Tag: Union Soviétique

  • Ecole d’été. Meeting : 90 ans après la révolution russe, quelle est son actualité ?

    Si nous avons tenu un tel meeting durant notre école d’été, c’est parce que nous basons nos méthodes sur l’expérience passée du mouvement ouvrier. A travers celle-ci, nous pouvons acquérir une meilleure vision de la manière dont un mouvement se développe. D’une façon générale, cette expérience passée nous a démontré l’importance de la classe ouvrière et de la construction de ses instruments de lutte. Quant à la révolution russe, elle nous a montré qu’il était possible de briser les chaînes du capitalisme.

    Durant ce meeting, quatre orateurs ont pris la parole : Lucy Redler, de notre organisation-sœur en Allemagne, Sandi Martinez, de notre organisation-sœur au Venezuela, Denis Youkovitch, de notre organisation-sœur en Russie et enfin Peter Taaffe, de notre Secrétariat International.

    Lucy Redler : « La révolution russe ne fut pas seulement un événement russe : l’exemple de l’Allemagne »

    « John Reed a eu bien raison d’appeler son livre-reportage sur la révolution russe « Les 10 jours qui ébranlèrent le monde » : l’enthousiasme créé par cet événement unique a été gigantesque. D’emblée, la révolution russe est devenue un point de référence crucial pour tous ceux qui voulaient en finir avec le capitalisme et la guerre.

    L’écho formidable de la Révolution russe en Allemagne

    En Allemagne, comme dans d’autres pays, ce n’est pas seulement le front qui a été touché par l’onde de choc de la révolution, l’arrière également en a subit l’influence. Mais dès avant 1917 existait déjà une couche de militants radicaux qui n’avaient pas accepté la trahison direction du SPD, le parti social-démocrate allemand qui s’était aligné sur sa bourgeoisie dans la guerre. Ces militants radicaux sortirent peu à peu de l’isolement et l’on a vu, par exemple, une grève se développer en avril 1916 contre les souffrances et les privations imposées par la guerre. Les principales figures parmi ces militants radicaux étaient Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, les fondateurs du groupe Spartakus qui a rassemblé les révolutionnaires.

    La révolution russe eut pour effet de radicaliser la classe ouvrière allemande, ce qui entraîna une vague de grèves et de protestations diverses. L’aile gauche du SPD scissionna et créa un nouveau parti, l’USPD, centriste et pacifiste. Tant parmi les masses que parmi les révolutionnaires, le slogan bolchévique de « paix sans annexions » avait un gigantesque échos. Deux mois à peine après l’Octobre Rouge russe, une grève réclamant la fin de la guerre fut menée par les deux tiers des travailleurs allemands. Des travailleurs allaient jusqu’à saboter dans les usines les tanks qui étaient destinés à être envoyés en Russie pour soutenir les contre-révolutionnaires durant la guerre civile.

    Le développement des idées révolutionnaires en Allemagne revêtait une importance particulière pour les bolcheviks. Quand, en septembre 1917, Lénine déclara que l’on se dirigeait vers une chaîne de révolutions, il ne faisait qu’exprimer une certitude répandue chez tous les révolutionnaires : ils ne croyaient pas au « socialisme dans un seul pays ». Dans la Pravda, le journal des bolcheviks, Lénine salua les révolutionnaires russes qui avaient enclenché la révolution mondiale. A ce moment, l’Allemagne avait la classe ouvrière la plus organisée au monde. Nadeja Kroupskaïa, la femme de Lénine, raconta que les premiers jours de la révolution allemande furent les plus beaux de la vie de Lénine.

    Très rapidement, Karl Liebknecht proclama la naissance de la république socialiste allemande du balcon du palais du Kaiser Guillaume II en tendant la main aux révolutionnaires du monde entier pour qu’ils continuent la révolution.

    Hélas, la vieille machine d’Etat était encore sur pied et grâce à l’aide de l’armée et à la trahison de la direction des sociaux-démocrates, la révolution a été noyée dans le sang. Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg ont été exécutés, ce qui a laissé la classe ouvrière allemande et le tout jeune Parti Communiste allemand sans direction.

    En fin de compte, lors de la révolution allemande, les soviets et conseils ouvriers n’étaient pas assez organisés, il n’y avait pas une direction révolutionnaire reconnue par la classe ouvrière et l’influence du groupe Spartakus le jour où éclata la révolution était hélas trop faible.

    La défaite de la révolution allemande et ses monstrueuses conséquences

    Malgré tout, le processus révolutionnaire dura jusqu’en 1923. Cette défaite de la révolution allemande a eu des répercussions énormes au niveau international et pour l’Allemagne même. Si la révolution avait triomphé, l’histoire aurait été totalement différente. Le nazisme n’aurait jamais vu le jour, la Deuxième Guerre Mondiale non plus. D’autre part, l’isolement des révolutionnaires russes dans un pays arriéré a ouvert la voie à la réaction et à la dictature bureaucratique. En 1924, Staline mit en avant le « socialisme dans un seul pays », à la fois pour se débarrasser de la tâche de la construction de la révolution mondiale ainsi que pour protéger les intérêts de la bureaucratie et ses privilèges, y compris en empêchant le développement d’une autre révolution qui aurait remis tout cela en cause.

    Ainsi, quand le nazisme gagna en importance et en influence, les directions du Parti Communiste stalinisé et du Parti Social-Démocrate ont refusé le front unique ouvrier pour empêcher la prise du pouvoir par le fascisme, comme l’avait préconisé Léon Trotsky.

    Après la Deuxième Guerre Mondiale, une économie planifiée a été instaurée en RDA, mais sans contrôle démocratique de la classe ouvrière.

    Malgré tout ça, les Allemands croient encore dans une certaine mesure au socialisme. Malgré le stalinisme et la propagande actuelle contre le socialisme, 48% des anciens Allemands de l’Est pensent que le socialisme et la démocratie sont possibles. »

    Sandi Martinez : « Au Venezuela : le Socialisme ou la mort ! »

    « Notre révolution doit être internationale. A ce titre, deux points sont particulièrement importants pour la révolution russe.

    • La conscience des travailleurs. En Russie, l’évolution de cette conscience entre 1905 et 1917 a été fort grande.
    • Le rôle de Lénine et Trotsky dans le cadre du développement de cette conscience pour que les travailleurs prennent le pouvoir pour construire une société socialiste.

    Il y a un parallèle à faire avec le Venezuela. Aujourd’hui, la conscience que les travailleurs doivent prendre le pouvoir par eux-même n’existe pas. Une des tâches les plus importantes de notre organisation au Venezuela est de faire prendre conscience de cette nécessité aux travailleurs vénézuéliens. Les conditions existent pour effectuer cette prise de pouvoir, mais il manque encore un instrument – une organisation – et une direction. Construire cet outil de lutte est une tâche cruciale.

    Nous pensons que le parti révolutionnaire de masse dont les masses vénézuéliennes ont besoin n’a rien à voir avec le nouveau parti de Chavez qui ne se construit pas à partir du bas de la société. Ce que nous voulons est un véritable parti révolutionnaire, pas un mélange des anciennes organisations plutôt réformistes qui ont récemment fusionné. Il est absolument nécessaire d’avoir une idéologie claire.

    Quoi qu’il puisse arriver à l’avenir, nous devons nous assurer que le thème du parti des travailleurs ne tombe pas à l’eau.

    Le socialisme ou la mort ! »

    Denis Youkovitch : « Les acquis de la révolution ont été dégénérés par Staline et la bureaucratie »

    La révolution russe a été le tournant le plus fondamental dans l’histoire humaine. Pour la première fois de l’Histoire, ce sont les travailleurs qui ont pris le pouvoir entre leurs mains en montrant qu’un autre monde était possible.

    Malheureusement, cette expérience n’a pas été aussi loin que ce que nous voulions.

    Le premier des acquis obtenus par la révolution russe, l’économie planifiée, a permis à la Russie arriérée de faire des bonds gigantesques en avant. Il faut ajouter à cela bien d’autres acquis dont l’un des plus importants a été le droit laissé aux minorités à disposer d’elles-mêmes.

    Mais tout cela a été dégénéré par Staline et la bureaucratie. Aujourd’hui, la bourgeoisie russe, qui descend de la bureaucratie, tente de récupérer l’Histoire à son avantage. Mais le capitalisme créé lui-même ses fossoyeurs.

    Jeunes et travailleurs remettent actuellement de plus en plus en cause le système d’exploitation capitaliste.

    Pour en finir avec la pauvreté : en avant vers la révolution socialiste mondiale ! »

    Peter Taaffe : « Faisons du 21e siècle celui de la révolution socialiste ! »

    « Durant cette semaine d’école d’été, nous avons déjà beaucoup discuté, mais il est absolument correct de prendre le temps de regarder cet événement qui a été le plus grand de l’histoire.

    Comment les capitalistes voyaient-ils la révolution russe ?

    Un général russe s’étonnait, et s’indignait, de voir par exemple un concierge devenir ministre, de voir des travailleurs prendre en main leur destinée. Mais sur le coup, la classe capitaliste n’a cependant pas accordé beaucoup d’importance à l’événement. L’ambassadeur de France déclara même qu’un régiment de cosaques suffirait à faire revenir l’ordre. Même l’écrivain Maxime Gorki, pourtant compagnon des bolcheviks, estimait que la révolution russe ne durerait pas deux semaines.

    Ce n’est que par après que s’est enclenchée la plus grande campagne réactionnaire de tout les temps.

    Le grand quotidien bourgeois anglais The Times titrait régulièrement « Lénine assassiné par Trotsky », « Trotsky assassiné par Lénine »,… et même une fois en première page « Trotsky a assassiné Lénine au cours d’une bagarre d’ivrognes ». Mais cette campagne est restée sans effet !

    Pour les masses, la révolution russe n’était pas vue comme un désastre, mais comme une porte ouverte vers un avenir meilleur. Suite au manque d’effet de cette propagande, c’est la pression militaire qui s’est exercée sur la Russie, à tel point qu’à un moment, il ne restait presque plus que Moscou et Petrograd sous le contrôle des soviets. Si ces derniers ont réussi à aller jusqu’à la victoire, ce ne fut pas grâce à la puissance militaire, mais bien grâce au fait que les révolutionnaire surent gagner à eux les masses exploitées de Russie. Car la guerre civile fut en premier lieu politique.

    Après la guerre civile, la campagne menée par les capitalistes fut une campagne de distorsion de l’histoire. Jusqu’à la chute du Mur de Berlin et l’effondrement de l’Union Soviétique, c’était assez logique. Mais pourquoi continuer après ?

    C’est que les capitalistes du monde entier craignent que cela se reproduise un jour.

    Tirons les leçons de la révolution russe !

    Nous ne vivons pas du passé, nous apprenons de lui. Marx et Engels avaient ainsi analysé la révolution française pour comprendre le flux et le reflux révolutionnaire. Lénine et Trotsky ont quant à eux regardé la Commune de Paris en 1871 ou encore la première révolution russe de 1905. De la même manière que les généraux regardent les batailles passées pour améliorer leur technique, nous devons apprendre de l’expérience de la classe ouvrière.

    Les bourgeois ne comprennent pas que la révolution est un processus qui englobe de larges masses et dans lequel les révolutionnaires agissent par la propagande et l’agitation. La révolution ne se fait pas sous l’action de « grands hommes ».

    C’est la guerre impérialiste de 14-18 qui a accéléré le rythme de la révolution. Mais il n’y eut que deux hommes qui ont compris ce qui se passait en Russie dès le mois de février 1917, l’un à Zurich, l’autre à New-York : Lénine et Trotsky. A l’opposé des autres Bolcheviks, y compris Staline, ils ne voulaient accorder aucun soutien au Gouvernement Provisoire qui succéda au Tsarisme et qui défendait en dernière instance les intérêts de la bourgeoisie. Il y a là un parallèle à faire avec Bertinotti et Refondacione Comunista actuellement en Italie, qui sont entrés dans le gouvernement de Prodi. Quand Lénine est arrivé à la gare de Saint Petersbourg et qu’un jeune lui déclara son désir de le voir intégrer le Gouvernement Provisoire, il l’écarta et s’adressa à la foule en saluant les travailleurs russes pour avoir commencé la révolution mondiale.

    Les Bolcheviks n’avaient au début que peu d’influence mais, malgré cela, les pressions qu’ils eurent à subir de toutes parts furent gigantesques. Mais ils sont allés vers les masses en ignorant les querelles parlementaires. Aujourd’hui, agissons de même : ignorons les bureaucrates syndicaux et allons nous adresser à la base !

    Mais Lénine ne disait pourtant pas directement qu’il fallait renverser le Gouvernement Provisoire : il fallait que la classe ouvrière apprenne peu à peu sous la propagande bolchévique dont les slogans étaient : « Tout le pouvoir aux soviets » et « A bas les 10 ministres capitalistes ».

    Nous ne pourrons pas ici entrer dans tous les détails et tous les niveaux de la révolution russe mais cet événement doit être étudié avec la plus grande attention.

    En juillet 1917, à Petrograd, la classe ouvrière est descendue dans la rue : après avoir fait la révolution, les travailleurs se sont aperçu qu’on leur volait les fruits de leurs luttes. Et cette question reste d’actualité : comment faire pour aller jusqu’à la victoire ? Il ne faut pas s’arrêter, on ne peut pas faire la révolution aux trois-quarts.

    Faire la révolution jusqu’au bout

    Quand en 1936, suite à la tentative de coup d’Etat fasciste, les travailleurs espagnols sont passés à l’offensive dans les rues, les capitalistes sont partis, il ne restait plus que leurs ombres. Les 4/5 de l’Espagne étaient aux mains des travailleurs. Hélas, cela se termina pourtant par un échec car le processus révolutionnaire n’est pas allé jusqu’au bout et avait été freiné sous le mot d’ordre de « lutter d’abord contre le fascisme ». En définitive, ce sont les fascistes qui remportèrent donc la victoire.

