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  • Afrique du Sud : Fondation du Workers and Socialist Party

    La récente fondation du Workers and Socialist party (WASP) est un évènement qui a le potentiel de changer le paysage politique de l’Afrique du Sud tout comme la lutte de Marikana l’a fait au niveau industriel. A la base de cette initiative se trouvent le Democratic Socialist Movement (affilié au Comité pour une Internationale Ouvrière) et des représentants des comités de grève de Bokoni Platinum à Limpopo, Royal Bafokeng and Murray and Roberts à Rustenburg et North West and KDC à Carltonville. Le lancement de ce nouveau parti a eu lieu en dépit de faits apparemment sans rapport, mais qui sont très susceptibles des actes délibérés de sabotage : le retrait de l’autorisation de tenir le meeting au stade de Limpopo quelques heures à peine avant sa tenue, les très dures conditions de libération des dirigeants du comité de grève de la mine de platine de Bokoni et le boycott de l’événement par les médias.

    Communiqué de presse initialement publié le 17 décembre par le Comité Exécutif du DSM, les représentants du comité de grève de la mine de Bokoni, de Harmony Gold, d’Anglo Gold Ashanti, de Royal Bafokeng et de Murray Roberts.

    En dépit de ces difficultés pour cet événement qui devait être un rassemblement et une conférence de presse destinés à annoncer l’intention de lancer un nouveau parti et pour célébrer la libération sous caution des dirigeants du comité de grève de la mine de Bokoni, les représentants qui ont pu être présents après l’annulation du rassemblement n’étaient pas découragés et étaient déterminés. Les participants ont été très inspirés par la lecture de quelques messages de solidarité issus des mines de Harmony Gold, d’Anglo Gold Ashanti ainsi que des organisations sœurs du DSM au Nigeria, au Venezuela, en Chine et ailleurs, y compris de la part de paul Murphy, élu du Socialist Party irlandais au parlement Européen.

    La nécessité d’un parti comme le Workers and Socialist Party a été clairement mis en évidence par les rapports des divers dirigeants de comités de grève au sujet de la situation qui existe dans les mines dans le pays suite à la grève. A Bokoni, un état d’urgence a été imposé et les travailleurs trouvés dans les villages environnants et qui n’étaient pas au travail ont été forcés de se présenter à la mine. A Harmony Gold, les travailleurs ont repris la grève et, ailleurs, le mécontentement couve sous la surface. Le plus grand nombre de revendications pour lesquelles les travailleurs ont fait grève dès le mois d’août, en payant le prix d’une grande perte de revenus et des vies sacrifiées suite au massacre de Marikana, restent insatisfaites.

    La fondation du WASP fut modeste, en présence de 20 délégués seulement, et a concrétisé l’idée d’une alternative basée sur un programme socialiste s’engageant à la nationalisation des secteurs dominantes de l’économie et notamment de l’industrie minière. Le WASP devra considéré comme l’une de ses revendications clé la nationalisation des mines sous la propriété, la gestion et le contrôle direct des travailleurs dans le cadre d’un processus conduisant à la transformation socialiste de la société, seule base sur laquelle une solution durable aux problèmes des mineurs et de la classe ouvrière dans son ensemble peut être trouvée.

    Cet événement est donc la première étape historique dans le processus de lancement d’un parti de masse des travailleurs construit sur les comités de grève, le premier bataillon dans la lutte pour unir les travailleurs des mines, des usines, des fermes, des communautés ainsi que les étudiants en vue de créer une force redoutable, le 21 mars 2013.

    Le WASP devra se distinguer de tous les autres partis politiques par son programme clairement socialiste, son approche de la politique électorale, mais aussi sur le terrain des luttes. Ses représentants publics seront soumis à la révocabilité immédiate et toucheront le même salaire qu’un travailleur. Il devra faire la différence face à l’ANC, où tous les candidats en lice pour la présidence du parti sont engagés dans la préservation de l’asservissement de la classe ouvrière sous le capitalisme – le système dont le WASP est dédié à l’abolition.

    Dans les prochains jours et mois menant à son lancement, le WASP va mobiliser du soutien en sa faveur avec une résolution appelant à la construction du parti, afin de populariser l’idée d’une alternative au sein de formations organisées telles que les syndicats, les organisations communautaires, les mouvements sociaux et les organisations politiques, toutes invitées à adopter cette résolution pour rejoindre le WASP. Le WASP va se battre pour unifier les protestations des services publics, les luttes étudiantes contre les frais de scolarité inabordables et les luttes sur les lieux de travail en général, contre les licenciements et la flexibilité. Dans le cadre de la mobilisation pour le lancement du WASP, ses militants se rendront dans tout le pays afin de récolter un million de signatures en vue de se présenter aux élections de 2014. Le WASP mènera également une campagne pour la révocation de tous les représentants politiques incompétents et corrompus afin de les remplacer par des représentants du WASP – des représentants des travailleurs, au salaire des travailleurs. Le WASP va se lancer de tout son poids dans les campagnes de lutte contre la corruption.

    Une série de rassemblements régionaux sont prévus pour adopter la résolution qui sera la base du programme du WASP, en direction du lancement officiel du parti en mars.

  • L'Afrique peut-elle sauver le capitalisme ?

    L’élite capitaliste cleptomane vit dans l’opulence, mais la croissance ne touche pas les masses laborieuses

    ”Je suis absolument convaincu du fait que l’Afrique représente la prochaine zone pionnière économique mondiale, et je ne suis pas le seul à partager cette conviction” affirmait en avril dernier Johnnie Carson, sous-secrétaire d’Etat américain pour l’Afrique. Il n’est pas le seul à exprimer son optimisme croissant au sujet de l’Afrique. Comme il l’a fait remarquer, les perspectives de croissance de la Banque mondiale pour l’Afrique pour les deux prochaines années se situent entre 5 et 6 %, un taux de croissance au-delà de celui de l’Amérique latine, de l’Asie centrale ou de l’Europe.

    Peluola Adewale, Democratic Socialist Movement (CIO Nigeria)

    Selon les prévisions du FMI pour les cinq années qui suivent 2011, sept pays africains (Éthiopie, Mozambique, Tanzanie, Congo-Kinshasa, Ghana, Zambie et Nigeria) se trouveront dans les top dix des pays à la croissance la plus rapide au monde. Une analyse du magazine The Economist révélait l’an dernier que six pays africains (Angola, Nigeria, Éthiopie, Tchad, Mozambique et Rwanda) se trouvaient dans le top dix des pays qui ont eu la croissance la plus rapide entre 2000 et 2010. De fait, l’Afrique a commencé à attirer des remarques positives de la part des commentateurs capitalistes, surtout depuis le début de la crise économique mondiale.

    Cette crise, qui est la pire crise capitaliste depuis la Grande Dépression des années 1930, a enflammé l’Europe et les États-Unis, poussant apparemment les stratèges capitalistes à aller chercher le succès ailleurs – et ils en auraient trouvé en Afrique.

    Les grands médias capitalistes ont arrêté leur campagne permanente de dénigrement du continent africain, et acclament à présent en grande pompe la moindre tendance “positive”. On peut voir un exemple clair de tout ceci dans les pages de The Economist où l’Afrique s’est métamorphosée, passant de “Continent sans espoir” en mai 2000 à “Continent rempli d’espoir” en décembre 2011.

    Cependant, la plupart des superbes taux de croissance de ces pays reflètent une hausse de la valeur des exportations des matières premières, à la fois en termes de production et en termes de prix, qui est liée à la croissance de la demande mondiale, surtout de la part de la Chine. Par exemple, le prix du pétrole est passé de 20 $ du baril en 1999, à 147 $ en 2008. Ces statistiques, de manière générale, ne reflètent pas une croissance généralisée de l’économie du continent ni de son niveau de vie. De plus, tout ralentissement de l’économie, que ce soit en Occident ou en Chine, aura pour conséquence une baisse brutale de la demande pour les exportations africaines.

    Une grande misère

    Pour la plupart des travailleurs, qui n’ont vu qu’une aggravation de leurs conditions de vie d’année en année, les statistiques économiques impressionnantes qu’on voit apparaitre çà et là sont un grand mystère. En fait, la forte augmentation du prix de la nourriture et du carburant revient à une attaque constante contre le niveau de vie. L’Afrique est aujourd’hui un continent dévasté par une misère de masse, avec un accès très limité aux nécessités vitales de base.

    Par exemple, en Éthiopie – pays qui se trouve justement sur la “liste d’or” –, 90 % de la population a été classée en tant que “pauvre multidimensionnelle” par un rapport du Programme des Nations-Unies pour le développement (Pnud) publié en 2010. La situation au Nigeria, qui est le plus grande producteur de pétrole africain, a également été très correctement décrite par le Pnud. Son représentant dans le pays, M. Daouda Touré, a remarqué que ”Depuis maintenant plus d’une décennie, le Nigeria a connu un taux de croissance élevé permanent, qui n’a pas eu la moindre répercussion sur le plan de l’emploi ni sur celui de la réduction de la pauvreté parmi ses citoyens.” Il ajoute : ”Les statistiques disponibles en ce moment suggèrent que le taux de pauvreté au Nigeria s’est en réalité aggravé entre 2004 et 2010” (The Nation, Lagos, 29 août 2012). Cela n’a que confirmé ce que le statisticien général du Nigeria, M. Yomi Kale, avait dit concernant le ”paradoxe (…) qui fait que malgré le fait que l’économie nigériane est en pleine croissance, la proportion de Nigérians vivant dans la pauvreté ne fait qu’augmenter d’année en année.” (The Guardian, Lagos, 14 février 2012).

    L’Afrique du Sud, qui est la plus grande économie du continent, est aussi le deuxième pays le plus inégalitaire au monde. Cela, malgré la politique du “black economic empowerment” (promotion économique des noirs) menée par le gouvernement ANC dans l’Afrique du Sud post-apartheid.

    En Angola, les deux tiers de la population vivent avec moins d’un euro (656 FCFA) par jour, et seuls 25 % des enfants fréquentent l’école primaire (The Guardian, Londres, 18 novembre 2011). L’Angola est pourtant le pays qui a eu le taux de croissance économique le plus élevé au monde, avant la Chine, dans les années 2000 à 2010. L’Angola représente à l’heure actuelle un paradis économique pour le capitalisme portugais, dont le pays natal se trouve en ce moment sous les feux de la crise de la zone euro. Ce pays nous offre ainsi un exemple classique de migration inversée entre l’Europe et l’Afrique. Non seulement l’Angola abrite aujourd’hui une communauté de 150 000 Portugais chassés par le chômage dans leur pays, mais il a également massivement investi ses pétrodollars au Portugal. La compagnie pétrolière d’État angolaise, la Sonangol, est le principal actionnaire d’une des plus grandes banques du Portugal, la Millenium BCP. En juin 2010, l’ensemble des investissements angolais dans des entreprises portugaises étaient estimés valoir plus de deux milliards d’euros, selon le Financial Times. Et pourtant, on ne trouve quasiment ni électricité ni eau potable dans tout le pays, même dans la capitale Luanda.

    Tout cela est symptomatique de la situation en Afrique, où la croissance économique se reflète uniquement dans l’opulence de l’élite de voleurs capitalistes au pouvoir, et aucunement dans le développement de l’infrastructure ou dans l’amélioration du niveau de vie de la masse de la population.

    Mais les stratèges capitalistes ne sont pas concernés par le sort des travailleurs. Tant qu’il y a des ressources naturelles à exploiter librement pour leurs super-profits, l’Afrique est pour eux tels un lit de roses.

    Comme le rapportait The Guardian de Londres : ”Il y a parmi le monde des affaires de plus en plus de confiance dans le fait que l’Afrique est la destination d’investissements qui donne les plus grands profits au monde” (28 mars 2012). C’est ainsi que la banque d’investissements mondiales Goldman Sachs disait dans un rapport en mars 2012 que : ”L’Afrique est une destination à laquelle les investisseurs doivent réfléchir, pour une croissance sur le long terme (soit on y participe, soit on rate une bonne occasion).”

    Cette course à la super-exploitation de l’Afrique explique pourquoi le continent, avec ses immenses ressources naturelles et ses immenses terres fertiles pour l’agriculture, est dominé par des multinationales et est dirigé sur base d’une politique capitaliste néolibérale qui bénéficie avant tout à l’Occident impérialiste.

    L’absence d’infrastructures de base (ou, quand elle est présente, sa médiocrité) signifie que l’Afrique est toujours en très grande partie dépendante de ses exportations de matières premières, et que le continent dans son ensemble ne compte toujours que pour un ridicule 2 % de la production mondiale.

    Les soi-disant “investisseurs” ne sont surtout intéressées que par les industries d’extraction qui, bien que créant de la croissance, ne créent que très peu d’emplois. Cet échec dans le développement de l’industrie de transformation explique pourquoi l’Afrique, en tant qu’exemple classique de croissance sans emploi, ne peut imiter le rôle de la Chine en tant que moteur du capitalisme mondial, malgré son immense population et son urbanisation croissante. Au contraire, c’est le capitalisme qui garantit le sous-développement du continent.

    Une corruption rampante

    Les souffrances de l’Afrique sont également dues à la corruption caractéristique de ses dirigeants. Il convient cependant bien de souligner le fait que la corruption est loin d’être propre de l’Afrique ou des pays en développement.

    La plupart des ressources qui restent en Afrique, après les pertes dues au commerce inéquitable et au payement de la dette, sont volées par les dirigeants pro-impérialisme corrompus, puis envoyées vers des comptes en banques privés à l’étranger, en Europe ou en Amérique.

    Le capitalisme néolibéral, qui entraine avec lui privatisations et dérégulations, a donné encore plus de marge aux dirigeants africains pour piller le trésor public, puisque ce ne sont plus eux qui sont censés utiliser ces ressources afin de fournir les infrastructures et les services de base.

    Mais face à cette situation, les travailleurs, les jeunes et les pauvres du continent sont loin d’être passifs. L’Afrique a une longue histoire de luttes de masse contre le colonialisme et le racisme. Plus récemment, on a vu apparaitre des luttes contre les régimes pourris et corrompus et pour une vie meilleure, comme on l’a vu après les insurrections de masse, surtout en Afrique du Nord, qui ont chassé au moins trois dictateurs. En janvier 2012, nous avons assisté à la plus grande grève générale et au plus grand mouvement de masse de toute l’histoire du Nigeria, contre la hausse du prix de l’essence. Les mineurs sud-africains, dans leur lutte pour de meilleures conditions de travail et pour un meilleur salaire, ont quasi mis à genoux l’industrie minière. Le secteur des mines compte pour une très grande part de la richesse du pays ; il est aussi un symbole de l’immense inégalité entre travailleurs et patrons.

    Cette lutte des mineurs, dans laquelle le DSM sud-africain joue un rôle dirigeant, a contribué à mettre au-devant de la lutte la revendication pour la nationalisation de l’industrie minière, ainsi que l’idée d’une alternative politique des travailleurs et des pauvres contre l’ANC.

    Les mouvements de masse des travailleurs et de la jeunesse en Europe, et en particulier en Grèce et en Espagne, contre l’austérité et contre les attaques néolibérales sur l’emploi, sur les salaires, sur l’enseignement et sur la santé, vont continuer à élever la conscience des travailleurs en Afrique. Les nouvelles luttes qui vont se développer en Afrique auront pour effet qu’il n’y aura aucun refuge sûr pour le capitalisme dans un monde de crise, et seront une source d’inspiration afin d’intensifier la quête d’une alternative socialiste.

  • La Côte d'Ivoire s'engage sur le chemin de la lutte

    La Côte d’Ivoire, ancien joyau de l’impérialisme français en Afrique de l’Ouest, considéré comme la “locomotive” de toute la sous-région, semble doucement se remettre de la grave crise politique et militaire qui l’a ravagé pendant une dizaine d’années. Cette crise avait vu le territoire partagé entre deux camps adverses de l’élite ivoirienne : d’une part le gouvernement mafieux de Laurent Gbagbo, ancien syndicaliste, qui avait instrumentalisé la soif de changement des jeunes ivoiriens afin de se constituer une grande base de milices semi-fascistes, les “Jeunes Patriotes”, tout en détournant lui-même des sommes considérables directement prélevées sur le dos des planteurs et en accueillant à bras ouvert l’impérialisme et le FMI ; de l’autre, les “Forces nouvelles” qui prétendaient défendre les intérêts des populations du nord du pays, longtemps considérées comme citoyens de seconde zone par ceux du Sud, et poussant devant elles le candidat Alassane Ouattara, dont la candidature à la présidence avait été à plusieurs reprises refusées pour incertitude quant à son “ivoirité”.

    Par Gilles (Hainaut)

    Photo ci-contre : Conférence de presse durant la grève des taxis

    Les élections, longtemps reportées par le camp Gbagbo – qui a ainsi outrepassé sa présidence de cinq ans –, ont finalement été organisées en 2010, menant à un nouveau tour de violences électorales. Les deux candidats avaient en effet chacun obtenu un score quasi identique, d’autant plus que les comptages divergeaient en fonction des institutions et que des irrégularités avaient été observées de part et d’autres. Mais la “communauté internationale” avait fait son choix en la personne d’Alassane. Aucune négociation ne portant de fruits, il a fallu l’intervention de l’ONU pour aller chercher Gbagbo, qui s’était enfermé dans la présidence, et l’expulser du territoire. Mais ne nous leurrons pas : si Gbagbo a attiré sur lui tellement d’opprobre de la part de la “communauté internationale”, ce n’est pas pour avoir menacé leur système. Il n’a rien d’un chantre de l’anti-impérialisme, malgré certains de ses discours, et est bien loin d’un Chavez ou d’un Sankara ! Simplement, l’impérialisme l’a à juste titre perçu comme un individu trop imprévisible pour le poste qu’il occupait, et dont la personnalité instable menaçait les intérêts de leurs investissements dans le pays. Alassane au contraire est un candidat zélé de l’impérialisme : ancien haut cadre du FMI, époux d’une riche colonialiste française, il a déjà fait ses preuves en tant que premier ministre de Côte d’Ivoire, poste créé pour lui en 1990 par le président Félix Houphouët-Boigny qui l’avait chargé d’appliquer les plans d’“ajustement structurel” (austérité) imposés par le FMI.

    Depuis lors, la situation semble s’être bien calmée. Gbagbo croupit aujourd’hui en prison à La Haye au Pays-Bas – son procès auprès de la Cour pénale internationale vient de commencer –, la plupart de ses cadres sont en exil au Ghana ou en Afrique du Nord. Les investisseurs se suivent, dans le sillage des nombreuses visites officielles à l’étranger accomplies par le président. On annonce une croissance de 8 % pour cette année et pour l’an prochain, avec l’objectif de faire de la Côte d’Ivoire un “pays émergent” pour 2020. Il reste cependant des menaces. Beaucoup d’armes demeurent parmi la population. Le nouveau pouvoir a été obligé de composer avec divers chefs de guerre des deux camps, fusionnant les deux armées rivales et accordant des postes bien juteux des deux côtés ; sa sécurité repose donc en partie sur d’anciens ennemis. En outre, pas une semaine ne se passe sans qu’on entende parler d’attaques ici et là : des centrales électriques, des casernes, des prisons seraient visées. Bien que ces attaques soient sporadiques et n’aient jusqu’ici fait quasiment aucun mort, elles jettent un doute sur la stabilité du pays. Cependant, aucune n’ayant été revendiquée, les rumeurs vont bon train sur qui pourrait se trouver à leur tête : une conspiration pro-Gbagbo télécommandée de l’étranger (la frontière avec le Ghana a été temporairement fermée le mois passé à la suite d’une escarmouche, le pouvoir craignant la possibilité d’un regroupement des forces pro-Gbagbo dans ce pays voisin) ? Des anciens militaires pro-Gbagbo déçus de l’attribution de postes par le nouveau pouvoir ? Des militaires pro-Outtara déçus ? Des mercenaires (on sait que les Forces nouvelles ont fait grand usage des “dozos”, confréries de chasseurs traditionnels, qui n’ont eux non plus pas obtenu tout ce qu’ils désiraient) ? De vulgaires bandits ? Ou bien y a-t-il réellement une préparation en vue d’un coup d’État ? Beaucoup de questions restent posées. Mais selon de nombreux rapports, le camp Gbagbo est bel et bien désarmé : la plupart de ses cadres ont été dispersés dans des pays différents, sont sans le sou et vivent de transferts de Western Union en provenance de famille en France, ou bien sont en prison sous étroite surveillance, comme c’est le cas entre autres de la femme de Gbagbo, Simone.

