Tag: Turquie

  • La catastrophe de Soma : le pire désastre minier au monde en 40 ans

    La catastrophe minière de Soma a choqué la Turquie : le nombre de décès officiels est aujourd’hui de 301. Ce fut la pire catastrophe minière de l’histoire turque, la pire au monde en 40 ans et la 19e dans l’histoire des pires catastrophes minières mondiales. Ce n’est pas un hasard, la Turquie est l’un des trois pays au monde à n’avoir pas signé les règles de l’Organisation Internationale du Travail sur la sécurité dans les mines.

    Par Co?ku M?hc?, Sosyalist Alternatif (CIO-Turquie)

    Les déclarations du Premier ministre Erdogan (pour qui les mines comprennent ‘‘naturellement’’ des risques mortels), les divers problèmes survenus au cours de l’opération de sauvetage et le manque d’informations officielles claires ont donné lieu à une explosion de colère à Soma, colère qui s’est étendue à tout le pays suite à la violence exercée par des représentants du gouvernement, dont Erdogan lui-même, contre des proches de victimes qui manifestaient.

    En raison de la pression issue de leurs membres, trois des six confédérations syndicales ont appelé à une grève générale d’une journée le jeudi 14 mai ainsi qu’à des manifestations dans les centres villes. Cette grève ne fut toutefois pas très efficace, en raison du bas taux de syndicalisation en vigueur en Turquie et à cause du poids des structures bureaucratiques de la plupart des syndicats. Mais les travailleurs de grandes usines comme Bosch, Renault ou encore Ford sont entrés en grève pour la première fois en dix ans ! Une manifestation massive a eu lieu à Soma, à l’instar d’autres grandes villes comme Istanbul, Ankara et Izmir. Comme prévu, la police anti-émeute a violemment attaqué les manifestations.

    Les mineurs de Soma sont entrés en grève sans l’accord ou l’autorisation de leur syndicat officiel. Leur grève se poursuit, malgré la pression et les menaces des propriétaires de l’entreprise minière. Ils ont notamment exigé, et obtenu, la démission des principaux responsables syndicaux locaux, plus impliqués dans la collaboration avec la société minière que dans la protection de leurs affiliés. Ensuite, les mineurs ont été protester devant le siège de l’organisation nationale des mines, en revendiquant principalement la renationalisation des mines.

    Les revendications et préoccupations des mineurs de Soma sont partagées par de nombreux mineurs et autres travailleurs à travers tout le pays. Des catastrophes similaires peuvent avoir lieu dans d’autres « pièges à rats » où les conditions de travail ne sont fondamentalement pas meilleures. Il est essentiel que leur lutte soit élargie pour donner lieu à un puissant mouvement de masse contre le régime meurtrier et corrompu de l’AKP.

    Une journée nationale de grève dans l’industrie minière pour exiger la renationalisation de l’ensemble de l’industrie minière sous le contrôle des travailleurs pourrait être une première étape destinée à élargir le mouvement. Une grève générale massive et bien préparée pourrait secouer le gouvernement jusqu’à ses fondements et amener la lutte sociale à une nouvelle étape, qualitativement différente. La mise en place de comités d’action devrait aussi être à l’ordre du jour afin de coordonner la lutte actuelle et de poser les bases du remplacement du gouvernement capitaliste de l’AKP par un gouvernement des travailleurs.

  • Manifestations de masse et grèves en Turquie

    La pire catastrophe minière dans l’Histoire du pays

    Socialistworld.net

    Ce mardi 13 mai, un équipement électrique apparemment défectueux a déclenché une explosion mortelle dans une mine de charbon à Soma, dans l’Ouest de la Turquie. Les dernières nouvelles rapportent qu’au moins 282 mineurs ont perdu la vie alors que plus de 100 mineurs sont encore coincés au fond et qu’un nombre incalculable de corps reste encore dans les galeries. La catastrophe de la mine de Soma est le pire accident industriel de l’Histoire de la Turquie. Alors que les opérations de sauvetages continuent, les espoirs de trouver des rescapés diminuent à chaque heure.

    Très rapidement, des manifestations ont éclaté dans toute la Turquie, car beaucoup de travailleurs et de jeunes considèrent avec raison le gouvernement AKP au pouvoir et ses amis pro-big business comme les premiers responsables de cette catastrophe. Celle-ci est arrivée dans le sillage d’une vague de scandales impliquant le parti dirigeant et la famille du Premier Ministre Erdogan ces derniers mois, ainsi que suite au mouvement de masse contre le gouvernement l’année dernière autour des événements sur la place Taksim.

    Cette fois-ci cependant, les craintes de la classe dirigeante turque reposent sur le fait que le cœur même de la classe ouvrière, qui a été pendant un certain temps une base importante du soutien électoral pour l’AKP, est enragée et se soulève contre le régime de plus en plus impopulaire d’Erdogan.

    Quand Erdogan a visité la mine de Soma ce mercredi, il a été massivement hué, et dénoncé par les habitants et les familles des mineurs en colère comme un meurtrier et un voleur. Une vidéo montre Erdogan devant se cacher dans un supermarché, protégé par des gardes du corps, pour échapper aux manifestants enragés.

    A Istanbul, à Ankara et dans beaucoup d’autres villes, des milliers de personnes sont sorties en rue depuis mercredi, exigeant la démission du gouvernement, rencontrant parfois une forte répression policière. 4 centrales syndicales turques ont finalement appelé à une grève nationale de 24 heures jeudi, qui a été massivement suivie, et accompagnée de manifestations de masse, dont 20 000 manifestants dans la ville de Izmie, dans l’Ouest du pays, la 3e plus grande ville de Turquie.

    Les politiques d’Erdogan et de l’AKP ont, fondamentalement, toujours visé à aider les capitalistes proches du parti dirigeant. Cela s’illustre dans la réponse arrogante et méprisante de l’AKP à la douleur et à la colère montante dans toute la société après le massacre de Soma. Elle a été symbolisée par le conseiller du Premier Ministre turc, Yusuf Yerkel, photographié en train de donner des coups de pieds à un parent d’un des mineurs morts pendant qu’il était maintenu au sol par deux agents de sécurité. Erdogan lui-même a commenté que le désastre était « une chose ordinaire, dans la nature du travail », et qu’il n’y avait pas de travail garanti sans accident…

    Mais comme le disent les mineurs, les représentants des travailleurs et les manifestants, ce n’était pas un accident, mais un massacre. L’appel ci-dessous, écrit par le SPOT (Solidarity with People of Turkey), dit que « sur la période de 12 ans de pouvoir de l’AKP, plus de 14 000 décès liés au travail se sont produits ». Aussi, la responsabilité pour ce dernier désastre meurtrier au travail repose entièrement sur les épaules du gouvernement néo-libéral de l’AKP et de ses appuis les grands patrons.

    Ce gouvernement a privatisé la mine de Soma en 2005. Il a été prouvé maintenant qu’en Turquie, le taux de mortalité dans les mines privées est 11 fois plus élevé que dans les mines d’État, ce qui illustre graphiquement comme les vies de centaines de mineurs ont été sacrifiées sur l’autel de la course au profit d’une poignée de vautours privés. Une revendication essentielle du mouvement devrait donc être la re-nationalisation sous contrôle ouvrier démocratique des mines privatisées.

    Les autorités turques ont aussi refusé depuis des années de signer la convention sur la Sécurité et la Santé dans les mines (n°176), qui donnent des obligations au gouvernement et aux dirigeants des mines de garantir des conditions de santé et de sécurité minimum aux mineurs, et de prévenir les accidents. Les dirigeants de l’AKP ont aussi rejeté les appels de l’opposition qui demandaient une enquête sur la sécurité et les conditions de travail dans les mines il y a quelques semaines, évidemment pour protéger leurs copains propriétaires de mines. Les relations incestueuses entre le parti dirigeant et la classe capitaliste est telle qu’il semblerait que la femme du propriétaire de la mine de Soma soit même une conseillère locale pour l’AKP !

    Le CIO en Turquie, Sosyalist Alternatif, (qui fait circuler les propositions pour l’action développées ci-dessous) et le CIO dans son ensemble sont fermement solidaires des mineurs de Soma et de leurs familles, et des travailleurs et des jeunes en général qui luttent en Turquie. Nous soutenons la construction d’un mouvement de masse prolongé qui peut faire tomber le régime pourri d’Erdogan. Dans ce sens, la grève de jeudi doit être le premier pas de la construction d’un tel mouvement, pour se débarrasser du gouvernement AKP et le remplacer par un gouvernement des travailleurs, qui défende les droits démocratiques, brise l’étreinte du capitalisme et mette en place des politiques socialistes.

    Sosyalist Alternatif revendique:

    • La formation d’une commission d’enquête indépendante constituée de représentants des mineurs, des syndicats et des organisations démocratiques de la société civile. Les activités de cette commission devraient être complètement transparentes – et toutes ses finances doivent être publiques !
    • Les propriétaires de la compagnie minière et le gouvernement doivent être tenus responsables et répondre de ce qui s’est passé !
    • Une assistance médicale doit être apportée aux rescapés et aux familles des victimes. Une compensation financière conséquente doit leur être versée !
    • Non aux agences d’intérim qui imposent des conditions de travail néo-libérales, déréglementées et flexibles. Non au travail des enfants. Des salaires décents pour les mineurs, avec lesquels ils puissent se nourrir eux et leurs familles.
    • Suppression de tous les obstacles légaux et pratiques à l’appartenance syndicale et encouragement de la syndicalisation.
    • Les hauts fonctionnaires directement responsables du désastre, dont le ministre de l’énergie et le ministre du travail, doivent démissionner immédiatement !
    • Ouverture des comptes de Soma et révélation des finances de la compagnie. Les propriétaires des mines se sont enrichis ces dernières années sur le dos des travailleurs – tous ces profits doivent être rendus aux travailleurs !
    • Soma et toutes les compagnies privées doivent être re-nationalisées sous contrôle et management démocratiques des travailleurs, sans compensation.

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    SPOT (Solidarity with People of Turkey) condamne le gouvernement turc pour la mort des mineurs

    Au moins 245 mineurs ont perdu la vie dans la ville de Soma dans l’Ouest de la Turquie, après qu’une explosion ait provoqué l’effondrement d’un puits. Des dizaines de mineur sont été blessés, dont 4 sont dans un état critique. Des centaines sont toujours coincés sous terre. Soma K-mürleri A? possède la mine à titre privé.

    L’explosion s’est produite lors d’un changement d’équipe, le nombre exact de personnes toujours coincées sous terre n’est donc toujours pas clair.

    Le gouvernement a deux visages, avec les capitalistes cupides et les médias à leurs bottes !

    La déclaration de 3 jours de deuil, l’annulation des voyages prévus du Premier Ministre, les messages de condoléances, la présence d’un ministre sur les lieux, sont tous des larmes de crocodile et des tentatives de cacher la réalité. Les gens n’ont pas oublié que c’était le Premier Ministre Erdogan qui s’est exclamé que « la mort est le destin des mineurs de charbon » après un accident meurtrier dans les mines il y a quelques temps.

    La « commission de recherche et d’investigation » des risques miniers proposée par les députés des partis d’opposition CHP, MHP et BDP a été rejetée par le gouvernement AKP il y a à peine 20 jours. Des motions en relation avec l’industrie houillère de Levent Tuzel, député du HDP à Istanbul, ont été balayées avec des excuses comme « les ministres concernés mènent des inspections constantes ».

    La déclaration récente des directeurs de la compagnie qui possède la mine, qui se vante d’une baisse des dépenses d’environ 60%, n’a pas non plus été oubliée. La diminution de la main d’œuvre, les licenciements forcés d’ouvriers expérimentés, la sous-traitance à des ouvriers sans expérience, ne sont que quelques unes des tactiques des patrons cupides à la poursuites de marges de profit plus élevées.

    L’un des ouvriers décédé n’avait que 15 ans ; cela montre clairement l’étendue de l’exploitation qui a lieu. Les représentants médiatiques des patrons et du gouvernement parlent de hauts standards de sécurité dans les mines et parlent de « douloureux accident » dans leurs Unes. Par ailleurs, la valeur donnée aux travailleurs est explicite dans les mots d’un « expert » des mines de charbon de Soma, le Professeur Dr Orhan Kural, qui a déclaré à une chaine télé : « Mourir du monoxyde de carbone est doux ; ils ne ressentiraient aucune douleur. Je souhaite une mort sans douleur pour moi-même ».

    Nous, membres du SPOT, (Solidarity with People of Turkey), voudrions exprimer nos condoléances et notre profonde tristesse pour la classe ouvrière, pour ceux qui sont morts tragiquement et pour leurs familles. Nous jurons de montrer les visages de ceux qui sont responsables de cette tragédie, c’est à dire le gouvernement et les patrons qui sont plus préoccupés par leurs profits que par le bien-être des travailleurs. Nous n’allons pas laisser ces morts sur un lieu de travail passer inaperçues. En 12 ans de règne de l’AKP, plus de 14000 décès liés au travail se sont produites. Nous ne les oublierons jamais.

    Nous appelons toutes les communautés, les organisations démocratiques et les syndicats à faire entendre leurs inquiétudes sur ce sujet et à nous rejoindre en manifestant à la fois contre le gouvernement AKP et contre ceux pour qui les profits et le capital valent plus que les travailleurs.

