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Tag: Afrique
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L'Afrique peut-elle sauver le capitalisme ?
L’élite capitaliste cleptomane vit dans l’opulence, mais la croissance ne touche pas les masses laborieuses
”Je suis absolument convaincu du fait que l’Afrique représente la prochaine zone pionnière économique mondiale, et je ne suis pas le seul à partager cette conviction” affirmait en avril dernier Johnnie Carson, sous-secrétaire d’Etat américain pour l’Afrique. Il n’est pas le seul à exprimer son optimisme croissant au sujet de l’Afrique. Comme il l’a fait remarquer, les perspectives de croissance de la Banque mondiale pour l’Afrique pour les deux prochaines années se situent entre 5 et 6 %, un taux de croissance au-delà de celui de l’Amérique latine, de l’Asie centrale ou de l’Europe.
Peluola Adewale, Democratic Socialist Movement (CIO Nigeria)
Selon les prévisions du FMI pour les cinq années qui suivent 2011, sept pays africains (Éthiopie, Mozambique, Tanzanie, Congo-Kinshasa, Ghana, Zambie et Nigeria) se trouveront dans les top dix des pays à la croissance la plus rapide au monde. Une analyse du magazine The Economist révélait l’an dernier que six pays africains (Angola, Nigeria, Éthiopie, Tchad, Mozambique et Rwanda) se trouvaient dans le top dix des pays qui ont eu la croissance la plus rapide entre 2000 et 2010. De fait, l’Afrique a commencé à attirer des remarques positives de la part des commentateurs capitalistes, surtout depuis le début de la crise économique mondiale.
Cette crise, qui est la pire crise capitaliste depuis la Grande Dépression des années 1930, a enflammé l’Europe et les États-Unis, poussant apparemment les stratèges capitalistes à aller chercher le succès ailleurs – et ils en auraient trouvé en Afrique.
Les grands médias capitalistes ont arrêté leur campagne permanente de dénigrement du continent africain, et acclament à présent en grande pompe la moindre tendance “positive”. On peut voir un exemple clair de tout ceci dans les pages de The Economist où l’Afrique s’est métamorphosée, passant de “Continent sans espoir” en mai 2000 à “Continent rempli d’espoir” en décembre 2011.
Cependant, la plupart des superbes taux de croissance de ces pays reflètent une hausse de la valeur des exportations des matières premières, à la fois en termes de production et en termes de prix, qui est liée à la croissance de la demande mondiale, surtout de la part de la Chine. Par exemple, le prix du pétrole est passé de 20 $ du baril en 1999, à 147 $ en 2008. Ces statistiques, de manière générale, ne reflètent pas une croissance généralisée de l’économie du continent ni de son niveau de vie. De plus, tout ralentissement de l’économie, que ce soit en Occident ou en Chine, aura pour conséquence une baisse brutale de la demande pour les exportations africaines.
Une grande misère
Pour la plupart des travailleurs, qui n’ont vu qu’une aggravation de leurs conditions de vie d’année en année, les statistiques économiques impressionnantes qu’on voit apparaitre çà et là sont un grand mystère. En fait, la forte augmentation du prix de la nourriture et du carburant revient à une attaque constante contre le niveau de vie. L’Afrique est aujourd’hui un continent dévasté par une misère de masse, avec un accès très limité aux nécessités vitales de base.
Par exemple, en Éthiopie – pays qui se trouve justement sur la “liste d’or” –, 90 % de la population a été classée en tant que “pauvre multidimensionnelle” par un rapport du Programme des Nations-Unies pour le développement (Pnud) publié en 2010. La situation au Nigeria, qui est le plus grande producteur de pétrole africain, a également été très correctement décrite par le Pnud. Son représentant dans le pays, M. Daouda Touré, a remarqué que ”Depuis maintenant plus d’une décennie, le Nigeria a connu un taux de croissance élevé permanent, qui n’a pas eu la moindre répercussion sur le plan de l’emploi ni sur celui de la réduction de la pauvreté parmi ses citoyens.” Il ajoute : ”Les statistiques disponibles en ce moment suggèrent que le taux de pauvreté au Nigeria s’est en réalité aggravé entre 2004 et 2010” (The Nation, Lagos, 29 août 2012). Cela n’a que confirmé ce que le statisticien général du Nigeria, M. Yomi Kale, avait dit concernant le ”paradoxe (…) qui fait que malgré le fait que l’économie nigériane est en pleine croissance, la proportion de Nigérians vivant dans la pauvreté ne fait qu’augmenter d’année en année.” (The Guardian, Lagos, 14 février 2012).
L’Afrique du Sud, qui est la plus grande économie du continent, est aussi le deuxième pays le plus inégalitaire au monde. Cela, malgré la politique du “black economic empowerment” (promotion économique des noirs) menée par le gouvernement ANC dans l’Afrique du Sud post-apartheid.
En Angola, les deux tiers de la population vivent avec moins d’un euro (656 FCFA) par jour, et seuls 25 % des enfants fréquentent l’école primaire (The Guardian, Londres, 18 novembre 2011). L’Angola est pourtant le pays qui a eu le taux de croissance économique le plus élevé au monde, avant la Chine, dans les années 2000 à 2010. L’Angola représente à l’heure actuelle un paradis économique pour le capitalisme portugais, dont le pays natal se trouve en ce moment sous les feux de la crise de la zone euro. Ce pays nous offre ainsi un exemple classique de migration inversée entre l’Europe et l’Afrique. Non seulement l’Angola abrite aujourd’hui une communauté de 150 000 Portugais chassés par le chômage dans leur pays, mais il a également massivement investi ses pétrodollars au Portugal. La compagnie pétrolière d’État angolaise, la Sonangol, est le principal actionnaire d’une des plus grandes banques du Portugal, la Millenium BCP. En juin 2010, l’ensemble des investissements angolais dans des entreprises portugaises étaient estimés valoir plus de deux milliards d’euros, selon le Financial Times. Et pourtant, on ne trouve quasiment ni électricité ni eau potable dans tout le pays, même dans la capitale Luanda.
Tout cela est symptomatique de la situation en Afrique, où la croissance économique se reflète uniquement dans l’opulence de l’élite de voleurs capitalistes au pouvoir, et aucunement dans le développement de l’infrastructure ou dans l’amélioration du niveau de vie de la masse de la population.
Mais les stratèges capitalistes ne sont pas concernés par le sort des travailleurs. Tant qu’il y a des ressources naturelles à exploiter librement pour leurs super-profits, l’Afrique est pour eux tels un lit de roses.
Comme le rapportait The Guardian de Londres : ”Il y a parmi le monde des affaires de plus en plus de confiance dans le fait que l’Afrique est la destination d’investissements qui donne les plus grands profits au monde” (28 mars 2012). C’est ainsi que la banque d’investissements mondiales Goldman Sachs disait dans un rapport en mars 2012 que : ”L’Afrique est une destination à laquelle les investisseurs doivent réfléchir, pour une croissance sur le long terme (soit on y participe, soit on rate une bonne occasion).”
Cette course à la super-exploitation de l’Afrique explique pourquoi le continent, avec ses immenses ressources naturelles et ses immenses terres fertiles pour l’agriculture, est dominé par des multinationales et est dirigé sur base d’une politique capitaliste néolibérale qui bénéficie avant tout à l’Occident impérialiste.
L’absence d’infrastructures de base (ou, quand elle est présente, sa médiocrité) signifie que l’Afrique est toujours en très grande partie dépendante de ses exportations de matières premières, et que le continent dans son ensemble ne compte toujours que pour un ridicule 2 % de la production mondiale.
Les soi-disant “investisseurs” ne sont surtout intéressées que par les industries d’extraction qui, bien que créant de la croissance, ne créent que très peu d’emplois. Cet échec dans le développement de l’industrie de transformation explique pourquoi l’Afrique, en tant qu’exemple classique de croissance sans emploi, ne peut imiter le rôle de la Chine en tant que moteur du capitalisme mondial, malgré son immense population et son urbanisation croissante. Au contraire, c’est le capitalisme qui garantit le sous-développement du continent.
Une corruption rampante
Les souffrances de l’Afrique sont également dues à la corruption caractéristique de ses dirigeants. Il convient cependant bien de souligner le fait que la corruption est loin d’être propre de l’Afrique ou des pays en développement.
La plupart des ressources qui restent en Afrique, après les pertes dues au commerce inéquitable et au payement de la dette, sont volées par les dirigeants pro-impérialisme corrompus, puis envoyées vers des comptes en banques privés à l’étranger, en Europe ou en Amérique.
Le capitalisme néolibéral, qui entraine avec lui privatisations et dérégulations, a donné encore plus de marge aux dirigeants africains pour piller le trésor public, puisque ce ne sont plus eux qui sont censés utiliser ces ressources afin de fournir les infrastructures et les services de base.
Mais face à cette situation, les travailleurs, les jeunes et les pauvres du continent sont loin d’être passifs. L’Afrique a une longue histoire de luttes de masse contre le colonialisme et le racisme. Plus récemment, on a vu apparaitre des luttes contre les régimes pourris et corrompus et pour une vie meilleure, comme on l’a vu après les insurrections de masse, surtout en Afrique du Nord, qui ont chassé au moins trois dictateurs. En janvier 2012, nous avons assisté à la plus grande grève générale et au plus grand mouvement de masse de toute l’histoire du Nigeria, contre la hausse du prix de l’essence. Les mineurs sud-africains, dans leur lutte pour de meilleures conditions de travail et pour un meilleur salaire, ont quasi mis à genoux l’industrie minière. Le secteur des mines compte pour une très grande part de la richesse du pays ; il est aussi un symbole de l’immense inégalité entre travailleurs et patrons.
Cette lutte des mineurs, dans laquelle le DSM sud-africain joue un rôle dirigeant, a contribué à mettre au-devant de la lutte la revendication pour la nationalisation de l’industrie minière, ainsi que l’idée d’une alternative politique des travailleurs et des pauvres contre l’ANC.
Les mouvements de masse des travailleurs et de la jeunesse en Europe, et en particulier en Grèce et en Espagne, contre l’austérité et contre les attaques néolibérales sur l’emploi, sur les salaires, sur l’enseignement et sur la santé, vont continuer à élever la conscience des travailleurs en Afrique. Les nouvelles luttes qui vont se développer en Afrique auront pour effet qu’il n’y aura aucun refuge sûr pour le capitalisme dans un monde de crise, et seront une source d’inspiration afin d’intensifier la quête d’une alternative socialiste.
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La Côte d'Ivoire s'engage sur le chemin de la lutte
La Côte d’Ivoire, ancien joyau de l’impérialisme français en Afrique de l’Ouest, considéré comme la “locomotive” de toute la sous-région, semble doucement se remettre de la grave crise politique et militaire qui l’a ravagé pendant une dizaine d’années. Cette crise avait vu le territoire partagé entre deux camps adverses de l’élite ivoirienne : d’une part le gouvernement mafieux de Laurent Gbagbo, ancien syndicaliste, qui avait instrumentalisé la soif de changement des jeunes ivoiriens afin de se constituer une grande base de milices semi-fascistes, les “Jeunes Patriotes”, tout en détournant lui-même des sommes considérables directement prélevées sur le dos des planteurs et en accueillant à bras ouvert l’impérialisme et le FMI ; de l’autre, les “Forces nouvelles” qui prétendaient défendre les intérêts des populations du nord du pays, longtemps considérées comme citoyens de seconde zone par ceux du Sud, et poussant devant elles le candidat Alassane Ouattara, dont la candidature à la présidence avait été à plusieurs reprises refusées pour incertitude quant à son “ivoirité”.
Par Gilles (Hainaut)
Les élections, longtemps reportées par le camp Gbagbo – qui a ainsi outrepassé sa présidence de cinq ans –, ont finalement été organisées en 2010, menant à un nouveau tour de violences électorales. Les deux candidats avaient en effet chacun obtenu un score quasi identique, d’autant plus que les comptages divergeaient en fonction des institutions et que des irrégularités avaient été observées de part et d’autres. Mais la “communauté internationale” avait fait son choix en la personne d’Alassane. Aucune négociation ne portant de fruits, il a fallu l’intervention de l’ONU pour aller chercher Gbagbo, qui s’était enfermé dans la présidence, et l’expulser du territoire. Mais ne nous leurrons pas : si Gbagbo a attiré sur lui tellement d’opprobre de la part de la “communauté internationale”, ce n’est pas pour avoir menacé leur système. Il n’a rien d’un chantre de l’anti-impérialisme, malgré certains de ses discours, et est bien loin d’un Chavez ou d’un Sankara ! Simplement, l’impérialisme l’a à juste titre perçu comme un individu trop imprévisible pour le poste qu’il occupait, et dont la personnalité instable menaçait les intérêts de leurs investissements dans le pays. Alassane au contraire est un candidat zélé de l’impérialisme : ancien haut cadre du FMI, époux d’une riche colonialiste française, il a déjà fait ses preuves en tant que premier ministre de Côte d’Ivoire, poste créé pour lui en 1990 par le président Félix Houphouët-Boigny qui l’avait chargé d’appliquer les plans d’“ajustement structurel” (austérité) imposés par le FMI.
Depuis lors, la situation semble s’être bien calmée. Gbagbo croupit aujourd’hui en prison à La Haye au Pays-Bas – son procès auprès de la Cour pénale internationale vient de commencer –, la plupart de ses cadres sont en exil au Ghana ou en Afrique du Nord. Les investisseurs se suivent, dans le sillage des nombreuses visites officielles à l’étranger accomplies par le président. On annonce une croissance de 8 % pour cette année et pour l’an prochain, avec l’objectif de faire de la Côte d’Ivoire un “pays émergent” pour 2020. Il reste cependant des menaces. Beaucoup d’armes demeurent parmi la population. Le nouveau pouvoir a été obligé de composer avec divers chefs de guerre des deux camps, fusionnant les deux armées rivales et accordant des postes bien juteux des deux côtés ; sa sécurité repose donc en partie sur d’anciens ennemis. En outre, pas une semaine ne se passe sans qu’on entende parler d’attaques ici et là : des centrales électriques, des casernes, des prisons seraient visées. Bien que ces attaques soient sporadiques et n’aient jusqu’ici fait quasiment aucun mort, elles jettent un doute sur la stabilité du pays. Cependant, aucune n’ayant été revendiquée, les rumeurs vont bon train sur qui pourrait se trouver à leur tête : une conspiration pro-Gbagbo télécommandée de l’étranger (la frontière avec le Ghana a été temporairement fermée le mois passé à la suite d’une escarmouche, le pouvoir craignant la possibilité d’un regroupement des forces pro-Gbagbo dans ce pays voisin) ? Des anciens militaires pro-Gbagbo déçus de l’attribution de postes par le nouveau pouvoir ? Des militaires pro-Outtara déçus ? Des mercenaires (on sait que les Forces nouvelles ont fait grand usage des “dozos”, confréries de chasseurs traditionnels, qui n’ont eux non plus pas obtenu tout ce qu’ils désiraient) ? De vulgaires bandits ? Ou bien y a-t-il réellement une préparation en vue d’un coup d’État ? Beaucoup de questions restent posées. Mais selon de nombreux rapports, le camp Gbagbo est bel et bien désarmé : la plupart de ses cadres ont été dispersés dans des pays différents, sont sans le sou et vivent de transferts de Western Union en provenance de famille en France, ou bien sont en prison sous étroite surveillance, comme c’est le cas entre autres de la femme de Gbagbo, Simone.
