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Tag: Union Soviétique
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ISLAM & SOCIALISME
Dans cet article, Hannah SELL explique l’approche des marxistes pour combattre l’islamophobie en tirant les leçons de la politique des bolcheviks dans le sillage de la révolution russe. Si beaucoup de données ne concernent que la Grande-Bretagne et sont un peu datées, la situation n’est pas fondamentalement différente actuellement en Belgique. L’approche adoptée dans cet article reste une aide d’importance.
Publié en octobre 2004 dans « Socialism Today », revue du Socialist Party, section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et pays de Galles.
Entre un et demi et deux millions de musulmans vivent aujourd’hui en Grande-Bretagne. Rien qu’à Londres, ils sont issus de 50 groupes ethniques différents. Ils représentent une des sections les plus pauvres de la société britannique : un musulman économiquement actif sur sept est au chômage, comparé à 1 sur 20 pour le reste de la population. Les deux communautés musulmanes les plus importantes de Grande-Bretagne, originaires du Pakistan et du Bangladesh, sont particulièrement appauvries. En 1999 par exemple, 28% des familles blanches vivaient en dessous du seuil de pauvreté comparé aux 41% d’Afro-Caribéens et aux 84% de familles bengalaises (une étude de l’université d’Anvers a récemment mis en lumière le fait que 58% de la population d’origine marocaine vit en Belgique sous le seuil de pauvreté, pour 15% de la population globale, NDT)
L’histoire des musulmans de Grande Bretagne est une histoire de pauvreté et de discrimination. Historiquement, la discrimination contre les musulmans en Grande-Bretagne a été un des nombreux aspects du racisme de la société capitaliste. Sous différentes formes, le racisme a été un élément intrinsèque du capitalisme depuis son origine. Lors de la dernière décennie et en particulier depuis l’horreur du 11 septembre 2001, il n’y a aucun doute que les préjugés anti-musulmans – l’islamophobie – ont augmenté de façon dramatique. Alors que d’autres aspects du racisme sont déjà présents, les musulmans sont confrontés aux manifestations les plus aigües de discriminations. Le gouvernement verse des larmes de crocodile sur cette hausse du racisme contre les musulmans et ceux que les gens «perçoivent» comme étant des musulmans. Mais c’est la politique gouvernementale qui est responsable d’une augmentation de 41% du nombre d’arrestations et de fouilles contre les populations asiatiques. Plus fondamentalement, la participation du gouvernement aux guerres brutales contre l’Irak et l’Afghanistan (deux pays à majorité musulmane), avec toute la propagande qui accompagne ces interventions et qui dénigre les populations de ces deux pays, a inévitablement fait monter l’islamophobie.
L’ancien ministre de l’intérieur David Blunkett a suggéré que les minorités ethniques devaient faire de plus grands efforts pour «s’intégrer» à la société britannique, en blâmant les musulmans et les autres communautés pour la montée du racisme. En réalité, c’est le contraire qui est exact. Plus la société est hostile envers eux, plus les minorités ethniques et religieuses vont s’identifier uniquement à leurs propres communautés. Le renforcement de l’identification de beaucoup de musulmans à leur religion et à leur culture a ainsi nettement augmenté. Selon une étude récente, 74% des musulmans britanniques considèrent que leur religion a une influence importante sur leur vie quotidienne, contre 43% chez les Hindous et 46% chez les Sikhs. Nombreuses sont les raisons qui expliquent cela, mais il ne fait aucun doute que la montée des préjugés contre l’Islam a conduit beaucoup de jeunes à défendre leur religion en renforçant leur identification à celle-ci.
Cependant il n’est pas vrai de dire que les jeunes musulmans de Grande-Bretagne s’identifient seulement ou premièrement au pays d’où ils, ou plus souvent leurs parents ou grands parents, sont originaires. Les deux tiers de tous les musulmans de Grande-Bretagne ont moins de 25 ans. Ayant été élevés en Grande-Bretagne, la plupart d’entre eux ont une double identité, à la fois partie intégrante de la Grande-Bretagne et aliénés par celle-ci. Ces jeunes ont grandi dans une société où ils se sentent sous la menace constante d’une arrestation à cause de leur couleur ou de leur religion. Ils sont confrontés aux discriminations dans l’enseignement et sur le lieu de travail et ont été enragés par la propagande de guerre impérialiste du gouvernement. Mais seule une petite minorité a tiré la conclusion erronée que le barbare terrorisme de masse de la part d’organisations islamiques réactionnaires comme Al Qaïda offre une alternative. Contrairement à ce qu’affirme la presse à scandales, 73% des musulmans de Grande-Bretagne sont fortement opposés aux attaques terroristes. En même temps, le potentiel qui existe pour un mouvement unifié capable d’impliquer les musulmans a été illustré par les centaines de milliers de musulmans qui ont participé, avec d’autres sections de la population, au mouvement anti-guerre durant les plus grandes manifestations qui se sont jamais déroulées en Grande-Bretagne.
Comment les marxistes doivent-ils aborder la question des communautés musulmanes vivant en Grande-Bretagne? Notre point de départ est d’être fermement opposés aux discriminations anti-musulmanes en défendant le droit de chaque musulman à pouvoir vivre sans subir l’islamophobie, indépendamment de sa classe ou de sa conception de la religion. Concrètement, cela signifie de lutter pour le droit des musulmans à pratiquer librement leur religion, y compris en choisissant librement de porter ce qu’ils veulent. Le véritable marxisme n’a rien à voir avec ceux de l’extrême gauche française qui ont refusé de s’opposer aux exclusions des jeunes femmes musulmanes qui portaient un voile à l’école. Nous devons activement défendre le droit de chacun de pratiquer la religion qu’il choisit (ou de n’en pratiquer aucune) sans avoir à subir de discrimination ou de préjugés.
Cela ne signifie cependant pas que nous percevons la population musulmane dans sa totalité comme un bloc homogène et progressiste. Au contraire. Plusieurs facteurs, comme la classe, l’origine ethnique et la conception de la religion divisent la population musulmane. Il y a en Grande Bretagne 5.400 musulmans millionnaires, dont la plupart ont fait leur fortune en exploitant d’autres musulmans, et de petites communautés musulmanes sont très riches. Ainsi, 88 Koweïtiens, dont la plupart résident en Grande Bretagne, ont investi 55 milliards de Livres Sterling dans l’économie britannique. Alors que nous avons à défendre les droit de ces milliardaires de pratiquer leur religion sans répression, nous avons aussi à convaincre les travailleurs musulmans qu’ils ont des intérêts diamétralement opposés à ces individus et que la voie vers la libération se trouve dans la cause commune avec les autres sections de la classe ouvrière à travers le monde mais, comme ils vivent en Grande Bretagne, en premier lieu avec la classe ouvrière britannique.
En tant que révolutionnaires socialistes, le programme que nous mettons en avant doit toujours avoir pour objectif d’encourager l’unité de la classe ouvrière en tant qu’élément du processus d’élévation de sa confiance et de son niveau de compréhension. C’est la raison pour laquelle notre organisation sœur en Irlande du Nord a toujours lutté pour l’unité des travailleurs catholiques et protestants. Dans la Grande-Bretagne d’aujourd’hui, les politiques réactionnaires de Tony Blair et du New Labour (le Parti Travailliste) créent des divisions que nous devons tenter de surmonter.
Historiquement, il y a de fortes traditions d’unité entre les travailleurs musulmans et les autres sections de la classe ouvrière en Grande-Bretagne. Elles proviennent du rôle important joué par les meilleurs éléments du mouvement ouvrier dans la lutte contre le racisme. Par conséquent, les travailleurs noirs et asiatiques, y compris les musulmans, ont tissé un lien fort avec le mouvement ouvrier, bien que la majorité d’entre eux ne provenait pas initialement d’un milieu urbain dans leur pays d’origine. Dans les années ‘70, les travailleurs noirs et asiatiques ont joué un rôle clé dans plusieurs luttes industrielles. En 1976, la grève de Grunwicks contre les bas salaires, qui a largement impliqué des femmes asiatiques, a été une des batailles cruciales de cette décennie.
Un des résultats de ces traditions positives a été que, jusqu’à récemment, les musulmans de Grande-Bretagne ont eu tendance à soutenir le Labour Party. Une étude réalisée en 1992 a par exemple conclu que «les musulmans sont loyaux envers le Parti Travailliste car ils le voient comme un parti qui œuvre pour la classe ouvrière et aussi parce que le Parti Travailliste est de loin le moins raciste à la fois dans son attitude et dans sa pratique comparé aux autres partis, en particulier face au Parti Conservateur». Un sondage de l’institut MORI réalisé après les élections de 1997 a démontré que 66% des électeurs asiatiques et 82% des électeurs noirs ont voté pour le Parti Travailliste, un taux beaucoup plus élevé que la moyenne nationale de 44%. En comparaison, les Conservateurs ont obtenu seulement 22% du vote asiatique.
Cependant, le New Labour d’aujourd’hui ne représente en aucune façon les intérêts des travailleurs. Au contraire, le Parti Travailliste est maintenant un parti favorable à la classe dirigeante dans lequel les syndicats sont sans pouvoir. Il n’est donc pas étonnant que non seulement les musulmans mais aussi la majorité des travailleurs ne croient plus que le Labour Party est «pour eux». La désillusion est particulièrement profonde parmi les électeurs musulmans issus de la classe ouvrière. Les politiques racistes du New Labour, malgré qu’elles aient un vernis plus sophistiqué que celles des Tories, ont profondément désillusionné la plupart des musulmans. Mais c’est la guerre en Irak qui a agi de façon à rompre de façon décisive le soutien que beaucoup de musulmans accordaient encore au Labour Party. Un sondage d’opinions réalisé avant les élections Européennes a rapporté que le soutien au Labour Party a chuté de 75% chez les électeurs musulmans à seulement 38% lors des élections générales.
Le mouvement anti-guerre a donné un aperçu du potentiel de ce que signifie gagner les travailleurs musulmans désillusionnés par le Labour à une alternative de classe. Ce processus n’est cependant pas automatique. Une condition vitale est qu’après la trahison complète du New Labour, le mouvement ouvrier prouve encore et encore dans la pratique qu’il est déterminé à combattre le racisme et l’islamophobie. Mais les marxistes doivent aussi défendre une approche de classe et socialiste concernant les musulmans. Le fait que les musulmans et les révolutionnaires socialistes marchent ensemble dans le mouvement anti-guerre constitue un véritable pas en avant. Mais nous ne devons pas laisser nos discussions avec les musulmans anti-guerre au niveau de notre opposition commune à l’occupation impérialiste de l’Irak. Nous devons étendre les discussions à des questions de classe ici, en Grande-Bretagne, y compris sur la question d’un programme et d’une stratégie aptes à combattre les privatisations et les coupes budgétaires du New Labour. Nous devons aussi soulever la nécessité d’une alternative politique au New Labour – un nouveau parti de masse qui rassemble le mouvement anti-guerre, les syndicalistes et les militants contre la casse sociale – un parti qui représente et organise toutes les sections de la classe ouvrière.
Au cours de ces discussions, il sera parfois nécessaire de soulever des questions sur lesquelles il n’y a pas d’accord complet entre les marxistes et certains musulmans. Par exemple, face au racisme qui existe dans la société capitaliste, un nombre croissant de musulmans revendiquent de façon compréhensible des écoles musulmanes séparées. Nous devons d’une part lutter contre le racisme et la discrimination à l’école, ainsi que pour le droit de tous les étudiants d’avoir les commodités pour pratiquer leur religion, mais, d’autre part, cela n’implique pas le soutien à la création d’écoles musulmanes séparées, pas plus que nous ne soutenons d’autres écoles religieuses. Nous devons patiemment expliquer que cette voie amènera à une plus grande ségrégation et à une plus grande isolation des communautés musulmanes qui, en retour, mèneront à faire croître le racisme contre eux.
De même que nous luttons pour le droit des jeunes musulmanes à choisir de porter le voile, il est aussi clair que nous soutenons le droit de celles qui choisissent de ne pas le porter, même lorsque cela signifie d’entrer en conflit avec d’autres musulmans.
L’approche erronée de RESPECT
Malheureusement, cette approche de classe n’a pas été adoptée par le Socialist Workers Party (SWP). RESPECT, la nouvelle coalition électorale qu’il a formé avec le député George Galloway a obtenu quelques succès électoraux, largement grâce à l’appel lancé aux musulmans. Lors des élections européennes, RESPECT a tiré un tract spécifique destiné aux musulmans qui présentait RESPECT comme «le parti des musulmans». George Galloway a été présenté comme un combattant pour les musulmans et décrit de cette manière : «Marié à une doctoresse palestinienne, il a de forts principes religieux concernant la lutte contre l’injustice. Il a été exclu par Blair parce qu’il a refusé de s’excuser pour son attitude anti-guerre. Nos députés musulmans soit sont restés silencieux, soit ont soutenu la guerre. De qui voulez vous pour être votre voix ?»
Alors qu’il est juste de présenter les références anti-guerre de Galloway et de dénoncer les députés musulmans qui ont refusé de s’opposer à la guerre, le reste de sa déclaration est une tentative hautement opportuniste de faire appel aux musulmans sur base de leur religion. Au lieu de cela, les véritables socialistes doivent tenter de convaincre les musulmans qu’ils peuvent atteindre par les idées socialistes, et parmi eux plus spécifiquement les jeunes musulmans issus de la classe ouvrière (la majorité de la population musulmane de Grande-Bretagne).
Si RESPECT avait profité de cette situation pour gagner des musulmans ainsi que d’autres sections de la classe ouvrière au véritable socialisme, cela aurait été louable. Mais au lieu de cela, ils ont fait appel aux musulmans en tant que bloc dans l’espoir d’obtenir des gains électoraux à court terme. En fait, l’histoire de l’engagement des musulmans en politique a démontré que cette approche ne marche pas. Il n’y a aucun doute à avoir sur le fait que quelques politiciens musulmans du New Labour se sont engagés en politique dans l’intention d’aider leur communauté. Cependant, à moins d’avoir eu une approche socialiste, ils ont échoué à le faire. C’est par exemple une position complètement erronée de la part de Galloway d’expliquer qu’il ne se présente pas contre Mohamed Sawar, député de Glasgow Govan, parce qu’il est musulman. Sawar a constamment voté avec le New Labour sur toutes les questions. Bien qu’il ait voté contre la guerre, il a depuis lors voté avec le reste de son parti à chaque occasion, même sur la question de l’Irak. Le fait qu’il soit musulman ne signifie pas qu’il défende les intérêts des musulmans ordinaires. Au niveau local, les conseillers musulmans tendent à être issus des petites élites musulmanes plutôt que d’être issus de la classe ouvrière. Mais le plus important, c’est que la majorité d’entre eux a adopté les politiques blairistes du New Labour.
Mais RESPECT ne fait pas qu’échouer à élever la conscience de classe parmi les musulmans. Si elle continue sur cette voie, la coalition peut entretenir des divisions dangereuses parmi la classe ouvrière entre les musulmans et les autres communautés. Si RESPECT a des succès en étant vu comme un parti musulman qui ne s’adresse pas aux autres sections de la classe ouvrière, il peut éloigner les autres sections de la classe ouvrière et renforcer les idées racistes.
Malheureusement, cela semble être la voie que Respect a prise. Lors des récentes élections au Sud de Leicester, RESPECT a obtenu un résultat électoral non négligeable. Sa candidate était Yvonne Ridley, la journaliste qui s’est convertie à l’islam après avoir été capturée par les talibans en Afghanistan. Encore une fois, RESPECT a fait appel à la communauté musulmane sur une base purement religieuse. Le tract spécial qu’elle a destiné à la communauté musulmane faisait référence à un dirigeant local de la communauté qui a dit que Ridley était «la seule candidate MUSULMANE» et que «les musulmans vont jouer un rôle clé lors de l’élection». Le tract n’indiquait pas d’autres raisons de voter pour RESPECT.
La révolution russe comme justification
En vue de justifier aujourd’hui son opportunisme politique en Grande-Bretagne, le SWP a cherché dans l’histoire de quoi appuyer son approche avec un exemple. C’est dans ce cadre que Socialist Review, publication du SWP, a publié un article de Dave Crouch avec lequel le SWP a crû justifié sa position en se basant sur l’attitude des bolcheviks après la révolution.
Alors que l’article de Crouch donne un compte-rendu intéressant des évènements qui se sont produits, en utilisant un ton inégal et une emphase clairement façonnée pour justifier l’attitude du SWP envers RESPECT, il désinforme ses lecteurs. Dans un article beaucoup plus long sur le même sujet, publié en 2002 dans le journal théorique du SWP International Socialism, Crouch démontre pourtant qu’il est capable d’adopter une approche un peu plus objective. Ironiquement, dans cet article là, il critiquait un auteur au sujet de «la politique nationale [des bolcheviks qui s’est développée] dans un isolement presque hermétique de la société pré-révolutionnaire à la contre-révolution stalinienne». Mais dans Socialist Review il a reproduit l’erreur qu’il critiquait en ne voyant pas les différences énormes existant entre la situation des marxistes aujourd’hui en Grande-Bretagne et celle de la Russie durant les années qui ont immédiatement suivi la Révolution de 1917. Il a alors simplement déclaré que «nous pouvons apprendre des bolcheviks et nous inspirer des réalisations faites par les bolcheviks».
Par exemple, l’Armée Rouge a participé à de nombreuses alliances militaires avec des forces pan-islamiques. Cependant, il s’agissait d’une situation de guerre civile et de nombreuses armées capitalistes attaquaient et essayaient d’écraser la première révolution victorieuse en collaboration avec les classes dirigeantes locales, dominées par les grands propriétaires terriens. La guerre civile était particulièrement intense dans les zones à prédominante musulmane d’Asie Centrale. Les comparaisons directes à faire avec la Grande-Bretagne actuelle sont évidemment très limitées…
Cela ne signifie aucunement qu’il n’y a pas de leçons à tirer du travail de pionniers des bolcheviks. Mais l’article de Crouch ne dévoile que la moitié de l’histoire. Il se concentre presque exclusivement sur des points tels que l’union entre les dirigeants musulmans et les bolcheviks sans expliquer les divergences politiques, les conflits et les complications qui ont existé ou encore comment les bolcheviks ont essayé de gagner les masses musulmanes au programme marxiste. Sans toutefois le dire explicitement, l’article donne aussi l’impression complètement incorrecte selon laquelle l’islam était intrinsèquement plus progressiste que les autres religions parce que c’était la religion des peuples opprimés et colonisés et encore que les bolcheviks avaient traité les populations musulmanes d’une façon fondamentalement différente des autres religions.
En fait, Vladimir Lénine et Léon Trotsky ont correctement traité les droits religieux de toutes les minorités opprimées avec une attention et une sensibilité extrême, consécutive de leur approche sur la question nationale. Leur objectif était de minimiser systématiquement les divisions et les différences entre les sections de la classe ouvrière. Ils avaient compris que, pour la réalisation de cet objectif, il était nécessaire de démontrer encore et encore que le pouvoir des Soviets était la seule voie vers la libération nationale pour les nationalités opprimées par ce qui avait été l’empire russe des Tsars (que Lénine appelait la «prison des peuples»). Mais jamais ils n’ont cependant baissé la bannière de l’unité internationale de la classe ouvrière. Quand des concessions étaient faites à des forces nationalistes, il était ouvertement et honnêtement expliqué pourquoi de telles concessions étaient nécessaires, et en même temps les bolcheviks continuaient à argumenter clairement en faveur d’un programme marxiste parmi les masses des territoires opprimés.
Le contexte de l’époque doit être soigneusement regardé. Les bolcheviks agissaient dans des circonstances de difficultés phénoménales. Par la suite, malgré le potentiel existant dans d’autres pays pour des révolutions victorieuses, ces dernières n’ont pas pu aboutir et le premier Etat ouvrier s’est retrouvé isolé dans une situation d’arriération économique avec une domination paysanne. Finalement, ces facteurs ont permis l’émergence du stalinisme ainsi que l’écrasement de la démocratie ouvrière par le fait d’une hideuse bureaucratie.
Ces conditions extrêmes, la survie de la révolution ne tenait alors qu’à un fil, ont forcé l’Etat ouvrier à faire des concessions à tous les niveaux. En 1921 – alors qu’il était clair qu’on ne pouvait pas compter sur une révolution victorieuse dans un autre pays à court terme – Lénine a été forcé de proposer la Nouvelle Politique Economique (NEP) pour éviter un retour aux privations et aux famines de masse. Cela impliquait des concessions envers le marché. Ces difficultés matérielles écrasantes ont inévitablement eu un effet sur la capacité de l’Etat ouvrier à appliquer ses politiques dans de nombreux domaines.
Néanmoins, l’approche de Lénine et Trotsky vis-à-vis des droits nationaux, religieux et ethniques en particulier a constitué un modèle dans le sens où elle a combiné la sensibilité envers les aspirations nationales à une approche de principe. Cela n’a rien de commun ni avec l’opportunisme du SWP, ni avec l’approche rigide et étroite de quelques autres parmi la gauche.
