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  • Élections présidentielles au Congo : Les suites de la ”transition démocratique”…

    Les élections présidentielles qui ont eu lieu fin novembre au Congo ont permis de clarifier l’état de la ”transition démocratique” dans le pays. Alors que celles-ci devaient confirmer l’action en faveur de la paix et de la démocratie de la ‘communauté internationale’, celles-ci nous ont permis de vérifier une fois de plus que cette ‘communauté’ est incapable d’apporter la paix, la démocratie ou le développement.

    Par Alain (Namur)

    L’avènement de Joseph Kabila

    Joseph Kabila a été élu en 2006 en tant que président de la république. Cette élection, conforme aux vœux de la communauté internationale, a pris place dans une situation où le peuple congolais sortait de 10 ans de guerre et d’instabilité politique. Joseph Kabila a pu se forger l’image d’un homme qui a réussi à ramener une relative paix au Congo. Après cette décennie de guerre qui vu mourir 4 à 6 millions de personnes, le peuple n’avait qu’un seul espoir : la paix et le développement. Joseph Kabila a pu s’appuyer sur cet espoir pour asseoir son autorité.

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    Il a aussi habillement joué sur l’attrait du pouvoir afin d’effacer toute contestation. Il a nommé comme premier Premier Ministre Antoine Gizenga, dirigeant historique du PALU ( le parti lumumbiste unifié- le parti du dirigeant nationaliste Patrice Lumumba héros de l’indépendance).

    Son programme comme président faisait écho à cet espoir de paix et de développement et était constitué de 5 chantiers qui devaient fonder son action comme président : l’infrastructure, la création d’emploi, l’éducation, l’eau et l’électricité et la santé. À côté de cela, il y avait la promesse de pacifier le pays, notamment à l’Est, où des groupes armés sévissaient encore.

    Les 5 chantiers où la désillusion du peuple

    Durant son mandat de 5 ans, Kabila aurait pu mettre à profit les énormes richesses naturelles dont dispose le Congo pour répondre aux besoins sociaux. S’il avait ne fut-ce qu’entamé un pas dans cette direction, il est clair qu’il se serait attiré la sympathie d’une grande partie de la population pauvre des villes et des campagnes.

    Au lieu de cela, et conformément à la volonté de ses donneurs d’ordres, il n’a avancé dans aucun des 5 chantiers. D’un côté les richesses naturelles du pays ont été bradées aux compagnies étrangères à la recherche de matière premières en échange de quelques miettes (comme la construction de routes ou de bâtiments publics par ces mêmes compagnies). De l’autre côté, le pouvoir à cherché à écarter toute critique soit par la corruption directe ou indirecte (un député gagne 4 à 5.000 dollars là où la majorité de la population vit avec moins de un dollar par jour), soit par la conclusion d’accord avec ”l’opposition” : il a ainsi pris comme vice Premier ministre l’un des fils de Mobutu, pour s’allier à lui la mouvance Mobutiste.

    Les voix dérangeantes pour le pouvoir, comme celle de Floribert Chebeya (représentant de l’association de défense des droits de l’homme ”La voix des sans Voix”), ont été assassinées purement et simplement.

    Malgré tout cela, la communauté internationale (ONU, USA, UE,UA,…), en général, mais aussi les politiciens traditionnels belges ont toujours soutenu Kabila. Dernièrement, Louis Michel, interviewé à Matin Première, disait qu’il n’avait jamais soutenu Kabila en lui-même, mais bien le processus de paix et de démocratie au Congo. Ce soutien d’une partie de la classe politique belge, malgré les assassinats et malgré la corruption avérée du régime ainsi que la pauvreté persistante et sévère du peuple, est un élément d’explication de la colère qui s’exprime dans le quartier Matonge à Ixelles.

    Pour les Congolais, le processus de pacification et de démocratie est une farce. La MONUC qui est déployée depuis 10 ans au Congo ainsi que l’armée congolaise n’ont pas été capables de sécuriser l’Est du pays. Actuellement, il y a encore une dizaine de groupes armés différents qui circulent dans la région alors que la mission des Nations Unies coûte 1 million par jour.

    La coopération au développement belge, alliée indéfectible de Kabila, a réalisé via l’aide au développement certainement bien plus que Kabila lui-même. Cela lui a permis de prendre pour lui le crédit de réalisations pour lesquelles il n’a strictement rien fait

    La seule chose où le régime présidentiel excelle vraiment, de même que toute l’actuelle classe politique congolaise, c’est la corruption. Un député travailliste britannique, Eric Joyce, déclarait fin novembre que le gouvernement Kabila aurait ”signé plusieurs contrats miniers pour quelques 5,5 milliards de dollars américains, dans une totale opacité, avec des sociétés fictives immatriculées aux îles Vierges britanniques”. Il ajoutait : ”ces documents prouvent que les ressources naturelles du Congo ne sont pas exploitées comme des sources de revenus légitimes pour le peuple congolais. Des séries d’arrangements complexes entre le gouvernement du Congo et des sociétés fictives des IVB (îles Vierges britanniques, ndlr) font en sorte qu’un petit nombre de personnes s’enrichissent moyennant des pertes énormes pour le reste de la population.” Il a même qualifié la gestion des contrats miniers de scandale du siècle…

    Il s’agit de corruption de haut vol mais, dans des conditions matérielles difficiles, c’est l’ensemble de la société congolaise qui est touchée par la corruption. La population pauvre des villes et des campagnes en est la première victime. Certains salaires de fonctionnaires (soldats, enseignants, administrations,…) qui sont déjà faibles, n’arrivent parfois plus depuis des mois. Cela pousse les représentants de l’Etat à rançonner la population. Cette situation de corruption généralisée ne peut être combattue que par un contrôle collectif de la population sur chaque secteur. C’est la seule manière de s’assurer que les richesses produites et la plusvalue de ces richesses vont bien répondre aux besoins sociaux, qui sont immenses.

    Les élections présidentielles

    Le 28 novembre, les Congolais étaient appelés aux urnes pour élire un nouveau président et une nouvelle assemblée parlementaire. La loi électorale a été modifiée afin de favoriser Kabila. Il a fait passer le système électoral de 2 tours à 1 seul. Il a utilisé les moyens de l’Etat pour sa campagne. Mais ceci est encore superficiel. De nombreux droits démocratiques ont été bafoués durant la campagne, comme des meetings interdits ou attaqué par les forces de l’ordre. Il y a eu une trentaine de morts durant la campagne. Malgré cela, les politiciens belges envoyés comme observateurs internationaux n’ont rien trouvé à redire de ces élections qui, selon eux, se sont bien déroulées, à l’exception de quelques problèmes ça et là… Ce n’est pas l’avis du centre américain Carter, pour qui ces élections ne sont pas crédibles. Marie-France Cros, du quotidien La Libre, est du même avis.

    Le retour de ‘l’opposant éternel’

    Etienne Tshisekedi qui a été plusieurs fois premier ministre sous Mobutu, a pu profité de la colère et du désespoir d’une partie de la population pour se mettre en avant. Il se présente comme un homme qui lutte depuis toujours pour la démocratie au Congo alors qu’il fait partie de la même classe politique corrompue. Au lieu d’organiser la population pour que celle-ci reprenne le contrôle de l’économie et de toute la société, lui et son parti (Union pour la démocratie et le progrès social) préfèrent instrumentaliser la colère pour tenter de décrocher des postes via la stratégie de la tension.

    A ce point, il est difficile de savoir si le but de Tshisekedi est réellement de s’emparer du pouvoir ou de mettre assez de chaos pour pouvoir avoir une bonne place pour lui et son parti dans le prochain gouvernement. Louis Michel préconisait ”l’union nationale”. On verra comment ‘l’opposant éternel’ réagira à cette proposition.

    Une perspective socialiste pour le Congo

    L’indépendance politique que le Congo a acquis de haute lutte en 1960 ne s’est jamais accompagnée d’une indépendance économique, cela signifie que les droits pour lesquels ont lutté les héros de l’indépendance n’ont jamais été effectifs.

    La réaction a, de plus, remporté une grande bataille en installant et en maintenant Mobutu durant une trentaine d’années. Après la chute de celui-ci, encore une fois par la lutte du peuple, il a fallu le temps que l’impérialisme retrouve un pion docile sur lequel s’appuyer dans la région. Ce pion, il l’a trouvé dans la personne de Joseph Kabila. Celui-ci a pu s’imposer par manque de perspectives claires quand à la manière de renverser une dictature chez tous les dirigeants révolutionnaires congolais.

    En effet, Kabila-père a cru que par une guerre de guérilla et en s’alliant avec des anti-impérialistes il pourrait garder les rennes du Congo. Il a vite été éliminé du jeu politique. L’impérialisme a trop d’intérêts en jeu au Congo pour pouvoir garantir le minimum démocratique et social à la population. Il faut que les travailleurs et les paysans congolais s’organisent en un parti à caractère ouvrier qui lutte pour que l’économie soit gérée directement par les Congolais, ce qui implique :

    • La dissolution de l’assemblée parlementaire actuelle et l’élection dans chaque localité de représentant du peuple. Ces comités doivent avoir une coordination par ville, province et nationalement
    • la prise de contrôle par les travailleurs des secteurs miniers afin que les revenus de l’exploitation minière servent au développement du pays tout entier
    • le partage des terres via des comités de paysans élu

    Ces mesures doivent être accompagnées d’autres pour que chaque secteur soit entièrement sous le contrôle de la population. C’est la seule manière de lutter contre la corruption à tout les niveaux.

    Si les Congolais prennent en main leurs richesses, le Congo sera capable d’offrir du travail avec un salaire convenable à l’ensemble de la population. En effet, la construction de routes, d’écoles, d’hôpitaux, l’agriculture, sont des domaines où tout reste à faire. Cela permettrait à d’autre pays de la région (Rwanda, Burundi,…) de se développer et de combattre la pauvreté en Afrique centrale ce qui diminuerai du même coup les tensions ethnique.

    Les Tunisiens et les Égyptiens. Aucune dictature n’est éternelle. Il faut que les Congolais mettent fin à la dictature, et contribuent à la construction d’une Afrique prospère, démocratique et socialiste, où les secteurs clés de l’économie seront sous le contrôle des travailleurs et des paysans pauvres.

  • La famine en Afrique est-elle inévitable ?

    En Afrique, la famine est véritablement catastrophique, et les appels ne manquent pas pour soutenir l’aide humanitaire livrée par diverses ONG. Si la solidarité démontrée par tant de personnes est tout à fait louable, il est important de tenter de voir un peu plus loin : d’où provient cette famine ? Que peut-on faire, fondamentalement, au-delà d’une aide ponctuelle ? Voici ci-dessous un article de Paul Murphy, Parlementaire européen du Socialist Party.

    Les organisations humanitaires préviennent que la famine actuelle dans la Corne de l’Afrique est la pire depuis plus de 20 ans. Chaque jour, environ un millier de personnes fuient la Somalie pour tenter d’échapper à la faim. La sécheresse et les mauvaises récoltes constituent à n’en pas douter une des causes de cette catastrophe, mais cette dernière ne s’aggraverait pas à ce point sans l’impact de la spéculation sur les marchés alimentaires. Pourtant, l’Union Européenne et les divers pays européens laissent les spéculateurs en paix.

    Au Kenya, en un an seulement, le prix du maïs a augmenté de 160% et celui du blé de 169%. Dans le sud de la Somalie, le prix des grains a augmenté de 240% par rapport à l’an dernier. L’ampleur de ces hausses de prix dépasse même ceux connus durant la crise alimentaire de 2007-2008. La spéculation sur les récoltes à venir est un facteur déterminant de cela. Maintenant que de grands spéculateurs comme Goldman Sachs et Merrill Lynch ne savent plus spéculer sur l’immobilier, ils se sont jetés sur un nouveau marché. On estime que le groupe financier Barclays PLC a réalisé cette année 340 millions de livres de bénéfices sur base de la spéculation sur les prix de la nourriture. Entre 70 et 80% du commerce mondial de produits alimentaires sont des activités purement spéculatives.

    En avril, lors d’une réunion de la Commission du commerce international du Parlement européen, j’ai demandé à M. De Gucht (commissaire européen au commerce) : “La Commission entend-elle faire quelque chose concernant la spéculation sur les denrées alimentaires?” De Gucht a répondu de façon très vague, le message étant que rien ne sera fait.

    Cette nouvelle flambée de spéculation due à la cupidité sans limite des géants financiers signifie que nous allons tous inévitablement payer notre nourriture plus chère. Le silence des politiciens traditionnels dans ce domaine doit être brisé et il faut empêcher les spéculateurs de jouer avec notre alimentation.

    Des cultures de première nécessité n’ont rien à faire sur les marchés à terme. Si l’Union Européenne veut réellement faire quelque chose au sujet de la faim en Afrique, elle doit impérativement interdire la spéculation sur l’alimentation.

  • [DOSSIER] Pourquoi le capitalisme prépare de puissantes explosions sociales

    Le mois dernier, en une fraction de temps, l’euphorie concernant la ‘‘reprise économique’’ est devenue panique. Commentateurs et analystes s’efforcent à expliquer le phénomène. On fait référence à la psychologie et au manque de leadership politique. Pour nous, ce ne sont là que les symptômes d’une maladie chronique. La plupart de la population ne doit s’attendre qu’à l’appauvrissement et à une exploitation accrue de la part du capitalisme.

    Par Eric Byl, article tiré de l’édition de septembre de Lutte Socialiste

    Si l’on avait consacré les 5.000 milliards de dollars de valeur boursière évaporés ce dernier mois à la lutte contre la faim dans le monde, la Corne de l’Afrique serait probablement un paradis aujourd’hui. Avec les 25 milliards d’euros disparus à Bruxelles, on aurait pu déminer la bombe à retardement du coût du vieillissement. Mais ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnent. Il faut d’abord créer la richesse avant de pouvoir la partager, nous disent les libéraux. Ils nous ont aussi affirmé que lorsque l’on enrichi suffisamment les riches, cela arrose le reste de la population. C’est exactement l’inverse que nous constatons : lorsque les pauvres deviennent plus pauvres, cela affecte également le revenu des groupes moyens. Le professeur britannique Richard Wilkinson souligne que tant la crise de 1929 que celle de 2008 sont survenues à un moment où l’inégalité sociale a atteint un sommet.

    Quand les économistes bourgeois sont au bout du rouleau, ils font appel à Marx. Selon le professeur d’économie Nouriel Roubini, celui-ci ‘‘avait partiellement raison en disant que la mondialisation, un secteur financier enragé et la redistribution des richesses issue du travail finiraient par conduire à la destruction du capitalisme.’’ Tout comme le prix Nobel Paul Krugman, il appelle à une restauration progressive des finances publiques, à des stimulants ciblés et à des impôts plus équitables. ‘‘L’alternative, c’est comme dans les années ‘30 du siècle dernier, la stagnation interminable, la dépression, des guerres monétaires et commerciales, des contrôles de capitaux, des crises financières, des gouvernements insolvables et l’instabilité politique.’’ Pour éviter cela, Warren Buffet, le gourou des bourses, appelle à cesser le traitement fiscal favorable aux super-riches. ‘‘Dans les années ‘80 et ‘90, quand je payais encore plus d’impôts, je n’ai jamais hésité à investir’’. Voilà ce que n’aiment pas entendre nos patrons belges, pour qui les propositions – pourtant timides – de Di Rupo représentent déjà un tsunami d’impôts.

    La recette de Roubini a pourtant déjà été appliquée, en 1933, quand le président américain Roosevelt a renversé la politique d’assainissements catastrophique de Hoover avec son New Deal. Dès que Roosevelt a voulu réduire le déficit budgétaire en 1937, l’économie a à nouveau plongé dans la dépression. Si Roubini avait pris au sérieux la seconde partie de sa citation de Marx, il saurait pourquoi. Il a finalement fallu la deuxième guerre mondiale et ses 70 millions de morts, la destruction massive des infrastructures et des entreprises, puis la peur du communisme et par conséquent l’acceptation de la nationalisation de pans entiers de l’économie, de l’organisation des services publics, de la création de la sécurité sociale et de la négociation sociale pour que l’économie se remette complètement de la Grande Dépression.

    Des sociétés et leurs limites

    Marx a dit, en boutade, que l’homme n’a pas été libéré de l’esclavage mais qu’il s’agit de l’inverse. Les sociétés esclavagistes, aussi répréhensibles furent-elles, ont à une certaine époque joué un rôle dans la protection de l’homme, à la merci de la nature. Même si, initialement, les sociétés esclavagistes se situaient à un niveau inférieur et ont étés envahies par des sociétés basées sur ce que Marx appelait le mode de production asiatique, elles l’ont par la suite remporté. Elles étaient plus productives, les esclaves étant totalement à la merci du maître.

    Au fil du temps, cet avantage s’est transformé en son ‘‘opposé dialectique’’. Le nombre d’esclaves était la mesure de toute richesse, un ‘‘investissement’’ à nourrir et à loger, y compris aux moments non productifs. L’amélioration de la production ou de l’utilisation des outils n’intéressait pas les esclaves. Ils frappaient les chevaux jusqu’à ce qu’ils deviennent boiteux. Le besoin continuel de nouveaux esclaves réclamait des efforts de guerre constamment plus importants. Ce n’est que lorsque Rome est complètement tombée en décadence que des sociétés féodales primitives et moins développées ont eu des opportunités de l’envahir.

    Les serfs étaient alors liés à la terre. Ils devaient céder une partie du produit au Seigneur, mais ils pouvaient utiliser eux-mêmes le restant. Eux avaient donc intérêt à accroître la productivité, et c’est ainsi qu’ont été rendus possibles l’utilisation de meilleurs outils et le passage de l’assolement biennal à l’assolement triennal. La croissance de la productivité a également jeté les bases du capitalisme commercial, des expéditions et des pillages coloniaux ainsi que du développement des précurseurs de nos industries (les manufactures) qui, par la suite, se sont heurtés aux limites de la société féodale basée sur la propriété terrienne.