    Vous pouvez envoyer la déclaration aux officiels turcs listés ci-dessous. Nous vous prions également de mettre en copie spot.turkey@mail.com.

    Président turc, Mr Abdullah Gül: Email: cumhurbaskanligi@tccb.gov.tr, Fax 0 (312) 470 24 33

    Premier Ministre de la République Turque, Recep Tayyip Erdo?an: Email: bimer@basbakanlik.gov.tr, Fax: +90 312 422 26 69, +90 312 422 18 99

    Ministre de l’énergie et des ressources naturelles: Mr. Taner Y?ld?z, Email: bilgi@enerji.gov.tr Phone: +90 312 212 64 20

    Si vous avez besoin de plus d’informations, n’hésitez pas à contacter SPOT : spot.turkey@mail.com
    Merci d’avance pour votre soutien, Oktay Sahbaz, SPOT.

    Modèle d’email :

    Le gouvernement AKP et les patrons sont responsables de la mort des mineurs du charbon à Soma, en Turquie.

    A qui de droit,

    Je soussigné, appelle les ministres et hauts fonctionnaires de Turquie à lancer une investigation indépendante sur la mort des 274 mineurs (à ce jour) dans la mine de charbon privée de Soma.

    Je pense fortement que la mort des mineurs ne devrait pas être caractérisée comme « leur destinée » ou « un hasard lié à leur occupation ».

    Je vous exhorte à écouter les revendications du public turc et de l’opinion publique internationale, et à faire rendre des comptes aux propriétaires de la mine de charbon de Soma pour les conditions de santé et de sécurité hautement dangereuses qui ont mené à la mort désastreuse de centaines de mineurs.

    En Turquie, les mines de charbon privées exposent quotidiennement les mineurs à des conditions de travail hasardeuses qui menacent leur vie, et il est prouvé que le taux de mortalité dans les mines privées turques est 11 fois plus élevé que dans les mines d’État.

    Par ailleurs, la requête faite au parlement turc le 29 avril 2014 pour une enquête sur les conditions de santé et de sécurité dans la mine de charbon de Soma présentait une opportunité de prévenir les morts de plus de 245 mineurs le 13 mai 2014.

    Il est clair que des milliers de mineurs ont risqué leur vie à cause des mesures de réduction des coûts, avec des conséquences tragiques pour les mineurs et leurs familles.

    Le gouvernement turc doit faire rendre des comptes aux responsables pour les meurtres brutaux des mineurs de Soma et assurer que des mesures sont prises pour améliorer la santé et la sécurité dans le secteur minier dans le but de prévenir de tels « accidents » dans le futur.
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  • Les 50 ans de l’immigration marocaine et turque en Belgique

    Par Thomas (Charleroi), article tiré de l’édition de mars de Lutte Socialiste

    À l’occasion des 50 ans de l’immigration marocaine et turque en Belgique – née de la campagne de recrutement de 1964 des autorités belges – les grands médias nous ont abreuvés de reportages historiques, d’études statistiques et de portraits d’artistes, d’intellectuels ou de politiques issus des communautés marocaines et turques. Les partis traditionnels se réclamant encore de la gauche, et particulièrement le PS, se sont jetés sur l’occasion à l’aune de la campagne électorale.

    Si, la campagne de recrutement de 1964 promettait aux travailleurs une vie meilleure en Belgique, une analyse dont la logique part des intérêts de ces derniers ne peut manquer de remarquer à quel point de nombreux problèmes subsistent. Quel programme politique peut répondre aux besoins des travailleurs d’origine belge, marocaine, turque ou autre ?

    Replacer les vagues d’immigrations dans leur contexte économique

    La Belgique a vu ses infrastructures détruites par la Seconde Guerre mondiale, même si ce fut dans une proportion bien moindre que dans les pays voisins. Le seul acteur capable d’organiser la reconstruction du pays était l’État, avec un secteur public jouant un rôle moteur dans l’économie. Cette situation a également été assurée par la forte activité du mouvement ouvrier au sortir de la guerre, doté d’une conscience socialiste réelle, bien que floue. Le rapport de force entre travail et capital était plus favorable aux travailleurs et à cela s’ajoutait le prestige de l’Armée soviétique. La bourgeoisie a donc été poussée à faire de nombreuses concessions. Après quelques temps, la hausse du pouvoir d’achat et le renforcement des mécanismes de solidarité furent remarquables au sein d’une économie basée sur la demande et l’intervention de l’État, le keynésianisme.

    La reconstruction du pays demanda énormément de mains d’œuvre, et l’on dut également faire appel à une main d’œuvre étrangère, tout d’abord en Italie. 300.000 travailleurs furent littéralement importés chez nous (c’est-à-dire sujets d’un commerce entre les autorités belges et italiennes) entre 1946 et 1952. La Belgique a pareillement signé des accords économiques avec différents pays : la Grèce, l’Espagne et, enfin, la Turquie et le Maroc en 1964. Ces vagues d’immigrés ont trouvé embauche dans l’industrie et la construction. C’était la période dite des ‘‘trente glorieuses’’, une parenthèse historique de croissance du capitalisme qui n’a d’ailleurs pas duré trente ans…

    Aujourd’hui, la situation économique et sociale a bien changé. Le choc néolibéral de la seconde moitié des années ‘70 a complètement transformé le paysage socio-économique du monde entier. Pour rehausser les taux de profits, la bourgeoisie a lancé une campagne d’attaques systématiques contre toutes les conquêtes sociales des travailleurs. Celle-ci est également accompagnée d’une offensive idéologique réactionnaire, usant du racisme et du nationalisme pour imposer la logique de pensée néolibérale. Les accords économiques destinés à importer de la main d’œuvre ont pris fin après la crise économique de 1974.

    L’immigration a également, et de différentes manières, été un outil pour le patronat. Durant la période keynésienne, il était question de combattre la hausse des salaires en faisant rentrer sur le marché du travail une masse de travailleurs prêts à bosser pour moins cher et ainsi tirer l’ensemble des salaires vers le bas (dumping salarial). Puis, avec la période néolibérale qui suivit, et qui est toujours de mise, le patronat utilise la diversité de la classe des travailleurs afin de la diviser et de faciliter son offensive visant au recul social.

    Pour autant, les immigrés ne sont en rien responsables de l’état de déliquescence de l’économie et du tissu social. Ils ne sont pas non plus responsables du chômage de masse structurel du système capitaliste. Jamais une étude n’a été en mesure de faire le lien entre une hausse du chômage et l’immigration ! Une partie de la bourgeoisie elle-même avertit de la nécessité de l’immigration dans les pays riches. En Allemagne, la Banque Nationale estime que le pays a besoin de 200.000 immigrés en plus chaque année afin de soutenir la croissance économique, car les immigrés, souvent jeunes, répondent au problème du vieillissement de la population.

    La pénurie sociale du système capitaliste

    Le capitalisme crée une pénurie sociale permanente dans tous les secteurs de la vie quotidienne : emplois, logements, écoles, crèches, etc. La concurrence et la pression qui s’exerce sur la classe des travailleurs sont de plus en plus fortes. Les frustrations, le désespoir et la colère légitime qui découlent de cette situation poussent à l’exclusion des publics minoritaires. Ce phénomène d’exclusion est encouragé par l’idéologie dominante, comme cela fut illustré par la sortie de Jan De Nul, élu ‘‘Manager de l’année’’ en 2013, qui reproche aux Belges de ne plus vouloir travailler, et à fortiori les immigrés nord-africains. (1) Soulignons aussi que les immigrés ne sont pas les seuls à éprouver des problèmes pour trouver un job, un logement abordable, etc.

    La Belgique est une société hautement multiculturelle ; plus de 25% de la population belge a au moins un parent né étranger. On constate néanmoins que les immigrés récents sont encore loin de décrocher le même taux d’emplois ou d’éducation que les habitants d’origine belge. Contrairement à ce que les politiques vont nous chanter dans les semaines à venir, les conditions d’accueil et d’intégration sont exécrables. Comment s’intégrer facilement dans la société alors même que tous les budgets sociaux, sous-financés de longue date, font face à la vague d’austérité budgétaire ?

    La politique actuelle du gouvernement et de sa ministre à l’immigration Maggie de Block a remis le drame des réfugiés à l’avant des médias. Les sans-papiers sont le public le plus fragile dans la société. Personne ne fuit sa terre par plaisir, pour se retrouver chez nous, cibles d’une chasse à l’homme quotidienne !

    La responsabilité du mouvement ouvrier.

    Si le capitalisme porte la responsabilité des divisions au sein de la classe des travailleurs, cette dernière porte en elle la capacité de les combattre et de construire une alternative crédible aux yeux des masses. Et on n’affronte pas des problèmes matériels avec de la morale, on les combat avec une alternative économique !

    Si nous pouvons être d’accord avec le forum économique mondial sur un point, c’est sur l’idée que ‘‘l’inégalité sociale devient la menace la plus dangereuse pour la stabilité’’ (2), comme cela est déjà illustré par la perte de crédibilité importante de toutes les institutions bourgeoises, des gouvernements, des partis politiques, des médias de masse, du système judiciaire, de la police, etc. La colère de la jeunesse, d’origine belge ou immigrée, peut alors se traduire par de fausses alternatives : le repli communautaire et religieux, l’extrême droite, le populisme de droite, etc.
    Les théories du complot, négationnistes et raciales sont diverses et légions aujourd’hui. Elles démontrent la faiblesse du niveau politique actuel chez de larges couches de jeunes et de travailleurs. Pour rayer ces alternatives prétendument antisystèmes, nous devons reconstruire le mouvement des travailleurs et ses outils politiques et syndicaux, afin qu’il soit capable d’idéologiquement encadrer les travailleurs et les jeunes de diverses origines vers un objectif commun.

    Hélas, les syndicats ont progressivement abandonné la jeunesse précarisée, les travailleurs sans emplois et les secteurs économiques sans traditions historiques de lutte. Malgré l’existence d’organisations de jeunes et de précaires en leurs seins, les organisations syndicales de masses concentrent l’essentiel de leurs efforts vers les secteurs déjà organisés. Pourtant, les infrastructures et les moyens sont largement présents pour aller au contact de ces couches abandonnées du mouvement des travailleurs et pour construire une classe ouvrière unifiée et combative.

    Stop à la division de notre classe.

    Il y a différentes façons de lutter pour l’unification de notre classe et de se battre contre le racisme, le nationalisme et les organisations d’extrême droite.

    En tant que socialistes révolutionnaires, nous avons pour tâche d’élever le niveau de conscience de classe au maximum – la conscience d’avoir des intérêts communs, totalement opposés à la logique du système actuel – et de faire le lien entre la pénurie permanente du système capitaliste et la montée des idées d’extrême droite. Ceci implique de construire une alternative socialiste face le système actuel.

    Il est hors de question de draguer la sympathie des immigrés avec un discours basé sur la religion ou l’ethnie. Au contraire, nous devons politiser leur expérience sur une base de classe, qui les lie au reste du monde du travail.

    Le PSL-LSP possède une expérience certaine sur cette question, notamment à travers sa campagne antifasciste flamande Blokbuster, initiée depuis déjà 1991. Nous sommes fiers de cet héritage et nous continuerons à mener la lutte contre l’oppression capitaliste et les discriminations qui en découlent, avec tous ceux qui sont prêts à nous rejoindre dans ce combat.

    Le prochain grand événement antiraciste sera la manifestation du 20 mars prochain à Anvers, contre le NSV, l’organisation officieuse des jeunes du Vlaams Belang. Joignez-vous à nous !

    Notes

    (1) http://trends.knack.be/economie/nieuws/beleid/er-is-gewoon-geen-goesting-om-te-werken-omdat-het-zonder-ook-kan/article-4000333234410.htm
    (2) http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/01/16/selon-le-world-economic-forum-les-inegalites-menacent-la-stabilite-mondiale_4349310_3234.html

  • Turquie : Retour sur le soulèvement massif contre le régime autoritaire

    Tout a commencé avec le tantième projet destiné à ruiner l’espace public au profit de projets immobiliers. Le mouvement s’est rapidement développé pour impliquer plusieurs centaines de milliers de personnes scandant : ‘‘Tayyip Istifa !’ ’ (Tayyip, dédage !) Ces dernières années, l’impérialisme occidental a tenté de présenter la Turquie comme l’exemple à suivre pour la Tunisie et l’Egypte. Mais, en dépit des différences qui existent entre les différents mouvements de masse, le transfert s’est effectué en sens inverse ! Un dossier du député européen Paul Murphy (élu de notre parti-frère irlandais) et de Tanja Niemeier publié dans l’édition d’été de Lutte Socialiste.

    Istanbul : Témoignage d’une ville en révolte

    La Place Taksim est devenu un lieu renommé depuis l’énorme soulèvement contre le gouvernement de Tayyip Erdogan commencé le 31 mai. Nous nous y sommes rendus début juin et avons discuté avec beaucoup de jeunes militants et membres d’organisations et de gauche. Parmi eux, le Secrétaire International du syndicat DISK, Kivanc Eliacik, un membre du Parlement de l’aile gauche kurde, Sebahat Tuncel (BDP), ainsi que le co-président du parti ODP, Bilge Seckin Centinkaya. Nous avons également assisté à l’énorme violence policière exercée contre les manifestations à l’aide d’autopompes, de gaz lacrymogènes et de grenades incapacitantes.

