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Tag: Union Soviétique
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Mikhaïl Gorbatchev : le dernier secrétaire général est mort

On vient d’annoncer le décès de Mikhaïl Gorbatchev, dernier secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique et architecte de la perestroïka et de la glasnost, tentatives de réformes par en-haut pour empêcher la révolution par en-bas.
Par Walter Chambers, Alternative Socialiste Internationale
Ses politiques ont finalement échoué, conduisant à la restauration du capitalisme dans l’ancienne Union soviétique, à partir de laquelle s’est développé le capitalisme de gangsters des années 1990, avant de se transformer en l’actuel régime agressivement impérialiste et autoritaire de Vladimir Poutine. Nous reproduisons ici un article de 2009 expliquant les processus qui se sont développés pendant le règne de Gorbatchev. Une notice nécrologique sera publiée ultérieurement.
De la Perestroïka à la restauration capitaliste
En 1985, Gorbatchev a entrepris de « restructurer » l’État et l’économie staliniens chancelants, dans le but d’éviter une crise terminale et de contrer les mouvements sociaux. En six ans, l’Union soviétique s’est effondrée et l’économie planifiée a été balayée par les mesures de privatisation de grande envergure d’Eltsine. Des luttes ouvrières de masse ont éclaté, mais les gagnants furent une nouvelle classe sociale de capitalistes gangsters.
Entre 1982 et 1985, trois secrétaires généraux du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS), Leonid Brejnev, Yuri Andropov et Konstantin Chernenko, sont décédé coup sur coup. Mikhaïl Gorbatchev a été élu pour leur succéder. Six ans plus tard, l’Union soviétique s’est effondrée, laissant derrière elle 15 républiques “indépendantes”, chacune ravagée par une catastrophe économique qui a fait chuter le PIB de plus de 50 %. La Russie, la Moldavie et la Géorgie ont connu de graves conflits avec leurs minorités nationales. L’Azerbaïdjan et l’Arménie sont entrés en guerre l’un contre l’autre. Le Tadjikistan a passé la majeure partie des années 1990 en état de guerre civile ouverte. Seuls les trois petits États baltes sont parvenus à établir une forme de démocratie stable, mais ils subissent aujourd’hui le pire de la crise économique mondiale. La Russie et le Belarus sont loin d’être démocratiques. Les États d’Asie centrale, en particulier le Turkménistan et l’Ouzbékistan, sont des fiefs féodaux autoritaires.
La sélection de Gorbatchev a marqué la victoire, au sein de la bureaucratie soviétique dirigeante, d’une couche de réformateurs qui avait compris que des changements devaient être apportés si l’élite voulait conserver le pouvoir. Andropov appartenait à cette aile réformatrice, bien qu’il ait été un homme de main de l’élite dirigeante. En tant qu’ambassadeur en Hongrie en 1956, il a vu comment les travailleurs en colère ont pendu la police secrète détestée aux lampadaires et a réalisé que le pouvoir soviétique était tout aussi fragile. De retour à Moscou en tant que chef du KGB, il a férocement plaidé en faveur de mesures militaires contre les réformateurs tchécoslovaques du Printemps de Prague en 1968. Il a réprimé les dissidents et a soutenu avec ferveur l’invasion de l’Afghanistan en 1979. Mais, une fois au pouvoir, il a pris les premières mesures provisoires pour mettre un frein aux pires excès de la corruption et de l’incompétence, mesures qui allaient ensuite être étendues par Gorbatchev. Les agents du KGB implantés sur chaque lieu de travail et dans chaque quartier signalaient dans leurs rapports l’énorme mécontentement qui s’accumulait dans la société face à la mauvaise gestion de la bureaucratie.
Après la révolution d’octobre 1917, de premières mesures visant à établir une société socialiste ont été prises. Les principales industries ont été nationalisées et intégrées dans une économie planifiée avec, du moins dans les premières années, de larges éléments de contrôle et de gestion par les travailleurs. Cela a posé les bases d’un développement économique remarquable du pays. Malgré le fait que la Russie prérévolutionnaire était l’un des pays les plus arriérés d’Europe sur le plan économique, et malgré la destruction économique causée par la première guerre mondiale (1914-18), la guerre civile (1918-20) et la deuxième guerre mondiale (1939-45), l’Union soviétique est devenue, dans les années 1960 et 1970, une puissance industrielle dont l’économie n’était pas soumise aux booms et aux effondrements chaotiques du capitalisme.
Au milieu des années 1920, cependant, une élite bureaucratique a commencé à se cristalliser, s’appuyant sur l’arriération de la société russe, la fatigue de la classe ouvrière et l’échec de la révolution dans d’autres pays plus développés comme l’Allemagne. La classe ouvrière a été écartée du pouvoir politique tandis que la bureaucratie, dirigée par Staline, a étendu ses tendances dictatoriales à tous les aspects de la vie. Cette élite bureaucratique, forte de 20 millions de personnes en 1970, était comme un énorme parasite qui suçait le sang de l’économie planifiée, la vidant de son énergie. La mauvaise gestion bureaucratique a créé un énorme gaspillage. Cela a conduit à la période que les Russes appellent « la stagnation ». Tout le monde avait un emploi, un endroit où vivre et un salaire modeste, mais la vie était terne, la qualité des produits et des services très faible, et d’énormes ressources étaient gaspillées ou dépensées en armes ou autres articles inutiles. De plus en plus, la mauvaise gestion de l’économie entraînait d’énormes pénuries, souvent de produits essentiels.
Parfois, la nature arbitraire et répressive de la bureaucratie débordait sur des conflits ouverts. En 1962, par exemple, une instruction a été envoyée de Moscou pour augmenter le prix de la viande et d’autres denrées alimentaires stables. Cela a coïncidé avec la décision de réduire les salaires dans une usine métallurgique de la ville de Novocherkassk. Les travailleurs se sont alors mis en grève. Ils ont été accueillis par des troupes armées et des chars. Des centaines d’entre eux ont été tués par balle, tant le régime craignait que des travailleurs d’autres régions ne viennent les soutenir.
Léon Trotsky avait analysé la situation en Union soviétique après la prise du pouvoir par la bureaucratie. Il affirmait que la classe ouvrière devait organiser une révolution supplémentaire et balayer la bureaucratie, permettant ainsi la mise en place d’un véritable État ouvrier démocratique. Si, toutefois, les travailleurs ne devaient pas le faire, alors il arriverait un moment où l’élite bureaucratique tenterait de légaliser ses privilèges et le pillage des biens de l’État. À long terme, écrivait Trotsky, dans « La révolution trahie » (1936), cela pourrait « conduire à une liquidation complète des conquêtes sociales de la révolution prolétarienne ». Sous Staline, la bureaucratie a défendu l’économie planifiée comme la base de son pouvoir et de ses privilèges, mais elle l’a fait « de manière à préparer une explosion de tout le système qui pourrait balayer complètement les résultats de la révolution. »
Des réformes expérimentales
Des événements tels que ceux de Novocherkassk, de Hongrie, de Tchécoslovaquie et de Pologne ont effrayé la bureaucratie. Alors que, du moins au début, la majorité de celle-ci estimait que la répression était le moyen le plus efficace de maintenir le contrôle sur la société, une partie des bureaucrates a commencé à penser qu’il fallait chercher de nouveaux mécanismes pour réduire la mauvaise gestion et la corruption. Au milieu des années 1960, un groupe d’économistes a commencé à se former sous la direction d’Abel Aganbegyan à l’Académie de Novossibirsk. Ils ont commencé à analyser des questions telles que le fossé entre la production agricole et les demandes de la population. Leurs travaux, rédigés dans le style rabougri du « marxisme » soviétique, allaient essentiellement dans le sens de la réintroduction des mécanismes du marché, du moins dans l’agriculture. Leurs idées ont été discutées par une couche importante de l’élite dirigeante. Aganbegyan est devenu plus tard le principal conseiller économique de Gorbatchev.
Cependant, l’élite dirigeante n’était pas encore prête à s’engager dans cette voie. La source de leur style de vie privilégié était, après tout, l’économie planifiée et, malgré leur incompétence parasitaire, elle était toujours en avance par rapport aux grandes économies capitalistes. En 1973, la crise pétrolière a frappé le monde. Elle a contribué à plonger l’Occident dans la récession, mais a en fait aidé l’Union soviétique en raison des revenus supplémentaires provenant des exportations de pétrole. Mais cela n’a fait que retarder le processus.
Le mécontentement croissant en Europe de l’Est a poussé les gouvernements, comme celui de la Pologne, à commencer à contracter des prêts importants auprès du monde capitaliste. Ces crédits ont alimenté l’inflation et rendu le système bureaucratique de planification encore plus ingérable. Les coûts de la course aux armements de la guerre froide et de l’Afghanistan n’ont fait qu’exacerber les problèmes. Ainsi, lorsque Brejnev est mort en 1982, une partie du politburo au pouvoir semblait prête à commencer à expérimenter. Andropov, considéré comme un réformateur, a été élu au pouvoir, mais il est mort 15 mois plus tard. Il avait exprimé le souhait d’être remplacé par Gorbatchev, mais les partisans de la ligne dure n’étaient pas encore prêts pour cela. Tchernenko, bien que déjà gravement malade, fut élu comme candidat provisoire, le politburo comprenant clairement que dans quelques mois, ils allaient à nouveau être amenés à voter. Cette fois, Gorbatchev l’a emporté.
Il n’avait pas l’intention de réintroduire le capitalisme. Il désirait des réformes au sommet pour empêcher une explosion de la révolution par en bas. Mais il a déclenché un processus qui est devenu impossible à arrêter, principalement parce qu’en levant la répression et en encourageant dans une certaine mesure les gens ordinaires à jouer un rôle plus actif, bien que limité, dans leurs propres affaires, il a ouvert les vannes pour permettre au mécontentement qui s’était accumulé pendant des décennies de se manifester au grand jour.
Les dissidents et l’opposition
Bien sûr, les choses auraient pu se passer différemment. Dans son chef-d’œuvre, « La révolution trahie », Trotsky affirmait que « si la bureaucratie soviétique est renversée par un parti révolutionnaire ayant tous les attributs du vieux bolchevisme, enrichi en outre par l’expérience mondiale de la période récente, un tel parti commencerait par restaurer la démocratie dans les syndicats et les soviets. Il pourrait, et devrait, restaurer la liberté des soviets. Avec les masses, et à leur tête, il procéderait à une purge impitoyable de l’appareil d’État. Il supprimerait les grades et les décorations, toutes sortes de privilèges, et limiterait l’inégalité dans la rémunération du travail aux nécessités vitales de l’économie et de l’appareil d’État. Il donnerait à la jeunesse la possibilité de penser de manière indépendante, d’apprendre, de critiquer et de se développer. »
« Il introduirait de profonds changements dans la répartition du revenu national en fonction des intérêts et de la volonté des masses ouvrières et paysannes. Mais en ce qui concerne les relations de propriété, le nouveau pouvoir n’aurait pas à recourir à des mesures révolutionnaires. Il conserverait et développerait l’expérience de l’économie planifiée. Après la révolution politique – c’est-à-dire la chute de la bureaucratie – le prolétariat aurait à introduire dans l’économie une série de réformes très importantes, mais pas une autre révolution sociale. »
Ces propos ont été écrits en 1936, lorsque la masse des travailleurs avait encore un souvenir clair de ce que la révolution bolchevique, menée par Vladimir Lénine et Trotsky, était réellement censée accomplir. C’est la crainte que les travailleurs organisent une nouvelle révolution qui a conduit Staline à mener sa vicieuse campagne de terreur contre les bolcheviks restants. Cette campagne de terreur était si impitoyable que, malgré la résistance héroïque des trotskystes dans les camps de prisonniers, le fil du bolchevisme a fini par être rompu. Jusqu’en 1990, il était pratiquement impossible de lire les œuvres de Trotsky en Union soviétique.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y avait pas d’opposition à la bureaucratie au pouvoir. Les médias occidentaux ont mis en avant les dissidents, principalement des intellectuels inspirés à un degré ou à un autre par la démocratie libérale occidentale, comme Andrei Sakharov, un physicien nucléaire qui a travaillé sur la bombe atomique soviétique. Certaines personnalités du parti et de l’armée, des gens comme les frères Medvedev, Roy et Zhores, et Pyotr Grigoryenko se sont ouvertement exprimés en tant qu’anti-staliniens de gauche. En 1963, ces derniers ont même formé l’Union de lutte pour la restauration du léninisme. Cependant, malgré tout leur courage, il s’agissait essentiellement de bureaucrates dissidents. Beaucoup plus nombreux sont les jeunes opposants de la classe ouvrière qui ont formé des groupes d’étude, des cercles léninistes et même des partis, avec des noms tels que le Parti néo-communiste, le Parti des nouveaux communistes ou, plus tard, même le Parti de la dictature du prolétariat. Malheureusement, la combinaison de la répression et de l’absence d’une compréhension claire de ce qu’il fallait faire a laissé ces groupes incapables de se développer lorsque les conditions ont mûri.
Les limites de la perestroïka
En fin de compte, ce sont les mouvements initiés par la bureaucratie elle-même qui ont conduit à la disparition de l’Union soviétique. Gorbatchev a lancé ses politiques de glasnost et de perestroïka (ouverture et restructuration). D’une part, le système politique a été ouvert pour permettre une certaine critique. Naturellement, les réformateurs voulaient que cette critique soit dirigée contre leurs adversaires les plus durs sans toutefois aller trop loin. Les élections à plusieurs candidats ont été autorisées, mais tous les candidats devaient toujours être membres du parti communiste.
Gorbatchev fut initialement plus prudent avec l’économie, parlant d’uskoreniye (accélération) et de la modification de la planification centrale. La plus grande réforme consista à rendre les usines et les entreprises “autofinancées”. Cela signifiait que, bien qu’elles devaient respecter leurs engagements de production pour le plan, les directeurs pouvaient vendre tout excédent produit et, naturellement, utiliser les bénéfices comme ils le souhaitaient. Les travailleurs ont eu le droit d’élire et de révoquer les directeurs d’usine, ce qu’ils ont fait dans certains cas. En 1987, une loi a été adoptée permettant aux étrangers d’investir en Union soviétique en formant des entreprises communes, généralement avec des ministères ou des entreprises d’État. En 1988, la propriété privée sous forme de coopératives a été autorisée dans les secteurs de la fabrication, des services et du commerce extérieur.
Aucune de ces réformes n’a eu l’effet escompté. Alors que la censure était relâchée et que les représentants de la bureaucratie commençaient à débattre plus ouvertement, les gens ont été inspirés par cette nouvelle “ouverture”. Lorsque les débats du Soviet suprême ont été diffusés en direct à la télévision, les gens ont arrêté de travailler pour se presser autour du poste le plus proche, les foules dans les rues regardaient à travers les vitrines des magasins. Mais ils voulaient plus de choix qu’entre les candidats d’un même parti. Lors des élections au Soviet suprême de mai 1989, les électeurs de tout le pays ont rayé tous les noms sur leur bulletin de vote pour protester contre l’absence d’alternative. Très vite, les députés réformateurs les plus radicaux, autour de Boris Eltsine, ont soulevé la nécessité d’abolir l’article six de la constitution, qui stipulait que le PCUS a le droit de contrôler toutes les institutions du pays.
La Perestroïka s’est avérée désastreuse, du moins du point de vue des travailleurs. Les réformes n’étaient, comme on dit en russe, ni chair ni volaille. En assouplissant les règles du plan, les directeurs d’entreprise ont commencé à détourner les ressources de la production de base. Les organisations ont commencé à éprouver des difficultés à obtenir des fournitures de base. Et si les directeurs étaient désormais autorisés à vendre la production supérieure au plan à qui voulait bien l’acheter, il n’y avait toujours pas de marché libre pour le faire. Cela a créé de réelles difficultés. Par exemple, le coût de la production de charbon était nettement supérieur au prix payé par l’État, laissant de nombreuses mines sans argent pour couvrir les salaires.
En raison de l’incompétence de l’élite dirigeante, l’économie soviétique a longtemps souffert de pénuries. Mais, en 1989, la situation était devenue catastrophique. Les mineurs ne pouvaient même pas obtenir de savon pour leurs douches. À Moscou, toujours privilégiée concernant l’approvisionnement en nourriture, le rationnement des denrées alimentaires de base a été introduit.
La perte de contrôle
La politique de perestroïka s’effondra dans la crise. Elle n’a pas fait grand-chose pour réduire le rôle étouffant de la bureaucratie, mais a soulevé le couvercle de l’énorme mécontentement qui bouillonnait sous la surface. Les événements ont commencé à échapper à tout contrôle.
Au début de 1986, la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, a explosé. Alors que les autorités tentaient de dissimuler l’ampleur de la catastrophe, des volontaires ont afflué par milliers pour éteindre l’incendie, avec pour seule défense une bouteille de vodka qui, selon les médecins, les protégerait des radiations. Une fois de plus, il apparaissait que la société soviétique reposait sur d’énormes sacrifices de la part du peuple, tandis que la bureaucratie continuait à faire des erreurs et à commettre des vols. En 1988, un tremblement de terre a secoué certaines parties de l’Arménie, tuant 25.000 personnes lorsque des bâtiments insalubres se sont effondrés, laissant la ville de Leninakan dévastée. Cela a alimenté la question nationale dans le Caucase.
À la fin de 1986, les premiers signes de la libération de nouvelles forces sociales ont commencé à apparaître. La ville d’Alma-Ata a été secouée par une émeute étudiante de deux jours avec pour cause immédiate le limogeage de Dinmukhamed Konayev, chef du parti communiste du Kazakhstan (un Kazakh de nationalité). Le parti était en proie à une lutte entre Konaïev et son adjoint (également kazakh), qui l’accusait de freiner les réformes. Gorbatchev a décidé de ne soutenir aucun des deux camps et a nommé à la place un outsider, un Russe. Mécontent de cette décision, l’adjoint de Konaïev a incité les étudiants, principalement des Kazakhs, à protester. Lorsqu’ils ont été accueillis par les troupes anti-émeute, ils se sont déchaîné. L’adjoint de Konaïev a fini par prendre la tête du parti en 1989 et, deux ans plus tard, lors de la tentative de coup d’État de 1991, il a interdi le parti communiste, avant de devenir président du Kazakhstan. Son nom : Nursultan Nazarbaev, qui est encore aujourd’hui le président autoritaire du Kazakhstan (il a démissionné de la présidence en 2019, ndt).
L’escalade de la crise économique, les scissions au sein de l’élite dirigeante et les catastrophes naturelles et technologiques ont alimenté le mécontentement. Les tensions nationales se sont intensifiées en quelques mois. La région du Nagorny-Karabakh (cédée arbitrairement à l’Azerbaïdjan par Staline en 1921) est devenue le prochain point chaud. Les manifestations de masse de la population majoritairement arménienne, qui exigeait le retour en Arménie, ont été réprimées sauvagement par le régime azéri. Une guerre ouverte a éclaté entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan en 1991.
Dans les trois États baltes – la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie – il y avait un énorme ressentiment à l’égard de leur inclusion dans l’Union soviétique, à la suite du pacte Hitler/Staline. (Lénine et Trotsky avaient toujours soutenu le droit des États baltes à l’autodétermination). Ce ressentiment, combiné à la crise économique et sociale croissante, a alimenté des mouvements de masse réclamant l’accélération des réformes et l’indépendance. Au début de 1990, les trois pays avaient déclaré leur indépendance officielle.
Si un parti ouvrier de masse de gauche avait existé à l’époque, il aurait pu unifier ces protestations contre la bureaucratie soviétique et présenter une véritable option pour garantir l’établissement d’un véritable État socialiste en Union soviétique. Un mouvement ouvrier de masse s’est développé. Malheureusement, il n’était pas armé d’un programme clair qui aurait pu résoudre ces crises.