    Selon les économistes actuels, les conditions matérielles ne contribuent guère à expliquer pourquoi le socialisme ne fonctionne pas, contrairement au capitalisme. Seuls leur suffit l’égoïsme de l’homme et son manque de motivation pour être productif sans compétition. Marx ne nierait pas l’existence de caractéristiques psychologiques mais, plutôt que d’expliquer la société à partir de là, il enquêterait sur les caractéristiques matérielles à la base de certains phénomènes psychologiques. Parallèlement, il tiendrait compte d’une certaine interaction.

    Ses conclusions au sujet de l’aliénation associée au développement du capitalisme nous offrent d’ailleurs beaucoup plus de bases pour comprendre les récentes émeutes des banlieues anglaises que les discours des politiciens portant sur la haine et ‘‘l’effondrement moral’’ de la génération actuelle. Marx admirait la manière révolutionnaire dont le capitalisme développait les forces productives. Il reconnaissait le rôle progressiste du capitalisme mais, comme avec toutes les sociétés antérieures, il a en même temps analysé ses limites en profondeur.

    Défauts inhérents et maladie chronique du capitalisme

    La tendance à la surproduction et au manque d’investissements sont des ‘‘défauts inhérents’’ au capitalisme. Le travailleur ne reçoit jamais le produit intégral de son travail sous forme de salaire. Une partie du travail non rémunéré (plus-value) disparaît dans les poches du patron qui, autrement, fermerait rapidement boutique. Mais la compétition favorise la concentration de capital dans de grands conglomérats. Tant que les capitalistes réinvestissent une part importante de la plus-value, la surproduction est principalement un problème cyclique, puisque la production et l’installation de nouvelles machines exige des travailleurs qu’ils consacrent à leur tour leur salaire en biens de consommation et en services.

    Face à la concurrence, les capitalistes sont obligés de recourir à l’usage des techniques de production les plus modernes. Cela nécessite des investissements sans cesse plus importants dans les machines, la recherche scientifique et le développement technologique, qui devront être amortis dans des délais constamment plus courts. Dans la composition du capital, le facteur travail (ou capital variable, générateur de plus-value) souffre donc en faveur du capital fixe. Le bénéfice par unité de capital investi (le taux de profit) a dès lors tendance à baisser. C’est ce qui explique que, surtout depuis le milieu des années ’70, les marchés boursiers ont connu une forte expansion. Beaucoup de capitalistes préfèrent spéculer en bourse plutôt que d’investir dans la production, qui ne génère pas grand chose. Ceux qui sont restés dans la production se sont adressés aux banques afin de financer des investissements coûteux. Toutes les grandes entreprises participent désormais à l’investissement en bourse. L’idée qu’il existerait un capital industriel responsable au côté d’un capital financier téméraire n’est qu’un mythe.

    Par le passé, ces défauts inhérents étaient ‘‘gérables’’. Mais comme la science et la technologie ont atteint un niveau où toute innovation engloutit rapidement le marché capitaliste, la manière dont notre production est organisée constitue un frein continuel au développement. Les innovations nécessitent des années de recherche pour une durée de vie de plus en plus courte. Pourtant, les actionnaires privés exigent du rendement et ne veulent surtout pas courir le risque qu’un concurrent s’envole avec le fruit de leur investissement, d’où le commerce des brevets et le sabotage constant des savoirs scientifiques, qui devraient être librement accessibles.

    Les raisons immédiates de la crise actuelle

    La presse économique cite toute une série de raisons derrière cette ‘‘montagne russe boursière qui donne le vertige à l’investisseur’’. Pour les Etats-Unis : la crainte d’une nouvelle récession, l’impasse entre Démocrates et Républicains et la réduction de la notation triple A. Pour l’Europe : l’extension de la crise de la dette, l’avenir de la monnaie unique et la solvabilité des banques. Pour la Chine : l’inflation galopante, les craintes de l’impact de la récession américaine sur les exportations et la dette des collectivités locales. Nous ne balayons pas ces raisons immédiates, mais la raison sous-jacente est que la science et la technique ont dépassé les limites de l’élasticité du marché capitaliste. Les possibilités modernes aspirent à une libre gestion collective et à une planification démocratique, ce que les capitalistes ne peuvent temporairement contourner qu’en repoussant les contradictions internes jusqu’à devenir incontrôlables !

    Dans les années ’80, déjà, pour tenter de surmonter la surproduction et restaurer les taux de profits, on s’est servi de l’extension des crédits à bon marché sur le plan de la consommation et, sur celui de la production, de restructurations et de fermetures d’entreprises, de réduction des coûts de production de biens et de services ainsi que d’attaques contre les salaires, les conditions de travail, les horaires et les contrats de travail. L’effondrement des caricatures totalitaires de socialisme en Europe de l’Est et en Union Soviétique sous le poids parasitaire de la bureaucratie stalinienne et la décision de la bureaucratie chinoise d’introduire – de façon contrôlée – le marché libre afin de s’enrichir personnellement ont donné une énorme impulsion au transfert de production vers des pays à bas salaires.

    L’économie mondiale est un enchevêtrement de nombreux facteurs qui s’influencent mutuellement. D’où ‘‘l’effet papillon’’ selon lequel un petit mouvement dans un pays, dans des circonstances particulières, peut déclencher une tornade dévastatrice dans un autre. Avec 1.200 milliards de dollars de bons du Trésor américain dans ses réserves de change et encore 800 milliards de dollars en obligations d’institutions liées aux autorités américaines, le gouvernement chinois est effrayé par une dévaluation drastique du dollar. En 2000, la consommation particulière en Chine représentait 46% de son Produit Intérieur Brut et les investissements, 34%. Dix ans plus tard, ces investissements représentaient déjà 46%, tandis que la consommation privée avait chuté à 34%, en conséquence de l’expansion massive du crédit bon marché et de la sous-évaluation de la monnaie chinoise. Cela explique l’inflation galopante et la menace de surchauffe de l’économie. Si le marché américain décroche suite à une récession, on craint que la Chine connaisse un développement semblable à celui que connaît le Japon depuis le début des années ‘90.

    USA : vers une rechute

    L’impasse entre Démocrates et Républicains, en particulier du Tea Party, concernant l’augmentation du plafond d’endettement du pays a illustré à quel point les représentants politiques de la bourgeoisie sont divisés concernant la manière de s’attaquer à cette crise. Rien ne semble fonctionner. Les ménages ne consomment pas parce qu’ils réduisent leurs dettes, que le chômage mine leur pouvoir d’achat et que les gouvernements locaux économisent. Malgré les taux d’intérêt bas, les entreprises continuent de garder leur argent au lieu de l’investir. La Banque Fédérale s’est déjà, à deux reprises, mise à imprimer de l’argent sans que cela n’apporte fondamentalement de solution, et le gouvernement fédéral devra bien un jour endiguer son déficit budgétaire. Comment faire cela sans provoquer une explosion sociale?

    Cependant, certains analystes renversent le raisonnement. Un éditorial du journal boursier flamand De Tijd, fait même appel à Gustave Lebon, qui à publié en 1895 ‘‘La psychologie des foules’’. Selon le rédacteur, les investisseurs aspirent à une poigne de fer, mais ils ne la reçoivent ni aux États-Unis, ni en Europe. Le raisonnement est ainsi fait: il n’y a pas de direction, la confiance disparaît, ainsi la panique se crée et le troupeau court dans toutes les directions. Les fondations, selon ces analystes, sont en effet en bonne santé, parce que les entreprises ont un stock de cash important. L’hebdomadaire The Economist estime toutefois la probabilité d’une récession aux États-Unis à 50% et les investisseurs espèrent quand-même un troisième recours à la planche à billet.

    Si l’agence de notation Standard & Poor a, pour la première fois depuis 1941, dévalorisé la cote des États-Unis, c’est, selon ces mêmes analystes, la faute des politiciens. S&P peut bien prétendre que l’énorme erreur de calcul à hauteur de 2.000 milliards de dollars dans le rapport sur lequel elle se basait n’a pas joué dans la démission du PDG, il est certain que cela y aura certainement contribué. La vague de critiques que S&P a dû avaler et le fait que les investisseurs, au lieu de fuir, ont encore augmenté leurs achats d’obligations du Trésor américain, permettant aux États-Unis d’emprunter à un taux d’intérêt inférieur à celui de l’Allemagne, l’ont probablement achevé.

    Bye, bye Europe ?

    Pour ne pas se faire assommer par les oracles modernes – les agences de notation – les foyers grecs, portugais et irlandais ont fortement serrés leurs ceintures. Mais maintenant, presque tout le monde s’accorde à dire qu’elles sont incompétentes. Parce que ce sont des personnes de chair et de sang, selon le professeur d’économie Paul De Grauwe de Louvain ; parce que ce sont des entreprises privées qui veulent faire du profit et non pas des évaluations appropriées, selon nous. La sévère politique d’économie imposée à la population en échange de l’aide de la troïka (Fonds monétaire international, Banque centrale européenne et Fonds européen de stabilité) a plongé ces sociétés dans une profonde récession.

    L’unification capitaliste de l’Europe et la monnaie unique étaient des leviers de maximisation des profits et de casse sociale. Les différences entre les diverses économies nationales de la zone euro n’ont pas diminué, mais augmenté. Avec la politique de faibles taux d’intérêt que les économies les plus fortes ont exigé de la Banque Centrale Européenne, des bulles immobilières se sont développées et des paradis fiscaux ont été créés dans la périphérie, instrumentalisés ailleurs pour briser des acquis sociaux et mettre en place des secteurs à bas salaires. Cette hydrocéphalie devait se dégonfler à un certain moment, nous le disons depuis des années. Les spreads, la différence entre les coûts auxquels les gouvernements nationaux peuvent emprunter, n’ont jamais été plus grands.

    Des pays non membres de la zone euro peuvent stimuler les exportations en dévaluant leur monnaie. Quiconque est emprisonné dans la zone euro ne peut que recourir à la dévaluation interne, un mot à la mode qui signifie ‘‘casse sociale’’. Les bourgeoisies européennes se sont elles-mêmes placées dans une situation kafkaïenne. Abandonner l’euro provoquerait une hémorragie majeure pour les entreprises qui repousseraient sans doute la facture vers les travailleurs et leurs familles. Mais le coût du maintien de la zone euro pourrait devenir trop élevé. La Grèce a besoin d’une seconde aide, et quelques pays ripostent déjà, mais si l’Espagne et l’Italie glissent elles-aussi bientôt, nous entrerions alors dans une toute autre dimension. Le secteur bancaire européen deviendrait insolvable, la liquidité s’assécherait, une récession mondiale s’ensuivrait et la zone euro s’éclaterait probablement de façon incontrôlée. C’est pourquoi la BCE a relancé son programme d’achats d’obligations d’États. Pour l’instant, cela semble fonctionner, mais personne ne croit que cela puisse être suffisant à terme.

    D’où l’illusion de transférer – en partie ? – les dettes nationales vers l’Europe et de les mutualiser dans des obligations européennes. Selon Karel Lannoo, le fils, cela sous-entend une responsabilité commune, un trésor européen et donc des revenus d’impôts européens. Tous les 17 parlements nationaux auraient à l’approuver. Par ailleurs, on sait très bien que la crise en 2008 avait été déclenchée parce qu’on avait saucissonné de mauvais prêts, en particulier les hypothèques à grands risques, pour les emballer avec de meilleurs prêts, en espérant qu’ainsi, les risques seraient tellement éparpillés qu’il n’y en aurait plus. Qui ose prétendre que la même technique, parce que ce sont les obligations européennes, fonctionnerait lorsqu’il s’agit de dettes publiques ?

    Fuite vers des refuges

    Les investisseurs fuient vers de prétendues valeurs refuges. En cas de croissance, ce sont des matières premières, particulièrement le pétrole, mais la hausse des prix conséquente étrangle la croissance. Les récoltes sont aussi très populaires, mais elles ont déjà entraîné des émeutes de la faim. Aujourd’hui, les obligations des gouvernements américain et allemand sont populaires, mais elles rapportent chacune moins que ce que l’on perd par inflation. Ensuite viennent l’or et les francs suisses. Le prix de l’or dépasse de loin le coût de production et la Suisse risque de devenir victime de son succès. La demande pour les francs fait tellement rebondir la monnaie que sa propre industrie risque d’être enrayée et que l’industrie du tourisme risque de s’effondrer. Des consommateurs suisses vont de plus en plus faire leurs achats de l’autre côté des frontières. Cet avertissement, l’Allemagne le prendra en considération, car ce scénario risque de lui arriver dans le cas d’un éclatement de la zone euro.

    Explosions sociales

    Ces dernières années, les fidèles lecteurs de Lutte Socialiste et du site ‘‘socialisme.be’’ ont pu lire dans nos publications de nombreux articles consacrés aux révolutions, aux grèves générales et aux mouvements provoqués par les premiers effets de la crise. Selon nous, ce ne sont là que des signes avant-coureurs des explosions sociales qui nous attendent. Lors de ces explosions, le mouvement ouvrier va se réarmer tant sur le plan organisationnel que programmatique. Le Parti Socialiste de Lutte est déterminé à y apporter une contribution importante.

  • Les villes britanniques explosent – Un mouvement de masse des travailleurs est nécessaire pour vaincre le gouvernement

    “Les images de désespoir et d’explosions de colère, comme celles de 1981, seront de retour dans nos rues. Les zones défavorisées des grandes villes –si pas les quartiers centraux alors les banlieues comme en France – seront le terrain de nouveaux incendies.” C’est l’avertissement que le ‘Socialist Party’ (section du CIO en Angleterre et Pays de Galles) avait donné il y a quatre mois dans un article à l’occasion de l’anniversaire des émeutes de Brixton en 1981. Cette semaine, des milliers de personnes ont été confrontées à la dévastation de leur quartier.

    Dossier par Hannah Sell, Socialist Party. Photos de Paul Mattson

    C’est une tragédie pour les petits commerçants dont le magasin a été pillé ou incendié, pour les travailleurs dont la voiture a été brûlée et peut-être encore pire pour ceux qui ont vu leur maison partir en fumée. Les pompiers ont été confrontés à des difficultés terribles dans leur tentative d’éteindre les incendies alors qu’autour d’eux il y avait des émeutes. Ces explosions de colère dans la rue sont les plus fortes que la Grande-Bretagne ait connu depuis le milieu des années 80. Les ministres se sont dépêchés de quitter leurs lieux de vacances pour tenter de “rétablir l’ordre”. Le Parlement a été rappelé jeudi [hier]. Jusqu’à présent, la seule réponse des politiciens bourgeois a consisté en des déclarations tapageuses sur la “racaille”, les “criminels” et la “violence aveugle”.

    Les travailleurs qui habitent dans les quartiers touchés sont évidemment en colère contre les destructions qui ont eu lieu, mais ils seront également furieux des tentatives du gouvernement de se décharger de toute responsabilité par rapport à la situation. La réponse du “New Labour” est essentiellement la même que celle des conservateurs. Ed Miliband a simplement qualifié les émeutes de“comportement criminel scandaleux” et a exigé que David Cameron donne l’ordre “d’une intervention policière la plus forte possible.” Diane Abbot, députée du Hackney Nord et historiquement de l’aile gauche du Labour Party, a appelé à établir un couvre-feu. La direction du New Labour n’a à aucun moment mentionné les raisons pour lesquelles les jeunes ont pris part aux émeutes. Et ce n’est pas surprenant.

    Le chômage de masse, les coupures dans les services publics et la violence policière ont tous augmentés lorsque le New Labour était au pouvoir. Malgré toutes les tentatives des politiciens capitalistes d’ignorer la réalité, ce n’est pas par hasard que la Grande-Bretagne soit en feu en ce mois d’août 2011. Ceci est le résultat des circonstances sociales auxquelles est confrontée une génération de jeunes dans les villes.

    Pendant les troubles des années 1980 le gouvernement conservateur de l’époque définissait les manifestants comme des "hooligans". Maintenant que ces émeutes appartiennent à un passé lointain, Edwina Currie et d’autres conservateurs admettent que les préoccupations des émeutiers, telles que le chômage de masse et les préjugés des policiers étaient légitimes. Bien entendu, ils ont immédiatement déclaré que la situation aujourd’hui est complètement différente. En réalité, rien n’a fondamentalement changé pour les jeunes dans les grandes villes. Les évènements actuels sont un cri de rage et de désespoir d’une génération qui est jetée au rebut. Ce ne sont pas des émeutes raciales, il s’agit de gens pauvres de toutes origines ethniques dans les grandes villes.

    En colère et défavorisés

    Les motivations des personnes impliquées varient, mais certains éléments reviennent souvent. Ils ont été résumés par une femme interviewée à la radio: "Je ne suis pas une voleuse, mais je suis en colère." D’autres ont pris part aux pillages des magasins. Les magasins d’électronique et de vêtements de sport ont été la cible principale, mais les supermarchés aussi y sont passés. À Tottenham, l’Aldi a été vidé et à Lewisham, ce fut le cas pour le supermarché Morrisons. Ce ne sont pas uniquement les produits de luxe qui ont été fauchés mais aussi les produits de première nécessité.

