Your cart is currently empty!
Tag: Russie
-
Reportage photo des actions contre le G8
La réunion des dirigeants du G8 (les 7 pays les plus riches au monde en pluys de la Russie) en Allemagne s’est déroulée en marge de protestations massives. Nombreux sont les jeunes et les travailleurs qui ont pris part aux manifestations ainsi qu’aux discussions sur la nécessité d’une alternative à ce système. La présence massive de la police a été justifiée après coup par la violence et la brutalité de la répressionen, également face aux manifestants pacifiques. A tous égards, les dirigeants du G8 se trouvent clairement isolés socialement : ils ont dû se cacher derrière une immense opération de sécurité. Nous publions une série de photos des actions et de la participation à celles-ci de notre organisation internationale, le CWI, Comitee for a Worker’s International (Comité pour une Internationale Ouvrière, CIO).
Photos de Paul Mattson, pour le CIO
-
La Russie de Poutine fait couler du sang homosexuel
"Pédés, pervers!" "Renvoyez les tapettes dans les camps de concentration"… Voilà les cris qui ont déchaîné Moscou lors du 14ème anniversaire de la dépénalisation de l’homosexualité en Russie. Rien (ou presque) ne laissait présager que ce dimanche d’apparence ordinaire serait marqué par des violences homophobes dans la capitale ni que les visages en sang des rescapés homosexuels allaient horrifier l’Europe toute entière à la veille du sommet du G8 en Allemagne.
Tout remonte à l’année dernière, au moment où des centaines de militants LGBT (lesbiennes, gays, bi’s, trans-genres ou hétéros) se sont rassemblés à Moscou pour la première Gay Pride russe. Cette manifestation avait été interdite. Devant la ténacité des homos à faire valoir leurs droits, celle-ci a quand même eu lieu, mais fût violement réprimée (un article de notre Internationale publié sur ce site relate ces évènements).
Aujourd’hui, les plaies ayant cicatrisé, les homos ont décidé de revenir à la charge. Au programme cette année, manifester devant le bureau du maire de la ville et lui remettre une pétition pour protester contre l’interdiction de la Moscow Pride 2007.
Evidemment, les déclarations des politiciens et des religieux ne se sont pas faites attendre. Le mufti suprême de la région de Talgat Tajuddin a également déclaré: "S’ils vont dans la rue, il faudra les frapper. Tous les gens normaux le feront, qu’ils soient musulmans ou orthodoxes." Il a ajouté que le Prophète Mahomet a ordonné de tuer les homosexuels, car "leur comportement conduirait à la fin de l’espèce humaine". Selon l’évêque orthodoxe Daniel Yuzhno-Sakhalinsk, cette marche n’est qu’une "plaisanterie cynique", il a comparé l’homosexualité à la lèpre et a mis en garde la population contre "la propagande du vice".
Lors de la première Gay Pride, un député nationaliste criait fièrement: "J’ai une solution pour les homos: la Sibérie!". Depuis l’an dernier déjà, le maire de Moscou, Iouri Loujkov, affirme que toute tentative pour organiser une Gay Pride (qu’il qualifie d’"acte satanique" sic!) serait "résolument écrasée". Issu de la droite dure, Igor Artioumov a tenté de légitimer sa récente attaque contre une boîte homo de Moscou en déclarant: "Je proteste contre ces sodomites qui rampent comme des cafards!". Le président russe a lui même sous-entendu lors de sa conférence de presse annuelle que "les homosexuels nuisent à la cause nationale en ne participant pas au renouvellement des générations" etc.
Les organisateurs de la Gay Pride avaient quant à eux invité les journalistes internationaux, des VIP’s et plusieurs députés d’Angleterre, de Belgique, de France, des Pays-Bas, d’Italie, du Brésil et du Parlement européen, croyant naïvement que leur présence empêcherait que le mouvement soit à nouveau réprimé.
Mais rien à faire, la Russie de Poutine se la joue dure. Comme en 2006, la disproportion entre le dispositif policier et le petit nombre de manifestants était évidente.
La presse de droite colporta si bien les menaces homophobes que le rassemblement dégénéra en une véritable chasse aux homosexuels. Des néo-fascistes ont rué de coups les manifestants aux cris de "morts aux homosexuels". A chaque fois, les policiers ont tardé à intervenir. Le député européen Marco Cappato a été agressé par un groupe de néo-nazis alors qu’il parlait à des journalistes. "Que fait la police? Pourquoi ne nous protégez-vous pas?", a-t-il lancé aux policiers qui l’ont ensuite arreté malgrè son immunité parlementaire puis placé dans le même camion que plusieurs militants d’extrême droite.
En Russie, le climat anti-gay a en effet donné confiance aux fascistes pour entrer en jeu et laisser sortir toute leur haine, sans scrupule. Un groupe de jeunes hommes solidement bâtis se sont présentés équipés de masques chirurgicaux, destinés selon leurs termes à les protéger de la "maladie homosexuelle". D’autres, brandissant fièrement des photos d’Hitler, faisaient le salut nazi en beuglant "nous sommes pour un véritable amour (sic!)". Un homme muni d’un crucifix "venu aider les policiers" a menacé de s’en servir pour frapper tout homosexuel qui croiserait son chemin.
En plus de recevoir des coups, les homosexuels qui défendaient leurs droits ont été arreté manu militari, jetés dans un camion de la police et emmené sous les yeux de dizaines de journalistes. Plusieurs fachos ont également été interpellés (puis immédiatement relachés) pour avoir frappés des homos ou des députés. La lenteur de l’intervention des policiers leur laissait cependant tout l’espace pour asséner plusieurs coups rapportent les témoins. Selon Scott Long, un militant de Human Rights Watch, ONG de défense des droits de l’homme: "La police n’a pas vraiment essayé de séparer les deux camps et, par conséquent, des gens ont été passés à tabac. Je conseillerais aux autorités russes de protéger la liberté de rassemblement et la liberté d’expression, et de protéger les manifestants."
"Nous défendons simplement nos droits" a déclaré un jeune homosexuel qui saignait du nez après avoir reçu un puissant coup de poing au visage par un homme hurlant "les homos sont des pervers". "C’est atroce, mais cela ne me fait pas peur. C’est un endroit assez effrayant, un pays assez effrayant pour les homosexuels. Mais nous persisterons jusqu’à ce qu’ils nous permettent d’exercer nos droits", a-t-il ajouté.
"Il faut que nous nous battions pour faire valoir nos droits!" insistait Lena, toute jeune lesbienne qui avec un groupe de copines aura tenu plusieurs minutes face à des néo-nazis qui les couvraient d’insultes. "Vous êtes des animaux!", "Sales putes!" leur lançaient les crânes rasés, bavant de rage. "C’est plutôt vous les animaux!" répondaient bravement les filles. Cette scène-là s’est achevée par des crachats et quelques coups de pieds dans le dos quand elles ont finalement battu en retraite. "Mais nous reviendrons l’année prochaine, et jusqu’à ce qu’on puisse enfin s’affirmer homo en Russie !" assuraient-elles au journal français LIBERATION.
Les deux chanteuses russes du groupe TATU qui ont bâti leur célébrité en s’affichant lesbiennes étaient également présentes à la manifestation, assaillies tant par les néofascistes que par les journalistes, celles-ci ont rapidement dû fuir la mêlée. Quelque secondes après son arrivée, le leader du mouvement gay, Nikolaï Alexeïev, a été "emmené sans explication" dans un poste de police du centre de Moscou.
Un député Vert allemand, Volker Beck, déjà roué de coups lors de la première Gay Pride l’an dernier, a de nouveau été battu par des néo-nazis puis interpellé par la police. Une fois libéré, il a déclaré à la presse avoir été ensuite roué de coups par les policiers. Le député allemand a ajouté que lui et ses compagnons d’infortune s’étaient fait confisquer leur passeport au cours de leur détention. La présidente de son parti a exigé que la chancelière Angela Merkel évoque la question des droits de l’homme avec le président russe lors du sommet du G8 prévu le mois prochain en Allemagne.
Un célèbre défenseur britanique des homosexuels, Peter Tatchell, à été jeté au sol et frappé à deux reprises. Quand il s’est relevé, couvert de sang, il a été frappé une nouvelle fois à l’oeil et embarqué par deux policiers anti-émeutes qui n’étaient visiblement pas génés par les caméras filmant la scène.
Des nationalistes ont lancé des oeufs sur une député transexuelle de Rifondazione Comunista, Vladimir Luxuria, qui, tremblante, déclarait après coup: "Dès mon retour, je vais faire pression sur notre parlement pour que le président italien évoque ce grave incident avec Vladimir Poutine lors de sa prochaine visite. Malheureusement Nikolaï Alexeïev (le leader du mouvement) restera cette nuit au poste de police et il y aura un procès lundi car il est accusé d’avoir résisté à la police".
Cependant, ces réactions homophobes ne reflètent pas forcément l’opinion publique car, selon un sondage récent, 51% des russes pensent que les gays et les lesbiennes devraient avoir les même droits que les autres. Mais il est clair que les déclarations politiques ou autres propagent la haine et la violence dans le pays tout entier. Poutine est d’ailleurs arrivé au pouvoir en attisant la haine et les divisions dans son pays (Tchétchénie, terreur, assassinats politiques, magouilles financières…). Le sommet du G8 nous a montré que sa doctrine était: "diviser pour mieux régner". Tenter de faire pression sur la Russie à cette occasion n’est pas sérieux.
Que faire, alors?
Nous devons bien sûr nous organiser pour combattre le racisme sous toutes ses formes. Pour changer la donne, nous devons dépasser le chacun pour soi et rester unis: homos et hétéros, hommes et femmes, travailleurs et chômeurs, flamands et francophones, belges et immigrés… mais ce n’est qu’un début.
Aucun changement radical n’est possible tant que nos vies seront dirigées par des puissances économiques, comme le G8. Notre rôle en tant que socialistes est de prouver que c’est seulement en combattant le système capitaliste, ainsi que toutes les pourritures toxiques qui émannent de lui et en mettant sur pied une nouvelle société basée cette fois sur la solidarité et l’égalité -une société socialiste-, que ces problèmes seront réglés une fois pour toutes.
-
Russie: L’héritage de Eltsine – capitalisme « sauvage » à travers l’ancienne URSS
Les masses travailleuses appauvries de l’ex-Union Soviétique assistent, écoeurées, à la floraison d’éloges pour Boris Eltsine, l’ancien président de la Russie, après son arrêt cardiaque le lundi 23 avril.
Clare Doyle, Comité pour une Internationale Ouvrière, internationale à laquelle est affilié le MAS/LSP
« Je me suis plus senti d’humeur à la célébration qu’à la tristesse à l’annonce de sa mort » a commenté un travailleur russe, victime d’une des premières privatisations de Eltsine. « Son règne s’est avéré être un cauchemar pour nous. Mais alors, je me suis rappelé que Poutine est toujours là à tenir le fouet. J’ai décidé que rendre aux travailleurs leur confiance dans la lutte pour les idées socialistes était bien plus important! ».
Nombreux sont ceux qui, à travers le monde, se rappelleront les moments plus légers de la présidence de Eltsine, quand il chancellerait ou parlait de manière incompréhensible devant les médias du monde, clairement sous l’influence de l’alcool. Mais cet homme, maintenant crédité d’avoir apporté la « démocratie et la liberté » en Russie et dans l’ex-Union Soviétique, était à peine moins qu’un dictateur.
Le démocrate envoie les tanks
Eltsine a connu la popularité durant les années Gorbatchev en semblant être le fer de lance du combat contre la règle du parti unique et ensuite contre la tentative de coup d’Etat des généraux de 1991. Cependant, près de deux ans plus tard, il envoyait les tanks contre le même bâtiment du parlement qu’il avait précédemment défendu des généraux et, une année après, il a envoyé l’armée dans la république de Tchétchénie pour écraser le mouvement contre l’oppression nationale de Moscou.
La clique de Eltsine, une fois la politique de privatisation rapides à outrance adoptée, a lutté impitoyablement contre n’importe quelle contestation de leur contrôle basé sur la corruption, qu’elle émane de bandes de voleurs rivales ou de la classe ouvrière qui essayait de contre-attaquer face à l’offensive contre leur niveau de vie. C’est pourquoi Eltsine reçoit une floppée d’éloges de la part des dirigeants capitalistes occidentaux ou des olligarques milliardaires, qui tous n’accordent que peu d’importance à ses méthodes brutales.
Sa présidence a été un cambriolage visible de tous contre la masse de la population dans la prétendue « transition vers le marché ». L’économie s’est effondrée de 50% en deux ans tandis que quelques uns des ex-membres bien-placés du « Parti Communiste », comme lui-même d’ailleurs, ont effectué le plus grand détournement d’argent de l’histoire.
La politique des bons
Des bons ont été distribués à chacun, leur donnant une « part » de l’entreprise dans laquelle ils travaillaient. Puis, en raison de la pauvreté désespérante provoquée par la montée en flèche des prix des nécessaités de base et également par manque de conviction sur ce que représentaient ces bons, la plupart des travailleurs ont vendu leurs bons à des « agents » qui, aux stations de métro ou aux coins des rues, leur offraient de l’argent comptant. Ces « agents » – parmi lesquels bon nombre de pensionnés et de jeunes sans emploi frappés par la pauvreté – travaillaient pour les futurs oligarques qui ont de cette façon assuré qu’ils obtenaient ainsi la part du lion des actifs publics les plus lucratifs.
