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  • Mouvement de masse de la jeunesse au Nigeria : dégageons la violence policière, dégageons le gouvernement !

    Depuis le début du mois d’octobre, les jeunes Nigérians sont descendus en masse dans les rues pour lutter contre la violence policière. Ces manifestations sont les plus importantes depuis la fin de la dictature militaire en 1999. La manifestation est en partie inspirée par le mouvement Black Lives Matter contre la violence policière aux États-Unis, mais aussi par les manifestations de ces dernières années au Soudan contre la dictature d’Omar al-Bashir et la mobilisation des jeunes en Afrique du Sud pour le droit à l’enseignement.

    Par Els Deschoemacker

    La colère est principalement dirigée contre l’unité de police spéciale SARS (Special Anti-Robbery Squad), créée en 1992. Au lieu de lutter contre le crime, cette unité spéciale est connue pour ses bavures et pour avoir arbitrairement volé, arrêté, torturé et tué des Nigérians. La protestation a commencé après la diffusion d’une vidéo virale avec des images d’une unité du SRAS tuant un homme. En ligne, il y a eu une explosion de témoignages sous le hashtag #EndSARS. Cette initiative a rencontré un écho international. Le régime a promis de dissoudre le SRAS, mais a immédiatement proposé de la remplacer par une unité similaire sous le nom de SWAT. Cette manœuvre n’a pas été acceptée, ce qui illustre la profonde méfiance de la jeunesse nigériane envers les promesses du régime.

    Mais cette mobilisation concerne bien plus que le SRAS. « Le SRAS n’est qu’un symbole de tout ce qui va mal au Nigeria », disent nos camarades du MSA (Mouvement pour une Alternative Socialiste), l’organisation sœur du PSL au Nigeria.

    Le pays est confronté à sa deuxième récession en cinq ans. Plus de 55 % des Nigérians sont au chômage ou occupent un emploi officieux. Les jeunes constituent la grande majorité de ce groupe. Cela explique la colère et la détermination qui caractérisent les manifestations, et la peur du régime face à cette détermination. Le régime tente maintenant à tout prix de réprimer le mouvement.

    Massacre à Lekki (Lagos)

    Une manifestation pacifique à un péage de Lekki, une ville de l’État de Lagos, a été brutalement réprimée le mardi 20 octobre. Après avoir instauré un couvre-feu, le feu a été ouvert sur des manifestants pacifiques. Selon Amnesty International, au moins douze personnes ont été tuées.

    Le Mouvement pour une Alternative Socialiste participe au mouvement de protestation et a distribué une déclaration dont nous donnons ci dessous une version abrégée avec quelques unes des revendications principales.

    Pendant deux semaines, les manifestations ont été organisées de manière pacifique et ordonnée. Les troubles et les manifestations ont pris une nouvelle tournure lorsque le régime a commencé à mobiliser et à financer des criminels pour attaquer les manifestants à Abuja et à Lagos. Il était clair que ce n’était qu’une question de temps avant que le régime ne procède à une déclaration de guerre complète.

    Le régime de Buhari a montré que, comme d’autres régimes capitalistes, il est cruel et réprime des manifestants pacifiques, bien qu’il prétende être un “régime de changement”.

    La protestation #EndSARS contre les violences policières qui touchent les masses laborieuses et les civils innocents est alimentée par la nature des élites dirigeantes nigérianes. Celles-ci poursuivent une politique capitaliste qui consiste à faire “accepter ou mourir” leur appropriation des ressources de la société.

    Le Mouvement pour une alternative socialiste (MSA) condamne les violences policières et tient le régime Buhari comme responsable de tout manifestant abattu. Le gouverneur de l’État de Lagos est également responsable. L’imposition d’un couvre-feu local de 24 heures n’était qu’un prélude aux tirs sur des manifestants pacifiques.

    Ce recours à la force est une mesure désespérée prise par l’État pour mettre fin à la manifestation #EndSARS. Ce mouvement de protestation a évolué, passant d’une simple manifestation de jeunes contre la violence policière à un mouvement qui prend le caractère d’une grève générale. Les lieux de travail ont été fermés et des barricades ont été érigées dans les rues, avec des slogans appelant à la fin du régime.

    Il n’y a pas de meilleur moment pour le mouvement ouvrier pour réunir ses forces et appeler à une grève générale de 48 heures pour soutenir pleinement la contestation. Si les dirigeants syndicaux n’assument pas cette tâche historique, les travailleurs et les jeunes prendront conscience plus que jamais qu’il faut une nouvelle direction qui défende le bien-être des masses et non le régime.

    Il doit y avoir une Conférence nationale souveraine avec des représentants élus des travailleurs des différents secteurs de l’économie, des paysans pauvres et de toutes les couches opprimées. Le MSA y préconisera que la classe ouvrière et les masses pauvres prennent le contrôle des richesses et des ressources du Nigeria afin de répondre démocratiquement aux besoins de tous et de mettre fin à la tyrannie économique du capitalisme.

    Nous appelons l’armée et la police à résister aux ordres d’attaquer et de réprimer les manifestants. Ils doivent refuser d’être utilisés comme armes contre leurs sœurs et frères de la classe ouvrière. Ils doivent plutôt s’unir aux manifestants et soutenir leurs revendications.

    L’inspecteur général de la police doit démissionner ainsi que les dirigeants militaires, afin que les meurtres de manifestants puissent cesser. Il appartient aux masses ouvrières de mettre fin au régime de Buhari et au capitalisme.

  • Création du Mouvement pour une Alternative Socialiste, la branche nigériane d’Alternative Socialiste Internationale

    Les partisans d’Alternative socialiste internationale (ASI) au sein du Mouvement socialiste démocratique (MSD), la section nigériane du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), après plus d’un an et demi de débats éreintants sur les idées et les méthodes du marxisme, ont décidé de s’organiser séparément et distinctement du MSD. Il s’agit du Mouvement pour une Alternative Socialiste (MSA), affilié à Alternative Socialiste Internationale (ASI).

    Les conflits politiques au sein de l’ancien CIO, auquel le MSD est affilié, sont en eux-mêmes le reflet de cette période critique de l’instabilité du capitalisme mondial, qui met à l’épreuve non seulement les classes dominantes du monde entier, mais aussi toutes les organisations se réclamant de la classe ouvrière.

    Alternative socialiste internationale, constituée par la majorité des sections de l’ancien CIO, poursuit la véritable tradition internationaliste reposant sur la classe ouvrière du CIO, l’ancien Secrétariat international et quelques autres sections ayant décidé de s’en éloigner.