Le droit des nations à l’autodétermination
L’approche utilisée par les bolcheviks vis-à-vis des populations musulmanes ne découle pas en première instance de la question de la religion en elle-même, mais plutôt de la manière dont la religion était en rapport avec le droit des nations à l’autodétermination. L’unification des pays et la solution à la question nationale est une des tâches clés de la révolution démocratique bourgeoise, ce qui inclut l’élimination des rapports terriens féodaux et semi-féodaux ainsi que l’instauration de la démocratie bourgeoise. Ces tâches n’ont jamais été achevées dans la Russie tsariste qui était en fait une monarchie absolue semi-féodale. Les bolcheviks avaient compris qu’étant donné le développement tardif de la bourgeoisie en tant que classe en Russie et sa crainte mortelle des mouvements révolutionnaires de la classe ouvrière, la bourgeoisie russe était incapable de réaliser les tâches de sa propre révolution.
C’est Trotsky, avec sa théorie de la révolution permanente, qui a été le premier à tirer la conclusion que ces tâches devaient être l’œuvre de la classe ouvrière à la tête des masses paysannes. Trotsky a expliqué que, aussi important que pouvait être le rôle de la paysannerie, elle ne pouvait être capable d’agir de façon indépendante à cause de son caractère hétérogène et dispersé. La paysannerie est toujours à la suite soit de la classe dirigeante, soit de la classe ouvrière.
Trotsky a continué à expliquer que la classe ouvrière ne se limiterait pas à l’accomplissement des tâches de la révolution démocratique bourgeoise mais passerait ensuite aux tâches de la révolution socialiste de façon «ininterrompue». Lénine avait tiré la même conclusion plus tard, dans ses «Thèses d’Avril» de 1917. Et effectivement, lors de la Révolution d’Octobre 1917, la classe ouvrière a dépassé les tâches de la révolution démocratique bourgeoise pour commencer à effectuer celles de la révolution socialiste.
Ces tâches étaient de loin plus grandes dans les territoires de l’empire russe que dans la Russie elle-même. Les différentes régions avaient des caractéristiques différentes, mais l’image générale était celle d’économies extrêmement sous-développées et de populations constituées de façon écrasantes de paysans pauvres. Si la bourgeoisie libérale était faible et lâche en Russie, elle n’existait tout simplement pas dans la plupart de ces territoires. La classe ouvrière y était surtout constituée d’émigrés russes et les quelques bolcheviks présents avant la révolution étaient issus de cette couche de la population. Tous ces facteurs étaient particulièrement aigus en Asie centrale, région à dominante musulmane. Il est toutefois faux de conclure que les caractéristiques d’arriération d’Asie centrale avaient un lien avec cette dominante musulmane. Ces caractéristiques étaient le résultat des relations économiques et sociales féodales et la situation était peu différente dans des régions similairement sous-développées mais à dominante chrétienne.
Lénine et Trotsky ont compris quelles étaient les énormes difficultés auxquelles le nouvel Etat ouvrier devait faire face pour résoudre la question nationale dans ces régions. La domination impérialiste par le tsarisme russe s’était profondément fait sentir et des luttes déterminées et sanglantes s’étaient déroulées contre cette oppression aussi récemment qu’en 1916. Il était donc vital de démontrer encore et encore aux nationalités qui avaient été opprimées par le tsarisme que le pouvoir soviétique n’était pas une nouvelle forme d’impérialisme, mais bien la seule voie par laquelle ils pouvaient obtenir leur libération.
En conséquence, la constitution adoptée en juillet 1918 affirmait clairement que les soviets régionaux basés sur «un mode de vie et une composition nationale particuliers» pouvaient décider s’ils voulaient intégrer la République Socialiste Fédérale de Russie et sur quelle base. Cependant, les constitutions seules ne suffisent pas. La réalisation des tâches de la révolution démocratique bourgeoise signifiait d’assister le développement d’une culture nationale qui n’avait pas eu d’espace pour se développer auparavant. Par exemple, après des décennies de «russification», l’utilisation des langues locales a été encouragé, ce qui a aussi signifié dans plusieurs cas de développer pour la toute première fois une forme écrite de l’une ou l’autre langue.
Il n’y a là aucune contradiction entre cette approche et l’internationalisme des bolcheviks. Ce n’est qu’en se révélant être la meilleure combattante pour la libération nationale des opprimés que la Russie des soviets pouvait montrer que la voie de la libération était liée à la classe ouvrière mondiale, et plus spécifiquement à la classe ouvrière de Russie. Cependant, cette approche n’a pas été comprise par tous les bolcheviks. Une certaine couche d’entre eux a vu dans le droit à l’autodétermination des nations quelque chose de contraire à leur internationalisme. Cette analyse a en réalité joué le jeu du nationalisme Grand Russe. Mais c’est au contraire l’approche extrêmement habile et sensible de Lénine qui a eu pour effet que la République Socialiste Fédérale de Russie a réussi à intégrer sur une base libre et volontaire beaucoup de nationalités auparavant opprimées par le tsarisme.
L’approche des bolcheviks envers l’islam
Comme l’islam avait été réprimé par le tsarisme, et était aussi réprimé par les impérialismes français et britanniques à travers le monde, il était inévitable que le droit des musulmans à pratiquer leur religion devienne un élément central des revendications des masses musulmanes. Les bolcheviks ont reconnu ce droit et ils étaient extrêmement sensibles sur ce point, de la même manière qu’ils l’avaient été avec les autres religions opprimées comme le bouddhisme et le christianisme non orthodoxe.
Mais Dave Crouch va trop loin quand il affirme que «les bolcheviks ont eu une attitude très différente (envers l’islam) comparé au christianisme orthodoxe, la religion des brutaux colonisateurs et missionnaires russes». Il ajoute que «1.500 russes ont été chassés du parti communiste du Turkestan à cause de leurs convictions religieuses, mais pas un seul Turkestani». C’est une simplification excessive. Les russes ont été exclus pour avoir poursuivi l’oppression de la Russie impériale sous le nom de la révolution, et non simplement à cause de leur religion.
Bien sûr, les bolcheviks avaient compris le rôle profondément réactionnaire du christianisme orthodoxe dans les territoires de l’empire tsariste en tant qu’instrument de l’oppression grand russe. Néanmoins, en particulier en Russie même, le christianisme orthodoxe avait une double nature. C’était à la fois la religion oppressive des tsars ainsi que ce que Marx appelait «le soupir de la créature opprimée» des masses russes. Lénine pensait aussi aux millions de travailleurs, en particuliers paysans, qui croyaient toujours en la foi chrétienne orthodoxe en disait que «nous sommes absolument opposés à offenser les convictions religieuses».
Le véritable marxisme de Lénine et des bolcheviks n’a aucune ressemblance avec les crimes ultérieurs de Staline. A partir d’un point de vue matérialiste, et donc athée, les bolcheviks ont de façon correcte été favorables au droit de chacun à suivre la religion qu’il souhaitait, ou de n’en suivre aucune. Ils avaient compris que cela signifiait la séparation complète de la religion et de l’Etat. La religion d’Etat a été un des piliers majeurs de l’oppression dans la société féodale et, avec quelques modifications, le capitalisme continue d’ailleurs toujours à l’utiliser. Dans la Russie semi-féodale, le mécanisme du christianisme orthodoxe (la religion d’Etat) était une force aux mains de la réaction. Mais, bien que de façon différente, cela était aussi le cas de l’islam dans les républiques à dominante musulmane. Alors que le christianisme orthodoxe était la religion de l’oppression coloniale et l’islam une religion opprimée qui avait un soutien écrasant de la part des masses pauvres, l’élite indigène a tenté d’utiliser l’islam comme outil pour la contre-révolution. La séparation de l’église et de l’Etat en Asie centrale n’a pas seulement concerné le christianisme orthodoxe, mais aussi l’islam. Les bolcheviks avaient adopté cette approche au risque d’obtenir des conflits avec certaines sections de musulmans. Par exemple, en résultat de cette politique, des parents musulmans ont dans certaines régions refusé d’envoyer leurs enfants à l’école.
Mais, tout en argumentant en faveur de la séparation de la religion et de l’Etat, les bolcheviks étaient très prudents pour éviter de donner l’impression qu’ils imposaient d’en haut la société «russe» à l’Asie centrale. Là où la population était en faveur de la Charia (loi islamique) et des tribunaux islamiques, les bolcheviks avaient compris que s’y opposer aurait été vu comme de l’impérialisme russe. Cela n’a cependant pas voulu dire que les bolcheviks acceptaient les politiques féodales réactionnaires menées par les tribunaux de la charia, pas plus qu’ils n’acceptaient les attitudes féodales qui existaient dans différents aspects de la société de l’ancien empire russe. Ils avaient simplement compris que les attitudes réactionnaires ne pouvaient pas être abolies, mais devaient changer avec le temps. C’est pourquoi ils avaient établi un système légal parallèle en Asie centrale, pour tenter de prouver en pratique que les soviets pouvaient apporter la justice. Pour sauvegarder les droits des femmes, en particulier, l’usage des tribunaux islamiques n’était permis que si les deux parties étaient d’accord. Et si l’une des parties n’était pas satisfaite du jugement, elle pouvait encore avoir recours à un tribunal soviétique.
L’islam divisé
Sur cette question et sur d’autres, Crouch donne une impression inégale. En lisant son article, on peut s’imaginer que la population musulmane entière d’Asie centrale était progressiste et alliée aux Bolcheviks. Dans un article de deux pages contenant de nombreux exemples sur la relation positive entre les forces musulmanes et les bolcheviks, seulement deux courtes références illustrent que ce n’était pas le cas dans toutes les circonstances. La première est quand Crouch déclare «en même temps, les dirigeants musulmans conservateurs étaient hostiles au changement révolutionnaire», mais aucune autre explication n’est donnée sur le rôle de ces «dirigeants musulmans conservateurs». La deuxième référence consiste à déclarer que «le mouvement Basmachi (une révolte islamique armée) a éclaté». Cependant, la responsabilité de cette révolte contre-révolutionnaire est exclusivement liée à la politique coloniale du soviet de Tashkent durant la guerre civile.
Il est vrai que, durant la guerre civile russe, lorsque des larges parties de l’Est étaient détachées de la Russie, certains émigrés russes chauvins ont soutenu la révolution parce qu’ils la considéraient comme le meilleur moyen d’assurer la continuité de la domination russe. Les politiques qu’ils avaient décrétées soi-disant au nom de la révolution ont perpétué l’oppression tsariste des musulmans. A Tachkent, ville musulmane à plus de 90%, le soviet, sous la direction des Socialistes-Révolutionnaires et des Mencheviks, a utilisé la langue russe dans toutes ses procédures et a exclu les dirigeants locaux sans principes et de façon complètement chauviniste. Ces politiques réactionnaires ont joué un rôle majeur dans la constitution du mouvement Basmachi par des bandes de guérilleros islamiques. Mais, en Octobre 1919, la direction bolchevik a rétabli le contact avec Tachkent et a alors inversé les politiques du soviet de Tachkent. En Avril 1918, 40% des délégués du soviet de Tachkent étaient musulmans.
Alors que les préjugés grand-russes ont sans aucun doute persisté, les bolcheviks se sont donnés une peine considérable pour montrer que le pouvoir des soviets signifiait la liberté nationale et culturelle. Comme Crouch le décrit, «des monuments sacrés islamiques, des livres et des objets pillés par les tsars ont été remis aux mosquées. Le vendredi – jour de célébration musulman – a été déclaré jour férié pour le reste de l’Asie centrale». Mais aucune de ces mesures n’a empêché le nationaliste turc Enver Pasha de venir en Asie Centrale en 1921 et de se joindre immédiatement à la révolte Basmachi, en transformant ainsi des fractions tribales en une force unifiée pour la réaction islamique. Une partie des musulmans avaient rejoint la contre-révolution, non pas à cause des crimes du soviet de Tachkent, mais pour gagner un territoire sur lequel ils pourraient exploiter d’autres musulmans. En d’autres mots, c’était pour défendre et pousser de l’avant leurs propres intérêts de classe.
Les bolcheviks ont toujours compris que leur tâche était de créer le maximum d’unité entre les travailleurs et d’amener derrière eux les masses paysannes. Cela signifiait de convaincre les masses musulmanes pauvres que leur cause était celle de la révolution, et non pas celle des dirigeants islamiques réactionnaires. Contrairement au SWP aujourd’hui, ils ont toujours déployé leurs efforts dans ce but.
Les dirigeants autochtones
Dave Crouch parle des peines que se sont donnés les bolcheviks pour essayer de développer des directions nationales autochtones dans les soviets des Etats autonomes nouvellement formés. La politique des soviets a compris l’instauration d’un commissariat musulman (Muskom), dont la direction était en grande partie composée de musulmans non bolcheviks. En même temps, un effort particulier a été fait pour recruter des autochtones au Parti Communiste (PC – nouveau nom des bolcheviks), ce qui a conduit à une sérieuse augmentation du nombre de membres musulmans.
Dave Crouch déclare dans son texte : «Il y avait des discussions sérieuses parmi des musulmans sur les similitudes entre les valeurs islamiques et les principes socialistes. Les slogans populaires de l’époque comprenaient : «Vive le pouvoir des soviets, vive à la charia!»; «Religion, liberté et indépendance nationale». Des partisans du «socialisme islamique» ont appelé les musulmans à établir des soviets ».
De nouveau, ceci cache une réalité plus complexe – aucune mention n’est faite de l’attitude des bolcheviks envers ce «socialisme islamique». Il est naturellement vrai que, alors que le PC était marxiste et donc athée, la croyance religieuse ne représentait pas en soi un obstacle pour rejoindre le parti, et beaucoup de musulmans ont été recrutés. Cependant, cela ne signifiait aucunement qu’il suffisait d’être musulman et de soutenir la révolution pour rejoindre le Parti Communiste. Bien que des alliances militaires à court terme aient été formées avec toutes sortes de forces, il n’y a seulement eu qu’une organisation musulmane sur le territoire soviétique qui ait été reconnue par les bolcheviks comme un véritable parti socialiste (sur la base de son programme) – Azerbaidjani Hummet, qui devait plus tard devenir le noyau du PC de l’Azerbaïdjan. D’autres, comme le parti nationaliste libéral kazakh, Alash Orda, ont été écartés, en dépit de leurs déclarations en faveur de la révolution, et ce en raison de leur programme et de leur base de classe.
Néanmoins, telle était l’importance de développer des directions autochtones pour le Parti Communiste que des individus qui avaient une approche totalement différente de celle de Lénine et Trotski ont pu rejoindre le PC. Parmi eux, le cas de Mirsaid Sultangaliev, devenu ensuite président du commissariat central musulman après avoir rejoint le PC en novembre 1917, est révélateur. Il affirmait que: «Tous les musulmans colonisés sont des prolétaires et comme presque toutes les classes dans la société musulmane ont été opprimées par les colonialistes, toutes les classes ont le droit d’être désignées «prolétariennes».
Sur cette base il argumentait qu’il ne pouvait pas y avoir de lutte des classes au sein des nations opprimées. En réalité, ces idées étaient une couverture pour les intérêts de l’élite dirigeante locale. D’ailleurs, ces idées étaient constamment et publiquement contre-argumentées par la direction du Parti Communiste. Par exemple, les Thèses sur la question nationale et coloniale, adoptées par le deuxième congrès de la Comintern (l’Internationale Communiste) disent clairement: «La lutte est nécessaire contre le panislamisme, le mouvement panasiatique et les courants similaires qui lient la lutte de libération contre l’impérialisme européen et américain au renforcement du pouvoir des impérialismes turcs et japonais, de la noblesse, des grands propriétaires terriens, du clergé, etc.»
Elles ajoutaient: «Une lutte déterminée est nécessaire contre les tentatives de mettre une couverture communiste aux mouvements révolutionnaires de libération qui ne sont pas réellement communistes dans les pays [économiquement] arriérés. L’Internationale Communiste a le devoir de soutenir le mouvement révolutionnaire dans les colonies seulement dans l’optique de rassembler les éléments des futurs partis prolétariens – communistes dans les faits et pas seulement de nom – dans tous les pays arriérés et de les former à être conscients de leurs tâches particulières, c’est-à-dire de lutter contre les tendances démocratiques bourgeoises de leur propre nation».
Cet exemple illustre à quel point l’approche des bolcheviks est complètement différente de celle du SWP aujourd’hui. Il est vrai que le Manifeste du Congrès des Peuples de l’Est a, comme l’a fait remarquer Crouch, appelé à une guerre sainte, à laquelle les marxistes d’aujourd’hui ne doivent accorder de l’attention que dans son contexte. Ce qui a réellement été dit comprenait un clair contenu de classe: «Vous avez souvent entendu l’appel à la guerre sainte, de la part de vos gouvernements, vous avez marché sous la bannière verte du prophète, mais toutes ces guerres saintes étaient fausses, car elles ont seulement servi les intérêts de vos dirigeants égoïstes et vous, travailleurs et paysans, êtes resté dans l’esclavage et le manque après ces guerres… Maintenant, nous vous appelons à la première véritable guerre sainte pour votre propre bien-être, pour votre propre liberté, votre propre vie !»
Lors de ce Congrès, il a été souligné encore et encore que la lutte devait être menée contre «les mollahs réactionnaires de notre propre entourage» et que les intérêts des pauvres à l’Est étaient liés à ceux de la classe ouvrière à l’Ouest.
La Révolution de 1917 a inspiré des millions de personnes à travers le monde. D’immenses couches de pauvres des nations opprimées se sont rassemblés derrière la bannière du premier Etat ouvrier, y compris beaucoup de musulmans. L’attitude de Lénine et de Trotsky consistait à insister sur le point que rejoindre le pouvoir des soviets signifiait la libération nationale et la liberté religieuse. C’était le point le plus crucial étant donné l’histoire répugnante de la Deuxième Internationale social-démocrate qui a soutenu l’oppression coloniale et en déclarant cela, Lénine et Trostky n’ont pas affaibli leur programme socialiste. Au lieu de cela, ils ont insisté sur le fait que la voie vers la liberté ne se trouvait pas dans l’unité avec sa propre bourgeoisie nationale mais au contraire avec la classe ouvrière mondiale dans la lutte contre l’impérialisme mais aussi contre leurs «propres» propriétaires terriens féodaux et contre les mollahs réactionnaires qui avaient ces derniers.
Quelles leçons pour aujourd’hui?
En Asie centrale, Lénine et Trotsky ont tenté de gagner une population paysanne à prédominante musulmane qui luttait pour ses droits nationaux, à la bannière de la révolution mondiale, sur un fond de lutte désespérée pour la survie du premier Etat Ouvrier. En Grande-Bretagne aujourd’hui nous tentons de gagner une minorité opprimée de la classe ouvrière à la bannière du socialisme.
Dans bien des sens, notre tâche est de loin plus facile. La grande majorité des musulmans en Grande-Bretagne est issue de la classe ouvrière et beaucoup d’entre eux travaillent dans des lieux de travail ethniquement mixtes, particulièrement dans le secteur public. Le massif mouvement anti-guerre a donné un aperçu du potentiel qui est présent pour un mouvement unifié de la classe ouvrière, avec des musulmans intégralement englobés dans ce processus. La création d’un nouveau parti de masse des travailleurs qui mènerait campagne sur une base de classe à la fois sur les questions générales ainsi que contre le racisme et l’islamophobie constituerait un énorme pôle d’attraction pour les travailleurs musulmans tout en commençant à détruire les préjugés et le racisme.
Cependant, l’absence d’un tel parti actuellement amplifie les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Dans les années ‘90, l’effondrement des régimes d’Europe de l’Est et d’Union Soviétique a fourni au capitalisme mondial une opportunité pour écarter la question du socialisme en présentant le socialisme comme un échec en mettant faussement sur un pied d’égalité le socialisme et les régimes staliniens. Cela a permis aux classes dirigeantes de mener un assaut idéologique contre les idées du socialisme. L’aile droite du Parti Travailliste, comme de la social-démocratie partout à travers le monde, s’est servie de cette occasion pour abandonner toute référence au socialisme dans leur programme et pour devenir des partis clairement capitalistes.
Plus d’une décennie après l’effondrement du stalinisme, une nouvelle génération tire la conclusion que le capitalisme est incapable de satisfaire les besoins de l’humanité et parmi elle une minorité en arrive à des conclusions socialistes. Néanmoins, la conscience reste en recul derrière la réalité objective, et le socialisme n’est pas encore devenu une force de masse.
Etant donné le vide qui existe par conséquent, des jeunes radicalisés recherchent une alternative politique. Une petite minorité de jeunes musulmans en Grande Bretagne regarde vers des organisations de l’islam politique de droite telles que Al-Muhajiroun. L’absence d’alternative offerte par de telles organisations est démontrée par leur opposition au mouvement anti-guerre, sous le prétexte qu’il engage les musulmans à manifester à côté de non-musulmans. La majorité des jeunes musulmans radicaux ont été dégoûtés par des organisations comme Al-Muhajiroun et ont compris la nécessité d’un mouvement anti-guerre unifié. Le potentiel pour construire une base forte pour les socialistes parmi les musulmans existe sans aucun doute, mais seulement si notre engagement à leur côté se fait avec une argumentation pour le socialisme.
