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Tag: Révolution russe
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‘‘Dix jours qui ébranlèrent le monde’’, de John Reed
John Reed était un journaliste et militant communiste américain. A la chute du régime du tsar Nicolas II en 1917, il s’est rendu en Russie et a retranscrit ce qu’il y a vu et expérimenté. Son témoignage de la révolution est l’un des plus fascinants et enthousiasmants qui existe. Un siècle après la révolutuion russe, ses Dix jours qui ébranlèrent le monde restent, comme Lénine le faisait remarquer en son temps, ‘‘un rapport fidèle et animé’’ de cette révolution. “Je conseille sans retenue ce livre aux travailleurs du monde entier ”, avait écrit Lénine dans sa préface au livre.Par Stephen Ray, Socialist Party (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en république irlandaise)
John Reed commence par replacer les évènements d’octobre 1917 dans leur contexte historique. Il décrit les principaux courants de la vie politique dans les grandes lignes, il décrit les nombreuses tensions issues des restes de l’ancien régime de même que l’antagonisme entre le Gouvernement provisoire qui avait officiellement repris les rênes du pouvoir après la chute du tsarisme en février 1917 et les révolutionnaires socialistes qui devaient conduire la prise du pouvoir par les soviets en octobre de la même année. Le rythme trépidant du récit est maintenu tout au long du livre, ce qui donne une image puissante de la vie politique de l’époque à Petrograd (Saint-Pétersbourg).
La lutte de classes croissante est résumée comme suit : “Dans les rapports entre un gouvernement faible et un peuple en révolte, un moment arrive où chaque acte du gouvernement irrite les masses et où chaque refus d’agir stimule le mépris.”
Les talents de Reed comme journaliste et comme historien s’expriment dans la façon entrainante avec laquelle les évènements sont présentés. Sa description de la prise du Palais d’hiver (où siègent les ministres du gouvernement provisoire), en grande partie pacifique, et de l’enterrement des martyres de la révolution en sont des exemples parfaits.
Le personnage principal de ce livre est sans conteste la population russe. Reed n’a pas ménagé ses efforts pour mettre les expériences subjectives des travailleurs, des soldats et des paysans au centre de son ouvrage. Il est évidemment question des discours importants des partisans du parti bolchevik, surtout Lénine et Trotsky, et de leurs opposants. Aux moments critiques de divergences d’opinion ou de discussion, le cours des débats est finalement déterminé par les masses, qui sont déterminantes pour la poursuite des évènements. Reed a fait le commentaire suivant sur un ouvrier typique de Petrograd : “Le travailleur russe est révolutionnaire mais il n’est ni violent ni dogmatique ni bête. Il est prêt à lutter contre l’oppresseur, la classe capitaliste, jusqu’à la fin. Mais il ne nie pas l’existence d’autres classes. Il demande seulement à ces autres classes de choisir leur camp.”
Le style de Reed rend justice à la politique des Bolcheviks de cette période : une politique consciente des besoins et des préoccupations de la population, combinée à une compréhension profonde de l’analyse marxiste des classes sociales en tant que guide pour l’action. C’est sur cette base que les Bolcheviks ont pu jouer un rôle prépondérant dans les soviets (les conseils ouvriers et paysans qui représentaient un autre pouvoir à côté du gouvernement provisoire). Ce livre est un excellent résumé des analyses des circonstances objectives en développement au cours de la révolution documenté à partir de l’expérience subjective vécue par les masses. Le lecteur est entrainé dans les évènements fiévreux des journées d’octobre.
Après avoir décrit le débat qui pris place au sein d’un régiment sur la question de la neutralité ou du soutien à la révolution, tranché de manière écrasante en faveur de la révolution, Reed déclare : “Imaginez-vous que cette lutte se répète dans chaque baraquement de la ville, du district, de tout le front, dans toute la Russie. Imaginez-vous le [général] Krylenkos qui en perd le sommeil et assiste impuissant à ce qui se passe dans les régiments, qui court d’un endroit à l’autre pour y argumenter, menacer et perdre. Et imagez-vous que la même chose se passe dans toutes les sections de chaque syndicat dans les usines, les villages, sur les navires de la flotte russe postée au loin ; pensez aux centaines de milliers d’hommes russes qui partout dans ce grand pays regardent les orateurs : des ouvriers, des paysans, des soldats, des marins, qui essaient à tout prix de comprendre et de choisir, qui réfléchissent intensivement et finalement, décident avec une telle unanimité. C’était ça la révolution russe.”
Une critique souvent formulée sur les ‘‘Dix jours qui ébranlèrent le monde’’ est la position de départ positive de John Reed vis-à-vis des Bolcheviks. Reed explique dans l’introduction qu’il ne peut être neutre dans ce récit du fait de son implication personnelle dans les évènements. Reed est au moins honnête depuis le début quant à ses opinions socialistes. Il essaie de ne pas les cacher derrière un vernis de soi-disant objectivité historique. Reed dit ouvertement et honnêtement dans quel contexte son livre doit être lu. Son sens étroit du détail et l’utilisation de sources de première main font de ces ‘‘Dix jours qui ébranlèrent le monde’’ un point d’orgue du journalisme du 20ème siècle.
A mesure que la crise actuelle du capitalisme continuera de faire ses ravages, les jeunes et moins jeunes tenteront avec un enthousiasme grandissant de s’emparer de cette période de l’Histoire dans laquelle de pauvres travailleurs, soldats et paysans ont renversé tout un système politique et socio-économique. Une période au cours de laquelle des opprimés sont entrés ensemble en lutte contre un système qui ne leur offrait pas d’avenir et dont ils s’aliénaient de plus en plus. Les ‘‘Dix jours qui ébranlèrent le monde’’ est une excellente introduction à l’histoire de la Révolution russe et un bon point de départ pour ceux qui ne peuvent plus se satisfaire de la manière dont notre société est organisée.
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Solidarité contre la LGBTQI-phobie : tous ensemble pour une véritable égalité !

Année après année, le nombre de participants à la Pride est plus important. Dans de nombreux pays, le soutien populaire est croissant pour l’égalité des droits. Mais la lutte pour l’égalité réelle est loin d’être terminée. L’homophobie et la transphobie sous toutes leurs formes sont encore monnaie courante.
Par Geert Cool
La violence homophobe n’est pas limitée à la Tchétchénie
Les nouvelles faisant état de prisons secrètes pour personnes LGBTQI (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, queers et intersexes) en Tchétchénie ont provoqué un grand émoi. Les autorités ont nié leur existence et ont même laissé entendre que l’homosexualité n’existe pas dans le pays ! ‘‘Si cela existe, ce sera réglé au sein de la famille’’ a déclaré une figure officielle du régime : un appel sans équivoque aux crimes d’honneur. Un ministre tchétchène a déclaré aux médias : ‘‘Nous avons analysé les rumeurs et, pour autant que nous le sachions, il n’y a pas de cas confirmés de familles qui répondraient de façon non officielle à la sodomie.’’ Le problème de la Tchétchénie est beaucoup plus profond que l’homophobie : la dictature tente de masquer la crise sociale derrière un régime très conservateur qui impose des codes vestimentaires spécifiques aux femmes et qui prive la population de ses droits fondamentaux. Les oligarques au pouvoir sont quant à eux de plus en plus riches. Ils bénéficient du soutien de leurs maîtres à Moscou qui considèrent la Tchétchénie comme un laboratoire d’expérimentation pour l’application de leur politique.
Les autorités russes ne font rien contre la violence en Tchétchénie : l’homophobie est une pierre angulaire du régime. Une étude menée par le réseau LGBTQI parmi 3.700 personnes à travers la Russie a indiqué que 117 répondants ont été victimes d’arrestations illégales et qu’une majorité ont été victimes de violences psychologiques. Des activistes ayant voulu déposer à Moscou une pétition protestant contre les prisons tchétchènes ont eux-mêmes été arrêtés. En Russie, ‘‘l’incitation à l’homosexualité’’ est illégale depuis 2013. Les tracts et actions concernant les ‘‘orientations sexuelles non traditionnelles’’ font face à une implacable répression. Malgré un manque de données, des rapports reproduits dans les médias font état d’au moins 393 crimes motivés par la haine homophobe entre 2011 et 2016, dont 149 meurtres. Et ce n’est probablement que la pointe de l’iceberg.
La violence augmente aussi ailleurs à travers le monde. L’année 2016 fut la plus meurtrière pour la communauté LGBTQI aux États-Unis. Un rapport de la Coalition nationale des programmes de lutte contre la violence (NCAVP) a noté qu’en plus des 49 victimes de l’attentat commis contre la boîte de nuit le Pulse, 28 personnes ont été tuées lors de violences anti-LGBTQI, parmi lesquelles beaucoup de transsexuels.
Solidarité internationale et actions locales
En Belgique, l’an dernier, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances Unia a traité 104 plaintes pour homophobie, ce qui représente une augmentation de 12% par rapport à l’année précédente et de 30% par rapport à 2014. La lutte contre la violence homophobe ne peut donc se limiter à des exemples internationaux à l’instar de la situation tchétchène, bien que cette solidarité internationale soit évidemment nécessaire.
Nous devons cependant nous méfier des politiciens qui se servent de ces situations étrangères pour cacher leur propre manque de réponse à ce sujet dans leur pays. Pire encore, certains nourrissent racisme et discrimination sociale en cherchant à limiter la question de l’homophobie aux migrants et aux personnes les plus pauvres. Il suffit de penser au populiste de droite xénophobe hollandais Geert Wilders qui a parlé de défendre ‘‘notre peuple gay’’ contre l’islam.
La LGBTQI-phobie affecte différents milieux et ne peut pas être réduite à un seul groupe. A Anvers, en 2015, une ‘‘marche pour la famille’’ avait été organisée par l’extrême droite pour exiger l’interdiction de l’avortement mais aussi l’adoption par des couples de même sexe. Celle-ci a même réclamé l’interdiction de la Pride. Parmi les participants, on pouvait voir non seulement Filip Dewinter (Vlaams Belang), mais aussi le militant de la N-VA Wouter Jambon et le fils du ministre fédéral de l’Intérieur Jan Jambon. Le 12 août, le bourgmestre N-VA d’Anvers Bart De Wever et ses échevins seront certainement au-devant de la Pride anversoise. Mais ils pourraient commencer par condamner immédiatement l’homophobie qui sévit dans leurs propres rangs !
Combattre toutes les formes de discrimination
Lutter efficacement contre la discrimination implique de lutter contre toutes ses formes. Le racisme, le sexisme et la LGBTQI-phobie sont des maladies entretenues par ce système et elles doivent toutes être combattues.
Diviser pour régner, cela fait partie de l’ADN du capitalisme. C’est logique : ce système est dominé par une infime élite de super-riches (les huit personnes les plus riches sur terre possèdent plus que la moitié la plus pauvre de l’Humanité !). Assurer leur domination exige de diviser les diverses couches de la population les unes contre les autres.
Si le racisme, le sexisme et la LGBTQI-phobie sont promus par le système, c’est parce que cela distille des éléments de division dans la résistance sociale. Menacer les droits des personnes LGBTQI ou des migrants revient à menacer notre position à tous. Notre unité est leur faiblesse.
Une question de tradition ? Pas du tout !
L’establishment russe soutient que l’acceptation des personnes LGBTQI ne fait pas partie des anciennes traditions du pays. C’est une manière de réécrire l’histoire. Après la Révolution russe de 1917, la Russie fut le premier pays à instaurer et appliquer des lois et coutumes progressistes.
La jeune république soviétique fut le premier pays industrialisé à reconnaitre le mariage entre personnes de même sexe. L’Union soviétique, avec l’Allemagne du temps de la république de Weimar, fut à l’avant-garde en termes d’opération de correction de genre. Le travail d’experts médicaux du pays avec des transgenres a permis de dépasser la vision binaire du genre (mâle ou femelle) au bénéfice de sa représentation davantage spectrale.
La reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe est arrivée de manière presque organique lorsque deux personnes du même sexe désirant se marier ont demandé aux tribunaux et responsables locaux s’il existait une raison de rejeter cette demande. L’idée selon laquelle une relation homosexuelle était ‘‘perverse’’ fut repoussée, la médicalisation abandonnée et, finalement, le biologiste N. K. Kol’tsov expliqua qu’il existait ‘‘un nombre infini de genres’’. Dès le début des années ’20, il devint possible de changer de sexe et les hôpitaux furent envahis par de nombreux Russes qui, leur vie durant, s’étaient battus contre leur corps.
Cette avancée fut détruite lorsque Staline consolida sa prise de pouvoir dans la seconde moitié des années ’20. En 1936, l’homosexualité redevint un crime. En effet, lorsque la classe ouvrière prit le pouvoir politique en 1917, un énorme changement se produisit directement dans la société. Toutefois, des obstacles majeurs existaient à la suite des dévastations causées par la Première Guerre mondiale et la guerre civile russe. Ces problèmes furent renforcés par l’isolement de la révolution russe provoqué par l’échec des celles d’Europe occidentale. Tout cela créa un espace dans lequel s’engouffra une bureaucratie conservatrice dont Staline fut l’expression. Si l’économie collectivisée fut maintenue, la bureaucratie, loin des idéaux de révolution mondiale, ne travailla qu’à sa reproduction. Le régime bureaucratique étant à la recherche d’une base sociale, des mesures réactionnaires furent encouragées dans les domaine de la famille, du rôle des femmes et de la sexualité.
Cette dégénération ne permet toutefois pas de faire fi de l’expérience de la révolution. L’exemple russe illustre l’importance d’un mouvement de masse pour arracher des réalisations historiques et les défendre. Aujourd’hui, les travailleurs de tous genres, orientations et identités doivent s’organiser ensemble en tant que classe sociale pour combattre les attaques de la droite. Il s’agit de se battre pour la liberté totale, notamment en matière affective.
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1917. Se battre pour un réel changement, cela exige de renverser ce système
L’ivresse révolutionnaire régnait en Russie à la suite de la Révolution de février 1917. Des centaines de milliers de travailleurs, de soldats et leurs familles étaient entrés en action contre la famine et la guerre. Ce ne fut pas sans résultat : la dictature haïe du tsar tombait. Tout cela n’était encore cependant que le début : comment à partir de là était-il possible d’avoir un nouveau pouvoir capable de satisfaire les besoins des masses ?