    Le déclenchement de la pandémie de Covid-19 a encore déchiré le tissu du capitalisme mondial, démontrant à tous qu’on ne peut pas compter sur un système uniquement motivé par l’avidité du profit pour répondre aux besoins des masses ouvrières et des pauvres à travers le monde. De pays en pays, nous avons vu comment la logique du profit et un secteur de la santé dirigé par le privé se sont révélés incapables de relever les défis de la pandémie.

    Dans plusieurs pays, l’État capitaliste, contre la logique du système capitaliste qu’il protège, est intervenu directement avec des fonds dans le secteur de la santé, ainsi que dans d’autres secteurs de l’économie touchés par l’impact du confinement sur l’économie mondiale. Cet acte contribue à confirmer la supériorité des idées de propriété publique et de gestion démocratique de tous les secteurs clés de l’économie, tant de la production que de la distribution de biens et de services pour répondre aux besoins des masses laborieuses. Faut-il rappeler que les interventions de ces gouvernements, au Nigeria et ailleurs, sont la conséquence du refus des capitalistes d’assumer le fardeau de toute entreprise non rentable, et qu’elles sont aussi calculées pour atténuer les pertes des capitalistes locaux.

    La question de l’aide à apporter à la grande majorité des personnes qui souffrent le plus des effets d’un arrêt de l’activité économique est au mieux une couverture pour détourner les fonds publics vers des poches privées. Jamais, à l’ère moderne, l’économie mondiale n’a autant souffert d’un arrêt de l’activité économique. Le Nigeria, en particulier, sera l’un des pays les plus durement touchés par le ralentissement économique de l’après-Covid-19, qui a déjà déclenché la récession de l’économie mondiale. Le Covid-19 a révélé que des millions de personnes dans divers pays sont pauvres et vulnérables et qu’elles doivent compter sur des aides de l’État ou d’autres sources pour assurer leur subsistance ; ces aides se sont révélées être une goutte d’eau dans un océan de misère pour beaucoup.

    Cela a sans doute mis en pièces la façade de l’intervention sociale mise en place par le régime populiste du président Buhari, régime plus que jamais détesté par les masses laborieuses. Il est clair que le gouvernement n’a plus de crédit, si ce n’est parmi les quelques élites qui bénéficient matériellement de son existence. Une colère palpable contre la conduite insensible du régime en période de crise humanitaire persiste au sein de la population. Le régime a poursuivi ses activités de corruption pendant la pire crise humanitaire du siècle ; les transferts d’argent et de matériel de secours ont été acheminés par le biais du système habituel de corruption sans atteindre ceux auxquels ils étaient destinés.

    Inutile de dire que, durant cette période, le pillage ahurissant du Trésor public s’est poursuivi ; les élites ont reçu leurs salaires obscènes et se sont fait livrer des voitures luxueuses. L’assouplissement de la politique de confinement ne repose sur aucun succès ni aucune percée médicale dans la lutte contre la pandémie de Covid19. Le régime est complètement paralysé et a fait preuve d’un faux sentiment de surprise face à l’état désastreux des établissements de santé du pays. Les élites dirigeantes devraient être tenues pour responsables des conditions meurtrières des installations sanitaires au Nigeria, étant donné l’insuffisance croissante des budgets alloués au secteur de la santé, et la préférence des élites dirigeantes pour se rendre à l’étranger pour toute forme de traitement médical.

    De plus, l’assouplissement du confinement est assorti de tous les dangers d’une augmentation du taux d’infection, car il n’y a pratiquement rien ou presque sur le terrain, tant en ce qui concerne le dépistage que les équipements de protection nécessaires à la sécurité des travailleurs de la santé. En fait, l’assouplissement de la politique de confinement n’est pas non plus lié à la famine massive qui frappe la grande majorité des Nigérians vivant dans la pauvreté, les travailleurs en chômage ou les millions de travailleurs informels. Le régime est davantage préoccupé par les pertes des milliardaires et la perte des gains provenant d’impôts illégaux multiples.

    Personne n’est sûr de l’ampleur des pertes qui attendent l’humanité dans la période à venir, si la recherche d’un vaccin et sa diffusion sont principalement motivés par la recherche de profits. Avec environ 7 millions de cas d’infection confirmés et un taux de mortalité qui dépasse aujourd’hui officiellement les 400.000 personnes dans le monde, l’avenir semble plus sombre, si des changements drastiques ne sont pas apportés dans la gestion des ressources en faveur des besoins des masses laborieuses. Mais un fait est certain pour les Nigérians : ils subiront les effets du marasme économique créé par des années de corruption et de sous-développement, aggravé par la pandémie. Des entreprises ont déjà commencé à licencier des travailleurs en silence, une situation facilitée par des décennies de législations anti-travailleurs.

    Certaines de ces entreprises utilisent le prétexte du ralentissement de la propagation du Covid-19. Notre position est que toute entreprise incapable de maintenir ses effectifs pendant cette période au nom des pertes devrait ouvrir sa comptabilité à l’examen du public et, en cas de faillite avérée, être reprise publiquement. Le gouvernement de l’État de Kaduna, sous la direction de Nasir el Rufai, a ouvert la voie aux gouvernements des États dans les attaques contre les travailleurs en réduisant les salaires des travailleurs de 25 %. Le gouvernement fédéral lui-même est sur le point de fusionner les ministères, départements et agences du gouvernement, un exercice qui entraînerait une perte importante d’emplois publics, contrairement aux déclarations du ministre du travail.

    Dans le cadre des conditions que le gouvernement a convenues avec le FMI, le prix de l’essence, chaque fois que le pétrole prend de l’élan sur le marché international, serait déterminé par les intérêts des négociants en pétrole ; des intérêts qui sont en contradiction avec les transports publics ou encore les vendeurs de fruits. Le gouvernement n’a pas caché qu’il se cache derrière Covid-19 pour revenir sur les petites avancées issues de la lutte pour un meilleur salaire minimum. Il observe jusqu’où ira l’endurance du peuple. Nous entendons souvent l’idée que les Nigérians peuvent s’adapter à n’importe quelle condition, aussi dure soit-elle.