    Qu’est-ce que cela nous dit sur la Grande-Bretagne, un pays capitaliste «développé», si tant de gens sont suffisamment désespérés pour ne pas penser aux conséquences à prendre part aux pillages massifs de magasins ? Des jeunes ayant un travail décent et des perspectives d’avenir ne participeraient normalement pas à de telles actions. Mais en Grande-Bretagne, il y a aujourd’hui près d’un million de jeunes chômeurs qui s’entendent effectivement dire qu’ils n’ont aucune perspective pour l’avenir. Les bourses sont en chute libre dans le monde entier, et l’idée que le capitalisme n’a rien à offrir à cette «génération perdue» gagne du terrain. Le chômage des jeunes à Londres est de 23%, dans certains milieux, il est encore beaucoup plus élevé.

    Hackney et Tower Hamlets ont le taux de chômage des jeunes le plus élevé du pays, Tottenham suit pas très loin derrière. Ces jeunes vivent très près des millionnaires et des milliardaires de la ‘City de Londres’ (quartier financier), mais ils n’ont presque aucune chance d’avoir un salaire minimum, et encore moins de trouver un job décent. Les véritables pilleurs sont les requins de la finance qui font des milliards de bénéfices en spéculant sur les marchés boursiers et en pillant l’économie de pays entiers, conduisant parfois une population entière – comme en Grèce – à la pauvreté extrême.

    Est-il surprenant que dans une société qui encourage les entrepreneurs privés à utiliser tous les moyens possibles pour faire du profit, les jeunes chômeurs décident de se procurer un certain nombre de produits avec tous les moyens dont ils disposent ?

    Minorités ethniques

    Ces émeutes ne sont pas des «émeutes raciales» et incluent des jeunes de tous les groupes ethniques, mais il est vrai que beaucoup d’entre eux sont Noirs. Les politiciens capitalistes essaient de nous faire croire que le racisme n’existe plus en Grande-Bretagne, mais c’est faux.

    Toutes les minorités ethniques gagnent encore toujours moins que les Blancs en moyenne. La différence de revenu est de 10% inférieur pour les hommes Chinois et de 27% pour les hommes du Bangladais. Même les minorités ethniques avec un haut niveau de compétences et d’éducation ont généralement des salaires plus bas. Le taux de pauvreté est au-dessus de la moyenne parmi toutes les minorités ethniques. Il y a beaucoup de pauvreté particulièrement parmi les Bangladais (deux Bangladais sur trois sont pauvres), les Pakistanais et les personnes originaires d’Afrique sub-saharienne. De plus les minorités ethniques sont à peine représentées parmi les cadres des grandes entreprises. Aucun des 98 juges de la Cour suprême n’est originaire d’une minorité ethnique et parmi les 563 autres juges, il n’y en a que quatre. Moins de 1% de l’armée vient d’une minorité ethnique. Il n’y a que quelques députés Noirs ou Asiatiques. Le capitalisme britannique a été incapable d’améliorer les conditions de vie des Noirs et des Asiatiques, seule une petite minorité s’élève.

    La colère face à la brutalité policière est un facteur majeur dans l’explosion. À Tottenham, les émeutes ont commencé après que Mark Duggan ait été abattu par la police. L’IPCC, l’organisme des plaintes de la police, a déjà du admettre que la balle qui se trouvait dans la radio de la police et qui avait été attribuée à M. Duggan provenait en fait d’une arme de police. La population à Tottenham est en droit de ne pas avoir confiance en l’IPCC pour mener une enquête indépendante. Les syndicats doivent se battre pour obtenir une enquête véritablement indépendante dirigée par des représentants élus des syndicats locaux, des organisations de quartier et en particulier des jeunes.

    Une telle enquête est nécessaire pour les émeutes qui ont eu lieu et leurs causes. Beaucoup de jeunes qui ont été interviewés lors des émeutes expriment une colère contre la politique de la police de les arrêter et de les contrôler en permanence. Entre 2005 et 2009, le contrôle des Asiatiques a augmenté de 84% et celui des Noirs de 51%. L’Etat veut maintenant aller plus loin en utilisant la ‘Section 60’ pour étendre la possibilité d’arrêter et de fouiller les gens sans la moindre raison de les suspecter.

    Il y a eu plusieurs manifestations pacifiques contre cela, mais cela n’a rien donné. Cela a donné le sentiment qu’il fallait en faire «plus». À Tottenham, la famille et les amis de Mark Duggan ont défilé vers le poste de police où ils ont attendu en vain pendant des heures un porte-parole de la police. Ce n’était pas un événement isolé. Un jeune de Tottenham a déclaré dans les médias: "Vous ne voudriez pas me parler maintenant s’il n’y avait pas d’émeutes. Il y a deux mois, nous avons défilé vers Scotland Yard, nous étions plus de 2000, tous Noirs. C’était une manifestation pacifique et vous savez quoi ? Il n’y a pas eu un seul mot dans la presse. Hier soir, il y a eu quelques protestations et des pillages et regardez maintenant autour de vous."

    Coupes dans les services publics

    Le chômage de masse et le harcèlement de la police ont conduit à une situation explosive. Pour beaucoup, la décision de supprimer les dernières miettes du budget qui tentaient de diminuer l’effet du chômage massif des jeunes a été la goutte qui a fait déborder le vase. Le gouvernement a décidé de supprimer les bourses d’études, malgré les protestations massives. C’était pour beaucoup de jeunes des milieux ouvriers la seule possibilité de continuer des études. On demande toujours aux jeunes de s’élever en suivant une formation. Mais c’est désormais beaucoup plus difficile. Par ailleurs, les frais d’inscription seront augmentés à 9 000 £ par an. L’accès à l’enseignement supérieur pour de nombreux jeunes d’origine modeste est donc devenu très limité.

    Cela s’ajoute aux coupes du gouvernement dans des services publics déjà saturés. Ces économies sont effectuées par les administrations communales des travaillistes, des conservateurs et des libéraux-démocrates. Au lieu de défendre leur communauté locale et de refuser les coupes budgétaires, comme le Socialist Party l’exige et comme l’a fait l’administration communale de Liverpool dans les années 80, chaque administration Labour procède aux coupes substantielles dans les services publics. Les services de la jeunesse à Tottenham se sont vus supprimés 75% de leurs ressources. Au niveau national, Connexions, un service pour conseiller les jeunes sur l’emploi et les allocations, a été supprimé. De nombreuses autorités locales n’offrent pas de conseils aux jeunes. Et ce n’est que la première année de l’austérité annoncée, les prochaines années iront encore beaucoup plus loin.

    Le gouvernement fait tout pour nier la relation entre les coupes budgétaires et les émeutes. Mais il y a seulement quelques semaines, avant les dernières élections parlementaires, le leader du Lib-Dem, Nick Clegg, a déclaré que les économies des conservateurs conduiraient à des émeutes. N’est-ce la preuve de la vue à court terme d’un gouvernement qui encourage des économies dans des services qui formaient un certain élément de «contrôle social» sur la jeunesse ? Il faudra désormais plusieurs fois les sommes qui ont été économisées grâce aux coupes pour s’attaquer aux conséquences des émeutes.

    Dans la foulée des émeutes, des campagnes locales sont nécessaires pour la réouverture immédiate de tous les établissements pour jeunes qui ont été fermés et de Connexions. Le gouvernement doit prévoir les moyens pour cela.

    Les émeutes ne sont pas une solution

    Les émeutes ne sont pas la façon dont nous pouvons infliger une défaite au gouvernement. Au contraire, elles n’apportent que des dommages dans les quartiers où vivent les travailleurs. Cela donne de plus une excuse aux capitalistes pour renforcer l’appareil répressif de l’État. Le Socialist Party n’est pas d’accord avec ceux qui tolèrent les émeutes. Comme le ‘Socialist Workers Party’, qui distribue des affiches dans les quartiers touchés présentant les émeutes comme un pas vers la révolution (« des émeutes à la révolution »).

    Les troubles actuels sont une indication de la rage aveugle contre le système. Sans doute certains de ces jeunes ont été inspirés par les révolutions qui ont renversé les dictatures du Moyen-Orient et les mouvements sur les places en Grèce et en Espagne. Mais ces mouvements avaient un caractère différent de ces émeutes. La situation était évidemment différente dans chaque pays, mais toutes les occupations des places – de l’Espagne à l’Égypte – étaient des actions de masse relativement disciplinées qui réagissaient préventivement contre les actes de violence à l’encontre des commerces de proximité, etc. C’est la raison pour laquelle le mouvement qui avait commencé en grande partie parmi les jeunes a pu s’élargir et gagner le soutien de couches plus larges.

    Les émeutes ont reçu une large attention des médias, mais ont surtout été saisies par ces médias et le gouvernement pour continuer de diaboliser les jeunes et pour insérer un élément de division dans la lutte contre le gouvernement. Le gouvernement ne sera vaincu que si nous construisons un mouvement massif et uni de tous ceux qui sont touchés par les coupes budgétaires. La classe ouvrière organisée dans les syndicats devrait jouer un rôle clé.

    En Égypte, Moubarak a dû finalement démissionner quand la classe ouvrière a organisé une grève générale. En Grande-Bretagne, la ‘Poll Tax’ de Thatcher n’a pas été mise à bas par les émeutes de mars 1990, mais par les campagnes massives de ‘non-paiement’ organisées auxquelles ont participé 18 millions de personnes.

    Actions syndicales

    Cette année, le jour qui a effrayé le plus le gouvernement britannique était le 30 juin. 750 000 employés du secteur public se sont mis en grève. Malheureusement, cela représentait seulement un cinquième des membres du personnel du secteur public, les autres appartenaient à des syndicats qui n’avaient pas fait appel à la mobilisation. Les dirigeants des plus grands syndicats du secteur public étaient contre une participation, en dépit de la pression de la base. L’échec des dirigeants syndicaux britanniques pour mener une lutte sérieuse contre toutes les économies est l’une des raisons principales pour laquelle les émeutes ont éclaté.

    Brendan Barber, secrétaire général du TUC, la fédération syndicale, avait averti que les économies conduiraient à des émeutes. Mais il n’a rien fait à travers l’action collective pour les éviter. Si le TUC, comme nous l’avions demandé, avait organisé une lutte sérieuse contre le gouvernement et de surcroît, avait mobilisé ses sept millions de membres, le gouvernement aurait déjà été chassé du pouvoir. Si en octobre de l’année dernière, le TUC avait organisé une manifestation nationale contre les coupes, avait mobilisé pour des actions conjointes avec les étudiants en novembre, puis avait appelé à une grève générale de 24 heures dans le secteur public, il aurait pu compter sur un large soutien. Il aurait aussi exercé une force d’attraction sur les couches les plus opprimées de la jeunesse.

    Après que toutes les actions aient été reportées, le TUC doit maintenant agir rapidement. Un appel immédiat à une manifestation nationale contre toutes les économies et pour un avenir pour les jeunes doit venir tout de suite. Cela doit être une étape vers des actions de grèves coordonnées en automne, avec cette fois un appel aux quatre millions des travailleurs du secteur public, combinées à une grève des écoliers et des étudiants.

    Une manifestation syndicale doit indiquer clairement que les syndicats veulent, ensemble avec les jeunes, défendre une alternative. Le soutien très large des syndicats cet automne à la campagne ‘Youth Fight for Job’ (jeunes en lutte pour l’emploi) et à la ‘Jarrow Mars’ (Marche de Jarrow), protestations contre le chômage élevé des jeunes, a démontré le potentiel.

    Il est cependant important que la manifestation soit organisée autour de revendications claires. Parmi celles-ci, la réintroduction de la bourse d’étude doit être exigée, ainsi que la suppression des frais d’inscriptions dans les universités.

    Les syndicats doivent également résister à toute tentative du gouvernement de saisir les émeutes comme une occasion supplémentaire de persécuter les jeunes. Nous devrions au contraire nous lever pour que cessent les fouilles arbitraires des jeunes et nous opposer aux tentatives d’élargir l’appareil répressif de l’Etat. La Ministre Teresa May a déclaré précédemment qu’elle introduirait en Grande-Bretagne les canons à eau et des gaz lacrymogènes. L’utilisation immédiate de balles en caoutchouc est à l’étude. Si cela arrive réellement, ce sera utilisé à l’avenir contre les manifestations de travailleurs et d’étudiants. L’année dernière, nous avons vu comment la police a réagi avec violence aux manifestations d’étudiants. Les syndicats doivent exiger que le contrôle de la police soit dans les mains de comités locaux élus démocratiquement.

    L’éruption de colère dans les rues britanniques est une condamnation du capitalisme qui est incapable d’offrir à la prochaine génération ne serait-ce que le niveau de vie faible qu’ont connu les travailleurs au cours des vingt dernières années. Les syndicats doivent agir maintenant pour montrer qu’ils sont du côté des jeunes. Pour être pleinement efficace, ceci doit être couplé à la lutte pour la construction d’un nouveau parti de masse des travailleurs et des jeunes. Un tel parti devrait prôner une société socialiste.

    Rien qu’en passant sous une propriété publique et démocratique les grandes entreprises qui dominent l’économie britannique, il serait possible d’offrir aux jeunes un véritable avenir. Le capitalisme ne peut même pas offrir à la prochaine génération les besoins de base tels que l’emploi, le logement et l’éducation. Le socialisme démocratique signifierait que la production soit planifiée pour répondre aux besoins de chacun et pas au profit d’une petite minorité.

    Le Socialist Party exige:

    • Une étude indépendante menée par les syndicats sur la mort de Mark Duggan, sur la façon dont les émeutes ont été abordées et sur les causes des émeutes. La suppression de l’IPCC. Nous avons besoin d’une responsabilisation de la police par un contrôle démocratique de comités locaux.
    • Stop aux fouilles. Non à la section 60.
    • Pour un contrôle démocratique de la police par des comités locaux élus comprenant des représentants des syndicats, des conseillés communaux, des associations de locataires et des comités de quartiers.
    • Le gouvernement doit prendre immédiatement en charge les pertes et les frais des petits commerçants et des propriétaires de logement encourus suite aux émeutes.
    • Les communes doivent offrir un nouveau logement à ceux qui ont perdu leur maison au cours des émeutes. Pour un investissement dans les logements sociaux et la rénovation, créant ainsi des emplois et une amélioration de la santé.
    • Pour un retour en arrière immédiat sur les décisions visant à supprimer les services locaux d’aide à la jeunesse et Connexions. Le gouvernement doit mettre les moyens en place.
    • Non à toutes les coupes sur le plan de l’emploi et des services publics. Enseignement gratuit et de qualité, une formation pour tous. Réintroduction des bourses d’études et suppression des droits d’inscription. Nous exigeons de gros investissements publics dans l’emploi et les services publics.
    • Pour une campagne massive qui défende ces exigences et qui prône aussi un changement socialiste de la gestion de la société. Pour une planification démocratique de la richesse et des moyens de la société et ce sous le contrôle et la gestion de la classe des travailleurs et non sous celui des millionnaires.
  • Le G8 à Deauville : Festival de l’hypocrisie impérialiste 2011, 37e édition

    Ces 26 et 27 mai, 8 des plus grandes puissances économiques de la planète (Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni, Canada, Etats-Unis, Japon, Russie) se réuniront de manière informelle à Deauville, en France. Que peut-on attendre de ce sommet annuel ?

    Par Baptiste (Wavre)

    Ce rendez-vous annuel se donne pour objectif d’avoir des directives communes aux grandes puissances en vue de ‘‘régler’’ des problèmes majeurs dans la situation mondiale. Historiquement, les premières réunions furent ainsi convoquées en réponse au pic pétrolier des années ’70. Depuis le sommet de Pittsburgh en 2009, le G8 précise ses préoccupations : ‘‘les enjeux géopolitiques et de sécurité, les partenariats avec l’Afrique au niveau politique et économique, et les sujets d’intérêt commun aux pays du G8.’’

    10 ans après le sommet de Gênes

    De la fin des années ’90 au début des années 2000, le G8 était devenu le symbole de la mondialisation, ce processus économique ultralibéral qui semblait tout dévaster sur son passage. Après une décennie d’idéologie dominante sans partage à la suite de la chute de l’URSS, le mouvement antimondialisation remit à l’ordre du jour le rejet du système dans la jeunesse, bien que l’expression eut une certaine confusion.

    Le sommet du G8 de Gênes en 2001 fut l’apogée de cette radicalisation dans la jeunesse avec des manifestations importantes contre le sommet. La répression scandaleuse des manifestants s’est soldée par 600 blessés et la mort par balle de Carlo Giuliani. Amnesty International a d’ailleurs qualifié cet épisode comme ‘‘la plus grave atteinte aux droits démocratiques dans un pays occidental depuis la fin de la seconde guerre mondiale.’’

    ‘‘Régler les problèmes’’, c’est beaucoup dire. En conclusion du sommet de l’an dernier, le communiqué final se targuait ainsi d’avoir acquis une régulation financière, aussi bien à l’égard de la spéculation aveugle des Hedge founds et aux bonus des tout aussi borgnes traders. Rien n’est plus évident, au vu des nouveaux bénéfices monstres dans la finance, des bonus tout aussi gigantesques qui vont de pair, pour récompenser une spéculation qui a retrouvé toute sa fougue dans les matières premières, les monnaies, l’immobilier et les dettes publiques, entre autre.

    Derrière ‘‘régler les problèmes’’, il s’agit surtout pour ces dirigeants d’envoyer de la poudre aux yeux de la population pendant qu’ils tentent en réalité de défendre les intérêts de leurs capitalistes. La coopération minimum pour des profits individuels maximum. On peut dès lors facilement comprendre que depuis la stagflation des ’70, ce G8 fut régulièrement derrière l’impulsion de politiques néolibérales. Ces politiques néolibérales qui n’ont précisément rien réglé aux problèmes des travailleurs et leurs familles, mais qui ont juste permis aux capitalistes d’accumuler le plus de profits possible.