Par Geert Cool, article tiré de l’édition d’avril de Lutte Socialiste
Le double pouvoir
La Révolution de Février a donné naissance à divers nouveaux pouvoirs. Les ouvriers, les soldats et les paysans qui avaient fait la révolution étaient organisés dans des soviets (le nom russe pour ‘‘conseil’’), qui avaient émergé lors de la révolution de 1905, noyée dans le sang. Mais il n’était personne n’imaginait encore que ces soviets pouvaient carrément prendre le pouvoir en main. Le pouvoir a donc été a donc été présenté sur un plateau d’argent à l’institution censée gouverner : le Parlement (la Douma). Les politiciens libéraux qui avaient regardé avec horreur le développement de la Révolution de Février se sont alors tout à coup retrouvés à la tête du gouvernement provisoire qui devait défendre les acquis de cette révolution.
Ce gouvernement voulait particulièrement calmer le mouvement et assurer que tout continuerait comme avant: poursuivre la guerre afin de ne pas offenser les alliés et repousser toute velléité d’amélioration des conditions de vie des paysans et des ouvriers jusqu’après la guerre. Le refus du gouvernement provisoire de répondre aux exigences des masses révoltées a rapidement conduit à de nouvelles tensions et de nouveaux conflits. Dans la pratique, le pouvoir était déjà aux mains des soviets, le gouvernement ne pouvait rien faire sans leur aval. Mais ce dernier disposait toujours du pouvoir formel.
La direction bolchevique en Russie avait adopté une attitude prudente face au gouvernement provisoire, ce qui lui laissait les mains libre. La fin du tsarisme devait d’abord ouvrir une période de développement démocratique, estimait-elle. Ce n’est que par la suite que devait commencer la lutte pour le socialisme. Quant aux masses, elles ont premièrement cherché le chemin de moindre résistance et se sont essentiellement orientées vers les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires (SR). Plusieurs dirigeants bolcheviques prônaient alors l’unification avec les mencheviks.
Les Thèses d’avril
C’est dans ce climat général de réconciliation par-delà les frontières politiques que Lénine revenait à Petrograd, au début du mois d’avril 1917. Il devait clarifier sa position: la révolution n’était pas terminée, les bolcheviques devaient préparer l’étape suivante, la prise du pouvoir par les soviets.
Le programme de Lénine s’est résumé dans ses ‘‘Thèses d’avril’’, dont le mot d’ordre central était : ‘‘Aucun soutien au gouvernement provisoire’’. Lénine regardait objectivement la situation et son lot de complications: les réalisations démocratiques de Février avaient donné aux masses de quoi respirer. Ces dernières ont donné le bénéfice du doute au gouvernement des capitalistes. Les bolcheviks étaient minoritaires. Lénine préconisait de patiemment nourrir les masses de l’idée que seul le pouvoir aux soviets pouvait assurer la paix et le progrès social.Dans ses ‘‘Thèses d’avril’’, Lénine a livré une ébauche de ce qui était nécessaire pour une rupture fondamentale: l’arrêt de la guerre, la nationalisation des terres pour en permettre le contrôle démocratique, la nationalisation et le contrôle public des banques, la surveillance de la production sociale par les représentants des travailleurs. Il a également appelé à un renouvellement de l’Internationale puisque la révolution ne pouvait rester limitée à un pays.
Dans la lutte qu’il a menée au sein du parti autour de cette question, Lénine a vite reçu le soutien des ouvriers révolutionnaires qui voyaient bien au travers de l’écran de fumée des changements formels du gouvernement provisoire que le système de guerre et d’exploitation capitaliste étaient restés intacts. La Révolution de Février avait mis fin au tsarisme, mais de quel côté allait ensuite pencher la balance ? Vers la bourgeoisie ou les soviets ? En adoptant une position indépendante envers le gouvernement provisoire, c’est ce qui a permis aux bolcheviks de canaliser l’énergie des travailleurs impatients de Petrograd vers un bouleversement révolutionnaire qui conduira à la fondation du premier Etat ouvrier en Octobre 1917.
Des ministres de gauche ne font pas un gouvernement de gauche…
La confusion qui régnait parmi la direction bolchevique avant l’arrivée de Lénine venait de la fête de la victoire après Février. De nombreux bolcheviks estimaient qu’il fallait d’abord consolider les acquis de Février et, à un stade ultérieur, il pourrait alors y avoir le socialisme. Ils étaient pénétrés des illusions des masses, qui espéraient que le nouveau gouvernement mettrait fin à la famine et à la guerre.
La pression exercée par le peuple sur le gouvernement provisoire a fait en sorte que ce dernier incorpore un certain nombre de ministres socialistes. Les mencheviks se disaient encore marxistes et révolutionnaires, mais ils considéraient la construction d’une société socialiste comme une tâche lointaine alors que des tâches immédiates leur faisaient face. Sur le papier, le gouvernement provisoire virait à gauche.
Mais ce n’est pas parce que des membres du gouvernement se disaient socialistes que le gouvernement l’était pour autant. En fin de compte, la question politique d’importance décisive était la suivante : un rapport de force visant à mettre fin à la guerre et la famine, et donc à rompre avec le système, allait-il être mis en œuvre ou alors les ministres ‘‘socialistes’’ allaient-ils épouser la logique capitaliste ?
La pression pour cette dernière option est toujours très élevée. Un système social ne se laisse pas tout simplement être mis de côté. Il peut faire preuve d’une grande flexibilité pour survivre et assurer le règne de la classe dirigeante. Dans ce cadre, faire des concessions limitées pour éviter le pire, cela reste de l’ordre du possible. Incorporer si nécessaire des opposants politiques dans un gouvernement est toléré si c’est dans le but d’espérer les intégrer dans la défense du système ou au moins dans le but de les brûler au pouvoir et d’ainsi gagner du temps pour que des partenaires politiques plus fiables reviennent à l’avant-plan.
L’expérience d’un gouvernement comprenant des ministres socialistes et qui, malgré d’énormes espoirs, ne fait aucune différence, n’est pas limitée à la Russie de 1917. Nous avons vu la même chose avec le gouvernement grec de SYRIZA, élu pour arrêter la politique d’austérité imposée par l’Union européenne. La majorité des Grecs étaient prêts à rompre avec l’UE, mais la direction de SYRIZA a hésité et a essayé de parvenir à un compromis. Un tel compromis ne pouvait consister qu’en l’acceptation de la politique d’austérité, ce qui a finalement eu lieu.
Une patiente préparation vers un changement de système
Les choses auraient pu être différentes en Grèce. Si SYRIZA avait patiemment préparé la population à engager une rupture avec le capitalisme autour d’un programme de nationalisation des secteurs-clés de l’économie et du monopole d’Etat sur le commerce extérieur, couplé à un appel à l’aide internationale de la part du mouvement ouvrier européen, cela aurait, à n’en pas douter, entrainé beaucoup d’enthousiasme et les travailleurs grecs ne se seraient pas retrouvés isolés.
Sur cette base, il aurait été possible d’organiser la société sur des bases socialistes démocratiques. Au lieu de continuer à rembourser la dette publique, ces fonds auraient pu être utilisés pour déployer un vaste programme d’investissements publics dans le logement social, les services publics, les énergies renouvelables,… Une planification démocratique de l’économie axée sur les besoins de la majorité de la population aurait représenté une alternative concrète qui aurait été observée dans le monde entier.
Le capitalisme ne peut pas être progressivement démantelé pour céder la place à une société socialiste. La position dominante de la classe capitaliste repose sur sa propriété et son contrôle des secteurs-clés de l’économie ainsi que de l’appareil d’Etat auquel elle est intimement liée. Tous les moyens seront utilisés pour assurer le maintien du pouvoir par la classe capitaliste. Aboutir à une rupture systémique décisive exige une révolution, un moment où les masses elles-mêmes s’engagent consciemment dans la politique afin d’utiliser la puissance de leur nombre pour renverser les dirigeants actuels.
Pour parvenir à cette autre société, la question du pouvoir doit être ouvertement posée, ce qui ne laisse comme choix que la confrontation ou la capitulation. Cela peut sembler évident mais, en 1917, seuls les bolcheviks, grâce aux idées de Lénine (formées par des années d’analyse politique et d’engagement dans la lutte), étaient préparés à cette inévitable confrontation. C’est un facteur-clé dans le succès de la Révolution russe et c’est la raison pour laquelle, 100 ans plus tard, nous faisons encore référence à la Révolution russe comme l’un des événements les plus importants de l’Histoire de l’Humanité.
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[Débat] Lénine et Trotsky face à la bureaucratie
Le PSL est heureux de publier la contribution d’Éric Toussaint (Lénine et Trotsky face à la bureaucratie – Révolution russe et société de transition) pour le site revolution1917.com. La révolution russe est toujours un événement unique, sinon le plus grand, de l’histoire de l’Humanité. Il était évident que son centième anniversaire allait être l’occasion d’innombrables questions et remarques. En tant que l’un des héritiers directs du courant politique qui en a été à la base, le PSL ne pouvait et ne voulait pas en rester absent. Nous organisons cette année de nombreux événements, de nombreux meetings, où des épisodes spécifiques du processus à l’œuvre à travers l’année 1917 sont discutés en détails. A chaque fois, nous y abordons les leçons qui restent pertinentes et celles qui ne le sont plus au regard des luttes actuelles.
Le 12 mars, la commission femmes du PSL a organisé une commémoration de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes qui, en 1917, fut le point de départ de la révolution de février. Pour nous, il ne s’agit pas simplement d’un intérêt historique, mais aussi d’une opportunité de lancer officiellement ROSA (Résistance contre l’Oppression, le Sexisme et l’Austérité), une campagne de lutte pour défendre une approche socialiste dans le mouvement féministe. Nous avons réédité l’œuvre monumentale de Trotsky, l’Histoire de la révolution russe, et également un ouvrage plus court et plus accessible ‘‘1917, la révolution russe ébranle le monde’’. Avec le site revolution1917.com, nous essayons de répondre de la façon la plus complète possible aux innombrables mensonges et distorsions amenés par les médias établis. A l’automne, notre événement annuel ‘‘Socialisme’’ sera quasiment intégralement consacré à ce qui fut à l’époque l’évènement le plus enthousiasmant pour des générations d’opprimés mais également le plus décrié pour celui qui s’inquiétait et s’inquiète toujours de la sauvegarde de la mainmise sur le pouvoir par une petite élite. L’historien français Jean-Jacques Marie, spécialiste de l’URSS et auteur de biographies consacrées à Trotsky, Lénine et Staline, a déjà accepté d’y participer.
L’attention du PSL pour ce grand événement ne touche peut-être que des cercles restreints, mais un nombre de travailleurs, d’intellectuels de gauche et de jeunes plus important qu’habituellement apprécie cette démarche. De même qu’Éric Toussaint. Ce dernier fut l’un des initiateurs de la LRT en 1971, qui est aujourd’hui la LCR. Depuis 1990, il est la force motrice du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM, aujourd’hui Comité pour l’abolition des dettes illégitimes). Depuis 2010, il soutient, à travers l’International citizen debt audit network, divers audits citoyens qui inspectent les dettes publiques de pays européens. En 2007, il était membre de la commission de l’audit intégral de la dette de l’Equateur (CAIC) mis sur pied par le président Rafael Correa. En 2008, il a conseillé le président paraguayen Fernando Lugo sur l’audit des dettes et, en 2015, il était coordinateur scientifique de la commission de vérité sur la dette publique grecque créée par la présidente du parlement Zoé Konstantopoúlou. Suite à la proposition d’Éric Toussaint, nous republions avec plaisir ci-dessous une contribution qu’il a écrite en 1989 et complétée cette année-ci (2017).
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La Révolution russe de 1917: Les acquis féministes les plus progressistes de l’Histoire
Dans le cadre du centenaire de la révolution russe, le PSL écrit et réédite tout au long de l’année des articles sur cet événement majeur de l’histoire du mouvement ouvrier mondial, afin de lui rendre justice face aux attaques virulentes des médias dominants. Entre les accusations de coup d’État sanglant ou de complot allemand, il est un sujet auquel ces médias ne semblent pourtant pas pouvoir s’en prendre : les acquis des femmes obtenus par la Révolution russe. Ces conquêtes majeures étaient sans précédent à une époque où le droit de vote des femmes et la liberté économique de celles-ci n’étaient certainement pas envisageables, et ce même dans les pays capitalistes avancés. 100 ans plus tard, le droit au divorce, à l’avortement, la pénalisation du viol, etc. ne sont toujours pas acquis dans de nombreux pays, ou sont menacés de disparaître. Nous revenons sur ces acquis les plus progressistes de l’histoire et sur les méthodes des bolchéviques qui ont soutenu leur développent.
Par Brune (Bruxelles)
Aucun autre événement dans l’Histoire n’a été davantage détourné par l’idéologie capitaliste que la Révolution russe. Dans les cours d’histoire, le rôle des femmes n’y est d’ailleurs presque jamais mentionné, et les mesures acquises les concernant inexistantes. Le renversement complet du capitalisme et du féodalisme par la classe ouvrière russe sous la direction du parti bolchevik en 1917 a stimulé un changement radical et inédit dans la société. Les bolcheviks ont été en mesure de prendre le pouvoir, précisément parce qu’ils étaient la voix des masses opprimées, des travailleurs, des pauvres et des femmes.
Aujourd’hui, l’inégalité et l’oppression économiques n’ont jamais été aussi flagrantes: selon le rapport de 2017 d’OXFAM sur les inégalités(1), la richesse combinée des 8 personnes les plus riches au monde dépasse celle de la moitié la plus pauvre de l’humanité. Et tandis que cette inégalité continue de croître, il en est de même de l’oppression des femmes et de la communauté LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels, trans) à travers le monde, même dans le monde occidental.
Par exemple, en Russie, aujourd’hui, la loi controversée sur la dépénalisation des violences domestiques adoptée par Vladimir Poutine(2) entend réduire à une simple amende la peine qui était auparavant de deux ans de prison pour les auteurs de ces violences domestiques. D’autres lois sexistes ont pris place en Turquie(3) ou existaient toujours comme en Tunisie(4) par exemple autour de la banalisation et de la dépénalisation du viol. Des lois qui, heureusement, ont été abandonnées grâce à une mobilisation victorieuse des femmes.