    Cette notion est fausse. Les Nigérians sont actuellement en colère face aux conditions actuelles, qui sont sans aucun doute pâles par rapport à ce qui est à venir. Mais l’absence d’une direction du peuple opprimé capable de lui donner un programme, une coordination est la cause de la frustration souvent confondue avec l’indifférence des masses à l’égard de leurs conditions misérables. La direction du mouvement ouvrier pendant cette crise a une fois de plus démontré sa réticence et son impréparation à prendre l’histoire par les cornes au nom des masses ouvrières, et à fournir une direction pour améliorer les conditions de vie des masses. Une crise comme celle-ci révèle la véritable orientation des socialistes ou des militants, en raison de l’absence de tout compromis possible.

    Les minuscules forces du marxisme ne peuvent actuellement déloger les dirigeants syndicaux et diriger les masses ouvrières dans une lutte pour mettre fin à la domination du capital et commencer la transformation socialiste de la société. Elles doivent nécessairement se fixer pour objectif d’organiser la base de la classe ouvrière afin de démocratiser leurs syndicats et de briser les entraves de la direction bureaucratique qui les transforme en victimes d’une crise économique que les élites dirigeantes ont créée, afin de construire un nouveau courant de dirigeants syndicaux qui s’imprégnera du programme révolutionnaire du marxisme comme instrument d’organisation de la classe ouvrière. C’est la tâche qui attend le MAS : atteindre et développer les forces du marxisme et approfondir les racines de la conscience socialiste parmi les masses ouvrières, sur les lieux de travail et dans les usines, les communautés et les écoles.

    Nous entrons dans une période où la défense des idées marxistes dans l’organisation de masse des travailleurs, de la jeunesse et des opprimés est nécessaire pour construire une nouvelle génération de cadres trotskystes dans le mouvement ouvrier et parmi la jeunesse. Il est devenu évident que le capitalisme est globalement inefficace, tout particulièrement dans un pays néocolonial. Il y est incapable de s’acquitter des tâches les plus fondamentales du capitalisme traditionnel comme des transports efficaces, l’approvisionnement en électricité, la répartition des terres, un enseignement décent, de bons logements, etc. Pour l’instant, le gouvernement va chercher à dépenser les ressources de l’État au bénéfice d’industries moribondes et d’entreprises privées afin de “relancer” l’économie, mais cela reviendra à organiser une fête de Noël pour la bande de capitalistes du Nigeria, et les masses laborieuses ne sont pas invitées.

    En fin de compte, la tâche qui attend la classe ouvrière est de prendre le contrôle absolu des secteurs clés de l’économie, de planifier la production et la distribution sur base des nécessités sociales. Nous convaincrons les travailleurs, par nos luttes collectives aux barricades, que les “petites victoires” ne peuvent à elles seules résoudre le problème fondamental du système capitaliste. Elles ne peuvent pas faire disparaître la soif de profit aux dépens de la satisfaction des besoins sociaux. Nos luttes doivent être liées au renversement du système capitaliste qui crée des souffrances interminables pour les masses travailleuses. C’est le sens même qu’il faut donner au meurtre de George Floyd par un policier blanc et au mouvement de masse qui s’est développé aux États-Unis pour mettre fin au racisme et à la discrimination contre les Noirs. Le cadre futur de la confrontation avec le capitalisme aux États-Unis est déjà en train d’être défini.

    La nécessité de la solidarité entre tous dans les communautés et sur les lieux de travail ainsi que le fait que les syndicats peuvent servir d’organes d’unité de la classe ouvrière et des pauvres se reflètent maintenant dans cette lutte tumultueuse. La possibilité d’un effet de spirale du mouvement américain dans le monde entier, même si ce n’est pas à l’échelle du processus de révolution et de contre révolution en Afrique du Nord et au Moyen Orient en 2011, se fera forcément sentir au-delà des États-Unis. Elle incitera les jeunes d’un pays comme le Nigeria à affronter la nature terriblement antidémocratique du système capitaliste. Il faut se féliciter du fait qu’il inspire déjà des mouvements contre la brutalité policière et les agressions sexuelles et qu’il suscite des préoccupations similaires dans d’autres parties du monde. Aux États-Unis, le mouvement “Black Lives Matter” contre le racisme a mis en évidence la tâche qui attend les socialistes : comment accueillir une nouvelle génération de jeunes et de travailleurs pour lutter et les aider dans leur quête d’idées correctes sur la manière dont la société peut être réorganisée.

    Les socialistes sont maintenant d’autant plus confrontés à la question de savoir comment s’orienter vers un mouvement de réforme sans rejeter les revendications immédiates, mais en liant, par leur implication, l’agitation pour les réformes à la nécessité de la transformation socialiste de la société. Nous sommes confiants que d’autres parties du monde, en particulier le Nigeria, retrouveront leur position combative, que la confiance sera restaurée et que le mouvement de masse se relèvera. Les masses, comme leurs homologues américaines, vont plus tôt que prévu jeter par-dessus bord les chaînes du confinement et inspirer la classe ouvrière à se manifester et à fournir la direction nécessaire aux masses pour faire face à une plus grande pandémie dans le monstre que constitue le capitalisme, le renverser et organiser la société sur la base de la satisfaction des besoins sociaux des masses par opposition aux profits des quelques membres du club des milliardaires.

    Si vous êtes d’accord avec nous, rejoignez-nous aujourd’hui dans le Mouvement pour une Alternative Socialiste (MAS) pour lutter pour la libération socialiste du Nigeria et du monde entier des chaînes de l’oppression capitaliste qui tient l’humanité en rançon, et ce faisant, abolir la pauvreté, le chômage, le sans-abrisme et la faim

     

     

  • Solidarité internationale : Non à la persécution d’Abbey Trotsky au Nigeria!

    Ce lundi, nous avons mené une action de protestation devant l’ambassade du Nigeria à Bruxelles dans le cadre d’une campagne internationale contre la persécution du militant socialiste nigérian Abiodun Bamigboye, alias Abbey Trotsky. Il devait se présenter devantles tribunaux hier en raison du rôle de premier plan qu’il a joué dans la lutte des travailleurs de la société alimentaire Summal Foods Ltd dans l’État d’Oyo.

    Abbey avait déjà été arrêté et détenu. De nombreuses protestations internationales avaient rapidement conduit à sa libération. Cependant, les accusations restent sur table : l’organisation du personnel de Summal pour la défense de leurs salaires et leurs conditions de travail. Lors de la campagne électorale menée voici quelques mois, on pouvait voir des affiches du Socialist Party of Nigeria (SPN), avec Abbey comme candidat au poste de gouverneur de l’Etat d’Oyo, au sein de l’usine. Cette question a également été soulevée par l’accusation.