    Cette année, le G8 se réunit dans un contexte de crise mondiale pour le capitalisme, avec une accélération des bouleversements à tous les niveaux, comme le reconnaît Sarkozy, le président hôte du sommet : économie mondiale, crise des dettes publiques, tensions entre économies et changements des rapports de force, inflation sur fond de spéculation sur les matières premières, problème du nucléaire et de l’énergie, chômage, augmentation de la pauvreté, mouvements révolutionnaires en Afrique du Nord et Moyen-Orient, etc.

    Nul doute que l’hyper-président ne ratera pas l’occasion d’enfiler le costume de chevalier-blanc-sauveur-desmaux- de-la-planète à la clôture du sommet, avec toutes sortes de grandes déclarations solennelles et promesses creuses pour 2020, 2030. Il a d’ailleurs déjà prévenu de l’élaboration d’un ‘‘socle de protection sociale universelle’’. Une rhétorique d’acquis social pour un contenu de course vers le fond des conditions de vie et de travail ?

    Il n’y a aucune confiance à avoir en ces dirigeants impérialistes. Il est illusoire de croire que ces dirigeants avides de profits puissent régler les différents problèmes de société, tous ces problèmes sont inhérents au système qu’ils défendent bec et ongles : le capitalisme. Ce sont les mêmes qui ont stimulé la course au profit dans le nucléaire au mépris de la sécurité et de l’environnement. Ce sont les mêmes qui ont soutenu les Moubarak, Khadafi, Ben Ali, Gbagbo et autres dictateurs du monde néocolonial, et qui retournent leurs vestes pour mieux protéger leurs intérêts économiques et stratégiques. Ce sont les mêmes qui appliquent depuis des décennies les politiques néolibérales et appliquent les politiques d’austérité. Leurs intérêts sont systématiquement opposés aux nôtres !

    Quel que soit le thème, ils veulent faire du business. Nous devons mener notre lutte pour défendre nos intérêts. Et cette lutte est précisément dirigée contre le système capitaliste qu’ils défendent. Seule une société socialiste permet à tous d’obtenir des conditions de vie et de travail décentes, la démocratie la plus aboutie, d’abolir la pauvreté et d’avoir une gestion du secteur énergétique en accord avec les besoins environnementaux.

  • Côte d’Ivoire : pas encore hourra

    Il ne fait aucun doute que la capture de Laurent Gbagbo le 11 avril 2011 par les forces de Alassane Ouattara (énormément aidées par l’armée française) a apporté un immense soulagement à l’immense majorité des Ivoiriens, soumis à l’expérience traumatisante d’une nouvelle guerre civile après les élections de novembre 2010. Ces élections avaient produit deux “présidents”. Ouattara, un ancien premier ministre du dictateur Houphouët-Boigny, avait été déclaré vainqueur des élections par la commission électorale, et validé par les Nations-Unies.

    Peluola Adewale, Democratic Socialist Movement (CIO-Nigéria)

    Cependant, le président sortant Laurent Gbagbo avait rejeté le verdict en prétextant des irrégularités dans le nord du pays, et avait forcé le conseil constitutionnel – qu’on a dit dirigé par un de ses amis – à annuler les votes du Nord, ce qui avait mené à sa réélection. Les nations impérialistes occidentales et la CEDEAO ont quant à elles reconnu Ouattara en tant que vainqueur et ont imposé toutes sortes de sanctions à Gbagbo pour le contraindre à quitter, mais sans résultat. Cette impasse a mené à une grave crise de violences sectaires, qui a couté la vies à 1500 personnes et contraint un million de gens à l’exil. Gbagbo n’a pu être dégagé que par la force de l’armée française qui a bombardé son arsenal et son palais jusqu’à le forcer à sortir de son bunker, pour pouvoir être cueilli par les soldats de Ouattara.

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    Tandis que la capture de Gbagbo a apporté un certain soulagement avec la fin de la guerre civile prolongée, les militants de la classe ouvrière et par le peuple ne devraient pas applaudir le rôle de l’impérialisme. Car c’est de la même manière que l’impérialisme a lâché sa puissance militaire contre le régime dictatorial et pro-capitaliste de Gbagbo, qu’il tentera de réprimer brutalement tout véritable mouvement ouvrier qui menacerait le règne et l’emprise du capitalisme et de l’impérialisme.

    Malgré le prétexte selon lequel l’intervention de l’impérialisme, avec ses bombes et ses tanks était justifié par la nécessité de protéger les civils, sa mission avait pour véritable objectif ses propres intérêts égoïstes. Cette justification peut facilement être remise en question par les développements en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, où les impérialistes soutiennent militairement le mouvement contre la dictature de Mouammar Kadhafi qui avait lancé la terreur d’État pour réprimer l’opposition, alors qu’au même moment ils gardent le silence par rapport aux atrocités commises par les dirigeants pro-occidentaux du Bahreïn, de Syrie et du Yémen. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, deux alliés majeurs de l’Occident, ont en effet envoyé des troupes et des tanks pour briser et tuer les opposants au Bahreïn, sans aucune condamnation de la part de l’Occident. Une différence importante entre la Libye et certains des autres pays de la région où se déroulent des révoltes de masse est que la Libye possède de grandes réserves de pétrole, les plus grandes d’Afrique, tandis que les autres ne possèdent que très peu de pétrole. En fait, certaines études ont révélé que les réserves du Yémen seront épuisées d’ici 2017, tandis que celles du Bahreïn ne pourraient encore durer que 10-15 ans. En plus, le contrôle et les immenses profits des multinationales pétrolières occidentales n’ont jamais été menacés dans ces pays.

    Il faut cependant insister sur le fait que c’est le vide créé par l’absence d’un grand mouvement de la classe ouvrière capable d’arrêter la dégénérescence de la crise politique en guerre civile qui a été exploité par l’impérialisme français pour satisfaire ses propres intérêts. Les travailleurs ont prouvé avec des grèves et des protestations de masse contre les attaques néolibérales qu’ils ont organisées au cous des dernières années du régime Gbagbo qu’ils étaient capables de se dresser au-dessus des divisions ethniques et religieuses exploitées par l’élite capitaliste dirigeante, et de s’unir dans la lutte pour leurs intérêts communs et pour une meilleure vie.

    Par conséquent, un mouvement centralisé de la classe ouvrière aurait pu mobiliser la masse des Ivoiriens, des travailleurs, des paysans et des artisans contre la xénophobie, contre l’ethnicisme et la guerre, et aurait pu les organiser en un grand mouvement politique capable d’arracher le pouvoir des mains des diverses factions de l’élite capitaliste dirigeante qui ont plongé le pays dans une abysse de crises économiques et politiques, mais aussi de contrer l’emprise de l’impérialisme sur l’économie. Si un tel mouvement avait existé, en opposition aux manœuvres et aux conflits des cliques rivales, il aurait donné aux travailleurs une plateforme à partir de laquelle créer leur propre alternative sous la forme d’une véritable assemblée des travailleurs – formée de représentants élus des ouvriers, employés, des paysans, des petits commerçants, des artisans et des groupes ethniques – qui aurait pu constituer un gouvernement transitoire qui aurait agi en faveur des intérêts des travailleurs et des pauvres et qui aurait organisé de nouvelles élections véritablement démocratiques, sans l’interférence des Nations-Unies, cette organisation pro-capitaliste.

    Bien que Ouattara a gagné la guerre pour le poste de président de Côte d’Ivoire, il n’a pas gagné la paix. Il y a encore des quartiers à Abidjan et ailleurs dans le pays qui sont fermement sous le contrôle de jeunes armés qui se sont battus d’un côté ou de l’autre pendant la guerre. Les milices des “Jeunes Patriotes” pro-Gbagbo contrôlent Yopougon, tandis que les “Commandos invisibles” pro-Ouattara dirigent Abobo et d’autres quartiers du nord d’Abidjan. Ces deux groupes ont continué à se battre contre la nouvelle Force républicaine de Ouattara qui cherche à les désarmer et à reprendre le contrôle de ces zones. Les “Jeunes Patriotes” sont fâchés par l’arrestation de Gbagbo et ont le potentiel de former un nouveau groupe rebelle. Les 5000 personnes qui forment les “Commandos invisibles” qui se sont battus aux côtés des forces de Ouattara contre Gbagbo cherchent une reconnaissance et leur “part du butin” pour le rôle qu’ils ont joué. De fait, les “Commandos invisibles” étaient déjà entrés en conflit contre les forces de Gbagbo à Abidjan avant que les “Forces nouvelles” ne débarquent du Nord. Les “Forces nouvelles” sont constituées des anciens groupes rebelles qui contrôlent le nord du pays depuis 2002. Pendant ce temps, Ibrahim Coulibaly, le fameux chef des “Commandos invisibles” a été tué dans une fusillade avec les Forces républicaines. La question centrale reste cependant de savoir si la mort de Coulibaly (un ancien garde du corps de Ouattara) mettra un terme à une des principales menaces au retour de la paix dans le pays.

    En plus des activités des milices armées qui sont nées de la guerre civile et de la prolifération des armes à feu dans le pays, il y a toujours le problème fondamental qui se trouve à la racine de la crise politique, c’est-à-dire la question nationale non résolue. Ce problème est toujours bien vivant. Le concept xénophobe d’“ivoirité” – le fait d’être un vrai Ivoirien – qui est un élément central dans la crise n’a pas disparu. Ce concept signifie que la plupart des Ivoiriens du nord du pays (duquel provient Ouattara) ne sont pas de “vrais Ivoiriens”, et ne peuvent donc diriger le pays. Ce prétexte a été utilisé dans le passé pour empêcher Ouattara (qui a pourtant été premier ministre auparavant) de se présenter aux élections.

    Cette folie xénophobe n’a pas été inventée par Gbagbo, mais il l’a jugée utile pour pouvoir se maintenir au pouvoir. Elle a été créée par Henri Konan Bédié lors d’une précédente lutte pour le pouvoir avec Ouattara qui allait décider de qui succéderait à leur maitre à tous les deux, Houphouët-Boigny, après que celui-ci soit mort à la fin de 1993, après plus de trente ans au pouvoir. Cette lutte ne suivait aucune morale, elle avait uniquement pour but de savoir qui serait la personne qui pourrait manger l’argent des privatisations et des coupes dans les budgets publics. Avant la mort de Houphouët-Boigny, Bédié était président de l’Assemblée nationale, et Ouattara était premier ministre.

    Ce concept diviseur a marginalisé la plupart des gens originaire du Nord, et qui partagent une culture similaire à celle des immigrants en provenance des pays voisins, comme le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Il a ainsi été repris par la plupart des Ivoiriens, à une période au cours de laquelle commençait le déclin du pays qui avait autrefois l’économie la plus prospère de toute l’Afrique de l’Ouest. De la sorte, il était facile pour les élites dirigeantes d’accuser les immigrants (qui constituent 30% de la population) d’être responsables de la crise économique en réalité causée par le capitalisme.

    En plus de l’“ivoirité”, Gbagbo a aussi beaucoup joué avec le sentiment anti-impérialiste afin de s’attirer une partie de la population, et ainsi s’accrocher au pouvoir. Cependant, malgré tous les beaux discours que Gbagbo déclame aujourd’hui contre l’impérialisme français, il n’a jamais représenté une menace pour les immenses intérêts économiques de l’élite dirigeante française. Pierre Haski a révélé dans le journal The Guardian que « Pendant les dix années de Gbagbo au pouvoir, les entreprises françaises ont reçu les plus gros contrats ; Total a gagné l’exploration pétrolière, Bolloré la gestion du port d’Abidjan, Bouygues les télécoms » (The Guardian de Londres, 5 janvier 2011). Qui plus est, il a dans les faits dirigé le pays sur base de l’agenda économique capitaliste néolibéral dicté par le FMI, dont il a signé le programme. Néanmoins, leur relation est devenue plus tendue après l’incident du bombardement de 2004, lorsque les forces françaises ont détruit la force aérienne de Côte d’Ivoire en réponse au bombardement d’une base militaire française qui se trouvait dans la zone tampon entre les rebelles et le gouvernement Gbagbo pour faire respecter le cessez-le-feu. C’était d’aillleurs les troupes françaises qui avaient aidé à repousser l’avancée des rebelles vers le Sud lorsqu’ils avaient semblé assez forts que pour pouvoir envahir tout le pays, et qui avaient aussi permis d’obtenir le cessez-le-feu de 2002. La France a apparemment agi de la sorte afin de maintenir ses intérêts, qui sont principalement localisés dans le Sud.

    Ce n’est pas un secret que l’impérialisme occidental, et surtout la France, possède d’importants intérêts économiques en Côte d’Ivoire. La France a par exemple 500 entreprises qui dominent d’importants secteurs de l’économie. Le pays est le premier producteur mondial de cacao (qui sert à faire le chocolat), avec 40% de la production mondiale. C’est aussi un producteur majeur de café et de bois, et il y a aussi eu une hausse de la production de pétrole brut, de même que des gisements d’or et de diamants dans le Nord. De plus, dans un rapport de la Commission internationale d’enquête au sujet des plaintes de violations des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire, réalisé entre le 19 septembre et le 15 octobre 2004, il était mentionné la découverte de champs de pétrole dont les réserves pourraient faire du pays le deuxième ou troisième producteur africain de pétrole brut. La Commission a aussi fait état de la découverte d’immenses gisements de gaz, dont les réserves sont suffisantes pour cent ans d’exploitation.

    Il n’y a aucun espoir d’amélioration de la vie de la majorité des Ivoiriens sur base de l’alternative offerte à présent dans la personne de Ouattara, le champion de l’impérialisme. Il ne faut pas être prophète pour conclure que l’ancien premier ministre de Houphouët-Boigny, qui est plus tard devenu vice-directeur du FMI, va diriger le pays selon les dictats de l’impérialisme mondial. John Campbell, l’ancien ambassadeur américain au Nigéria, qui fait maintenant partie du Conseil des relations extérieures, une institution pro-impérialiste, a quelque peu renforcé ce point en disant que : « Ouattara a certainement l’expertise technique requise pour gérer l’économie ». Pour l’impérialisme, une meilleure gestion de l’économie signifie gérer l’économie selon ses propres dictats.

    Déjà la Côte d’Ivoire a été reprise dans le programme des pays pauvres très endettés (PPTE) de la Banque mondiale et du FMI, qui fait partie d’une procédure visant à effacer une partie de la dette dans laquelle le pays a été plongé par le gouvernement pro-impérialiste et caricatural de Houphouët-Boigny. Cela veut dire que le pays a dû rembourser sa dette et mettre en route une politique économique dure d’ajustements structurels (un programme capitaliste néolibéral) telle que définie par le FMI et par la Banque mondiale afin de pouvoir faire partie de cette initiative. Il ne fait aucun doute que Ouattara, en vieux cheval de guerre de l’impérialisme, n’hésitera pas le moins du monde à lancer de telles attaques néolibérales sur les travailleurs. Rappelons-nous seulement qu’il a aidé Houphouët-Boigny à imposer et à mettre en œuvre les mesures d’austérité et le programme d’ajustement structurel du début des années 90. Pour lui, le néolibéralisme, qui a déjà prouvé être extrêmement dévastateur pour le développement, est un remède à des maux économiques. Toutefois, depuis mars 2009 la Côte d’Ivoire a rempli les conditions pour faire partie du programme des PPTE, ce qui signifie que Gbagbo n’a pas trop mal travaillé du point de vue de la Banque mondiale et du FMI en mettant en place les attaques néolibérales demandées par ces institutions. Le FMI a félicité Gbagbo pour ce résultat, et lui a demandé d’accélérer les dernières “réformes” nécessaires pour terminer le plan PPTE. Il ne fait aucun doute que Ouattara, en sa qualité de véritable agent du FMI, fera encore mieux que Gbagbo de leur point de vue.

    Les travailleurs et les pauvres de Côte d’Ivoire vont réaliser que leur niveau de vie ne va pas réellement s’améliorer sous le gouvernement Ouattara (s’il n’empire pas), et que ce gouvernement ne parviendra pas non plus à garantir une paix durable. C’est pourquoi les dirigeants syndicaux radicaux, les militants de gauche et les socialistes devraient immédiatement entamer le processus de construire un mouvement ouvrier uni, qui rassemble tous les travailleurs, tous les paysans et tous les pauvres, de toutes les ethnies et de toutes les religions, contre la xénophobie, contre la violence sectaire, et contre les attaques néolibérales antipauvres, et qui revendique de meilleures conditions pour les travailleurs en ce qui concerne l’éducation, les soins de santé, le logement, et des emplois décents. Ce mouvement devrait aussi exister en tant qu’alternative politique ouvrière qui se batte sur base de la résistance aux programmes capitalistes néolibéraux et pour une alternative socialiste dans la lutte pour le pouvoir politique.

  • La “zone d’exclusion aérienne” et la gauche

    Les puissances impérialistes ont mis en place une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye afin de protéger leurs propres intérêts économiques et stratégiques et de restaurer leur prestige endommagé. Il est incroyable de voir que certaines personnes de la gauche marxiste soutiennent cette intervention militaire.

    Peter Taaffe – article paru dans Socialism Today, le magazine mensuel du Socialist Party (CIO – Angleterre et Pays de Galles)

    La guerre est la plus barbare de toutes les activités humaines, dotée comme elle l’est dans l’ère moderne de monstrueuses armes de destruction massive. Elle met aussi à nu la réalité des relations de classe, nationalement et internationalement, qui sont normalement obscurcies, cachées sous des couches d’hypocrisie et de turpitude morale des classe dirigeantes. Elle est l’épreuve ultime, au côté de la révolution, des idées et du programme, non seulement pour la bourgeoisie, mais égalemet pour le mouvement ouvrier et pour les différentes tendances en son sein.