Les oligarques s’installent au pouvoir
Les mouvements de masse qui se sont répandus en Europe de l’Est, les mouvements d’indépendance en pleine expansion ainsi que les politiques ratées de la perestroïka n’ont fait qu’aggraver la situation économique. Les recettes fiscales se sont effondrées, le nombre d’usines nécessitant des subventions a augmenté. L’inflation s’installa. Pendant ce temps, une partie de l’élite dirigeante a quitté le navire. Une nouvelle loi autorisant la formation de coopératives a été présentée comme donnant le droit de créer des cafés et de petites productions de services. Cependant, la bureaucratie a utilisé cette loi pour créer des coopératives liées aux ministères et aux usines afin d’exproprier ouvertement les biens de l’État.
L’un des oligarques les plus notoires de Russie, Boris Berezovskii, fournit un exemple du fonctionnement de ce processus. En 1989, il a conclu un accord avec la direction de l’usine automobile russe Lada. Au lieu de vendre toute sa production par l’intermédiaire de détaillants d’État, elle lui vendrait ses voitures à un prix réduit. Il les revendrait ensuite, à un prix plus élevé bien sûr. En trois ans, Berezovskii a réalisé un chiffre d’affaires de 250 millions de dollars dans cette seule activité. Les travailleurs ont vite appris à détester ces “entrepreneurs”.
En mars 1989, les premiers signes d’une vague de grève imminente sont apparues dans le bassin houiller polaire de Vorkuta. La 9e brigade de la fosse Severnaya a fait grève, réclamant des salaires payés à un taux décent et des normes de production plus basses. Faisant écho aux réformateurs de Moscou, ils ont exigé la réduction de 40% du personnel d’encadrement et la réélection du directeur technique. Des concessions ont rapidement été faites, mais cette petite grève a ouvert les vannes. En juillet, un demi-million de mineurs se sont mis en grève dans tout le pays.
À Vorkuta, Novokuznetsk, Prokopievsk et Mezhdurechensk, des comités de grève ont effectivement pris en charge la gestion des villes. La vente de spiritueux a été interdite et des organisations ont été mises en place pour maintenir l’ordre public. Les mineurs étaient principalement préoccupés par leurs conditions de travail et leurs conditions sociales, notamment les mauvaises conditions de transport et de logement, les bas salaires, la mauvaise alimentation et l’absence de savon dans les douches des puits. Dès le début, les réunions de masse et les comités de grève ont insisté sur le fait que les grèves étaient apolitiques. Mais, comme les mineurs n’avaient pas de programme politique propre, il était inévitable que d’autres forces utilisent leur mouvement. À Mezhdurechensk, les directeurs de mines ont “soutenu” la grève, se plaignant seulement que certaines des revendications étaient irréalisables tant que les mines étaient sous contrôle central. La demande d’une indépendance économique totale des mines, avec le droit de vendre du charbon sur le marché libre, a bientôt été ajoutée à la liste des revendications des mineurs.
Les mineurs ont créé des organisations à la hâte, mais se sont avérés être politiquement non préparés. La seule façon dont ils auraient pu résoudre les problèmes de la fin de la période soviétique aurait été de s’organiser pour renverser la bureaucratie et l’élite dirigeante, tout en maintenant la propriété de l’État et l’économie planifiée sur la base d’un contrôle et d’une gestion démocratiques des travailleurs. Mais il n’y avait aucune organisation politique offrant une telle alternative dans les bassins houillers. Au lieu de cela, la bureaucratie même qui était à l’origine de la crise s’est attaquée aux organisations créées par les mineurs pour promouvoir son propre programme politique. Les membres des comités de grève ont été pris pour de longues négociations, les revendications quotidiennes ont été liées à des demandes plus explicites dans l’intérêt des administrations des mines et même du ministère du charbon. Dans de nombreux cas, les chefs de grève étaient encouragés à créer des entreprises (en utilisant la nouvelle loi) qui, naturellement, étaient étroitement contrôlées par les structures de l’État.
500 jours pour le capitalisme
Au cours de l’été 1989, le premier bloc d’opposition au Congrès soviétique, le groupe interrégional, a été formé, avec à sa tête Eltsine. Alors que les événements se succédaient à un rythme dramatique, les grèves des mineurs donnaient aux travailleurs la certitude qu’ils pouvaient se battre. Pendant ce temps, les États baltes ont déclaré leur indépendance. Un autre conflit interethnique virulent a éclaté entre la Géorgie et l’Ossétie du Sud. En novembre 1989, le mur de Berlin a été abattu. En décembre, le dictateur brutal Nikolaï Ceausescu et sa femme, Elena, ont été exécutés publiquement lors du soulèvement en Roumanie. Ces événements ont effrayé l’élite dirigeante mais, comme on dit en russe, le train avait quitté la gare et il n’était plus possible de l’arrêter.
Le groupe interrégional s’opposait ouvertement à Gorbatchev, qui se retrouvait coincé entre les partisans d’Eltsine et les conservateurs purs et durs. Parmi ces derniers, on trouve des personnalités telles que les fameux “colonels noirs” qui plaidaient pour une solution “à la Pinochet”.
Le groupe interrégional possédait une petite aile gauche mais se composait principalement de réformateurs, dont l’agenda comportait des réformes du marché et une démocratie de type occidental, même si cela n’était pas encore clairement formulé dans leur programme. Il est révélateur de la résistance au capitalisme que, même à ce stade tardif, les réformateurs n’appelaient que rarement ouvertement à sa restauration. Parmi les mineurs et les autres travailleurs, cet appel aurait rencontré une certaine résistance, même si certaines de leurs revendications étaient devenues intrinsèquement “pro-marché”. L’état d’esprit des mineurs était qu’ils n’avaient vraiment aucune envie de vivre dans une société capitaliste. Néanmoins, ils avaient perdu la foi dans le fait que le socialisme était un système viable.
Le groupe interrégional s’est concentré sur la suppression du monopole du pouvoir du PCUS. Des manifestations massives ont été organisées à Moscou et dans d’autres villes pour exiger l’abrogation de l’article 6, qui a finalement été aboli au printemps 1990. Lors des élections dans les différentes républiques, les candidats nationalistes et pro-libéraux ont remporté la majorité des voix. En mai, Eltsine a été élu président du Soviet suprême et, en juin, dans une tentative de forcer la main à Gorbatchev, le Congrès russe des députés du peuple a déclaré la souveraineté de la Russie. La “guerre des lois” a commencé, les républiques luttant pour la suprématie contre le gouvernement de l’Union soviétique.
En août 1990, le gouvernement russe a adopté le « programme des 500 jours ». Ce programme prévoyait la création des « bases d’une économie de marché moderne en 500 jours », basée sur « une privatisation massive, des prix déterminés par le marché, l’intégration dans le système économique mondial, un large transfert de pouvoir du gouvernement de l’Union aux républiques ». Comme le disait l’éditorial de la première édition du journal russe du Comité pour une Internationale Ouvrière (devenu depuis lors Alternative Socialiste Internationale) de l’époque : « Nous mourrons de faim après 500 jours ! » En juin 1991, Eltsine se présenta à l’élection du président russe et remporta 57% des voix. Il critiquait la « dictature du centre », sans rien dire sur l’introduction du capitalisme. Il a même promis de mettre sa tête sur une voie ferrée si les prix augmentaient. Bien sûr, il ne l’a jamais fait, même si, en 1992, les prix avaient augmenté de 2 500 %.
Un coup d’État en demi-teinte
L’opposition conservatrice ne défendait pas le socialisme, du moins pas tel que nous le connaissons. Elle défendait un État fort et centralisé. Ils étaient surtout furieux que les républiques soient en train de se séparer de l’Union soviétique et que, du fait de cette nouvelle “ouverture”, les gens critiquaient leur gouvernement. À l’occasion des vacances du nouvel an 1990-91, des rumeurs de coup d’État militaire couraient à Moscou. Les partisans de la ligne dure se retenaient, même si l’Union soviétique s’effondrait autour d’eux.
En mars 1991, un référendum a été organisé dans lequel la question suivante était posée : « Considérez-vous nécessaire la préservation de l’Union des républiques socialistes soviétiques en tant que fédération renouvelée de républiques également souveraines dans laquelle les droits et la liberté d’un individu de toute nationalité seront pleinement garantis ? » Le référendum a été boycotté par les États baltes, ainsi que par la Géorgie, l’Arménie et la Moldavie. Mais 70% des électeurs des neuf autres républiques ont voté oui. Il s’est toutefois avéré difficile de trouver un accord sur la forme exacte. Un nouveau traité d’union a été élaboré. Huit républiques en ont accepté les conditions, tandis que l’Ukraine s’y est opposée. La Russie, le Kazakhstan et la Biélorussie l’ont signé en août 1991.
Le 19 août 1991, les Moscovites se sont réveillés au son des chars dans la rue. Les partisans de la ligne dure avaient lancé leur coup d’État tant attendu. On dit que Gorbatchev, qui était en fait en vacances, était « trop fatigué et malade pour continuer ». La « bande des huit » a déclaré qu’elle instaurait la loi martiale et un couvre-feu dans le but de « lutter contre l’économie souterraine, la corruption, le vol, la spéculation et l’incompétence économique » afin de « créer des conditions favorables à l’amélioration de la contribution réelle de tous les types d’activités entrepreneuriales menées dans le respect de la loi ». Ils ont terminé par un appel à « toutes les organisations politiques et sociales, les collectifs de travail et les citoyens » pour qu’ils démontrent leur « disposition patriotique à participer à la grande amitié dans la famille unifiée des peuples fraternels et à la renaissance de la patrie. »
Victor Hugo disait que « toutes les forces du monde ne sont pas aussi puissantes qu’une idée dont le temps est venu ». Ce putsch a prouvé que l’inverse est également vrai : la plus grande machine militaire ne pouvait pas sauver un régime dont le temps était révolu ! Même les tankistes et les parachutistes des divisions d’élite soviétiques envoyés à Moscou n’avaient pas le cœur à se battre. Les chars s’arrêtaient aux feux rouges. Un chauffeur de trolleybus a arrêté son véhicule à l’entrée de la Place Rouge et les chars n’ont pas bougé plus loin ! Quelques minutes plus tard, les manifestants ont appris qu’Eltsine lançait un appel à la grève générale (qu’il a rapidement annulé) et a demandé aux gens de se rassembler devant le siège du gouvernement russe. En quelques heures, des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées. Le pays tout entier a commencé à se soulever contre le coup d’État. Les putschistes ont fait demi-tour. L’un d’entre eux s’est tiré une balle. Un autre a quitté la politique pour devenir un riche banquier. Gorbatchev est retourné à Moscou pour découvrir que le pays qu’il avait dirigé n’existait plus.
Officiellement, l’Union soviétique fut dissoute en décembre 1991. Mais il ne s’agissait que d’une reconnaissance de la réalité. Après le coup d’État, les 15 républiques avaient annoncé leur indépendance. La vitesse du processus de restauration du capitalisme différait dans chaque république, mais la direction fut la même. Les obstacles à la restauration du capitalisme qui existaient auparavant ont été supprimés. Dans le cas de la Russie, le régime d’Eltsine a banni le PCUS, a entrepris de briser l’ancienne structure étatique, allant même jusqu’à promettre aux républiques intérieures de la Russie, telles que la Tchétchénie et le Tatarstan, « autant de souveraineté qu’elles pouvaient en supporter ». Une thérapie de choc économique a été introduite avec la libéralisation des prix, les privatisations massives, l’augmentation des impôts, la réduction des subventions à l’industrie et la diminution des dépenses sociales.
Les conseillers occidentaux ont ouvertement averti le gouvernement Eltsine qu’il devait gagner le soutien des anciens bénéficiaires du régime soviétique, c’est-à-dire les anciens chefs de parti, directeurs d’usine et agents du KGB, en leur transférant la propriété de la nouvelle société capitaliste afin qu’ils ne résistent pas. Même la période d’hyperinflation, qui a apporté une misère indicible aux masses, a été utilisée par l’élite dirigeante pour concentrer la richesse entre ses mains. C’est à partir de cette période que les oligarques ont acquis leur richesse obscène. Dans les médias russes, on appelait ouvertement cela le « processus d’accumulation primitive du capital ».
Le peuple soviétique a été escroqué. On leur a dit qu’en introduisant des réformes du marché, ils pourraient avoir des conditions de vie similaires à celles d’Europe occidentale. Plutôt que de dire à la population que l’intention était d’introduire le capitalisme, on lui a dit qu’il s’agissait d’une lutte pour la « démocratie ». Près de 20 ans plus tard, le niveau de vie de la grande majorité de la population est nettement inférieur à celui de la fin de la période soviétique. La démocratie est pratiquement inexistante et l’ancienne élite dirigeante, qui a ruiné l’économie planifiée, vit maintenant dans le luxe grâce aux bénéfices de l’exploitation capitaliste. Cela contribue à expliquer pourquoi, dans toute l’ancienne Union soviétique, les travailleurs commencent à se tourner à nouveau vers les idées de gauche. Ce n’est que la prochaine fois qu’ils auront l’expérience nécessaire pour établir une véritable société socialiste, avec une économie planifiée, le contrôle et la gestion des travailleurs, et l’autodétermination dans une fédération volontaire d’États socialistes et l’internationalisme.
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URSS : La grève de Novotcherkassk (1962)

Image du film “Chers camarades”, basé sur la grève de Novotcherkassk. Il était une fois dans l’histoire de la lutte des classes
Après la mort de Staline (1953), Nikita Khrouchtchev s’est imposé comme principale figure au sein de la direction du Parti Communiste d’Union soviétique (PCUS), après avoir éliminé son rival le plus dangereux, Béria, chef de la police politique.
Par Guy Van Sinoy
Les années qui ont suivi furent marquées par des révoltes ouvrières violemment réprimées dans plusieurs pays de l’Est :
- Berlin, juin 1953 : grève et révolte des ouvriers du bâtiment contre l’augmentation des cadences. Intervention des chars soviétiques ;
- Pologne, juin 1956: grèves de masse violemment réprimées (50 morts) ;
- Hongrie, octobre-novembre 1956, insurrection armée de milliers d’étudiants et d’ouvriers organisés en milices populaires. Le gouvernement hongrois fuit, les chars soviétiques interviennent (2.500 morts chez les insurgés, 700 chez les soldats russes).
« L’Union soviétique dépassera les États-Unis pour la production par habitant »
A la fin des années 1950, les soviétiques ont développé un programme spatial ambitieux qui les place devant les États-Unis dans la conquête de l’espace : premier satellite artificiel (Spoutnik) en octobre1957, premier homme dans l’espace (Gagarine) en avril 1961. Ces succès dans l’espace poussent Khrouchtchev à faire des pronostics ambitieux et complètement irréalistes.
En octobre 1961 il fait adopter par le 22e congrès un nouveau programme annonçant que l’Union soviétique entre dans la période de « l’édification de la société communiste où les sources de la richesse sociale couleront à flots ». Il annonce que d’ici dix ans « L’Union soviétique dépassera les États-Unis pour la production par habitant. ».Au même moment, les files d’attente s’allongent devant les magasins aux vitrines et aux rayonnages quasi vides. Une blague circule: des journalistes se rendent chez le célèbre cosmonaute Youri Gagarine pour l’interviewer. Il est absent mais ses enfants répondent: « Il est dans le Cosmos et reviendra dans 30 minutes ! ». Et maman ? « Elle est allée faire la queue à la boucherie, elle reviendra dans 4 ou 5 heures, peut-être plus ! » Car les magasins soviétiques sont incapables de fournir les produits alimentaires de base.
Novotcherkassk 1962
Khrouchtchev décide d’augmenter de 30 % le prix de la viande, de 19 % le prix du lait, du beurre et des œufs. L’annonce de ces mesures provoque l’inquiétude des responsables et la colère de la population. A l’usine de locomotives NEVZ de Novotcherkassk , cette colère se transforme en révolte. D’autant plus que la direction de l’usine a abaissé dans plusieurs ateliers le tarif des heures de travail.
Le 1er juin au matin une dizaine d’ouvriers du laminoir, qui ont reçu la veille un salaire diminué de 30 %, se rassemblent dans l’atelier et continuent à discuter au lieu de rejoindre leur poste de travail. Le directeur descend pour les sermonner. Les ouvriers de l’atelier décident de débrayer et actionnent la sirène de l’usine pour inviter les autres à les imiter. Ils confectionnent des pancartes en carton : « De la viande ! Du beurre ! Hausse des salaires ! ». Le slogan le plus populaire est sans conteste : « Khrouchtchev à la casserole ! »
Une délégation de NEVZ fait le tour des usines pour étendre le mouvement. Trois heures plus tard, 4.000 ouvriers sont regroupés devant les bureaux de l’administration. Le secrétaire local du parti fait venir un détachement de 200 miliciens que la foule balaie en un instant. En soirée des automitrailleuses et quelques blindés viennent libérer les dirigeants « otages » des grévistes. Le Kremlin est alerté. Inquiet, Khrouchtchev envoie sur place Mikoïan, un de ses adjoints.
Le lendemain matin 10.000 ouvriers manifestent portant des banderoles revendicatives et des portraits de Lénine. Des tanks leur barrent le chemin. La foule scande : « Place à la classe ouvrière ! ». Une délégation de grévistes, conduite par l’ouvrier Mokrooussov, se rend au siège du comité de ville où elle rencontre Mikoïan. Elle demande le retrait des troupes et l’annulation de la hausse des prix. Mikoïan déclare « ne rien pouvoir faire en ce qui concerne la hausse des prix. » Malgré son insuccès cette délégation a une portée considérable: pour la première fois l’appareil qui prétend représenter la classe ouvrière se retrouve directement face à elle.
Répression
Le responsable local du parti téléphone au Kremlin et demande à Khrouchtchev l’autorisation de disperser les manifestants. Un détachement de troupes spéciales du ministère de l’Intérieur arrive sur place. Armés de mitraillettes, les miliciens tirent dans la foule. Les blessés se comptent par dizaines. Il y a de nombreux morts. Combien ? Le chiffre est incertain car dans la nuit la police subtilise les cadavres et les enterre dans des endroits restés secrets.
Le lendemain, les ouvriers ne reprennent pas le travail. Vers 9 heures, 500 ouvriers se regroupent devant le commissariat central pour exiger la libération des manifestants arrêtés la veille. Le responsable local du PCUS intervient à la radio et dénonce l’action des « hooligans, ivrognes et provocateurs » qui ont entraîné derrière eux « quelques ouvriers peu conscients ».
Sept condamnés à mort
La bureaucratie se venge brutalement de la peur que la grève a provoquée en elle. 14 ouvriers sont traînés en justice. Le tribunal traite les accusés comme des criminels de droit commun. Leurs avocats, commis d’office, accablent les accusés auxquels le tribunal interdit de parler. A l’issue du procès, 7 ouvriers (dont Mokrooussov) sont condamnés à mort. 7 autres sont condamnés à des peines de 10 à 15 ans de camp ou de prison.
Novotcherkassk est pour Khrouchtchev le début de la fin car ces événements deviennent l’une des raisons qui vont pousser l’appareil du parti à se débarrasser du dirigeant devenu le plus impopulaire.
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Chine : Croissance des divisions et des conflits sociaux
Fin février et début mars, un village s’est à nouveau révolté dans la province chinoise de Guangdong. Le soulèvement à Shangpu, un village de 3.000 habitants, n’a pas reçu la même attention que la révolte de Wukan de 2011, mais il illustre tout de même que la colère présente dans la société chinoise peut éclater en révolte à tout moment. Durant des semaines, la population de ce village situé à 100 km de Wukan a occupé sa place centrale malgré la répression des autorités et de leurs sbires. De telles occupations se produisent de plus en plus fréquemment.
Par Geert Cool
Croissance des divisions et des conflits sociaux
En Chine, on dénombre actuellement 180.000 ‘‘incidents de masse’’ par an. Des villages entiers, des ouvriers d’usines, mais aussi des segments entiers de la population se mobilisent contre les salaires de misère, les mauvaises conditions de travail, l’expropriation de terres agricoles pour des projets immobiliers spéculatifs ou contre la répression de minorités nationales ou religieuses. Ces deux dernières années, plus de 100 tibétains se sont immolés pour protester contre l’oppression continue de la minorité tibétaine.