De l’autre côté de l’Atlantique sévit le ‘‘pussy-grabber’’(5) Trump. Après son attaque frontale contre le droit à l’avortement le 23 janvier dernier, son sexisme rampant continue à faire les titres : dernièrement il aurait exigé que les femmes travaillant au sein de son administration ‘‘soient habillées comme des femmes’’(6). Trump et les politiciens à la botte du capitalisme remettent en cause les acquis fondamentaux pour lesquels les femmes se sont battues tout au long du 20ème siècle.
Toutefois, les luttes historiques récentes que ce soit en Amérique latine (contre les féminicides), en Europe (la grève des femmes en Pologne et en Islande) ou aux USA, avec plus de 4 millions de participants aux Women’s March, sont l’expression de la vive recrudescence des luttes pour les droits des femmes, et de la volonté de combattre de celles-ci.
L’exemple de la révolution russe
Dans ce contexte, revenir sur les leçons du passé, et particulièrement celles de la Révolution russe, peuvent nous en apprendre beaucoup sur le rôle majeur que peut jouer la classe ouvrière dans son ensemble et les femmes en particulier pour se libérer de de leur oppression au travers des mouvements de masse. Pendant la période révolutionnaire les femmes ont joué un rôle important à la fois dans la chute du régime tsariste et dans la victoire des bolcheviks.
Lorsque des dizaines de milliers de femmes sont descendues dans les rues en février 1917, pendant les événements qui ont déclenché la révolution du même nom, elles criaient pour ‘‘la justice, la paix et le pain’’. La protestation a éclaté lors de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes (le 8 mars, qui tombait le 23 février selon le calendrier julien encore en usage à l’époque en Russie). Tandis que les soldats rejoignaient les rangs des manifestants, les soviets (conseils) – nés lors de la révolution manquée de 1905 et qui avaient été réprimés par le Tsar – ont ressurgi et ont contesté l’autorité du Gouvernement provisoire jusqu’en octobre 1917 et la prise du pouvoir et du palais d’Hiver.
Après la prise du pouvoir, il était clair que les femmes avaient – et allaient – joué un grand rôle. Les bolcheviks, tout en soulignant le rôle de la classe ouvrière dans une société en mutation, ont également reconnu que les femmes souffraient d’une double oppression qui puise ses racines dans l’existence même d’une société de classe. Pour les bolcheviks, la libération des femmes passait par le renversement du capitalisme et était un élément essentiel de la lutte pour une société socialiste.
Les femmes ont joué des rôles dirigeants dans le parti au niveau local et national. L’impact décisif de la révolution a transformé la conscience et la vie des femmes de la classe ouvrière comme jamais auparavant. Le 17 décembre 1917, sept semaines seulement après la formation du premier État ouvrier au monde, le mariage religieux ne fut plus obligatoire et le divorce légalisé. Le mois suivant, une loi marquant l’égalité juridique des hommes et des femmes et abolissant ‘‘l’illégitimité’’ des enfants fut intégrée au code de la famille. La définition du viol fut également changée en ‘‘rapport sexuel non consenti utilisant soit la force physique ou psychologique’’. L’avortement, quant à lui, fut légalisé en 1920.
Tout au long des années 1920, le code de la famille a été modifié, chaque changement étant automatiquement accompagné de débats et de discussions publics. Dès ses premiers jours, la propagande socialiste russe a défendu l’égalité des femmes, mais, pour les bolcheviks, le point crucial était de s’en prendre à l’asservissement des femmes dans la cellule familiale traditionnelle.
Un système de protection sociale fut instauré comprenant des maisons de maternité, des cliniques, des écoles, des crèches et des jardins d’enfants, de même que des cantines publiques sociales et des blanchisseries, toutes destinées à soulager les femmes de leurs corvées ménagères traditionnelles. Un congé de maternité payé à la fois avant et après la naissance fut aussi introduit pour les travailleuses. Des salles d’allaitement furent installées sur les lieux de travail, avec des pauses toutes les trois heures pour la nouvelle mère.
La prostitution fut quant à elle délibérément décriminalisée en 1922 et le proxénétisme interdit. L’objectif était de réduire considérablement les raisons économiques poussant des femmes à cette activité. La même année, le nombre de femmes membres du Parti communiste (le nouveau nom du parti bolchevik) dépassait désormais les 30.000.
Quant aux LGBT, après la révolution, l’homosexualité fut décriminalisée et toutes les lois anti-homosexuels furent retirées du Code criminel en 1922. Il y a également eu des cas de personnes qui ont décidé de vivre en tant que sexe opposé après la révolution. En 1926, il est devenu légal de changer de sexe sur les passeports.
Des personnes ouvertement homosexuelles ont d’ailleurs servi à des postes officiels, comme Gueorgui Tchitcherine, Commissaire du Peuple (ministre) des Affaires étrangères en 1918. Encore aujourd’hui, il parait inconcevable qu’un personnage similaire puisse obtenir une telle position dans la plupart des Etats capitalistes.
Ces importantes conquêtes ont toutefois subi le même sort que la démocratie ouvrière avec l’usurpation du pouvoir par la bureaucratie stalinienne et dégénérescence de la révolution. Elles n’en restent pas moins importantes à étudier pour les luttes d’aujourd’hui. Jamais une direction ou une force politique n’a autant tenté d’obtenir le soutien actif des femmes ou des LGBT.
Certains droits acquis suite à la Révolution russe il y a près d’un siècle, n’existent toujours pas aujourd’hui. Cet événement majeur de l’Histoire de l’humanité reste une grande source d’inspiration. Celle-ci permet de démontrer la connexion inextricable entre la lutte contre toutes les formes d’oppression et la lutte de la classe des travailleurs pour une transformation socialiste de la société La nécessité d’un mouvement large pour les droits des femmes sera discutée (ainsi que le sujet abordé ci-contre) lors de la journée de lancement de la campagne ROSA (Résistance contre l’Oppression, le Sexisme et l’Austérité). Pour en savoir plus sur le sujet, prenez votre prévente et rejoignez- nous le 12 mars à Bruxelles!
Notes:
1. https://www.oxfam.org/fr/salle-de-presse/communiques/2017-01-16/huit-hommes-possedent-autant-quela-
moitie-de-la-population
2. h t t p : / / w w w. 2 0 m i n u t e s . f r / m o n d e / r u ssie/2011687-20170209-russie-depenalisation-violences-
domestiques-promulguee-vladimir-poutine
3. ht t p: //www. lepoi nt . f r /monde/ t u rquie – ret r ai t -du-sul fureux-projet-de-loi-sur-le-viol-des-mineurs-
22-11-2016-2084760_24.php
4. http://www.20minutes.fr/monde/1983399-20161219-tunisie-loi-permettant-violeur-epouser-victime-devrait-etrerevisee
5. En référence à une vidéo qui a fait scandale où Trump expliquait à un proche : ‘‘Et quand tu es une star, elles te
laissent faire. Tu fais tout ce que tu veux. Tu peux les attraper par la chatte’’ (‘‘grab them by the pussy’’ en anglais).
6. http://www.lesoir.be/1432993/article/soirmag/actu-soirmag/2017-02-04/des-femmes-repondent-nouvelle-exigence-
sexiste-donald-trump -
Il y a 100 ans : La révolution de février 1917
Février 1917 (selon le calendrier julien) marqua le début de la révolution russe. Un soulèvement essentiellement composé d’ouvriers et de soldats à Petrograd (l’actuelle Saint-Pétersbourg) conduisit à la chute du tsar et de son gouvernement, donnant naissance à une république. Cette dernière n’est toutefois pas parvenue à satisfaire les aspirations des insurgés. Un autre soulèvement allait donc avoir lieu plus tard sous la direction des bolcheviks : la révolution d’octobre.
Dossier de Kim (Gand)
La révolution de février a eu lieu dans le contexte de la Première guerre mondiale qui a fait rage de 1914 à 1918. Lorsque la guerre a éclaté, la plupart des pays belligérants pensaient qu’il s’agirait d’un conflit de courte durée qui serait fini pour Noël. C’est pourtant devenu une impasse de longue durée sans que la moindre alliance belligérante ne puisse arracher un avantage décisif. Cela a occasionné une énorme pénurie des réserves dans de grandes parties de l’Europe. Des millions de soldats sont morts, des millions de réfugiés erraient sans rien et des millions de chevaux, de bœufs et d’autres animaux ont été abattus. Ce qu’il restait de l’économie a été utilisé pour l’industrie de guerre plutôt que pour produire des biens de consommation. De grandes pénuries et d’énormes augmentations de prix en ont été la conséquence.
Cette Europe de la destruction constitue le contexte dans lequel la révolution russe a eu lieu. La Russie était une monarchie absolue avec peu d’institutions démocratiques. Ainsi, chaque défaite que la Russie subissait était associée au leadership du tsar-même. Le fait que le tsar Nicolas II ait personnellement repris la direction de l’armée à partir d’août 1915 a renforcé cet effet. A la fin 1916, un grand mécontentement s’était répandu parmi les généraux, les industriels et les grands-ducs. Ils rêvaient d’un coup d’Etat par lequel quelqu’un de plus compétent viendrait au pouvoir ; mais personne ne l’organisait. En décembre 1916, Raspoutine, proche conseiller de la tsarine, a été assassiné. Mais la révolution de palais n’est jamais allée plus loin que ça.
Les ouvriers du textile partent en grève le jour de la Journée internationale des femmes
C’est dans ce contexte qu’eut lieu l’arrêt de travail du 23 février 1917 des ouvrières du textile de Petrograd, capitale de l’empire russe à l’époque, pour protester contre les prix élevés de la nourriture. Ce jour-là, personne n’imaginait encore qu’elles avaient déclenché un mouvement qui, cinq jours plus tard, mènerait à la chute des autorités de Petrograd. Le régime a perdu le pouvoir dans la capitale et le reste de la Russie a suivi. La popularité du tsar était tellement faible partout que, dans le reste du pays, on a laissé faire. Personne pour ainsi dire n’a essayé de contrer la révolution de février de Petrograd. Dans certaines villes provinciales, le bourgmestre proclamait la révolution. Des officiers de front signalaient que leurs soldats sont restés relativement calmes jusqu’à ce que l’annonce du soulèvement réussi de Petrograd ne leur parvienne. Mais lorsque quelques semaines plus tard, les premiers journaux socialistes sont apparus sur le front, cela a provoqué beaucoup d’agitation. Une forte opposition des soldats envers les officiers s’en est suivie. Les officiers allaient vite détester les ‘‘agitateurs’’ qui remontaient le reste des soldats contre eux.
La révolution de février a débuté le 23 février, avec la grève des ouvriers du textile, rapidement suivis par les métallurgistes. Ce n’est pas par hasard que ce soient les femmes qui aient initié le mouvement : c’était le jour de la Journée internationale des femmes. Le calendrier russe différait alors de 13 jours de l’européen, ce qui fait que, en Russie, la Journée internationale des femmes tombait le 23 février plutôt que le 8 mars.
Cinq jours de soulèvement à Petrograd
La période de soulèvement a duré cinq jours. Les trois premiers jours, la masse des manifestants et des grévistes n’a cessé de croître. Selon les sources gouvernementales, le troisième jour, il y avait 240.000 grévistes et même les plus petites entreprises étaient à l’arrêt. Les portes des usines devenaient un pôle d’attraction où se mobiliser au début d’une journée normale de travail. Le quatrième jour était un dimanche et de ce fait, le nombre de grévistes et de manifestants était moins élevé ; mais le processus révolutionnaire s’est poursuivi.
Un récit à titre d’illustration. Outre la police, les soldats étaient également engagés à chasser les manifestants. L’unité d’entrainement du régiment Pavlovsky avait reçu, ce jour-là, ordre de tirer sur les manifestants ; ce qu’ils ont fait. Fin d’après-midi, quelques ouvriers étaient allés le signaler aux baraquements de Pavlovsky. La quatrième compagnie du régiment sortit pour aller rechercher l’unité d’entrainement. En chemin, la compagnie rencontra un groupe d’agents de police à cheval et ouvrit le feu. Quelques-uns de ces agents moururent ou furent blessés par cette pluie de balles.
Si ce n’était encore qu’un incident le quatrième jour, le cinquième jour vit la garnison de Petrograd passer massivement du côté des insurgés. Ce matin-là, l’unité d’entrainement de Volynsky refusa la première de quitter les baraquements pour aller s’opposer aux manifestants. En signalant leur refus, ils avaient abattu leur officier commandant. Ces soldats se trouvaient en grand danger : alors qu’un manifestant ou un gréviste pouvait reprendre le cours de sa vie normale le jour suivant, eux se trouvaient dans une toute autre position. Des soldats qui, en temps de guerre, se mutinaient et avaient tué un officier pouvaient s’attendre à des sanctions sévères, voire vraisemblablement à la peine de mort. Ces soldats ne pouvaient sauver leur vie qu’en faisant en sorte que le soulèvement soit victorieux. Ils se hâtèrent donc vers les baraquements les plus proches pour impliquer davantage de soldats dans le soulèvement.
Le cinquième jour, le soulèvement a ainsi pris de grandes proportions et a été rejoint par de nombreux soldats armés. Les derniers groupes d’agents de police et de soldats qui s’opposaient aux insurgés ont été maîtrisés. L’un des rares bataillons à rester fidèle au tsar était celui des cyclistes. Le vélo était, à cette époque en Russie, un bien tellement rare que le fait de disposer d’un vélo conférait un statut énorme. Il ne faut donc pas s’étonner qu’un groupe qui se sentait si privilégié reste loyal au régime.
Le reste du pays suit
Le 27 février (le cinquième jour à Petrograd), les premières grèves débutèrent à Moscou. Des soldats reçurent l’ordre de prendre le contrôle des ‘‘provocateurs’’ mais, au lieu de cela, ils se rendirent à l’hôtel de ville pour savoir comment se joindre à la révolution. En un jour ou deux, Moscou s’était joint à Saint-Pétersbourg sans qu’un combat se soit vraiment engagé.
