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  • En finir avec la guerre et la militarisation. Que signifie la mobilisation en Russie pour la guerre en Ukraine ?

    Une fois de plus, le président Poutine a choqué le monde avec son émission télévisée destinée à la population russe, dans laquelle il a annoncé la “mobilisation partielle” de troupes à envoyer en Ukraine, dans ce qui n’est toujours pas officiellement appelé une “guerre”.

    Par Walter Chambers, (Alternative Socialiste, Russie)

    L’essentiel de son discours reposait sur l’idée que cette “opération militaire spéciale” visait à libérer le Donbas du “régime néonazi” et à “défendre la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Russie”. Il a poursuivi en affirmant que Kiev était favorable aux négociations, mais que les puissances occidentales étaient déterminées à affaiblir, briser et détruire la Russie. Il a ensuite parlé de la ligne de front de mille kilomètres sur laquelle les forces russes doivent combattre “l’ensemble de la machine militaire collective de l’Occident” et des représentants de haut niveau de l’OTAN qui envisagent “d’autoriser l’utilisation d’armes de destruction massive – des armes nucléaires – contre la Russie”. Il a prévenu qu’ils devaient comprendre que la Russie dispose elle aussi de telles armes et qu’elle les utilisera si l’intégrité territoriale de la Russie est remise en cause.

    De nouvelles protestations

    De nombreux Russes ont passé la journée en état de choc et de panique à la suite de ces propos. En quelques minutes, toutes les places dans les avions et les bus quittant la Russie ont été vendues, souvent à des prix dix fois supérieurs à la normale. En raison des sanctions, il n’y a de vols internationaux que pour une poignée de pays. Des files de voitures de plusieurs dizaines de kilomètres de long se sont formées aux frontières finlandaise, géorgienne et même mongole. Les recherches sur Google sur la façon de casser les bras et les jambes ont atteint des sommets.

    Après avoir été repoussées dans le silence en raison de la répression massive mais aussi d’une mauvaise direction après le début de la guerre, de nouvelles manifestations anti-guerre ont eu lieu dans toute la Russie. Pas de l’ampleur de celles de début mars, mais néanmoins significatives. Elles sont également d’un caractère différent : la moitié des participants aux premières manifestations étaient des femmes, et cette proportion a augmenté, car les mères, les sœurs et les grands-mères s’inquiètent pour leurs hommes.

    De nombreuses troupes originaires de Tchétchénie, pays notoirement autoritaire, ont déjà combattu en Ukraine, mais n’ont pas été particulièrement efficaces – les Ukrainiens les appellent les “troupes tik-tok”, car elles sont plus intéressées par se filmer. Elles auraient subi de lourdes pertes.

    La semaine dernière, un groupe de femmes de Grozny, la capitale tchétchène, a appelé à une action de protestation contre la nouvelle mobilisation. Elles ont rapidement été arrêtées. Les autorités ont menacé d’envoyer tous leurs parents masculins au front. Quelques heures plus tard, une campagne intitulée “Les hommes contre la mobilisation” a appelé à une manifestation après les prières du vendredi. Le dictateur Ramzan Kadyrev, qui s’est fait une réputation de seigneur de guerre, a été contraint d’annuler toute nouvelle mobilisation, en affirmant que la Tchétchénie avait déjà “dépassé son plan”.

    Ailleurs dans le Caucase russe, les hommes du Daghestan, confrontés à la menace d’une mobilisation, ont bloqué l’autoroute fédérale. Dans la république voisine de Karbadino-Balkarie, des femmes se sont rassemblées sur la place centrale de la capitale pour chasser le maire de la ville lorsqu’il a tenté de les convaincre de la nécessité d’une mobilisation.

    Une vague d’attaques au cocktail Molotov s’est intensifiée contre des centres de recrutement et des bâtiments municipaux dans toute la Russie, y compris en Crimée.

    Les manifestations qui se sont étendues à plus de 30 villes mercredi soir étaient naturellement plus importantes dans les grandes villes de Saint-Pétersbourg et de Moscou. Près de 1400 personnes ont été arrêtées et sont actuellement devant les tribunaux, où beaucoup d’entre elles risquent jusqu’à 15 jours de prison. À Moscou, des recruteurs militaires attendaient dans les commissariats de police pour remettre des documents de recrutement aux hommes arrêtés. De nouvelles manifestations ont eu lieu aujourd’hui, samedi, avec déjà près d’un millier d’arrestations.

    Manifestation antiguerre à Moscou

    Dans les régions peuplées principalement de Russes, comme la Bouriatie, qui a déjà envoyé un nombre disproportionné de troupes en Ukraine et subi beaucoup plus de pertes humaines, le régime tente toujours de recruter davantage. On vient chercher les hommes de nuit chez eux ou alors au travail, en ne leur laissant que quelques heures pour se préparer. Les groupes de défense des droits humains disent recevoir des milliers d’appels à l’aide.

    De nouvelles tactiques imposées par la retraite

    Ce changement dans la conduite de la guerre par le Kremlin, pour ne plus s’appuyer sur des soldats professionnels, et l’annonce de la tenue de référendums dans les régions occupées d’Ukraine est une réponse aux revers dramatiques que le régime russe a subis en Ukraine à partir de la mi-septembre.

    Il semble qu’une fois la première percée réalisée par les troupes ukrainiennes, qui se battent contre l’occupation russe et ont un moral élevé, les Russes démotivés et démoralisés ont tout simplement abandonné et se sont retirés en masse. En quelques jours, les forces ukrainiennes étaient déjà à la limite de la région de Louhansk. Selon les estimations ukrainiennes, les Russes ont laissé derrière eux des chars, des véhicules blindés, ainsi que d’autres équipements importants équivalents à une somme de 600 millions de dollars.

    Les commentateurs occidentaux abordent parfois le moral élevé des forces ukrainiennes par opposition à l’état de l’armée russe, qui souffre d’une “corruption endémique, d’un moral bas et d’un leadership médiocre, l’initiative individuelle étant rare et les commandants profondément réticents à accepter une responsabilité personnelle.” [selon le Conseil atlantique]. Mais dans leur grande majorité, ils attribuent la victoire de l’Ukraine à la fourniture d’armes de haute technologie telles que les HIMAR (High Mobility Artillery Rocket System, lance-roquettes multiples de l’United States Army).

    Il ne fait aucun doute que ces armes jouent un rôle. Mais une image plus équilibrée est donnée par la publication “KharkivToday”, un mois avant l’avancée ukrainienne. Elle indique qu’à l’époque, la région de Kharkiv ne comptait qu’un seul HIMAR, qui s’était avéré très efficace dans la destruction initiale des stocks d’armes russes. Mais le commandant du HIMAR a souligné que “les Russes se sont très vite adaptés à la nouvelle arme que les partenaires avaient donnée à l’Ukraine, en déplaçant leurs stocks d’armes plus loin dans le territoire occupé”.

    L’état d’esprit de la population locale est tout aussi important. Il y a, naturellement, une petite couche prête à coopérer, et parfois même à soutenir l’occupation. Mais à l’opposé, il existe un mouvement “partisan” en plein essor qui aurait tenté d’assassiner au moins 19 administrateurs pro-russes dans la seule région de Kherson. Les tracts et les appels aux soldats russes sont courants. En l’absence d’une position de classe consciente, certains de ces appels sont des menaces de mort grossières, mais il y a aussi des appels à la reddition avec des codes QR pour expliquer comment faire. “KharkivToday” publie la photo d’une affichette qui avertit les soldats russes que les partisans ukrainiens poursuivent la tradition de leurs grands-pères en détruisant les forces ennemies sur les territoires occupés.

    La Russie a effectivement perdu le contrôle des parties de la région de Kharkiv qu’elle avait occupées en mars et subit de nouvelles pressions dans le Donbas, en particulier dans le sud de la région de Kherson.

    La réaction de la ligne dure

    Après le retrait forcé de la Russie des environs de Kiev et de la ville de Kharkiv à la fin du printemps, la Russie semblait progresser, bien que très lentement, dans le Donbas. Au cours de l’été, on a assisté à une consolidation de l’opinion publique russe autour de l’opération militaire, avec un soutien croissant dans les sondages d’opinion. Il semble toutefois que le soutien des partisans de la ligne dure n’ait pas augmenté.

    Après que les premières manifestations héroïques contre la guerre aient été contraintes de se retirer, les voix de l’opposition au sein de l’élite dirigeante se sont tues. Ceux qui, comme le Premier ministre Mikhail Mishustin et le maire de Moscou Sergey Sobyanin, étaient censés ne soutenir la guerre qu’à contrecœur, ont choisi de ne faire aucun commentaire. Les élections des gouverneurs régionaux début septembre, au cours desquelles les trois partis d’opposition systémiques, y compris les soi-disant communistes, ont tous soutenu la guerre, ont vu le parti au pouvoir, Russie Unie, remporter toutes les régions. Mais le dernier jour du scrutin a coïncidé avec la nouvelle de la retraite en Ukraine.

    Le Parti de la guerre était furieux, d’autant plus que le Kremlin et les chaînes d’information officielles présentent toujours les choses comme si tout se passait comme prévu. Les commentateurs pro-guerre se déchaînent sur les médias sociaux et critiquent souvent la campagne militaire sur les médias d’État.

    Igor Girkin (Strelkov), un ancien militaire particulièrement désagréable, membre du KGB et mercenaire d’extrême droite, qui a dirigé la prise de contrôle de la Crimée en 2014 et les premières interventions militaires dans le Donbas, a commenté : “Nous avons déjà perdu, le reste n’est qu’une question de temps.” Un autre, Zakhar Prilepin, a commenté : “Les événements dans la direction de Kharkiv peuvent à juste titre être appelés une catastrophe”. Ils accusent le Kremlin et les autorités militaires d’incompétence, et ont passé la semaine à réclamer une mobilisation totale.

    Des politiciens “de poids”, tels que l’ancien président (et prétendument libéral) Dmitri Medvedev, justifient agressivement l’utilisation d’armes nucléaires et suggèrent que la Russie envahira ensuite la Moldavie et le Kazakhstan. Le soi-disant leader communiste Guennadi Ziouganov a proposé que les mobilisés ne reçoivent qu’une formation de deux semaines avant d’être envoyés au front.

    Il est clair qu’au sein de l’élite, les débats sont vifs sur la question de savoir jusqu’où il faut risquer la mobilisation. Le discours télévisé de Poutine a été retardé de 14 heures – certains suggèrent que cela était dû à la mauvaise santé du président. Il était probablement plus probable qu’elle ait été retardée pour parvenir à un accord et avertir les autorités régionales de préparer les mesures de sécurité nécessaires.

    Les référendums

    La décision d’organiser des référendums dans les zones occupées de l’Ukraine est également une réaction de panique. En août dernier, Denis Pushilin, chef de la république de Donetsk (DNR), a déclaré qu’un référendum n’avait de sens que si l’ensemble du Donbas était sous contrôle russe. Le 5 septembre, Kirill Stremousov, porte-parole de l’administration russe du Kherson occupé, a déclaré qu’il ne devait pas y avoir de référendum pour des “raisons de sécurité”. Pourtant, trois jours seulement avant le début du référendum, il a été annoncé que des votes seraient organisés dans quatre régions – Donetsk et Louhansk, et la partie des régions de Kherson et de Zaporizhzhia sous contrôle russe. Deux petits districts de la région de Mykolaiv seront rattachés à Zaporizhzhia.

    Selon les autorités russes, ces quatre régions comptent désormais 5 millions d’habitants. En 2021, elles comptaient près de 9 millions d’habitants. Pour organiser le vote, des systèmes en ligne sont combinés à des visites en porte-à-porte, et le dernier jour du scrutin, les bureaux de vote seront soi-disant ouverts. La police et les forces d’urgence, ainsi que de nombreuses sociétés de sécurité privées, sont mobilisées pour accompagner les “agents électoraux” lors de leurs visites à domicile. L’emplacement des bureaux de vote est tenu secret (on ne sait pas encore comment les gens pourront le découvrir), de peur qu’ils ne soient attaqués par le mouvement partisan ukrainien en pleine expansion.

    Lorsque près de la moitié de la population a été contrainte de fuir les régions où les combats se poursuivent, il ne fait aucun doute que les résultats ne seront pas fiables. Une étude plus réaliste de ce que pense la population d’au moins les régions de Donetsk et de Louhansk est démontrée par les sondages d’opinion réalisés au cours de la dernière décennie. En 2014, lorsque les humeurs anti-Kyiv étaient à leur apogée, 80 % à Louhansk et 87 % à Donetsk étaient favorables à ce que l’Ukraine reste indépendante, et dans les deux régions, moins d’un tiers étaient favorables à une rupture pour rejoindre la Russie. Dans d’autres régions, comme Kherson, le soutien à l’adhésion à la Russie était inférieur à 10 %. Dans les trois sondages d’opinion réalisés en 2021-22 (avant la guerre), le soutien à une Ukraine indépendante avait augmenté, et dans le Donbas, moins de 20 % souhaitaient rejoindre la Russie. Depuis février, il est presque certain que le soutien à la Russie a encore diminué.

    Le régime russe décrit les référendums non pas comme une “campagne électorale”, mais comme une “mobilisation” menée par les administrations pro-russes locales et les services de sécurité. Au cours des premières heures du scrutin, les quelques pro-russes restants sont conduits en bus dans un petit nombre de bureaux de vote pour donner l’illusion d’un vote enthousiaste. Ensuite, le porte-à-porte et les votes électroniques vont envahir le système. Le Kremlin prétendra que d’énormes majorités sont en faveur de l’adhésion à la Russie. Selon des documents internes du Kremlin, ils veulent annoncer un vote “pour” à 90 % avec une participation de 90 % dans les régions de Donetsk et de Louhansk, et un vote “pour” à 90 % avec une participation de 80 % dans les autres régions.

    Probablement le jour suivant l’annonce par le Kremlin de ces votes écrasants (28 septembre), la Douma russe votera l’annexion des régions. Il ne sera pas surprenant, compte tenu de ses antécédents en matière de résolutions favorables à la guerre, que le leader “communiste” Zyuganov présente cette proposition ! Cela changera la nature de la guerre, du moins selon la logique du Kremlin. Dès lors, le Kremlin prétendra que toute “incursion” des forces ukrainiennes dans les quatre régions, ou en Crimée, constituera une attaque contre “l’intégrité territoriale de la Fédération de Russie”. Cela signifie que les restrictions actuelles concernant les lieux où les soldats conscrits peuvent servir, ou les armes plus dangereuses utilisées, changeront. Si de nombreux dirigeants occidentaux ont considéré le discours de M. Poutine comme un signe de désespoir et de bluff, il est clair que des moments plus dangereux peuvent encore survenir lorsque le Kremlin voit ses objectifs compromis.

    La Russie de plus en plus isolée

    Poutine et le ministre des affaires étrangères Lavrov sont déjà traités comme des parias par les dirigeants et les institutions de ce que le Kremlin appelle désormais les “pays inamicaux”. Après que M. Lavrov a abandonné la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, le ministre ukrainien des affaires étrangères, Dmytro Kuleba, a déclaré qu’il “s’enfuyait, tout comme ses soldats”.

    Aujourd’hui, ils sont de plus en plus malmenés par ceux du reste du monde, avant même la fameuse allocution télévisée de Poutine. La retraite de Kharkiv a démontré que la Russie, qui était jusqu’à présent considérée comme la deuxième puissance militaire du monde, est un partenaire peu fiable.

    Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai, qui réunit la Chine, l’Inde, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Pakistan, la Russie, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et, depuis la semaine dernière, l’Iran, s’est tenu en Ouzbékistan la semaine dernière. La Turquie, le Belarus, le Sri Lanka et d’autres pays y ont participé en tant qu’observateurs. Avant février, la Chine et la Russie étaient considérées comme des partenaires de premier plan. Pourtant, le président ouzbek, Shavkat Mirziyoyev, a rencontré Xi Jinping lors de son arrivée en avion, tandis qu’un sous-fifre était envoyé pour Poutine. Modi a confronté Poutine en disant que “ce n’est pas le moment de faire la guerre”, tandis que Poutine a été forcé de reconnaître que la Chine avait “des questions et des préoccupations”.

    Aujourd’hui, le revirement est encore plus net. Le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Wenbin, a appelé à un cessez-le-feu “dès que possible” après le discours de Poutine. Le Kazakhstan et les États d’Asie centrale ont tous interdit à leurs citoyens de combattre contre l’Ukraine, après l’ouverture d’un bureau de recrutement à Sakharovo, où tous les étrangers vivant à Moscou doivent demander des documents. Le système de paiement bancaire russe “Mir” [qui signifie ironiquement “paix”], destiné à remplacer Mastercard et Visa, a cessé de fonctionner en Asie centrale et en Turquie. La Chine et la Turquie affirment que les référendums ne seront pas reconnus.

    La mobilisation sera-t-elle utile ?