Il y a partout à travers le monde de grands parallèles à faire avec la situation à laquelle les bolcheviks ont été confrontés, bien que les différences restent grandes. En Irak aujourd’hui, par exemple, les marxistes sont confrontés à la tâche difficile de reconstruire des organisations ouvrières indépendantes et de mobiliser les travailleurs et les masses pauvres en défense de leurs droits, y compris le droit de s’organiser indépendamment des organisations islamiques dont le programme n’offre pas d’alternative aux masses irakiennes. Les leçons du 20ème siècle soulignent les dangers qu’encourent les socialistes s’ils renoncent à leur programme indépendant. Au Moyen Orient en particulier, c’est l’échec des Parti Communistes de masse à conduire la classe ouvrière au pouvoir qui a permis à l’islam politique de droite de l’emporter. Lors de la Révolution iranienne de 1978-79, la classe ouvrière a dirigé un mouvement qui a renversé la monarchie brutale et soumise à l’impérialisme. Le Parti Communiste Tudeh était la plus grande force de gauche en Iran, mais il n’a pas poursuivi une politique ouvrière indépendante. Au lieu de cela, il s’est lié à l’Ayatollah Khomeini malgré les tentatives du clergé pour étouffer le mouvement ouvrier indépendant. Le résultat a été l’arrivée au pouvoir du régime de Khomeini qui a écrasé le Toudeh et a assassiné les éléments les plus conscients de la classe ouvrière.
D’un autre côté, malgré les difficultés énormes auxquelles ils ont été confrontés, les bolcheviks ont donné un aperçu de la seule voie vers la libération (que ce soit la libération nationale ou encore religieuse) : la classe ouvrière mondiale unifiée autour d’un programme socialiste.
Les 80 années qui ont suivi ont été un cauchemar d’oppression nationale pour les mêmes minorités qui avaient goûté à la libération durant les années qui ont directement suivi la révolution. Le stalinisme d’abord et maintenant le capitalisme ont signifié l’oppression brutale pour les minorités de la région. Après l’horreur de Beslan, le danger d’une nouvelle guerre caucasienne est présent. La cruauté des preneurs d’otages à Beslan a très justement choqué le monde, et nulle cause ne peut justifier de telles actions inhumaines. Néanmoins, les origines de la situation actuelle sont liées à l’horrible assujettissement du peuple tchétchène par les gouvernements russes successifs, avec 250.000 tués et la capitale Grozny rasée. C’est l’incapacité complète du capitalisme au 21ème siècle de résoudre la question nationale qui va mener une nouvelle génération à redécouvrir le véritable héritage des bolcheviks.
Les bolcheviks et les musulmanes.
Le JENOTDEL (Le bureau des ouvrières et des paysannes) a mené une campagne pour aller vers les paysannes opprimées du monde soviétique, souvent en prenant un grand risque. En Asie Centrale, les militants du Jenotdel ont organisé des «yourtes rouges» («tentes rouges») où les femmes de la région se voyaient offrir une formation pour différents métiers, l’alphabétisation, une formation politique et ainsi de suite.
Cependant, comme la révolution est restée isolée, cette démarche n’a pas pu pleinement réussir (ni dans les régions musulmanes, ni dans l’Union Soviétique) parce que la révolution, dans un pays économiquement arriéré, était incapable de fournir les moyens économiques et culturels pour libérer les femmes. Trotsky avait décrit comment la nouvelle société envisageait de fournir des maternités, des crèches, des jardins d’enfants, des écoles, des cantines sociales, des laveries collectives, des stations de premiers secours, des hôpitaux, des sanatoriums, des organisations athlétiques, des théâtres, tous gratuits et de haute qualité pour donner à la femme et ainsi au couple amoureux une véritable libération des chaînes d’oppression millénaires.
Mais il continuait d’expliquer «il s’avérait impossible de prendre d’assaut la vieille famille, non pas parce que la volonté manquait, ou parce que la famille était si fermement ancrée dans les cœurs des hommes. Au contraire, après une courte période de méfiance envers le gouvernement et ses crèches, jardins d’enfants et institutions comme celles-ci, les ouvrières et après elles les paysannes les plus avancées ont apprécié les avantages infinis de la prise en charge collective des enfants ainsi que de la socialisation de toute l’économie familiale. Malheureusement, la société était trop pauvre et trop peu cultivée. Les véritables ressources de l’Etat ne correspondaient pas aux plans et aux objectifs du Parti Communiste. On ne peut pas «abolir» la famille, il faut la remplacer. La véritable libération des femmes est irréalisable sur la base de la «pénurie généralisée». L’expérience prouvera bientôt cette austère vérité que Marx avait formulé 80 ans auparavant» (La Révolution trahie).
La «pénurie généralisée» était particulièrement aiguë en Asie Centrale. Pratiquement, cela signifiait que les femmes qui s’évadaient des situations familiales répressives étaient confrontées à la famine comme elles n’avaient littéralement pas de moyens de soutien alternatifs. Même si les moyens économiques avaient existé pour libérer les femmes du fardeau domestique et leur permettre d’avoir un rôle économique indépendant, il n’y a pas de doute que le nouvel Etat ouvrier aurait toujours été confronté à de la résistance, particulièrement dans les régions économiquement arriérées où la classe ouvrière n’existait pas encore. Cependant, comme Trotsky l’a décrit, après une période, sur la base des ressources fournies, l’écrasante majorité en serait venue à comprendre les avantages de la libération des femmes.
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Bolcheviks et Mencheviks
Il y a 105 ans, le 30 juillet 1903, le deuxième congrès du Parti Social Démocrate de Russie (POSDR) commençait à Bruxelles. C’est durant ce dernier qu’est survenue la division historique entre Bolcheviks et Mencheviks. Les commentateurs capitalistes, de même que les staliniens, présentent les Bolcheviks et Lénine comme le point de départ de ce qui deviendra le régime de Staline. Mais qu’est-il réellement arrivé à ce Congrès? Comment ces événements ont-ils formés les Bolcheviks jusqu’à la révolution de 1917?
Par Per-Åke Westerlund, Rättvisepartiet Socialisterna (CIO-Suède)
Le fait que Lénine ait été un social-démocrate est quelque chose que ni les sociaux-démocrates ni les staliniens n’ont envie de rappeler. Mais le mouvement ouvrier organisé était dans sa totalité à l’intérieur de la Deuxième Internationale et portait l’étiquette de "social-démocrate" jusqu’à la Première Guerre Mondiale, où il s’est divisé. Sur le plan international, Lénine et les Bolcheviks étaient presque les seuls parmi les dirigeants sociaux-démocrates à s’opposer à la guerre. En 1919, en conséquence directe de la réussite de la révolution socialiste en Russie, l’Internationale Communiste a été fondée, la plupart de ses militants étant issus de la gauche des partis sociaux-démocrates.
Le congrès du POSDR (Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie) de 1903 avait précisément pour objectif de former un parti ouvrier en Russie. Au cours de toute la période qui a suivi son congrès de fondation en 1898, à Minsk, le parti existait sous la forme de groupes lâches d’études et de cercles, souvent isolés, harcelés par la police secrète et manquant de cohésion et de continuité.
L’Iskra
Afin de garder le parti uni et de le développer, le journal "Iskra" (l’étincelle) a été lancé de l’exil en 1903, au retour de Lénine de Sibérie. Les dirigeants sociaux-démocrates les plus avancés y collaboraient, notamment Plekhanov, Martov et Trotsky. Il était ensuite distribué à des groupes d’ouvriers en Russie. L’idée était d’établir l’organisation du parti autour du journal, qui avait pour tâche l’éducation politique tant des auteurs que des lecteurs, aussi bien que de donner des nouvelles des luttes des travailleurs.
L’Iskra a édité plusieurs articles cruciaux sur les nouvelles étapes pour développer le POSDR. Lénine, après discussions et aprobations par le bureau de rédaction, avait écrit des articles comme "Les tâches pressantes de notre mouvement" (éditorial du n°1), "Où commencer?" et "Lettre à un camarade", qui ont été distribués et discutés. A cette époque, la polémique contre les idées "économistes" était une discussion importante. Les économistes avaient reçu ce nom à cause de l’accent qu’ils mettaient sur les luttes économiques des travailleurs au détriment de leur lutte politique. Pour eux, un kopek d’augmentation salariale était plus important que la lutte politique contre le régime tsariste.
L’économisme était apparu quand les cercles du parti, qui avant discutaient principalement de la propagande socialiste, ont commencé à se tourner vers l’extérieur et vers de plus larges couches d’ouvriers. Certains ont été emportés par le nombre croissant de grèves et n’ont pas osé mettre en avant le programme socialiste. Au contraire, ils ont créé une tendance politique affirmant que les ouvriers eux-mêmes comprendraient le besoin de politique et que "la lutte est tout". Lénine a démontré que les sociaux-démocrates ont à la fois à "soutenir chaque protestation et chaque révolte" ainsi qu’à discuter de la manière dont les grèves étaient liées à la lutte pour le renversement de l’autocratie tsariste et au combat pour le socialisme. Sortir des activités clandestines pour ouvrir le travail du parti a finalement permis de voir quels membres étaient capables de faire autre chose que simplement parler et étaient préparés à s’adapter.
Les discussions autour de l’Iskra ont miné une grande partie du soutien des économistes. Le but du congrès en 1903 était, comme Lénine l’a écrit, que "le programme de l’Iskra devienne le programme du parti, les plans d’organisation de l’Iskra doivent être fondés dans les statuts d’organisation du parti". Il s’agissait de sortir d’une mentalité de cercle vers un parti aux principes politiques communs. L’Iskra était la tendance la plus forte dans le POSDR et, au congrès, était vu comme un courant homogène.
Avant que le congrès ne débute, il y avait de la résistance contre les idées de l’Iskra au sein du POSDR de la part d’autres tendances telles que le Bund et le Rabotchie Delo, qui voulaient toutes les deux garder leur autonomie. Le Bund était une organisation social-démocrate juive à la droite du parti et Rabotchie Delo défendait les économistes. Ce qui est finalement arrivé au congrès, à la surprise des participants, c’est qu’une partie des défenseurs de l’Iskra ont fini par faire alliance avec les adversaires les plus déterminés de l’Iskra.
Les statuts
Contrairement à ce qui est affirmé tant par les staliniens que par les conservateurs, la scission ne s’est pas faite sur base du programme politique. Le programme du parti avait été voté unanimement, avec juste une abstention. Ce n’est qu’à la 22ème session que la division est apparue, à l’occasion des discussions sur les statuts du parti et de l’élection du bureau de rédaction. Des projets de statuts avaient été formulés par Lénine et distribués avant le congrès. Mais au congrès, Martov, lui aussi de l’Iskra, a fait une contreproposition pour le premier paragraphe. En surface, la différence n’était pas si grande.
La proposition de Lénine était: "est membre du parti celui qui accepte son programme, qui soutient financièrement le parti et qui participe personnellement à l’une de ses organisations."
La proposition de Martov était: "un membre du POSDR est quelqu’un qui accepte son programme, travaille activement pour accomplir ses objectifs sous le contrôle et la direction des organes du parti."
La différence était entre le fait de travailler "dans une des organisations du parti" ou "sous le contrôle et la direction" des organisations du parti.
Lénine a résumé sa position : "Les conditions pour devenir membre sont a) un certain niveau de participation dans l’organisation et b) ratification par le comité du parti."
Martov, d’autre part, a expliqué que pour lui "chaque gréviste" devait pouvoir s’estimer être membre du parti. Contrairement à la mythologie qui a fait du congrès de 1903, sous la direction de Lénine, le début d’une sorte de "parti élitiste", c’est la proposition de Martov qui a gagné le vote – 28 contre 23. Martov a été soutenu par sept des huit délégués anti-Iskra (ironiquement, la décision a été renversée en faveur de Lénine au congrès d’unité des Bolcheviks et Mencheviks en 1906).
Le bureau de rédaction de l’Iskra
Au congrès de 1903, l’Iskra était censée devenir l’organe central du parti. Comme pour les statuts, il y avait depuis longtemps eu une proposition selon laquelle le bureau de rédaction devait se composer de trois personnes. Avec l’avantage d’une expérience faite de trois années de fonctionnement avec d’autres, Lénine a proposé que lui, Plekhanov et Martov composent le bureau. C’étaient les trois qui, dans les faits, effectuaient déjà les tâches principales et écrivaient les principaux articles. Cela signifiait que trois membres du vieux bureau de rédaction devaient le quitter – les vétérans Pavel Axelrod, Vera Zasulich et Alexandre Potresov.
Cependant, cette proposition a rencontré de la résistance. L’opposition politique aux idées de l’Iskra a été mêlée à des considérations personnelles éprouvées envers ces trois là par certains de l’Iskra. Comment les trois qui devaient quitter le bureau allaient-ils prendre la décision? Le congrès a-t-il vraiment le droit de changer le bureau de rédaction?
Le vieil esprit de cercle était revenu et s’opposait aux efforts pour établir un vrai parti construit sur des décisions prises à la majorité. Sept délégués anti-Iskra ont quitté le congrès avant que le vote ne soit tenu, ce qui a donné à Lénine l’avantage avec 19 voix contre 17. C’est ce vote qui a donné le nom de Bolcheviks (majoritaires) et Mencheviks (minoritaires).
La nouvelle minorité de l’Iskra, les Mencheviks, avant le congrès, était d’accord sur les propositions et avait souligné l’autorité des décisions du congrès. Mais, après le congrès, ce n’était plus le cas. Martov a refusé de rejoindre le bureau de rédaction, qui n’a donc plus été constitué que de Lénine et Plekhanov.
Pas une question de vie ou de mort
Après le congrès (qui avait été déplacé à Londres pour des raisons de sécurité), Lénine avait déclaré que les discussions n’étaient pas une question de vie ou de mort. Elles ne se basaient pas sur des principes politiques mais sur des méthodes dans la construction du parti. Trotsky était parmi les délègués qui avaient plaidé contre Lénine au congrès. Vingt ans plus tard, les staliniens l’ont qualifié de "Menchevik". Mais, en 1903 déjà et durant la révolution de 1905, Trotsky était politiquement proche des Bolcheviks. Quand il a rejoint le parti Bolchevik en juillet 1917 et qu’il a, ainsi que Lénine, dirigé la Révolution d’Octobre, il a admis qu’il avait sous-estimé l’importance des déclarations de Lénine sur la construction du parti.
Au printemps 1904, Lénine a récapitulé la discussion du congrès dans son livre "Un pas en avant, deux pas en arrière". La division a eu lieu entre une position qui définissait le congrès comme l’organe décisionnel le plus élevé du parti et une autre position qui était pragmatique et opportuniste. Martov et ses défenseurs avaient dit que "chaque gréviste" pourrait être membre mais, dans la pratique, une définition plus lâche de l’adhésion aurait été appliquée principalement vers leurs amis académiciens, c.-à-d. chaque professeur et chaque étudiant ! Ceux-ci auraient alors pu se compter parmi les membres du parti sans participer à la vie intérieure du parti – sans responsabilité ni fonctions.
Les Mencheviks ont plaidé pour un "large parti ouvrier" contre ce qu’ils ont qualifié de petit groupe de "conspirateurs" de Lénine. Mais compter plus de personnes en tant que membre et faire augmenter de ce fait le nombre d’adhésions ne rend pas un parti plus fort pour autant. Ce qui était nécessaire pour lutter contre le tsarisme et le capitalisme était un parti ouvrier une prise de décision collective et une organisation collective.
L’Iskra a mis en avant deux méthodes fondamentales pour la construction du parti – le centralisme et le rôle particulier du journal pour lier ensemble le parti dans son travail, la plupart du temps clandestin. L’idée de centralisme, qui était déjà présente, a été déformée et tordue pour signifier au cours des décennies suivantes un fonctionnement exclusivment de haut en bas. Rosa Luxembourg, qui avait l’expérience du Parti Social Démocrate allemand (SPD) comme un parti "de haut en bas", virant de plus en plus à droite et offrant des positions confortables à ses dirigeants, a critiqué Lénine pour ses déclarations sur le centralisme et sur le fait d’avoir des révolutionnaires professionnels.
Lénine, cependant, a répondu qu’il n’a défendu "aucune organisation particulière contre une autre", mais bien l’idée même d’une organisation. Si les décisions et les politiques d’un parti ne sont pas centralisées, ce n’est pas un parti, mais plusieurs. Pour Lénine cependant, différentes vues pouvaient être débattues et l’opposition permise au sein d’un parti centralisé.
Sur la question des révolutionnaires professionnels, Lénine a plus tard admis qu’il avait suraccentué ce point, avant qu’il ne soit devenu normal que les membres dirigeants du parti travaillent pour le parti. Et, contrairement au SPD, les permanents Bolchevik n’ont eu aucun privilège.
Le centralisme démocratique
Lénine a préconisé que le parti devait être basé sur le centralisme démocratique. Les Mencheviks et le SPD ont également employé l’expression. Le SPD était, sans contestation possible, le plus grand parti de la Deuxième Internationale et était généralement vu comme un parti marxiste et révolutionnaire. Rosa Luxembourg était parmi les quelques dirigeants qui avaient vu le processus de dégénération qui se déroulait sous la surface.
Pour les Bolcheviks, le centralisme démocratique signifiait la liberté la plus complète au cours des nombreuses et profondes discussions, mais l’unité dans l’application des décisions une fois qu’elles étaient prises. Cela a été totalement renversé par le centralisme bureaucratique et autoritaire du stalinisme. Staline a pris le pouvoir dans les années ‘20 et ‘30 par ce qui était, en pratique, une guerre civile unilatérale. Les purges et les exécutions massives ont été dirigées contre les dirigeants et les membres du parti Bolchevik. Une bureaucratie privilégiée a pris le pouvoir en Union Soviétique. Sous le stalinisme, des positions différentes étaient proscrites, dans le parti russe mais aussi globalement dans les partis "communistes".
Deux pas en arrière
Si le congrès de 1903 a constitué un pas en avant, alors les mois suivants ont représenté deux pas en arrière. Au cours de la lutte qui s’est déroulée au congrès, Martov et les Mencheviks s’étaient alliés à la droite du parti, qui, du coup, a été revigorée. Cela a amplifié les contradictions après le congrès, qui se sont développées plus loin en problèmes politiques. La position de Lénine était que les discussions du congrès ne justifiaient pas une scission du parti. Lui et Plekhanov ont donc fait une proposition de paix permettant aux quatre autres de revenir au bureau de rédaction de l’Iskra. Mais ces derniers ont refusé. Plekhanov, qui avait tout d’abord émis des critiques acerbes contre l’opportunisme organisationnel de Martov, a alors capitulé. Il a défendu l’unité à n’importe quel prix et a commencé à voir les critiques de Lénine sur les Mencheviks comme le problème le plus grave. Le changement de position de Plekhanov a incité Lénine à quitter le bureau de rédaction, et les quatre autres y sont retournés.
La "Nouvelle Iskra", après le départ de Lénine, a adopté une nouvelle ligne politique. Par exemple, les discussions du congrès et les décisions qui y avaient été prises ont été ridiculisées par Plekhanov dans un article intitulé "Qu’est ce qui ne doit pas être fait?" Le journal a mis en avant que la "politique" était plus importante que les thèmes d’organisation. C’est un axiome avec lequel tous les marxistes peuvent être d’accord, mais cela signifiait pour la nouvelle Iskra d’éviter toutes les questions sur la construction du parti. Leur position était que les Bolcheviks rendaient toutes les "initiatives individuelles" impossibles. Si cela voulait dire que les "dirigeants" de différentes sortes pouvaient agir selon leur seul bon vouloir, cela était exact.
Lénine a répondu en exigeant "plus de lumière" sur les dirigeants du parti ; comptabilité ouverte de leurs activités et actions, possibilité de protester par des résolutions et, "dans le pire des cas, de renverser les personnes totalement incapables au pouvoir", étaient autant de méthodes pour confirmer la démocratie au sein du parti. Ceci aurait distingué le parti des cercles, où les menaces étaient la manière habituelle de discussion. C’était également la méthode de Martov qui, après le congrès, a refusé de participer au bureau de rédaction en dépit de son élection.
Les discussions dans le POSDR en ces années ont employé un ton très acerbe. Lénine lui-même a écrit en 1907, "les deux brochures, "Que faire" et "Un pas en avant, deux pas en arrière" représentent pour le lecteur une polémique parfois amère et destructive dans les cercles à l’étranger. Assurément cette lutte a eu beaucoup de côtés antipathiques. Seul un élargissement du parti par le recrutement d’éléments prolétaires peut, en combinaison avec des activités de masse ouvertes, en finir avec les survivances de l’esprit de cercle."
Durant les années suivantes, les Bolcheviks sont définitivement devenus la part ouvrière du POSDR. Lors de la première révolution russe de 1905, les Mencheviks ont été totalement pris par l’idée que la classe capitaliste devrait être impliquée, parce que la prochaine étape du développement de la Russie était selon eux une société démocratique-bourgeoise. Les Bolcheviks, quant à eux, ont souligné l’indépendance de la classe ouvrière – ne pas faire confiance ou se subordonner à la classe capitaliste – même si les Bolcheviks ont également souligné les tâches démocratiques-bourgeoises de la révolution: le renversement du Tsar, la résolution de la question agraire, la libération nationale. La révolution de 1905 a été perdue et plusieurs années de la réaction ont ensuite suivi.
Il a fallu attendre la montée des luttes suivantes, qui a commencé en 1912, pour que les Bolcheviks et les Mencheviks deviennent finalement deux partis distincts. Cette scission a été confirmée bien plus fortement au début de la Première Guerre Mondiale. Plekhanov a soutenu la Russie impérialiste dans la guerre.