    Le 20e siècle a été un siècle de révolutions : en Russie en 1905 et 1917, en Chine en 1926-27, en Allemagne en 1918-23, en Espagne en 1936, mai ’68 en France,…

    En 1968, De Gaule avait même quitté le pays et imaginait marcher sur la France avec le général Massu. Pourquoi cet événement fut-il un échec pour les travailleurs ? Il n’y avait pas de parti révolutionnaire de masse, le Parti Communiste stalinisé jouant le jeu de la réaction.

    Les historiens bourgeois disent que le stalinisme découle du léninisme. L’objectif est de détruire le bolchévisme. Mais Staline représentait la réaction totalitaire de la bureaucratie contre l’émancipation libératrice du socialisme. Trotsky a passé le reste de sa vie à lutter contre Staline et l’a payé de sa vie.

    Rendons hommage à la révolution russe : Organisons-nous pour la prochaine révolution !

    Dans la période où nous entrons, l’expérience de la révolution russe ressurgira. Il s’agissait d’une révolution dans un pays arriéré et, dans un certain sens, il était peut-être plus facile de prendre le pouvoir dans un tel pays où la bourgeoisie était très faible que dans un pays capitaliste développé. Mais ce pouvoir était par contre plus difficile à garder. Aujourd’hui, les conséquences d’une révolution dans un pays comme l’Inde ou le Brésil seraient beaucoup plus grandes qu’à l’époque.

    Quand la Deuxième Internationale s’est effondrée suite au vote des crédits de guerre, Lénine et Trotsky ont dit qu’il fallait une autre Internationale. C’est pour réaliser cet objectif que se déroula en 1915 la conférence de Zimmerwald. Trotsky a dit à cette occasion que les internationalistes tenaient en deux voitures. Nous avons aujourd’hui un peu plus de voitures. Mais, deux années plus tard, il y avait la révolution russe. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’il y aura une révolution dans deux ans !

    Notre objectif est de créer une Internationale révolutionnaire de masse. Le Comité pour une Internationale Ouvrière pourrait en être l’embryon. Nous ne proclamons pas ce que nous ne sommes pas mais, en comparant nos idées à celles des autres, nous pouvons être marqués par le potentiel et l’accumulation de cadres que nous avons déjà réalisés.

    Cela ne fait aucun doute que le capitalisme ne peut pas dépasser ses limites. Ce n’est pas du dogmatisme, c’est de l’analyse. La question est de savoir si nous allons être capables de ne pas reproduire les erreurs du passé.

    A l’occasion de l’anniversaire de la révolution russe, pensons aussi à ces milliers et milliers d’anonymes qui ont fait cette révolution. Mais saluons aussi, entre autres, Karl Marx, Friedrich Engels et Rosa Luxembourg, la plus grande femme révolutionnaire de tous les temps. Faisons du 21e siècle celui de la révolution socialiste ! »

  • Une perspective différente : La philosophie marxiste

    Le marxisme est la science des perspectives – regarder de l’avant pour anticiper comment la société se développera – en utilisant la méthode du matérialisme dialectique pour démêler le processus complexe du développement historique. Ce texte veut montrer que disposer d’une philosophie qui permette d’interpréter correctement le monde et qui fournisse une boussole pour le changer est indispensable.

    Par Robin Clapp

    Une philosophie, pour quoi faire ?

    « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe, c’est de le transformer. » (Karl Marx, Thèses sur Feuerbach)

    Le 21e siècle à peine entamé, un cinquième de la population mondiale vit dans une pauvreté absolue avec un dollar US ou moins par jour, tandis que les biens des 200 personnes les plus riches dépassent le revenu cumulé des 2,4 milliards d’habitants les plus pauvres de la planète.

    Pourtant la prospérité matérielle s’est plus accrue au cours des 100 dernières années que pendant tout le reste de l’histoire humaine. Ainsi la base existe déjà potentiellement pour un progrès de l’humanité qui n’était jusqu’ici qu’un rêve, pour autant que les contradictions crées par le capitalisme lui-même puissent être résolues par les travailleurs du monde.

    Les capitalistes, au travers de leur contrôle sur la justice, l’armée, l’enseignement et les médias, essaient en permanence d’empêcher les travailleurs de tirer la conclusion que le capitalisme peut être changé.

    Dans la presse populaire, les commentateurs dénoncent de temps à autre tel ou tel symptôme de la maladie du système tout en martelant que l’économie de marché représente la seule possibilité.

    En même temps, des justifications plus sérieuses à la supériorité du capitalisme ont été fournies. L’effondrement de l’Union Soviétique en 1989-1992 a donné une énorme impulsion à cette branche particulière de la littérature qu’est la production de mensonges, permettant aux philosophes bourgeois de proclamer que le capitalisme a émergé triomphant de sa lutte historique contre le socialisme.

    Chaque classe dominante tout au long de l’histoire a cherché à donner à son régime le cachet de la permanence. Sans se soucier qu’il y ait eu par le passé beaucoup d’autres formes de domination de classe, y compris l’esclavage et le féodalisme, les défenseurs béats du capitalisme croient que leur manière de diriger la société est la meilleure et représente l’Everest de l’évolution.

    De nombreux dirigeants de la social-démocratie ont, à la suite de Tony Blair, dénoncé le marxisme comme un « dogme sectaire et dépassé » et se sont rallié à une théorie de la Troisième Voie, basée sur la vieille idée qu’il peut y avoir une voie médiane entre le marché et l’économie planifiée.

    La plupart des dirigeants capitalistes croient qu’ils n’ont pas besoin d’une philosophie. Faire de l’argent est tout ce qui importe et ils se contentent de l’idée que « si ça marche, c’est bon ». Ils sont largement empiriques dans leur approche, répondant pragmatiquement aux nouveaux défis et essayant rarement de comprendre les relations et les connexions entre la politique et les événements, les causes et les effets.

    Dans les domaines de la politique et de l’économie, ils font leur la philosophie facile et complaisante qui pense que ce qui s’est produit avant continuera à se produire de manière largement inchangée à l’avenir.

    Dans les années ‘90, ils étaient persuadés que le boom de la nouvelle économie continuerait à enfler indéfiniment. Quand la bulle spéculative a explosé ils en ont été étonnés mais, n’apprenant rien, ils se sont gratté la tête et ont affirmé qu’ils avaient prédit que tout cela allait arriver. Puis ils en sont retournés sur leur confortable petit nuage, persuadés que le capitalisme s’en remettrait rapidement.

    Cette brochure a pour but de montrer que disposer d’une philosophie qui permette d’interpréter correctement le monde et qui fournisse une boussole pour le changer est indispensable. Comme Léon Trotsky l’a observé dans Le Marxisme de notre époque, « si la théorie permet d’apprécier correctement le cours du développement économique, et de prévoir l’avenir mieux que les autres théories, alors elle reste la théorie la plus avancée de notre temps, même si elle date d’un bon nombre d’années ».

    Le marxisme est la science des perspectives – regarder de l’avant pour anticiper comment la société se développera, en utilisant la méthode du matérialisme dialectique pour démêler le processus complexe du développement historique.

    Il s’efforce d’apprendre à la classe des travailleurs à se connaître et à être consciente d’elle-même en tant que classe. Le matérialisme dialectique – la science des lois générales du mouvement et du développement de la nature, de la société humaine et de la pensée – était et demeure une philosophie révolutionnaire qui défie le capitalisme dans chaque domaine et substitue la science aux rêves et aux préjugés.

    Matérialisme contre Idéalisme

    « Ce n’est pas la conscience qui détermine l’existence mais l’existence sociale qui détermine la conscience » (Marx et Engels, L’idéologie allemande)

    Les hommes ont toujours essayé de comprendre le monde dans lequel ils vivaient en observant la nature et en généralisant leurs expériences quotidiennes. L’histoire de la philosophie montre une division en deux camps : l’idéalisme et le matérialisme. Les idéalistes disent que la pensée (la conscience) est souveraine et que les actions humaines découlent de pensées abstraites, indépendamment des conditions historiques et matérielles.

    Marx et Engels furent les premiers à remettre complètement en cause cette conception, en expliquant qu’une compréhension du monde doit partir non pas des idées qui existent dans la tête des gens mais des conditions matérielles réelles dans lesquelles ces idées se développent.

    La nature est historique à tous les niveaux. Aucun aspect de la nature n’existe « tout simplement » : chacun a une histoire, vient au monde, change et se développe, et finalement cesse d’exister. Des aspects de la nature peuvent apparaître fixes, stables, dans un état d’équilibre pour une période de temps plus ou moins longue, mais aucun n’est dans cet état de manière permanente ou éternelle. Comme l’a dit Trotsky, « La conscience grandit de l’inconscient, la psychologie de la physiologie, le monde organique de l’inorganique, le système solaire de la nébuleuse ».

    Marx et Engels basèrent leur matérialisme sur les idées et la pratique des grands philosophes matérialistes du 18e siècle. La Renaissance du 16e siècle, avec son expansion de la curiosité culturelle et scientifique, fut à la fois une cause et un effet de la croissance initiale du capitalisme. Ainsi que l’écrivit Engels, « La science s’est rebellée contre l’Eglise; la bourgeoisie ne pouvait rien faire sans la science et dût donc se joindre à la rébellion ».

    Les scientifiques développèrent fiévreusement l’astronomie, la mécanique, la physique, l’anatomie et la physiologie en disciplines séparées, bouleversant en conséquence les antiques croyances en un dieu inviolable. Ainsi Galilée commença par découvrir quelques-unes des propriétés physiques de l’univers et révéla que les planètes tournaient autour du soleil. Plus tard, la théorie de la gravité et les lois du mouvement physiques établies par Newton dévoilèrent les mystères du mouvement et de la mécanique. Le philosophe Hobbes déclara qu’il était impossible de séparer la pensée de la matière pensante. Marx observa que le siècle des « Lumières » avait « éclairci les esprits » pour la grande Révolution française et l’âge de la raison.

    Mais Engels ajouta que « La limitation spécifique de ce matérialisme tenait à son incapacité à saisir l’univers comme un processus, comme une matière subissant un développement ininterrompu ». Ce furent Marx et lui qui fusionnèrent les brillantes avancées scientifiques du matérialisme avec la pensée dialectique, créant ainsi la théorie la plus clairvoyante et la plus révolutionnaire pour expliquer et changer le monde.

    Le philosophe allemand Hegel qui, au début du 19e siècle, ressuscita la dialectique issue de la pensée de la Grèce antique, défendait une approche idéaliste. Selon lui, les pensées dans le cerveau n’étaient pas les images, plus ou moins abstraites, des choses et des processus réels mais, au con-traire, les choses et leurs développements n’étaient que les images réalisées de l’Idée/Dieu existant quelque part depuis l’éternité avant même que le monde existe.

    Marx clarifia cette confusion en remettant le raisonnement sur ses pieds : « Pour moi, l’idée n’est rien d’autre que le monde matériel reflété dans l’esprit humain ».

    Le marxisme se base donc sur une vue matérialiste de l’histoire. Le monde matériel est réel et se développe à travers ses propres lois naturelles. La pensée est un produit de la matière sans laquelle il ne peut y avoir d’idées séparées.

    Il en découle clairement que le marxisme rejette les vérités universelles, les religions et les esprits. Toutes les théories sont relatives, parce qu’elles ne saisissent qu’un aspect de la réalité. Au départ, elles sont censées posséder une validité et une application universelles. Mais, arrivé à un certain point, des déficiences apparaissent dans la théorie. Celles-ci doivent être expliquées et de nouvelles théories sont développées afin de rendre compte de ces exceptions. Mais les nouvelles théories ne se contentent pas de remplacer les anciennes : elles les incorporent sous une forme nouvelle.

    Ainsi, dans le domaine de l’évolution biologique, les marxistes ne sont ni des déterministes biologiques ni des déterministes culturels. Il y a une interaction dialectique entre nos gènes et notre environnement.

    Récemment, le « projet du génome humain » a permis de dresser la carte complète de la structure des gènes qui passent d’une génération humaine à l’autre. Des biologistes ont affirmé que ces découvertes allaient révéler à quel point les gènes individuels façonnent les modèles de comportement, de la préférence sexuelle à la criminalité et même aux préférences politiques ! Une conséquence de cette théorie serait évidemment que la position d’une personne dans la société serait largement prédéterminée et inaltérable. Cependant toutes les tentatives pour « marquer » les gènes responsables de « l’intelligence » ont échoué et la tentative de définir la position sociale comme génétiquement déterminée a été dénoncée comme une pure conséquence de l ‘idéologie des biologistes concernés.

    Et dans une percée qui a révolutionné notre compréhension du comportement humain, des scientifiques ont récemment découvert que nous possédions beaucoup moins de gènes qu’on le pensait auparavant, révélant ainsi que les influences environnementales sont beaucoup plus puissantes pour façonner la manière dont agissent les humains.

    Qu’est-ce que la pensée dialectique ?

    « Les hommes ont pensé dialectiquement longtemps avant de savoir ce qu’était la dialectique, exactement comme ils ont parlé en prose longtemps avant qu’existe le terme de prose. » (Engels, L’Anti-Duhring)

    La dialectique est la philosophie du mouvement. La méthode dialectique d’analyse nous permet d’étudier les phénomènes naturels, l’évolution de la société et de la pensée comme des processus de développement reposant sur le mouvement et la contradiction.

    Tout est dans un état permanent de mouvement et de changement. Toute réalité est de la matière en mouvement.

    Les racines de la pensée dialectique peuvent être retracées jusqu’aux penseurs de la Grèce antique qui, parce que leur civilisation n’était pas encore assez avancée pour disséquer la nature et l’analyser dans ses composantes séparées, voyaient cette même nature comme une totalité, avec ses connections, dialectiquement. Rien dans la vie n’est statique. Pour reprendre les mots du philosophe de la Grèce antique Héraclite, « Tout s’écoule, tout change ».

    On trouve des illustrations du développement de notre Terre et de l’espace partout autour de nous dans la Nature. Les astronomes restent fascinés devant les super-téléscopes qui nous permettent d’assister à la naissance et à la mort d’étoiles extrêmement lointaines tandis qu’aucun géologue ou vulcanologue ne pourrait raisonner sans avoir une compréhension des lois de base de la dialectique – le changement de la quantité en qualité, l’interpénétration des contraires et la négation de la négation.

