoisie en faveur du marché libre, les dirigeants de la socialdémocratie, eux, n’ont pas hésité non plus à saisir cette occasion pour mener une politique antisociale.Dans le cadre de la réalisation des normes du Traité de Maestricht (1993), visant à introduire l’euro, le gouvernement belge ébaucha le Plan Global, un programme d’austérité sévère. Ce plan officialise le lien entre l’emploi et la baisse des ‘charges patronales à la sécurité sociale’. Cette recette s’est déjà avérée inefficace dans les années quatre-vingt. Le Plan Global comprenait les plans d’entreprise qui lient partage du travail, flexibilité et allègement des charges patronales.

    Mais, même lors du boom des années 90, les dépenses de la Sécurité Sociale ont continué à grimper. Entretemps, le taux de chômage n’a pas baissé. La politique d’austérité mise en place dès le début des années 80, comprenant la baisse des salaires réels et des allocations sociales, n’a fait qu’appauvrir le pouvoir d’achat et aggraver la crise de surproduction. A quelle situation était-on confronté à la fin des années 90 ? 35 pc des salariés avaient un statut flexible (travail de nuit, du soir, du week-end, en équipe).

    En 1998, 17,8% des salariés travaillaient à temps partiel (contre 3% en 1973). Seuls la moitié des embauches à temps plein étaient à durée indéterminée. Les entreprises avec 10% d’intérimaires sont devenues la règle. Entre 1993 et 1997, 130 mille personnes, surtout des femmes, ont été virées du chômage. Après 2001, une année de crise, le nombre de sansemplois (de toutes sortes) était supérieur à un million, soit 25% de la population active. En 1970, il n’y avait encore que 71.000 personnes sans emploi, soit 1,9%. La crise du capitalisme est devenue structurelle.

    L’Etat social actif (1999): bosser pour son allocation

    Avec le gouvernement arc-en-ciel, la mise au travail forcée – sous peine de perdre leur allocation – des chômeurs de longue durée et des minimexés est devenue la norme (ce processus avait déjà été inauguré par les emplois-Smet et les ALE). Il s’agit ainsi de veiller à ce qu’ils soient « disponibles sur le marché du travail » et à ce qu‘ils acquièrent une « discipline de travail ».

    On veut insuffler l’idée que les individus doivent faire un effort d’adaptation pour décrocher un emploi. Selon les statistiques du VDAB (l’organe de placement en Flandre) publiées en 2003, il y a 6 chômeurs pour chaque offre d’emploi.Le sommet européen de Lisbonne (2000), qui voulait faire de l’Europe la zone la plus compétitive du monde capitaliste d’ici 2010, fournira une nouvelle occasion d’imposer aux chômeurs n’importe quel emploi-bidon. Le taux d’activité doit augmenter pour pouvoir financer à terme le coût du vieillissement et maîtriser les dépenses de la sécurité sociale. Le but est de démanteler le système des prépensions et de jeter les chômeurs en pâture à un marché du travail répondant aux normes américaines de flexibilité et de coût salarial. Les entreprises devraient ainsi être incitées à investir davantage dans l’emploi dès que l’économie manifestera des signes de reprise. Cette politique ne fera qu’élargir le fossé entre riches et pauvres, comme aux Etats-Unis.

  • Élections européennes: une défaite pour l’establishment

    LES ELECTIONS européennes de juin ont gravement sanctionné Blair, Schröder, Berlusconi, Chirac , Verhofstadt et Co. La faible participation de l’électorat (en moyenne 42%) et le succès des formations résistant contre le projet de l’Union Européenne (UE) ou ayant un discours populiste en disent long sur l’engouement pour l’UE.

    Geert Cool

    Les résultats de nos camarades ailleurs en Europe

    Le MAS n’avait pas seulement des candidats en Belgique, ses organisations soeurs étaient présentes aux élections dans plusieurs pays : en Irlande, le Socialist Party a obtenu 5,5% des voix à Dublin pour les élections européennes. Ses forces était surtout mobilisées pour les communales où le nombre d’élus du Socialist Party a doublé de 2 à 4. Nous avons maintenant des conseillers communaux à Dublin et Cork.

    A Coventry St. Michaels, les marxistes ne devaient pas nécessairement se contenter d’un beau pourcentage après la virgule: le Socialist Party a obtenu 4,2% et a décroché deux élus. De bons résultats ont aussi été enregistrés ailleurs en Angleterre et au Pays de Galles.