    Et donc, dans ce contexte d’euphorie en bémol, la population, qui pour la plupart n’avait pas véritablement pris part aux combats, relève la tête pour faire l’état des lieux après l’orage. Les bonnes nouvelles se succédant sur le plan économique, tout le monde est confiant dans l’avenir : ne parle-t-on pas de “pluies de milliards” provenant des nombreux contacts de Ouattara à l’étranger ? Pourtant, la reprise tarde un peu. Les grands projets sont reportés à “après les élections” (communales et régionales, en février), les nombreux subsides accordés par l’étranger ne quittent pas le cercle dirigeant ou vont en priorité aux ONG créées par eux (comme la fondation “Children of Africa” de la première dame, Dominique Ouattara). La police continue ses exactions, l’administration est peuplée de gens qui se prennent très au sérieux, la corruption est toujours là, et on ressent partout l’arrogance du nouveau pouvoir. Cette arrogance peut notamment se ressentir avec la nouvelle politique d’“urbanisme” dans tout le pays, qui vise à nettoyer, parfois au bulldozer, les trottoirs des petits commerces pourtant installés là légalement !

    La population, qui était jusqu’ici en attente, soucieuse de ne pas déstabiliser le nouveau gouvernement, commence à grogner et à reprendre le chemin de la lutte des classes. La voie a déjà été ouverte par les enseignants des lycées au printemps dernier, mais cet automne, ce sont les chauffeurs de taxi d’Abidjan et les étudiants qui font beaucoup parler d’eux.

    Le mouvement des chauffeurs de taxi repose surtout sur les jeunes chauffeurs, dont la revendication en ce moment est la fin des rackets policiers, et des contrôles plus sévères sur les taxis clandestins qui nuisent à leurs bénéfices. Il faut savoir que les taxis appartiennent en général à des petits patrons qui prélèvent un montant fixe sur chaque taxi chaque jour, laissant ensuite au chauffeur le soin de payer le carburant utilisé, avant de garder le maigre bénéfice qui reste éventuellement. La grève des taxis à Abidjan est organisée par des meetings de masse des chauffeurs qui se réunissent à la gare routière, en-dehors de toute structure syndicale officielle. Il existe certes un syndicat des taxis, mais celui-ci a dans les faits dégénéré en une mafia qui se contente de prélever des “taxes” sur les autres chauffeurs. Les taxis étant les seuls transports “en commun” réellement disponibles dans la ville, ce mouvement met à chaque journée de grève à l’arrêt l’ensemble de la capitale économique du pays.

    Les étudiants quant à eux sont confrontés à toutes sortes de problèmes graves. Mis à part le fait que le système universitaire dans son ensemble se trouve dans un état déplorable, tant au niveau des salles de classe que des logements étudiants et du nombre d’enseignants, il y a aussi le problème d’arriéré des bourses, qui bien souvent n’ont pas été payées depuis presque un an, et le problème encore plus sérieux de la hausse subite des frais d’inscription à l’université, qui sont passés sans prévenir de 6000 FCFA à 30 000 pour les licences, 60 000 pour les masters et 90 000 pour les doctorats (respectivement 10, 45, 90 et 135 €) ! On veut ainsi faire “participer” les étudiants au cout réel de leur formation. Et tout cela dans une ambiance de chaos complet : vu que plusieurs années d’université ont été perdues à cause de la crise, plusieurs générations d’étudiants se retrouvent contraintes de s’inscrire en même temps, ce qui démultiplie la surpopulation sur le campus, et qui mène à un grand retard au niveau de la reprise des cours, qu’on attend depuis plusieurs mois malgré l’annonce officielle du premier septembre. Des manifestations ont été organisées, directement réprimées par la police à coups de gaz lacrymo et autres joyeusetés. Mais les meetings se poursuivent dans les auditoires avec les diverses organisations syndicales estudiantines.

    Les étudiants ne sont en fait pas les seuls à ne pas reprendre le chemin de la lutte, puisque le corps enseignant est lui aussi en grève, à nouveau pour des raisons d’arriérés salariaux. La rentrée risque d’attendre encore un peu.

    À côté de ça, on voit d’autres mouvements comme les balayeuses de Yamoussoukro en lutte pour récupérer des arriérés salariaux, les employés de l’usine Olhéol de Bouaké, en chômage technique depuis plusieurs mois et qui exigent la reprise du travail et le payement, à nouveau, des arriérés salariaux.

    La population de Côte d’Ivoire n’a aucune tradition révolutionnaire, n’a jamais connu aucun dirigeant historique aux déclarations radicales. Elle a été gâtée par un système clientéliste où tout lui était offert sur simple demande (ou flatterie) auprès de l’échelon supérieur. La conscience a de plus été fortement repoussée en arrière pendant la crise, avec dix années de divisions, de lutte fratricide, d’instabilité, de violence et pendant lesquelles toute l’attention était focalisée sur le grand soap opéra des politiciens, les rumeurs et les intrigues parmi l’élite nationale. Elle a été de plus quasi coupée du monde et des développements politiques à l’échelle régionale. Aujourd’hui cependant, les travailleurs sont à la recherche de solutions. La croissance dont on parle tous les jours est loin de se refléter dans les assiettes, d’autant plus qu’on annonce de nouvelles hausses des prix de l’alimentation au niveau mondial.

    Dans ce contexte, il est crucial que la population de Côte d’Ivoire relève la tête et se remette à jour sur ce qu’il se passe dans les autres pays. Beaucoup d’événements se sont produits depuis l’année passée, à commencer par la révolution en Afrique du Nord, qui a déclenché de gigantesques mouvements de résistance en Europe et en Amérique. La Côte d’Ivoire, sortie de sa propre crise politique, réalise qu’elle se trouve aujourd’hui au beau milieu d’une crise économique et politique de portée mondiale. La reprise du militarisme dans l’océan Pacifique, les menaces de déstabilisation et de guerre au Moyen-Orient, la crise de la zone euro, le ralentissement de la croissance chinoise, sans parler du réchauffement planétaire, ne présagent rien de bon pour l’avenir, malgré toutes les déclarations sur le “nouvel eldorado africain”.

    La crise mondiale a ses répercussions sur le continent africain, tout comme le mouvement des Indignés européens. S’il est vrai que de lourdes menaces pèsent sur la stabilité du Sahel avec la crise malienne, beaucoup de leçons sont par contre à tirer du mouvement “Y en a marre” au Sénégal qui a fait dégager le président Wade en mobilisant la nation tout entière, de la grève générale au Nigeria contre la hausse du prix des carburants, qui a été le plus grand mouvement de masse de toute l’histoire du Nigeria, et de la grève des mineurs en Afrique du Sud, à la suite du massacre de Marikana, qui débouche aujourd’hui sur la décision de mettre sur pied un nouveau parti de masse des travailleurs. D’autres mouvements peuvent encore survenir dans la sous-région, au Burkina par exemple pour faire dégager l’usurpateur Compaoré, ou au Togo contre le président Eyadéma Junior.

    La Côte d’Ivoire peut reprendre son rôle de “locomotive” de la sous-région, plus seulement en termes économiques, mais aussi sur le plan de la lutte sociale. Le peuple de Côte d’Ivoire doit tirer les leçons de toutes ces expériences, et développer une alternative à la misère néolibérale, une alternative unitaire qui regroupe l’ensemble de la population laborieuse, au-delà des clivages communautaires, religieux et ethniques, contre les politiciens blagueurs, contre l’arrogance des patrons colons, contre ce système pourri qu’on cherche à nous imposer, en lien avec la population de toute l’Afrique de l’Ouest. En bref, une alternative socialiste.

  • Révolution & socialisme. Un autre monde est possible – Lequel et comment y parvenir ?

    Les révolutions qui ont fait chuter les dictateurs Ben Ali et Moubarak ont été un véritable tremblement de terre idéologique. Ainsi donc, révolutions et irruptions des masses sur le devant de la scène politique n’avaient pas sombré avec le vingtième siècle ! Ces admirables mobilisations ont suscité un extraordinaire enthousiasme aux quatre coins du globe, non seulement parmi les militants révolutionnaires, mais plus largement aussi, parmi ces millions d’opprimés et d’exploités aux prises avec les terribles conséquences de la crise du système capitaliste et qui, jusque là, n’avaient pas encore rejoint le camp de la lutte.

    Dossier par Nicolas Croes

    A partir du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord, le souffle de la révolte des masses a déferlé sur le monde avec le mouvement des Indignés, le mouvement Occupy Wall Street, l’explosion de grèves générales historiques dans des pays aussi divers que le Nigeria ou l’Inde, le ‘‘printemps érable’’ québecquois,… Tous ces gens ont découvert l’incommensurable force qui est la leur une fois leur colère collectivement exprimée. La question essentielle est toutefois celle-ci: comment, à partir de là, transformer la contestation de masse en une énergie capable de renverser ce système haï ?

    Pendant toute une période, cette question a été étouffée par l’offensive idéologique de la classe dominante. L’effondrement du stalinisme avait été saisi pour dire qu’aucune alternative au capitalisme n’était viable. C’était la ‘‘fin de l’Histoire’’, pour reprendre l’expression du philosophe américain Francis Fukuyama. Mais la réalité est plus forte que la propagande et, aujourd’hui, même les partisans les plus acharnés du capitalisme ne parviennent pas à cacher qu’ils n’ont aucune réelle solution capable de restaurer la stabilité du système. Face à cette faillite systémique, tout tourne pour eux autour de l’austérité (teintée ou non d’un soupçon de rhétorique de croissance), un peu à la manière de ces médecins des temps jadis qui avaient pour remède universel de saigner leurs patients, parfois jusqu’à la mort. De la même manière, combien d’économies ne succombent-elles pas actuellement sous les coups des ‘‘remèdes’’ imposés par la dictature des marchés ? Nulle part la cure d’austérité, à plus ou moins forte dose, n’a conduit à une sérieuse convalescence économique.

    Fort heureusement pour le bien de l’humanité, la médecine a progressé et a tourné le dos à la pratique destructrice de la saignée. Le reste de la société doit suivre cette voie, et baser sa gestion des ressources sur une méthode rationnelle, diamétralement opposée au dogme de la ‘‘main invisible automatiquement régulatrice’’ des marchés, dont les extrêmes limites ont dramatiquement été dévoilées par la crise économique.

    Reprendre le contrôle de l’économie

    Fondamentalement, la solution réside dans la collectivisation démocratique des moyens de production. Impossible d’obtenir une démocratie réelle en Afrique du Nord et au Moyen Orient sans retirer les leviers économiques des mains de ceux à qui bénéficiaient les dictatures de Ben Ali et de Moubarak. Impossible aussi d’éviter le naufrage des conditions de vie de la population tant que les pertes des banques, des spéculateurs et des grands actionnaires sont épongées par les ressources de la collectivité. Impossible toujours, dans un registre tout récemment remis à la une de l’actualité avec le sommet RIO+20 (20 ans après le sommet de la Terre de Rio), de sortir de la destruction systémique de l’environnement tant que la soif de profit constitue l’alpha et l’oméga de l’extraction des ressources naturelles et de leur utilisation.

    Si les secteurs-clés de l’économie étaient placés sous contrôle démocratique de la collectivité, il serait possible de démocratiquement planifier l’activité économique. Ainsi, une véritable guerre pourrait être menée contre la pauvreté et pour l’élévation de l’humanité au niveau que permettrait la technique actuelle libérée de la camisole de force de l’économie de marché et de concurrence. C’est cela que nous appelons le socialisme. Actuellement, l’énergie créatrice de millions de personnes est gâchée par le chômage et la misère alors que les nécessités sociales sont gigantesques. Hôpitaux, écoles, logements sociaux, transport en commun et autres besoins de base manquent ou sont même détruits par les réductions budgétaires, tandis que des sommes faramineuses dorment sur des comptes, les capitalistes craignant comme la peste de ne pas pouvoir faire suffisamment de profit en les investissant. Une force sociale est capable de s’approprier ces moyens : la classe des travailleurs.

    La classe ouvrière n’a pas disparu

    Le terme suscite de grandes controverses. Pour certains, la population des pays capitalistes avancés est essentiellement composée de consommateurs, la vieille classe ouvrière aurait été annihilée et avec elle ses possibilités. C’est faux. La classe ouvrière, une catégorie sociale forcée de vendre sa force de travail puisqu’elle ne dispose pas de la propriété des moyens de production, constitue aujourd’hui une force sociale de centaines de millions de personnes. En ce 21e siècle, elle est plus puissante qu’elle ne l’a jamais été, et plus dans les pays dits développés seulement. C’est ce qu’ont illustré la grève générale de janvier au Nigeria et les deux grèves générales quasiment continentales qu’a connu l’Inde en cette première moitié de 2012.

    En fait, le potentiel de la classe ouvrière n’a cessé d’être révélé ces derniers mois. Le rôle joué par l’OTAN et l’impérialisme dans la chute de Kadhafi ne peut pas occulter le soulèvement de Benghazi. Mais l’impérialisme occidental craignait surtout la contagion dans la région des exemples tunisiens et égyptiens, où la classe ouvrière avait joué un dangereux rôle indépendant en bloquant l’économie entière. Ce n’est aucunement un hasard si Ben Ali et Moubarak ont quitté le pouvoir qu’ils occupaient depuis plusieurs décennies le jour de grèves générales. Pas de hasard non plus dans le silence des médias traditionnels, eux aussi sous l’étroit contrôle du capital, à ce sujet. D’autre part, en Belgique et ailleurs, les travailleurs ont pu se rendre compte que la hargne des médias dominants ne s’étale jamais si fortement que lorsque les ‘‘syndicats dépassés’’ composés de ‘‘grévistes preneurs d’otages’’ partent en action ‘’irresponsable’’ contre ‘’l’intérêt économique du pays’’. C’est en soi également une très bonne indication de là où se trouve la grande peur de la classe dominante.

    Le danger de l’électoralisme

    Récemment, en Grèce ainsi qu’en France (bien que dans une moindre mesure), nous avons pu voir cette résistance s’exprimer également par le biais des urnes, ce qui est une source d’encouragement. Cela rend d’autant plus crucial d’accorder une attention particulière à la relation entre les luttes concrètes, surtout syndicales, et les élections. Au début du vingtième siècle, le militant socialiste allemand Karl Kautsky soutenait que la clé de la stratégie à adopter pour renverser le capitalisme était une “accumulation passive” de forces basée sur une non-participation gouvernementale jusqu’à atteindre la majorité électorale et pouvoir ainsi gouverner seul. Les élections sont un moyen à utiliser pour faire entendre la voix d’une alternative politique, mais cette optique unilatéralement électorale – qui a déchaîné les critiques des révolutionnaires socialistes (notamment de Lénine) mais a été à la base de l’action de la social-démocratie – fut un échec tout au long du vingtième siècle. Des éléments de cette analyse persistent toutefois parmi ceux qui considèrent comme essentiel de se concentrer uniquement sur la construction d’une force électorale.

    En Égypte et en Tunisie, nombreux ont été les militants, y compris parmi la gauche dite révolutionnaire, qui ont désigné la voie électorale comme la manière de poursuivre le combat entamé avec les débuts des révolutions. Le temps laissé à leur organisation a offert un espace à la contre-révolution pour se réorganiser et a permis à une couche de la population d’être gagnée par la lassitude face au désordre social, politique et économique. Cela, les réactionnaires ont bien compris qu’ils pouvaient l’instrumentaliser. Pourtant, au moment de la chute des dictateurs, des éléments de double pouvoir étaient présents dans la situation. En Égypte, de grandes divisions étaient également apparues parmi les Frères Musulmans, sur base de contradictions sociales entre une direction définitivement pro-capitaliste et une base touchée par les revendications sociales hardies portées par le mouvement révolutionnaire.

    Des comités de quartiers et de défense s’étaient organisés dans le cadre de la lutte, tout comme des comités de grève et des comités d’entreprise qui ont même été placés devant le contrôle de sites désertés par les patrons liés aux dictateurs. Sur base de ces assemblées de travailleurs et de jeunes et de la méthode de la grève générale, il était possible de commencer à poser la question d’une autre société, avec une activité politique et une production démocratiquement gérée par des comités de base coordonnés entre eux, avec l’élection de représentants révocables à tout moment et ne disposant pas de privilèges. Un tel système est à l’opposé de la sanglante caricature de socialisme que fut le stalinisme.

    C’est en ce sens que la gauche aurait dû orienter ses efforts, avec audace et confiance envers les capacités révolutionnaires des masses. Trotsky, un révolutionnaire marxiste qui fut l’un des dirigeants de la révolution russe, a souligné dans son ouvrage consacré à cette révolution que ‘‘plus le prolétariat agit résolument et avec assurance, et plus il a la possibilité d’entraîner les couches intermédiaires, plus la couche dominante est isolée, plus sa démoralisation s’accentue ; et en revanche, la désagrégation des couches dirigeantes apporte de l’eau au moulin de la classe révolutionnaire.’’ Hélas, c’est une certaine timidité qui l’a provisoirement emporté, héritée des années de dictature et du poids de la pensée unique néolibérale consécutive à la chute du Mur de Berlin.

    Des partis de lutte

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    Le programme de transition

    Aujourd’hui, la compréhension des tâches exigées par la situation de crise économique (la “conscience politique” de la classe des travailleurs) est en retard sur cette situation objective. Cela s’est déjà présenté et c’est à cet effet que Trotsky avait élaboré le Programme de transition, en tant qu’aide pour que les révolutionnaires touchent d’abord les couches de la classe ouvrière les plus politiquement avancées, puis les masses de travailleurs par la suite.

    Dans ce texte écrit en 1938 en prévision de la Seconde Guerre Mondiale, on peut notamment lire que ‘‘Le chômage croissant à son tour approfondit la crise financière de l’État et affaiblit davantage le système monétaire instable’’. N’est-ce pas là une description presque parfaite de la crise qui se développe actuellement autour de la soi-disant “dette souveraine” ? Cela illustre l’extraordinaire actualité de ce texte.

    Le fossé entre la situation objective qui ne fait qu’empirer et la conscience de la classe ouvrière va se refermer au cours de la prochaine période. Les événements vont dans ce sens. Au bord du gouffre, la masse des travailleurs va se retourner contre le système capitaliste, parfois sans une idée claire de ce qui pourrait être mis à la place. La route vers une conscience socialiste et révolutionnaire peut cependant être considérablement raccourcie si la classe ouvrière devait s’approprier la méthode transitoire et un programme transitoire qui lie les luttes quotidiennes à l’idée du socialisme.

    Ainsi, concernant la lutte contre le chômage, le programme de transition développe la revendication de la répartition du temps de travail nécessaire en fonction des forces disponibles, avec embauches compensatoires et sans perte de salaire. Cette approche somme toute des plus logiques remet en fait puissamment en question le contrôle de l’embauche et, in fine, de la production par les capitalistes. Liée aux autres revendications du Programme de transition, notamment la nationalisation des monopoles, elle pose directement la question du contrôle et de la gestion des principaux leviers économiques par les travailleurs eux-mêmes.

    Les adversaires du marxisme dépeignent les revendications transitoires comme étant “impossibles”, “utopiques”, “irréalistes”, etc. Trotsky a précisé à ce titre : “La “possibilité” ou l’ “impossibilité” de réaliser les revendications est, dans le cas présent, une question de rapport des forces, qui ne peut être résolue que par la lutte.’’ Allant un peu plus loin, il a ajouté que : “Les révolutionnaires considèrent toujours que les réformes et acquisitions ne sont qu’un sous-produit de la lutte révolutionnaire. Si nous disons que nous n’allons demander que ce qu’ils peuvent donner […] alors la classe dirigeante ne donnera qu’un dixième ou rien de ce que nous demandons. Le plus étendu et le plus militant sera l’esprit des travailleurs, le plus sera revendiqué et remporté.’’
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    Même si la pression vers la tenue d’assemblées constituantes sur le modèle parlementaire bourgeois était trop forte, une agitation conséquente sur ce thème de la prise du pouvoir économique et politique aurait trouvé un écho et un soutien conséquents sur lesquels un puissant outil politique aurait pu être développé. Car il reste bel et bien nécessaire pour les luttes de disposer d’un prolongement politique. Nous ne parlons pas ici d’un ramassis de politiciens, mais bien d’un instrument de combat social visant à organiser le plus grand nombre vers un même objectif. Trotsky, toujours dans son Histoire de la révolution russe, disait que ‘‘Sans organisation dirigeante, l’énergie des masses se volatiliserait comme de la vapeur non enfermée dans un cylindre à piston. Cependant le mouvement ne vient ni du cylindre ni du piston, mais de la vapeur.’’