A l ‘époque, « Démocratie Ouvrière », le journal du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) en Russie, déclarait en première page: « La politique des bons est vol! ». Nous avions expliqué le processus qui avait commencé en Union Soviétique au temps où l’économie a commencé à stagner sous la gestion pitoyable – aveugle et faite de gaspillages – d’une bureaucratie forte de 20 millions de membres. Alors que Gorbatchev pataugeait à la fin des années ‘80 dans sa recherche d’une façon de maintenir les privilèges de cette caste parasitaire face à la stagnation, ses « reformes » avaient commencé à réveiller les mouvements de masse des mineurs et d’autres travailleurs.
Cependant, les crimes de Staline, particulièrement la répression sanglante des véritables traditions d’Octobre 1917 vers la fin des années ‘20 et durant les années 30, ainsi que le train de vie luxueux des suzerains « communistes », ont mené les travailleurs des années ‘80 à regarder à l’ouest en quête d’alternative. Eltsine a exploité ce sentiment pour pousser en avant ses pions et réaliser ses objectifs.
Le Comité pour une Internationale Ouvrière a plaidé énergiquement pour une « révolution politique » capable de restaurer, après des décennies de totalitarisme, la démocratie ouvrière – pour fournir en fait l’oxygène nécessaire dans une économie d’Etat planifiée. Nous avons averti maintes et maintes fois que la restauration du capitalisme dans « l’Union Soviétique » ne mènerait pas les travailleurs à connaître les conditions de vie moyennes des Etats-Unis ou de la Suède, mais plutôt aux conditions de vie latino-américaines : chômage, hyper-inflation et dictature.
Tragiquement, avec avec l’arrivée au pouvoir du « démocrate » Eltsine et l’effondrement de l’URSS à la fin de l’année 1991, les travailleurs de cette vaste région, qui souffraient depuis longtemps déjà, ont connu les trois ! La voix de ceux qui plaidaient pour une action indépendante de la classe ouvrière – contre Eltsine aussi bien que contre les généraux – était petite. Nous avons pris position contre l’ancien régime du parti unique et contre l’introduction du capitalisme par Eltsine. Nous nous sommes également opposés à l’interdiction de n’importe quel parti, excepté à caractère fasciste. Eltsine a proscrit le Parti « Communiste » – le parti des vieux dirigeants de l’URSS – mais était tout à fait disposé à permettre l’émergence d’une nouvelle version bien plus nationaliste et réellement pro-capitaliste.
Hommages
Parmi les hommages à Eltsine dans les premières heures qui ont suivi sa mort, celui du dirigeant du parti qu’il a interdit en 1991 était particulièrement aigre. Gennady Zyuganov du PCFR (Parti Communiste de la Fédération de Russie) a dit que par respect à son enseignement russe orthodoxe (!), il s’abstiendrait de beaucoup de commentaires si ce n’était un rappel de la tentative de destituer Eltsine à cause de l’amertume et des difficultés qu’il a causé à des millions de personnes. L’homme contre qui Eltsine avait envoyé ses tanks en 1993, Alexandre Rutskoi, parle de façon plus sucrée, en maintenant qu’on se rappellera de Eltsine pour avoir « donné la liberté aux gens » et avoir « établit la justice historique » !
L’oligarque en exil en Grande-Bretagne Boris Berezovsky y est aussi allé de ses commentaires. Pour lui, la mort de Eltsine à 76 ans est une « tragédie épouvantable » ! Berezovsky était un membre dirigeant de la « famille » Eltsine et a notamment aidé à transférer le pouvoir à son successeur désigné, Vladimir Poutine (avec qui, ironiquement, il est entre-temps à couteaux tirés). Eltsine avait l’espoir que sa démission et sa succession fin du millénaire passé soit honorable. Mais la succession s’est immédiatement fait remarquée par le lancement par Poutine de la deuxième guerre de Tchétchènie afin de gagner les élections présidentielles et de réduire à zéro les quelques droits démocratiques qui avaient été octroyés sous la pression des mouvements de masse du début des années ’90.
Des paroles sucrées des dirigeants occidentaux sur la mort de Boris Yeltsin sont aussi à prévoir. Les difficultés causées aux dizaines de millions de travailleurs et de pauvres de l’anciennne « Union Soviétique » par la « thérapie de choc » de l’ère Eltsine ne compte pour rien aux yeux de ceux qui voient surtout la victoire du capitalisme sur la planification d’Etat et la propriété publique.
Nonante années sont passées depuis les héroïques batailles des ouvriers et des paysans pauvres en Russie contre la tyrannie des tsars et contre le capitalisme lui-même. Mais Boris Eltsine n’a pas réussi à enterrer les véritables idées du socialisme et du communisme. Au contraire, l’expérience amère des masses de la population sous ses lois et celles du « capitalisme sauvage » (cruel et chaotique) qui a continué après lui, apporte auprès de plus en plus de personnes dans l’ancienne « Union Soviétique » et ailleurs la compréhension de nécessité urgente de rétablir ces idées et de les mettre en application entièrement !
-
Opel. De nouvelles attaques sur un scénario bien connu
VW-Forest a créé un précédent. Avec le soutien du gouvernement et de la direction syndicale, VW a pu imposer une augmentation de la flexibilité et du temps de travail sans augmentation salariale. Les autres entreprises envient évidemment un tel résultat. Opel a décidé de partir à l’attaque.
Geert Cool
Concurrence entre filiales
Opel dépend de General Motors et possède à Anvers une usine de 5.100 travailleurs. La production du nouveau modèle d’Opel Astra va bientôt commencer et la direction a annoncé des mesures « d’assainissement ».
Cependant, rien n’est encore clair : General Motors veut d’abord regarder ce qu’elle est capable d’obtenir en jouant sur la concurrence entre les salaires et les conditions de travail des sites de Suède, d’Angleterre, de Pologne, d’Allemagne et de Belgique. Hans Demant, un membre de la direction, a ainsi déclaré que la décision sera prise sur base de critères comme « la flexibililté, la productivité, la qualité et les possibilités logistiques ». (Automobilwoche, 5 mars)
De toute façon, la direction veut travailler avec moins de personnel, d’autant plus qu’elle estime qu’il y aurait actuellement une surcapacité de production de 250.000 voitures. La fermeture de l’usine est improbable, les syndicats ayant à Opel un accord européen pour étendre les assainissements autant que possible à toutes les filiales plutôt que de fermer un site. Une ou deux équipes devraient être virées (à peu près 1.000 emplois par équipe) : ce sont Bochum en Allemagne et Anvers qui courent le plus grand risque de voir chacune une de leurs équipes disparaître.
GM fait à nouveau des profits…
Après quelques années de perte, General Motors a dépassé ses prévisions et réalisé un profit net de 950 millions de dollars au quatrième trimestre 2006. Un an avant, la perte était de 6,6 milliards de dollars. Depuis lors, des « assainissements » brutaux ont été effectués en Amérique du Nord. L’entreprise veut, pour la fin 2008, avoir viré un total de 30.000 personnes et avoir fermé neuf filiales. Une bonne partie de ces « assainissements » a déjà été appliquée.
Il est à craindre que ce soit maintenant au tour de l’Europe. En 2006, « un assainissement des coûts » de 6,8 milliards de dollars a déjà été fait, la direction veut poursuivre cette année dans cette voie pour 9 milliards de dollars. Le profit net réalisé l’an dernier était de 172 millions d’EUR mais la direction en veut visiblement plus.
… mais ce n’est pas assez
Pour cela, une partie de la production a été délocalisée vers des pays meilleur marché. En Russie, la production de GM est passée l’année dernière de 40.000 à 100.000 unités.
Selon une étude allemande, la production d’une voiture en Europe de l’Est coûte 23% moins cher qu’en Allemagne. Les coûts salariaux pour une Golf seraient par exemple de 1.926 EUR en Allemagne contre 770 en Europe de l’Est. Cependant, les salaires ne forment que 15% du coût de production. Mais les matériaux seraient aussi meilleur marché.
De tels chiffres sont suivis de près par les directions des entreprises. Ainsi, les « assainissements » imposés aux travailleurs de VW-Forest doivent mener à ce que les Audi sortent de la chaîne au coût de 32 EUR par heure et par voiture, 10 EUR de moins qu’en Allemagne.
Anvers: plus de flexibilité
A Anvers, les syndicats et la direction ont déjà signé une déclaration d’intention pour, entre autres, introduire plus de flexibilité et limiter les adaptations salariales. Ainsi, il est possible de travailler un samedi tous les mois et, jusqu’à la mi-2009, seules les augmentations prévues par l’indexation seraient accordées. De plus, un accord-cadre se prépare autour de l’outsourcing.
Un accord a été conclu dans le secteur automobile flamand pour permettre une flexiblité élaborée autour d’un temps de travail variable (avec la possibilité d’une journée de 10 heures) calculé sur six ans, ce qui rend presque impossible d’encore toucher des heures supplémentaires.
Quelle réponse?
Où va s’arrêter la spirale infernale des salaires et des conditions de travail? S’en remettre aux directions des entreprises automobiles revient à accepter le niveau le plus bas possible. Contre la politique de division des directions de ce secteur, il FAUT une résistance unifiée.
- Non aux pertes d’emplois, à l’augmentation de la flexibilité et à l’outsourcing
- Pour une répartition du travail disponible et une diminution du temps de travail sans perte de salaire
- Pas de transfert de production vers d’autres filiales sans l’accord des travailleurs
- Ouverture des comptes des grandes entreprises automobiles pour une transparence de leur situation financière
- Développement de voitures plus écologiques en utilisant les connaissances des travailleurs de des entreprises automobiles et avec des investissements publics dans la recherche scientifique
- Pour une planification socialiste sous le contrôle des travailleurs, combinée à un plan de transport par pays et par région sous contrôle public
-
La révolution russe.
(conférence donnée par Léon Trotsky, en 1932 à Copenhague)
« Chers auditeurs, permettez-moi dès le début d’exprimer le regret sincère de ne pas avoir la possibilité de parler en langue danoise devant un auditoire de Copenhague. Ne nous demandons pas si les auditeurs ont quelque chose à y perdre. En ce qui concerne le conférencier, l’ignorance de la langue danoise lui dérobe toutefois la possibilité de suivre la vie scandinave et la littérature scandinave directement, de première main et dans l’original. Et cela est une grande perte !
La langue allemande à laquelle je suis contraint de recourir ici est puissante et riche. Mais ma “langue allemande” est assez limitée. Du reste, sur des questions compliquées on ne peut s’expliquer avec la liberté nécessaire que dans sa propre langue. Je dois par conséquent demander par avance l’indulgence de l’auditoire.
Je fus pour la première fois à Copenhague au Congrès socialiste international et j’emportais avec moi les meilleurs souvenirs de votre ville. Mais cela remonte à près d’un quart de siècle. Dans le Ore-sund et dans les fjords, l’eau a depuis plusieurs fois changé. Mais pas l’eau seulement. La guerre a brisé la colonne vertébrale du vieux continent européen. Les fleuves et les mers de l’Europe ont charrié avec eux beaucoup de sang humain. L’humanité, en particulier sa partie européenne, est passée à travers de dures épreuves, est devenue plus sombre et plus rude. Toutes les formes de lutte sont devenues plus âpres. Le monde est entré dans une époque de grands changements. Ses extériorisations extrêmes sont la guerre et la révolution.
Avant de passer au thème de ma conférence — à la Révolution russe — j’estime devoir exprimer mes remerciements aux organisateurs de la réunion, l’Association de Copenhague des étudiants sociaux-démocrates. Je le fais en tant qu’adversaire politique. Il est vrai que ma conférence poursuit des tâches scientifiques-historiques et non des tâches politiques. Je le souligne aussitôt dès le début. Mais il est impossible de parler d’une révolution d’où est sortie la République des Soviets sans occuper une position politique. En ma qualité de conférencier, mon drapeau reste le même que celui sous lequel j’ai participé aux événements révolutionnaires.
Jusqu’à la guerre, le parti bolchévique appartint à la social-démocratie internationale. Le 4 août 1914, le vote de la social-démocratie allemande en faveur des crédits de guerre a mis une fois pour toutes une fin à ce lien et a conduit à l’ère de la lutte incessante et intransigeante du bolchevisme contre la social-démocratie. Cela doit-il signifier que les organisateurs de cette réunion commirent une erreur en m’invitant comme conférencier ?
Là-dessus, l’auditoire sera en état de juger seulement après ma conférence. Pour justifier mon acceptation de l’invitation aimable à faire un exposé sur la Révolution russe, je me permets de rappeler que pendant les 35 années de ma vie politique, le thème de la Révolution russe constitua l’axe pratique et théorique de mes préoccupations et de mes actions. Peut-être cela me donne-t-il un certain droit d’espérer que je réussirai à aider non seulement mes amis et amis d’idées, mais aussi des adversaires, du moins en partie, à mieux saisir maints traits de la Révolution qui jusqu’à aujourd’hui échappaient à leur attention. Toutefois, le but de ma conférence est d’aider à comprendre. Je ne me propose pas ici de propager la Révolution ni d’appeler à la Révolution, je veux l’expliquer.
La Révolution signifie un changement du régime social. Elle transmet le pouvoir des mains d’une classe qui s’est épuisée entre les mains d’une autre classe en ascension. L’insurrection constitue le moment le plus critique et le plus aigu dans la lutte de deux classes pour le pouvoir. Le soulèvement ne peut mener à la victoire réelle de la révolution et à l’érection d’un nouveau régime que dans le cas où il s’appuie sur une classe progressive qui est capable de rassembler autour d’elle la majorité écrasante du peuple.
A la différence des processus de la nature, la Révolution est réalisée par des hommes au moyen des hommes. Mais dans la Révolution aussi, les hommes agissent sous l’influence des conditions sociales qui ne sont pas librement choisies par eux, mais qui sont héritées du passé et qui leur montrent impérieusement la voie. C’est précisément à cause de cela, et rien qu’à cause de cela que la Révolution a ses propres lois.