Ces troubles sociaux ne viennent pas de nulle part. Ils résultent d’une inégalité croissante entre riches et pauvres et de contradictions sociales de plus en plus extrêmes. Des dizaines de millions de Chinois se voient obligés de migrer et de grandes étendues rurales doivent faire place à des projets d’urbanisation et d’infrastructures grâce auxquels le régime espère éviter un atterrissage brutal de l’économie. Un tel effondrement de l’économie ne s’est pour l’instant pas produit mais la croissance est bien retombée au niveau le plus bas depuis 1999.
Une croissance inégale
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La plus grande réunion de milliardaires
Début mars, la réunion annuelle du ‘‘Congrès national du peuple chinois’’ rassembla un grand nombre de milliardaires. Parmi les 3.000 délégués il n’y avait pas moins de 75 milliardaires en dollars, avec une fortune totale estimée à plus de 90 milliards de dollars. La Chine compte au total 281 milliardaires. La réunion principale des chinois ‘‘communistes’’ est donc encore plus élitiste que, par exemple, celle du Congrès américain : 535 délégués sur deux chambres, lesquels avaient une fortune collective entre 1,8 et 6,5 milliards de dollars en 2010. L’énorme richesse de l’élite du Parti ‘‘Communiste’’ Chinois (PCC) est une expression de l’énorme inégalité entre riches et pauvres en Chine. Dans la Russie de 1917, Lénine avait défendu que le plus haut salaire ne devrait être plus de quatre fois supérieur au plus bas. Mais les dirigeants chinois essayent avant tout de profiter des avancées du capitalisme dans le pays.
Le fait que 160 des 1.024 chinois les plus riches furent des délégués au congrès du PCC démontre non seulement jusqu’à quel point les dirigeants se sont enrichis mais aussi l’étendue du contrôle que les super-riches exercent sur le régime. Les super-riches qui siègent dans la direction du parti s’y trouvent avant tout parce que cela leur permet de s’enrichir encore plus rapidement. Les énormes contradictions sociales après des décennies ‘‘d’ouverture’’ et de ‘‘réformes’’ capitalistes se manifestent aussi par des tensions parmi les super-riches au pouvoir. Le nouveau président et chef du parti Xi Jinping et son équipe ont hérité de leurs prédécesseurs d’une bombe à retardement.
[/box]La vague d’investissements dans l’infrastructure a réduit le ralentissement économique, mais cela s’est aussi soldé par une hausse de l’inflation et le développement d’une bulle immobilière qui va de paire avec un endettement endémique dans toute l’économie. Le niveau de vie de la majorité de la population chinoise ne s’est pas nécessairement amélioré. Même le journal Xinhua, contrôlé par l’Etat, a repris une enquête révélant que le revenu de 46,9% des travailleurs dans le secteur de la construction a stagné entre 2011 et 2012 et que, pour un septième d’entre eux, il a même diminué.
Bien que lors des dix dernières années l’économie chinoise a beaucoup gagné en importance, avec un PIB qui a quadruplé depuis 2003 et une croissance moyenne annuelle de 10,6%, ces chiffres n’ont pas apporté plus de stabilité. D’un côté il y a davantage de milliardaires, de l’autre un demi-milliard de personnes doivent survivre avec moins de 2 dollars par jour. Et la moitié de la population chinoise n’a pas d’accès à l’eau potable.
En plus, l’économie perd de plus en plus de souff le. Pour une économie aussi orientée sur l’exportation que celle de la Chine, les effets d’une crise économique mondiale se font fortement ressentir. Les répercussions peuvent être minimisées par l’investissement interne, comme par exemple dans l’infrastructure, mais ces mesures ont des limites et s’accompagnent de nouveaux dangers pour l’économie.
Princes rouges au pouvoir
Le nouveau Secrétaire Général du Parti ‘‘Communiste’’ Chinois, et en tant que tel le nouveau président du pays, Xi Jinping, parle de la nécessité de réformes économiques. En Chine, cela signifie des mesures capitalistes. Xi combine cet appel avec des déclarations populistes concernant la lutte contre la corruption (un problème très répandu en Chine) tout en contrôlant encore davantage les médias sociaux et internet.
A l’instar d’autres chefs du PCC, Xi Jinping est le fils d’un ancien dirigeant de l’ère de Deng Xiaoping. Le père de Xi Jinping, Xi Zhongxun, fut gouverneur de la province de Guangdong entre 1978 et 1981. Il y créa créa la première Zone Économique Spéciale (ZES), un territoire ouvert aux multinationales où les bas salaires et les mauvaises conditions de travail constituent la norme. Dans le comité permanent du bureau politique – le nombre de membres y a été réduit de 9 à 7 – on ne compte pas moins de quatre ‘‘princes rouges’’, c’est- à-dire des descendants d’anciens chefs du parti. De tels liens familiaux donnent accès à un pouvoir et à des richesses énormes. La faction de ceux qui ne peuvent pas s’appuyer sur de tels liens familiaux – dont fait entre autre partie le président précédent Hu Jintao – perd du terrain et est tombée de 6 des 9 élus au comité permanent à 3 sur 7 élus. Ce groupe maintient tout de même une forte position dans l’ensemble du bureau politique et fournit le premier ministre Li Keqiang. Dans ces tensions internes, les positions politiques ne jouent presque aucun rôle, il ne s’agit que d’intrigues, de protection mutuelle et de contrôle. Ces tensions au sein de la couche dirigeante se sont manifestées dernièrement par la liquidation politique du prince rouge Bo Xilai et par le fait que la lutte pour les postes politiques s’est prolongée jusqu’a la veille du Congrès PCC.
Quels changements ?
Lorsque Xi Jinping parle de ‘‘réformes profondes’’, il faut entendre par là une plus grande ouverture aux éléments capitalistes. Le régime combine ce qui lui reste de la tradition stalinienne avec une présence toujours croissante des éléments capitalistes. Contrairement à l’Union Soviétique, on essaye d’effectuer une transition contrôlée d’en haut avec des oligarques comme chefs de partis.
La Chine est confrontée à bien des problèmes. Ces dernières années la croissance économique a été maintenue au-dessus des 10% grâce à des investissements étatiques immenses, mais en 2012 il y eu une chute abrupte à environ 7,5%. Ces investissements – représentant une valeur plus ou moins équivalente à 50% du PIB chinois – n’ont fait qu’accroître le mécontentement puisqu’ils ont apporté plus d’inégalité, la perte de terres agricoles, plus de corruption et une dégradation continue de l’environnement. Ces investissements ont assuré que le déclin des entreprises d’Etat (tant numériquement qu’au niveau de leur part de l’emploi dans l’économie) a pu être arrêté ou même inversé dans bon nombre de secteurs.
En même temps, ce stimulus gigantesque a mis une pression sur les ressources publiques, rendant impossible, par exemple, le développement d’un système de sécurité sociale pour les 200 millions de migrants internes qui travaillent dans l’industrie.
Dans une période de crise économique une transition graduelle et paisible à un régime entièrement capitaliste est particulièrement difficile. De sérieuses réformes d’en haut risquent de stimuler une révolution d’en bas. Les détenteurs du pouvoir se retrouvent dans une situation précaire avec une crise sociale chez les travailleurs, l’incertitude parmi les couches moyennes et la discorde au sein de l’élite. L’économie et l’Etat chinois se trouve toujours dans une phase de transition. La direction dans laquelle ils se dirigent est claire: vers un régime capitaliste ‘‘normal’’. Mais le processus n’a pas encore été complété. Etant donné la présence de caractéristiques très variées, notre organisation décrit la Chine comme un ‘‘capitalisme d’Etat avec des propriétés spécifiques.’’
Une réponse socialiste
En tant que marxistes, nous ne n’accordons aucune confiance envers une aile du PCC, quelle qu’elle soit. Nous plaidons – en Chine comme ailleurs – pour des droits démocratiques comme la liberté de manifester ou le droit de construire des organisations ouvrières indépendantes. Pour arracher de telles concessions, le mouvement ouvrier doit s’organiser et doit avancer un programme de rupture avec la dictature et exigeant le contrôle et la planification démocratiques de l’économie.
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Comment stopper les forces réactionnaires ?
De l’extrême-droite aux conservateurs populistes
La crise prolongée et sans issue du système capitaliste provoque une montée des formations et des idées d’extrême droite. Ceci n’est pas une coïncidence mais une conséquence logique d’une société qui précipite des millions de personnes dans la pauvreté et qui n’offre aucune perspective pour sortir de sa propre crise. Tant les milices fascistes d’Aube Dorée en Grèce que la montée des nationalistes et populistes réactionnaires de la N-VA en Belgique sont engendrées par les conséquences d’un système défaillant. Mais tous les éléments de la vague réactionnaire que nous voyons se former ne sont évidemment pas identiques. C’est pourquoi il est important de comprendre d’où proviennent ces formations réactionnaires, ce qu’elles représentent et comment elles peuvent être combattues.
par Jarmo (Anvers). Article paru dans l’édition de mars de Lutte Socialiste
Les conservateurs divisent pour régner
Actuellement, en Europe, on voit apparaître des idées conservatrices qui paraissent appartenir à un lointain passé. En Belgique, les nouvelles autorités de la ville d’Anvers ne laissent pas passer une semaine sans une nouvelle déclaration controversée. L’affaire autour des t-shirts arc-en-ciel, le fait que les sans-papiers séropositifs ne recevront plus d’inhibiteurs de sida à moins de signer une déclaration de retour volontaire, l’augmentation des frais d’inscription communaux de 17 à 250 euros pour les ressortissants extracommunautaires,… tout cela fait partie d’une même évolution. Il s’agit d’une aile conservatrice pure et dure qui lance des idées pour lesquelles elle pense avoir retrouvé un terrain fertile. Dans une période de crise économique, tout est fait pour faire payer la facture aux salariés et permettre aux vrais responsables de s’en tirer à bon compte. La responsabilité des fermetures des usines Ford à Genk et d’ArcelorMittal à Liège est mise sur le dos des travailleurs, qui coûtent trop chers, alors que les patrons insatiables qui sacrifient tout sur l’autel de la maximisation de leurs profits restent impunis.
De même, la crise grecque n’est due aux travailleurs grecs ‘‘paresseux‘‘ (lesquels travaillaient en moyenne davantage d’heures pour un salaire que la moyenne européenne, avant la crise, pour un salaire moindre) mais aux capitalistes grecs oisifs qui vendent le pays aux enchères et imposent une austérité meurtrière pour protéger leurs fortunes. Les partis traditionnels font vraiment tout pour éviter que les responsables ne soient pointés du doigt. Ils préfèrent attribuer les problèmes économiques aux masses d’Europe, lesquelles doivent en payer la facture.
Un tel climat politique est un terrain très fertile pour des forces conservatrices et réactionnaires. A la question ‘‘pourquoi notre niveau de vie se détériore à vue d’œil ?‘‘ ils ont une réponse facile : ce sont les immigrés, les chômeurs, les Wallons, les Grecs, les femmes, les LGBT,… qui nous prennent tous nos sous. La société est divisée en deux camps : celui des ‘‘gens qui travaillent beaucoup‘‘ et celui des ‘‘profiteurs‘‘. Ce n’est en fait qu’une méthode visant à dissimuler le véritable gouffre qui divise notre société : celui entre salariés et capital.
Du fait de l’absence d’une alternative de gauche, il est logique que le parti qui exprime ce raisonnement le plus clairement, qui n’est pas souillé par un passé politique pitoyable et bénéficie donc d’une image de chevalier blanc, soit le parti qui remporte les élections. En Belgique, la N-VA se nourrit du mécontentement éprouvé envers les partis traditionnels, tout comme le Vlaams Belang l’a fait avant elle. Mais la percée d’un nationalisme flamand moins grotesque que le néofascisme du Vlaams Belang ne signifie absolument pas que la lutte contre l’extrême droite est gagnée pour autant.
L’ambition politique la NVA est de chercher la confrontation ouverte avec le mouvement des travailleurs. La résistance sera d’envergure. Les mesures antisociales et répressives que le parti va mettre en place (l’austérité, la réduction des impôts, le maintien des intérêts notionnels, les sanctions administratives communales,…) risquent de rester en travers de la gorge d’une bonne partie de ses électeurs. Il est certain que le Vlaams Belang sera aux aguets. Le parti d’extrême-droite s’y prépare déjà en prenant une certaine distance avec son programme néolibéral d’antan pour retourner à une image plus ‘‘sociale‘‘ qui essaye de trouver la sympathie d’une couche de travailleurs qui en a marre de payer pour la crise.
Le danger des groupes extrémistes réactionnaires est également présent
Dans une telle situation il n’est pas étonnant que des groupes plus radicaux gagnent une confiance suffisante pour se montrer dans la rue. Le mois dernier, par exemple, un groupe néonazi a manifesté publiquement à Bruges contre la ‘‘violence de gauche‘‘. L’organisation étudiante nationaliste NSV trouve que le Vlaams Belang devrait ouvertement donner son soutien aux voyous grecs d’Aube Dorée. Bien que nous ne nous trouvions pas encore dans une situation similaire à celle de la Grèce, il est clair que la maladie que le capitalisme vit actuellement peut faire éclater les ulcères et les abcès les plus répugnants du système.
Par ailleurs, Aube Dorée doit son succès au fait qu’elle a su donner une réponse claire – bien que fausse – à la question de la responsabilité des problèmes économiques actuels : les immigrés et les étrangers. Cette réponse, couplée à une rhétorique anti-austérité (la formation ‘‘traditionnelle‘‘ d’extrême droite LAOS avait perdu son soutien électoral à cause de son rôle dans la mise en place de l’austérité) ont permis à Aube Dorée de réaliser une percée électorale.
Quand ils ne sont pas occupés à traquer les militants de gauche ou les immigrés dans la rue, ses membres organisent la distribution de nourriture aux pauvres et aux victimes de la crise. Mais ils en restent aux apparences et laisse bien tranquille le capitalisme grec. Chaque élu d’extrême-droit au Parlement a soutenu toutes les privatisations et on ne trouve nulle part d’appel au non-paiement de la dette du pays. Les perspectives d’Aube Dorée ne sont pas basées sur l’idée d’une confrontation avec les capitalistes grecs.
Le 7 mars, à Louvain, le NSV organise sa marche annuelle de la haine sous le thème : ‘‘En résistance contre l’Union Européenne soviétique.’’ Ces étudiants néofascistes essayent aussi de s’appuyer sur une partie croissante de la population qui est dégoûtée par l’austérité imposée aux travailleurs par l’Union Européenne. En faisant référence à l’UE comme étant un ‘soviet‘, le NSV clarifie son incompréhension de ce que signifie le socialisme.
L’Union Soviétique – laquelle était elle-même une caricature monstrueuse du socialisme – n’avait rien à voir avec l’Union Européenne sous sa forme actuelle. Le NSV dénonce uniquement ‘‘l’atteinte à la souveraineté des Etats membres‘‘ et non l’austérité sanguinaire que l’UE impose aux travailleurs dans les Etats membres. Après tout, ceci n’est pas exactement un thème susceptible d’éveiller l’indignation des néofascistes. Ce qui les intéresse plutôt, c’est de monter les travailleurs des divers Etats membres de l’UE les uns contre les autres, au bénéfice du capital. C’était d’ailleurs le programme réel du fascisme dans les années ’30, et cela reste le programme de ceux qui s’inspirent du fascisme aujourd’hui.
Une opposition de gauche est la meilleure réponse
Tant en Grèce qu’en Belgique – et n’importe où dans le monde où le populisme de droite ou l’extrême droite monte en puissance – la crise n’est pas l’unique responsable de la montée du conservatisme. L’absence de réponse claire de la gauche à la question de savoir qui doit payer pour la crise y est aussi pour quelque chose.
L’unique manière de combattre l’extrême droite est de lier cette lutte à la lutte contre le système qui produit ce genre de formations réactionnaires. C’est sur le terrain fertile du chômage et du manque de perspectives que le racisme, le sexisme, l’homophobie et toutes sortes d’autres idées ayant pour but de diviser la classe des travailleurs, peuvent prospérer comme une moisissure sur un corps pourri.
Les Etudiants de Gauche Actifs (EGA) et le PSL ont pour objectif de contribuer à la construction d’une alternative politique de gauche qui pointe du doigt les véritables responsables et propose un projet alternatif de société. Ce n’est que dans une société où règne un socialisme démocratique que les idées réactionnaires de tous poils pourront être jetées pour de bon dans la poubelle de l’histoire.
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Chine : Bo Xilai et la crise du PCC
La lutte de pouvoir expose le régime chinois à encore plus de risques
Quand Bo Xilai est spectaculairement tombé en disgrâce au sein de la direction du Parti Communiste Chinois, cela a révélé les profondes divisions qui règnent au sein de l’élite dirigeante. La révélation semi-publique de la lutte de pouvoir expose le régime chinois à encore plus de risques.
Vincent Kolo (Chinaworker.info), article initialement paru dans Socialism Today, magazine mensuel du Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de galles)
L’exclusion du ”prince rouge” déchu Bo Xilai du Parti ”Communiste” (PCC) au pouvoir, décidée à la réunion du Politburo le 28 septembre dernier, a marqué une nouvelle phase dans la lutte de pouvoir de haut niveau qui se mène en Chine, la plus sérieuse depuis au moins 20 ans. A cause des divisions sur le degré de dureté avec lequel traiter Bo, le congrès du PCC qui se tient tous les 5 ans a été reporté de plus d’un mois, au 8 novembre.
Ce délai a illustré la profondeur des divisions internes sur les places dans composition de la nouvelle direction, qui seront révélées au congrès. Les dates des trois derniers congrès (1997, 2002 et 2007) avaient été annoncées fin août, un mois plus tôt que pour ce congrès. En août, un traditionnel conclave pré-congrès des dirigeants du PCC, qui s’est tenu dans la station balnéaire de Beidhane, était sensé avoir trouvé un accord sur la composition de la direction très contestée. Ce délai suggère que cet accord s’est rompu dans le renouvellement des querelles des factions.
Le sort de Bo Xilai a été utilisé comme monnaie d’échange entre ses partisans et opposants au sein de la direction du parti. Les opposants de Bo – qui incluent la direction actuelle du président Hu Jintao et du premier ministre Wen Jiabao – semblent avoir pris le dessus, mais la question est à quel prix ? Quelles concessions la faction ”tuanpai” (ligue de la jeunesse communiste) de Hu a-t-elle été forcée de faire sur le partage des sièges dans le tout puissant Comité Permanent du Bureau Politique (CPBP) ?
Les divisions actuelles dans l’Etat à un seul parti reflètent les tensions explosives dans la société, qui a l’écart de richesse le plus extrême en Asie, une épidémie de corruption, et des centaines d’ ”incidents massifs” chaque jours. La ligne de faille principale dans la lutte de pouvoir actuelle est entre les ”princes rouges” – les super-riches de la deuxième ou troisième génération de dirigeants du PCC comme Bo – et leurs opposants – surtout représentés par la faction tuanpai, qui veut limiter le pouvoir des princes rouges et mettre fin à leurs ”droits acquis”. Ceux-ci incluent les groupes industriels puissants appartenant à l’Etat, qui sont vus comme un blocage dans la libéralisation de l’économie. Certains commentateurs comparent la férocité de la lutte interne actuelle au coup d’Etat manqué de Lin Biao contre Mao Zedong en 1971 et au mystérieux accident d’avion qui a tué Lin pendant qu’il tentait de s’échapper en Union Soviétique.
L’exclusion de Bo est un premier pas vers un procès-spectacle minutieusement préparé dans le but de ”l’éliminer” – politiquement, sinon littéralement. Il risque maintenant une longue peine de prison, voire même la peine de mort. Alors que cela pourrait faire un tollé en Chine parmi les nombreux partisans de Bo, quelques uns de ses opposants ”libéraux” seraient en faveur d’une condamnation aussi drastique, pour éliminer toute possibilité de retour politique. Il est improbable que le procès de Bo soit ouvert au public, pour éviter tout acte de défi en public ou tentative d’incriminer ses ennemis. En ce sens, la procédure sera surement moins démocratique que quand la ”bande des quatre” maoïstes ont été jugés en 1981 et que Jiang Qing (Madame Mao) a engueulé ses accusateurs pendant deux heures la télé.