Et donc, dans ce contexte d’euphorie en bémol, la population, qui pour la plupart n’avait pas véritablement pris part aux combats, relève la tête pour faire l’état des lieux après l’orage. Les bonnes nouvelles se succédant sur le plan économique, tout le monde est confiant dans l’avenir : ne parle-t-on pas de “pluies de milliards” provenant des nombreux contacts de Ouattara à l’étranger ? Pourtant, la reprise tarde un peu. Les grands projets sont reportés à “après les élections” (communales et régionales, en février), les nombreux subsides accordés par l’étranger ne quittent pas le cercle dirigeant ou vont en priorité aux ONG créées par eux (comme la fondation “Children of Africa” de la première dame, Dominique Ouattara). La police continue ses exactions, l’administration est peuplée de gens qui se prennent très au sérieux, la corruption est toujours là, et on ressent partout l’arrogance du nouveau pouvoir. Cette arrogance peut notamment se ressentir avec la nouvelle politique d’“urbanisme” dans tout le pays, qui vise à nettoyer, parfois au bulldozer, les trottoirs des petits commerces pourtant installés là légalement !
La population, qui était jusqu’ici en attente, soucieuse de ne pas déstabiliser le nouveau gouvernement, commence à grogner et à reprendre le chemin de la lutte des classes. La voie a déjà été ouverte par les enseignants des lycées au printemps dernier, mais cet automne, ce sont les chauffeurs de taxi d’Abidjan et les étudiants qui font beaucoup parler d’eux.
Le mouvement des chauffeurs de taxi repose surtout sur les jeunes chauffeurs, dont la revendication en ce moment est la fin des rackets policiers, et des contrôles plus sévères sur les taxis clandestins qui nuisent à leurs bénéfices. Il faut savoir que les taxis appartiennent en général à des petits patrons qui prélèvent un montant fixe sur chaque taxi chaque jour, laissant ensuite au chauffeur le soin de payer le carburant utilisé, avant de garder le maigre bénéfice qui reste éventuellement. La grève des taxis à Abidjan est organisée par des meetings de masse des chauffeurs qui se réunissent à la gare routière, en-dehors de toute structure syndicale officielle. Il existe certes un syndicat des taxis, mais celui-ci a dans les faits dégénéré en une mafia qui se contente de prélever des “taxes” sur les autres chauffeurs. Les taxis étant les seuls transports “en commun” réellement disponibles dans la ville, ce mouvement met à chaque journée de grève à l’arrêt l’ensemble de la capitale économique du pays.
Les étudiants quant à eux sont confrontés à toutes sortes de problèmes graves. Mis à part le fait que le système universitaire dans son ensemble se trouve dans un état déplorable, tant au niveau des salles de classe que des logements étudiants et du nombre d’enseignants, il y a aussi le problème d’arriéré des bourses, qui bien souvent n’ont pas été payées depuis presque un an, et le problème encore plus sérieux de la hausse subite des frais d’inscription à l’université, qui sont passés sans prévenir de 6000 FCFA à 30 000 pour les licences, 60 000 pour les masters et 90 000 pour les doctorats (respectivement 10, 45, 90 et 135 €) ! On veut ainsi faire “participer” les étudiants au cout réel de leur formation. Et tout cela dans une ambiance de chaos complet : vu que plusieurs années d’université ont été perdues à cause de la crise, plusieurs générations d’étudiants se retrouvent contraintes de s’inscrire en même temps, ce qui démultiplie la surpopulation sur le campus, et qui mène à un grand retard au niveau de la reprise des cours, qu’on attend depuis plusieurs mois malgré l’annonce officielle du premier septembre. Des manifestations ont été organisées, directement réprimées par la police à coups de gaz lacrymo et autres joyeusetés. Mais les meetings se poursuivent dans les auditoires avec les diverses organisations syndicales estudiantines.
Les étudiants ne sont en fait pas les seuls à ne pas reprendre le chemin de la lutte, puisque le corps enseignant est lui aussi en grève, à nouveau pour des raisons d’arriérés salariaux. La rentrée risque d’attendre encore un peu.
À côté de ça, on voit d’autres mouvements comme les balayeuses de Yamoussoukro en lutte pour récupérer des arriérés salariaux, les employés de l’usine Olhéol de Bouaké, en chômage technique depuis plusieurs mois et qui exigent la reprise du travail et le payement, à nouveau, des arriérés salariaux.
La population de Côte d’Ivoire n’a aucune tradition révolutionnaire, n’a jamais connu aucun dirigeant historique aux déclarations radicales. Elle a été gâtée par un système clientéliste où tout lui était offert sur simple demande (ou flatterie) auprès de l’échelon supérieur. La conscience a de plus été fortement repoussée en arrière pendant la crise, avec dix années de divisions, de lutte fratricide, d’instabilité, de violence et pendant lesquelles toute l’attention était focalisée sur le grand soap opéra des politiciens, les rumeurs et les intrigues parmi l’élite nationale. Elle a été de plus quasi coupée du monde et des développements politiques à l’échelle régionale. Aujourd’hui cependant, les travailleurs sont à la recherche de solutions. La croissance dont on parle tous les jours est loin de se refléter dans les assiettes, d’autant plus qu’on annonce de nouvelles hausses des prix de l’alimentation au niveau mondial.
Dans ce contexte, il est crucial que la population de Côte d’Ivoire relève la tête et se remette à jour sur ce qu’il se passe dans les autres pays. Beaucoup d’événements se sont produits depuis l’année passée, à commencer par la révolution en Afrique du Nord, qui a déclenché de gigantesques mouvements de résistance en Europe et en Amérique. La Côte d’Ivoire, sortie de sa propre crise politique, réalise qu’elle se trouve aujourd’hui au beau milieu d’une crise économique et politique de portée mondiale. La reprise du militarisme dans l’océan Pacifique, les menaces de déstabilisation et de guerre au Moyen-Orient, la crise de la zone euro, le ralentissement de la croissance chinoise, sans parler du réchauffement planétaire, ne présagent rien de bon pour l’avenir, malgré toutes les déclarations sur le “nouvel eldorado africain”.
La crise mondiale a ses répercussions sur le continent africain, tout comme le mouvement des Indignés européens. S’il est vrai que de lourdes menaces pèsent sur la stabilité du Sahel avec la crise malienne, beaucoup de leçons sont par contre à tirer du mouvement “Y en a marre” au Sénégal qui a fait dégager le président Wade en mobilisant la nation tout entière, de la grève générale au Nigeria contre la hausse du prix des carburants, qui a été le plus grand mouvement de masse de toute l’histoire du Nigeria, et de la grève des mineurs en Afrique du Sud, à la suite du massacre de Marikana, qui débouche aujourd’hui sur la décision de mettre sur pied un nouveau parti de masse des travailleurs. D’autres mouvements peuvent encore survenir dans la sous-région, au Burkina par exemple pour faire dégager l’usurpateur Compaoré, ou au Togo contre le président Eyadéma Junior.
La Côte d’Ivoire peut reprendre son rôle de “locomotive” de la sous-région, plus seulement en termes économiques, mais aussi sur le plan de la lutte sociale. Le peuple de Côte d’Ivoire doit tirer les leçons de toutes ces expériences, et développer une alternative à la misère néolibérale, une alternative unitaire qui regroupe l’ensemble de la population laborieuse, au-delà des clivages communautaires, religieux et ethniques, contre les politiciens blagueurs, contre l’arrogance des patrons colons, contre ce système pourri qu’on cherche à nous imposer, en lien avec la population de toute l’Afrique de l’Ouest. En bref, une alternative socialiste.
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Alimentation : Qu’est ce qu’on s’en fout de vos profits !
‘‘Excusez-moi Monsieur, mais je voudrais un peu plus de nourriture’’. Il n’y a pas que les orphelins des romans de Dickens qui doivent se battre pour un produit de base : la nourriture. Des milliards d’êtres humains à travers le monde souffrent soit de malnutrition, soit d’obésité. Même dans les pays capitalistes dits ‘‘développés’’, leur système basé sur les profits semble incapable d’offrir un régime alimentaire équilibré à la population. Iain Dalton, de notre parti-frère en Angleterre et au Pays de Galles le Socialist Party, observe ici les effets du capitalisme sur la nourriture et développe l’intérêt de réponses réellement socialistes.
L’envolée des prix des denrées alimentaires
Plus de 18 millions de personnes dans la région du Sahel en Afrique de l’Ouest sont actuellement en danger de mort car les récoltes ont été très mauvaises et les prix des denrées alimentaires n’ont cessé d’augmenter. En 2011, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture rapportait que les prix alimentaires mondiaux étaient à leur plus haut niveau depuis le début des recensements en 1990.
En 2010, la Banque Mondiale estimait qu’environ un milliard d’êtres humains sur les sept milliards que comptent la population mondiale souffraient de malnutrition. Chaque année, six millions d’enfants à travers le monde meurent de malnutrition avant d’avoir atteint l’âge de cinq ans.
En Grande-Bretagne, les mesures d’austérité sont combinées à une augmentation des prix. En 2011, un chiffre record de 129.000 personnes ont eu recours aux banques alimentaires. Cela démontre que de plus en plus de gens sont obligés de faire le choix entre manger ou se chauffer. Selon les chiffres du gouvernement, les prix des denrées alimentaires au Royaume Uni ont enregistré une hausse de 26% entre 2007 et 2011.
La sécheresse aux Etats-Unis
Un des facteurs qui explique l’explosion des prix en cette période, c’est la sécheresse qui sévit actuellement aux Etats-Unis. Dans un rapport qui fait plus penser à la situation de l’Afrique subsaharienne qu’à celle des Etats-Unis, le journal britannique The Guardian rapportait: ‘‘Certaines tiges arrivent à hauteur du menton, mais ne produisent pas d’épis de maïs. D’autres sont aussi épaisses que des ananas. Et le soja qui devrait atteindre la hauteur du genou frôle à peine le tibia.’’ Environ un tiers du territoire des Etats-Unis est désormais officiellement considéré comme une zone sinistrée. En juillet, le Centre national de données climatiques (NCDC) a découvert que 55% du territoire des Etats-Unis était frappé par une sécheresse d’un niveau moyen à extrême selon les zones. De plus, des feux sauvages se sont déclarés dans l’Utah et au Colorado.
Le gouvernement des Etats-Unis estime qu’un tiers des récoltes de maïs et de soja est en mauvais état, mais les travailleurs sur le terrain pensent que les dégâts sont bien pires. Un fermier a déclaré dans une interview à The Guardian : ‘‘Techniquement, certains aliments ne vaudront même pas la peine d’être récoltés car ils ne pourront pas être vendus au prix de la production.’’
Le 23 juillet dernier, le prix du maïs avait atteint le prix de $8 (=6,30€) le boisseau, alors qu’en 2006, son prix était de $2 (=1,50€). Cela aura un effet dévastateur sur les prix du lait et de la viande car le maïs est utilisé dans l’alimentation d’une grande partie des animaux. Certains fermiers ont même été contraints de nourrir leur bétail avec certains types de confiseries bons marché.
Le bétail est abattu car les fermiers américains ne peuvent plus se permettre les prix élevés de leur nourriture. Les refuges pour chevaux ont dû accueillir de nouveaux animaux et une baisse de 70% a été enregistrée dans la vente de tracteurs et autres machines agricoles dans certaines parties du Mid-Ouest.
La situation actuelle aux Etats-Unis est comparable à la pire sécheresse que la région de la Mer Noire en Russie ait connue en 130 ans et qui avait eu pour conséquence une escalade des prix du blé. Vu que le changement climatique conduit à de plus en plus d’évènements climatiques extrêmes tels que des sécheresses, des tsunamis et des inondations, les effets dévastateurs sur la production alimentaire s’en feront ressentir.
Avec 40% du maïs américain utilisé dans la production de l’éthanol, le débat sur la question des biocarburants fait rage. Certains Etats ont rapporté que beaucoup d’usines d’éthanol et de bio-diesel sont en train de réduire leur production ou de fermer temporairement. D’innombrables sommets ont démontré que les politiciens qui ne défendent que les grandes entreprises sont incapables de prendre des mesures nécessaires contre les puissants lobbys de l’énergie.
Spéculation
Il y a d’autres facteurs qui influencent les prix des denrées alimentaires. Lorsque les banques sont entrées en crise en 2007-2008, une vague de spéculation a déferlé sur les matières premières futures, dont des aliments comme le sucre et le bétail. Leurs valeurs totales sont passées de moins de $2 milliards (=1,5 milliard d’euros) en 2004 à $9 milliards (= 7 milliard d’euros) en 2007. Les grandes Institutions qui achètent et retiennent des biens sur de longues périodes de temps ont commencé à investir dans la bulle spéculative des matières premières, ce qui a non seulement fait augmenter les prix mais a aussi coupé les provisions, principalement dans les économies en développement.
Les spéculateurs ont de nouveau fait face à la dernière crise en date en pariant massivement sur les prix alimentaires. Leur attitude face à l’augmentation des prix est très bien résumée par un des gérants de fonds: ‘‘c’est comme si on avait ouvert un énorme robinet à argent’’ (Bloomberg 23 juillet)
Le journal The Economist a récemment déclaré à brûle-pourpoint: ‘‘les prix élevés sur la nourriture ne pèsent pas seulement sur les revenus des pauvres, mais ils mènent aussi à plus d’agitations politiques à travers les monde.’’
En 2008, des émeutes de la faim ont explosé en Afrique de l’Ouest, en Haïti, au Maroc, au Bangladesh et aux Philippines. Après la grève générale du pain qui a eu lieu dans la ville de Malhalla, en Egypte, l’armée a reçu l’ordre de cuire et de distribuer du pain subventionné afin d’empêcher de futures protestations.
Alors que la Tunisie et l’Egypte étaient en plein milieu d’une période révolutionnaire au début de l’année 2011, sous l’impulsion notamment de l’essor des prix des denrées alimentaires, l’Algérie achetait plus de 800 000 tonnes de blé et l’Indonésie 800 000 tonnes de riz. Les deux élites au pouvoir essayaient ainsi d’empêcher que la révolution ne s’étendent jusqu’à leurs frontières.
Néanmoins, cette option de conjurer les soulèvements a ses limites. Et on observe que de nombreux pays ont sévèrement réduit leurs réserves de grains ne les jugeant pas nécessaires.
Pourtant, les menaces auxquelles la production alimentaire fait face sont bien réelles, notamment celle du changement climatique. Mais la plus sérieuse, c’est la manière dont la nourriture est produite. Tant que l’industrie alimentaire sera contrôlée par des compagnies privées qui privilégient les profits et que les spéculateurs contrôleront les prix, des millions d’êtres humains continueront de mourir de faim ou de souffrir de malnutrition. En Occident, la sous-alimentation dans les familles pauvres s’aggrave pendant que des millions d’autres familles doivent faire face à d’autres types de problèmes de santé, tel que l’obésité. La raison de tout ces maux, c’est une nourriture malsaine et fortement traité mais rentable!
Le Comité pour une Internationale Ouvrière et ses sections à travers le monde, dont le Parti Socialiste de Lutte en Belgique, revendiquent que la production alimentaire, de même que les autres secteurs clés de l’économie, soient nationalisés sous le contrôle démocratique des travailleurs afin d’être intégrés dans une planification démocratique de la production. Une fois rayée la soif de profits du capitalisme, il est tout à fait possible d’éradiquer la faim dans le monde.
Nos revendications:
- Mise en place de comités populaires, avec les syndicats et les groupes de consommateurs, afin de surveiller les prix et de mesurer la réelle augmentation du prix de la vie pour les travailleurs.
- Transparence des comptes des grandes entreprises qui dominent l’industrie alimentaire et l’économie, afin de déterminer leurs coûts réels, leurs profits, les salaires et bonus des cadres, etc.