    La tâche cruciale aujourd’hui pour ceux qui aspirent à un changement de société fondamental est de construire de tels partis révolutionnaires, avec un programme qui lie les attentes quotidiennes du plus grand nombre à la lutte pour une société réellement socialiste, basée sur la propriété collective des moyens de production. Cette approche ne saurait pas directement être saisie à une échelle de masse et des partis révolutionnaires comme les sections du Comité pour une Internationale Ouvrière à travers le monde auront encore à argumenter en défense de ce point de vue avec acharnement. Mais la nécessité de s’organiser s’impose d’elle-même, de nouvelles formations politiques de gauche se développent, et elles constituent autant de laboratoires idéologiques pour les militants politiques, des lieux où les révolutionnaires peuvent participer au débat et à l’analyse de l’expérience concrète du combat politique.

    En Grèce, Syriza a démontré que de telles formations larges peuvent rapidement évoluer sous la pression des évènements. Même si le programme de cette coalition de la gauche radicale comporte encore selon nous de nombreuses faiblesses, son évolution vers la gauche a été réelle ces derniers mois. Cela peut se poursuivre pour autant que le débat démocratique soit plus favorisé en son sein, afin que l’expérience et les discussions des militants de la base puissent s’épanouir et être réellement reflétées dans la politique du parti. Il est également crucial que l’activité de celui-ci soit orientée vers les luttes et qu’elle ne considère pas l’activité électorale comme le moyen unique d’assurer l’arrivée d’une autre société.

    Le début d’une nouvelle ère

    Le développement de la situation actuelle n’est pas linéaire, la révolution y est à l’œuvre de même que la contre-révolution. Mais les bases matérielles qui poussent à la lutte pour un changement de société restent présentes. En Égypte, lors du premier tour des élections présidentielles, le candidat le plus identifié aux idéaux de la révolution du 25 janvier 2011 a obtenu 22%, à peine 2 et 3% derrière le candidat des Frères Musulmans et celui de l’armée et sans disposer de leurs solides réseaux. De plus, les Frères Musulmans avaient perdu près de 20% des voix qu’ils avaient obtenues aux élections législatives de janvier 2012. Cela illustre, en plus du développement de nouvelles structures syndicales et des grèves, le développement de la révolution vers le reversement du système économique qui soutenait la dictature. Mais l’armée est décidée à garder son pouvoir, raison pour laquelle elle avait sacrifié Moubarak en espérant ainsi freiner la colère des masses.

    Lénine disait notamment qu’une situation révolutionnaire pouvait s’épanouir quand ‘’ceux d’en bas ne veulent plus être gouvernés comme avant, et quand ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner comme avant’’. Il ajoutait : ‘’La révolution ne surgit pas de toute situation révolutionnaire, mais seulement dans le cas où, à tous les changements objectifs énumérés vient s’ajouter un changement subjectif, à savoir la capacité pour la classe révolutionnaire de mener des actions assez vigoureuses pour briser complètement l’ancien gouvernement qui ne tombera jamais, même à une époque de crise, si on ne le fait choir’’.

    Aujourd’hui, si le poids des années ‘90 est certes encore très grand en termes de recul de la conscience des masses et de faiblesse au niveau des organisations de luttes politiques et syndicales des travailleurs (notamment en raison du rôle joué par des directions syndicales qui ne croient pas en un changement de système), l’évolution peut être rapide. La sévérité de la crise économique fait tomber les masques et les occasions de construire un outil révolutionnaire de masse seront nombreuses.

  • Grèce : Révolution et contre-révolution sur fond de crise croissante de la zone euro

    C’est véritablement un séisme politique qui a pris place le 6 mai dernier en Grèce. Ces élections constituent un signe avant-coureur de bouleversements politiques et sociaux plus intenses encore. Partout à travers l’Europe, les travailleurs et leurs organisations doivent être solidaires de la population grecque et s’opposer résolument aux diktats de la troïka (Union Européenne, Fonds Monétaire International, Banque Centrale Européenne). Cette solidarité passe aussi par la lutte contre les attaques des divers gouvernements partout en Europe.

    Résumé d’un dossier de Tony Saunois (CIO) et d’Andros Payiatos, Xekinima (CIO-Grèce)

    Suite à l’impossibilité de former un gouvernement, de nouvelles élections doivent se tenir le 17 juin. Cette paralysie est une expression des chocs violents dont a été victime la société grecque dans le cadre d’un processus de révolution et de contre-révolution. Le prestigieux Financial Times a ainsi mis en garde: ‘‘Il peut y avoir des émeutes et des pillages. Un coup d’État ou une guerre civile sont possibles’’ (édition du 18 mai).

    Alexis Tsipras (Syriza): “Une guerre entre le peuple et le capitalisme”

    Syriza (‘Coalition de la Gauche Radicale’) est sortie grand vainqueur du scrutin en passant de 4,6% à 16,78%, de quoi donner espoir à de nombreux travailleurs et militants de gauche en Grèce et ailleurs. La classe dirigeante est terrifiée face à cette large contestation de la Troïka et de l’austérité.

    Les conservateurs de la Nouvelle Démocratie (ND) et les sociaux-démocrates du PASOK se sont systématiquement agenouillés devant les diktats de la Troïka, assurant ainsi que le pays soit littéralement occupé par les grandes banques, la Banque Centrale Européenne, le Fonds Monétaire International et l’Union Européenne. Le 6 mai, le peuple grec a riposté par une claque monumentale envoyée à ces deux pantins de l’Europe du capital. Alors qu’ils obtenaient généralement 75% à 85% ensemble, ils n’ont maintenant recueilli que 32,02% (18,85 pour la ND et 13,18% pour le PASOK).

    D’ici aux élections du 17 juin, Syriza peut encore renforcer son soutien électoral. La coalition de gauche radicale sera-t-elle à la hauteur des espoirs placés en elle? Selon nous, ce n’est possible qu’avec un programme socialiste révolutionnaire, un programme de rupture avec le capitalisme. Toute recherche de solutions au sein du système actuel est vaine.

    Si la gauche est mise en échec, l’extrême droite pourrait se saisir du vide politique. Nous avons d’ailleurs assisté le 6 mai à l’émergence du parti néo-fasciste ‘‘Aube Dorée’’ qui a obtenu 6,97% et 21 élus. Depuis lors, ces néonazis ont chuté dans les sondages, mais l’avertissement est sérieux.

    Un niveau de vie attaqué à la tronçonneuse

    Le Produit Intérieur Brut grec a chuté de 20% depuis 2008, cet effondrement économique réduisant à néant la vie de millions de personnes. Dans les services publics, les salaires ont chuté de 40%. L’église estime que 250.000 personnes font quotidiennement appel aux soupes populaires. Dans les hôpitaux (où le nombre de lits a diminué de moitié), les patients doivent dorénavant payer à l’avance pour bénéficier d’un traitement. Un hôpital a même gardé un nouveau-né jusqu’à ce que sa mère puisse payer la facture de l’accouchement. Des milliers d’écoles ont aussi été fermées.

    La classe moyenne est détruite. Le nombre de sans abri a explosé et ils font la file aux côté de leurs frères d’infortunes immigrés pour recevoir un peu de nourriture et pouvoir intégrer un abri dans ces sortes de camps de réfugiés qui constituent la version européenne des bidonvilles. Le chômage frappe 21% de la population active et 51% de la jeunesse tandis que les centaines de milliers d’immigrés sont agressés sans relâche par l’extrême droite. La gauche doit riposter avec un programme de mesures d’urgence.

    Les travailleurs contre-attaquent

    Sous la pression de la base, au moins 17 grèves générales ont été organisées en deux ans, dont trois de 48 heures, sans que les attaques antisociales ne cessent. Mais un certain désespoir se développe puisque la lutte n’a pas remporté d’avancées. Le désespoir a poussé des dizaines de milliers de personnes à fuir à l’étranger. Environ 30.000 immigrés clandestins grecs sont en Australie, certains sont même partis au Nigeria ou au Kazakhstan. D’autres ont choisi une fuite plus tragique : le taux de suicide grec est aujourd’hui le plus élevé d’Europe.

    Cette situation n’est pas sans rappeler la dépression américaine des années ‘30. La haine et la colère sont telles à l’encontre de l’élite grecque et de ses politiciens qu’ils ne sont plus en sécurité en rue ou au restaurant. Les riches cachent leur argent en Suisse ou dans d’autres pays européens, tandis que la majorité de la population bascule à gauche du fait des conséquences de la crise.

    Syriza refuse une coalition avec le PASOK et la ND

    Syriza a déclaré que le PASOK et la ND voulaient qu’elle se rende complice d’un crime en participant au gouvernement avec eux. Alexis Tsipras a proposé de constituer un bloc de gauche avec le Parti communiste grec (KKE) et la Gauche démocratique (une scission de SYRIZA) pour mener une politique de gauche.

    Le dirigeant de Syriza, Alexis Tsipras, appelle à l’abolition des mesures d’austérité et des lois qui ont mis fin aux conventions collectives de travail et ont plafonné le salaire minimum à 490 euros par mois. Il a exigé une enquête publique concernant la dette de l’Etat et, dans l’intervalle, un moratoire sur le remboursement des dettes.

    Ce programme est insuffisant face à la profondeur de la crise, mais il représente un bon point de départ afin de renforcer la lutte contre l’austérité et le débat sur un véritable programme de rupture avec le capitalisme.

    De son côté, la direction du KKE a refusé de rencontrer Tsipras. Le parti communiste s’enfonce dans son approche sectaire, à l’opposé du mouvement ouvrier, et il le paye dans les sondages. Xekinima, la section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière, plaide pour la création d’un front de gauche depuis longtemps. Si cet appel reçu un accueil plutôt hostile dans un premier temps, il a ensuite progressivement bénéficié de plus de soutien pour finalement être repris par Alexis Tsipras et Syriza.

    Une liste unitaire serait sortie première des élections du 6 mai, et aurait de ce fait reçu le bonus de 50 sièges supplémentaires accordés au plus grand parti selon la législation électorale grecque. Même si cela n’avait pas été suffisant pour obtenir une majorité parlementaire, cela aurait offert une place encore plus centrale à la gauche pour la deuxième élection de juin et pour la campagne concernant cette perspective très réaliste d’un véritable gouvernement de gauche.

    Mais le KKE a refusé et reste sur le banc de touche. Pourtant, en 1989, ce parti n’a eu aucune réticence à entrer en coalition avec… les conservateurs de la Nouvelle Démocratie ! La secrétaire générale du KKE, Aleka Papriga, se réfère maintenant à cette expérience pour justifier son refus d’un front de gauche, comme si un front unitaire basé sur la lutte contre l’austérité pouvait être mis sur le même pied qu’un gouvernement pro-capitaliste avec les conservateurs ! Malheureusement, d’autres formations de gauche ont également adopté une attitude négative sur cette question, particulièrement Antarsya (une alliance anticapitaliste).

    Tant le KKE qu’Antarsya sont maintenant sous la pression de leurs bases. Une partie de la base d’Antarsya appelle publiquement à la constitution d’un front avec Syriza, mais la majorité de la direction reste obstinément sur sa position, au mépris du prix à payer. En 2010, cette alliance avait encore réalisé 2% aux élections communales, contre 1,2% en mai, et cela pourrait encore diminuer. De son côté, le KKE a à peine progressé aux élections en mai et les sondages parlent d’une chute de 8,5% à 4,4% pour le 17 juin.

    Tsipras a menacé de ne pas rembourser entièrement les dettes du gouvernement, d’économiser sur les dépenses militaires et de lutter contre le gaspillage, la corruption et l’évasion fiscale des riches. Il exige un contrôle public du système bancaire, et appelle même parfois à la nationalisation. Il s’est encore prononcé pour un New Deal, à l’instar de celui que Roosevelt avait mis en avant pour les États-Unis dans les années ‘30. Syriza a donc pour programme un ensemble de réformes qui ne rompent pas avec le capitalisme, mais c’est tout de même un début. Pour nous, un programme d’urgence de travaux publics doit être lancé, lié à la nationalisation des banques et des secteurs clés de l’économie, sur base d’une planification démocratique et socialiste de la société.

    Le programme de Syriza a ses limites, mais il a le mérite d’être clairement opposé à l’austérité. Syriza refuse d’ailleurs de participer à toute coalition gouvernementale destinée à appliquer des mesures antisociales. Cette approche peut pousser la formation au-delà des 20% dans les sondages, jusqu’à 28%. Cette rapide croissance de soutien illustre le potentiel électoral pour les formations de gauche lorsque les conditions objectives sont réunies et qu’elles adoptent un profil clair.

    Le refus de Syriza de collaborer à une coalition bourgeoise change radicalement de la position d’autres forces de gauche par le passé. En Italie, la position du Parti de la Refondation Communiste (PRC) a été très sérieusement affaiblie par sa participation à des coalitions locales. En Espagne, récemment, Izquierda Unida (Gauche Unie) est entré en coalition avec les sociaux-démocrates du PSOE en Andalousie, ce qui peut menacer son soutien parmi la population.

    L’Union Européenne et l’euro

    Les partis capitalistes et la Troïka tentent désespérément de renverser cette situation, et font campagne en disant que ces élections sont en fait un référendum sur l’adhésion à la zone euro. Tous leurs efforts visent à présenter la résistance à l’austérité comme la porte de sortie hors de l’eurozone et de l’Union européenne.

    Sur ce point, la position de Syriza est trop faible, bien qu’il s’agisse de l’expression d’un sentiment largement répandu dans la population. Selon un sondage, cette dernière est à 79% opposée à quitter l’euro. Les craintes de ce qui se passerait ensuite sont compréhensibles; un isolement de l’économie grecque, relativement petite, pourrait ramener les conditions sociales au niveau des années 1950 et 1960 et l’inflation au niveau élevé des années 1970 et 1980. Syriza et la gauche doivent faire face à ces craintes et expliquer quelle est leur alternative.

    Tsipras parie sur le fait que la Grèce ne sera pas éjectée de l’eurozone en raison des conséquences que cela entraînerait pour le reste de l’Europe. Cela n’est toutefois pas certain, même s’il est vrai qu’une partie des classes dirigeantes européennes a peur de ce cas de figure et des perspectives pour l’euro si l’Espagne et d’autres pays sont aussi poussés vers la sortie.

    De l’autre côté, les classes dirigeantes d’Allemagne et d’autres pays craignent que de trop grandes concessions pour préserver la Grèce dans l’eurozone ne soient un précédent dont se pourraient ensuite se servir l’Espagne, l’Italie, le Portugal, l’Irlande,… Le ‘Centre for Economic and Business Research’ a déjà indiqué que la fin de l’euro sous sa forme actuelle est une certitude.

    Syriza se trompe en pensant que le rejet de l’austérité peut être combiné à l’eurozone. La zone euro est une camisole de force économique que les grandes puissances capitalistes et les grandes entreprises utilisent afin d’imposer leur politique. Syriza se doit de formuler une réponse claire face à la probabilité qu’un gouvernement de gauche soit expulsé de la zone. D’ailleurs, on ne peut pas non plus exclure qu’un gouvernement décidé à accepter l’austérité soit tout de même confronté à ce scénario de sortie.

    Si de nombreux Grecs craignent cette perspective, cela ne signifie pas qu’ils sont prêts à accepter n’importe quoi. Si une Grèce dirigée par un gouvernement de gauche est poussée hors de l’eurozone, elle devra immédiatement institué un contrôle public sur le capital et le crédit afin d’éviter toute fuite des capitaux. Les institutions financières et les autres grandes entreprises devront immédiatement être nationalisées et le remboursement de la dette publique aux banques et aux institutions financières suspendu. Le gouvernement devra rendre public les livres de compte des banques et inspecter minutieusement les accords conclus avec les institutions internationales. Le gouvernement devra aussi exproprier les riches et protéger les petits investisseurs et épargnants. De cette manière, un véritable plan de relance serait de l’ordre du possible, un plan démocratiquement élaboré dans le cadre d’une planification socialiste basée sur le contrôle public des principaux secteurs de l’économie.

    Vive l’internationalisme socialiste !

    Un véritable gouvernement de gauche devra simultanément tout faire pour appeler à la solidarité du mouvement syndical du reste de l’Europe, et en particulier en Espagne, en Irlande, au Portugal et en Italie. Ensemble, ces pays ont le potentiel de construire une alternative à l’Europe du capital vers une confédération socialiste basée sur une adhésion volontaire, première étape vers une Europe socialiste.

    Pour y parvenir, nous devons renforcer les liens entre toutes les organisations de gauche et le mouvement syndical de ces divers pays. Sans une telle approche, la résistance contre l’austérité sera partiellement désarmée, et un flanc laissé au développement du nationalisme.

    Une nouvelle phase de la lutte

    Si Syriza se retrouve le plus grand parti du pays, ou s’il prend la tête d’un gouvernement de gauche, la crise ne serait toutefois pas immédiatement battue. Au contraire, cela ne marquerait que l’ouverture d’une nouvelle phase à laquelle les travailleurs et leurs familles doivent être préparés.

    Syriza doit se renforcer en organisant tous ceux, et ils sont nombreux, qui veulent combattre l’austérité. L’appel de Tsipras pour constituer un front de gauche doit se concrétiser avec l’organisation de réunions locales et nationales des partis de gauche, des syndicats, d’habitants de quartiers, d’étudiants,…

    Des comités locaux démocratiquement constitués sont la meilleure base pour se préparer à la prochaine période de lutte et assurer que suffisamment de pression existe pour qu’un gouvernement de gauche applique une politique réellement centrée sur les intérêts des travailleurs et de leurs familles.

    La classe dirigeante se sent menacé par Syriza et par la gauche. Nous devons nous saisir de cette énorme opportunité. Rester spectateur n’est pas une option.


    Leçons passées et présentes d’Amérique latine

    Nous sommes évidemment dans une autre époque, mais des similitudes existent entre la Grèce actuelle et le Chili des années 1970-73 ou encore avec le développement des régimes de gauche au Venezuela, en Bolivie ou en Argentine.

    Au début des années ’70, le Chili a connu une forte polarisation politique mais la droite et la classe dirigeante s’étaient préparées pour sortir de l’impasse. L’organisation fasciste ‘Patria y Libertad’ (une organisation paramilitaire) occupait les rues et attaquait les militants de gauche. Finalement, l’armée a organisé le coup d’Etat du 11 septembre 1973 qui a porté Pinochet au pouvoir.

    En Grèce, le potentiel du développement d’une organisation paramilitaire existe, avec ‘‘Aube Dorée’’. Cette organisation fait l’éloge de la dictature militaire grecque dite ‘‘des colonels’’ (1967-1973) et même d’Hitler. Une partie de la classe dirigeante peut tirer la conclusion qu’il n’existe pas d’alternative face à la menace de la gauche et peut être tentée de ‘rétablir l’ordre’. Cela ne sera pas le premier choix de la classe dirigeante, mais ce danger n’en est pas moins réel. La baisse du soutien d’Aube Dorée dans les sondages n’est pas synonyme de sa disparition.

    Même sans soutien massif un groupe comme Aube Dorée ou Patria y Libertad peut être une menace physique pour les minorités et le mouvement ouvrier. Aube Dorée envoie ses ‘chemises noires’ attaquer les immigrés et menace ouvertement les homosexuels (leur prochaine cible). La création de comités d’auto-défense est urgente.

    Si Syriza peut former un gouvernement avec un front de gauche, ce gouvernement peut rapidement être poussé plus encore à gauche. Ce fut le cas d’Allende au Chili en 1970 ou de Chavez (Venezuela), de Morales (Bolivie) et de Kirchner (Argentine). Un tel gouvernement peut prendre des mesures contre les capitalistes, y compris par des nationalisations. D’autre part, un gouvernement grec de gauche pourrait bientôt servir d’exemple pour l’Espagne et le Portugal, entre autres.