Bo Xilai et la ”nouvelle gauche”
Avant sa destitution de la direction du parti à Chongqing, Bo était la principale figure de proue de la ”nouvelle gauche” en plein essor, un groupe imprécis qui va de la jeunesse inspirée par Mao aux nationalistes en passant par les vieux du PCC. Ils sont critiques des politiques néolibérales et mondialistes de Pékin. Bien qu’il soit lui-même un multimillionnaire, Bo a acquis une renommée nationale avec ses campagnes flamboyantes contre l’autopromotion, comme sa campagne néo-Maoïste de ”culture rouge” qui puise dans le rejet populaire des effets de la restauration du capitalisme.
La répression brutale des célèbres triades de Chongqing, dirigées par le chef de police et ancien sous-fifre de Bo, Wang Lijun, récemment emprisonné, a attiré les critiques des militants des droits de l’Homme, et a visé beaucoup d’autres au-delà des triades. Une telle campagne et la popularité que Bo en a tirée n’étaient pas pour plaire à la direction en place de Hu et Wen. Bo était vu comme une menace contre les tentatives de Pékin de régner sur les provinces rebelles et comme un symbole de l’arrogance des princes rouges, de la corruption et d’autoritarisme qui, s’il n’est pas contrôlé, est une menace au pouvoir du PCC.
Depuis son exclusion, les médias contrôlés par l’Etat ont dénigré Bo dans des termes inhabituellement durs pour un dirigeant déchu, en présentant une litanie de crimes, dont l’abus de pouvoir, corruption et même ”relations sexuelles inappropriées”. Significativement, ces soupçons reviennent sur presque 20 ans, à l’époque où Bo était vice-maire de Dalian. Il a été cloué au pilori en tant que ”dictateur” qui régnait sur Chongqing d’une ”main de fer” et en tant que ”homme vraiment dégoûtant”, selon le Guangming Daily, un journal sous contrôle du Comité Central. Ce journal ouvertement libéral n’a pas pu se retenir d’attaquer les positions prétendument à gauche de Bo, qu’il décrit comme un ”modèle politique dépassé qui a mené la Chine à un désastre sans équivalent”.
Ces attaques constituent une stratégie très risquée pour la direction du PCC. Son but est clairement de détruire non seulement Bo mais aussi de porter un coup à la gauche néo-Maoïste qui est de plus en plus audible et a adopté Bo comme porte-drapeau. Mais la campagne de propagande contre Bo peut aussi attiser le scepticisme à l’égard du régime dans son ensemble.
Les gens vont inévitablement se demander pourquoi, si Bo ”a violé la discipline du parti” pendant 20 ans, le régime n’a pas réagi jusqu’ici ? Et en quoi ses actions sont-elles plus dictatoriales que celles des autres hauts fonctionnaires du PCC ? En tant qu’historien libéral, Yuan Weishi, demande : ”Pourquoi a-t-il été malfaisant si longtemps et qu’est-ce qui peut bien alimenter ce comportement ?” Bo s’est vu reprocher d’avoir choisi peu judicieusement Wang comme chef de police, dont la fuite vers le consulat américain à Chengdu a accéléré la chute de Bo. Mais, comme le commente l’avocat militant Liu Xiaoyuan : ”Bo Xilai a échoué à surveiller Wang Lijun, mais alors qui a échouéà surveiller Bo ?”
Avec ces attaques, le régime s’avance sur un terrain glissant. Elles pourraient attiser les protestations des partisans de Bo mais aussi des opposants qui doutent de la sincérité du régime ou de sa capacité à faire face à la corruption et les ”abus de pouvoirs”. L’impasse sur le sort de Bo, et le délai du congrès du parti, soulignent la sérosité de cette tactique et les risques encourus. En plus de profiter de la protection des princes rouges, Bo a construit un soutien considérable en dehors du PCC et aussi dans les forces armées, à un degré sans doute inégalé par aucune personnalité du régime.
”Le cas de Bo est sans précédent car il a apparemment beaucoup plus d’influence que Chen Liangyu et Chen Xitong [anciens chefs du parti à respectivement à Shanghai et Pékin, emprisonnés pour corruption]”, note Yuan Weishi, faisant référence aux deux plus importantes affaires de corruption des deux dernières décennies.
Le procès pour meurtre de Gu Kalai
C’est un revirement total depuis le procès en août de Gu Kalai, la femme de Bo, qui a reçu une peine capitale suspendue après avoir avoué le meurtre de l’homme d’affaire Neil Heywood. Le procès mis en scène de Gu, qui n’a duré qu’une journée, n’a pas fait la moindre mention de Bo. Maintenant, Xinshua écrit que Bo porte la « principale responsabilité » dans le meurtre de Heywood ! De la même façon, le procès de Gu minimisait la question de la corruption, malgré qu’il soit connu que Heywood blanchissait l’argent de la famille Bo et a été tué à cause d’une dispute avec Gu après qu’une affaire de plusieurs millions de dollars ait tourné au vinaigre.
En ne mentionnant pas Bo, le procès de Gu impliquait qu’une procédure criminelle lui serait épargnée et qu’il serait traité avec plus d’indulgence, dans les canaux disciplinaires du PCC lui-même (shanggui). Cela a été perçu comme faisant partie d’un accord plus large à la tête du parti à l’approche du congrès. Apparemment, les choses ont changé. Le changement a commencé avec le procès de Wang Lijun à la mi septembre, qui a envoyé l’ancien chef de police de Chongqing en prison pour 15 ans – une peine indulgente si on considère qu’un des quatre actes d’accusation était la tentative de déserter vers les USA. Les rapports officiels du procès en grande partie secret de Wang impliquent Bo, dans la tentative de couvrir le meurtre de Heywood. Bo n’était pas explicitement nommé, cependant le rapport parlait du ”principal responsable du comité du parti à Chongqing à cette époque”.
On nous dit maintenant que Bo ”recevait d’énormes pots-de-vin, personnellement et à travers sa famille” (Xinhua, 28 septembre). Mais, à son procès il y a juste deux mois, cette charge n’a été retenue contre Gu Kalai ou contre le fils de Bo, Bo Guagua, dont on dit qu’il se cache à présent aux USA. L’omission de telles charges malgré une connexion évidente avec le meurtre de Heywood montre à quel point le procès de Gu a été manipulé par le groupe dirigeant du PCC dans son propre intérêt, qui a à présent changé. Le procès imminent de Bo XIlai ne va probablement pas montrer une plus grande « impartialité » ou un plus grand respect de « l’autorité de la loi ».
Même le compte rendu officiel du meurtre de Heywood a été mis en question, sur le blog de Wang Xuemei (26 septembre), l’un des principaux experts de médecine légale chinois. Elle a mis en doute la confession écrite de Gu attestant qu’elle avait empoisonné Heywood avec du cyanure parce que cela donne des symptômes indubitables, comme la décoloration du corps, qui aurait forcément été remarquée par les médecins légaux sur la scène du crime. Le post de Wang, qui a rapidement été supprimé par la censure, soulevait l’hypothèse qu’il ait été étouffé.
Pourquoi l’accusation a-t-elle besoin de « modifier » la méthode par laquelle Heywood a été tué ? Il est possible que ce soit pour soutenir un scénario dans lequel Gu a agi seule, prétendument dans un état mental instable, plutôt que tout simplement (et plus logiquement) faire appel à des « professionnels » des forces de sécurité sous le contrôle de Bo pour s’occuper de Heywood.
On peut s’attendre à de telles « modifications » des faits pendant le procès de Bo. Déjà, dans la campagne médiatique contre lui, les allégations de corruption ont été ramenées à 20 millions de yuan par commodité. C’est un chiffre ostensiblement bas, en particulier si cela représente tout ce qu’il a pris pendant une carrière de deux décennies. « Pour autant que je sache, c’était bien plus que 20 millions de yuan », note Li ZHuang, un avocat emprisonné par Bo. « Bien plus que 200 millions, je dirais même. »
Une comptabilité honnête du montant du pillage de la famille Bo poserait cependant de graves problèmes au régime du PCC. La décision de baisser les sommes d’argent concernées et d’introduire la question des « relations inappropriées avec de multiples femmes » (ce qui n’est pas un crime en Chine) représentent des manœuvres de diversion de la part de l’Etat et de sa machine de propagande. Malgré cela, beaucoup de gens vont conclure avec raison que, plutôt que la « brebis galeuse », Bo n’était ni meilleur ni mauvais que les autres dirigeants quand il s’agissait de s’en mettre plein les poches.
Le niveau de corruption dans le cas de Bo et de sa famille n’est pas du tout exceptionnel dans la Chine d’aujourd’hui, bien qu’il s’agisse probablement de milliards de yuan. Selon les rapports dans les médias étrangers basés sur les informations des initiés du parti, Bo a collecté un milliard de yuan en pots-de-vin rien qu’en dispensant des promotions, quand il dirigeait le parti à Chongqing entre 2007 et cette année. Si ces sommes plus réalistes faisaient surface pendant le procès et dans les comptes rendus officiels, cela alimenterait inévitablement les revendications d’une investigation plus approfondie. La plupart des subalternes qui ont payé Bo pour des promotions sont encore assis sur leurs sièges officiels hors-de-prix. Très peu d’entre eux ont été purgés à Chongqing après la chute de leur bienfaiteur.
La lutte de pouvoir va continuer
Le drame autour de Bo ne peut pas être compris simplement en termes de corruption et de criminalité. Comme toujours en Chine, les affaires de corruption de haut niveau sont menées par la lutte entre les factions du parti pour des postes, l’influence et le contrôle. Les factions internes du PCC ne sont pas basées sur un programme ou une idéologie mais sur des loyautés claniques et le pouvoir politique. Cependant malgré ce manque de distinctions politiques apparentes, qui prête à confusion, la lutte actuelle reflète une grande différence entre ceux qui veulent accélérer la dérégulation et la privatisation de l’économie et diminuer le rôle des entreprises d’Etat, surtout dans « l’aile réformiste » de Wen (qui inclurait aussi le président à venir Xi Jinping), et ceux comme Bo qui dont pour plus d’intervention de l’Etat et la défense du capital national contre le capital étranger.
Le principal appui de Bo dans la hiérarchie du parti vient de la faction connue en tant que « gang de Shangai » ou « faction des princes rouges », dirigé par l’ex-président Jiang Zemin (86 ans). Ce groupe avait espéré protéger Bo d’une crucifixion publique, pas par solidarité politique au départ (la plupart des princes rouges d’opposent au Maoïsme teinté de populisme de Bo) mais dans un esprit d’auto-préservation collective. Rendre publics les méfaits de Bo menace la position des princes rouges de couche politique privilégiée. Cela pourrait aussi représenter une menace systémique plus large contre l’Etat à parti unique lui-même.
D’après Steve Tsang, professeur d’études chinoises contemporaines à l’université de Nottingham, la tournure récente des événements signifie que la faction de Jing a « accepté de laisser Bo être jeté aux loups en échange d’un accord quelconque dans le changement de direction du parti. » Il semble qu’ils aient sacrifié Bo pour plus de présence dans le CPBP. Il y a même une rumeur selon laquelle Jiang, officiellement depuis longtemps à la retraite, a assisté à la réunion du Bureau Politique qui a exclu Bo.
Plutôt qu’une victoire que certains observateurs ont proclamée pour Hu, Wen et le camp réformiste tuanpai, c’est plus probablement un compromis qui inclut des concessions à Jiang, qui est maintenant présenté comme exerçant une influence considérable, en échange du scalp de Bo. Si, comme on s’y attend, le nombre de sièges du CPBP passe de 9 à 7 pour concentrer plus de pouvoir dans les mains de Xi Jinping, cela va aussi accentuer la lutte de pouvoir – une version brutale des chaises musicales.
Manifestations anti-Japon
Il est aussi possible que la faction de Hu, soutenue par Xi, n’ait changé sa position que récemment en faveur d’une « solution durable » au problème de Bo, même si cela signifie accorder un plus grand rôle à la faction des princes rouges de Jiang dans la nouvelle direction.
Les récentes manifestations contre le Japon dans plus d’une centaine de villes en Chine peuvent avoir pesé dans la balance. C’étaient les plus grosses manifestations depuis plusieurs années, exigeant la restitution des îles Diaoyu par le Japon alors que les nationalistes japonais de droite sont très actifs. Elles montrent aussi de nouvelles preuves de scissions dans le PCC.
Alors que le gouvernement central cherche à maintenir un contrôle serré et à utiliser ces manifestations pour renforcer sa position dans les négociations avec le Japon et les USA, les manifestations ont donné quelques mauvaises surprises à Pékin. L’apparition de portraits de Mao et de slogans en soutien à Bo Xilai en particulier ont fait sentir au gouvernement que les manifestations ont été détournées par les partisans de Bo et ses alliés factionnels dans les forces de sécurité et les gouvernements locaux. Cela « a alarmé de nombreux membres du parti », selon Zhang Ming, un politologue à l’université de Renmin, à Pékin.
En retournant ses fusils contre Bo, la direction du PCC veut empêcher tout retour politique futur. Elle veut aussi porter un coup à ses partisans dans la « nouvelle gauche » et l’empêcher de lancer un défi au régime et à son programme de plus en plus néolibéral.
Dans le monde entier, les commentateurs capitalistes ont voulu nous rassurer en disant que la décision de juger Bo Xilai signifiait que Pékin était « sur la bonne voie » avec son congrès et la cure de jouvence de sa direction. Depuis quelques temps, les bourses du monde entier ont été très nerveuses à propos de la paralysie étatique et de l’impasse en Chine, un peu comme dans l’Union Européenne et aux USA. Cela a paniqué les capitalistes quand ils ont vu l’économie chinoise plonger vers un possible dur atterrissage. Ils ont sollicité un retour à des mesures pratiques à Pékin, comme un plus grand stimulus économique.
Mais quel que soit le sort de Bo, il ne mettra pas fin à la lutte de pouvoir au sein du régime, qui lui-même n’est qu’un reflet des contradictions sociales fondamentales de la société chinoise. Elles proviennent de la fusion du développement capitaliste déchaîné et de la dictature du parti unique. La lutte est installée pour continuer et la ligne de conduite dans laquelle le régime s’est embarqué lui-même peut lui donner un nouvel élan explosif.
« Déballer tout ce linge sale est très risqué pour le parti. Ils jouent avec le feu », avertit Chovanec. Il faut une force politique massive de la classe ouvrière, complètement indépendant des factions du PCC, pour lutter pour les droits démocratiques et le socialisme.
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Un siècle d’ANC : de l’espoir à la désillusion
Le 8 janvier 2012, l’ANC a célébré ses 100 ans à Bloemfontein. Pour tirer ses profits du sang, de la sueur et des larmes des exploités, le patronat a réduit à rien la vie de millions de personnes. La classe laborieuse a un jour espéré voir l’ANC mettre fin à ce système inégalitaire. En réalité, ce parti contribue à le perpétuer.
Thamsanqa Dumezweni, Democratic Socialist Movement
Ce jeudi 13 décembre : Meeting sur la situation en Afrique du Sud, en présence d’un orateur de notre parti-frère sud-africain (plus d’infos)
Le Congrès National Africain (ANC) a voulu fêter son centenaire toute l’année 2012 durant, malgré les divisions qui le minent de l’intérieur. Pour ce faire, le parti a demandé à la télévision publique sud-africaine de retracer l’histoire du parti, sa lutte contre le colonialisme blanc et le régime d’apartheid ainsi que son rôle d’initiateur. L’histoire est ainsi falsifiée pour redorer le blason d’un parti en sérieuse perte de crédibilité.
En vérité, la lutte anticolonialiste et anti-apartheid n’a pas seulement précédé l’existence de l’ANC mais, pour la majorité des 100 années d’existence du parti, les luttes n’étaient ni initiées, ni supportées activement par celui-ci. Même après son interdiction en 1960, les luttes les plus importantes se sont déroulées sans le concours de l’ANC, que ce soit le réveil de la lutte des classes lors des émeutes de Durban en 1973, la conscientisation politique de la jeunesse lors des émeutes de Soweto en 1976, la fondation du Congrès des syndicats sud-africains (COSATU) ou encore les mouvements insurrectionnels des années 1980. Les masses se sont libérées elles-mêmes et, dans ce processus, ont poussé le régime pro-apartheid à légaliser à nouveau l’existence de l’ANC en craignant, malheureusement à tort, que cela allait susciter une lutte de libération nationale et d’émancipation sociale vis-à-vis du diktat de la minorité blanche et de la classe capitaliste.
Les gens se sont cependant rendu compte que l’ANC n’était autre qu’une formation nationaliste petite-bourgeoise qui ne visait pas au renversement du colonialisme et du capitalisme, mais juste à l’obtention d’une certaine reconnaissance pour les élites noires (des ‘‘autochtones civilisés’’, en somme) au sein d’un système capitaliste légèrement modifié. Les cadres de l’ANC ont si désespérément cherché à être assimilés à la classe capitaliste que, dans les années 1950, ils étaient même prêts à faire des concessions sur le principe ‘‘un homme, une voix’’. Lors des négociations pour mettre fin à l’apartheid, Mandela a proposé que les noirs aient accès à un nombre limité de sièges, ce nombre pouvant augmenter par la suite. L’épineux problème de la réappropriation des moyens de production a été balayé.
C’est, en gros, ce qui a été décidé à la CODESA (COnvention for a DEmocratic South-Africa, négociations visant à mettre fin à l’apartheid) en 1991. L’ANC s’engagea à préserver l’existence du capitalisme en échange de quelques concessions. Ces négociations se sont déroulées dans un climat de tension où la classe ouvrière était prête à s’insurger si jamais le principe d’un vote par personne n’était pas respecté. Une entorse à cette revendication était hors de question et aurait complètement discrédité l’ANC. Au final, l’ANC a décidé de pérenniser la dictature du capitalisme tout en s’assurant que les masses ne puissent la renverser via leurs suffrages. Officiellement, l’Afrique du Sud est une démocratie mais en réalité, les secteurs-clés de l’économie restent entre les mains des classes dirigeantes, perpétuant ainsi la dictature des 1%.
L’ANC a été créée par des noirs, pour défendre les droits des noirs en Afrique du Sud mais principalement ceux de l’élite – patrons, cadres ecclésiastiques et autres bourgeois présents au congrès fondateur. Le parti ne s’est aucunement identifié aux luttes menées par les travailleurs, et pas plus à une pensée socialiste ou anticapitaliste. Ce fut pourtant le ciment des luttes depuis le début du XXe siècle. Ce n’est donc pas par hasard que l’ANC a rejeté l’l’Industrial & Commercial Union (ICU – Syndicat de dockers et ouvriers noirs) créé en 1919, et qui avait pour but de lutter contre le pouvoir du capitalisme blanc. L’ANC les a qualifiés de mouvements de roturiers assassins de la monarchie russe ! Cela faisait bien entendu référence à la révolution bolchevique de 1917 – la première et jusqu’à présent unique révolution socialiste victorieuse de l’histoire – qui a inspiré les travailleurs d’Afrique du Sud et d’ailleurs.
Cet antagonisme vis-à-vis de la classe ouvrière persiste à ce jour malgré le fait qu’une alliance avec les syndicats soit toujours de mise : sans cette alliance, impossible pour l’ANC de rester au pouvoir. En fait, l’émergence de syndicats indépendants, qui allait conduire à la création du COSATU, fut vertement critiquée par les cadres exilés du parti. Mais le COSATU a tout de même été reconnu car il était impossible de l’ignorer : rejeter ce géant à la mer aurait été suicidaire.
Aujourd’hui, avec la trahison des staliniens du Parti Communiste d’Afrique du Sud (SACP), des cadres de l’ANC et des réformistes du COSATU, la classe ouvrière est paralysée face au capital, devant qui ils baissent tous l’échine. L’organisation de la lutte : le plus qui fera la différence
La classe ouvrière devait constituer un seul bloc et résister à son oppression au travers de luttes féroces. Les luttes s’opérant à tous les niveaux sont la preuve que les opprimés peuvent se lever et se battre. L’ANC tente perfidement de canaliser les pauvres, les travailleurs et les jeunes afin qu’ils ne menacent pas l’establishment capitaliste.
Ce n’est pas avec des armes et une guérilla mais bien avec la lutte organisée de la classe ouvrière et de la jeunesse que les capitalistes ont commencé à se faire du souci dans leurs petits crânes. Ce potentiel s’est cristallisé dans les années 1980 avec la naissance du COSATU en 1985.