    Le Kremlin évite toujours la déclaration de guerre, le mot est toujours illégal. Cela reviendrait à reconnaître l’échec de l’”opération militaire spéciale”. De la même manière, il évite la mobilisation totale car il craint le déclenchement d’une opposition de masse. Il a été officiellement déclaré que seuls les hommes ayant déjà une expérience militaire seraient appelés. C’est un mensonge qui est rapidement démasqué. Même dans les universités d’élite de Moscou, des agents de recrutement s’introduisent dans les cours pour distribuer des documents d’appel.

    Malgré cela, la plupart des experts ne croient pas que cette mobilisation puisse tourner les événements à l’avantage du Kremlin. Dans l’armée russe, en héritage de l’État stalinien, les officiers ne font pas confiance aux soldats, et il semblerait que même les décisions tactiques quotidiennes soient prises au Kremlin. Il n’y a pas assez d’équipement, d’officiers ou de sergents/caporaux pour former ceux qui sont mobilisés. Même dans les meilleures périodes, il faut normalement des semaines, voire des mois, pour former de nouvelles unités militaires capables d’être envoyées au front. On voit déjà apparaître des vidéos montrant les terribles conditions dans lesquelles ces nouveaux mobilisés sont censés se trouver. De nombreux experts estiment que ces nouvelles recrues ne seront que de la chair à canon.

    Un nouvel ébranlement du régime de Poutine ?

    Les commentateurs font souvent remarquer que Poutine a réussi à se maintenir au pouvoir parce qu’il a conclu un pacte informel avec un électorat loyal, dans lequel il leur assure la stabilité, bien que sans droits démocratiques, et ils restent en dehors de la politique. Il s’agit d’une compréhension quelque peu simpliste, notamment parce qu’elle ignore le fait qu’il n’y a pas eu d’alternative politique viable construite à son règne. Néanmoins, ces décisions mettent à mal ce pacte – il ne peut guère y avoir aujourd’hui de famille qui n’ait pas été bouleversée par le lancement de l’”opération spéciale”, la mobilisation, et le désastre économique qui se développe.

    Il est trop tôt pour prédire si la dernière embellie du mouvement anti-guerre peut se développer à court terme, avec une base plus large. Il faudra peut-être plus de temps pour que les conséquences de la mobilisation se fassent sentir, car les nouvelles forces sont envoyées en Ukraine, et beaucoup reviennent en tant que “Freight 200” – le terme de l’armée russe pour les sacs mortuaires. Peut-être qu’un nouveau tournant dans la guerre en Ukraine apportera de nouveaux chocs à l’élite dirigeante.

    Le capitalisme n’a pas d’issue

    Poutine, qui représente le capitalisme russe de plus en plus agressif et impérialiste, n’est pas en mesure d’accepter la défaite, ni de retirer ses troupes d’Ukraine et de reconnaître son droit à l’indépendance, car cela serait un signe de faiblesse et pourrait entraîner l’effondrement complet et rapide de son régime bonapartiste. Tant qu’il restera au Kremlin, il se tournera vers des mesures de plus en plus désespérées, notamment une nouvelle escalade possible du conflit en Ukraine. Il a déjà démontré qu’il était prêt à sacrifier les vies et les foyers des Tchétchènes, des Syriens et maintenant des Ukrainiens. En se mobilisant, il a démontré son mépris total pour les nouveaux soldats russes et leurs familles, dont beaucoup verront leur vie détruite pour qu’il puisse rester au pouvoir.

    La question clé est toutefois de savoir qui pourrait le remplacer. Le régime peut croire que la répression massive de l’opposition libérale pro-capitaliste et des autres forces d’opposition, dont certaines sont emprisonnées et beaucoup d’autres en exil, empêchera le développement d’une nouvelle opposition à son pouvoir. Mais ce ne sera pas le cas. Cela signifie cependant que tout mouvement de ce type aura un caractère largement spontané et politiquement confus jusqu’à ce qu’une véritable alternative de masse de la classe ouvrière et des dirigeants viables puissent émerger.

    Cela signifie que toute alternative à Poutine émergera vraisemblablement à ce stade de l’intérieur du régime actuel. Et le choix n’est pas attrayant. Au mieux, elle pourrait s’articuler autour d’une figure plus modérée comme Michoutine ou Sobianine, mais ils hériteraient d’une économie dévastée par la guerre et les sanctions, et seraient toujours les otages des forces mêmes de l’appareil d’État qui ont soutenu Poutine au pouvoir. L’alternative serait une figure plus dure comme Medvedev ou une figure des services de sécurité.

    Selon le général Sir Richard Barrons, ancien chef des forces militaires britanniques, les politiciens occidentaux sont “terrifiés” à l’idée d’un “soi-disant “succès catastrophique” des forces ukrainiennes qui, déjouant tous les pronostics, présagerait une défaite de la Russie menaçant le régime”. Ils pensent qu’alors un Poutine désespéré aura recours à des armes nucléaires tactiques.

    Il est clair que cela ne s’applique pas à tous les politiciens occidentaux. Alors que certains préféreraient voir une forme de compromis qui, selon les mots de Macron, permettrait à Poutine de “sauver la face”, d’autres veulent absolument repousser Poutine aussi loin que possible, tout en évitant un changement de régime. Si toutefois, Poutine décide de tout risquer, alors l’impérialisme occidental n’aura d’autre choix que de rendre la pareille, et le conflit s’intensifiera de manière incontrôlable.

    D’une manière ou d’une autre, ce sont les familles de la classe ouvrière qui subissent les effets directs de cette guerre brutale qui dure déjà depuis 7 mois, et qui pourrait durer bien plus longtemps. Au niveau mondial, elles sont confrontées à l’escalade des crises énergétique, alimentaire et inflationniste. En Ukraine, leurs maisons et leurs emplois sont détruits. C’est pour cette raison que tant d’Ukrainiens sont prêts à soutenir l’armée et la force de défense territoriale, et de plus en plus, à participer au mouvement partisan émergeant dans les zones occupées. Leur combat est celui du droit à l’autodétermination de l’Ukraine.

    Dans le même temps, plus le gouvernement Zelensky se tourne vers les puissances impérialistes occidentales pour obtenir leur soutien, plus il est prêt à hypothéquer l’avenir de l’Ukraine en acceptant les conditions des impérialistes en matière d’approvisionnement et de financement. Depuis l’été, le rythme des mesures proposées contre la classe ouvrière s’est accéléré, y compris les réformes des pensions, la privatisation des secteurs de l’armement, de l’alimentation et de l’énergie, et les réductions de salaires pour ceux qui travaillent dans le secteur public. Comme si cela ne suffisait pas, les élections de l’année prochaine sont susceptibles d’être reportées. Visiblement inquiet que la classe ouvrière apprenne à s’organiser et à résister pendant la guerre, un nouveau registre des propriétaires d’armes est en cours de préparation, sûrement pour s’assurer que les travailleurs seront désarmés à la fin de la guerre.

    Nécessité d’une alternative indépendante de la classe ouvrière

    Il est clair que la classe ouvrière, que ce soit en Russie, en Ukraine ou dans le monde, ne doit avoir aucune confiance dans le capitalisme ou l’impérialisme sous quelque forme que ce soit. Les révolutionnaires socialistes en Russie continueront à plaider pour la construction d’un mouvement anti-guerre organisé démocratiquement, enraciné dans la classe ouvrière, avec des liens avec les protestations des femmes qui se développent. Ils soutiennent le droit de l’Ukraine à l’autodétermination, qui ne peut être possible qu’avec le retrait complet des troupes russes d’Ukraine. Les révolutionnaires socialistes russes voient la nécessité de construire une alternative politique et socialiste claire, capable de s’organiser dans le cadre d’un mouvement de masse de la classe ouvrière pour renverser le régime de Poutine et mettre fin au capitalisme en Russie.

    De la même manière, les révolutionnaires socialistes des pays impérialistes occidentaux se battent pour construire des alternatives socialistes reposant sur la classe ouvrière à leurs propres gouvernements, qui non seulement attaquent les droits des travailleurs, des femmes et de la communauté LGBT+, font baisser les salaires et poussent à l’inflation, mais font également bloc pour augmenter les dépenses militaires et mener des guerres dans l’intérêt du capitalisme multinational.

    Des mouvements ouvriers et politiques forts dans d’autres pays pourraient alors apporter tout le soutien possible à la classe ouvrière en Ukraine, qui lutte pour chasser les troupes russes d’Ukraine, et en même temps l’aider à construire une alternative politique au gouvernement Zelensky, qui prépare clairement de nouvelles attaques contre les intérêts de la classe ouvrière pour aider ses partenaires commerciaux et ses alliés impérialistes. Un tel mouvement pourrait lutter contre les privatisations, les réformes des retraites et les réductions de salaires, garantir une véritable démocratie, y compris les droits à l’autonomie ou à l’autodétermination si une région particulière le souhaite.

    En fin de compte, la clé pour défendre l’autodétermination de l’Ukraine, pour mettre fin à la guerre et aux guerres futures est de construire une alternative internationale de la classe ouvrière pour mettre fin à l’existence des gouvernements impérialistes et capitalistes à travers le monde. Pour cela, nous avons besoin de la solidarité internationale de la classe ouvrière dans la lutte organisée contre tous les bellicistes, pour mettre fin au système capitaliste, source des guerres modernes, et le remplacer par une nouvelle société basée sur une économie planifiée démocratique et durable et une confédération volontaire et égale d’Etats socialistes, où tous les peuples auraient le droit à l’autodétermination, à des niveaux de vie décents et à vivre sans répression, discrimination et autoritarisme.

  • Mikhaïl Gorbatchev : le dernier secrétaire général est mort

    On vient d’annoncer le décès de Mikhaïl Gorbatchev, dernier secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique et architecte de la perestroïka et de la glasnost, tentatives de réformes par en-haut pour empêcher la révolution par en-bas.

    Par Walter Chambers, Alternative Socialiste Internationale

    Ses politiques ont finalement échoué, conduisant à la restauration du capitalisme dans l’ancienne Union soviétique, à partir de laquelle s’est développé le capitalisme de gangsters des années 1990, avant de se transformer en l’actuel régime agressivement impérialiste et autoritaire de Vladimir Poutine. Nous reproduisons ici un article de 2009 expliquant les processus qui se sont développés pendant le règne de Gorbatchev. Une notice nécrologique sera publiée ultérieurement.

    De la Perestroïka à la restauration capitaliste

    En 1985, Gorbatchev a entrepris de « restructurer » l’État et l’économie staliniens chancelants, dans le but d’éviter une crise terminale et de contrer les mouvements sociaux. En six ans, l’Union soviétique s’est effondrée et l’économie planifiée a été balayée par les mesures de privatisation de grande envergure d’Eltsine. Des luttes ouvrières de masse ont éclaté, mais les gagnants furent une nouvelle classe sociale de capitalistes gangsters.

    Entre 1982 et 1985, trois secrétaires généraux du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS), Leonid Brejnev, Yuri Andropov et Konstantin Chernenko, sont décédé coup sur coup. Mikhaïl Gorbatchev a été élu pour leur succéder. Six ans plus tard, l’Union soviétique s’est effondrée, laissant derrière elle 15 républiques “indépendantes”, chacune ravagée par une catastrophe économique qui a fait chuter le PIB de plus de 50 %. La Russie, la Moldavie et la Géorgie ont connu de graves conflits avec leurs minorités nationales. L’Azerbaïdjan et l’Arménie sont entrés en guerre l’un contre l’autre. Le Tadjikistan a passé la majeure partie des années 1990 en état de guerre civile ouverte. Seuls les trois petits États baltes sont parvenus à établir une forme de démocratie stable, mais ils subissent aujourd’hui le pire de la crise économique mondiale. La Russie et le Belarus sont loin d’être démocratiques. Les États d’Asie centrale, en particulier le Turkménistan et l’Ouzbékistan, sont des fiefs féodaux autoritaires.

    La sélection de Gorbatchev a marqué la victoire, au sein de la bureaucratie soviétique dirigeante, d’une couche de réformateurs qui avait compris que des changements devaient être apportés si l’élite voulait conserver le pouvoir. Andropov appartenait à cette aile réformatrice, bien qu’il ait été un homme de main de l’élite dirigeante. En tant qu’ambassadeur en Hongrie en 1956, il a vu comment les travailleurs en colère ont pendu la police secrète détestée aux lampadaires et a réalisé que le pouvoir soviétique était tout aussi fragile. De retour à Moscou en tant que chef du KGB, il a férocement plaidé en faveur de mesures militaires contre les réformateurs tchécoslovaques du Printemps de Prague en 1968. Il a réprimé les dissidents et a soutenu avec ferveur l’invasion de l’Afghanistan en 1979. Mais, une fois au pouvoir, il a pris les premières mesures provisoires pour mettre un frein aux pires excès de la corruption et de l’incompétence, mesures qui allaient ensuite être étendues par Gorbatchev. Les agents du KGB implantés sur chaque lieu de travail et dans chaque quartier signalaient dans leurs rapports l’énorme mécontentement qui s’accumulait dans la société face à la mauvaise gestion de la bureaucratie.

    Après la révolution d’octobre 1917, de premières mesures visant à établir une société socialiste ont été prises. Les principales industries ont été nationalisées et intégrées dans une économie planifiée avec, du moins dans les premières années, de larges éléments de contrôle et de gestion par les travailleurs. Cela a posé les bases d’un développement économique remarquable du pays. Malgré le fait que la Russie prérévolutionnaire était l’un des pays les plus arriérés d’Europe sur le plan économique, et malgré la destruction économique causée par la première guerre mondiale (1914-18), la guerre civile (1918-20) et la deuxième guerre mondiale (1939-45), l’Union soviétique est devenue, dans les années 1960 et 1970, une puissance industrielle dont l’économie n’était pas soumise aux booms et aux effondrements chaotiques du capitalisme.

    Au milieu des années 1920, cependant, une élite bureaucratique a commencé à se cristalliser, s’appuyant sur l’arriération de la société russe, la fatigue de la classe ouvrière et l’échec de la révolution dans d’autres pays plus développés comme l’Allemagne. La classe ouvrière a été écartée du pouvoir politique tandis que la bureaucratie, dirigée par Staline, a étendu ses tendances dictatoriales à tous les aspects de la vie. Cette élite bureaucratique, forte de 20 millions de personnes en 1970, était comme un énorme parasite qui suçait le sang de l’économie planifiée, la vidant de son énergie. La mauvaise gestion bureaucratique a créé un énorme gaspillage. Cela a conduit à la période que les Russes appellent « la stagnation ». Tout le monde avait un emploi, un endroit où vivre et un salaire modeste, mais la vie était terne, la qualité des produits et des services très faible, et d’énormes ressources étaient gaspillées ou dépensées en armes ou autres articles inutiles. De plus en plus, la mauvaise gestion de l’économie entraînait d’énormes pénuries, souvent de produits essentiels.

    Parfois, la nature arbitraire et répressive de la bureaucratie débordait sur des conflits ouverts. En 1962, par exemple, une instruction a été envoyée de Moscou pour augmenter le prix de la viande et d’autres denrées alimentaires stables. Cela a coïncidé avec la décision de réduire les salaires dans une usine métallurgique de la ville de Novocherkassk. Les travailleurs se sont alors mis en grève. Ils ont été accueillis par des troupes armées et des chars. Des centaines d’entre eux ont été tués par balle, tant le régime craignait que des travailleurs d’autres régions ne viennent les soutenir.

    Léon Trotsky avait analysé la situation en Union soviétique après la prise du pouvoir par la bureaucratie. Il affirmait que la classe ouvrière devait organiser une révolution supplémentaire et balayer la bureaucratie, permettant ainsi la mise en place d’un véritable État ouvrier démocratique. Si, toutefois, les travailleurs ne devaient pas le faire, alors il arriverait un moment où l’élite bureaucratique tenterait de légaliser ses privilèges et le pillage des biens de l’État. À long terme, écrivait Trotsky, dans « La révolution trahie » (1936), cela pourrait « conduire à une liquidation complète des conquêtes sociales de la révolution prolétarienne ». Sous Staline, la bureaucratie a défendu l’économie planifiée comme la base de son pouvoir et de ses privilèges, mais elle l’a fait « de manière à préparer une explosion de tout le système qui pourrait balayer complètement les résultats de la révolution. »

    Des réformes expérimentales

    Des événements tels que ceux de Novocherkassk, de Hongrie, de Tchécoslovaquie et de Pologne ont effrayé la bureaucratie. Alors que, du moins au début, la majorité de celle-ci estimait que la répression était le moyen le plus efficace de maintenir le contrôle sur la société, une partie des bureaucrates a commencé à penser qu’il fallait chercher de nouveaux mécanismes pour réduire la mauvaise gestion et la corruption. Au milieu des années 1960, un groupe d’économistes a commencé à se former sous la direction d’Abel Aganbegyan à l’Académie de Novossibirsk. Ils ont commencé à analyser des questions telles que le fossé entre la production agricole et les demandes de la population. Leurs travaux, rédigés dans le style rabougri du « marxisme » soviétique, allaient essentiellement dans le sens de la réintroduction des mécanismes du marché, du moins dans l’agriculture. Leurs idées ont été discutées par une couche importante de l’élite dirigeante. Aganbegyan est devenu plus tard le principal conseiller économique de Gorbatchev.