    Il est clair qu’il s’agit d’une persécution pour opinions politiques et suite aux campagnes menées en défense des droits des travailleurs. Le procès devait initialement se déroulé il y a deux semaines de cela, mais il a été reporté jusqu’à hier. Tout comme à l’époque, nous nous sommes rendus à l’ambassade du Nigeria à Bruxelles pour exiger l’acquittement complet de Abbey Trotsky. Nous nous opposons également à de nouvelles attaques contre les travailleurs au Nigeria.

    Mise à jour : l’affaire a été reportée au 24 octobre après que le procureur ait porté une série de nouvelles accusations. La tentative de faire à nouveau arrêter Abbey suite à ces nouvelles accusations s’est toutefois révélée infructueuse. La seule décision prise a été de reporter l’affaire.

  • Elections au Nigeria : les principaux partis n’offrent aucune alternative

    Les socialistes lèvent la bannière de la lutte

    Des élections générales sont prévues au Nigeria en février et mars. L’élection du président et de l’Assemblée nationale est prévue pour le 16 février, tandis que le 2 mars, les gouverneurs et les assemblées des États de la plupart des 36 États du Nigeria, ainsi que les élections locales dans la capitale fédérale Abuja, sont prévues.

    Par Ibukun Omole (Democratic Socialist Movement, section du CIO au Nigeria)

    Lors de ces élections, le Parti socialiste nigérian (SPN), récemment enregistré, se présentera pour la première fois aux élections générales.

    Le SNP soutient qu’une grande partie des Nigérians ont entamé les élections de 2015 avec d’énormes illusions sur la capacité de Buhari et de l’APC (All Progressives Congress, sociaux-démocrates) à résoudre le malheur des 16 dernières années du gouvernement du PDP (People’s Democratic Party, centre-droit). Mais, au cours des trois dernières années, le gouvernement Buhari a connu une désillusion massive au fur et à mesure que la situation des masses s’est détériorée. La question à laquelle les masses n’ont pas été en mesure de répondre est pourquoi le pays est dans ce pétrin à tous les niveaux alors qu’il dispose d’énormes ressources humaines et matérielles ? La crise du Nigeria est la crise du capitalisme dans un pays néocolonial. Le capitalisme doit être vaincu avant que le Nigeria puisse réaliser son plein potentiel et que les ressources humaines et matérielles soient utilisées pour le bien de tous, et non pour l’avidité insatiable de quelques-uns. Cette explication doit être vulgarisée auprès des masses.

    Cependant, cela ne signifie pas pour autant que les masses ne peuvent que lever les mains en l’air dans l’espoir d’un temps meilleur ou d’un messie ou tomber dans le désespoir. La classe ouvrière et les masses doivent lutter pour forcer l’élite dirigeante procapitaliste fondamentalement anti-pauvre à faire des concessions qui peuvent améliorer leurs conditions, même si elles sont temporaires. Cela a été démontré par les travailleurs et les jeunes dans diverses luttes pour l’amélioration telles que la campagne d’électricité, la hausse des prix des carburants, la hausse des frais de scolarité, le salaire minimum, etc.

    Mais les concessions peuvent être retirées ou sapées, une solution fondamentale est nécessaire. Il manque donc un parti de masse qui s’identifiera activement à ces luttes, qui aidera les travailleurs à lier les revendications immédiates à la nécessité générale de prendre le pouvoir politique en vue de vaincre le capitalisme.

    C’est dans ce contexte que le Parti socialiste du Nigeria (SPN) intervient lors des élections générales de 2019. Le parti a été créé en 2012 par des militants socialistes, syndicaux et des jeunes, dont des membres du Mouvement socialiste démocratique (DSM, section du CIO au Nigeria). Mais ce n’est qu’en janvier 2018, après plus de trois ans de luttes juridiques et politiques, que le parti n’a été officiellement reconnu et n’a pu se présenter aux élections qu’à la suite d’une décision judiciaire. La Commission électorale (CENI) avait initialement refusé d’enregistrer le parti bien qu’il ait rempli toutes les conditions constitutionnelles, juridiques et financières.

    La période électorale prédispose les masses à une réflexion sur la façon dont elles sont gouvernées et dont l’économie est gérée. Nous voulons utiliser les élections pour ouvrir un dialogue avec des couches plus larges de la population opprimée sur la manière dont le gouvernement et l’économie devraient être gérés. En d’autres termes, nous tendons la main aux masses avec un programme socialiste alternatif incluant des demandes immédiates d’amélioration des conditions de vie et de travail.

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    Vous trouverez ci-dessous un rapport, tiré du site Web du DSM, sur le lancement enthousiaste de la campagne du SPN à Ifo, dans l’État d’Ogun, une région limitrophe de Lagos, la capitale économique du Nigeria.

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    Il y a eu une réaction enthousiaste lors du rassemblement du Parti Socialiste du Nigeria (SPN) pour élire le camarade Hassan Taiwo Soweto comme membre de la Chambre d’Assemblée de l’Etat d’Ogun, circonscription d’Ifo 2 (Banlieue de Lagos, la plus grande ville du pays), qui a eu lieu le samedi 15 décembre 2018. Tout a commencé par un meeting à l’Hôtel de Ville d’Olambe, auquel ont assisté environ 120 personnes. Le meeting a commencé par des chants de solidarité où les membres du parti ont chanté avec enthousiasme, avant que le candidat ne vienne donner ses brochures sous les applaudissements inspirantsdu public.

    Soweto est en train d’élaborer un manifeste pour se rendre à la Chambre afin de construire un mouvement populaire de lutte pour le développement des communautés négligées dans la circonscription dans les domaines de l’infrastructure routière, de l’électricité, de l’éducation publique, de la santé et de l’emploi. Il s’opposera à toutes les politiques anti-pauvres et représentera une voix audacieuse pour les travailleurs, les jeunes et les masses. S’il est élu, il continuera de vivre dans la circonscription et ne recevra pas plus que le salaire et les indemnités d’un fonctionnaire compétent.

    Le chef de la ville d’Olaogun, Bamigbose, a pris la parole après lui pour informer l’auditoire du fait que la circonscription compte plus de six administrations locales de l’État, mais qu’elle est la plus sous-financée. Il n’y a pratiquement pas de routes carrossables alors que les écoles publiques et les établissements de santé sont soit inexistants, soit inadéquats. Il a souligné la nécessité d’une représentation dynamique de la circonscription et la nécessité pour les membres de la circonscription d’élire Soweto par un vote de protestation.