Les penseurs du capitalisme ont réalisé que le chemin le plus efficace pour endiguer la lutte des masses, c’est de contrôler ses dirigeants, la répression n’était plus suffisante. C’est sur base de ce constat qu’ont commencé les négociations secrètes des représentants du régime capitaliste blanc avec Mandela en prison et Mbeki en exil. L’accord négocié fut concocté de façon à ne produire qu’un ersatz de liberté basé sur le principe du suffrage universel. C’est là l’essence-même de la démocratie bourgeoise, une ‘‘démocratie’’ incapable de résoudre les problèmes de pauvreté, de chômage, d’accès aux soins et à l’éducation pour tous, de logement, d’accès à l’eau, à l’électricité et à des conditions d’hygiène correctes, etc.
Cette démocratie-là ne tient pas compte des pauvres et des travailleurs précaires, mais laisse les capitalistes maximiser leurs profits grâce à la force productive de la classe ouvrière ; jetant les corps meurtris des travailleurs, des pauvres et des jeunes dans l’enfer de la misère.
L’ANC est au pouvoir depuis 18 ans, mais l’exploitation n’a pas disparu
L’ANC a été conçue pour balayer toute différence entre les populations noire et blanche. Aujourd’hui, la distinction demeure pour la grande majorité de la classe ouvrière noire. L’ANC est à la tête d’une société qui, à bien des égards, ressemble au vieux régime de l’apartheid. La disparité entre riches et pauvres est immense et ce n’et pas parce que maintenant il y a aussi des noirs riches qu’il y a égalité.
Le racisme est une arme historique du capitalisme en Afrique du Sud. Lorsque l’ANC est arrivé au pouvoir en 1994, sa direction ne voulait pas renverser le système mais le réformer. Le système capitaliste a été adapté aux nouvelles conditions imposées par les luttes formidables de la classe ouvrière. Mais le racisme demeure un facteur important dans le pays. Le racisme a été supprimé de la loi, mais il continue d’exister dans la vie quotidienne. Les femmes sont encore abusées et violées. La pauvreté absolue frappe de larges couches de la population active.
Seul une Afrique du Sud socialiste démocratique est capable d’offrir une réponse aux attentes des masses. Une révolution socialiste mettrait un terme aux salaires de misère. Le potentiel était déjà grand jadis pour l’arrivée d’une telle révolution. Mais l’histoire nous apprend que la classe ouvrière a besoin d’une direction révolutionnaire pour être en mesure d’aller jusqu’à la victoire.
Tout comme ailleurs, le stalinisme a joué un rôle extrêmement néfaste en Afrique du Sud. Le stalinisme est issu de la dégénérescence de la révolution russe et a conduit à l’affaiblissement des partis révolutionnaires dans le monde entier. De grandes trahisons ont été commises avec la formation d’alliances entre capitalistes et travailleurs. En Afrique du Sud, le cours stalinien a conduit à la fusion de l’ancien Parti Communiste avec l’ANC en 1929. Pour défendre ses intérêts en Union Soviétique, la bureaucratie stalinienne a dans la pratique défendu le régime capitaliste dans le reste du monde.
Au cours de ses 100 ans d’existence, l’ANC a énormément trahi, souvent avec l’assistance du Parti Communiste. Ce parti reste aujourd’hui un éternel coup de poignard dans le dos du mouvement ouvrier.
Renverser le capitalisme
Le capitalisme est en crise. Ce système n’est pas en mesure de permettre à la société de continuer à progresser. La solution consiste à renverser le capitalisme et à le remplacer par un autre, basé sur la domination démocratique de la classe des travailleurs, le socialisme. Cela exige une compréhension consciente des travailleurs, des pauvres et des jeunes du fait qu’un meilleur avenir est possible, mais uniquement grâce au socialisme. Il nous faut des syndicats révolutionnaires, des comités de lutte locaux et des partis politiques basé sur la défense d’un programme socialiste.
Le Mouvement Démocratique Socialiste (DSM) en Afrique du Sud fait partie intégrante de ce combat pour l’instauration du socialisme à travers le monde. En Afrique du Sud, cela signifie de s’opposer à l’ANC, au COSATU et à la direction réformiste et stalinienne du Parti Communiste. Ces organisations disposent encore d’un soutien large, mais leur rôle n’est plus progressiste. Avec patience et détermination, mais convaincrons et donnerons confiance aux travailleurs et aux jeunes pour qu’ils se battent pour un gouvernement des travailleurs.
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‘‘Pussy Riot’’, les bouc-émissaires de Poutine
Personne ne les a vu venir ces ‘‘rockeuses punks féministes de la troisième génération’’ qui se surnomment les ‘‘Pussy Riot’’ et se vêtissent de Balaklavas aux couleurs éclatantes et de bas collants de laine. Il aurait en effet été difficile de prévoir, il y a un an, qu’elles deviendraient non seulement un symbole de l’opposition grandissante au régime de Poutine mais aussi le sujet de ses colères vindicatives. Trois membres de ce groupe ont été arrêtées en février pour avoir participé à une ‘‘prière punk’’ à l’autel de la cathédrale orthodoxe principale de Moscou. Elles ont été accusées ‘‘d’hooliganisme’’ et retenues en prison depuis six mois alors que deux d’entre elles sont mères de jeunes enfants. Elles n’ont pas pu voir leurs compagnons, leurs familles ou leurs amis jusqu’à aujourd’hui.
Par Rob Jones, Moscou
Désormais, les ‘‘Pussy Riot’’ représentent plus un mouvement politique qu’un groupe musical. Elles ont de nombreux membres qui agissent sous les pseudonymes de Blondie, Terminator, Garage, Séraphin, Le chat, Schumacher et qui échangent leurs noms dès que nécessaire afin de conserver l’anonymat. Des dizaines de personnes soutiennent leurs actions multiples qui peuvent aller de la simple satyre à la pure provocation. Au départ, des membres ont pris part à des actions organisées par le groupe ‘‘Voina’’. Par exemple, ils ont peint un organe génital masculin sur l’un des ponts tournants de Saint-Pétersbourg. Quand le pont était levé la nuit, ceux qui travaillaient dans les bureaux de la police politique (FSB) en face, se sont retrouvés à contempler ce commentaire pictural représentant ce que de nombreuses personnes pensent de leurs activités. Mais les actions sont devenues de plus en plus politiquement explicites au fur et à mesure que l’opposition au régime de Poutine grandissait dans les manifestations de masse. Les termes utilisés dans leurs ‘‘prières punks’’ sont clairement anti-Poutine et contre la hiérarchie cléricale.
Leur participation à la ‘‘prière punk’’ dans la ‘‘Cathédrale du Christ-Sauveur’’ à Moscou a enragé l’élite au pouvoir. Ils ont pratiquement unanimement demandé à ce que des actions fermes soient prises à l’encontre de ces femmes. La cathédrale symbolise à elle seule toute la pourriture de la nouvelle Russie capitaliste, construite (ou plutôt reconstruite sur le site de l’ancienne cathédrale commémorative de la victoire russe face à Napoléon) dans la moitié des années ’90, elle est minée par des scandales de corruption. Pendant le pic de la dépression économique qui a suivi l’effondrement de l’Union Soviétique, le régime d’Eltsine a dépensé des millions de roubles afin de construire cette église. Ses dômes ont été plaqués avec 50 kilogrammes d’or, offert par un nouveau banquier oligarque à la réputation criminelle. Aujourd’hui, seulement 7% de la cathédrale est utilisée pour les services religieux, le reste accueille toute sorte d’activités commerciales. Mais tout cela importe peu aux yeux de l’Eglise Orthodoxe Russe, l’une des Eglises les plus réactionnaires au monde. Au contraire, les portes paroles de l’Eglise Orthodoxe russe ont défilé les uns après les autres pour littéralement diaboliser les ‘‘Pussy Riot’’. Selon l’avocat de l’Eglise, les ‘‘Pussy Riot’’ représentent une forme de ‘‘pouvoir supérieur tentant détruire l’Eglise Orthodoxe Russe. Il s’agit de la même force qui est à l’origine des actes terroristes du 11 septembre aux Etats-Unis : Satan !’’
Vsevolod Chaplin, le porte-parole officiel de l’Eglise blâme en premier lieu le ‘‘groupe diabolique’’ et en second lieu le ‘‘gouvernement mondial’’ (dans l’histoire de la Russie, il s’agit d’un synonyme pour parler d’une conspiration juive). Il a expliqué que ces groupes étaient étroitement liés à Satan. Il croit que les rockeuses-punks sont des pêcheuses qui devraient être sévèrement punies. Quand on lui demande de justifier cela, il dit que c’est ‘‘Dieu’’ qui le lui a dit !
Chaplin est connu pour ses croyances réactionnaires et violentes. Plus tôt cette année, il a exigé que les travaux de Lénine et de Trotsky soient jugés ‘‘extrémistes’’ et retirés de circulation. Il a continué en déclarant qu’il croyait qu’il s’agissait d’un devoir moral pour tous les chrétiens du monde de tuer autant de bolchéviques que possible. Ce n’est pas étonnant de voir que l’Eglise orthodoxe soit souvent vue aux côtés des fascistes lors des manifestations contre le droit à l’avortement, contre les droits des femmes ou encore contre la communauté LGBT.
Aucun des partis officiels parlementaire ne s’est opposé à la campagne vicieuse menée à l’encontre des ‘‘Pussy Riot’’. Au début du dernier procès, Genaddy Zyuganov, le leader du parti ‘‘communiste’’ russe a publié un communiqué de presse dans lequel il ‘‘rejette fermement la dernière provocation anti orthodoxe’’. Lors d’une interview à la radio, il a même été plus loin. Il s’est plaint de l’influence grandissante de l’Occident et de l’OTAN et a prévenu que le ‘‘Printemps Arabe aurait des conséquences tragiques sur les Chrétiens’’. Il a expliqué que le Parti Communiste ‘‘est à une large échelle le représentant de l’Eglise Orthodoxe en politique. J’ai toujours défendu et défendrai toujours les intérêts des croyants… Nous sommes prêts à utiliser toute notre influence pour défendre la réputation et l’autorité des prêcheurs qui ont souffert du ridicule, des calomnies et de la diffamation.’’
Les ‘‘Pussy Riot n’ont pas bénéficié d’un procès équitable. Le juge n’a pas arrêté de faire des commentaires contre elles, l’avocat général des chefs d’accusation a soumis plus de 200 pages de preuves sans laisser le temps aux avocats de la défense de les lire. De plus, les témoins qui désirent parler en faveur du groupe sont rejetés par le juge.
Il est assez perturbant de voir que le juge a demandé l’avis d’un expert-psychiatre, tout comme Staline utilisait les hôpitaux psychiatriques afin de punir les dissidents. Cet expert a déclaré que les trois femmes souffraient de troubles de la personnalité, qu’il a décrit dans un cas comme ‘‘voulant une position sociale active et un désir d’autoréalisation’’ et pour les autres comme ‘‘une tendance aux activités d’opposition’’ ! Apparemment entendre la ‘‘voix de Dieu’’ et appeler ‘‘au meurtre d’autant de Bolchéviques que possible’’ n’est pas considéré comme un trouble de la personnalité !
Néanmoins l’affaire des ‘‘Pussy Riot’’ n’est pas un cas isolé. Elle s’est accompagnée d’une vague d’autres arrestations associées à une croissance du mouvement de l’opposition. Le bureau du procureur se confronte à de nombreux leaders connus tel que le blogger de droite Aleksei Navalniy. Les accusations les plus récentes datent du temps où il agissait en tant que conseiller du gouverneur régional de Kirov, quand il a préconisé un contrat de vente sur le bois de construction de la région, ce qui a conduit à des pertes financières significatives, si pas, comme le procureur le dit, à la mauvaise utilisation de fortes sommes d’argent. Cette accusation est particulièrement ironique compte tenu du fait que Navalny a mené une campagne contre la corruption nommée ‘‘Pilrus’’ basée sur le mot commun utilisé pour désigner la corruption ‘‘scier l’argent’’. Il risque jusqu’à dix ans d’emprisonnement pour ces accusations.
Cependant, parallèlement à ces cas célèbres, 16 autres activistes ont été arrêtés et attendent leurs procès pour des accusations qui pourraient bien en laisser certains en prison pour plusieurs années.
Mais le régime se trouve dans l’impasse avec ces arrestations. Les arrestations des ‘‘Pussy Riot’’ ont conduit à d’énormes contestations à l’échelle internationale. Peter Gabriel, Sting, Steven Fry, Danny de Vito, Terry Gilliam et Pete Townsend font partie de ceux qui soutiennent publiquement le groupe. Des groupes internationaux qui jouent des concerts en Russie montrent de plus en plus de solidarité envers les ‘‘Pussy Riot’’ en portant des tee-shirts ou en donnant aux autres membres du groupe du temps pour jouer. C’est le cas par exemple de Franz Ferdinand, des Beastie Boys, de Patti Smith, de Faith No More et des Red Hot Chilli Peppers. Même si de nombreux artistes russes continuent à soutenir le régime en place, en sachant bien que s’ils s’y opposent, ils perdront leur temps d’antenne, il est significatif de voir que plus de 100 artistes en vogue, nombres d’entre eux étaient encore récemment pro-Poutine, se soient exprimés contre le régime.
Mais ce qui est bien plus inquiétant pour le régime, c’est que la population toute entière commence à changer de point de vue brusquement. Dans les semaines qui ont suivi l’action, la vaste majorité de la société russe soutenait les actions du gouvernement contre le groupe, vu la condamnation sans appel de tous les officiels ainsi que des hauts responsables de toutes les croyances russes confondues. Néanmoins, les dernières enquêtes d’opinion montrent que plus de 20% des Russes (cela représente environ 30 millions de personnes) sont prêts à protester activement contre le gouvernement.
Le Comité pour une Internationale Ouvrière en Russie appelle à la libération immédiate des ‘‘Pussy Riot’’ mais aussi de tous les autres opposants arrêtés lors des récentes manifestations d’opposition. Toutes ces accusations doivent être levées. Il doit y avoir une séparation immédiate entre l’Eglise Orthodoxe Russe et l’Etat à tous les niveaux. Une réelle liberté d’expression – avec le droit de critiquer l’Etat, le Président et l’Eglise – doit être instaurée à tous les niveaux. Le régime de Poutine doit se diriger vers la création d’une assemblée constituante démocratique formée par des représentants des lieux de travail, des institutions de l’éducation et des zones résidentielles afin de décider quelles sont les meilleures formes de gouvernement pour la Russie. Un parti de masse des travailleurs avec un programme socialiste prêt à se battre pour le pouvoir politique doit être construit et il est impératif de construire une nouvelle société socialiste libre du capitalisme, des bureaucrates et des prêtres.
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Questions fréquemment posées sur le socialisme
Conséquence du développement du mouvement Occupy, l’opposition face au système économique et politique est devenue monnaie courante. Difficile d’imaginer que la femme au bandana sur la couverture du Time – représentation du “Manifestant”, personnalité de l’année selon le Time – puisse avoir quoi que ce soit de positif à dire au sujet du capitalisme, et l’omniprésence du masque de Guy Fawkes – popularisé par “V for Vendetta” – souligne encore plus à quel point les idées révolutionnaires sont à présent répandues.
Par Brandon Madsen, Socialist Alternative (CIO-USA)
Cependant, ce soutien croissant apporté à un changement de système n’a pas encore conduit à des discussions sérieuses quant à une quelconque alternative. Un nouveau sondage du Pew publié le 28 décembre 2011 indique que les personnes noires ou de moins de 30 ans sont majoritairement en faveur du socialisme, mais n’explique en rien ce qu’est le socialisme, ou comment un système politique et économique socialiste fonctionnerait. Nous vous offrons cet article comme base de discussion.
Comment fonctionnerait une économie socialiste?
Sous le capitalisme, les institutions où d’immenses richesses sont centralisées (les grandes entreprises) dirigent l’économie, et exploitent les plus pauvres pour accroître leurs propres richesses. Le but d’une économie socialiste est de renverser la vapeur : ce serait la classe ouvrière qui serait aux commandes de l’économie, et utiliserait les richesses et la productivité de la société pour améliorer ses conditions de vie. Pour cela, il faudrait rendre publiques les ressources des banques et des grandes entreprises, et les gérer de manière démocratique.
Employer les chômeurs, redéfinir le budget et créer de l’emploi en tenant compte des priorités sociales – soins de santé, éducation, énergie propre, etc. – donnerait un énorme coup de fouet à la productivité et créerait des richesses. Une planification démocratique de l’économie permettrait à tout le monde d’avoir un travail bien rémunéré, un accès à des soins de santé de qualité, à un enseignement gratuit à tous les niveaux, et, bien sur, aux besoins vitaux tels que la nourriture et un logement. Mais cela ne se limiterait pas à ces bases; nous pourrions soutenir et encourager les musiciens, artistes, réalisateurs, designers, etc de façon à favoriser un développement culturel.
Ce système économique nécessiterait une planification réfléchie, mais c’est déjà le cas d’une certaine manière sous le capitalisme. Des multinationales plus grandes que des Etats planifient déjà leurs niveaux de production et de distribution, décident des prix, et cela sans pour autant s’effondrer, rien ne dit que les travailleurs seraient incapables de faire de même.
La différence sous le capitalisme, c’est que la planification n’est que partielle, incomplète, et antidémocratique, le but étant de maximiser les profits d’une élite. Sous le socialisme, nous pourrions décider des investissements en ayant une vue d’ensemble de l’économie mondiale, afin de subvenir aux besoins humains, de conserver un environnement sain, et de garantir à chacun le droit à une existence libre.
Un système économique socialiste devrait être intégré de par le monde. C’est déjà le cas sous le capitalisme, nous vivons en effet dans un monde d’interdépendance. La globalisation vue par le capitalisme consiste à exploiter les économies les plus faibles, et à plonger dans une misère sans cesse croissante les travailleurs de par le monde. Sous le socialisme, l’intégration d’une économie globale aurait pour but d’améliorer la vie des gens.
Une économie socialiste gérerait l’environnement de manière très différente. Tant que maintenant, les compagnies n’ont que faire des taxes environnementales, car elles peuvent les faire payer au public. Les coûts liés à la pollution de l’air et de l’eau sont réels, mais ils ne représentent pas une menace pour une entreprise comme Monsanto. Voilà pourquoi aucune corporation ne bougera le petit doigt pour l’environnement sur base des principes du marché libre.
Une économie démocratiquement planifiée empêcherait les corporation de faire des profits en externalisant les coûts liés à la pollution. Au lieu de cela, l’efficacité, la préservation de l’environnement, et la satisfaction des besoins de base de chacun seraient les critères de décision économique. Au lieu de promouvoir des mesures inadéquates telles que les ampoules économiques et la sensibilisation au recyclage, une économie socialiste investirait dans un total renouveau de la production, mettant à profit les dernières technologies vertes pour assurer la protection de l’environnement et la création de millions d’emplois.
Comment fonctionnerait une démocratie socialiste?
La « démocratie » actuelle se limite à nous faire voter une fois de temps en temps afin de décider quel riche politicien prendra les décisions pour nous. Cela n’a bien sur rien de démocratique, encore moins quand la corruption issue des corporations s’en mêle.
Au contraire, une démocratie socialiste serait une démocratie omniprésente, de semaine en semaine, présente sur tous les lieux de travail, dans toutes les écoles et communautés. Les travailleurs effectuerait une rotation des tâches, et les managers élus seraient révocables à tout moment si le besoin s’en faisait sentir. Chaque décision pourrait être réévaluée par un vote de la majorité.
Le programme et les politiques scolaires, plutôt que d’être imposées par des administrateurs incompétents et des bureaucrates, seraient discutées conjointement par les parents, les professeurs et les étudiants. Des conseils de quartier décideraient de qui peut ou ne peut avoir une forme d’autorité, et dicteraient à leurs élus comment prioriser leurs efforts..