    La guerre en cours en ce moment en Libye – car c’est bien de cela qu’il s’agit – illustre clairement ce phénomène. Le capitalisme et l’impérialisme, déguisés sous l’étiquette de l’“intervention militaire à but humanitaire” – totalement discréditée par le massacre en Irak – utilisent ce conflit pour tenter de reprendre la main. Pris par surprise par l’ampleur de la révolution en Tunisie et en Égypte – avec le renversement des soutiens fidèles de Moubarak et de Ben Ali – ils cherchent désespérément un levier afin de stopper ce processus et avec un peu de chance de lui faire faire marche arrière.

    C’est le même calcul qui se cache derrière le massacre sanglant au Bahreïn, perpétré par les troupes saoudiennes, avec un large contingent de mercenaires pakistanais et autres. Aucun commentaire n’est parvenu du gouvernement britannique quant aux révélations parues dans l’Observer au sujet d’escadrons de la mort – dirigés par des sunnites liés à la monarchie – et au sujet de la tentative délibérée d’encourager le sectarisme dans ce qui avait auparavant été un mouvement non-ethnique uni. Les slogans des premières manifestations bahreïniennes étaient : « Nous ne sommes pas chiites ni sunnites, mais nous sommes bahreïniens ».

    De même, les “dirigeants du Labour” – menés par le chef du New Labour Ed Miliband, qui a promis quelque chose de “différent” par rapport au régime précédent de Tony Blair – sont maintenant rentrés dans les rangs et soutiennent la politique de David Cameron en Libye et l’imposition de la zone d’exclusion aérienne. 

    Il est incroyable de constater que cette politique a été acceptée par certains à gauche, y compris quelques-uns qui se revendiquent du marxisme et du trotskisme. Parmi ceux-ci, il faut inclure Gilbert Achar, qui a écrit des livres sur le Moyen-Orient, et dont le soutien à la zone d’exclusion aérienne a au départ été publié sans aucune critique dans International Viewpoint, le site internet du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale (SUQI). Son point de vue a toutefois été répudié par le SUQI par après.

    Mais on ne peut par contre pas qualifier d’ambigüe la position de l’Alliance pour la liberté des travailleurs (Alliance for Workers’ Liberty, AWL). Les cris stridants de cette organisation, en particulier dans ses critiques d’autres forces de gauche, sont en proportion inverse de ses faibles forces et de son influence encore plus limitée au sein du mouvement ouvrier. L’AWL a même cité Leon Trotsky pour justifier l’intervention américaine avec la zone d’exclusion aérienne. Un de leurs titres était : « Libye : aucune illusion dans l’Occident, mais l’opposition “anti-intervention” revient à abandonner les rebelles » Un autre titre impayable était : « Pourquoi nous ne devrions pas dénoncer l’intervention en Libye » (Workers Liberty, 23 mars).

    Ces derniers exemples sont en opposition directe avec l’essence même du marxisme et du trotskisme. Celle-ci consiste à insuffler dans la classe ouvrière et dans ses organisations une indépendance de classe complète par rapport à toutes les tendances de l’opinion bourgeoise, et à prendre les actions qui en découlent. Ceci s’applique à toutes les questions, en particulier pendant une guerre, voire une guerre civile, ce dont le conflit libyen comporte clairement des éléments.

    Il n’y a rien progressiste, même de loin, dans la tentative des puissances impérialistes que sont le Royaume-Uni ou la France de mettre en place une zone d’exclusion aérienne. Les rebelles de Benghazi ne sont que menue monnaie au milieu de leurs calculs. Hier encore, ces “puissances” embrassaient Mouammar Kadhafi, lui fournissaient des armes, achetaient son pétrole et, via Tony Blair, visitaient sa “grande tente” dans le désert et l’accueillaient au sein de la “communauté internationale”. Ce terme est un complet abus de langage, tout comme l’est l’idée des Nations-Unies, utilisée à cette occasion en tant qu’écran derrière lequel cacher que l’intervention en Libye avait été préparée uniquement en faveur des intérêts de classe crus de l’impérialisme et du capitalisme.

    Il ne fait aucun doute qu’il y a des illusions parmi de nombreux jeunes et travailleurs idéalistes qui attendent de telles institutions qu’elles résolvent les problèmes que sont les guerres, les conflits, la misère, etc. Certains sont également motivés dans leur soutien à la zone d’exclusion aérienne parce qu’ils craignaient que la population de Benghazi serait massacrée par les forces de Kadhafi. Mais les Nations-Unies ne font que rallier les nations capitalistes, dominées de manière écrasante par les États-Unis, afin de les faire collaborer lorsque leurs intérêts coïncident, mais qui sont de même fort “désunis” lorsque ce n’est pas le cas. Les guéguerres de positionnement et les querelles entre les différentes puissances impérialistes quant à l’intervention libyenne illustre bien ceci.

    Éparpillement américain et incertitude

    Les révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont tout d’abord révélé l’incertitude – voire la paralysie – de la plus grande puissance impérialiste au monde, les États-Unis, quant à l’intervention adéquate. L’administration de Barack Obama a été forcée de tenter de se distinguer de la doctrine de George Bush d’un monde unipolaire dominé par l’impérialisme américain, avec son écrasante puissance militaire et économique. Les USA conservent toujours cet avantage militaire comparés à leurs rivaux, mais il est maintenant sapé par l’afaiblissement économique des États-Unis.

    Il y a aussi le problème de l’Afghanistan et la peur que cela ne mène à un éparpillement militaire. C’est ce qui a contraint Robert Gates, le secrétaire à la défense américain, à dès le départ déclarer son opposition – et, on suppose, celle de l’ensemble de l’état-major américain – par rapport à l’utilisation de troupes américaines terrestres où que ce soit ailleurs dans le monde. Il a aussi affirmé être “certain“ qu’Obama n’autoriserait aucune troupe au sol américaine à intervenir en Libye. Il a souligné cela lors de son interview où il se déclarait “dubitatif par rapport aux capacités des rebelles”, décrivant l’opposition comme n’étant en réalité rien de plus qu’un groupe disparate de factions et sans aucun véritable “commandemet, contrôle et organisation”. (The Observer du 3 avril).

    Obama, a sur le champ cherché à formuler une nouvelle doctrine diplomatique militaire, en ligne avec la nouvelle position des États-Unis sur le plan mondial. Il a tenté de faire une distinction entre les intérêts “vitaux” et “non-vitaux” de l’impérialisme américain. Dans les cas “vitaux”, les États-Unis agiront de manière unilatérale si la situation le requiert. Cependant les États-Unis, a-t-il proclamé de manière arrogante, ne sont plus le “gendarme du monde”, mais agiront dans le futur en tant que “chef de la gendarmerie” mondiale. Ceci semble signifier que les États-Unis accorderont leur soutien et seront formellement à la tête d’une “coalition multilatérale” tant que cela ne signifie pas le déploiement effectif et automatique des troupes.

    Malgré cela, la pression qui s’est effectuée pour empêcher un “bain de sang” a obligé Obama à signer une lettre publique avec Nicolas Sarkozy et Cameron, déclarant que ce serait une “trahison outrageuse” si Kadhafi restait en place et que les rebelles demeuraient à sa merci. La Libye, ont-ils déclaré, menace de devenir un “État déchu”. Ceci semble jeter les bases pour un nouveau saut périlleux, en particulier de la part d’Obama, qui verra l’emploi de troupes terrestres si nécessaire. Lorsqu’il a été incapable d’intervenir directement, à cause de l’opposition domestique par exemple, l’impérialisme n’a pas hésité à engager des mercenaires pour renverser un régime qui n’avait pas sa faveur ou pour contrecarrer une révolution. Telle était la politique de l’administration Ronald Reagan lorsqu’elle a employé des bandits soudards, les Contras, contre la révolution nicaraguayenne.

    L’impérialisme a été forcé dans la dernière intervention par le fait que Kadhafi semblait sur le point de gagner ou, en tous cas, d’avoir assez de force militaire et de soutien résiduel pour pouvoir éviter une complète défaite militaire, à moins d’une invasion terrestre. Les rebelles ne tiennent que l’Est, et encore, une partie seulement. L’Ouest, dans lequel vivent les deux tiers de la population, est toujours en grande partie contrôlé par Kadhafi et par ses forces. Ce contrôle n’est pas uniquement dû à un soutien populaire par rapport au régime. Ses forces possèdent la plupart des armes, y compris des armes lourdes, des tanks, etc. Il a toujours surveillé l’armée régulière de peur qu’un coup d’État n’en provienne. Patrick Cockburn a écrit dans The Independant du 17 avril : « L’absence d’une armée professionnelle en Libye signifie que les rebelles ont dû se fier à de vieux soldats à la retraite depuis longtemps pour entraîner leurs nouvelles recrues». Kadhafi est aussi capable d’attirer un soutien de la part des tribus, de même que du capital politique qu’il a accumulé pour son régime grâce au bon niveau de vie en Libye (avant le conflit) par rapport aux autres pays de la région.

    La révolution espagnole

    De nombreux partisans de la zone d’exclusion aérienne ont pris cette position en supposant que l’impérialisme ne serait pas capable d’aller plus loin que ça. Mais que feront-ils si, comme on ne peut l’exclure, des troupes au sol sous une forme ou une autre sont déployées avec la complicité des puissances impérialistes que sont les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ?

    Lors du débat à la Chambre des Communes (House of Commons) du 21 mars, Miliband (le nouveau chef du Parti travailliste) a accordé un soutien enthousiaste pour l’action militaire de Cameron. Voilà encore une nouvelle confirmation de la dégénerescence politique du Labour Party, qui d’un parti à base ouvrière, est devenu une formation bourgeoise. Les rédacteurs de la classe capitaliste reconnaissent eux aussi platement cette réalité : « Il fut un temps où le Labour party était le bras politique de la classe ouvrière organisée. Tous les trois principaux partis constituent maintenant le bras politique de la classe capitaliste organisée. Ce phénomène n’est pas propre à la Grande-Bretagne. Presque chaque démocratie avancée, surtout les États-Unis, lutte pour contrôler le monde des affaires » (Peter Wilby, The Guardian du 12 avril).

    Comparez seulement la position du dirigeant “travailliste” actuel avec celle de son prédécesseur Harold Wilson au moment de la guerre du Vietnam. Au grand regret de Lyndon Johnson, le président américain de l’époque, Wilson – bien qu’il n’aurait pas été contre l’idée de soutenir des actions militaires à l’étranger s’il avait cru pouvoir s’en tirer après coup – a refusé d’impliquer les troupes britanniques. Toute autre décision aurait provoqué une scission du Labour de haut en bas, ce qui aurait probablement mené à sa démission. En d’autres termes, il avait été forcé par la pression de la base du Labour et des syndicats à refuser de soutenir l’action militaire de l’impérialisme américain.

    Aujourd’hui Miliband soutient Cameron, en provoquant à peine un froncement de sourcils de la part des députés Labour ou de la “base”. Il a invoqué le cas de l’Espagne pendant la guerre civile afin de justifier le soutien au gouvernement, déclarant ceci : « En 1936, un politicien espagnol est venu au Royaume-Uni afin de plaider notre soutien face au fascisme violent du général Franco, disant “Nous nous battons avec des bâtons et des couteaux contre des tanks, des avions et des fusils, et cela révolte la conscience du monde qu’un tel fait soit vrai” » (Hansard, 21 mars).

    Le parallèle avec l’Espagne est entièrement faux. C’était alors une véritable révolution des travailleurs et des paysans pauvres qui se déroulait, avec la création (tout au moins au cours de la période initiale après juillet 1936) d’un véritable pouvoir ouvrier, de comités de masse et avec l’occupation des terres et des usines. L’Espagne était confrontée à une révolution sociale. Cette révolution a surtout été vaincue non pas par les forces fascistes de Franco, mais par la politique erronnée de la bourgeoisie républicaine qui a fait dérailler la révolution, aidée et soutenue par le Parti communiste sous les ordres de Staline et de la bureaucratie russe. Ceux-ci craignaient à juste titre que le triomphe de la révolution espagnole ne soit le signal de leur propre renversement.

    Dans une telle situation, la classe ouvrière du monde entier se rassemblait pour soutenir la revendication d’envoyer des armes à l’Espagne. Alors l’impérialisme, et en particulier les puissances franco-anglaises, ont tout fait pour empêcher l’armement des travailleurs espagnols. Pourtant, le député Tory Bill Cash était entièrement d’accord avec Miliband pour affirmer qu’il y a en effet “un parallèle avec ce qui s’est passé en 1936”, et soutenait donc “l’armement de ceux qui résistent contre Kadhafi” à Benghazi. Cela n’est-il pas un indicateur de la nature politique de la direction actuelle à Benghazi et à l’Est, qui inclut d’anciens partisans de Kadhafi tels que l’ancien chef des forces spéciales Abdoul Fattah Younis ? Si la tendance au départ à Benghazi (des comités de masse avec la participation de la classe ouvrière) s’était maintenue, il n’y aurait maintenant pas la moindre question d’un soutien de la part des Tories de droite ! Miliband a donné une nouvelle justification pour son soutien de la zone d’exclusion aérienne : « Il y a un consensus international, une cause juste et une mission faisable… Sommes-nous réellement en train de dire que nous devrions être un pays qui reste sur le côté sans rien faire ? »

    Aucune force de gauche sérieuse ne peut prôner une politique d’abstention lorsque des travailleurs sont soumis aux attaques meurtrières d’un dictateur brutal tel que Kadhafi. Il est clair qu’il fallait donner un soutien politique à la population de Benghazi lorsqu’elle a éjecté les forces de Kadhafi de la ville par une insurrection révolutionnaire – et ceci était la position du CIO dès le départ. Voilà une réponse suffisante pour ceux qui cherchent à justifier le soutien à l’intervention militaire de l’extérieur, sur base du fait que la population de Benghazi était sans défense. Les mêmes personnes ont utilisé les mêmes arguments au sujet de l’impuissance du peuple irakien qui se trouvait sous l’emprise d’un dictateur brutal pour justifier le bombardement puis l’invasion de l’Irak, avec les résultats criminels que nous voyons à présent. Mais cet argument a été mis en pièces par les révoltes des populations tunisienne et égyptienne qui ont écrasé les dictatures, sous leurs puissants millions.

    Les gens de Benghazi ont déjà vaincu les forces de Kadhafi une fois. Cela a été réalisé lorsque des méthodes révolutionnaires ou semi-révolutionnaires ont été employées. Ces méthodes semblent maintenant avoir été reléguées à l’arrière-plan par des forces bourgeoises et petites-bourgeoises qui ont mis de côté les forces véritablement révolutionnaires. Sur base de comités ouvriers de masse, une véritable armée révolutionnaire – plutôt que le ramassis de soudards qui soutient le soi-disant “gouvernement provisoire” – aurait pu être mobilisée afin de capturer toutes les villes de l’Est et d’adresser un appel révolutionnaire aux habitants de l’Ouest, et en particulier à ceux de la capitale, Tripoli.

    Il y a dans l’Histoire de nombreux exemples victorieux d’une telle approche, en particulier dans la révolution espagnole à laquelle Miliband se réfère mais qu’il ne comprend pas. Par exemple, après que les travailleurs de Barcelone aient écrasé l’insurrection fasciste de Franco en juillet 1936, José Buenaventura Durruti a formé une armée révolutionnaire qui a marché à travers la Catalogne et l’Aragon jusqu’aux portes de Madrid. Ce faisant, il a placé les quatre-cinquièmes de l’Espagne entre les mains de la classe ouvrière et de la paysannerie. C’était bel et bien une guerre “juste” de la part des masses qui défendaient la démocratie tout en luttant pour une nouvelle société socialiste, plus humaine. En outre, cette guerre bénéficiait d’un réel soutien international de la part de la classe ouvrière européenne et mondiale. Les critères utilisés par Miliband pour décider de ce qui est “juste” ou pas se situent dans le cadre du capitalisme et de ce qui est mieux pour ce système, et non pas pour les intérêts des travailleurs qui se trouvent dans une relation opposée et antagoniste par rapport à ce système, et de plus et plus aujourd’hui.

    Le “deux poids, deux mesures” des puissances occidentales

    Notre critère pour mesurer ce qui est juste et progressiste, y compris dans le cas de guerres, est de savoir dans quelle mesure tel ou tel événement renforce ou non les masses ouvrières, accroit leur puissance, leur conscience, etc. Tout ce qui freine cette force est rétrograde. L’intervention impérialiste capitaliste, y compris la zone d’exclusion aérienne, même si elle devait parvenir à ses objectifs, ne va pas renforcer le pouvoir de la classe ouvrière, ne va pas accroitre sa conscience de sa propre puissance, ne va pas la mener à se percevoir et à percevoir ses organisations comme étant le seul et véritable outil capable d’accomplir ses objectifs. Au lieu de ça, l’intervention attire l’attention des travailleurs de l’Est vers une force de “libération” venue de l’extérieur, abaissant ainsi le niveau de conscience des travailleurs de leur propre puissance potentielle.

    Comme l’ont fait remarquer même les députés Tory lors du débat à la Chambre des Communes, Miliband semble complètement adhérer à la “doctrine Blair” – une intervention militaire soi-disant humanitaire en provenance de l’extérieur – dont il avait pourtant semblé se distancier lorsqu’il avait été élu dirigeant du Labour. Ceci revient à justifier les arguments de Blair comme ceux de Cameron concernant le où et quand intervenir dans le monde. Miliband s’est rabattu sur la vague affirmation suivante : « L’argument selon lequel parce que nous ne pouvons pas faire n’importe quoi, alors nous ne pouvons rien faire, est un mauvais argument ». “Nous” (c’est-à-dire l’impérialisme et le capitalisme) ne pouvons pas intervenir contre la dictature en Birmanie, ne pouvons pas hausser “notre” ton contre les attaques meurtrières de la classe dirigeante israélienne contre les Palestiniens de Gaza. “Nous” sommes muets face aux régimes criminels d’Arabie saoudite et du Bahreïn. Néanmoins, il est “juste” de “nous” opposer à Kadhafi – même si “nous” le serrions encore dans “nos” bras pas plus tard que hier – et d’utiliser “notre” force aérienne (pour le moment) contre lui et son régime.