- Augmentation immédiate du salaire minimum afin qu’il atteigne £8 (=10€) de l’heure, et des augmentations régulières afin de couvrir la hausse des prix. Une augmentation substantielle des pensions et autres acquis sociaux afin que ceux-ci reflètent le coût réel de la vie. Des investissements massifs dans un programme de création d’emplois.
- Nationalisation des plus grandes compagnies agricoles, de gros, de détail et de distribution, ainsi que des banques et des institutions financières. Des compensations ne seraient octroyées que sur base de besoins prouvés.
- Investissements massifs dans la recherche et le développement de ressources d’énergies renouvelables alternatives sures, ainsi que le développement de techniques qui mettraient un terme aux techniques agricoles néfastes à l’environnement et à la santé de la population.
- Planifier la production et la distribution agricole afin d’offrir de la nourriture réellement nutritive pour tous de façon durable plutôt qu’en préconisant les profits à court terme d’une minorité au sommet.
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Militantisme internet : Le phénomène “Kony 2012”
Rarement auparavant une idée s’est répandue aussi rapidement à la surface du monde. En quelques jours, des dizaines de millions de gens ont regardé la vidéo “Kony 2012” de l’association Invisible Children, qui s’est propagée telle un virus dans tous l’internet et les réseaux sociaux. Choqués par les histoires de meurtres, viols et d’abus d’enfants soldats, de nombreuses voix se sont élevées pour demander que “quelque chose soit fait” contre Joseph Kony et son Armée de résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army (LRA)) en Afrique centrale et orientale.
Robert Bechert, CIO
Comment faire cesser le cauchemar ?
Pendant un moment, Invisible Children semblait mener la danse, au fur et à mesure que le soutien s’accroissait rapidement en faveur de leur appel à une action contre Kony. En quelques jours, cette vidéo a engendré une vague de colère, particulièrement parmi la jeunesse américaine. Invisible Children a fait appel à l’idéalisme de nombreux jeunes désireux de se battre pour un monde meilleur, libéré de l’oppression et de la misère. La vidéo a encouragé de nombreux jeunes à se demander ce qu’ils pouvaient faire eux-mêmes. Toutefois, il est rapidement devenu clair que la campagne d’Invisible Children n’était pas ce qu’elle semblait être de prime abord. Certains ont entre autres commencé à se demander pourquoi, dans son dernier rapport financier, Invisible Children, une association charitable dont le but avéré est d’aider les enfants de l’Ouganda, n’a dépensé en Ouganda que 37,14 % de son revenu total.
L’an dernier, le mouvement “Occupy” contre les “1 %” s’est répandu très rapidement à travers tous les États-Unis et dans le monde, fédérant la méfiance et l’hostilité larges à l’encontre des classes dirigeantes et de l’élite. La colère anti-Kony s’est répandue encore plus vite. Beaucoup plus vite. Toutefois, Invisible Children ne s’oppose pas à l’élite américaine ; le logo de leur campagne “Kony 2012” représente l’âne et l’éléphant symboles des deux partis américains, démocrate et républicain. On retrouve parmi les principaux sponsors d’Invisible Children des groupes chrétiens fondamentalistes qui ont leur propre agenda de droite pro-capitaliste.
Nous ne voulons pas ici dénigrer les millions de gens qui ont été enragés par l’histoire de cette vidéo et qui veulent urgemment faire quelque chose, mais ces événements sont un autre exemple de la manière dont les classes dirigeantes, les 1 %, tentent d’utiliser, voire manipuler, l’authentique colère populaire et ce , dans leurs propres intérêts.
Dans ce cas, la réalité est que Invisible Children appelle les États-Unis à maintenir et à approfondir son intervention militaire contre Kony et la LRA. Jason Russell, producteur et narrateur de cette vidéo, prétend que la décision d’Obama d’octobre dernier concernant l’envoi de 100 soldats américains en Afrique centrale afin de chasser Kony ”était la première fois dans l’Histoire américaine que le gouvernement américain a lancé une action non pas pour sa propre auto-défense, mais parce que le peuple l’exigeait.”
Cette position se trouve au centre de la campagne d’Invisible Children. Elle a d’ailleurs répété cette position dans sa réponse officielle aux critiques qui ont été émises à l’encontre de la vidéo et de la campagne “Kony 2012”.
”La mission d’Invisible Children est de mettre un terme à la violence de la LRA et de soutenir les communautés affligées par la guerre en Afrique centrale et orientale… L’objectif de Kony 2012 est de voir le monde s’unir jusqu’à ce que Kony soit arrêté et jugé pour ses crimes contre l’humanité.”
”La campagne Kony 2012 appelle le gouvernement américain à faire quelque chose concernant ces deux problèmes. Nous sommes pour le déploiement de conseillers américains et pour l’envoi du matériel d’information et autre qui puisse aider à localiser Kony et à le soumettre à la justice ; nous sommes aussi en faveur d’une intensification de la diplomatie afin de voir les gouvernements régionaux se tenir à leurs engagements de protéger les civils de ce genre de violence brutale”. (Déclaration officielle d’Invisible Children postée dans la section “Critiques” de leur site internet)
Les arguments d’Invisible Children ont été exprimés plus en détail dans leur lettre du 7 mars adressée au Président Obama :
”Votre décision de déployer des conseillers militaires américains dans la région en octobre 2011 a été une mesure bienvenue visant à plus d’aide aux les gouvernements régionaux dans leurs efforts afin de protéger le peuple des attaques de la LRA …
”Cependant, nous craignons qu’à moins que les efforts américains déjà entrepris ne soient étendus, votre stratégie puisse s’avérer inefficace … Nous vous encourageons à intensifier le déploiement de conseillers américains jusqu’à ce que la LRA cesse de représenter une menace pour les civils …
”Le gouvernement congolais, en particulier, a cherché de manière active à diminuer l’importance de la présence de la LRA et de son impact sur les communautés congolaises. Qui plus est, l’Ouganda a retiré plus de la moitié des forces initialement déployées dans la traque des commandants et groupes de la LRA, et leurs forces n’ont plus le droit d’opérer au Congo, où la LRA commet la majorité de ses attaques sur des civils. Nous vous implorons de contacter directement les Présidents de chacun des quatre pays concernés – en partenariat avec l’Union africaine – afin de renforcer la coopération régionale, d’accroitre les effectifs et la liberté d’action des troupes déployées dans les zones affligées par la LRA, et de renforcer les efforts visant à encourager les désertions des soldats rebelles.”
Mais la politique du gouvernement américain en Afrique ne part pas de l’idée de défendre les intérêts de la vaste majorité des Africains. Quelques jours seulement après que cette lettre ait été envoyée, le général Carter Ham, commandant du United States Africa Command (Africom, Commandement des États-Unis en Afrique), a entamé ainsi son discours annuel devant le Comité des services armées du Sénat américain : ”Nos opérations, nos exercices, nos programme de coopération à la sécurité continuent à contribuer aux objectifs politiques américains en Afrique, à renforcer le partenariat et à réduire les menaces envers l’Amérique, les Américains, et les intérêts américains basés en Afrique.”
Malgré le taux de croissance relativement élevé de l’Afrique en ce moment, principalement basé sur l’exploitation des matières premières, la majorité de la population n’en tire quasiment aucun bénéfice. Dans de nombreux pays, le niveau de vie ne s’élève qu’à peine ; souvent l’inflation élevée des prix de l’énergie et de la nourriture sape en réalité ce niveau de vie.
Le Nigéria est en ce moment présenté comme étant un des meilleurs “espoirs” du capitalisme en Afrique, mais rien que le mois dernier, l’Office national des statistiques a rapporté que ”Alors qu’en 2004, le taux de pauvreté relative du Nigéria s’élevait à 54,4 %, celui-ci s’est accru à 69 % en 2010, soit 112 518 507 Nigérians ». Ceci, malgré les statistiques officiels qui montrent que le PIB nigérian s’est accru de 7,35 % chaque année entre 2004 et 2010. Et la situation continue à empirer. En même temps que l’annonce de ces chiffres, le Statisticien général du Nigéria a ajouté que « en mesurant la pauvreté en termes relatifs, absolus et en dollars-par-jour, l’Office national des statistiques estime que la pauvreté pourrait s’être accrue respectivement à environ 71,5 %, 61,9 % et 62,8 % en 2011” (The Guardian de Lagos, 14 février 2012).
C’est l’échec permanent de l’Afrique à se développer qui est la cause de tous les troubles, de toute l’oppression et de toutes les guerres qui semblent être la caractéristique de ce continent. Cela n’est pas quelque chose de typiquement “africain” : les autres continents du monde n’ont pas non plus connu une histoire sans guerre ni oppression ; mais aujourd’hui, dans un monde dominé par l’impérialisme, les perspectives pour un développement capitaliste en Afrique sont sévèrement limitées.
Voilà la raison pour les nombreux maux qui affligent le continent.
L’histoire de l’Ouganda
L’histoire sanglante de l’Ouganda et des pays l’environnant n’est qu’un autre triste exemple de ce fait.
Au cours des dernières décennies, l’Ouganda a vu une dictature faire place à une autre, au fur et à mesure que les différentes élites dirigeantes en lutte les unes contre les autres ont cherché à s’accrocher au pouvoir dans une situation où les droits démocratiques étaient réprimés ou limités parce que l’économie capitaliste locale était trop faible que pour pouvoir se permettre la moindre concession durable. Rien qu’en avril et mai dernier, les manifestations contre la hausse des prix de l’énergie et de la nourriture n’ont reçu pour seule réponse que la répression policière et la censure de la part du régime autoritaire de Museveni. L’inflation galope à près de 44 %, ce qui veut dire que le taux de pauvreté de l’Ouganda va certainement continuer à s’accroitre.
L’ONG Human Rights Watch, dans son rapport mondial 2012, a condamné le fait qu’en Ouganda « pendant les manifestations d’avril 2011, à la suite des élections présidentielles de février, l’utilisation non-justifiée de violence mortelle par les forces de sécurité ougandaises ont causé la mort de neuf personnes. Les politiciens de l’opposition et des centaines de leurs partisans ont été arrêtés et condamnés pour réunion illégale et incitation à la violence, tandis que des agents étatiques battaient et harcelaient les journalistes qui relayaient le mouvement » (22 janvier 2012).
Mais ces conflits ne visent pas seulement des enjeux économiques ; s’y retrouvent mêlés également des conflits nationaux et des rixes entre différentes couches rivales au sein de l’élite, tout cela parfois en collusion avec diverses puissances impérialistes rivales.
En Ouganda, le dirigeant actuel, Museveni, est arrivé au pouvoir en 1985 après le renversement de Milton Obote. Au cours de son règne, Obote avait le soutien de la population Acholi du nord de l’Ouganda ; cette population a beaucoup souffert après son renversement.
Human Rights Watch, qui soutient la campagne anti-Kony, a dû admettre que ”L’Armée de résistance du Seigneur a commencé à se battre contre le gouvernement ougandais au milieu des années ’80, en partie en guise de réponse à la marginalisation de la population du nord du pays par le gouvernement” (9 mars 2011).
Kony lui-même est un Acholi. Dans son “Histoire de la guerre”, Invisible Children décrit ce qui est arrivé aux Acholis : ”À partir de 1996, le gouvernement ougandais, incapable de stopper la LRA, a exigé des habitants du nord de l’Ouganda qu’ils quittent leurs villages pour se rendre dans des camps gouvernementaux pour “personnes déplacées en internes” (IDP). Ces camps étaient censés avoir été créés pour la sécurité des populations, mais ils étaient pleins de maladies et de violences. À l’apogée du conflit, 1,7 millions de gens vivaient dans ces camps à travers toute la région. Les conditions y étaient ignobles et il n’y avait pas moyen d’y vivre. C’est ainsi que toute une génération du peuple acholi est né et a grandi dans ces camps.”
Il a été estimé que près de 80 % de la population du nord de l’Ouganda a été déportée de force dans ces camps ou “villages protégés”, et bien que la plupart ait apparemment quitté les camps, les réfugiés qui revenaient chez eux se sont de plus en plus retrouvés confrontés à des conflits ayant pour enjeu leur droit de revenir vivre sur la terre qu’ils ont autrefois habitée et cultivée.
Mais bien que les origines de la LRA tirent en partie leurs racines de la tragédie du peuple acholi à partir du milieu des années ’80, il ne fait aucun doute que la LRA n’a jamais, au grand jamais, été un mouvement de libération visant à protéger les Acholis ; dans les faits, elle n’a été qu’un oppresseur de plus.
La LRA a quitté l’Ouganda en 2006 au moment du démarrage des négociations de paix ; mais ces pourparlers ont finalement échoué à parvenir à un accord. Ceci a mené à l’attaque militaire sur la LRA, la toute première opération organisée par l’Africom récemment créée. Cette attaque, soutenue par Invisible Children, est décrite en ces termes par l’association dans son “Histoire de la guerre” : ”En décembre 2008, lorsqu’il est devenu clair que Kony n’allait pas signer l’accord, l’opération “Tonnerre d’éclair” (Operation Lightning Thunder) a été lancée. Cette opération était le résultat d’une action coordonée de l’Ouganda, de la République démocratique du Congo, de la République centrafricaine et du Soudan, avec le soutien des États-Unis en matière de logistique et de renseignements.”
Il est clair que, vu son silence autour de ce qui est maintenant en train de se passer en Ouganda et son soutien actif pour l’intervention militaire américaine, les organisateurs d’Invisible Children sont en train, intentionnellement ou non, de mobiliser pour des actions qui, tout en pouvant permettre de porter le coup final à ce qui reste de la LRA, ne feront pas pour autant cesser le cycle de violence à l’encontre des enfants et des adultes.
Invisible Children ne peut même pas affirmer que l’administration Obama est sérieuse concernant une de leurs principales revendication – la fin de l’exploitation d’enfants-soldats. Rien qu’en octobre dernier, l’administration Obama a donné son feu vert à une continuation du financement militaire par les États-Unis du Yémen, du Tchad et de la RDC, malgré la persistance de l’utilisation d’enfants-soldats par ces pays. Cela était censé cesser après l’adoption du Child Soldiers Pervention Act en 2008, pour lequel Obama lui-même avait voté en tant que sénateur. Mais maintenant, en tant que président, Obama signe des accords justifiés par “les intérêts de la sécurité nationale” (ABC News, 5 octobre 2011). Le gouvernement américain est d’une hypocrisie monstre concernant les enfants-soldats. Alors que Kony est dénoncé pour son usage d’enfants-soldats, personne ne dénonce le pays dans lequel la LRC est basé aujourd’hui, la RDC !
Tout cela montre bien que, malgré tout le vernis humanitaire, la politique de la classe dirigeante américaine (et d’autres) n’est déterminée que par la défense de ses propres “intérêts nationaux” (càd, les intérêts de ses “propres” capitalistes).
Il est tragique, vu l’énorme soutien qu’ils ont gagné au cours des dernières semaines, de constater qu’Invisible Children suivent la politique étrangère du gouvernement américain sans la moindre critique, et sont très sélectif dans ce qu’ils dénoncent.
Tout en dénonçant Kony, Invisible Children se tait sur les exactions de Museveni en Ouganda, ce qui est cohérent avec la position du gouvernement américain qui le considère comme un allié crucial dans la région.