D’autres villes suivirent début mars où l’on a encore moins combattu qu’à Moscou. A Tver, les ouvriers se sont rendus de leur travail aux baraquements pour ensuite défiler à travers la ville avec les soldats. A Nijni-Novgorod, des milliers d’ouvriers se sont rassemblés autour de l’hôtel de ville. Après un discours du bourgmestre, les ouvriers se sont rendus à la prison pour libérer les prisonniers politiques. A Kharkov, le chef de la police criait devant la foule : ‘‘Longue vie à la révolution ! Hourra !’’
A Ekaterinoslav (aujourd’hui : Dnipro, en Ukraine), à la tête d’une manifestation, on trouvait le chef-adjoint de la police qui tenait son sabre comme on le fait lors d’une procession pour un saint. Peu après, toutes les illustrations du tsar ont été enlevées de l’hôtel de ville. Comme le journal ‘‘The Chronicle’’ le faisait remarquer : “L’annonce du soulèvement réussi est arrivée et la population s’est jointe à la révolution”. Cela illustre à quel point la base sociale du tsar était faible.
Les soldats soutiennent la révolution
Personne n’a vu arriver la révolution. Même pendant les premiers jours du soulèvement, aucun des acteurs politiques ne se rendaient compte que le mouvement se terminerait par une éclatante victoire pour la révolution. Le commandant militaire du district, le général Khabalov, avait établi à l’avance un plan sur ce qu’il convenait de faire dans le cas où des troubles devaient se déclencher. En premier lieu, seule la police serait impliquée ; en seconde instance, les cosaques à cheval avec fouets et lances et, seulement en dernière instance, les soldats d’infanterie avec fusils et mitrailleuses qui ne tireraient que si nécessaire.
Cela se passa ainsi : le premier jour, seule la police fut impliquée et le deuxième jour, les cosaques s’y ajoutèrent. Au milieu du troisième jour, les troupes d’infanterie furent impliquées aussi, mais les tirs n’eurent pas lieu. Khabalov ne se faisait pas beaucoup de soucis ces premiers jours : tout se passait selon son plan. Les ouvriers dans les rues étaient irréconciliables avec la police : l’expérience avait prouvé qu’ils étaient ancrés dans leur rôle d’organe de répression. Après quelques jours, la police eut recours à des tireurs embusqués qui tiraient sur les manifestants depuis des toits et des fenêtres.
Avec l’armée, ce fut complètement différent. Après des mois d’interaction informelle en rue ou dans le tram, les ouvriers avaient appris que beaucoup de soldats en avaient, eux aussi, vraiment marre de la misère et de la guerre. Les ouvriers ont essayé de fraterniser avec les soldats et les cosaques, même lorsque les soldats réagissaient brutalement. Cette fraternité a incontestablement contribué à ce que les soldats choisissent massivement le camp des insurgés le cinquième jour.
Les travailleurs, les soldats et les paysans s’organisent en soviets
Le général Khabalov n’a pas été le seul à ne pas voir arriver la révolution. Les libéraux, les mencheviks, les socialistes-révolutionnaires, les bolcheviks, aucun d’entre eux n’avait pressenti que fin février, début mars, une révolution aurait lieu en Russie.
Lénine, en exil en Suisse, avait encore dit en janvier qu’il se demandait s’il verrait un jour la révolution. Il n’était pas le seul activiste politique russe à être en exil. Au plus une organisation était radicale, au plus durement elle était touchée. Tous les dirigeants bolcheviks importants étaient soit à l’étranger soit en Sibérie. Il ne restait plus des bolcheviks à Petrograd que le spectre d’une organisation clandestine.Ces bolcheviks encore présents avaient estimé que la situation n’était pas mûre pour un mouvement. Ils avaient bien senti que la tension était très forte parmi la classe ouvrière mais avaient estimé que la garnison ne se rangerait pas du côté des insurgés. Tout mouvement risquait à leurs yeux de déboucher sur une répression sanglante avec une importante défaite pour conséquence. C’est pourquoi, pour la journée internationale des femmes, ils n’avaient organisé que des rassemblements et voulaient sciemment éviter des manifestations. Les grèves qui éclatèrent quand même allèrent donc bien au-delà de leurs espoirs. Cela ne constituait cependant pas une raison pour se tenir à l’écart du mouvement. Plusieurs bolcheviks en étaient des partisans.
Lorsque, le quatrième jour, le nombre de manifestants a baissé pour la première fois, les bolcheviks de Petrograd en ont conclu que la phase descendante du mouvement avait commencé. Une centaine d’activistes révolutionnaires ont été arrêtés ce jour-là, dont cinq bolcheviks qui participaient à la direction du mouvement à Pétrograd. Ce jour-là, il y eu aussi des tirs de l’armée sur les manifestants. Les autorités ont commencé à riposter et le mouvement était à son apogée. Jusqu’à présent, il n’y avait pas eu de grandes confrontations sanglantes et il était donc question de faire atterrir pacifiquement ce mouvement couronné de succès. C’est la conclusion que les bolcheviks locaux ont tiré le soir du quatrième jour, la veille donc de la victoire définitive de la révolution de février.
Au cours du mouvement révolutionnaire de 1905, les ‘‘soviets’’ ont été formés. Soviet est le mot russe pour ‘‘conseil’’ ou ‘‘comité’’. A partir du soir du cinquième jour, lorsqu’il était clair que les révolutionnaires avaient obtenu une victoire, les petits groupes d’ouvriers et de soldats ont commencé à se rassembler pour, par analogie à 1905, remettre sur pieds les conseils d’ouvriers et de soldats. Ces soviets n’ont pas seulement été mis en place à Saint-Pétersbourg mais ont très rapidement été également constitués dans des villes comme Moscou, Samara et Saratov.
Soviets contre gouvernement provisoire
Les socialistes modérés bénéficiaient initialement de la plus grande popularité dans les soviets, de sorte que les mencheviks et les sociaux-révolutionnaires y ont premièrement détenu le pouvoir. Mais ils avaient peur du pouvoir. Les mencheviks estimaient qu’il fallait d’abord un développement capitaliste avant que le socialisme ne soit à l’ordre du jour en Russie. Ils visaient la Douma, le parlement national, pour prendre le pouvoir. Les libéraux, qui avaient regardé avec anxiété s’opérer la révolution, ont de leur côté pu former un nouveau gouvernement provisoire.
Deux institutions de pouvoir d’Etat ont donc vu le jour : un ‘‘gouvernement provisoire’’ officiel qui ressemblait à un gouvernement tel que ce que nous connaissons en occident, au côté des soviets, des ‘‘conseils populaires’’. Beaucoup de décisions ne pouvaient être prises par le gouvernement provisoire que moyennant l’accord des soviets.
Au début de ce système de ‘‘double pouvoir’’, tout le monde affirmait en être satisfait. Mais, en réalité, les deux formes de pouvoir constituaient des manières distincte d’envisager la gouvernance de la société, ils défendaient chacun des intérêts différents. Il leur était impossible de continuer à coexister. Tôt ou tard, l’un des deux systèmes devait prendre le dessus.
Le gouvernement provisoire défendait les intérêts des capitalistes et des grands propriétaires terriens mais déviait régulièrement à gauche sous la pression de la révolution. Ainsi, fin mars, il annonça l’introduction de la journée des 8 heures, ce qu’il fit sous la contrainte des ouvriers de toutes les grandes usines, qui avaient imposé cette réalité sur leurs lieux de travail. Au sujet de la question cruciale de la redistribution des terres, le gouvernement provisoire n’a fait que reporter toute prise de décision en promettant une future réglementation dans un avenir hypothétique. Concernant la guerre, le gouvernement provisoire était clair : il voulait absolument poursuivre l’effort de guerre au côté des alliés pour combattre la menace allemande. Mais de très nombreux soldats voulaient une fin définitive de la guerre qui, à leurs yeux, provoquait inutilement une grande misère et bien trop de morts.
Comme le gouvernement provisoire ne pouvait répondre à bon nombre des aspirations principales des gens qui avaient fait la révolution, dans les mois qui suivirent, des conflits ont sans cesse éclaté entre ouvriers et soldats d’une part et le gouvernement provisoire de l’autre.
Les soviets ont donc pris de plus en plus d’importance et se sont radicalisés tandis que les éléments les plus révolutionnaires s’organisaient autour des bolcheviks. Finalement, les soviets ont pu prendre le pouvoir complet sous la direction des bolcheviks pendant la Révolution d’octobre 1917. Il ne suffisait pas d’écarter le tsar dictatorial, tout le système devait disparaître.
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‘‘Tintin au pays des soviets’’ Le retour de la propagande antisocialiste des années ‘30

Couverture du Petit Vingtième publié le jeudi 13 mai 1930. Image : Wikipédia Pour le centenaire de la révolution russe sortira cette année une série de fictions liées à l’URSS ou au marxisme. Au cinéma, pour commencer, avec des films oscillants entre la biographie réaliste (Le jeune Karl Marx de Raoul Peck) et le film de super-héros soviétiques (Guardians de Sarik Andreasyan). De son coté, les éditions Casterman nous proposent une version colorisée des aventures de Tintin au pays des Soviets. Joie.
Par Julien (Bruxelles)
Un scénario qui glisse sur une peau de banane
Pour rappel, l’album nous conte les aventures de Tintin, reporter au journal ‘‘Le Petit Vingtième’’, envoyé en Union Soviétique afin ‘‘de tenir au courant ses lecteurs de ce qu’il se passe à l’étranger’’. Dans un souci d’objectivité, la première case nous assure que ‘‘La direction du ‘‘petit XXe’’ certifie toutes ces photos rigoureusement authentiques, celles-ci, ayant été prises par Tintin lui-même, aidé de son sympathique cabot Milou !’’ Ainsi, contre vents et marées, notre héros bravera tous les dangers pour atteindre Moscou et revenir en Belgique. L’intrigue se développe alors autour des très nombreuses tentatives de meurtres de Tintin ordonnées par la Guépéou (police d’Etat soviétique). Ces dernières sont plutôt variées, allant de la bombe à la glissade sur une peau de banane.
Si le titre est aussi connu, ce n’est évidement pas pour son scénario, aussi subtil et profond que celui de Rambo III, mais plutôt pour son anticommunisme primaire et la pile de clichés qui va avec.
A la rédaction avec Degrelle
Hergé travaillait alors pour le journal réactionnaire Le Vingtième Siècle où il était responsable du supplément jeunesse, Le Petit Vingtième. En 1929, le rédacteur en chef, Norbert Wallez, lui commande alors une bande dessinée dénonçant la situation en Union Soviétique.
Antisémite, fasciste et, par conséquent, antisocialiste, Wallez ne cache pas son admiration pour Mussolini ou encore Léon Degrelle. Ce dernier travaillera d’ailleurs au XXe Siècle en même temps qu’Hergé. Alors oui, Hergé considérait cette première aventure de Tintin comme une ‘‘erreur de jeunesse’’ et a refusé pendant 40 ans de la rééditer. Il commençait alors sa collection avec Tintin au Congo, remplaçant les clichés antibolchéviques par les clichés racistes et colonialistes. Par après, ce sont (liste non exhaustive) les juifs, les indiens d’Amérique et les femmes qui s’en prendront le plus. Si Hergé refuse effectivement à un moment donné qu’un de ses dessins ne soit utilisé sur une affiche de propagande de Degrelle, il se déclare tout de même ‘‘prêt à travailler avec Degrelle, mais s’agissant de ce dessin comme de n’importe quel autre, il n’envisage pas de le signer sans l’avoir méticuleusement revu, achevé et définitivement mis au point’’.(1)
Une expression de l’air du temps?
Sur la fin de sa vie, Hergé se justifiait par le contexte sociopolitique qu’il dessinait, un peu comme si, à l’époque, ce genre d’idées racistes était accepté. D’ailleurs, encore aujourd’hui, l’utilisation de divers stéréotypes est la norme pour les multinationales du secteur artistique. Pour faire du profit, les producteurs/labels/maisons d’édition imposent leur vision, celle d’une société où les femmes n’ont d’espace que dans les intrigues amoureuses et où le capitalisme n’est jamais responsable de rien. La question n’est pourtant pas culturelle mais économique. Seul un contrôle démocratique de la collectivité sur le secteur permettra d’en finir avec le sexisme, le racisme, l’homophobie… dans l’art. Ceci dit, Hergé ne s’arrête pas à l’utilisation de clichés. C’est le propos même de plusieurs de ses albums qui posent problème. En rééditant Tintin au pays des Soviets en ce début d’année, les éditions Casterman ne cherchent pas à nous faire réfléchir sur la propagande antibolchévique de l’époque ni même sur la bureaucratisation de l’Etat soviétique. Cependant, on sait que 100 ans après la révolution russe, ça va vendre.
Art et révolution
Comme le disait le cinéaste franco-grec Costa-Gravas : ‘‘Tous les films sont politiques’’. En effet, toutes les histoires décrivent des rapports sociaux entre individus et, in fine, un modèle de société. L’idée reste valable pour la bande dessinée. Dans le premier album d’Hergé, ce qu’on nous dit, c’est qu’une société basée sur la propriété collective des moyens de production n’est pas possible, en particulier car elle déboucherait automatiquement sur une bureaucratie violente qui nierait la moindre liberté.
Avant la contre-révolution stalinienne, l’art a pourtant connu un essor sans précédent en URSS. C’est par exemple en 1919 que fut fondée la VGIK (première école de cinéma au monde). Dans Littérature et Révolution écrit en 1924, Trotsky développe la politique du parti Bolchevik concernant l’art: ‘‘Sans pensée théorique et sans art la vie humaine serait vide et misérable. Mais en effet, telle est à présent à un immense degré la vie de millions d’Hommes. La révolution culturelle doit consister à leur donner la possibilité à un véritable accès à la culture et non à ses misérables miettes. Mais cela est impossible sans la création de conditions matérielles améliorées.’’