Mais la conscience humaine ne reflète pas passivement les conditions objectives. Elle a l’habitude de réagir activement sur celles-ci. A certains moments, cette réaction acquiert un caractère de masse, tendu, passionné. Les barrières du droit et du pouvoir sont renversées. Précisément, l’intervention active des masses dans les événements constitue l’élément le plus essentiel de la révolution.
Mais même l’activité la plus fougueuse peut rester au niveau d’une démonstration, d’une rébellion, sans s’élever à la hauteur de la révolution. Le soulèvement des masses doit mener au renversement de la domination d’une classe et à l’établissement de la domination d’une autre. C’est alors seulement que nous avons une révolution achevée. Le soulèvement des masses n’est pas une entreprise isolée que l’on peut déclencher à son gré. Il représente un élément objectivement conditionné dans le développement de la révolution de même que la révolution est un processus objectivement conditionné dans le développement de la société. Mais les conditions du soulèvement existent-elles, on ne doit pas attendre passivement, la bouche ouverte : dans les affaires humaines aussi, il y a comme le dit Shakespeare, des flux et des reflux : “There is a tide in the affairs of man which, taken at the flood, leads on to fortune.”
Pour balayer le régime qui se survit, la classe progressive doit comprendre que son heure a sonné, et se poser pour tâche la conquête du pouvoir. Ici s’ouvre le champ de l’action révolutionnaire consciente où la prévoyance et le calcul s’unissent à la volonté et la hardiesse. Autrement dit : ici s’ouvre le champ d’action du parti.
Le “coup d’Etat”
Le parti révolutionnaire unit en lui le meilleur de la classe progressiste. Sans un parti capable de s’orienter dans les circonstances, d’apprécier la marche et le rythme des événements et de conquérir à temps la confiance des masses, la victoire de la révolution prolétarienne est impossible. Tel est le rapport des facteurs objectifs et des facteurs subjectifs de la révolution et de l’insurrection.
Comme vous le savez, dans des discussions, des adversaires — en particulier dans la théologie — ont l’habitude de discréditer fréquemment la vérité scientifique en la poussant à l’absurde. Cette vérité s’appelle même en logique en : Reduction ad absurdum. Nous allons tenter de suivre la voie opposée : c’est-à-dire que nous prendrons comme point de départ une absurdité afin de nous rapprocher plus sûrement de la vérité. En tout cas, on ne peut se plaindre d’un manque d’absurdités. Prenons-en une des plus fraîches et des plus crues.
L’écrivain italien Malaparte, quelque chose comme un théoricien fasciste — il en existe aussi — a récemment lancé un livre sur la technique du coup d’Etat ; l’auteur consacre bien entendu un nombre de pages non négligeables de son “investigation” à l’insurrection d’Octobre.
A la différence de la “stratégie” de Lénine qui reste liée aux rapports sociaux et politique de la Russie de 1917, “la tactique de Trotsky n’est — selon les termes de Malaparte — au contraire nullement liée aux conditions générales du pays”. Telle est l’idée principale de l’ouvrage ! Malaparte oblige Lénine et Trotsky, dans les pages de son livre, à conduire de nombreux dialogues dans lesquels les interlocuteurs font tous les deux montre d’aussi peu de profondeur d’esprit que la nature en a mis à la disposition de Malaparte. Aux objections de Lénine sur les prémisses sociales et politiques de l’insurrection, Malaparte attribue à Trotsky soi-disant la réponse littérale suivante : “Votre stratégie exige beaucoup trop de conditions favorables ; l’insurrection n’a besoin de rien, elle se suffit à elle-même”. Vous entendez ? “L’insurrection n’a besoin de rien”. Telle est précisément, chers auditeurs, l’absurdité qui doit nous servir à nous rapprocher de la vérité. L’auteur répète avec persistance qu’en octobre ce n’est pas la stratégie de Lénine mais la tactique de Trotsky qui a triomphé. Cette tactique menace, selon ses propres termes, encore maintenant, la tranquillité des Etats européens. “La stratégie de Lénine — je cite textuellement — ne constitue aucun danger immédiat pour les gouvernements de l’Europe. La tactique de Trotsky constitue pour eux un danger actuel et par conséquent permanent”. Plus concrètement : “Mettez Poincaré à la place de Kerensky et le coup d’Etat bolchévik d’Octobre 1917 eut tout aussi bien réussi”. Il est difficile de croire qu’un tel livre soit traduit en diverses langues et accueilli sérieusement.
En vain chercherions-nous à approfondir pourquoi en général la stratégie de Lénine dépendant des conditions historiques est nécessaire, si la “tactique de Trotsky” permet de résoudre la même tâche dans toute la situation. Et pourquoi les révolutions victorieuses sont-elles si rares si, pour leur réussite, il ne suffit que d’une paire de recettes techniques ?
Le dialogue entre Lénine et Trotsky présenté par l’écrivain fasciste est dans l’esprit comme dans la forme une invention inepte du commencement jusqu’à la fin. De telles inventions circulent beaucoup dans le monde. Par exemple maintenant à Madrid un livre est imprimé sous mon nom : La vida del Lenin (“La vie de Lénine”) pour lequel je suis aussi peu responsable que pour les recettes tactiques de Malaparte. L’hebdomadaire de Madrid Estampa présenta de ce soi-disant livre de Trotsky sur Lénine en bonnes feuilles, des chapitres entiers qui contiennent des outrages abominables contre la mémoire de l’homme que j’estimais et que j’estime incomparablement plus haut que quiconque parmi mes contemporains.
Mais abandonnons les faussaires à leur sort. Le vieux Wilhelm Leibknecht, le père du combattant et héros immortel Karl Leibknecht, aimait répéter : “L’homme politique révolutionnaire doit être pourvu d’une peau épaisse”. Le docteur Stockmann recommandait encore plus clairement à celui qui se propose d’aller à l’encontre de l’opinion sociale de ne pas mettre de pantalons neufs.
Nous enregistrons ces deux bons conseils, et nous passons à l’ordre du jour.
Quelles questions la Révolution d’Octobre éveille-t-elle chez un homme qui réfléchit ?
1) Pourquoi et comment cette révolution a-t-elle abouti ? Plus concrètement : pourquoi la révolution prolétarienne a-t-elle triomphé dans un des pays les plus arriérés d’Europe ?
2) Qu’a apporté la Révolution d’Octobre ?
Et enfin :
3) A-t-elle fait ses preuves ?Les causes d’Octobre
A la première question — sur les causes — on peut déjà maintenant répondre d’une façon plus ou moins complète. J’ai tenté de le faire le plus explicitement dans mon Histoire de la Révolution. Ici, je ne puis que formuler les conclusions les plus importantes.
Le fait que le prolétariat soit arrivé au pouvoir pour la première fois dans un pays aussi arriéré que l’ancienne Russie tsariste, n’apparaît mystérieux qu’à première vue ; en réalité cela est tout à fait logique. On pouvait le prévoir et on l’a prévu. Plus encore : sur la perspective de ce fait, les révolutionnaires marxistes édifièrent leur stratégie longtemps avant les événements décisifs.
L’explication première est la plus générale : la Russie est un pays arriéré mais elle n’est seulement qu’une partie de l’économie mondiale, qu’un élément du système capitaliste mondial. En ce sens, Lénine a résolu l’énigme de la Révolution russe par la formule lapidaire : la chaîne est rompue à son maillon le plus faible.
Une illustration nette : la grande guerre, issue des contradictions de l’impérialisme mondial, entraîna dans son tourbillon des pays qui se trouvaient à des étapes différentes de développement, mais elle posa les mêmes exigences à tous les participants. Il est clair que les charges de la guerre devaient être particulièrement insupportables pour les pays les plus arriérés. La Russie fut la première contrainte à céder le terrain. Mais pour se détacher de la guerre, le peuple russe devait abattre les classes dirigeantes. Ainsi la chaîne de la guerre se rompit à son plus faible chaînon.
Mais la guerre n’est pas une catastrophe venue du dehors comme un tremblement de terre, c’est, pour parler avec le vieux Clausewitz, la continuation de la politique par d’autres moyens. Pendant la guerre, les tendances principales du système impérialiste du temps de “paix” ne firent que s’extérioriser plus crûment. Plus hautes sont les forces productives générales, plus tendue la concurrence mondiale, plus aigus les antagonismes, plus effrénée la course aux armements, et d’autant plus pénible est la situation pour les participants les plus faibles. C’est précisément pourquoi les pays arriérés occupent les premières places dans la série des écroulements. La chaîne du capitalisme mondial a toujours tendance à se rompre au chaînon le plus faible.
Si à la suite de quelques conditions extraordinaires ou extraordinairement défavorables (par exemple une intervention militaire victorieuse de l’extérieur ou des fautes irréparables du gouvernement soviétique lui-même) le capitalisme russe était rétabli sur l’immense territoire soviétique, en même temps que lui serait aussi inévitablement rétablie son insuffisance historique, et lui-même serait bientôt à nouveau la victime des mêmes contradictions qui le conduisirent en 1917 à l’explosion. Aucune recette tactique n’aurait pu donner la vie à la Révolution d’Octobre si la Russie ne l’avait portée dans son corps. Le parti révolutionnaire ne peut finalement prétendre pour lui qu’au rôle d’accoucheur qui est obligé d’avoir recours à une opération césarienne.
On pourrait m’objecter : vos considérations générales peuvent suffisamment expliquer pourquoi la vieille Russie, ce pays où le capitalisme arriéré auprès d’une paysannerie misérable était couronné par une noblesse parasitaire et une monarchie putréfiée, devait faire naufrage. Mais dans l’image de la chaîne, et du plus faible maillon, il manque toujours encore la clé de l’énigme proprement dite : comment dans un pays arriéré, la révolution socialiste pouvait-elle triompher ? Mais l’histoire connaît beaucoup d’exemples de décadence de pays et de cultures avec l’écroulement simultané des vieilles classes pour qui il ne s’est trouvé aucune relève progressiste. L’écroulement de la vieille Russie aurait dû, à première vue, transformer le pays en une colonie capitaliste plutôt qu’en un Etat socialiste.
Cette objection est très intéressante. Elle nous mène directement au coeur de tout le problème. Et cependant cette objection est vicieuse, je dirais dépourvue de proportion interne. D’une part elle provient d’une conception exagérée en ce qui concerne le retard de la Russie, d’autre part d’une fausse conception théorique en ce qui concerne le phénomène du retard historique en général.
Les êtres vivants, entre autres les hommes naturellement aussi, traversent suivant leur âge des stades de développement semblables. Chez un enfant normal de 5 ans, on trouve une certaine correspondance entre le poids, le tour de taille et les organes internes. Mais il en est déjà autrement avec la conscience humaine. En opposition avec l’anatomie et la physiologie, la psychologie, celle de l’individu comme celle de la collectivité, se distingue par l’extraordinaire capacité d’assimilation, la souplesse et l’élasticité : en cela même consiste aussi l’avantage aristocratique de l’homme sur sa parenté zoologique la plus proche de l’espèce des singes. La conscience, susceptible d’assimiler et souple, confère comme condition nécessaire du progrès historique aux “organismes” dits sociaux, à la différence des organismes réels, c’est-à-dire biologiques, une extraordinaire variabilité de la structure interne. Dans le développement des nations et des Etats, des Etats capitalistes en particulier, il n’y a ni similitude ni uniformité. Différents degrés de culture, même leurs pôles se rapprochent et se combinent assez souvent dans la vie d’un seul et même pays.
N’oublions pas, chers auditeurs, que le retard historique est une notion relative. S’il y a des pays arriérés et avancés, il y a aussi une action réciproque entre eux ; il y a la pression des pays avancés sur les retardataires ; il y a la nécessité pour les pays arriérés de rejoindre les pays avancés, de leur emprunter la technique, la science, etc. Ainsi surgit un type combiné du développement : des traits de retard s’accouplent au dernier mot de la technique mondiale et de la pensée mondiale. Enfin, les pays historiquement arriérés, pour surmonter leur retard, sont parfois contraints de dépasser les autres.
La souplesse de la conscience collective donne la possibilité d’atteindre dans certaines conditions sur l’arène sociale le résultat que l’on appelle dans la psychologie individuelle, “la compensation”. Dans ce sens, on peut dire que la Révolution d’Octobre fut pour les peuples de la Russie un moyen héroïque de surmonter leur propre infériorité économique et culturelle.
Mais passons sur ces généralisations historico-politiques, peut-être quelque peu trop abstraites, pour poser la même question sous une forme plus concrète, c’est-à-dire à travers les faits économiques vivants. Le retard de la Russie au XXème siècle s’exprime le plus clairement ainsi : l’industrie occupe dans le pays une place minime en comparaison du village, le prolétariat en comparaison de la paysannerie. Dans l’ensemble, cela signifie une faible productivité du travail national. Il suffit de dire qu’à la veille de la guerre, lorsque la Russie tsariste avait atteint le sommet de sa prospérité, le revenu national était 8 à 10 fois plus bas qu’aux Etats-Unis. Cela exprime numériquement “l’amplitude” du retard, si l’on peut en général se servir du mot amplitude en ce qui concerne le retard.
En même temps la loi du développement combiné s’exprime dans le domaine économique à chaque pas dans les phénomènes simples comme dans les phénomènes complexes. Presque sans routes nationales, la Russie se vit obligée de construire des chemins de fer. Sans être passée par l’artisanat européen et la manufacture, la Russie passa directement aux entreprises mécaniques. Sauter les étapes intermédiaires, tel est le sort des pays arriérés.