Au cours de l’année 1917, l’année de la révolution, les Bolcheviks ont reçu l’appui de la majorité des ouvriers et des soldats. Le groupement politique, qui avait légèrement commencé son existence en 1903, avait alors gagné de la stature au cours des luttes suivantes et s’est montré capable de réaliser la prise de pouvoir par la classe ouvrière – un événement historique important qui a secoué les bases du monde entier.
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5 ans de guerre pour le pétrole et le prestige
Après cinq années de guerre en Irak, plus aucun doute ne subsiste sur le véritable motif de la guerre : le pétrole. Comme tout semble déjà avoir été dit, est-il encore nécessaire de débattre de cette guerre ?
Oui car, malgré les images atroces vues à la télévision, malgré les documentaires accusateurs, malgré le courant continu de rapports qui décrivent la barbarie qui règne là-bas, tout n’a pas encore été dit. Car cette guerre n’est pas simplement une guerre pour le pétrole.
Des Etats ne mènent pas des guerres pareilles uniquement pour des matières premières bon marché. Acheter le pétrole de Saddam aurait coûté moins cher que les centaines de milliards qui ont été injectés dans la guerre. Pourquoi alors cette guerre-ci a-t-elle pris une telle ampleur et est-elle si différente de la première guerre du Golfe ? Le problème se trouve dans les forces centrifuges qui secouent le capitalisme aujourd’hui.
Guerre froide…
En 1945, l’Union Soviétique avait émergé nettement plus forte que prévu de la Deuxième Guerre Mondiale. Elle avait une armée gigantesque et a pu relativement rapidement participer à la course aux armes nucléaires. Si l’Occident avait réagi de façon dispersée, il aurait été affaibli face à l’Union Soviétique. La guerre froide a permis de souder les Etats capitalistes autour des USA.
La crise économique qui a commencé à se développer dès la fin des années ’60 a partiellement desserré ces liens. La chute du Mur en 1989 a alors offert l’opportunité aux USA de se profiler à nouveau comme l’unique superpuissance au monde. Mener une guerre rapide et réussie dans une région stratégique comme le Moyen-Orient était alors apparu comme la meilleure manière de le faire savoir au monde. Pénétrer à Bagdad au cours de la première Guerre du Golfe (1991) était inutile, les dirigeants américains ne voulaient pas de colonie mais seulement faire savoir qui était le plus fort.
L’implosion de l’Union soviétique a fait disparaître l’ennemi extérieur. Les forces centrifuges ont alors repris force dans le camp occidental. Désormais, les USA, l’Union Européenne, le Japon, la Chine et la Russie luttent durement pour les matières premières et les marchés.
La situation a été rendue plus tendue encore avec la montée des inquiétudes économiques. Les USA ont bien l’économie la plus forte mais elle repose sur une énorme montagne de dettes. Leur croissance économique est de plus en plus dépendante de leurs relations avec la Chine. La perspective de difficultés économiques et politiques à venir a été en 2003 la principale raison de la deuxième Guerre du Golfe et de la décision des USA de renverser Saddam et d’occuper l’Irak. Cette fois, l’idée que l’Irak leur fournirait à bon marché le pétrole dont ils avaient tellement besoin l’a emporté.
Mais le prix à payer est énorme. La guerre, qui dure depuis 5 ans, a déjà coûté aux USA près de 3.000 milliards de dollars (selon l’étude du Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz). 700.000 Irakiens sont morts (pour 4.000 du côté américain), 2 millions de personnes ont fui le pays et en Irak même, il y a aussi 2 millions de réfugiés ayant fui leur région d’origine. La division religieuse et ethnique a balayé les discours sur la « démocratie » et la « stabilité ».
Face à cela, il n’y a rien à attendre d’une victoire électorale des Démocrates, un parti qui ne s’est jamais distancié de l’impérialisme et dont les candidats veulent maintenir à l’avenir au moins 100.000 hommes en Irak. Le seul moyen pour en finir avec cette barbarie, c’est de construire, en Irak comme aux USA, une force qui remette vraiment en cause l’impérialisme et sa politique de guerre et de pillage.
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Venezuela. La révolution en danger
La défaite d’Hugo Chávez lors du référendum de décembre marque un point tournant du processus révolutionnaire vénézuelien. Le fort taux d’abstention indique une frustration grandissante quant à la lenteur des changements. Dans le même temps, l’opposition de droite a été fortement encouragée par sa victoire. Tony Saunois analyse la situation présente.
Le 2 décembre 2007, Hugo Chávez, président du Venezuela, a malheureusement encaissé sa première défaite électorale depuis sa montée au pouvoir en 1998.
Donner de plus grands pouvoirs au président, autorisant ainsi Chávez à se présenter pour plus de deux mandats, établir ‘le pouvoir populaire’, décrire le Venezuela comme un ‘Etat socialiste bolivarien’, réduire la semaine de travail de 44h à 36h, voilà quelques-uns des 69 amendements proposés pour changer la constitution datant de 1999. Ces amendements ont été rejetés par 50,7 % contre 49,2% des électeurs, et avec un fort taux d’abstention (44%).
Le rejet de ces propositions pose d’importantes questions quant au futur de la révolution et aux dangers faces auxquels se trouvent maintenant la classe ouvrière et les masses. Cela illustre clairement la nécessité pour tous les socialistes, au Venezuela et internationalement, d’analyser la conjoncture actuelle de la lutte contre le capitalisme et les grands propriétaires, ainsi que les tâches que doivent assumer les militants dans le mouvement.
La défaite du référendum représente un pas en arrière pour la classe ouvrière et a aidé à renforcer l’opposition de droite pro-capitaliste. Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) et ses membres au Venezuela appelaient à voter OUI au référendum. Et cela en dépit des importantes limitations de ces propositions, comme celles qui tendaient à augmenter les pouvoirs centraux de la présidence, qui permettait ainsi à la droite de dépeindre le régime comme ‘dictatorial’. Mais malgré ces faiblesses, cela aurait été une erreur de donner comme consigne l’abstention ou le boycott, comme certains sur la gauche ont pu le faire, comme par exemple le dirigeant syndical Orlando Chirino. En effet, la victoire du non a eu comme effet de laisser ceux qui appelèrent au boycott plus isolés des activistes, rendant ainsi encore plus difficile de formuler des critiques des imperfections et manquements du gouvernement.
C’est une sérieuse défaite, bien qu’elle ne soit pas décisive. Mais il est aujourd’hui urgent de tirer les leçons de cet épisode si l’on veut pouvoir éviter d’autres défaites -qui risquent de s’avérer plus sérieuses- et faire avancer le processus révolutionnaire.
Comme nous l’avons commenté à l’époque, l’arrivée de Chávez au pouvoir représentait le commencement de changements importants dans la situation internationale. L’élection de Chávez a signifié un rejet décisif des politiques néolibérales qui ont dominé les années 90 suite à la chute des dictatures bureaucratiques et des économies planifiées dans l’ancienne Union Soviétique et l’Europe de l’Est. Son gouvernement n’était en effet pas prêt à capituler face aux exigences de l’impérialisme en appliquant des politiques néolibérales.
Initialement, Chávez ne parlait pas de socialisme mais se limitait à l’idée d’une ‘révolution bolivarienne’. Son régime populiste et nationaliste en est venu rapidement à appliquer des réformes radicales qui sont entrés en conflit avec l’impérialisme US et l’oligarchie dirigeante qui dirigeait le Venezuela depuis des décennies. Ces derniers ont organisé une série de tentatives pour renverser son régime. Chacune de celles-ci – une tentative de coup en 2002, un lock-out patronal en 2002-03, un référendum en 2004 pour essayer de démettre Chávez – a échoué grâce au mouvement spontané des masses soutenant Chávez.
Ces conflits opposants les masses et la classe dirigeante ont provoqué à chaque fois une radicalisation politique. Cela s’est reflété par exemple lorsque Chávez déclara que la ‘révolution’ n’était pas seulement ‘bolivarienne’ mais aussi ‘socialiste’. Il déclara aussi que le Venezuela s’était embarqué sur la route de la construction du ‘socialisme du 21ème siècle’. Après sa victoire électorale de décembre 2006, il est allé plus loin en annonçant son soutien au programme de transition et au concept de révolution permanente développés par Léon Trotsky.
Compte tenu du contexte d’offensive idéologique dirigée par la classe dirigeante et de ses représentants au sein des anciens partis ouvriers de masse contre le socialisme, ces développements représentaient et représentent toujours des pas en avant importants. Ils ont été reçus de manière très enthousiaste par une nouvelle génération de travailleurs et de jeunes qui observaient le Venezuela et Cuba – plus récemment, la Bolivie, avec l’élection d’Evo Morales, et maintenant l’Equateur – comme des contrepoids radicaux de gauche face à Bush, Blair et le capitalisme néolibéral.
Pendant que dans d’autres pays, l’application de politiques néo-libérales entraînait des plans d’austérité et des attaques sur les conditions de vie des travailleurs, le gouvernement de Chávez a introduit une série de réformes populaires, que nous soutenions, comme expliqué dans différents autres articles et dossiers (www.socialistworld.net). Elles ont été financées par le haut prix du pétrole sur le marché mondial et la croissance économique, qui a particulièrement été bénéfique pour la classe moyenne.
Pauvreté et aliénation
Quoiqu’il en soit, de nombreux problèmes sociaux persistent, avec un taux de pauvreté qui reste élevé. La frustration qui découle de l’incapacité à résoudre ces problèmes, couplée à la colère par rapport à l’augmentation de la corruption et aux méthodes bureaucratiques ont créé le terreau pour la défaite du référendum. Le taux de chômage est officiellement de presque 10%. L’insuffisance de nourriture, une inflation au dessus des 20 % et l’énorme crise du logement ne peuvent pas être résolus tant que le système capitaliste survit. Le manque de plus de 2,7 millions de maisons, avec environ 1,3 millions d’habitations ressemblant plus à des petites cabanes qu’à des véritables logements, illustre à quel point la situation reste désespérée pour des millions de personnes.
La pauvreté et l’aliénation dans la société se reflètent par le haut taux de criminalité, et plus spécifiquement de meurtres, qui touche essentiellement les grandes villes. En 2000, le ‘taux de meurtres’ s’élevait à 33,2 pour 100.000 comparé à 1,1 au Japon ou encore 5,51 pour les Etats-Unis. Depuis, la situation s’est encore aggravée et aujourd’hui, la capitale Caracas est plus violente que Rio.
En novembre 2007, onze meurtres par jour étaient signalés à Caracas. Environ 1000 personnes ont été kidnappées en 2006 pour ensuite exiger des rançons. La criminalité est aujourd’hui un grand sujet de controverse et le gouvernement est considéré comme avoir été incapable de le résoudre. Certains pourraient argumenter qu’il n’est pas correct de blâmer Chávez concernant ce haut taux de criminalité. Mais le crime existera toujours dans des sociétés qui sont touchées par la pauvreté et le malaise social. En dernière instance, cela ne peut se résoudre qu’en se débarrassant définitivement du capitalisme et des conditions sociales qu’il engendre.
La question de la criminalité est une question cruciale, et il est important pour le mouvement ouvrier de la prendre en compte d’une manière pratique. La police, faisant parti de la machine d’Etat capitaliste, est criblée par la corruption. Les communautés locales doivent s’organiser pour se défendre des attaques criminelles violentes et des gangs. Une des plus grosses faiblesses du mouvement est l’absence d’un mouvement indépendant conscient et organisé de la classe ouvrière et des pauvres. Si un tel mouvement existait, la construction de conseils élus démocratiquement dans les communautés locales pourrait être liée à la formation de comités de défense. Ceux-ci pourraient alors prendre des mesures pour se débarrasser des gangs criminels et offrir une véritable alternative pour tous les jeunes désorientés qui sont attirés par ces bandes.
En finir avec le capitalisme
Les problèmes socio-économiques qui continuent à empoisonner le Venezuela proviennent de la continuation du capitalisme. Les discours de Chávez et la propagande pour un « socialisme du 21ème siècle » ne sont pas un programme qu’on peut appliquer.
Le haut taux de pauvreté, la bureaucratisation et la corruption croissantes, au sein du gouvernement, des directions syndicales et même des organisations sociales et locales, ont exacerbé la colère, la frustration et la déception parmi de larges couches de travailleurs et de pauvres, et particulièrement dans les zones urbaines. Tout cela, ajouté à l’incapacité à faire avancer le processus révolutionnaire, a plongé la situation dans une certaine impasse. La déception est sans doute moins forte dans les zones rurales qui ont pu bénéficier d’un grand nombre de réformes, mais l’ambiance est largement retombée dans les villes.
La cause plus profonde de tout cela provient de l’incapacité à rompre définitivement avec le capitalisme et à établir un gouvernement des ouvriers et des paysans, basé sur une économie socialiste planifiée démocratiquement. Un grand nombre de personnes ont dû se dire que ne pas voter ne représentait pas une menace contre-révolutionnaire immédiate. Cependant, si on ne sort pas de cette impasse, les forces contre-révolutionnaires vont croître et finalement se débarrasser du régime de Chávez.
De nouveaux dangers menacent Chávez et son régime. Puisque les réformes ont largement été financées par un prix du pétrole sans cesse croissant, cette situation peut se retourner par les symptômes d’une crise mondiale. Cela pourrait provoquer une chute des revenus tirés du pétrole, et donc un recul dans les réformes.
Entre ‘74 et ‘79, le régime nationaliste et populiste de centre-gauche de Carlos Andrés Perez avait introduit des réformes sociales significatives qui furent financées par la hausse du prix du pétrole. En ‘79, le baril de pétrole avait atteint les 80$. Peu après, ces réformes devinrent infinançables car une crise faisant chuter le prix du baril à 38$ frappa le Venezuela dans les années ‘80. Le taux de personnes vivant sous le seuil de pauvreté explosa de 17% en 1980 à 65% en 1996. C’est un avertissement clair à Chavéz et à la classe ouvrière sur ce qui risque d’arriver si le capitalisme n’est pas remplacé par une économie socialiste démocratiquement planifiée.
Malheureusement, certains dans la gauche socialiste n’ont envisagé ce problème que pour le traiter de sectaire ou d’inutilement détaillé. Mais maintenant, confronté à ce brusque retour de manivelle du référendum, ils prennent conscience un peu tard des dangers et commencent à s’en faire l’écho. Cela s’illustre par le fait que la Tendance Marxiste Internationale (IMT), qui avait cherché à agir comme conseiller bénévole d’Hugo Chávez, a critiqué, suite à la défaite du référendum, une dangereuse « illusion, qui existe parmi la direction et les masses elles-mêmes, que la révolution serait une espèce de marche triomphale qui pourrait éviter tous les obstacles ». (Alan Woods, La révolution vénézuélienne à la croisée des chemins, 11 janvier)
Cependant, le groupe vénézuélien de la IMT semble avoir été victime de ce danger précisément, sous-estimant les dangers auxquels doivent faire face les masses et la possibilité de contre-attaque de la part et d’engranger des succès de la part de la contre-révolution. Deux jours avant le référendum, un article publié sur le site de IMT prédisait : « Et nous ne doutons pas que la décision de la majorité sera en faveur du OUI… La victoire du OUI le deux décembre est le premier pas dans ce sens. »
L’avertissement du référendum
Les conséquences de l’incapacité à en finir avec le capitalisme commencent à éroder l’enthousiasme pour Chávez et son régime. Il faut souligner que 44% se sont abstenus lors du référendum et le nombre de personnes ayant voté « oui » est de trois millions inférieur au nombre d’électeurs de Chávez lors des élections présidentielles de décembre 2006. Le nombre de votant pour le oui était même inférieur d’un million au nombre d’adhérents revendiqué par le parti récemment lancé Partido Unificado Socialista de Venezuela (PSUV).
De plus, le NON a triomphé dans les 9 états les plus peuplés des 23 et dans 13 des villes les plus grandes, y-compris Caracas. Le OUI a triomphé dans les 14 états les plus ruraux et les moins peuplés. Dans la capitale, des anciens bastions chavistes, comme Petare, Caricuao et Catia ont enregistré un vote substantiel pour le NON et un haut taux d’abstention. Mais surtout, la droite a pu engranger 300.000 votes de plus que lors de la dernière élection présidentielle.
Les signaux d’alerte auraient pu être vus lors de la dernière campagne présidentielle en décembre 2006. En dépit du fait que Chávez ait gagné avec une claire majorité, la droite, l’opposition pro-capitaliste, a commencé à se fédérer autour de Manuel Rosales et en est ressortie renforcée. La campagne électorale a été marquée par de plus gros meetings de la droite et un niveau de participation plus faible de la part des supporters de Chavez. Les masses se rallieront derrière Chávez lorsque la menace d’une défaite apparaîtra comme un scénario sérieux.
Le faible niveau d’activité et de participation dans la campagne électorale illustre une croissance du sentiment de colère et de frustration face à l’incapacité à pousser le processus révolutionnaire en avant. Malgré l’enthousiasme immense qui a résulté des réformes dans la santé, l’enseignement et dans l’approvisionnement de nourriture, la continuation du capitalisme a provoqué un taux de chômage élevé, des pénuries de nourriture, une inflation croissante, une crise massive du logement et une bureaucratisation et une corruption en hausse. En plus de ces problèmes sociaux, il faut souligner l’explosion du nombre de crimes, et spécialement de crimes violents, qui a commencé à mener à la frustration, et même à la désillusion parmi certaines parties des supporters de Chávez.
Ces questions ont permis à l’opposition de droite de ramener des tranches entières de la classe moyenne sous sa bannière. La menace d’une victoire de la droite aux élections présidentielles avait provoqué un renforcement du soutien à Chávez. Mais cette fois cette menace directe n’a pas été vue par les masses dans le référendum pour changer la constitution. Bien qu’il reste une véritable marge de manœuvre à Chávez et qu’il gagnerait probablement les élections si elles devaient se tenir aujourd’hui, cette défaite est un sérieux avertissement des processus qui commencent à se mettre en place.
Résurgence de la droite
Les effets des problèmes socio-économiques ont été renforcés à cause de quelques erreurs commises par Chávez et dont l’opposition a su jouer, utilisant la peur des gens et plus spécifiquement de la classe moyenne. Ils ont accusé Chávez de bâtir une « dictature déguisée ». Le CIO a averti que la décision de refuser à RCTV sa licence (une station radio-télévisuelle de droite pro opposition) permettrait à l’opposition de se réunifier et de se réorganiser. Nous écrivions : Malheureusement, le refus de renouvellement de la licence de RCTV, à cause de son timing et de la manière dont il a été fait, est une erreur tactique du gouvernement de Chávez dont l’opposition pourra jouer ». (RCTV et la question des médias, 20 juillet 2007) Cette question est devenue un point central autour duquel l’opposition de droite a été capable de mobiliser et de redynamiser ses forces. De larges manifestations ont été lancées avec le soutien de couches d’étudiants de la classe moyenne autrefois inactives.
Ces inquiétudes se trouvèrent renforcées par certains des amendements proposés à la constitution de 1999, qui servaient à renforcer le pouvoir de la présidence sans contrepoids démocratique et comprenaient de forts éléments bonapartistes. La limite du nombre de fois qu’un candidat pouvait être élu allait être effacée et le mandat présidentiel allait être prolongé de 6 à 7 ans – comme c’était le cas en France durant la cinquième république de Charles de Gaulle. Un état ouvrier démocratique ne peut être assimilé à un régime bonapartiste. Dans un véritable état ouvrier démocratique, al question de savoir formellement qui est président et pour combien de temps serait immatérielle. Cependant, le Venezuela n’est pas une démocratie ouvrière et cette question a été perçue par certaines couches de la société comme une attaque sur les droits démocratiques et a été utilisée comme une arme par l’opposition.
Le président, et non le parlement, devait aussi obtenir le pouvoir de nommer tous les officiers de l’armée. Il devait aussi obtenir le pouvoir de désigner de nouvelles zones géographico-politiques, comme des municipalités fédérales, et de nommer les différentes autorités censées les administrer. Il n’existait pas de définition du niveau de pouvoir de ces nouvelles autorités et districts territoriaux. D’autres propositions telles que la suppression du « droit à l’information » dans le cadre d’une déclaration d’état d’urgence par le président. Les socialistes défendent le droit pour le gouvernement Chávez de prendre toutes les mesures nécessaires à l’empêchement de toute tentative de prise de pouvoir par la droite, à travers un autre coup d’état par exemple. Mais ce ne sont pas des questions constitutionnelles, en les traitant comme telles le gouvernement offre à la droite le bâton pour lui taper dessus. Alors que l’opposition dynamisait ses supporters de la classe moyenne, des pans des supporters traditionnels de Chávez se retrouvaient désorientés dans la campagne.
Tout cela s’est retrouvé encore renforcé par une colère montante contre la bureaucratie et son approche « par le haut », par l’absence d’un véritable système démocratique ouvrier et d’une participation consciente et active des masses à la lutte. Les supporters de Chávez n’étaient pas prêts à aller de l’avant, ni à soutenir le NON, ils se sont pourtant tenus à l’écart des bureaux de vote. Selon des rapports de nos membres au Venezuela, beaucoup le regrettent aujourd’hui.