Sous le capitalisme, la liberté artistique n’existe qu’entre les marges du libre-marché. Même les tentatives de contre-culture, initialement ‘‘hors du système’’ sont devenues des marchandises (jazz, graffiti,…). La politique de Moulinsart, société gérant les droits des travaux d’Hergé, est d’ailleurs significative de leur vision de la liberté : la moindre parodie est attaquée en justice. L’entreprise a même été jusqu’à réclamer 100.000€ à un fan-club néerlandais de Tintin qui illustrait ses articles avec des vignettes de son héro de bande-dessinée favori(2). Voilà, les aventures de ‘‘Tintin au pays des multinationales’’.
(1) Pierre Assouline, Hergé, Paris, Gallimard, 1998 (1e ed. Plon, 1996)
(2) https://www.rtbf.be/info/medias/detail_moulinsart-perd-son-proces-contre-un-fan-club-neerlandais-de-tintin?id=9000908 -
En défense de la révolution russe: réponse au dossier de “L’OBS”
À l’occasion du centenaire de la révolution russe, le journal français LOBS fut parmi les premiers à dégainer historiens et politologues pour s’engager dans la lutte idéologique contre le premier État ouvrier de l’Histoire. Son dossier « 1917 – l’année où tout a basculé » (1) se veut clair dès l’introduction: « En prenant le pouvoir lors de la révolution d’octobre, Lénine et les bolcheviks ont réussi à étouffer les espoirs démocratiques nés de la révolution de février. » La thèse n’est pas nouvelle : février serait la « vraie » révolution mais celle-ci a échoué lors du « coup d’Etat » bolchévik d’octobre. L’idée sous-jacente est qu’une révolution, peut encore être acceptable dès lors qu’il s’agit de dégager un régime absolutiste et féodal (celui du Tsar en l’occurrence), mais que ce n’est plus le cas si le système capitaliste lui-même est visé.Par Julien (Bruxelles) – Pour en savoir plus sur la révolution russe, consultez notre site www.revolution1917.com
Nous n’aborderons ici que le premier article de ce dossier, « Octobre 1917 ? Une simple échouffourée ! », le seul centré sur la révolution russe. Son titre et son chapeau représentent déjà une énorme insulte envers les millions de travailleurs et de paysans qui se sont soulevés contre les privilèges de la noblesse et des capitalistes : « Pendant plus de soixante-dix ans, les Soviétiques ont célébré comme un moment héroïque la révolution bolchévique. Dans les faits, ce ne fut qu’un simple coup d’État contre un pouvoir agonisant, très éloigné de l’embrasement populaire de février. »
Nous tenons d’avance à nous excuser pour la longeur de notre réponse, nous avons préféré nourrir l’argumentation en veillant toutefois à ne pas noyer le poisson. L’essentiel des sources citées est facilement accessible sur internet.
La prise du pouvoir fut un épisode politique
La première partie, « Une corniche ébrechée, une fenêtre brisée » s’en prend directement à Léon Trotsky : « La célèbre prise du palais d’Hiver […] n’était pas grand-chose, vraiment : « une échauffourée de petite envergure » (Léon Poliakov). […] De fait, le pouvoir avait déjà basculé quelques jours plus tôt, avec la formation, par Léon Trotsky, d’un Comité militaire révolutionnaire, qui avait pris le contrôle de la garnison de la ville. […] Les habitants de Pétrograd ont continué d’aller à l’usine, au théatre, au restaurant, à prendre le tramway sans trop se rendre compte que le monde basculait, au terme d’un coup d’État tâtonnant émaillé de rebondissements dignes d’une opérette. Ces derniers prêteraient presque à rire s’ils n’avaient pas eu pour conséquence l’accouchement d’un système totalitaire dans lequel vit encore un quart de l’humanité (Chine, Corée du Nord, Vietnam, Laos, Cuba). »
Dans son ouvrage « La révolution russe », écrit à l’occasion des 50 ans de l’évènement, Marcel Liebman répond à cette théorie de la conspiration bolshévik alors qu’il aborde la prise effective du palais d’Hiver en disant : « La prise du pouvoir fut un épisode politique plus qu’une entreprise militaire. » (2)
Le Comité militaire révolutionnaire a été formé le 16 octobre 1917 par le soviet de Petrograd. Début octobre en effet, les mencheviks du soviet de Petrograd demandèrent la constitution d’un Comité de défense révolutionnaire qui aurait comme but de défendre la ville en cas d’attaque de l’armée allemande mais aussi d’offrir un contrôle de la collectivité sur la garnison de soldats de Pétrograd que le Gouvernement provisoire comptait envoyer se faire abattre sur le front à l’ouest. Mais là où les mensheviks n’y voyaient qu’un moyen de défendre la ville et, finalement, le statu quo entre le Gouvernement provisoire et les soviets, les bolcheviks entendaient donner un caractère véritablement révolutionnaire à ce comité (le renommant au passage « Comité militaire révolutionnaire ») en le transformant en outil pour l’insurrection.
Dans son livre-témoignage “Les dix jours qui ébranlèrent le monde”, le journaliste américain John Reed décrit avec précision l’ambiance dans les rues de Pétrograd dans les jours et semaines précédant l’insurrection. (3) La société russe réalisait les limites du Gouvernement provisoire bourgeois issu de la révolution de février : les soldats réclamaient la fin de la boucherie de la Première guerre mondiale, les paysans exigeaient l’expropriation des grands propriétaires et les ouvriers occupaient leurs usines pour empêcher les lockouts et le sabotage des patrons. En réponse, le Gouvernement provisoire demandait de la patience et de la retenue à ces derniers. Dans les faits, le Gouvernement provisoire ne résolvait pas fondamentalement les problèmes qui se posaient déjà sous le tsarisme. Dès sa fondation, les partis membres de ce gouvernement clamaient ouvertement que la Russie devait devenir capitaliste et qu’il fallait en conséquence défendre les intérêts de la minorité bourgeoise. Et cela, seuls les bolchéviks le dénonçaient, ce qui se reflétait dans l’appel de Lénine à « ne pas accorder la moindre confiance au gouvernement ». (4)
Jusqu’à sa fin, le gouvernement Kerensky (ministre de la justice puis chef du Gouvernement provisoire de fin juillet jusqu’à l’insurrection) espérait stopper les révolutionnaires, ceux qui voulaient abolir la société de classe et pas juste l’absolutisme tsariste. Fin octobre, peu avant l’insurrection, Kerensky s’est même adressé au général Kasnov, lui demandant de presser le pas avec ses divisions pour les faire marcher sur Petrograd. Le même Kasnov qui, quelques semaines auparavant, avait soutenu la tentative de coup d’Etat du général Kornilov … contre le Gouvernement provisoire, espérant mettre à sa place un dictateur fort, capable d’écraser les révolutionnaires. (5)
Le Comité militaire révolutionnaire était donc une nécessité pour organiser concrètement la prise du pouvoir par le prolétariat et ainsi sauver la révolution. Donc oui, les aspects techniques militaires de la prise du pouvoir ont été organisés par une minorité, mais avec le soutien de la majorité des ouvriers et des paysans. En ce sens, la prise du palais d’Hiver n’est pas un coup d’État mais une véritable insurrection ouvrière.
Plus encore, la seule vraie minorité, c’était le Gouvernement provisoire. Pour illustrer cela, regardons les évènements qui ont précédé la prise du pouvoir. Face au palais d’Hiver se trouvait la forteresse Pierre et Paul. Le 23 octobre encore, elle refusait l’autorité du Comité militaire révolutionnaire et disait qu’elle défendrait le Gouvernement provisoire. Trotsky se rendit alors personnellement à la forteresse et organisa un meeting avec tous les soldats et les convainquit de voter une résolution proclamant leur volonté de renverser le Gouvernement provisoire et de rejoindre la révolution. Sa meilleur arme n’était pas un fusil, mais un programme révolutionnaire représentant les intérêts objectifs des ouvriers, des paysans et des soldats. (6)
Bien sur, toutes les garnisons n’étaient pas encore gagnées au bolchévisme. Mais presque aucune n’était prête à défendre le Gouvernement provisoire. La force des bolcheviks était donc avant tout politique. Trotsky lui même reconnaît que ses membres « étaient pour la plupart mal préparés, les services de liaison se réglaient mal, le ravitaillement n’allait pas fort ». (7) Ce qui fut décisif, ce n’est pas tellement le nombre de fusils, de canons ou de bateaux mais l’unité du prolétariat derrière un même programme.
Enfin, le raccourcit caricatural liant la révolution d’octobre aux dictatures prétendument communistes est des plus malhonnêtes. Les lois les plus progressistes de l’Histoire sont sorties de la révolution d’octobre (droits des femmes, des personnes LGBT, des minorités religieuses,…). Mieux encore, un vaste système de protection sociale a permis à de nombreuses femmes de ne plus considérer le foyer familial comme ultime horizon en collectivisant les tâches domestiques (crèches, maisons de maternité, écoles, salles à manger sociales,…). (8) Tragiquement, la démocratie ouvrière établie en octobre s’est retrouvée isolée internationalement et, plus tard, complètement détruite par la dictature stalinienne. (9)
Les soviets : le retour
La deuxième partie de l’article, « Le pays le plus libre du monde » est consacrée au début de la révolution, en février 1917 : « Février ! L’autre révolution de 1917. Rien à voir avec Octobre, simple coup d’État bolchevique. Elle fut une révolte populaire, partie sans prévenir de la rue, de la faim. […] Les partis de gauche, bolcheviks, mencheviks et socialistes révolutionnaires (SR) n’ont rien vu venir. […] Les leaders de gauche de la Douma, contre la volonté du Tsar, créent le 27 février, un « comité temporaire » pour tenter de controler la situation. […] En une dizaine de jours, qui auront fait plusieurs milliers de morts, le règne tricentenaire des Romanov prend fin. […]»
Pour le reste, cette partie évoque effectivement les évènements de février… à une exception non négligeable : les soviets. Issus de la révolution de 1905, les soviets sont les premiers organes de pouvoirs des ouvriers russes. Ils sont l’oeuvre spontanée de ces derniers dans l’élan des évènements de 1905. Ce sont littéralement des parlements ouvriers, des organes d’auto-organisation qui gèrent les tâches normales d’un État officiel à ceci près qu’ils impliquent la plus grande part de la population laborieuse dans le processus. (10)
Le 27 février 1917, les travailleurs et les soldats de Petrograd reprennent là où ils s’étaient arrêtés en 1905 en réorganisant ces fameux Conseils dans lesquels les représentants sont élus directement depuis les lieux de travail, la caserne ou le bateau (pour les marins), ne reçoivent aucun privilège lié à leurs fonctions et sont révocables à tout moment. (11) Février 1917, c’est la mort du régime tsariste. Sur son cadavre, deux structures prétendent à la gestion de la société. Lénine explique ainsi la différence entre les soviets et le gouvernement bourgeois : « les parlements bourgeois ne sont jamais considérés par les pauvres comme des institutions à eux. Tandis que, pour la masse des ouvriers et des paysans, les soviets sont bien à eux. » (12)
En limitant l’aboutissement de février 1917 au Gouvernement provisoire, l’article de L’OBS nie le rôle de la classe ouvrière, des soldats et des paysans pauvres en Russie. Seul le gouvernement bourgeois serait ainsi légitime, pas les organes des travailleurs et des paysans pauvres. Le dossier évoquera au début de la 3e partie les soviets non comme organes où les tâches de la révolution sont discutées mais, comme nous le verrons, davantage comme une caution de gauche pour le Gouvernement provisoire.
Aucune confiance dans le gouvernement provisoire
La troisième partie, « Le « Wagon plombé » de Lénine », revient sur les huit mois séparant février d’octobre 1917 et ressort les arguments classiques en défense du Gouvernement provisoire : « […] Dans le feu de la révolution, un pouvoir dual, installé dans le palais de Tauride cher à Catherine II, s’est mis en place. Dans l’aile droite, un gouvernement provisoire, désigné par le Douma, le temps qu’une assemblée constituante soit formée. […] Dans l’aile gauche, le Soviet des députés des ouvriers et des soldats de Pétrograd a pris en charge les troupes, les transports et les communication ; il est dominé par les SR (parti de la classe paysanne) et les mencheviks (marxistes qui jugent nécessaire une transition démocratique avant la révolution). Le gouvernement provisoire, avec l’assentiment du Soviet, décide de poursuivre la guerre, conformément aux engagement pris vis-à-vis des alliés. L’occasion pour une minorité au sein du Soviet, les bolcheviks, de se faire remarquer ; ils refusent à la fois la « guerre impérialiste » et la légitimité du gouvernement. […] Dès son arrivée [en Russie depuis 16 ans d’exil], il [Lénine], demande l’arrêt de la guerre, la distribution des terres et le transfert de « tout le pouvoir aux soviets ». Les fameuses « thèses d’avril ». Alors que la situation économique et militaire se détériore, la popularité des bolcheviks, qui ne sont alors que quelques milliers, et de leur programme simple – « du pain, la paix, la terre » – décolle. »
Une des plus formidables expériences de la révolution de février est qu’on a effectivement vu les ouvriers et les pauvres intervenir directement dans la société pour se frayer leur propre chemin. Ce sont eux qui ont porté le coup fatal au tsarisme. Mais les masses n’ont pas immédiatement eu conscience de leur propre pouvoir. Leurs principaux partis (Mencheviks et SR) n’avaient pas confiance dans le fait que les travailleurs soient capables de gérer la société. Ils ont alors laissé la bourgeoisie prendre le pouvoir en rentrant dans une coalition avec eux. C’est ce que Trotsky appelait le « paradoxe de février » (13).