    La confiance en soi, l’optimisme, la détermination et le dynamisme de ceux qui occupaient le parc Gezi, principalement des jeunes, ont été contagieux. Malgré la violence policière, ils ont temporairement réussi à faire reculer la police lors de la deuxième journée de manifestation. Quand nous y étions, ils savouraient avec raison cette victoire. De jeunes manifestants nous ont fièrement conduits aux environs du parc Gezi et de la place Taksim, nous montrant les nombreuses barricades faites de voitures de police et de matériaux de construction destinées à protéger la place d’une potentielle nouvelle attaque. En très peu de temps, ils ont appris comment minimiser les effets des gaz lacrymogènes. Des masques à gaz se sont répandus en même temps que des brochures expliquant comment mélanger des liquides de base pour neutraliser les gaz lacrymogènes.

    Le degré d’auto-organisation dans le camp était frappant. Des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées sur les lieux et plus d’un millier de personnes y campaient jour et nuit. Prendre le contrôle d’un large espace public pose inévitablement de nombreux problèmes avant tout organisationnel – distribution de nourriture, d’eau, de matériel de premiers soins, établissement des règles du camp – mais qui ont de profondes implications politiques. La gamme de services offerts aux manifestants était impressionnante. En plus de la distribution gratuite de nourriture et d’eau et de l’organisation du nettoyage régulier, il y avait une section de premiers soins et même une crèche. Un principe établi dans le parc Gezi était que rien ne devait être acheté ou vendu. Les bénévoles acceptent seulement qu’on leur donne ce qu’ils allaient ensuite à leur tour donner aux manifestants.

    Des syndicalistes de gauche du KESK (secteur publique) et du DISK (secteur privé) et des militants de partis et d’organisation de gauche ont accompagné les jeunes manifestants souvent inexpérimentés (une enquête a indiqué que 57% des manifestants l’étaient pour la première fois de leur vie). L’expérience de ces militants est vaste compte tenu de l’oppression structurelle et systématique de la démocratie et des droits des travailleurs en Turquie, qui a encore récemment augmenté sous le gouvernement néolibéral et anti-travailleurs d’Erdogan. Avec les attaques du régime d’Erdogan, tout ceci est désormais menacé. Erdogan est confronté à une résistance extrêmement déterminée. Ayant senti leur pouvoir, la classe ouvrière turque et les jeunes n’abandonneront pas leur contrôle des espaces publics sans se battre. Quand nous étions sur place, beaucoup étudiaient activement les leçons des révolutions égyptienne et tunisienne, cherchant à éviter les échecs connus là-bas.

    Ce n’est qu’un début

    Le régime Erdogan se bat pour sa survie contre un soulèvement de larges sections de la population et a opté pour une répression plutôt que pour des concessions pour tenter de l’écraser. Les espoirs antérieurs d’une victoire facile et l’euphorie au parc Gezi ont été écrasés par les matraques, les autopompes et les gaz lacrymogènes. Le discours d’Erdogan est de son côté de plus en plus agressif.

    Le mouvement doit avoir une grande discussion sur les revendications et la stratégie à mettre en place pour tenter de renverser Erdogan. Une défaite serait synonyme de représailles et d’une répression massive contre les manifestants.

    Il est désormais évident que les cinq revendications de Taksim Solidarité – (1) non au projet de construction dans le parc Gezi ; (2) le retrait des chefs de police et du Ministre de l’Intérieur impliqués dans la brutale répression policière; (3) l’interdiction de l’utilisation des gaz lacrymogènes; (4) aucune restriction sur la possibilité de manifester dans les espaces publics; (5) la libération de tous ceux qui ont été arrêtés durant les manifestations – ne sont plus suffisantes pour faire face à la situation. Même si ces revendications se sont révélées être une base sur laquelle un mouvement très large a pu se développer, elles ne répondent pas aux questions posées par les développements actuels : comment défendre les manifestants contre les violentes attaques ? Comment renverser le gouvernement Erdogan ? Par quoi le remplacer ?

    Le mouvement doit tenter de saper le soutien qu’Erdogan a encore parmi des secteurs importants de la population, en expliquant le principe du ‘‘diviser pour régner’’ caché derrière ses appels aux valeurs islamiques conservatrices. Il faut expliquer que ses politiques économiques ne conduisent qu’à l’augmentation de la pauvreté (déjà massive), à la répression des droits syndicaux et au développement des inégalités.

    Il est vital de développer davantage l’organisation du mouvement. Une lacune criante, contrairement aux occupations de places en Grèce et en Espagne en 2011, est l’absence d’assemblées décisionnelles populaires de masses. Des rassemblements prennent régulièrement place, mais ceux-ci sont principalement organisés par des groupes limités et n’ont pas de pouvoir décisionnel. Les personnes qui n’appartiennent à aucune des organisations politiques – la majorité des manifestants – sont donc un peu exclus du processus de prise de décision. La création d’assemblées populaires dans les différentes villes et leur coordination démocratique au niveau du pays grâce à une conférence nationale du mouvement est désormais une question cruciale. L’auto-organisation n’est pas seulement un moyen d’organiser la résistance, cela pose également les premiers jalons vers la façon dont un gouvernement alternatif des travailleurs et des pauvres pourrait être organisé.

    Les partis et les syndicats de gauche ont un rôle primordial à jouer dans ce mouvement. Ils ont déjà subi cette répression massive et les leçons qu’ils en ont tirées doivent servir à développer des propositions concrètes et une orientation claire. Les syndicats de gauche devraient discuter de la façon de mobiliser les travailleurs et les jeunes. Les dirigeants des fédérations syndicales ont montré une grande réticence dans le soutien aux manifestations. Leurs membres sont toutefois eux aussi affectés par les politiques néolibérales et antisociales du gouvernement. Ce ne sera pas une tâche facile au vu de la nature des directions syndicales, mais c’est une question vitale pour développer la lutte et ne pas céder face à Erdogan et à l’AKP.

    Les expériences du mouvement ouvrier doivent être rassemblées au travers de la création d’un nouveau parti des travailleurs qui regroupe les différentes tendances existantes, y compris les forces impliquées dans le HDK (‘‘Congrès démocratique du peuple’’, coalition électorale de gauche). Dans un tel parti, les différents groupes pourraient défendre leurs propres points de vue, mais nous pensons que seul un programme de rupture avec la dictature des marchés – un programme socialiste – peut conduire à une réelle alternative au gouvernement actuel. Le régime a tenté de stopper le mouvement avec une proposition de référendum sur l’avenir du parc Gezi. Le mouvement a cependant depuis longtemps cessé d’être limité à cette seule question pour aborder le fait que la croissance économique ne profite qu’à une minorité, pour s’opposer au programme de privatisation, à la répression contre les travailleurs et la population kurde,…

    La police a pu reprendre la place Taksim le 11 juin. Selon Amnesty International, il y a eu un millier de blessé uniquement autour de cette date. Il y a également eu 5 morts et il est impossible de contacter 70 des centaines de manifestants arrêtés. Des avocats désireux d’offrir une assistance juridique aux manifestants ont été eux aussi arrêtés, des médecins ont été empêchés de soigner des blessés et Hayat TV, l’une des rares chaînes à avoir parlé des mobilisations anti-gouvernementales, a quasiment été fermée.

    La violence a conduit à une grève générale. Le mouvement a ensuite semblé être quelque peu en recul. Mais la Turquie n’est plus la même après ces intenses semaines de lutte. La lutte pour un meilleur avenir se poursuivra. Les syndicalistes et militants de gauche doivent continuer à suivre l’évolution de la situation en Turquie, même lorsque les médias dominants en parleront moins. Le danger de représailles de la part des autorités est énorme, en particulier contre les syndicalistes et les militants de gauche.

  • Egypte : Protestations massives pour la chute de Morsi

    Non à l’intervention des généraux, pour un gouvernement des travailleurs!

    Le premier anniversaire du règne du président égyptien Mohammed Morsi a été marqué par des manifestations dont l’ampleur a dépassé celles qui avaient conduit à la chute du dictateur Hosni Moubarak en janvier 2011. Selon des sources des ministères de la Défense et de l’Intérieur, entre 14 et 17 millions de personnes ont manifesté dans tout le pays ce dimanche 30 juin!

    David Johnson, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    22 millions de signatures ont été collectées pour une pétition (avec vérification ID) exigeant le départ de Morsi. Il s’agit de plus d’un quart de la population égyptienne, un nombre également supérieur aux 13,2 votes qu’il avait reçu au second tour des élections présidentielles qu’il avait remportées en 2012 ! De grandes foules de manifestants sont restées sur les places du Caire, d’Alexandrie et d’ailleurs toute la nuit durant tandis qu’une nouvelle journée de mobilisation a été convoquée pour le 3 juillet. Les locaux des Frères Musulmans ont aussi été attaqués et des manifestants ont été tués par des tirs à l’intérieur des bâtiments. Ces manifestations gigantesques représentent une nouvelle étape dans la révolution mais, tout comme nous avons pu le constater ces dernières années, l’absence d’un mouvement socialiste conséquent ouvre la voie à la récupération de cette situation par d’autres forces que celles défendant les intérêts des travailleurs et des pauvres.

    Les raisons de la colère ressentie contre le régime du gouvernement Morsi dominé par les Frères Musulmans sont nombreuses. Les conducteurs doivent faire des files de jusqu’à 7 heures pour enfin avoir de l’essence, de nombreuses régions connaissent des coupures de courant de plus de dix heures et la valeur de la Livre égyptienne a chuté de 20%, ce qui a fait augmenter les prix bien plus vite que le taux d’inflation officiel qui est maintenant de 8,2% sur base annuelle. Le chômage reste très grand alors que la croissance économique s’est ralentie avec la baisse du tourisme et des investissements étrangers. Le taux d’occupation des Hôtels est de 15% seulement au Caire et est même sous les 5% à Louxor. Seules les installations autour de la Mer Rouge sont réellement en activité.

    la politique de Moubarak se poursuit, mais la contestation ne fait que croître

    Toute la politique du dictateur déchu a été endossée par le gouvernement Morsi. Des hommes d’affaire accusés de corruption sous le régime de Moubarak ont été relaxés. La Business Development Association, fondée par un dirigeant des Frères Musulmans, Hassan Malek, réunit de proéminents capitalistes afin d’influencer la politique du gouvernement de la même manière que l’avait fait en son temps le fils de Moubarak, Gamal. De nombreuses personnes craignent de voir apparaître un nouvel Etat clientéliste sous la poigne des Frères Musulmans et sont profondément en colère contre les salaires des membres des Frères Musulmans occupant des postes publics (gouverneurs,…) ou aux postes dirigeants de la Fédération syndicale égyptienne. Des journalistes ont été physiquement attaqués pour avoir couvert des manifestations de protestation et certains d’entre eux – connus pour leurs critiques à l’encontre des Frères Musulmans – ont perdu leur emploi dans les médias publics. Des comédiens ont aussi été arrêtés pour avoir ‘‘insulté le président’’. Même les chanteurs et musiciens de l’Opéra du Caire sont entrés en grève en solidarité avec leur directeur après qu’il ait été renvoyé par le Ministre de la Culture en mai.

    Selon les données de L’International Development Centre (IDC), les protestations avaient atteint ces derniers temps un niveau continuellement élevé. Au cours de la dernière année du règne de Moubarak, la moyenne était de 176 actions de protestation par mois alors que la moyenne actuelle pour 2013 est de… 1.140 par mois ! Au total, il y a eu 9.427 actions de protestation Durant la première année du mandat présidentiel de Morsi. La moitié de ces actions étaient des protestations ouvrières, avec notamment 1013 grèves et 811 sit-in. Il y a eu 500 manifestations et 150 blocages routiers.

    Ceux qui espéraient que la chute de Moubarak allait marquer l’ouverture d’une ère de droits démocratiques en ont été pour leurs frais. Le régime de Morsi a adopté des mesures très répressives. Les travailleurs ne reçoivent pas un traitement identique à celui des hommes d’affaires qui se sont enrichis sous Moubarak… Ainsi, le Ministre de l’Aviation a encore récemment renvoyé quinze travailleurs de l’aéroport du Caire après que ces derniers aient pris part à une grève. Cinq dockers de la société Alexandria Port Containers ont été condamnés à trois ans de prison pour avoir dirigé une grève en octobre 2011. Ils sont toutefois parvenus à faire annuler cette décision en appel. Le 26 juin, Morsi avait annoncé l’adoption de nouvelles mesures destinées à faire face à la ‘‘brutalité’’ et au ‘‘terrorisme’’, notamment contre les barrages routiers. Il s’agissait là d’une menace à peine voilée contre les travailleurs entrant en action pour défendre leur niveau de vie.