Tandis que l’économie paysanne restait fréquemment au niveau du 17ème siècle, l’industrie de la Russie, si ce n’est par sa capacité du moins par son type, se trouvait au niveau des pays avancés et dépassait ceux-ci sous maints rapports. Il suffit de dire que les entreprises géantes avec plus de mille ouvriers occupaient aux Etats-Unis moins de 18% du total des ouvriers industriels, et par contre en Russie plus de 41%. Ce fait se laisse mal concilier avec la conception banale du retard économique de la Russie. Toutefois, il ne contredit pas le retard, il complète dialectiquement celui-ci.
La structure de classe du pays portait aussi le même caractère contradictoire. Le capital financier de l’Europe industrialisa l’économie russe à un rythme accéléré. La bourgeoisie industrielle acquit aussitôt un caractère de grand capitalisme, ennemi du peuple. De plus, les actionnaires étrangers vivaient hors du pays. Par contre, les ouvriers étaient bien entendu des Russes. Une bourgeoisie russe numériquement faible qui n’avait aucune racine nationale se trouvait de cette manière opposée à un prolétariat relativement fort avec de fortes et profondes racines dans le peuple.
Au caractère révolutionnaire du prolétariat contribua le fait que la Russie — précisément comme pays arriéré obligé de rejoindre les adversaires — n’était pas arrivée à élaborer un conservatisme social ou politique propre. Comme pays le plus conservateur de l’Europe, même du monde entier, le plus ancien pays capitaliste, l’Angleterre me donne raison. Le pays d’Europe le plus libéré du conservatisme pouvait bien être la Russie.
Le prolétariat russe, jeune, frais, résolu, ne constituait cependant toujours qu’une minorité infime de la nation. Les réserves de sa puissance révolutionnaire se trouvaient en dehors du prolétariat même : dans la paysannerie, vivant dans un semi-servage, et dans les nationalités opprimées.
La paysannerie
La question agraire constituait la base de la révolution. L’ancien servage Etatique-monarchique était doublement insupportable dans les conditions de la nouvelle exploitation capitaliste. La communauté agraire occupait environ 140 millions de déciatines. A trente mille gros propriétaires fonciers, dont chacun possédait en moyenne plus de 2 000 déciatines, revenait un total de 70 millions de déciatines, c’est-à-dire autant qu’à environ 10 millions de familles paysannes, ou 50 millions d’êtres formant la population agraire. Cette statistique de la terre constituait un programme achevé du soulèvement paysan.
Un noble, Boborkin, écrivit en 1917 au Chambellan Rodzianko, le président de la dernière Douma d’Etat : “Je suis un propriétaire foncier et il ne me vient pas à l’idée que je doive perdre ma terre, et encore pour un but incroyable, pour expérimenter l’enseignement socialiste”. Mais les révolutions ont précisément pour tâches d’accomplir ce qui ne pénètre pas dans les classes dominantes.
A l’automne 1917, presque tout le pays était atteint par le soulèvement paysan. Sur 621 districts de la vieille Russie, 482 — c’est à dire 77% — étaient touchés par le mouvement. Le reflet de l’incendie du village illuminait l’arène du soulèvement dans les villes.
Mais la guerre paysanne contre les propriétaires fonciers, allez-vous m’objecter, est un des éléments classiques de la révolution bourgeoise et pas du tout de la révolution prolétarienne !
Je réponds : tout à fait juste, il en fut ainsi dans le passé ! Mais c’est précisément l’impuissance de vie de la société capitaliste dans un pays historiquement arriéré qui s’exprime en cela même, que le soulèvement paysan ne pousse pas en avant les classes bourgeoises de la Russie, mais au contraire les rejette définitivement dans le camp de la réaction. Si la paysannerie ne voulait pas sombrer, il ne lui restait rien d’autre que l’alliance avec le prolétariat industriel. Cette jonction révolutionnaire des deux classes opprimées, Lénine la prévit génialement, et la prépara de longue main.
Si la question agraire avait été résolue courageusement par la bourgeoisie, alors, assurément le prolétariat russe n’aurait nullement pu arriver au pouvoir en 1917. Venue trop tard, tombée précocement en décrépitude, la bourgeoisie russe, cupide et lâche, n’osa cependant pas lever la main contre la propriété féodale. Ainsi, elle remit le pouvoir au prolétariat, et en même temps le droit de disposer du sort de la société bourgeoise.
Afin que l’Etat soviétique se réalise, l’action combinée de deux facteurs de nature historique différente était par conséquent nécessaire : la guerre paysanne, c’est-à-dire un mouvement qui est caractéristique de l’aurore du développement bourgeois, et le soulèvement prolétarien qui annonce le déclin du mouvement bourgeois. En cela même réside le caractère combiné de la Révolution russe.
Qu’il se dresse une fois sur ses pattes de derrière, et l’ours paysan devient redoutable dans son emportement. Cependant il n’est pas en état de donner à son indignation une expression consciente. Il a besoin d’un dirigeant. Pour la première fois dans l’histoire du monde, la paysannerie insurgée a trouvé dans la personne du prolétariat un dirigeant loyal.
4 millions d’ouvriers de l’industrie et des transports dirigent 100 millions de paysans. Tel fut le rapport naturel et inévitable entre le prolétariat et la paysannerie dans la révolution.
La question nationale
La seconde réserve révolutionnaire du prolétariat était constituée par les nations opprimées, d’ailleurs à composition paysanne prédominante également. Le caractère extensif du développement de l’Etat, qui s’étend comme une tache de graisse du centre moscovite jusqu’à la périphérie, est étroitement lié au retard historique du pays. A l’est, il subordonne les populations encore plus arriérées pour mieux étouffer, en s’appuyant sur elles, les nationalités plus développées de l’ouest. Aux 10 millions de grands-russes qui constituaient la masse principale de la population, s’adjoignaient successivement 90 millions d’“allogènes”.
Ainsi se composait l’empire dans la composition duquel la nation dominante ne constituait que 43% de la population, tandis que les autres 57% relevaient de nationalités de culture et de régime différents. La pression nationale était en Russie incomparablement plus brutale que dans les Etats voisins, et à vrai dire non seulement de ceux qui étaient de l’autre côté de la frontière occidentale, mais aussi de la frontière orientale. Cela conférait au problème nationale une force explosive énorme.
La bourgeoisie libérale russe ne voulait, ni dans la question nationale, ni dans la question agraire, aller au-delà de certaines atténuations du régime d’oppression et de violence. Les gouvernements “démocratiques” de Milioukov et de Kerensky qui reflétaient les intérêts de la bourgeoisie et de la bureaucratie grand-russe se hâtèrent au cours des huit mois de leur existence précisément de le faire comprendre aux nations mécontentes : vous n’obtiendrez que ce que vous arracherez par la force.
Lénine avait très tôt pris en considération l’inévitabilité du développement du mouvement national centrifuge. Le parti bolchévique lutta durant des années opiniâtrement pour le droit d’autodétermination des nations, c’est-à-dire pour le droit à la complète séparation étatique. Ce n’est que par cette courageuse position dans la question nationale que le prolétariat russe put gagner peu à peu la confiance des populations opprimées. Le mouvement de libération nationale, comme aussi le mouvement paysan se tournèrent forcément contre la démocratie officielle, fortifièrent le prolétariat, et se jetèrent dans le lit de l’insurrection d’Octobre.
La révolution permanente
Ainsi se dévoile peu à peu devant nous l’énigme de l’insurrection prolétarienne dans un pays historiquement arriéré.
Longtemps avant les événements, les révolutionnaires marxistes ont prévu la marche de la révolution et le rôle historique du jeune prolétariat russe. Peut-être me permettra-t-on de donner ici un extrait de mon propre ouvrage sur l’année 1905 :
“(…) Dans un pays économiquement plus arriéré, le prolétariat peut arrivé plus tôt au pouvoir que dans un pays capitaliste avancé.
“(…) La révolution russe crée (…) de telles conditions dans lesquelles le pouvoir peut passer (et avec la victoire de la révolution, doit passer) au prolétariat, même avant que la politique du libéralisme bourgeois ait eu la possibilité de déployer dans toute son ampleur son génie étatique.
“(…) Le sort des intérêts révolutionnaires les plus élémentaires de la paysannerie (…) se noue au sort de toute la révolution, c’est-à-dire au sort du prolétariat. Le prolétariat arrivant au pouvoir apparaîtra à la paysannerie comme le libérateur de classe.
“(…) Le prolétariat entre au gouvernement comme représentant révolutionnaire de la nation, comme dirigeant reconnu du peuple en lutte contre l’absolutisme et la barbarie du servage.
“(…) Le régime prolétarien devra dès le début se prononcer pour la solution de la question agraire à laquelle est liée la question du sort de puissantes masses populaires de la Russie.”
Je me suis permis d’apporter cette citation pour témoigner que la théorie de la Révolution d’Octobre présentée aujourd’hui par moi n’est pas une improvisation rapide, et ne fut pas construite après coup sous la pression des événements. Non, elle fut émise sous la forme d’un pronostic politique longtemps avant l’insurrection d’Octobre. Vous serez d’accord que la théorie n’a de valeur en général que dans la mesure où elle aide à prévoir le cours du développement, et à influencer vers ses buts. En cela même consiste, pour parler de façon générale, l’importance inestimable du marxisme comme arme d’orientation sociale et historique. Je regrette que le cadre étroit de l’exposé ne me permette pas d’étendre la citation précédente d’une façon plus large, c’est pourquoi je me contente d’un court résumé de tout l’écrit de l’année 1905.
D’après ses tâches immédiates, la Révolution russe est une révolution bourgeoise. Mais la bourgeoisie russe est anti-révolutionnaire. Par conséquent la victoire de la révolution n’est possible que comme victoire du prolétariat. Or, le prolétariat victorieux ne s’arrêtera pas au programme de la démocratie bourgeoise, il passera au programme du socialisme. La Révolution russe deviendra la première étape de la révolution socialiste mondiale.
Telle était la théorie de la révolution permanente, édifiée par moi en 1905 et depuis exposée à la critique la plus acerbe sous le nom de “trotskysme”.
Pour mieux dire : ce n’est qu’une partie de cette théorie. L’autre, maintenant particulièrement d’actualité, exprime :
Les forces productives actuelles ont depuis longtemps dépassé les barrières nationales. La société socialiste est irréalisable dans les limites nationales. Si importants que puissent être les succès économiques d’un Etat ouvrier isolé, le programme du “socialisme dans un seul pays” est une utopie petite bourgeoise. Seule une Fédération européenne, et ensuite mondiale, de républiques socialistes, peut ouvrir la voie à une société socialiste harmonieuse.
Aujourd’hui, après l’épreuve des événements, je vois moins de raisons que jamais de me dédire de cette théorie.
Le bolchévisme
Après tout ce qui vient d’être dit, est-il encore la peine de se souvenir de l’écrivain fasciste Malaparte, qui m’attribue une tactique indépendante de la stratégie et découlant de recettes insurrectionnelles techniques qui seraient applicables toujours et sous tous les méridiens ? Il est du moins bon que le nom du malheureux théoricien du coup d’Etat permette de le distinguer sans peine du praticien victorieux du coup d’Etat : personne ne risque ainsi de confondre Malaparte avec Bonaparte.
Sans le soulèvement du 7 novembre 1917, l’Etat soviétique n’existerait pas. Mais le soulèvement même n’était pas tombé du ciel. Pour la Révolution d’Octobre, une série de prémisses historiques était nécessaire.
1° La pourriture des anciennes classes dominantes, de la noblesse, de la monarchie, de la bureaucratie ;
2° La faiblesse politique de la bourgeoisie qui n’avait aucune racine dans les masses populaires ;
3° Le caractère révolutionnaire de la question agraire ;
4° Le caractère révolutionnaire du problème des nationalités opprimées ;
5° Le poids social imposant du prolétariat.
A ces prémisses organiques, on doit ajouter des conditions conjoncturelles hautement importantes :
6° La Révolution de 1905 fut la grande école ou, selon l’expression de Lénine, la “répétition générale” de la Révolution de 1917. Les soviets, comme forme d’organisation irremplaçable du front unique prolétarien dans la révolution, furent constitués pour la première fois en 1905 ;
7° La guerre impérialiste aiguisa toutes les contradictions, arracha les masses arriérées à leur état d’immobilité, et prépara ainsi le caractère grandiose de la catastrophe ;
Mais toutes ces conditions qui suffisaient complètement pour que la Révolution éclate, étaient insuffisantes pour assurer la victoire du prolétariat dans la Révolution. Pour cette victoire, une condition était encore nécessaire :
8° Le parti bolchévique.
Si j’énumère cette condition comme la dernière de la série, ce n’est que parce que cela correspond à la conséquence logique, et non parce que j’attribue au parti la place la moins importante.
Non, je suis très éloigné de cette pensée. La bourgeoisie libérale, elle, peut s’emparer du pouvoir et l’a pris déjà plusieurs fois comme résultat de luttes auxquelles elle n’avait pas pris part : elle possède à cet effet des organes de préhension magnifiquement développés. Cependant, les masses laborieuses se trouvent dans une autre situation, on les a habituées à donner et non à prendre. Elles travaillent, patientes, aussi longtemps que cela va, espèrent, perdent patience, se soulèvent, combattent, meurent, apportent la victoire aux autres, sont trompées, tombent dans le découragement, elles courbent à nouveau la nuque, elles travaillent à nouveau. Telle est l’histoire des masses populaires sous tous les régimes. Pour prendre fermement et sûrement le pouvoir dans ses mains, le prolétariat a besoin d’un parti qui dépasse de loin les autres partis comme clarté de pensée et comme décision révolutionnaire.