Ce qui se cache derrière la fameuse « transition démocratique » jugée nécessaire par les mencheviks, c’est l’idée qu’avant d’arriver dans une société socialiste, il fallait d’abord que la Russie connaisse sa propre révolution bourgeoise (comme la France fin du 18e siècle ou la Belgique en 1830) et instaure le capitalisme. Et c’est seulement dès lors que l’industrie soit suffisamment développée qu’on peut imaginer une révolution vers une société sans classe. C’est d’ailleurs aussi la position que Staline soutiendra par la suite. Le socialisme est ainsi reporté à belle lurette et la lutte immédiate devient un combat en faveur de la bourgeoisie russe. (14)
En ce sens, effectivement, les bolchéviks sont, à ce moment-là, minoritaires. Lénine demandait que les travailleurs n’accordent aucune confiance envers le Gouvernement provisoire et qu’ils érigent leur propre Etat. (15) Dans un premier temps, les masses ont pensé que l’abdication du Tsar était suffisante pour régler la guerre et la misère. Ils ont choisi le chemin de moindre résistance et ont donné un plus grand soutien aux mencheviks et aux SR car ils devaient encore expérimenter ce gouvernement avant de réaliser qu’il ne les sortirait pas de la guerre et de la misère. Lénine évoque ainsi la nécessité de ne pas s’arrêter à une révolution bourgeoise (16): « […] La formule […] inspirée du «vieux bolchevisme» : «La révolution démocratique bourgeoise n’est pas terminée » […] a vieilli. Elle n’est plus bonne à rien. […] »
Et de nouveau dans ses fameuses thèses d’avril (17): « Ce qu’il y a d’original dans la situation actuelle en Russie, c’est la transition de la première étape de la révolution, qui a donné le pouvoir à la bourgeoisie par suite du degré insuffisant de conscience et d’organisation du prolétariat, à sa deuxième étape, qui doit donner le pouvoir au prolétariat et aux couches pauvres de la paysannerie. »
L’article évoque « l’assentiment du soviet » à la décision du gouvernement de continuer la guerre. Les soviets n’étaient pas une caution de gauche pour le gouvernement mais un organe pour discuter les tâches de la révolution. Les bolcheviks y étaient minoritaires au début du processus révolutionnaire mais ils ont réussi à y remporter la majorité en défendant les intérêts objectifs des masses et en intervenant avec elles dans les grèves, les manifestations, les occupations… et non comme des donneurs de leçons.
Quant au prétendu « programme simple » des bolcheviks, « Du pain, la paix, la terre », il représentait les aspirations de la majorité de la population : 15 millions de paysans étaient alors enrôlés dans l’armée (18), l’hiver fut rigoureux dans un contexte de misère déjà bien présente. 30 000 grands propriétaires terriens possédaient autant de terres que 10 millions de familles (19). Ce slogan bolchevik, accompagné de « tout le pouvoir aux soviets », a permis que plus d’avancées sociales soient réalisées sur les 33 premières heures du gouvernement soviétique que sur les huit mois du Gouvernement provisoire! Celui-ci était incapable d’assurer ces « simples » demandes puisqu’il défendait une société capitaliste où, par définition, il n’y a pas d’égalité sociale. Au lendemain de l’insurrection d’octobre, le Congrès des Soviets publia cette déclaration (20):
« […] Le pouvoir des Soviets proposera une paix immédiate et démocratique à tous les peuples et l’armistice immédiat sur tous les fronts. Il assurera la remise sans indemnité des terres des propriétaires fonciers, des apanages et des monastères à la disposition des comités paysans. Il défendra les droits des soldats en procédant à la démocratisation totale de l’armée. Il établira le contrôle ouvrier de la production. Il assurera la convocation de l’Assemblée constituante. Il assurera à toutes les nations qui peuplent la Russie le droit véritable à disposer d’elles-mêmes. […]»
Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaitre
La quatrième partie, « Prends donc le pouvoir, fils de pute ! » s’attarde sur Pétrograd, le coup d’état de Kornilov et l’ascenssion des bolcheviks :
« Juillet ! Mois terrible pour la révolution. Le vent tourne sur la question de la guerre. A Pétrograd des soldats et des marins […] se mutinent contre le gouvernement provisoire, vite rejoint par des centaines de milliers d’ouvriers. […] Lénine est paralysé par l’indécision. Faut-il renverser le gouvernement ou le laisser s’enliser encore ? […] Les bolcheviks, soupçonnés d’avoir poussé la roue, sont poursuivis pour haute trahison. […] Le général Kornilov […] ordonne aux troupes de marcher sur Pétrograd « pour restaurer l’ordre ». Kerenski aurait pu faire alliance avec lui contre le Soviet, mais fragilisé, il saisit l’opportunité de se refaire une virginité révolutionnaire : il choisit d’armer les bocheviks pour contrer ce complot réactionnaire. […] Le putsh est déjoué. Le prestige des bolcheviks croît. […] « Sans le putsch de Kornilov, il n’y aurai pas eu Lénine », constatera plus tard Kerenski. »
Le gouvernement est ici présenté comme une victime. Il aurait voulu défendre Petrograd d’un général réactionnaire et aurait ainsi fait l’erreur d’accorder sa confiance aux bolcheviks qui, saisissant l’occasion, s’en prennent à ce dernier. La réalité est tout autre.
Déjà, les journées de juillet ne sont pas « terribles pour la révolution ». Elles en sont la continuité. En juin, Kerensky estime qu’une victoire militaire sera suffisante pour redorer le prestige du gouvernement. Face aux massacres incessants, les mutineries se font plus nombreuses. A Pétrograd, les soldats craignent d’être eux aussi envoyés au front. Le mécontentement se fait de plus en plus fort et les travailleurs de Pétrograd se radicalisent à mesures qu’ils réalisent qu’ils perdent le pouvoir. (21)
Le mécontentement ne concerne pas que la guerre. (22) Bien que promise, la journée des 8h ne sera pas inscrite dans la loi. Même les menchéviks et les SR ne soutiennent plus cette revendication. (23) Au fil des semaines, les bolchéviks qui maintiennent à tout prix leur programme de défense des masses, gagnent du soutien. De 20.000 membres en février, ils grimpent à 200.000 début juillet. (24)
À Petrograd en particulier, la conscience révolutionnaire est plus poussée et les masses appelent à terminer la révolution, à dégager le gouvernement et à reprendre le pouvoir avec leurs organes : les soviets. (25) Mais Lénine comprend que le reste du pays n’a pas encore tiré ces leçons. Si Ptrograd s’aventure seule dans la révolution, elle sera durement réprimée, comme ce fut le cas à Paris lors de la Commune de 1871, à St Petersbourg en 1905 ou encore, des années plus tard, à Budapest lors de la révolution hongroise de 1956.
L’article défend ici la même thèse que, notamment, Richard Pipes, historien et conseillé de Ronald Reagan quand il évoque l’indécision de Lénine. Pipes expliquait que Lénine était indéci et pleutre durant les évènements de juin-juillet. (26) Que du contraire. Lénine savait qu’un soulèvement à Pétrograd serait réprimé mais, façe à l’impatience des masses qui n’en peuvent plus de la guerre et de la misère, réclame que les bolchéviks s’impliquent dans les manifestations et soutiennent les travailleurs afin de limiter les dégâts. Et, comme prévu, la répression est violente. Il devra s’exiler à nouveau et Trotsky sera arrêté. Mais cette défaite partielle constitue une des plus importantes leçons pour les masses : les bolchéviks avaient raison de dire que le Gouvernement provisoire constituerait à un certain point un frein pour le mouvement et que les dirigeants réformistes du soviet devraient être remplacés.
Mais ainsi s’exprimait le révolutionnaire italien Antonio Gramsci dans l’entre-deux-guerres (27): « le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » En 1917, le monstre, c’est le général Kornilov. Sur base de cette défaite du mouvement ouvrier, ce dernier est pressé par la bourgeoisie russe de mater la révolution. Il représentait à ce moment les aspirations des classes dirigeantes et est érigé comme un héros par toutes les franges réactionnaires russes. Le gouvernement provisoire étant perçu comme étant trop faible et incapable d’endiguer la révolution, Kornilov entend bien ne pas s’arrêter à une répression ponctuelle du mouvement ouvrier, il veut établir un nouveau gouvernement avec lui-même à sa tête. (28)
Lénine résume alors parfaitement la position à prendre (29): « Dans ces circonstances, un bolchévik doit dire à nos soldats de combattre les troupes contre-révolutionnaires. Ils le feront non pas pour défendre le gouvernement… mais indépendement pour protéger la révolution ».
Les bolcheviks ont appliqué la tactique du Front Unique : façe à un ennemi commun, le Front Unique unifie différent partis ouvriers dans l’action. Il ne s’agit cependant pas d’abandonner sa différence programmatique ou la critique des autres partis du front. Les bolcheviks ont toujours refusé d’entrer dans le gouvernement Kerensky, mais ils ont été les meilleurs combattants contre Kornilov.
La lutte ne fut pas purement militaire. Des agitateurs révolutionnaires sont allés discuter avec les troupes. Ainsi, ce n’est pas Kornilov qui est entré à Petrograd, c’est la révolution qui est entré dans l’armée. Sa tentative de coup d’État s’est littéralement dissoute.
Le constat de Kerensky cité dans l’article sous-entend que le Gouvernement provisoire n’a rien à se reprocher. C’est tout le contraire. Le gouvernement avait volé la gestion de la société aux masses et prétendait agir dans leurs intérêts. Les mencheviks et les SR, dirigeants réformistes des soviets, ont eux aussi appuyé ce discours. C’est en refusant les compromis avec la bourgeoisie que les bolcheviks ont gagné la majorité des travailleurs de Petrograd puis du reste de la Russie.
Octobre 1917 : les bolcheviks prennent le pouvoirs
La cinquième et dernière partie de l’article, « Les poubelles de l’histoire », retourne sur le fameux complot bolchevik.
« Pour Lénine, c’est enfin le moment d’agir. Il revient […] et commence à préparer la prise du pouvoir. Dans la nuit du 24 au 25 octobre, les gardes rouges et les troupes régulières prennent le contrôle des points clefs de la capitale : centrale téléphonique, gares, ministères… Et le lendemain, le palais d’Hiver. […] Lénine ordonne sans attendre la distribution de la terre, engage des négociations de paix avec l’Allemagne, instaure la dictature du prolétariat, supprime la liberté de la presse. Presque incongrue, une dernière élection libre a lieu en novembre […] Le scrutin se transforme en référendum sur la prise de pouvoir. Le résultat ne plait pas trop à Lénine : sur 703 élus, 370 sont SR, seulement 175 sont des bolcheviks. Le nouvelle assemblée se réunit le lendemain. Les anciens alliés socialistes et mencheviks sont poussés vers les « poubelles de l’histoire », pour reprendre la formule de Trotski. La guerre civile a commencé, elle fera 10 millions de morts. »
Effectivement, c’est le moment d’agir. Toute l’Europe a vu a quel point d’un côté le Gouvernement provisoire est faible et isolé et, de l’autre, les soviets (des grandes villes et plus tard dans les campagnes) se rangent derrière les bolchéviks. Attendre, c’est donner à la bourgeoisie une nouvelle occasion de mater la révolution. Comme déjà expliqué, dans les heures qui suivent la prise du palais d’Hiver, le pays progresse plus que sur les siècles précédents en termes de droits démocratiques et de libertés. Ces mesures illustrent que, dorénavant, ce sont les masses qui, au travers des soviets, contrôlent et gèrent la société, les usines, les terres, l’armée, les quartiers…
La « dernière élection libre » de novembre qu’évoque l’article réfère à l’élection de l’assemblée constituante russe (la douma). Pendant des mois, le Gouvernement provisoire refuse d’organiser de telles élections (sous prétexte du contexte de guerre), réalisant que les partis se revendiquant du socialisme (bolcheviks, mencheviks, SR) y remporteraient la majorité absolue. Ceci étant dit, mencheviks et SR n’y étaient pas non plus réellement favorables car ils n’auraient plus été capables d’évoquer la force de la bourgeoisie pour refuser d’assumer le pouvoir que les ouvriers et paysans leur avaient accordé dans les soviets. (30)
En juin, Kerensky alors ministre de la justice, ne peut plus repousser l’échéance et fixe la date des élections au 12 novembre. À ce moment, les illusions que les masses accordent à leurs dirigeants réformistes s’amenuisent à grande vitesse. L’organisation d’élection d’un parlement bourgeois classique s’impose comme le meilleur outil pour tenir la situation en main. C’est d’ailleurs en ouvrant les portes de leur parlement aux élus ouvriers dans les autres pays européens que la bourgeoisie les a assimilé au système capitaliste. Mais entre ces deux dates, la situation va bien changer : journées de juillet, répression, tentative de coup d’État de Kornilov, soutien massif des masses aux bolcheviks et prise du palais d’Hiver.
À première vue, les résultats évoqués dans cette élection peuvent surprendre. Pourquoi les bolcheviks et les “SR de gauche” (scission des SR qui se rallient aux bolcheviks) n’obtiennent qu’une minorité à la douma alors qu’ils sont majoritaires dans les soviets ?
Il faut déjà comprendre que la révolution n’est pas un évènement ponctuel mais un processus. Il existe un réel décalage entre les grandes villes industrielles et les provinces éloignées. La paysannerie de ces régions fait encore confiance en son parti, les SR sans savoir que ce même parti s’oppose à la réforme agraire exigée par sa base. D’ailleurs la situation changera fortement seulement 2 mois plus tard. En janvier 1918, les SR obtiennent moins d’1 % des voies au congrès pan-russe des soviets alors que les bolchéviks obtiennent 61 % des délégués.
Le terme « élections libres » de l’article est mensonger. Fin 1917, l’assemblée constituante est déjà morte. Elle appartient au passé et ne gère plus rien. Au contraire, les soviets des ouvriers et paysans sont immensément plus démocratiques que le parlementarisme bourgeois. La dissolution de l’Assemblée constituante formalise un état de fait : la bourgeoisie n’est plus au pouvoir. En janvier 1918, la grande majorité des ouvriers et paysans se reconnaît dans les soviets et soutient leurs actions. La démocratie ouvrière s’est imposée.
La bourgeoisie n’a jamais accepté d’avoir perdu le pouvoir politique. Aujourd’hui, elle se contente de râler dans les journaux, prétendant que la démocratie a été bafouée. Mais à l’époque, c’est l’option militaire qu’elle a choisi en lançant la guerre civile. D’autres pays l’ont rejointe : Japon, France, Angleterre, Allemagne… (pour un total de 21 armées entre 1917 et 1921) (31). Voilà la prétendue démocratie.
La flamme de la révolution
Avec la révolution néolithique et la révolution française, la révolution russe est un des plus grands évènements dans l’histoire de l’Humanité. Les ouvriers et les paysans russes ont montré leur détermination à ne plus subir la société de classes. Sacrifice, courage, combativité,… : ces éléments se sont retrouvés dans une multitude de luttes depuis lors, dans chaque pays. L’élément-clef en octobre fut l’existence d’un parti révolutionnaire de masse, capable de donner une direction claire au mouvement.