    Les manifestations du 30 juin

    Un nouveau groupe, Tamarod (Rebelle), a été lancé en avril derniers par d’anciens membres de Kefaya, le groupe qui avait organisé des manifestations pour les droits démocratiques sous Moubarak. L’objectif que s’était fixé le nouveau collectif était de parvenir à réunir 15 millions de signatures sur une pétition réclamant la démission de Morsi, un objectif dépassé. Cette pétition est principalement axée sur les questions brûlantes des droits démocratiques et de la situation sociale et économique. Le texte déclare notamment qu’il n’existe aucune justice pour les victimes des forces de sécurité décédées au cours du soulèvement anti-Moubarak, que les ‘‘pauvres n’ont pas de place dans la société’’, que l’économie s’est ‘‘effondrée’’ à tel point que le gouvernement est obligé d’aller ‘‘mendier’’ auprès du FMI et que le régime de Morsi est condamné pour avoir ‘‘suivi les traces des Etats-Unis’’. En quelques semaines, cette campagne de pétition a rassemblé 6.000 volontaires et plus de 100.000 fans sur Facebook. Beaucoup de mouvements politiques d’opposition ont soutenu cette campagne, dont le Mouvement de la Jeunesse du 6 Avril, le Parti de la Constitution libéral, le Parti de l’Alliance Populaire Socialiste et le Parti Egypte Forte, fondé par l’ancienne figure de proue des Frères Musulmans Abdel-Moneim Aboul-Fotouh, qui s’était opposé à Morsi à l’occasion des élections présidentielles.

    Leur but est ‘‘d’éviter de reproduire les erreurs de la période écoulée et de poursuivre sur la voie de la révolution du 25 janvier’’, selon le co-fondateur de Tamarod, Mohamed Abdel Aziz. Les organisateurs avaient aussi déclaré avant le 30 juin qu’il ‘‘n’y aura pas de drapeaux ou de banderoles aux manifestations à l’exception de drapeaux égyptiens, de photos de martyrs, à commencer par les martyrs de la révolution du 25 janvier.’’

    Il faut un parti de masse des travailleurs

    Cette approche antiparti est à considérer comme une réflexion des déceptions éprouvées face aux dizaines de partis qui ont émergé après la chute de Moubarak. La plupart de ceux-ci se sont limités à plaider pour l’instauration d’une sorte de démocratie capitaliste tout en laissant les véritables maîtres de l’Égypte en place – les capitalistes et les généraux. L’enthousiasme des dirigeants de ces partis pour l’obtention de postes grassement rémunérés n’a pas inspiré de confiance aux travailleurs et aux pauvres.

    D’autre part, certains à gauche (comme les Revolutionnary Socialists) ont semé la confusion en soutenant en juin 2012 la candidature de Morsi contre celle d’Ahmed Shafiq, qui représentant l’aile pro-Moubarak. L’élément le plus crucial dans la situation actuelle est le développement de l’action et de l’organisation indépendantes de la classe des travailleurs et des pauvres. Ces derniers ont besoin de disposer de leur propre parti de masse pour défendre leurs intérêts et leurs droits démocratiques.

    Tamarod appelle Morsi à démissionner pour être remplacé par un Premier ministre indépendant pour une durée de six mois qui ‘‘dirigerait un gouvernement technocratique dont la mission principale serait de mettre sur pied un plan économique d’urgence afin de sauver l’économie égyptienne et de développer des politiques de justice sociale.’’ Mais ‘‘sauver l’économie (capitaliste) égyptienne’’ signifie très clairement de lancer plus d’attaques contre les travailleurs et les pauvres avec la suppression des subsides à l’alimentation et de nouvelles privatisations destinées à satisfaire le Fonds Monétaire International. Tout cela est à l’opposé des revendications qui avaient émergé en janvier 2011 et qui étaient basées sur le pain, la liberté et la justice sociale.

    Ce dont les travailleurs et les pauvres ont besoin, c’est d’un salaire minimum décent, d’une semaine de travail plus courte (sans perte de salaire et avec embauches compensatoires), d’un logement abordable et de qualité, d’un enseignement gratuit et de qualité, d’un programme de construction d’hôpitaux et d’autres infrastructures, de transports en commun gratuits,… Tout cela créerait une masse d’emplois. Ces revendications socialistes combinées à un programme de défense des droits démocratiques pourraient obtenir un soutien massif pour autant qu’elles soient défendues par un parti des travailleurs construits avec et autour des syndicalistes combatifs.

    Sans un tel programme, les dirigeants des Frères Musulmans pourront continuer à s’appuyer sur la couche conservatrice qui existe au sein des masses pauvres, surtout dans les campagnes. Tout comme Erdogan en Turquie a réussi à mobiliser un nombre important de partisans, de grandes manifestations ont eu lieu en soutien à Morsi, avec environ 100.000 personnes au Caire le 21 juin. Peu de rapports font par contre état de mobilisations en sa faveur le dimanche 30 juin. Seul un programme clairement socialiste défendant unilatéralement les intérêts des travailleurs et des pauvres tout en exposant au grand jour les intérêts capitalistes de certains dirigeants de premier plan des Frères Musulmans pourrait diviser la base de soutien du Président Morsi.

    Un coup d’Etat militaire ?

    Le général Abdul Fattah Al-Sisi, commandant en chef des forces armées et ministre de la Défense a déclaré le 23 juin que l’armée pourrait intervenir afin de prévenir le pays de sombrer dans le ‘‘sombre tunnel de la criminalité, de la trahison, des luttes sectaires et de l’effondrement des institutions d’Etat.”

    Ce que les généraux et toute la classe dirigeante craignent le plus, c’est l’action de masse indépendante de la classe ouvrière et de la jeunesse, ce qui pourrait menacer leurs intérêts. En outre, des éléments liés à l’ancien régime de Moubarak cherchent à défendre leurs intérêts propres, de même que l’impérialisme américain. Les généraux ne semblent toutefois pas encore confiants de suivre la voie d’une répression militaire directe. Pour le moment, ils tentent encore de se présenter comme des ‘‘arbitres’’ qui veulent forger un gouvernement ‘‘d’unité nationale’’.

    Certains dirigeants de Tamarod suggèrent qu’ils soutiendraient l’armée si elle voulait reprendre le pouvoir en main. Il s’agit d’une position très dangereuse, illustrée notamment par les propos tenus par Mahmoud Badr, un porte-parole de Tamarod, qui a salué la déclaration des chefs militaires en ce sens. De même, la foule réunie place Tahrir aurait applaudi en entendant ces nouvelles, en scandant ‘‘L’armée et le peuple sont main dans la main.’’

    Il semble possible que, dans les coulisses, le gouvernement américain ait changé son fusil d’épaule et décidé de plutôt considérer l’armée comme le meilleur moyen de stabiliser le pays et son économie capitaliste. Dix ministres du gouvernement ont démissionné le 1er juillet, suggérant que Morsi pourrait rester plus longtemps. Ce dernier tente d’éloigner les critiques des Frères Musulmans et accuse ses ‘‘anciens collaborateurs’’ du régime déchu de Moubarak. Le 2 juillet, il a rejeté les conditions de l’armée.

    A ce stade, la plupart des officiers supérieurs ne veulent pas prendre la responsabilité directe du gouvernement. Cependant, sans aucun doute, certains militaires et membres des forces de sécurité aspirent à reprendre le pouvoir qu’ils ont exercé pendant si longtemps sous le règne de Moubarak. Les forces armées contrôlent des pans entiers de l’économie, des officiers supérieurs ont réussi à faire fortune grâce à ce contrôle. Ils désirent disposer de la stabilité économique et politique tout autant que d’autres hommes d’affaires capitalistes afin de poursuivre à amasser de l’argent.

    Il y a dix-huit mois encore, le gouvernement militaire tirait sur les manifestants au Caire. Tout gouvernement – islamique ou laïc, civil ou militaire – basé sur la défense du système capitaliste va s’en prendre aux intérêts de la majorité des Egyptiens.

    La menace sectaire

    L’absence d’un programme capable de répondre aux besoins quotidiens des masses de la part de Tamarod ou de tout autre parti majeur laisse un vide dangereux dans lequel le poison du sectarisme pourrait exploser.

    Les chrétiens coptes se sont sentis menacés par le programme d’islamisation des Frères Musulmans et par les attaques contre des églises. Morsi et les Frères Musulmans se sont alignés sur l’Arabie saoudite réactionnaire et sur les cheikhs du Golfe et soutiennent l’opposition sunnite au régime d’Assad en Syrie. Mais il y a trois millions de musulmans chiites en Egypte. Des extrémistes religieux salafistes s’en sont pris aux chiites, un parlementaire déclarant qu’ils étaient ‘‘plus dangereux que des femmes nues’’ et constituaient une menace pour la sécurité nationale. Dans cette atmosphère sectaire, une foule de 3000 personnes a attaqué des maisons de chiites dans le village de Zawyat Abu Musulam le 23 juin. Quatre hommes avaient été traînés hors de leurs maisons pour être tués.

    Pour un gouvernement des travailleurs et une démocratie socialiste

    Les véritables socialistes et les syndicalistes peuvent construire des mouvements qui permettraient de surmonter les divisions sectaires avec un programme de solidarité de classe contre l’ennemi commun capitaliste, qu’il soit impérialiste ou égyptien.

    Les luttes de masse initiées par le début de la révolution en 2011 sont toujours en cours. De nombreux syndicats indépendants ont surgi dans tout le pays. Morsi a lui-même attiré l’attention sur les 4.900 grèves enregistrées au cours de ces 12 derniers mois. Une grève générale peut réunir tous les opprimés de la société et jouir d’un grand soutien de la part de la classe moyenne. Mais une grève générale ne doit pas servir à renverser un dictateur pour qu’il soit remplacé par un autre, qu’il soit général, homme d’affaires ou politicien capitaliste.

    Des comités de grève élus démocratiquement et des comités d’action de masse doivent être construits dans chaque grande entreprise et chaque collectivité locale pour discuter de l’élaboration d’un programme et d’un plan d’action orienté vers le renversement révolutionnaire du régime. Ils pourraient être reliés aux niveaux local et national, posant ainsi les bases d’un gouvernement de représentants des travailleurs et des pauvres.

    Un appel lancé aux travailleurs de la région pour prendre des mesures similaires contre la pauvreté, le sectarisme et la répression pourrait bénéficier d’un très large écho et aider à construire un mouvement pour le socialisme dans tout le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

  • A propos du parti – Nouvelles du PSL

    Cette rubrique de socialisme.be vous propose des nouvelles de notre parti, de ses activités et initiatives,… Cette rubrique comprend donc divers courts rapports d’actions, des brèves de campagne, des appels pour des conférences, des rapports de réunion, ou encore de petits textes de nouveaux membres qui expliquent pourquoi ils ont rejoint notre parti.


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    A noter dans votre agenda

    • Jeu. 2 juillet. Anvers. Assemblée générale des membres du PSL avec propositions de campagne pour l’été.
    • 4-7 juillet. Camp des Etudiants de Gauche Actifs.
    • 22-26 juillet. Ecole d’été du CIO
    • 26 juillet – 4 Août. Grèce. Camp d’été antifasciste de YRE (Youth Against Racism) et Zone Antinazie
    • Juillet et août : Programme de formation marxiste des districts Hainaut-Namur et Liège-Luxembourg du PSL
    • 26 octobre. Manifestation nationale contre les SAC

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    Protestations syndicales

    Lundi dernier, diverses manifestations ont pris place à Bruxelles dans le cadre d’une journée d’action et de grève des travailleurs du secteur public et d’une mobilisation contre le traité européen d’austérité (le TSCG). Des militants du PSL étaient bien entendu présent, dans le cadre de leur délégation syndicale ou pour diffuser notre matériel politique. Au final, nous avons vendu 38 exemplaire de notre mensuel Lutte Socialiste et fait un abonnement. Nico (de Liège) a été le meilleur vendeur (9 journaux), suivi de près par deux autres camarades liégeois, Tibaud et Robin, qui ont chacun diffusé 8 exemplaires.


    L’été sur socialisme.be

    Dès ce lundi, socialisme.be adoptera son rythme estival. Concrètement, cela signifie que le nombre de publications diminuera sensiblement. Cette rubrique des nouvelles du parti du dimanche paraîtra aussi moins régulièrement.


    Edition d’été de Lutte Socialiste

    Dans cette édition d’été de Lutte Socialiste, l’accent est bien entendu particulièrement mis sur nos campagnes jeunes, et plus particulièrement concernant les Sanctions Administratives Communales (SAC). Plus largement, partout dans le monde, nous voyons se développer les instruments de répression contre toute forme d’organisation de la résistance. Les exemples de la répression très brutale des mobilisations de masse en Turquie et au Brésil, que nous parcourrons aussi dans nos pages d’été, en sont à ce titre très révélateurs de l’état actuel de nos "démocraties" bourgeoises. Le dossier central du journal aborde d’ailleurs plus en profondeur le rôle de l’Etat et de la répression dans la société capitaliste.

    D’autres thèmes sont encore abordés, comme l’antifascisme (en page 15), l’antisexisme (en page 7) et nous revenons aussi sur les mobilisations contre Monsanto (en page 14).

    Dans nos pages politiques, vous pourrez trouver un rapport d’un débat organsié à Bruxelles dans le cadre de l’appel de la FGTB de Charleroi & Sud-Hainaut concernant la nécessité de construire une alternative anticapitaliste à la gauche du PS et d’Ecolo. Il s’agit aussi d’une manière de revenir sur la letre ouverte à la gauche que nous avons publiée le mois dernier. Une certaine attention est également consacrée à l’impact de la politique d’austérité au niveau communal. L’exemple d’Anvers (en page 2) est plus particulièrement abordé, mais comme nous le montrons avec l’exemple de Charleroi (en page 6), l’austérité et la politique antisociale ne sont pas réservées aux villes gérées par la N-VA. Avec le PS, on reste dans une approche qui criminalise les pauvres au lieu de s’en prendre à la pauvreté.