Tout investissement et décision économique se ferait démocratiquement. Les lieux de travail et les quartiers éliraient des représentants à de massifs conseils locaux et régionaux, qui eux-mêmes éliraient des décideurs nationaux. Les représentants élus ne devraient avoir aucun privilège que ce soit comparé à leur électorat, et ils seraient révocables à tout moment.
Afin de faciliter ce processus décisionnel démocratique, les horaires de travail et d’études devraient prévoir du temps pour des conseils et des discussions quand aux décisions. Grâce aux richesses nouvellement créées, la semaine de travail serait réduite afin de prodiguer aux gens le temps et l’énergie pour s’impliquer politiquement, et se réaliser hors du travail ou du cadre scolaire.
Une élite bureaucratique ne prendrait-elle pas le dessus?
Cela va sans dire, aux prémices d’une société socialiste, une lutte contre les carriéristes et la corruption sera nécessaire. Le bagage idéologique pernicieux issu de siècles de domination de classe ne s’évaporera pas d’un claquement de doigts. Mais en faisait des ressources productives de la société un bien public, en éliminant les privilèges, et en établissant les structures d’une gestion et d’un contrôle démocratiques, les obstacles barrant la route des aspirants bureaucrates seraient immenses.
L’évènement qui fait craindre une prise de pouvoir de la bureaucratie est l’arrivée de Staline au pouvoir en Union Soviétique quelques années après la révolution russe de 1917. Cette dégénérescence tragique de la Révolution Russe a été débattue par des marxistes dans de nombreux ouvrages. La conclusion que l’on peut tirer de ces évènements après une analyse historique sérieuse, c’est que cette dégénérescence n’était ni naturelle, ni inévitable, mais juste un concours de circonstances particulières.
Au moment de la révolution, la Russie était l’un de pays les plus pauvres, et la situation ne n’est guère améliorée lorsque les capitalistes détrônés, soutenus par 21 armées étrangères, on fait usage de violence pour récupérer le pouvoir des mains des assemblées démocratiques, ce qui a conduit a une guerre civile sanglante. Bien que la révolution prenait place ailleurs également, notamment en Allemagne, tous les mouvements furent réprimés, laissant la Russie isolée.
Ce n’était pas le terrain idéal sur lequel fonder le socialisme. La base même du socialisme, c’est d’avoir suffisamment de moyens pour subsister, mais la Russie manquait de moyens. Dans ce contexte, les structures démocratiques des Soviets (les assemblées de travailleurs) ont cessé de fonctionner. Qui se soucie d’aller aux réunions politiques sans savoir s’il pourra se nourrir le soir?
C’est cette sape du pouvoir des travailleurs, aggravée par l’isolement et le déclin économique du pays, qui a permis la bureaucratisation de la société et la montée de Staline en tant que leader. Mais ce n’eût rien de naturel. Staline a eu recours à l’emprisonnement, au meurtre et à l’exil, et a forcé des millions de gens dont le seul crime était leur attachement aux principes démocratiques de la révolution de 1917 à se soumettre.
Cette expérience illustre l’importance de faire de la lutte pour le socialisme une lutte globale. A cause d’impérialistes pillant des ressources à travers le monde, certains pays pourraient manquer d’une base économique stable pour se mettre au socialisme, et auraient besoin de négocier avec des pays plus riches. Si la Russie avait pu recevoir la soutien ne serait-ce que d’un seul pays, comme l’Allemagne, l’histoire serait aujourd’hui bien différente.
Ne serait-ce pas plus facile de réformer le capitalisme?
Contrairement aux récits populaires, l’histoire du capitalisme n’est pas celle d’un progrès constant vers des sommets de démocratie et de richesse. Chaque réforme a nécessité une lutte de masse, remettant souvent en doute les fondements mêmes du système.
Les réformes ne sont pas des cadeaux de politiciens au grand coeur, mais des concessions accordées dans l’unique but d’apaiser le mouvement et de faire oublier les vraies revendications. Que cela concerne les droits civils, le week-end de congé, ou le droit d’organiser uns syndicat, chacune de ces réformes a nécessité un combat constant contre la logique capitaliste, combats dans lesquels nombre d’innocents furent éliminés par les élites désireuses de mettre un terme à la lutte.
Sous le capitalisme, même ces réformes partielles ne sont pas permanentes. Comme nous avons pu le voir ces dernières décennies, les capitalistes n’hésitent pas à annuler leurs réformes quand ils pensent pouvoir se le permettre.
Les programmes sociaux pour lesquels les gens se sont battus bec et ongles par le passé se disloquent ou disparaissent sous des coupes budgétaires. Après avoir presque annihilé les syndicats dans le privé –où moins de 7% des travailleurs sont syndiqués – les politiciens se tournent maintenant vers le secteur public, dont un tiers des travailleurs n’est toujours pas syndiqué.
Une base stable pour des réformes effective demanderait que les travailleurs s’emparent du pouvoir pour le gérer eux-même – c’est à dire, rejeter le capitalisme en faveur du socialisme. C’est bien simple, lutter pour des réformes, et lutter pour le socialisme, sont deux choses identiques.
En théorie, ça sonne bien, mais en pratique?
La seule constante en histoire est le changement ininterrompu. Des anciens Etats esclavagistes aux seigneuries féodales jusqu’au système capitaliste global d’aujourd’hui, les gens n’ont cessé de rejeter les anciens systèmes dés qu’ils devenaient un frein au développement. Là où réside l’utopie, c’est dans la pensée que la guerre, la pauvreté et la destruction de l’environnement peuvent être réglés par le capitalisme.
Bien que le socialisme soit réaliste, il n’est pas inévitable. Encore et toujours, le capitalisme a conduit les opprimés et les travailleurs à se révolter. Nombreuses ont été les révolutions cette année, notamment en Egypte et en Tunisie. Mas bien que beaucoup aient réussi à détrôner le gouvernement, peu sont parvenues à un changement de régime. Le capitalisme renaîtra sans cesse, au détriment des pauvres, des jeunes et des travailleurs, si nous ne le remplaçons pas par un système meilleur.
C’est là que les socialistes entrent en scène: Nous prenons l’étude de l’histoire au sérieux, apprenant à la fois des défaites et des succès qu’ont connus les révolutions. Nous répandons cette connaissance au maximum afin d’établir le socialisme avec succès . Cela ne revient pas qu’à se plonger dans des bouquins. Cela nécessite de s’engager et construire les mouvements actuels, de mettre en avant des idées socialistes tout en apprenant des autres en lutte, construire notre avenir ensemble.
Si vous êtes d’accord avec ces idées, réfléchissez à nous rejoindre !
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Les révoltes mondiales contre ce système sans perspective suscitent la recherche d’une alternative (1)
1. L’été dernier, l’illusion selon laquelle le capitalisme mondial allait parvenir à s’extraire du pétrin dans lequel il se trouve depuis 2008 a de nouveau volé en éclats. On était parvenu à changer la Grande Dépression en une Grande Récession. C’est pourquoi on avait ouvert les robinets à argent, les dettes privées avaient été transférées aux gouvernements et les stimulants de masse avaient sauté. Depuis lors, une question cruciale tient en suspens les économistes et les politiciens : à partir de quand les déficits budgétaires peuvent-ils être purgés, sans pour autant de nouveau rejeter l’économie dans la récession ?
2. Bonne question ! Au lieu de redémarrer au turbo sur les starting-blocks, l’économie mondiale continue à cahoter. Cela suscite des tensions, qui deviennent difficiles à cacher même avec diplomatie. Ces derniers 18 mois, les États-Unis et la FED ont continué à arroser l’économie avec leur pompe à pognon. C’est entre autres comme cela que le déficit budgétaire des États-Unis va atteindre cette année un nouveau record de 1.645 milliards $. Dans le meilleur des cas, cela pourra redescendre en-dessous de 1.000 milliards $ à partir de 2013. En même temps, le bilan de la FED, l’autorité monétaire destinée à lubrifier l’économie, a grimpé de 1.000 milliards $ avant la crise du crédit, à 3.000 milliards $ en juillet de cette année.
3. Le gouvernement chinois a encore une fois surpassé l’américain. En pourcentage du PIB, les stimuli chinois dépassent de moitié les américains. Grâce à ses banques sous contrôle d’État, 3000 milliards $, soit 60% du PIB, sont passés au crédit. Cela n’a pu se faire que par la nature hybride de l’État chinois. Même si cela fait bien longtemps déjà que la demi-caste, demiclasse dirigeante a décidé de passer à une économie de marché, elle dispose encore toujours de leviers qui lui permettent de mobiliser les forces productives d’une manière dont les autres économies purement de marché ne peuvent que rêver. Le régime a ainsi pu neutraliser l’effet de la grande récession sur son économie et dans la foulée soutenir l’économie américaine afin d’éviter d’être entrainé en chute libre avec elle.
4. La Chine a accumulé 3.200 milliards $ en réserve au cours de ces dernières décennies, 66% en dollars, 26% en euro. Elle aimerait bien diversifier ce trésor. Un peu partout dans le monde, les détenteurs de capitaux sont très conscients de cela. C’est pourquoi la Chine se trouve sous pression. Le moindre signe qu’elle commence à vendre ses réserves en dollars causera une fuite subite, chacun cherchant à se débarrasser de ses dollars, conduisant à une implosion de cette devise, et à une baisse subite de la valeur de ses réserves. Mais sur un plus long terme, le fait de garder ces réserves en dollars pourrait s’avérer encore plus grave.
5. L’économie chinoise est bien la deuxième au monde par sa taille, mais avec 1.250 millions d’habitants, la consommation des particuliers est sous celle de l’Allemagne, avec ses 82 millions d’habitants. La Chine a exporté près de 1.600 milliards $ en 2010. La dépendance envers le marché américain est énorme. Le surplus commercial (c.à.d, les exportations moins les importations) avec les États-Unis en 2010 était de 273 milliards $, plus que le surplus commercial total, qui est lui de 183 milliards $. Face au surplus commercial avec les États-Unis, il y a il est vrai un déficit commercial avec les pays fournisseurs de matières premières et de mains d’oeuvre encore meilleur marché dans la plupart des pays d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique. La Chine a donc tout intérêt à ce que l’économie américaine continue à tenir le coup.
La Chine – nouvelle superpuissance mondiale ?
6. Les mesures prises par le gouvernement chinois ont assuré une poursuite de la croissance dans toute une série de pays, dont par exemple le Brésil et l’Australie, mais cela n’est pas sans risque. Le Brésil présente à nouveau des signes d’économie coloniale qui produit essentiellement des matières premières et des produits semi-finis et en échange ouvre son marché aux produits manufacturés chinois. On y voit même un processus de désindustrialisation. Avec l’immense hausse de la productivité en Chine, en moyenne de 9,6% entre 2005-2009, cela a fait croître l’illusion que la Chine est sur le point de détrôner les États-Unis en tant que principale puissance mondiale. Tout comme les États-Unis après la Deuxième Guerre mondiale avaient chassé de cette position le Royaume-Uni.
7. Cela est cependant peu probable. Aussi bien le Royaume-Uni que les États-Unis disposaient durant toute leur phase ascendante des techniques de production les plus modernes. C’était leur efficience de production qui déterminait les limites scientifiques et technologiques du reste du monde. Tous deux ont connu leur période de gloire dans une période d’expansion économique. Les Etats-Unis – après que ses plus importants concurrents aient été aplatis sous les bombardements, l’Amérique latine leur étant tombée dans les mains comme un fruit bien mûr – ont pu imposer leurs termes commerciaux et leur monnaie au reste du monde capitaliste, et ont développé une économie de guerre, sans pour autant avoir à subir les désavantages de la guerre. Voilà quelles ont été les conditions par lesquelles les techniques de production qui étaient déjà connues avant la Deuxième Guerre mondiale, mais qui se heurtaient auparavant aux limites du marché, ont pu être appliquées pour la première fois à une échelle de masse.
8. Déjà en 1950, les États-Unis étaient beaucoup plus productifs que leurs concurrents. La productivité de l’Allemagne et de la France n’atteignait même pas la moitié de la productivité américaine. L’Union Soviétique n’en atteignait à peine que le tiers, et le Japon un cinquième. Les seuls qui atteignaient des résultats comparables étaient l’Australie, le Canada et… le Venezuela. Le Royaume-Uni était alors déjà un bon quart moins productif, juste un peu mieux que l’Argentine, mais derrière Hong Kong. Dans les années ’60 et ’70, la productivité aux États-Unis ne s’est cependant accrue que de moins de +3%, alors qu’elle s’accroissait de +5% dans les quinze pays de l’Union Européenne et de +8% au Japon. Comment cela se fait-il ? Selon la FED, à New York (Current Issues v13, n8), parce que lorsque la quantité de capital placée par travailleur est basse, le capital est relativement productif. Il a alors un haut produit marginal (la quantité par laquelle la production s’accroit pour chaque nouveau travailleur engagé) et contribue visiblement à la croissance de la productivité.
9. Ce phénomène a déjà été expliqué par Marx. Il a fait remarquer le changement dans la composition organique du capital. Avec la composition organique, on détermine le rapport entre capital “vivant et variable” et capital “mort et constant”. Le capital vivant est consacré aux heures de travail de la main d’oeuvre et fournit une plus-value. Le capital mort est consacré aux bâtiments, aux matières premières, aux machines, et transmet sa valeur à celle du produit final, mais sans y ajouter de plus-value. La concurrence force les capitalistes à au moins suivre les techniques les plus modernes, et donc à investir de plus en plus dans du capital mort, aux dépens du capital vivant. L’effet clairement contradictoire de cela est le fait que le taux de profit – le profit réalisé par unité de capital investie – a une tendance à baisser. Les marxistes appellent cela “la loi de la baisse tendancielle du taux de profit”.
10. Comme seconde raison pour expliquer la faible croissance de la productivité aux USA dans els années ’60 et ’70, la FED explique que des pays connaissant une degré moindre de technologie et de techniques de production, qui attirent des investissements étrangers et autres joint-ventures, pouvaient facilement copier les USA. On appelle cela la “loi de l’avancée en tant que frein” ou, pour employer une terminologie plus multilatérale et plus marxiste, la “loi du développement inégal et combiné”. Cela explique la croissance plus rapide de la productivité au Japon après la Deuxième Guerre mondiale, mais aussi pourquoi un pays qui se coupe du monde extérieur est au final condamné à stagner et à rester en arrière. La Corée du Nord ou l’Albanie d’Enver Hoxha, de véritables caricatures d’autarcie, en sont des témoins flagrants.
11. La rapide hausse de la productivité au Japon et dans l’Union européenne a cependant cessé au début des années ’90. Selon la FED, cela s’est produit en Europe à cause de la “rigidité du produit et du travail”. Selon nous, cela s’est produit parce que le mouvement ouvrier en Europe est mieux parvenu qu’aux États- Unis à résister contre les tentatives du patronat de rehausser le taux d’exploitation. Pour le Japon, la FED explique qu’au fur et à mesure que la productivité d’un pays atteint son summum, le produit marginal baisse, et il devient plus difficile de copier, et de ce fait la hausse de la productivité devient plus difficile à réaliser. Nous ajouterions ceci : à moins qu’il ne survienne une situation exceptionnelle. La destruction massive de l’infrastructure et des moyens de production pendant la Deuxième Guerre mondiale constituait une telle situation exceptionnelle.
12. Les États-Unis ont connu leur période de gloire durant l’âge d’or des années ’50 et ’60. À ce moment, la croissance économique était tirée par l’État social, avec la hausse des salaires, la baisse du temps de travail, l’apparition de véritables allocations sociales, de services publics et d’un système d’impôt progressif. L’économie chinoise est au second rang si on compare sa taille pour tout le pays mais, en termes de richesse par habitant, elle se trouve à la 95e place. Le pays connait une énorme croissance de la productivité de par les raisons définies ci-dessus, auxquelles il faut ajouter son infrastructure, son niveau d’enseignement et sa centralisation, tout cela hérité de son économie planifiée. Pourtant, la productivité par travailleur en 2005 n’y était que de 15% supérieure à ce qu’elle est aux États-Unis. La Chine devrait surmonter cela, alors que nous sommes en plein milieu d’une période de contraction économique.
Les déséquilibres de l’économie chinoise
13. Tout comme pour le Japon en son temps, la croissance économique chinoise est essentiellement poussée par les investissements. Au début, cela permet une croissance fébrile mais, après un certain temps, cela devient un frein. Entre 2000 et 2010, les investissements se sont accrus chaque année en moyenne de 13,3%, mais la consommation des particuliers n’a cru que de 7,8%. Cela signifie un transfert de la consommation vers les investissements. La baisse des salaires, l’expansion du crédit et un cours de change sous-évalué ont tous contribué à cela. La part de la consommation dans le PIB au cours de cette période est passée de 46% à 34%, tandis que celle des investissements passait de 34% à 46%. Pour 1% de croissance du PIB, il fallait encore dans les années ’90 une croissance du capital de 3,7%, en 2000, ce 1% de croissance exigeait par contre une hausse des investissements de 4,25%. On voit donc que la rentabilité de l’investissement diminue.
14. C’est pourquoi Wen Jiabao, le premier ministre chinois, a déclaré l’économie ‘‘instable, déséquilibrée, non-coordonnée et au final, non-durable’’. On craint que ‘‘ne soient piégés les revenus moyens.’’ C’est le phénomène où un pays ne parvient plus à croître à partir du moment où il a atteint un niveau bien défini. L’incapacité à livrer l’accès aux couches moyennes pour la majorité de la population est un de ces symptômes. Les bas salaires et la répartition inégale sont il est vrai la source de la croissance des investissements. En fait, la croissance devrait être plus basée sur la consommation des particuliers. La croissance des investissements devrait être inférieure à celle du PIB. Dans les années ’80, le Japon a tenté de soutenir la croissance avec le crédit d’investissement, sans effet : cela a conduit à une explosion du crédit. Dans les années ’90, la correction est arrivée, avec les conséquences catastrophiques que l’on connait.
15. Plus encore qu’à l’époque au Japon, les investissements en Chine sont basés sur du crédit. Sans un soutien artificiel, une grande partie ne serait pas rentable. Le moindre affaiblissement de la croissance à 7% ferait s’écrouler les investissements à 15% du PIB. Toute tentative de réorienter les moyens vers les ménages causerait une encore plus grande baisse des investissements. De ce fait, on voit que les investissements deviennent une source de stagnation, au lieu d’être un moteur pour la croissance. La Chine a maintenant un PIB par habitant comparable à celui du Japon en 1950 (juste après la guerre et juste avant le début de sa phase de croissance rapide longue de 25 ans). On dit que le PIB par habitant de la Chine pourrait atteindre 70% de celui des États-Unis en 2035, comme l’a fait le Japon en 1975 – à ce moment, l’économie chinoise serait plus grande que celle des États-Unis et de l’Europe ensemble. Bien que la taille de la population chinoise offre une échelle et des possibilités supplémentaires pour la répartition du travail, il y a aussi d’importants inconvénients qui y sont liés, le gigantesque besoin en matières premières n’est pas des moindres.
16. La création d’argent avec laquelle le gouvernement chinois a tenté de repoussé la crise en 2009 et 2010 n’a pas réduit sa dépendance face aux exportations et aux investissements. Sur le marché de l’immobilier, il y a énormément de spéculation, dont l’argent est financé par des prêts. Cela a causé une énorme hausse des prix. La bulle immobilière a entrainé avec elle du capital spéculatif. Les investisseurs courent, il est vrai, le risque d’une réévaluation du yuan par rapport au dollar. Les hausses salariales sont compensées par la hausse des prix à la consommation. Le taux d’inflation “alarmant” provient apparemment de la croissance rapide du crédit et de la monnaie et de la hausse du prix du pétrole, des matières premières et des denrées alimentaires ; cela est renforcé par les spéculateurs qui attendent que la demande augmente. L’exportation massive de produits chinois fait en sorte qu’il y a un afflux massif de devises étrangères. Les entreprises tout comme les particuliers peuvent facilement prêter de l’argent, comme le robinet à crédit a été coupé sur injonction des autorités. Mais tandis que le gouvernement national coupe le robinet à crédit, celuici reste grand ouvert auprès des autorités locales.