Une des tâches auxquelles sont confrontés les masses et les marxistes dans n’importe quelle révolution est de parvenir à gagner le soutien des couches moyennes dans la société (étudiants, petits commerçants,…) qui sont aussi exploitées socialement et économiquement par le capitalisme. Le mouvement révolutionnaire socialiste a besoin de les convaincre de qui sont leurs véritables ennemis et qu’ils n’ont rien à craindre du socialisme. Au contraire, une société socialiste peut leur offrir une solution à leurs problèmes et développer leurs talents et leurs capacités. Malheureusement, l’attitude adoptée par Chávez a donné l’arme qu’il fallait à la droite pour les récupérer.
Les marxistes ne considèrent pas vulgairement la classe moyenne et tous ceux qui ont voté NON comme une masse réactionnaire homogène. Cette approche erronée a été amplifiée par le IMT immédiatement après le référendum. Woods a simplement dénoncé « les petits commerçants, les étudiants « gosses pourris des riches », les employés gouvernementaux, pleins de ressentiment face aux avancées de la « plèbe », les pensionnés nostalgiques « des bons vieux jours » de la quatrième république… Ces éléments apparaissent comme une force formidable en termes électoraux, mais dans la lutte des classes, leur poids est pratiquement nul ». (La défaite du référendum – Qu’est-ce que cela signifie ? 3 décembre 2007)
Ce revirement a revigoré l’opposition et montre clairement la menace croissante de la contre-révolution. D’un autre côté, on n’en est pas encore au point d’une défaite décisive pour le mouvement. La droite pourrait regretter cette tactique, car elle pourrait provoquer une réaction des masses et pousser le mouvement plus à gauche. Il reste encore du temps pour tirer les leçons nécessaires, ce qui permettra de renverser le capitalisme et de définitivement en fini avec lui.
Mais il existe une nouvelle urgence, une course contre le temps : la contre-révolution essayera de capitaliser sur la situation d’impasse actuelle. Un brusque changement dans la situation économique et une chute du prix du pétrole pourrait accélérer ces développements et donner l’opportunité à la droite de se renforcer et de préparer le terrain pour une défaite plus décisive de Chávez et des masses.
Il est urgent de tirer le bilan des luttes des travailleurs, des jeunes et des masses des différentes étapes traversées par la lutte depuis la venue au pouvoir de Chávez. A cela, il faudra ajouter les leçons cruciales de la classe ouvrière internationale pour aider les travailleurs et les jeunes à tirer les conclusions nécessaires pour s’assurer la défaite définitive de la contre-révolution et pour s’assurer que la transformation socialiste et démocratique de la société puisse continuer.
Le pouvoir économique
Tout en clamant son soutien pour la construction du ‘socialisme du 21ème siècle’, en pratique, Chávez a essayé de construire une économie et un Etat parallèles, côte-à-côte avec les monopoles et la machine d’Etat existants. Bien que Chávez ait augmenté l’intervention de l’Etat dans l’économie, il n’a nationalisé ni les grandes banques ni les monopoles, qui demeurent dans les mains du privé. Jusqu’à présent, il a limité les nationalisations à l’aciérie Venepal, ainsi qu’aux compagnies de télécommunication et d’électricité, CANTV et EDC.
Malgré les attaques hystériques contre Chávez de la part de l’impérialisme américain, suite à la croissance économique dans le secteur privé, ce dernier compte à présent pour une plus grande part dans l’économie que ce n’était le cas avant l’arrivée au pouvoir de Chávez.
Malgré les menaces verbales de Chávez de nationaliser les banques, il ne l’a pas fait. Basés sur une croissance du crédit qui a surtout bénéficiée aux classes moyennes, les résultats des banques vénézueliennes ont de quoi rendre jaloux l’ensemble du monde bancaire. Les profits réalisés dans le secteur bancaire ont crû de 33% en 2006. Les retours sur investissement ont dépassé de 33% la norme internationale.
Les supermarchés d’Etat ‘Mercal’, tout en vendant de la nourriture bon marché pour les pauvres, sont dans une logique de compétition avec les grosses chaînes de magasins et de supermarchés d’alimentation. Même si sous certaines conditions –dans le cas d’une situation de double pouvoir par exemple- des éléments d’économie parallèle peuvent être utiles et permettre de réaliser quelques progrès, une telle situation ne peut jamais durer indéfiniment.
Pour les marxistes, une situation de double pouvoir peut émerger lorsque la classe dominante n’a plus le contrôle de l’économie ou de l’Etat, du fait que son pouvoir est contesté par un mouvement révolutionnaire parmi la classe des travailleurs. Tout en concurrençant la classe dirigeante, devenue incapable de diriger la société, la classe ouvrière n’a cependant pas encore pris le pouvoir entre ses mains et imposé une défaite décisive aux capitalistes. Cette situation se conclut toujours soit par la prise du pouvoir par les travailleurs, soit par le rétablissement du contrôle de la classe dirigeante.
Les capitalistes se battront jusqu’au bout afin d’empêcher le secteur étatique d’assumer un rôle de plus en plus important dans ce qu’ils considèrent comme leur chasse gardée, et ne tolèreront jamais de se voir retirer les leviers de leurs pouvoirs économique et politique. Si c’est nécessaire, ils recourront même à la dictature militaire brutale afin d’empêcher un tel mouvement de se développer. Pourtant, procéder à une incursion graduelle de l’Etat dans l’économie capitaliste est exactement ce que Chávez a essayé de faire. Parallèlement, il a laissé le pouvoir économique décisif dans les mains des capitalistes, qui l’ont utilisé par exemple pour imposer des pénuries de café, de riz, de haricots et d’autres aliments de base, comme riposte face aux prix des produits contrôlés par l’Etat.
Ces pénuries ont joué un rôle important dans la campagne que l’opposition a mené en vue du référendum. Dans un sondage réalisé en novembre 2007, 75% des Vénézueliens pensaient que les pénuries de nourriture étaient volontairement suscitées par le patronat afin de saboter l’action du gouvernement. Cependant, dans un sondage entrepris dans la semaine précédant le référendum, une majorité accusait l’inefficacité et la corruption du gouvernement.
Il est impossible d’assagir un tigre en retirant une à une chacune de ses griffes. De la même manière, il est impossible de retirer les capitalistes du contrôle de l’économie en grapillant graduellement un secteur après l’autre. Dans les faits, Chávez n’a même pas été jusque là. L’économie du Venezuela est hautement monopolisée. Cinq grosses familles oligarchiques – Cisnero, Mendoza, Caprile, Boulton et Phelps – ainsi que quelques grandes banques, contrôlent les secteurs décisifs de l’économie, à l’exception du pétrole. Aucun de ces conglomérats n’a été touché par Chávez.
Le fait de ne pas avoir nationalisé ces monopoles laisse à la classe dominante le contrôle de l’économie. Résultat : durant le récent boom économique, qui avait notamment vu une augmentation des dépenses de l’Etat en faveur de différents programmes publics, des profits gigantesques ont été réalisés. Dans le même temps, les capitalistes ont eu tout le loisir d’organiser le sabotage économique afin de miner l’action du gouvernement.
Les signes d’un ralentissement
L’ensemble de ces facteurs se sont reflétés dans le référendum. Pourtant, au lieu de réaliser que cette défaite reflète la frustration, la déception et une certaine impasse dans la situation actuelle, ce sont au contraire les masses qui sont accusées d’un ‘manque de compréhension’. Dans son émission télévisuelle hebdomadaire, ‘Alo Presidente’ du 6 janvier, Chávez affirme reconnaître que la population, ainsi que l’appareil d’Etat, ne sont pas “preparés pour faire face à ce qu’impliquait la réforme constitutionnelle, à savoir un renforcement du socialisme”. Plus menaçant, il déclara qu’ils (les habitants de Caracas et d’autres villes) “…ont une dette envers moi. Je l’ai noté dans mon agenda. Nous allons voir s’ils me paieront cette dette ou pas”. (Spanish daily paper, ABC, 9 décembre 2007)
Cette méthode d’analyses des reculs et des défaites fait écho à celle qu’utilisaient les dirigeants des partis communistes et socialistes réformistes lors de mouvements révolutionnaires historiques, tels que le Chili en 1970-73 ou la révolution espagnole dans les années ’30. Ces derniers justifiaient leur inaptitude à rompre de manière décisive avec le capitalisme en prétextant que les masses n’étaient ‘pas prêtes’ et que cela allait ‘provoquer’ la réaction.
Ayant dans un premier temps accusé le manque de compréhension des masses pour la défaite, Chávez a finalement conclu qu’il n’avait pas d’autre choix que de ‘ralentir la marche des événements’: “L’avant-garde ne peut pas se séparer des masses. Sa place est avec les masses! Je veux rester avec vous, et pour cette raison, je dois ralentir le rythme.” (6 janvier)
Les marxistes n’adoptent pas une approche sectaire vis-à-vis des masses, et ne peuvent ignorer le niveau de conscience et de compréhension politique existant. Cela aurait pour résultat d’avancer des slogans et des initiatives politiques qui ne seraient pas compris, et couperaient les révolutionnaires des larges masses. Les marxistes s’engagent activement dans le dialogue politique, dans l’échange des idées et des expériences, et mettent en avant des slogans et des revendications qui peuvent aider les masses à avancer dans leur lutte, et à tirer les bonnes conclusions sur le type de programme, de tâches et de méthodes nécessaires pour aboutir au socialisme.
Mais utiliser cela comme un argument pour ‘ralentir la marche de la révolution’ est quelque chose de tout à fait différent. Ce ‘ralentissement’ inclut un remaniement ministériel en janvier. Il s’agit surtout de redistribuer les portefeuilles ministériels parmi les ministres actuels. Un élément significatif, cependant, est le fait que l’ex-vice-président, Jorge Rodriguez, a été délogé et remplacé par l’ancien ministre du logement, Ramón Carrizales. La nomination de Rodriguez il y a un an avait été annoncée à l’époque comme un tournant à gauche dans la ‘route vers le socialisme’.
Il est probable que le ralentissement du rythme des réformes débute par un relâchement des contrôles sur les prix que le gouvernement avait précédemment introduits. En les desserrant, le gouvernement espère pacifier ses relations avec les producteurs et distributeurs du secteur de l’alimentation, qui avaient réagi en créant des pénuries dans la distribution. Il s’agissait de purs actes de sabotage, auxquels le gouvernement s’était montré incapable de réagir en nationalisant ces compagnies.
Derrière ce ‘ralentissement’, Chávez tente d’établir un ‘consensus national’ et d’apaiser les capitalistes. Dans l’émission ‘Alo Presidente’, Chávez argumentait : “Nous devons procéder à des améliorations dans le cadre de nos alliances stratégiques. Nous ne pouvons pas nous laisser dérouter par des tendances extrémistes. Nous ne sommes pas des extrémistes et ne pouvons l’être. Non ! Nous devons rechercher des alliances avec les classes moyennes, y compris avec la bourgeoisie nationale. Nous ne pouvons cautionner des thèses qui ont échoué dans le monde entier, comme l’élimination de la propriété privée. Ce ne sont pas nos thèses.”
En d’autres termes, ayant essuyé une défaite lors du référendum, Chávez en conclut qu’un accord doit être recherché avec la classe dominante. Les socialistes ne prônent pas l’élimination de toute la propriété privée, comme par exemple la nationalisation de tous les petits magasins ou la réquisition des maisons des particuliers. Néanmoins, il est nécessaire de nationaliser les monopoles et les banques qui dominent l’économie, et d’introduire une démocratie ouvrière dans le cas où une planification socialiste prend forme. Chávez a également annoncé l’amnistie pour certains personnages impliqués dans l’organisation du coup d’état de 2002, et ce afin “d’envoyer au pays un signal clair comme quoi nous pouvons vivre ensemble malgré nos différences”.
Il n’y a pas de troisième voie
Chávez revient en fait à la position qu’il défendait avant qu’il n’embrasse l’idée du socialisme, celle d’une ‘troisième voie’. Cette thèse s’appuie sur la vision erronée comme quoi il serait possible, en travaillant main dans la main avec l’aile ‘progressiste’ de la classe capitaliste, d’en finir avec la pauvreté et la corruption, et de développer une forme de ‘capitalisme plus humain’. Cette idée fait écho à la ‘théorie des deux stades’ avancée dans le passé par les staliniens et certains socialistes réformistes. Ces derniers prétendaient que, dans les pays semi-coloniaux, avant qu’il ne soit possible de renverser le capitalisme, il était nécessaire de développer l’industrie et l’économie en collaboration avec les capitalistes ‘progressistes’, postposant ainsi la question du socialisme aux calendes grecques.
De telles idées ont mené à la défaite du mouvement ouvrier durant la guerre civile espagnole, ou encore au Chili en 1973, et n’ont jamais abouti à la moindre victoire. A l’époque contemporaine, la classe dominante des pays semi-coloniaux est liée à l’impérialisme et est incapable de développer la société. Cette tâche retombe sur les épaules du mouvement ouvrier, aidé des autres classes exploitées par le capitalisme, et fait partie intégrante de la transformation socialiste de la société.
Ce n’est pas la première fois que Chávez tente d’apaiser les classes dominantes. Il s’agit en réalité d’une répétition de ce qu’il avait mis en avant suite à la défaite du coup d’état entrepris en 2002 par la réaction. Il demanda alors au peuple de rentrer chez lui, appelant à l’unité nationale et à la construction d’un ‘consensus national’.
Même le IMT a été obligé de reconnaître le caractère erroné d’une telle politique : “‘Aidé’ par ses conseillers réformistes, le président a tiré certaines mauvaises conclusions du référendum”. (Woods, La révolution vénézuelienne à la croisée des chemins, 11 janvier) Mais il est évident que Chávez porte une part importante de responsabilité également.
Woods déclare que “Chavez a bien compris le fait que la révolution a besoin de franchir ce saut qualitatif”. (Rencontre avec Hugo Chávez, Avril 2004) Encore une fois, dans La nationalisation de Venepal : qu’est-ce que cela signifie? Woods assure ses lecteurs que “Le président Hugo Chávez a révélé constamment un instinct révolutionnaire infaillible”. (21 janvier 2005) Pourtant, aucune de ces caractéristiques n’est perceptible dans les ‘mauvaises conclusions’ tirées par Chávez.
Chávez, parlant lors du congrès d’ouverture du PSUV nouvellement formé, fut forcé de reconnaître que le gouvernement restait paralysé par ‘l’inefficacité, la bureaucratie et la corruption’. Il insista également sur la nécessité de résoudre les “problèmes persistants tels que le crime, les pénuries alimentaires et l’inflation.”. “Pourquoi le lait a-t-il disparu? Pourquoi est-ce que la sécurité reste un tel problème…Pourquoi n’avons-nous pas été capables de limiter la corruption (sans parler de l’éradiquer)?”
Ces questions sont d’une importance cruciale. Malheureusement, la réponse de Chávez se limite à l’affirmation selon laquelle l’année 2008 sera l’année des ‘trois R’ : ‘révision, rectification et relance’. Pourtant les problèmes qu’il identifie ne se résoudront pas en ‘ralentissant la révolution’…
La conscience de classe se développe
Quelques jours plus tard, Chávez semblait repartir vers la gauche. Dans ‘Alo Presidente’ du 20 janvier, se référant aux pénuries alimentaires, il brandit la menace de la nationalisation de la terre et des banques. Ce n’est pas la première fois qu’il menace les banques ou d’autres secteurs de nationalisation, et rien ne nous certifie que ces menaces vont être mises à exécution. Ce n’est pas un hasard si ces menaces ont été faites pendant le congrès du PSUV; elles seront utilisées pour tenter de couper l’herbe sous le pied de certains activistes qui critiquent le tournant à droite de Chávez. En même temps, cela illustre que son régime peut toujours balancer vers la gauche et adopter des mesures de gauche plus radicales, y compris la nationalisation.
La bureaucratie et la corruption sont des problèmes cruciaux auquel le mouvement fait face aujourd’hui au Vénézuela. Pourtant, sans un système de démocratie et de contrôle ouvriers, un véritable bataille contre ces problèmes est irréalisable. Cela reflète une des principales faiblesses du mouvement. Accomplir une révolution socialiste demande l’organisation consciente et indépendante du mouvement ouvrier, soutenu par la jeunesse, les couches pauvres des villes, les sections radicalisées de la classe moyenne et par tous ceux qui sont opprimés par le capitalisme. Du fait de sa conscience de classe collective, qui se développe et s’affermit grâce au rôle qu’elle joue dans la production, la classe ouvrière a besoin de jouer ce rôle dirigeant décisif.
Jusqu’à présent, cela n’est pas reflété d’une manière pleinement consciente et organisée au Venezuela. Sans ce contrôle conscient et constant de la base, le développement de méthodes bureaucratiques monte inévitablement à la surface, et cela dans n’importe quel mouvement ouvrier ou révolutionnaire. Depuis le début, Chávez et les dirigeants du mouvement ont adopté une approche unilatérale, du sommet vers la base. Le régime s’est contenté du support des masses – et les a lancés dans la lutte lorsque la menace de la contre-révolution était clairement posée – mais les masses n’ont pas consciemment pris la direction du mouvement.
La fondation du PSUV peut offrir une importante opportunité de construire un nouveau parti de masse pour la classe ouvrière; un tel parti, doté d’un programme révolutionnaire socialiste, peut devenir une arme importante afin de faire avancer le processus révolutionnaire. Au moment où nous écrivons ces lignes se tient le premier congrès du parti, auquel participent 1.600 délégués (et qui est prévu de durer jusqu’à deux mois!) Le PSUV revendique plus de cinq millions de personnes inscrites pour rejoindre le parti, bien qu’il ne soit pas clair si ce sont des gens désirant réellement construire un parti socialiste, ou plutôt des gens enregistrés par les organisateurs locaux à partir du registre des électeurs. Si le PSUV se veut être un instrument pour porter une révolution victorieuse, alors il aura besoin de membres actifs, et pleinement impliqués dans les débats et les prises de décision; un tel parti ne peut se limiter à une addition de tous les partis pro-Chávez déjà existants. Le droit de se constituer en tendances, et de permettre le débat démocratique seront des éléments essentiels pour faire de ce parti une arme efficace pour la classe ouvrière, et pas un instrument docile au service de la politique du gouvernement.
Malheureusement, le PSUV a été formé du sommet, Chávez nommant un comité comprenant deux anciens généraux chargés de le mettre sur pied. En janvier, Jorge Rodriquez fut nommé responsable de la ‘coordination générale du PSUV’. Le CIO soutient le combat pour un PSUV pleinement démocratique avec un programme révolutionnaire socialiste.
La démocratisation des syndicats et la construction de comités démocratiquement élus sur les lieux de travail, afin d’établir un système de contrôle ouvrier, font partie des tâches les plus urgentes. De tels comités doivent être également mis sur pied dans les quartiers ainsi que dans l’armée. Structurés et coordonnés au niveau local, régional et national, ces comités pourraient constituer la base d’un gouvernement ouvrier et paysan. A travers la nationalisation des cinq banques et conglomérats familiaux, un plan démocratique et socialiste de l’économie pourrait ainsi être mis sur pied.
Cela ouvrirait la possibilité de forger des liens avec le mouvement des masses en Bolivie et, accompagné de la construction d’une démocratie ouvrière à Cuba, pourrait permettre le développement d’une fédération socialiste démocratique de ces différents pays. Cette perspective pourrait à son tour constituer un tremplin pour stimuler la révolution socialiste à travers l’ensemble du continent latino-américain. Une telle voie demeure la meilleure garantie afin d’assurer la défaite de la réaction qui, comme le récent référendum l’a illustré, peut reprendre du poil de la bête tant que le capitalisme ne sera pas renversé.
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Accuser l’impérialisme. “La Grande Guerre pour la Civilisation : La Conquête du Moyen-Orient”
Qui donc porte la responsabilité de la catastrophe au Moyen-Orient ? Dans ce livre, le journaliste Robert Fisk tente de retracer tous les événements qui se sont déroulés dans cette région au cours des 30 dernières années.
Revue par Per-Ake Westerlund.
Fisk a connu plus d’aventures que la plupart des héros de films. Parmi les gens qu’il a interviewés en tant que reporter figurent l’Ayatollah Khomeini et Oussama ben Laden, l’un pour le Times, l’autre pour The Independant. Il se trouvait en Iran pendant et après la révolution de 1979. Il a visité plusieurs fois la ligne de front des deux côtés pendant la guerre entre l’Iran et l’Iraq, en 1980-88. Il a accompagné les troupes russes dans les années 80’s jusqu’en Afghanistan, et y a été battu par une foule en colère après les bombardements américains de 2001. Il est arrivé à Bagdad par le dernier avion juste avant que Bush ne lance ses premiers missiles en mars 2003.
Fisk est toujours volontaire pour prendre des risques afin de se faire sa propre opinion sur ce qui se passe réellement. Il a de plus en plus défié la majorité des médias, par sa critique de la guerre d’Iraq et de l’oppression des Palestiniens par l’Etat d’Israël. Par conséquent, ce qu’il écrit vaut toujours la peine d’être lu, et c’est encore plus le cas pour ce livre, qui comprend plus de 1000 pages sur l’histoire récente du Moyen-Orient. Si le point de départ est la propre expérience de l’auteur, le thème n’en est pas moins la responsabilité des puissances occidentales dans la guerre, la souffrance et la dictature dans cette partie du monde. Une de ses conclusions est que « historiquement, il n’y a jamais eu d’implication de l’Occident dans le monde arabe sans que s’ensuive une trahison ».