    Sur le plan syndical, vous trouverez un article qui aborde la question suivante : la lutte de classe existe-t-elle toujours aujourd’hui? D’autres thèmes plus spécifiques sont aussi abordés, concernant ArcelorMittal et les transports en commun.

    Aperçu du contenu :

    1. L’austérité, ça ne marche pas
    2. “Les suites de l’appel de la FGTB de Charleroi afin de construire un rassemblement de gauche en Belgique !” || L’austérité frappe les communes et les villes
    3. EDITO : Comment stopper les requins capitalistes ? || Après les aveux, changement de cap au FMI ? Hum hum…
    4. La lutte de classe existe toujours… mais comment la remporter ?
    5. ArcelorMittal : Tout ce qu’il y a à gagner, nous l’arracherons par la lutte – Aucune confiance envers les politiciens du capital ! || Pas de Fyra, mais un transport en commun gratuit et de qualité !
    6. Charleroi, exemple d’une politique socialiste ? || Turnhout : Protégeons notre maison des jeunes
    7. Tous unis contre le sexisme
    8. La crise du capitalisme entraîne une augmentation de la violence d’Etat
    9. Participe à la campagne ‘‘Stop SAC’’ !
    10. Turquie : Soulèvement massif contre le régime autoritaire
    11. Brésil : Les manifestations les plus massives depuis 1992 ! || Grèce : Soulèvement populaire en défense de la télévision publique, nouvelle victime de l’austérité
    12. Retirons notre sport des mains des requins capitalistes !
    13. Nouvelles du parti
    14. Agro-business. La faim comme arme du capital || Rendez-nous nos festivals!
    15. Montée des violences d’extrême-droite : pour une réponse sociale et socialiste || Grèce : Organisation de comités antifascistes contre le danger de la bête immonde
    16. STOP à la répression et aux SAC – STOP au racisme et au fascisme – STOP au capitalisme – LUTTONS ENSEMBLE POUR LE SOCIALISME !
  • [DOSSIER] Turquie : Une ‘‘violence guerrière’’ pour écraser le mouvement – Leçons d’une lutte de masse

    ‘‘Violence guerrière’’, c’est ainsi que le comité ‘‘Solidarité Taksim’’, qui coordonne 127 groupes en opposition au Premier Ministre Erdogan, a décrit les actes de la police qui a pris d’assaut et nettoyé le Parc Gezi, près de la Place Taksim à Istanbul. Mais les nouvelles couches de travailleurs, de jeunes et de pauvres qui sont entrées en scène se sont promises : ‘‘ce n’est qu’un début, continuons le combat’’

    Kai Stein, CIO

    "Sur la place, un concert d’un artiste renommé était donné, avec des centaines de personnes et de familles, dans une ambiance festive. Tout à coup, la police est arrivée de toutes parts avec des canons à eau et du gaz lacrymogène’’, a raconté Martin Powell-Davis, un membre de l’exécutif du syndicat des enseignants britannique (NUT) et également du Socialist Party (section du CIO en Angleterre et au Pays de Galles et parti-frère du PSL). Il faisait partie d’une délégation de syndicalistes qui s’était rendue au Parc Gezi en solidarité. Des milliers de personnes s’étaient pacifiquement réunies dans le coeur de la ville après plus de deux semaines de manifestations.

    La police, venue de tout le pays par bus, a violemment mis fin à l’occupation pacifique qui avait commencé le 31 mai dernier. Ils ont fait usage de balles en caoutchouc, de grenades assourdissantes et de gaz lacrymogènes ; ils ont même mené des attaques dans les hôtels autour de la Place Taksim qui étaient utilisés comme hôpitaux d’urgence et comme refuges. Erdogan s’est vanté plus tard d’avoir donné l’ordre d’attaquer.

    Ce mouvement de protestation de masse avait commencé en s’opposant à un projet immobilier qui nécessitait d’abattre les arbres d’un parc pour faire place à un centre commercial et à des baraquements militaires de style ottoman. La répression qui s’est abattue sur le mouvement avait déclenché un soulèvement de centaines de milliers de personnes à travers toute la Turquie. Des manifestations ont eu lieu tous les jours, avec des occupations de places et des actions locales. Les 4 et 5 juin, le KESK, la fédération syndicale du secteur public, avait appelé à une grève du secteur public contre la violence policière. Le 16 juin, une grève avait encore été lancée contre la brutalité policière pour vider l’occupation principale à Istanbul, cette fois également soutenue par le DSIK (la fédération syndicale de gauche, qui compte plus de 300.000 membres et est l’une des 4 principales fédérations), mais aussi par bon nombre de groupes professionnels représentant les médecins, les ingénieurs et les dentistes.

    Plus de deux semaines durant, la police anti-émeute a essayé de réduire les manifestants au silence. Le 15 juin, l’association des médecins turcs a rapporté que 5 personnes avaient été tuées, 7.478 blessées, dont 4 gravement ; dix personnes avaient perdu un oeil, touchées par les grenades lacrymogènes de la police.

    Le mouvement est sur le déclin

    Cependant, malgré la forte répression et les arrestations, la résistance est toujours présente. Les gens arrivent sur les places en manifestations silencieuses. Cela illustre la forte détermination des militants et le dégoût de la violence d’État.

    Ces nouvelles brutalités peuvent redonner un nouveau souffle aux manifestations. Il est très probable qu’une nouvelle période de l’histoire sociale du pays s’ouvre sur base des conclusions à tirer du mouvement. Sosyalist Alternatif (la section du CIO en Turquie) appelle les partis et les organisations de gauche et les syndicats de gauche à organiser des débats et des discussions au sujet des forces et des faiblesses du mouvement de contestation. Cela pourrait s’effectuer à l’aide d’un congrès national organisé à Istanbul et destiné à rassembler tous les militants pour construire un mouvement socialiste capable d’offrir une alternative basée sur les intérêts des travailleurs et des pauvres au régime autoritaire d’Erdogan.

    Une nouvelle génération entre en scène

    Ces 3 semaines de manifestations ont illustré l’ampleur des modifications qui se sont produites en Turquie au cours de cette dernière décennie. La croissance économique qui a suivi l’effondrement de l’économie turque en 2001 a permis à Erdogan de renforcer son soutien et de rester au pouvoir pendant plus de dix ans ; mais il a aussi créé une nouvelle génération de travailleurs et de jeunes insatisfaits de leur vie faite d’emplois précaires, de bas salaires et de chômage. D’autre part, une nouvelle couche de la classe moyenne et de la classe des travailleurs comprend son rôle dans la société et n’accepte pas le paternalisme de cet État qui cherche à imposer ses règles jusqu’à la consommation d’alcool ou la tenue vestimentaire. Erdogan voudrait que chaque couple ait 3 enfants, ce qui a été accueilli avec un cynisme total : ‘‘Tu veux vraiment plus d’enfants comme nous ?’’ a ainsi répondu dans la presse un jeune manifestant parmi des centaines de milliers d’autres. Les femmes de la classe des travailleurs et de la classe moyenne ont également gagné en assurance. Elles n’acceptent pas les attaques d’Erdogan et du gouvernement contre le droit à l’avortement, leur interférence dans la politique familiale et les diverses obligations vestimentaires.

    Alors que les principales places étaient occupées, des batailles plus dures avaient lieu entre la police et des travailleurs – jour après jour – dans les quartiers les plus pauvres d’Istanbul, d’Ankara et de nombreuses autres villes. Bien peu d’attention médiatique y a été accordée.

    Erdogan a tenté d’accuser les manifestations d’être manipulés et téléguidés par des puissances étrangères et leurs médias (le ‘‘grand jeu’’ des ‘‘forces extérieures’’ comme il l’a dit) et des partis d’oppositions, surtout du CHP (le Parti Républicain du Peuple, kémaliste). Le régime cherche des boucs émissaires. Les déclarations d’Erdogan laissent peu de doutes sur son incompréhension totale des changements fondamentaux qui ont lieu dans la société turque.

    Pendant des décennies, la politique turque a semblé n’être que le résultat de l’affrontement de deux ailes de la classe dominante. D’un côté se trouvent les kémalistes, l’aile de la classe dominante d’idéologie laïque, très enracinée en ce moment dans la bureaucratie d’État, la justice et l’armée. Ils portent la responsabilité du coup d’État militaire de 1980 qui a littéralement écrasé la gauche. De l’autre côté se trouvent les forces islamiques soi-disant modérées autour de l’AKP d’Erdogan qui, depuis plus de 10 ans, repousse les kémalistes dans leurs retranchements. Ils ont ainsi réussi à purger la direction militaire autrefois puissante et à construire leurs propres réseaux.

    Une grande partie des manifestants ont utilisé des symboles kémalistes pour montrer leur colère, comme des drapeaux turcs et des portraits de Kemal Atatürk. Cependant, ce n’est pas par hasard si aucun des partis kamélistes n’a osé prendre la direction des manifestations. Le dirigeant du CHP, Kilicdaroglu, a appelé au calme de la même manière que le président islamiste Gül. Le parti fasciste MHP, lui aussi kaméliste, a dénoncé le mouvement de protestation en déclarant qu’il était dominé par la gauche radicale. Certains groupes, comme l’organisation de jeunesse de droite TGB, ont essayé d’intervenir, mais avec très peu de résultats.

    Mais beaucoup de gens, pour la toute première fois, se sont retrouvés à porter le drapeau turc ou la bannière de Kemal Atatürk avec à leurs côtés, à leur grande surprise, des drapeaux et symboles kurdes. Ils se sont battus ensemble, côte-à-côte. Ce sentiment extrêmement fort d’unité contre le régime a aussi été exprimé par le fait que les fans des trois clubs de foot d’Istanbul (Besiktas, Galatasaray et Fenerbahce) avaient enterré la hache de guerre pour soutenir ensemble le mouvement.

    Selon un sondage de l’université de Bilgi, 40% des manifestants avaient entre 19 et 25 ans, près de deux tiers ayant moins de 30 ans. Plus de la moitié des gens manifestaient pour la première fois, et 70% ont déclaré qu’ils ne se sentaient proches d’aucun parti politique. Cette nouvelle génération de jeunes a eu un premier avant-goût de l’État turc et de sa brutalité. Le mouvement a réuni des couches totalement différentes de la population, unies par le sentiment que ‘‘trop, c’est trop’’. Des écologistes ont initié la bataille, ensuite sont arrivés des travailleurs du secteur public menacés de privatisations, de pertes d’emplois et de diminutions de salaires. Les jeunes, aliénés par le paternalisme oppressant du gouvernement, a envahi les places. Les femmes sont descendues en rue contre les effets des multiples attaques contre leurs droits. Les Kurdes revendiquaient de leur côté un changement réel, car malgré les pourparlers officieux entre les gouvernements et le PKK (Parti des Travailleurs Kurdes), 8000 journalistes, politiciens et militants sont toujours emprisonnés. Tous se sont retrouvés sous le slogan ‘‘Tayyip istifa’’ – ‘‘Erdogan, dégage’’ qui a dominé les rues dès le début de la vague de manifestation qui a déferlé sur le pays. On a beau pu trouver des symboles réactionnaires dans les manifestations, les aspirations des gens vont bien plus loin que ce que les politiciens capitalistes kémalistes corrompus du CHP ont à proposer.

    La dynamique du mouvement

    Le vendredi 31 mai, la violence policière a transformé une manifestation écologique en soulèvement. Des manifestations spontanées ont eu lieu dans tout le pays. Chaque soir, les gens martelaient leurs casseroles et leurs poêles dans les quartiers ouvriers et les banlieues. Pendant le premier weekend, 67 villes ont connu des manifestations. Le dimanche 1er juin, la police s’est retirée de la place Taksim. Un sentiment d’euphorie s’est répandu dans le mouvement ; les gens disaient que le mouvement avait gagné. Une atmosphère festive prévalait dans les grandes places occupées, et pas seulement à Istanbul.

    Alors que la vitesse à laquelle les manifestations se sont répandues dans tout le pays et la volonté de prendre les rues chaque jour malgré la violence policière et les gaz lacrymogènes étaient enthousiasmantes, les manifestations étaient très peu coordonnées. Des comités d’action ont bien été mis sur pied, mais ils se concentraient surtout sur des questions pratiques : comment organiser les premiers secours, les soins aux blessés, la distribution de nourriture, installer les tentes, etc. Ces comités ont été développés par des groupes de gauche, mais n’ont pas donné moyen d’inclure la majorité des occupants des places et des manifestants dans les débats et les prises de décision.

    Malheureusement, nous n’avons pas vu d’assemblées du même type que celles qui ont caractérisé la contestation en Espagne ou en Grèce en 2011. Des critiques peuvent être faites sur certaines faiblesses mais, sur les places occupées par les Indignés grecs ou espagnols, les discussions collectives étaient quotidiennes, en petit groupe ou en assemblées massives, et chacun pouvait exprimer son opinion. Cela permettait le développement d’un véritable débat qui, malgré certaines faiblesses, permettait au mouvement de tirer des conclusions concernant les revendications et la stratégie requise pour la lutte.