    Le secrétaire national du parti, le camarade Chinedu Bosah, a également pris la parole et a exprimé à quel point le concours Ifo était une source d’inspiration pour le Secrétariat national et l’ensemble du parti. Le président de la section de Lagos du Parti, le camarade Rufus Olusesan, a déploré que les Nigérians ne puissent plus mendier pour se nourrir et a conclu :”assez, c’en est assez de ces politiciens capitalistes”. Falilat Jimoh, membre de la Campagne pour une alternative des travailleurs et des jeunes (CWA), est venu avec les salutations de solidarité de la CWA, soulignant les similitudes entre la CWA et le SNP, et soulignant le fait qu’une victoire pour Soweto serait une alternative radicale exemplaire.

    La camarade Ayo Arogundade s’est fait l’écho que les alternatives d’un politicien au salaire minimum et vivant dans la communauté sont des exemples de ce que le SPN est prêt à appliquer comme programme. La présidente de l’Association des tailleurs de la région, Mme Olaoyenikan, a encouragé la population à voter pour un militant de la base. Un ancien de la région, Elder Jegede, a raconté comment il a été inspiré par le discours du candidat à une date antérieure lors d’une réunion du Conseil de développement communautaire, et a déploré comment les jeunes étaient utilisés par les politiciens bourgeois. Il est heureux qu’aujourd’hui les jeunes soient prêts à prendre leur avenir en mains. Dans son discours, un représentant du Baale (chef religieux) de la ville d’Olambe a décrit le candidat comme un David qui surmontera définitivement le Goliath auquel il est confronté. Mamakofoshi, la dirigeante du parti, a exprimé sa joie qu’un militant soit en lice et a demandé à la population de voter contre les politiciens corrompus.

    Une collecte de fonds pour les élections a été lancée lors du meeting qui a permis de recueillir 45 000 N et 11 500 N au total en promesses de dons. La campagne a commencé immédiatement après le meeting avec un convoi de trois voitures, un bus, environ cinq motos (okada) et une camionnette, qui étaient toutes remplies de nombreux partisans sur la longueur du trajet. Les réponses inspirantes des gens sur la nécessité de bonnes routes et l’appui exemplaire de ceux avec qui nous nous sommes engagés et agités ont été les principaux de ce trajet, en plus du collage des affiches et de la distribution de dépliants.

  • Nigeria : Élections 2015 : le parti au pouvoir s'effondre suite à des élections historiques

    Seule la lutte de masse pourra assurer la défense des intérêts des masses populaires sous la présidence Buhari

    buhari_nigeriaLes élections du 28 mars 2015 ont sans nul doute constitué un important point tournant dans l’histoire du Nigeria. C’est la première fois en 55 ans depuis l’indépendance du Nigeria qu’un parti dirigeant a été chassé du pouvoir par les élections – en l’occurrence, il s’agit du départ du Parti démocratique populaire (PDP) qui dirigeait le PAYS depuis maintenant 16 ans (soit depuis la fin de la dictature militaire en 1999). Bien que 14 partis et candidats aient concouru, le scrutin s’est essentiellement joué entre les deux principaux partis politiques de l’élite procapitaliste du pays : le PDP au pouvoir, et le Congrès panprogressiste (APC).

    Analyse du Comité exécutif national du Democratic Socialist Movement (DSM, CIO-Nigeria)

    Le vainqueur des élections est le candidat de l’APC, le général Muhammadu Buhari, un ancien dictateur militaire, musulman originaire du nord-ouest du pays, d’ethnie peule. Ces élections sont sa quatrième tentative de se faire élire. Il a obtenu 15 424 921 voix (54 %), remportant le scrutin avec 2,6 millions de voix de plus que le candidat du PDP et président sortant, Goodluck Jonathan, qui a reçu 12 853 162 voix. Ce n’est pas une très grande différence si on la compare aux résultats des autres élections qui ont eu lieu depuis le retour du régime civil en 1999, mais cela représente malgré tout une importante défaite pour le PDP.

    Le PDP sera désormais un parti minoritaire au sein de la prochaine Assemblée nationale, vu que l’APC, en même temps qu’il a remporté la présidence, a aussi gagné plus de 60 sièges de députés au sénat comme à la chambre des représentants. Cependant, malgré cela, l’APC n’a pas pu obtenir la majorité des deux tiers à l’Assemblée qui est nécessaire pour pouvoir faire passer des décisions importantes. Néanmoins, c’est la première fois que l’APC se retrouve en position de pouvoir nommer les responsables de l’Assemblée nationale.

    Les élections précédentes ont souvent vu le PDP se maintenir au pouvoir en utilisant la force conférée par son mandat présidentiel, les fonds étatiques, la police et de l’armée pour organiser une fraude électorale massive en sa faveur. La confiance que le PDP avait placée dans son immense machine de fraude électorale était telle qu’un des anciens présidents du parti a été jusqu’à proclamer que son parti allait encore certainement rester au pouvoir pour les 60 prochaines années.

    Mais ces élections ont consacré un transfert du pouvoir d’une section de la classe dirigeante à une autre faction de cette même classe. Pour la plupart des Nigérians qui ont participé aux élections, celles-ci ont représenté l’occasion de se débarrasser d’un gouvernement qui était fortement méprisé à cause de la politique antisociale menée, malgré le fait qu’il avait été porté au pouvoir par une vague de « relatif soutien populaire ».

    Mais en janvier 2012, soit un an à peine après son élection, Jonathan a surpris tout le monde en augmentant le prix de l’essence, qui est subitement passé de 65 à 140 naïras/litre (de 180 à 420 francs CFA/litre). Cette décision a provoqué la colère des masses ; des millions de travailleurs partout au Nigeria sont partis en grève générale.

    À présent, après que l’élite dirigeante à la corruption exubérante a dilapidé les bénéfices du cours élevé du pétrole pour son propre compte, la menace d’un redoublement de la politique d’austérité couplée à l’inaptitude du gouvernement à faire cesser l’insécurité représentée par Boko Haram n’ont fait que s’ajouter à la colère populaire qui s’est exprimée dans les urnes.

    Malgré le fait que le vainqueur de ces élections n’est jamais qu’un autre représentant de l’élite dirigeante capitaliste, les masses pauvres et laborieuses ont à présent pris la pleine mesure de leur pouvoir qui est la possibilité de punir un parti par la voie des urnes et de forcer un changement de gouvernement. « S’il n’y a pas de changement dans notre situation, alors nous allons changer de gouvernement tous les quatre ans » : cette phrase est devenue comme un refrain repris en chœur par toute une couche de la population.