Fisk écrit que le 11 septembre n’est pas la raison de ce livre, mais plutôt une tentative d’expliquer l’enchaînement des événements qui a mené aux fameux attentats. Comment Oussama ben Laden a-t-il pu remporter tous les sondages de popularité ? D’où vient-il ? La réponse se trouve dans l’histoire. Tout au long du 20ème siècle, les puissances occidentales ont démarré des guerres, occupé des pays, et renversé des régimes au Moyen-Orient, encore et encore. Selon Fisk, tout Arabe raisonnable serait d’accord de dire que les attentats du 11 septembre sont un crime, mais demanderait aussi pourquoi le même mot n’est pas employé lorsqu’on parle des 17 500 civils tués par l’invasion du Liban par Israël en 1982. Alors que les régimes du Moyen-Orient – l’Egypte, l’Arabie Saoudite, la Jordanie, la Palestine actuelle de Mahmoud Abbas – sont en excellents termes avec les Etats-Unis, ben Laden et d’autres islamistes ont rappelé aux masses toutes les guerres contre les musulmans dirigées par les USA et Israël. Avec l’échec sur le plan international des partis communistes staliniens et du mouvement social-démocrate à montrer la voie à suivre pour la lutte, c’est la religion qui est apparue comme un facteur politique. C’est le même facteur qui a également été utilisé par des régimes qui se prétendaient comme étant des musulmans authentiques – parmi lesquels le régime de Saddam Hussein des dernières années n’était pas des moindres.
A la suite du 11 septembre, George Walker Bush, avec le soutien des « dirigeants mondiaux », a décidé de bombarder ce pays déjà dévasté qu’était l’Afghanistan. Lorsque ce pays a été envahi par l’Union Soviétique en 1980, cela était le début d’une guerre qui allait durer 16 ans, avec plus d’un million de morts et six millions de réfugiés. Le régime stalinien déclinant de Moscou fut forcé à une retraite en 1988, après une longue guerre contre les « saints guerriers » moudjahiddines, que le président Reagan saluait en tant que « combattants de la liberté ». Parmi eux se trouvait un contingent saoudite, mené par le milliardaire ben Laden, financé et encadré par la CIA, la monarchie saoudite, et le Pakistan. A partir de 1988, le pays sombra dans la guerre civile entre différentes troupes de moudjahiddines, avant la prise du pouvoir par les Talibans en 1966. Les Talibans étaient des enfants de réfugiés afghans vivant dans la misère, élevés dans des écoles islamistes de droite au Pakistan, et armés par les services secrets pakistanais. Les Talibans prirent rapidement le contrôle du pays et établirent un régime islamiste fortement réactionnaire, notoire pour sa répression des femmes, son interdiction de la musique, etc. Oussama ben Laden, en conflit avec les Saoudites et les Américains après la première guerre d’Iraq en 1991, fut accueilli par les Talibans avec tous les honneurs.
Malgré le caractère du régime taliban, Fisk avait prévenu à quoi allaient mener les bombardements de Bush Jr. L’Alliance du Nord, les troupes au sol alliées de Bush, était elle aussi constituée d’assassins islamistes de droite – bien qu’opposés aux Talibans. Le nouveau président, Hamid Karzai, est un ancien employé d’Unocal, une compagnie pétrolière américaine qui essayait d’obtenir un contrat avec les Talibans au sujet d’un pipeline reliant l’Asie Centrale au Pakistan. Les avertissements de Fisk s’avérèrent rapidement fondés, de sorte qu’aujourd’hui la population locale se retrouve de nouveau piégée dans une guerre entre les troupes menées par les Etats-Unis d’une part, et les nouvelles forces des Talibans de l’autre.
Fisk nous fournit également un important récit des développements en Iran depuis1953, lorsque le Premier Ministre élu, Mohammad Mossadegh, fut renversé après qu’il ait nationalisé les installations de la Compagnie Pétrolière Anglo-iranienne (aujourd’hui devenue British Petroleum – BP). Dans les années 1980’s, Fisk a interviewé un des agents britanniques qui, avec la CIA, avait dirigé le coup d’Etat et installé le régime du Shah et de sa répugnante police secrète, la SAVAK. Le Shah devint un allié de confiance pour l’impérialisme américain en tant que fournisseur de pétrole et soutien militaire. A la base, cependant, le nationalisme iranien et la haine des Etats-Unis n’en furent que renforcés.
La situation finit par exploser lors de la révolution de 1979. Fisk cite Edward Mortimer, un de ses amis reporters, qui avait décrit ce mouvement en tant que « révolution la plus authentique de l’histoire mondiale depuis 1917 ». La principale faiblesse de Fisk est qu’il ne comprend pas le rôle de la classe salariée, bien qu’il insiste sur le fait que « les pauvres des villes » furent la principale force de la révolution. Les slogans et les espoirs des travailleurs et des organisations de gauche pour une « démocratie populaire » entrèrent bientôt en conflit avec les intentions des islamistes et des mollahs. La classe salariée dans le nord de l’Iran avait confisqué la propriété capitaliste, tandis que le régime de Khomeini, basé sur des couches urbaines plus riches, était contre toute forme d’expropriation. Pendant une longue période, la gauche pouvait se rallier un large soutien. Fisk décrit la manière dont un demi-million d’étudiants manifestèrent avec le Fedayin, alors illégal, en novembre 1979. Khomeini dut agir petit à petit pour écraser la gauche et les organisations de la classe salariée. Il exploita au maximum le conflit avec l’impérialisme américain, conduisant les partis communistes pro-Moscou, comme le Tudeh, à soutenir Khomeini jusqu’à ce qu’ils soient démantelés de force en 1983. Même alors, le régime au pouvoir en Russie ne voyait aucun problème à fournir des armes à Téhéran. Des purges massives furent menées pendant la guerre contre l’Iraq, parfois sur base d’informations « anti-communistes » fournies par l’Occident. Au cours de l’année 1983, 60 personnes par jour ont été exécutées, parmi eux de nombreux jeunes.
Lorsque la machine militaire de Saddam attaqua l’Iran en 1980, le sentiment dans les médias et chez les « experts » était que l’Iraq remporterait une victoire rapide. Mais les troupes se retrouvèrent rapidement bloquées sitôt passée la frontière, et l’armée iraqienne commença à envoyer des missiles sur les villes iraniennes, y compris des armes chimiques. Fisk donne des rapports détaillés et émouvants en provenance du front, décrivant les horreurs qui s’y passent et interviewant des enfants soldats, enrôlés pour devenir des martyrs.
Les puissances occidentales ne remirent à aucun moment en cause leur confiance en Saddam – c’est en 1983 que Donald Rumsfeld, alors secrétaire à la défense aux Etats-Unis, comme en 2003, rendit sa fameuse visite à Saddam – même si certains d’entre eux vendirent des armes à chacun des deux camps tout au long du conflit qui dura huit ans et coûta plus d’un million de vies. Plus de 60 officiers américains opéraient en tant que « conseillers militaires » auprès de Saddam, lequel bénéficiait également des données satellites de Washington. L’Arabie Saoudite paya plus de 25 milliards de dollars pour financer les frais de guerre de Bagdad. Le Koweït et l’Egypte furent eux aussi des mécènes enthousiastes. Même lors de l’Anfal, la terrible guerre que Saddam mena contre les Kurdes en Iraq du Nord, personne en Occident ne protesta. Rien qu’à Halabja, 5000 Kurdes furent tués par des armes chimiques les 17 et 18 mars 1988.
La marine américaine était mobilisée dans le Golfe Persique, afin de menacer l’Iran. Un missile américain fut tiré sur un avion civil iranien qui transportait des passagers civils. L’hypocrisie américaine, cependant, fut révélée à tous lors de l’affaire Iran-Contra, en 1986. Les USA avaient vendu 200 missiles en secret à l’Iran dans l’espoir de pouvoir récupérer des otages américains qui avaient été capturés au Liban par des groupes liés à l’Iran. L’argent obtenu par la vente des armes fut ensuite envoyé aux troupes réactionnaires des Contra, au Nicaragua.
Lorsque Saddam Hussein envahit le Koweït en 1990, il avait rendu visite à l’ambassadeur américain à Bagdad qui lui avait donné l’impression que Washington n’allait pas réagir. Il était toujours l’agent de l’Occident. En juin 1990, le gouvernement britannique avait encore approuvé la vente de nouvel équipement chimique à l’Iraq. Le Koweït avait fait partie de la même province de l’Empire Ottoman que l’Iraq jusqu’en 1889, et avait failli être à nouveau rattaché à l’Iraq en 1958, ce qui avait été empêché par les troupes britanniques.
Mais l’enjeu ici était le pétrole, et les intérêts des autres alliés des Américains. Le régime saoudite invita les troupes américaines dans le plus important des pays islamiques, ce qui eut plus tard d’importantes répercussions. L’escalade qui mena à la guerre se forma sous l’illusion d’une alliance avec le drapeau des Nations-Unies, mais dans la pratique ce fut la plus grosse intervention américaine depuis la retraite humiliante du Vietnam. Mais cette fois-ci, la guerre démarra par un bombardement massif, qui dura 40 jours et 40 nuits, avec 80 000 tonnes d’explosifs, plus que pendant toute la seconde guerre mondiale. Parmi les cibles se trouvaient des ponts, des centrales électriques, et des hôpitaux. Les troupes de Saddam devaient se contenter de rations de survie, et fuirent de panique au moment où l’offensive au sol fut lancée. Entre 100 000 et 200 000 iraqiens furent massacrés par les attaques des avions, tanks et troupes américains.
George Bush père appela alors à une grande insurrection contre Saddam, mais laissa les rébellions kurdes et chiites se faire réprimer ddans le sang. Fisk cite un officier américian disant "mieux vaut le Saddam que nous connaissons" que n’importe quel autre régime dont on serait moins certain. Plus de gens moururent lors de l’étouffement des émeutes qu’au cours de la guerre en elle-même, et deux millions de Kurdes devinrent des réfugiés.
Les mêmes Etats arabes qui, quelques années plus tôt, avaient financé la guerre de Saddam en Iran, payèrent également la nouvelle facture, de 84 milliards de dollars. Et dans les deux années qui suivirent, les Etats-Unis vendirent des armes d’une valeur de 28 milliards de dollars à tous les pays de la région.
Contre cet Iraq à l’infrastructure détruite et à la population appauvrie, les Nations Unies décidèrent d’appliquer toutes sortes de sanctions, qui conduisirent à ce que « 4500 enfants meurent chaque jour », selon Dannis Halliday, représsentant de l’Unicef en octobre 1996. Robert Fisk raconte la manière dont les enfants, victimes de munitions à l’uranium appauvri, souffrent de cancers – un mal dont souffrent également beaucoup de soldats américains. En plein milieu de la crise humanitaire, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne poursuivirent leurs raids de bombardements aériens, notamment le jour du Nouvel An 1999.
Après le 11 septembre et les attaques sur l’Afghanistan, il était clair que Bush, Rumsfeld et leurs conseillers néoconservateurs visaient l’Iraq. Fisk énumère chacun des arguments qu’ils inventèrent pour se justifier, des « armes de destruction massive » aux « connections » avec al-Qaïda. De plus, George W Bush promettait « la démocratie pour tout le monde musulman », un objectif pour lequel il ne consulta que très peu ses amis d’Arabie Saoudite, d’Egypte et du Pakistan. L’appareil de propagande exigea alors que le soutien de l’Occident à Saddam soit oublié. La « guerre contre la terreur », à ce stade, signifiait aussi le soutien à Israël et à la guerre que la Russie menait en Tchétchénie. Les critiques de Fisk firent en sorte qu’il fut montré du doigt en tant que partisan du régime de Saddam.
Cette guerre, que Fisk suivit à partir de Bagdad, signifiait encore plus de bombardements que 12 ans plus tôt. Fisk contraste les missiles dirigés par ordinateur aux hôpitaux sans ordinateurs qu’il visita. Les Etats-Unis lâchaient également des bombes à fragmentation contre les civils, ce qu’Israël a aussi fait par deux fois au Liban.
Fisk demeura à Bagdad après sa « libération », le 9 avril 2003, lorsque le pillage de masse fut entamé. Les troupes américains ne protégeaient que le pétrole et les bâtiments du Ministère de l’Intérieur. A Bagdad, des documents vieux de plusieurs millénaires furent détruits lorsque les généraux américains pénétrèrent dans les palais de Saddam. Les Américains agirent comme le font tous les occupants, écrit Fisk. Les manifestants furent abattus ; Bremer, le consul américain pendant la première année, interdit le journal du dirigeant chiite Moqtada al-Sadr ; des soldats américains paniqués fouillèrent des maisons. Avec les prisons d’Abu Ghraïb et de Guantánamo, les Etats-Unis ont également copié les méthodes de torture chères à Saddam, allant jusqu’à réemployer le même médecin-en-chef. Les USA « quitteront le pays. Mais ils ne peuvent pas quitter le pays… », est le résumé que Fisk nous donne de la crise de l’impérialisme en Iraq, une description qui est toujours exacte aujourd’hui.
Le livre de Robert Fisk contient beaucoup d’action, mais aussi de nombreux sujets d”analyse intéressants. Il écrit au sujet du génocide arménien de 1915 ; de la guerre de libération et de la guerre civile des années 90’s en Algérie ; de la crise de Suez en 1956. Il suit à la trace les producteurs du missile Hellfire utilisé par un hélicoptère Apache israélien qui tua des civils dans une ambulance au Liban. Il dit que le coût d’une année de recherche sur la maladie de Parkinson (qui emporta sa mère) est équivalent à cinq minutes de la dépense mondiale d’armes dans le monde. Il analyse la Jordanie et la Syrie ; il écrit au sujet de son père, qui était un soldat dans la première Guerre Mondiale. Ses critiques massives et bien fondées, toutefois, ne deviennent jamais des critiques du système, du capitalisme ni de l’impérialisme. A chaque fois qu’il parle des attaques militaires britanniques ou américaines, il dit « nous ».
Les travailleurs et les socialistes eu Moyen-Orient et partout dans le monde doivent tirer les conclusions nécessaires de l’histoire de la région et des événements qui s’y déroulent actuellement. La classe salariée, alliée aux pauvres des villes et aux paysans, a besoin d’un parti révolutionnaire et socialiste, capable d’unifier la classe dans la lutte contre le capitalisme, l’impérialisme et la dictature, au-delà des différences religieuses et ethniques.
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Trotsky : « Pourquoi Staline l’a-t-il emporté ? »
Histoire
En 1917 se déroula la révolution qui porta pour la première fois dans l’histoire de l’Humanité les masses exploitées au pouvoir. Hélas, à cause de l’arriération de la jeune République Soviétique héritée de l’ancien régime tsariste et des destructions dues à la Première Guerre Mondiale et à la guerre civile, à cause aussi de l’isolement du premier Etat ouvrier suite à l’échec des révolutions dans les autres pays – et plus particulièrement en Allemagne – une bureaucratie a su émerger et usurper le pouvoir.
Staline a personnifié ce processus, tandis que Trotsky, proche collaborateur de Lénine et ancien dirigeant de l’insurrection d’Octobre et de l’Armée Rouge, a été la figure de proue de ceux qui étaient restés fidèles aux idéaux socialistes et qui, tout comme Trotsky lui-même en 1940, l’on bien souvent payé de leur vie.
Dans ce texte de 1935 qui répond aux questions de jeunes militants français, Trotsky, alors en exil, explique les raisons de la victoire de la bureaucratie sur l’opposition de gauche (nom pris par les militants communistes opposés à la dérive bureaucratiques et à l’abandon des idéaux socialistes et internationalistes par l’Union Soviétique).
Il explique aussi pourquoi il n’a pas utilisé son prestige dans l’Armée Rouge – qu’il avait lui-même mis en place et organisée pour faire face à la guerre civile – afin d’utiliser cette dernière contre la caste bureaucratique.
Derrière cette clarification d’un processus majeur lourd de conséquences pour l’évolution ultérieure des luttes à travers le monde se trouvent aussi la question du rôle de l’individu dans le cours historique ainsi qu’une réponse à la maxime « la fin justifie les moyens », deux thèmes qui n’ont rien perdu de leur actualité.
Pourquoi Staline l’a-t-il emporté ?
« Comment et pourquoi avez vous perdu le pouvoir ? », « comment Staline a-t-il pris en main l’appareil ? », « qu’est-ce qui fait la force de Staline ? ». La question des lois internes de la révolution et de la contre-révolution est posée partout et toujours d’une façon purement individuelle, comme s’il s’agissait d’une partie d’échec ou de quelque rencontre sportive, et non de conflits et de modifications profondes de caractère social. De nombreux pseudo-marxistes ne se distinguent en rien à ce sujet des démocrates vulgaires, qui se servent, en face de grandioses mouvements populaires, des critères de couloirs parlementaires.
Quiconque connaît tant soit peu l’histoire sait que toute révolution a provoqué après elle la contre-révolution qui, certes, n’a jamais rejeté la société complètement en arrière, au point de départ, dans le domaine de l’économie, mais a toujours enlevé au peuple une part considérable, parfois la part du lion, de ses conquêtes politiques. Et la première victime de la vague réactionnaire est, en général, cette couche de révolutionnaire qui s’est trouvée à la tête des masses dans la première période de la révolution, période offensive, « héroïque ». […]
Les marxistes savent que la conscience est déterminée, en fin de compte, par l’existence. Le rôle de la direction dans la révolution est énorme. Sans direction juste, le prolétariat ne peut vaincre. Mais même la meilleure direction n’est pas capable de provoquer la révolution, quand il n’y a pas pour elle de conditions objectives. Au nombre des plus grands mérites d’une direction prolétarienne, il faut compter la capacité de distinguer le moment où on peut attaquer et celui où il est nécessaire de reculer. Cette capacité constituait la principale force de Lénine. […]
Le succès ou l’insuccès de la lutte de l’opposition de gauche (1) contre la bureaucratie a dépendu, bien entendu, à tel ou tel degré, des qualités de la direction des deux camps en lutte. Mais avant de parler de ces qualités, il faut comprendre clairement le caractère des camps en lutte eux-mêmes ; car le meilleur dirigeant de l’un des camps peut se trouver ne rien valoir pour l’autre camp, et réciproquement. La question si courante et si naïve : « pourquoi Trotsky n’a-t-il pas utilisé en son temps l’appareil militaire contre Staline ? » témoigne le plus clairement du monde qu’on ne veut ou qu’on ne sait pas réfléchir aux causes historiques générales de la victoire de la bureaucratie soviétique sur l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat…
Absolument indiscutable et d’une grande importance est le fait que la bureaucratie soviétique est devenue d’autant plus puissante que des coups plus durs se sont abattus sur la classe ouvrière mondiale (2). Les défaites des mouvements révolutionnaires en Europe et en Asie ont peu à peu miné la confiance des ouvriers soviétiques dans leur allié international. A l’intérieur du pays régnait toujours une misère aiguë (3). Les représentants les plus hardis et les plus dévoués de la classe ouvrière soit avaient péris dans la guerre civile, soit s’étaient élevés de quelques degrés plus hauts, et, dans leur majorité, avaient été assimilés dans les rangs de la bureaucratie, ayant perdu l’esprit révolutionnaire. Lassée par les terribles efforts des années révolutionnaires, privée de perspectives, empoisonnée d’amertume par une série de déceptions, la grande masse est tombée dans la passivité. Une réaction de ce genre s’est observée, comme nous l’avons déjà dit, après chaque révolution. […]
[…] L’appareil militaire […] était une fraction de tout l’appareil bureaucratique et, par ses qualités, ne se distinguait pas de lui. Il suffit de dire que, pendant les années de la guerre civile, l’Armée Rouge absorba des dizaines de milliers d’anciens officiers tsaristes (4).
[…] Ces cadres d’officiers et de fonctionnaires remplirent dans les premières années leur travail sous la pression et la surveillance directe des ouvriers avancés. Dans le feu de la lutte cruelle, il ne pouvait même pas être question d’une situation privilégiée pour les officiers : le mot même était rayé du vocabulaire. Mais après les victoires remportées et le passage à la situation de paix, précisément l’appareil militaire s’efforça de devenir la fraction la plus importante et privilégiée de tout l’appareil bureaucratique. S’appuyer sur les officiers pour prendre le pouvoir n’aurait pu être le fait que de celui qui était prêt à aller au devant des appétits de caste des officiers, c’est-à-dire leur assurer une situation supérieure, leur donner des grades, des décorations, en un mot à faire d’un seul coup ce que la bureaucratie stalinienne a fait progressivement au cours des dix ou douze années suivantes. Il n’y a aucun doute qu’accomplir un coup d’Etat militaire contre la fraction Zinoviev-Kaménev-Staline (5), etc., aurait pu se faire alors sans aucune peine et n’aurait même pas coûté d’effusion de sang ; mais le résultat d’un tel coup d’Etat aurait été une accélération des rythmes de cette même bureaucratisation et bonapartisation, contre lesquels l’opposition de gauche entrait en lutte.