    Sosyalist Alternatif (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Turquie) soutenait la nécessité de telles assemblées sur les places, dans les lieux de travail et les quartiers, villes et villages, afin de constituer des comités de représentants démocratiquement élus, révocables à tous niveaux et à tout instant. L’absence de cette direction élue et contrôlée par la base capable de coordonner la lutte dans les différentes villes et entre elles faisait justement défaut en Grèce et en Espagne.

    Sans de telles structures, le mouvement – qui s’était rapidement étendu aux 88 provinces du pays et à toutes les principales villes – a stagné et n’a pas été capable de développer une stratégie pour aller de l’avant. C’est pourquoi la stratégie d’Erdogan – avoir le mouvement à l’usure – a marché. Le mouvement s’est épuisé dans les combat quotidiens avec la police.

    Grève générale

    Les deux jours de grève de la fédération syndicale du secteur public, le KESK, les 4 et 5 juin, ont constitué une étape importante pour amener la lutte à un niveau supérieur. La classe des travailleurs organisée est potentiellement le plus grand pouvoir présent dans la société, en Turquie et ailleurs. Le KESK a appelé les autres syndicats à utiliser ce pouvoir et à rejoindre la grève. Seul le DISK, le syndicat le plus à gauche, a suivi, mais il a aussi limité son appel à quelques heures de participation symbolique à la lutte du KESK le 5 juin.

    Les syndicats ont ensuite fort peu tenté d’organiser, de coordonner et de développer la lutte. Le KESK a seulement appelé à une nouvelle grève générale le 17 juin, quand le mouvement avait déjà subi de graves revers.

    Seuls, le KESK et le DISK n’étaient pas en position d’annoncer une grève générale. Cependant, ils auraient pu offrir plus de direction de coordination au mouvement. Ils auraient pu commencer par lancer une série de grève avec leurs associés pour mettre pression sur les autres syndicats afin qu’ils rejoignent le mouvement et aident à offrir une véritable stratégie pour forcer Erdogan à se retirer. Malheureusement, cela n’a pas été le cas.

    Erdogan dégage!

    Le sixième jour de bataille contre la police, le mercredi 5 juin, ‘‘Solidarité Taksim’’ a annoncé 5 revendications principales. Cette coalition de 127 groupes basée sur la place Taksim est devenue de facto la direction du mouvement. Eyup Muhcu, le président de la chambre des architectes de Turquie, était le porte-parole de cette coupole qui, officiellement, n’avait pas de leader. Leur effort s’est concentré sur la limitation des revendications à l’arrêt de la destruction du Parc Gezi, à la condamnation des responsables de la répression policière, à l’interdiction des gaz lacrymogènes, et à la relaxe des manifestants emprisonnés.

    Pour importantes qu’elles soient, ces revendications n’étaient pas celles qui avaient su unifier le mouvement les jours précédents. ‘‘Tyyip istifa’’ (‘‘Erdogan, dégage’’), était le principal slogan scandé et il était ouvertement dirigé contre le gouvernement AKP, ses politiques et son idéologie.

    En présentant les 5 revendications comme le dénominateur commun des manifestants, la direction de cette coupole déclarait que cela était de nature à unifier le mouvement. Cependant, la direction des manifestations a échoué à montrer une perspective de mobilisation apte à faire tomber le gouvernement AKP. ‘‘Le Parc Gezi et la défense du mouvement contre la police sont des éléments importants – mais valent-ils le coup de se faire tabasser jour après jour ?’’ se sont demandés les travailleurs et les jeunes.

    En réduisant les objectifs du mouvement à ces 5 revendications, ‘‘Solidarité Taksim’’ a politiquement battu en retraite au moment où le mouvement prenait de l’élan, où la grève du KESK était encore en cours et où une recherche désespérée de stratégie avait commencé. Il s’agit d’un un tournant décisif.

    Cela a permis à Erdogan (par exemple dans les négociations avec ‘‘Solidarité Taksim’’ le 13 juin) de tout ramener aux questions environnementales liées au Parc Gezi ou à une partie de la police ayant été trop loin. Il a donc été capable de minimiser les autres questions sociales afin de diviser utilisé le mouvement entre les ‘‘bons écologistes’’ et les ‘‘terroristes’’ qui défendaient des revendications sociales plus offensives.

    Abaisser le niveau des revendications n’a pas non plus apaisé le gouvernement. La retraite du mouvement de contestation n’a fait qu’encourager l’élite dirigeante à réprimer plus encore. L’agence de presse Reuters a cité (le 15 juin) Koray Caliskan, un politologue de l’université de Bosphore, après que la Place Taksim ait déjà été vidée : ‘‘c’est incroyable. Ils avaient déjà enlevé toutes les bannières politiques et en étaient réduits à une présence symbolique sur le parc.’’ C’était le moment propice pour qu’Erdogan parte à l’offensive et nettoie le Parc Gezi de toutes ses forces.

    Le soutien d’Erdogan

    Était-il nécessaire de laisser tomber les revendications orientées vers la chute d’Erdogan étant donné qu’il disposait – et dispose encore – d’un énorme soutien, ce qu’il a illustré en rappelant que 50% des électeurs avaient voté pour lui ?

    Dans le cadre de cette épreuve de force, Erdogan a mobilisé des dizaines de milliers de personnes pour le soutenir lors d’une manifestation à Ankara le dimanche 15 juin. Le 16 juin, les manifestants ont été bloqués sur une autoroute menant à Istanbul, la police a encerclé la Place Taksim et des batailles violentes ont à nouveau opposé des dizaines de milliers de personnes à la police. En même temps, des bus mis à disposition par la municipalité d’Istanbul et l’AKP transportaient des gens à un rassemblement en faveur d’Erdogan. Plus de 200.000 de ses partisans sont venus écouter son discours pendant des heures.

    L’AKP a pu se construire un soutien sur base du rejet des anciens partis et des militaires et face à la menace constante d’un nouveau coup d’État. Les gens en avaient assez de la répression de la vieille élite kémaliste, et se sont tournés à ce moment vers Erdogan, étant donné que lui-même était considéré comme une des victimes de ces cercles réactionnaires. Mais cela n’a été possible qu’à cause de l’absence d’une force organisée et massive de la classe des travailleurs. Erdogan a un soutien et, après 10 ans de croissance économique, peut puiser dans ses réserves sociales relatives, même si la croissance économique a considérablement ralenti cette dernière année. Cependant, son succès électoral repose surtout sur la soumission forcée des médias, sur la répression et sur l’absence de toute opposition crédible et indépendante de l’establishment capitaliste.

    Le seuil électoral de 10% en Turquie – à l’origine destiné à empêcher l’entrée au parlement des partis pro-Kurdes, des partis islamistes et des scissions des anciens partis de droite kémalistes – est maintenant utilisé contre le développement de nouvelles forces. La vieille opposition est considérée comme corrompue et liée au vieux système électoral qui s’est effondré avec l’économie en 2001.

    Quand les manifestations ont commencé, les chaînes de télé turques diffusaient des émissions de cuisine, des documentaires historiques ou (dans le fameux cas de CNN Turquie) des documentaires sur les pingouins. Les quatre chaînes qui ont osé parler du mouvement sont maintenant menacées de lourdes amendes. Les autorités ont même essayé de fermer la chaîne de gauche Hayat TV. La Turquie comprend plus de journalistes emprisonnés que la Chine et l’Iran réunis ! Les droits syndicaux et les droits des travailleurs sont systématiquement violés.

    Étant donné la répression autoritaire et massive de tout mouvement de contestation, il y a toutes les raisons d’appeler à la fin de ce gouvernement et de refuser de reconnaître sa légitimité.

    Quelle alternative à Erdogan?

    Poser la question de la chute d’Erdogan et de son régime pose inévitablement celle de l’alternative à lui opposer. Les manifestants ne voulaient pas d’un retour aux affaires du CHP kémaliste. Quel pouvait donc être le résultat de la revendication de la chute d’Erdogan?

    Des comités locaux, régionaux et nationaux issus du mouvement auraient pu poser les bases d’un développement de la lutte sur ce terrain. De tels corps auraient pu constituer la base sur laquelle se serait organisé et reposé un réel gouvernement des travailleurs, des jeunes et des pauvres. D’un autre côté, il est certain que ces comités ont besoin d’une force politique qui puisse proposer cette stratégie et lutter pour qu’elle conduise à la victoire. La question clé est de construire un parti de masse de la classe des travailleurs armé d’un programme anticapitaliste socialiste.

    Le HDK/HDP (Congrès Démocratique des Peuples / Parti Démocratique des Peuples) est un pas prometteur dans cette direction. Il s’est développé à partir d’une alliance électorale des forces de gauche autour du BDP, le principal parti de gauche pro-kurde. Les organisations et partis de gauche ont besoin de s’unir aux syndicats de gauche et aux syndicalistes combatifs en intégrant de nouveaux militants et travailleurs pour développer un tel parti de classe.

    Contester Erdogan et le système sur lequel il repose

    La tâche du mouvement des travailleurs et de la gauche est aussi d’offrir une alternative politique claire à ceux qui soutiennent encore Erdogan afin de les détacher de lui.

    Le gouvernement a imposé des politiques néolibérales et profondément antisociales même quand l’économie était encore en pleine croissance. Tout en améliorant les conditions de vie du peuple à certains égards, les politiques d’Erdogan ont aussi fortement augmenté les inégalités. Son gouvernement a adopté une politique de privatisations et d’attaques contre les droits des travailleurs, en envoyant notamment systématiquement la police contre les travailleurs en grève. Seules les couches de la classe capitaliste proches de l’AKP ont été vraiment capables de profiter de la situation.

    L’AKP a tenté de s’attirer un soutien en se présentant comme le défenseur des valeurs islamiques, en s’opposant par exemple à l’alcool ou aux baisers en public et favorisant la construction d’une mosquée Place Taksim. Tout cela était destiné à détourner l’attention des questions économiques et sociales. Erdogan a voulu défendre sa position en s’appuyant sur les couches les plus conservatrices et religieuses de la société. Mais ces dernières sont elles aussi affectées par les attaques antisociales d’Erdogan.

    Le mouvement doit rejeter toute tentative d’ingérence de l’État dans les vies personnelles du peuple. En même temps, il doit mettre fin aux tentatives d’Erdogan de diviser pour régner. La lutte de masse qui s’est développée en Turquie n’est en rien un combat entre forces laïques et religieuses. Des revendications portant sur l’augmentation du salaire minimum, le droit à chacun de disposer d’un logement décent, le respect des droits démocratiques et des droits des travailleurs peuvent permettre de sérieusement éroder le soutien à Erdogan sur une base de classe.

    Quelles perspectives ?

    La croissance économique des ces dernières années a constitué un élément important du soutien à Erdogan et permet de comprendre l’origine de ses réserves sociales. Mais cela a également créé des attentes élevées et une certaine confiance en eux parmi les travailleurs et les jeunes. Cependant, l’économie turque est fragile et dépend beaucoup du capital étranger. Selon le FMI: ‘‘les besoins de financements extérieurs de la Turquie représentent à peu près 25% de son Produit Intérieur Brut.’’ Le rapport poursuit en disant que cela ‘‘va continuer à provoquer une vulnérabilité considérable.’’

    Le déficit du budgétaire actuel a augmenté d’un cinquième sur les 4 premiers mois de cette année. Le ralentissement du taux de croissance (de +8,8% en 2011 à +2,2% en 2012) est significatif et est fortement influencé par la crise européenne, l’Europe étant le principal marché du pays. En comparaison de la situation des pays européens voisins, comme la Grèce et Chypre, ou du Moyen-Orient, le sentiment de progrès économique peut toujours exister. Mais le taux de croissance n’est destiné qu’à atteindre les 3,4% en 2013 selon les prévisions du FMI, en-dessous de l’objectif de 4% du gouvernement. Ces prévisions ont été faites avant la répression des manifestations et leur effet sur la consommation intérieure et le tourisme n’ont ainsi pas été pris en compte.

    Le taux de croissance de l’année passée et les prévisions de cette année ne sont pas suffisants pour absorber la population croissante qui arrive sur le marché du travail, ce qui promet déjà de nouvelles batailles. Étant donné la fragilité du paysage économique, les probables répercutions dues à l’onde de choc de la crise européenne et la réduction de l’investissement étranger, il est certain qu’il y aura des batailles, pour les parts d’un gâteau sans cesse plus petit. Les perspectives économiques n’annoncent aucune stabilité sociale pour les prochains mois ou années, bien au contraire.

    Cadre international

    Le processus de révolution et de contre-révolution en Afrique du Nord et au Moyen Orient, les mouvements de masse contre l’austérité en Europe et le mouvement Occupy aux USA ont tous eu un effet sur la jeunesse turque. Malgré la différence considérable que constitue le fait qu’Erdogan est encore capable de mobiliser un certain soutien social, les mouvements de masse pour les droits démocratiques et sociaux apprennent les uns des autres. Le mouvement en Turquie sera également une source d’inspiration pour le Moyen-Orient et au-delà.