    Pour les socialistes et pour les militants de gauche, cependant, il faut tirer les leçons de ces élections. Cela signifie par exemple que dans la période à venir, un parti politique prolétarien authentique pourrait émerger, se battre pour le pouvoir et gagner. Même s’il y a très peu de chances pour que le parti de la classe dirigeante accepte de céder le pouvoir de manière pacifique au cas où il serait battu lors des élections par un véritable parti du « changement », càd. un parti politique prolétarien qui remette fondamentalement en question les intérêts du capitalisme et les privilèges de l’élite dirigeante corrompue. Cependant, la confiance que les masses laborieuses et la jeunesse ont acquises en participant à ces élections sera cruciale pour mener à bien la construction d’une telle alternative politique prolétarienne de masse.

    Des manifestations de joie spontanées ont éclaté dans la soirée du mardi 31 mars dans de nombreuses villes comme Lagos, Ibadan, Osogbo et dans le nord du PAYS. La dernière fois où on a vu des élections susciter autant d’engouement populaire était les élections du 12 juin 1993, dont les résultats avaient été annulés par le régime militaire du général Badamosi Babangida.

    Il est certain qu’aucune des élections que nous avons connues depuis le retour à un régime civil il y a 16 ans n’a eu le même impact. Néanmoins, il faut tout de même remarquer que moins de la moitié des électeurs ont été voter : le taux de participation n’a été que de 43 %, ce qui montre que des dizaines de millions de personnes ne se sont pas senties concernées ou n’ont trouvé aucun candidat qui les arrange parmi les différents partis en lice.

    Pourquoi ce scrutin a été exceptionnel

    Plusieurs facteurs économiques et politiques expliquent pourquoi ces élections ont été si différentes :

    Le premier facteur est l’échec total du PDP sur le plan socio-économique. Ce parti n’a pas pu apporter la moindre amélioration à la vie des masses populaires du pays. Pendant 16 ans de pouvoir PDP, les masses laborieuses n’ont connu que la souffrance, une aggravation de leurs conditions de vie, sociales et économiques, alors qu’on ne faisait que parler d’une manne pétrolière.

    Malgré le fait que l’économie se soit accrue jusqu’en 2014 grâce à la hausse des cours du pétrole et à l’importance des exportations de pétrole brut, la grande majorité de la population n’a connu que la hausse des inégalités face à des hauts cadres de l’État qui ne faisaient que piller les finances publiques et se plonger dans la corruption. Le département de l’Énergie des États-Unis estime que le pétrole a fait gagner au Nigeria 200 000 milliards de francs CFA entre 2010 et 2014. Mais on n’a rien vu de cet immense revenu ni en termes de développement de l’infrastructure, ni en ce qui concerne les conditions de vie de la population.

    Le deuxième facteur très important est la crise économique qui touche le pays depuis à peu près juillet 2014, due à l’effondrement du cours du pétrole sur le marché mondial. Le pays s’est tout à coup retrouvé incapable de répondre à ses obligations du fait de la baisse de son revenu. 18 gouvernements régionaux doivent entre cinq et deux mois de salaires à leurs employés, y compris dans les États dirigés par l’APC qui vient de remporter les élections.

    Le pétrole compte pour 70 % dans le revenu du Nigeria et 90 % dans le total de ses exportations. Le déclin du prix du pétrole a causé un trou dans les finances du pays : la Banque centrale du Nigeria estime que les réserves en devises étrangères ont encore diminué de 5 % au mois de mars, pour ne plus s’élever qu’à 18 000 milliards de francs CFA. À cause de ça, la monnaie nationale, le naïra, est en chute libre : il a perdu 20 % de sa valeur contre le dollar (il y a un an, 1 dollar coutait 160 naïras, mais aujourd’hui c’est 200 naïras), ce qui pèse très fortement sur les performances des banques et sur les opérations des industriels et des importateurs.

    Juste après les élections, le magazine The Economist de Londres écrivait que « l’inflation qui est à présent de 8,4 % … pourrait atteindre les 15 % d’ici la fin de l’année », et que la forte baisse du revenu pétrolier pourrait vouloir dire qu’« il faudra plus de coupes budgétaires. Les projets de construction de routes et autres seront sans doute gelés parce qu’il n’y a plus d’argent pour payer les constructeurs ».

    Tout cela cause de l’inquiétude parmi les investisseurs dont la profitabilité est menacée. Mais surtout, cela suscite évidemment aussi la colère parmi les masses populaires qui, même si elles n’avaient rien gagné de la hausse du prix du pétrole, voient pourtant depuis peu leurs conditions de vie fortement empirer à cause de la baisse de ce même prix. Il n’est donc pas surprenant de constater que mis à part la rébellion de Boko Haram, l’enjeu le plus important de la campagne pour tout le monde était l’économie, notamment la gestion du revenu national et la corruption du régime.

    Le troisième facteur qui a contribué à l’engouement populaire lors de ces élections est la perception selon laquelle la présidence Jonathan a été le gouvernement capitaliste le plus incompétent qu’a connu le PAYS depuis 1999. Jonathan avait été élu avec un assez large soutien populaire en 2011, bénéficiant de 24 millions de voix (c’est à dire presque autant de voix que celles que lui et Buhari ont obtenues ensemble cette année !). Les masses pauvres du pays avaient vraiment espéré que ce cadre du PDP assez peu connu, issu d’un milieu pauvre, qui déclarait qu’il n’avait même pas de chaussures à ses pieds pour aller à l’école quand il était enfant, allait enclencher un nouveau développement économique et social qui allait permettre au pays de progresser avec toute la population.

    Mais tout comme les camarades du DSM (Mouvement socialiste démocratique, section du CIO au Nigeria) l’avaient expliqué, la présidence Jonathan était un gouvernement capitaliste qui œuvrait dans les intérêts de ce système et de l’impérialisme. Sa politique antisociale de privatisation a été une catastrophe pour les travailleurs et les pauvres. De même en ce qui concerne la corruption à grande échelle de son gouvernement et son échec à tous points de vue, y compris face à la rébellion du Boko Haram dans le Nord-Est.

    C’est ainsi que huit mois à peine après avoir été élu, le président Jonathan a été confronté dès janvier 2012 à un mouvement de masse à l’échelle nationale accompagné d’une grève générale, déclenché par le triplement du prix de l’essence à cause de l’abandon des subsides étatiques.