Notes:
(1) édition n 2720-2721 de l’Obs du 22 décembre 2016 au 4 janvier 2017
(2) Marcel Liebman, La révolution russe, 1967, éd Marabout Université, page 305
(3) John Reed, Dix jours qui ébranlèrent le monde, 1919, éd 10/18
(4) Lénine, Les tâches du prolétariat dans la présente révolution, article paru dans le numéro 26 de la Pravda le 7 avril 1917 (article plus connu sous le nom de « Thèses d’avril »)
(5) Marcel Liebman, La révolution russe, 1967, éd Marabout Université, page 309-310
(6) Marcel Liebman, La révolution russe, 1967, éd Marabout Université, page 305
(7) Marcel Liebman, La révolution russe, 1967, éd Marabout Université, page 294-295
(8) Michel Field et jean-Marie Brohm, Jeunesse & révolution, 1975, éd François Maspero, page 56
(9) Léon Trotsky, La révolution trahie, 1936, éd Les Editions de Minuit
(10) Léon Trotsky, Bilan et perspectives, 1905, chapitre 3 « 1789-1848-1905 »
(11) Léon Trotsky, Histoire de la révolution russe, Tome 1 Février, 1930, éd du Seuil, page 201
(12) Jean-Jacques Marie, Lénine 1870-1924, 2004, éd Balland
(13) Léon Trotsky, Histoire de la révolution russe, Tome 1 Février, 1930, éd du Seuil, page 197
(14) Peter Taafe et Hannah Sell, 1917 the year that changed the world, 2007, ed Socialist Books page 3
(15) Lénine, Les taches du prolétariat dans la présente révolution, article paru dans le numéro 26 de la Pravda le 7 avril 1917 (article plus connu sous le nom de « Thèses d’avril »)
(16) Lénine, Lettre sur la tactique,1917, Tome 24 de ses œuvres, page 41
(17) Lénine, Les taches du prolétariat dans la présente révolution, article paru dans le numéro 26 de la Pravda le 7 avril 1917 (article plus connu sous le nom de « Thèses d’avril »)
(18) Russian revolution 1917 – 70th anniversary, Kevin Ramage, Supplément au journal du Marxist Workers’ Tendancy of the ANC, 1987, page 7
(19) Léon Trotsky, Conférence donnée à Copenhage en 1932
(20) Lénine, Deuxième congrès des soviets des députés ouvriers et soldats de Russie, 25-26 octobre 1917, Tome 26 de ses œuvres, page 253
(21) Journal Le Bruxellois du samedi 28 juillet 1917, N. 1016 ed B
(22) Léon Trotsky, Histoire de la révolution russe, Tome 2 Octobre, 1930, éd du Seuil, page 15
(23) Peter Taafe et Hannah Sell, 1917 the year that changed the world, 2007, ed Socialist Books, page 15
(24) Peter Taafe et Hannah Sell, 1917 the year that changed the world, 2007, ed Socialist Books page 17
(25) Russian revolution 1917 – 70th anniversary, Tony Cross, Supplément au journal du Marxist Workers’ Tendancy of the ANC, 1987, page 13
(26) The russian revolution, Richard Pipes, éd Vintage, 1991
(27) Antonio Gramsci, Cahiers de prison, éd Gallimard, page 283
(28) Marcel Liebman, La révolution russe, 1967, éd Marabout Université, page 243
(29) Russian revolution 1917 – 70th anniversary, Rob Sewell, Supplément au journal du Marxist Workers’ Tendancy of the ANC, 1987, page 19
(30) Lénine, Les élections à l’assemblée constituante et la dictature du prolétariat, 1919, Tome 30 de ses œuvres, page 259
(31) Russian revolution 1917 – 70th anniversary, John Pickart, Supplément au journal du Marxist Workers’ Tendancy of the ANC, 1987, page 23 -
La libération des femmes et des LGBT dans la Russie révolutionnaire
Beaucoup de jeunes sont aujourd’hui amenés à se politiser sur la question de l’oppression des femmes et des personnes LGBT+ (Lesbiennes, gays, Bisexuels, Transgenres). Internationalement, les débats sur la manière dont ces discriminations et inégalités peuvent être éradiquées ne manquent pas. Emma Quinn analyse ici l’expérience de la révolution russe et des mesures progressives radicales introduites par les bolcheviques en leur temps. Ces mesures étaient considérées comme faisant partie des premières étapes pour parvenir à la pleine libération de ces deux groupes opprimés.
Par Emma Quinn, Socialist Party (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Irlande)
Aucun autre événement dans l’histoire n’a été davantage déformé par l’idéologie capitaliste que la révolution russe. Quelle qu’en soit la réécriture, le rôle des femmes y est également à peine mentionné, et les mesures acquises les concernant inexistantes.
Le renversement complet du capitalisme et du féodalisme par le Parti bolchevique et la classe ouvrière russe en 1917 a stimulé un changement radical dans la société, chose qui n’a jamais été vue auparavant ou depuis lors. Les bolcheviques ont été en mesure de diriger la prise de pouvoir précisément parce qu’ils représentaient la voix des masses opprimées, des travailleurs, des pauvres et des femmes.
Aujourd’hui, les inégalités et l’oppression économiques n’ont jamais été aussi flagrantes. En 2016, la richesse combinée du pourcent le plus riche de la société a dépassé celle des 99% restants de la population mondiale. Tandis que cette inégalité continue de croître, il en est de même de l’oppression des femmes et de la communauté LGBT à travers le monde, même dans les pays les plus ‘‘développés’’. Il s’agit d’une question déterminante pour la politisation de la jeunesse. Dans ce contexte, il est crucial de tirer les leçons du passé, et il n’en existe pas de plus importantes que celles de la révolution russe.
Les Bolcheviques, tout en soulignant le rôle de la classe ouvrière dans une société en mutation, ont reconnu que les femmes souffraient d’une double oppression qui puisait ses origines dans le capitalisme et le féodalisme. Pour les Bolcheviques, la libération des femmes était un élément essentiel de la lutte pour une société socialiste. Lénine en a d’ailleurs souligné l’importance en 1920 quand il a déclaré que ‘‘le prolétariat ne pourra obtenir la liberté tant qu’il n’aura pas gagné la liberté complète des femmes.’’ [i] Les femmes ont du reste joué divers rôles dirigeants dans le Parti bolchevique au niveau local et national. L’impact décisif de la révolution a transformé la conscience et la vie des femmes de la classe ouvrière comme jamais auparavant.
L’agitation anti-guerre et les femmes bolcheviques
Au cours de la période prérévolutionnaire, les femmes ont joué un rôle important dans la chute du régime tsariste et la victoire des Bolcheviques. Plus que toute autre force politique à l’époque, les Bolcheviques en comprenaient l’importance. Lorsque des dizaines de milliers de femmes sont descendues dans les rues en février 1917, ces évènements devant déclencher la révolution du même nom, leurs revendications portaient sur la justice, la paix et le pain. Ces protestations ont d’ailleurs éclaté lors de la Journée internationale des femmes (le 8 mars, qui tombait en février dans le calendrier alors en vigueur en Russie). Cette journée de lutte pour l’émancipation avait été introduite en Russie par la militante bolchevique Konkordia Samoilova quatre ans à peine auparavant, en 1913. [ii] Les femmes bolcheviques ont joué un rôle clé dans l’organisation de la manifestation. En dépit du harcèlement continu des autorités, elles avaient créé des cercles de travailleuses et de femmes de soldats.
Dès 1914, le Parti bolchévique – y compris ses membres féminins – avait subi une répression sévère en raison de son opposition farouche à la Première guerre mondiale. De nombreux militants avaient été emprisonnés ou exilés. A cela s’ajoutaient encore les brutalités infligées par la guerre elle-même à la classe ouvrière. Cela a poussé les Bolcheviques à lier les commémorations de la Journée internationale des femmes à une manifestation anti-guerre. Le 23 février, la classe ouvrière de Petrograd a déferlé dans les rues avec les femmes à sa tête, en appelant chacun à marcher à ses côtés. Des appels à la fraternisation avaient également été lancés à destination des soldats dans le but de contenir toute éventuelle répression de même que pour leur enjoindre de rallier le mouvement.
La Journée internationale des femmes, 1917
Lors de cette journée, la grève a éclaté dans la majorité des usines. Les femmes étaient d’une humeur particulièrement combattive – non seulement les ouvrières, mais également la masse des femmes qui faisaient la queue pour du pain et du kérosène. Elles ont tenu des réunions politiques, ont pris le contrôle des rues, sont allées au parlement afin de faire valoir leurs revendications et ont stoppé les trams. ‘‘Camarades, sortez !’’, criaient-elles avec enthousiasme. Elles se sont également dirigées vers les usines et ont appelé les travailleurs à les rejoindre. ‘‘Dans l’ensemble, la Journée internationale des femmes fut un énorme succès et a alimenté l’esprit révolutionnaire’’ ont écrit Anna et Mariia Ulianov dans la Pravda, le 5 mars 1917. [ iii ]
Par la suite, les Bolcheviques ont accompagné la radicalisation des femmes au cours de l’été, quand une vague de grèves a éclaté dans le secteur des services (blanchisseuses, domestiques, vendeuses, serveuses,…). Les Bolcheviques étaient au premier plan de la syndicalisation de ces travailleuses. Ceux-ci, en particulier les membres féminins, ont déployé des efforts massifs pour que leurs idées atteignent les travailleuses et les femmes de soldats. Il leur a ainsi été possible de construire une base parmi cette couche fraîchement politisée – malgré les difficultés liées à un sexisme fortement enraciné dans les mentalités, aux tâches domestiques de nombreuses femmes, à l’analphabétisme, etc. Sofia Goncharskaia, une Bolchevique, était par exemple à la tête du syndicat des travailleuses de blanchisserie et a joué un rôle clé dans l’implication de ces dernières. [iv]
Les femmes révolutionnaires avaient également développé des cercles d’étude parmi les grévistes afin de les politiser et de les éduquer. La conscience de classe de toutes ces femmes s’est retrouvée considérablement affirmée. Quand les Bolcheviques ont dirigé la prise de pouvoir par les Soviets et renversé le gouvernement provisoire en octobre, il y avait en réalité bien plus de femmes qui ont envahi le Palais d’Hiver que de femmes qui l’ont défendu, contrairement à ce qui est souvent rapporté (en référence au ‘‘Bataillon de la mort’’ féminin qui a participé à la défense du Palais d’Hiver, NDT).
Les lois les plus progressistes de l’Histoire
Le 17 décembre 1917, sept semaines seulement après la formation du premier Etat ouvrier au monde, le mariage religieux est aboli et le divorce, rendu accessible à tous, est légalisé. Le mois suivant, le code de la famille est incorporé à la Loi. Celui-ci marque l’égalité juridique entre femmes et hommes et abolit ‘‘l’illégitimité’’ des enfants. Notons que les Bolcheviques ont introduit ce code en pleine Première guerre mondiale, alors qu’ils tentaient de prévenir le déclenchement d’une guerre civile, de libérer la paysannerie et de relancer l’industrie et l’économie !
Tout au long des années 1920, le code de la famille a été modifié, et chaque changement était automatiquement accompagné de discussions et débats publics. Dès ses premiers jours, la propagande socialiste russe a plaidé pour l’égalité des femmes, mais la clé de voûte pour les Bolcheviques était d’en finir avec l’asservissement des femmes dans la famille traditionnelle. Avant la révolution, la vie d’une femme était toute tracée et se limitait exclusivement au mariage, à être monogame, à avoir des enfants et à être liée à ‘‘l’éternelle corvée de la cuisine et de la pouponnière”. [v] La qualité de vie des femmes n’était jamais considérée, leur bonheur et leur plaisir n’étaient pas jugés importants. Les Bolcheviques ont immédiatement contesté cela ainsi que le rôle de l’Église orthodoxe russe et du patriarcat.
Inessa Armand, directrice du Zhenotdel (le département des femmes du Secrétariat du Comité central du Parti communiste créé en 1919), a notamment déclaré : ‘‘Aussi longtemps que les anciennes formes de la famille, son organisation et l’éducation des enfants ne sont pas abolies, il sera impossible de détruire l’exploitation et l’esclavage, il sera impossible de construire le socialisme.’’ [vi]
Défier la famille traditionnelle
La révolution a permis en un effort héroïque de supprimer le ‘‘foyer familial’’ comme ultime horizon forcé pour les femmes. Un système de protection sociale a été instauré avec un système de maisons de maternité, de cliniques, d’écoles, de crèches, de jardins d’enfants, de salles à manger sociales, de blanchisseries, etc., tout cela visant à soulager les femmes de leurs corvées traditionnelles. Un congé de maternité payé à la fois avant et après la naissance a été introduit pour les travailleuses, des salles d’allaitement ont été installées sur les lieux de travail pour permettre l’allaitement maternel, des pauses toutes les trois heures pour la nouvelle mère ont également été inscrites dans la législation du travail.
L’avortement a été légalisé en 1920 et a été décrit par Léon Trotsky comme étant l’un des ‘‘droits civils, politiques et culturels les plus importants’’ d’une femme. [vii] L’avortement est ainsi devenu gratuit et disponible à travers l’État. En novembre 1918, la première Conférence panrusse des travailleuses fut organisée par Alexandra Kollontaï et Inessa Armand, avec la participation de plus d’un millier de femmes. Les organisateurs ont rappelé que l’émancipation des femmes allait de pair avec l’édification du socialisme. [viii]
Peu de temps après que ces modifications aient commencé à être apportées, les forces réactionnaires lancèrent une guerre civile sur le pays, déjà éreinté par la Première guerre mondiale. Le Bureau des femmes, ou Zhenotdel, a été créé peu après le début de la guerre avec l’objectif de convaincre les femmes de se politiser et de s’éduquer tout en les informant concernant leurs nouveaux droits. Il a mis en place des classes littéraires, des discussions politiques et des ateliers sur la manière d’organiser des garderies sur les lieux de travail, etc. Les délégués femmes des usines assistaient à des cours de formation gérés par le Bureau qui duraient trois à six mois et retournaient ensuite livrer leurs rapports à leurs collègues.