Le parti des bolchéviks que l’on désigna plus d’une fois et à juste titre comme le parti le plus révolutionnaire dans l’histoire de l’humanité, était la condensation vivante de la nouvelle histoire de la Russie, de tout ce qui était dynamique en elle. Depuis longtemps déjà la chute de la monarchie était devenue la condition préalable du développement de l’économie et de la culture. Mais pour répondre à cette tâche, les forces manquaient. La bourgeoisie s’effrayait devant la Révolution. Les intellectuels tentèrent de dresser la paysannerie sur ses jambes. Incapable de généraliser ses propres peines et ses buts, le moujik laissa cette exhortation sans réponse. L’intelligentsia s’arma de dynamite. Toute une génération se consuma dans cette lutte.
Le 1er Mars 1887, Alexandre Oulianov exécuta le dernier des grands attentats terroristes. La tentative d’attentat contre Alexandre III échoua. Oulianov et les autres participants furent pendus. La tentative de remplacer la classe révolutionnaire par une préparation chimique, avait fait naufrage. Même l’intelligentsia la plus héroïque n’est rien sans les masses. Sous l’impression immédiate de ces faits et de ses conclusions, grandit et se forma le plus jeune frère de Oulianov, Vladimir, le futur Lénine, la plus grande figure de l’histoire russe. De bonne heure dans sa jeunesse, il se plaça sur le terrain du marxisme et tourna le visage vers le prolétariat. Sans perdre des yeux un instant le village, il chercha le chemin vers la paysannerie à travers les ouvriers. En héritant de ses précurseurs révolutionnaires la résolution, la capacité de sacrifice, la disposition à aller jusqu’au bout, Lénine devint dans ses années de jeunesse l’éducateur de la nouvelle génération intellectuelle et des ouvriers avancés. Dans les luttes grévistes et de rues, dans les prisons et en déportation, les travailleurs acquirent la trempe nécessaire. Le projecteur du marxisme leur était nécessaire pour éclairer dans l’obscurité de l’autocratie leur voie historique.
En 1883 naquit dans l’émigration le premier groupe marxiste. En 1898, à une assemblée clandestine fut proclamée la création du parti social-démocrate ouvrier russe (nous nous appelions tous en ce temps sociaux-démocrates). En 1903, eut lieu la scission entre bolchéviks et mencheviks. En 1912, la fraction bolchévique devint définitivement un parti indépendant.
Il enseigna à reconnaître la mécanique de classe de la société dans les luttes, dans de grandioses événements, pendant 12 ans (1905-1917). Il éduqua des cadres aptes également à l’initiative comme à l’obéissance. La discipline de l’action révolutionnaire s’appuyait sur l’unité de la doctrine, les traditions des luttes communes et la confiance envers une direction éprouvée.
Tel était le parti en 1917. Tandis que l’“opinion publique” officielle et les tonnes de papier de la presse intellectuelle le mésestimaient, il s’orientait selon le mouvement des masses. Il tenait fermement le levier en main au-dessus des usines et des régiments. Les masses paysannes se tournaient toujours plus vers lui. Si l’on entend par nation non les sommets privilégiés, mais la majorité du peuple, c’est-à-dire les ouvriers et les paysans, alors le bolchevisme devint au cours de l’année 1917 le parti russe véritablement national.
En 1917, Lénine, contraint de se tenir à l’abri, donna le signal : “La crise est mûre, l’heure du soulèvement approche”. Il avait raison. Les classes dominantes étaient tombées dans l’impasse en face des problèmes de la guerre et de la libération nationale. La bourgeoisie perdit définitivement la tête. Les partis démocratiques, les mencheviks et les socialistes révolutionnaires, dissipèrent le dernier reste de leur confiance auprès des masses, en soutenant la guerre impérialiste par la politique de compromis impuissants et de concessions aux propriétaires bourgeois et féodaux. L’armée réveillée ne voulait plus lutter pour les buts de l’impérialisme qui lui étaient étrangers. Sans faire attention aux conseils démocratiques, la paysannerie expulsa les propriétaires fonciers de leurs domaines. La périphérie nationale opprimée de l’empire se dressa contre la bureaucratie petersbourgeoise. Dans les conseils d’ouvriers et de soldats les plus importants, les bolchéviks dominaient. Les ouvriers et les soldats exigeaient des actes. L’abcès était mûr. Il fallait un coup de bistouri.
Le soulèvement ne fut possible que dans ces conditions sociales et politiques.
Et il fut aussi inéluctable. Mais on ne peut plaisanter avec l’insurrection. Malheur au chirurgien qui manie négligemment le bistouri. L’insurrection est un art. Elle a ses lois et ses règles.
Le parti réalisa l’insurrection d’Octobre avec un calcul froid et une résolution ardente. Grâce à cela précisément, elle triompha presque sans victimes. Par les soviets victorieux, les bolchéviks se placèrent à la tête du pays qui englobe un sixième de la surface terrestre.
Il est à supposer que la majorité de mes auditeurs d’aujourd’hui ne s’occupaient en 1917 encore nullement de politique. Cela est d’autant mieux. La jeune génération a devant elle beaucoup de choses intéressantes, mais aussi des choses pas toujours faciles.
Mais les représentants des vieilles générations dans cette salle se rappelleront certainement très bien comment fut accueillie la prise du pouvoir par les bolchéviks : comme une curiosité, un malentendu, un scandale, le plus souvent comme un cauchemar qui devait se dissiper au premier rayon de soleil. Les bolchéviks se maintiendraient 24 heures, une semaine, un mois, une année. Il fallait repousser les délais toujours plus… Les maîtres du monde entier armaient contre le premier Etat ouvrier : déclenchement de la guerre civile, nouvelles et nouvelles interventions, blocus. Ainsi passa une année après l’autre. L’histoire a eu à enregistrer entre temps quinze années d’existence du pouvoir soviétique.
Oui, dira quelque adversaire : l’aventure d’Octobre s’est montrée beaucoup plus solide que beaucoup d’entre nous le pensions. Peut-être ne fut-ce pas complètement une “aventure”. Néanmoins la question conserve toute sa force : qu’a-t-on obtenu pour ce prix si élevé ? Peut-être a-t-on réalisé ces tâches si brillantes annoncées par les bolchéviks à la veille de l’insurrection ? Avant de répondre à l’adversaire supposé, observons que la question en elle-même n’est pas nouvelle. Au contraire, elle s’attache aux pas de la Révolution d’Octobre depuis le jour de sa naissance.
Le journaliste français Claude Anet qui séjournait à Petrograd pendant la Révolution, écrivait déjà le 27 Octobre 1917 :
“Les maximalistes (c’est ainsi que les français appelaient alors les bolchéviks) ont pris le pouvoir, et le grand jour est arrivé. Enfin, me dis-je, je vais voir se réaliser l’Éden socialiste qu’on nous promet depuis tant d’années… Admirable aventure ! Position privilégiée !”, etc., etc., et ainsi de suite. Quelle haine sincère derrière ces salutations ironiques ! Dès le lendemain de la prise du Palais d’Hiver, le journaliste réactionnaire s’empressait d’annoncer ses prétentions à une carte d’entrée pour l’Éden. Quinze années se sont écoulées depuis l’insurrection. Avec un manque de cérémonie d’autant plus grand, les adversaires manifestent leur joie maligne qu’aujourd’hui encore le pays des Soviets ressemble très peu à un royaume de bien-être général. Pourquoi donc la Révolution et pourquoi les victimes ?
Bilan d’Octobre
Chers auditeurs, je me permets de penser que les contradictions, les difficultés, les fautes et les insuffisances du régime soviétique ne me sont pas moins connues qu’à qui que ce soit. Personnellement, je ne les ai jamais dissimulées, ni en paroles ni en écrits. Je pensais et je pense que la politique révolutionnaire — à la différence de la politique conservatrice — ne peut être édifiée sur le camouflage. “Dire ce qui est” doit être le principe le plus élevé de l’Etat ouvrier.
Mais il faut des perspectives dans la critique, comme dans l’activité créatrice. Le subjectivisme est un mauvais aiguilleur, surtout dans les grandes questions. Les délais doivent être adaptés aux tâches et non aux caprices individuels. Quinze années ! Qu’est-ce pour une seule vie ? Pendant ce temps, nombreux sont ceux de notre génération qui furent enterrés, chez les survivants les cheveux gris se sont beaucoup multipliés. Mais ces mêmes quinze années : quelle période minime dans la vie d’un peuple ! Rien qu’une minute sur la montre de l’histoire.
Le capitalisme eut besoin de siècles pour s’affirmer dans la lutte contre le moyen âge, pour élever la science et la technique, pour construire les chemins de fer, pour tendre des fils électriques. Et alors ? Alors, l’humanité fut jetée par le capitalisme dans l’enfer des guerres et des crises ! Mais au socialisme, ses adversaires, c’est-à-dire les partisans du capitalisme, n’accordent qu’une décade et demi pour instaurer sur terre le paradis avec tout le confort. Non, nous n’avons pas à assumer sur nous de telles obligations. Nous n’avons pas posé de tels délais. On doit mesurer les processus de grands changements avec une échelle qui leur soit adéquate. Je ne sais si la société socialiste ressemblera au paradis biblique. J’en doute fort. Mais dans l’Union soviétique, il n’y a pas encore de socialisme. Un Etat de transition, plein de contradictions, chargé du lourd héritage du passé, en outre, sous la pression ennemie des Etats capitalistes y domine. La Révolution d’Octobre a proclamé le principe de la nouvelle société. La République soviétique n’a montré que le premier stade de sa réalisation. La première lampe d’Edison fut très mauvaise. Sous les fautes et les erreurs de la première édification socialiste, on doit savoir discerner l’avenir.
Et les calamités qui s’abattent sur les êtres vivants ?
Les résultats de la Révolution justifient-ils peut-être les victimes causées par elles ? Question stérile et profondément rhétorique : comme si les processus de l’histoire relevaient d’un plan comptable ! Avec autant de raison, face aux difficultés et peines de l’existence humaine, on pourrait demander : cela vaut-il vraiment la peine d’être sur la terre ? Lénine écrivit à ce propos : “Et le sot attend une réponse”… Les méditations mélancoliques n’ont pas interdit à l’homme d’engendrer et de naître. Même dans ces jours d’une crise mondiale sans exemple, les suicides constituent heureusement un pourcentage peu élevé. Mais les peuples n’ont pas l’habitude de chercher refuge dans le suicide. Ils cherchent l’issue aux fardeaux insupportables dans la Révolution.
En outre, qui s’indigne au sujet des victimes de la Révolution socialiste ? Le plus souvent, ce sont ceux qui ont préparé et glorifié les victimes de la guerre impérialiste ou du moins qui s’en sont très facilement accommodés. C’est notre tour de demander : la guerre s’est-elle justifiée ? Qu’a-t-elle donné ? Qu’a-t-elle enseigné ?
Dans ses 11 volumes de diffamation contre la grande Révolution française, l’historien réactionnaire Hyppolyte Taine décrit non sans joie maligne les souffrances du peuple français dans les années de la dictature jacobine et celles qui la suivirent. Elles furent surtout pénibles pour les couches inférieures des villes, les plébéiens, qui, comme sans-culotte, donnèrent à la Révolution la meilleure partie de leur âme. Eux ou leurs femmes passaient des nuits froides dans des queues pour retourner le lendemain les mains vides, au foyer familial glacial. Dans la dixième année de la Révolution, Paris était plus pauvre qu’avant son éclosion. Des faits soigneusement choisis, artificiellement compilés, servent à Taine pour fonder son verdict destructeur contre la Révolution. Voyez-vous, les plébéiens voulaient être des dictateurs et se sont jetés dans la misère !
Il est difficile d’imaginer un moraliste plus plat : premièrement, si la Révolution avait jeté le pays dans la misère, la faute en retombait avant tout sur les classes dirigeantes qui avaient poussé le peuple à la révolution. Deuxièmement : la grande Révolution française ne s’épuisa pas en queues de famine devant les boulangeries. Toute la France moderne, sous certains rapports toute la civilisation moderne sont sorties du bain de la Révolution française !
Au cours de la guerre civile aux Etats-Unis, pendant l’année soixante du siècle précédent, 50 000 hommes sont tombés. Ces victimes se justifient-elles ?
Du point de vue des esclavagistes américains et des classes dominantes de Grande-Bretagne qui marchaient avec eux — Non ! Du point de vue du négre ou du travailleur britannique Complètement ! Et du point de vue du développement de l’humanité dans l’ensemble — il ne peut aussi là-dessus y avoir de doute. De la guerre civile de l’année 60, sont issus les Etats-Unis actuels avec leur initiative pratique effrénée, la technique rationaliste, l’élan économique. Sur ces conquêtes de l’américanisme, l’humanité édifiera la nouvelle société.
La Révolution d’Octobre a pénétré plus profondément que toutes celles qui la précédèrent dans le saint des saints de la société, dans les rapports de propriété. Des délais d’autant plus longs sont nécessaires pour que se manifestent les suites créatrices de la Révolution dans tous les domaines de la vie. Mais l’orientation générale du bouleversement est maintenant déjà claire : devant ses accusateurs capitalistes, la République soviétique n’a aucune raison de courber la tête et de parler le langage de l’excuse.
Pour apprécier le nouveau régime au point de vue du développement humain, on doit d’abord répondre à la question : en quoi s’extériorise le progrès social, et comment peut-il se mesurer ?
Le critère le plus objectif, le plus profond et le plus indiscutable, c’est le progrès qui peut se mesurer par la croissance de la productivité du travail social. L’estimation de la Révolution d’Octobre, sous cet angle, est déjà donnée par l’expérience. Pour la première fois dans l’histoire, le principe de l’organisation socialiste a montré sa capacité en fournissant des résultats de production jamais obtenus dans une courte période.