    Cependant, l’élite dirigeante n’était pas encore prête à s’engager dans cette voie. La source de leur style de vie privilégié était, après tout, l’économie planifiée et, malgré leur incompétence parasitaire, elle était toujours en avance par rapport aux grandes économies capitalistes. En 1973, la crise pétrolière a frappé le monde. Elle a contribué à plonger l’Occident dans la récession, mais a en fait aidé l’Union soviétique en raison des revenus supplémentaires provenant des exportations de pétrole. Mais cela n’a fait que retarder le processus.

    Le mécontentement croissant en Europe de l’Est a poussé les gouvernements, comme celui de la Pologne, à commencer à contracter des prêts importants auprès du monde capitaliste. Ces crédits ont alimenté l’inflation et rendu le système bureaucratique de planification encore plus ingérable. Les coûts de la course aux armements de la guerre froide et de l’Afghanistan n’ont fait qu’exacerber les problèmes. Ainsi, lorsque Brejnev est mort en 1982, une partie du politburo au pouvoir semblait prête à commencer à expérimenter. Andropov, considéré comme un réformateur, a été élu au pouvoir, mais il est mort 15 mois plus tard. Il avait exprimé le souhait d’être remplacé par Gorbatchev, mais les partisans de la ligne dure n’étaient pas encore prêts pour cela. Tchernenko, bien que déjà gravement malade, fut élu comme candidat provisoire, le politburo comprenant clairement que dans quelques mois, ils allaient à nouveau être amenés à voter. Cette fois, Gorbatchev l’a emporté.

    Il n’avait pas l’intention de réintroduire le capitalisme. Il désirait des réformes au sommet pour empêcher une explosion de la révolution par en bas. Mais il a déclenché un processus qui est devenu impossible à arrêter, principalement parce qu’en levant la répression et en encourageant dans une certaine mesure les gens ordinaires à jouer un rôle plus actif, bien que limité, dans leurs propres affaires, il a ouvert les vannes pour permettre au mécontentement qui s’était accumulé pendant des décennies de se manifester au grand jour.

    Les dissidents et l’opposition

    Bien sûr, les choses auraient pu se passer différemment. Dans son chef-d’œuvre, « La révolution trahie », Trotsky affirmait que « si la bureaucratie soviétique est renversée par un parti révolutionnaire ayant tous les attributs du vieux bolchevisme, enrichi en outre par l’expérience mondiale de la période récente, un tel parti commencerait par restaurer la démocratie dans les syndicats et les soviets. Il pourrait, et devrait, restaurer la liberté des soviets. Avec les masses, et à leur tête, il procéderait à une purge impitoyable de l’appareil d’État. Il supprimerait les grades et les décorations, toutes sortes de privilèges, et limiterait l’inégalité dans la rémunération du travail aux nécessités vitales de l’économie et de l’appareil d’État. Il donnerait à la jeunesse la possibilité de penser de manière indépendante, d’apprendre, de critiquer et de se développer. »

    « Il introduirait de profonds changements dans la répartition du revenu national en fonction des intérêts et de la volonté des masses ouvrières et paysannes. Mais en ce qui concerne les relations de propriété, le nouveau pouvoir n’aurait pas à recourir à des mesures révolutionnaires. Il conserverait et développerait l’expérience de l’économie planifiée. Après la révolution politique – c’est-à-dire la chute de la bureaucratie – le prolétariat aurait à introduire dans l’économie une série de réformes très importantes, mais pas une autre révolution sociale. »

    Ces propos ont été écrits en 1936, lorsque la masse des travailleurs avait encore un souvenir clair de ce que la révolution bolchevique, menée par Vladimir Lénine et Trotsky, était réellement censée accomplir. C’est la crainte que les travailleurs organisent une nouvelle révolution qui a conduit Staline à mener sa vicieuse campagne de terreur contre les bolcheviks restants. Cette campagne de terreur était si impitoyable que, malgré la résistance héroïque des trotskystes dans les camps de prisonniers, le fil du bolchevisme a fini par être rompu. Jusqu’en 1990, il était pratiquement impossible de lire les œuvres de Trotsky en Union soviétique.

    Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y avait pas d’opposition à la bureaucratie au pouvoir. Les médias occidentaux ont mis en avant les dissidents, principalement des intellectuels inspirés à un degré ou à un autre par la démocratie libérale occidentale, comme Andrei Sakharov, un physicien nucléaire qui a travaillé sur la bombe atomique soviétique. Certaines personnalités du parti et de l’armée, des gens comme les frères Medvedev, Roy et Zhores, et Pyotr Grigoryenko se sont ouvertement exprimés en tant qu’anti-staliniens de gauche. En 1963, ces derniers ont même formé l’Union de lutte pour la restauration du léninisme. Cependant, malgré tout leur courage, il s’agissait essentiellement de bureaucrates dissidents. Beaucoup plus nombreux sont les jeunes opposants de la classe ouvrière qui ont formé des groupes d’étude, des cercles léninistes et même des partis, avec des noms tels que le Parti néo-communiste, le Parti des nouveaux communistes ou, plus tard, même le Parti de la dictature du prolétariat. Malheureusement, la combinaison de la répression et de l’absence d’une compréhension claire de ce qu’il fallait faire a laissé ces groupes incapables de se développer lorsque les conditions ont mûri.

    Les limites de la perestroïka

    En fin de compte, ce sont les mouvements initiés par la bureaucratie elle-même qui ont conduit à la disparition de l’Union soviétique. Gorbatchev a lancé ses politiques de glasnost et de perestroïka (ouverture et restructuration). D’une part, le système politique a été ouvert pour permettre une certaine critique. Naturellement, les réformateurs voulaient que cette critique soit dirigée contre leurs adversaires les plus durs sans toutefois aller trop loin. Les élections à plusieurs candidats ont été autorisées, mais tous les candidats devaient toujours être membres du parti communiste.

    Gorbatchev fut initialement plus prudent avec l’économie, parlant d’uskoreniye (accélération) et de la modification de la planification centrale. La plus grande réforme consista à rendre les usines et les entreprises “autofinancées”. Cela signifiait que, bien qu’elles devaient respecter leurs engagements de production pour le plan, les directeurs pouvaient vendre tout excédent produit et, naturellement, utiliser les bénéfices comme ils le souhaitaient. Les travailleurs ont eu le droit d’élire et de révoquer les directeurs d’usine, ce qu’ils ont fait dans certains cas. En 1987, une loi a été adoptée permettant aux étrangers d’investir en Union soviétique en formant des entreprises communes, généralement avec des ministères ou des entreprises d’État. En 1988, la propriété privée sous forme de coopératives a été autorisée dans les secteurs de la fabrication, des services et du commerce extérieur.

    Aucune de ces réformes n’a eu l’effet escompté. Alors que la censure était relâchée et que les représentants de la bureaucratie commençaient à débattre plus ouvertement, les gens ont été inspirés par cette nouvelle “ouverture”. Lorsque les débats du Soviet suprême ont été diffusés en direct à la télévision, les gens ont arrêté de travailler pour se presser autour du poste le plus proche, les foules dans les rues regardaient à travers les vitrines des magasins. Mais ils voulaient plus de choix qu’entre les candidats d’un même parti. Lors des élections au Soviet suprême de mai 1989, les électeurs de tout le pays ont rayé tous les noms sur leur bulletin de vote pour protester contre l’absence d’alternative. Très vite, les députés réformateurs les plus radicaux, autour de Boris Eltsine, ont soulevé la nécessité d’abolir l’article six de la constitution, qui stipulait que le PCUS a le droit de contrôler toutes les institutions du pays.

    La Perestroïka s’est avérée désastreuse, du moins du point de vue des travailleurs. Les réformes n’étaient, comme on dit en russe, ni chair ni volaille. En assouplissant les règles du plan, les directeurs d’entreprise ont commencé à détourner les ressources de la production de base. Les organisations ont commencé à éprouver des difficultés à obtenir des fournitures de base. Et si les directeurs étaient désormais autorisés à vendre la production supérieure au plan à qui voulait bien l’acheter, il n’y avait toujours pas de marché libre pour le faire. Cela a créé de réelles difficultés. Par exemple, le coût de la production de charbon était nettement supérieur au prix payé par l’État, laissant de nombreuses mines sans argent pour couvrir les salaires.

    En raison de l’incompétence de l’élite dirigeante, l’économie soviétique a longtemps souffert de pénuries. Mais, en 1989, la situation était devenue catastrophique. Les mineurs ne pouvaient même pas obtenir de savon pour leurs douches. À Moscou, toujours privilégiée concernant l’approvisionnement en nourriture, le rationnement des denrées alimentaires de base a été introduit.

    La perte de contrôle

    La politique de perestroïka s’effondra dans la crise. Elle n’a pas fait grand-chose pour réduire le rôle étouffant de la bureaucratie, mais a soulevé le couvercle de l’énorme mécontentement qui bouillonnait sous la surface. Les événements ont commencé à échapper à tout contrôle.

    Au début de 1986, la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, a explosé. Alors que les autorités tentaient de dissimuler l’ampleur de la catastrophe, des volontaires ont afflué par milliers pour éteindre l’incendie, avec pour seule défense une bouteille de vodka qui, selon les médecins, les protégerait des radiations. Une fois de plus, il apparaissait que la société soviétique reposait sur d’énormes sacrifices de la part du peuple, tandis que la bureaucratie continuait à faire des erreurs et à commettre des vols. En 1988, un tremblement de terre a secoué certaines parties de l’Arménie, tuant 25.000 personnes lorsque des bâtiments insalubres se sont effondrés, laissant la ville de Leninakan dévastée. Cela a alimenté la question nationale dans le Caucase.

    À la fin de 1986, les premiers signes de la libération de nouvelles forces sociales ont commencé à apparaître. La ville d’Alma-Ata a été secouée par une émeute étudiante de deux jours avec pour cause immédiate le limogeage de Dinmukhamed Konayev, chef du parti communiste du Kazakhstan (un Kazakh de nationalité). Le parti était en proie à une lutte entre Konaïev et son adjoint (également kazakh), qui l’accusait de freiner les réformes. Gorbatchev a décidé de ne soutenir aucun des deux camps et a nommé à la place un outsider, un Russe. Mécontent de cette décision, l’adjoint de Konaïev a incité les étudiants, principalement des Kazakhs, à protester. Lorsqu’ils ont été accueillis par les troupes anti-émeute, ils se sont déchaîné. L’adjoint de Konaïev a fini par prendre la tête du parti en 1989 et, deux ans plus tard, lors de la tentative de coup d’État de 1991, il a interdi le parti communiste, avant de devenir président du Kazakhstan. Son nom : Nursultan Nazarbaev, qui est encore aujourd’hui le président autoritaire du Kazakhstan (il a démissionné de la présidence en 2019, ndt).

    L’escalade de la crise économique, les scissions au sein de l’élite dirigeante et les catastrophes naturelles et technologiques ont alimenté le mécontentement. Les tensions nationales se sont intensifiées en quelques mois. La région du Nagorny-Karabakh (cédée arbitrairement à l’Azerbaïdjan par Staline en 1921) est devenue le prochain point chaud. Les manifestations de masse de la population majoritairement arménienne, qui exigeait le retour en Arménie, ont été réprimées sauvagement par le régime azéri. Une guerre ouverte a éclaté entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan en 1991.

    Dans les trois États baltes – la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie – il y avait un énorme ressentiment à l’égard de leur inclusion dans l’Union soviétique, à la suite du pacte Hitler/Staline. (Lénine et Trotsky avaient toujours soutenu le droit des États baltes à l’autodétermination). Ce ressentiment, combiné à la crise économique et sociale croissante, a alimenté des mouvements de masse réclamant l’accélération des réformes et l’indépendance. Au début de 1990, les trois pays avaient déclaré leur indépendance officielle.

    Si un parti ouvrier de masse de gauche avait existé à l’époque, il aurait pu unifier ces protestations contre la bureaucratie soviétique et présenter une véritable option pour garantir l’établissement d’un véritable État socialiste en Union soviétique. Un mouvement ouvrier de masse s’est développé. Malheureusement, il n’était pas armé d’un programme clair qui aurait pu résoudre ces crises.

    Les oligarques s’installent au pouvoir

    Les mouvements de masse qui se sont répandus en Europe de l’Est, les mouvements d’indépendance en pleine expansion ainsi que les politiques ratées de la perestroïka n’ont fait qu’aggraver la situation économique. Les recettes fiscales se sont effondrées, le nombre d’usines nécessitant des subventions a augmenté. L’inflation s’installa. Pendant ce temps, une partie de l’élite dirigeante a quitté le navire. Une nouvelle loi autorisant la formation de coopératives a été présentée comme donnant le droit de créer des cafés et de petites productions de services. Cependant, la bureaucratie a utilisé cette loi pour créer des coopératives liées aux ministères et aux usines afin d’exproprier ouvertement les biens de l’État.

    L’un des oligarques les plus notoires de Russie, Boris Berezovskii, fournit un exemple du fonctionnement de ce processus. En 1989, il a conclu un accord avec la direction de l’usine automobile russe Lada. Au lieu de vendre toute sa production par l’intermédiaire de détaillants d’État, elle lui vendrait ses voitures à un prix réduit. Il les revendrait ensuite, à un prix plus élevé bien sûr. En trois ans, Berezovskii a réalisé un chiffre d’affaires de 250 millions de dollars dans cette seule activité. Les travailleurs ont vite appris à détester ces “entrepreneurs”.

    En mars 1989, les premiers signes d’une vague de grève imminente sont apparues dans le bassin houiller polaire de Vorkuta. La 9e brigade de la fosse Severnaya a fait grève, réclamant des salaires payés à un taux décent et des normes de production plus basses. Faisant écho aux réformateurs de Moscou, ils ont exigé la réduction de 40% du personnel d’encadrement et la réélection du directeur technique. Des concessions ont rapidement été faites, mais cette petite grève a ouvert les vannes. En juillet, un demi-million de mineurs se sont mis en grève dans tout le pays.

    À Vorkuta, Novokuznetsk, Prokopievsk et Mezhdurechensk, des comités de grève ont effectivement pris en charge la gestion des villes. La vente de spiritueux a été interdite et des organisations ont été mises en place pour maintenir l’ordre public. Les mineurs étaient principalement préoccupés par leurs conditions de travail et leurs conditions sociales, notamment les mauvaises conditions de transport et de logement, les bas salaires, la mauvaise alimentation et l’absence de savon dans les douches des puits. Dès le début, les réunions de masse et les comités de grève ont insisté sur le fait que les grèves étaient apolitiques. Mais, comme les mineurs n’avaient pas de programme politique propre, il était inévitable que d’autres forces utilisent leur mouvement. À Mezhdurechensk, les directeurs de mines ont “soutenu” la grève, se plaignant seulement que certaines des revendications étaient irréalisables tant que les mines étaient sous contrôle central. La demande d’une indépendance économique totale des mines, avec le droit de vendre du charbon sur le marché libre, a bientôt été ajoutée à la liste des revendications des mineurs.

    Les mineurs ont créé des organisations à la hâte, mais se sont avérés être politiquement non préparés. La seule façon dont ils auraient pu résoudre les problèmes de la fin de la période soviétique aurait été de s’organiser pour renverser la bureaucratie et l’élite dirigeante, tout en maintenant la propriété de l’État et l’économie planifiée sur la base d’un contrôle et d’une gestion démocratiques des travailleurs. Mais il n’y avait aucune organisation politique offrant une telle alternative dans les bassins houillers. Au lieu de cela, la bureaucratie même qui était à l’origine de la crise s’est attaquée aux organisations créées par les mineurs pour promouvoir son propre programme politique. Les membres des comités de grève ont été pris pour de longues négociations, les revendications quotidiennes ont été liées à des demandes plus explicites dans l’intérêt des administrations des mines et même du ministère du charbon. Dans de nombreux cas, les chefs de grève étaient encouragés à créer des entreprises (en utilisant la nouvelle loi) qui, naturellement, étaient étroitement contrôlées par les structures de l’État.

    500 jours pour le capitalisme

    Au cours de l’été 1989, le premier bloc d’opposition au Congrès soviétique, le groupe interrégional, a été formé, avec à sa tête Eltsine. Alors que les événements se succédaient à un rythme dramatique, les grèves des mineurs donnaient aux travailleurs la certitude qu’ils pouvaient se battre. Pendant ce temps, les États baltes ont déclaré leur indépendance. Un autre conflit interethnique virulent a éclaté entre la Géorgie et l’Ossétie du Sud. En novembre 1989, le mur de Berlin a été abattu. En décembre, le dictateur brutal Nikolaï Ceausescu et sa femme, Elena, ont été exécutés publiquement lors du soulèvement en Roumanie. Ces événements ont effrayé l’élite dirigeante mais, comme on dit en russe, le train avait quitté la gare et il n’était plus possible de l’arrêter.