Guerre des devises et commerciale
17. L’Occident trouve que le dernier plan quinquennal s’attaque insuffisamment aux problèmes structurels. On doit faire quelque chose pour résoudre la dépendance aux exportations et le fossé entre riches et pauvres. L’Occident a peur d’un affaiblissement de la croissance. Nouriel Roubini avertit d’un danger de crash. Mais leurs remarques ne sont certainement pas désintéressées. Ils espèrent gagner en compétitivité en forçant la Chine à réévaluer sa monnaie. Ils veulent aussi gagner l’accès à quelques miettes du marché intérieur chinois, mais celui-ci doit d’abord être mis sur pied. Pour la Chine, ils défendent par conséquent ce que partout ils combattent à tout prix : de meilleurs salaires et une sécurité sociale. Mais l’idée que la Chine puisse subitement gonfler sa consommation sans toucher aux intérêts des détenteurs de capitaux privés est une illusion. L’économie chinoise est une économie de marché libre dans la mesure où une hausse significative des salaires ou une réévaluation comparable du yuan provoquerait une chute du niveau d’investissements, et avec elle, de la croissance économique.
18. Les gouvernements américains et européens demandent à la Chine ce qu’eux-mêmes ne peuvent pas se permettre. À première vue, c’est plutôt agréable. Dans la pratique, il s’agit d’une manoeuvre audacieuse. Ainsi, l’assouplissement quantitatif dont a fait usage la FED avait comme prévu affaibli le dollar au milieu de l’an passé. Cela a incité les spéculateurs à s’adonner au “carry trade”, c.à.d. à emprunter des dollars à un taux quasi nul pour les placer dans des pays avec un taux plus élevé. L’investisseur encaisse la différence de taux, sans même y engager son propre argent. L’affluence d’investissements a poussé la valeur des devises des pays receveurs, au détriment de leur compétitivité. Le premier à utiliser le terme de “guerre monétaire” a été le ministre des finances brésilien Guido Mantega, mais il exprimait ainsi ce à quoi beaucoup d’autres gens pensaient déjà. Le Brésil demande à l’OMC de prendre des sanctions contre les pays qui laissent filer trop bas leur taux de change. Il y a aussi le dumping. La Chine menace d’une guerre commerciale si les États-Unis décident de placer des taxes à l’importation sur les produits chinois.
États-Unis : la politique anticyclique échoue
19. Les États-Unis sont désespérément à la recherche de quelqu’un qui puisse reprendre une partie de leurs problèmes. De là viennent la pression sur la Chine pour qu’elle réévalue sa monnaie, la guerre monétaire à peine voilée, et le plaidoyer en faveur d’une politique monétaire plus conviviale en Europe. Depuis la catastrophe qu’a été le passage du “war-president” George W Bush avec ses cadeaux fiscaux aux riches, l’idée dominante est à présent de lutter contre la crise par une politique anticyclique. Ce courant est représenté par le président Obama, son ministre des Finances Timothy Geithner, et le président de la FED Bernanke. Tout comme leurs opposants, ils trouvent que l’État doit remettre de l’ordre dans ses dépenses, mais pas d’une manière qui risque d’hypothéquer la croissance. Ils craignent que des économies drastiques ne rejettent à nouveau l’économie dans la récession, voire la dépression. En plus de cela, ils souhaitent une participation de la part des riches, pour éviter des réticences de la part de la population face au plan d’austérité. Le gourou de la Bourse Warren Buffet affirme publiquement vouloir payer plus d’impôts.
20. Cette politique s’est composée des stimuli de 800 milliards $ au début 2009, et de deux opérations d’assouplissement quantitatif par la FED, pour un total de 1850 milliards $. Entretemps, on a lancé le QE 1.5, avec lequel des remboursements libérés sont consacrés à des prêts d’États supplémentaires. La FED a également décidé de bétonner le taux nul jusqu’à 2013. Au final, elle a vendu pour 400 milliards $ de bons d’État à court terme (jusque 3 ans) et a acheté pour un montant semblable en bons d’État à long terme (de 6 à 30 ans). Rien ne semble cependant fonctionner. La consommation des particuliers n’a pas repris parce que les ménages tentent maintenant de rembourser leurs dettes, parce que le chômage sape le pouvoir d’achat, et parce que les autorités locales économisent sur les services et sur le personnel. Malgré des taux très bas, les entreprises américaines continuent à simplement stocker leur argent, pour un montant de 1,84 milliards de dollars, et préfèrent racheter leurs propres actions plutôt que d’investir.
21. L’absence de résultat sape la crédibilité du gouvernement. Cela renforce la confiance des opposants, qui avaient pourtant pris un fameux coup avec la disparition de Bush. Cela a fait changer de camp ceux qui hésitaient. Au sein de la FED, Bernanke doit de plus en plus compter avec l’opposition, mais il ne doit pas se présenter à des élections. Obama et ses Démocrates n’ont pas ce luxe. Au niveau des Etats et au niveau plus local, des économies copieuses sont déjà bien avancées, même là où des Démocrates sont au pouvoir. Le mouvement Tea Party a sauté sur le mécontentement pour se présenter en tant que défenseur de l’Américain travailleur. Pour les Républicains, ces radicaux de droite étaient des partenaires bienvenus qui les ont aidés à obtenir la majorité à la Chambre basse en 2010.
Le fouet de la contre-révolution
22. Mais ce soutien pourrait bien s’avérer être un cadeau empoisonné. Le rôle des partisans du Tea Party dans l’attaque brutale contre les conditions de travail et les droits des travailleurs, entre autres au Wisconsin, a provoqué une réaction de masse. Pour les jeunes et les travailleurs, cela a été un moment décisif. Cela, en plus de son empressement à laisser les États-Unis faire défaut sur leurs paiements (pendant le débat sur le plafond légal de la dette), a endommagé le soutien populaire du Tea Party. Cela pourrait être décisif pour les élections présidentielles de 2012. Trouver un équilibre entre l’establishment des Républicains et les activistes qui exigent un plus grand rôle avec le Tea Party, devient de plus en plus difficile. Un Républicain modéré a officiellement une plus grande chance de récupérer des votes démocrates. Mais c’est surtout les dangers liés au fouet de la contre-révolution, qui font que l’establishment se réunit catégoriquement derrière la candidature de Mitt Romney. Il n’est pas exclu que ce “Grand Old Party” se dirige vers une scission après les élections présidentielles, et que le système des deux partis ne se rompe en premier lieu sur son flanc droit.
23. Cela ne signifie pas pour autant qu’Obama a déjà gagné. Pour relever le plafond de la dette, on prévoit des économies pour 2.500 milliards $ au cours des dix prochaines années. Pas un mot sur plus d’impôts pour les riches. Le nombre de pauvres a augmenté l’an passé jusqu’à 46,2 millions, le nombre le plus élevé en 52 ans. 15% des Américains sont pauvres, le plus haut chiffre depuis ’93 : 10% des Blancs, 12% des Asiatiques, 26% des Hispaniques et 27% des Noirs. 50 millions d’Américains sont non-assurés, 48 millions des personnes entre 18 et 64 ans sont sans travail. Le revenu médian des ménages est retombé à son niveau de 1996. Le revenu médian personnel d’un travailleur adulte masculin, rapporté en dollars de 2010, était l’an passé inférieur à celui de 1973. Entre 1980 et 2009, le revenu des 20% les plus riches s’est accru de 55%, celui des 20% les plus pauvres a baissé de 4%. En 2007, 23,7% du revenu national allait aux 1% les plus riches, soit la même proportion que ce qui avait été atteint en 1929, juste avant la Grande Dépression.
24. À chaque fois que l’on espère que l’économie a été sauvée et que l’on pense alors à débrancher la mise sous perfusion par la FED, apparait l’une ou l’autre statistique qui envoie tout valser. En août, pas un seul job n’a été créé. Les chiffres parus en juillet ont dû être fortement revus à la baisse. Immédiatement est réapparue l’angoisse que l’économie allait droit vers une nouvelle récession. Obama a lancé un nouveau plan d’emploi pour 447 milliards $, dont 240 milliards pour la réduction de moitié des impôts sur salaire, une mesure essentiellement destinée à soutenir les PME. De l’argent a été libéré pour des investissements dans des autoroutes, des chemins de fer et des écoles, et des moyens ont également été prévus pour tempérer le nombre de licenciements d’enseignants dans les écoles d’État. Pour réduire le chômage officiel de 9,1% à 5% en 5 ans, il faudrait cependant créer tous les mois 300.000 nouveaux emplois. Depuis le début de 2010, cela n’a été que 100.000 en moyenne, mais cela aussi s’est fortement réduit ces derniers temps.
25. Ce plan ne suffira pas à remettre sur pied l’économie américaine pour une croissance durable. Il n’est qu’une répétition du plan précédent, en mode mineur. Avec de la chance, cela pourrait de nouveau tirer la croissance de l’emploi, jusqu’à la fin de ce plan. Le problème fondamental n’est toutefois pas un manque de moyens pour investir. Les entreprises ont tous les moyens qu’il leur faut. Elles ne croient cependant pas que l’investissement dans la production pourra rapporter suffisamment. Bon nombre d’entreprises reçoivent aujourd’hui bien plus de profits de par leurs transactions financières que de leur production. De plus, il n’est plus garanti qu’il existe encore un marché pour pouvoir absorber la production. Avec le développement actuel de la science et de la technique, les innovations nécessitent des années de recherche pour un rendement qui doit être réalisé dans un délai de plus en plus court. À peine un produit est-il développé qu’avec les possibilités actuelles il suffit tout au plus de quelques années pour saturer le marché mondial.
26. Entretemps, l’État américain accumule les dettes. Tôt ou tard, il faudra bien les payer. Jusqu’à récemment, on considérait que cela était une donnée sûre. L’impasse dans le débat autour du plafond de la dette a cependant semé le doute. Qui aurait pensé que les politiciens aller amener les États-Unis au bord d’un défaut de paiement afin d’obtenir gain de cause dans la discussion budgétaire ? L’agence de notation Standard & Poors a décidé pour la première fois dans l’Histoire de baisser la garantie sur crédit de l’État américain. Elle a pris cette décision au lendemain d’un rapport avec une faute de calcul de pas moins de 2.000 milliards $. En plus, les marchés s’en foutaient de cette notation. La demande en bons du Trésor américain n’a pas descendu, de sorte que les États-Unis peuvent prêter au même taux que l’Allemagne. Cela ne va encourager la FED à faire de la lutte contre l’inflation une priorité. Au contraire, un peu d’inflation serait plus que bienvenu afin d’éponger la montagne de dettes. Le seul problème à cela est la difficulté de doser l’inflation.
Zone euro : priorité à l’austérité
27. La visite du ministre des finances américain Timothy Geithner au sommet européen de Wrocław n’a pas été extrêmement bien reçue. Geithner était là pour avertir l’Europe. Il aura remis en mémoire le glissement incontrôlable de Lehman Brothers jusqu’à la faillite, pour convaincre l’UE d’abandonner les spéculations sur la banqueroute de l’État grec. Il y a aussi plaidé en faveur d’un large élargissement du fonds de stabilité européen, qu’il fallait selon lui quadrupler. Les dirigeants des États-Unis craignent une nouvelle crise de l’économie mondiale, cette fois avec d’encore plus grandes conséquences que pendant la Grande Récession, déjà aussi parce que les Banques centrales et les États au cours de la précédente récession ont déjà épuisé toutes leurs munitions. Il y a apparemment plaidé en faveur d’une injection ferme et résolue de moyens afin de tuer dans l’oeuf la crise de la dette.
28. Pour l’Europe, cela est cependant encore plus difficile que l’assainissement du budget aux États-Unis ou que la rehausse de la consommation des particuliers en Chine. Les politiciens européens sont également partagés quant à la manière de combattre la crise au mieux. Aux États-Unis domine pour le moment la tendance qui veut mettre la priorité sur la croissance plutôt que sur l’austérité. Mais il ne faut pas s’étonner que les rapports de force en Europe soient tout à fait opposés. La tendance qui veut donner la priorité à l’austérité “afin de soutenir la croissance de manière structurelle” y est dominante. Ce n’est guère surprenant. La zone euro est une union monétaire, mais pas une union fiscale ni politique. Elle consiste en 17 pays qui ont tous leur propre bourgeoisie, leur propre gouvernement et leurs propres intérêts. À qui rapporte le fait que la priorité soit mise sur la croissance ? Aux récipiendaires directs. Et à qui est-ce que ça rapporte qu’on ait des économies d’abord, avant les dépenses ? Les payeurs nets. Ces derniers sont les pays les plus forts, qui sont dominants dans la détermination de la politique de la zone euro et de la BCE.
29. Le PSL et le CIO ont toujours été d’avis que l’unification européenne n’est pas possible sur une base capitaliste. Nous sommes également depuis longtemps convaincus du fait qu’une récession économique mettrait une croix sur le projet d’une monnaie unique européenne, même avant que l’euro n’arrive en existence. Les unions monétaires ne sont pas quelque chose de nouveau. Les pays insulaires autour de l’Australie utilisent le dollar australien et il existe encore quelques anciennes unions monétaires coloniales, telles que le franc CFA. D’autres unions monétaires ont existé par le passé sur une base volontaire entre des États plus ou moins comparables. L’Union monétaire scandinave par exemple, qui a duré de 1873 à 1914. Ou l’Union latine, à partir de 1865 entre la Belgique, la France, la Suisse et l’Italie, qui a ensuite été rejointe par l’Espagne et la Grèce, et enfin par la Roumanie, la Bulgarie, la Serbie, Saint-Marin et le Venezuela (entre autres). Cette union a tenu jusqu’en 1914, bien qu’elle n’ait été officiellement dissoute qu’en 1927. Nous pensions cependant que la conjoncture économique, cette fois, exclurait complètement l’idée d’une nouvelle union monétaire. Nous nous sommes trompés. Nous restons néanmoins convaincus que la crise va à un moment donné faire éclater la zone euro, mais pas au point d’avant l’introduction de l’euro.
30. Les bourgeoisies nationales d’Europe n’ont jamais eu l’intention, ni avec l’Union européenne, ni avec la zone euro, d’unifier les peuples d’Europe par la paix. Cela n’a jamais été que de la rhétorique, derrière laquelle était caché la signification réelle, c’est-à-dire la création de leviers pour la maximalisation du profit et de la casse sociale. C’est évident, la réalité de la division du travail croissante et le besoin de devenir plus fort dans la concurrence avec d’autres blocs commerciaux aura joué, mais jamais jusqu’au point où cela irait au prix des intérêts nationaux particuliers. Le traité de Nice et plus encore celui de Lisbonne ont en tant que but de faire de l’Europe la région la plus compétitive au monde. C’était sans doute l’intention de laisser converger petit à petit les économies nationales, même si les normes de Maastricht et le pacte de stabilité qui ont été institués à cette fin ont été abusivement utilisés par les politiciens nationaux pour rejeter sur eux la responsabilité de la politique nationale. La plupart des pays n’ont jamais atteint les conditions requises par les normes de Maastricht, encore moins du pacte de stabilité, et la Belgique non plus.
31. Jusqu’à avant la crise de la dette, les économistes étaient convaincus que la convergence était un fait. Ils voyaient les caractères communs superficiels, mais pas les contradictions croissantes sous la surface. Ils voyaient surtout ce qu’ils voulaient voir. En 2006, Marc De Vos, de l’agence Itinera, écrivait dans une carte blanche dans De Tijd : « L’Irlande nous apprend qu’une relative inégalité de revenu est le prix à payer pour une expansion économique rapide, dont néanmoins tout le monde, y compris les pauvres en termes absolus, s’enrichit ». De Vos ne raconterai plus aujourd’hui de telles sornettes de la même manière, mais en ce temps-là, il était complètement aveuglé par l’expansion économique. Dans notre réponse dans les textes de notre Congrès de 2006, nous indiquions déjà une contradiction que lui-même n’allait découvrir que quelques années plus tard : « … le symptôme spécifique par lequel l’Irlande depuis des années a connu un taux d’intérêt réel négatif. Le taux d’intérêt est il est vrai défini par la Banque centrale européenne et se trouve depuis des années sous les chiffres de l’inflation irlandaise. Le crédit extrêmement bon marché est indirectement financé par un grand afflux de capital étranger ». À cela, nous ajoutions : « Une profonde récession sur le plan mondial fera cependant éclater l’économie artificiellement gonflée de l’Irlande (du Sud) ».
32. Aujourd’hui, tout le monde reconnait que les contradictions n’ont pas diminué, mais plutôt augmenté. Avec la politique du bas taux d’intérêt qu’ont exigé de la BCE les pays à la plus forte économie, d’énormes bulles immobilières et paradis fiscaux ont été créés dans la périphérie, ce qui ailleurs a été utilisé pour casser les acquis sociaux et mettre sur pied des secteurs à bas salaires. Le fait que cette bulle se viderait à un moment donné, cela fait des années que les socialistes le prédisent. Les spreads, la différence de coûts que doivent payer les Etats nationaux pour pouvoir emprunter, n’ont jamais été aussi grands. Dans Le Soir, le professeur d’économie Paul De Grauwe (KUL) expliquait qu’il s’était trompé. Au sujet d’un pays qui adhérait à une union monétaire, il dit : « Nous avions toujours pensé que ce pays devenait plus fort, mais non ! » L’Espagne a un plus petit déficit budgétaire et une plus petite dette que le Royaume-Uni, mais ce dernier peut financer sa dette à 2,52% sur dix ans, tandis que l’Espagne doit le faire pour deux fois ce prix. Cela vient, selon De Grauwe, du faite que la Banque centrale britannique peut si besoin est imprimer de l’argent elle-même afin de satisfaire à ses obligations, mais l’Espagne dépend pour cela de la BCE.
Tragédie grecque
33. Les pays en-dehors de la zone euro peuvent stimuler l’exportation par la dévaluation de leur propre monnaie. Qui se trouve dans la zone euro est condamné à la “dévaluation interne”, un terme à la mode pour dire “casse sociale”. Il n’y a entre temps plus un seul pays de la zone euro qui n’est pas en train d’assainir. Les uns parce qu’ils ont dû faire appel à l’aide de la “troïka” de la Commission européenne, de la BCE et du FMI, les autres pour pouvoir éviter d’avoir à faire un tel appel. Les plans d’austérité dure doivent diminuer les déficits budgétaires et améliorer la compétitivité, mais ça ne marche pas. Ils sapent au contraire le pouvoir d’achat par la baisse des salaires, les attaques sur toutes les allocations sociales, la hausse du chômage et dans la plupart des pays une hausse des impôts directs sur les biens de consommation. Cela touche à son tour la petite bourgeoisie, les entreprises de distribution et les entreprises qui sont orientées vers le marché interne de chaque pays. Les véritables investisseurs sont découragés d’investir, les spéculateurs qui espèrent des rachats d’entreprises (d’État) sont encouragés. Avec la vente urgente des entreprises d’État, on perd des revenus annuels fixes en échange d’une cacahouète. Les revenus des impôts se ratatinent, et les dépenses sociales augmentent, car de plus en plus de gens y font appel.
34. Les pays qui sont mis sous curatelle de la troïka partent directement dans une spirale de croissance négative. Dans le deuxième trimestre de 2011, l’économe grecque s’est contractée de 6,9% par rapport à l’année précédente. Le déficit budgétaire va apparaitre de 8,5% au-dessus de l’objectif de la troïka. À quoi d’autre peut-on s’attendre ? Le revenu moyen des ménages a été diminué de moitié l’an passé. Le pays menace à tout moment de faillite. Lorsque la Grèce a reçu le premier paquet de sauvetage de 110 milliards d’euro qui lui avait été promis, c’était afin d’éviter le défaut de payement sur le prêt d’État de 8 milliards d’euro devant être payé le 19 mai 2010. C’était le plus grand paquet jamais vu. Entretemps, le taux d’intérêt auquel cet emprunt a été mis à disposition de la Grèce a été diminué, et le délai de payement a été doublé. Néanmoins la Grèce a dû être soutenue une bonne année plus tard avec la promesse d’un nouveau paquet.