    Syriza et Tsipras ne parlent pas encore de socialisme, mais cela pourrait changer. Dans une interview accordée au quotidien britannique ‘‘The Guardian’’ Tsipras parle d’une guerre entre la population et le capitalisme. Chavez lui non plus ne parlait pas de socialisme à son arrivée au pouvoir. Il a été poussé à gauche par la pression populaire.

    Sous l’impact de la crise et de la lutte des classes, le soutien pour des demandes comme la nationalisation, le contrôle et la gestion ouvrière peut rapidement grandir. Des gouvernements de gauche peuvent être mis sous pression pour prendre de telles mesures, au moins partiellement. Ce fut d’ailleurs également le cas du premier gouvernement du PASOK grec en 1981. Si les partis capitalistes obtiennent une majorité pour former un gouvernement dirigé par la Nouvelle Démocratie, ce sera un gouvernement sans crédibilité, ni autorité, ni stabilité. Un tel gouvernement entrera vite en confrontation avec l’intense colère du mouvement ouvrier grec. Syriza pourra s’y renforcer. Dans une telle situation Xekinima proposera une campagne active pour la chute du gouvernement par des grèves, des occupations et des manifestations de masse.

    La croissance rapide de Syriza est un élément positif. La crise sociale et politique constitue un test, tant pour Syriza que pour toutes les autres forces politiques. Avec un programme approprié, des méthodes correctes et une bonne approche, il est possible d’avancer. Sinon, la gauche peut disparaître aussi rapidement qu’elle a avancé. Xekinima joue un rôle actif dans les discussions au sein et autour de Syriza afin de parvenir aux conclusions politiques nécessaires pour développer les luttes.

  • Nigéria : meeting du DSM pour débattre de l'état de la nation

    ”Seule une révolution socialiste peut sauver le Nigéria – un pays immensément riche, mais dont la majorité des citoyens sont perpétuellement pauvres” – Segun Sango

    Le dimanche 19 février 2012, le Democratic Socialist Movement (DSM, section nigériane du CIO) a organisé un meeting à Lagos, dont le but était de réunir nos membres, et aussi et surtout les nombreux membres potentiels que nous avons rencontrés à Lagos au cours de la grève générale et des actions de masse de janvier dernier contre la hausse du prix de l’essence.

    Une discussion extrêmement intéressante a eu lieu sur l’état du Nigéria et sur les perspectives de progrès. Entamant la discussion, Segun Sango (Secrétaire général du DSM) a expliqué que la dernière grève générale en janvier est la confirmation que les masses laborieuses, les jeunes et les pauvres du Nigéria sont bel et bien capables d’accomplir une transformation révolutionnaire au Nigéria.

    Lanre Arogundade a ajouté que cette dernière action ne devrait pas seulement renouveler notre confiance en notre capacité d’accomplir le changement ; nous devons également tirer des leçons utiles afin d’assurer la victoire de la lutte future. Une leçon cruciale tirée de la grève générale est le fait que nous avons besoin d’un parti ouvrier de masse afin de prendre le pouvoir politique.

    Ceci est crucial, étant donné le fait que la situation va de mal en pis, malgré les promesses de palliatifs afin d’éviter que les gens ne soient trop fortement touchés par la suppression partielle des soi-disant subsides sur l’essence. Les prix de l’alimentation, des transports et d’autres produits et services de base, qui ont flambé au moment de la hausse du prix de l’essence, ne sont pas encore revenus à leur niveau d’avant janvier. D’ailleurs, l’Office national des statistiques a dit que le taux d’inflation dans le pays s’est tout d’un coup hissé à 12,6% en janvier, comparé à 10,6% en décembre, avant la hausse du prix de l’essence.

    À présent, la “sonde publique pour la gestion du subside” organisée par l’Assemblée nationale est en train de créer la frénésie des médias ; toutefois, tout cela n’est qu’un cirque : il n’y a toujours aucune preuve fiable de la volonté du gouvernement de réellement faire quelque chose contre la corruption dans le secteur pétrolier.

    Cela n’est pas une surprise. L’ensemble de l’appareil gouvernemental lui-même est corrompu ; le capitalisme lui-même est un système de corruption organisée. Tout en prétendant sonder la corruption dans le secteur pétrolier, les membres de l’Assemblée nationale se servent allègrement des parts du gâteau national. De récentes révélations ont montré que les 109 sénateurs vont recevoir 1,7 milliards de naïras par personne (8,2 millions d’euros!) pour pouvoir s’acheter une jeep. Ceci, en plus de toute la flotte de véhicules de luxe qui appartient déjà aux membres de l’Assemblée nationale.

    Tout cela se retourne contre les promesses du président Jonathan qui avait dit vouloir s’attaquer au gaspillage de l’argent du gouvernement ; cela montre aussi à quel point aucun des problèmes (la corruption en faisant partie) qui ont fait descendre les masses dans les rues en janvier ne fait l’objet de la moindre attention de la part du gouvernement.

    Segun Sango a expliqué que tout ce gaspillage et toute la la corruption de l’élite dirigeante n’est pas quelque chose d’accidentel, mais est une caractéristique du capitalisme. Cette caractéristique n’est d’ailleurs pas le propre du capitalisme au Nigéria, mais également du capitalisme au niveau international, comme nous pouvons le voir sur base de l’avidité des grandes entreprises, des banquiers et des politiciens qui sont en train de mettre l’ensemble de l’économie européenne à genoux, et aussi comme nous pouvons voir la manière dont la facture de la crise est en ce moment présentée aux travailleurs et aux jeunes via une politique d’austérité brutale.

    Le capitalisme est un système fondamentalement injuste. Il y a de la richesse dans la société, mais au lieu d’être utilisée pour améliorer le sort de tous, elle est accaparée par les capitalistes, dans le gouvernement comme en-dehors. Un nouveau rapport de l’Office national des statistiques (ONS) montre que les inégalités de revenu au Nigéria se sont accrues de 0,429 en 2004, à 0,447 en 2010 – ce qui indique que nous sommes en présence d’appauvrissement de masse qui a lieu malgré toutes les fables au sujet de la croissance économique.

    Le plan de transformation de Jonathan : qu’a-t-il à offrir ?

    Selon l’ONS un nombre effarant de 112 519 000 Nigérians vit dans des conditions de pauvreté relative. Ce nombre représente 69% de la population totale du pays, estimée à 163 millions. Plus inquiétant encore, est le fait que le taux de pauvreté s’accroit alors que la croissance du PIB est estimée être de 7,75%. Selon le statisticien en chef de l’ONS, le Dr. Yemi Kale, le taux de pauvreté officielle pourrait même être passée à 71,5% en 2011. De même, 23,9% de la population est sans emploi.

    Ces statistiques ensanglantées sont le reflet économique de la faillite de la politique capitaliste néolibérale des régimes précédents, que le plan de transformation du président Jonathan désire maintenir et intensifier. Le plan de transformation est un paquet de réformes néolibérales qui visent la privatisation, la dérégulation et la commercialisation, tout cela dans le but de servir les intérêts des riches. Selon ce plan, la Compagnie électrique du Nigéria sera démantelée pour être vendue pour une bouchée de pain à diverses compagnies privées. L’implication de cela est une hausse du tarif de l’électricité, ce qui va encore plus peser sur les masses laborieuses et les pauvres. Et sans compter les milliers d’emplois qui seront perdus. Les travailleurs de l’électricité sont déjà en train de compter les jours avant de recevoir l’annonce du licenciement de masse qui accompagnera la restructuration.

    Déjà l’année passée, il y a eu une hausse du tarif, alors que la vaste majorité de la population n’a même pas l’électricité ou doit la produire soi-même avec des générateurs. Selon l’Association des entreprises du Nigéria, le piètre état du réseau de distribution électrique est le principal facteur qui explique les fermetures d’entreprises, la délocalisation des lignes de production et les centaines de milliers de pertes d’emplois qui ont eu lieu ces dix dernières années.

    Cette année, une nouvelle hausse du tarif est en train d’être préparée par le gouvernement fédéral ; c’est même selon eux une des conditions pour une privatisation réussie de l’électricité publique, afin de rendre le secteur plus profitable pour les investisseurs privés. Cela seul expose l’ensemble du processus de privatisation comme n’étant pas une tentative d’améliorer la génération d’électricité, mais comme une simple opération profit. Lorsque les requins spéculateurs en auront totalement pris le contrôle et la possession, les masses devront s’attendre à un déclin drastique de l’accès à l’électricité, tandis que les tarifs grimperont au plafond.

    C’est cette même politique anti-pauvres et anti-croissance qui est en train d’être appliquée à d’autres secteurs de l’économie. L’éducation et les soins de santé sont de plus en plus commercialisés. Le camarade Nicholas a raconté lors du meeting son expérience à l’hôpital général public de Lagos, où il a dû payer 30 000 naïras (140 euros) rien que pour les soins prénataux pour sa femme enceinte. Dans un pays où le salaire minimum est d’à peine 18 000 nairas (86 euros) par mois, cette histoire montre bien ce que doivent endurer les familles ouvrières et de la petite classe moyenne pour avoir accès à des soins.

    Il ne faut donc guère s’étonner du fait que la plupart des accouchements se passent dans des églises et autres lieux innommables, vu que les familles ne peuvent se permettre le cout élevé des soins de santé. Le même scénario se déroule dans l’éducation. Dans les universités et hautes écoles du pays, les frais d’inscription sont en train de passer à 100 000 nairas (480 euros), voire 200 000 naïras (960 euros) par an, et même, dans le cas de l’Université d’État de Lagos, à 348 000 naïras (1670 euros) ! Il est intéressant de constater que l’ensemble des partis politiques, y compris le Congrès pour l’action du Nigéria (Action Congress of Nigeria, ACN, principal parti d’opposition), sont unis derrière ces attaques néolibérales sur l’enseignement public. En fait, les institutions publiques dans des états gouvernés par l’ACN sont celles dont les frais d’inscription sont les plus élevés.

    Tous les partis d’opposition entonnent le même refrain : il n’y a pas d’alternative à la manière de gérer la société, à part la politique néolibérale ». Dans l’état de Lagos, le gouvernement ACN a vendu toute un tronçon routier, l’autoroute express Lekki-Epe, à des requins privés et ce, sous le masque d’un “partenariat public-privé”. La construction de cette route avait débuté dans les années ’80, et tout ce que la compagnie privée devait faire était ajouter une ou deux bandes le long de 49 kilomètres de la route. Même si seuls 6 de ces kilomètres ont été pour l’instant achevés, la compagnie a déjà installé un péage, et prévoit d’en construire deux de plus ! La construction d’un péage sur une route publique a été la source de nombreux troubles et actions de protestation qui ont été cruellement réprimées par le gouvernement.

    Le camarade Chineda a raconté une autre fraude du partenariat public-privé organisé par l’ACN à Lagos : le système de transports rapides par bus “Lagbus”. On présente souvent ce système comme un merveilleux exemple de partenariat public-privé réussi, mais la réalité est toute autre. Tout comme la concession de l’autoroute express Lekki-Epe, Lagbus n’est rien d’autre qu’une couverture pour utiliser l’argent public afin de mettre sur pied des entreprises privées pour des pontes du parti et pour leurs copains privés. La compagnie Oando, dont le directeur, Wale Tinubu, est le neveu de Ahmed Bola Tinubu, un des dirigeants politiques de l’ACN, est le seul fournisseur de diesel à Lagbus, alors qu’Oando vend son diesel à un prix plus cher à Lagbus qu’à ses autres clients.

    Évidemment, cet arrangement deverait être non-profitable pour une véritable entreprise, mais la réalité est que Lagbus n’est qu’une façade qui sert à faire partir les ressources de l’État vers des poches privées. La majorité du personnel gagne environ 25 000 nairas par mois (120 euros). Les chauffeurs de bus gagnent 35 000 nairas (170 euros), mais il travaillent plus de 60 heures par semaine ! Du fait de la mauvaise gestion, de nombreux bus sont en panne, ce qui signifie qu’il faut bientôt s’attendre à des licenciements. La compagnie a aussi toute une histoire d’attaques sur les droits démocratiques de ses travailleurs à rejoindre un syndicat, tandis que la victimisation est monnaie courante.

    Mais il y a en réalité un mode alternatif de gestion de la société capable d’assurer que les ressources de la société soient utilisées pour répondre aux besoins des masses laborieuses et pauvres plutôt qu’à ceux des politiciens bien nourris et des grandes entreprises, tels que nous le voyons aujourd’hui. Ce mode alternatif de gestion de la société que défendent les socialistes, c’est la nationalisation des secteurs-clés de l’économie sous le contrôle et la gestion démocratique du public. Les socialistes s’opposent à toute privatisation, parce que nous pensons que les ressources de la société appartiennent au peuple, et par conséquent doivent être propriété collective. C’est pourquoi nous insistons sur le contrôle et la gestion démocratiques des entreprises nationalisées, afin de pouvoir impliquer les masses laborieuses et pauvres dans la gestion de l’économie et de la société.

    La question nationale

    Un autre aspect de l’état de la nation que les socialistes et les masses laborieuses doivent analyser avec une grande attention est la question nationale. Cela, d’autant plus qu’auparavant, vu la montée du Boko Haram – un groupe islamiste fondamentaliste du Nord-Est – dont les brutales activités terroristes et assassinats perpétrés au cours des trois dernières années menacent de déstabiliser le pays.

    Segun Sango a expliqué que la crise ethno-religieuses qui semble tellement insurmontable est en réalité née du fait que le Nigeria actuel est composé de divers peuples hétérogènes qui ont, sans aucune consultation, été forcés de cohabiter dans un même pays par les colonialistes britanniques, qui n’aspiraient qu’à une exploitation facile et profitable des ressources du pays. Aucun de ces peuples n’a été consulté, il n’y a jamais eu aucune discussion démocratique quant à la volonté ou non de ces différentes nationalités de continuer à vivre ensemble et si oui, sur quelle base.

    L’indépendance du Nigeria a été partiellement négociée sur base de cette division ethnique et religieuse ; l’impérialisme britannique a donné le pouvoir à la section de la classe dirigeante qu’il estimait la plus malléable. Toutefois, à cause des positions pro-capitalistes (tant sur le plan de vue économique que politique) des élites dirigeantes de toutes les principales nationalités qui ont formé le gouvernement au Nigeria depuis l’indépendance, les tensions et divisions ethniques et religieuses, plutôt que de s’atténuer, n’ont fait que s’aggraver, reflétant la lutte des diverses élites nationales pour s’accaparer leur part de la richesse sociale.

    Ce n’est pas pour rien que le Nord compte le plus haut niveau de pauvreté et d’analphabétisme, malgré le fait que des élites du Nord ont dirigé le Nigéria pendant des décennies. Le dernier rapport de l’ONS a montré que le Nord-Ouest et le Nord–Est avaient en 2010 les plus haut taux de pauvreté du pays, à 77,7% et 76,3% respectivement. De tous les 36 états de la fédération nigérianne, c’est Sokoto qui a le plus haut taux de pauvreté : 86,4% !

    C’est pourquoi les socialistes défendent constamment le fait que sans justice au niveau de la répartition de la richesse sociale, il ne peut y avoir le moindre espoir d’une solution durable à la question nationale. Le DSM appelle à une conférence nationale souveraine véritablement démocratique et indépendante qui soit dominée par des représentants élus des travailleurs, des pauvres, des jeunes et différents groupes ethniques afin de discuter de si oui ou non le Nigéria a encore un sens, et si oui, selon quelles modalités.

    Cependant, une conférence nationale souveraine indépendante soulève la question de quel gouvernement mettra en vigueur ses résolutions. Ce ne sera certainement pas le gouvernement des pillards pour qui le statu quo injuste peut bien continuer vu qu’ils en tirent profit. Cela soulève la question de la nécessité d’un parti politique ouvrier capable de se battre pour le pouvoir politique et d’amener un gouvernement réellement démocratique des travailleurs et des pauvres, le seul à même de faire appliquer les décisions d’une telle conférence nationale souveraine.

    Les socialistes soutiennent le droit à l’auto-détermination des peuples. Toutefois, nous devons bien expliquer que séparer ou diviser le Nigéria ne constituera pas une solution magique à la crise du sous-développement, du chômage et de la misère qui ravage les masses laborieuses du Nord, de l’Ouest, de l’Est, de la Ceinture moyenne et du delta du Niger.

    Ce n’est pas pour rien que les gouverneurs et politiciens de la région du delta du fleuve Niger, d’où provient la plupart du pétrole du pays, sont aussi parmi les plus corrompus. Malgré les 13% de dérivés que les états de cette région reçoivent tous les mois du gouvernement fédéral en plus des allocations mensuelles, le niveau de sous-développement, de misère, de chômage et d’effondrement des infrastructures publiques telles que routes, enseignement et soins de santé, est alarmant. L’élite dirigeante de la région du delta du Niger ne fait qu’amasser et amasser tout l’argent, en abandonnant son peuple à une vie de misère et de pénurie. Si ces mêmes éléments devaient se retrouver à la tête d’une éventuelle nation indépendante du Delta du Niger, il ne faudrait alors pas s’attendre à la moindre amélioration des conditions de vie de la population. Cette perspective vaut également pour toutes les zones géopolitiques où les élites capitalistes dirigeantes sont aussi corrompues et anti-pauvres.

    Tout en soutenant le droit à l’auto-détermination, nous insistons sur la nécessité pour les masses laborieuses et les pauvres de se battre pour un gouvernement des travailleurs et des pauvres qui n’appliquera pas une politique néolibérale de privatisations, mais qui utilisera les ressources de la société dans l’intérêt de tous. Les socialistes pensent qu’une sécession sur une base capitaliste n’amènera rien de plus que la continuation de la même inégalité de revenus et de misère de masse au milieu d’un pays d’abondance. Par conséquent, les socialistes défendent un Nigéria unifié, mais cette fois-ci sur base de principes démocratiques, d’une justice socio-politique et du socialisme.

    La direction travailliste

    La manière dont la récente grève générale “illimitée” a été tout d’un coup interrompue avant qu’elle n’atteigne ses objectifs n’a fait que souligner encore plus le fait que les dirigeants syndicaux actuels n’ont aucun programme alternatif capable de mener les travailleurs dans la lutte pour le pouvoir politique. La grève générale et les actions de masse qui ont fait descendre des dizaines de millions de Nigérians dans les rues et ont dans les faits coupé toute l’économie du pays pendant plus d’une semaine, ont soulevé la question du pouvoir politique. Toutefois, les dirigeants travaillistes n’étaient pas préparés pour cela, ni idéologiquement, ni politiquement, malgré l’énorme potentiel organisationnel que représentent les syndicats au Nigéria. Ceci explique pourquoi ils ont été si facilement mis sous pression par le gouvernement qui a accusé le mouvement d’œuvrer avec l’opposition pour chasser Jonathan de son fauteuil de président avec son slogan de changement de régime.

    Il est intéressant de constater que la direction travailliste n’a pas officiellement soulevé ce slogan. D’ailleurs, aucun des partis d’opposition, aucun des politiciens de l’opposition qui ont participé à l’assemblée quotidienne place de la Liberté Gani Fawehinmi à Ojota Lagos n’ont repris ce slogan de manière consciente. Seuls le DSM et le JAF (Joint Action Front, une plate-forme de lutte syndicale) ont soulevé ce slogan de manière consciente, mais l’ont complété par un appel à une alternative économique et politique ouvrière. Le JAF a appelé à un changement de système. Sur nos tracts, nos bannières, dans nos journaux, nous proposions le slogan “À bas le gouvernement Jonathan, pour un gouvernement des travailleurs et des pauvres”. Cependant, ce qui a réellement effrayé l’élite dirigeante était le fait qu’à partir du troisième jour de grève, le slogan “Jonathan dégage!” commençait à devenir très populaire parmi de larges couches de manifestants à Lagos et à travers tout le pays. Il était très clair que les événements étaient en train d’atteindre un point qui pouvait être dangereux pour le régime et au final pour le système.