Ce silence sur la véritable situation en Ouganda pousse Invisible Children à mettre en avant la Cour pénale internationale qui a émis des mandats d’arrêt à l’encontre Kony et de deux autres commandants de la LRA, mais à se taire sur le fait que le gouvernement ougandais a lui-même ignoré une décision de la Cour de justice internationale, prise en décembre 2005, selon laquelle l’Ouganda devrait compenser la RDC pour les exactions et le pillage des ressources qui y ont été commises par sa propre armée entre 1998 et 2003. En ce moment, la RDC réclame 23,5 milliards de dollars à l’Ouganda en guise de réparation pour ses opérations militaires sur le territoire de la RDC.
Par cette mise en question des véritables motivations d’Invisible Children, nous ne voulons en aucun cas nier la brutalité et la barbarie de la LRA, mais nous voulons nous opposer aux tentatives de mobiliser sur cette base un soutien à la politique hypocrite qu’Obama mène en Afrique.
Invisible Children mobilise
Invisible Children prétend avoir « inspiré la jeunesse américaine à faire “plus que simplement observer” ». Il ne fait aucun doute que des millions de gens ont senti qu’ils pourraient faire “quelque chose”. La vidéo “Kony 2012” a eu un énorme effet. La rapidité de son impact n’a jamais été vu auparavant. À peine 4 personnes avaient vu la vidéo le 3 mars, mais ils étaient 58 000 le 5 mars à avoir visionné la vidéo, puis 2,7 millions le 6 mars et 6,2 millions le jour suivant. Aujourd’hui, plus de 80 millions de gens ont vu cette vidéo.
De nombreux jeunes américains ont donné de l’argent à Invisible Children, d’autres achètent le “kit d’action” à 30 dollars ; la journée d’action du 20 avril pourrait générer un large soutien.
Mais, étant donné la politique suivie par Invisible Children, il existe un grave danger que cette énergie sera simplement détournée afin de fournir un soutien à la politique de l’administration Obama qui vise à renforcer son influence en Afrique, à un moment où les autres puissances telles que la Chine ou le Brésil se lancent également dans la course pour ce nouveau repartage de l’Afrique. Malgré toutes les belles paroles contre Kony et la LRA, l’administration Obama, tout comme ces prédécesseurs, est complètement hypocrite dans son soutien à “ses propres” régimes autoritaires et dictatoriaux, tels que l’Ouganda. Tout en comprenant bien le désir de la part des victimes de la LRA de recevoir une aide extérieure contre Kony, les socialistes rappellent que les gouvernements capitalistes extérieurs ont leurs propres intérêts. La BBC a beau faire état maintenant de populations en RDC qui appellent Obama à intervenir contre la LRA, cela ne représente pas une solution durable pour le peuple congolais. N’oublions pas que pendant des décennies, tous les présidents américains, républicains comme démocrates, ont soutenu le règne brutal du bandit Mobutu et l’ont aidé dans son pillage du pays qui est aujourd’hui la RDC.
La seule manière de réellement agir dans les intérêts des enfants, des pauvres, des opprimés et de la population laborieuse de manière générale en Afrique, est d’aider ces gens à construire leurs propres mouvements indépendants, des mouvements qui n’auront aucune confiance dasn les gouvernements capitalistes ou dans la moindre intervention étrangère, mais qui mèneront la lutte pour transformer la société.
Malgré les horreurs de la guerre en Afrique centrale et orientale, nous avons déjà vu cette année de puissants mouvements de masse dans d’autres pays africains contre l’oppression et la misère et pour le changement, tel que les grèves générales au Nigéria et en Afrique du Sud.
La rapidité avec laquelle s’est répandue la colère contre Kony est une véritable source d’inspiration. Le mouvement ouvrier doit tout faire pour s’assure que l’idéalisme enthousiaste et le désir de changement affiché par l’explosion exponentiel de l’intérêt en faveur de la campagne “Kony 2012” puisse être mobilisé en tant que partie prenante d’une véritable lutte contre l’exploitation, la misère et la guerre.
Le défi pour les socialistes authentiques est de contribuer à relier la colère de la jeunesse face aux crimes commis par des groupes tels que la LRA et son désir de faire quelque chose à la construction de mouvement capables de renverser le système capitaliste qui corrompt et empoisonne les vies de tant de gens, au lieu de voir cette colère et ces aspirations se faire canaliser par des personnes qui veulent éviter de voir remis en question l’ordre capitaliste existant.
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Grèce : Dictature des marchés ou démocratie des travailleurs
La vie des masses était déjà devenue plus qu’infernale depuis la signature du premier mémorandum en mai 2010 qui conditionnait l’octroi d’un prêt de 110 milliards d’euros à toute une batterie de mesures antisociales (privatisations, baisse des salaires,…). Ce mois de février, le second mémorandum (pour une somme de 130 milliards d’euros) a été voté au Parlement grec, dans un bâtiment littéralement assiégé, protégé par une véritable armée de policiers ayant face à elle une marée humaine de plus de 500.000 manifestants en colère. Ce dimanche-là clôturait une semaine qui avait connu une grève générale de 24 heures le mardi suivie d’une autre de 48 heures les vendredi et samedi.
Par Nicolas Croes
Une misère généralisée
Les mesures contenues dans ce second mémorandum sont largement dénoncées comme un remède pire que le mal luimême. Selon le syndicat grec GSEE, il y avait 2 millions de Grecs sous le seuil de pauvreté en 2008, il y en a désormais plus de trois millions, sur une population de 11 millions d’habitants à peine. La situation quotidienne des masses grecques est devenue catastrophique sous les coups répétés des précédentes mesures dictées par la Troïka (Union Européenne, Banque Centrale Européenne, Fonds Monétaire International). Le taux de chômage dépasse maintenant les 20% (et approche des 50% pour les jeunes) tandis que les salaires de ceux qui ont un emploi sont au ras du sol. Dans le secteur public, les fonctionnaires ont subi une perte d’environ 30 % de leurs revenus, les retraités, une baisse de 20 % de leur pension et dans le secteur privé, on observe une perte moyenne de 15 % de revenus. Tout cela alors que le coût de la vie est quasiment identique à celui rencontré dans une ville comme Bruxelles !
Dans les pages du Soir, Sonia Mitralia du mouvement ‘‘Contre La Dette’’ a expliqué que : ‘‘80 % de la population grecque est en détresse. La classe moyenne tend à disparaître tout bonnement pour la première fois. Les politiques d’austérité font des attaques sur tous les fronts: hausses d’impôts, coupes de salaires et des retraites, hausse de la TVA à 23%… Ce sont toutes ces attaques réunies qui abaissent le revenu.’’ (Le Soir du 7 février 2012) On parle désormais ouvertement d’une crise humanitaire, avec notamment une explosion du nombre de sans-abris. ‘‘Avant, on faisait des missions humanitaires en Afrique. Désormais, on se concentre sur la Grèce. Et la situation ne va pas s’améliorer. Le temps passe tous les jours, on voit de plus en plus de Grecs dans le besoin. Ils sont de plus en plus nombreux dans la rue’’ a déclaré à La Libre Christina Samartzi, de Médecins du Monde (MdM). Elle explique encore que ‘‘les enfants souffrent de malnutrition. Leurs mères n’ont parfois même plus d’argent pour acheter du lait.’’ (La Libre du 22 février 2012) Certains parents, trop pauvres pour subvenir aux besoins de leurs enfants, préfèrent même les abandonner dans les centres d’action sociale, où ils auront plus de chances d’avoir une alimentation régulière. Dans les écoles, il est devenu banal de voir des enfants s’évanouir faute d’avoir suffisamment reçu de quoi manger chez eux.
Des secteurs vitaux de la société ont subi des coupes budgétaires absolument horribles, à l’instar des soins de santé dont le budget a été coupé de 40% en 2011 comparé à 2010. Le nombre de lits dans les hôpitaux a déjà été diminué de plus de 30% dans le pays. L’Etat compte sur la solidarité familiale, importante dans la société grecque, pour pallier aux manques. ‘‘Ce n’est pas la solidarité familiale qui doit pallier aux vaccinations des enfants, ou trouver des médicaments pour soigner un cancer ou pour les gens qui ont besoin de dialyse pour les reins!’’ s’est, à juste titre, emportée Sonia Mitralia face au journaliste du Soir. Et cet hiver, d’innombrables foyers ont renoncé à se chauffer car le prix du mazout a doublé en moins d’un an. En bref, le quotidien de millions de personnes s’organise sous la contrainte de ce terrible choix : manger, se chauffer, se soigner ou payer ses factures ?
S’évader ou riposter
Dans pareille situation de crise, comme face à n’importe quel danger, il n’y a que deux solutions : la lutte ou la fuite. La Grèce est ainsi confrontée à une grande émigration, plus particulièrement de jeunes diplômés. Selon la Banque Mondiale, plus de 10% des Grecs vivaient à l’étranger en 2010 (contre 2,8% des Français par exemple). D’autres s’évadent de leur vie sans perspective de manières bien plus tragiques, par le suicide ou la drogue. Le gouvernement grec a dévoilé en juin de l’an dernier que le taux de suicide avait augmenté de 40 % au premier semestre 2011 comparé aux six premiers mois de 2010. A titre de comparaison, une étude de l’université de Cambridge menée par un sociologue parlait d’une augmentation de 17% du taux de suicide entre 2007 et 2009. Cette étude prenait notamment l’exemple du propriétaire d’un petit magasin récemment retrouvé pendu sous un pont avec une lettre où il avait inscrit: ‘‘ne cherchez pas d’autres raisons. La crise économique m’a conduit à ça.’’ Actuellement, un Grec sur deux pense à se suicider.
La consommation de drogues est, elle aussi, en pleine expansion, du fait de l’impact de la crise et de l’absence de perspectives sur les mentalités de chacun, mais aussi en conséquence de la quasi-disparition du budget de prévention à la toxicomanie (un tiers des centres de prévention et de désintoxication a été fermé) et des réductions du budget des soins de santé. Face à ce problème de plus en plus important, la Grèce a dépénalisé fin de l’année dernière la consommation et la possession ‘‘en petites quantités’’ de toutes les drogues. Suite à cela, les prix ont augmenté (la dose d’héro passant de 3 à 20 euros) et des drogues bon marché ont inondé les rues, à l’image de la ‘‘sisa’’, essentiellement composée de liquide de batterie et de détergent. Apparue il y a 18 mois, on connait déjà suffisamment ses effets dévastateurs pour dire qu’on y survit pas plus d’un an. Tanos Panopoulos, chef de mission à l’Organisation anti-drogue affirme que ‘‘dans les rues, 99% des héroïnomanes consomment la sisa.’’
Canaliser l’énergie et la combativité des masses
Mais la résistance se développe aussi. En 2 ans, le pays a connu une quinzaine de journées de grèves générales, y compris 3 grèves générales de 48 heures. La colère est immense dans tout le pays, les grèves, piquets de grève et manifestations sont innombrables. Les mobilisations du dimanche 12 février étaient les plus massives depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Tous les jours, il y a de nouvelles manifestations, de nouveaux piquets de grève. Petit à petit, la compréhension de l’importance de l’organisation s’est imposée.
Hélas, dans ce processus, il a manqué au mouvement une direction combative et audacieuse. Les directions syndicales n’ont par exemple pas pleinement joué le rôle qui aurait dû être le leur dans l’organisation de la résistance des masses. Les syndicats n’ont pour la plupart pas osé s’en prendre de front au PASOK (le parti social-démocrate) tout d’abord seul au pouvoir sous Papandréou puis, depuis le mois de novembre, en coalition avec la Nouvelle-démocratie (droite) et le Laos (extrême-droite, qui a quitté le gouvernement en février) sous Papadémos. Il n’y a pas qu’en Belgique que les liens entretenus entre les sommets syndicaux et les partis de l’establishment soi-disant ‘‘de gauche’’ constituent un grand problème…
Quant au PAME, le syndicat lié au Parti Communiste grec (KKE), sa rhétorique radicale masquait une absence de plan de lutte clair et offensif et dans les faits, il s’est limité à un appel à voter pour le KKE. Tout au long de ces deux dernières années, les directions syndicales n’ont en définitive appelé à des actions que parce qu’elles y étaient contraintes sous la pression des masses, mais elles se sont succédées sans que la prochaine étape de la lutte ne soit bien claire et sans qu’un plan d’action et une stratégie ne soient élaborés pour mieux canaliser la colère et la combativité des masses vers la réalisation d’un programme politique alternatif.
D’autre part, les deux grands partis de la gauche radicale (le KKE et Syriza, une coalition de la gauche radicale) ont eux aussi manqué de mots d’ordres clairs tant sur le plan syndical, en ne voulant pas se confronter aux dirigeants syndicaux qu’au niveau politique, en refusant durant longtemps de mener campagne pour le refus du paiement de la dette ou encore la nationalisation du secteur financier. Pourtant, la radicalisation à l’oeuvre dans la société grecque est telle que ces deux revendications disposent d’un soutien majoritaire dans la population !
Les travailleurs de la base et la population au sens plus large se sont donc retrouvés désemparés. La colère s’est donc également exprimée par d’autres canaux, comme avec le mouvement des Indignés grecs, qui a eu une base réellement massive dans la jeunesse grecque (mouvement que le KKE qualifiait de ‘‘petitbourgeois’’ en refusant de s’y impliquer), ou avec le mouvement pour le non-paiement (des péages autoroutiers, des transports publics,…). Mais la colère est aussi devenue frustration, ce qui a ouvert la voie à la violence dont ont tant parlé les médias grecs et internationaux. Faute de savoir comment poursuivre et accentuer la lutte, de nombreuses personnes, beaucoup de jeunes mais pas seulement, ont perdu patience. Cela a offert un terreau fertile aux théories basées sur la casse et l’action directe violente défendues notamment par une partie du courant anarchiste et favorisées par l’activité d’agents provocateurs. Mais en première instance, la responsabilité de cette violence est à trouver dans l’absence d’un plan de combat audacieux pour le mouvement. Il semble que tant les directions syndicales que celles des grands partis de gauche ne savent pas que faire des possibilités ouvertes par cette situation.
Les élections d’avril et la question du pouvoir
Car les possibilités sont nombreuses et historiques. Le gouvernement a annoncé le 13 février la tenue d’élections en avril et les données issues des sondages sont tout bonnement extraordinaires (les données qui suivent sont issues d’une enquête réalisée en février par l’institut Public Issue). Lors des dernières élections de 2009, le PASOK (équivalent local du PS) avait obtenu 43,9% contre… 8% aujourd’hui. La Nouvelle Démocratie obtient quant à elle environ 31% (contre 33% en 2009). A gauche, le KKE est crédité de 12,5% (contre 7,5% en 2009) et Syriza de 12% (4,6% en 2009). Si l’on rajoute à ces données celles de Dimar (une scission modérée d’une des composantes de Syriza actuellement créditée de 18%), cela donne à la gauche de la social-démocratie et des verts le chiffre de 42,5%. Comme le système électoral grec accorde un bonus de 40 sièges supplémentaires au plus grand groupe parlementaire, la gauche radicale a le potentiel de constituer le gouvernement qui suivra aux élections d’avril ! Ces partis ont d’ores et déjà déclaré qu’ils ne comptaient pas respecter toutes ces mesures d’austérité, ce qui a fait dire au ministre allemand des finances qu’il faudrait postposer ces élections, parce que les gens risquent de ne pas voter comme il faut… En bref, c’est soit l’argent, soit la démocratie. Hélas, les principaux partis de gauche, le KKE et SYRIZA, refusent de mettre en avant un programme d’orientation socialiste et de collaborer ensemble pour les prochaines élections.