35. Cette fois, il s’agit de 109 milliards d’euros. À compléter avec une contribution théorique du secteur financier via un échange d’obligations volontaire par lequel les détenteurs d’obligations grecques devraient accepter une “tonte” de 21%, d’une valeur totale de 37 milliards d’euro. Pour les banques, c’est une bonne affaire, mais pour l’État grec, cela ne va pas énormément arranges son problème de dette. Ses obligations sont il est vrai déjà maintenant échangées sur le marché secondaire à moins de 50% de leur valeur nominale. Et même avant que ce nouveau plan soit accepté par les parlements nationaux des pays de la zone euro, la Grèce est cependant de nouveau au bord du défaut de paiement. Les analystes supposent que la question n’est plus de savoir si la Grèce va vers la faillite, mais de savoir à partir de quand elle le sera.
36. Lorsque cela se produira, les conséquences en seront catastrophiques. L’État ne pourra plus prêter ses prêts et allocations, ou alors de manière extrêmement réduite. Les factures ne seront plus payées, ou alors pas avant de longs délais. Par le non-paiement (complet ou partiel) des dettes, le pays se verra dépourvu de liquidités. Le secteur financier entrera en faillite, tout comme de nombreuses entreprises. Les pensions, aussi bien celles des pensionnés actuels que celles des futurs pensionnés, seront fortement minées. Les investisseurs tenteront de quitter le pays. Les épargnants tenteront de récupérer leur argent. Il y aura un raid sur les banques. Des troubles sociaux, mais certainement aussi des pillages seront à l’ordre du jour. Lorsque l’Argentine a fait faillite en 2001, des dizaines de gens sont morts dans des émeutes, l’état d’urgence a été instauré et la situation n’a finalement pu se stabiliser qu’après que la monnaie soit tombée à 25% sous sa valeur.
37. Pour quelques économistes, c’est là le seul scénario possible, et il vaut peut-être mieux le commencer tout de suite parce que le cout social et économique n’en sera autrement que plus grand. Nouriel Roubini plaide en faveur d’une faillite et d’un départ de la zone euro, dans l’espoir qu’une forte dévaluation rétablisse la compétitivité à terme. Remonter le temps n’est cependant pas sans un certain cout. Quitter la zone euro est différent que de ne jamais y avoir adhéré. Qui va financer les dettes si la Grèce introduit sa propre monnaie ? Maintenant elles s’élèvent déjà à 142% du PIB. Ces dettes sont surtout en euro. Si la drachme est réintroduite, et qu’on a comme on s’y attend une dévaluation de 60% par rapport à l’euro, la dette sera soudainement équivalente à 230% du PIB. Il faudra alors des mesures encore plus drastiques afin d’éviter un raid sur les banques et imposer des contrôles de capital. Les entreprises avec des prêts dans le pays entreront en faillite. Les produits importés deviendront plus chers et le niveau de vie des familles sera encore plus réduit. Sur une base capitaliste, il n’y aura à ça non plus aucune réponse.
38. Certains plaident en faveur d’une reconversion des obligations nationales en obligations européennes, dans l’espoir de décourager les spéculateurs. L’idée est de répartir le risque en empaquetant ensemble les bonnes et les mauvaises obligations d’État, un peu comme ce qui avait été fait avec les hypothèques foireuses. On craint cependant le célèbre dégât moral, par lequel la pression en faveur d’une discipline budgétaire diminue et le nombre de mauvaises obligations d’État après un certain temps entraine avec elles les bonnes vers le bas. Au lieu de répartir en tant que tel le risque jusqu’à ce qu’il n’en reste plus, cela détériorerait au contraire les bons emprunts, comme on l’a vu en 2008 avec les subprimes. D’autres espèrent pouvoir limiter cela en transformant seulement 60% de ces dettes d’État en obligations européennes. Mais cela aussi ne résoudrait rien du tout, car les spéculateurs continueraient à spéculer en pourcentage au-dessus de 60%. Les pays les plus forts de la zone euro s’opposent à l’introduction d’obligations européennes. Pour reprendre les mots de Karel Lannoo dans Knack : les obligations européennes sont le point de conclusion d’une union fiscale et politique, pas le point de départ.
Payer ou se séparer
39. Paul de Grauwe, selon ses propres mots, dit ne rien comprendre. « Nous disposons des moyens », dit-il, « la BCE peut imprimer de l’argent autant qu’elle veut ». Cela ne causera pas d’inflation, ajoute-t-il. Mais les pays forts de la zone euro ne sont pas prêts à cela. À part le fait qu’ils abandonneraient également ainsi le contrôle sur la politique monétaire, joue à nouveau le fait que cela enlèverait la pression pour remettre de l’ordre dans les budgets. Le problème le plus important est cependant réellement le danger de l’inflation. Il est vrai que le simple fait d’imprimer de l’argent ne mènera pas immédiatement à une forte inflation. Après tout, l’inflation se produit du fait que la quantité d’argent en circulation grandit plus vite que la quantité de biens et de services disponibles. Cette quantité n’est pas seulement définie par la quantité d’argent dans la société, mais aussi par la rapidité avec laquelle cette quantité d’argent change de propriétaire. Quand l’argent est retenu par les épargnants, les investisseurs en actions comme au début de ce siècle lorsque a eu lieu le phénomène de l’inflation du prix des actifs, ou quand les entreprises qui l’entassent sans le dépenser, alors cet argent ne va pas vers l’économie réelle et n’a aucun ou quasi aucun effet sur l’inflation.
40. Une comparaison avec le mouvement actuel du prix du pétrole, et de manière plus large de toutes les denrées énergétiques, clarifie cependant ce que l’effet pourrait être d’une création large d’argent par la BCE. À chaque fois que la croissance économique stagne, le prix du pétrole diminue, par lequel il existe un espace pour respirer. Mais dès que l’économie repart à la hausse, le prix du pétrole remonte à nouveau, par lequel la croissance est entravée. Le même peut se produire avec une trop grande hausse de la quantité d’argent. À chaque fois que l’économie stagne, le danger de l’inflation laisse la place à un danger de déflation, mais aussitôt que l’économie repart et que l’argent recommence à rouler, une trop grande quantité d’argent peut mener à une explosion d’inflation. La Chine a maintenant déjà à se battre contre une inflation galopante. Les politiciens allemands gardent encore toujours un traumatisme dû au souvenir de l’hyperinflation pendant la république de Weimar. En outre, le souvenir plus réaliste de la stagflation des années ’70 est encore plus frais dans la conscience.
41. Le lecteur critique peut interjeter que la création d’argent aux États-Unis n’a tout de même pas mené à une inflation hors de contrôle. Nous avons déjà attiré l’attention sur le fait que les États-Unis, en opposition à la zone euro, sont un État-nation avec une bourgeoisie nationale qui non seulement dispose de sa propre monnaie, mais aussi d’une unité politique et fiscale. En outre, les réserves en dollars existent déjà et elles sont réparties à travers le monde entier. Une création d’argent comparable dans la zone euro est facilement une de trop, aussi pour la Chine ou d’autres pays avec d’importantes réserves de valeurs. En 2012, la zone euro doit refinancer 1700 milliards d’euro, dont un quart par la France, 23% par l’Italie, 19% par l’Allemagne et 20% par l’Espagne, la Grèce, l’Irlande et le Portugal tous ensemble. Selon la Deutsche Bank, la Chine pourrait investir pour un montant de 175 milliards d’euro dans des titres de dette européens, soit “une goutte d’eau sur une assiette chaude”.
42. Le 21 juin, il a été décidé d’élargir la disponibilité du fond de stabilité européen. La hausse espérée des moyens pour le fonds d’urgence est cependant demeurée lettre morte. Juste fin septembre, le parlement allemand a voté l’élargissement déjà décidé auparavant de sa contribution pour les garanties du fonds de stabilité européenne. Ainsi, le fonds dispose maintenant finalement des 440 milliards d’euro annoncés depuis janvier. Pour faire face à une faillite grecque, voire à une infection à d’autres pays européens, cela est largement insuffisant. La Chine et les États-Unis appellent à un élargissement du fonds à 2000 milliards d’euro. Cela illustre le fait qu’ils prennent au sérieux une faillite de la Grèce et ne croient pas en l’illusion que l’on peut placer la Grèce en quarantaine. Malgré la position “unique” de la Grèce, qui a déjà reçu pour 250 milliards d’euro, la crise de la dette des États s’est étendue à l’Irlande, qui a reçu un prêt d’urgence de 86 milliards d’euro, et au Portugal, avec un prêt de 78 milliards d’euro. L’Espagne qui a elle seule autant de dettes (637 mld €) que l’Irlande (148 mld €), la Grèce (328 mld €) et le Portugal (161 mld €) réunis, tente désespérément de rester à flot avec l’aide de la BCE. Si l’Italie, avec une dette (1842 mld €) trois fois plus grande que celle de l’Espagne, venait à glisser, alors même quadrupler le fonds d’urgence ne suffira plus. Comment vont-ils faire accepter cela aux 17 parlements de la zone euro ?
43. Il y a la menace d’une nouvelle crise bancaire. Les banques françaises sont pour plus de 600 milliards d’euro exposées aux PIIGS, les banques allemandes, britanniques et américaines pour chacun de ces pays, pour environ 500 milliards d’euro. La base du capital des banques européennes a été renforcée après la crise de 2008, mais pas de la manière dont cela a été fait aux États-Unis. La plupart n’avaient pas calculé qu’elles allaient devoir renoncer à leurs obligations d’État grecques. Si demain cependant aussi les obligations espagnoles et italiennes doivent être annulées, le fait que le fonds d’urgence puisse désormais être utilisé pour recapitaliser les banques aussi sera un maigre réconfort. Les bourgeoisies européennes se sont mises dans une situation à la “catch 22”. Abandonner l’euro serait une énorme saignée pour les entreprises qui sans nul doute présenteront la facture aux travailleurs et à leurs familles. Cela serait un énorme coup porté au prestige des bourgeoisies européennes et cela mettrait fin à la collaboration qui a eu lieu après la Deuxième Guerre mondiale. Cela saperait en outre la position à l’export des pays les plus forts de la zone euro. Mais le cout du maintien de la zone euro continue à augmenter, et la question est à partir de quand ce prix sera-t-il trop grand ?
44. En fait, il existe déjà depuis quelques mois un très grand consensus sur le fait que la politique de la dévaluation interne ne fonctionne pas, mais qu’il n’y a pas d’alternative. En conséquence, on continue contre tout meilleur jugement dans la même politique. La plus jeune réalisation a été le vote au Parlement européen du fameux “sixpack”. Officiellement, cela est la réponse à la crise économique, mais on abuse de cette occasion pour institutionnaliser la politique de l’orthodoxie néolibérale. Les États-membres doivent dorénavant présenter leur budget aux institutions européennes avant de pouvoir les faire valider par leurs parlements nationaux. On peut imposer des entraves budgétaires et des plafonds de dette sont infranchissables. Qui les enfreint peut être sanctionné. En même temps, on discute cependant d’un détour pour pouvoir élargir le fonds d’urgence. Comme si on n’avait pas déjà fait assez de dégâts avec toutes ces manipulations financières, on veut y placer un effet de levier. La BCE prêterait des sommes d’argent illimitées à quiconque veut acheter les obligations d’État des pays faibles de la zone euro, avec les 440 milliards d’euro du fonds d’urgence en tant que garantie. De cette manière, on peut garantir pour quatre ou cinq fois plus d’euro en obligations d’État, et on espère contrer la spéculation contre les obligations d’Italie ou d’Espagne.
45. On peut bien se demander à quoi ils sont occupés. En fait, ils continuent simplement à faire la même merde jusqu’à ce que la séparation inévitable et douloureuse ne se présente. C’est logique : sur base du capitalisme, il n’y a pas d’issue. Le problème fondamental est il est vrai que le marché capitaliste sous-utilise et contrecarre les capacités scientifiques et techniques. Nous devons libérer l’économie de la chasse au profit et la mettre au service de la société et de son cadre de vie et de travail, par la mise en propriété collective libre des secteurs-clés de l’économie et de la science, et par la planification démocratique. Le gouvernement qui fait cela, se ferait vraisemblablement jeter de la zone euro à coups de pieds au cul. Ce ne serait pas une autarcie délibérément choisie. Les jeunes et les travailleurs partout en Europe comprendraient bien vite que la bourgeoisie tente par là de les isoler de la seule alternative possible. Cela aurait l’effet exactement opposé.
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Une bonne contribution aux discussions sur un nouveau projet de gauche
Depuis fin septembre, le nouveau livre d’Erik De Bruyn est disponible dans les librairies flamandes. De Bruyn s’est fait connaître avec sa candidature à la présidence du SP.a, le parti social-démocrate flamand, en 2007, où il avait obtenu 33% des votes contre Caroline Gennez. Quatre ans plus tard, De Bruyn continue, avec ‘Rood’, en dehors de la social-démocratie. Son nouveau livre est une bonne occasion de mener le débat concernant le projet de gauche qu’il nous faut. Même si ce livre n’existe qu’en néerlandais, nous pensons qu’il est utile de publier notre critique dans les deux langues, car il s’agit d’une contribution au débat entourant l’ouvrage.
Par Bart Vandersteene, membre de la direction de Rood
Ce livre donne un aperçu du fonctionnement interne du SP.a et des possibilités très limitées pour construire une opposition de gauche au sein de la social-démocratie. Malgré son bon résultat en 2007, les portes étaient fermées pour De Bruyn au bureau du parti (au niveau national ou régional) de même que pour une place éligible aux élections.
En avril de cette année, SP.a-Rood a décidé de quitter le parti. ‘‘Juste au moment où l’opinion publique se lance contre l’establishment, le parti ne réussit pas à capter l’esprit et se trouve de l’autre côté des barricades’’ (p.75). Nous pensons que cette méfiance et cette aversion contre l’élite datent de plus longtemps déjà et qu’elles se sont longtemps orientées contre le SP.a, un parti qui a participé au pouvoir (à différents niveaux) depuis 1988 et qui, au fur-et-à-mesure des années, cache de moins en moins qu’il défend une variation de la même politique néolibérale en faveur des riches et puissants. Cela a conduit depuis longtemps à l’existence d’un vide politique à gauche.
La décision de quitter le SP.a a eu un bon impact sur le contenu du livre. De Bruyn est plus clair dans ses analyses du capitalisme et au sujet de la nécessité d’une alternative socialiste. Les mouvements en Afrique du Nord et au Moyen-Orient ont aussi eu un effet contagieux sur Erik. Cependant, nous sommes en désaccord avec certaines de ses conclusions. Il va trop loin dans le rejet des formes organisées de la politique par les jeunes espagnols. L’aversion légitime contre les partis traditionnels ne met pas de côté la nécessité d’un parti démocratique des travailleurs et des jeunes.
‘‘La démocratie et la participation doivent être des réflexes de chacun à chaque niveau. La démocratie et la participation sont beaucoup trop importants pour les externaliser à de soi-disant experts qui en font leur profession (…) L’avenir appartient aux réseaux, aux structures participatives.’’ (p. 197) Les réseaux sont utiles, mais pour un engagement à plus long terme, approfondi et démocratique avec des procédures de décision et des structures, il nous faut autre chose. L’absence de parti large de la classe ouvrière ne signifie pas qu’il y a ‘‘une ère post-parti politique’’.
Erik De Bruyn a des doutes concernant l’appel ‘pour un nouveau parti des travailleurs’, un appel soutenu par le PSL depuis les années 1990. ‘‘Les solutions socialistes sont rejetées par l’opinion publique comme étant irréalistes (…) L’affaire ne peut pas être résolue simplement par la création d’un nouveau parti des travailleurs. La gauche doit s’orienter envers des couches plus larges, sans tomber dans un discours du centre. La crise touche les travailleurs, mais aussi les cadres, les indépendants et les petits entrepreneurs.’’ (p. 93) La gauche doit ‘‘aller plus loin que le concept dépassé du ‘nouveau parti des travailleurs’. D’un côté l’élément d’un parti des travailleurs doit être mis en avant, mais de l’autre côté il doit être beaucoup plus audacieux que ça.’’ (p. 189)
La crise capitaliste frappe partout et toutes les couches de la société. Les cadres et les petits indépendants reçoivent aussi quelques gifles. Certains cadres sont mis de côté, comme tous les travailleurs. Des petits entrepreneurs ne tiennent pas le coup dans la compétition avec les grandes chaînes et les multinationales. Ils sont aussi menacés par les parasites tels que les banques et Electrabel. La seule façon d’y échapper, c’est de suivre la seule classe dans la société qui peut édifier une autre organisation sociale. C’est la classe ouvrière. Bien sûr, un ‘parti des travailleurs’ sera ouvert à d’autres couches, mais dans sa composition et son programme – dans son caractère – il doit être un ‘parti des travailleurs’, avoir un caractère et des méthodes ouvrières.
Il y a clairement un nombre de sujet sur lequel nous avons des désaccords avec Erik. Il limite ses revendications à ce qui est possible dans le cadre du capitalisme. Nous pensons que cela conduit à des dangers. Cela explique probablement pourquoi Erik continue à répandre des illusions dans le socialisme ‘réinventé’ en Amérique-Latine. Malgré des réformes positives au Venezuela et en Bolivie, Chavez et Morales refusent surtout de rompre fondamentalement avec la logique capitaliste. Cela conduit à une impatience et à une frustration croissantes parmi les masses, de même que la menace de la contre-révolution. Une réponse socialiste part des besoins concrets et essaie de les lier en revendications et slogans concrets avec la nécessité d’un changement fondamental de société. Le manque d’un tel programme est néfaste pour les nouveaux partis de gauche dans des pays dans l’œil du cyclone, comme pour le Bloc de Gauche au Portugal.
Dans sa critique des dictatures staliniennes, Erik écrit que la chute des ces régimes est due à ‘‘l’absence de deux facteurs : la démocratie et le marché.’’ L’élément important du ‘socialisme dans un pays’ est oublié dans le texte. Ce qu’Erik veut dire avec ‘absence de marché’ est un mystère pour nous. Que tous les secteurs clés deviennent tout de suite gratuits et soient donc en dehors de la sphère d’échange économique, comme l’enseignement et les soins de santé, nous semble évident. Est-ce qu’Erik trouve que l’Union Soviétique est allée trop loin? Lorsque nous parlons du ‘marché’, il ne s’agit en général pas de l’organisation de la consommation (comme avec le marché du dimanche matin) mais de la production (le ‘libre marché’). Avec l’économie planifiée nous n’entendons pas l’expropriation des petits commerçants, mais bien des secteurs clés de l’économie. Est-ce que ces secteurs doivent être gérés par un régime public ou laissés au ‘libre marché’ pour que les capitalistes puissent prendre les meilleurs morceaux et les profits ? Est-ce qu’Erik trouve que le marché aurait dû jouer un rôle plus important ?
Les propositions du livre pour des réformes d’Etat nous semblent faibles, sans toucher aux intérêts de l’élite économique et politique actuelle. L’approche sur la société multiculturelle et le port du voile reste également un point de discussion et de désaccord.
Malgré ces critiques, nous trouvons dans ce livre une impulsion importante à la discussion sur la construction d’un nouveau projet de gauche. Nous recommandons le livre et voulons utiliser cette occasion pour mettre en avant nos différences de manière ouverte et honnête. Le fait que Rood veut constituer un mouvement large et ouvert avec en son sein diverses organisations et positions politiques est enrichissant.
Enfin, encore un avertissement vis-à-vis d’une confiance trop exagérée dans les nouveaux médias. Erik propose une ‘‘plate-forme participative sur l’internet’’ pour ‘‘utiliser la connaissance et l’expertise collective des gens, comme précurseur d’une société socialiste radicalement démocratique et autogérée’’ (p. 191). Nous pensons que les outils de communications offrent de grandes opportunités, mais ils ne peuvent pas remplacer une réelle participation dans les discussions et les réunions. Une participation politique à l’ordinateur semble accessible, mais c’est beaucoup moins contraignant, plus volatile et il y manque un élément important : la dynamique démocratique de groupe.
‘La rédaction de Lutte Socialiste vend le livre ‘De terugkeer van de dwarsliggers’ à 14 euros (et 3,5 euros d’expédition). Dans les librairies, le livre est vendu à 17,5 euros. Commandez ce livre en versant sur le n° de compte de Socialist Press 001-3907596-27 avec ‘De Bruyn’ en mention.