    Dans les mathématiques, une approche dialectique est aussi indispensable. Dans la vie de tous les jours, nous avons souvent besoin de faire la distinction entre une ligne droite et une ligne courbe. Mais mathématiquement une droite est simplement un type particulier de courbe. Toutes deux peuvent être traitées en utilisant une simple équation mathématique générale.

    Nous apprenons aussi comment, à une température spécifique, la glace solide se change en eau liquide et comment, à une température plus haute, celle-ci se change en vapeur, un gaz. Nous apprenons aussi que ces trois substances apparemment différentes sont en réalité des manifestations différentes du mouvement des mêmes molécules d’eau. Mais bien que la société capitaliste utilise la méthode dialectique dans sa quête de progrès scientifique, dans les domaines de l ’économie et de la philosophie par contre, elle cherche obstinément à réfuter la dialectique, en s’habillant dans la camisole de force de la métaphysique (logique formelle). Celle-ci, traduite en politique, devient une justification du statu quo, l’idée que l’évolution procède à pas de souris et sans bouleversements.

    Il n’est pas difficile de voir pourquoi. Expliqué de manière marxiste, le développement de toutes les formes anciennes et actuelles de société montrerait que, dans certaines périodes de l’Histoire, quand le mode de production est entré en conflit aigu avec le mode d’échange, des guerres et des mouvements révolutionnaires ont suivi. Les formes de lutte de classes ont changé à travers différentes époques mais la lutte fondamentale portant sur la répartition du surproduit entre exploiteurs et exploités forme une ligne continue depuis les premières sociétés esclavagistes jusqu’à aujourd’hui.

    La classe capitaliste – la bourgeoisie, telle que Marx l’a décrite – doit donc nous cacher la conception matérialiste de l’histoire, préférant exalter les actions des grands hommes (et occasionnellement des grandes femmes !) qui sont censés avoir changé l’Histoire. Les grandes révolutions sociales sont attribuées non à la lutte entre les classes mais aux erreurs de rois et de tsars tyranniques et aux ambitions sanglantes d’hommes sans foi ni loi comme Cromwell, Robespierre et Lénine, pour ne citer que leurs trois bêtes noires préférées.

    La pensée métaphysique est souvent décrite comme la science des choses et non du mouvement. Se basant sur des techniques de classification rigides et voyant les choses comme des entités statiques, elle est un outil utile dans nos vies quotidiennes mais ne nous laisse pas voir les choses dans leurs connexions.

    La logique formelle voit la cause et l’effet comme deux contraires mais, pour les marxistes, les deux catégories fusionnent, se mélangent et se fondent l’une en l’autre tout le temps. Trotsky a comparé la logique formelle à la dialectique en utilisant l’analogie entre une photographie et un film. La première a son utilité mais, dès que nous entrons dans des questions complexes, la logique formelle s’avère inadéquate. Par exemple, nous pouvons dire que la société dans laquelle nous vivons est capitaliste. Mais en la voyant dialectiquement comme une société bourgeoise ayant atteint un stade avancé de développement, nous devons ajouter qu’elle possède encore quelques vestiges de la féodalité mais surtout qu’elle contient dans son potentiel technologique les bases d’une économie planifiée socialiste.

    Cet exemple n’a rien d’abstrait. Les marxistes utilisent la méthode dialectique dans le but de clarifier les perspectives. Toutes les réalités comportent en elles plus d’une facette. Quel stade de développement a atteint le capitalisme chez nous, quel caractère aura la prochaine récession, quelle est la puissance de la classe des travailleurs, quel est le rôle du Parti Socialiste et des directions syndicales, où et quand pouvons-nous nous attendre à une nouvelle vague de grandes luttes dans les entreprises,… toutes ces questions et bien d’autres encore ne peuvent trouver de réponse qu’en analysant la société dialectiquement.

    Les lois de la dialectique

    « La dialectique n’est rien de plus que la science des lois générales du mouvement et du développement de la nature, de la société humaine et de la pensée. » (Engels, L’Anti-Duhring)

    Reposant sur les lois du mouvement, la dialectique nous permet de saisir les choses dans leurs connexions.

    Nos corps et nos pensées changent continuellement. De la conception jusqu’à la mort, il n’y a jamais un instant où notre développement physique est suspendu, pas plus que ne le sont nos pensées et notre évolution mentale. Nos idées évoluent sans cesse.

    Mais comment la dialectique s’applique-t-elle spécifiquement à l’étude de la société ? Quelles sont les lois générales du matérialisme dialectique au-delà de l’idée primordiale que tout change ? Si la dialectique est la boîte à outils théorique des marxistes, à quoi ressemblent les outils et comment nous aident-ils à défier le capitalisme et à changer la société ?

    Marx et Engels ont élaboré trois grandes lois interconnectées qui sont continuellement à l’œuvre et qui nous donnent un aperçu de la manière dont la société se développe et des tâches pratiques et théoriques auxquelles nous sommes confrontés quand nous cherchons à construire les instruments pour renverser le capitalisme.

    1. La loi de la quantité et de la qualité

    De la même manière qu’un scientifique est familier du concept selon lequel les choses altèrent leur qualité à certains points quantitatifs (l’eau en vapeur au point d’ébullition), un observateur de l’évolution des sociétés de classes rencontre la même loi.

    La société ne se développe pas d’une manière lente et évolutive. Les frictions entre les classes peuvent créer – et créent effectivement – des périodes épisodiques de lutte aiguisée conduisant à des crises sociales et politiques, à des guerres et des révolutions.

    Pendant une longue période, la lutte de classes peut sembler être au minimum, avec un bas niveau de lutte dans les entreprises, un désintérêt apparent pour la lutte politique,… Cependant les marxistes voient les événements sous leurs multiples aspects. En surface, il peut y avoir une stabilité apparente mais une accumulation de frustration et d’opposition au capitalisme peut exploser tout d’un coup, créant des conditions entièrement nouvelles pour la lutte et prenant les patrons et leurs partis politiques complètement par surprise. Cette loi est reconnue sous une forme vulgaire par quelques philosophes bourgeois qui, généralement après l’événement, font tristement référence à « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ». Elle a d’énormes conséquences pour les marxistes.

    Nous analysons avec soin l’évolution des conflits de classe et nous saisissons chaque occasion pour intervenir dans le mouvement des travailleurs afin de populariser les idées socialistes et de tirer avantage de ces changements soudains et de ces tournants brusques.

    Cette loi n’implique pas toujours un progrès. Pendant longtemps, nous avons caractérisé la bureaucratie stalinienne dans l’ancienne Union Soviétique comme un frein relatif à l’économie planifiée. Nous entendons par là que, malgré la gabegie et la corruption des bureaucrates, il y avait encore un potentiel pour une croissance de l’économie planifiée, bien que moins efficace que si la classe des travailleurs avait été aux commandes. Dans les années ‘60, le style de commandement autoritaire et par en haut du Kremlin a du affronter les nouveaux défis posés par une forme techniquement plus avancée d’économie. La maxime de Trotsky selon laquelle une économie planifiée a besoin du contrôle des travailleurs comme un corps a besoin d’oxygène est devenue plus pertinente que jamais. Nous avons analysé ce changement et nous avons conclu que la bureaucratie s’était transformée d’un frein relatif en un frein absolu.

    La quantité s‘est transformée en qualité. Partant d’une étude de toutes les statistiques économiques illustrant le déclin de l’URSS, nous avons commencé à tirer des conclusions théoriques élaborées.

    Une société entrée dans une crise économique, sociale et politique où la caste bureaucratique est devenue absolument incapable de jouer encore un quelconque rôle progressiste ne peut rester indéfiniment en apesanteur. Le point a rapidement été atteint où soit la classe des travailleurs devrait renverser le démon de la bureaucratie et mener une révolution politique, soit il y aurait une contre-révolution sociale conduisant à la restauration du capitalisme. Cette possibilité a été prédite par Trotsky il y a plus de 50 ans. La triomphe de la deuxième option – avec Eltsine détruisant tous les gains subsistant de la révolution de 1917 – a marqué une défaite qualitative pour la classe des travailleurs en Russie et partout ailleurs.

    2. L’interpénétration des contraires

    La dialectique quand elle est appliquée à la lutte des classes n’a pas le même degré de précision que dans les laboratoires scientifiques. Le rôle des individus, des partis politiques et des mouvements sociaux n’est pas scientifiquement prédéterminé. Un dirigeant syndical respecté pour ses prises de position de gauche peut capituler le jour où il est confronté à une attaque déterminée du patronat. Inversement un dirigeant syndical modéré peut surprendre en devenant, sous une pression massive de sa base, beaucoup plus militant que prévu.

    Il n’y a pas d’absolu dans la lutte des classes. Nous insistons souvent sur le fait que la croissance et la récession ne sont pas des catégoriques antithétiques comme le proclament les manuels d’économie les plus rudimentaires. Dans chaque croissance économique du capitalisme se trouvent les germes de la future récession et vice versa. Ce n’est pas la récession elle-même qui amène les travailleurs à se rebeller contre le système capitaliste. L’exact opposé peut être vrai aussi, avec des travailleurs intimidés par la menace d’un chômage massif. Inversement, au cours d’une période de croissance, les travailleurs peuvent partir à l’offensive non seulement pour récupérer les gains qui ont été perdus pendant la récession précédente mais aussi pour gagner de nouvelles victoires sur les salaires et les conditions de travail.

    Trotsky a analysé cette loi dans son analyse des forces qui ont fait la révolution russe en 1917 : « Pour pouvoir réaliser l’Etat des Soviets, une convergence et une pénétration mutuelle de deux facteurs appartenant à des espèces économiques complètement différentes était indispensable : une guerre paysanne – c’est-à-dire un mouvement caractéristique de l’aube du développement bourgeois – et une insurrection prolétarienne, le mouvement qui signale la fin de celui-ci » (Histoire de la Révolution russe).

    Ce « développement inégal et combiné » illustre la manière complexe selon laquelle se développe la société. L’application de la loi de l’interpénétration des contraires est cruciale pour nous permettre d’avoir une vision claire du stade que le capitalisme a atteint, de sa future évolution et des réponses que nous devons y apporter.

    3. La négation de la négation

    Décrite par Engels comme « une loi de développement de la nature, de l’histoire et de la pensée extrêmement générale et, pour cette raison, extrêmement pénétrante et importante », la négation de la négation traite du développement au travers de contradictions qui naissent et se développent en annulant, ou niant, une forme d’existence, une théorie ou un fait antérieurs avant d’être plus tard niées à leur tour.

    Le cycle économique du capitalisme illustre cette loi. Au cours de la phase de croissance, de grandes richesses sont créées mais elles seront partiellement détruites lors de crises épisodiques de surproduction. Celles-ci créent, à leur tour et à nouveau, les conditions pour une nouvelle croissance, qui assimile et développe des méthodes de production précédemment acquises avant d’entrer une nouvelle fois en contradiction avec les limites de l’économie de marché et être partiellement niées par celles-ci.

    Tout ce qui existe évolue ainsi sous la pression de la nécessité. Mais tout périt avant d’être transformé en quelque chose d’autre. Ainsi ce qui est « nécessaire » à un moment et à un endroit devient « non nécessaire » dans de nouvelles conditions. Chaque chose crée son contraire qui est destiné à le vaincre et à le nier.

    Les premières sociétés étaient des sociétés sans classe basées sur la coopération au sein de la tribu. Elles ont été niées par l’émergence de sociétés de classe reposant sur des niveaux matériels de richesse qui se développaient. La propriété privée des moyens de production et l’Etat, qui sont les caractères fondamentaux de la société de classe et qui à l’origine ont marqué un grand pas en avant, ne servent plus aujourd’hui qu’à freiner et à limiter les forces productives et à menacer tous les gains réalisés précédemment par le développement humain.

    La base matérielle existe maintenant pour remplacer le système patronal par le socialisme, dont l’embryon est déjà contenu dans la société de classes, mais qui ne pourra jamais être réalisé avant que la classe des travailleurs nie le capitalisme. Comme l’écrivit Marx, « La victoire du socialisme marquera une étape nouvelle et qualitativement différente de l’histoire humaine. Pour être plus précis, elle marquera la fin de la préhistoire de la race humaine et ouvrira sa véritable histoire » (Thèses sur Feuerbach).

    Le matérialisme dialectique comme théorie révolutionnaire

    « La dialectique, la prétendue dialectique objective, prévaut à travers la Nature. » (Engels, Dialectique de la nature)

    Dans le domaine de la science, la méthode dialectique continue, explicitement ou implicitement, à être un outil vital de progrès. Des disciplines apparemment sans rapport entre elles en sont venues à partager des visions et des méthodologies reflétant la nature interconnectée de notre univers vivant.

    Même le philosophe idéaliste Kant, qui écrivait avant l’époque de Marx et Engels et qui croyait en un être suprême, a été forcé par l’expérience d’arriver inconsciemment à une position dialectique. Il argumenta que si la Terre était venue au monde, alors ses actuels états climatiques, géographiques et géologiques, ses plantes et ses animaux, tous devaient être venus au monde; la terre devait ainsi avoir une histoire non seulement de coexistence dans l’espace mais aussi de succession dans le temps.

    En particulier, la théorie de l’évolution de Darwin, dont la signification révolutionnaire a été immédiatement perçue par Marx et Engels, a elle-même été enrichie suite à de nouvelles études et expériences et a ainsi fourni une confirmation plus profonde de la dialectique de la nature. Darwin a démontré comment l’évolution se développe à travers la sélection naturelle, provoquant la colère de ceux pour qui « Dieu » déterminait tout. Mais alors qu’il déclarait que « la nature ne fait pas de bond », le débat fait rage aujourd’hui parmi les néo-darwinistes sur la question de savoir si des bonds se produisent et quelle est leur nature.