    C’est le journal “libéral” The Observer qui a fait la meilleure description de l’approche hypocrite arbitraire du capitalisme : « Pourquoi ce régime du Golfe (le Bahreïn) a-t-il le bénéfice du doute alors que d’autres dirigeants arabes n’y ont pas droit ? Il est clair qu’il n’est pas question d’intervenir au Bahreïn ou dans tout autre État où les mouvements de protestation sont en train d’être réprimés. L’implication en Libye ne laisse aucun appétit pour le moindre soutien actif, diplomatique ou militaire, pour les autres rébellions. S’il fallait choisir de n’attaquer qu’un seul méchant dans l’ensemble de la région, alors le colonel Kadhafi était certainement le meilleur candidat. » (The Observer du 17 avril)

    Ce qui est par contre entièrement absent de cette argumentation, ce sont les véritables raisons derrière l’intervention en Libye, qui sont les intérêts matériels du capitalisme et de l’internationalisme, pour le pétrole avant tout – la Libye comporte quelques-unes des plus grandes réserves de toute l’Afrique. Certains ont nié cet argument – ils ont dit la même chose à propos de l’Irak. « La théorie de la conspiration pour le pétrole … est une des plus absurdes qui soit » affirmait Blair le 6 février 2003. Aujourd’hui, The Independant (19 avril) a publié un mémorandum secret de l’Office des affaires étrangères datant du 13 novembre 2002, à la suite d’une rencontre avec le géant pétrolier BP : « L’Irak comporte les meilleures perspectives pétrolières. BP meurt d’envie de s’y installer ».

    Un soutien honteux pour l’intervention militaire

    Tandis que la position de Miliband et de ses comparses n’est guère surprenante étant donné l’évolution droitière des ex-partis ouvriers et de leurs dirigeants, on ne peut en dire de même de ceux qui prétendent s’inscrire dans la tradition marxiste et trotskiste. Sean Matgamna de l’AWL cite même Trotsky pour justifier son soutien à l’intervention militaire en Libye : « Un individu, un groupe, un parti ou une classe qui reste “objectivement” à se curer le nez tout en regardant des hommes ivres de sang massacrer des personnes sans défense, est condamné par l’Histoire à se putréfier et à être dévoré vivant par les vers ». Dans ce passage tiré des écrits de Trotsky sur la guerre des Balkans avant la Première Guerre mondiale, celui-ci dénonce les porte-paroles du capitalisme libéral russe qui restaient silencieux face aux atrocités commises par la Serbie et la Bulgarie à l’encontre des autres nationalités.

    Il ne justifiait pas le moins du monde le moindre soutien en faveur des dirigeants d’une nation contre l’autre. Cela est clair à la lecture de la suite de ce passage, que Matgamna ne cite pas : « D’un autre côté, un parti ou une classe qui se dresse contre chaque acte abominable où qu’il se produise, aussi vigoureusement et décidément qu’un organisme réagit pour protéger ses yeux lorsqu’ils sont menacés par une blessure externe – un tel parti ou classe est pur de cœur. Le fait de protester contre les outrages dans les Balkans purifie l’atmosphère sociale dans notre propre pays, élève le niveau de conscience morale parmi notre propre population… Par conséquent, une opposition obstinée contre les atrocités ne sert pas seulement l’objectif d’autodéfense morale au niveau de l’individu ou du parti, mais également l’objectif de sauvegarde politique de notre peuple contre l’aventurisme caché sous l’étendard de la “libération”. »

    Le dernier point de cette citation ne peut être à tout le moins compris qu’allant à l’encontre de la position de l’AWL, qui soutient l’intervention impérialiste cachée sous l’étendard trompeur de la “libération”. Et pourtant, nous trouvons ici l’affirmation surprenante selon laquelle : « La soi-disant gauche s’emmêle encore une fois dans un faux dilemme politique : la croyance selon laquelle il est obligatoire de s’opposer de manière criarde à l’“intervention libérale” franco-britannique en Libye au sujet de chacun de ses actes (ou au moins de chacun de ses actes militaires), sans quoi cela reviendrait à lui accorder un soutien général. En fait, ce dilemme n’est que de leur propre invention ». Tentant de trouver la quadrature du cercle, Matgamna ajoute ensuite que : « Bien entendu, les socialistes n’accordent aucun soutien aux gouvernements et aux capitalistes au pouvoir au Royaume-Uni, en France et aux États-Unis, ni aux Nations-Unies, ni en Libye, ni nulle part ailleurs ».

    Même un enfant de dix ans se rendrait compte que le fait de soutenir la moindre forme d’action militaire est une forme de “soutien politique actif”. L’AWL prétend pouvoir nettement séparer le soutien pour ce type d’action des perspectives plus globales concernant les puissances qui entreprennent ce type d’action. Mais elle agit dans la pratique comme un défenseur de la France et du Royaume-Uni : « L’ONU, se servant du Royaume-Uni et de la France, a fixé des objectifs très limités en Libye. Il n’y a aucune raison de croire que les “Grandes Puissances” veulent occuper la Libye ou sont occupées à quoi que ce soit d’autre que d’effectuer une opération de police internationale limitée sur ce qu’elles perçoivent comme constituant la “frontière sud” de l’Europe ». L’AWL ajoute même gratuitement que : « Les âpres leçons du bourbier iraqien sont encore très vives dans la mémoire de ces puissances ». Et poursuit avec ceci : « Au nom de quelle alternative devrions-nous leur dire de ne pas utiliser leur force aérienne pour empêcher Kadhafi de massacrer un nombre incalculable de ses propres sujets ? Voilà quelle est la question décisive dans de telles situations ». Et quiconque ne s’aligne pas sur ce non-sens est selon l’AWL un pacifiste incorrigible.

    Pour montrer à quel point ces annonciateurs “trotskistes” sont éloignés de la réelle position de Trotsky par rapport à la guerre, regardons sa position au cours de la guerre civile espagnole concernant la question du budget militaire du gouvernement républicain. Max Shachtman, qui était en ce temps un de ses partisans, s’est opposé à Trotsky qui défendait en 1937 le fait que : « Si nous avions un membre dans le Cortes [le parlement espagnol], nous voterions contre le budget militaire de Negrin ». Trotsky a écrit que l’opposition de Shachtman à sa position « m’a étonné. Shachtman était prêt à exprimer sa confiance dans le perfide gouvernement Negrin ».

    Il a plus tard expliqué que : « Le fait de voter en faveur du budget militaire du gouvernement Negrin revient à lui donner un vote de confiance politique… Le faire serait un crime. Comment expliquer notre vote aux travailleurs anarchistes ? Très simplement : Nous n’accordons pas la moindre confiance en la capacité de ce gouvernement à diriger la guerre et à assurer la victoire. Nous accusons ce gouvernement de protéger les riches et d’affamer les pauvres. Ce gouvernement doit être broyé. Tant que nous ne serons pas assez forts que pour le remplacer, nous nous battrons sous son commandement. Mais en toute occasion, nous exprimerons ouvertement notre méfiance à son égard : voici la seule possibilité de mobiliser les masses politiquement contre ce gouvernement et de préparer son renversement. Toute autre politique constituerait une trahison de la révolution » (Trotsky, D’une égratignure au risque de gangrène, 24 janvier 1940). Imaginons maintenant à quel point Trotsky dénoncerait le soutien honteux de l’AWL à l’intervention impérialiste en Libye aujourd’hui.

    Une position de classe indépendante

    On reste sans voix devant le fait que l’AWL, avec son apologie de l’intervention impérialiste, prétende défendre par-là une “politique ouvrière indépendante”. Mais il n’y a pas le moindre atome de position indépendante de classe dans son approche. Nous nous opposons à l’intervention militaire, tout comme s’y sont opposées les masses de Benghazi au cours de la première période. Les slogans sur les murs proclamaient en anglais : « Non à l’intervention étrangère, les Libyens peuvent se débrouiller par eux-mêmes ». En d’autres termes, les masse avaient un instinct de classe bien plus solide, une suspicion par rapport à toute intervention militaire extérieure, en particulier par les puissances qui dominaient autrefois la région – le Royaume-Uni et la France. Elles craignaient à juste titre que la zone d’exclusion aérienne, malgré les grands discours proclamant le contraire, ne mènent à une invasion, comme cela a été le cas en Irak.

    Cela signifie-t-il que nous nous contentons de rester au niveau de slogans généraux, que nous restons passifs face à l’éventuelle attaque de Kadhafi sur Benghazi ? Non. Mais dans une telle situation, nous insistons sur la nécessité d’une politique de classe indépendante, sur le fait que les masses ne doivent avoir confiance qu’en leur propre force, et ne pas accorder le moindre crédit à l’idée que l’impérialisme agit pour le bien des masses. Il est tout à fait vrai que nous ne pouvons en aucun cas répondre à l’argument du massacre potentiel par des affirmations du style : “La triste réalité est que les massacres sont une caractéristique chronique du capitalisme. La gauche révolutionnaire est, hélas trop faible pour les empêcher » (Alex Callinicos, un des dirigeants du SWP britannique).

    Les forces du marxisme peuvent être physiquement trop faibles pour empêcher des massacres – comme dans le cas du Rwanda par exemple. Nous sommes néanmoins obligés de défendre le fait que le mouvement ouvrier large adopte la position la plus efficace afin de défendre et de renforcer le pouvoir et l’influence de la classe ouvrière dans toute situation donnée. Par exempe, en Irlande du Nord en 1969, les partisans de Militant (prédécesseur du Socialist Party) se sont opposés à l’arrivée des troupes britanniques pour “défendre” les zones catholiques nationalistes de Belfast et de Derry contre l’attaque meurtrière des milices B-specials à prédominance loyaliste. Le SWP, bien qu’il l’ait plus tard nié, soutenait le débarquement des troupes britanniques. Lorsque les troupes sont arrivées, elles ont protégé ces zones des attaques loyalistes et ont été accueillies en tant que “défenseurs”. Mais, comme nous l’avions prédit, à partir d’un certain point ces troupes se transformeraient en leur contraire et commenceraient à être perçues comme une force de répression contre la minorité catholique nationaliste. Et c’est exactement ce qui s’est passé.

    Toutefois, confrontés au massacre potentiel de la population catholique, nous n’avons pas adopté une position “neutre” ou passive. Dans notre journal Militant de septembre 1969, nous appelions à la création d’une force de défense unitaire ouvrière, au retrait des troupes britanniques, au démantèlement de la milice B-specials, à la fin des discriminations, à la création d’emplois, de logements, d’écoles, etc. pour tous les travailleurs. En d’autres termes, nous étions donc en faveur d’une unité de classe et pour que les travailleurs se basent sur leurs propres forces et non pas sur celles de l’État capitaliste. Une approche similaire, basée sur l’indépendance de classe la plus complète, et adaptée au contexte concret de la Libye et du reste de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, est la seule capable de mener à la victoire de la lutte des travailleurs dans une situation aussi compliquée.

    Nous ne pouvons suivre Achar non plus, lorsqu’il dit : « Selon ma conception de la gauche, quiconque prétend appartenir à la gauche ne peut tout bonnement ignorer la demande de protection émanant d’un mouvement populaire, même de la part des ripoux impérialistes, lorsque le type de protection demandé n’en est pas un par lequel le contrôle sur leur pays peut être exercé. Aucune force progressiste ne peut se contenter d’ignorer la demande de protection provenant des rangs des insurgés ».

    Il est erroné d’identifier “les insurgés”, qui provenaient au départ d’un authentique mouvement de masse – comme nous l’avons fait observer – à leur direction actuelle, bourrée d’éléments bourgeois et pro-bourgeois, y compris de renégats en provenance du régime de Kadhafi. Qui plus est, il est entièrement faux – comme certains l’ont fait – de comparer l’acceptation de la part de Lénine de nourriture et d’armes fournies par une puissance impérialiste pour en repousser une autre, sans aucune condition militaire ou politique liée, à un soutien à la zone d’exclusion aérienne. La question pour les marxistes n’est pas de ce qui est fait, mais de qui le fait, comment et pourquoi.

    Défendre la révolution

    Au final, l’objectif de l’intervention impérialiste est de sauvegarder sa puissance, son prestige et son revenu de la menace de la révolution qui se développe dans la région. Comme l’a bien expliqué un porte-parole de l’administration Obama, la principale source d’inquiétude n’est pas ce qui se passe en Libye, mais bien les conséquences que cela pourrait avoir en Arabie saoudite et dans les États du Golfe, où sont concentrées la plupart des réserves pétrolières desquelles dépend le capitalisme mondial. Les impérialistes considèrent une intervention victorieuse en Libye comme étant un rempart contre toute menace de révolution dans ces États et dans l’ensemble de la région. Ils sont aussi inquiets de l’influence régionale de l’Iran, qui s’est énormément accrue en conséquence de la guerre d’Irak.

    La situation en Libye est extrêmement fluide. La manière dont se résoudra le conflit actuel est incertaine. En ce moment, il semble que cela se termine par une impasse, dans laquelle ni Kadhafi ni les rebelles ne sont capables de porter un coup décisif pour s’assurer la victoire dans ce qui est à présent une guerre civile prolongée. Ceci pourrait mener à une réelle partition du pays, ce qui est déjà le cas dans les faits. Dans cette situation, toutes les divisions tribales latentes – qui étaient en partie tenues en échec par la terreur du régime Kadhafi – pourraient remonter à la surface, créant une nouvelle Somalie au beau milieu de l’Afrique du Nord, avec toute l’instabilité que cela signifie, en particulier en ce qui concerne la lutte pour les réserves de pétrole de la Libye. D’un autre côté, l’impérialisme cherche désespérément à éviter de donner l’impression que Kadhafi ait obtenu une victoire partielle dans cette lutte, ce qui renforcerait la perception d’impuissance des puissances impérialistes à pouvoir décider de l’issue des événements.

    Mais la responsabilité du mouvement ouvrier au Royaume-Uni et dans le monde est claire : opposition absolue à toute intervention impérialiste ! Que le peuple libyen décide de son propre destin ! Soutien maximum de la part de la classe ouvrière et du mouvement ouvrier mondial aux véritables forces de libération nationale et sociale en Libye et ailleurs dans la région, y compris sous la forme d’un approvisionnement en nourriture et en armes !

    L’impérialisme ne sera pas capable d’arrêter la marche en avant de la révolution en Afrique du Nord et dans le Moyen-Orient. Certes, comme le CIO l’avait prédit, il existe une grande déception parmi les masses, qui estiment que les fruits de leurs victoires contre Moubarak et Ben Ali ont jusqu’ici été volées par les régimes qui les ont remplacés. L’appareil de sécurité et la machine d’État tant haïs qui existaient auparavant demeurent largement intacts, malgré les puissantes convulsions de la révolution. Mais ceux-ci sont en train d’être combattus par des mouvements de masse.

    Les révolutions tiennent bon, et des millions de gens ont appris énormément de choses au cours du mouvement. Espérons que leurs conclusions mèneront à un renforcement de la classe ouvrière et au développement d’une politique de classe indépendant. Un tel renforcement serait symbolisé par le développement par les travailleurs de leurs propres organisations, de nouveaux et puissants syndicats et partis ouvriers, avec l’objectif de la transformation socialiste de la société, accompagnée par la démocratie en Libye et dans l’ensemble de la région.

  • LIBYE: Soutien aux masses et à leur révolution ! Aucune confiance dans l’intervention impérialiste !

    Face à l’avance rapide des troupes de Kadhafi, la décision du Conseil de sécurité de l’ONU a été fêtée dans les rues de Benghazi et de Tobrouk. Les puissances coalisées se présentent aujourd’hui en sauveurs de Benghazi. Mais l’intervention militaire va-t-elle véritablement aider la révolution en Libye ?

    Par Boris Malarme

    La chute des dictateurs Ben Ali et Moubarak a inspiré des millions de jeunes, de travailleurs et de pauvres en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et partout dans le monde. Presque chaque pays de la région est touché par les contestations contre l’absence de libertés démocratiques et contre la misère. Ces victoires ont encouragé les masses en Lybie à suivre la même voie.

    Kadhafi et ses anciens amis

    L’Italie, la France, l’Espagne et l’Allemagne sont les principaux partenaires commerciaux de la Libye. Tous sont engagés dans l’offensive militaire (comme la Belgique), à l’exception de l’Allemagne qui vient de décider d’augmenter son engagement militaire en Afghanistan.

    En octobre 2010, la Commission Européenne a passé un contrat de 50 millions d’euros sur trois ans, en échange d’efforts visant à empêcher les réfugiés d’arriver en Europe ! La Libye est aussi un grand investisseur en Europe via le fond d’investissements “Libyan investment Authority”. Khadafi est encore actionnaire de la banque UniCrédit, de Fiat, de la Juventus,… La Lybie – douzième producteur mondial de pétrole et première réserve de pétrole d’Afrique – exporte 80% de son pétrole à destination de l’Europe. La panique sur les bourses et la montée du prix du baril, qui a dépassé le seuil des 120$, a illustré que les marchés craignent le développement de la révolution libyenne et la remise en cause des profits que garantissait le régime.

    Nombreux sont ceux qui se souviennent de la visite de Kadhafi à l’Elysée, en 2007, quand Sarkozy balayait toute critique avec ses 10 milliards d’euros de contrats commerciaux. L’Espagne a fait de même pour 11 milliards d’euros.