    Un régime de droite, présenté comme un modèle pour les autres pays sunnites, a été puissamment remis en question par le peuple. Le modèle tant vanté d’un État islamique moderne a été montré tel qu’il est : la surface d’une société en pleine tourmente.

    La Turquie est un allié de l’OTAN qui possède ses ambitions propres d’agir en tant que puissance régionale. Le bellicisme du régime turc envers la Syrie a augmenté la tension dans la région, avec toute une vague de réfugiés qui se sont enfuis en Turquie. Ceux qui ont pris part au mouvement contestataire ont souvent exprimé la peur d’être entraîné dans la guerre civile syrienne, qui est partie d’un soulèvement populaire pour aboutir à un cauchemar de guerre civile ethnique et religieuse.

    Le régime AKP a essayé d’exploiter la fragmentation de l’Irak : ils mènent des négociations avec le Nord kurde pour essayer d’établir une zone d’influence turque dans les régions kurdes. Les perspectives sont incertaines. A moins que la classe ouvrière n’intervienne avec son propre programme contre le sectarisme et le nationalisme, de nouveaux affrontements ethniques et religieux sont inévitables en Irak dans des régions comme Kirkuk. Cela aura des répercussions en Turquie.

    Alors qu’Erdogan essaie d’instrumentaliser la question kurde pour gagner en influence dans la région et se baser sur une alliance avec les dirigeants kurdes pour changer la constitution (qui lui permettrait de devenir président, avec plus de pouvoirs), il maintient des milliers de Kurdes emprisonnés pour avoir défendu les droits des Kurdes. Mais les aspirations des Kurdes d’en finir avec l’oppression vont se heurter aux objectifs d’Erdogan de faire d’eux une partie d’un nouvel empire de style ottoman dirigé par Ankara.

    La montée des tensions dans la région, qui découle de l’implication d’Israël dans la guerre civile syrienne et de la propagation de cette guerre au Liban ou en Turquie, en plus des conflits entre Israël et l’Iran avec une possible implication des USA, peuvent ébranler encore plus la stabilité de la Turquie et du régime d’Erdogan et ainsi déclencher de nouveaux mouvements et des conflits religieux ou ethniques.

    Cependant, le premier effet du soulèvement turc dans la région est d’encourager les travailleurs, les jeunes et les pauvres à retourner aux origines du processus révolutionnaire en Afrique du Nord et au Moyen Orient: l’implication active des masses elles-mêmes dans la lutte pour les revendications démocratiques et sociales.

    Toutes les sections de la société en action

    Le mouvement de contestation n’a pas seulement poussé à l’action les couches les plus basses de la classe moyenne et les enfants de la classe des travailleurs, qui ont constitué les couches les plus visibles du mouvement, en particulier dans les médias étrangers. La classe ouvrière de toutes les villes s’est durement battue contre la police. Les nouvelles couches de la classe ouvrière et des jeunes ont tout juste commencé à ressentir leur propre force et les classes moyennes urbaines, comme les architectes, les médecins et autres, ont également été présentes dans le mouvement.

    Dans le même temps, Erdogan a essayé de mobiliser la population plus rurale, ce qui pourrait se retourner contre lui plus tard. La polarisation de la société elle-même est si forte qu’elle va encourager encore la politisation d’une nouvelle génération, y compris dans les campagnes.

    Mais même au sommet de la société, des scissions et conflits sont devenus apparents. Juste au moment où Erdogan pensait être parvenu à son but de se retirer les vieux kémalistes de leurs positions stratégiques dans la bureaucratie d’Etat, de nouvelles scissions sont apparues dans ses propres rangs.

    Les plans d’Erdogan sont non seulement de se présenter à la présidentielle l’année prochaine mais aussi de changer la constitution en un système présidentiel qui lui permettrait de se maintenir au pouvoir. Mais le président sortant Gül, lui aussi de l’AKP, a proposé une stratégie nettement plus conciliante à l’égard du mouvement. Il pourrait ne pas tout simplement céder la place à Erdogan.

    Pendant les années où il a gagné en influence, le mouvement Gülen (une tendance islamique modérée basée autour du millionnaire Gülen qui vit aux USA) a soutenu Erdogan. Par exemple, ses écoles religieuses ont bénéficié de la privatisation de l’éducation, une politique mise en place par Erdogan. Mais des divergences entre Erdogan et Gülen se sont développées depuis un an et sont devenues de plus en plus visibles pendant les manifestations, ce qui a conduit les politiciens pro-Gülen à critiquer le style autoritaire d’Erdogan.

    Le gouvernement AKP se sent assez en confiance pour utiliser l’armée, ayant purgé les kémalistes. La police était ainsi accompagnée par la police militaire. Le Premier Ministre adjoint a même menacé d’utiliser l’armée pour écraser le mouvement le 17 juin. D’un autre côté, pendant le premier week-end de conflit, des soldats ont donné des masques chirurgicaux aux manifestants contre le gaz lacrymogène. Selon les médias étrangers, la police a montré une certaine hésitation, un mécontentement et de l’indignation face à la manière dont était traité le mouvement.

    Derrière ce mouvement se trouvent les premiers signes d’un processus révolutionnaire : toutes les classes et forces de la société commencent à s’engager activement dans le destin du pays. Même s’il y a une pause avant la prochaine phase de la lutte, le processus qui a commencé est profond.

    Malgré la défaite temporaire, les travailleurs se sentiront encouragés à défendre leurs revendications et à entrer en lutte. Le tout puissant Erdogan peut avoir finalement gagné, mais ses yeux au beurre noir reçus de la part du mouvement montrent qu’il n’est pas invincible.

    Un grand débat a commencé sur la manière dont devrait fonctionner la société. Les gens sont poussés dans le débat politique par une énorme polarisation. Les anciens partis des kémalistes sont incapables de donner une expression à la colère et aux aspirations de la nouvelle génération, et les nouvelles générations le savent. Tant qu’une alternative de masse n’est pas construite, les classes moyennes et les travailleurs peuvent encore voter pour eux. Cependant, il y aura des tentatives de construire de nouveaux partis de lutte. Le HDK pourrait donner la bonne voie à suivre s’il parvient à pénétrer profondément dans la classe ouvrière turque. Les travailleurs et les jeunes ont besoin de forces de gauche. Les idées marxistes sont nécessaires dans ce processus de construction d’un parti de masse, enraciné dans la classe ouvrière, pour montrer comment sortir du cauchemar du capitalisme et de la répression.

    Une nouvelle couche de jeunes est entrée en scène. Elle va y rester et changer la Turquie. Comme le dit un des slogans les plus scandés dans les rues d’Istanbul et d’Ankara : ‘‘Ce n’est qu’un début – continuons le combat.’’

    Revendications de Sosyalist Alternatif (CIO-Turquie):

    Pleins droits démocratiques

    • Libération immédiate de tous les manifestants emprisonnés
    • Pour une commission indépendante composée de représentants des syndicats et du mouvement pour enquêter sur la violence policière
    • Libération de tous les prisonniers politiques
    • Pleins droits démocratiques dont le droit de manifester, de se rassembler, de former des partis et des syndicats
    • Mobilisation totale des travailleurs contre l’intervention de l’armée ; pleins droits démocratiques dont le droit pour la police et les soldats de former des syndicats
    • Abolition de toutes les lois anti-terroristes et des tribunaux spéciaux et de toutes les lois répressives et réactionnaires introduites par le gouvernement AKP ces dernières années
    • Non à la censure, pour des médias libres – fin de la répression contre les journalistes, les bloggers, les chaînes de télé et sur tweeter, non à la fermeture de Hayat TV
    • Libertés et droits de pratiquer ou non toute religion, fin du paternalisme d’État, et de toutes tentatives de diviser pour mieux régner. Pour les droits démocratiques de tous de vivre leurs vies comme ils l’entendent.
    • Non à la répression des Kurdes, droits égaux pour tous dont la reconnaissance des minorités et des droits des minorités. Droits à l’auto-détermination dont celui de former un État indépendant.
    • Les troupes étrangères hors de Syrie, non à l’intervention militaire de la Turquie et des puissances impérialistes dans la région.
    • Pour une assemblée constituante de représentants démocratiquement élus sur les lieux de travail, dans les quartiers, les villes et les villages afin de garantir les pleins droits démocratiques et la sécurité sociales à l’ensemble de la population

    Emplois, salaires décents, sécurité sociale

    • Finissons-en avec l’enrichissement de l’élite, avec les projets de construction sur la place Taksim et tous les projets basés sur la logique du profit
    • Non aux privatisations, renationalisation des sociétés privatisées
    • Non aux attaques contre les travailleurs du secteur public
    • Pour une augmentation significative du salaire minimum
    • Des logements et conditions de vie décents pour tous
    • Nationalisation des banques et des entreprises qui dominent l’économie sous le contrôle et la gestion des travailleurs
    • Pour une planification démocratique et socialiste de l’organisation et du développement de l’économie dans l’intérêt des travailleurs et des pauvres sans s’attaquer à l’environnement
    • Pour un gouvernement des travailleurs, des jeunes et des pauvres, agissant en fonction des intérêts de ces derniers
    • Pour une riposte internationale contre l’exploitation, l’oppression et le capitalisme. Pour une démocratie socialiste, une confédération socialiste des États du Moyen-Orient et de l’Europe sur base volontaire et égale.
  • Solidarité avec les mobilisations en Turquie ! Non à la répression policière, défendons la liberté d'expression !

    Nous, députés du groupe de la Gauche Unitaire Européenne / Gauche Verte Nordique (GUE-NGL) au Parlement européen, tenons à affirmer notre solidarité à tous ceux qui se sont impliqués dans les manifestations pacifiques à travers la Turquie les derniers jours et les dernières semaines. Les travailleurs et les militants partout à travers l’Europe suivent avec attention les évènements en Turquie et sont choqués par la brutalité utilisée par les autorités turques.

    Déclaration de députés européens de la GUE/NGL

    Nous soutenons l’appel du syndicat du secteur public KESK qui a appelé à la grève suite à l’utilisation brutale de la violence d’État contre les manifestants. Le gouvernement de droite turc, allié de l’OTAN, ayant pour ambition de devenir une puissance régionale, est aujourd’hui remis en cause par l’opposition et la colère qui s’exprime dans cette révolte.

    En tant que députés européens de gauche, nous défendons les droits démocratiques de tous les peuples, en Turquie et à travers le monde, de manifester et de s’exprimer librement. Nous sommes atterrés par les déclarations de Mr Erdogan à la presse affirmant que "les manifestations ne sont pas démocratiques" et que "les médias sociaux sont des menaces sévères contre la société".

    Nous nous insurgeons contre les arrestations massives de plus de 1700 personnes, et nous insurgeons contre le fait que plus de 1500 personnes aient été blessées suite aux violences policières, certaines personnes apparemment très grièvement.

    Nous demandons au gouvernement turc d’arrêter ces violences policières et de soutenir l’appel pour une enquête indépendante sur l’utilisation de la violence d’États, et demandons que les résultats d’une telle enquête puisse être publics et que les coupables soient traduits en justice.

    Nombre d’entre nous sont impliqués dans des mouvements de résistance contre les politiques d’austérité brutales imposées dans nos pays respectifs par la Troïka c’est-à-dire le Fonds monétaire international, la Banque centrale européenne et la Commission européenne, avec l’accord et le soutien des gouvernements nationaux, qui n’ont apporté que la misère et la pauvreté pour les classes populaires et en particulier les jeunes.

    Nous constatons que le droit démocratique de manifester est de plus en plus menacé à mesure que la colère des peuples contre les politiques néolibérales et antisociales augmente.

    C’est pour cela que nous devons nous unir pour défendre notre droit à manifester et à se mobiliser pour une autre politique qui défende les intérêts et les conditions de vie de la majorité des peuples et non pas les intérêts d’une petite minorité.

    Nous disons "ça suffit!". Le gouvernement turc bafoue depuis trop longtemps les droits démocratiques des travailleurs, des syndicats et des minorités.

    Votre courage et vos luttes sont une inspiration pour nous et nous continuerons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour porter votre lutte au Parlement européen et avec les syndicats et des mouvements sociaux au sein desquels nous sommes impliqués.

    Bien cordialement,

    • Paul Murphy MEP
    • Nikolaos Chountis MEP
    • Takis Hadjigeorgiou MEP
    • Jacky Hénin MEP
    • Sabine Lösing MEP
    • Marisa Matias MEP
    • Willy Meyer MEP
    • Soren Sondergaard MEP
    • Alda Sousa MEP
    • Sabine Wils MEP
  • Turquie : Erdogan a choisi l’épreuve de force, mais les ‘‘pillards’’ continuent de riposter

    Ce lundi 10 juin, le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan avait accepté de parler aux manifestants et de les écouter. Mais le lendemain, tôt le matin, il a envoyé la police anti-émeute évacuer brutalement les manifestants de la place Taksim à Istanbul, en utilisant des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des bulldozers.

    Par Kai Stein, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    Durant deux semaines de protestation, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues. Le slogan ‘‘Tayyip istifar’’ (Erdogan démissionne) a rassemblé les manifestants des travailleurs du secteur public à ceux qui refusaient la répression du gouvernement contre la consommation d’alcool et les baisers en public. Les masses kurdes, qui continuent à subir l’oppression de l’Etat, se sont jointes aux mobilisations. Parmi les rangs des protestataires, on trouve des militants syndicaux, des écologistes – qui ont initié les manifestations place Taksim – des jeunes de banlieue et la classe ouvrière.