    Le groupe interrégional s’opposait ouvertement à Gorbatchev, qui se retrouvait coincé entre les partisans d’Eltsine et les conservateurs purs et durs. Parmi ces derniers, on trouve des personnalités telles que les fameux “colonels noirs” qui plaidaient pour une solution “à la Pinochet”.

    Le groupe interrégional possédait une petite aile gauche mais se composait principalement de réformateurs, dont l’agenda comportait des réformes du marché et une démocratie de type occidental, même si cela n’était pas encore clairement formulé dans leur programme. Il est révélateur de la résistance au capitalisme que, même à ce stade tardif, les réformateurs n’appelaient que rarement ouvertement à sa restauration. Parmi les mineurs et les autres travailleurs, cet appel aurait rencontré une certaine résistance, même si certaines de leurs revendications étaient devenues intrinsèquement “pro-marché”. L’état d’esprit des mineurs était qu’ils n’avaient vraiment aucune envie de vivre dans une société capitaliste. Néanmoins, ils avaient perdu la foi dans le fait que le socialisme était un système viable.

    Le groupe interrégional s’est concentré sur la suppression du monopole du pouvoir du PCUS. Des manifestations massives ont été organisées à Moscou et dans d’autres villes pour exiger l’abrogation de l’article 6, qui a finalement été aboli au printemps 1990. Lors des élections dans les différentes républiques, les candidats nationalistes et pro-libéraux ont remporté la majorité des voix. En mai, Eltsine a été élu président du Soviet suprême et, en juin, dans une tentative de forcer la main à Gorbatchev, le Congrès russe des députés du peuple a déclaré la souveraineté de la Russie. La “guerre des lois” a commencé, les républiques luttant pour la suprématie contre le gouvernement de l’Union soviétique.

    En août 1990, le gouvernement russe a adopté le « programme des 500 jours ». Ce programme prévoyait la création des « bases d’une économie de marché moderne en 500 jours », basée sur « une privatisation massive, des prix déterminés par le marché, l’intégration dans le système économique mondial, un large transfert de pouvoir du gouvernement de l’Union aux républiques ». Comme le disait l’éditorial de la première édition du journal russe du Comité pour une Internationale Ouvrière (devenu depuis lors Alternative Socialiste Internationale) de l’époque : « Nous mourrons de faim après 500 jours ! » En juin 1991, Eltsine se présenta à l’élection du président russe et remporta 57% des voix. Il critiquait la « dictature du centre », sans rien dire sur l’introduction du capitalisme. Il a même promis de mettre sa tête sur une voie ferrée si les prix augmentaient. Bien sûr, il ne l’a jamais fait, même si, en 1992, les prix avaient augmenté de 2 500 %.

    Un coup d’État en demi-teinte

    L’opposition conservatrice ne défendait pas le socialisme, du moins pas tel que nous le connaissons. Elle défendait un État fort et centralisé. Ils étaient surtout furieux que les républiques soient en train de se séparer de l’Union soviétique et que, du fait de cette nouvelle “ouverture”, les gens critiquaient leur gouvernement. À l’occasion des vacances du nouvel an 1990-91, des rumeurs de coup d’État militaire couraient à Moscou. Les partisans de la ligne dure se retenaient, même si l’Union soviétique s’effondrait autour d’eux.

    En mars 1991, un référendum a été organisé dans lequel la question suivante était posée : « Considérez-vous nécessaire la préservation de l’Union des républiques socialistes soviétiques en tant que fédération renouvelée de républiques également souveraines dans laquelle les droits et la liberté d’un individu de toute nationalité seront pleinement garantis ? » Le référendum a été boycotté par les États baltes, ainsi que par la Géorgie, l’Arménie et la Moldavie. Mais 70% des électeurs des neuf autres républiques ont voté oui. Il s’est toutefois avéré difficile de trouver un accord sur la forme exacte. Un nouveau traité d’union a été élaboré. Huit républiques en ont accepté les conditions, tandis que l’Ukraine s’y est opposée. La Russie, le Kazakhstan et la Biélorussie l’ont signé en août 1991.

    Le 19 août 1991, les Moscovites se sont réveillés au son des chars dans la rue. Les partisans de la ligne dure avaient lancé leur coup d’État tant attendu. On dit que Gorbatchev, qui était en fait en vacances, était « trop fatigué et malade pour continuer ». La « bande des huit » a déclaré qu’elle instaurait la loi martiale et un couvre-feu dans le but de « lutter contre l’économie souterraine, la corruption, le vol, la spéculation et l’incompétence économique » afin de « créer des conditions favorables à l’amélioration de la contribution réelle de tous les types d’activités entrepreneuriales menées dans le respect de la loi ». Ils ont terminé par un appel à « toutes les organisations politiques et sociales, les collectifs de travail et les citoyens » pour qu’ils démontrent leur « disposition patriotique à participer à la grande amitié dans la famille unifiée des peuples fraternels et à la renaissance de la patrie. »

    Victor Hugo disait que « toutes les forces du monde ne sont pas aussi puissantes qu’une idée dont le temps est venu ». Ce putsch a prouvé que l’inverse est également vrai : la plus grande machine militaire ne pouvait pas sauver un régime dont le temps était révolu ! Même les tankistes et les parachutistes des divisions d’élite soviétiques envoyés à Moscou n’avaient pas le cœur à se battre. Les chars s’arrêtaient aux feux rouges. Un chauffeur de trolleybus a arrêté son véhicule à l’entrée de la Place Rouge et les chars n’ont pas bougé plus loin ! Quelques minutes plus tard, les manifestants ont appris qu’Eltsine lançait un appel à la grève générale (qu’il a rapidement annulé) et a demandé aux gens de se rassembler devant le siège du gouvernement russe. En quelques heures, des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées. Le pays tout entier a commencé à se soulever contre le coup d’État. Les putschistes ont fait demi-tour. L’un d’entre eux s’est tiré une balle. Un autre a quitté la politique pour devenir un riche banquier. Gorbatchev est retourné à Moscou pour découvrir que le pays qu’il avait dirigé n’existait plus.

    Officiellement, l’Union soviétique fut dissoute en décembre 1991. Mais il ne s’agissait que d’une reconnaissance de la réalité. Après le coup d’État, les 15 républiques avaient annoncé leur indépendance. La vitesse du processus de restauration du capitalisme différait dans chaque république, mais la direction fut la même. Les obstacles à la restauration du capitalisme qui existaient auparavant ont été supprimés. Dans le cas de la Russie, le régime d’Eltsine a banni le PCUS, a entrepris de briser l’ancienne structure étatique, allant même jusqu’à promettre aux républiques intérieures de la Russie, telles que la Tchétchénie et le Tatarstan, « autant de souveraineté qu’elles pouvaient en supporter ». Une thérapie de choc économique a été introduite avec la libéralisation des prix, les privatisations massives, l’augmentation des impôts, la réduction des subventions à l’industrie et la diminution des dépenses sociales.

    Les conseillers occidentaux ont ouvertement averti le gouvernement Eltsine qu’il devait gagner le soutien des anciens bénéficiaires du régime soviétique, c’est-à-dire les anciens chefs de parti, directeurs d’usine et agents du KGB, en leur transférant la propriété de la nouvelle société capitaliste afin qu’ils ne résistent pas. Même la période d’hyperinflation, qui a apporté une misère indicible aux masses, a été utilisée par l’élite dirigeante pour concentrer la richesse entre ses mains. C’est à partir de cette période que les oligarques ont acquis leur richesse obscène. Dans les médias russes, on appelait ouvertement cela le « processus d’accumulation primitive du capital ».

    Le peuple soviétique a été escroqué. On leur a dit qu’en introduisant des réformes du marché, ils pourraient avoir des conditions de vie similaires à celles d’Europe occidentale. Plutôt que de dire à la population que l’intention était d’introduire le capitalisme, on lui a dit qu’il s’agissait d’une lutte pour la « démocratie ». Près de 20 ans plus tard, le niveau de vie de la grande majorité de la population est nettement inférieur à celui de la fin de la période soviétique. La démocratie est pratiquement inexistante et l’ancienne élite dirigeante, qui a ruiné l’économie planifiée, vit maintenant dans le luxe grâce aux bénéfices de l’exploitation capitaliste. Cela contribue à expliquer pourquoi, dans toute l’ancienne Union soviétique, les travailleurs commencent à se tourner à nouveau vers les idées de gauche. Ce n’est que la prochaine fois qu’ils auront l’expérience nécessaire pour établir une véritable société socialiste, avec une économie planifiée, le contrôle et la gestion des travailleurs, et l’autodétermination dans une fédération volontaire d’États socialistes et l’internationalisme.

  • Motion de solidarité de la CGSP-ALR avec les militants anti-guerre en Russie victimes de la répression

    Nous publions ci-dessous une importante motion de solidarité qui se situe dans la fidèle tradition de la solidarité internationale entre travailleurs. Elle concerne notre camarade Dzhavid Mamedov, victime de la répression du régime de Poutine en Russie. Nous vous invitons à faire de même avec votre délégation syndicale, association,… et à envoyer cette déclaration à info@socialisme.be.

    Depuis maintenant deux mois et demi, le régime de Poutine est en guerre contre l’Ukraine. Dès le début, des dizaines de milliers de Russes ont résisté et se sont courageusement exprimés contre la guerre et le régime, en courant un risque sérieux de persécution politique et d’arrestation. Au cours de cette période, plus de 15 000 personnes ont été arrêtées, et beaucoup ont été confrontés à la violence policière, à la torture et à de longues peines d’emprisonnement.

    Dzhavid Mamadov est un socialiste, un militant anti-guerre, un défenseur des droits des femmes et des LGBTQIA+, un organisateur syndical étudiant et un participant à la résistance au régime de Lukashenko en Biélorussie et au régime de Poutine en Russie. Aujourd’hui, il est en prison après avoir été arrêté une troisième fois pour sa position anti-guerre. Le régime a essayé de l’isoler des manifestations et de l’intimider, en l’enfermant derrière les barreaux et en plaçant des espions de la police avec lui dans sa cellule. Afin d’arrêter Dzhavid, la police l’a enlevé sur son lieu de travail et l’a traqué devant son domicile à deux reprises, ne lui permettant même pas de “faire une pause” après sa précédente incarcération. Aujourd’hui, ils tentent de monter un dossier criminel contre Dzhavid, et sa prochaine arrestation pourrait lui valoir une longue peine de prison, entre 5 et 10 ans. Il doit être protégé !

    Dzhavid n’est bien sûr pas seul. Kirill Ukraintsev, leader de la récente grève du Courrier, et les rédacteurs du journal étudiant DOXA, qui ont adopté une position de principe contre la guerre, ont également été arrêtés, parmi beaucoup d’autres. L’Union indépendante des journalistes www.profjur.org [profjur.org], qui a défendu les personnes arrêtées et réprimées, fait maintenant l’objet d’une enquête pour “activités extrémistes”.

    Tous les manifestants anti-guerre doivent être libérés immédiatement !

    C’est pourquoi la CGSP ALR Bruxelles exige :

    La libération immédiate de Dzhavid Mamedov et de tous les manifestants anti-guerre ;

    La fin immédiate de la guerre en Ukraine ;

    La réduction spectaculaire des dépenses en armement et l’utilisation des ressources pour la santé, l’éducation et la reconstruction ;

    Bruxelles, 23/05/2022,

  • Solidarité internationale avec les militants anti-guerre russes !


    Liberté pour Dzhavid Mamedov et tous les militants anti-guerre ! La solidarité internationale de la classe ouvrière peut arrêter la guerre !

    Le tribunal de Tverskoi, à Moscou, a condamné à 30 jours de prison supplémentaires Dzhavid Mamedov, militant socialiste et anti-guerre, défenseur des droits des femmes et des personnes LGBTQIA+, syndicaliste étudiant et participant à la résistance contre le régime de Lukashenko au Belarus et contre le régime de Poutine en Russie. Il venait à peine d’être libéré après avoir passé le mois précédent en détention.

    Le régime russe montre de plus en plus de signes de désespoir face au manque de succès de l’”opération militaire spéciale” visant à “dénazifier” l’Ukraine.

    Dès le début, des dizaines de milliers de Russes ont résisté et se sont courageusement exprimés contre la guerre et le régime, au risque de subir des persécutions politiques et des arrestations. Plus de 15.000 personnes ont été arrêtées au cours de cette période, et nombre d’entre elles ont été victimes de brutalités policières, de torture et d’emprisonnement de longue durée. Pour l’instant, la répression a réussi à empêcher l’organisation de l’opposition à la guerre, mais cela ne signifie pas que celle-ci n’existe pas.

    Le mécontentement au sein de l’élite dirigeante s’exprime par des actes individualistes, comme la fuite à l’étranger de personnalités du monde du spectacle, ou un certain nombre de suicides au plus haut niveau et de démissions de conseils d’administration d’entreprises. Ces personnes ne pensent qu’à elles-mêmes, à sauver leurs carrières et leurs richesses. Ces actes sont accompagnées de rapports faisant état de l’arrestation d’officiers militaires de premier plan et de membres des services de renseignement.

    Parallèlement, les travailleurs ordinaires, qui sont directement touchés par la guerre, font désespérément ce qu’ils peuvent en l’absence de résistance organisée. Les parents des jeunes marins qui ont apparemment péri lors du naufrage du croiseur “Moskva” sont rejoints par ceux dont les fils ont “disparu” en Ukraine et qui cherchent frénétiquement des nouvelles. De nombreux rapports font état de soldats qui ne suivent pas les ordres en Ukraine, ou qui refusent tout simplement d’y être envoyés.

    Parfois, des mesures encore plus désespérées sont prises. Un certain nombre de bureaux de recrutement de l’armée ont été attaqués avec des cocktails Molotov. Une vague d’incendies a détruit des dépôts de pétrole et d’armes en Russie, et pas seulement à la frontière avec l’Ukraine. La semaine dernière, une usine d’explosifs a brûlé dans l’Oural, tandis qu’un énorme entrepôt de manuels scolaires à Tver, une ville située à 100 km au nord de Moscou, a été détruit juste après que l’éditeur ait annoncé qu’il supprimerait toute mention de l’Ukraine dans les livres d’histoire.

    Mais ce sont des actes individuels qui, à eux seuls, ne peuvent pas arrêter la guerre. Ils sont ignorés dans les médias, et le simple fait de les mentionner expose les gens à la persécution. C’est pourquoi le régime est si déterminé à prendre des mesures pour empêcher la résurgence des manifestations héroïques contre la guerre qui ont embrasé la Russie au début de la guerre. Les sondages d’opinion et diverses anecdotes démontrent que le sentiment anti-guerre se renforce parmi les jeunes et la classe ouvrière.

    Pour le régime, le danger est que les protestations des jeunes rencontrent de manière organisée une mobilisation plus large de la classe ouvrière, qui subit des licenciements, des fermetures d’usines et une inflation galopante. Des grèves ont éclaté en nombre restreint, mais significatif.

    L’utilité d’une action collective et organisée est apparue clairement à Saint-Pétersbourg, où le recteur de l’université de Saint-Pétersbourg a annoncé que 40 étudiants, dont des partisans de Sotsialisticheskaya Alternativa, seraient expulsés de l’école. Lorsque les étudiants se sont organisés et qu’une journée d’action de solidarité a été organisée, le recteur a été contraint de retirer sa menace.

    C’est pour cette raison que le régime est prêt à aller jusqu’à l’extrême pour empêcher toute opposition organisée.

    Dzhavid Mamedov est victime d’une procédure arbitraire. Début avril, il a été envoyé en prison pour 30 jours parce qu’il avait publié un appel sur les médias sociaux pour s’opposer à la guerre. Une semaine avant la fin de sa peine, des choses étranges ont commencé à se produire. Il a eu un nouveau compagnon de cellule. Il s’est avéré que cette personne avait été arrêtée le 25 mars à grand renfort de médias l’accusant d’être un espion ukrainien. Ils l’ont qualifié de dangereux criminel qui, selon les médias, a avoué avoir espionné l’Ukraine et la Pologne. Le fait qu’il se soit soudainement retrouvé dans la cellule de Dzhavid dans une prison pour délinquants non criminels indiquait qu’il coopérait désormais avec les services de sécurité. Il a ouvertement menacé Dzhavid de le poursuivre pour “activités extrémistes” s’il ne quittait pas le pays avant le 2 mai. N’ayant pas réussi à le convaincre, il a ensuite suggéré à Dzhavid de faire entrer de l’alcool en prison, espérant sans doute l’amener à coopérer sous l’emprise de l’alcool.