    Dans ce contexte, de nouvelles divisions se sont ouvertes au sein de la classe dirigeante, et de nouvelles alliances ont été nouées entre les divers clans rivaux, culminant avec l’abandon de Jonathan par l’ancien président Obasanjo et une épidémie de départs du PDP. Son autorité affaiblie, Jonathan a rapidement vu les principales puissances impérialistes prendre leurs distances par rapport à lui.

    Malgré la nature bourgeoise de celui qui a gagné les élections, la défaite de Jonathan et du PDP est un évènement qui mérite d’être célébré ; il s’agit d’une défaite bien méritée. Déjà en janvier 2012, alors que le mouvement de contestation atteignait son paroxysme, les masses avaient appelé à la chute du régime Jonathan.

    Donc, en réalité, le gouvernement antisocial du président Jonathan aurait déjà dû avoir été dissout dès 2012 ; la seule chose qui l’a sauvé a été la trahison de la direction du Congrès nigérian du Travail (NLC) et du Congrès des syndicats (TUC) qui, apeurée par l’ampleur de la radicalisation qui se développait dans la rue et qui était en train de donner naissance à un sentiment révolutionnaire dans tout le Nigeria, a appelé à mettre fin à la grève sans avoir obtenu la moindre revendication, pas même le retour des subsides étatiques sur l’essence (sans parler de la chute du gouvernement).

    Donc au vu de tout cela, les élections du 28 mars 2015 ont essentiellement constitué un référendum sur la présidence de Jonathan. D’une certaine manière, c’était également un verdict populaire contre l’inefficacité et la tactique de collaboration de classes suivie par la direction syndicale. Dans tous les cas, c’est cette revendication politique, formulée dès janvier 2012, que les masses rendues furieuses par la politique antisociale et procapitaliste du gouvernement PDP en plus de tous ses échecs (notamment vis-à-vis du Boko Haram) ont à présent concrétisée dans les urnes.

    Buhari

    Le quatrième facteur dans ces élections a été la candidature du général Muhammadu Buhari, un ancien dictateur militaire qui a dirigé le Nigeria de son coup d’État de décembre 1983 jusqu’au coup d’État d’août 1985 qui l’a chassé du pouvoir. Pendant ses vingt mois passés à la tête de l’État, il avait entrepris beaucoup d’efforts pour mettre un terme à la corruption et au gaspillage de l’argent public, mais avait en même temps perpétré de nombreuses attaques contre les droits démocratiques, avec la fermeture de plusieurs journaux, la censure, l’expulsion des travailleurs immigrés, la répression brutale des grèves et des manifestations, et des licenciements collectifs pour les travailleurs grévistes. Tout cela avait été accompagné par une politique d’austérité capitaliste destinée à freiner les dépenses publiques par des coupes budgétaires drastiques.

    Il est intéressant de constater que le régime Buhari avait rompu les liens avec le FMI lorsque cette institution avait ordonné à son gouvernement de dévaluer le naïra de 60 % ; cependant, les réformes qu’il avait mises en place par lui-même étaient tout aussi rigoureuse et brutales que celles exigées par le FMI. Par exemple, Buhari avait décidé d’arrêter les subsides aux restaurants étudiants sur les campus des universités publiques, ce qui avait suscité une opposition de masse, en particulier de la part des étudiants. En 1984, la Nans (Association nationale des étudiants nigérians), dirigée par Lanre Arogundade, avait organisé une grève et une marche nationale pour manifester contre les attaques antisociales de Buhari dans l’enseignement. Parmi les autres mesures prises par lui à l’époque, on peut citer la fin du recrutement au service civil fédéral et l’arrêt de plusieurs grands projets d’État.

    Il ne fait aucun doute que le régime Buhari de 1983-85 s’est véritablement démené pour faire cesser la corruption et le gaspillage. Parmi ses efforts, on peut citer l’arrestation de nombreuses personnes accusées de détourner les fonds publics, de spéculateurs et de blanchisseurs d’argent, ainsi qu’un décret pour condamner à la peine de mort les coupeurs de route et braqueurs, qui a été appliqué avec effet rétroactif (en violation flagrante de tous les droits démocratiques). Cependant, et comme c’est bien souvent le cas de la part des réformistes procapitalistes, la plupart de ces actions ont échoué pour la bonne raison qu’elles cherchaient à soigner les sympto?mes de la maladie plutôt que la véritable racine du problème : le système capitaliste qui est la source fondamentale de la corruption.

    De plus, certaines de ces actions étaient ciblées et visaient des critiques du régime. C’est ainsi que le grand chanteur d’afrobeat Fela Kuti, qui avait beaucoup critiqué Buhari, a été arrêté le 4 septembre 1984 à l’aéroport de Lagos au moment où il allait prendre son avion avec son groupe pour aller jouer aux États-Unis. Fela était accusé d’avoir exporté de l’argent étranger illégalement, alors qu’il était évident que cette opération avait pour but le financement de ses musiciens qui étaient déjà partis sur le terrain pour préparer sa tournée américaine. Son arrestation a suscité un scandale au Nigeria et un peu partout à l’étranger, avec des déclarations d’Amnesty International, etc. Mais cela n’a pas empêché que Fela soit enfermé pour cinq ans.

    On a aussi vu de nombreux journalistes comme Tunde Thompson et Nduka Irabor du Guardian se faire arrêter au nom du fameux « décret nº4 » selon lequel était interdite tout « fausse accusation » envers des cadres du régime.

    Par contre, au même MOMENT, le 10 juin 1984, l’émir de Gwandu (un émirat haoussa du nord-ouest du PAYS), dont le fils était l’aide-de-camp de Buhari, est revenu d’Arabie saoudite avec 53 valises remplies de billets de banque sans qu’aucune de ces valises ne soit contrôlée par la douane à l’aéroport.

    En même temps, Buhari a aussi lancé une « guerre contre l’indiscipline » le 20 mars 1984, par laquelle le régime avait décidé de remédier à ce qu’il considérait comme un manque de moralité publique et de responsabilité citoyenne dans la société nigériane. Ainsi, les fonctionnaires qui arrivaient en retard au travail étaient humiliés et forcés de « faire la grenouille » devant les soldats. On forçait également les Nigérians « turbulents » à faire de jolis rangs aux arrêts de bus encadrés par l’armée, laquelle avait le droit de fouetter toute personne jugée « pas assez sage ».