    Erdogan tente de se mobiliser un certain soutien parmi les couches les plus conservatrices et religieuses du pays. Il a décrit les centaines de milliers de manifestants comme ‘‘une poignée de pillards’’ ou de ‘‘vandales’’. Erdogan a annoncé la tenue de manifestations de masse en faveur du gouvernement le samedi 15 juin à Ankara et le dimanche 16 juin à Istanbul. Ce calendrier n’est pas un hasard.

    Des confrontations épuisantes avec la police

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    Pour en savoir plus

    Meeting sur les mobilisations de masse en Turquie

    Ce vendredi 14 juin 2013, à 19h, notre camarade Tanja Niemeier (collaboratrice de l’eurodéputé Paul Murphy) livrera un rapport de son voyage en Turquie, au cœur des mobilisations qui ébranlent le régime de l’AKP. RDV ce vendredi à l’ULg, place du XX août, salle Wittert (trajet fléché).

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    Près de deux semaines durant, les travailleurs et les jeunes ont dû quotidiennement se défendre contre la police. En plus des principales places des villes, des centaines de quartiers ont également connu des occupations sans recevoir beaucoup d’attention médiatique. Mais à chaque rassemblement, les contestataires ont été attaqués avec des gaz lacrymogènes.

    Hélas, la grève du secteur public des 4 et 5 juin n’a pas été suivie par d’autres actions de la classe ouvrière organisée. Des militants de groupes de gauche organisent les camps sur les places et, à plus d’un titre, organisent le mouvement au jour-le-jour. Mais aucune des grandes organisations, parti ou syndicat, ne met en avant une stratégie pour faire avancer la lutte.

    Des comités d’action ou des comités de défense des protestations ont été constitués, mais essentiellement pour faire face aux questions urgentes et ils sont principalement composés de membres de groupes de gauche. Cela laisse la majorité des manifestants sans voix.

    Comment faire chuter Erdogan ?

    Une stratégie audacieuse est nécessaire pour construire le mouvement avec des assemblées générales et des comités à tous les niveaux : pour défendre les protestations mais aussi pour coordonner la lutte et construire un rapport de force capable de renverser le gouvernement et d’offrir une alternative dans l’intérêt des travailleurs, des jeunes et pauvres. Au lieu de laisser l’espace à Erdogan pour mobiliser le soutien des conservateurs sur des thèmes religuieux, un tel mouvement pourrait porter atteinte à ce soutien et gagner la faveur de tous ceux qui souffrent de la politique antisociale d’Erdogan en développant des revendication portant sur l’emploi, l’arrêt des privatisations, les conditions de travail, le logement,…

    Malheureusement, même à gauche, les revendications défendues sont assez limitées et portent sur la défense du Parc Gezi, sur le respect des droits démocratiques et sur la condamnation des responsables des brutalités policières. Tout cela doit être défendu, mais limiter le mouvement à ces questions – sans développer les questions sociales – sacrifie la stratégie nécessaire pour se battre efficacement pour les aspirations qui ont conduit les masses à descendre dans les rues.

    La majorité des manifestants sont des jeunes, éloignés de tous partis. Ce vide doit être rempli par la création d’un nouveau parti de masse démocratique, armé d’un programme socialiste et où les forces de gauche existantes (HDK, Halk Evleri, etc.) pourraient collaborer.

    Le nombre de manifestants était légèrement à la baisse ce lundi 10 juin. Erdogan cherche à exploiter cette faiblesse pour reprendre le contrôle de la situation, mais cela peut à son tour provoquer une nouvelle vague de luttes.

    Sosyalist Alternatif (CIO-Turquie) plaide pour protester aujourd’hui contre les attaques de la police et pour l’organisation de manifestations de masse dans toutes les villes samedi prochain, avant une manifestation nationale le dimanche à Istanbul afin de riposter contre la tentative de démonstration de force d’Erdogan. Cela pourrait préparer le terrain pour une grève générale – des secteurs privé et public – d’une journée en tant qu’étape ultérieure du mouvement.

  • Turquie : Rapport de Paul Murphy

    La solidarité est vitale

    Paul Murphy, le député européen du Socialist Party (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Irlande), s’est récemment rendu à Istanbul afin de voir de ses propres yeux les manifestations qui s’y déroulent. Dans son journal de bord, il aborde la réponse brutale du Premier Ministre turc.

    Paul Murphy, député européen, Socialist Party (CIO-Irlande)

    ‘‘La confiance en soi est comme un virus’’ expliquait Eser Sandiki, une jeune professeure d’école et militante socialiste qui occupait la place Taksim vendredi soir. Ses mots ne sont pas seulement vrais sur la place Taksim, mais également à travers toute la Turquie dans laquelle le gouvernement autoritaire d’Erdogan est confronté à un soulèvement. Dans plus de 70 villes, des manifestations et des occupations de masses ont eu lieu, réunissant plus d’un million de personnes.

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    Pour en savoir plus

    Meeting sur les mobilisations de masse en Turquie

    Ce vendredi 14 juin 2013, à 19h, notre camarade Tanja Niemeier (collaboratrice de l’eurodéputé Paul Murphy) livrera un rapport de son voyage en Turquie, au cœur des mobilisations qui ébranlent le régime de l’AKP. RDV ce vendredi à l’ULg, place du XX août, salle Wittert (trajet fléché).

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    En de nombreux endroits, comme place Taksim, les places sont entourées de barricades érigées par les manifestants avec des matériaux de construction et des voitures de police brulées pour se protéger de la police. A l’intérieur de ces barricades, des conseils de volontaires organisent des distributions de nourriture et d’eau, des garderies d’enfants, la sécurité et les premiers soins.

    Aujourd’hui [le 9 juin, ndlt], alors que la place Taksim était déjà bondée de monde une heure après l’heure prévue pour une grande manifestation, des gens ont continué d’affluer de toutes les rues, certains estimant une foule de 300.000 personnes.

    La réponse du Premier Ministre Erdogan a été brutale, faite d’attaques policières féroces contre les manifestants. La police a recouru aux gaz lacrymogènes et a brûlé des tentes de participants à l’occupation. Des policiers en civil s’en sont d’autre part pris à des manifestants à coups de couteaux et de gourdins. Selon l’estimation la plus récente de l’Association médicale turque, plus de 4000 personnes ont été blessées, un nombre à certainement revoir à la hausse. Trois personnes sont décédées jusqu’ici.

    La violence physique a été justifiée par toute cette rhétorique qui a qualifié les manifestants de ‘‘capulcu’’ (pillard, ou vandale, en turc). En réponse à cela, sur les pancartes autour de la place, on pouvait lire ‘‘Nous sommes tous capulcu’’. Une chaine de télévision, ‘‘Capulcu TV’’ a été lancée sur le net. Erdogan a également attaqué les réseaux sociaux, décrivant Twitter comme une ‘‘menace pour la société’’.

    La raison est claire – alors que six journaux turcs avaient exactement le même titre jeudi matin et que la NTV diffusait un documentaire sur les manchots lors de l’assaut policier sur la place Taksim – plusieurs vidéos de brutalité policières se sont propagées à travers la toile.

    Le coup de grâce

    L’étincelle qui a provoqué cette révolte de masse fut l’arrivée de bulldozers dans le parc Gezi d’Istanbul, conformément à un plan qui prévoyait de remplacer l’un des rares espaces verts et publics du centre-ville par un centre commercial. Ce fut simplement ‘‘la goutte qui a fait déborder le vase’’, comme l’a expliqué Mucella Yapici, la Secrétaire de ‘‘Solidarité Taksim’’, l’une des dirigeantes de la Chambre des Architectes à Istanbul. Mucella a dénoncé ‘‘le pillage de la ville’’ de ces dernières années – la destruction d’espaces publics, l’expulsion de la population ouvrière de leurs quartiers et l’embourgeoisement de ces zones, ainsi que des projets de prestige comme la planification d’un troisième aéroport et d’un troisième pont massif.

    Ce processus conduit à l’enrichissement d’un secteur de la construction très proche du parti au pouvoir, l’AKP. Cette réorganisation de la ville a également été considérée comme une attaque contre les bâtiments historiques représentant les traditions laïques de Turquie.

    Un autre facteur est l’importance historique de la place Taksim pour le mouvement des travailleurs. Lors du 1er mai 1977, 34 travailleurs qui célébraient le 1er Mai furent tués par des tirs de polices sur la foule. Cette année, la permission pour les manifestations du 1er mai sur la place Taksim a été refusée. Ces éléments, combinés à la nature autoritaire du gouvernement d’Erdogan, notamment ses tentatives d’imposer des restrictions conservatrices sur la vente d’alcool et ses limitations de disponibilité de pilules contraceptives, ont installé le terreau pour une explosion sociale.

    Manifestations anti-gouvernement

    Les manifestants se sont réunis autours de 5 revendications :

    • Non à la destruction du parc Gezi
    • Le retrait des chefs de police et du Ministre de l’Intérieur impliqués dans la brutale répression policières
    • Une interdiction de l’utilisation de gaz lacrymogènes
    • Aucune restriction dans l’utilisation des espaces publiques pour les manifestants
    • La libération de tous ceux qui ont été arrêtés durant ces manifestations.

    Malgré ces revendications officielles, le slogan le plus populaire, qui résonne 24h sur 24 et qui surgit spontanément même au-delà de la place Taksim, est ‘‘Tayyip Istifa’’ (Tayyip [Erdogan] démissionne). Il est suivi par le chant qui entraine des milliers de personnes à sauter : ‘‘si tu ne sautes pas, tu supportes Erdogan’’. C’est maintenant un mouvement anti-gouvernement qui lutte pour des droits démocratiques et la liberté.

    Le mouvement de protestation a entrainé des centaines de milliers de personnes qui n’avaient encore jamais été politiquement actives avant ces actions. Un sondage des manifestants de Taksim montre que 57% n’avaient jamais participé à une manifestation avant et que 70% ne soutenaient pas de parti politique en particulier. Avec ces gens précédemment inactifs, le mouvement a également réuni des alliés hors du commun. Des groupes de supporters de football de trois équipes d’Istanbul – Besiktas, Fenerbahce et Galatasaray – réputés pour leurs affrontements entre eux, ont rejoint les forces de l’opposition pour les aider à repousser la police.

    Ils sont rejoints par des militants des partis et des syndicats de gauche qui ont une grande expérience de la nature répressive de l’État turc. Les militants féministes et LGBT sont des forces visibles et s’opposent notamment aux chants sexistes de certaines parties des manifestants.

    Place Taksim, des drapeaux du dirigeant kurde Abdullah Öcalan flottent aux côtés des drapeaux nationalistes turcs. L’expérience de la répression policière et de la censure médiatique a ouvert les yeux à certains militants turcs à propos de l’oppression des kurdes.

    Pour le moment, la police a renoncé à ses tentatives de reprendre la place Taksim [cet article date du 9 juin, ndt], mais les violences massives continuent à Ankara, partout en Turquie et dans les banlieues d’Istanbul. Samedi soir, en compagnie des journalistes du Rabble, Reuben et Gielty et des militants turcs, je me suis rendu dans un quartier ouvrier appelé Gazi dans lequel vit majoritairement des Kurdes et des Alévis. Là-bas, j’ai été témoin d’une énorme bataille de rue impliquant près de 10.000 personnes issues de la classe ouvrière contre la police. Les gaz lacrymogènes se mélangeaient avec la fumée des feux de joie pendant que les autopompes de la police nous tiraient dessus. Quelques jours avant, Turan Akbas, âgé de 19 ans, a reçu une bombe de gaz lacrymogène dans la tête.

    Lui, ainsi que 9 autres personnes victimes de blessures similaires, est actuellement dans une situation critique à l’hôpital. Pour les résidents de Gazi et beaucoup d’autres, ce soulèvement est une réaction aux décennies de répression et de brutalité par la police et l’absence de droits démocratiques.

    Et ensuite ?

    Ce qu’il se passera par la suite est incertain. Erdogan a choisit une ligne agressive, malgré que d’autres voies de l’establishment adoptent des discours plus conciliateurs. Le meeting de samedi des dirigeants du parti au pouvoir, l’AKP, a exclu des élections anticipées et a décidé d’organiser des grands rassemblements de ses partisans samedi et dimanche prochain. La place Taksim est en pleine effervescence suite à des rumeurs selon lesquelles la police va tenter de reprendre la place lundi.

    S’ils le font, ils devront faire face à une résistance extrêmement déterminée. Ayant senti leur puissance, la classe ouvrière turque et les jeunes ne sont pas près de renoncer à leur contrôle des espaces publiques sans se battre. Beaucoup étudient les leçons des révolutions égyptienne et tunisienne, cherchant à éviter les déboires rencontrés là-bas.

    Le génie est sorti de la bouteille pour le gouvernement Erdogan – ce soulèvement a le potentiel de devenir un mouvement révolutionnaire capable de le renverser et de poser les possibilités d’un changement radical démocratique et socialiste. Les actions de solidarité sont aujourd’hui indispensables pour montrer que les manifestants ne sont pas les seuls et que le monde a les yeux tournés vers eux.

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