    La Belgique n’est pas en reste (141 millions d’euros d’exportation vers le pays en 2008). La Belgique a d’ailleurs été le premier pays à recevoir Kadhafi en 2004, quand la communauté internationale a cessé de l’isoler. Après une entrevue avec la Commission Européenne, la tente du dictateur a été plantée dans les jardins du palais de Val Duchesse, où Kadhafi a été reçu en grande pompe par Guy Verhofstat, Louis Michel et Herman de Croo. Louis Michel avait préparé sa venue en lui rendant visite à Syrte, entouré de patrons belges. Le CDh et Ecolo avaient bien protesté, mais cela ne les a pas empêché de participer au gouvernement Wallon avec le PS et de valider ensemble la livraison d’armes de la FN en Libye.

    Après une première rencontre avec Kadhafi en 1989, Robert Urbain, ministre (PS) du Commerce extérieur des gouvernements Martens et Dehaene, a conduit une mission commerciale en Libye en 1991, avec de nombreux industriels et confirmant l’accord commercial général conclu avec la Libye et gelé en 1983. Les investisseurs ont même dégoté un contrat immobilier mégalomane : deux livres vert monumentaux à la gloire du régime…

    Les gouvernements successifs connaissaient les crimes et les atrocités commises par le régime de Kadhafi contre les opposants et la population, mais ont maintenu des liens commerciaux étroits. La participation belge à l’intervention n’est qu’hypocrisie, les politiciens qui tendaient encore hier leur main à Kadhafi essayent aujourd’hui de faire oublier leur attitude passée, tout en tentant de sauvegarder les positions commerciales et les profits des entreprises belges.

    En Europe et ailleurs, un fort sentiment de sympathie envers ces révolutions est présent parmi la population. Le soutien de nos gouvernements aux régimes dictatoriaux et répressifs à travers tout le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord a écorné leur image “démocratique”. Après avoir soutenu et armé la dictature de Kadhafi, l’entrée en guerre des puissances de la coalition n’a pas pour objectif de venir au secours des masses libyennes et de leur révolution. Jusqu’ici, elles étaient plutôt enchantées de faire affaire avec le régime de Kadhafi au vu des ressources gazières et pétrolières contrôlées par le régime.

    Aujourd’hui, les puissances occidentales tentent d’exploiter la révolution afin de restaurer leur prestige et d’obtenir un régime plus favorable à l’emprise des multinationales sur les richesses du pays, ou au moins de sa partie Est, au vu de la possibilité d’une partition du pays. Comment la présence des Emirats Arabes Unis et du Qatar au sein de la coalition peut-elle effacer le caractère impérialiste de celle-ci, alors que ces deux Etats sont militairement impliqués au côté de la monarchie semi-féodale d’Arabie Saoudite dans la répression de la population du Bahreïn ? Les puissances de la coalition n’ont rien fait contre l’Arabie Saoudite et la Belgique ne remet pas en cause son commerce d’armes avec celle-ci.

    Malgré ses efforts depuis une dizaine d’années, le régime de Kadhafi n’est pas un allié suffisamment fiable pour l’impérialisme. Mais Kadhafi n’a jamais été l’allié des masses et des révolutions, comme en témoigne son attitude après la fuite de Ben Ali, qu’il considérait comme une grande perte pour les Tunisiens. En 1971 déjà, Kadhafi s’est rangé du côté de la contre-révolution en livrant le dirigeant du puissant parti communiste du Soudan (un million de membres à l’époque) à la dictature de Nimeiry et en l’aidant à écraser la tentative de coup d’Etat de gauche qui avait fait suite à l’interdiction des forces de gauche. Kadhafi a beau qualifier son régime de ‘‘socialiste et populaire’’, ce dernier n’a jamais rien eu à voir avec le socialisme démocratique. Kadhafi et ses fils ont toujours dirigé la Lybie d’une poigne de fer.

    “Non à une intervention étrangère, les libyens peuvent le faire eux-mêmes”

    C’est ce qu’on pouvait lire fin février sur une pancarte à Benghazi. Cela exprimait le sentiment qui dominait contre toute intervention impérialiste. Mais le maintien du contrôle de Kadhafi sur l’Ouest (malgré les protestations dans la capitale et les soulèvements à Misrata et Zuwarah) et sa contre-offensive vers l’Est ont provoqué un changement d’attitude. Mais les révolutionnaires qui espèrent que l’intervention les aidera se trompent.

    La résolution de l’ONU, la ‘‘no-fly-zone’’ aux commandes de l’OTAN et les bombardements des puissances coalisées vont miner tout le potentiel pour concrétiser les véritables aspirations de la révolution libyenne. De plus, le régime essaye d’exploiter les sentiments anti-impérialistes qui vivent parmi la population. Le maintien du régime de Kadhafi ne s’explique pas seulement par la supériorité de son armement, mais surtout par les faiblesses présentes dans le processus révolutionnaire. Ainsi, l’absence de véritables comités populaires démocratiques sur lesquels se baserait le mouvement révolutionnaire et l’absence d’un programme clair répondant aux aspirations sociales de la majorité de la population a fait défaut. Cela aurait permis de bien plus engager les 2/3 de la population de l’Ouest (au-delà des divisions tribales et régionales), de fractionner l’armée et d’unifier les masses contre Kadhafi.

    Le Conseil National de Transition rebelle (CNT) est un conseil autoproclamé, largement composé d’anciens du régime de Kadhafi et d’éléments pro-capitalistes, favorables aux puissances occidentales. Parmi eux ; l’ancien dirigeant du Bureau national de développement économique, que l’on trouve derrière des politiques néolibérales et le processus de privatisations qui a pris son envol à partir de 2003. Cela laisse une relative marge de manœuvre à Kadhafi, qui bénéficie encore d’un certain souvenir de ce qui a pu être fait en termes d’enseignement et de soins de santé grâce aux revenus du pétrole depuis 1969, et qui a récemment fait des concessions en termes de salaires et de pouvoir d’achat sous la pression de la révolte.

    C’est ce qui explique que l’envoyé spécial du quotidien Le Monde dans l’Est du pays a témoigné “on ne sent pas parmi la population un enthousiasme phénoménal vis-à-vis du Conseil National de transition.” (23/03/2011) Il affirme aussi que si les Libyens de l’Est étaient à ce moment favorables à un zone d’exclusion aérienne, ils sont fortement opposés à une intervention au sol.

    Les travailleurs et leur syndicat peuvent aider la révolution libyenne en s’opposant à la participation belge dans l’intervention, en bloquant les exportations de la Libye et en gelant les avoirs de la clique de Kadhafi. Mais l’avenir de la révolution libyenne doit se décider en Libye même. Contrairement à la Tunisie et l’Egypte, la classe des travailleurs n’a pas encore joué un rôle indépendant dans la révolution. La création d’un mouvement indépendant des travailleurs, des jeunes et des pauvres est la seule façon d’empêcher le projet impérialiste, d’en finir avec la dictature et d’élever le niveau de vie de la population.

  • Défendre le droit à l’avortement, en Belgique et dans le monde

    La loi qui régit le droit à l’avortement en Belgique fête ses 21 ans début avril. Contrairement à un tas d’autres pays, il n’y a presque pas eu de résistance à cette loi une fois celle-ci votée. L’année dernière, les initiateurs de ce qu’ils appellent la ‘‘Marche pour la Vie’’ avaient décidé de changer cela et de commencer à mobiliser les forces anti-avortement en Belgique. Ce 27 mars, ils organisent leur deuxième ‘‘Marche pour la Vie’’. Ils veulent notamment construire un mouvement actif de protestation contre l’avortement autours d’une mobilisation annuelle.

    Les véritables socialistes et les défenseurs des droits des femmes ne peuvent pas laisser passer cela sans réagir. Le PSL a décidé de suivre l’appel de la Fédération Laïque des Centres de Planning Familiaux pour une contre-action. Pour l’an prochain, un front plus large doit être construit afin de rendre impossible à ces forces réactionnaires de culpabiliser les femmes qui prennent le choix difficile d’avorter.

    Dans le cadre de cette discussion, nous publions l’article suivant qui compare la situation dans les pays où l’avortement est légal à ceux où il est illégal.

    Avortement illégal = avortement non sécurisé

    Quand on parle de l’avortement en Belgique, il est important de cadrer cette discussion le contexte mondial. Grâce à la loi de 1990 qui autorise l’avortement, celui-ci peut avoir lieu dans des conditions de sécurité alors que, dans le monde, pleins de femmes meurent ou deviennent stériles suite à un avortement fait dans de mauvaises conditions.

    Par Nathalie, Malines

    La défense de la légalisation de l’avortement s’associe à une campagne sur la santé sexuelle. Le nombre d’avortements non sécurisés et la mortalité qui en découle sont plus élevés dans les pays où l’accès légal à l’avortement est insuffisant. 26% de la population mondiale vit dans 72 pays (essentiellement en voie de développement) où l’avortement est totalement interdit ou seulement permis afin de sauver la vie de la femme. Il y a plus d’avortements non sécurisés dans les 82 pays qui ont les lois les plus restrictives : jusqu’à 23 avortements non sécurisés pour 1000 femmes entre 15 et 49 ans. Dans les 52 pays où l’avortement à la demande de la femme est légal, on voit une grande différence : deux avortements non sécurisés pour 1000 femmes en âge de faire des enfants ont lieu.

    Les conséquences mortelles des avortements non sécurisés illustrent aussi le niveau général des soins de santé et l’accessibilité d’un service médical post-avortement. Les chiffres de mortalité pour les avortements non sécurisés restent les plus élevés dans les pays où l’avortement est illégal. Dans ces pays, le ratio de mortalité des avortements non sécurisés est de 34 mères sur 100.000 nouveaux nés vivants. Ce ratio diminue systématiquement à mesure que l’avortement est légalisé dans de nouveaux pays. Dans les pays où l’avortement est légal sur la demande de la femme, ce chiffre tombe à moins de 1 morte par 100.000 nouveaux né en vie.

    Même dans les pays où le chiffre de mortalité des mères diminue grâce à l’amélioration de l’accès aux soins de santé, les lois restrictives sur l’avortement mènent à beaucoup de décès parmi les mères.

    La légalisation de l’avortement et l’accès au service d’interruption volontaire de grossesse ne fait pas augmenter la demande d’avortements. Au contraire, le seul effet de la légalisation est d’assurer le remplacement des procédures jusque là clandestines, non sécurisées et parfois mortelles, par des procédures légales et sécurisées. Un rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé de février 2011 illustre que l’interdiction légale de l’avortement n’a pas d’influence sur le nombre d’avortements pratiqués. En Afrique, où l’avortement est illégal dans la majorité des pays, le ratio d’avortements est à 29 alors qu’en Europe, où l’avortement est légal dans la plupart des pays, le ratio est à 28.

    Les probabilités qu’une femme décide d’avorter sont aussi grandes dans un pays en voie de développement que dans les pays industrialisé. En 2003, il y avait dans les pays développés 26 avortements pour 1000 femmes et 29 pour 1000 femmes dans les pays en voie de développement. Ces chiffres démontrent que les femmes avortent que ce soit légal ou pas.

    L’avortement est un phénomène qui existe et qui, fait dans de mauvaises conditions, peut avoir un effet dévastateur sur la santé des femmes. La question n’est pas si on est ‘‘pour’’ ou ‘‘contre’’ l’avortement, si on le trouve ‘‘chouette’’ ou pas. Pour nous, la question n’est pas en premier lieu basée sur des considérations éthiques ou des expériences morales et personnelles. La légalisation de l’avortement permet une prise en charge dans des centres reconnus, qui combinent leur pratique à des campagnes indispensables de prévention sur les grossesses non désirées. Cela diminue la mortalité féminine due aux avortements non sécurisés.

    Le nombre d’avortements est le plus bas dans les pays où c’est un droit légal !

    Aujourd’hui, il est clair que le nombre d’avortements est le plus bas dans les pays où l’interruption de grossesse à la demande de la femme est légal et où il existe un accès à des services sécurisés qui font également de la prévention concernant les grossesses non désirées, comme en Belgique. C’est notre tâche de continuer à défendre ce droit à la reproduction saine des femmes.

    Depuis la loi du 3 avril 1990, l’avortement, pendant les 12 premières semaines de la grossesse, n’est plus un acte pénal en Belgique, si toutefois certaines conditions sont remplies. La première consultation et l’intervention doivent se faire dans une ‘‘institution de soins de santé’’ (un centre d’avortement ou certains hôpitaux). Ces dernières doivent avoir leur propre service d’information et une équipe pluridisciplinaire capable d’accompagner les femmes et de les informer de toutes les lois et décrets auxquels elles peuvent faire appel afin de résoudre sa situation d’urgence. La femme doit déclarer qu’elle se trouve dans une situation de nécessité, mais la loi ne donne pas une définition de celle-ci. La décision revient donc totalement à la femme, la seule à décider si elle est ou non en situation d’urgence. Une fille mineure peut aussi décider seule si elle désire garder son enfant ou pas. Une période d’attente obligatoire de six jours entre la première consultation dans le centre et l’avortement dans le même centre est imposée. Pour ces soins, nous ne devons payer que quelques euros de ticket modérateur en Belgique, ce qui rend l’avortement accessible à toutes les couches de la population.

    L’enregistrement obligé des interruptions de grossesse est suivi par une Commission Nationale d’Evaluation. Elle a été mise sur pied le 30 aout 1990 afin de contrôler l’exécution et l’évaluation de la loi d’avortement du 3 avril 1990. Selon ses données de 2007, 18.033 femmes se sont faites avortées en Belgique. Depuis le début de l’enregistrement en 1993 jusque maintenant, le nombre d’avortements a augmenté de 7.701 interventions. Mais ces chiffres doivent être nuancés: il existe des interruptions de grossesse réalisées dans notre pays par des femmes qui ne sont pas domiciliées en Belgique et, parallèlement, il existe des Belges qui vont à l’étranger pour avorter. Enfin, la Commission d’Evaluation enregistre aussi un nombre de déclarations tardives.

    En 2007, 18.706 femmes résidant en Belgique ont avorté. Depuis 1993, le nombre d’interruptions de grossesse a augmenté de 38,8%. Dans l’avant-dernier rapport (2004-2005), on assiste à une augmentation de 4,6%. Il reste incertain que ces chiffres montrent effectivement une montée du nombre d’interruptions de grossesse dans notre pays. Les experts partent de l’idée que la croissance du chiffre est simplement la conséquence d’un meilleur enregistrement dans les hôpitaux et les centres cliniques. Le ‘dark number’, le nombre d’interventions non enregistrées, devient dès lors de plus en plus petit. Les chiffres d’avortements en Belgique continuent tout de même à faire partie des plus bas au monde, comme ceux des pays voisins, les Pays-Bas et l’Allemagne.

    La Commission d’Evaluation publie un rapport tous les deux ans. Le rapport, apparu le 9 septembre 2010 concernant la période du premier janvier 2008 jusqu’au 31 décembre 2009 formule nombre de recommandations destinées à faire baisser le nombre d’interruptions volontaires de grossesse. La prévention des grossesses non désirées, et donc la diminution du nombre d’interruptions de grossesse, commence nécessairement en stimulant le respect de soi et de l’autre. Aussi bien les femmes que les hommes doivent être conscients de leur fertilité et doivent prendre leurs responsabilités.

    Une bonne prévention demande des moyens et un climat d’ouverture au lieu de culpabiliser et criminaliser les femmes

    Cela commence avec l’éducation sexuelle des jeunes. La Commission met en avant qu’une éduction spécialisée et une formation adaptée sont indispensables, à l’école ou ailleurs, pour apprendre à gérer des relations affectives et sexuelles ainsi que leur fertilité. L’amélioration de la qualité de cette formation présuppose l’intégration de l’éducation sexuelle et relationnelle dans les programmes de formation des futurs enseignants. C’est seulement une éducation actualisée, rendant possible un meilleur accès à toutes les formes de contraception, qui peut donner des résultats. Cela doit être lié à une revendication pour plus de moyens pour l’enseignement en général : dans les classes trop grandes, même un enseignant mieux formé ne saurait mener à bien une formation autour de sujets si sensibles.

    Les jeunes, femmes et hommes, devraient avoir la possibilité de parler librement de la sexualité et de leurs relations. La responsabilité de prévention des grossesses non désirées et donc aussi de l’avortement est l’affaire tant des femmes que des hommes. Le tabou sur le sexe et ses conséquences possibles fait obstacle à cette évolution. Comme l’avortement est une solution d’urgence pour une grossesse non désirée, qui est de la responsabilité de la femme et de l’homme, aucun tabou ne devrait bloquer la communication autour de ce thème. C’est justement de ça que le mouvement pro-life et l’église catholique sont coupables.

    Il ne suffit évidemment pas d’avoir le droit à l’avortement. Afin d’effectivement faire baisser les chiffres d’avortements, il est extrêmement important de combiner la légalisation avec une bonne politique de prévention. A côté de l’éducation sexuelle pour stimuler la responsabilisation des gens, les moyens de contraception doivent être promus afin de minimaliser le risque d’une grossesse non désirée. Il est important que l’éducation sexuelle et les contraceptifs soient accessibles à toutes les couches de la population. En Belgique, les contraceptifs restent beaucoup trop chers. Nous sommes pour des moyens de contraception de qualité, gratuits et accessibles à tous.

    Des études scientifiques nous montrent que la plupart des femmes avortent sans forme persistante de stress émotionnel. Quelques femmes subissent un stress émotionnel doux, tout de suite après l’avortement, combiné à un sentiment de chagrin, de solitude, de gêne, de culpabilité et de regret. Seul un petit groupe ressent un stress émotionnel sérieux, caractérisé par le deuil, la crise et la dépression suite à un avortement. Beaucoup d’études montrent que les sentiments les plus présents justes avant, pendant et juste après l’avortement sont la peur, la culpabilité et la gêne.