    En consultation avec d’autres militants, Dzhavid avait décidé de quitter le pays. Lorsqu’il a quitté la prison samedi, des précautions ont été prises pour s’assurer qu’il serait en sécurité jusqu’à son départ. Toutefois, grâce à une caméra de reconnaissance faciale ou à un message de chat dit sécurisé, la police a réussi à le retrouver. Pour ne rien arranger, il est à nouveau accusé du même crime que celui pour lequel il a purgé sa première peine, à la seule différence que la police prétend désormais qu’il est un organisateur. Une accusation qui ne tient pas la route, puisqu’il ne faisait que poster un appel. Outre sa deuxième condamnation à un mois de prison, il a également été condamné à une amende de 50000 roubles (environ 700 euros)- pour avoir “discrédité l’armée russe”.

    Alternative Socialiste Internationale (ASI) demande donc ce qui suit :

    • La libération immédiate de Dzhavid Mamedov et de tous les manifestants anti-guerre ;
    • La fin immédiate de la guerre en Ukraine, avec le retrait des troupes russes, l’arrêt de l’expansion de l’OTAN et des sanctions ;
    • La réduction drastique des dépenses en armement et l’utilisation de ces fonds pour les soins de santé, l’éducation et la reconstruction du pays ;
    • Pour la solidarité des travailleurs en Russie, en Ukraine et dans toute l’Europe contre les fauteurs de guerre, les oligarques et les politiciens de droite ! Pour un monde socialiste où le droit des nations à l’autodétermination avec des droits pour les minorités est garanti, et où les ressources naturelles et industrielles sont aux mains de l’État et leur utilisation est planifiée démocratiquement pour le bénéfice de tous !

    ASI appelle à la solidarité internationale avec Dzhavid et tous les militants anti-guerre russes.

    Parlez-en à vos collègues de travail, à vos camarades de classe, à vos amis et à tous ceux qui sont contre la guerre :

    • Distribuez des tracts et des affiches dans votre quartier, sur votre lieu de travail et à l’école ;
    • Faite signer des résolutions ou des lettres de protestation à votre syndicat, votre organisation ou votre collectif ;
    • Piquets Organisez des piquets de protestation et de solidarité à l’ambassade de Russie de votre pays.

    Vous trouverez ici des affiches en différentes langues, un modèle de tract et une résolution seront également disponibles sous peu.

    Envoyez les protestations directement à votre ambassade, avec des copies et des rapports à intsocaltrussia@gmail.com.

    Les militants socialistes anti-guerre en Russie ont également besoin d’un soutien financier. Ces fonds peuvent être transférés via les sections nationales d’ASI ou les dons peuvent être envoyés directement via patreon ici.

  • Répression brutale des manifestations antiguerre en Russie

    Le jour de l’invasion de l’Ukraine, des protestations immédiates ont éclaté en Russie. Le régime a tenté d’écarter le phénomène comme étant le fait d’une infime minorité. Vitaly Milonov, député du parti de Poutine, a décrit les premières manifestations sur Newshour (BBC, 26 février) comme l’œuvre de « plusieurs milliers de gays, de lesbiennes, de trotskistes et de racailles de gauche ». Oui, nous plaidons coupables : nous sommes nous aussi des opposants véhéments au régime du Tsar Poutine.

    Rien qu’à Saint-Pétersbourg, 1.000 personnes ont été immédiatement arrêtées. En une vingtaine de jours, il y a eu au moins 14.000 arrestations dans 53 villes. La pression s’est faite de plus en plus forte pour ne plus s’opposer à la guerre. Une mère russe a témoigné dans De Standaard (12 mars) : « Mon fils de huit ans a reçu la visite du service fédéral de sécurité FSB à l’école. Les agents lui ont expliqué que « les vilains papas et mamans vont en prison et les enfants finissent à l’orphelinat ». L’école a également distribué des prospectus en langage enfantin expliquant pourquoi il est dangereux de manifester. Et ça marche, bon sang : mon fils me supplie maintenant avec des yeux de chien battu de rester à la maison. Ça me met tellement en colère. »

    Le régime menace de punir sévèrement quiconque s’exprime contre la guerre, en particulier de manière organisée. Des peines de prison allant jusqu’à 15 ans sont prévues pour ceux qui diffusent de « fausses informations » sur la guerre et l’armée russe. Qu’est-ce qu’une fausse information ? Parler du nombre de victimes, prendre position contre la guerre ou simplement dire que Poutine ne fait pas du bon travail. Étant donné que du contenu antiguerre continue de circuler sur les médias sociaux ou via des connexions Internet sécurisées, on rapporte que des agents arrêtent des passants au hasard dans la rue pour fouiller leurs téléphones portables. Quiconque refuse de le faire est un suspect et peut être poursuivi en justice.

    Il y a même des rumeurs selon lesquelles le régime envisage d’instaurer la loi martiale, ce qui équivaut en quelque sorte à une déclaration de guerre à sa propre population. Il reste cependant à voir si, et pour combien de temps, cette répression sera en mesure d’arrêter les énormes contradictions à l’œuvre dans les tréfonds de la société russe.

  • Des millions de personnes fuient l’Ukraine. Face à la solidarité populaire, un monde politique à la traîne

    Les images ont choqué: des enfants et leur mère dormant à proximité de l’Institut Jules Bordet à Bruxelles, transformé en centre d’accueil et d’enregistrement des exilés ukrainiens. Si la solidarité manifestée par la population belge est impressionnante, l’inorganisation officielle de l’accueil est abominable.

    Par Nicolas Croes

    Plusieurs observateurs se sont interrogés : la récente campagne de vaccination n’avait-elle pas fait sortir de terre des infrastructures capables d’accueillir des centaines de personnes dans des conditions correctes ? Dans le cas présent, toutes les structures étaient débordées plus de dix jours avant le début du conflit. Enfin, il a été annoncé que le Palais 8 du Heysel allait prendre le relais. Cette absence de prévoyance malgré l’urgence traduit un problème plus profond : les conditions d’accueil sont depuis longtemps déplorables en Belgique. D’ailleurs, en octobre dernier, le personnel du centre du Petit Château (Centre d’accueil pour demandeurs d’asile à Bruxelles) était entré en grève pour dénoncer les conditions de travail difficiles et leurs répercussions humaines.

    Les moyens des structures étaient déjà faméliques avant que n’arrive cette nouvelle crise des réfugiés. Près de 200.000 personnes provenant d’Ukraine devraient arriver en Belgique, selon les estimations du secrétaire d’État à l’Asile et la Migration Sammy Mahdi (CD&V). Plus de 4 millions d’Ukrainiens devraient fuir leur pays. Pour la Belgique, cela représente dix fois plus que la vague de demandeurs d’asile de 2015 qui fuyaient l’Afghanistan, l’Irak et la Syrie. Pour l’instant, il est difficile pour l’extrême droite ou la droite populiste de simplement ressortir leurs vieilles rengaines anti-migrants. Le Ministre-Président flamand Jan Jambon (N-VA) a annoncé un subside spécial par place d’accueil que les villes et communes flamandes libéreraient pour des réfugiés ukrainiens. Théo Francken (N-VA) a précisé quant à lui « il faut penser à l’accompagnement psychologique des personnes traumatisées par la guerre ».

    Mais une fois l’émotion passée, la vague de réfugiés ukrainiens servira de prétexte pour toutes les carences budgétaires des CPAS, de l’enseignement, etc. Mais ces budgets vont réellement avoir besoin d’aide. Comme l’explique Sotieta Ngo, directrice de Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers (CIRE) : « En principe, c’est le Fédéral qui compensera les dépenses induites par l’accueil auprès des communes. Le logement social dont la temporalité se décline en années ne bénéficiera pas, dans un premier temps, aux Ukrainiens. Quelle proportion va rester sur le carreau et émarger au Revenu d’Insertion Social (RIS) ? Il n’y a pas de monitoring du profil socio-professionnel des arrivants. Combien de personnes âgées, combien en état de travailler, combien sont des femmes avec des jeunes enfants qui ne seront pas tout de suite disponibles pour le marché du travail ? On en sait rien. Mais il y aura du RIS: 10 ou 15% de cette population ? Cela va, en tous les cas, coûter au Fédéral, aux Régions, aux communes… ».

    La solidarité contre la division et l’exploitation

    En un temps record, 24.000 familles se sont déclarées auprès de leur commune comme disposées à vouloir accueillir des réfugiés ukrainiens. Cela fait écho au développement de la Plateforme citoyenne de Soutien aux Réfugiés, une coordination de bénévoles qui, depuis 2015, a géré la rencontre de dizaines de milliers d’hébergés avec plus de 7.000 familles hébergeuses. Cet élan de solidarité ne peut qu’être renforcé par une lutte en commun visant à arracher les moyens nécessaires pour que toute personne présente sur le sol du pays puisse mener une vie digne.

    Les bâtiments inoccupés pour raisons spéculatives doivent être saisis pour être aménagés de manière à accueillir toute personne en difficulté de logement. Parallèlement à cela, un plan massif de construction de logements sociaux doit être mis en œuvre de toute urgence pour que plus personne ne se retrouve sur liste d’attente pendant des années. Cela ferait d’ailleurs pression à la baisse sur les loyers de chacun tout en offrant des perspectives d’emploi à des milliers de personnes.

    Si ce type d’approche n’est pas adoptée (pour l’enseignement, les soins de santé,…) en allant chercher l’argent là où il est – sur les comptes en banques des grandes entreprises et de leurs actionnaires – les réfugiés ukrainiens, essentiellement des femmes avec enfants, seront les proies de toutes sortes de réseaux d’exploitation d’êtres humains. Les conséquences en seraient terribles.

    Le mouvement ouvrier a son rôle à jouer à cet égard. Les organisations syndicales devraient de toute urgence lancer une vaste campagne de syndicalisation des réfugiés et demandeurs d’asile, d’où qu’ils viennent, notamment en envoyant des militants à tous les centres d’accueil avec tracts et brochures. De cette manière, les demandeurs et demandeuses d’asile pourraient directement savoir vers qui se tourner en cas d’abus de la part de leur patron ou du propriétaire de leur logement.

  • Pour un mouvement de masse contre la guerre et l’impérialisme


    Le 24 février, l’Europe s’est réveillée avec une guerre au cœur de l’Europe de l’Est qui risque de plonger toute la région et le monde dans une déflagration militaire ouverte. L’invasion criminelle de l’Ukraine par le régime russe est un choc dont l’onde se répercute à travers le globe tandis que d’énormes souffrances sont infligées aux travailleurs d’Ukraine et de Russie.

    Par Eugenio (Bruxelles)

    Poutine espérait que l’affaire soit rapide, mais l’armée d’invasion s’est heurtée à une résistance farouche de la part des militaires ukrainiens et des populations civiles. Des comités de défense locaux ont été créés et les gens se sont équipés d’armes de fortune pour saper l’avancée russe. Les vidéos et les photos de civils non armés affrontant des véhicules blindés russes et demandant aux soldats russes de battre en retraite, parfois avec succès, sont peut-être les plus frappantes.

    De nombreux jeunes soldats russes ont été confrontés à la réalité de cette guerre, qui se présente de manière très différente de ce que leur gouvernement leur avait fait croire. La situation est exacerbée par les difficultés logistiques auxquelles l’armée russe est confrontée, les pénuries de gaz et de nourriture signalées ayant un impact profond sur sa capacité à mener efficacement des opérations militaires.

    La guerre de Poutine sous pression

    Le mécontentement couve à tous les niveaux de la société russe, y compris parmi des membres de l’élite proches de Poutine qui exigent une escalade du conflit, comme le brutal dictateur tchétchène Kadyrov. Parallèlement, l’opposition à la guerre se fait de plus en plus entendre. Des manifestations ont eu lieu dans presque toutes les grandes villes du pays en dépit d’une féroce répression. La riposte occidentale a également eu un impact significatif sur l’économie russe, bien qu’elle ait touché de manière disproportionnée la population ordinaire plutôt que l’élite.

    Face à toutes ces pressions, Poutine a dû régulièrement intensifier la brutalité de ses attaques. Le bombardement aveugle des grandes villes ukrainiennes, dont Kiyv, Odessa, Lviv, Mariupol et d’autres, a laissé des quartiers entiers en ruine. Plus de 1,5 million de réfugiés, presque exclusivement des femmes et des enfants, ont fui le pays et quelque 1,8 million d’autres ont été déplacés à l’intérieur du pays. Poutine s’est par ailleurs engagé dans une campagne de terrorisme psychologique pour briser le moral des masses en Ukraine. La menace d’une catastrophe nucléaire, utilisée à la fois en augmentant le niveau d’alerte des défenses nucléaires russes et en bombardant la plus grande centrale nucléaire d’Europe à Zaporizhzhya, en est un exemple.

    Répondre à la peur par la résistance

    Mais la résistance à l’invasion de la Russie n’a cessé de croître. Alors que les négociations et les contre-mesures occidentales continuent d’échouer, les jeunes et les travailleurs se sont organisés pour exprimer leur opposition à ce massacre insensé. En plus des grandes manifestations en Russie et au Belarus, nous avons vu se développer un mouvement antiguerre en Allemagne et des manifestations ont eu lieu dans la plupart des pays européens.

    Alors que les impérialismes occidental et russe ne parviennent pas à mettre fin à la guerre, c’est à nous, travailleurs et jeunes, de proposer une alternative. Seul un mouvement antiguerre international venant d’en bas peut imposer la fin des combats et défier les élites qui profitent de la guerre. Nous sommes les seuls à pouvoir proposer des solutions capables de protéger des vies et de jeter les bases d’un monde sans guerre, sans impérialisme et sans exploitation. Rejoignez-nous et luttons ensemble pour notre avenir !

    Nos revendications

    – Stop à la guerre en Ukraine ! Retrait immédiat des troupes russes !
    – Pour le droit des Ukrainiens à décider de leur propre avenir, y compris le droit à l’autodétermination des minorités !
    – Aucune confiance dans l’impérialisme et la course aux armements des États-Unis et de l’OTAN.
    – Non à la politique raciste de l’UE en matière de réfugiés ! Ouverture de voies sûres et légales pour tous les réfugiés. Accès à un logement décent, aux soins de santé et au travail ou aux allocations pour tous !
    – Aucune illusion envers la diplomatie des fauteurs de guerre ! Pour un mouvement de masse international contre la guerre et l’impérialisme !
    – Soutien aux mobilisations russes contre la guerre et le régime de Poutine !
    – Pour une alternative socialiste et internationaliste aux conflits capitalistes qui conduisent à la guerre et à la destruction !

    Journal antiguerre : L’édition d’avril de Lutte Socialiste sort plus tôt et est presque entièrement consacrée à l’opposition à la guerre en Ukraine. Nous y présentons des arguments et des propositions visant à construire un puissant mouvement antiguerre, car c’est la clé du changement. Vous trouvez ce que vous lisez ici digne d’intérêt ? Alors, abonnez-vous à ce journal et ne manquez pas nos prochaines éditions ! Les abonnés qui souhaitent recevoir ces suppléments par courrier peuvent nous envoyer leur adresse postale à redaction@socialisme.be.

  • Stoppons la guerre de Poutine !

    • Solidarité avec la population ukrainienne !

    • Pour le retrait des troupes russes !

    • Soutenons les mobilisations anti-guerres en Russie !

    • Construisons un mouvement de masse international contre la guerre et l’impérialisme !

    [button link=”https://fr.socialisme.be/wp-content/uploads/sites/3/2022/03/2022-Tract-Ukraine-FR-3-mars-2.pdf” type=”big” color=”red”] => Tract en version PDF[/button]

    « Non à la guerre en Ukraine ! Les troupes doivent rentrer chez elles. Construisons un mouvement anti-guerre sur les lieux de travail et dans les universités ! » C’est l’appel lancé par des activistes anti-guerre lors des protestations contre la guerre en Russie. Le syndicat libre des métallurgistes du Belarus a déclaré : « Nous nous opposons à cette confrontation entre régimes capitalistes, qui ne fait qu’entraîner la souffrance des travailleurs ordinaires. » L’Union indépendante des journalistes et des travailleurs des médias de Russie a déclaré : « Cette mesure incroyable ne peut que conduire à la mort de nombreuses personnes dans nos pays et à une destruction massive. Pour la majorité des gens, la guerre entraînera une hausse des prix, un effondrement économique et un appauvrissement dans l’isolement international. » Les autorités russes tentent de stopper les mobilisations anti-guerre par la répression. Nos actions et notre solidarité doivent les renforcer.