Nos camarades grecs de Xekinima aident ces organisations à collaborer ensemble pour les prochaines élections, mais ne se limitent pas à la question électorale. Ils appellent à l’organisation d’un mouvement de grève générale illimitée et à des manifestations massives pour faire tomber le gouvernement le plus vite possible. D’autre part, ils appellent à l’extension du mouvement d’occupation d’entreprises qui se développe actuellement aux autres entreprises, aux universités et aux écoles, mais aussi aux divers quartiers des villes et villages afin de créer des points de rassemblement pour les divers mouvements de résistance, des endroits où discuter de l’organisation de la lutte mais qui peuvent constituer l’embryon de la nouvelle société à construire. Nos camarades ont proposé à tous les groupes de la gauche de se réunir pour prendre des initiatives dans cette direction.
Tout comme nos camarades l’avaient défendu dans le cadre des occupations de places des Indignés, Xekinima appelle à l’élection démocratique de représentants aux cours d’assemblées générales dans tous les districts afin de coordonner ces assemblées aux niveaux local et national pour poser les bases d’un gouvernement des travailleurs.
Quel programme contre celui de la troïka ?
La politique de la troïka a déjà poussé l’économie grecque à se contracter de 15% au cours des dernières années. Le nouveau plan vise à réduire la dette publique grecque à 120 % du PIB d’ici à huit années, et n’est absolument pas crédible. La troïka prévoyait une récession de – 3 % pour 2011, la réalité fut de – 6 %. Pour 2012, la troïka parle de – 2 %, mais diverses prédictions parlent de – 4 %, voire même de – 7 %. Plus fondamentalement, faire payer la crise à la population sape les bases mêmes de l’économie, c’est comme scier la branche sur laquelle on est assis.
Le dilemme est le suivant : ne pas faire payer les dettes aux travailleurs et à leurs familles et s’en prendre aux capitalistes déclencherait une grève du capital (fermetures d’entreprises, fuite de capitaux hors du pays, chute des investissements,…). Et faire appel à la ‘‘planche à billets’’ en imprimant de l’argent entraînerait une inflation gigantesque.
Contre le programme d’austérité de la troïka, la seule politique capable de sortir la population de la crise est un programme socialiste basé sur le refus de payer la dette et sur la nationalisation du secteur financier ainsi que des secteurs clés de la société pour les placer sous le contrôle démocratique de la collectivité. Les assemblées de quartiers, d’entreprises,… constitueraient des endroits idéaux pour que les masses soient démocratiquement impliquées dans la production de richesses et leur utilisation. Ainsi, un réel programme de défense de l’emploi, de construction de logements sociaux, de gratuité des soins de santé et de l’enseignement,… pourrait être développé et concrétisé. La situation actuelle de la Grèce rend la réalisation de ce programme des plus urgentes. Cela constituerait aussi une impulsion monumentale aux luttes partout en Europe et dans le monde, et poserait le premier pas vers un monde débarrassé de l’exploitation capitaliste : un monde socialiste démocratique.
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Les révoltes mondiales contre ce système sans perspective suscitent la recherche d’une alternative (1)
1. L’été dernier, l’illusion selon laquelle le capitalisme mondial allait parvenir à s’extraire du pétrin dans lequel il se trouve depuis 2008 a de nouveau volé en éclats. On était parvenu à changer la Grande Dépression en une Grande Récession. C’est pourquoi on avait ouvert les robinets à argent, les dettes privées avaient été transférées aux gouvernements et les stimulants de masse avaient sauté. Depuis lors, une question cruciale tient en suspens les économistes et les politiciens : à partir de quand les déficits budgétaires peuvent-ils être purgés, sans pour autant de nouveau rejeter l’économie dans la récession ?
2. Bonne question ! Au lieu de redémarrer au turbo sur les starting-blocks, l’économie mondiale continue à cahoter. Cela suscite des tensions, qui deviennent difficiles à cacher même avec diplomatie. Ces derniers 18 mois, les États-Unis et la FED ont continué à arroser l’économie avec leur pompe à pognon. C’est entre autres comme cela que le déficit budgétaire des États-Unis va atteindre cette année un nouveau record de 1.645 milliards $. Dans le meilleur des cas, cela pourra redescendre en-dessous de 1.000 milliards $ à partir de 2013. En même temps, le bilan de la FED, l’autorité monétaire destinée à lubrifier l’économie, a grimpé de 1.000 milliards $ avant la crise du crédit, à 3.000 milliards $ en juillet de cette année.
3. Le gouvernement chinois a encore une fois surpassé l’américain. En pourcentage du PIB, les stimuli chinois dépassent de moitié les américains. Grâce à ses banques sous contrôle d’État, 3000 milliards $, soit 60% du PIB, sont passés au crédit. Cela n’a pu se faire que par la nature hybride de l’État chinois. Même si cela fait bien longtemps déjà que la demi-caste, demiclasse dirigeante a décidé de passer à une économie de marché, elle dispose encore toujours de leviers qui lui permettent de mobiliser les forces productives d’une manière dont les autres économies purement de marché ne peuvent que rêver. Le régime a ainsi pu neutraliser l’effet de la grande récession sur son économie et dans la foulée soutenir l’économie américaine afin d’éviter d’être entrainé en chute libre avec elle.
4. La Chine a accumulé 3.200 milliards $ en réserve au cours de ces dernières décennies, 66% en dollars, 26% en euro. Elle aimerait bien diversifier ce trésor. Un peu partout dans le monde, les détenteurs de capitaux sont très conscients de cela. C’est pourquoi la Chine se trouve sous pression. Le moindre signe qu’elle commence à vendre ses réserves en dollars causera une fuite subite, chacun cherchant à se débarrasser de ses dollars, conduisant à une implosion de cette devise, et à une baisse subite de la valeur de ses réserves. Mais sur un plus long terme, le fait de garder ces réserves en dollars pourrait s’avérer encore plus grave.
5. L’économie chinoise est bien la deuxième au monde par sa taille, mais avec 1.250 millions d’habitants, la consommation des particuliers est sous celle de l’Allemagne, avec ses 82 millions d’habitants. La Chine a exporté près de 1.600 milliards $ en 2010. La dépendance envers le marché américain est énorme. Le surplus commercial (c.à.d, les exportations moins les importations) avec les États-Unis en 2010 était de 273 milliards $, plus que le surplus commercial total, qui est lui de 183 milliards $. Face au surplus commercial avec les États-Unis, il y a il est vrai un déficit commercial avec les pays fournisseurs de matières premières et de mains d’oeuvre encore meilleur marché dans la plupart des pays d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique. La Chine a donc tout intérêt à ce que l’économie américaine continue à tenir le coup.
La Chine – nouvelle superpuissance mondiale ?
6. Les mesures prises par le gouvernement chinois ont assuré une poursuite de la croissance dans toute une série de pays, dont par exemple le Brésil et l’Australie, mais cela n’est pas sans risque. Le Brésil présente à nouveau des signes d’économie coloniale qui produit essentiellement des matières premières et des produits semi-finis et en échange ouvre son marché aux produits manufacturés chinois. On y voit même un processus de désindustrialisation. Avec l’immense hausse de la productivité en Chine, en moyenne de 9,6% entre 2005-2009, cela a fait croître l’illusion que la Chine est sur le point de détrôner les États-Unis en tant que principale puissance mondiale. Tout comme les États-Unis après la Deuxième Guerre mondiale avaient chassé de cette position le Royaume-Uni.
7. Cela est cependant peu probable. Aussi bien le Royaume-Uni que les États-Unis disposaient durant toute leur phase ascendante des techniques de production les plus modernes. C’était leur efficience de production qui déterminait les limites scientifiques et technologiques du reste du monde. Tous deux ont connu leur période de gloire dans une période d’expansion économique. Les Etats-Unis – après que ses plus importants concurrents aient été aplatis sous les bombardements, l’Amérique latine leur étant tombée dans les mains comme un fruit bien mûr – ont pu imposer leurs termes commerciaux et leur monnaie au reste du monde capitaliste, et ont développé une économie de guerre, sans pour autant avoir à subir les désavantages de la guerre. Voilà quelles ont été les conditions par lesquelles les techniques de production qui étaient déjà connues avant la Deuxième Guerre mondiale, mais qui se heurtaient auparavant aux limites du marché, ont pu être appliquées pour la première fois à une échelle de masse.
8. Déjà en 1950, les États-Unis étaient beaucoup plus productifs que leurs concurrents. La productivité de l’Allemagne et de la France n’atteignait même pas la moitié de la productivité américaine. L’Union Soviétique n’en atteignait à peine que le tiers, et le Japon un cinquième. Les seuls qui atteignaient des résultats comparables étaient l’Australie, le Canada et… le Venezuela. Le Royaume-Uni était alors déjà un bon quart moins productif, juste un peu mieux que l’Argentine, mais derrière Hong Kong. Dans les années ’60 et ’70, la productivité aux États-Unis ne s’est cependant accrue que de moins de +3%, alors qu’elle s’accroissait de +5% dans les quinze pays de l’Union Européenne et de +8% au Japon. Comment cela se fait-il ? Selon la FED, à New York (Current Issues v13, n8), parce que lorsque la quantité de capital placée par travailleur est basse, le capital est relativement productif. Il a alors un haut produit marginal (la quantité par laquelle la production s’accroit pour chaque nouveau travailleur engagé) et contribue visiblement à la croissance de la productivité.
9. Ce phénomène a déjà été expliqué par Marx. Il a fait remarquer le changement dans la composition organique du capital. Avec la composition organique, on détermine le rapport entre capital “vivant et variable” et capital “mort et constant”. Le capital vivant est consacré aux heures de travail de la main d’oeuvre et fournit une plus-value. Le capital mort est consacré aux bâtiments, aux matières premières, aux machines, et transmet sa valeur à celle du produit final, mais sans y ajouter de plus-value. La concurrence force les capitalistes à au moins suivre les techniques les plus modernes, et donc à investir de plus en plus dans du capital mort, aux dépens du capital vivant. L’effet clairement contradictoire de cela est le fait que le taux de profit – le profit réalisé par unité de capital investie – a une tendance à baisser. Les marxistes appellent cela “la loi de la baisse tendancielle du taux de profit”.
10. Comme seconde raison pour expliquer la faible croissance de la productivité aux USA dans els années ’60 et ’70, la FED explique que des pays connaissant une degré moindre de technologie et de techniques de production, qui attirent des investissements étrangers et autres joint-ventures, pouvaient facilement copier les USA. On appelle cela la “loi de l’avancée en tant que frein” ou, pour employer une terminologie plus multilatérale et plus marxiste, la “loi du développement inégal et combiné”. Cela explique la croissance plus rapide de la productivité au Japon après la Deuxième Guerre mondiale, mais aussi pourquoi un pays qui se coupe du monde extérieur est au final condamné à stagner et à rester en arrière. La Corée du Nord ou l’Albanie d’Enver Hoxha, de véritables caricatures d’autarcie, en sont des témoins flagrants.
11. La rapide hausse de la productivité au Japon et dans l’Union européenne a cependant cessé au début des années ’90. Selon la FED, cela s’est produit en Europe à cause de la “rigidité du produit et du travail”. Selon nous, cela s’est produit parce que le mouvement ouvrier en Europe est mieux parvenu qu’aux États- Unis à résister contre les tentatives du patronat de rehausser le taux d’exploitation. Pour le Japon, la FED explique qu’au fur et à mesure que la productivité d’un pays atteint son summum, le produit marginal baisse, et il devient plus difficile de copier, et de ce fait la hausse de la productivité devient plus difficile à réaliser. Nous ajouterions ceci : à moins qu’il ne survienne une situation exceptionnelle. La destruction massive de l’infrastructure et des moyens de production pendant la Deuxième Guerre mondiale constituait une telle situation exceptionnelle.
12. Les États-Unis ont connu leur période de gloire durant l’âge d’or des années ’50 et ’60. À ce moment, la croissance économique était tirée par l’État social, avec la hausse des salaires, la baisse du temps de travail, l’apparition de véritables allocations sociales, de services publics et d’un système d’impôt progressif. L’économie chinoise est au second rang si on compare sa taille pour tout le pays mais, en termes de richesse par habitant, elle se trouve à la 95e place. Le pays connait une énorme croissance de la productivité de par les raisons définies ci-dessus, auxquelles il faut ajouter son infrastructure, son niveau d’enseignement et sa centralisation, tout cela hérité de son économie planifiée. Pourtant, la productivité par travailleur en 2005 n’y était que de 15% supérieure à ce qu’elle est aux États-Unis. La Chine devrait surmonter cela, alors que nous sommes en plein milieu d’une période de contraction économique.
Les déséquilibres de l’économie chinoise
13. Tout comme pour le Japon en son temps, la croissance économique chinoise est essentiellement poussée par les investissements. Au début, cela permet une croissance fébrile mais, après un certain temps, cela devient un frein. Entre 2000 et 2010, les investissements se sont accrus chaque année en moyenne de 13,3%, mais la consommation des particuliers n’a cru que de 7,8%. Cela signifie un transfert de la consommation vers les investissements. La baisse des salaires, l’expansion du crédit et un cours de change sous-évalué ont tous contribué à cela. La part de la consommation dans le PIB au cours de cette période est passée de 46% à 34%, tandis que celle des investissements passait de 34% à 46%. Pour 1% de croissance du PIB, il fallait encore dans les années ’90 une croissance du capital de 3,7%, en 2000, ce 1% de croissance exigeait par contre une hausse des investissements de 4,25%. On voit donc que la rentabilité de l’investissement diminue.
14. C’est pourquoi Wen Jiabao, le premier ministre chinois, a déclaré l’économie ‘‘instable, déséquilibrée, non-coordonnée et au final, non-durable’’. On craint que ‘‘ne soient piégés les revenus moyens.’’ C’est le phénomène où un pays ne parvient plus à croître à partir du moment où il a atteint un niveau bien défini. L’incapacité à livrer l’accès aux couches moyennes pour la majorité de la population est un de ces symptômes. Les bas salaires et la répartition inégale sont il est vrai la source de la croissance des investissements. En fait, la croissance devrait être plus basée sur la consommation des particuliers. La croissance des investissements devrait être inférieure à celle du PIB. Dans les années ’80, le Japon a tenté de soutenir la croissance avec le crédit d’investissement, sans effet : cela a conduit à une explosion du crédit. Dans les années ’90, la correction est arrivée, avec les conséquences catastrophiques que l’on connait.
15. Plus encore qu’à l’époque au Japon, les investissements en Chine sont basés sur du crédit. Sans un soutien artificiel, une grande partie ne serait pas rentable. Le moindre affaiblissement de la croissance à 7% ferait s’écrouler les investissements à 15% du PIB. Toute tentative de réorienter les moyens vers les ménages causerait une encore plus grande baisse des investissements. De ce fait, on voit que les investissements deviennent une source de stagnation, au lieu d’être un moteur pour la croissance. La Chine a maintenant un PIB par habitant comparable à celui du Japon en 1950 (juste après la guerre et juste avant le début de sa phase de croissance rapide longue de 25 ans). On dit que le PIB par habitant de la Chine pourrait atteindre 70% de celui des États-Unis en 2035, comme l’a fait le Japon en 1975 – à ce moment, l’économie chinoise serait plus grande que celle des États-Unis et de l’Europe ensemble. Bien que la taille de la population chinoise offre une échelle et des possibilités supplémentaires pour la répartition du travail, il y a aussi d’importants inconvénients qui y sont liés, le gigantesque besoin en matières premières n’est pas des moindres.