En chiffres d’index globaux, la courbe du développement industriel de la Russie s’exprime comme suit : Posons pour l’année 1913, la dernière année avant la guerre, le nombre 100. L’année 1920, le sommet de la guerre civile est aussi le point le plus bas de l’industrie : 25 seulement, c’est-à-dire un quart de la production d’avant guerre ; 1925, un accroissement jusqu’à 75, c’est-à-dire jusqu’aux trois-quarts de la production d’avant-guerre ; 1929, environ 200 ; 1932, 300 ; c’est-à-dire trois fois autant qu’à la veille de la guerre.
Le tableau devient encore plus clair à la lumière des index internationaux. De 1925 à 1932, la production industrielle de l’Allemagne a diminué d’environ une fois et demie, en Amérique environ du double ; dans l’Union soviétique, elle a monté à plus du quadruple ; le chiffre parle pour lui-même.
Je ne songe nullement à nier ou dissimuler les côtés sombres de l’économie soviétique. Les résultats des index industriels sont extraordinairement influencés par le développement non favorable de l’économie agraire, c’est-à-dire du domaine qui ne s’est pas encore élevé aux méthodes socialistes, mais qui fut en même temps mené sur la voie de la collectivisation, sans préparation suffisante, plutôt bureaucratiquement que techniquement et économiquement. C’est une grande question qui, cependant, déborde les cadres de ma conférence.
Les chiffres des indices présentés appellent encore une réserve essentielle. Les succès indiscutables et brillants à leur façon de l’industrialisation soviétique exigent une vérification économique ultérieure du point de vue de l’harmonie réciproque des différents éléments de l’économie, de leur équilibre dynamique et, par conséquent, de leur capacité de rendement. De grandes difficultés et même des reculs sont encore inévitables. Le socialisme ne sort pas dans sa forme achevée du plan quinquennal comme Minerve de la tête de Jupiter ou Vénus de l’écume de la mer. On est encore devant des décades de travail opiniâtre, de fautes, d’amélioration et de reconstruction. En outre, n’oublions pas que l’édification socialiste, d’après son essence, ne peut atteindre son achèvement que sur l’arène internationale. Mais même le bilan économique le plus défavorable des résultats obtenus jusqu’à présent ne pourrait révéler que l’inexactitude des données, les fautes du plan et les erreurs de la direction, il ne pourrait contredire le fait établi empiriquement : la possibilité d’élever la productivité du travail collectif à une hauteur jamais existante, à l’aide de méthodes socialistes. Cette conquête, d’une importance historique mondiale, personne et rien ne pourra nous la dérober.
Après ce qui vient d’être dit, à peine faut-il s’attarder aux plaintes selon lesquelles la Révolution d’Octobre a mené la Russie au déclin de la culture. Telle est la voix des classes régnantes et des salons inquiets. La “culture” aristocratico-bourgeoise renversée par la révolution prolétarienne n’était qu’une simili-parure de la barbarie. Pendant qu’elle restait inaccessible au peuple russe, elle apportait peu de neuf au trésor de l’humanité.
Mais aussi en ce qui concerne cette culture tant pleurée par l’émigration blanche, on doit préciser la question : dans quel sens est-elle détruite ? Dans un seul sens : le monopole d’une petite minorité sur les biens de la culture est anéanti. Mais tout ce qui était réellement culturel dans l’ancienne culture russe est resté intact. Les Huns du bolchevisme n’ont piétiné ni la conquête de la pensée ni les oeuvres de l’art. Au contraire, ils ont soigneusement rassemblé les monuments de la création humaine et les ont mis en ordre exemplaire. La culture de la monarchie, de la noblesse et de la bourgeoisie est maintenant devenue la culture des musées historiques.
Le peuple visite avec zèle ces musées. Mais il ne vit pas dans les musées. Il apprend. Il construit. Le seul fait que la Révolution d’Octobre ait enseigné au peuple russe, aux dizaines de peuples de la Russie tsariste, à lire et à écrire, se place incomparablement plus haut que toute la culture russe en serre d’autrefois.
La Révolution d’Octobre a posé la base pour une nouvelle culture destinée non à des élus mais à tous. Les masses du monde entier le sentent. D’où leurs sympathies pour l’Union soviétique, aussi ardentes qu’était jadis leur haine contre la Russie tsariste.
Chers auditeurs, vous savez que le langage humain représente un outil irremplaçable, non seulement pour la désignation des événements, mais aussi pour leur estimation. En écartant l’accidentel, l’épisodique, l’artificiel, il absorbe en lui le réel, il le caractérise et le ramasse. Remarquez avec quelle sensibilité les langues des nations civilisées ont distingué deux époques dans le développement de la Russie. La culture aristocratique apporta dans le monde des barbarismes tels que tsar, cosaque, pogrom, nagaika. Vous connaissez ces mots et vous savez ce qu’ils signifient. Octobre apporta aux langues du monde des mots tels que bolchévik, soviet, kolkhoz, Gosplan, piatiletka. Ici la linguistique pratique rend son jugement historique suprême !
La signification la plus profonde, cependant plus difficilement soumise à une mesure immédiate, de chaque révolution consiste en ce qu’elle forme et trempe le caractère populaire. La représentation du peuple russe comme un peuple lent, passif, mélancolique, mystique est largement répandue et non par hasard. Elle a ses racines dans le passé. Mais jusqu’à présent, ces modifications profondes que la Révolution a introduites dans le caractère du peuple ne sont pas suffisamment prises en considération en Occident. Pouvait-il en être autrement ?
Chaque homme avec une expérience de la vie peut éveiller dans sa mémoire l’image d’un adolescent quelconque connu de lui qui — impressionnable, lyrique, sentimental enfin — devient plus tard, d’un seul coup, sous l’action d’un fort choc moral, plus fort, mieux trempé, et n’est plus à reconnaître. Dans le développement de toute une nation, la Révolution accomplit des transformations morales du même genre.
L’insurrection de février contre l’autocratie, la lutte contre la noblesse, contre la guerre impérialiste, pour la paix, pour la terre, pour l’égalité nationale, l’insurrection d’Octobre, le renversement de la bourgeoisie et des partis qui tendaient aux accords avec la bourgeoisie, trois années de guerre civile sur une ceinture de front de 8 000 kilomètres, les années de blocus, de misère, de famine et d’épidémies, les années d’édification économique tendue, les nouvelles difficultés et privations ; c’est une rude, mais bonne école. Un lourd marteau détruit le verre, mais il forge l’acier. Le marteau de la Révolution forge l’acier du caractère du peuple.
“Qui le croira ?” On devait déjà le croire. Peu après l’insurrection un des généraux tsaristes, Zaleski, s’étonnait “qu’un portier ou qu’un gardien devienne d’un coup un président de tribunal ; un infirmier, directeur d’hôpital ; un coiffeur, dignitaire ; un enseigne, commandant suprême ; un journaliste, maire ; un serrurier, dirigeant d’entreprise”.
“Qui le croira ?” On devait déjà le croire. On ne pouvait d’ailleurs pas ne pas le croire, tandis que les enseignes battaient les généraux, le maire, autrefois journalier, brisait la résistance de la vieille bureaucratie, le lampiste mettait de l’ordre dans les transports, le serrurier, comme directeur, rétablissait l’industrie. “Qui le croira ?” Qu’on tente seulement de ne pas le croire.
Pour expliquer la patience inhabituelle que les masses populaires de l’Union soviétique montrèrent dans les années de la Révolution, nombre d’observateurs étrangers font appel par ancienne habitude à la passivité du caractère russe. Anachronisme grossier ! Les masses révolutionnaires supportèrent les privations patiemment mais non passivement. Elles construisirent de leurs propres mains un avenir meilleur et elles veulent le créer à tout prix. Que l’ennemi de classe essaie seulement d’imposer à ces masses patientes du dehors sa volonté ! Non, mieux vaut qu’il ne l’essaie pas!
Pour conclure, essayons de fixer la place de la Révolution d’Octobre non seulement dans l’histoire de la Russie, mais dans l’histoire du monde. Pendant l’année 1917, dans l’intervalle de 8 mois, deux courbes historiques se rencontrèrent. La Révolution de février — cet écho attardé des grandes luttes qui se sont déroulées dans les siècles passés sur les territoires des Pays-Bas, d’Angleterre, de France, de presque toute l’Europe continentale — se lie à la série des révolutions bourgeoises. La Révolution d’Octobre proclame et ouvre la domination du prolétariat. C’est le capitalisme mondial qui subit sur le territoire de la Russie sa première grande défaite. La chaîne cassa au plus faible maillon. Mais c’est la chaîne et non seulement le maillon qui cassa.
Vers le socialisme
Le capitalisme comme système mondial s’est historiquement survécu. Il a cessé de remplir sa mission essentielle ; l’élévation du niveau de la puissance humaine et de la richesse humaine. L’humanité ne peut stagner sur le palier atteint. Seule une puissante élévation des forces productives et une organisation juste, planifiée, c’est-à-dire socialiste, de production et de répartition, peut assurer aux hommes — à tous les hommes — un niveau de vie digne, et conférer en même temps le sentiment précieux de la liberté en face de leur propre économie. De la liberté sous deux sortes de rapports : premièrement, l’homme ne sera plus obligé de consacrer la principale partie de sa vie au travail physique. Deuxièmement, il ne dépendra plus des lois du marché, c’est-à-dire des forces aveugles et obscures qui s’édifient derrière son dos. Il édifiera librement son économie, c’est-à-dire selon un plan, le compas en main. Cette fois, il s’agit de radiographier l’anatomie de la société, de découvrir tous ses secrets et de soumettre toutes ses fonctions à la raison et à la volonté de l’homme collectif. En ce sens, le socialisme doit devenir une nouvelle étape dans la croissance historique de l’humanité. A notre ancêtre qui s’arma pour la première fois d’une hache de pierre, toute la nature se présenta comme la conjuration d’une puissance mystérieuse et hostile. Depuis, les sciences naturelles en collaboration étroite avec la technologie pratique ont éclairé la nature jusque dans ses profondeurs les plus obscures. Au moyen de l’énergie électrique, le physicien rend maintenant son jugement sur le noyau atomique. L’heure n’est plus loin où, en se jouant, la science résoudra la tâche de l’alchimie, transformant le fumier en or, et l’or en fumier. Là où les démons et les furies de la nature se déchaînaient, règne maintenant toujours plus courageusement la volonté industrieuse de l’homme.
Mais tandis qu’il lutta victorieusement avec la nature, l’homme édifia aveuglément ses rapports avec les autres hommes, presque comme les abeilles ou les fourmis. Avec retard et beaucoup d’indécision, il aborda les problèmes de la société humaine. Il commença par la religion pour passer ensuite à la politique. La réforme représenta le premier succès de l’individualisme et du rationalisme bourgeois dans un domaine où avait régné une tradition morte. La pensée critique passa de l’Eglise à l’Etat. Née dans la lutte contre l’absolutisme et les conditions moyenâgeuses, la doctrine de la souveraineté populaire et des droits de l’homme et du citoyen grandit. Ainsi se forma le système du parlementarisme. La pensée critique pénétra dans le domaine de l’administration de l’Etat. Le rationalisme politique de la démocratie signifiait la plus haute conquête de la bourgeoisie révolutionnaire.
Mais entre la nature et l’Etat se trouve l’économie. La technique a libéré l’homme de la tyrannie des anciens éléments : la terre, l’eau, le feu et l’air, pour le soumettre aussitôt à sa propre tyrannie. L’homme cesse d’être l’esclave de la nature pour devenir l’esclave de la machine et, pis encore, l’esclave de l’offre et de la demande. La crise mondiale actuelle témoigne d’une manière particulièrement tragique combien ce dominateur fier et audacieux de la nature reste l’esclave des puissances aveugles de sa propre économie. La tâche historique de notre époque consiste à remplacer le jeu déchaîné du marché par un plan raisonnable, à discipliner les forces productives, à les contraindre d’agir avec harmonie, en servant docilement les besoins de l’homme. C’est seulement sur cette nouvelle base sociale que l’homme pourra redresser son dos fatigué et — non seulement des élus — mais chacun et chacune, devenir un citoyen ayant plein pouvoir dans le domaine de la pensée.
Mais cela n’est pas encore l’extrémité du chemin. Non, ce n’en est que le commencement. L’homme se désigne comme le couronnement de la création. Il y a certains droits. Mais qui affirme que l’homme actuel soit le dernier représentant le plus élevé de l’espèce homo sapiens ? Non, physiquement comme spirituellement, il est très éloigné de la perfection, cet avorton biologique dont la pensée est malade et qui ne s’est créé aucun nouvel équilibre organique.
Il est vrai que l’humanité a plus d’une fois produit des géants de la pensée et de l’action qui dépassent les contemporains comme des sommets sur des chaînes de montagne. Le genre humain a le droit d’être fier de ses Aristote, Shakespeare, Darwin, Beethoven, Goethe, Marx, Edison, Lénine. Mais pourquoi ceux-ci sont-ils si rares ? Avant tout, parce qu’ils sont issus à peu près sans exception des classes les plus élevées et moyennes. Sauf de rares exceptions, les étincelles du génie sont étouffées dans les profondeurs opprimées du peuple, avant qu’elles puissent même jaillir. Mais aussi parce que le processus de génération, de développement et d’éducation de l’homme resta et reste en son essence le fait du hasard ; non éclairé par la théorie et la pratique, non soumis à la conscience et à la volonté.
L’anthropologie, la biologie, la physiologie, la psychologie ont rassemblé des montagnes de matériaux pour ériger devant l’homme, dans toute leur ampleur, les tâches de son propre perfectionnement corporel et spirituel, et de son développement ultérieur. Par la main géniale de Sigmund Freud, la psychanalyse souleva le couvercle du puits nommé poétiquement “l’âme” de l’homme. Et qu’est-il apparu ? Notre pensée consciente ne constitue qu’une petite partie dans le travail des obscures forces psychiques. De savants plongeurs descendent au fond de l’Océan et y photographient de mystérieux poissons. Pour que la pensée humaine descende au fond de son propre puits psychique, elle doit éclairer les forces motrices mystérieuses de l’âme et les soumettre à la raison et à la volonté.