Le Bureau des femmes a réussi à élever la conscience parmi les masses de travailleuses sur tout un éventail de questions, y compris sur la garde des enfants, le logement et la santé publique. Il a élargi l’horizon de milliers de femmes. En 1922, le nombre de femmes membres du Parti communiste dépassait les 30.000 personnes.
Malgré les pénuries liées à la guerre, l’Armée rouge a fourni au Bureau des femmes un train et l’accès aux chemins de fer, leur permettant de voyager à travers tout le pays pour construire des sections locales du Bureau, bien vite rejointes par des milliers de femmes. De petites et grandes réunions et des cercles de discussion ont permis de débattre spécifiquement des questions touchant les femmes.
Kristina Suvorova, une femme au foyer d’une petite ville du nord du pays, a décrit son ressenti au sujet de ces réunions : ‘‘Nous avons discuté de la liberté et de l’égalité des femmes, d’éviers chauds pour le rinçage des vêtements ; que nous rêvions d’eau courante dans nos appartements (…) Le comité local du parti nous a traitées avec une attention sincère, nous a respectueusement écoutées, nous indiquant délicatement nos erreurs (…) et peu à peu, nous a enseigné la sagesse et la raison. Nous nous sommes senties comme une seule famille heureuse.’’ [ix]
Liberté sexuelle
Tout au long de la période post-révolutionnaire, les Bolcheviques ont assuré qu’il y ait de larges débats sur la sexualité, ce qui représentait un changement total par rapport au régime précédent, et cela alors même qu’ils étaient en train de lutter pour appeler à la révolution socialiste dans d’autres pays. Cette approche découlait de leur philosophie liée à l’auto-émancipation de la classe ouvrière.
Les modifications apportées à la famille et à la structure de la famille ont conduit beaucoup de femmes à changer complètement leur façon d’aborder les relations. En 1921, une enquête de la jeunesse communiste a montré que 21% des hommes et 14% des femmes trouvaient le mariage idéal. 66% des femmes préféraient des relations à long terme basées sur l’amour et 10% privilégiaient des relations avec différents partenaires. En 1918 il y avait 7.000 divorces par rapport à seulement 6.000 mariages à Moscou. Alexandra Kollontaï a défendu ces changements radicaux : ‘‘La vieille famille dans laquelle l’homme était tout et la femme rien, une famille où les femmes n’avaient pas de volonté, de temps et d’argent propres à elles est en train de changer sous nos yeux…’’ [x]
Les Bolcheviques estimaient que les relations devaient être basées sur le choix, la compatibilité personnelle et pas sur la dépendance financière. Ils ont tenté d’ébranler la famille patriarcale traditionnelle en créant notamment des services publics visant à remplacer les tâches domestiques. Cela permettait ainsi que davantage de temps libre soit accordé aux loisirs, ce qu’ils considéraient comme un élément essentiel pour construire le socialisme.
Entre 1917 et 1920, des débats sur la sexualité et les diverses explorations et expériences qui y sont liées ont touché tout le pays. Des centaines de brochures, de magazines et de romans ont été publiés. La radicalisation de la société n’a pas cessé après la révolution. La Pravda a elle aussi imprimé de nombreux articles et lettres débattant de ce sujet.
Les jeunes en particulier ont tenu à explorer leur sexualité, telle que cette jeune femme du nom de Berakova qui écrivit dans l’Étudiant Rouge en 1927 : ‘‘Je sens que nous les filles, bien que nous n’ayons pas encore atteint la pleine égalité avec les hommes, nous avons un sens et une vision. Les Cendrillons se sont toutes évanouies. Nous savons ce que nous voulons d’un homme, et c’est sans aucun souci que beaucoup d’entre nous couchons avec des hommes par attirance consentie et saine. Nous ne sommes pas des objets ou des niaises à qui les hommes devraient faire la cour, nous savons qui nous choisissons et avec qui nous couchons.’’ [Xi]
Ceci a été écrit dans un pays où l’avortement, le divorce et l’homosexualité étaient interdits une dizaine d’années auparavant seulement. La prostitution a été délibérément décriminalisée en 1922 et le proxénétisme interdit. Des cliniques qui traitaient les MST ont fourni aux femmes une éducation sexuelle et des formations professionnelles ont été créées pour ce domaine.
Trotsky décrivait la prostitution comme ‘‘la dégradation extrême de la femme au profit des hommes capables de payer.’’ [xii] Les lois bolcheviques sur les crimes sexuels se distinguaient par leur neutralité de genre et par le rejet de la morale et de son langage culpabilisateur. La loi décrivait le crime sexuel comme ‘‘nuisible à la santé, à la liberté et à la dignité’’ de la victime. Le viol a été défini par la loi comme des ‘‘rapports sexuels non consensuels utilisant la force physique ou psychologique’’. [xiii]
En 1921, la guerre civile était terminée, des millions de vies perdues, les industries détruites. La famine, la faim et la maladie sévissaient. Les ressources réelles de l’État ne correspondaient pas à la vision et aux intentions des révolutionnaires. L’économie vacillait, au bord de l’effondrement. La même année, des mesures radicales ont été exigées et le gouvernement a introduit une nouvelle politique économique (la NEP), qui comprenait un nombre limité de mécanismes de marché dans une tentative de maintenir l’activité économique.
Les Bolcheviques espéraient disposer du soutien de la classe ouvrière internationale par l’intermédiaire d’une autre révolution en Allemagne. L’économie capitaliste allemande était alors centrale et le pays connaissait un mouvement de masse et des frémissements révolutionnaires. La NEP était une tentative de restaurer la production économique dans ce contexte spécifique. Mais elle a davantage abouti à une réduction des services afin de maintenir l’Etat des travailleurs, tout en faisant de l’agitation en faveur d’une diffusion internationale de la révolution.
Compte tenu de la réalité financière, l’État ne pouvait pas se permettre de subvenir aux besoins des enfants et il était courant que les hommes abandonnent les mères. L’État a commencé à émettre des ordonnances de pensions alimentaires pour enfants en faveur des mères célibataires. Des brochures et dépliants ont été imprimés afin que les femmes connaissent leurs droits. Les tribunaux ont été orientés en faveur des femmes et plaçaient les enfants en priorité par rapport à l’intérêt financier des hommes. Un juge a notamment divisé le paiement d’une pension alimentaire en trois parce que la mère s’était retrouvée dans une relation avec trois pères potentiels.
Vie des LGBT transformée
La révolution russe a également changé la vie des personnes LGBT. Sous le tsar, l’homosexualité était interdite. C’était la ‘‘sodomie’’ qui était illégale, le lesbianisme était complètement ignoré, à l’instar de la sexualité des femmes en général. Après la révolution, l’homosexualité a été décriminalisée et toutes les lois homophobes ont été retirées du Code criminel en 1922.
Dans son essai ‘‘Sexe et sexualité en Russie’’, Jason Yanowitz a décrit l’impact de la révolution sur les personnes gays, lesbiennes et transgenres. Des mémoires de survivants montrent que de nombreux gays et lesbiennes ont compris la révolution comme une chance de pouvoir vivre une vie à ‘‘visage découvert’’. Le mariage de personnes de même sexe était légal. Il est difficile d’estimer à quel point cela était répandu car peu de recherches ont été effectuées en la matière, mais au moins un procès en justice a établi sa légalité.
Il y a également eu des cas de personnes qui ont décidé de vivre dans le genre opposé après la révolution. En 1926, il est devenu légal de changer de sexe sur les passeports. Les personnes intersexes et les trans ont reçu des soins médicaux et n’étaient pas diabolisés pour cela. La recherche sur ces questions a été financée par l’État et une autorisation a été accordée pour effectuer des chirurgies de réassignation de genre à la demande de patients. Des personnes ouvertement gays ont été autorisées à servir dans des postes gouvernementaux et publics. Georgy Tchitcherine, par exemple, a été nommé Commissaire du peuple aux Affaires étrangères en 1918. C’était un homme ouvertement gay avec un style extravagant. Il aurait été inconcevable qu’une telle figure puisse obtenir pareil rôle de premier plan dans un État capitaliste à la même époque.
En 1923, le Commissaire de la Santé a mené une délégation à l’Institut pour la science sexuelle à Berlin et a décrit les nouvelles lois autour de l’homosexualité comme étant ‘‘délibérément émancipatrices, largement acceptées dans la société, personne ne cherchant à les abroger.’’ [xiv]
La contre-révolution stalinienne attaque les conquêtes sociales
Après des années de guerre contre les partisans du tsar et les armées impérialistes décidées à briser le nouvel Etat des travailleurs, l’isolement de la révolution s’est fait crucialement sentir. Le contexte de défaites de la révolution allemande et d’autres soulèvements de la classe ouvrière en Europe a posé les conditions pour voir l’arrivée au pouvoir d’une bureaucratie personnifiée par Joseph Staline.
Cela a représenté une contre-révolution politique totale, le dictateur et sa bureaucratie utilisant des mesures autoritaires pour écraser la conscience ouvrière, son activisme et la démocratie dans son entièreté. En utilisant leur pouvoir pour empêcher les victoires du mouvement socialiste à l’étranger, ils ont ainsi consolidé leurs privilèges, ceux d’une bureaucratie au sommet d’une économie planifiée.
Cette contre-révolution s’est non seulement éloignée de la lutte pour le socialisme, une société dont la démocratie bat en son cœur et dans tous les domaines, mais a aussi consciemment attaqué les gains des femmes et des personnes LGBT. Les lois progressistes ont été supprimées. L’homosexualité a été criminalisée de nouveau. La famille patriarcale a été encouragée comme moyen de contrôle social.
Dans la célèbre chanson du mouvement des travailleuses du début du 20e siècle ‘‘Bread and Roses’’, les paroles qui disent que ‘‘la libération des femmes signifie notre libération à tous’’ résument bien la situation. Il était nécessaire pour la bureaucratie de s’en prendre aux conquêtes obtenues par les femmes dans le but de faire régresser la conscience ouvrière et l’activisme dans son ensemble.Une incroyable source d’inspiration
L’arrivée au pouvoir de la bureaucratie, la trahison de la révolution par Staline ainsi que la suppression des gains réalisés ne diminuent en rien l’importance des Bolcheviques et de leur programme. Jamais auparavant les femmes n’avaient connu une telle participation dans la vie politique. Jamais une direction ou force politique n’avait tenté d’obtenir le soutien des femmes ou de la communauté LGBT et de prendre en compte leur qualité de vie et leur bonheur.
Certains des droits acquis par la révolution russe il y a près d’un siècle n’existent toujours pas aujourd’hui. Dans de nombreux pays persiste encore l’interdiction de l’avortement, comme en Irlande, où subsistent de puissants liens entre l’Etat et l’Eglise. La révolution d’Octobre reste un témoignage indéniable et une source d’inspiration. Celle-ci permet de démontrer la connexion inextricable entre la lutte contre toutes les formes d’oppression et la lutte de la classe ouvrière pour une transformation socialiste de la société. Il est incroyable que, par exemple, certains droits des transgenres aient été reconnus en Russie soviétique des décennies avant que le mouvement de libération des femmes et le mouvement gay ne se développent.
La restauration du capitalisme en Russie dans les années ’90 a été désastreuse. Le capitalisme néolibéral a inauguré une ère de déclin rapide des conditions de vie, ce qui, en plus de l’oppression épouvantable de la communauté LGBTQ en Russie, démontre la nature tout à fait réactionnaire du système capitaliste. Le capitalisme en Russie signifie en réalité bien autre chose que le progrès et la démocratie. Et les conquêtes sociales réalisées il y a un siècle par le mouvement marxiste sont un blâme pour le régime réactionnaire de Poutine, l’un des plus dangereux au monde pour les personnes LGBT.
Au printemps 2015, un mouvement d’émancipation a surgi en République irlandaise à l’occasion du référendum sur le mariage homosexuel. Un mouvement similaire s’est également développé en Irlande du Nord. C’est la preuve que la classe ouvrière désire une égalité sociale tout autant qu’économique et est prête à contester l’establishment capitaliste. Les femmes en Irlande ont fait les frais d’un régime d’austérité brutal. Ce sont celles-là même qui ont émergé pour jouer un rôle central dans le référendum, ainsi que dans la lutte contre la taxe sur l’eau dans le Sud.
La classe ouvrière est la force la plus puissante dans la société, et la révolution russe en est un exemple parfait. Ce n’est qu’avec un mouvement de masse des opprimés que l’on pourra mettre un terme à l’inégalité dont sont victimes les femmes, la communauté LGBT et les pauvres. Comme les Bolcheviques l’ont compris auparavant, nous sommes convaincus que le capitalisme ne tout peut simplement pas être vaincu sans l’implication des femmes et en particulier de celles de la classe ouvrière, qui sont au premier plan de la lutte contre la domination de l’élite capitaliste.
Notes
[i] VI Lenin, On the emancipation of Women, Progress Publishers, 1977, Pg 81
[ii] Jane McDermid and Anna Hillyar, Midwives of the Revolution – Female Bolsheviks and Women workers in 1917, UCL Press, 1999, pg 67-68
[iii] Ibid. pg 8
[iv] Ibid. pg 9
[v] VI Lenin, On the emancipation of Women, Progress Publishers, 1977, Pg 83
[vi] Karen M Offen, European Feminism 1700-1950, Standford University Press 2000, Pg 267
[vii] Leon Trotsky, The Revolution Betrayed, Dover Publications 2004, Pg 113
[viii] Barbara Alpern Engel, Women in Russia 1700-2000, Cambridge University Press 2004, pg 143
[ix] Ibid. pg 142
[x] Alexandra Kollontai, Communism and the Family, 1920
[xi] From Jason Yanowitz’s podcast, “Sex and Sexuality in Soviet Russia, http://wearemany.org/a/2013/06/sex-and-sexuality-in-soviet-russia
[xii] Leon Trotsky, The Revolution Betrayed, Dover Publications 2004, Pg 112
[xiii] http://wearemany.org/a/2013/06/sex-and-sexuality-in-soviet-russia
[xiv] Ibid.