16. La création d’argent avec laquelle le gouvernement chinois a tenté de repoussé la crise en 2009 et 2010 n’a pas réduit sa dépendance face aux exportations et aux investissements. Sur le marché de l’immobilier, il y a énormément de spéculation, dont l’argent est financé par des prêts. Cela a causé une énorme hausse des prix. La bulle immobilière a entrainé avec elle du capital spéculatif. Les investisseurs courent, il est vrai, le risque d’une réévaluation du yuan par rapport au dollar. Les hausses salariales sont compensées par la hausse des prix à la consommation. Le taux d’inflation “alarmant” provient apparemment de la croissance rapide du crédit et de la monnaie et de la hausse du prix du pétrole, des matières premières et des denrées alimentaires ; cela est renforcé par les spéculateurs qui attendent que la demande augmente. L’exportation massive de produits chinois fait en sorte qu’il y a un afflux massif de devises étrangères. Les entreprises tout comme les particuliers peuvent facilement prêter de l’argent, comme le robinet à crédit a été coupé sur injonction des autorités. Mais tandis que le gouvernement national coupe le robinet à crédit, celuici reste grand ouvert auprès des autorités locales.
Guerre des devises et commerciale
17. L’Occident trouve que le dernier plan quinquennal s’attaque insuffisamment aux problèmes structurels. On doit faire quelque chose pour résoudre la dépendance aux exportations et le fossé entre riches et pauvres. L’Occident a peur d’un affaiblissement de la croissance. Nouriel Roubini avertit d’un danger de crash. Mais leurs remarques ne sont certainement pas désintéressées. Ils espèrent gagner en compétitivité en forçant la Chine à réévaluer sa monnaie. Ils veulent aussi gagner l’accès à quelques miettes du marché intérieur chinois, mais celui-ci doit d’abord être mis sur pied. Pour la Chine, ils défendent par conséquent ce que partout ils combattent à tout prix : de meilleurs salaires et une sécurité sociale. Mais l’idée que la Chine puisse subitement gonfler sa consommation sans toucher aux intérêts des détenteurs de capitaux privés est une illusion. L’économie chinoise est une économie de marché libre dans la mesure où une hausse significative des salaires ou une réévaluation comparable du yuan provoquerait une chute du niveau d’investissements, et avec elle, de la croissance économique.
18. Les gouvernements américains et européens demandent à la Chine ce qu’eux-mêmes ne peuvent pas se permettre. À première vue, c’est plutôt agréable. Dans la pratique, il s’agit d’une manoeuvre audacieuse. Ainsi, l’assouplissement quantitatif dont a fait usage la FED avait comme prévu affaibli le dollar au milieu de l’an passé. Cela a incité les spéculateurs à s’adonner au “carry trade”, c.à.d. à emprunter des dollars à un taux quasi nul pour les placer dans des pays avec un taux plus élevé. L’investisseur encaisse la différence de taux, sans même y engager son propre argent. L’affluence d’investissements a poussé la valeur des devises des pays receveurs, au détriment de leur compétitivité. Le premier à utiliser le terme de “guerre monétaire” a été le ministre des finances brésilien Guido Mantega, mais il exprimait ainsi ce à quoi beaucoup d’autres gens pensaient déjà. Le Brésil demande à l’OMC de prendre des sanctions contre les pays qui laissent filer trop bas leur taux de change. Il y a aussi le dumping. La Chine menace d’une guerre commerciale si les États-Unis décident de placer des taxes à l’importation sur les produits chinois.
États-Unis : la politique anticyclique échoue
19. Les États-Unis sont désespérément à la recherche de quelqu’un qui puisse reprendre une partie de leurs problèmes. De là viennent la pression sur la Chine pour qu’elle réévalue sa monnaie, la guerre monétaire à peine voilée, et le plaidoyer en faveur d’une politique monétaire plus conviviale en Europe. Depuis la catastrophe qu’a été le passage du “war-president” George W Bush avec ses cadeaux fiscaux aux riches, l’idée dominante est à présent de lutter contre la crise par une politique anticyclique. Ce courant est représenté par le président Obama, son ministre des Finances Timothy Geithner, et le président de la FED Bernanke. Tout comme leurs opposants, ils trouvent que l’État doit remettre de l’ordre dans ses dépenses, mais pas d’une manière qui risque d’hypothéquer la croissance. Ils craignent que des économies drastiques ne rejettent à nouveau l’économie dans la récession, voire la dépression. En plus de cela, ils souhaitent une participation de la part des riches, pour éviter des réticences de la part de la population face au plan d’austérité. Le gourou de la Bourse Warren Buffet affirme publiquement vouloir payer plus d’impôts.
20. Cette politique s’est composée des stimuli de 800 milliards $ au début 2009, et de deux opérations d’assouplissement quantitatif par la FED, pour un total de 1850 milliards $. Entretemps, on a lancé le QE 1.5, avec lequel des remboursements libérés sont consacrés à des prêts d’États supplémentaires. La FED a également décidé de bétonner le taux nul jusqu’à 2013. Au final, elle a vendu pour 400 milliards $ de bons d’État à court terme (jusque 3 ans) et a acheté pour un montant semblable en bons d’État à long terme (de 6 à 30 ans). Rien ne semble cependant fonctionner. La consommation des particuliers n’a pas repris parce que les ménages tentent maintenant de rembourser leurs dettes, parce que le chômage sape le pouvoir d’achat, et parce que les autorités locales économisent sur les services et sur le personnel. Malgré des taux très bas, les entreprises américaines continuent à simplement stocker leur argent, pour un montant de 1,84 milliards de dollars, et préfèrent racheter leurs propres actions plutôt que d’investir.
21. L’absence de résultat sape la crédibilité du gouvernement. Cela renforce la confiance des opposants, qui avaient pourtant pris un fameux coup avec la disparition de Bush. Cela a fait changer de camp ceux qui hésitaient. Au sein de la FED, Bernanke doit de plus en plus compter avec l’opposition, mais il ne doit pas se présenter à des élections. Obama et ses Démocrates n’ont pas ce luxe. Au niveau des Etats et au niveau plus local, des économies copieuses sont déjà bien avancées, même là où des Démocrates sont au pouvoir. Le mouvement Tea Party a sauté sur le mécontentement pour se présenter en tant que défenseur de l’Américain travailleur. Pour les Républicains, ces radicaux de droite étaient des partenaires bienvenus qui les ont aidés à obtenir la majorité à la Chambre basse en 2010.
Le fouet de la contre-révolution
22. Mais ce soutien pourrait bien s’avérer être un cadeau empoisonné. Le rôle des partisans du Tea Party dans l’attaque brutale contre les conditions de travail et les droits des travailleurs, entre autres au Wisconsin, a provoqué une réaction de masse. Pour les jeunes et les travailleurs, cela a été un moment décisif. Cela, en plus de son empressement à laisser les États-Unis faire défaut sur leurs paiements (pendant le débat sur le plafond légal de la dette), a endommagé le soutien populaire du Tea Party. Cela pourrait être décisif pour les élections présidentielles de 2012. Trouver un équilibre entre l’establishment des Républicains et les activistes qui exigent un plus grand rôle avec le Tea Party, devient de plus en plus difficile. Un Républicain modéré a officiellement une plus grande chance de récupérer des votes démocrates. Mais c’est surtout les dangers liés au fouet de la contre-révolution, qui font que l’establishment se réunit catégoriquement derrière la candidature de Mitt Romney. Il n’est pas exclu que ce “Grand Old Party” se dirige vers une scission après les élections présidentielles, et que le système des deux partis ne se rompe en premier lieu sur son flanc droit.
23. Cela ne signifie pas pour autant qu’Obama a déjà gagné. Pour relever le plafond de la dette, on prévoit des économies pour 2.500 milliards $ au cours des dix prochaines années. Pas un mot sur plus d’impôts pour les riches. Le nombre de pauvres a augmenté l’an passé jusqu’à 46,2 millions, le nombre le plus élevé en 52 ans. 15% des Américains sont pauvres, le plus haut chiffre depuis ’93 : 10% des Blancs, 12% des Asiatiques, 26% des Hispaniques et 27% des Noirs. 50 millions d’Américains sont non-assurés, 48 millions des personnes entre 18 et 64 ans sont sans travail. Le revenu médian des ménages est retombé à son niveau de 1996. Le revenu médian personnel d’un travailleur adulte masculin, rapporté en dollars de 2010, était l’an passé inférieur à celui de 1973. Entre 1980 et 2009, le revenu des 20% les plus riches s’est accru de 55%, celui des 20% les plus pauvres a baissé de 4%. En 2007, 23,7% du revenu national allait aux 1% les plus riches, soit la même proportion que ce qui avait été atteint en 1929, juste avant la Grande Dépression.
24. À chaque fois que l’on espère que l’économie a été sauvée et que l’on pense alors à débrancher la mise sous perfusion par la FED, apparait l’une ou l’autre statistique qui envoie tout valser. En août, pas un seul job n’a été créé. Les chiffres parus en juillet ont dû être fortement revus à la baisse. Immédiatement est réapparue l’angoisse que l’économie allait droit vers une nouvelle récession. Obama a lancé un nouveau plan d’emploi pour 447 milliards $, dont 240 milliards pour la réduction de moitié des impôts sur salaire, une mesure essentiellement destinée à soutenir les PME. De l’argent a été libéré pour des investissements dans des autoroutes, des chemins de fer et des écoles, et des moyens ont également été prévus pour tempérer le nombre de licenciements d’enseignants dans les écoles d’État. Pour réduire le chômage officiel de 9,1% à 5% en 5 ans, il faudrait cependant créer tous les mois 300.000 nouveaux emplois. Depuis le début de 2010, cela n’a été que 100.000 en moyenne, mais cela aussi s’est fortement réduit ces derniers temps.
25. Ce plan ne suffira pas à remettre sur pied l’économie américaine pour une croissance durable. Il n’est qu’une répétition du plan précédent, en mode mineur. Avec de la chance, cela pourrait de nouveau tirer la croissance de l’emploi, jusqu’à la fin de ce plan. Le problème fondamental n’est toutefois pas un manque de moyens pour investir. Les entreprises ont tous les moyens qu’il leur faut. Elles ne croient cependant pas que l’investissement dans la production pourra rapporter suffisamment. Bon nombre d’entreprises reçoivent aujourd’hui bien plus de profits de par leurs transactions financières que de leur production. De plus, il n’est plus garanti qu’il existe encore un marché pour pouvoir absorber la production. Avec le développement actuel de la science et de la technique, les innovations nécessitent des années de recherche pour un rendement qui doit être réalisé dans un délai de plus en plus court. À peine un produit est-il développé qu’avec les possibilités actuelles il suffit tout au plus de quelques années pour saturer le marché mondial.
26. Entretemps, l’État américain accumule les dettes. Tôt ou tard, il faudra bien les payer. Jusqu’à récemment, on considérait que cela était une donnée sûre. L’impasse dans le débat autour du plafond de la dette a cependant semé le doute. Qui aurait pensé que les politiciens aller amener les États-Unis au bord d’un défaut de paiement afin d’obtenir gain de cause dans la discussion budgétaire ? L’agence de notation Standard & Poors a décidé pour la première fois dans l’Histoire de baisser la garantie sur crédit de l’État américain. Elle a pris cette décision au lendemain d’un rapport avec une faute de calcul de pas moins de 2.000 milliards $. En plus, les marchés s’en foutaient de cette notation. La demande en bons du Trésor américain n’a pas descendu, de sorte que les États-Unis peuvent prêter au même taux que l’Allemagne. Cela ne va encourager la FED à faire de la lutte contre l’inflation une priorité. Au contraire, un peu d’inflation serait plus que bienvenu afin d’éponger la montagne de dettes. Le seul problème à cela est la difficulté de doser l’inflation.
Zone euro : priorité à l’austérité
27. La visite du ministre des finances américain Timothy Geithner au sommet européen de Wrocław n’a pas été extrêmement bien reçue. Geithner était là pour avertir l’Europe. Il aura remis en mémoire le glissement incontrôlable de Lehman Brothers jusqu’à la faillite, pour convaincre l’UE d’abandonner les spéculations sur la banqueroute de l’État grec. Il y a aussi plaidé en faveur d’un large élargissement du fonds de stabilité européen, qu’il fallait selon lui quadrupler. Les dirigeants des États-Unis craignent une nouvelle crise de l’économie mondiale, cette fois avec d’encore plus grandes conséquences que pendant la Grande Récession, déjà aussi parce que les Banques centrales et les États au cours de la précédente récession ont déjà épuisé toutes leurs munitions. Il y a apparemment plaidé en faveur d’une injection ferme et résolue de moyens afin de tuer dans l’oeuf la crise de la dette.
28. Pour l’Europe, cela est cependant encore plus difficile que l’assainissement du budget aux États-Unis ou que la rehausse de la consommation des particuliers en Chine. Les politiciens européens sont également partagés quant à la manière de combattre la crise au mieux. Aux États-Unis domine pour le moment la tendance qui veut mettre la priorité sur la croissance plutôt que sur l’austérité. Mais il ne faut pas s’étonner que les rapports de force en Europe soient tout à fait opposés. La tendance qui veut donner la priorité à l’austérité “afin de soutenir la croissance de manière structurelle” y est dominante. Ce n’est guère surprenant. La zone euro est une union monétaire, mais pas une union fiscale ni politique. Elle consiste en 17 pays qui ont tous leur propre bourgeoisie, leur propre gouvernement et leurs propres intérêts. À qui rapporte le fait que la priorité soit mise sur la croissance ? Aux récipiendaires directs. Et à qui est-ce que ça rapporte qu’on ait des économies d’abord, avant les dépenses ? Les payeurs nets. Ces derniers sont les pays les plus forts, qui sont dominants dans la détermination de la politique de la zone euro et de la BCE.
29. Le PSL et le CIO ont toujours été d’avis que l’unification européenne n’est pas possible sur une base capitaliste. Nous sommes également depuis longtemps convaincus du fait qu’une récession économique mettrait une croix sur le projet d’une monnaie unique européenne, même avant que l’euro n’arrive en existence. Les unions monétaires ne sont pas quelque chose de nouveau. Les pays insulaires autour de l’Australie utilisent le dollar australien et il existe encore quelques anciennes unions monétaires coloniales, telles que le franc CFA. D’autres unions monétaires ont existé par le passé sur une base volontaire entre des États plus ou moins comparables. L’Union monétaire scandinave par exemple, qui a duré de 1873 à 1914. Ou l’Union latine, à partir de 1865 entre la Belgique, la France, la Suisse et l’Italie, qui a ensuite été rejointe par l’Espagne et la Grèce, et enfin par la Roumanie, la Bulgarie, la Serbie, Saint-Marin et le Venezuela (entre autres). Cette union a tenu jusqu’en 1914, bien qu’elle n’ait été officiellement dissoute qu’en 1927. Nous pensions cependant que la conjoncture économique, cette fois, exclurait complètement l’idée d’une nouvelle union monétaire. Nous nous sommes trompés. Nous restons néanmoins convaincus que la crise va à un moment donné faire éclater la zone euro, mais pas au point d’avant l’introduction de l’euro.
30. Les bourgeoisies nationales d’Europe n’ont jamais eu l’intention, ni avec l’Union européenne, ni avec la zone euro, d’unifier les peuples d’Europe par la paix. Cela n’a jamais été que de la rhétorique, derrière laquelle était caché la signification réelle, c’est-à-dire la création de leviers pour la maximalisation du profit et de la casse sociale. C’est évident, la réalité de la division du travail croissante et le besoin de devenir plus fort dans la concurrence avec d’autres blocs commerciaux aura joué, mais jamais jusqu’au point où cela irait au prix des intérêts nationaux particuliers. Le traité de Nice et plus encore celui de Lisbonne ont en tant que but de faire de l’Europe la région la plus compétitive au monde. C’était sans doute l’intention de laisser converger petit à petit les économies nationales, même si les normes de Maastricht et le pacte de stabilité qui ont été institués à cette fin ont été abusivement utilisés par les politiciens nationaux pour rejeter sur eux la responsabilité de la politique nationale. La plupart des pays n’ont jamais atteint les conditions requises par les normes de Maastricht, encore moins du pacte de stabilité, et la Belgique non plus.