    Par conséquent, les dirigeants travaillistes ont dû intervenir pour se dissocier spécifiquement de l’appel à un “changement de régime”, et ont déclaré la fin de la grève au moment où ils se sont considérés incapables de mener les travailleurs plus en avant vers l’étape suivante qui était la lutte pour le pouvoir politique. De plus, les dirigeants travaillistes actuels ne sont pas fondamentalement opposés à la politique néolibérale anti-pauvre de privatisation et de dérégulation ; ils ne désirent au mieux qu’à l’encadrer afin de lui donner un visage plus humain. Le principal élément qui faisait défaut à cette grève massive, tout comme aux mouvements précédents, était l’absence d’un parti politique ouvrier de masse, qui aurait pu se saisir de cette opportunité afin de fournir une direction au mouvement, surtout à partir du moment où la direction travailliste battait en retraite, et afin de cristalliser la colère et le potentiel du mouvement de masse jusqu’à la conquête du pouvoir politique. C’est là une des raisons pour lesquelles nous avons constamment appelé les socialistes, les travailleurs, les artisans et les jeunes à diffuser l’idée de la nécessité de la formation d’un parti ouvrier de masse.

    Un parti de masse des travailleurs et des pauvres

    La meilleure manière de rapidement organiser une puissante alternative politique capable de concourir pour le pouvoir lors des prochaines élections en 2015 et après est de voir le mouvement ouvrier jouer un rôle dirigeant dans la formation d’un tel parti. Mais cela ne peut se produire sans une direction syndicale combative, capable de comprendre la tâche historique de la classe ouvrière dans la direction des autres couches des opprimés dans la lutte pour le pouvoir politique. L’exemple du Labour Party formé par le NLC (Confédération des syndicats du Nigéria) mais abandonné à des carriéristes et à des politiciens professionnels montre que cette compréhension n’existe pas chez les dirigeants syndicaux actuels.

    Par conséquent, l’agitation en direction d’un parti de masse des travailleurs doit être reliée à une campagne parmi la base syndicale pour une direction syndicale combative. Elle doit également être liée à la revendication de la démocratisation des syndicats et à l’implication de la base des travailleurs dans la gestion des syndicats et dans la prise de décision collective quant à la manière dont le mouvement ouvrier doit répondre aux attaques néolibérales du gouvernement.

    La tâche de la construction d’un parti ouvrier de masse est de la plus haute importance. Comme l’a répété Segun Sango, tout en menant la campagne pour la formation d’un tel parti ouvrier de masse, nous devons saisir chaque opportunité, quelles que soient les limitations et les difficultés, pour construire une alternative politique socialiste dès à présent. C’est dans ce cadre que se pose la question de la transformation du DSM en un véritable Socialist Party, reconnu officiellement. Bien entendu, les lois électorales antidémocratiques présentent une myriade d’obstacles financiers et autres sur la voie vers l’enregistrement d’un véritable parti capable de représenter et de se battre pour les intérêts des masses laborieuses, des jeunes et des pauvres. Mais avec notre détermination, nous pouvons les surmonter.

    Contrairement à ce qui s’est produit lors des deux dernières élections, où aucune alternative politique n’existait pour la classe ouvrière et la jeunesse, même un petit Socialist Party nous offrirait une occasion d’intervenir dans les élections et de mettre en avant un programme économique et politique socialiste.

    Selon Lanre Arogundade, une organisation telle que la nôtre est nécessaire pour fournir aux masses laborieuses une issue à la crise du capitalisme au Nigéria. Il y a par conséquent la nécessité de redoubler d’efforts dans la construction du DSM. Cela inclut de faire en sorte que notre message puisse atteindre toutes ces personnes avides de changement que nous avons rencontrées au cours de la dernière gréve générale, et que nous nous battions politiquement pour les gagner à la cause du socialisme.

    Le meeting s’est clôturé sur un appel aux dons qui a récolté la somme de 5500 naïras (26€), plus 3000 naïras (14€) en promesses de dons.

  • [INTERVIEW] Grève générale au Nigéria : des millions de manifestants dans les rues

    La première grève générale de 2012 a eu lieu dans un pays africain. Le gouvernement nigérian avait décidé de totalement abolir les subsides publics pour le carburant. Le Nigeria est un important producteur de pétrole, mais ne possède aucune raffinerie. Le carburant doit donc être importé. Or, le carburant est non seulement important pour le transport, mais aussi pour les générateurs d’électricité.

    Interview de Segun Sango, par Michael B (Gand)

    La grève a commencé le lundi 9 janvier, et a été suspendue le 16 par les directions syndicales. Mais le 18 janvier, des centaines de milliers de manifestants défilaient encore dans les rues. A Lagos, la plus grande ville du pays, 500.000 personnes s’étaient réunies, tandis que la banlieue de Lagos vivait aussi au rythme des manifestations. Des millions de personnes ont cessé le travail et ont montré l’énorme puissance du mouvement ouvrier organisé. Parallèlement, les tensions ethniques et religieuses ont été reléguées à l’arrière-plan. Le régime a répondu par la répression, tuant 20 manifestants.

    Malheureusement, les directions syndicales n’ont pas utilisé le potentiel pour mettre en avant une alternative à la politique néolibérale du président Goodluck Jonathan et de la clique au pouvoir. Ils ont rallié un mauvais accord qui comprend la non-reconduction de la subvention sur le carburant, mais le prix a été réduit à environ 50 centimes d’euros le litre (contre 30 centimes avant l’abolition de la subvention).

    Nous avons parlé de cette grève avec Segun Sango, secrétaire général du Democratic Socialist Movement (DSM), notre parti-frère au Nigeria.

    D’où provient cette explosion de colère?

    ‘‘Ces mesures ont été présentées comme une hausse de prix normale, une adaptation aux prix du marché. Mais c’est le gouvernement qui est responsable de l’explosion du prix. L’essence doit être importée, puisque le pays n’a pas de raffinerie. Il y a des installations, mais elles ne sont pas utilisées. Le pétrole brut quitte donc le pays à bas prix et revient après raffinage à prix élevés. Tout ceci n’est possible que parce que toute la production du pétrole est aux mains des entreprises privés.

    ‘‘La population est fortement dépendante de l’essence. Les installations d’électricité sont insuffisantes et parfois inexistantes. Toute la société dépend du carburant, rien ne fonctionne sans générateurs. Si le prix de l’essence triple, les prix du transport, de l’éclairage, de la cuisine, des services,… triplent également. C’est une attaque gigantesque.

    ‘‘Cette goutte, une sérieuse goutte, a fait déborder le vase en s’ajoutant aux attaques précédentes. Il y a par exemple encore un grand mécontentement concernant le salaire minimum légal de 18.000 Nairas (environ 90 euros) qui n’est en pratique pas appliqué.’’

    La grève a réussi à arracher des concessions au gouvernement. Mais était-il possible de faire plus ?

    ‘‘Pendant la grève, le gouvernement était dos au mur. Rien ne fonctionnait plus. Le secteur public était paralysé, mais les petits commerçants et les magasins étaient aussi en grève. La grève est une arme énorme pour la population, elle clarifie le fait que les travailleurs ont le pouvoir économique entre leurs mains.

    ‘‘Le mouvement ouvrier pouvait obtenir plus. Au lieu de renforcer la lutte en mettant sur pied des comités de grève démocratiques dans les quartiers et sur les lieux de travail, la direction syndicale a mené des négociations secrètes avec le gouvernement pour limiter la hausse du prix du pétrole à 97N (50 centimes d’euros), ce qui était présenté comme une victoire. Avant le premier janvier, le prix n’était que de 65N (30 centimes) par litre. Le caractère massif de la grève et des actions montrait qu’il était possible d’obtenir plus. Après la suspension de la grève, la colère et la déception régnaient.’’

    Comment le DSM intervient-il dans ce mouvement ?

    ‘‘Nous avons toujours soutenu l’idée d’actions de masse. Mais il est très clair que nous devons lier cela à une direction courageuse et audacieuse qui met en avant une alternative à la logique néolibérale. Les positions de la direction syndicale ont maintenant conduit à la déception et à la démoralisation. Cela peut avoir un certain effet mais, en même temps, les actions ont démontré l’énorme colère existant parmi la population. Cette colère n’a pas disparu.

    ‘‘Une nouvelle confrontation avec l’élite capitaliste est inévitable. Nous défendons la nécessité de coordonner et d’organiser la lutte avec des syndicats combatifs, un parti des travailleurs et une alternative à la politique néolibérale qui assure que 1% de la population au Nigéria contrôle plus de 80% des richesses. Le secteur pétrolier doit être nationalisé sous le contrôle de la population, et il faut développer les raffineries.’’

    Que pouvons-nous faire en Belgique pour renforcer cette lutte ?

    ‘‘Les travailleurs et les pauvres doivent s’organiser sur le plan international afin de renforcer la lutte dans leur propre pays. L’exploitation de la population en Nigéria n’est pas une donnée isolée, elle est en partie déterminée par des institutions comme le FMI et la Banque Mondiale. De nombreuses mesures sont imposées par les puissances impérialistes. Le Nigéria est un pays très riche, mais les richesses naturelles sont aux mains d’une infime minorité.’’

  • Nigéria : Les élections générales de 2011 seront-elles différentes de la farce de 2007 ?

    Le problème clé est : quel choix nous offre-t-on ? Que défendent les différents partis ? Et, l’un d’entre eux représente-t-il les intérêts de la classe ouvrière, des pauvres et de tous ceux qui s’opposent à la classe capitaliste corrompue ?

    Democratic Socialist Movement (CIO-Nigéria)

    Le professeur Attahiru Jega, président de la Commission électorale indépendante nationale, et le président Goodluck Jonathan ont, à plusieurs reprises, juré que les élections générales de 2011 seront bel et bien libres de tout incident. Même les pays capitalistes avancés, les principaux bénéficiaires du système capitaliste au Nigéria et dans d’autres pays sous-développés, expriment leurs sentiments selon lesquels le reste du monde serait heureux d’assister à des élections transparentes et paisibles en 2011. Lors de ses premières interventions devant les médias, le nouvel ambassadeur américain au Nigéria, M. Terence McCulley, a résumé son point de vue et celui des pays impérialistes lorsqu’il a déclaré : ‘‘J’espère que le processus de 2011 sera meilleur et respectera la volonté du peuple nigérian.’’ Par conséquent, nous posons la grande question : les élections générales de 2011 au Nigéria seront-elles plus “transparentes” et “respecteront-elles la volonté du peuple nigérian” mieux que la grande farce qui a été connue sous le nom d’“élections générales” de 2007 ?

    Les commentateurs bourgeois voudraient pouvoir répondre immédiatement à cette question avec une note d’optimisme. Ils se dépêcheront de mettre en avant le passé radical du président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) actuel, largement perçu comme un militant respectable, en tant qu’ancien président du syndicat du personnel académique des universités (Academic Staff Union of Universities – ASUU), un syndicat de gauche, et qui ne va certainement pas permettre que qui que ce soit utilise la CENI pour manipuler ou truquer les élections. Au contraire de l’ancien président Obasanjo, qui avait ouvertement déclaré que les élections fédérales de 2007 seraient une affaire de “vie ou de mort”, le président Jonathan a, au cours de ses divers discours et visites auprès des gouvernements régionaux à travers le pays, répété à de nombreuses reprises sa promesse selon laquelle le gouvernement va assurer des élections libres et honnêtes en 2011, où chaque vote comptera. Hélas, si l’on prend en compte de manière scientifique l’ensemble des principaux facteurs, logistiques et politiques, qui détermineront la nature de ces élections, le peuple nigérian devrait s’attendre à ce que la période postélectorale soit faite d’une continuation de la détérioration de son mode de vie et d’attaques encore plus grandes sur ses droits démocratiques, quel que soit le parti ou la coalition qui sortira vainqueur de ce processus, que ce soit au niveau fédéral ou au niveau des régions.

    Une autre période électorale dominée par le chaos et les intérêts personnels

    À moins d’un amendement de la constitution de 1999, de nouveaux gouvernements doivent être élus aux niveaux fédéral et régionaux avant le 29 mai 2011. Ceci signifie donc que la CENI doit faire tout ce qui est en son pouvoir afin d’organiser les élections générales partout dans le pays avant la fin avril 2011. Au moment où nous écrivons, la CENI a provisoirement décidé que le mois de janvier sera utilisé pour commencer à établir le nouveau registre des électeurs, la condition minimale pour la tenue d’élections démocratiques, surtout étant donné que beaucoup de questions se posent quant à la crédibilité et à l’exactitude du registre des électeurs actuel, qui a été compilé par la CENI dirigée par le très douteux Professeur Maurice Iwu. Cela signifie que la CENI n’aura qu’environ deux à trois mois pour rédiger le nouveau registre des électeurs qui reprendrait au moins 80 millions de Nigérians sur une population estimée à 140 millions. Jusqu’à présent, on attend toujours que soient rédigés le Décret électoral et l’amendement constitutionnel qui doivent servir de base légale à ces élections ! Et si on prend aussi en compte que la période d’après les élections sera comme d’habitude dominée par les disputes et plaintes de tous les candidats, et le processus qui est requis pour résoudre tout ce bazar par la voie légale, alors il semblera clair à tout élément conscient de la jeunesse et de la classe ouvrière que les élections de 2011 ne seront rien d’autre qu’un grand vacarme, un autre tour de magouilles et de chamailleries !

    Mais pour les masses laborieuses du Nigéria, l’enjeu va au-delà d’un registre électoral crédible pour une élection démocratique. Le véritable enjeu est : quel choix avons-nous ? Que défendent tous ces différents partis, et y a-t-il l’entre eux qui représente les intérêts de la classe ouvrière, des pauvres, et de tous ceux qui s’opposent à la classe dirigeante corrompue ?

    Que ce soit le PDP actuellement au pouvoir, ou que ce soit un des grands partis d’opposition, tous, sans exception, défendent une politique anti-pauvres dans tous leurs programmes et mesures économiques.

    Au lieu de se pencher sur un programme et sur des mesures qui puissent mettre à contribution les immenses richesses naturelles et humaines que possède le Nigéria, afin de garantir des conditions de vie décentes pour tout un chacun, tous ces partis qui nous dirigent, au fédéral comme dans les régions, se bousculent pour proposer et mettre en œuvre des mesures anti-pauvres qui ne vont faire qu’empirer les conditions de vie du peuple nigérian partout dans le pays. C’est pourquoi tous les PDP, ANPP, ACN, APGA et même le gouvernement de l’Etat d’Ondo qui est le seul à être contrôlé par le Labour se font les champions de mesures capitalistes pro-riches de privatisation, dérégulation, commercialisation, etc. À présent, dans tout le pays, quel que soit le parti politique au pouvoir, l’Etat ou les conditions des infrastructures de base telles que les routes, l’électricité, l’eau, ou des services sociaux indispensables telles que le logement, la santé ou l’éducation n’ont jamais été pires. Malgré cette situation déplorable, tous les partis dirigeants sont bien décidés à poursuivre la mise en œuvre d’une politique qui ne fera que remplir encore plus les poches des éléments capitalistes et des grandes corporations.

    C’est pourquoi tous ces grands partis prônent religieusement le concept du “partenariat public privé” en tant que meilleure solution pour développer l’économie et l’industrie ruinées du Nigéria. Selon ce concept douteux, le manque honteux de bonnes routes carrossables est censé être compensé par des profiteurs privés qui seront autorisés à construire des routes puis à prélever des péages afin de récupérer leur investissement. Mis à part le fait que sur base de l’expérience concrète, cette approche a déjà montré qu’elle ne peut s’appliquer qu’à certaines routes potentiellement bien profitables, le cout réel de cette politique pour la société est impossible à chiffrer. Selon l’idéologie pro-riches et pro-capitaliste qui prévaut aujourd’hui et qui est embrassée par tous les partis dirigeants, chaque aspect essentiel de la vie, comme le logement, la santé, l’éducation, les offres d’emploi, les routes, les voies aériennes et fluviales, est une marchandise qui ne devrait être accessible qu’à ceux qui ont l’argent de se la payer.

    C’est la raison centrale pour laquelle tous les partis au pouvoir partout dans le pays se sont mis d’accord sur le fait que l’éducation, la santé, l’électricité, l’eau, etc. doivent être entièrement privatisés au bénéfice des marchands de profits.

    Il était donc aisé de prévoir que les grands partis bourgeois et leurs apprentis égoïstes ne se sont focalisés que sur des questions de division, telles que la “régionalisation”, le “caractère fédéral”, les embrouilles “Nord-Sud” ou “chrétiens-musulmans” et toutes sortes d’autres histoires qui n’ont rien à voir avec le vrai problème, à savoir comment apporter des conditions de vie décentes aux masses de la population, qu’elles habitent dans le riche delta du Niger, ou dans le reste du Nigéria.

    On constate malheureusement que la morale pro-riche et pro-capitaliste qui constitue désormais la base de la politique des partis dirigeants en ce qui concerne l’économie ou la société a été maintenant ouvertement ancrée dans les affaires politiques et dans le processus électoral. À présent, le Décret électoral tout comme la direction de tous les partis politiques au pouvoir ont prescrit d’immenses sommes, appelées “frais de nomination”, pour quiconque désire se présenter en tant que candidat. Dans les faits, ceci signifie que seuls de gros richards et/ou les personnes sponsorisées par ces mêmes sacs à pognon peuvent espérer jouer un rôle quelconque dans les élections à venir. Il suffit donc de faire remarquer qu’une campagne électorale où seuls peuvent se présenter les plus riches personnes au sein des divers partis, ne pourra jamais être appelée “transparente” ni ne reflétera la “volonté” des Nigérians dans leur masse. En outre, la véritable raison pour laquelle de nombreux candidats à la candidature se disaient prêts à payer eux-mêmes leur “frais de nomination” est qu’ils espèrent bien pouvoir rembourser ces couts électoraux en mangeant l’argent public si jamais ils parvenaient à être élus. Par conséquent, les masses ordinaires doivent affronter bien en face le fait que ces élections ont déjà été truquées à leur détriment, bien avant que la campagne électorale à proprement parler n’ait même commencé.

    Une méga-coalition des partis d’opposition peut-elle changer les choses ?

    Certains prétendent que seule une grande coalition de tous les partis d’opposition parviendra à reprendre le pouvoir au PDP et ainsi à mettre un terme à la putréfaction qui domine à présent l’ensemble du paysage économique et politique de notre pays. Hélas, cette proposition qui semble de prime abord attractive ne peut se réaliser que si les soi-disant partis d’opposition ont un programme et une manière d’être qui soient fondamentalement différentes du détestable PDP qu’ils cherchent à remplacer. À présent, il y a beaucoup de bruit au sujet des grands partis d’opposition qui sont en train de s’associer afin de présenter une alternative unie et coordonnée face au PDP.

    Il faut cependant noter que ceci n’est pas quelque chose de nouveau dans la politique du Nigéria. Au cours des premières et deuxièmes Républiques, les partis d’opposition ont formé ce qu’on a appelé la Grande Alliance Progressive Unie (United Progressive Grand Alliance – UPGA) et l’Alliance des Partis Progressistes (Progressive Parties Alliance – PPA). Sous le régime civil actuel, il y a eu des discussions quant à l’éventuelle formation d’une méga-coalition des partis d’opposition afin de chasser le PDP du pouvoir. Toutefois, dans la mesure où la plupart des éléments de cette soi-disant opposition sont toujours impossibles à différencier du parti qu’ils désirent remplacer, ce phénomène réduit du coup leur opposition aux simples calculs égoïstes qui leur permettront d’être ceux qui hériteront ensuite de la responsabilité de l’injuste ordre économique et politique existant. De la sorte, tous ces partis d’opposition n’ont jamais été capables de mettre sur pied une véritable plate-forme d’opposition contre le parti au pouvoir.

    Par conséquent, tout comme dans la période précédente, le désir actuel de former une méga-opposition contre le PDP lors des élections de 2011 peut au final être sacrifié sur l’autel des ambitions personnelles de tous ces individus qui souhaitent devenir présidents, gouverneurs, sénateurs, etc. et surtout maintenant, étant donné l’énormité scandaleuse des salaires et des dotations de responsables politiques, en plus de tous les privilèges et opportunités de piller les ressources et l’argent public que tous ces postes octroient.

    Y a-t-il un espoir pour les masses ?