    L’invasion de l’Ukraine est une catastrophe pour la population, qui souffre depuis des années d’une politique de précarisation des conditions de vie et de corruption. À présent s’y ajoutent la mort, la destruction et la nécessité de quitter son foyer et son pays. Les jeunes russes sont envoyés à la mort dans une guerre qu’ils n’ont pas demandé. Ni à l’Est ni à l’Ouest, on ne soutient l’escalade de la guerre et la menace de destruction. Alors pourquoi ce conflit ? Parce que l’élite dirigeante autour de Poutine a fait un calcul stratégique selon lequel il lui serait désormais possible de gagner du terrain par la guerre. Tout cela dans le contexte d’une nouvelle guerre froide entre la Chine et les Etats-Unis et d’un désordre international croissant. Les calculs géopolitiques des forces impérialistes signifient la mort et la misère pour nous, la classe travailleuse.

    Le gouvernement belge s’est empressé de promettre des armes. Pour l’accueil des réfugiés, en revanche, il compte sur la solidarité de la population ordinaire. Cette solidarité ne fait jamais défaut ; il suffit de voir comment des travailleurs en Pologne se mobilisent clairement pour assister les réfugiés. Alors que la politique d’asile répressive aime à présenter les réfugiés comme des « profiteurs », la guerre en Ukraine démontre de toute évidence que personne ne fuit par plaisir. Le gouvernement belge doit immédiatement organiser l’accueil et l’assistance collective de tous les réfugiés.

    Que pouvons-nous faire ? Espérer une solution diplomatique ? De la part des fauteurs de guerre qui dirigent le monde ? La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. C’est le fruit de la lutte pour l’influence et la suprématie politique et économique inhérente au capitalisme. La guerre ne sera pas non plus stoppée par une nouvelle escalade et la confrontation entre machines de guerre avec armes nucléaires. N’accordons aucune confiance dans l’impérialisme américain, l’UE ou l’OTAN, dont le rôle est ailleurs aussi dévastateur que celui de l’impérialisme russe aujourd’hui en Ukraine.

    Non, nous ne pouvons pas compter sur les pyromanes qui allument des incendies partout à travers le monde. Nous devons construire nos propres mouvements de masse contre la guerre et contre le système qui la produit. Le maillon faible des calculs de Poutine, c’est la résistance des masses ukrainiennes et celle des masses en Russie. Les mobilisations en Russie peuvent faire tomber Poutine et son régime. Le peuple ukrainien doit pouvoir décider de son propre avenir, y compris le droit à l’autodétermination des minorités.

    Est-il impossible de mettre fin à la guerre ? C’est la révolution russe de 1917 qui a rendu la Première Guerre mondiale intenable et la révolution allemande de 1918 qui lui a porté le coup de grâce. L’impérialisme américain a dû se retirer du Vietnam après des pertes militaires, mais surtout après le développement d’un mouvement anti-guerre de masse dans le pays. La mobilisation de masse est nécessaire, mais elle reste insuffisante. C’est ce que nous avons vu en 2003 lorsque des millions de manifestants ne sont pas parvenus à stopper la guerre en Irak. Mais l’entrée en action des masses combinée à l’arme de la grève et du blocage de l’économie, peut remettre en question non seulement la guerre, mais aussi l’ensemble du système capitaliste.

    Vous souhaitez entrer en lutte contre la guerre ? Rejoignez-nous dans la construction des mobilisations anti-guerre ici et à l’échelle internationale. Le PSL/LSP est la section belge d’Alternative Socialiste Internationale (ASI) qui – dans plus de 30 pays et sur tous les continents – lutte pour une société socialiste sans guerre ni exploitation ni oppression.

    • Stoppons la guerre en Ukraine ! Pour le retour immédiat de toutes les troupes russes dans leurs casernes en Russie ;
    • Pour le droit des Ukrainiens à décider de leur propre avenir, y compris le droit à l’autodétermination des minorités ;
    • Pour que les pays de l’UE prennent des mesures d’urgence afin de fournir des ressources, des logements et un soutien financier à la vague de réfugiés ;
    • Aucune confiance envers « l’humanisme » des puissances impérialistes ni envers la diplomatie des fauteurs de guerre ;
    • Construisons un mouvement de masse anti-guerre et anti-impérialiste unissant les travailleurs et les jeunes de tous les pays concernés ;
    • Pour une alternative internationaliste des travailleurs aux conflits capitalistes conduisent à la guerre et à la destruction.

  • La guerre en Ukraine en 6 questions et réponses anticapitalistes et socialistes

    La guerre à un tournant crucial. Qu’en disent les marxistes ?

    Editorial du journal Offensiv, de Rattvisepartiet Socialisterna (section suédoise d’ASI)

    L’invasion de l’Ukraine par l’armée russe a déjà fait des centaines de morts et contraint des centaines de milliers de personnes à fuir. Le gouvernement suédois, avec le soutien de la droite, réagit en envoyant des armes et en s’enfonçant encore plus dans l’étreinte de l’OTAN.

    Le week-end du 26-27 février a vu plusieurs tournants importants dans la guerre. De violents combats ont eu lieu et le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, a averti que 5 à 7 millions de personnes pourraient être contraintes de fuir. Poutine a menacé que la Russie dispose d’armes nucléaires. Les puissances occidentales ont en principe expulsé la Russie du monde financier. Le chancelier social-démocrate allemand, Olaf Scholz, a déclaré que les dépenses militaires du pays devaient être portées à deux pour cent du PIB, soit plus de 80 milliards d’euros.

    L’UE donne au gouvernement ukrainien 450 millions d’euros pour acheter des armes. Un certain nombre d’autres gouvernements, dont la Suède, promettent des armes et des équipements militaires. Cela signifie que, pour la première fois depuis 1939, la Suède envoie des armes dans une guerre.

    Des débatteurs sociaux-démocrates de gauche, comme Daniel Suhonen, évoquent l’idée que la Suède, comme la Finlande, pourrait rejoindre l’OTAN. Les changements se produisent en un clin d’œil, comme une gigantesque “doctrine de choc” – c’est-à-dire un événement majeur qui est utilisé pour faire passer un changement de politique drastique dans l’intérêt du capital. La gauche, le mouvement ouvrier et tous ceux qui sont contre la guerre ont besoin d’une discussion démocratique sur ces questions.

    Qu’est-ce qui peut stopper les guerres ?

    L’invasion russe n’a pas été aussi facile que Poutine l’avait espéré. L’opposition en Ukraine est massive, y compris les groupes de défense locaux. En Russie, les manifestations contre la guerre se sont multipliées, surtout parmi les jeunes. À Berlin, jusqu’à un demi-million de personnes se sont rassemblées contre la guerre.

    La priorité pour le mouvement syndical et le mouvement anti-guerre au niveau international, ainsi que pour la gauche partout dans le monde, est d’apporter un soutien humanitaire au peuple ukrainien et un soutien maximal à la résistance en Russie. Le mécontentement à l’égard du régime de Poutine était largement répandu avant même la guerre. Historiquement, la guerre a été stoppée par des mouvements de masse, des révoltes et des révolutions, de la lutte syndicale de 1905 qui a stoppé la guerre avec la Norvège à la révolution russe de 1917 qui a conduit à la fin de la Première Guerre mondiale, en passant par la retraite des États-Unis du Vietnam où la résistance à la guerre aux États-Unis est devenue décisive.

    Qu’est-ce qui a conduit à la guerre ?

    Vladimir Poutine est un despote impitoyable, prêt à écraser toute opposition et à étendre sa sphère de pouvoir à l’Ukraine, au Belarus, à d’autres pays voisins et à des zones de guerre, comme en Syrie. Le régime de Poutine est le résultat de décennies pendant lesquelles le capital mondial s’est déchaîné librement. Le système stalinien s’est effondré et a été remplacé par des oligarques capitalistes. Pendant un temps, Poutine et l’Occident ont semblé coopérer. Pour les peuples de l’ancienne Union soviétique, cela s’est traduit par une réduction drastique du niveau de vie, notamment par une diminution de l’espérance de vie.

    Dans le même temps, de nouvelles contradictions impérialistes se sont construites. Il s’agit d’une lutte mondiale pour le pouvoir – des batailles pour les zones stratégiques, les ressources et l’économie, ce que l’on appelle aujourd’hui la géopolitique. Le monde actuel est de plus en plus dominé, politiquement et militairement, par la nouvelle guerre froide entre l’impérialisme américain et l’impérialisme chinois. Poutine pensait que l’affaiblissement relatif de l’impérialisme américain après l’Irak, l’Afghanistan, la crise financière et la nouvelle guerre froide lui donnerait de l’espace, comme ce fut le cas en Syrie. Mais la guerre n’a pas évolué comme il le pensait et l’Occident a réagi plus durement. Sa campagne va donc s’intensifier.

    La principale victime de la guerre est le peuple ukrainien, tandis que la responsabilité incombe au système capitaliste mondial qui a créé Poutine et le durcissement des contradictions impérialistes.

    L’OTAN a-t-elle changé de nature ?

    L’OTAN est l’alliance de guerre qui a bombardé la population de la capitale serbe Belgrade pendant plus de 70 jours en 1999, qui a également bombardé la Libye en 2011 et qui a mené la guerre en Afghanistan à partir de 2015. Ces efforts de guerre ont été cachés derrière des phrases sur la démocratie et la construction de la nation (même si le bombardement de Belgrade n’avait pas le soutien de l’ONU). Mais, tout comme en Irak, les bombardements n’ont pas réussi à ouvrir la voie aux droits démocratiques. Le résultat est le plus clair en Afghanistan, avec les talibans de retour au pouvoir et une population affamée. En Libye, les bombardements de l’OTAN, avec la participation de la Suède, ont abouti à l’écrasement de la révolte populaire.

    L’OTAN est à l’origine de la course mondiale aux armements militaires, avec une augmentation drastique des dépenses militaires partout dans le monde. L’OTAN est dirigée par l’impérialisme américain et agit dans son intérêt. L’opposition à l’OTAN a été formulée au cours d’un long débat factuel au sein du mouvement syndical et de la société suédoise. Les socialistes combattent la guerre de Poutine et continuent en même temps à s’opposer à l’OTAN.

    Les livraisons d’armes – suédoises ou d’autres États – garantiront-elles la paix et la liberté ?

    Au cours des 12 derniers mois, les États-Unis ont envoyé des armes d’une valeur d’un milliard de dollars à l’Ukraine. Il y a maintenant des drones de la Turquie d’Erdoğan, des missiles d’Allemagne et des gilets pare-balles de l’armée suédoise. L’armée suédoise a déjà formé des soldats ukrainiens. Le Parlement finlandais et le Parlement danois ont décidé à l’unanimité d’envoyer des armes.

    Le fait que les gouvernements envoient maintenant des armes à l’Ukraine ne se fait pas pour des raisons humanitaires. Nous en avons eu une démonstration éclatante en Afghanistan. Les opérations militaires ont été privilégiées pendant plus de 20 ans, avec des résultats dévastateurs.

    Les armes envoyées aujourd’hui peuvent éventuellement ralentir l’attaque russe, mais rares sont ceux qui croient que cela peut décider de la guerre ; c’est plutôt une révolte contre la guerre chez soi en Russie, des protestations de masse au niveau international et un blocus mondial des travailleurs contre la machine de guerre de Poutine qui peuvent avoir le plus grand effet.

    Il est peu probable que les puissances occidentales déploient des forces aériennes et des soldats, ce qui créerait une guerre majeure. Mais la pression s’accentuera pour une intensification des efforts.

    Le fait que l’opinion publique soit massivement favorable à la fin des horreurs de la guerre signifie que les gouvernements peuvent, dans un premier temps, obtenir un soutien pour les livraisons d’armes à l’Ukraine. Ce soutien sera également utilisé pour investir encore davantage dans la Défense dans tous les pays et pour que la Finlande et la Suède rejoignent l’OTAN.

    Les travailleurs et les pauvres ont-ils des intérêts communs avec les gouvernements, le capital et l’armée ?

    L’État n’est pas neutre, il est en fin de compte un outil au service des intérêts de la classe dirigeante (les capitalistes). Les socialistes préviennent que des militaires et des policiers armés seront utilisés contre les luttes des travailleurs et les manifestations de masse dans leur propre pays.

    La politique étrangère est la continuation de la politique intérieure. Malheureusement, plusieurs partis de gauche et de travailleurs au cours de l’histoire ont apporté leur soutien à la guerre et à l’intervention militaire, avec pour résultat qu’ils ont ainsi également légitimé la politique de droite et la dégradation sociale dans leur propre pays.

    Le mouvement ouvrier a émergé dans la lutte contre le militarisme et la guerre. Le mouvement ouvrier suédois a réussi à stopper les plans de guerre contre la Norvège en 1905, en utilisant le slogan “A bas les armes”. Lorsque les dirigeants sociaux-démocrates ont promis la paix sociale (le soutien au gouvernement) pendant la Première Guerre mondiale, la gauche et le syndicat des jeunes ont répondu par une campagne contre la guerre.

    Comment le peuple ukrainien doit-il se défendre ?

    Le président Zelensky est un politicien populiste de droite qui ne représente pas les intérêts du peuple ukrainien. Son gouvernement a réduit les impôts pour les grandes entreprises alors que le niveau de vie de la plupart des travailleurs a continué à baisser. De nombreux Ukrainiens souhaitent une défense populaire, et des milliers de personnes se sont mobilisées, même avec des armes artisanales. Plusieurs vidéos montrent comment les gens ont appelé les soldats russes à ne pas tirer et ont fait rebrousser chemin à certains chars.

    Dans la terrible épreuve à laquelle le peuple ukrainien est aujourd’hui confronté, malgré la nécessité, y a-t-il un moyen, par une lutte politique continue, de prendre les choses en main ? Les comités de défense qui sont maintenant nécessaires pour poursuivre la lutte afin de résister à ce qui apparaît comme une occupation russe exigent une organisation et une coordination démocratiques depuis la base. Une Ukraine dirigée par l’OTAN n’est pas une alternative démocratique ou équitable.

    Pour un mouvement anti-guerre et anti-impérialiste contre la guerre

    Pour les socialistes, même en temps de guerre, le point de départ est toujours ce qui profite aux travailleurs, aux pauvres et aux gens ordinaires. Les meilleures traditions du mouvement ouvrier sont de résister à la guerre et au militarisme, d’avoir une ligne indépendante – de ne pas s’allier avec la droite, le capital et l’État.

    Indépendamment de l’évolution de la guerre au cours de la semaine prochaine, tout et tout le monde sera affecté pour longtemps : la conscience, les relations de pouvoir et l’économie. Pour tous ceux qui sont contre la guerre, il est important d’analyser et de se mobiliser contre la guerre et le système capitaliste mondial.

  • Comment les bolcheviks ont traité la question nationale

    Dans son discours justifiant l’invasion de l’Ukraine, Poutine s’en est pris aux bolcheviks et à Lénine. Il leur a reproché de ne d’avoir reconnu le droit à l’autodétermination de l’Ukraine, entre autres pays. Poutine s’est en fait placé dans les traces de Staline, qui préconisait une fédération russe centralisée au lieu d’une coopération entre républiques socialistes. Cette attaque contre l’approche bolchevique de la question nationale est l’occasion de revenir dessus plus en détail grâce à ce dossier de Rob Jones, membre de la section russe d’ASI, qui avait été écrit en 2017 à l’occasion du centenaire de la révolution russe.

    Un siècle après la révolution d’Octobre, l’approche des bolcheviks pour résoudre la question nationale reste un exemple brillant de ce qui pourrait être réalisé dans la résolution des conflits nationaux si de véritables gouvernements socialistes arrivaient au pouvoir dans le monde entier.

    C’est particulièrement le cas lorsque, sous la domination capitaliste, le monde du XXIe siècle a été ravagé par des conflits meurtriers au Darfour, au Congo, au Moyen-Orient. La question nationale n’a toujours pas été résolue de manière satisfaisante en Catalogne, en Écosse, en Irlande, en Belgique, au Québec et ailleurs, et a alimenté des conflits brutaux dans les Balkans, le Caucase, l’Asie centrale et l’Ukraine.

    Deux guerres brutales en Tchétchénie et le traitement des minorités nationales démontrent que l’élite dirigeante de la Russie capitaliste moderne n’a rien en commun avec les Bolcheviks. La récente attaque à Sourgout, la ville pétrolière sibérienne, où un jeune musulman a couru avec un couteau dans un centre commercial, est clairement le résultat de politiques d’État racistes et des actions des extrémistes d’extrême droite. Ce n’est que récemment que la police anti-émeute a envahi un café de la ville et y a forcé les jeunes hommes à se raser la barbe, en prétendant qu’ils pouvaient être des wahhabites. Les bolcheviks, dirigés par Lénine, se sont cependant pliés en quatre pour soutenir les droits des minorités nationales et ethniques. Très en avance sur son temps, Lénine a même critiqué l’utilisation dans le langage courant de stéréotypes nationaux tels que l’utilisation du mot « Khokhol » pour décrire les Ukrainiens. Non seulement ce mot est toujours d’usage courant, mais il a récemment été ajouté par la propagande officielle russe qui présentait l’Ukraine comme un État fasciste.