    Enfin, 2,5% dans la ville Rostock a permis à notre organisation soeur allemande d’obtenir sa première élue communale. C’est un résultat significatif car Rostock fut, au début des années 90, le théâtre du spectaculaire incendie d’un centre d’asile provoqué par des groupements néo-nazis. Aujourd’hui, une véritable opposition est présente dans le conseil communal de Rostock.

    La quasi totalité des partis au gouvernement ont perdu des plumes : les sociaux-démocrates de Schröder récoltaient 21,5% des votes (jamais il n’ont fait si peu depuis 1932), le Labour Party de Blair n’était que le troisième parti (après les Tories et les Liberal- Democrats) aux élections communales et n’obtenait que 22% aux européennes (leur score le plus bas depuis 1918), l’UMP de Chirac faisait juste 17%…

    Pour une couche croissante de la population, il devient évident que l’UE est un instrument du capital, responsable des attaques sur les acquis sociaux et les conditions de travail: l’UE fait pression sur les états-membres pour progressivement supprimer les allocations de chômage, pour augmenter l’âge de la retraite, L’UE propose de libéraliser les services (via la directive Bolkestein, par exemple), ce qui va exercer ici une pression énorme sur les salaires et les conditions de travail. Rien d’étonnant à ce que l’enthousiasme pour l’UE soit si limité. Remarquons aussi que dans les nouveaux états-membres, la participation électorale était de 28%.

    La défaite de l’establishment ne peut être expliquée que partiellement par la politique de l’UE. L’élément le plus important est le dégoût général envers ces gouvernements sur le plan intérieur et/ou vis-à-vis du soutien pour la guerre en Irak : Blair et Berlusconi payent cher ce soutien à l’encontre de l’opinion publique ; les privatisations et les assainissements dégradant le niveau de vie sont aussi des éléments majeurs à la perte de confiance envers les instruments politiques de la bourgeoisie. Le plus grand problème lors des élections européennes était l’absence générale d’alternatives claires. Des formations populistes pouvaient donc facilement gagner du terrain. L’UK Independance Party (UKIP) d’un politicien raté Labour Kilroy-Silk (ayant échoué contre les socialistes de gauche dans le Labour Party à Liverpool et qui est ensuite devenu présentateur TV) obtenait un score spectaculaire de 16,7% pour les élections européennes. Faut-il le souligner ? L’UKIP n’a pas de membre et manque cruellement de sections dans des grandes parties de la Grande-Bretagne.

    D’autres scores remarquables ont été enregistrés pour des figures vues comme incorruptibles, comme Paul Van Buitenen (fonctionnaire de l’UE s’étant fait connaître en résistant à la corruption) avec sa liste "Europe Transparent" aux Pays-Bas qui a obtenu 7%. En Autriche, il existait une liste comparable. La montée rapide de telles formations est surtout l’expression d’un manque total de confiance envers les partis traditionnels. La défaite de ces derniers était d’ailleurs le message central des européennes.

    Ceci rend très concrète la question d’une alternative politique. Que va faire la gauche pour répondre aux couches de la population toujours plus larges qui se détournent de l’establishment politique ? Qu’il ne s’agisse pas d’une question facile est devenu clair en France, où l’alliance LO/LCR (deux formations avec lesquelles nous avons des divergences fondamentales) est retombée à 3,3%, perdant ainsi ses cinq parlementaires européens. Deux ans auparavant, lors des élections présidentielles LO et LCR obtenait ensemble 10,4%. N’ayant pas saisi les opportunités pour construire un puissant nouveau parti des travailleurs, LO/LCR s’est vu dans l’incapacité de créer une dynamique pour maintenir et améliorer son score.

    C’est un avertissement aux autres partis de gauches qui ont obtenu de bons résultats comme le Bloc de Gauche au Portugal, la Rifondazione Comunista en Italie et le SP aux Pays- Bas. La méfiance envers les partis traditionnels est flagrante. C’est positif en soi, mais il faut aller plus loin en développant une phase dans laquelle des parties importantes de la classe ouvrière s’engagent activement dans des mouvements de lutte pour défendre leur acquis sociaux.