    Grâce à l’incorporation de la science génétique au darwinisme, on a pu commencer à étudier de nouveaux concepts à côté de la sélection naturelle – comme la mutation (la formation spontanée de nouvelles variations dans le matériel génétique), l’écoulement de gènes (l’introduction de nouveaux gènes dans une population par l’immigration ou l’élevage) et la dérive génétique (des changements aléatoires de gènes dans une population due à sa taille réduite).

    L’idée que la vitesse du changement évolutif peut varier énormément est maintenant largement acceptée, apportant ainsi une brillante confirmation de la dialectique comme science des tournants brusques et des changements soudains en opposition à un développement graduel. La théorie de l’équilibre ponctué porte cette idée un pas plus loin encore en affirmant que le développement ou l’apparition de nouvelles espèces peut, à l’échelle du temps géologique, briser instantanément un équilibre apparemment stable.

    Cette théorie rend compte de la rapide et soudaine apparition d’espèces ainsi que de l’extinction en masse d’espèces, de la même manière dont Darwin parlait de la lutte pour l’existence de variétés individuelles au sein d’une même espèce.

    Les théories scientifiques modernes reposent sur une vue dialectique de la nature. La mécanique quantique, sur laquelle est basée toute la technologie moderne, repose sur l’unification de deux concepts classiques (apparemment contradictoires), ceux du mouvement des ondes et du mouvement des particules pour produire une nouvelle compréhension plus profonde de la nature de la réalité. Les théories des particules fondamentales travaillent sur des concepts qui éclairent la contradiction entre la matière et l’espace-temps dans lequel se meut la matière.

    Vers un monde socialiste

    Les causes finales de tous les changements sociaux et de toutes les révolutions politiques doivent être cherchées, non dans les cerveaux des hommes, non dans une meilleure conception humaine de la vérité éternelle et de la justice, mais dans les changements dans les modes de production et d’échange. Elles doivent être cherchées non dans la philosophie, mais dans l’économie de chaque époque particulière.

    Le matérialisme dialectique n’est pas une théorie ennuyeuse réservée aux études d’académiciens érudits. Il est un guide pour l’action. Pour les travailleurs et les jeunes cherchant à comprendre le capitalisme et, plus important encore, à le changer, il est un outil indispensable.

    Le soi-disant Nouvel Ordre Mondial prouve quotidiennement qu’il est encore moins harmonieux que l’ancien. Sur les six milliards de personnes sur Terre, près de 3,6 milliards n’ont ni argent ni crédit pour acheter quoi que ce soit. La majorité des habitants de la planète restent au mieux des « lécheurs de vitrines ». Bien que le développement de sociétés géantes enjambant les continents et l’existence de technologies informatiques de pointe montrent le potentiel qui existe pour une planification mondiale de la production et du commerce, le capitalisme demeure un système basé sur une concurrence pleine de gaspillage entre Etats-nations dans laquelle des multinationales rivales luttent pour augmenter leurs parts de marché, leur productivité et leurs profits à nos dépens.

    L’Histoire est faite par des hommes et des femmes conscients, chacun conduit par des motivations et des désirs bien définis. Les grandes révolutions sociales du passé ont été menées par des minorités qui arrivaient au premier plan parce qu’elles exprimaient le plus clairement les nouveaux besoins économiques et politiques d’une classe montante. La lutte pour le socialisme est qualitativement différente dans la mesure où elle implique la participation consciente de la majorité de la population – la classe des travailleurs et les masses opprimées du monde – pour affronter un capitalisme malade mais omniprésent.

    Notre tâche est de canaliser l’infatigable énergie des travailleurs à l’échelle mondiale afin d’en finir avec l’exploitation, et cela à travers la construction d’une force socialiste puissante. La méthode dialectique, appliquée à chaque stade de la lutte des classes, illumine notre chemin, nous permet de transformer nos idées en une force matérielle et rapproche le jour où les hommes et les femmes pourront passer du règne de la nécessité au règne de la liberté.


    Liste de lecture

    Les textes suivants sont recommandés, les quatre premiers étant les plus accessibles.

    1. L’ABC de la dialectique matérialiste (15/12/1939) extrait de « Une opposition bourgeoise dans le Socialist Workers Party » et Une lettre ouverte au camarade Burnham (07/01/1940) tous deux inclus dans le livre de Trotsky En défense du Marxisme.
    2. Sur la question de la dialectique – Lénine
    3. Une introduction à la logique du marxisme – George Novack
    4. Le rôle joué par le travail dans la transition du singe à l’homme – Engels
    5. Anti-Duhring – Engels
    6. Matérialisme et empiriocriticisme – Lénine
    7. Dialectique de la nature – Engels
    8. Les problèmes fondamentaux du marxisme – Plekhanov
  • Contre le capitalisme : résistance internationale!

    Début juin, les dirigeants des 7 pays les plus riches au monde, plus la Russie, se sont réunis à Heiligendamm, en Allemagne pour discuter de la politique climatique,de la situation dans le Tiers-Monde, de l’Irak,… Contre ce rassemblement censé décider de notre avenir, des dizaines de milliers de personnes ont protesté à proximité du sommet, la plus grande manifestation attirant 80.000 participants.

    Liesje Ulburghs

    Né des actions spectaculaires contre le sommet de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à Seattle en 1999, le mouvement anti-globalisation a connu son apogée lors des mobilisations contre les réunions à l’été 2001 de l’Union Européenne à Göteborg et du G8 à Gênes. Le contre-sommet de cette année a de nouveau fait fureur.

    La colère légitime des innombrables participants à la contestation s’est exprimée par un grand nombre de manifestations et d’actions directes. Ainsi, au début du sommet, 10.000 activistes ont mis en place des barrages qui, 24 heures plus tard, tenaient toujours bon et ont ainsi entraîné bien des difficultés pour les collaborateurs des dirigeants du G8 qui cherchaient à rejoindre leurs maîtres. A travers ces actions et manifestations, c’est toute une couche importante de jeunes et de travailleurs qui ont affirmé que Blair, Bush, Poutine et consors – courageusement cachés derrière 16.000 policiers et une clôture de 11 kilomètres – ne sont pas représentatifs des opinions et des intérêts de la majorité de la population.

    Et, de fait, Ils sont en effet aux ordres d’une infime élite détentrice des moyens de production et dont la richesse repose sur l’exploitation du travail du reste de la population aux quatre coins de la planète. La logique capitaliste pousse les patrons à rechercher des profits sans cesse croissants et à économiser sur les « frais de production » (nos salaires et nos conditions de travail).

    Les riches plus riches, les pauvres plus pauvres

    Les énormes richesses produites à travers le monde sont accaparées par ces parasites tandis que 30.000 enfants meurent chaque jour de faim et que la moitié de la population mondiale doit vivre avec moins de 1,5 euro par jour.

    Et cela ne fait qu’empirer ! Ces vingt dernières années, les 5% les plus pauvres de la population mondiale ont perdu 25% de leur revenu réel. Ce n’est pas perdu pour tout le monde, les 20% les plus riches ont ainsi obtenu 12% en plus. En Belgique non plus, les gens ordinaires ne profitent guère de la croissance économique. Les conditions de travail et le pouvoir d’achat souffrent, 15% des Belges vivent dans la pauvreté. Les acquis sociaux qui nous viennent des luttes du passé fondent à vue d’oeil.

    Peu de gens croient encore que des organismes comme le G8 peuvent améliorer les choses. Bush s’est par exemple prononcé dès avant le sommet contre les (faibles) propositions faites pour combattre le réchauffement climatique, aucun objectif concret n’a donc pu être déterminé. De toutes façon, on sait à quoi s’en tenir avec ses promesses Celles faites au sommet de 2005 pour lutter contre la pauvreté dans le monde n’ont toujours débouché sur rien de concret. Cette fois, les « maîtres du monde » ont dit qu’ils allaient tenir leurs engagements. Pourquoi maintenant et pas avant ? Dans ces réunions, on examine surtout comment maintenir les inégalités dans l’intérêt du capital et comment les faire avaler au monde extérieur.

    Le capitalisme remis en question

    Les années qui ont suivi la chute du Mur et l’effondrement de l’Union Soviétique ont été marquées par un reflux des luttes et de l’idée qu’il est possible de changer en profondeur la société, jusqu’à ce que la progression du mouvement anti-globalisation lancé par de jeunes radicalisés remette à nouveau en question l’impitoyable logique du capitalisme.

    Au fil des années et à l’occasion des différents sommets du G8, de l’Organisation Mondiale du Commerce ou encore de l’Union Européenne, toute une gamme d’actions ont été testées pour que les protestations puissent s’exprimer et troubler ces sommets. Mais, malgré les nombreux barrages routiers, les actions directes et les manifestations, la même politique en faveur d’une plus riches continue à être menée et les protestations sont royalement ignorées. C’est que ces actions ne touchent pas les capitalistes là où ça leur fait mal. La base économique du capitalisme – la production des travailleurs – reste à l’extérieur des stratégies de protestation. La nécessité de créer un rapport de forces reposant sur l’unité et la mobilisation des travailleurs doit être bien comprise pour pouvoir jeter bas le capitalisme .

    La résistance de la jeunesse n’est souvent que l’annonce d’une lutte plus généralisée. Cette fois-ci aussi, la montée du mouvement anti-globalisation au début des années 2000 a été suivie par une mobilisation massive à l ‘échelle mondiale contre la guerre de Bush en Irak en 2003 mais aussi par un mouvement plus large de lutte contre les conséquences de la politique de casse sociale. La montée des luttes populaires et le tournant à gauche en Amérique Latine, les luttes massives dans l’enseignement en France et en Grèce,… montrent les opportunités qui existent pour réunir les jeunes radicalisés et le mouvement ouvrier, qui seul a le pouvoir économique de provoquer un changement structurel.

    Vers une orientation plus large

    Pour progresser, le mouvement anti-globalisation ne peut pas se replier sur lui-même et ne prêcher que des convaincus. Mais ces dernières années, les différents Forums Sociaux se sont de plus en plus tournés vers des ateliers de discussion avec des thèmes et des slogans très vagues. A tel point que les PS ont pu participer de manière de plus en plus présente à ces réflexions alors qu’ils n’hésitent pas à mettre en oeuvre cette même politique néo-libérale contestée par les Forums Sociaux. Nous n’avons pas besoin de vagues groupes de discussion pas plus que d’actions prétendument « radicales » isolées (comme celles des Black Blocks anarchistes) qui contribuent actuellement à dissuader les couches plus larges d’entrer en action. Nous avons besoin au contraire d’un programme concret et de campagnes de masse capables de forger des liens solides entre jeunes et travailleurs.

    Les récentes attaques du gouvernement d’Angela Merkel ont conduit, dans les jours précédant le sommet du G8, à une grève de Deutsche Telekom. Cette grève a même menacé l’organisation pratique du sommet. Malheureusement, il n’y a eu aucune unité entre la protestation des jeunes contre le G8 et ces actions de grève. Ce n’est pourtant que par l’intermédiaire d’actions communes autour de thèmes concrets que le mouvement anti-globalisation pourra donner suite aux slogans vagues comme “un autre monde est possible” et gagner la sympathie de larges couches de travailleurs.

  • Russie: L’héritage de Eltsine – capitalisme « sauvage » à travers l’ancienne URSS

    Les masses travailleuses appauvries de l’ex-Union Soviétique assistent, écoeurées, à la floraison d’éloges pour Boris Eltsine, l’ancien président de la Russie, après son arrêt cardiaque le lundi 23 avril.

    Clare Doyle, Comité pour une Internationale Ouvrière, internationale à laquelle est affilié le MAS/LSP

    « Je me suis plus senti d’humeur à la célébration qu’à la tristesse à l’annonce de sa mort » a commenté un travailleur russe, victime d’une des premières privatisations de Eltsine. « Son règne s’est avéré être un cauchemar pour nous. Mais alors, je me suis rappelé que Poutine est toujours là à tenir le fouet. J’ai décidé que rendre aux travailleurs leur confiance dans la lutte pour les idées socialistes était bien plus important! ».

    Nombreux sont ceux qui, à travers le monde, se rappelleront les moments plus légers de la présidence de Eltsine, quand il chancellerait ou parlait de manière incompréhensible devant les médias du monde, clairement sous l’influence de l’alcool. Mais cet homme, maintenant crédité d’avoir apporté la « démocratie et la liberté » en Russie et dans l’ex-Union Soviétique, était à peine moins qu’un dictateur.

    Le démocrate envoie les tanks

    Eltsine a connu la popularité durant les années Gorbatchev en semblant être le fer de lance du combat contre la règle du parti unique et ensuite contre la tentative de coup d’Etat des généraux de 1991. Cependant, près de deux ans plus tard, il envoyait les tanks contre le même bâtiment du parlement qu’il avait précédemment défendu des généraux et, une année après, il a envoyé l’armée dans la république de Tchétchénie pour écraser le mouvement contre l’oppression nationale de Moscou.

    La clique de Eltsine, une fois la politique de privatisation rapides à outrance adoptée, a lutté impitoyablement contre n’importe quelle contestation de leur contrôle basé sur la corruption, qu’elle émane de bandes de voleurs rivales ou de la classe ouvrière qui essayait de contre-attaquer face à l’offensive contre leur niveau de vie. C’est pourquoi Eltsine reçoit une floppée d’éloges de la part des dirigeants capitalistes occidentaux ou des olligarques milliardaires, qui tous n’accordent que peu d’importance à ses méthodes brutales.

    Sa présidence a été un cambriolage visible de tous contre la masse de la population dans la prétendue « transition vers le marché ». L’économie s’est effondrée de 50% en deux ans tandis que quelques uns des ex-membres bien-placés du « Parti Communiste », comme lui-même d’ailleurs, ont effectué le plus grand détournement d’argent de l’histoire.