    La question de la langue

    Les Bolcheviks étaient très sensibles à la question linguistique, prenant des mesures conscientes pour soutenir l’utilisation des langues minoritaires. Lénine s’est prononcé contre la reconnaissance de certaines langues comme « langues d’État », en particulier lorsque cela signifie que des minorités linguistiques importantes sont victimes de discrimination. Pourtant, à l’opposé de cette approche, les tentatives des nouveaux gouvernements capitalistes de restreindre l’utilisation de la langue russe ont conduit à un grave conflit ethnique en Moldavie dans les années 1990 et à de graves tensions dans les États baltes. Dans le Kazakhstan du président Nazarbaïev, chaque fois qu’un conflit social a éclaté, en particulier lors de la grève des travailleurs et travailleuses du pétrole de Zhenaozen, il s’est appuyé sur les soi-disant « nationaux-patriotes » et « nationaux-démocrates » (nationalistes de droite) pour demander des restrictions sur la langue russe. Même la menace de restreindre l’utilisation du russe en Ukraine a suffi à accroître les tensions qui ont conduit au conflit dans l’Est de l’Ukraine. Hypocritement, le gouvernement Poutine, qui a utilisé l’attaque contre les droits des russophones en Ukraine pour intervenir en Ukraine orientale, a maintenant annoncé que le financement de l’enseignement des nombreuses langues minoritaires de Russie allait cesser. Cela provoque déjà le mécontentement dans des républiques comme le Tatarstan.

    Déclaration sur les droits des peuples de Russie*

    Par-dessus tout, les Bolcheviks étaient des partisan·es de principe du droit des nations à l’autodétermination. Dans les jours qui ont suivi la révolution d’Octobre, la Déclaration des droits des peuples de Russie a été publiée. Contrairement à l’approche de la diplomatie moderne, dans laquelle les différentes parties manœuvrent et dissimulent leurs véritables intentions à la population, cette déclaration révolutionnaire déclarait de manière claire, transparente et concise que parce que les peuples de Russie ont subi une telle répression et une telle mauvaise gestion, les pogroms, l’esclavage et les attaques devaient être immédiatement cesser, de manière décisive et irréversible. Il devrait y avoir, a-t-il déclaré, l’égalité et la souveraineté des nationalités russes, le droit des peuples russes à l’autodétermination jusqu’à et y compris le droit de former leurs propres États, l’abolition de tous les privilèges et restrictions nationaux et religieux soutenus par le libre développement des minorités nationales et des groupes ethniques qui peuplent le territoire russe.

    *(Dans la langue russe, il y a deux mots pour désigner le russe : « Russkiy » désigne l’ethnie russe, tandis que « Rossiskiy » désigne toute personne vivant en Russie. Sous le tsar, le pays était l’« empire russe », sous les bolcheviks, c’était la « Fédération soviétique des républiques socialistes de Rossiskaïa ». Les « peuples de Russie » désignent toutes les nationalités vivant en Russie.)

    Le gouvernement provisoire

    En soi, cela contrastait vraiment avec la position adoptée par les différents gouvernements qui ont dirigé la Russie après la révolution de février 1917. Le soulèvement spontané et populaire qui a renversé l’autoritarisme tsariste en février a été mené par les masses ouvrières, militaires et paysannes qui croyaient qu’en conséquence, une société libre et démocratique serait établie en Russie – beaucoup croyaient qu’elle mènerait à une société socialiste. Mais la réalité était tout autre. Non seulement la nouvelle coalition bourgeoise refusait de mettre fin à la participation de la Russie à la Première Guerre mondiale ou d’accorder des terres à la paysannerie, mais elle refusait également d’accorder la liberté aux nombreux peuples et nations de l’ancien empire tsariste. Dès le mois de mars, par exemple, elle a envoyé à la Finlande un ordre confirmant son statut de membre de l’empire russe tel que défini par l’ancien tsar au XVIIIe siècle. Lorsqu’en juillet, le Sejm finlandais a adopté une résolution stipulant qu’il est le seul à « décider, affirmer et décréter l’application de toutes les lois finlandaises, notamment celles qui concernent les finances, la fiscalité et les douanes », le gouvernement provisoire russe a envoyé des troupes pour dissoudre le parlement finlandais. Les questions relatives aux droits des peuples russes, décrétées par le gouvernement provisoire, seraient décidées par l’assemblée constituante. Mais lorsqu’il a finalement publié la position sur les droits des nations à présenter à l’assemblée constituante, il a déclaré sans ambages qu’il considérait « l’État russe comme un et indivisible ».

    Les bolcheviks obtiennent le droit à l’autodétermination

    Alors que la « démocratie bourgeoise » qui a régné sur la Russie de février à octobre impliquait que la nouvelle « démocratie » inclurait la liberté pour les différentes nations et les différents peuples mais n’a pas tenu ses promesses, le nouveau gouvernement soviétique dirigé par les bolcheviks a non seulement déclaré mais a fait tout son possible pour mettre en œuvre le droit à l’autodétermination. Il a fallu moins d’une semaine au nouveau gouvernement soviétique pour reconnaître le droit de la Finlande à l’indépendance. Cette reconnaissance a été rapidement suivie par le soutien à l’indépendance de l’Ukraine, de la Moldavie, de la Lituanie, de l’Estonie, de la Transcaucasie, du Belarus, de la Pologne et de la Lettonie. Malgré toutes les complexités et les difficultés, et le fait qu’en général, ces nouveaux pays indépendants étaient nationalistes bourgeois plutôt que soviétiques, le gouvernement bolchevique a respecté ces droits.

    L’Asie centrale, foyer du « Grand jeu » impérialiste, avait, en 1917, à peine émergé d’une forme de féodalisme. Bien que faisant partie de l’empire tsariste, elle était gouvernée par une série de Khans féodaux sans nations consolidées. Une classe ouvrière existait à peine, au mieux elle était composée de travailleurs et travailleuses des chemins de fer et des infrastructures de soutien, dont la plupart étaient russes et russophones. Les élites locales avaient, pendant de nombreuses décennies, été forcées de se soumettre aux diktats tsaristes soutenus par la force armée, elles voyaient donc la révolution comme une opportunité d’échapper à la domination russe. Tout en faisant tout leur possible pour encourager le développement d’une conscience socialiste et d’une démocratie soviétique dans cette région, les bolcheviks ont reconnu la réalité telle qu’elle était alors, et se sont pliés en quatre pour faire preuve de bonne volonté envers les différentes nationalités.

    Le Khan de Khorezm (dans une région aujourd’hui couverte par le Turkménistan) est resté au pouvoir jusqu’en 1920, date à laquelle il a été renversé par un soulèvement populaire soutenu par les troupes de l’Armée rouge. La nouvelle Fédération socialiste russe a reconnu la République soviétique populaire de Khorezm comme un État indépendant – renonçant publiquement à toute revendication territoriale et offrant une union économique et militaire volontaire avec le nouvel État. Tous les biens et terres qui appartenaient autrefois à l’État russe, ainsi que les structures administratives, ont été remis au nouveau gouvernement sans aucune demande de compensation. Une aide financière a été fournie pour la construction d’écoles, pour une campagne visant à mettre fin à l’analphabétisme et pour la construction de canaux, de routes et d’un système télégraphique.

    La Pologne

    À l’autre bout de l’immense empire tsariste, il y avait la Pologne. Pendant plus de cent ans avant 1917, elle avait été divisée sous le contrôle des empires autrichien, prussien et russe. Lorsque ces empires se sont effondrés à la fin de la guerre et que la révolution russe s’est étendue à tous les territoires de l’ancien empire tsariste, la Pologne s’est retrouvée dans une situation nouvelle – capable de s’unifier et de revendiquer son indépendance. Le gouvernement bolchevique a reconnu le Comité national polonais comme représentant de la Pologne.

    Le nouveau gouvernement provisoire polonais dirigé par Pilsudski – alors leader du parti socialiste polonais – sous la pression des masses, a introduit la journée de 8 heures, le vote des femmes et la gratuité de l’enseignement scolaire. Pilsudski a cependant annoncé qu’il « est descendu du tramway socialiste à l’arrêt appelé Indépendance ». Le nouveau gouvernement s’est opposé aux soviets et aux conseils ouvriers qui avaient vu le jour, arrêtant les communistes et profitant de la guerre civile qui faisait rage en Russie pour étendre le territoire polonais. Les troupes polonaises ont envahi la Lituanie et, soutenues par les puissances occidentales, ont formé une alliance avec le nationaliste ukrainien Petlura et se sont installées en Ukraine, pour finalement s’emparer de Kiev. Il a fallu une contre-attaque décisive de l’Armée rouge pour les forcer à retourner à Varsovie. Malgré cela, Lénine a insisté, lors des négociations de paix avec la Pologne, sur le fait que « la politique de la Fédération socialiste russe à l’égard de la Pologne est fondée, non pas sur des avantages militaires ou diplomatiques temporaires, mais sur le droit absolu et inviolable à l’autodétermination. La RSFSR reconnaît et admet sans condition l’indépendance et la souveraineté de la République de Pologne, et ce, depuis le moment où l’État polonais a été formé ».

    La lutte de Lénine

    Lénine s’est battu avec acharnement pour que le « droit des nations à l’autodétermination » soit inclus dans le programme du parti bolchevique. Ses désaccords avec Rosa Luxembourg, qui estimait qu’une telle revendication était une diversion de la lutte des classes, sont bien connus. Ses arguments ont été repris par des bolcheviks de premier plan tels que Karl Radek, Youri Pyatokov et Nikolaï Boukharine.

    Dans le cadre de la polémique sur cette question, Lénine a encouragé Staline à écrire son pamphlet sur la question nationale, bien qu’il ait jugé nécessaire de s’opposer à certains éléments de l’approche de Staline, même à ce stade précoce. Il n’était pas d’accord avec la définition rigide que Staline donnait d’une nation comme « une communauté stable de personnes historiquement constituée, formée sur la base d’une langue, d’un territoire, d’une vie économique et d’une composition psychologique communs se manifestant dans une culture commune », ce qui aurait exclu les droits de nombreux peuples, notamment les Juifs. Lénine n’était pas non plus d’accord avec la position proposée par Staline et Boukharine en 1919 qui réclamait le droit à l’autodétermination de la classe ouvrière de chaque nation. Il soutenait qu’étant donné que de nombreux peuples de l’empire russe – y compris les peuples kouvach, bachkir, turkmène, kirghize et ouzbek – vivaient dans des régions encore sous-développées sur le plan social et économique, ils n’avaient pas encore la possibilité de développer même les classes et encore moins la conscience de classe. Pourtant, dès 1918, Staline affirmait que « le slogan de l’autodétermination est dépassé et devrait être subordonné aux principes du socialisme ». En octobre 1920, il déclarait que les appels à la sécession des régions frontalières de la Russie « doivent être rejetés non seulement parce qu’ils vont à l’encontre de la formulation même de la question de l’établissement d’une union entre les régions du centre et les régions frontalières, mais surtout parce qu’ils vont fondamentalement à l’encontre des intérêts de la masse de la population tant dans les régions du centre que dans les régions frontalières ».

    L’Ukraine

    Malheureusement, Staline n’était pas le seul à occuper cette position. Lorsque la révolution de février a éclaté, le nombre de bolcheviks à Kiev, la capitale et le centre industriel de l’Ukraine, n’était que de 200, et ils étaient à peine organisés. En octobre, leur nombre a atteint 800. En réponse à la révolution de février, les dirigeants de la bourgeoisie ukrainienne ont établi la Tsentralnaya rada (Union soviétique centrale) comme « un gouvernement de tous les Ukrainiens et Ukrainiennes » et ont revendiqué son droit à l’autodétermination. Les dirigeant·es des bolcheviks de Kiev, cependant, n’ont pas reconnu l’importance de la question nationale, disant qu’elle était secondaire par rapport à celle de la lutte des classes. Tout en participant aux luttes générales de toute la Russie contre le gouvernement provisoire de Petrograd, ils ont quitté la rada Tsentralnaya pour poursuivre la construction de la nation – y compris la mise en place de structures gouvernementales et de forces armées. Après octobre, ils ont participé à un bloc avec les mencheviks et les bundistes, qui a reconnu le « Tsentralnaya rada » comme le gouvernement légitime et a déclaré que toute opposition à celui-ci devait être « exclusivement de forme pacifique ». Ils ont refusé d’accepter la position d’autres bolcheviks ukrainiens selon laquelle il était « nécessaire de mener une lutte sans compromis contre le rada et, en aucun cas, de conclure des accords avec lui ». En conséquence, le rada de Tsentralnaya a maintenu une position forte en tant que gouvernement en Ukraine et la prise de pouvoir par les Soviétiques a été retardée et considérablement affaiblie – rendant ainsi la guerre civile en Ukraine beaucoup plus complexe et prolongée que ce n’aurait été le cas si les Bolcheviks de Kiev avaient agi de manière décisive.

    La question nationale et l’armée rouge

    Malgré les difficultés en Ukraine, l’approche de Lénine a joué un rôle essentiel pour assurer la victoire des Soviétiques dans la guerre civile, notamment parce que la plupart des armées de Whiteguard s’opposaient à l’autodétermination sous quelque forme que ce soit.

    Dans le Caucase, le général blanc Deniken a clairement indiqué qu’il s’opposait aux droits nationaux parce que « la Russie devrait être une et indivisible ». Même les groupes nationalistes qui s’opposaient aux bolcheviks en général considéraient la promesse de l’autodétermination comme une raison suffisante pour au moins maintenir la neutralité. Dans de nombreux cas, la promesse était suffisante pour gagner des nationalités entières.

    Une décision critique concernait la décision de baser l’Armée rouge sur des unités territoriales sur la base « vous servez là où vous vivez ». L’ancienne armée tsariste a été russifiée – dans les cas où des membres de minorités nationales servaient, ils étaient, à l’exception des Cosaques, envoyés dans des unités régulières loin de leur propre maison, et devaient parler russe. Mais l’armée rouge sous Trotsky avait une approche différente. Des unités entières de l’Armée Rouge étaient basées sur les différentes nationalités, utilisant leur propre langue et avec de nombreuses publications militaires dans les langues non russes. Cela a aidé l’Armée rouge à gagner les populations des régions où d’autres nationalités dominaient. De nombreux groupes juifs créent leurs propres unités pour s’opposer aux pogroms initiés par le général Kolchak et d’autres. Une école d’officiers musulmans de l’Armée rouge a même été créée à Kazan, la capitale du Tatarstan. En 1919, toute l’armée nationale de Bachkirie, une région musulmane s’étendant de la Volga à l’Oural, s’est jointe à l’Armée rouge et a établi la République socialiste soviétique de Bachkirie.

    Partout où elles ont été établies, ces formations nationales ont reçu une aide matérielle considérable dans le domaine de l’éducation et de la santé, en particulier dans la campagne visant à mettre fin à l’analphabétisme. Malgré la guerre civile, le nombre d’universités dans le nouveau pays socialiste est passé de 63 en 1917 à 248 en 1923. Tout en évitant une confrontation frontale avec les partisans de la religion musulmane, une agitation active est menée contre la polygamie, la vente des épouses et la pratique consistant à n’autoriser les divorces que si le mari est d’accord. Malheureusement, cette approche a été l’une des victimes de la montée du stalinisme qui, dans les années 1930, a réintroduit la langue russe comme langue de commandement et a mis fin aux publications militaires dans d’autres langues.

    Des erreurs ont été commises

    Le maintien d’une approche sensible et flexible des différentes nationalités a nécessité de nombreuses discussions et souvent des interventions directes de Lénine ou de ses partisans pour corriger les erreurs. Alors que les bolcheviks étaient favorables à la collectivisation volontaire des terres, Lénine a averti que dans des régions comme l’Asie centrale et le Caucase, il serait prématuré de pousser la question. Il s’est même prononcé contre la nationalisation de l’industrie pétrolière en Azerbaïdjan, craignant que, la classe ouvrière n’étant pas encore suffisamment développée, cela n’entraîne une rupture des approvisionnements pendant la guerre civile.

    Dans certains domaines, malgré l’approche de Lénine, les nationalités ont été traitées avec maladresse. La révolution bolchevique avait à peine atteint l’Asie centrale que les intellectuels locaux et les élites nationales voyaient l’opportunité de développer l’autonomie ou même de nouvelles républiques nationales. Mais la révolution est arrivée par le biais des cheminots et des troupes dissoutes, presque toutes russophones. Ils ont créé le Soviet des travailleurs et travailleuses et des soldats de Tachkent et ont déclaré le « pouvoir soviétique ». Ils ont fait valoir que les musulman·es ne devaient pas maintenir de positions dans les nouveaux États et qu’il n’était pas nécessaire d’inclure les paysan·nes dans le Soviet en raison de leur « retard ». En conséquence, le Soviet s’est retrouvé isolé de 95 % de la population locale. Sa tentative de recourir à la force militaire pour renverser le nouveau gouvernement Kokland, qui plaidait pour la création d’une « république fédérale démocratique du Turkestan faisant partie de la Fédération de Russie », a eu des conséquences négatives, car beaucoup y voyaient une simple occupation militaire.