  • Le MAS sort renforcé des élections

    Le score électoral du MAS/ LSP est petit comparé à celui des partis traditionnels. Nous n’avions cependant pas d’autres ambitions que celle de nous faire connaître et nous renforcer. En Flandre, en Wallonie et à Bruxelles, nous gagnons des membres.

    Eric Byl

    En Belgique francophone, 5.675 personnes ont choisi le MAS pour sa première participation électorale. Mais la priorité était le renforcement de nos sections de Bruxelles, Liège et Mons et la possibilité de voir émerger d’autres sections à Ixelles, Wavre, Tubize et Verviers. De plus, à Tournai, La Louvière et Charleroi, bien des gens ont pris contact avec le MAS. Enfin, notre travail étudiant à l’ULB et à l’ULG s’élargi avec une section à l’UCL.

    En Belgique néerlandophone, le LSP a obtenu 14.166 voix, bien plus qu’aux élections législatives de 2003 où c’était notre première participation sous ce nom. Nous avons bien progressé en nombre de membres, surtout à Anvers et à Ostende. A Beveren-Waas nous avons dorénavant une section à part entière. Nous voulions également essayer de nous implanter au Limbourg, et sommes près d’y arriver.

    En Flandre Orientale notre liste aux élections régionales récolte 2.509 voix, contre 3.751 voix pour les européennes. En 2003 nous avions obtenu 2.843 voix au Sénat et 2.929 à la Chambre. Cette différence pour l’Europe et le Conseil régional flamand est partiellement expliquée par la campagne «Groen! est nécessaire» qui a eu un certain écho dans les milieux progressistes, au contraire des quartiers populaires. C’était notre deuxième participation électorale et notre électorat n’est pas vraiment stabilisé. Il «flotte» donc plus, par exemple, que celui du PTB qui a derrière lui 30 ans de participations électorales.

    Cette fois encore le MAS/LSP a fait une campagne avec un petit budget: une affiche centrale, un dépliant et un programme. Nous avons dépensé 6.000 euros: une paille en comparaison des 5 millions d’euros que les partis traditionnels dépensent aux élections, et même comparé au PTB qui a dépensé 31.000 euros. Pour les élections européennes, chaque voix a coûté 0,30 euro au MAS/ LSP. Pour les partis traditionnels et le Blok, cela fait de 4 à 7 euros par voix et pour le PTB 1,50 euro par voix.

    Un vote pour le MAS/LSP était-il un vote perdu? Ni le cordon sanitaire, ni la condamnation du Vlaams Blok n’ont endigué la progression électorale du Vlaams Blok. Et ce n’est pas la poursuite de la politique néo-libérale qui fera reculer le Blok.

    Il faut une politique qui parte des besoins de la population. Compter sur les Verts ou sur le PS/SP.a pour appliquer une telle politique est illusoire. Le MAS a fait le choix de construire patiemment une organisation de cadres.

    A court terme, c’est moins spectaculaire que de constamment réinventer des illusions électorales. A long terme, c’est la seule garantie pour une politique différente. Dans les années 70 les marginaux d’extrême droite du Vlaams Blok n’étaient pas pris au sérieux. Ils ont patiemment construit leur parti, qui est devenu le plus grand de Flandre. Même dans l’opposition le Blok parvient à faire partiellement appliquer son programme réactionnaire par les autres partis. Certains à gauche voudraient atteindre des scores électoraux importants sans faire cet effort et ironisent sur les résultats de la «petite» gauche. Nous pensons qu’ils ont tort. Loins de ces illusions, nous appelons nos lecteurs à rejoindre le MAS et à construire avec nous une réelle alternative de gauche.

  • L’extrême droite sort grand vainqueur. Qu’est-ce que c’est et comment la combattre?

    L’extrême droite sort grand vainqueur

    Depuis les élections du 13 juin, la presse se répand en analyses de la victoire de l’extrême droite. Comment expliquer ce phénomène ? D’où tire-t-elle son succès et comment pouvons-nous la combattre ? Le MAS a acquis une longue tradition de mobilisations contre l’extrême droite à travers ses campagnes jeunes (Blokbuster) et ses organisations étudiantes (Actief Linkse Studenten/Etudiants de Gauche actifs). Nous ne prétendons pas détenir la vérité. Cet article se propose de donner notre vision des raisons du succès de l’extrême droite et de la façon dont on peut la combattre.