31. Jusqu’à avant la crise de la dette, les économistes étaient convaincus que la convergence était un fait. Ils voyaient les caractères communs superficiels, mais pas les contradictions croissantes sous la surface. Ils voyaient surtout ce qu’ils voulaient voir. En 2006, Marc De Vos, de l’agence Itinera, écrivait dans une carte blanche dans De Tijd : « L’Irlande nous apprend qu’une relative inégalité de revenu est le prix à payer pour une expansion économique rapide, dont néanmoins tout le monde, y compris les pauvres en termes absolus, s’enrichit ». De Vos ne raconterai plus aujourd’hui de telles sornettes de la même manière, mais en ce temps-là, il était complètement aveuglé par l’expansion économique. Dans notre réponse dans les textes de notre Congrès de 2006, nous indiquions déjà une contradiction que lui-même n’allait découvrir que quelques années plus tard : « … le symptôme spécifique par lequel l’Irlande depuis des années a connu un taux d’intérêt réel négatif. Le taux d’intérêt est il est vrai défini par la Banque centrale européenne et se trouve depuis des années sous les chiffres de l’inflation irlandaise. Le crédit extrêmement bon marché est indirectement financé par un grand afflux de capital étranger ». À cela, nous ajoutions : « Une profonde récession sur le plan mondial fera cependant éclater l’économie artificiellement gonflée de l’Irlande (du Sud) ».
32. Aujourd’hui, tout le monde reconnait que les contradictions n’ont pas diminué, mais plutôt augmenté. Avec la politique du bas taux d’intérêt qu’ont exigé de la BCE les pays à la plus forte économie, d’énormes bulles immobilières et paradis fiscaux ont été créés dans la périphérie, ce qui ailleurs a été utilisé pour casser les acquis sociaux et mettre sur pied des secteurs à bas salaires. Le fait que cette bulle se viderait à un moment donné, cela fait des années que les socialistes le prédisent. Les spreads, la différence de coûts que doivent payer les Etats nationaux pour pouvoir emprunter, n’ont jamais été aussi grands. Dans Le Soir, le professeur d’économie Paul De Grauwe (KUL) expliquait qu’il s’était trompé. Au sujet d’un pays qui adhérait à une union monétaire, il dit : « Nous avions toujours pensé que ce pays devenait plus fort, mais non ! » L’Espagne a un plus petit déficit budgétaire et une plus petite dette que le Royaume-Uni, mais ce dernier peut financer sa dette à 2,52% sur dix ans, tandis que l’Espagne doit le faire pour deux fois ce prix. Cela vient, selon De Grauwe, du faite que la Banque centrale britannique peut si besoin est imprimer de l’argent elle-même afin de satisfaire à ses obligations, mais l’Espagne dépend pour cela de la BCE.
Tragédie grecque
33. Les pays en-dehors de la zone euro peuvent stimuler l’exportation par la dévaluation de leur propre monnaie. Qui se trouve dans la zone euro est condamné à la “dévaluation interne”, un terme à la mode pour dire “casse sociale”. Il n’y a entre temps plus un seul pays de la zone euro qui n’est pas en train d’assainir. Les uns parce qu’ils ont dû faire appel à l’aide de la “troïka” de la Commission européenne, de la BCE et du FMI, les autres pour pouvoir éviter d’avoir à faire un tel appel. Les plans d’austérité dure doivent diminuer les déficits budgétaires et améliorer la compétitivité, mais ça ne marche pas. Ils sapent au contraire le pouvoir d’achat par la baisse des salaires, les attaques sur toutes les allocations sociales, la hausse du chômage et dans la plupart des pays une hausse des impôts directs sur les biens de consommation. Cela touche à son tour la petite bourgeoisie, les entreprises de distribution et les entreprises qui sont orientées vers le marché interne de chaque pays. Les véritables investisseurs sont découragés d’investir, les spéculateurs qui espèrent des rachats d’entreprises (d’État) sont encouragés. Avec la vente urgente des entreprises d’État, on perd des revenus annuels fixes en échange d’une cacahouète. Les revenus des impôts se ratatinent, et les dépenses sociales augmentent, car de plus en plus de gens y font appel.
34. Les pays qui sont mis sous curatelle de la troïka partent directement dans une spirale de croissance négative. Dans le deuxième trimestre de 2011, l’économe grecque s’est contractée de 6,9% par rapport à l’année précédente. Le déficit budgétaire va apparaitre de 8,5% au-dessus de l’objectif de la troïka. À quoi d’autre peut-on s’attendre ? Le revenu moyen des ménages a été diminué de moitié l’an passé. Le pays menace à tout moment de faillite. Lorsque la Grèce a reçu le premier paquet de sauvetage de 110 milliards d’euro qui lui avait été promis, c’était afin d’éviter le défaut de payement sur le prêt d’État de 8 milliards d’euro devant être payé le 19 mai 2010. C’était le plus grand paquet jamais vu. Entretemps, le taux d’intérêt auquel cet emprunt a été mis à disposition de la Grèce a été diminué, et le délai de payement a été doublé. Néanmoins la Grèce a dû être soutenue une bonne année plus tard avec la promesse d’un nouveau paquet.
35. Cette fois, il s’agit de 109 milliards d’euros. À compléter avec une contribution théorique du secteur financier via un échange d’obligations volontaire par lequel les détenteurs d’obligations grecques devraient accepter une “tonte” de 21%, d’une valeur totale de 37 milliards d’euro. Pour les banques, c’est une bonne affaire, mais pour l’État grec, cela ne va pas énormément arranges son problème de dette. Ses obligations sont il est vrai déjà maintenant échangées sur le marché secondaire à moins de 50% de leur valeur nominale. Et même avant que ce nouveau plan soit accepté par les parlements nationaux des pays de la zone euro, la Grèce est cependant de nouveau au bord du défaut de paiement. Les analystes supposent que la question n’est plus de savoir si la Grèce va vers la faillite, mais de savoir à partir de quand elle le sera.
36. Lorsque cela se produira, les conséquences en seront catastrophiques. L’État ne pourra plus prêter ses prêts et allocations, ou alors de manière extrêmement réduite. Les factures ne seront plus payées, ou alors pas avant de longs délais. Par le non-paiement (complet ou partiel) des dettes, le pays se verra dépourvu de liquidités. Le secteur financier entrera en faillite, tout comme de nombreuses entreprises. Les pensions, aussi bien celles des pensionnés actuels que celles des futurs pensionnés, seront fortement minées. Les investisseurs tenteront de quitter le pays. Les épargnants tenteront de récupérer leur argent. Il y aura un raid sur les banques. Des troubles sociaux, mais certainement aussi des pillages seront à l’ordre du jour. Lorsque l’Argentine a fait faillite en 2001, des dizaines de gens sont morts dans des émeutes, l’état d’urgence a été instauré et la situation n’a finalement pu se stabiliser qu’après que la monnaie soit tombée à 25% sous sa valeur.
37. Pour quelques économistes, c’est là le seul scénario possible, et il vaut peut-être mieux le commencer tout de suite parce que le cout social et économique n’en sera autrement que plus grand. Nouriel Roubini plaide en faveur d’une faillite et d’un départ de la zone euro, dans l’espoir qu’une forte dévaluation rétablisse la compétitivité à terme. Remonter le temps n’est cependant pas sans un certain cout. Quitter la zone euro est différent que de ne jamais y avoir adhéré. Qui va financer les dettes si la Grèce introduit sa propre monnaie ? Maintenant elles s’élèvent déjà à 142% du PIB. Ces dettes sont surtout en euro. Si la drachme est réintroduite, et qu’on a comme on s’y attend une dévaluation de 60% par rapport à l’euro, la dette sera soudainement équivalente à 230% du PIB. Il faudra alors des mesures encore plus drastiques afin d’éviter un raid sur les banques et imposer des contrôles de capital. Les entreprises avec des prêts dans le pays entreront en faillite. Les produits importés deviendront plus chers et le niveau de vie des familles sera encore plus réduit. Sur une base capitaliste, il n’y aura à ça non plus aucune réponse.
38. Certains plaident en faveur d’une reconversion des obligations nationales en obligations européennes, dans l’espoir de décourager les spéculateurs. L’idée est de répartir le risque en empaquetant ensemble les bonnes et les mauvaises obligations d’État, un peu comme ce qui avait été fait avec les hypothèques foireuses. On craint cependant le célèbre dégât moral, par lequel la pression en faveur d’une discipline budgétaire diminue et le nombre de mauvaises obligations d’État après un certain temps entraine avec elles les bonnes vers le bas. Au lieu de répartir en tant que tel le risque jusqu’à ce qu’il n’en reste plus, cela détériorerait au contraire les bons emprunts, comme on l’a vu en 2008 avec les subprimes. D’autres espèrent pouvoir limiter cela en transformant seulement 60% de ces dettes d’État en obligations européennes. Mais cela aussi ne résoudrait rien du tout, car les spéculateurs continueraient à spéculer en pourcentage au-dessus de 60%. Les pays les plus forts de la zone euro s’opposent à l’introduction d’obligations européennes. Pour reprendre les mots de Karel Lannoo dans Knack : les obligations européennes sont le point de conclusion d’une union fiscale et politique, pas le point de départ.
Payer ou se séparer
39. Paul de Grauwe, selon ses propres mots, dit ne rien comprendre. « Nous disposons des moyens », dit-il, « la BCE peut imprimer de l’argent autant qu’elle veut ». Cela ne causera pas d’inflation, ajoute-t-il. Mais les pays forts de la zone euro ne sont pas prêts à cela. À part le fait qu’ils abandonneraient également ainsi le contrôle sur la politique monétaire, joue à nouveau le fait que cela enlèverait la pression pour remettre de l’ordre dans les budgets. Le problème le plus important est cependant réellement le danger de l’inflation. Il est vrai que le simple fait d’imprimer de l’argent ne mènera pas immédiatement à une forte inflation. Après tout, l’inflation se produit du fait que la quantité d’argent en circulation grandit plus vite que la quantité de biens et de services disponibles. Cette quantité n’est pas seulement définie par la quantité d’argent dans la société, mais aussi par la rapidité avec laquelle cette quantité d’argent change de propriétaire. Quand l’argent est retenu par les épargnants, les investisseurs en actions comme au début de ce siècle lorsque a eu lieu le phénomène de l’inflation du prix des actifs, ou quand les entreprises qui l’entassent sans le dépenser, alors cet argent ne va pas vers l’économie réelle et n’a aucun ou quasi aucun effet sur l’inflation.
40. Une comparaison avec le mouvement actuel du prix du pétrole, et de manière plus large de toutes les denrées énergétiques, clarifie cependant ce que l’effet pourrait être d’une création large d’argent par la BCE. À chaque fois que la croissance économique stagne, le prix du pétrole diminue, par lequel il existe un espace pour respirer. Mais dès que l’économie repart à la hausse, le prix du pétrole remonte à nouveau, par lequel la croissance est entravée. Le même peut se produire avec une trop grande hausse de la quantité d’argent. À chaque fois que l’économie stagne, le danger de l’inflation laisse la place à un danger de déflation, mais aussitôt que l’économie repart et que l’argent recommence à rouler, une trop grande quantité d’argent peut mener à une explosion d’inflation. La Chine a maintenant déjà à se battre contre une inflation galopante. Les politiciens allemands gardent encore toujours un traumatisme dû au souvenir de l’hyperinflation pendant la république de Weimar. En outre, le souvenir plus réaliste de la stagflation des années ’70 est encore plus frais dans la conscience.
41. Le lecteur critique peut interjeter que la création d’argent aux États-Unis n’a tout de même pas mené à une inflation hors de contrôle. Nous avons déjà attiré l’attention sur le fait que les États-Unis, en opposition à la zone euro, sont un État-nation avec une bourgeoisie nationale qui non seulement dispose de sa propre monnaie, mais aussi d’une unité politique et fiscale. En outre, les réserves en dollars existent déjà et elles sont réparties à travers le monde entier. Une création d’argent comparable dans la zone euro est facilement une de trop, aussi pour la Chine ou d’autres pays avec d’importantes réserves de valeurs. En 2012, la zone euro doit refinancer 1700 milliards d’euro, dont un quart par la France, 23% par l’Italie, 19% par l’Allemagne et 20% par l’Espagne, la Grèce, l’Irlande et le Portugal tous ensemble. Selon la Deutsche Bank, la Chine pourrait investir pour un montant de 175 milliards d’euro dans des titres de dette européens, soit “une goutte d’eau sur une assiette chaude”.
42. Le 21 juin, il a été décidé d’élargir la disponibilité du fond de stabilité européen. La hausse espérée des moyens pour le fonds d’urgence est cependant demeurée lettre morte. Juste fin septembre, le parlement allemand a voté l’élargissement déjà décidé auparavant de sa contribution pour les garanties du fonds de stabilité européenne. Ainsi, le fonds dispose maintenant finalement des 440 milliards d’euro annoncés depuis janvier. Pour faire face à une faillite grecque, voire à une infection à d’autres pays européens, cela est largement insuffisant. La Chine et les États-Unis appellent à un élargissement du fonds à 2000 milliards d’euro. Cela illustre le fait qu’ils prennent au sérieux une faillite de la Grèce et ne croient pas en l’illusion que l’on peut placer la Grèce en quarantaine. Malgré la position “unique” de la Grèce, qui a déjà reçu pour 250 milliards d’euro, la crise de la dette des États s’est étendue à l’Irlande, qui a reçu un prêt d’urgence de 86 milliards d’euro, et au Portugal, avec un prêt de 78 milliards d’euro. L’Espagne qui a elle seule autant de dettes (637 mld €) que l’Irlande (148 mld €), la Grèce (328 mld €) et le Portugal (161 mld €) réunis, tente désespérément de rester à flot avec l’aide de la BCE. Si l’Italie, avec une dette (1842 mld €) trois fois plus grande que celle de l’Espagne, venait à glisser, alors même quadrupler le fonds d’urgence ne suffira plus. Comment vont-ils faire accepter cela aux 17 parlements de la zone euro ?
43. Il y a la menace d’une nouvelle crise bancaire. Les banques françaises sont pour plus de 600 milliards d’euro exposées aux PIIGS, les banques allemandes, britanniques et américaines pour chacun de ces pays, pour environ 500 milliards d’euro. La base du capital des banques européennes a été renforcée après la crise de 2008, mais pas de la manière dont cela a été fait aux États-Unis. La plupart n’avaient pas calculé qu’elles allaient devoir renoncer à leurs obligations d’État grecques. Si demain cependant aussi les obligations espagnoles et italiennes doivent être annulées, le fait que le fonds d’urgence puisse désormais être utilisé pour recapitaliser les banques aussi sera un maigre réconfort. Les bourgeoisies européennes se sont mises dans une situation à la “catch 22”. Abandonner l’euro serait une énorme saignée pour les entreprises qui sans nul doute présenteront la facture aux travailleurs et à leurs familles. Cela serait un énorme coup porté au prestige des bourgeoisies européennes et cela mettrait fin à la collaboration qui a eu lieu après la Deuxième Guerre mondiale. Cela saperait en outre la position à l’export des pays les plus forts de la zone euro. Mais le cout du maintien de la zone euro continue à augmenter, et la question est à partir de quand ce prix sera-t-il trop grand ?