    La politique des bons

    Des bons ont été distribués à chacun, leur donnant une « part » de l’entreprise dans laquelle ils travaillaient. Puis, en raison de la pauvreté désespérante provoquée par la montée en flèche des prix des nécessaités de base et également par manque de conviction sur ce que représentaient ces bons, la plupart des travailleurs ont vendu leurs bons à des « agents » qui, aux stations de métro ou aux coins des rues, leur offraient de l’argent comptant. Ces « agents » – parmi lesquels bon nombre de pensionnés et de jeunes sans emploi frappés par la pauvreté – travaillaient pour les futurs oligarques qui ont de cette façon assuré qu’ils obtenaient ainsi la part du lion des actifs publics les plus lucratifs.

    A l ‘époque, « Démocratie Ouvrière », le journal du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) en Russie, déclarait en première page: « La politique des bons est vol! ». Nous avions expliqué le processus qui avait commencé en Union Soviétique au temps où l’économie a commencé à stagner sous la gestion pitoyable – aveugle et faite de gaspillages – d’une bureaucratie forte de 20 millions de membres. Alors que Gorbatchev pataugeait à la fin des années ‘80 dans sa recherche d’une façon de maintenir les privilèges de cette caste parasitaire face à la stagnation, ses « reformes » avaient commencé à réveiller les mouvements de masse des mineurs et d’autres travailleurs.

    Cependant, les crimes de Staline, particulièrement la répression sanglante des véritables traditions d’Octobre 1917 vers la fin des années ‘20 et durant les années 30, ainsi que le train de vie luxueux des suzerains « communistes », ont mené les travailleurs des années ‘80 à regarder à l’ouest en quête d’alternative. Eltsine a exploité ce sentiment pour pousser en avant ses pions et réaliser ses objectifs.

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière a plaidé énergiquement pour une « révolution politique » capable de restaurer, après des décennies de totalitarisme, la démocratie ouvrière – pour fournir en fait l’oxygène nécessaire dans une économie d’Etat planifiée. Nous avons averti maintes et maintes fois que la restauration du capitalisme dans « l’Union Soviétique » ne mènerait pas les travailleurs à connaître les conditions de vie moyennes des Etats-Unis ou de la Suède, mais plutôt aux conditions de vie latino-américaines : chômage, hyper-inflation et dictature.

    Tragiquement, avec avec l’arrivée au pouvoir du « démocrate » Eltsine et l’effondrement de l’URSS à la fin de l’année 1991, les travailleurs de cette vaste région, qui souffraient depuis longtemps déjà, ont connu les trois ! La voix de ceux qui plaidaient pour une action indépendante de la classe ouvrière – contre Eltsine aussi bien que contre les généraux – était petite. Nous avons pris position contre l’ancien régime du parti unique et contre l’introduction du capitalisme par Eltsine. Nous nous sommes également opposés à l’interdiction de n’importe quel parti, excepté à caractère fasciste. Eltsine a proscrit le Parti « Communiste » – le parti des vieux dirigeants de l’URSS – mais était tout à fait disposé à permettre l’émergence d’une nouvelle version bien plus nationaliste et réellement pro-capitaliste.

    Hommages

    Parmi les hommages à Eltsine dans les premières heures qui ont suivi sa mort, celui du dirigeant du parti qu’il a interdit en 1991 était particulièrement aigre. Gennady Zyuganov du PCFR (Parti Communiste de la Fédération de Russie) a dit que par respect à son enseignement russe orthodoxe (!), il s’abstiendrait de beaucoup de commentaires si ce n’était un rappel de la tentative de destituer Eltsine à cause de l’amertume et des difficultés qu’il a causé à des millions de personnes. L’homme contre qui Eltsine avait envoyé ses tanks en 1993, Alexandre Rutskoi, parle de façon plus sucrée, en maintenant qu’on se rappellera de Eltsine pour avoir « donné la liberté aux gens » et avoir « établit la justice historique » !

    L’oligarque en exil en Grande-Bretagne Boris Berezovsky y est aussi allé de ses commentaires. Pour lui, la mort de Eltsine à 76 ans est une « tragédie épouvantable » ! Berezovsky était un membre dirigeant de la « famille » Eltsine et a notamment aidé à transférer le pouvoir à son successeur désigné, Vladimir Poutine (avec qui, ironiquement, il est entre-temps à couteaux tirés). Eltsine avait l’espoir que sa démission et sa succession fin du millénaire passé soit honorable. Mais la succession s’est immédiatement fait remarquée par le lancement par Poutine de la deuxième guerre de Tchétchènie afin de gagner les élections présidentielles et de réduire à zéro les quelques droits démocratiques qui avaient été octroyés sous la pression des mouvements de masse du début des années ’90.

    Des paroles sucrées des dirigeants occidentaux sur la mort de Boris Yeltsin sont aussi à prévoir. Les difficultés causées aux dizaines de millions de travailleurs et de pauvres de l’anciennne « Union Soviétique » par la « thérapie de choc » de l’ère Eltsine ne compte pour rien aux yeux de ceux qui voient surtout la victoire du capitalisme sur la planification d’Etat et la propriété publique.

    Nonante années sont passées depuis les héroïques batailles des ouvriers et des paysans pauvres en Russie contre la tyrannie des tsars et contre le capitalisme lui-même. Mais Boris Eltsine n’a pas réussi à enterrer les véritables idées du socialisme et du communisme. Au contraire, l’expérience amère des masses de la population sous ses lois et celles du « capitalisme sauvage » (cruel et chaotique) qui a continué après lui, apporte auprès de plus en plus de personnes dans l’ancienne « Union Soviétique » et ailleurs la compréhension de nécessité urgente de rétablir ces idées et de les mettre en application entièrement !

  • Venezuela, un an après le référendum. Quels dangers menacent la révolution maintenant?

    Il y a un peu plus d’un an, le 15 août, le référendum visant l’éjection du président vénézuélien Chavez fut un échec retentissent grâce à la mobilisation des masses vénézuéliennes, particulièrement dans les villes-ghetto, à travers les « unités de combat » électorales et d’autres organisations de la révolution « Bolivarienne ». Cette défaite a ouvert une nouvelle phase dans le processus révolutionnaire. Mais comme Christine Thomas l’explique : même si les forces de l’opposition ont été sévèrement affaiblies, la menace de la contre-révolution subsiste.

    Christine Thomas

    L’élection de Chavez en temps que président en 1998 a représenté un rejet massif de la part des pauvres, des travailleurs et de certaines parties de la classe moyenne de la politique néo-libérale vicieuse orchestrée par l’establishment corrompu de la « quatrième république ». Son populisme anti-impérialiste/anti-néolibéral a radicalisé les couches les plus pauvres de la société vénézuélienne. Ils ont vu en Chavez un leader politique qui les représentait et qui parlait pour eux, plutôt que ces riches oligarques qui dilapidaient les richesses pétrolières : les laissant sombrer plus profondément dans la pauvreté. Sa victoire a créé l’espoir que leurs besoins désespérés d’emplois décents, de soins de santé, d’enseignement et de logements trouveraient enfin une solution. La classe dirigeante vénézuélienne et l’impérialisme américain, de l’autre côté, craignent que les masses déchaînées et radicalisées puissent exiger des mesures plus radicales, se mettent en mouvement dans une direction qui menacerait leurs intérêts. L’impérialisme américain, en particulier, craint l’instabilité dans un pays qui lui fournit 15% de ses besoins en pétrole. Le référendum de l’an dernier était la troisième tentative majeure par la classe dirigeante vénézuélienne, soutenue par l’impérialisme américain, pour éjecter Chavez et écraser toute menace potentielle que le mouvement pourrait poser au Venezuela et partout ailleurs en Amérique latine. Mais toutes les tentatives contre-révolutionnaires (le putsch du 11 avril 2002, le lock-out patronal de deux mois, la tentative de sabotage économique à la fin de la même année et enfin le référendum) ont été bloquées par l’action de masse des pauvres et des travailleurs qui se sont d’avantage radicalisés et dont les espoirs se sont largement développés.

    Dans la période post-référendum, le rapport de force a temporairement glissé en faveur des masses. Les forces de l’opposition (l’élite financière, les partis politiques et leader syndicaux corrompus, l’église catholique, etc.) sont sorties de ces défaites divisées et démoralisées. Chavez, lui-même, a cherché initialement un arrangement avec l’opposition en leur demandant de travailler avec lui à la reconstruction du pays. Mais sous la pression des travailleurs et des pauvres, il s’est d’avantage radicalisé décrivant la révolution bolivarienne pour la première fois comme « socialiste », amorçant une réforme agraire et parachevant les premières nationalisations du régime. Au même moment, il a durci sa rhétorique anti-impérialiste, anti-US et ses actions dans la région.

    Ce tournant à gauche a alarmé la classe capitaliste vénézuélienne et l’impérialisme américain. Ils craignent que les masses, voyant leurs espoirs croître, puissent pousser Chavez dans une direction encore plus radicale, minant leur contrôle économique. Puisque jusqu’à présent, les timides tentatives du régime Chavez avaient laissé ce contrôle largement intact. L’administration américaine a récemment attaqué Chavez au vitriol en l’accusant de soutenir le terrorisme en Colombie et de fomenter des révoltes en Bolivie, en Equateur et partout en Amérique Latine. La secrétaire d’Etat américaine, Condoleeza Rice a décrit Chavez comme « une menace majeure pour la région entière ». Les relations économiques croissantes avec Cuba de Chavez, dans lesquelles le Venezuela fournit de l’essence à bas prix en retour de médecins cubains etc, ont effectivement brisé l’embargo américain de l’île, lançant une bouée de sauvetage économique tellement nécessaire depuis la chute de l’Union Soviétique qui était son principal appui économique. Chavez est également vu comme un obstacle dans la stratégie américaine qui vise à faire de la Colombie une base de défense des intérêts US en Amérique Latine. Plus important : Chavez a cherché des marchés internationaux alternatifs pour l’essence vénézuélienne, signant des contrats avec la Russie, la Chine, l’Iran autant que d’autres pays latino-américain. Il a menacé d’exercer des représailles contre n’importe quelle agression US en coupant l’approvisionnement en pétrole et au cours de la conférence internationale de la jeunesse à Caracas au mois d’août, il a déclaré que le marché nord américain n’était pas vital pour le Venezuela. Bien qu’une bonne partie de cette rhétorique soit anti-impérialiste, confrontée à une situation déjà instable en Irak et au Moyen-Orient, l’impérialisme américain veut s’assurer que son approvisionnement en pétrole du Venezuela n’est pas menacé. Mais la marge de manœuvre de l’impérialisme US est actuellement limitée. Une combinaison de la faiblesse de l’opposition et des revenus énormes du pétrole à la disposition de Chavez pour financer les réformes sociales profitables aux pauvres (sa principale base sociale) signifie que la situation entre les forces en présence est dans une impasse et que cette situation pourrait être maintenue pour un moment.

    Une invasion directe du Venezuela, comme en Irak, est hors de propos pour le moment. L’Irak a montré les limites de l’hégémonie américaine. Même si la capacité militaire américaine n’était pas déjà dépassée, une invasion du Venezuela serait extrêmement risquée, déclenchant une vague de résistance qui pourrait embraser l’ensemble des Amériques. L’impérialisme américain a donc été forcé à poursuivre dans une approche moins directe, reposant sur un travail dans l’opposition vénézuélienne et dans les forces réactionnaires en Colombie. En décembre de l’an dernier, les forces colombiennes en conjonction avec des sections des forces de sécurité vénézuéliennes sont intervenues directement au Venezuela pour kidnapper un leader de la guérilla FARC, donnant une indication claire de la manière dont ils pouvaient être utilisés pour créer la peur et l’instabilité à l’intérieur du pays. Il n’y a aucun doute sur le fait que certaines parties de l’administration américaine soutiennent l’appel du chrétien fondamentaliste de droite Pat Robertson à l’assassinat ou au kidnapping de Chavez pour amener un « changement de régime » au Venezuela (de telles actions ne peuvent être totalement écartées). Mais chaque mouvement réactionnaire a jusqu’ici donné une impulsion de gauche au processus révolutionnaire et chaque action prématurée pourrait pousser les masses dans une direction encore plus radicale.

    Les parties les plus sérieuses et réfléchies de l’opposition ont donc tiré la conclusion que, après avoir été vaincus à chaque étape par le soutien à Chavez dans la masse de pauvres radicalisés, pour le moment ils n’ont d’autre choix que d’apprendre à « coexister » avec lui. Avec l’équilibre actuel des forces, chaque étape ouvertement contre-révolutionnaire dans le court terme, après celles qui ont été déjà tentées, risque d’accroître la radicalisation du mouvement et de provoquer des mesures qui pourraient menacer d’avantage leur contrôle de l’économie et l’appareil d’état. « Nous devons mordre la poussière de la défaite », a dit le gouverneur de l’état de Zulia quelques jours après le référendum. « Les deux Venezuela doivent se réconcilier, le Venezuela ne peut continuer dans le conflit », a déclaré le patron de Fedecamaras (principale organisation patronale).

    En dépit de l’adoption d’un ton anti-Chavez moins strident, l’administration US semble poursuivre une stratégie à long terme d’épuisement du processus révolutionnaire et préparer un rapport de force qui leur serait plus favorable, avant de lancer des actions de plus grande ampleur contre Chavez.

    Mais malgré cela, sans un mouvement décisif de la classe ouvrière et des pauvres vers une cassure avec le capitalisme et d’établissement d’un état ouvrier démocratique, la contre-révolution réussira par un moyen ou un autre à se ré-affermir. Cela pourrait venir sous une forme extra-parlementaire, un futur putsch victorieux, comme c’est arrivé au Chili en 1973, ou une contre-révolution électorale « démocratique » comme au Nicaragua en 1990. Cette victoire sous n’importe quelle forme signifierait un désastre pour les masses vénézuéliennes. La classe ouvrière vénézuélienne et les pauvres sont confrontés à une tâche urgente, utiliser ce « temps de respiration » pour construire un parti révolutionnaire qui peut fournir un programme qui pousserait le gouvernement en avant et complèterait la révolution socialiste.