    Eric Byl

    Le Vlaams Blok plonge ses racines dans la collaboration lors de la Deuxième Guerre mondiale. Pendant plus de trente ans, il s’est attelé à construire une organisation de cadres, d’abord au sein du CVP jusqu’en 1954, ensuite au sein de la Volksunie jusqu’en 1970. Dès sa création en 1978, le parti disposait non seulement d’un cadre mais aussi de tout un réseau de connections. L’argent ne lui a jamais fait défaut. Il n’avait qu’à attendre que le contexte politique devienne favorable pour briser son isolement.

    Ce contexte existait depuis le début de la crise économique dans les années septante. A l’époque, le Blok devait toutefois compter avec des dirigeants syndicaux qui savaient encore organiser des actions collectives et avec des partis (le PSB et à partir de 1976 le PS et le SP) qui, s’ils collaboraient déjà avec le patronat, défendaient au moins en paroles les intérêts des travailleurs et plaidaient encore pour le socialisme.

    Du côté francophone, le FN – créé par Daniel Féret en 1985- s’il n’atteint pas le score du Vlaams Blok en Flandre, réussit quand même à doubler et tripler son score par apport aux régionales de 99.Et cela malgré le fait que le FN, contrairement au Blok, n’est pas présent sur le terrain et n’a pas un cadre organisé. Et également en dépit du fait que l’extrême droite est depuis de nombreuses années déchirée par des conflits de chapelles. Il ne faut pas sous-estimer les possibilités de croissance de l’extrême droite en wallonie. Le terreau est présent .

    Avant toute percée électorale, le Vlaams Blok a dû attendre la chute du Stalinisme dans le bloc de l’Est (1989-91). Depuis lors, tant le PS que le SP se sont soumis aux lois du marché libre et au néo-libéralisme. Des pans entiers du mouvement ouvrier se sont sentis exclus, non seulement par la société, mais aussi par tous les partis politiques, y compris le PS et le SP. C’était d’abord les chômeurs, puis les travailleurs intérimaires, ensuite ceux qui travaillent encore dans l’industrie et ils sont de plus en plus nombreux ceux qui ont jadis connu la sécurité d’emploi et qui souffrent aujourd’hui de mauvaises conditions de travail ou qui craignent pour leur emploi (La Poste et la SNCB).

    C’est la combinaison de la crise économique et de la politique antisociale, ainsi que le refus des dirigeants syndicaux de mobiliser et l’obstination du PS et du SP.a à exécuter loyalement la politique d’austérité, qui est à la base du succès de l’extrême droite.

    Le Flamand, un petit blanc apeuré ?

    Certains vont expliquer le résultat électoral du Blok par la psychologie des Flamands. "J’ai honte", "1 Flamand sur 4 est un blokker", etc… Nous comprenons évidemment ce type de réaction, mais elle est inadéquate. Nous n’avons pas plus à avoir honte qu’à être fiers d’être Flamands, Wallons, Bruxellois, immigrés ou quoi que ce soit d’autre. Si nous devons avoir honte de quelque chose, c’est de la politique antisociale, de l’exclusion, de la pauvreté et du chômage. Stigmatiser les victimes de cette politique ne nous avancera à rien, qu’il s’agisse d’immigrés ou qu’il s’agisse de Flamands.

    "C’est un dimanche noir de noir. Tous les Flamands devraient avoir honte", assène Etienne Vermeersch, professeur de philosophie morale à l’Université de Gand (RUG), qui était le philosophe-maison du SP.a dans un passé récent. De quelle autorité Vermeersch se prévaut-il pour parler ainsi? Qu’a-t-il fait pour stopper le Blok? Nous ne l’avons jamais vu à nos côtés lorsque nous menions l’action contre des débats avec le Vlaams Blok ou contre la présence de Roeland Raes, un idéologue révisionniste du Blok, au Conseil d’Administration de la RUG.