Quand il aura terminé avec les forces anarchiques de sa propre société, l’homme s’intégrera, dans les mortiers, dans les cornues du chimiste. Pour la première fois, l’humanité se considérera elle-même comme une matière première, et dans le meilleur des cas comme une semi-fabrication physique et psychique. Le socialisme signifiera un saut du règne de la nécessité dans le règne de la liberté, aussi en ce sens que l’homme d’aujourd’hui plein de contradictions et sans harmonie frayera la voie à une nouvelle race plus heureuse ».
-
Réchauffement climatique: et s’il était déjà trop tard?
Un capitalisme écologique est-il possible?
Les grands développements industriels sous le capitalisme se sont appuyés sur l’exploitation de ressources énergétiques non renouvelables, principalement le charbon et le pétrole, libérant quantité de gaz -dont le CO2- qui provoquent ce qui est appelé “réchauffement climatique”.
Vincent Devaux
Les conséquences des émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre sont connues depuis des dizaines d’années. Ainsi aux USA, en 1979, le rapport Charney (du nom du météorologue du M.I.T.), commandé par le gouvernement, concluait déjà "Si les émissions de dioxyde de carbone continuent d’augmenter, le groupe d’étude ne voit aucune raison de douter que des changements climatiques en résulteront, et aucune raison de penser que ces changements seront négligeables" (1). Ce même rapport prévoyait l’augmentation de la température moyenne de la surface du globe… mais le capitalisme raisonne à court terme.
Aujourd’hui on ne peut que constater à quel point ces experts et beaucoup d’autres avaient raison. Il est désormais admis par la grande majorité de la communauté scientifique – et même des politiciens – que le réchauffement climatique est la conséquence des activités de l’être humain et qu’il va entraîner de grands changements capables de remettre en question le bien-être de centaines de millions de personnes.
Les effets de ce réchauffement sont multiples – réchauffement de l’atmosphère, réchauffement et acidification des océans, fonte des glaces maritimes, retrait des glaciers – et les scientifiques s’affrontent désormais pour donner une estimation de la gravité des effets et de leurs conséquences "secondaires". Dans les milieux scientifiques, on parle beaucoup de ‘rétroaction positive’, ce qui signifie que les conséquences négatives du réchauffement provoquent elles-mêmes d’autres aggravations; un peu comme en économie, les intérêts d’une dette importante amplifient la dette elle-même (l’effet "boule de neige"). Et comme le CO2 persiste des dizaines d’années dans l’atmosphère, le pire est à venir.
Les conséquences directes pour l’homme sont d’ores et déjà importantes: modifications de la biodiversité, augmentation de maladies comme le paludisme et le choléra, famines, inondations, vagues de chaleur et de sécheresse, avancées de la désertification. Selon les perspectives de l’ONU et le récent Rapport Stern, il pourrait y avoir 50 millions de "réfugiés environnementaux" en 2010 et 200 millions en 2050 (2).
Une prise de conscience?
Si on suit l’actualité, on pourrait croire que les politiciens prennent désormais le problème à bras le corps (ils pourraient même le penser eux-mêmes). Le docu-film d’Al Gore, La vérité qui dérange, fait le tour du monde depuis le mois d’octobre. Du 6 au 17 novembre s’est tenue à Nairobi, capitale du Kenya, la 12e Conférence mondiale sur le réchauffement climatique et quelques jours plus tôt est sorti le Rapport Stern (3), du nom de l’ancien économiste de la Banque Mondiale, analysant en termes financiers les conséquences du réchauffement. Stern a évalué l’impact de celui-ci à 5.500 milliards d’euros d’ici 2050 et prédit que le réchauffement aura un impact comparable à celui des guerres mondiales ou à la crise économique de 1929.
Toutes ces initiatives, si elles ont le point commun positif de populariser la problématique, ont également un point commun plus inquiétant: elles n’apportent pas de solutions à la hauteur du problème.
Ainsi le Protocole de Kyoto, censé réduire l’émission de CO2 au niveau international, n’a, malgré ses objectifs limités, été ratifié ni par les USA qui sont le plus grand pollueur de la planète (4), ni par l’Australie. Le Canada – qui a augmenté ses rejets de CO2 de 30 % – parle de se désengager, la Russie ne doit le respect des normes qu’à l’effondrement de son économie après 1991. Beaucoup de pays occidentaux continuent à polluer plus qu’autorisé par Kyoto en "rachetant" des volumes de CO2 aux pays moins industrialisés.
Les pays les plus pauvres attendent des mécanismes de solidarité de financement des pays riches qui n’arrivent pas (le cas de l’Afrique est flagrant). Les solutions – d’inspiration néo-libérale et néo-coloniale – comme les "quotas de CO2" et les "puits de carbone" sont douteuses et contre-productives. Ainsi le système consistant à faire payer par les pays industrialisés le financement de "plantations industrielles" dans les pays du Sud comme puits de carbone retarde la prise de décisions pour réduire l’émission de CO2 dans ces pays industrialisés; de plus, on ne fait qu’exporter le problème du rejet massif de carbone puisqu’un jour ou l’autre, le carbone accumulé dans ces végétaux sera libéré.
Le nucléaire proposé comme alternative…
Le protocole de Kyoto est désormais aussi utilisé comme prétexte pour justifier la construction de nouvelles centrales nucléaires, comme "seule alternative crédible au pétrole". Marc Verwilghen, ministre de l’énergie, s’appuie en cela sur le rapport de la commission "Energie 2030", commandé par ses soins sur les besoins énergétiques en Belgique. Ce rapport estime que "la Belgique devrait (…) garder l’option nucléaire ouverte et reconsidérer la fermeture des centrales" (5). Ce type de solution serait du goût du président de la Fédération des patrons d’industrie technologique Agoria et du groupe Umicore, Thomas Leysen, à la recherche d’énergie soit-disant bon marché. Ce n’est pourtant là qu’une manière d’échapper à bon compte à la vraie question qui est celle de financer la recherche et le développement d’énergies renouvelables. Car si on ne met actuellement pas de moyens conséquents permettant d’améliorer leur efficacité et ainsi d’assurer leur généralisation, c’est parce que beaucoup de ces moyens partent vers la recherche nucléaire, en dépit notamment des dangers que représentent les déchets nucléaires pour les générations futures.
Au cours des 20 dernières années, les Etats membres de l’OCDE ont versé 160 milliards de dollars de subventions au secteur nucléaire rien que pour la recherche et le développement, et il faut à cela ajouter le coût du traitement des déchets et la sécurité. De plus, le projet de fusion nucléaire ne serait fonctionnel au plus tôt que dans…50 ans. De nombreuses questions seraient aujourd’hui résolues si l’argent consacré au nucléaire avait été utilisé en vue d’une politique durable pour développer des énergies respectueuses du cadre de vie des gens. Mais une telle orientation paraît douteuse dans la société de marché.
Hypocrisie et "solutions" à court terme
Celui qui apparaît actuellement sur les écrans comme le porte-drapeau de la cause environnementale – Al Gore – est à l’image des limites du système: n’avait-il pas – lorsqu’il était le vice-président de Clinton dans les années ’90 – autorisé le déversement de dioxine dans les océans, et conclut l’ALENA (6) qui définit les réglementations sur l’environnement comme des "distorsions de marché" illégales relevant des tribunaux (7)? Pourrait-il appliquer un programme environnemental radical en étant élu avec l’argent du secteur pétrolier? Pour paraphraser le théoricien socialiste allemand Engels (8), parlant du problème de l’hygiène dans les villes industrielles au siècle dernier, et qui vaut également aujourd’hui sur la question de l’énergie: la bourgeoisie n’a qu’une méthode pour résoudre la question de l’environnement à sa manière, c’est de la résoudre de manière que la solution engendre toujours à nouveau la question… La réponse de la bourgeoisie aux problèmes dans le mode de production capitaliste ne les élimine pas mais se contente de… les déplacer!
Tant qu’une société permettra que les grandes orientations énergétiques soient aux mains d’actionnaires ne pensant qu’en termes de profits immédiats, dans un système basé sur la concurrence à outrance, nous perdrons du temps et nous aggraverons la situation. Les solutions doivent être trouvées afin de résoudre les problèmes environnementaux ET les problèmes sociaux et non pas les uns aux dépens des autres.
Un processus transformant radicalement la manière d’utiliser l’énergie ne peut émerger que par la prise du contrôle de la société par les travailleurs conscients des problèmes, au travers de mouvements de luttes sociales et environnementales de plus en plus larges. Et cela en remettant le secteur énergétique, y compris les connaissances et des brevets en matière d’énergie durable, sous le contrôle des travailleurs.
Ces mouvements vont s’amplifier de plus en plus et ils ne seront pas en reste dans les pays du Sud qui sont confrontés de manière plus aiguë au problème. Notre tâche est d’aller vers ces mouvements et d’y intervenir en défendant une solution socialiste. Cela implique de tisser des liens entre les mouvements environnementaux et les mouvements sociaux et de cristalliser ces luttes au sein de larges partis des travailleurs reprenant les revendications environnementales et se donnant les moyens d’abolir le mode de production capitaliste.
- Courrier International Hors série " Trop Chaud ": d’après un article de The New Yorker " Dans l’arctique en plein dégel ".
- Le Soir, 18-19/11/06, " Une vague de réfugiés environnementaux "
- http://www.hm-treasury.gov.uk/independent_reviews/stern_review_economics_climate_change/stern_review_report.cfm
- Avec 5 % de la population mondiale, les USA rejettent 25 % du total mondial de CO2
- Le Soir, " Le nucléaire resurgit ", jeudi 16 novembre 2006
- Accord de Libre-Echange Nord Américain, conclu entre les USA, le Canada et le Mexique
- Courrier International Hors série " Trop Chaud ": d’après un article de The Independant , juin 2006
- La Question du logement, Friedrich Engels
-
Quand la police et les fascistes attaquent la Gay Pride à Moscou
Ci-dessous, un article publié sur le site de notre organisation soeur en Angleterre (Socialist Party) le 29 juin, juste avant la Gay Pride de Londre. Cet article reprend un rapport fait par un camarade de notre organisation soeur en Russie à propos de la Marche qui s’est tenue à Moscou le 27 mai. Cet article a été récemment traduit en français et néerlandais par nos camarades belges .
La communauté Lesbienne, Gay, Bisexuelle et Transgenre (LGBT) va défiler ce 1er juillet à Londre pour l’Europride. Beaucoup de réformes légales importantes ont été obtenues, comme les Partenariats civils qui ont amélioré la vie des personnes LGBT. Elles ont été gagnées suite à de longues années de lutte pour les droits LGBT.
Autant ces réformes sont les bienvenues, autant la lutte n’est pas finie. Si des lois contre les discriminations raciales et sexistes existent bien depuis des années; elles n’ont fait disparaître ni le racisme, ni le sexisme de la société. La récente condamnation de deux hommes pour le meurtre homophobe de Jody Dobrowski à Clapham montre que la communauté LGBT ne devrait jamais se dire que la lutte est terminée.
“ Les droits acquis ont besoin d’être défendus et élargis”. Cela aurait du être le thème de la Marche, et le lien avec les luttes internationales aurait du être mis en avant. En Europe de l’Est, les Gay Prides ont été attaquées par les forces réactionnaires et par l’État. En privatisant, les politiciens du grand patronat ont employé l’homophobie pour soutenir leurs positions.
IGOR YASIN, un socialiste gay et membre de Résistance Socialiste, la section du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) en Russie, a été impliqué dans les événement du 27 mai à Moscou, et rapporte : “Les autorités de la ville de Moscou ont formellement interdit la Gay Pride prévue pour le 27 mai et la Cour a confirmé cette interdiction. Une conférence des militants LGTB russes et étrangers à Moscou a discuté longuement de la tactique à appliquer en vue de préparer la Marche. Le conflit principal était : la Gay Pride devait-elle avoir lieu ?
Le nombre assez restreint de militants LGTB russes était indécis et beaucoup d’entre eux étaient visiblement effrayés. Plusieurs proposaient l’idée qu’au lieu de marcher sous le slogan « L’homophobie n’est rien d’autre qu’une partie de la xénophobie », qu’ils devraient donner une pétition aux autorités de Moscou.
Un membre du CIO, Alexei Kozlov, a essayé de convaincre la conférence de participer à un piquet devant le bureau du maire avec des slogans contre la discrimination et pour la défense du droit de s’organiser et de manifester, comme meilleure manière de dénoncer la discrimination à l’encontre des minorités sexuelles.
Mais plusieurs militants étaient plutôt réservés, disant qu’on avait ni besoin « d’actions radicales », ni de « conflits avec les autorités ». Certain d’entre eux disait que nous devons « respecter les décisions des autorités ».
J’ai avancé que, même selon des lois en vigueur, il n’y avait aucune base juridique pour interdire la Gay Pride, ainsi les activistes gays ne devraient pas abandonner avant que le combat n‘ait eu lieu – nous devons exprimer notre position et nous lever contre toute discrimination et pour la défense de nos droits.
Arrive alors le jour du piquet. Il était prévu à 15h00 devant le bureau du bourgmestre. Bien qu’il s’agissait formellement d’un piquet pour la défense des droits démocratiques, ce dernier s’est transformé en action pour la défense des droits des minorités, en solidarité avec les LBGT discriminés.