    Electoralement, les forces de l’opposition au Venezuela ont été complètement divisées entre une partie qui défendait l’abstention et l’autre qui contestait les élections. Où ils sont restés, ils ont subit défaites sur défaites. Après les élections d’octobre de l’an dernier, ils ne contrôlent plus que deux des 23 états que compte le pays et ont de plus perdu le contrôle de Caracas, la capitale. Aux élections locales et municipales, qui se sont tenues le 7 août de cette année, ils ont obtenu moins de 20% des sièges.

    Le principal quotidien vénézuélien, détenu par des opposants de droite qui ont soutenu unanimement les forces de la réaction à chaque étape, a publié des articles commémorant l’anniversaire du référendum. Ils se sont concentrés sur ce qu’ils considèrent comme le besoin désespéré pour l’opposition « démoralisée, désorientée, manquant de direction » (El Nacional) de s’unir pour fournir une alternative électorale crédible aux « chavistas ». Avec les élections parlementaires attendues pour la fin de l’année et les élections présidentielles en décembre 2006, l’opposition se prépare à de futures défaites électorales.

    Chavez lui-même caracole à 70% d’approbation dans les sondages (l’un des taux les plus hauts de sa présidence). Durant le festival international de la jeunesse, il a parlé confidentiellement de rester en politique jusqu’en 2030 ! Sa confiance a été boostée par les victoires électorales et par le prix élevé du pétrole sur le marché mondial. Le pétrole représente 85% des exportations vénézuéliennes, un quart du PIB et plus de la moitié des revenus du gouvernement. En 2004, les exportations de pétrole ont généré un revenu de 29$ milliards, pour 22$ milliards en 2001 et la somme semble fortement augmenter cette année. Cette énorme aubaine réalisée par le pétrole a permis à Chavez de maintenir et d’accroître les dépenses des « misiones », les programmes de réformes sociales de bien-être qui ont été démarrées en 2003 et largement orientées vers les plus pauvres. Les avantages de ces réformes sont clairement visibles dans les rues des zones les plus pauvres de Caracas. Une superbe nouvelle clinique ou un supermarché d’état Mercal (Mercado de Alimentacion) qui vend de la nourriture de base subsidiée qui se distinguent facilement des immeubles et des infrastructures en ruine des « barrios », les bidonvilles vérolés de pauvreté situés à deux pas de zones d’opulence comme Altamira où vit l’élite.

    Selon les chiffres du gouvernement, 300.000 Vénézuéliens ont surmonté l’analphabétisme (9% des plus de dix ans), deux millions vont à l’école primaire, secondaire et supérieure, et 17 millions ont maintenant accès aux soins de santé de première nécessité grâce aux « misiones ».

    Malgré ces améliorations sociales visibles, une pauvreté noire pourrit encore la vie de millions de Vénézuéliens. 60% des ménages étaient pauvres en 2004, pour 54% en 1999. Même si l’état contrôle les prix de la nourriture de base, l’inflation grimpe à 15-20% et qu’un Vénézuélien sur deux ne dispose pas d’un logement adéquat. Selon un sondage d’opinion récent, le chômage est le problème principal dans la société. Il y a eu des améliorations dans les boulots, à travers des initiatives comme « Vuelvan Caras » , le plan d’état de création d’emplois, principalement dans les coopératives et dans les petites entreprises. Mais 14% de la population reste toujours sans emploi et des millions de personnes sont toujours confrontées à l’insécurité et à l’exploitation dans le secteur informel (comme les vendeurs de rue, les chauffeurs de taxi, etc.).

    Si cela est la situation de la majorité des travailleurs et des pauvres au Venezuela alors que le prix du pétrole est à un niveau si élevé, il est clair que les espoirs des masses ne pourront se concrétiser dans le cadre du capitalisme. Le magazine britannique de droite The Economist résume clairement la situation lorsqu’il écrit : « quand les revenus du pétrole chuteront, tombera dans un enfer de récession et d’inflation »(25 août 2005).

    C’est ce qui est arrivé au Nicaragua. Après la révolution de 1979 qui avait éjecté le dictateur détesté Somoza, les Sandinistes avaient le contrôle de l’appareil d’état. Ils ont nationalisé jusqu’à 40% de l’économie, mais le reste est resté dans les mains de la classe capitaliste qui a utilisé son contrôle économique pour saboter l’économie. Combiné avec la guerre des contras, subventionnée par l’impérialisme US, l’économie plongea dans une crise avec une inflation qui explosa jusqu’à 3600% et un niveau de vie qui périclita de 90% !

    A cause de la démoralisation des masses due à la crise économique, la droite vainquit les Sandinistes aux élections présidentielles de 1990 et poursuivit depuis lors une politique néo-libérale vicieuse à l’encontre des travailleurs et des pauvres nicaraguayens. Si la classe ouvrière au Venezuela n’exproprie pas les monopoles restés dans les mains des capitaliste vénézuéliens et étrangers, si elle n’applique pas une planification de la production sous contrôle démocratique, la crise économique et l’incapacité à satisfaire les besoins des masses mèneront à la démoralisation et à la démobilisation du mouvement, balisant la route pour une victoire de la réaction. Cela serait alors utilisé pour ouvrir une nouvelle ère de répression brutale, en vue de recouvrir un contrôle total de l’économie et de l’état, avec bien sûr une atomisation des organisations et des droits de la classe ouvrière.

    Le haut taux d’abstention (70%) dans les élections locales et régionales du mois d’août représente un avertissement pour le futur. Il est vrai qu’historiquement le taux de participation aux élections locales vues comme en dehors des préoccupations de la plupart des Vénézuéliens a toujours été bas. Une partie de l’opposition appelait également les gens à ne pas voter. Malgré cela, le niveau d’abstention dans les zones pro-Chavez était très élevé alors qu’il avait lui-même souligné l’importance, pour ses partisans, de se mobiliser en masse. Bien que le taux de participation soit susceptible d’être beaucoup plus haut dans des élections parlementaires et présidentielles, des signes de mécontentement commencent à arriver à l’encontre des troupes du mouvement bolivarien. Des activistes étaient mécontents du remplacement bureaucratique de candidats de base par des candidats inconnus des gens des communautés locales. Lors des élections d’octobre de l’an dernier pour le mayorat et le gouvernement d’état, des candidats dissidents se sont présentés contre les candidats officiellement chavistes. Dans les élections locales, des partis pro-Chavez perçus comme plus « radicaux » comme le Parti Communiste Vénézuélien et le mouvement Tupamaros ont augmenté leur nombre de votes dans certaines régions. Le mécontentement, où il existe, ne vise pas principalement Chavez, qui bénéficie encore d’une autorité et d’un soutient immense dans les masses, mais plutôt la bureaucratie qui l’entoure, perçue comme une cassure avec les réformes radicales que ce soit à travers l’inefficacité, la corruption ou le sabotage conscient. Une femme qui protestait contre les actions d’un leader dans l’état de Anzoategui a résumé le sentiment d’une couche d’activistes lorsqu’elle a dit : « Président, ouvrez les yeux… beaucoup de ceux à vos côtés sont en train de vous décevoir. Ecoutez la voix du peuple »(El Nacional).

    La direction du mouvement bolivarien est extrêmement hétérogène. Pour parler franchement, une aile est plus en contact avec les masses et reflète l’atmosphère qui y règne, il y a donc une pression pour qu’elle continue les réformes radicales. L’autre aile, réformiste et pro-capitaliste, dont certains membres ont des contacts avec les forces de l’opposition, essaye à chaque étape de retenir le mouvement et de l’empêcher d’aller dans une direction plus radicale. Ces divisions se sont aiguisées depuis la défaite du référendum. Chavez lui-même a balancé entre ces différentes forces de la société. Sa prise de position la plus récente à « gauche » a été une réponse à la demande d’actions plus radicales de la part des masses. Il a signé un décret nationalisant VENEPAL (l’entreprise de papier en faillite), par exemple, après que les travailleurs aient lancé une lutte déterminée en conjonction avec la communauté locale en occupant l’usine et en demandant sa nationalisation. Depuis janvier, Chavez a qualifié la révolution bolivarienne de socialiste, ceci représentant un développement significatif. La question du socialisme commence à s’ancrer dans la conscience d’une partie des étudiants, des travailleurs et des pauvres. Dans un récent sondage organisé par l’ « Instituto Venezolano de Analisis de Datos », 47,8 % des personnes interrogées déclaraient qu’elles préfèreraient un gouvernement socialiste alors que seulement 22,7% opteraient pour un gouvernement capitaliste.

    Mais Chavez n’a pas une idée claire sur ce qu’ il veut dire par socialisme ni sur la manière d’y arriver. Il parle vaguement de « socialisme au 21ème siècle » qui serait un ‘nouveau type’ de socialisme et il a aussi appelé à son peuple à se débarrasser des vieux préjugés concernant la signification du socialisme. On pourrait interpréter cela comme un rejet du stalinisme. Mais en même temps, Chavez est en train de renforcer ses liens économiques et diplomatiques avec Fidel Castro à Cuba. Il complimente le merveilleux service de santé cubain, dont beaucoup de vénézuéliens sont en train de profiter grâce aux docteurs cubains travaillant au Venezuela, grâce à la formation de docteurs vénézuéliens et aux patients qui sont envoyés à Cuba pour des opérations. Mais en fait Chavez n’est pas critique du tout sur la nature bureaucratique du régime cubain et sur l’absence de véritable démocratie ouvrière.

    Chavez pourrait-il devenir un « second Castro » comme le craingnent une partie de la classe dirigeante vénézuélienne et l’impérialisme américain ? Théoriquement une telle perspective ne pourrait pas être complètement exclue. Arrivé au pouvoir en 1959, Castro n’a pas décidé consciemment de nationaliser l’économie cubaine mais il a pris cette direction en réaction au blocus US et à la pression des masses cubaines. Mais vu que la classe ouvrière n’était pas consciemment à la tête de la révolution, le résultat fut la création d’un état ouvrier déformé, où le capitalisme et le féodalisme ont été éliminés mais où la société était toujours contrôlée du sommet vers le bas par une caste bureaucratique. Le contexte international actuel, après la chute de l’ Union Soviétique, est très différent du temps de la révolution cubaine quand Cuba était soutenu matériellement par la bureaucratie soviétique et ce pour des raisons stratégiques. Quoiqu’il en soit, il n’est pas inconcevable que les masses du Venezuela puissent spontanément prendre possession des usines et de la terre, forçant ainsi Chavez à nationaliser de larges pans de l’économie. Mais un tel régime serait extrêmement instable.

    La révolution serait très certainement vaincue à un certain moment par les forces de la réaction sauf si la classe ouvrière est consciente du rôle qu’elle a à jouer, non seulement en expropriant la classe capitaliste, mais aussi en formant des comités élus démocratiquement qui pourraient faire tourner l’industrie, mettre en place un plan démocratique de production et créer les bases pour un Etat ouvrier dont le programme serait capable d’élargir la révolution à l’Amérique latine et internationalement. C’est pourquoi la lutte pour une véritable ‘politique étrangère’ internationale de la classe ouvrière est si importante aujourd’hui ; soutenant, par exemple, des liens économiques avec Cuba mais utilisant cela pour encourager une réelle démocratie ouvrière au sein du pays et pour étendre la révolution internationalement comme le seul réel moyen de défendre ces acquis qui ont déjà été obtenus.

    La réaction de Chavez à de futurs évènements aura bien sûr un gros impact sur la façon dont les développements se déroulent, particulièrement dans une situation de ralentissement économique. Pour le moment il est en train de répondre d’une façon limitée à la radicalisation des masses et il pourrait aller plus loin dans cette direction. Malheureusement, il y a de nombreux exemples de dirigeants honnêtes qui malgré leur bonnes intentions, une fois confrontés avec la ‘logique’ du marché capitaliste qui se sont mis à réprimer les ‘demandes excessives’ des travailleurs.

    Dans une situation où d’autres options sont trop risquées, une partie de la classe capitaliste du Venezuela s’appuie sur le mouvement de l’aile pro-capitaliste pour freiner les réformes radicales et pour être potentiellement capable de reprendre les acquis de la classe ouvrière et des masses pauvres. Ils préparent ainsi la voie pour une défaite du processus révolutionnaire et pour la victoire de la contre-révolution.

    Il est vrai qu’ils n’ont pas la même autorité au sein de la classe ouvrière et des masses pauvres qu’avaient les sandinistes au Nicaragua après la révolution de 1979 ou qu’avaient les partis socialistes et communistes au Portugal en ’75. Quoiqu’il en soit, si la classe ouvrière n’achève pas complètement la révolution au Venezuela et que la démoralisation s’installe, cette aile pourrait jouer un rôle important en freinant le mouvement et posant les bases pour le triomphe de la réaction capitaliste. Leur façon de définir le socialisme est relativement claire – une économie « mixte » où quelques compagnies d’états et coopératives existent mais dans laquelle les leviers économiques principaux restent dans les mains de la classe capitaliste du Venezuela et étrangère. Chavez parlait récemment d’enquêter sur l’éventuelle expropriation de 136 à1149 entreprises. Mais en réalité toutes ses compagnies étaient en faillite, fermées ou en passe de le devenir. Le ministre de l’industrie a éclairci cette position en déclarant que la nationalisation ne prendrait place que dans des « cas extrêmes », qu’il n’y aurait pas de « vagues d’expropriations » et que les firmes capitalistes ainsi que la « production sociale » pouvaient coexister. De même, la redistribution de 13 000 hectares de terres appartenant au Lord Vesty marquait un pas en avant dans la réforme agraire alors qu’auparavant, seule la terre appartenant à l’Etat avait été redistribuée aux pauvres des campagnes. Mais à ce stade, le gouvernement n’envisage de distribuer que de la « terre non fertile ».

    Quoiqu’il en soit, 158 paysans ont été tués depuis 2000 quand la loi sur la terre a été votée, démontrant que même face à des réformes limitées, les grands propriétaires terriens résisteront brutalement, aidés dans certains cas par les paramilitaires de droite Colombiens.