    Mais la Flandre n’est-elle pas une des régions les plus riches? Yves Desmet du quotidien De Morgen incrimine ce que l’économiste américain Galbraith nomme "le chauvinisme du bien-être"; plus les gens possèdent, plus il craignent de le perdre. En bref: pour Desmet, la Flandre va bien et si on vote quand-même pour le Blok, c’est que les Flamands sont des écureuils apeurés qui craignent de devoir céder une parcelle de leur bien-être. Si au lieu de parler pour lui-même, Desmet avait essayé de percevoir la signification sociétale de la formule de Galbraith, il aurait peut-être réalisé que le pays le plus riche au monde, les Etats-Unis, est en même temps le pays où le fossé entre riches et pauvres est le plus grand. Desmet aurait alors peut-être vu que le fossé entre riches et pauvres s’est aussi élargi en Europe et en Belgique. Qu’il y a donc des gens qui votent Vlaams Blok parce qu’ils se sentent exclus et d’autres qui votent Vlaams Blok parce qu’ils veulent protéger leurs biens contre ceux qui sont exclus.

    Walter Pauli du Morgen écrit que ça illustre la faillite de la lutte contre l’extrême droite. "On a tout essayé", dit-il, "seule une voie demeure inexplorée". Il se garde bien de l’écrire, mais la voie dont il parle est bien évidemment celle de prendre le Blok dans une coalition et de le brûler au pouvoir. Mais a-t-on vraiment tout essayé? Aucun parti traditionnel ne remet en cause la politique d’austérité néo-libérale qui lèse tant les travailleurs et leurs familles. Blokbuster, la campagne antifasciste du MAS, a toujours dû tout faire soi-même, a été mis sur le même pied que le Blok lui-même par les politiciens traditionnels, mais contrairement à ce dernier n’a pas reçu des millions d’argent public. Essayé? Nous l’avons fait, pas Pauli ni "le monde politique". Pauli conclut: "le droit de vote pour les immigrés était une erreur et il faut aussi rediscuter du cordon sanitaire".

    Tout est socio-économique dans la crise

    Nombre d’analyses pointent du doigt les bévues des excellences libérales pour expliquer le succès du Vlaams Blok. Les bévues libérales ont sans aucun doute joué un rôle important dans la défaite du VLD et du MR. Cette explication est pourtant insuffisante. Le cartel SP.a-Spirit était un modèle d’unité et a quand même perdu près de 4% par rapport à 2003. De plus, le rififi au VLD et au MR ne tombait pas du ciel. Les milieux patronaux voulaient que le gouvernement fasse avaler une politique d’austérité encore plus drastique à la population. Les libéraux devaient coûte que coûte afficher leur détermination. Ils ont pourtant été doublés sur leur droite par les ministres SP.a. Dans cette situation, des pontes libéraux ont essayé de marquer des points à titre individuel en sautant sur le dossier de l’heure sans se soucier des conséquences. Le cas d’Alain Destexhe est assez exemplatif à cet égard.

    Le débat sur le droit de vote des immigrés non-européens a été le principal facteur de dissensions chez les libéraux. Toutefois, là où le MR a su maintenir une unité de façade sous la férule de Louis Michel, le VLD s’est déchiré au grand jour. Si le SP.a a été le seul parti flamand à voter pour, il n’a pas su donner la réplique aux opposants. Il n’a pas su démasquer la politique de diviser pour régner du patronat ni replacer la nécessité des droits égaux entre Belges et immigrés dans le cadre de la lutte commune pour leurs droits. Résultat: les opposants au droit de vote ont monopolisé le débat. C’est trop facile de dire aujourd’hui que le droit de vote aux immigrés était une erreur. La seule erreur qui a été commise dans ce dossier, c’est le mutisme des partisans du droit de vote.

    Il ne fait pas de doute que l’élargissement de l’Europe ira de pair avec une régression au niveau des conditions de vie et de travail. Si le patronat en retirera de plantureux bénéfices, les travailleurs et leurs familles payeront la note. L’"unification européenne" n’a pourtant pas d’autre but. Le commissaire européen Bolkestein fait déjà circuler une proposition de libéralisation des services. Si sa directive passe, des Polonais et des Tchèques travailleront bientôt ici, non pas à un salaire belge, mais à un salaire d’Europe de l’est. Les patrons saisiront l’occasion pour exiger des travailleurs belges de nouvelles concessions en termes de salaires et de conditions de travail. Le PS et le SP.a auraient dû plaider pour la nécessité d’une lutte unifiée des Belges et des immigrés contre le projet européen antisocial. Quiconque divise les travailleurs belges et immigrés en leur refusant l’égalité des droits ne fait que jouer le jeu du patronat européen. Si le SP.a a préféré se taire, c’est parce qu’il est d’accord avec Bolkestein sur le fond même s’il aurait sans doute souhaité plus de doigté dans la forme.