    L’approche flexible de Lénine

    Au départ, l’attitude du ministère des nationalités de Staline était que c’était une affaire locale, mais à mesure que les armées blanches étaient défaites dans la région, la question de savoir comment le pouvoir soviétique allait s’établir devint plus urgente. Frunze, qui dirigeait l’avance de l’armée rouge, proposa à l’origine de diviser la région pour la rendre plus facile à gouverner. Cette proposition s’est heurtée à la résistance des communistes locaux, dont beaucoup saisissaient à peine les principes de base de la politique bolchevique. Mais ils ont été encore plus contrariés lorsque Staline a dirigé une commission chargée de proposer la création d’une région autonome unifiée du Turkestan au sein de la Fédération de Russie. Finalement, Lénine dut intervenir et redéfinir la position à adopter : il fallait veiller à égaliser le régime foncier des Russes avec celui des habitantes et habitants locaux tout en réduisant énergiquement l’influence des koulaks russes ; veiller à ce que toute décision prise au niveau central concernant le Turkestan ne soit prise qu’avec le consentement des dirigeants locaux ; préparer systématiquement, « progressivement mais sûrement », le transfert du pouvoir aux Soviets locaux des travailleurs et travailleuses avec la tâche générale définie comme « non pas le communisme, mais le renversement du féodalisme ». Toute décision, a-t-il dit, sur « la question de la division de la République en trois parties ne doit pas être décidée prématurément ».

    La korénisation

    D’autres questions qui ont pris beaucoup de temps et d’énergie à résoudre concernaient la « korénisation » (« koren » signifie racine), principe selon lequel les Bolcheviks s’enracinent dans les nouvelles républiques et zones ethniques en développant des leaderships locaux plutôt qu’en s’appuyant sur des émissaires du centre.

    Une attention particulière a été accordée au développement des cultures nationales, en particulier des langues. Lénine se fâchera lorsqu’il apprendra que les fonctionnaires soviétiques, y compris ceux du centre, continuent à utiliser le russe dans les régions où cette langue n’est pas la langue locale : « Le pouvoir soviétique se distingue de tout pouvoir bourgeois et monarchique en ce qu’il représente pleinement les intérêts quotidiens réels des masses laborieuses, mais cela n’est possible qu’à la condition que les institutions soviétiques travaillent dans les langues indigènes ». Malheureusement, l’un des pires obstacles au développement des langues nationales était le ministère des nationalités lui-même, dont les fonctionnaires soutenaient souvent qu’il suffisait de traduire du russe vers les langues locales. Lénine a répondu qu’au contraire, il s’agissait de veiller à ce que les autorités éducatives fournissent aux enseignantes et enseignants familiers avec les langues et cultures autochtones ainsi que des manuels en langue maternelle. Lors d’un congrès consacré à cette question, un orateur a affirmé que « l’esprit international ne s’obtient pas en regroupant des enfants qui ne se comprennent pas, mais plutôt en introduisant dans la langue maternelle l’esprit de la révolution mondiale ».

    Pour aider à renforcer le soutien dans les régions non russes, les bolcheviks ont adopté une politique consciente de collaboration avec les organisations révolutionnaires de gauche et de tentative de les convaincre. En Ukraine, beaucoup d’efforts ont été déployés et beaucoup de patience a été nécessaire pour travailler avec l’organisation « Borotba », essentiellement un groupement révolutionnaire social de gauche ayant ses racines dans les campagnes. Christian Rakovskii, ami de longue date et allié de Trotsky, a joué un rôle clé dans ce travail. Dans le même temps, dix nouvelles « universités communistes » ont été créées pour former les cadres nationaux bolcheviques. Tout aussi important, un énorme investissement a été réalisé pour ouvrir le système d’éducation publique à l’enseignement dans les langues nationales. En 1921, dix millions de roubles ont été alloués à l’enseignement des langues bélarussienne et ukrainienne. Ce processus a été rapidement mené à bien pour les principales nationalités comme l’arménien, le géorgien et l’azéri. Pour les petites nationalités, le processus a été plus long. Mais la tâche a été traitée avec sérieux. En 1923, 67 écoles enseignaient le mari, 57 le kabardi, 159 le komi, 51 le kalmouk, 100 le kirghiz, 303 le buriat et plus de 2500 la langue tatar. En Asie centrale, le nombre d’écoles nationales, qui était de 300 avant la révolution, a atteint 2100 à la fin de 1920. Ceci est d’autant plus important que de nombreuses langues/dialectes de la région étaient, jusqu’à la révolution, non écrites. L’introduction de nouveaux alphabets, souvent latinisés, ainsi que la modernisation de l’alphabet russe ont facilité cette tâche.

    Cette réalisation est d’autant plus impressionnante que la guerre civile a fait rage pendant la plus grande partie de cette période. Souvent, cela s’est traduit par un manque de ressources. Les écoles étaient souvent utilisées pour le cantonnement des troupes. Et comme de nombreux enseignants et enseignantes volontaires participaient à l’effort de guerre, il était souvent difficile de trouver suffisamment de ressources pour enseigner dans les écoles. En Ukraine, il y avait très peu de professeur·es de langue ukrainienne en 1917, et bien qu’en 1923 il y en avait déjà 45 000, il en fallait deux fois plus. La situation s’est améliorée de façon spectaculaire après la fin de la guerre civile.

    Le Caucase

    Sans l’approche sensible et flexible de Lénine sur la question nationale, il aurait été beaucoup plus difficile de gagner la guerre civile.

    Malheureusement, cette approche est devenue l’une des premières victimes de la dégénérescence bureaucratique de la révolution qui s’est renforcée au début des années 20, avec l’apparition de ce problème dans le Caucase.

    Les régions caucasiennes, principalement la Géorgie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie, ont attendu en vain que la révolution de février reconnaisse l’autodétermination et lorsque la révolution d’octobre a eu lieu, elles se sont retrouvées occupées par une combinaison des armées allemande et turque. Après la défaite allemande de 1918, leur place a été prise par les Britanniques et l’Armée blanche de Denikin. En effet, en signant la paix de Brest-Litovsk, non seulement les bolcheviks ont cédé le contrôle des pays baltes et de parties importantes de l’Ukraine et du Belarus, mais ils ont également accepté qu’une partie importante du Caucase soit concédée aux Turcs ottomans.

    Alors que la guerre civile progressait et que les forces de Dénikine étaient finalement repoussées en Crimée, la question de savoir qui devait gouverner le Caucase a été posée. Les Bolcheviks bénéficiaient d’un soutien important dans les grandes villes, telles que Bakou en Azerbaïdjan, Tbilissi en Géorgie, Groznii en Tchétchénie. La révolution a essentiellement atteint la région grâce à la victoire militaire de l’Armée rouge. Des républiques soviétiques ont été créées en Azerbaïdjan et en Arménie.

    La Géorgie, cependant, était le fief d’un gouvernement menchévique, une sorte de cause célebre pour la Seconde Internationale réformiste. Malgré de dures polémiques politiques avec les dirigeants géorgiens, dont plusieurs avaient participé au gouvernement provisoire de Saint-Pétersbourg en 1917, Lénine était favorable à une politique de conciliation. Trotsky s’est lui aussi prononcé contre une intervention militaire – la tâche de renverser le gouvernement géorgien devrait être accomplie par le peuple géorgien, a-t-il estimé. Il a donc préconisé « une certaine période de travail préparatoire à l’intérieur de la Géorgie, afin de développer le soulèvement et de lui venir ensuite en aide ». En mai 1920, le gouvernement soviétique russe a signé un traité reconnaissant l’indépendance et concluant un pacte de non-agression.

    L’inflexibilité de Staline

    Le principal représentant des bolcheviks dans la région, Sergey Ordzhonikdze, un proche camarade de Staline (ils étaient tous deux géorgiens) avait d’autres idées. Après la création d’un Azerbaïdjan soviétique et d’une Arménie soviétique, il a plaidé pour la soviétisation immédiate de la Géorgie. Staline a soutenu cette position. Ignorant les recommandations de Lénine et du gouvernement russe, ils ont utilisé les unités de l’Armée rouge pour provoquer des affrontements à la frontière géorgienne. Le Comité central, mis devant le fait accompli, a été contraint d’adopter une résolution disant qu’il était « enclin à permettre à la 11e armée de soutenir activement le soulèvement en Géorgie et d’occuper Tiflis à condition que les normes internationales soient respectées, et à condition que tou·tes les membres du Conseil militaire révolutionnaire de la 11e armée, après un examen approfondi de toutes les informations, garantissent le succès. Nous vous avertissons que nous sommes obligés de nous passer de pain faute de moyens de transport et que nous ne vous laisserons donc pas disposer d’une seule locomotive ou d’une seule voie ferrée. Nous sommes obligés de ne transporter rien d’autre que des céréales et du pétrole en provenance du Caucase ». Cette information a été cachée à Trotsky, alors dans l’Oural. À son retour à Moscou, il était si furieux de découvrir ce qui s’était passé qu’il a demandé qu’une commission d’enquête examine pourquoi l’Armée rouge était intervenue de cette façon.

    Cette intervention a naturellement suscité l’opposition de la population locale et d’une couche importante de Bolcheviks géorgien·nes. Mais plutôt que de reconnaître les sensibilités nationales à long terme dans la région, dans laquelle il y avait clairement trois identités nationales bien établies, Ordzhonikidze, avec le soutien de Staline, a conçu la création d’une « République soviétique transcaucasienne », qui ferait partie de la RSFSR et aurait une autorité générale sur les trois nouvelles républiques soviétiques. Outre le fait qu’elle pouvait se prononcer sur les questions intérieures géorgiennes, elle a également tenté d’établir une union monétaire, ce à quoi se sont opposés les Géorgiens et Géorgiennes qui estimaient qu’une telle union saperait leur économie relativement plus forte. Compte tenu de cette approche dans l’établissement de la République soviétique transcaucasienne, beaucoup ont également supposé que l’économie serait développée par l’importation d’une main-d’œuvre russe, ce que beaucoup dans la région ont considéré comme une continuation des anciennes pratiques tsaristes.

    Bien entendu, l’approche autoritaire d’Ordzhonikidze, qui prenait souvent ses décisions sans consulter les dirigeants locaux, son recours à des mesures répressives sévères contre les opposant·es et son mode de vie extravagant, notamment sa chevauchée d’un grand cheval blanc, n’ont guère contribué à apaiser les tensions.

    La formation de l’URSS

    La discussion autour de la République soviétique transcaucasienne s’inscrivait dans une question plus large sur l’avenir du nouvel État soviétique.

    À cette époque, il était devenu évident que les positions de Lénine et de Staline sur la question nationale étaient diamétralement opposées. Le premier voyait la formation d’une union d’États soviétiques libres et égaux comme un moyen de consolider le soutien à la révolution parmi les différentes nationalités et comme une base permettant aux futurs États soviétiques, comme l’Allemagne, de s’allier à la Russie sans qu’aucune puissance ne domine l’autre. Cependant, Staline pensait que la question nationale était secondaire et que, de plus, la révolution ne se propagerait pas et que le socialisme devrait être construit en Russie uniquement. Pour lui, l’existence de républiques, comme la république transcaucasienne, était une question de commodité administrative. La question est venue à l’esprit avec la discussion autour de la formation de l’URSS.

    En tant que commissaire aux nationalités, Staline a rédigé le document original qui devait décider des relations entre les nouvelles républiques soviétiques. Dans ce projet, il proposait que les républiques soviétiques indépendantes d’Ukraine, du Bélarus, de Géorgie, d’Azerbaïdjan et d’Arménie soient établies en tant que régions autonomes au sein de la Fédération de Russie, le statut de Boukhara, de Khorezm et de l’Extrême-Orient devant être décidé ultérieurement. Pour toutes les fonctions clés telles que l’économie, le budget, les affaires étrangères et militaires, les décisions seraient prises par les ministères russes. Seules les questions relativement mineures telles que la culture, la justice, les soins de santé et les terres resteraient sous la responsabilité des régions « autonomes ». Toutes les républiques, à l’exception de l’Azerbaïdjan, se sont vivement opposées à ce plan. Pourtant, Staline a fait passer son plan par la mission spéciale mise en place pour approuver la proposition, avant de la soumettre au gouvernement.

    Mais il avait encore un obstacle à surmonter – Lénine. Lors d’une rémission des conséquences de son attaque, Lénine se vit présenter la proposition. Il réagit avec beaucoup de colère et insiste pour que toute l’idée d’« autonomie » telle que proposée par Staline soit abandonnée et que l’URSS soit établie comme une fédération de républiques égales. Bien que Staline ait été forcé de concéder ce point, il s’est battu pour que la nouvelle URSS n’aille pas jusqu’à assurer les droits nationaux que Lénine voulait. Il changea sa position antérieure d’opposition à une structure de pouvoir à deux niveaux pour la nouvelle Union en introduisant un nouveau « Conseil des nationalités » au-dessus de la législature. Il a rempli ce Conseil de ses propres partisan·nes. Et pour ajouter l’insulte à l’injure, plutôt que de donner aux trois républiques caucasiennes le statut d’Union, il a proposé que la « république soviétique transcaucasienne » rejoigne l’URSS et que les trois républiques se soumettent à cet organe. Cette approche a provoqué l’indignation des Géorgiens et Géorgiennes.

    La colère de Lénine

    Lénine était trop malade pour assister à la réunion du Comité central qui a discuté de ces propositions en février 1923. Lorsqu’il a finalement reçu un rapport, la colère de Lénine a atteint son point d’ébullition. Il écrivit à Trotsky : « Camarade Trotsky ! Je voudrais vous demander de prendre en charge la défense du cas géorgien au sein du Comité central du parti. L’affaire est maintenant poursuivie par Staline et Derzhinskii, sur l’objectivité desquels je ne peux pas compter ».

    Bien que Lénine n’ait pas eu le dernier mot sur la question, sa santé se détériorait rapidement. Il n’a pas pu assister à la réunion à huis clos du Comité central en juin, qui a été consacrée à une discussion approfondie de la question nationale. Les positions contradictoires exprimées par les orateurs lors de cette réunion ont montré clairement les contradictions qui se développent entre ceux et celles qui soutiennent l’approche de Lénine en matière de nationalités et ceux et celles qui, autour de Staline, rejettent tous les grands principes de la position bolchevique. Malheureusement, bien que la proposition de Lénine d’établir l’URSS ait été adoptée, sa mise en œuvre a été laissée entre les mains de la caste bureaucratique qui se cristallise rapidement autour de Staline.

    Les crimes du stalinisme

    Malheureusement, l’approche de la question nationale par la bureaucratie stalinienne, qui a réussi à achever la contre-révolution politique en URSS après la mort de Lénine, a fait basculer la politique nationale de Lénine et des bolcheviks. Les dommages causés par le chauvinisme russe que Lénine critiquait avec tant d’acuité, combinés à l’antisémitisme et aux perspectives racistes de la bureaucratie, ont été aggravés par la politique criminelle de collectivisation forcée qui a conduit à la famine dans de vastes régions de Russie, d’Ukraine et d’Asie centrale. Cela permet aux nationalistes réactionnaires d’aujourd’hui de prétendre qu’il y a eu une politique consciente de génocide, qu’ils appellent « holodomor » contre les nationalités, en l’imputant au « bolchevisme ». L’utilisation des États baltes comme pions dans les négociations avec Hitler, la déportation de nations entières, dont les Tchétchènes et les Tatars de Crimée vers le Kazakhstan pendant la Seconde Guerre mondiale, l’utilisation de l’armée soviétique pour réprimer les soulèvements dans l’ancienne Allemagne de l’Est, en Hongrie et en Tchécoslovaquie et le refus de reconnaître les droits des nations pendant la période de « perestroïka » n’avaient absolument rien à voir avec la politique nationale de Lénine et du parti bolchevique.

    Cent ans plus tard, la politique de Lénine sur la question nationale a encore plus de pertinence qu’auparavant.

    C’est une erreur fatale d’adopter, comme le font certaines personnes de la gauche moderne, la position de Staline selon laquelle « le slogan de l’autodétermination est dépassé et devrait être subordonné aux principes du socialisme ». Tant que le capitalisme existera, aucune nation ne pourra acquérir une véritable indépendance, car elle sera toujours dominée par les intérêts des sociétés multinationales et les différents intérêts impérialistes, et elle n’est pas non plus capable d’assurer de véritables droits démocratiques et nationaux pour tous et toutes. Pour renverser le système capitaliste, il faut une lutte de la classe ouvrière puissante et unie avec une direction socialiste, dont la construction ne sera possible que si elle a une position claire sur la question nationale.

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