La tâche des bolcheviques-léninistes, par son essence même, consistait non pas à s’appuyer sur la bureaucratie militaire contre celle du parti, mais à s’appuyer sur l’avant-garde prolétarienne et, par son intermédiaire, sur les masses populaires, et à maîtriser la bureaucratie dans son ensemble, à l’épurer des éléments étrangers, à assurer sur elle le contrôle vigilant des travailleurs et à replacer sa politique sur les rails de l’internationalisme révolutionnaire. Mais comme dans les années de guerre civile, de famine et d’épidémie, la source vivante de la force révolutionnaire des masses s’était tarie et que la bureaucratie avait terriblement grandit en nombre et en insolence, les révolutionnaires prolétariens se trouvèrent être la partie la plus faible. Sous le drapeau des bolcheviques-léninistes se rassemblèrent, certes, des dizaines de milliers des meilleurs combattants révolutionnaires, y compris des militaires. Les ouvriers avancés avaient pour l’opposition de la sympathie. Mais cette sympathie est restée passive : les masses ne croyaient plus que, par la lutte, elles pourraient modifier la situation. Cependant, la bureaucratie affirmait : « L’opposition veut la révolution internationale et s’apprête à nous entraîner dans une guerre révolutionnaire. Nous avons assez de secousses et de misères. Nous avons mérité le droit de nous reposer. Il ne nous faut plus de « révolutions permanentes ». Nous allons créer pour nous une société socialiste. Ouvriers et paysans, remettez vous en à nous, à vos chefs ! » Cette agitation nationale et conservatrice s’accompagna, pour le dire en passant, de calomnies enragées, parfois absolument réactionnaires (6), contre les internationalistes, rassembla étroitement la bureaucratie, tant militaire que d’Etat, et trouva un écho indiscutable dans les masses ouvrières et paysannes lassées et arriérées. Ainsi l’avant-garde bolchevique se trouva isolée et écrasée par morceau. C’est en cela que réside tout le secret de la victoire de la bureaucratie thermidorienne (7). […]
Cela signifie-t-il que la victoire de Staline était inévitable ? Cela signifie-t-il que la lutte de l’opposition de gauche (bolcheviques-léninistes) était sans espoirs ? C’est poser la question de façon abstraite, schématique, fataliste. Le développement de la lutte a montré, sans aucun doute, que remporter une pleine victoire en URSS, c’est-à-dire conquérir le pouvoir et cautériser l’ulcère de bureaucratisme, les bolcheviques-léninistes n’ont pu et ne pourront le faire sans soutien de la part de la révolution mondiale. Mais cela ne signifie nullement que leur lutte soit restée sans conséquence. Sans la critique hardie de l’opposition et sans l’effroi de la bureaucratie devant l’opposition, le cours de Staline-Boukharine (8) vers le Koulak (9) aurait inévitable abouti à la renaissance du capitalisme. Sous le fouet de l’opposition, la bureaucratie s’est trouvée contrainte de faire d’importants emprunts à notre plate-forme (10). Les léninistes n’ont pu sauver le régime soviétique des processus de dégénérescence et des difformités du pouvoir personnel. Mais ils l’ont sauvé de l’effondrement complet, en barrant la route à la restauration capitaliste. Les réformes progressives de la bureaucratie ont été les produits accessoires de la lutte révolutionnaire de l’opposition. C’est pour nous trop insuffisant. Mais c’est quelque chose. »
Ce texte est tiré de : Trotsky, Textes et débats, présentés par Jean-Jacques Marie, Librairie générale Française, Paris, 1984.
En savoir plus…
- La Révolution Russe d’Octobre 1917 : quelques leçons, 90 ans après
- 1917-2007. 90 années après la révolution russe… Une expérience toujours d’actualité !
- La révolution russe. Conférence donnée par Léon Trotsky, en 1932 à Copenhague
- Opposition de gauche – bolcheviques-léninistes
On a tendance à séparer Lénine de la lutte contre la bureaucratie incarnée par le conflit entre Trotsky contre Staline et ses différents alliés successifs. Pourtant, la fin de la vie de Lénine est marquée par le combat commencé de concert avec Trotsky contre Staline, qu’il rencontrait à chaque fois qu’il voulait s’attarder sur un problème spécifique (constitution de l’URSS, monopole du commerce extérieur, affaire de Géorgie, transformation de l’inspection ouvrière et paysanne, recensement des fonctionnaires soviétiques,…).
En 1923, Lénine paralysé, Staline s’est allié à Zinoviev et Kamenev contre Trotsky. La politique de la troïka ainsi créée à la direction du Parti Communiste s’est caractérisée par l’empirisme et le laisser aller. Mais dès octobre 1923, l’opposition de gauche a engagé le combat, c’est-à-dire Trotsky et, dans un premier temps, 46 militants du Parti Communiste connus et respectés de longue date en Russie et dans le mouvement ouvrier international. La base de leur combat était la lutte pour la démocratie interne et la planification (voir au point 10). Le terme de bolchevique-léninistes fait référence à la fidélités aux principes fondateurs du bolchevisme, principes rapidement foulé au pied par Staline et les bureaucrates alors qu’ils transformaient Lénine en un guide infaillible et quasi-divin. Le terme « trotskiste » a en fait été inventé par l’appareil bureaucratique comme une arme dans les mains de ceux qui accusaient Trotsky de vouloir détruire le parti en s’opposant à la « parole sacrée » de Lénine détournée par leurs soins.
- « des coups plus durs se sont abattus sur la classe ouvrière mondiale »
Pour les révolutionnaires russes, la révolution ne pouvait arriver à établir le socialisme qu’avec l’aide de la classe ouvrière des pays capitalistes plus développés. Lénine considérait par exemple qu’il fallait aider la révolution en Allemagne, pays à la classe ouvrière la plus nombreuse et la plus organisée, jusqu’à sacrifier le régime soviétique en Russie si la situation l’exigeait. Cependant, si la Révolution russe a bien engendré une vague révolutionnaire aux nombreuses répercussions, partout les masses ont échoué à renverser le régime capitaliste.
En Allemagne, c’est cette crise révolutionnaire qui a mis fin à la guerre impérialiste et au IIe Reich. Mais, bien que cette période révolutionnaire a continué jusqu’en 1923, l’insurrection échoua en janvier 1919 et les dirigeants les plus capables du jeune Parti Communiste allemand, Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, ont été ensuite assassinés. Quelques semaines plus tard, les républiques ouvrières de Bavière et de Hongrie ont également succombé dans un bain de sang. En France faute de direction révolutionnaire, le mouvement des masses a échoué à établir le socialisme, de même qu’en Italie où la désillusion et la démoralisation a ouvert la voie au fascisme. La stabilisation momentanée du capitalisme qui a suivit a cruellement isolé la jeune république des soviets et a favorisé l’accession au pouvoir de la bureaucratie.
Quand sont ensuite arrivés de nouvelles opportunités pour les révolutionnaires sur le plan international, la bureaucratie avait déjà la mainmise sur l’Internationale Communiste.
Ainsi, quand la montée de la révolution chinoise est arrivée en 1926, la politique de soumission à la bourgeoisie nationale et au Kouomintang de Tchang Kaï-Chek dictée par Moscou a eu pour effet de livrer les communistes au massacre. En mars 1927, quand Tchang-Kaï-Chek est arrivé devant la ville de Shangaï soulevée, le mot d’ordre de l’Internationale Communiste sclérosée était alors de déposer les armes et de laisser entrer les nationalistes. Ces derniers ont ainsi eu toute la liberté d’exécuter par millier les communiste et les ouvriers désarmés…
- « A l’intérieur du pays régnait toujours une misère aiguë. »
En 1920, alors que la guerre civile devait encore durer jusqu’à l’été 1922, l’industrie russe ne produisait plus en moyenne que 20% de sa production d’avant-guerre, et seulement 13% en terme de valeur. A titre d’exemple, la production d’acier était tombée à 2,4% de ce qu’elle représentait en 1914, tandis que 60% des locomotives avaient été détruites et que 63% des voies ferrées étaient devenues inutilisables. (Pierre Broué, Le parti bolchevique, Les éditions de minuit, Paris, 1971).
La misère qui découlait de ces traces laissées par la guerre impérialiste de 14-18 puis par la guerre civile entre monarchistes appuyés par les puissances impérialistes et révolutionnaires a mis longtemps à se résorber.
- « Durant la guerre civile, l’Armée Rouge absorba des dizaines de milliers d’anciens officiers tsaristes. »
La dislocation de l’Etat tsariste et la poursuite de la participation de la Russie à la Première Guerre Mondiale entre le mois de février (où le tsarisme s’est effondré) et l’insurrection d’Octobre par les différents gouvernements provisoires avaient totalement détruit l’armée russe. Arrivés au pouvoir, les soviets durent reconstruire à partir de rien une nouvelle armée capable de défendre les acquis de la Révolution face aux restes des troupes tsaristes aidés financièrement et militairement par différentes puissances étrangères (Etats-Unis, France, Angleterre, Allemagne, Japon…).
C’est à Trotsky qu’a alors été confiée la tâche de construire l’Armée Rouge. Face à l’inexpérience des bolcheviques concernant la stratégie militaire, Trotsty a préconisé d’enrôler les anciens officiers tsaristes désireux de rallier le nouveau régime. Approximativement 35.000 d’entre eux ont accepté au cours de la guerre civile. Ces « spécialistes militaires » ont été un temps encadrés par des commissaires politiques qui avaient la tâche de s’assurer que ces officiers ne profitent pas de leur situation et respectent les ordres du gouvernement soviétique.
- Fraction Zinoviev-Kaménev-Staline
Comme expliqué dans le premier point, Zinoviev et Kamenev, dirigeants bolcheviques de premier plan et de longue date, se sont alliés à Staline dès la paralysie de Lénine pour lutter contre Trotsky. Son combat contre la bureaucratisation du parti et de l’Etat les effrayait tout autant que sa défenses des idées de l’internationalisme, à un moment où ils ne voulaient entendre parler que de stabilisation du régime. Finalement, cette fraction volera en éclat quand la situation du pays et du parti forcera Zinoviev et Kamenev à reconnaître, temporairement, leurs erreurs. Ils capituleront ensuite devant Staline, mais seront tous deux exécutés lors du premier procès de Moscou en 1936.
- Calomnies enragées
Faute de pouvoir l’emporter par une honnête lutte d’idées et de positions, les détracteurs de l’opposition de gauche n’ont pas lésiné sur les moyens douteux en détournant et en exagérant la portée de passages des œuvres de Lénine consacrés à des polémiques engagées avec Trotsky il y avait plus de vingt années, en détournant malhonnêtement des propos tenus par Trotsky, en limitant le rôle qu’il avait tenu lors des journées d’Octobre et durant la guerre civile, ou encore en limitant ou en refusant tout simplement à Trotsky de faire valoir son droit de réponse dans la presse de l’Union Soviétique.
Parallèlement, Lénine a été transformé en saint infaillible – son corps placé dans un monstrueux mausolée – et ces citations, tirées hors de leurs contextes, étaient devenues autant de dogmes destinés à justifier les positions de la bureaucratie. La calomnie, selon l’expression que Trotsky a utilisée dans son autobiographie, « prit des apparences d’éruption volcanique […] elle pesait sur les conscience et d’une façon encore plus accablante sur les volontés » tant était grande son ampleur et sa violence. Mais à travers Trotsky, c’était le régime interne même du parti qui était visé et un régime de pure dictature sur le parti a alors été instauré. Ces méthodes et manœuvres devaient par la suite devenir autant de caractéristiques permanentes du régime stalinien, pendant et après la mort du « petit père des peuples ».
- « bureaucratie thermidorienne » :
Il s’agit là d’une référence à la Révolution française, que les marxistes avaient particulièrement étudiée, notamment pour y étudier les lois du flux et du reflux révolutionnaire.
« Thermidor » était un mois du nouveau calendrier révolutionnaire français. Les journées des 9 et 10 thermidor de l’an II (c’est-à-dire les 27 et 28 juillet 1794) avaient ouvert, après le renversement de Robespierre, Saint-Just et des montagnards, une période de réaction qui devait déboucher sur l’empire napoléonien.
- Staline-Boukharine
En 1926, l’économie ainsi que le régime interne du parti étaient dans un état tel que Kamenev et Zinoviev ont été forcés de reconnaître leurs erreurs. Ils se sont alors rapproché de l’opposition de gauche pour former ensemble l’opposition unifiée. Staline a alors eu comme principal soutien celui de Boukharine, « l’idéologue du parti », dont le mot d’ordre était : « Nous devons dire aux paysans, à tous les paysans, qu’ils doivent s’enrichir ». Mais ce n’est qu’une minorité de paysan qui s’est enrichie au détriment de la majorité… Peu à peu politiquement éliminé à partir de 1929 quand Staline a opéré le virage de la collectivisation et de la planification, Boukharine a ensuite été exécuté suite au deuxième procès de Moscou en 1938.
- Koulak
Terme utilisé pour qualifier les paysans riches de Russie, dès avant la révolution. Ses caractéristiques sont la possession d’une exploitation pour laquelle il emploie une main d’œuvre salariée, de chevaux de trait dont il peut louer une partie aux paysans moins aisés et de moyens mécaniques (comme un moulin, par exemple).
- « la bureaucratie s’est trouvée contrainte de faire d’importants emprunts à notre plate-forme »
Dès 1923, devant la crise dite « des ciseaux », c’est-à-dire le fossé grandissant entre les prix croissants des biens industriels et la diminution des prix des denrées agricoles, Trotsky avait mis en avant la nécessité de la planification afin de lancer l’industrie lourde. A ce moment, la Russie était encore engagée dans la nouvelle politique économique (NEP), qui avait succédé au communisme de guerre en 1921 et avait réintroduit certaines caractéristiques du « marché libre » pour laisser un temps souffler la paysannerie après les dures années de guerre. Mais cette politique devait obligatoirement n’être que momentanée, car elle permettait au capitalisme de retrouver une base en Russie grâce au koulaks et au « nepmen » (trafiquants, commerçants et intermédiaires, tous avides de profiter de leurs avantages au maximum, car ils ne savent pas de quoi sera fait le lendemain de la NEP). Une vague de grève avait d’ailleurs déferlé en Russie cette année-là.
Finalement, en 1926, 60% du blé commercialisable se trouvait entre les mains de 6% des paysans (Jean-Jaques Marie, Le trotskysme, Flammarion, Paris, 1970). L’opposition liquidée, la bureaucratie s’est attaquée à la paysannerie riche en collectivisant les terres et en enclenchant le premier plan quinquennal. Mais bien trop tard… Tout le temps perdu depuis 1923 aurait permit de réaliser la collectivisation et la planification en douceur, sur base de coopération volontaire des masses. En 1929, la situation n’a plus permit que l’urgence, et Staline a « sauvé » l’économie planifiée (et surtout à ses yeux les intérêts des bureaucrates dont la protection des intérêts était la base de son pouvoir) au prix d’une coercition immonde et sanglante.
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Les micro-crédits : Un concept cynique du néolibéralisme
Incroyable ! Un « banquier » reçoit le prix Nobel de la Paix. Muhammad Yunus est le fondateur de la Grameen-Bank, dont le système de « micro-crédit » a entre-temps rencontré l’estime et l’imitation mondiale.
La Grameen-Bank est issue d’un projet pilote en 1983 au Bangladesh et a, d’après leurs sources, accordé des crédits à 6,6 millions de personnes jusqu’à présent, dont 97 % sont des femmes. Aux yeux des organisations gouvernementales et des ONG, ainsi que pour des gens de tendances politiques très variées, les micro-crédits sont aujourd’hui internationalement considérés comme la base essentielle de la lutte contre la pauvreté. Les discours critiques sont rares. La quadrature du cercle a-t-elle effectivement réussi ?
La Pauvreté : un phénomène de masse en pleine croissance
L’ONU a proclamé la décennie 1997-2006 « décennie pour la suppression de la pauvreté ». En effet, la pauvreté a grimpé. Il ne suffit pas de tirer des chiffres comme « de combien de dollars par jour dispose un homme ». Les chiffres de mortalité infantile, de malnutrition, d’accès à l’enseignement et aux soins de santé ou de la condition de la femme sont partiellement aussi parlants. Il est un fait que le nombre de famines a augmenté dans les deux dernières décennies. Internationalement, il y avait en moyenne 15 famines par an dans les années 80. A l’arrivée du nouveau millénaire, le nombre de famines avait grimpé à 30 par an. Au même moment, environ ¼ de la population mondiale n’avait pas d’accès à l’eau potable. Dans des parties de l’Afrique et de l’Asie du Sud-est, 40 à 50 % de tous les enfants souffrent de troubles dus à des carences alimentaires. Dans l’Europe de l’Est et les Etats de l’ex-URSS, les réductions et privatisations des soins de santé remettent à l’ordre du jour des maladies liées à la pauvreté comme la tuberculose.
L’aide au développement n’est pas dépourvue d’idéologie
Des conceptions de comment aider les pauvres, il y en eu et il y en a toujours beaucoup. Jamais elles ne sont dépourvues d’idéologie. Au contraire, elles suivent dans leur développement le courant dominant sur le plan politique et économique. Quand maintenant le micro-crédit est soutenu et dicté par des institutions comme l’ONU et la Banque Mondiale (BM), la méfiance s’avance.
Dans la politique économique, la doctrine s’est modifiée de façon déterminante depuis les années 80. Le néolibéralisme est le principe dominant tout et le « fun » du micro-crédit en est une expression. Cette évolution va de paire avec un rapport de force politique changé. Dans les années 60 et 70, les ex-Etats coloniaux s’avançaient sûrs d’eux : ils n’étaient pas encore tombés dans le piège de l’endettement, ils s’étaient débarrassés d’une grande partie de leurs seigneurs coloniaux, et avaient acquis une indépendance du moins formelle. Un système alternatif au capitalisme existait en Union Soviétique même s’il s’agissait alors d’une dictature bureaucratique plutôt que d’une démocratie socialiste. Aujourd’hui, la charge des dettes dans les Etats néocoloniaux est accablante, leur dépendance politique et économique est à nouveau grande, et leurs élites dominantes sont le plus souvent les marionnettes de différents Etats impérialistes.
Le micro-crédit et la politique agricole
La politique agricole est un thème international particulièrement brûlant et une source de conflits internationaux, par exemple entre les USA et l’UE, ou encore au sein même de l’UE. C’est pourquoi dans les institutions internationales, principalement l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les questions agraires se trouvent au premier plan. La situation actuelle se résume, pour l’essentiel, par les points suivants :
- Les pays industrialisés disposent d’excédents agricoles dont ils se débarrassent volontiers en les écoulant dans le « Tiers-monde ».
- Internationalement, la production agricole est de plus en plus industrialisée. Cela conduit les petits paysans, tout particulièrement dans les pays pauvres, à la perte de leurs terres. Ils se retrouvent alors piégés dans un processus d’endettement que les semences à base d’OGM accélèrent.
- Les pays industrialisés exportent des produits agricoles vers le « Tiers-monde », qui de son côté est assigné aux importations. Il est contraint de se borner à une production strictement orientée vers l’exportation (café, thé, tabac, etc.).
- D’un côté, la production agricole des pays industrialisés est fortement subventionnée alors que, de l’autre, des contrats particuliers rédigés par l’OMC interdisent de subventionner les pays néocoloniaux.
La politique des institutions internationales – comme le Fond monétaire international (FMI), la BM et l’OMC – dans laquelle, par exemple, l’octroi de crédit a été lié à de considérables concessions, aggravent encore l’inégalité.
- Les subventions de biens de première nécessité ont été fortement réduites voire supprimées. Autrement dit, les prix des produits alimentaires de base et du chauffage ont grandement augmenté, ce qui a pour effet direct de couler rapidement le standard de vie de la population. Le mouvement révolutionnaire de 1998 en Indonésie a été maté grâce à un dictat semblable émanent du FMI.
- La production agricole a été réorientée vers l’exportation, le rendement ainsi constitué sert à rembourser les établissements de crédits. De cette façon, la population même n’est plus en mesure de subvenir à ses propres besoins alimentaires.
- Les Programmes d’Ajustements Structurels (PAS) signifient la réduction de subventions agricoles dans les pays plus pauvres. Sur le marché mondial, la production de ceux-ci ne peut pas rivaliser avec celle des Etats impérialistes (qui est elle-même fortement subventionnée).
Le résultat de cette politique est que, depuis 1995, il y a un accroissement de la sous-nutrition mondiale. Les micro-crédits opèrent également dans ce sens : les crédits sont octroyés, en Inde par exemple, surtout pour construire des petits commerces (magasins). Les gens pauvres sont retirés de l’agriculture au profit du secteur tertiaire (services), et même une partie d’entre eux est utilisée dans la nouvelle chaîne de distribution.
Il y a de graves conséquences : la dépendance augmente massivement. Tandis que l’agriculture propre ne rapporte que de faibles rendements, ces derniers pourraient cependant permettre d’accéder aux besoins essentiels propres, même sans gagne-pain. Mais via le processus d’abandon du secteur primaire au profit du tertiaire, cela est impossible.
Les effets secondaires de cette politique font le bonheur des multinationales : la terre est plus facile à racheter aux propriétaires fonciers, jusque-là autochtones, car ils sont endettés par les crédits. Du coup, la dépendance aux aliments issus de l’importation augmente.