    La faute de la presse?

    Les partis traditionnels ont tout fait pour imposer le silence à leurs concurrents. Du côté francophone, il s’en est fallu de peu que tous les petits partis voient leurs listes invalidées pour le scrutin européen. Ils n’ont finalement pas osé aller jusque là, c’eût sans doute été trop flagrant. Nous avons dû faire une croix sur les médias, qu’ils soient publics ou commerciaux. Qu’on ne vienne plus nous dire que la presse commerciale serait "moins partisane" que les médias publics. Le MAS a dû faire des pieds et des mains pour avoir droit à deux courtes tribunes sur les ondes de la RTBF, l’une en radio, l’autre en télévision à une heure tardive. Plutôt que de permettre à des partis comme le MAS ou le PTB+ de s’exprimer, les médias francophones ont préféré se livrer à une campagne tapageuse contre l’extrême droite. Celle-ci a pu ainsi apparaître comme la seule alternative crédible. Les médias ont sans aucun doute une lourde responsabilité dans le succès du FN comme du Vlaams Blok.

    La question nationale

    A l’exception de Groen!, tous les partis flamands plaident pour des baisses d’impôt… afin de stimuler l’économie et de lutter contre le chômage. Seul Groen! défend l’idée que ces impôts sont nécessaires pour financer les soins de santé et les services à la collectivité. Rares pourtant sont ceux qui croient encore les Verts après leur participation à Verhofstadt I et la kyrielle de taxes écologiques qui s’en sont suivies. Les Verts sont perçus comme des partis qui veulent responsabiliser les petites gens en les accablant de taxes tout en épargnant les gros pollueurs industriels qui tirent à chaque fois leur épingle du jeu.

    De tous les partis flamands, seul le Vlaams Blok a fait ses comptes. Il veut en finir avec les milliards de transfert nord-sud, 10 milliards d’euros paraît-il, et utiliser cet argent pour une politique "sociale" flamande. Les partis traditionnels ont beau promettre des baisses d’impôt, ils ne disent pas où ils vont aller chercher l’argent. Tout au plus se contentent-ils d’assurer qu’il y a assez d’argent en caisse. Mais si c’est vrai, comment se fait-il qu’il y ait de si longues files d’attente dans les institutions de soin, les logements sociaux et que les bâtiments scolaires tombent en ruine?

    Rares sont ceux qui sont dupes des promesses de Verhofstadt et du Ministre-Président flamand sortant Bart Somers. La grande majorité des Flamands craignent la hausse du chômage et de la pauvreté. Ils sont évidemment pour un certain degré de solidarité, mais, du fait que le Blok accuse la Wallonie d’en abuser et que les autres partis flamands se taisent là-dessus, voire abondent dans le même sens, nombre d’entre eux deviennent réceptifs à l’idée que les Flamands doivent d’abord penser à eux-mêmes.

    Il est pourtant facile de répondre à l’argument du Vlaams Blok que chaque ménage flamand transfère une petite voiture familiale (400.000 fr) par an à la Wallonie. La Wallonie a été pendant des décennies le creuset de toute la richesse en Belgique. L’industrie lourde n’en a pas moins exigé un lourd tribut avec beaucoup plus de maladies professionnelles qu’en Flandre. La crise de l’industrie lourde a durement frappé la région qui connaît des taux de pauvreté et de chômage qu’on a peine à imaginer en Flandre. Le Blok utilise les travailleurs wallons et leurs familles comme des boucs-émissaires. Il ne dit pas un mot sur la voiture de luxe que chaque famille belge paye par an aux patrons. Ceux-ci empochent chaque année 25 milliards d’euros de bénéfices, bien plus que les 10 milliards de transfert. Le Blok tait aussi les 15 milliards d’intérêts que nous payons chaque année en remboursement de la dette publique, laquelle n’est que la conséquence des cadeaux plantureux qui ont été faits aux patrons sous forme de baisses de charges et d’impôts. Enfin, le Blok ne dit rien des 20 milliards de fraude fiscale qui minent notre économie année après année. On cherchera en vain dans le programme du Vlaams Blok le rétablissement des pouvoirs de police judiciaire de l’Inspection spéciale des Impôts.