    Sur base de la configuration politique du moment, les élections générales de 2011 ne seront comme d’habitude rien de plus qu’une compétition pour le pouvoir politique de la part de différentes sections de l’élite de bandits capitalistes au pouvoir. Malgré les promesses de Jega et de Jonathan d’organiser des élections libres et démocratiques, le résultat des élections, dans la situation actuelle, sera certainement à l’avantage des riches et de ceux qui contrôlent aujourd’hui le pouvoir politique en utilisant une combinaison d’argent et d’appareils d’État.

    Seuls un véritable programme ouvrier, avec la perspective d’utiliser les ressources humaines et naturelles du pays de manière planifiée et démocratique pourra fournir une plateforme politique réellement capable de susciter le soutien enthousiaste et les sacrifices héroïques de la part des masses populaires, et pourra triompher des politiciens capitalistes égoïstes et de tous les partis politiques au pouvoir lors des élections de 2011. Malheureusement, la grande majorité des dirigeants syndicaux et du Labour Party formé par le Congrès du travail nigérian (Nigeria Labour Congress – NLC) ne sont pas en ce moment en train de réfléchir ou de travailler à une telle alternative politique et économique pour la classe ouvrière. Au lieu de s’efforcer à bâtir le Labour Party en tant que voix politique des masses laborieuses, ses principaux dirigeants font tout ce qui est possible pour en faire tout bêtement un autre parti bourgeois.

    Le Labour Party ne dispose pas d’un programme économique et politique clair qui soit radicalement différent de celui des grands partis capitalistes tels que le PDP, l’ANPP, l’ACN, etc. Dans l’état de Ondo, qui est le seul à être gouverné par le parti, on professe la même politique néolibérale, pro-capitaliste de privatisation et de dérégulation des secteurs-clés de l’économie. Aujourd’hui, afin d’espérer devenir président ou gouverneur sous le régime PDP au pouvoir, les candidats doivent payer à leur parti la somme non remboursable respectivement de 10 millions et de 5 millions de naïras (50 000 € et 25 000 €). Ce qui est très embarrassant, c’est que c’est la direction du Labour Party qui a été la première à mettre en place cette mesure honteuse, et que le PDP n’a en fait fait que copier le Labour. Donc, plutôt que d’avoir un Labour Party qui se développe en tant que plate-forme pour la classe ouvrière et pour les masses opprimées en général, il est en train de rapidement devenir un autre parti bourgeois, un phénomène qui pourrait rendre le parti incapable de décoller pour de bon, sans parler de véritablement servir les intérêts politiques et économiques des masses populaires lors des élections à venir.

    Les principaux dirigeants syndicaux n’ont malheureusement pas offert une véritable alternative ouvrière face à la pourriture politique et économique du capitalisme. Politiquement, ceci est causé par leur perspective qui s’efforce de faire du mouvement ouvrier un arbitre cherchant à obtenir des élections libres et démocratiques entre les différentes couches de bandits capitalistes ! Au lieu de chercher à construire un parti politique ouvrier indépendant avec pour but de former un gouvernement ddes travailleurs et des pauvres, qui ferait passer les secteurs-clés de l’économie entre les mains du public, via leur contrôle et leur gestion démocratiques par des comités élus de travailleurs, de paysans et de jeunes, en tant que base pour garantir les besoins politiques et économiques de tout un chacun, et non pas seulement des quelques éléments capitalistes et des classes moyennes, comme c’est aujourd’hui la règle – au lieu de faire cela donc, la plupart des dirigeants Labour actuels conservent la perspective erronée selon laquelle les véritables intérêts des masses laborieuses peuvent être obtenues sans devoir renverser ce système injuste.

    Par exemple, d’importants dirigeants du NLC et de la Confédération syndicale (Trade Union Congress – TUC) croient réellement qu’une oasis économique, capable de pourvoir aux besoins économiques des travailleurs, peut être créée à travers des projets économiques directs de la part des syndicats. Voilà l’impression qui est créée par des dirigeants centraux des deux fédérations syndicales qui existent en ce moment, tandis qu’ils sont en train de négocier des prêts valant des milliards de naïras afin de mettre sur pied des services de transport gérés par les syndicats.<^>Le Président-général de la TUC, Peter Esele, a récemment tenté de fournir un genre de justification théorique pour ce qui n’est rien de plus qu’une tentative d’effectivement intégrer le mouvement ouvrier dans le ccapitalisme, en défendant le fait que les besoins de la classe ouvrière doivent être satisfaits par la création d’entreprises sans but lucratif et “pro-labour” dans le cadre global de l’économie capitaliste ! Écoutez-le plutôt : « Je n’appartiens pas à l’école de pensée selon laquelle le Labour devrait être neutre, parce que je crois que c’est par la participation que nous pourrons pousser le pays dans la direction vers laquelle il doit aller. Le Labour ne doit pas être neutre ; nous devons avoir une position sur tous les enjeux, et une manière dont on peut faire cela, est qu’il nous faut des muscles financiers. Donc, si nous nous asseyons tous dans une pièce et perdons notre temps à nous critiquer, et non pas afin d’offrir des solutions ni d’apporter de nouvelles idées, je ne pense pas que je veux appartenir à un tel mouvement » (The Guardian du 5 novembre 2010).

    Oui, nous autres membres du DSM sommes entièrement d’accord avec Esele sur lee fait que « Le Labour ne doit pas être neutre et doit avoir une position sur chaque enjeu », que ce soit un enjeu économique ou politique, et qui a le potentiel de susciter l’intérêt des travailleurs, positivement ou négativement. C’est pourquoi, depuis notre fondation, nous avons toujours défendu le contrôle public sur les secteurs-clés de l’économie, y compris les banques, et leur contrôle et gestion démocratique par les travailleurs et par les couches populaires. Cependant, cette stratégie révolutionnaire doit être radicalement différente de la conception de Esele qui désire apporter des « muscles financiers » aux syndicats, un phénomène qui ne ferait qu’accentuer l’étranglement bureaucratique du mouvement syndical, avec le développement de syndicats qui se reposent en grosse partie sur le business et non sur les cotisations de leurs membres, ce qui sape le pouvoir des travailleurs de la base à exercer un contrôle sur leurs dirigeants.

    Les défis à relever par les masses

    Sur la base de tout ce que nous venons d’expliquer, les travailleurs et les pauvres ne peuvent s’attendre après les élections de 2011 qu’à un approfondissement de leurs souffrances et de l’oppression. Toutefois, les capitalistes et les exploiteurs ne doivent pas trop se réjouir de la faiblesse politique des dirigeants syndicaux et du Labour Party qui en ce moment tend à renforcer l’idée fausse qu’il n’y a pas d’alternative à la putréfaction capitaliste actuelle et à l’échec complet des politiciens capitalistes. Mais il ne faut pas non plus oublier ni sous-estimer le bon côté de la situation politique actuelle.

    Malgré le manque d’une direction générale et cohérente de la part des hauts dirigeants syndicaux, il y a une nouvelle tradition de lutte et de résistance qui se développe parmi les sections de la classe ouvrière. Le personnel enseignant de toutes les universités de la zone sud-est sont en ce moment en grève à durée indéterminée depuis des mois dans certaines zones pour de meilleures conditions de travail et plus de moyens pour l’éducation. Depuis quelque temps, les syndicats du secteur de l’électricité mènent de l’agitation contre la privatisation de la Compagnie énergétique du Nigéria (Power Holding Company of Nigeria – PHCN) et pour un financement adéquat du secteur. Les travailleurs de la santé dans de nombreux états de la fédération sont soit en grève, soit en train de mener une agitation féroce pour plus de financement des hôpitaux publics et pour de meilleures conditions de service pour toutes les couches du personnel. Bien que l’Histoire ne se répète jamais de la même manière, il ne faut pas oublier que seulement deux mois après la farce des “élections” de 2007, il y a eu une grève générale massive et largement sooutenue qui n’a malheureusement pas permis de satisfaire aux revendications parce que les dirigeants syndicaux ont signé un compromis boiteux.

    Ce qui manque par contre, et c’est regrettable, est une lutte et une campagne unies impliquant les travailleurs du public comme du privé, aux niveau fédéral comme régional, et une direction nationale cohérente au sein des syndicats et sous la forme d’un véritable parti ouvrier qui puisse donner à cette résistance ouvrière non-coordonnée la vision et la force appropriées. Quoiqu’il en soit, la direction du NLC et de la TUC ont accepté d’organiser une grève d’avertissement de trois jours du mercredi 10 novembre au vendredi 12 novembre 2010, quant au refus du gouvernement du président Jonathan de faire appliquer le salaire minimum pourtant ridicule de 18 000 naïras (85€) par mois qui a été négocié avec les représentants du gouvernement aux niveaux fédéral et régional.

    C’est là un premier pas dans la bonne direction, qui s’était long fait attendre. Nous, membres du DSM, avons toujours défendu l’idée que seule des actions de masse et non pas des “tactiques de relations industrielles” peuvent forcer les élites dirigeantes de tous les différents partis politiques à mettre en application des mesures capables d’améliorer le mode de vie de la population. Force est pourtant de constater que la direction du mouvement ouvrier n’apparait pas encore vouloir accepter le fait que la lutte de masse est une nécessité et non pas un outil pour “effrayer” ou “intimider” la classe dirigeante. Écoutons John Odah, le secrétaire général du NLC : « Nous soupçonnons le président Jonathan d’être en train de faire pression sur les gouverneurs d’état pour qu’ils n’appliquent pas le nouveau salaire minimum national. Le président Jonathan a un rendez-vous avec l’Histoire. Il peut soit se placer du côté des travailleurs opprimés et voir son nom être inscrit en lettres d’or dans les cœurs des Nigérians, soit se ranger du côté des gouverneurs et rater l’occasion en or d’être adulé par les travailleurs nigérians » (The Nation du 7 novembre 2010).

    Plutôt qu’une perspective futile, qui cherche apparemment à liguer une section des brigands capitalistes contre l’autre, le DSM appelle de tous ses vœux à des mobilisations et à des luttes de masse y compris des manifestations et des grèves, là et quand elles sont nécessaires, avec une attention particulière sur la construction d’un parti politique ouvrier de masse qui puisse arracher le pouvoir de manière permanente aux pillards capitalistes et sur cette base commencer l’édification d’une société socialiste véritablement démocratique, dans laquelle les ressources de la société seront véritablement utilisées pour pourvoir aux besoins de tous et non pas d’une infime minorité, comme c’est le cas dans l’injuste désordre capitaliste actuel.

  • Nigéria : le secteur de l’énergie doit rester public !

    Au Nigéria, le président Goodluck Jonathan a récemment lancé une “feuille de route pour la réforme du secteur de l’énergie”, dont le but est de privatiser la Power Holding Company of Nigeria (PHCN – Compagnie électrique du Nigéria). Comme condition pour cela, le gouvernement a augmenté le tarif de l’électricité d’environ 4 naïras du kilowattheure à 18 naïras du kilowattheure (0,02€ à 0,09€).

    Socialist Democratic Movment

    C’est là une tentative cynique d’exploiter la faillite de la PHCN à fournir de l’électricité en tant que couverture pour un agenda anti-pauvres visant à transférer les entreprises publiques vers les mains des capitalistes locaux ou étrangers et ce aux dépens des besoins économiques et de la fourniture de services.

    C’est là un véritable revirement dans la tactique de ces bandits, plutôt que de piller la PHCN, l’élite dirigeante, avec leurs alliés étrangers, cherche une nouvelle manière de se faire de l’argent facile. Selon leur plan, après que le secteur privé ait acheté 51% de parts dans la PHCN, qui inclut les 6 compagnies génératrices d’État et 11 compagnies de distribution, le secteur privé sera également responsable de gérer le réseau de transmission “selon un contrat de gestion de cinq ans”.

    Afin d’encore bien insister sur le caractère antisocial de leur “réforme du secteur de l’énergie”, le gouvernement a d’emblée annoncé que 50.000 travailleurs seront licenciés en 2011 suite à la privatisation de la PHCN. Ce chiffre, bien qu’il soit en lui-même assez alarmant, pourrait bien n’être en réalité qu’une sous-estimation du nombre réel de licenciements qui surviendront suite à la privatisation de la PHCN. Selon le Conseiller présidentiel pour l’énergie, le Professeur Barth Nnaji, « Il y a un coût de fonctionnement élevé pour la compagnie, qui engouffre chaque année 8 milliards de naïras (39 millions €), et qui se composent à 80% des salaires et des pensions du personnel, tandis que 70% des coûts se produisent au niveau de la distribution, c’est donc l’idée du groupe d’action de couper une grosse partie de ces frais salariaux afin de garantir un approvisionnement en électricité plus efficient pour le pays. Une fois que ces travailleurs auront été licenciés, nous signerons un accord avec les nouveaux propriétaires de ces compagnies afin qu’ils les réengagent ». C’est un mensonge. La plupart de ces travailleurs ne seront jamais réembauchés, et le paquet de primes de licenciements d’un montant de 135 milliards de naïras (650 millions €) qui a été promis mettra des années avant d’être payé, comme l’a clairement démontré l’expérience des travailleurs et des pensionnés de la Nitel (société des télécoms du Nigeria).

    La vérité est que le gouvernement adore cette tactique du chantage selon laquelle le salaire des travailleurs est un énorme fardeau pour le revenu public, alors que la réalité montre le contraire. Par exemple, les 17.474 cadres et législateurs aux niveaux fédéral, étatique et local coûtent chaque année plus de 1,3 milliards de naïras (6,3 millions €) au pays. Le professeur Itse Sagay, dans une étude fort détaillée parue dans le Punch du 8 août 2010, a montré que cinq pourcent du budget annuel du Nigéria est dépensé chaque année uniquement pour payer “nos” 109 sénateurs et 360 députés.

    En d’autres termes, 469 Nigérians mangent 5% du budget national, laissant les 150 millions d’autres Nigérians avec 1000 naïras (5€) chacun. Ce professeur a encore révélé que « En 2009, un sénateur gagnait sur l’année 240 millions de naïras en terme de salaire et de notes de frais, un député touchait 204 millions. Autrement dit, un sénateur gagnait en un an environ 1,2 millions d’euros, un député gagnait 1 million d’euro. Comparons ceci avec un sénateur américain qui gagne 174.000 dollars par an (127.000€) ou avec un député britannique qui gagne 64.000 livres sterling par an (77.000€).

    En outre, le gouvernement tente à présent de criminaliser le salaire annuel des travailleurs de la PHCN qui s’élève au total à 8 milliards de naïras (39 millions €), comme si leur salaire était responsable de l’inaptitude du gouvernement à fournir un approvisionnement électrique suffisant pour la population. Mais on ne nous fera pas démordre du fait que c’est pour nous les pratiques corrompues des hauts fonctionnaires gouvernementaux, des gérants de la PHCN (qui incluent des personnes appointées par le gouvernement et des contractuels du gouvernement tels que Barth Nnaji) qui sont responsables de l’inefficacité et de l’insuffisance de la fourniture en électricité publique. Il faut se rappeler que le gouvernement Obasanjo aurait investi la somme mirobolante de 2400 milliards de naïras (12 milliards €) dans le secteur énergétique, mais pourtant de cette somme, on n’en a pas vu le moindre watt. De fait, ces 2400 milliards de naïras qui ont disparu quelque part auraient permis de payer le salaire du personnel de la PHCN pour les prochains 300 ans ! Il est grand que le Labour révèle ce qu’il est advenu de ces 12 milliards d’euro, et entame une action sérieuse contre tous les bandits impliqués.

    Il est important ici de souligner que la véritable raison du non-fonctionnement des entreprises publiques est l’absence de démocratie dans la manière dont sont gérées ces entreprises, et la corruption éhontée parmi les hautes couches de l’administration, composées des divers amis politiques des divers régimes qui se sont succédé au pouvoir. Comme les socialistes l’ont toujours défendu, seuls la mise en propriété publique et le contrôle et la gestion démocratiques des entreprises publiques par des comités élus des travailleurs et des consommateurs peut les faire fonctionner de manière efficiente et afin de satisfaire aux besoins du peuple.

    Dans une situation où le pouvoir absolu repose uniquement sur quelques bureaucrates au sommet qui prennent eux-mêmes toutes les décisions relatives à la gestion des entreprises publiques, il n’y a aucun moyen de faire cesser la mauvaise gestion et la corruption. Par exemple, pendant les années ′70 et ′80, les entreprises publiques fonctionnaient de manière relativement efficace. Toutefois, avec l’absence continue de démocratie dans la gestion de ces biens publics, ce n’était qu’une question de temps avant que les bureaucrates politiquement cooptés qui étaient aux commandes de la gestion de ces entreprises publiques ne les fassent complètement chavirer par la non gestion et par le pillage de leurs actifs et de leurs finances.

    Deuxièmement, l’expérience de privatisations similaires dans d’autres secteurs de l’économie confirme l’échec total de la privatisation en tant que méthode pour fournir des infrastructures efficientes, bon marché et accessibles. Par exemple, comme l’avaient prédit les socialistes, la plupart des 400 entreprises publiques qui ont été privatisées (toutes l’ayant été en échange de prix bradés au profit d’entreprises locales ou étrangères – dont certaines ne sont que des devantures pour de nombreux politiciens corrompus) ne fonctionnent toujours pas aujourd’hui. À la place, la plupart d’ente elles ont été réduites à l’état de cadavres, avec toutes sortes de récits complètement scandaleux de mauvaise gestion par le secteur privé. Christopher Anyanwu, l’ex Directeur général du Bureau pour les entreprises publiques, dans un rare élan d’auto-confession de la part d’un cadre étatique, a confié en septembre 2009 que seules 10% des 400 firmes privatisées fonctionnent aujourd’hui à un niveau optimal. La Nitel par exemple a été dormante depuis sa privatisation, des milliers de membres de son personnel se trouvant en outre à l’agonie suite au non payement de leur salaire depuis plusieurs mois.

    En particulier dans le secteur de l’énergie, la privatisation s’est dès le départ révélée n’être qu’une aventure désastreuse. Depuis 2005, lorsque la PHCN a été démantelée en 18 compagnies autonomes, environ 20 compagnies énergétiques qui ont reçu des permis de production et de distribution d’électricité n’ont pas généré le moindre mégawatt ! La réalité est que la classe dirigeante capitaliste nigérianne et leurs comparses étrangers auxquels appartiennent ces entreprises privées n’ont aucune confiance dans l’économie. En conséquence, ils sont bien plus prompts à investir dans la spéculation ou à entasser leur argent dans des banques à l’étranger plutôt que d’engager leur argent dans des investissements dans un secteur aussi intensif en capital que le secteur énergétique ; à la place, ils souhaitent racheter les 3000 mégawatts déjà générés par la PHCN pour pouvoir eux-même la revendre à un prix plus élevé aux consommateurs, tirant de l’affaire un profit facile pour très peu de dépenses en capital.

    Et quand bien même ils investissent, ils le font de préférence à l’aide des ressources publiques, comme l’a d’ailleurs clairement démontré l’assurance du Président Goodluck Jonathan et de son Conseiller spécial à l’énergie, le Professeur Barth Nnaji, que « Le gouvernement fournira des rehaussements de crédit qui leur permettront d’investir dans la construction de centrales énergétique » et que « La Banque centrale du Nigéria a établi un fond de 300 milliards de naïras (1,4 milliard €)) qui seront mis à la disposition des investisseurs potentiels pour le secteur de l’énergie ». Ceci les assurera donc sur le fait qu’ils sont bien protégés, puisqu’en cas d’investissement non rentable, seul le gouvernement perdra de l’argent !

    En langage courant, tout ce blabla signifie que le gouvernement désire utiliser les ressources publiques afin d’aider des individus et des compagnies privées qui n’ont de compte à rendre qu’à eux-mêmes à reprendre la PHCN. C’est la même chose qui a été faite en 2009 lorsque 620 milliards de naïras des fonds publics ont été utilisés par la Banque centrale du Nigéria pour renflouer 8 banques qui se trouvaient au bord de la faillite à cause de leurs pratiques douteuses, de la corruption de leurs dirigeants et des prêts inconsidérés couplés à l’investissement dans des actions à risque. C’est une chose de soutenir les clients d’une banque, mais c’est quelque chose d’entièrement différent d’en renflouer les propriétaires. La question est : si le secteur privé est si bon à gérer les entreprises publiques qui lui ont été vendues, pourquoi alors le gouvernement doit-il sans arrêt venir à sa rescousse avec l’argent du public et des plans de renflouement irréfléchis ? Les procès scandaleux qui sont en cours en ce moment contre certains dirigeants de banque accusés de pillage, de corruption et de pratiques douteuses démontre bien à quel point on ne peut pas faire confiance au secteur privé pour la gestion des entreprises publiques.