Les murs du Kremlin
Le 27 mai, vers midi, une conférence de presse a annoncé que certains militants gay déposeraient des fleurs sur la tombe du soldat inconnu devant les murs du Kremlin et participeraient ensuite au piquet devant le bureau du maire. Notre première réaction a été de dire que c’était une erreur. Les gens seraient disséminés sur différents lieux et cela féliciterait le travail des flics pour nous enlever un par un. Et c’est ce qu’il se produit.
Certains furent arrêté pour « avoir essayé de déposer des fleurs » dans le jardin Alexandorskii (devant le Kremlin) là où se plantaient les foules hurlantes de “patriotes” et de fascistes. D’autres ont été arrêtés lorsqu’ils se dirigeaient vers le bureau du maire.
Avant l’heure prévue pour le piquet, la rue a commencé à se remplir de jeunes à l’aspect plutôt sombre se cachant de la pluie dans les ruelles. À côté de eux, les flics bloquaient le chemin du square devant le bureau du maire. Lentement les activistes ont commencé à s’échauffer, avec eux les journalistes et les inévitables représentants de l’organe répressif de l’État.
Notre groupe, qui comprenait les principaux organisateurs et certains militants étrangers est arrivé sur place 5 minutes avant le lancement du piquet.
Aleksei et Dima, les organisateurs officiels, ont été appelé par la police pour « discuter de détails », et nous avons du remballer notre bannière. Je pensait naïvement qu’il me serait possible de distribuer les 500 tracts anti-fascistes que j’avais dans mon sac…
Mais rien à faire! Quand les organisateurs se sont rendus là où la police leur avait demandée d’aller, ils ont été arrêtés. Ceux d’entre nous qui restaient ont été entourés par une foule. Alors un député du parti du “beau parleur” Vladimir Zhirinovsky (Zhirinovsky à récemment réclamé la peine de mort pour les homosexuels!) est monté sur une statue au-dessus de quelques militants pour les droits LGBT et a commencé un discours homophobe et nationaliste.
Les Fachos
La foule de jeunes fascistes a commencé à scander « Mort aux pédés! » et « Renvoyez les tapettes dans les camps de concentration ». Les nôtres se sont alors écriés : « Le fascisme ne passera pas! ». Un de ces idiots a crié vers moi « Ne soit pas stupide, le fascisme a été vaincu en 1945 ! »
Ensuite, les flics ont foncé dans le tas, en arrêtant à nouveau des organisateurs et des participants au piquet tandis que les fascistes les encourageaient avec des cris comme «Longue vie à le Russie !» Les actions de l’extrème-droite et celles de la police semblent avoir été coordonnés. Autrement il est difficile d’expliquer comment les fascistes se sont sentis aussi à l’aise au centre de Moscou ce jour-là.
L’attitude de la Police
Nous avons passé des heures en allez-venues entre le commissariat de police -où les militants ont été enfermés- et l‘Internet Café. Nous avons pourtant repéré des groupes de jeunes fascistes dans le haut des ruelles, dans les passages arqués, dans l’entrée de métro… Comme nous n’avions pas l’air trop gay, ils nous ont ignorés.
Mais un autre camarade qui était dans le commissariat nous a dit qu’il était rempli de skinheads qui semblaient aider la police. Dans un autre poste, 17 personnes étaient retenues dont Alexei, Dima et la fameuse activiste lesbienne Evgenii Debryanskaya. Les gens étaient en état de choc mais tous ont fait ce qu’ils pouvaient. Ils ont été libérés après quatre heures, environ.
Ainsi, malgré qu’une Marche ait bien eu lieu, ce n’était plus une Gay Pride mais une marche de fascistes et de skinheads. Malgré que la communauté gay ait fait un effort pour l’organiser ouvertement, les mass-médias les ont pratiquement ignorés.
Seuls des journaux de l’opposition à petits tirages et la presse réactionnaire a commenté les évènements. Pas un seul parti politique traditionnel n’a dénoncé les discriminations. Même les soi-disant partis « Démocratiques » (nl: néo-libéraux) -que soutiennent beaucoup de LGBT- ont choisi de ne pas commenter les événements ; tout comme ils avaient ignoré les attaques dans des clubs gay par des groupes de fascistes la semaine précédente.
Quelque-uns dits « de gauche » pensent que le fascisme a été vaincu une fois pour toutes par « le peuple soviétique » en 1945. D’autres trouvent la question non pertinente. Mais après ces événements certains d’entre eux ont dû commencer à revoir leur position.
Il n’y a plus de position neutre sur cette question! Quelques jeunes “communistes” se sont vantés sur leur site Web de la façon dont ils ont formé un front commun avec les fascistes contre des homosexuels. Mais d’autres ont été forcés par ces événements à dénoncer ouvertement le nationalisme et à défendre les droits des homos.
Le 27 mai était le premier « coming out » de la communauté LBGT de la Russie en faveur de ses droits. Mais ce n’est qu’un début. De nombreux homosexuels et lesbiennes ont toujours beaucoup d’illusions, peu ont une idée claire de la façon dont ils peuvent s’émancipés.
Notre rôle en tant que socialistes est de prouver que c’est seulement en combattant le capitalisme et sa machine d’État, ainsi que tous les préjudices toxiques qui émergent de ce système et en établissant une nouvelle société basée sur la liberté et l’égalité -une société socialiste-, que ces problèmes seront réglés une fois pour toutes. “
-
Pour un nouveau parti des travailleurs. Mais… Quel type de parti et avec quel programme?
Pour un nouveau parti des travailleurs. Mais…
Le 28 octobre se déroulera la conférence nationale du Comité pour une Autre Politique, première occasion sérieuse en Belgique pour préparer le lancement d’un nouvelle formation large qui peut et doit avoir pour ambition de réunir des milliers, et peut-être des dizaines de milliers, de salariés, de chômeurs, de jeunes et de seniors, belges ou immigrés afin d’engager la lutte contre la politique néolibérale.
Peter Delsing
Qu’est-ce qu’un nouveau parti des travailleurs?
Dans le passé, une couche importante de salariés a longtemps considéré les partis socialistes comme des instruments capables d’améliorer leurs conditions de vie. Le système de sécurité sociale, avec le droit à l’allocation de chômage, les pensions, les soins de santé,… a été considéré comme le résultat de l’action de ces partis, même si c’était principalement les luttes des salariés qui avaient obligé les patrons à faire ces concessions.
La direction des partis socialistes est bien sûr depuis longtemps principalement dans les mains des carriéristes – un siège bien payé au parlement : oui ; une lutte active pour une autre société : non – mais des dizaines de milliers de salariés partout en Belgique, et des centaines dans chaque ville ou commune, continuaient à s’engager pour une politique favorable aux travailleurs à travers ces partis.
Voilà pourquoi le groupe qui a donné naissance au MAS était jusqu’au début des années ‘90 actif au sein du SP.a et du PS. Nous ne voulions pas nous mettre en dehors du mouvement et des organisations traditionnelles de masse. Nous voulions entrer en dialogue avec des couches plus larges de salariés sur ce que signifie concrètement une société socialiste et sur les moyens à employer pour transformer la société.
Depuis la participation du SP.a et du PS aux gouvernements de casse sociale, à partir de 1987, cette situation a complètement changé. Et, depuis le début des années ’90, après l’effondrement des régimes staliniens en URSS et en Europe de l’Est, les dirigeants des PS se sont totalement ralliés au marché et au néolibéralisme triomphants.
Les salariés ont donc pris leurs distances avec ces partis. lls ont été remplacés par de plus en plus de hauts diplômés et d’‘intellectuels’, pour qui, faire carrière était le premier souci et qui ont complètement pris en main l’appareil du parti. Et le Vlaams Belang, puis le Front National, des partis pourtant dirigés contre les travailleurs et qui soutiennent entièrement le capitalisme, ont commencé à obtenir des scores électoraux de plus en plus élevés dans les anciens ‘bastions rouges’.
Aujourd’hui, il n’existe plus de grand parti pour les travailleurs et la jeunesse. Il n’y a plus que des machines électorales. Il y a un an, lors les grèves contre le Pacte des Générations, le clivage s’est encore approfondi entre la base syndicale et les partis qui relayaient traditionnellement une partie des revendications syndicales. C’est particulièrement net en Flandre où le SP.a a évolué très vite et très loin vers le libéralisme tandis que le CD&V est tout aussi à droite que les libéraux et presqu’aussi nationaliste que le VB. Du côté francophone, même si le PS et le CDH ne vont pas aussi loin dans cette direction, la tendance générale est pourtant la même.
Le MAS a répété depuis 1995 que les remous dans la base syndicale mettraient inévitablement la question d’un nouveau parti à l’ordre du jour. Car nous – syndicalistes, travailleurs, locataires, étudiants,… – avons tous besoin d’un endroit où nous pouvons discuter des luttes, échanger les expériences, élaborer nos stratégies d’action, préparer notre programme,… en toute indépendance face aux patrons, à leurs partis et à leur presse.
Sans organisation pour nous défendre et sans parti pour nous représenter, nous sommes simplement du matériel pour l’exploitation capitaliste. De la même manière que les travailleurs au 19e siècle ont compris que les syndicats n’étaient pas suffisants pour se défendre contre la classe dominante, les travailleurs et leurs familles doivent comprendre aujourd’hui qu’ils ont à nouveau besoin de leur propre parti.
S’orienter vers des couches plus larges
Le MAS pense qu’un tel parti ne peut pas être la simple addition des organisations existantes de l’extrême-gauche et que son programme ne doit être ni à tout prix ‘anticapitaliste’ dès sa naissance ni imposé d’en haut, sans avoir pris le temps de mener des discussions suffisantes avec des couches plus larges de salariés et de jeunes.
La base pour un nouveau parti est, aujourd’hui, la résistance contre la politique néolibérale. Etre contre la casse de la sécurité sociale, de nos salaires et de nos contrats, contre la casse des services publics et les privatisations, contre les divisions sur base de la langue, de la région, de la nationalité ou du sexe est une base suffisante pour rassembler les organisations de gauche et des couches plus larges de travailleurs et de jeunes. Un programme minimum peut alors être élaboré sur lequel tout le monde peut se retrouver.
Une élaboration plus complète du programme devra être le résultat de discussions avec ces couches nouvelles de travailleurs et de jeunes qui peuvent devenir actifs dans cette nouvelle formation.
Pourquoi un programme est-il si important?
Cette nouvelle initiative servira donc d’abord à exprimer haut et fort ce que nous refusons. Mais ce n’est pas suffisant. Nous devrons aussi élaborer une alternative positive, un programme réel avec des revendications concrètes. Cela ne sera possible que si Une Autre Politique se base sur la démocratie interne la plus large en respectant les différentes identités politiques présentes.
Dans les nouvelles couches qui entrent en action et qui ont peu d’expérience avec des organisations syndicales et politiques, la crainte que surgissent des ‘divisions’ dans un nouveau parti peut se développer très vite. Mais les travailleurs et les jeunes peuvent comprendre qu’un programme minimum n’est pas suffisant et qu’en chaque lutte – même pour nos intérêts les plus directs – se pose la nécessité d’une analyse plus élaborée de la société. Pourquoi le capitalisme est-il en crise ? Quelle est l’alternative ? Comment la faire triompher ?
Un programme élaboré ne peut se réaliser que sur base d’expériences communes et de nombreuses discussions démocratiques. Ceci ne peut se faire si l’identité politique des individus et des groupes qui participent n’est pas respectée. Selon nous, cela implique le droit pour ces divers groupes de présenter leurs idées et de travailler avec leurs propres outils (journaux, sites,…) en toute liberté à l’intérieur du nouveau parti. Sans démocratie interne, sans libre expression pour les groupes et les indépendants, un nouveau parti ne peut pas devenir un parti de masse avec des membres activement impliqués.
La question du programme est aussi importante pour une autre raison. Dès le début, une nouvelle formation se trouvera devant le choix d’accepter de travailler à l’intérieur des limites du capitalisme ou de lutter pour en finir avec ce système. L’expérience nous montre que des “nouveaux partis des travailleurs” – le Linkspartei en Allemagne, le SP aux Pays Bas, refondation Communiste en Italie – peuvent perdre très vite leur attraction ou leurs membres actifs, s’ils s’adaptent à la politique néolibérale, s’ils ne choisissent pas un vrai programme socialiste.
Qu’est-ce qu’un programme socialiste?
Le MAS ne veut pas imposer son programme complet comme condition pour collaborer à l’intérieur d’un nouveau parti des travailleurs. Mais nous pensons que, sur toutes les questions politiques brûlantes – l’insécurité de l’emploi, le chômage, la sécurité sociale, le racisme et la guerre -, seul un programme socialiste peut vraiment offrir une solution. La société doit être fondamentalement changée.
Prenons le chômage. Depuis les années ’70, ce problème n’a fait que s’aggraver. Les périodes de croissance n’ont pas réussi à réduire fondamentalement le chômage. Une politique socialiste défendrait une solution collective – une diminution du temps de travail sans perte de salaire et avec embauche compensatoire – plutôt que la répression et la culpabilisation des chômeurs. Mais, devant chacune de nos tentatives pour conserver ou améliorer notre niveau de vie, se dresse le mur du profit et de la propriété privée capitaliste. Il est nécessaire que la communauté dispose de la richesse, ce qui ne peut s’effectuer que par l’intermédiaire de la construction d’un mouvement de masse visant à collectiviser les entreprises, les machines, les administrations,… et à les mettre sous le contrôle direct des travailleurs et des usagers.
L’économie de marché a dépassé depuis longtemps sa date de péremption. Seule une économie collectivisée et planifiée sur base des besoins et de la volonté démocratique des travailleurs peut donner à l’humanité la chance de faire un pas décisif en avant. C’est donc à ce programme-là que nous essayerons de gagner le nouveau parti.