Les micro-crédits et le secteur financier international
Un argument central pour le micro-crédit est qu’il permet l’accès à l’emprunt à des gens qui, de par leur situation incertaine, n’ont pas droit au crédit « normal ». Ici doit être posée la question suivante : pourquoi la pauvreté ainsi qu’une absence de capitaux chez certains existent-elles dans cette société ? La pauvreté dudit « Tiers-monde » est le résultat d’une exploitation abusive et longue de plusieurs siècles par des Etats impérialistes et colonialistes. Les pays du Tiers-monde ont été systématiquement pillés de leurs ressources naturelles, leurs populations ont été brutalement exploitées et opprimées, et toutes les violences possibles y ont été utilisées pour empêcher le moindre développement industriel indépendant. Les institutions internationales – ONU, FMI, BM, OMC, etc. – ne se sont pas contentées de ne rien faire pour aider ces pays en difficultés, elles ont profondément aggravé la situation déjà particulièrement pénible. Par l’action de la politique néolibérale mise en place depuis les années 80, les contradictions entre riches et pauvres n’ont cessé de s’accroître au sein des pays, de la même façon qu’entre les pays riches et pauvres. Jusque dans les années 70, un crédit ouvert par un ex-Etat colonial était respectivement détenu par son ex-Etat colonisateur. Dans les années, 80, les taux d’intérêt grimpèrent comme jamais auparavant. Ce fut le début du piège de la dette dans lequel se trouvent aujourd’hui enfoncés les pays néocoloniaux. En réalité, on assiste dans les années 80 à un bouleversement du courant capitaliste unique, à savoir que le Tiers-monde alimente en profits les consortiums du monde capitaliste. Par exemple, depuis 1995, la région subsaharienne transfère dans les pays industrialisés du Nord 1,5 milliard de plus qu’elle n’en reçoit. Dans les années 90, l’accès au crédit était fort difficile pour les pays pauvres, et cela a également mené à un manque non négligeable de capitaux. Depuis le passage au nouveau millénaire, cela a encore changé, en partie aussi avec le micro-crédit.
Une autre raison qui explique l’intérêt nouveau des institutions financières internationales pour les pays pauvres est la suraccumulation mondiale. Le capitalisme se trouve depuis les années 80 dans une dépression – il nécessite des profits toujours croissants. La concurrence internationale grandissant, il faut toujours réaliser des profits plus importants, ce qui a pour conséquence une surproduction massive et mondiale (de ce que les gens sont capables de consommer, pas de ce qu’ils ont réellement besoin). Investir de l’argent dans le domaine de la production rapporte de moins en moins de profits. Cela a pour effet de faire migrer les capitaux, en partie tout du moins, vers le domaine spéculatif. C’est ce qui s’exprime dans le boom du marché financier et par les innombrables nouveaux « produits » financiers liés au domaine spéculatif. Les micro-crédits représentent un nouveau marché financier, une nouvelle couche de clients est découverte, de nouvelles possibilités de placements s’ouvrent pour le capital international.
L’ONU a appelé 2005 l’année du micro-crédit avec comme but à atteindre 100 millions de gens clients du micro-crédit (ou plutôt endettés par le micro-crédit).
Les micro-crédits seront octroyés par les ONG, et par les établissements bancaires nationaux et internationaux. Depuis longtemps déjà, ce marché est conquis par les grandes banques telles – en Inde par exemple – la banque d’Etat Bank of India, ou la FTC – filiale de la BM –, ou le Fonds Soros au développement économique, ou encore le Response Ability Global Microfinance Fund, un fond appartenant à diverses banques suisses dont le Groupe Crédit Suisse fait partie. Beaucoup de grandes banques travaillent ici avec des filiales dont le nom provient du concept « Développement » ou de quelque chose de similaire pour clarifier des prétentions dites humanistes. C’est d’ailleurs également un excellent moyen de vendre à des investisseurs critiques des pays industrialisés – qui ne souhaitent pas voir leur argent profiter aux budgets de l’armement ou aux pollueurs – des formes de placement qui leur laisse la conscience tranquille (c’est en partie connu comme « Fonds éthique »). La coordination internationale est chapeautée par la BM.
L’Agence au développement autrichien (ADA), le Centre de compétence de collaboration au développement de l’Autriche orientale l’écrit de façon très directe : « Contrairement à ce qui était le cas il y quelques années, le micro-financement aujourd’hui ne peut plus être de la charité, mais doit être source de profits. »
Les OGN agissent souvent en tant qu’intermédiaire entre la banque et le « client », soit par conviction, soit par manque d’alternative, soit parce qu’elles sont le prolongement de la politique. Le rôle que joue les ONG – tout particulièrement dans les pays néocoloniaux – doit être considéré de façon critique, car il est fréquent qu’elles soient installées comme instrument pour imposer la représentation dominante (autrement dit : la représentation des dominants), et pour mener les potentielles résistances aux injustices sur des voies contrôlables.
Le risque pour les banques est comparativement faible : la mensualité d’un micro-crédit se trouve généralement à hauteur de 90 %, et puis surtout, parce que des aides financières d’Etat existent comme garanties (ce qui ne veut absolument rien dire sur les facilités ou les difficultés que rencontre le débiteur pour rembourser son crédit). En outre, une grande partie des frais engendrés par l’octroi de crédit est sous-traité. Cela veut dire que le conseil et la prise en charge, l’appréciation pour savoir qui a droit au crédit ou pas, le remboursement de dettes et la gestion contribution/remboursement est rempli par les ONG et plus spécifiquement par les preneurs de crédit (qui, pour la plupart, sont considérés comme des membres par la Grameen-Bank). Il s’agit ici d’un travail non rémunéré dont la prestation est une condition préliminaire à l’octroi d’un crédit.
Quand les crédits sont octroyés en euros plutôt qu’en dollars (il s’agit alors quasiment d’octrois de crédits étrangers), les preneurs de crédit – assis sur un siège ambivalent – portent seuls tous les risques de fluctuation monétaire.
C’est donc en tout point une excellente affaire qui, de plus, jouit d’une publicité gratuite par le fait qu’elle est associée à une image « humaniste ».
Mise en pratique d’une idéologie : plus de privé, moins de public
Depuis longtemps déjà, on sent un recul de la politique de développement de la part des Etats. En 1970, l’ONU s’est donnée pour objectif – depuis ce temps-là constamment – confirmé que les pays « riches » payent 0,7 % de leur PIB pour l’aide au développement. Après que les versements aient augmenté depuis le début des années 60, il a de nouveau chuté depuis cette époque. En ce temps-là, la valeur de ces contributions se situait en moyenne à 0,4 % du PIB ; en Allemagne, à environ 0,3 %. Egalement dans les pays néocoloniaux eux-mêmes, des mesures prises pour lutter contre la pauvreté – comme par exemple des subventions d’aliments de première nécessité – furent supprimées, en partie sous la pression du FMI et de la BM. La conception que mettre fin à la pauvreté par des versements des Etats riches (et non pas par les entreprises qui profitent de l’exploitation de ces pays) peut et doit être remis en cause, mais la chute des aides au développement reflète une fois de plus la tendance générale à la privatisation ; tendance que l’on appréhende complètement dans cette politique de sous-aide.
Ainsi, pendant que d’un côté on assiste à un recul des mesures étatiques, on a de l’autre côté une énorme propagande en faveur du micro-crédit. Dans les années 70, on savait que « la faim n’est pas un hasard » et la responsabilité du colonialisme et de l’impérialisme envers la pauvreté était bien connue. En ce temps-là, beaucoup d’Etats anciennement coloniaux menaient une politique autarcique, autrement dit, ils essayaient de cultiver et de produirent eux-mêmes leurs biens de façon à se rendre indépendant des importations étrangères (ce qui pris fin à l’époque de la concurrence internationale croissante des pays impérialistes, notamment à cause de l’action de l’OMC). Il faut également déceler un changement de paradigme dans la compréhension de la responsabilité envers la pauvreté. Les micro-crédits créent justement l’illusion que, maintenant, chacune et chacun aurait la possibilité de se libérer de la pauvreté. « Chacun de sa chance est l’artisan. » est sans cesse répété par la propagande du micro-crédit. Dans cette maxime, il faut surtout comprendre : qui reste pauvre en dépit de ces magnifiques possibilités, celui-là est coupable.
Dans l’explication du micro-crédit de 1997, on remarque que les micro-crédits seraient la victoire du pragmatisme sur l’idéologie. Il serait plus juste de dire que les micro-crédits sont le changement d’une idéologie pour une autre.
La position de Muhammad Yunus, détenteur du prix Nobel, correspond bien à ce changement d’idéologie. Par exemple, il se positionne contre la suppression de la dette du Tiers-monde et pense que « les hommes grandissent grâce aux défis et non par des remèdes de soulagement ». En cela, il néglige complètement que vivre au Bangladesh – pour ne citer qu’un exemple – est déjà en soi un défit au quotidien, et qu’il ne s’agit là en rien de cadeaux, mais tout simplement de mettre fin à l’exploitation.
Qu’apportent les micro-crédits aux pauvres ?
Après toute cette critique, on pourrait malgré tout noter que les micro-crédits aident les pauvres, qu’il s’agit de procédés win-win et que par conséquent, banques et entreprises en profitent au même titre que les pauvres. Mais la réalité est toute autre. Aucune étude approfondie n’a été menée sur l’effet des micro-crédits. A ce sujet, il existe toute une série d’exemples individuels d’ordre sentimental et complètement vides de consistance comme des femmes auxquelles un micro-crédit a permis de garder une vache et de renforcer leur confiance en elles. Pourquoi ces études n’ont-elles pas été menées ? En soi, c’est déjà une question pertinente : pourquoi un projet semblable et de si grande ampleur n’est-il pas pesé globalement afin d’en tirer un bilan ? Il y a de la part de critiques une série d’enquêtes et d’exemples qui démontrent les conséquences négatives des micro-crédits.
Les micro-crédits ont dans leur règlement de très hauts taux d’intérêts. La Grameen-Bank exige des crédits à ouvrir une rente d’au moins 20 %, mais il existe aussi des taux d’intérêts qui vont jusqu’à 40 %. Ces valeurs sont certes moins élevées que chez les prêteurs d’argent privés là-bas, mais elles sont plus hautes que les plus grand crédit dans les banques d’Etat, par exemple. Les taux exorbitants sont légitimés avec de lourdes dépenses administratives pour accorder les crédits et pour gagner des « clients ». Toutefois, ces coûts et prestations sont sous-traités ; ils sont pris en charge en grande partie par les emprunteurs mêmes. Et les grandes banques n’investissent dans un secteur que si ce dernier promet des profits.
Par le changement d’une économie agricole – qui permettait une certaine indépendance – au secteur des services, la dépendance des emprunteurs s’est accrue, car ils sentent souvent venir le cercle vicieux.
L’endettement des emprunteurs monte, de façon individuelle ou par l’intermédiaire d’associations d’entraide. Celles-ci constituent la structure de base pour les établissements de crédits et leurs octrois. Les gens qui en font partie n’ont généralement aucune expérience des « grandes » quantités d’argent (or, comme ils sont tous détenteurs de micro-crédits, ils ont encore plus à payer ensemble qu’individuellement). De plus, une grande partie des crédits sont utilisés pour des dépenses immédiates dans des situations de besoin, en cas de mauvaise récolte, de mort d’un membre, etc., ce qui ne correspond pas à des revenus mais à de nouvelles dettes à venir. Et là où des crédits sont risqués pour investir, il y a – comme le montre une étude en Inde du Sud – une pression des banques pour investir dans des magasins (les femmes, par exemple, qui préfèreraient investir dans des vaches sont « convaincues » d’investir dans un magasin). Ces magasins sont rarement rentables, ce qui est logique car : qui va y aller pour faire ses courses ? La population locale n’a pas d’argent ; s’il y avait une demande de tels magasins, il y en aurait déjà depuis longtemps. Mais les banques – qui poussent les gens à investir en masse dans des affaires non rentables – se fichent éperdument de savoir d’où puisse venir l’argent pour rembourser le crédit. Souvent les banques conseillent à leurs clients de faire des emprunts comme s’il s’agissait d’épargne (que pourrait-on gagner sans s’endetter). Andrah Pradesh, qui est fréquemment présentée comme « l’histoire à succès des micro-crédits », est également l’Etat fédéré d’Inde qui connaît le plus grand nombre de décès pour cause d’endettement.
Il n’y a pas de micro-crédit pour les plus pauvres des pauvres. A cause de critères de sélection qui devrait indiquer une certaine « capacité de crédit » (donc, la chance de pouvoir rembourser le crédit), tous ceux qui, par exemple, sont incapable de travailler, restent des demandeurs de crédit exclus.
L’argument peut-être le plus fréquent en faveur du micro-crédit est qu’il permet aux femmes des sociétés fortement patriarcales de renforcer leur indépendance. En effet, dans la majeure partie des cas, ce sont les femmes qui sont préférées ou seules comme clientes de micro-crédits. Souvent des associations d’entraide sont mises sur pied ou, en réalité, instrumentalisées. La rencontre de femme dans des groupes, l’échange d’expérience, etc. est naturellement positif pour l’assurance personnelle (il est d’ailleurs étrange que ces structures n’aient pas été créés de toute façon avant le micro-crédit). Mais plus les crédits amènent dans les centres la préoccupation de leur exécution et de leur prise en charge, plus les autres thèmes (violence familiale, place de la femme dans la société) sont mis à l’arrière plan. Souvent, les associations d’entraide sont également utilisées par l’Etat ou par les établissements de crédit (par exemple la Grameen-Bank) pour imposer leurs conceptions au regard des plannings familiaux, d’hygiène, etc. Même quand ces conceptions peuvent être positive (par exemple, ne boire que de l’eau qui a été portée à ébullition), elles s’expriment de façon très paternaliste. Dans les associations d’entraide, on doit également rapporter des évolutions négatives quand les projets ne remportent pas le succès économique et que le remboursement des dettes mène aux conflits dans le groupe. Ce qui est particulièrement négatif, c’est que – dû au fait que ce sont avant tout les femmes qui reçoivent les crédits, mais que les structures familiales ne changent pas – ce sont avant tout les femmes qui tombent dans le piège de la dette. La femme prend un crédit, l’homme l’utilise, mais pas pour payer des choses que lui-même ne payerait pas (l’argent pour les études des enfants, par exemple), et la femme doit ensuite rembourser le crédit en prenant un travail supplémentaire ou en renonçant davantage à ses propres besoins.
Quelques remarques pour terminer
Les micro-crédits sont une affaire où des millions – si pas des milliards – de dollars sont en jeu. Les institutions à qui cette charge est confiée sont très différentes. Chaque critique ne peut pas s’appliquer à chacune d’entre elles. Il est indubitable qu’il existe aussi des expériences positives avec des preneurs de crédit qui ont réussi à améliorer leur vie.
Mais il est primordial de noter que les micro-crédits ne sont en rien une solution à la faim et à la pauvreté. Le mensonge colossal du capitalisme – que chacun peut, de « plongeur », devenir millionnaire – ne deviendra pas subitement une vérité à force d’être répété. Le Bangladesh est volontiers utilisé comme exemple maternel pour illustrer le « succès » du micro-crédit. La population du Bangladesh souffre entre autres d’une eau potable contaminée par l’arsenic et de fréquentes inondations (qui par suites du réchauffement de la planète a été encore davantage aggravé). A ces deux problèmes, il n’y a pas de solution individuelle.
Au 19e siècle aussi, il y avait l’espoir – grâce à des associations de production et de consommation – d’ériger quasiment des « îlots sociaux » dans le capitalisme. La tentative d’Hugo Chávez au Venezuela de construire une forme d’économie parallèle et juste va également dans ce sens.
Mais en définitive, tous ces débuts ont échoué dès qu’il s’agissait de supprimer aux gens la pauvreté, l’exploitation et la faim. A partir du moment où la distribution équitable des richesses n’est pas naturelle, ces problèmes ne sont pas non plus solvables par des réponses individuelles. Et justement, les micro-crédits agissent dans le sens d’une individualisation ; les questions par exemple d’une résistance aux prix exorbitants des semences ou à la distribution inéquitable de la terre ne sont pas posées. La faim et la pauvreté sont la conséquence d’un ordre économique dans lequel les profits sont le point de rotation et d’attraction. Le capitalisme a besoin de chômage et de pauvreté pour pouvoir réaliser ses profits. Un capitalisme social – tout particulièrement pour l’ensemble des hommes dans le monde – est une utopie qui contredit les besoins et les mécanismes du système.
Il est nécessaire, ici et maintenant, de lutter contre la pauvreté et la faim, mais une suppression de ces fléaux de l’humanité n’est possible qu’avec une suppression du capitalisme.
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Les Banques Centrales distribuent des centaines de milliards d’euros aux speculateurs!
Deux millions d’Américains vont perdre leurs maisons, 80.000 leur emploi
Pendant des années, des banques américaines ont signé à tour de bras des prêts hypothécaires à des ménages qui, sans cela, n’auraient pas eu les moyens de se payer une maison.
Kristof et Eric Byl
Tant que le prix de l’immobilier augmentait (et avec lui la valeur des maisons mises en gage), la plupart parvenaient à rembouser ces prêts. Mais ces derniers mois, les taux d’intérêt ont monté et le prix de l’immobilier a baissé. Résultat : le nombre de ménages en cessation de paiement des prêts hypothécaires (majoritairement à taux d’intérêt variable) a atteint 16% chez les ménages les moins solvables et 5% chez les autres. 2 millions de propriétaires américains (5% du total) risquent de perdre leur maison avant la fin de l’année.
Dans cette crise, 84 sociétés de crédit ont déjà fait faillite ou ont été mises en vente et 60.000 emplois ont été perdus dont 20.000 dans le bâtiment. Mais la crise ne s’arrête pas là. Car beaucoup d’emprunts hypothécaires à risques ont été transformés en actions (« titrisés ») et revendus à d’autres banques américaines et étrangères. Par conséquent, personne ne connaît l’effet exact de cette crise – au départ très limitée – sur le reste du système financier mondial. HSBC, la troisième banque mondiale, à perdu 5,65 milliards de dollars, la banque américaine Citigroup plus de 500 millions, la banque allemande WestLb 1,25 milliard d’euros. La BNP-Paribas française a du geler trois de ses fonds d’investissement.
Après les dernières crises (1982, 1987, 1996, 2001), les reprises économiques se sont faites à coup d’emprunts. Mais aujourd’hui, les banques ne sont plus prêtes à financer des prêts. Ceci menace de mettre fin à la vague mondiale de fusions et de reprises d’entreprises qui est un moteur important de l’activité boursière.
Les banques hésitent même à se faire mutuellement des prêts, ce qui a créé une pénurie de liquidités. C’est pourquoi les Banques Centrales européenne, américaine et japonaise sont intervenues en injectant des centaines de milliards de dollars en crédits à bon marché. Après les attentats du 11 septembre 2001, la BCE avait injecté 69 milliards d’euros ; aujourd’hui, elle a dû en mettre 230 milliards !
L’ampleur de ces interventions illustre à quel point les banques centrales prennent au sérieux la situation, ce qui a provoqué encore plus d’inquiétude chez les investisseurs. Cet aff lux d’argent et l’assouplissement des crédits ont permis aux marchés financiers de respirer.
VERS UNE CRISE IMMINENTE?
La plupart des stratèges économiques poussent des soupirs de soulagement. L’espoir grandit de voir la tempête annoncée se dégonfler. En réalité, la crise est inscrite dans la situation actuelle.
Sur le marché mondial, le nombre de travailleurs disponibles pour les entreprises capitalistes a doublé avec l’effondrement de l’Union Soviétique et du bloc de l’Est et avec le choix fait par les dirigeants chinois d’introduire l’économie de marché. La forte hausse du taux d’exploitation des travailleurs qui a accompagné ce processus a assuré des chiffres de profits records mais le pouvoir d’achat n’a pas pu suivre la production. Ceci doit inévitablement mener à une crise de surproduction et à une récession.
Ces dernières années, la crise a été systématiquement reportée grâce au crédit extrêmement bon marché basé sur des taux d’intérêts historiquement bas. Cela n’a été possible que parce que les pays producteurs de pétrole de l’OPEP, la Chine et le Japon ont continué à investir leurs excédents commerciaaux en dollars. Mais aucune économie, même la plus forte du monde, ne peut continuer à vivre aux crochets du crédit. Tôt ou tard, les Etats-Unis devront se désintoxiquer mais, comme tout toxicomane, la FED à préferé une dernière piqûre de crédit. Des banques asiatiques ont déjà perdu des milliards à cause de la baisse du dollar. Jusqu’à quand vont-elles tolérer de telles pertes si le dollar continue à réculer ? Mais si elles vendent leurs réserves en dollars, celuici risque de glisser complètement vers le fond.
Il est peu probable que les capitalistes soient capables de postposer encore des années leur crise. Mais on peut déja affirmer que plus elle sera postposée, plus ses effets seront devastateurs. Nous pouvons nous attendre au cours des prochaines années à des tremblements de terre dans l’économie mondiale, avec des licenciements et des fermetures sur une échelle beaucoup plus large encore qu’aujourd’hui.
Il n’est pas possible de trouver des solutions fondamentales au sein du capitalisme. Ce système malade doit être remplacé par une économie démocratiquement planifiée où le travail disponible est utilisé en fonction des besoins de toute la population et pas en fonction d’une élite de plus en plus riche.