    Dans tous les cas, l’objectif premier de tout investisseur privé est de faire du profit et non pas de fournir un service. Par conséquent, même dans la situation peu probable où le secteur de l’énergie serait rénové par une privatisation bien menée, avec un accroissement de la production et un circuit de distribution stable, les vastes masses laborieuses, les artisans, les petits commerçants, les patrons de petites ou moyennes entreprises, etc. devraient s’attendre à ce que la facture augmente jusqu’au point où seule une minorité de la population sera capable de se la payer.

    Nous affirmons que la PHCN peut être efficiente si elle demeure publique. Ceci va cependant nécessiter son transfert sous le contrôle et la gestion démocratiques par des comités élus de travailleurs, des consommateurs et de représentants du gouvernement afin d’assurer que les ressources publiques qui auront été dépensées afin d’améliorer le secteur de l’énergie ne soit pas gaspillées ou mangées comme ça s’est produit à chaque tentative précédente du gouvernement pour revigorer le secteur. C’est aussi cela qui est nécessaire pour éviter une débacle comme l’ont connue l’ancienne Union soviétique et les États d’Europe de l’Est, où l’étouffement bureaucratique de l’économie a sapé leurs économies nationalisées. Ce que cela signifie est que, au lieu des quelques bureaucrates désignés par en haut par le gouvernement qui dicte le fonctionnement des entreprises publiques, les décisions doivent être prises par les travailleurs à la base et par les consommateurs, au moyen de représentants élus dans des comités de gestion aux niveau local, étatique et national, avec le mandat de superviser les affaires du secteur de l’énergie en accord avec les besoins du peuple.

    Mais un tel système ne pourrait survivre très longtemps en isolation du reste du pays, ce qui est particulièrement vrai au Nigéria où le but premier de l’élite est d’être en position de manger. Voilà pourquoi il nous faut une révolution sociale pour changer de système, car un gouvernement capitaliste ne va jamais de son plein gré remettre le contrôle de l’économie aux travailleurs et à la masse du peuple. Seul un gouvernement socialiste et démocratique des travailleurs et des pauvres peut placer le contrôle des leviers de l’économie entre les mains du peuple. Avec un gouvernement des travailleurs et des pauvres, il serait possible d’utiliser les ressources de la société pour rechercher, développer et découvrir de nouvelles méthodes de génération d’électricité efficientes et écologiques, telles que l’utilisation des énergies éoliennes, solaires et marémotrices afin de progressivement quitter le gaz, le charbon, le pétrole et le nucléaire, qui sont les seules sources d’énergie aujourd’hui acceptées par la classe capitaliste au pouvoir, sans aucune pensée pour la sécurité de l’environnement ni des besoins en énergie de la société.

    Malheureusement, aucun des partis politiques qui se présenteront aux élections de l’an prochain ne défendent un tel programme. Par conséquent, quel que soit le vainqueur de ces élections, il n’y aura aucun changement fondamental de la situation au Nigéria en ce qui concerne la plupart d’entre nous. C’est la raison pour laquelle le DSM, tout en soutenant des luttes telles que celles du personnel de la PHCN, appelle à la construction d’un mouvement politique de la population laborieuse afin de se débarrasser de l’élite de bandits capitalistes qui mène le pays au naufrage, et à l’établissement d’un gouvernement des travailleurs et des pauvres qui régnera pour satisfaire aux besoins de la population laborieuse et non pas pour les profits de la classe dominante.

  • [DOSSIER] Nigéria : La Présidence de Goodluck Jonathan

    Un développement positif et une amélioration des conditions de vie au Nigéria sont-elles possibles ?

    Après beaucoup de raffut, c’est le Dr Goodluck Jonathan qui est devenu Président du Nigéria ce 6 mai 2010, à la suite du décès du Président Musa Yar’Adua, mort en plein mandat des suites d’une longue d’une maladie. Comme d’habitude, plusieurs commentateurs bourgeois et autres crabes, qui soutiennent toujours le gouvernement en place quel qu’il soit, ont intensifié leurs pirouettes. A en croire ces éléments, Goodluck Jonathan est doté d’une aura divine ; ils insistent sur la manière dont il est devenu gouverneur et maintenant Président sans jamais s’être présenté à aucune élection en son nom propre !

    De l’édition d’octobre de Socialist Democracy, journal du Democratic Socialist Movement (CIO-Nigéria)

    Et maintenant, ces diseurs de bonne aventure veulent que les Nigérians aient foi dans le fait que Goodluck Jonathan va utiliser sa soi-disant « chance » providentielle pour apporter un bouleversement positif à l’économie et aux conditions de vie de la population. Nous demandons donc : le Nigéria et les Nigérians connaîtront-ils un développement positif et une amélioration de leur niveau de vie sous la dispense du Président Jonathan ?

    Il est très important de constater que les principaux porte-parole gouvernementaux sont récemment apparus porteurs de statistiques et de données hautement optimistes qui toutes tendant à la conclusion que les beaux jours sont déjà arrivés dans le secteur économique. Pour ces éléments bouffis de leurs propres illusions, tout ce qui est maintenant requis pour soutenir ces supposés lendemains qui chantent est une détermination gouvernementale afin d’accomplir certaines réformes économiques généralement appréciées par le capital financier mondial et ses politiciens antisociaux locaux.

    Prenant récemment la parole devant une conférence de presse avec Mme Aruna Oteh, Directrice Générale de la Commission pour la Sécurité et pour l’Echange, et le Commissaire aux Assurances M. Fola Daniel, le Ministre des Finances M. Olusegun Aganga a joyeusement affirmé que «notre économie se porte bien». Ils ont entre autres déclaré que le PIB a augmenté de +7,2% au cours du premier trimestre de 2010, comparé à un plongeon de -8,8% au premier trimestre 2009 et de -6,6% en 2008. Ils ont également affirmé que le secteur non-pétrolier s’est accru de +8,15% comparé au premier trimestre de 2009, contre +7,9% entre 2009 et 2008. Mais malgré tout, le chômage est toujours officiellement estimé à 19,47%.

    Quelques jours plus tard, le 28 juillet 2010, lors d’une réunion du Conseil Exécutif Fédéral, le Gouverneur de la Banque Centrale M. Sanusi Lamido Sanusi a lui aussi déclaré que «il n’y a aucune raison de s’alarmer» si l’on considère les perspectives économiques globales du pays. Selon lui, le PIB a augmenté de +7,63%, l’inflation est maintenant modérée, les marchés d’échange avec l’étranger sont stables, de même que le taux inter-banques et le taux du marché, et il a conclu en disant que les banques travaillent très bien. Et, apparemment pour soutenir les bons développements dont il a parlé, il a allégrement annoncé que la Banque Centrale du Nigéria, la Banque de l’Industrie et les banques commerciales au Nigéria se sont mises d’accord pour signer un contrat de 500 milliards de naïra (2,4 milliards d’euros) afin de financer les secteurs de l’énergie et de la manufacture.

    Selon les termes de M. Sanusi, «Il faut que ça change. Nous croyons que l’industrie bancaire peut servir de catalyseur pour le secteur. Chaque banque qui a participé aux 130 milliards de naïra (600 millions d’euros) que nous avons déboursés doit contribuer à hauteur de 65 milliards de naïra avec ses propres fonds. Au-delà du soutien financier, nous fournissons aussi des conseils et des analyses d’impact afin de soutenir la croissance du secteur manufacturier». S’adressant aux Correspondants de la Chambre d’Etat après la réunion, le Ministre d’Etat pour l’Information et la Communication, M. Labaran Maku, a débordé de remerciements à M. Sanusi pour sa «franchise et son cœur» sans pareils, en particulier pour sa «détermination à pousser de l’avant avec des réformes critiques, malgré les pressions de groupes aux intérêts contraires qui cherchent à renverser les réformes qui ont sauvé de la crise profonde les secteurs financiers de la nation». M. Maku a conclu en déclarant que «le Gouvernement est confiant dans le fait qu’avec tout ce qui se passe en termes de réformes et de convergence politique, l’économie de la nation connaîtra une croissance durable dans les années à venir».

    Entre propagande et réalité

    Il y a deux leçons basiques que les couches conscientes du mouvement ouvrier et de la jeunesse doivent tirer de toutes ces fausses affirmations et performances, telles que le renouveau de l’économie nationale, qui sont aujourd’hui publiées par les hauts sommets du Gouvernement. Tout d’abord cela démontre que sous la Présidence de Jonathan, la gestion économique et la gouvernance en général sont toujours largement considérées par l’élite bourgeoise comme n’étant rien de plus qu’un art de propagande qui n’a rien ou pas grand’chose à voir avec la réalité. Deuxièmement, cela démontre également l’incapacité totale des mesures préférées des élites capitalistes à garantir un développement suffisant et un niveau de vie décent malgré les ressources naturelles et humaines abondantes de la nation. Tout en se donnant des tapes dans le dos les uns aux autres pour se féliciter des soi-disant merveilleuses réalisations qui sont aujourd’hui en train d’être enregistrées grâce à la combinaison de leur politique macro et micro-économique, et en même temps qu’ils éructent de fausses promesses quant à la croissance durable et la hausse des niveaux de vie, chaque secteur-clé de l’économie et les conditions de vie de l’écrasante majorité de la population ont continué à aller de mal en pis.

    «Entre 1985 et 2004, l’inégalité au Nigéria a empiré de 0,43 à 0,49%, ce qui place le pays parmi ceux qui ont les plus haut taux d’inégalité au monde. De nombreuses études ont démontré que malgré ses vastes ressources, le Nigéria se classe parmi les pays les plus inégaux du monde. Le problème de la pauvreté dans le pays est en partie une conséquence de la forte inégalité qui se manifeste par une distribution du revenu fortement inégale, et par des différences d’accès à l’infrastructure de base, à l’éducation, aux formations et aux opportunités d’emploi» (Rapports de Développement Humain du PNUD – Programme des Nations Unies pour le Développement – pour les années 2008-9).

    En dépit de ses abondantes ressources humaines et naturelles, le Nigéria est classé 158ème sur 182 pays en terme d’Indice de Développement Humain. Bien que la population nigériane compte pour près de 2% de la population mondiale, le pays compte pour 11% des décès maternels et 12% du taux de mortalité des enfants âgés de moins de 5 ans du monde entier. Selon un autre rapport des Nations Unies, 92% des Nigérians vivent avec moins de 2$ par jour. Il n’est dès lors guère surprenant que l’espérance de vie de la plupart des Nigérians ait fortement décliné, s’élevant à 49 ans pour les hommes et 59 ans pour les femmes.

    Un accès stable et abordable à l’électricité, ce qui est perçu partout comme étant un élément inévitable de la croissance économique moderne et du développement social, demeure largement non-existant pour une écrasante majorité de Nigérians ; tandis que les services pour la minorité d’individus et d’entreprises qui y ont accès restent épileptiques. L’Afrique du Sud, qui ne comporte qu’environ un tiers de la population du Nigéria, génère 45.000 mégawatts d’électricité par an. En revanche, le Nigéria ne génère à peine que la quantité lamentable de 3000 mégawatts par an. En fait, au moment où l’ancien Président Obasanjo a quitté le pouvoir en mai 2007, le Nigéria ne générait plus que 2500 mégawatts, qui ont aujourd’hui encore décliné à environ 2000 mégawatts en 2009.Il faut ajouter ici que cette situation pathétique se poursuit malgré le fait que le pays est censé avoir investi près de 16 milliards de dollars pour la production d’électricité sous la Présidence d’Obasanjo !

    L’éducation, que tout un chacun considère comme un pré-requis essentiel pour le développement global de la société et des individus, demeure dans les conditions les plus débilitantes. Par exemple, le journal The Nation du 17 mars 2010 rapporte que « Seuls 4223 des 236 613 candidats (c.à.d. 1,7% d’entre eux) à concourir pour l’Examen Senior d’Ecole Secondaire du Conseil National des Examens (NECO) de novembre/décembre de l’an passé ont réussi dans cinq sujets incluant l’anglais et les mathématiques ». Dans son édition du 15 avril 2010, The Nation rapportait de même que dans tout le pays, seuls 25,99% et 10% respectivement ont réussi dans au moins cinq sujets y compris l’anglais et les mathématiques lors des examens du Conseil des Examens de l’Afrique de l’Ouest de mai/juin 2009 et du NECO de juillet 2009.

    Ces résultats pathétiques et inquiétants ont été condamnés sans ambages par le gouvernement, les cadres non-gouvernementaux et les individus privés. Selon le même journal du 15 avril 2010, « Les pauvres résultats des candidats ont forcé le Gouvernement Fédéral à convoquer les chefs des deux commissions d’évaluation afin d’expliquer cet échec de masse et de fournir des solutions. Ceci a été suivi en janvier par une réunion du Ministre de l’Education de l’époque, Dr Sam Egwu, avec les directeurs des Collèges du Gouvernement Fédéral de Minna, capital de l’Etat du Niger (une province du Nigéria de 2 fois la taille de la Belgique et 4 millions d’habitants, à ne pas confondre avec le Niger qui est le pays voisin). Même M. Segun Oni, le gouverneur de l’Etat d’Ekiti – qui s’enorgueillit d’être une ‘‘Fontaine de la Connaissance’’ -, à la suite de ces résultats lamentables, a lu le décret émeutes aux directeurs des écoles secondaires, selon lequel ils devaient soit relever la tête, soit démissionner. Le Forum des Gouverneurs du Nord via son Président le Dr Mu’azu Babangida Aliyu, a dû organiser une réunion des 19 gouverneurs de la région afin de se pencher sur ce problème. Dans la région de l’Est, le résultat des examens est devenu extrêmement préoccupant pour les organisations gouvernementales et non-gouvernementales ».

    De la part de ces mêmes éléments qui ont été et sont toujours responsables de l’effondrement et de la déchéance continue du secteur de l’éducation, les réponses qui ont été faites par divers cadres gouvernementaux et que nous avons citées ci-dessus, sont à la fois cyniques et hypocrites. Cette réponse est on ne peut plus cynique, parce que ce sont justement ces divers cadres gouvernementaux à travers leur politique de sous-financement de l’éducation et la corruption dans toutes les sphères de la vie qui ont créé les conditions responsables de l’échec sans fond à l’école et lors des examens.

    En 2005, le PNUD, dans son rapport sur le Développement Humain, avait déjà dépeint un tableau extrêmement sinistre du secteur de l’éducation au Nigéria. Ce rapport disait ceci : « Du au maigre financement de l’éducation, l’enseignement à tous les niveaux souffre de faibles niveaux académiques ; il manque de personnel enseignant suffisant, à la fois en quantité et en qualité. Même les quelques enseignants qualifiés qui sont disponibles ne sont pas suffisamment motivés en terme de rémunération ou d’environnement de travail pour maximiser la qualité de leur apport dans le système éducationnel. Les écoles et les classes sont surpeuplées, les bâtiments sont inadéquats et sur-utilisés, les étagères des bibliothèques sont vides et recouvertes de toiles d’araignées, tandis que les laboratoires sont dépourvus d’équipement mis à jour ». Face à un tel constat, on ne peut que s’époustoufler de l’hypocrisie de nos dirigeants lorsqu’ils s’étonnent des résultats de nos élèves aux examens.

    Malgré l’impression trompeuse qui est donnée par les porte-parole du gouvernement au sujet de la situation économique actuelle du Nigéria, les routes étatiques et nationales, tout comme les rues, demeurent dans les conditions les plus déplorables, ce qui mène constamment à des pertes de vie massives à cause des accidents fréquents qui se produisent sur ses pièges mortels qu’on appelle « routes ». En même temps, les Nigérians et l’industrie continuent à perdre d’innombrables heures de travail simplement pour pouvoir se frayer un chemin sur ces mauvaises routes. En fait, un rapide survol de chaque aspect basique de la vie et de l’économie du pays révèle un tableau d’échec et de décrépitude colossaux.

    Les mesures qui sont mises en avant par Jonathan et par les responsables du gouvernement

    Il n’y a pas longtemps, le Ministre des Finances M. Olusegun Aganga, s’est adressé aux médias quant à l’état actuel de l’économie et à ses perspectives pour la période à venir. Il a crié sous tous les toits que « Notre économie se porte bien ; nos banques sont sûres ». En plus de ces déclarations fantaisistes quand aux soi-disant merveilleux indicateurs économiques, le Ministre a déclaré : « Nous allons créer un environnement de qualité afin d’attirer les investisseurs locaux et étrangers. La création d’infrastructure est une autre priorité du gouvernement. L’énergie en est la clé. Si on demande à qui que ce soit ce dont ils ont réellement besoin, je suis certain que cette personne répondra : énergie,énergie, énergie ». Dès le moment où il est devenu Président au début du mois de mai 2010, Jonathan n’a laissé aucun doute sur le fait qu’il trouve qu’un accès à l’électricité stable et ininterrompu est un facteur indispensable pour le développement socio-économique. De fait, il s’est même octroyé le poste de Ministre de l’Energie en plus de ses fonctions présidentielles.

    Etant donné l’ « heureux bilan » établi par le Ministre des Finances, et l’engagement apparent de Jonathan de résoudre une fois pour toutes le problème de l’approvisionnement en électricité, les Nigérians peuvent-ils s’attendre à avoir accès à des logements, à des soins de santé, à une éducation et à des emplois ? Les industries et la population en général peuvent-elles espérer bénéficier d’infrastructures fonctionnelles, tels que des routes, une source d’électricité ininterrompue et accessible ? Dès lors, les grandes industries tout comme les petits commerces peuvent-ils maintenant avoir accès à des prêts bancaires à des taux favorables pour les producteurs autant que pour les consommateurs ?

    Il est certain que c’est là l’impression que cherchent à faire le Président Jonathan, le Ministre des Finances Olusegun Aganga, et ceux comme le Gouverneur de la Banque Centrale du Nigéria, Mallam Sanusi Lamido Sanusi. Mais malheureusement, si on se fie à une évaluation scientifique de la stratégie économique centrale du gouvernement, de ses mesures-clés et de leur mise en oeuvre, c’est tout le contraire de ces promesses, voire pire, qui risque bien de se produire.

    Malgré sa surenchère de promesses, la stratégie économique du Président Jonathan est entièrement basée sur le même paradigme néolibéral, anti-pauvres, pro-riches qui a déjà tant échoué, et qui est poussé par le monde des affaires et par les éléments capitalistes sur les plans international et local. Ecoutons seulement M. Aganga : « Nous allons supprimer les barrières douanières aifn d’attirer les investissements dans notre zone. De la sorte, nous voulons que le secteur privé vienne en tant que partenaire au gouvernement pour financer l’infrastructure. Le gouvernement ne peut pas faire cela de lui-même. Nous savons que nous ne pouvons pas nous permettre de financer le déficit de l’infrastructure en comptant uniquement sur notre budget. Nous savons que nous n’avons que très peu de moyens, et nous savons qu’il est très important de remplir ce trou, et c’est pourquoi nous appelons le secteur privé à mener le développement de l’infrastructure ». (Avant-Garde du 24 juillet 2010)

    Dans un récent discours face au Conseil Communal (une institution établie à la manière américaine) à la Loge du Gouverneur à Uyo dans l’Etat de Cross River, le Président Jonathan a profité de l’occasion pour faire des déclarations explicites et approfondies sur la stratégie économique du gouvernement. Parmi d’autres points, il a abordé le problème crucial et délicat de l’accès et de la disponibilité des produits dérivés du pétrole à des usages industriels et domestiques. Voyez plutôt : « Ce n’est pas le rôle du gouvernement d’être directement impliqué, mais plutôt d’encourager le secteur privé à investir. Ce qui limite en ce moment l’établissement de ces raffineries est le mode de fixation des prix des produits pétroliers, un problème que le gouvernement veut résoudre. Si le gouvernement devait être impliqué, ce serait sous la forme d’un partenariat public-privé, mais pas directement comme par exemple par la construction de raffineries d’Etat ».