44. En fait, il existe déjà depuis quelques mois un très grand consensus sur le fait que la politique de la dévaluation interne ne fonctionne pas, mais qu’il n’y a pas d’alternative. En conséquence, on continue contre tout meilleur jugement dans la même politique. La plus jeune réalisation a été le vote au Parlement européen du fameux “sixpack”. Officiellement, cela est la réponse à la crise économique, mais on abuse de cette occasion pour institutionnaliser la politique de l’orthodoxie néolibérale. Les États-membres doivent dorénavant présenter leur budget aux institutions européennes avant de pouvoir les faire valider par leurs parlements nationaux. On peut imposer des entraves budgétaires et des plafonds de dette sont infranchissables. Qui les enfreint peut être sanctionné. En même temps, on discute cependant d’un détour pour pouvoir élargir le fonds d’urgence. Comme si on n’avait pas déjà fait assez de dégâts avec toutes ces manipulations financières, on veut y placer un effet de levier. La BCE prêterait des sommes d’argent illimitées à quiconque veut acheter les obligations d’État des pays faibles de la zone euro, avec les 440 milliards d’euro du fonds d’urgence en tant que garantie. De cette manière, on peut garantir pour quatre ou cinq fois plus d’euro en obligations d’État, et on espère contrer la spéculation contre les obligations d’Italie ou d’Espagne.
45. On peut bien se demander à quoi ils sont occupés. En fait, ils continuent simplement à faire la même merde jusqu’à ce que la séparation inévitable et douloureuse ne se présente. C’est logique : sur base du capitalisme, il n’y a pas d’issue. Le problème fondamental est il est vrai que le marché capitaliste sous-utilise et contrecarre les capacités scientifiques et techniques. Nous devons libérer l’économie de la chasse au profit et la mettre au service de la société et de son cadre de vie et de travail, par la mise en propriété collective libre des secteurs-clés de l’économie et de la science, et par la planification démocratique. Le gouvernement qui fait cela, se ferait vraisemblablement jeter de la zone euro à coups de pieds au cul. Ce ne serait pas une autarcie délibérément choisie. Les jeunes et les travailleurs partout en Europe comprendraient bien vite que la bourgeoisie tente par là de les isoler de la seule alternative possible. Cela aurait l’effet exactement opposé.
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Conférence de Jean Ziegler à Charleroi
Jean Ziegler est passé à l’Université du Travail de Charleroi ce vendredi 27 janvier pour présenter son nouveau livre ”Destruction Massive”. Le ministre à la coopération au développement, Paul Magnette, était présent, ainsi que Philippe Defeyt. Sans avoir lu le vivre, une critique, positive ou négative ne peut pas encore en être faite, disons cependant que jean Ziegler n’a pas la langue dans sa poche pour ce qui à trait au droit à l’alimentation. Ce qu’il appelle une destruction massive, c’est le fait qu’un enfant de moins de dix ans meurt de faim toutes les cinq secondes, des dizaines de millions d’autres, et leurs parents avec eux, souffrent de la sous-alimentation et de ses terribles séquelles. Tout cela, alors que l’on pourrait nourrir normalement 12 milliard d’être humains, soit le double de la population mondiale actuelle.
Par Ben (Charleroi)
Lors de la présentation, il insista sur l’importance de la question alimentaire, expliquant qu’à ses yeux, il était incompréhensible qu’il y ait tant de pauvres alors que la planète déborde de richesses. Il en expliqua quelque causes, comme par exemple la spéculation sur les matières premières. Il expliqua que dans la Corne de l’Afrique, les camp de l’ONU refusaient des demandes d’aide de personnes affamées, car le budget de l’aide alimentaire de l’ONU a diminué de moitié à cause des différents Etats qui ne payent plus autant qu’avant. Il fit aussi un clin d’œil à Paul Magnette en lui disant qu’il espérait que celui-ci allait faire pression pour s’assurer que la Belgique maintiendrait son aide… Il n’était apparemment pas au courant que le nouveau gouvernement compte baisser le budget de l’aide au développement de 10%, ce que Magnette se gardera bien de lui dire par ailleurs.
Jean Ziegler expliqua encore que les 500 plus grosses sociétés mondiales contrôlent 58% du PIB Mondial (c’est-à-dire 58% des richesses produites en une année), et que ces entreprises échappent à tout contrôle. Au vu du constat désastreux du néolibéralisme, il dira que ce n’est plus une idéologie mais carrément de l’obscurantisme. L’Etat a perdu ses forces immunitaires car les politiques ont été baigné dans le néolibéralisme, >”sauf quelques ministres bien sûr” dira-t-il en regardant Magnette, déclenchant un éclat de rire de la salle. Car si Magnette a tenté de se faire passer pour un homme de gauche lors de la conférence, la plupart des personne dans la salle savaient très bien que le Parti ”Socialiste” est très éloigné de la réelle idéologie socialiste et que celui-ci est tout simplement entrain de mener la pire politique d’austérité que la Belgique ait connu.
Pour conclure, Jean Ziegler a dit qu’à la fin d’un discours, il faut toujours de l’espoir, peu importe ce que l’on a dit. Il cita alors Pablo Neruda : ”Eux, nos ennemis, pourront couper toutes les fleurs, mais jamais ils ne seront les maîtres du printemps.”
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En bref…
Chaque samedi, nous publions dans cette rubrique quelques faits marquants, des citations, de petites vidéos,… Aujourd’hui, notamment, quelques critiques d’économistes de haut niveau contre les mesures d’austérité et quelques données sur le chômage en Europe et particulièrement en Grande Bretagne.
Près d’un quart des jeunes au chômage en Europe
En ce moment, 22,7% des jeunes européens (sous les 25 ans) sont sans emploi. Il s’agit du double du taux de chômage total de l’Union Européenne (qui est de 9,8%). Une fondation européenne a examiné le coût de cet énorme gaspillage de jeunes travailleurs. La conclusion du rapport suggère que le chômage des jeunes dans les 21 pays de l’UE coûte jusqu’à 2 milliards d’euros par semaine, soit plus de 100 milliards d’euros par an. Les jeunes chômeurs de notre pays coûtent 4,1 milliards d’euros à la société.
C’est pas la crise pour tout le monde…
Sur le site Express.be, on a pu lire ce jeudi: ‘‘Varsano, courtier en jets privés, explique que depuis la crise financière, il y a bien eu un ralentissement de l’activité, notamment pour les avions les moins chers, ceux d’un million de dollars, mais rien de comparable avec ce qui se passe ailleurs. En particulier, les candidats à l’achat des avions les plus chers – 30 millions de dollars – ne sont pas plus rares. « Il y a toujours quelqu’un qui fait de l’argent », explique-t-il. « je ne fais que suivre l’argent ».’’
L’austérité conduit l’Europe au désastre
‘‘Les responsables européens doivent en finir avec leur obsession d’éliminer les déficits’’ a écrit Jeff Madrick dans un article du New York Review of Books intitulé « How Austerity is Killing Europe ». Ce journaliste et consultant économique américain déclare que la situation européenne rappelle celle qui a précédé la crise de 1929 et les coupes budgétaires ne feraient que ‘‘creuser et non pas régler la crise financière et des millions de personnes vont souffrir inutilement.’’ Il poursuit en expliquant que l’austérité qui frappe l’Europe n’est pas sans rappeler les politiques d’ajustement structurel qu’imposaient le FMI et la Banque mondiale en Afrique et en Amérique latine durant les années ‘80 et ‘90. Avec les résultats que l’on connait….
Zone euro: Joseph Stiglitz, austérité et médecine médiévale
Le prix Nobel d’économie américain Joseph Stiglitz dénonce les mesures d’austérité présentées comme des solutions pour la crise des dettes souveraines de la zone euro. A ses dires, les remèdes vont tuer le patient, un peu comme les saignées de la médecine du Moyen Age. C’est ce qu’illustrent des pays comme la Grèce, le Portugal ou l’Irlande, où l’austérité n’a fait qu’augmenter le poids des dettes publiques, en détruisant les conditions de vie de la population.
L’eau, bientôt un produit de luxe ?
Le prix de l’eau augmentera cette année, et tant en Wallonie qu’à Bruxelles. En Wallonie, les ménages qui sont raccordés au réseau de la SWDE (65% du territoire) paieront 413 euros (TVA comprise) pour avoir consommé 100 m3 en 2012, contre 399 euros l’an dernier (+ 3%). A Bruxelles, la hausse des tarifs s’affichera à 2%. Quant à la hausse de la taxe wallonne sur les captages d’eau, les distributeurs affirment qu’ils n’ont ‘‘pas encore pu la répercuter dans leurs nouveaux prix.’’ L’augmentation devrait donc se poursuivre… Les prix du gaz et de l’électricité sont par contre gelés, avec la très forte probabilité d’une augmentation drastique en 2015. Charmante perspective.
Grande Bretagne : record de chômage depuis 17 ans
Il n’y a jamais eu autant de personnes à la recherche d’un emploi depuis 17 ans en Grande Bretagne, selon les données officielles publiés cette semaine, soit 2,68 millions de personnes, un niveau inconnu depuis 1994. Le chômage touche plus particulièrement les jeunes de 16 à 24 ans, qui sont plus d’un million à rechercher un emploi.
Le Kazakhstan accepte des observateurs électoraux internationaux, mais seulement s’ils se taisent…
Le président-dictateur du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbayev, a déclaré ce mercredi que les observateurs électoraux critiquant les élections ne seront plus invités au Kazakhstan, en réponse aux observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) qui avaient estimé que les élections de dimanche dernier n’avaient ‘‘pas respecté les principes fondamentaux d’une élection démocratique.’’ Nazarbayev n’a par contre pas de soucis à se faire, ses très bonnes relations avec les Etats-Unis, la Chine et l’Union Européenne, sur fonds de vente des ressources naturelles du pays, le protègent de lourdes condamnations internationales. Mais la population gronde.
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[INTERVIEW] Violences policières à Matonge
Voici une interview d’Eduardo, étudiant en comptabilité d’origine Cabindaise et militant du PSL et d’EGA à Bruxelles, qui a été violement attaqué par la police sur son lieu de stage en marge des manifestations à Matonge suite au résultat frauduleux des élections au Congo.
Tu as été victime de violence policière en marge des manifestations à Matonge de mardi dernier ? Que c’est il passé ?
Eduardo: Le mardi 6 décembre, vers 15h30, j’ai entendu des bruits assez violents venant de la galerie de la Porte de Namur, où j’effectue mon stage en comptabilité au théâtre Molière – Muziek Public comme étudiant. Je suis descendu, voir ce qui se passait. Au moment où j’ai entrouvert la porte, des policiers m’ont violement attrapé, m’accusant d’être un “fouteur de merde”. J’ai répondu pacifiquement que j’étais sur mon lieu de stage et pas en train de participer à la manifestation. Plutôt dans la journée, des manifestants se rassemblaient pacifiquement dans le quartier contre la fraude électorale au Congo par la clique de Kabila malgré le refus de la Commune d’Ixelles d’autoriser la manifestation.
J’ai alors reçu un premier coup de matraque et je me suis réfugié dans le théâtre, où ils m’ont poursuivit jusqu’à la loge technique. Devant mes collègues, il m’on attrapé et passé à tabac pendant de nombreuses minutes. J’ai été roué de coups de matraque et de coup de pieds par plusieurs policiers. Ils ont également lancé leurs deux chiens sur moi, qui m’ont mordu abondement aux jambes. Mes collègues et ma maitresse de stage ont été bousculés afin d’être maintenus à l’écart. Ils essayaient de raisonner la police expliquant que je n’étais pas un manifestant mais que je travaillais là. Ce qui ne les a pas empêché de continuer à me rouer de coups au niveau de la poitrine, des côtes, du dos… Heureusement je protégeais la tête avec mes bras.
Et ensuite tu as été embarqué par la police?
Oui. Ils m’ont emmené avec de nombreux manifestants à la caserne de police d’Etterbeek. Là, j’ai été tenu en détention pendant 12h. J’ai demandé à pouvoir voir un médecin vu mes nombreuses blessures, dont des plaies ouvertes suite aux morsures de chiens, mais cela m’a été refusé. J’ai été mis en cellule avec une vingtaine d’autres personnes. Beaucoup d’autres arrêtés ont également subit des violences. La plupart étaient d’origine africaine de tous âges, apparemment, ils arrêtaient chaque personne se trouvant dans le quartier en fonction de la couleur de leur peau.
Il y avait également deux jeunes d’origine belge dans ma cellule. Ils m’ont raconté qu’ils ont été traités de “cons car ils étaient blancs et qu’ils soutenaient les africains” par un policier. Ils avaient reçu des coups et ont été arrêtés. Face aux maltraitances, nous avons fait savoir notre mécontentement aux policiers. Ils nous ont répondu en lançant des sprays lacrymogènes dans la cellule, ce qui nous fait suffoquer et nous a brûlé les yeux et la peau. Les effets ont duré près de deux heures.
Qu’en est-il de la plainte collective avec tes collègues au Comité P ?
Deux de mes collègues ont déjà porté plainte au service interne de police le même jour, vu la gravité de la violence avec laquelle les policiers mon frappé. Moi, j’ai porté plainte pour les dommages que j’ai subis par pure violence gratuite. A ce jour, je ne suis toujours pas remis du choc. J’effectue toujours mon stage à cet endroit, où j’ai été victime des forces de l’ordre. L’idée de devoir croiser mes agresseurs m’effraye, d’autant plus qu’ils sont très présents ces derniers temps vu les fréquentes manifestations. C’est douloureux pour moi sur le plan psychologique.
Mais je porte surtout plainte pour que te telles violences ne se reproduisent pas et ne puisse pas rester impunies. On a encore vu dans les médias, la violence qu’a subit Niki, la jeune Indignée grecque quelques jours avant la manifestation du 15 octobre dernier à Bruxelles, à laquelle ont participé près de 10.000 personnes. Ce ne sont pas des incidents isolés, mais une violence gratuite fréquemment utilisée par la police contre ceux qui résistent ou contre les jeunes de nos quartiers, pour délit de sale gueule.
J’ai moi-même participé aux manifestations des Indignés à Bruxelles ainsi qu’aux actions des syndicats, car je suis persuadé que nous devons lutter contre le système capitaliste, qui ne profite qu’aux banquiers et aux patrons, pas à la majorité de la population. Partout, la répression est de plus en plus dure, contre les révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ou encore contre les travailleurs et les jeunes en Europe qui manifestent contre l’austérité.
Que penses-tu de ces manifestations à Matonge ?
Je connais beaucoup de gens dans le quartier qui ont été manifesté. La plupart sont pacifiques mais, malheureusement, comme souvent, il y en a quelques uns qui sont venus juste pour casser. Mais la politique de la commune d’Ixelles d’interdire les rassemblements a créé un climat de tension. Les actes de vandalisme ont été une occasion idéale pour la police afin de réprimer violement les actions et de s’en prendre à toute une communauté minoritaire en la criminalisant.
Je trouve que les manifestants ont raison de protester contre les fraudes électorales manifestes lors des élections au Congo. Cela ne veut absolument pas dire pour autant que j’ai la moindre confiance envers des figures du type de Tshisékedi, qui est aussi un pantin des puissances impérialistes comme Kabila ; et un ex-ministre de Mobutu. Mais ce qui anime surtout le sentiment des Congolais à Bruxelles ce n’est pas un soutien à Tshisékedi, c’est le sentiment que Kabila doit dégager. Pour moi, ce n’est que l’action indépendante des masses des travailleurs et de pauvres en Afrique qui est capable de mettre fin à la domination des pays impérialistes sur ce continent.