    Il est important de montrer que ces sentiments se développent plus dans les endroits où les femmes vivent dans une société avec une morale patriarcale et restrictive. Une grande confusion existe dans les sentiments liés à l’avortement. Le soulagement n’exclut pas le chagrin et le deuil. Presque la moitié des femmes lient l’avortement plus à des sentiments pénibles qu’à des sentiments positifs sur le plus long terme. Car le plus souvent les femmes avortent pour sauver quelque chose qui est d’une importante réelle pour elles et/ou pour d’autres mais jamais parce que c’est ‘‘chouette’’. L’avortement est une forme de prise de responsabilité.

    La qualité du soutien offert à la femme pendant le processus de décision a une influence importante sur le bien-être de la femme après l’avortement. Le plus grand facteur de risque pour le stress émotionnel semble être la pression du partenaire masculin pour l’avortement. Une femme doit toujours pouvoir décider librement si elle veut ou non interrompre sa grossesse. Il faut donc assurer que les femmes peuvent résister à la pression sociale de ceux qui veulent les pousser à l’avortement ou qui veulent justement leur interdire. Un bon soutien social et un climat qui accepte l’avortement sont d’une grande importance.

    Il faut défendre aussi le droit d’avoir des enfants

    En Belgique, seule la femme a le droit de décider si elle veut ou pas avoir un enfant. Quand une femme choisit d’avorter car elle ne veut pas d’enfant à ce moment-là, c’est également totalement justifié. Les facteurs externes qui font que les femmes choisissent l’avortement doivent cependant diminuer. Pour cela, il est important d’étudier les raisons pour lesquelles les femmes avortent afin d’agir là-dessus.

    Une des données la plus remarquable dans le dernier rapport de la Commission d’Evaluation (février 2010) était que 25% du nombre total d’interruptions de grossesse enregistré ont lieu dans la Région de Bruxelles Capitale. Près de 28,9% (en 2009) des femmes déclarent se trouver dans une situation de difficultés matérielles dans la région avec le plus haut chiffre de chômage. Pour les années étudiées ici, un peu plus que 15% des femmes invoquent des difficultés financières, professionnelles ou de logement comme situations d’urgence.

    Les femmes et les hommes ont le droit d’avoir des enfants et ne peuvent pas être limités par d’autres raisons que leur libre choix. Ainsi des motifs financiers ne devraient pas influencés le choix à avorter. Les travailleurs ont le droit à un revenu stable qui permet de vivre confortablement, et ce en augmentant les salaires et toutes les allocations sociales. Les allocations familiales doivent également couvrir réellement les coûts de l’éducation d’un enfant et des services publics qui permettent aux femmes de combiner travail et famille. Ce programme doit assurer qu’aucune femme ne doit choisir l’avortement pour des raisons essentiellement financières.

    La lutte pour le droit à l’avortement – et le droit à la santé en général – ne peut pas être considérée de façon déconnectée de la lutte sociale pour des meilleures conditions socio-économiques pour chacun. Les soins de santé doivent être accessibles pour tous, riches et pauvres, hommes et femmes et doivent alors être gratuits. La lutte des femmes n’est pas ne lutte des femmes contre les hommes. Une stratégie de division des travailleurs pour diriger rend les luttes sociales pour des meilleures conditions de vie impossibles. C’est donc une affaire des hommes et des femmes pour laquelle nous luttons de manière unifiée pour nos droits.


    Sources:

    • Rapport de l’OMS avec des faits sur les avortements provoqués partout dans le monde, publié en février 2011.
    • Rapport de l’OMS sur les avortements non sécurisés, 2008.
    • Sensoa, dossier ‘avortement en Belgique: faits et chiffres (octobre 2009).
    • Rapport de la Commission National de l’Evaluation concernant les interruptions de grossesse, publié le 9 septembre 2010.
    • ‘Avortement pour toujours fini?’, Riemslagh, M., Vanmechelen, B. (2003)
    • Broen A.N., Moum, T., Bodtker, A.S., Ekeberg,O., The course of mental health after miscarriage and induced abortion: a longitudinal 5 year follow-up study. (2005).
    • Trybulski, J., The longterm phenomenae of women’s postabortion experiences. (2005).
    • Kero, A., Högberg, U., Lalos, A., Wellbeing and mental growth- long term effects of legal abortion (2004).
    • Aléx, L., Hammarström, A., Women’s experiences in connection with induced abortion – a feminist perspective. (2004).
  • Journée Internationale des Femmes : Organisons la lutte!

    Ces derniers mois, des millions de femmes sont entrées en résistance contre les effets destructeurs de la crise économique sur leurs vies. Des centaines de milliers de travailleuses surexploitées du textile et d’autres secteurs au Bangladesh, en Chine, au Cambodge et ailleurs ont participé à la vague de grève pour de meilleurs salaires, une vague qui s’est rapidement répandue d’un pays asiatique à l’autre. Des millions de travailleuses ont participé aux grèves générales en France, en Espagne, en Grèce et au Portugal, de même qu’aux énormes protestations contre les attaques sur les services publics partout en Europe. Les jeunes femmes étaient aux premières lignes d’une nouvelle génération qui mène la lutte des étudiants contre les assainissements et les augmentations de minerval en Grande-Bretagne, en Italie et ailleurs. Et, évidemment, des dizaines de milliers de femmes participent aux magnifiques mouvements en Tunisie et en Egypte, entre autres, pour l’obtention de droits démocratiques et sociaux ainsi que pour la fin des régimes dictatoriaux.

    Déclaration du Comité pour une Internationale Ouvrière

    Il est probable que ces luttes vont s’intensifier dans les mois à venir, surtout dans les pays où la hache de l’austérité frappe le plus durement. Nous n’avons pas d’autre choix que de nous battre. Ces quarante dernières années, la vies des femmes a subi d’importants changements sociaux dans les pays capitalistes développés. L’inégalité, la discrimination et l’oppression n’ont pas été éradiqués, mais on a vu se développer l’idée qu’un progrès important avait été obtenu et que cela allait se poursuivre à l’avenir, et même que l’égalité était à la portée des femmes.

    La situation dans le monde néocolonial en Asie, en Afrique, en Amérique latine et au Moyen-Orient est clairement différente. Mais même là, la mondialisation et les changements économiques et sociaux qu’il a engendré – surtout le fait qu’un nombre croissant de jeunes femmes a été tirées hors de leurs maisons pour aller travailler – ont amené l’espoir que les choses puissent peu à peu s’améliorer pour les femmes partout dans le monde.

    L’actuelle crise économique mondiale et ses conséquences menacent de rapidement revenir sur beaucoup de ces progrès. Cela va conduire à une détérioration sérieuse de la vie des femmes dans les pays développés et à un véritable cauchemar pour les femmes dans le monde néocolonial.

    La crise illustre ouvertement ce que le CIO a toujours dit – l’incompatibilité du capitalisme et de réels droits pour les femmes, qu’importe dans quelle partie du monde on se trouve. L’exploitation et l’oppression se trouvent au cœur du système capitaliste, où les profits et la compétition règnent sur tout. Seule une lutte contre ce système et pour une alternative socialiste est capables de réellement avancer.

    Pourquoi nous devons nous organiser et lutter

    Femmes et travail

    Lors des décennies précédentes, l’afflux de femmes sur les lieux de travail a constitué un phénomène global, à tel point que, dans quelques pays, il y a aujourd’hui plus de femmes que d’hommes au travail. Même si les salaires des femmes sont partout resté en moyenne plus bas que ceux des hommes, ce processus a néanmoins conduit à plus d’indépendance économique pour les femmes ainsi qu’à une transformation de leur vision du monde et de la société en général.

    Dans a première phase, la crise économique a eu un effet mixte sur l’emploi des femmes. Là où les pertes d’emploi se concentraient surtout dans l’industrie et dans le secteur de la construction, comme aux Etats-Unis, ce sont surtout les travailleurs masculins ont été le plus durement touchés. Là où le secteur des services a particulièrement été dans le collimateur, comme en Grande-Bretagne, les femmes ont dû supporter la plupart des licenciements et le chômage augmenté. Dans beaucoup de pays, maintenant, un véritable massacre est opéré dans le secteur public, ce sont les femmes qui vont en souffrir le plus fortement. Selon des recherches menées en Grande-Bretagne, où un demi-million de travailleurs des services publics vont être licenciés dans les années à venir, 75% de ces licenciements vont toucher des femmes, comme les femmes constituent la majorité du personnel des services publics : enseignants, infirmiers et travailleurs des services communaux. En même temps, les femmes vont être aussi le plus durement touchées par les assainissements dans les budgets des services publics et des allocations.

    Indépendance économique

    Le chômage croissant et les coupes dans les allocations vont conduire à une pauvreté accrue pour les femmes de la classe ouvrière et pour une partie des femmes des classes moyennes, surtout pour les mères isolées. Là où les chômeuses réussiraient à trouver un emploi, cela sera très probablement un emploi mal payé, temporaire et précaire, avec moins de droits, voire pas du tout, pour des congés de maladie ou de grossesse, pour des congés payés ou les pensions,… Les salaires et les conditions de travail sont fortement sous pression, tant dans le secteur public que privé.

    Cela va augmenter la dépendance financière des femmes envers des hommes, et cela peut entraîner de néfastes conséquences sur les relations personnelles. Dans la période précédente, l’emploi, les allocations sociales et les logements sociaux offraient aux femmes une certaine mesure d’indépendance économique qui faisait qu’au contraire des anciennes générations, elles pouvaient quitter des relations malheureuses ou violentes. Depuis le début de la crise économique, il y a eu une diminution du taux de divorce dans nombre de pays (en général, jusqu’à trois quarts des divorces sont initiés par les femmes). Cela illustre qu’il devient plus difficile de quitter une relation et que beaucoup de femmes, comme dans le passé, sont forcées de rester chez leurs partenaires contre leur gré à cause de raisons économiques

    Enseignement

    L’accès accru à l’enseignement supérieur a constitué un des facteurs clé dans l’encouragement de changements dans la vie et dans la vision des choses des femmes. Maintenant, pour la première fois dans les pays capitalistes développés, une nouvelle génération de jeunes femmes est devant la perspective d’un avenir plus rude que celui de leurs mères. La commercialisation de l’enseignement supérieur, les coupes budgétaires drastiques dans l’enseignement ainsi que l’augmentation du minerval vont rendre beaucoup plus difficile aux jeunes femmes d’aller à l’université et d’obtenir un enseignement de bonne qualité dans l’espoir d’améliorer leurs perspectives de vie. Même si elle réussissent à obtenir un diplôme universitaire, la situation actuelle signifie sur le plan de l’emploi que beaucoup d’entre elles vont arriver dans des emplois temporaires et mal payés, et donc dans une vie d’insécurité et d’exploitation.

    Des services publics financés par le public

    Malgré de grands changements dans la vie des femmes, elles restent les personnes qui prennent le plus soins des enfants et d’autres membres de la famille. Si la hache néolibérale tombe sur les budgets des crèches, des maisons de repos et d’autres services sociaux, c’est généralement aux femmes de payer les pots cassés. Cela va conduire à ce qu’encore plus de femmes se voient forcées d’abandonner leur travail en dehors de la maison. Cela va rendre encore plus difficile aux chômeuses de trouver un emploi et pour les femmes au travail, cela va encore augmenter la double charge de travail liée aux tâches domestiques. Les assainissements et les privatisations vont conduire à une qualité décroissante des salaires et des conditions de travail des travailleurs de ces secteurs.

    La violence envers les femmes

    Une femme sur cinq subi à un certain moment la violence de la part de leur compagnon ou ex-compagnon. Dans les pays capitalistes développés, un femme sur sept est violée. Dans quelques parties du monde, le viol de masse est devenu une arme de guerre mortelle. La traite des femmes croissante à la destination de l’industrie du sexe est nourrie par la pauvreté, et va encore être stimulée par la crise économique.

    La violence envers les femmes puise ses racines dans l’idée traditionnelle (toujours bien répandue dans beaucoup de sociétés) que les femmes sont la propriété des hommes. Cela est confirmé par la relation économique toujours inégale entre hommes et femmes et par la façon dont le capitalisme est basé sur la propriété privée, sur l’inégalité de richesse et de pouvoir. Le capitalisme utilise souvent la violence pour défendre ses intérêts, comme les travailleuses de textile en Asie et les étudiants en Europe ont pu témoigner de tout près. La pauvreté et le chômage ne causent pas la violence au sein de la famille. Cette violence trouve place dans tous les groupes et classes sociales. Mais ces facteurs peuvent être un motif pour la violence dans les familles et la crise économique peut encore stimuler cela.

    Dans beaucoup de pays, l’approche de la violence contre les femmes a radicalement été améliorée ces trois dernières décennies. Des lois progressistes contre la violence familliale ont été votés et il y a une reconnaissance générale que c’est un crime sérieux auquel on doit s’attaquer. Mais les coupes budgétaires drastiques dans les services publics peuvent miner le progrès obtenu. Moins de moyens pour l’accueil des enfants, pour les refuges et autres services publics a pour conséquence de rendre encore plus difficile pour les femmes d’échapper à la violence dans leur foyer (où la grande partie des abus s’effectuent). D’autre part, les assainissements dans les transports publics, l’éclairage des rues, etc. vont conduire à moins de sécurité pour les femmes en dehors de leur maison. Le financement des centres de crise pour victimes de viol et le soutien aux femmes abusées va aussi être sous pression.

    Droit à l’avortement, à la contraception, au traitement de fertilité…

    Ces dernières décennies, 19 pays ont légalisé l’avortement, mais des millions de femmes vivent encore dans des pays où l’avortement est illégal ou très limité. Mondialement, chaque année, quelque 20 millions d’avortements illégaux se pratiquent, conduisant à la mort de 70.000 femmes et à la mutilation de millions.

    Dans quelques pays, les attaques idéologiques contre l’avortement se poursuivent, et il faut les stopper. Mais dans beaucoup de pays, ce sont les coupes budgétaires dans les soins de santé et d’autres services qui vont mettre ce droit en danger. Les assainissements vont aussi conduire à une limitation de l’accessibilité aux traitements de fertilité et à des des fermetures ou des restructurations dans les services publics concernant la contraception et la santé sexuelle, ce qui touchera surtout les jeunes femmes.

    La sexualité et le sexisme

    Mondialement, des millions de femmes souffrent des limitations terribles de leur sexualité, y compris la pratique barbare des mutilations génitales. Dans beaucoup de pays capitalistes développés, la mentalité concernant la sexualité et les relations personnelles a sans doute été améliorée. En général, les femmes se sentent plus libérées de nombreuses de restrictions morales, sociales et religieuses du passé. Mais sous le capitalisme, la libération sexuelle est déformée par la course aux profits et par l’inégalité. Le système capitaliste transforme tout en marchandise, y compris le corps de la femme, utilisé directement dans l’industrie du sexe et indirectement dans la publicité et la vente. Cela promeut une image spécifique des femmes, une image limitée, stéréotypée et dégradante. L’objétisation des femmes renforce des mentalités arriérées, dont la violence, et affaiblit les femmes dans la lutte pour les droits économiques et sociaux.

    Aller en contre-offensive

    Les énormes protestations et grèves auxquelles les femmes ont participé illustrent que la destruction des acquis ne se déroule pas comme ça, sans lutte. Les luttes des travailleuses du textile en Asie et des femmes au Moyen-Orient ont démontré que même les travailleuses les plus exploitées sont prêtes à se battre.

    Les changements importants dans les attitudes sociales qui ont trouvé place surtout dans les pays capitalistes développés ne peuvent pas être si facilement attaqués. Les femmes (et beaucoup d’hommes) ne vont pas accepter que la place des femmes soit au foyer et non au travail. Les femmes vont se battre pour défendre le progrès économique et social obtenu.

    Il va sans doute y avoir des tentatives pour faire revivre de vieux préjugés afin d’affaiblir la lutte, de semer la discorde entre hommes et femmes, surtout sur les lieux de travail. Il faut donc durement se battre contre chaque tentative de diviser les travailleurs sur base de genre et donc de les affaiblir. Une lutte réussie pour défendre les droits des femmes et les élargir n’est possible que s’il s’agit d’une lutte anticapitaliste impliquant toute la classe ouvrière.

    Socialisme

    Le capitalisme est basé sur la compétition et sur la chasse sans merci aux profits. Il crée l’exploitation, la pauvreté, l’oppression, la violence, la guerre et la destruction de l’environnement. C’est un système pourri, qui limite et détruit les vies des travailleurs et des jeunes, où les femmes subissent une double oppression à cause de leur genre. Les femmes ont alors un double intérêt à la lutte pour une alternative au système capitaliste.

    Une alternative socialiste serait basée sur la propriété collective et non privée de la production, sur le contrôle démocratique des producteurs et des consommateurs et non sur la domination par une élite riche. Les besoins, et non les profits, détermineraient ce qui est produit et les relations inégales et hiérarchiques de pouvoir et de riches seraient remplacées par la coopération, l’égalité et le respect mutuel tant sur le plan national que sur le plan international.

    La vie pourrait être si différente pour tout le monde, mais aussi spécifiquement pour les femmes. Une économie démocratiquement planifiée libérerait des moyens pour prévoir des revenus décents et l’indépendance économique de chacun. Des services publics organisés et de bonne qualité comme l’accueil des enfants, les soins de santé, l’enseignement, le logement, le transport etc. offriraient aux femmes un véritable choix dans chaque aspect de leur vie. Une société basée sur l’égalité et la coopération poserait les bases pour la fin de toutes les formes de sexisme et de violence contre les femmes. Les femmes seraient finalement réellement libérées.

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