    La question flamande a sans aucun doute joué un rôle important dans la construction du Blok. Tous les sondages démontrent pourtant que ça ne joue pas un rôle significatif dans son succès électoral actuel. Cela se reflète d’ailleurs dans la rhétorique du Blok. Le slogan "que la Belgique crève" a été mis en sourdine, il n’y a plus qu’au CD&V qu’on parle encore d’un big bang communautaire. Le Blok mesure ses propos:

    S’il n’y a pas de réponse collective à la crise, le bras de fer sur la clé de répartition des déficits reprendra de plus belle. Dans ce cas, les contradictions nationales éclateront de nouveau.

    Rompre le cordon sanitaire?

    Maintenant que le Blok est devenu le deuxième parti flamand faute de réponse collective à la crise et à cause de la politique d’austérité néo-libérale, des voix se font entendre, non pas pour remettre en cause cette politique, mais bien pour "brûler" le Blok dans une participation gouvernementale. On espère ainsi obtenir le même résultat qu’avec le FPÖ de Haider en Autriche. Lors des dernières élections, le FPÖ y est passé de 23% à 6%.

    Le Blok se verrait bien au gouvernement flamand. Il est même prêt à soutenir depuis les bancs de l’opposition un gouvernement minoritaire du CD&V-NV-A, éventuellement flanqué du VLD. Le MAS considère le Blok comme un parti néo-fasciste. Néo parce que les conditions sociales d’aujourd’hui sont totalement différentes de celles des années trente, fasciste parce que la direction et les cadres du Blok n’ont pas renoncé à briser les organisations du mouvement ouvrier en mobilisant contre lui les groupes moyens de la société et les éléments déclassés de la classe ouvrière, c’est-à-dire des travailleurs que le chômage et la misère ont rendus étrangers à leur propre classe.

    Le Blok sera obligé de faire des concessions sous la pression de sa base électorale et de carriéristes qui estiment qu’il est temps de rompre avec le passé. Enfin, les voix pour le Blok ne sont pas un vote de soutien à son programme fasciste, mais principalement un vote de protestation. La nature d’un parti, y compris celle du Blok, peut changer. Il semble que la condamnation en justice du parti ait donné à sa direction l’occasion de donner au Blok un visage plus acceptable en le profilant comme un "parti conservateur de droite". Même dans ce cas, le Blok continuera d’abriter en son sein toutes sortes de néo-fascistes.

    Quoi qu’il en soit, la Belgique n’est pas l’Autriche et le Vlaams Blok n’est pas le FPÖ. Les partis traditionnels réalisent qu’ils doivent faire quelque chose, mais personne n’est prêt pour le moment à signer un contrat de mariage avec le Blok. Un meurtre, un grave fait de drogue, un membre en vue qui bat sa femme publiquement et devant ses enfants, il s’en sera passé des choses en pleine campagne électorale. Une candidate d’ouverture, débauchée à la NV-A, qui reconnaît ouvertement être à la tête d’un bureau d’escorte, un joli nom pour une agence de prostituées de luxe, ce n’est pas le genre de choses sur lesquelles les partis traditionnels peuvent fermer les yeux pour entrer dans une coalition. Les points de vue du Blok sur la Belgique et la Maison royale ne trouveront guère plus de succès auprès de l’establishment. De plus, il n’est pas du tout certain que le Blok prendra le même chemin que le FPÖ en cas de participation gouvernementale.

    Il en faudra donc plus avant que l’establishment n’accueille le Vlaams Blok dans ses rangs. Tant que la bourgeoisie et ses laquais politiques auront la politique néo-libérale pour seule réponse à la crise et tant que les syndicats refuseront de mobiliser massivement les travailleurs, l’extrême droite se remettra toujours de défaites temporaires comme celle du FPÖ. La bourgeoisie sera placée tôt ou tard devant un dilemme: ou bien rompre le cordon sanitaire, ou bien abandonner la politique d’austérité. Si c’est ça le choix, alors les jours du cordon sanitaire sont comptés. Il y aura peut-être des coalitions locales avec le Blok après les élections communales de 2006. Il n’y a qu’une seule réponse sensée au Blok, c’est la création d’une véritable alternative de gauche qui joue résolument la carte de la lutte collective pour changer la société.

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