    Utilisant un langage révolutionnaire, les coopératives sont présentées comme l’embryon de la société socialiste. 79000 coopératives ont été créées les 6 dernières années, majoritairement dans le secteur des services et de l’agriculture. Elles ont eu un certain effet dans la réduction du chômage, qui ne pourra être que temporaire. Ces coopératives sont toujours complètement dans le marché capitaliste avec des compagnies privées et seront dévastées par la crise économique. Beaucoup de ces coopératives en réalité fonctionnent comme des compagnies privées, exploitant la force de travail et dénigrant les droits des travailleurs. Il y a de nombreux exemples d’employeurs privés qui « déguisent » leur entreprise en coopérative afin de recevoir des subsides de l’Etat. En même temps, Chavez encourage « le co-management » des industries d’Etat ainsi que des industries privées. « Ceci est la révolution. Ceci est le socialisme », voilà ce qu’il déclara récemment quand il fit crédit à des taux d’intérêt bas à des patrons de petites entreprises privées qui acceptaient d’introduire des représentant des travailleurs dans les conseils d’administration de leur compagnie.

    Une fois de plus, le ministre de l’industrie utilise clairement cette cogestion, ou participation ouvrière, comme une collaboration de classes pour tromper les travailleurs, augmenter l’exploitation et booster les profits de la classe capitaliste, comme cela a été fait dans des pays comme l’Allemagne. Il déclara : « Il y a une interprétation faussée de ce que signifie la cogestion ». « L’idée est de faire participer les travailleurs à la gestion de l’entreprise, non pas de leur en laisser le contrôle, mais plutôt d’aider à éviter des tensions et des contradictions inutiles. » (El Nacional).

    Chavez, ne voulant pas se confronter à l’économie capitaliste et au pouvoir d’Etat, met en application des contrôles partiels et essaie d’éviter les structures économiques existantes et l’appareil d’Etat. Donc par exemple, en plus des coopératives, il a créé une compagnie aérienne d’Etat, une compagnie de téléphone d’Etat, une station télé d’Etat, et des supermarchés d’Etat vendant des produits basiques jusqu’à 30 % moins chers que dans le secteur privé. Tout ça avec l’intention de rivaliser avec les monopoles privés.

    Ces mesures partielles comme les contrôles des prix sur les aliments de base et les contrôles sur les échanges, servent à rendre la bourgeoisie furieuse, et à augmenter leur détermination à éviter les futurs empiètements sur leur pouvoir économique et sur l’état.

    En même temps, en laissant les grandes entreprises monopolistiques, les banques et les institutions financières, les journaux, etc… dans les mains du privé, il est impossible de planifier démocratiquement l’économie afin d’assouvir les besoins des masses. De plus, la classe dirigeante reste capable de saboter l’économie et de miner le mouvement. Il y a eu une certaine réorganisation du personnel au sommet de l’armée, de la justice, du collège électoral et d’autres institutions d’Etat, mais , sans des élections et le droit de révocation de tous ceux qui ont une position dans l’appareil d’Etat, ainsi que l’existence d’un parti socialiste de masse contrôlant constamment l’Etat, de nouveaux points de soutien à la réaction capitaliste peuvent être générés, même au sein de ceux qui soutiennent Chavez aujourd’hui.

    La classe capitaliste fera clairement tout ce qu’elle peut pour abattre toutes les mesures qui ont été introduites à la demande des masses. Ils utilisent les médias et font pression sur l’aile pro-capitaliste du gouvernement de Chavez pour poursuivre des politiques sociales et économiques plus « réalistes », afin de conquérir les 4 millions de personnes qui ont voté contre Chavez lors du référendum pour sa révocation et afin de ne pas effrayer les investisseurs étrangers. Chavez a lui même encouragé des joint ventures entre du capital étranger et la compagnie pétrolière d’Etat PDVSA. En fait, les multinationales comptent déjà pour plus ou moins 50 % de la production pétrolière au Venezuela, pendant que la production de la PDVSA a, elle, diminué de moitié depuis l’ élection de Chavez, en ’98. Il est vrai que même un Etat ouvrier sain pourrait être forcé de signer des accords économiques et de commerce avec des pays capitalistes ou des compagnies étrangères si la propagation de la révolution internationale était temporairement retardée. Mais cela serait fait sur base d’un plan démocratique de production, d’un monopole d’Etat des exportations et d’une politique consciente d’élargissement de la révolution en appelant la classe ouvrière internationalement.

    Maintenant, en partant d’une politique de préservation du capitalisme, des accords sur des investissements étrangers et sur les commerces seront utilisés pour miner et faire dérailler la révolution. Il y eut un nouvel avertissement quand Chavez a récemment accepté un accord commercial de vente d’armes avec le gouvernement espagnol, le ministre des affaires étrangères de celui-ci, défendant l’accord en réponse aux critiques US en expliquant « le rôle que l’Espagne pourrait jouer au Venezuela pour la satisfaction de Washington, en mettant un frein aux rêves de Chavez d’étendre sa révolution bolivarienne à d’autres pays dans la région » (El Pais, 9 Mai).

    La classe ouvrière, du fait de son rôle dans le processus de production et de son pouvoir collectif potentiel, est la clef capable de mener à bien la révolution socialiste au Venezuela et de vaincre les forces de la réaction. Mais, bien que la classe ouvrière ait été impliquée dans le mouvement de masse dans les moments les plus cruciaux, elle n’a été qu’un élément parmi d’autres. La classe ouvrière n’a pas été consciente de son propre pouvoir ou de la responsabilité qu’elle a de diriger les masses pour transformer la société. A différents moments, Chavez a encouragé la participation des masses mais cela avec des limites strictes. Et sans un programme clair pour faire avancer le processus révolutionnaire, le mouvement risque de stagner et de se démobiliser. Chavez n’a pas encouragé, en particulier, l’indépendance d’action des travailleurs. Pendant, par exemple, une récente grève des travailleurs du métro de Caracas, un conseiller de Chavez a demandé que les grèves soient interdites dans le secteur public et Chavez lui même a menacé d’envoyer la garde nationale contre les grévistes. La tâche principale d’un parti révolutionnaire au Venezuela n’est pas de conseiller Chavez sur la façon de diriger la révolution mais de renforcer et d’étendre les organisations de la classe ouvrière ainsi que de mettre en avant des revendications qui augmenteront la confiance des travailleurs dans leur capacité à changer la société ainsi qu’en augmentant leur compréhension de ce qui est nécessaire à chaque étape d’un processus révolutionnaire. Cela devrait inclure une explication sur la façon dont la classe dirigeante utilisera la cogestion pour défendre ses propres intérêts et sur la nécessité de construire et de renforcer les comités de travailleurs qui seuls pourraient être capables de mettre en application un contrôle réel et une gestion ouvrière des lieux de travail comme un pas en avant vers une planification démocratique de toute l’économie. Des éléments de contrôle ouvrier existent déjà sur certains lieux de travail. Dans la compagnie d’Etat de production d’aluminium ALCASA, par exemple, les travailleurs élisent ceux qui gèrent l’entreprise, ceux-ci ne reçoivent que l’équivalent de leur salaire précédent (comme ouvrier) et peuvent être révoqués. Un récent meeting national des travailleurs, convoqué pour discuter de la cogestion et du contrôle ouvrier a accepté : « d’inclure dans les propositions pour une cogestion révolutionnaire que la compagnie doit être la propriété de l’Etat, sans distribution des actions aux travailleurs, et que chaque profit doit être réparti selon les besoins de la société à travers des conseils de planification socialiste. Ces conseils de planification socialiste doivent être compris comme les organes qui mettent en application les décisions des citoyens réunis en assemblée ». Un véritable programme socialiste révolutionnaire devrait appeler à une démocratisation des organisations de la révolution bolivarienne, à la formation et à l’extension de comités d’entreprises démocratiques et de lier ceux-ci aux comités élus dans les quartiers, dans les forces armées, et ce au niveau local et national.

    En plus de tout ça, des forces de défense ouvrière doivent être formées pour défendre le mouvement contre la réaction. Chavez a reconnu la nécessité de défendre la révolution contre l’agression impérialiste et il a doublé les réserves de l’armée, mis sur pied « des unités de défense populaire » sur les lieux de travail et dans les campagnes. Mais tout cela sera sous son propre commandement et non sous le contrôle démocratique des organisations de la classe ouvrière et des masses pauvres. La solidarité des travailleurs dans le reste de l’Amérique latine et internationalement est aussi un moyen vital de défense. De son point de vue, Chavez est un internationaliste. En imitant son héros, Simon Bolivar, il se voit lui même comme le dirigeant de l’alliance anti-impérialiste en Amérique latine et il utilise le pétrole et les revenus du pétrole pour promouvoir ses objectifs. On voit de récentes initiatives comme par exemple le lancement de Télésur, une compagnie de télé continentale, ainsi que Pétrosur et Pétrocaribe, qui sont des accords avec différents pays d’Amérique Latine et des Caraïbes autour de l’exportation, de l’exploitation et du raffinage du pétrole. Il a aussi utilisé l’argent du pétrole pour racheter la dette de l’Argentine et de l’Equateur en « solidarité » contre les marchés financiers internationaux. Mais Chavez s’est orienté principalement en direction de dirigeants qui appliquent une politique néo-libérale, plutôt que d’en appeler à la classe ouvrières et aux masses pauvres. Le président brésilien Lula, par exemple, a appliqué des politiques d’attaques contre la classe ouvrière et son parti est mêlé à un sérieux scandale de corruption.

    De plus, durant une récente visite, Chavez a félicité Lula et a interprété ce scandale de corruption comme une « conspiration de droite ».

    Chavez est accusé par l’impérialisme d’exporter la révolution à d’autres pays d’Amérique Latine. Mais quand des travailleurs du secteur pétrolier sont partis en grève dans deux Etats d’Amazonie en Equateur en août dernier, demandant que plus de ressources soient investies dans les communautés locales et qu’une compagnie pétrolière US soit virée du pays, Chavez a effectivement joué le rôle de casser la grève, prêtant du pétrole au gouvernement équatorien pour compenser la « perturbation » que les grévistes ont entraînés sur les réserves. En opposition à tout cela, après le passage de l’ouragan Katrina, on a perçu comment une véritable politique internationale de solidarité parmi la classe ouvrière pourrait être menée. Comme Chavez, un gouvernement ouvrier démocratique aurait immédiatement offert de l’aide tout en exposant comment le capitalisme place les profits avant les vies des plus pauvres dans la société, et comment l’impérialisme US est totalement incapable de répondre aux besoins des travailleurs américains en temps de crise ainsi que dans des temps « d’accalmie ». En même temps, il aurait créé des liens avec la classe ouvrière et les organisations des communautés aux Etats Unis pour promouvoir le contrôle démocratique de la distribution de l’aide dans les régions affectées, renforçant ainsi la confiance et la conscience de la classe ouvrière américaine.

    L’Amérique Latine est un continent en révolte. La victoire d’une révolution socialiste démocratique au Venezuela aurait un impact électrique sur la classe ouvrière et sur les masses pauvres de la région et cela aux Etats-Unis même. La classe ouvrière vénézuélienne est maintenant face au défi de construire et de renforcer leurs organisations, ceci incluant la création d’un parti révolutionnaire de masse avec un programme qui sera capable d’assurer la victoire de la révolution dans sa lutte contre la contre-révolution.

  • Ouzbékistan. L’armée massacre des centaines de manifestants

    Ouzbékistan

    La dictature de Karimov, soutenue par les USA, se déchaîne dans un bain de sang. A la mi-mai, au moins 700 personnes ont été brutalement massacrées par les troupes gouvernementales en Ouzbekistan. Il est difficile d’avoir des informations précises, l’Ouzbekistan étant l’un des Etats les plus dictatoriaux au monde, et ce même avant ce massacre. Les transmissions télévisées locales ou étrangères y sont dorénavant bloquées.

    Rob Jones

    Les troubles ont débuté quand un groupe de protestataires armés a décidé de prendre d’assaut la prison d’Andijan après avoir demandé sans succès la libération de centaines de prisonniers. Ceux-ci, libérés, allèrent manifester devant l’hôtel de ville. L’armée ouvrit alors le feu, tuant par centaine à Andijan, et répéta le massacre dans d’autres villes, au fur et à mesure que les manifestations s’étendaient.

    Le président ouzbek, Karimov, a déclaré qu’il s’agissait d’un soulèvement organisé par des fondamentalistes islamistes. Cela fait des années qu’il utilise la peur d’une croissance des fondamentalistes dans la région, en particulier dans la région de la vallée de Ferganna, comme justification de la répression de toute forme d’opposition à ses lois dictatoriales. Ce n’est pas surprenant que dans unedes nations les plus pauvres au monde, la patience des masses se transforme en colère et aboutisse à des actions de grande ampleur. Les dernières que les rues ont vues se sont tragiquement terminées dans un bain de sang. Les travailleurs et les pauvres d’Ouzbekistan ont désespérément besoin d’organisations de masse capables de s’ opposer à Karimov et de lutter pour des droits démocratiques et un changement radical du système.

    Les premiers rapports indiquaient que les manifestants demandaient à la Russie d’être un intermédiaire dans les négociations. Le ministre russe des affaires étrangères a rapidement exprimé son souhait de voir le conflit se régler par n’importe quel moyen, tout en qualifiant le régime Ouzbek de « doux ».

    L’Angleterre et les USA quant à eux, portent une bonne part de responsabilité pour ce qui c’est passé. Karimov est allié des Etats-Unis, membre de la “coalition” partie mener la guerre en Irak et de la « guerre au terrorisme ». Londres et Washing-ton ont ainsi ignoré ses méthodes dictatoriales. Le gouvernement de Blair a même récemment révoqué Craig Murray, ambassadeur britannique à Tachkent, pour avoir émis des critiques trop franches à l’encontre de Karimov. Murray explique que les puissances occidentales acceptent ces méthodes répressives car Karimov a autorisé les USA d’ établir une base aérienne, et les ressources en énergie dans le pays intéressent également ces puissances. Les Etats-Unis demandent simplement aujourd’hui que les deux parties règlent leurs problèmes « pacifiquement ».