    Le « partenariat public-privé » en action

    Contrairement à toutes ces vantardises, la paralysie économique actuelle au sien du pays et à l’échelle internationale est essentiellement une conséquence de la stratégie du « profit d’abord » suivie par l’élite capitaliste dirigeante partout dans le monde. Nous allons ici donner deux exemples de comment fonctionne cette politique. Selon le principe de « partenariat public-privé » (PPP), les aéroports du pays sont cédés aux marchands de profit sous le nom de « concession ». L’idée qui est vendue au public est que grâce à cet arrangement, l’emprise de la machine étatique corrompue sera brisée et qu’ainsi plus de revenus seront générés, ce qui garantirait les développements nécessaires de l’infrastructure et de la logistique aéroportuaire. Cependant, selon le magazine ThisDay du 10 juin 2010, c’est en réalité uniquement le contraire de ce qui avait été promis qui s’est produit : « L’accord de concession était censé redresser le revenu de la Federal Airports Authority in Nigeria. On croyait que les partenaires privées renforceraient l’innovation et la transparence, et assureraient que les ressources aéronautiques comme non-aéronautiques seraient gérées de telle manière à accroître les revenus […] Mais au lieu de rehausser le revenu de l’Agence, les concessionnaires ont quitté l’organisation en la laissant dans un état financier critique. [Selon une source de la FAAN :] « Dans le passé, la FAAN n’a jamais été en retard de payement de salaires, mais depuis que ces concessionnaires sont arrivés à sa tête, il est devenu difficile de payer le personnel. Regardez les aéroports, on ne les entretient même plus, parce que les fonds ont disparu. On avait prévu d’obtenir plus que ce que nous générions avant que les sources de revenus ne soient concédées. Mais il est aujourd’hui évident que les travailleurs de la FAAN s’en tiraient mieux avant » ». 

    Le Président Jonathan et ses conseillers économiques ont donné au secteur privé la responsabilité du développement nécessaire des infrastructures et des services via leur agenda de soi-disant partenariat public-privé. Cependant, c’est l’Etat de Lagos, gouverné par un parti d’opposition, l’Action Congress (AC), qui a déjà fourni une excellente illustration de pourquoi l’idéologie du « profit d’abord » ne mènera jamais à un développement nécessaire et suffisant pour l’économie et pour l’amélioration des conditions de vie du peuple en général. Depuis 2003 ou à peu près, l’ex-Gouverneur de l’Etat de Lagos, Bola Ahmed Tinubu, a conclu un accord avec un groupe d’entreprises privées pour construire une route de 49 kilomètres afin de relier Victoria Island à la ville d’Epe, dans l’Etat de Lagos. Huit ans plus tard, seuls 6 km de route ont été construits. Mais les entreprises privées en charge du projet n’ont par contre pas eu honte de déjà installer trois péages afin de prélever l’argent sur les utilisateurs de la route en chantier (pour la plupart des membres des classes moyennes ou de l’élite riche) ! Cette situation risque de durer encore trente ans ! Entretemps, plus des trois-quarts des routes et rues de l’Etat de Lagos demeurent dans des conditions déplorables.

    Le renflouement des banques et des industries

    Toutefois, rien n’illustre mieux l’incapacité totale du capitalisme de répondre aux nécessités sociales pour le développement économique et l’amélioration du mode de vie du peuple, que la pauvreté de masse et la dépression qui domine actuellement tous les secteurs économiques et sociaux, malgré les ressources naturelles et humaines surabondantes dont est doté le Nigéria. La manifestation la plus provocante de l’impasse capitaliste est l’octroi de centaines de milliards de naïras provenant des fonds publics en cadeau aux mêmes vampires capitalistes qui ont mené à ses conditions actuelles de désolation ce pays qui autrement serait énormément riche de ses immenses ressources et de sa population courageuse.

    A la fin de l’année passée, le gouvernement de feu le Président Musa Yar’Adua a donné via sa Banque Centrale la somme de 620 milliards de naïra (3 milliards d’euro) à huit banques qui se tenaient au bord de la faillite, en conséquence de leurs nombreuses transactions financières irresponsables et du pillage en bonne et due forme exercé par leurs propriétaires privés. Yar’Adua et son successeur le Président Jonathan ont de même unilatéralement décidé d’octroyer la somme scandaleuse de respectivement 150 milliards et 500 milliards de naïra (700 millions et 2 milliards d’euro) pour renflouer des industries en faillite tant en les laissant entre les mains des capitalistes. Bien entendu, ce qui était autrefois le secteur industriel nigérian a été maintenant complètement dévasté au fil des années par la combinaison de mesures politiques « profit d’abord » qui ont été imposées au pays par les multinationales des pays capitalistes avancés.

    A cet égard, l’industrie textile exemplifie bien le genre de désertification industrielle qui a étranglé le pays au fur et à mesure que le capitalisme mondial a renforcé son emprise sur les économies des pays néocoloniaux et sous-développés tels que le Nigéria. A la fin des années 80, il y avait 250 entreprises textiles qui ensemble employaient directement 800 000 travailleurs, avec plus d’un million d’autres personnes qui gagnaient leur vie par la vente et autres commerces liés à ce secteur. Malheureusement, en 2007, il ne restait que 30 de ces entreprises, opérant pour la plupart en-dessous de leur capacité, et qui employaient moins de 30 000 travailleurs. Il faut ajouter aussi que c’est le même genre de dévastation économique qui a vu le jour dans d’autres secteurs industriels et agricoles autrefois florissants.

    Toutefois, au-delà même des conditions lamentables qui prévalent aujourd’hui, il est économiquement contre-productif et socialement scandaleux pour un gouvernement de verser des centaines de milliards aux mêmes marchants de profit qui ont mené le pays à son impasse actuelle malgré son abondance de ressources humaines et naturelles, alors que cet argent aurait pu être utilisé pour développer les infrastructures publiques et les services sociaux. C’est un véritable scandale que d’énormes fonds publics soient octroyés à des individus et à des entreprises non-redevables et dont les seuls intérêts sont ceux de leurs profits et qui pendant des années ont mené une véritable croisade pour que le gouvernement cesse de financer les infrastructures socialement nécessaires que sont les routes, les services, l’éducation, les soins de santé, l’emploi, etc. soi-disant parce que ce sont là des mesures socialisantes qui n’engendreraient que l’inefficacité et la stagnation économique. Si les industries qui sont essentielles au développement du pays et du niveau de vie sont au bord de la faillite, alors au lieu d’en renflouer les propriétaires, elles devraient être nationalisées (avec compensation uniquement sur base de besoins prouvés) et gérées démocratiquement dans les intérêts des travailleurs et des pauvres.

    Hélas, plutôt que de se battre pour une réelle appropriation publique des secteurs-clés de l’économie, y compris des secteurs bancaire et financier, sous le contrôle et la gestion démocratique par les travailleurs, en tant que base d’un grand plan démocratique par lequel les abondantes ressources humaines et naturelles du Nigéria pourraient être utilisées afin de garantir une vie décente et une réelle liberté démocratique pour le peuple, les sommets de la hiérarchie syndicale du NLC (Nigerian Labour Congress) et de la TUC (Trade Union Confederation) sont occupés à placer de faux espoirs dans l’illusions selon laquelle ce système criminel pourrait être réformé afin de satisfaire aux besoins des masses laborieuses. Ils ferment leurs yeux devant l’échec du capitalisme à développer le Nigéria et devant la grave crise qui a frappé le système capitaliste mondial au cours des trois dernières années. En fait, les dirigeants syndicaux ne font que baser leurs campagnes sur ce qu’ils pensent que les capitalistes voudront bien donner, c’est pourquoi aucune campagne sérieuse n’a été menée pour le salaire minimum à 52 000 naïra (240€) que l’Exécutif National du NLC avait revendiqué pour la première fois lors de son assemblée du 18 décembre 2008 à Kano.

    La guerre contre la corruption et contre l’insécurité de la vie et de la propriété

    La corruption et l’insécurité de la vie et de la propriété sont toujours considérées par tous les commentateurs sérieux comme étant des facteurs cruciaux lorsqu’on parle d’assurer une véritable croissance économique et la stabilité sociale. Malheureusement, le gouvernement pro-capitaliste dirigé par Jonathan a également démontré son incapacité à répondre de manière efficace au défi qui est posé par ces deux enjeux. Presque chaque jour, le Président Jonathan et ses cadres professent le même discours quant à leur détermination à combattre la corruption, qui est perçue comme un cancer qui empêche la croissance économique.

    Pourtant, la Commission pour les Crimes Economiques et Financiers (EFCC) a fermé les yeux devant toute une série de scandales à échelle internationale impliquant plusieurs cadres gouvernementaux haut placés, certains étant déjà à la retraite, d’autres non, et sans le moindre murmure non plus de Jonathan ou de son administration. Cependant, la même EFCC qui n’a pas bronché au sujet des accusations de corruption envers des hauts responsables gouvernementaux au sujet de contrats obtenus avec Halliburton, Daimler, et autres requins multinationaux, a tout d’un coup regagné toute sa puissance lorsqu’elle a forcé le Président Goodluck à annuler son interdiction autocratique de toute participation des équipes de football nigérianes à des compétitions internationales.

    Afin de couvrir la retraite humiliante qui a été imposée au Président quant à son interdiction digne d’un dictateur militaire, mais complètement hypocrite et entièrement déplacée, des équipes de football nationales, la EFCC a été lâchée sur les chefs de la Fédération Nigériane de Football (NFF). De la même manière que dans les derniers jours de la Présidence d’Obasanjo, la EFCC est essentiellement devenue un instrument de harcèlement des opposants ou de ceux qui étaient tombés en disgrâce par rapport au PDP au pouvoir, la EFCC serait maintenant en train de mener une enquête sur la mauvaise gestion de 2 milliards de naïra par la NFF. Tout ceci sur ordre de personnes qui gèrent un budget de dizaines de milliers de milliards de naïra, sans en être redevables à qui que ce soit ! Au vu des dernières gesticulations de la EFCC, on peut dire que sous le règne de Jonathan, comme d’habitude, la guerre contre la corruption ne demeurera qu’une mauvaise plaisanterie, qui revient à tenter d’éteindre un feu de brousse en crachant dessus, ou à ce que des hors-la-loi armés s’octroient le droit de juger des voleurs à la tire.

    La résolution du Gouvernement à combattre les crimes de droit commun tels que les rapts révèle également la même vision bourgeoise à court-terme, ce que feu Fela Anikulapo-Kuti appelait « l’aveuglement ikoyi ». Comment le gouvernement compte-t-il endiguer la vague croissante de criminalité, en particulier les rapts qui ont pris un caractère de plus en plus répandu, et surtout au moment même où le gouvernement cherche à attirer des investisseurs étrangers ? Le Président Jonathan nous répond : « Nous prenons cet enjeu très au sérieux, et nous ne manquerons pas de poursuivre les auteurs de ces crimes. On trouve même certaines communautés dans le pays qui ont fait de la criminalité un vrai business, et des gens croulant sous les diplômes et qui aident et soutiennent cette activité […] Certaines personnes haut-placées sont impliquées […] Lorsque quelqu’un est enlevé, ce sont ces mêmes gens qui vont négocier la rançon […] Nous ne dormons pas ; nous sommes en train de trouver des méthodes pour traquer les enleveurs, nous cherchons à mettre en oeuvre des méthodes informatiques pour ce faire ».

    Aveuglés par leur propre mode de vie d’opulence non mérité et injuste, lorsque l’immense majorité se morfond dans la misère et l’indigence, Jonathan et les élites capitalistes ne peuvent réaliser que c’est la combinaison de leur système injuste et de la corruption des dirigeants capitalistes qui est responsable de la hausse des crimes sociaux tels que les enlèvements, le banditisme armé, le siphonage des oléoducs, etc. Par conséquent, pour que les masses laborieuses puissent bénéficier de conditions de vie décentes et permanentes, et d’une société libre du fléau de la criminalité, la société capitaliste actuelle, faite d’injustices, et qui ne bénéficie qu’aux intérêts des quelques riches, doit être économiquement et socialement remplacée par un nouvel ordre social dans lequel les ressources de la nature et les hauts sommets de l’économie – y compris les banques et la finance – seraient collectivement appropriées et placées sous le contrôle et la gestion démocratiques des travailleurs eux-mêmes, de sorte que les ressources humaines et naturelles infiniment abondantes de notre planète puissent être réellement planifiées et utilisées afin de satisfaire aux besoins économiques et sociaux du peuple.

    Vers où aller ?

    Sur base de mesures et stratégies pro-capitalistes, aucun des problèmes sociaux et économiques auxquels sont en ce moment confrontés le pays et la vaste majorité de sa population de plus en plus miséreuse ne peuvent être résolus de manière satisfaisante afin d’assurer une croissance économique énergique et un mode de vie décent pour le peuple. Bien sûr, au lieu d’accepter la faillite totale de la stratégie capitaliste et de la politique menée sur une base individuelle, les élites dirigeantes parasitaires et kleptomanes du Nigéria voudront toujours donner l’impression que le fait de gérer l’économie nigérienne est un e mission impossible. Devant le Conseil Communal cité plus haut, le Président Jonathan a une fois de plus renié son engagement gouvernemental de départ selon lequel il oeuvrerait en faveur d’un approvisionnement complet en électricité pour les industries et pour les ménages, avec comme point de départ la génération de 11 000 mégawatts avant 2011. Effectuant un virage à 180° par rapport à ses promesses initiales, le Président demande maintenant aux Nigérians de ne pas s’attendre à avoir un accès adéquat à l’électricité avant longtemps. Citant son expérience en tant que Gouverneur de l’Etat de Bayelsa, il a expliqué que « J’ai réalisé que lorsqu’on arrive par exemple avec 10 000 mégawatts, plus de gens vont immédiatement réclamer de nouvelles lignes électriques pour chez eux, et peu après, l’approvisionnement en électricité redevient inadéquat ». Cet argument bidon ridicule est taillé sur mesures pour justifier pourquoi le Nigéria n’a pas pu générer assez d’électricité pour alimenter de manière satisfaisante sa consommation industrielle et ménagère.

    L’Afrique du Sud, qui ne comporte qu’un tiers de la population du Nigéria, génère actuellement 45 000 mégawatts d’électricité par an, tandis que le Nigéria n’en génère en ce moment que 3000. Par conséquent, la tâche centrale est non pas de donner l’excuse que c’est le comportement des gens qui rend cet objectif inatteignable, mais bien de générer assez d’électricité que ce dont en ont besoin les industries et les gens. A un moment l’an dernier, la Ministre de l’Information nigérianne, Mme Dora Akunyili, a rendu visite à l’Ambassadeur vénézuélien au Nigéria, pour y rééditer auprès de lui son appel habituel à des investissements étrangers dans le secteur pétrolier. En guise de réponse, l’Ambassadeur du Venezuela a demandé au Nigéria de plutôt se tourner vers ses propres forces et de gérer ses propres ressources afin d’améliorer le bien-être de son peuple et de son économie en général, plutôt que de sans cesse frappeer à la porte des étrangers. Il a ainsi expliqué que depuis l’an 2000, au Venezuela, le prix du barril de pétrole est resté le même et le coût du plein pour une voiture moyenne n’a pas excédé la somme de 160 naïra (0,75€), et que le gouvernement vénézuélien possédait et gérait plus de 40 raffineries de dérivés pétroliers destinés à la consommation locale comme à l’exportation. Bien que les masses laborieuses vénézuéliennes soient toujours confrontées à de grands problèmes dus au caractère incomplet des réformes anticapitalistes qui ont été jusqu’ici accomplies dans leur pays, elles ne sont pas confrontées au même désastre absolu qui sévit au Nigéria. Tandis que le Nigéria, qui est le quatrième plus grand producteur de pétrole brut au sein de l’OPEP, dépend toujours fortement de l’importation de produits pétrolier, aucune de ses quatre raffineries ne tournant à pleine capacité.

    Le NLC comme la TUC, avec leurs affiliés, ont toujours critiqué le caractère anti-populaire de la plupart des politiques gouvernementales. Ces dirigeants syndicaux adorent faire des critiques correctes du caractère anti-pauvres des mesures de privatisation et de concession des raffineries, de l’électricité, des aéroports et des routes. Récemment, les directions du NLC et de la TUC ont condamné la proposition du gouvernement de dépenser des milliards de naïra pour la célébration du cinquantième anniversaire de l’indépendance du Nigéria qui, du point de vue des masses opprimées, n’est jamais que 50 ans d’échec. La direction du NLC a aussi récemment dénoncé de manière très correcte les propositions pro-riches et anti-pauvres en faveur de la dérégulation et de la privatisation du secteur pétrolier, du retrait des soi-disant subsides sur les produits pétroliers, et d’une hausse de +200% du prix de l’électricité qui sont défendues par le Gouverneur de la Banque Centrale du Nigéria, Mallam Sanusi Lamido Sanusi. Dans une déclaration intitulée : « Assez des singeries anti-populaires de Sanusi ! » publié le 29 juillet 2010, on peut lire ceci : « Au sujet du tarif de l’électricité en particulier, le National Labour Congress est convaincu que le premier pas qui doit être fait par le gouvernement est d’avant toutes choses améliorer la capacité de génération et de distribution d’électricité, avant de parler de la question du prix à payer. Ce serait illogique et entièrement irraisonné de faire payer plus chers les Nigérians qui en ce moment payent déjà pour des services dont ils ne profitent pas, à part pour les ressources énormes qu’ils dépensent quotidiennement pour faire fonctionner leur générateur électrique domestique ». Au sujet d’un plan de renflouement à hauteur de 30 milliards de naïra (140 millions €) pour un redressement de l’industrie textile moribonde du Nigéria, Isa Aremu, Secrétaire Général du Syndicat des Travailleurs du Textile du Nigéria, a comparé la situation du pays de manière très adéquate avec la situation paradoxale d’un homme qui mourrait de soif alors qu’il est serait entouré d’eau. Ainsi, « Le Nigéria ne manque pas de Présidents ni de Gouverneurs. Ce qui fait défaut aujourd’hui, c’est la bonne gouvernance, l’industrialisation et le développement ».

    Malheureusement, en dépit de ces critiques très correctes, les hauts dirigeants syndicaux ont en général toujours échoué à se concentrer sur la conception et la défense d’une alternative politique et économique pro-ouvrière, qui pourrait être capable de mettre un terme à la misère perpétuelle de la majorité du peuple nigérian en plein milieu d’une abondance inépuisable. Par conséquent, plutôt que de donner leur soutien à telle ou telle mesure capitaliste destinée à accroître la profitabilité, le mouvement ouvrier devrait mener une campagne consistante afin de placer les immenses ressources économiques du pays, y compris les banques et les institutions financières, sous le contrôle et la gestion démocratiques par les travailleurs, avec comme objectif direct d’assurer un mode de vie décent pour tous les Nigérians partout dans le pays, et non pas à la poignée d’éléments capitalistes qui maintiennent à présent leur emprise sur les perspectives économiques de la nation.

    Afin de parachever ce but, le mouvement ouvrier doit de même se mettre en branle pour créer son propre parti politique indépendant, qui sera préparé à mettre en oeuvre ce genre de mesures socialistes pro-masses, qui sont nécessaires si l’on veut libérer le Nigéria de la servitude socio-politique des élements capitalistes locaux et de leurs mécènes et maîtres à l’étranger. En particulier, il faut que le mouvement ouvrier crée un parti des travailleurs réellement démocratique, ou se battre pour récupérer le Labour Party qui a maintenant été largement récupéré par des éléments pro-capitalistes. Il ne suffit pas de simplement mener campagne pour des élections libres et justes lorsqu’il semble clair aujourd’hui que la campagne électorale de 2011 sera de toutes manières dominée par des partis pro-capitalistes, anti-populaires tels que le PDP, l’ANPP, l’AC, etc. Le mouvement ouvrier doit commencer dès aujourd’hui à édifier une plate-forme politique qui fasse écho aux longues souffrances du peuple du Nigéria lors de la campagne de 2011. A moins que l’agitation syndicale ne se poursuive selon ce genre de perspectives, le cauchemar socio-économique que nous connaissons aujourd’hui ne pourra pas être surmonté, et ne fera qu’empirer sous la Présidence de Jonathan, ou de n’importe quel autre politicien bourgeois.

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