    Il est vrai que les fondamentalistes islamistes construisent une base dans la région, et beaucoup de ceux trouvés dans l’Afghanistan voisin étaient Ouzbeks. Même avant la chute de l’Union Soviétique, la vallée de Ferganna, la région la plus densément peuplée de l’Asie centrale, était un refuge pour beaucoup de fondamentalistes. Mais c’est l’extrême pauvreté de la région résultant de la restauration du capitalisme, ainsi que les méthodes répressives, qui ont causé le désespoir qui mène autant de gens à soutenir les fondamentalistes.

    D’autre part, plusieurs rapports font état d’un soutien secret aux fondamentalistes provenant d’une partie de la clique dirigeante du pays. Pensant que tôt ou tard, Karimov sera renversé par une version ouzbèke de la “révolution qui a eu lieu dans la Kirghizie voisine”, ils se préparent ainsi à être du côté des vainqueurs.

    Pour l’instant, il est inévitable que jusqu’à ce qu’une force capable de mener la lutte pour la libération générale de cette région du capitalisme émerge, il y aura encore des heurts et une répression brutale.

  • Les derniers acquis de la Révolution d’Octobre attaqués en Russie

    C’était en janvier-février de cette année, à Saint-Pétersbourg et ailleurs en Russie; des dizaines de milliers de personnes étaient descendues dans les rues, bloquant voies ferrées, autoroutes,… Tout en réclamant la démission de Vladimir Poutine. Pour la première fois depuis son accession au pouvoir en 1999, les sondages faisaient apparaître une majorité de russes le contestant.

    Nicolas Croes

    En cause, ce que l’on appelle la " monétarisation " des allocations. Les pensionnés bénéficiaient jusqu’alors de 50% de réduction pour leurs loyers et des transports en commun gratuits, avantages dont bénéficiaient également plusieurs secteurs de l’Etat. Tout cela fut supprimé et remplacé par une compensation financière ridicule. Les mobilisations qui suivirent furent les plus massives de l’ère Poutine, et prirent un tournant particulier, car ces attaques visaient les derniers acquis sociaux issus de la période soviétique, et se déroulaient très exactement un siècle après la révolution avortée de 1905. Ce n’était pas seulement Poutine qui était décrié, mais également le régime, et, de plus en plus, le capitalisme en lui-même.

    Différentes études parues lors des élections présidentielles de 2004 notamment avaient déjà permis de démontrer que l’offensive extrêmement violente menée à l’encontre du passé soviétique de la Russie n’avait pas abouti aux résultats attendus. Malgré le flot ininterrompu depuis 1991 d’articles, d’analyses d’archives, de livres ou d’émissions télévisées ou radio dénonçant le "communisme" et promouvant les "valeurs marchandes démocratiques", 57% des Russes veulent revenir au régime soviétique, même dégénéré et bureaucratisé comme il l’était.

    Quinze années après la chute de l’Union Soviétique, 45% de la population considèrent encore ce système comme meilleur que l’actuel, et 43% veulent une "révolution bolchévique". Quant à l’opinion des russes concernant les privatisations, 80% les définissent comme criminelles… Il faut toutefois nuancer cela, les jeunes n’ayant pas ou peu connu l’URSS sont de loin plus perméables à la propagande du Kremlin actuel.

    Les raisons d’un tel sentiment, malgré l’absence de démocratie ouvrière que connaissait l’URSS depuis le milieu des années vingt? C’est qu’à côté de la bureaucratisation de la société sortie de la révolution d’octobre subsistaient encore des acquis de cette révolution. Mais ceux-ci n’étaient plus que l’ombre de ce qui fut décidé à l’origine. On trouve à ce sujet d’intéressantes données dans le livre de Boukharine et Préobrajensky L’ABC du Communisme, publié en 1919. Ainsi, il était interdit d’utiliser le travail des mineurs âgés de moins de 16 ans, alors qu’ils étaient encore envoyés dans les mines en Belgique. Ceux-ci étaient graduellement retirés du travail et, tout en assurant leur vie matérielle, placés dans des écoles. Les femmes enceintes, ou ayant accouché, recevaient une allocation spéciale égale à leurs appointements, pour tout le temps de leur inactivité, ainsi qu’un subside supplémentaire pour les soins à apporter à l’enfant. De plus, les journées de travail étaient fixées à un maximum de 8 heures, moins pour les travaux plus pénibles, qui étaient par ailleurs interdit pour les adolescents et les femmes.

    Il existe une multitude d’exemples, comme l’assurance en cas d’accident, qui permettait d’indemniser toute la famille,… Les malheurs que connurent les travailleurs russes à ce moment n’étaient pas dus à de mauvaises lois, mais à une grande insuffisance découlant du blocus décrété par les puissances impérialistes et de la guerre civile.

    Tout cela peut se réduire au fait que la priorité n’était pas de faire du profit. Il y eut durant les premières heures du régime soviétique un réel accent sur le bien-être des travailleurs, et ce en dépit de l’isolement, de la guerre et de la famine. Non pas secondairement et dans le seul but de justifier le pouvoir accaparé par la bureaucratie comme ce fut le cas sous Staline et ensuite, mais tout simplement parce que là est le seul objectif du socialisme.

  • 120e anniversaire de la fondation du POB. Leur socialisme et le nôtre

    120e anniversaire de la fondation du POB

    Pour le centenaire de sa création, le slogan mis en avant par le PS était "100 ans de socialisme". 20 ans plus tard, les dirigeants du PS ne jugent plus utile de faire référence au socialisme, et parlent de "120 ans de progrès social"… Cela pourrait être vu comme la parfaite confirmation de la thèse selon laquelle il fut un temps où les intérêts de la classe ouvrière étaient réellement défendus par la social-démocratie. Rien n’est pourtant moins certain.

    Nicolas Croes

    La création d’un parti ouvrier était un pas en avant, mais la direction sociale-démocrate fut d’emblée gênée par la référence au socialisme. On préféra dès lors parler de Parti Ouvrier Belge, "ouvrier" étant moins contraignant que le terme de "socialiste", qui, beaucoup plus qu’aujourd’hui, faisait directement référence à un changement radical de la société: d’un système de production géré pour et par une infime minorité d’exploiteurs vers une gestion collective des moyens de production dans l’intérêt de tous.

    Fossé entre le programme minimum et l’objectif du socialisme

    Le choix du nom reflète d’ailleurs bien l’orientation suivie par la social-démocratie. Le congrès de fondation du POB fut un rassemblement de groupes hétéroclites, et il n’y eut aucune confrontation programmatique, les différentes revendications avancées furent donc extrêmement basiques. Le futur Parti Socialiste se développa uniquement autour de projets compatibles avec la "démocratie" bour-geoise, tels que le suffrage universel et la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Et de fait, il n’y eut jamais vraiment de réflexions sur la future société socialiste, même si tout un tas de problème se voyaient relégués à cet avenir dont les dirigeants ne voulaient pas parler. Les travailleuses, par exemple, n’eurent pendant longtemps comme unique réponse à leurs problèmes que l’assurance que l’émancipation des femmes se ferait naturellement sous le socialisme. Quant à savoir comment et que faire en attendant…

    De plus, le mouvement ouvrier ne fut jamais vu par la direction du POB comme autre chose qu’un outil qu’il fallait contrôler. Jamais il ne fut question de donner un appui à la légitime révolte des travailleurs, et lorsqu’un an à peine après sa fondation éclatèrent les grèves spontanées de 1886, le POB déclara qu’elles étaient "prématurées" et qu’il ne fallait pas les supporter.

    Mais le parti se renforça, étant à l’époque la seule organisation politique ouvrière en Belgique, et son discours prôna de plus en plus clairement l’entrée au gouverne-ment, l’entente avec les libéraux, et en définitive l’hostilité envers la lutte des classes.

    Soutien du POB à la guerre impérialiste

    Arriva alors la première guerre mondiale. Tout naturellement, à l’instar de la quasi-totalité de ses organisations sœurs à l’étranger, la social-démocratie belge se rangea derrière sa bourgeoisie nationale. Au nom du patriotisme, le POB entra dans un gouvernement bourgeois (avec catholiques et libéraux) et appela les ouvriers belges à tirer sur leurs frères allemands. Pourtant, quelques mois plus tôt, promesse avait été faite d’éviter à tout prix une guerre qui ne servait que les intérêts des capitalistes. Mais que valent l’internationalisme et la solidarité face à cette entrée au gouvernement tant désirée et au nom de laquelle toute la politique sociale-démocrate avait été subordonnée…

    A tel point d’ailleurs qu’Emile Vandervelde, futur président du POB, se rendit en Russie en 1917 afin d’exhorter les soldats russes à bout de souffle à continuer le combat plutôt que de penser à la révolution socialiste. Il dut pourtant les remercier d’avoir accordé à ses paroles leur juste valeur, car c’est avant tout grâce à la révolution russe et à la vague révolutionnaire qui déferla ensuite en Europe que le suffrage universel fut appliqué en Belgique. Suffrage universel qui profita au POB, mais fut utilisé par la bourgeoisie pour évacuer la pression née de l’émancipation des travailleurs russes. Les capitalistes avaient grand peur d’une classe ouvrière en mouvement. Même si le Parti Ouvrier Belge pouvait être dépassé par sa base, ses dirigeants étaient fort utiles pour canaliser et annihiler la colère ouvrière. Il faut dire que les ouvriers commençaient à sympathiser avec les soldats allemands, et défilaient ensemble, le drapeau rouge remplaçant ceux du capitalisme allemand ou belge.

    Participation à des gouvernements bourgeois

    Les succès électoraux qui suivirent le suffrage universel amenèrent la social-démocratie à participer frénétiquement aux différents cabinets ministériels, même si presque aucun espace n’existait pour des réformes. Réfractaire à toute offensive de la classe ouvrière, le POB fut totalement désarmé quand survint la crise des années trente, quand la bourgeoisie jugea qu’elle ne pouvait plus se permettre de "faire joujoux". Revenu dans l’opposition, le parti se redynamisa quelque peu, et Henri de Man présenta en 1933 son célèbre Plan du Travail. Celui-ci visait à renforcer le rôle de l’Etat bourgeois dans l’économie la nationalisation de banques et d’industries, et prévoyait également une réduction du temps de travail et une augmentation des salaires. Ce plan n’était qu’un aménagement du capitalisme, mais il souleva un véritable enthousiasme et des mobilisations massives. Elles permirent au POB de revenir aux affaires en 1935, à l’intérieur d’un cabinet de coalition avec les catholiques. Prisonnier de ses habitudes et de ses dirigeants, le POB "oublia" le Plan, et mena au gouvernement une politique au strict service de la bourgeoisie. Elle ne l’oublia pas, et récompensa le parti en l’acceptant dans tous ses gouvernements jusqu’en 1940.

    Le POB, dissout au début de la Deuxième Guerre mondiale, res-surgit en 1945 sous la forme du Parti Socialiste Belge, qui devait, en 1978, se scinder sur base linguistique. Commença alors une période d’avancées sociales: devant le prestige et l’influence de l’Union Soviétique, face à une reprise économique visible par tous, il était plus sage de lâcher quelques concessions aux ouvriers.

    Le PSB ne lutta pour des réformes que dans le seul but de ne pas être dépassé par sa base, et n’hésita jamais à appliquer lui-même des mesures qu’il avait dit vouloir combattre. A titre d’exemple, la loi unique qui mena aux grèves de 60-61 fut morcelée et appliquée sous la législature suivante par le PSB que ces grèves avaient porté au pouvoir. Et quand la crise revint, le rôle du PSB, puis du PS et du SP, fut de plus en plus clairement de faire avaler aux travailleurs les plans d’austérité de la bourgeoisie.

    Mais l’activité du PS ne s’est pas limitée à cela. Hésitant à défendre les intérêts des travailleurs, la social-démocratie fut fort prompte à renforcer l’appareil répressif de l’Etat bourgeois, et ne souffrit d’aucun état d’âme en envoyant gendarmerie et matraques contre les ouvriers et les étudiants. Il est vrai que ce ne fut jamais le PS, mais bien ses ministres de l’Intérieur, bourgmestres, … En définitive, ces élus pour lesquels la social-démocratie s’est exclusivement battue, de tous temps, arguant que l’on ne pouvait changer la situation que par ce biais, ne furent et ne sont que des freins aux luttes des travailleurs.

    Construire un nouveau parti des travailleurs

    Nos acquis ne furent aucunement l’œuvre des mandataires du PS ou de ses ancêtres, mais bien des luttes des travailleurs, des mobilisations. Contrairement aux sociaux-démocrates, nous pensons que la politique se mène prioritairement dans la rue, dans les usines, bureaux, écoles… Nous sommes pour une démocratie ouvrière où l’ensemble de la population est associée aux décisions économiques et politiques et où les délégués sont élus et révocables à tout moment. Si pour Di Rupo la lutte s’effectue en siégeant au conseil d’administration de Dexia, pour nous, elle s’effectue à l’exemple de la Commune de Paris, de la Révolution russe, espagnole, de celle dite "des œillets" au Portugal, de Mai 68, …

    Un parti ayant la volonté de défendre les travailleurs doit être sous leur contrôle, et ne peut qu’être le relais politique de leurs luttes. Jusqu’à la fin des années 80′, la base ouvrière du PS pouvait encore remplir ce rôle, mais le PS possède dorénavant plus de liens avec l’Etat bourgeois ou les entreprises qu’avec la classe ouvrière, ce qui laisse l’opportunité à la direction de suivre de plus en plus facilement les caprices de la bourgeoisie. Le PS ne peut pas être un relais politique des luttes des travailleurs, il ne peut que les étouffer par peur de perdre son pouvoir. C’est pourquoi nous appelons depuis mi-90′ à la création d’un nouveau parti des travailleurs.

    L’ouverture officielle du 120e anniversaire de la social-démocratie belge se tiendra les 18 et 19 mars prochain. Mais à cette date, ceux qui veulent réellement parler du socialisme seront dans la rue, à l’occasion de la Marche des Jeunes pour l’Emploi.

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