    C’est pourquoi, malgré toutes les tentatives faites aujourd’hui par les propagandistes de son parti pour embellir son passé, le régime militaire de Buhari était à l’époque haï pour sa politique procapitaliste brutale et pour ses nombreuses attaques à l’encontre des droits démocratiques, des droits de l’homme et des conditions de vie.

    Mais malgré toutes ces caractéristiques dictatoriales et procapitalistes de Buhari, il reste perçu par les populations pauvres du nord du pays (et également à présent par de larges couches des masses populaires et des jeunes des villes du Sud) comme une personne incorruptible, au train de vie modeste voire austère, qui a toujours refusé de vivre dans le luxe affiché par les anciens dirigeants du pays. Les populations pauvres du Nord voient aussi Buhari comme quelqu’un qui ne fait pas partie de l’élite bourgeoise ni de l’aristocratie haoussa/peule qui détient le pouvoir dans le nord du pays.

    C’est donc cette combinaison de plusieurs facteurs : l’image de Buhari, l’absence d’une alternative politique prolétarienne authentique et crédible, l’abandon de la lutte par la direction syndicale, en plus de l’incompétence flagrante du gouvernement Jonathan, qui a suscité toute cette popularité et cet enthousiasme dans le cadre de ces élections. Il ne faut par conséquent pas considérer ce résultat comme étant un plébiscite en faveur de Buhari et/ou de l’APC.

    Buhari et l’APC sont plutôt les bénéficiaires d’un désir ardent de dégager un gouvernement antisocial qui avait échoué à tout point de vue. Si un véritable parti prolétarien de masse avait pu mener campagne avec un programme politique et économique socialiste et anticapitaliste, Buhari et l’APC n’auraient sans doute pas pu constituer un tel point de ralliement ; parce que la population aurait vu qu’il aurait existé une véritable alternative par rapport à la corruption, à la décadence et à l’arriération représentée par le PDP autant que par son frère jumeau qui est l’APC.

    Cependant, confrontées à la possibilité d’un nouveau mandat de quatre ans pour le PDP qui promettait un nouveau tour de politique antisociale, les masses laborieuses ont décidé que Buhari représentait le « moindre mal » ou, selon le bon mot du magazine The Economist : « le moins affreux des deux ».

    Les pièges ethniques et religieux

    Malheureusement, l’éternelle division du Nigeria selon des lignes ethniques et religieuses s’est inévitablement invitée dans la campagne électorale. Cela ne veut cependant pas dire que les facteurs ethniques et religieux ont été aussi déterminants que lors des élections précédentes. Mais cela démontre qu’à cause de la question nationale du Nigeria qui reste jusqu’ici non résolue, l’élite dirigeante nécoloniale et procapitaliste du Nigeria, qu’il s’agisse du clan rangé derrière le PDP ou de celui de l’APC, reste incapable de formuler un véritable discours politique pour tout le Nigeria sans que la question ethnique ou religieuse ne pointe encore et toujours sa vilaine tête. Il suffit de jeter un œil aux résultats région par région pour s’en rendre compte.

    Par exemple, mis à part le Sud-Ouest (région de Lagos et pays yoruba) où les deux candidats ont obtenu à peu près la même proportion de voix, Jonathan et Buhari ont obtenu des votes massifs et décisifs dans les régions dont ils sont originaires. Buhari, un musulman nordiste, a obtenu 1,9 millions de voix dans la ville de Kano ; Jonathan, un chrétien sudiste, a quant à lui reçu 1,4 millions de voix dans l’État des Rivières (région de Port Harcourt dans le delta du Niger, en pays igbo). Le taux de participation au Nord comme au Sud était aussi bien plus élevé qu’au Sud-Ouest. Dans le Sud-Ouest, le facteur ethnique et religieux a eu très peu d’importance (mis à part certaines personnes originaires de l’Est, du delta du Niger ou du Nord qui ont voté selon des lignes ethniques) vu qu’aucun des candidats ne venait de cette région.

    Mais surtout, les masses laborieuses de la région ont déjà connu des gouvernements PDP et APC au niveau régional, qui ont tous rivalisé dans la politique antisociale et dans la corruption. Quatre États du Sud-Ouest sont dirigés par l’APC. Le plus important d’entre eux est l’État de Lagos, qui est dirigé par l’APC depuis MAINTENANT 16 ans. Ce parti n’a jamais rien fait pour améliorer le sort de la grande majorité des pauvres Lagotiens.

    Tout en affirmant vouloir transformer Lagos en une « métropole moderne », le gouvernement APC de Lagos a perpétré des attaques brutales sur les masses laborieuses. Les chauffeurs de taxi-moto se sont fait ôter leur revenu, les chauffeurs de bus et de taxi sont constamment harcelés par toutes sortes de taxes de même que les artisans et les commerçants ruinés par les impôts, les médecins du public et autres fonctionnaires qui s’étaient vus contraints de partir en grève se sont faits licencier pour ce motif, etc.

    Il y a trois ans, les frais d’inscription à l’université publique de Lagos sont passés de 75 000 francs CFA à un million de francs par an ! Ce n’est que par une lutte de masse des étudiants, alliés au personnel de l’université, à laquelle ont activement participé aussi la Campagne pour le droit à l’enseignement et le Front d’action uni, que le gouvernement a été forcé d’annuler cette hausse des frais.

    Dans d’autres États dirigés par l’APC, comme l’État de Osun, les fonctionnaires n’ont pas été payés depuis cinq mois. Alors que les gouvernements régionaux prétendent que leurs finances sont à sec à cause de la baisse du cours du pétrole, ces mêmes gouvernements régionaux ont trouvé les moyens pour financer la campagne électorale de l’APC.

    Tout cela a créé parmi la population du Sud-Ouest un sentiment d’indifférence par rapport au jeu politicien entre le PDP et l’APC. C’est pour cela que les deux partis ont obtenu à peu près les mêmes scores dans la plupart des États du Sud-Ouest. À Lagos, seuls 1 495 975 personnes sont venues voter sur un nombre total d’électeurs de 5 827 846, soit un taux de participation d’à peine 26 %. Cela montre bien que les gens sont fatigués et de l’APC et du PDP, mais sans qu’aucune alternative ne soit proposée. Si à Lagos, 792 460 personnes ont voté pour Buhari et 632 327 pour Jonathan, le troisième candidat, celui de l’Alliance pour la démocratie, n’a obtenu de son côté qu’à peine 4453 voix.

    Bien entendu, contrairement à 2011, le PDP a perdu de nombreux États qui avaient autrefois voté pour lui au Nord comme au Sud, tandis que Buhari a obtenu pour la première fois dans l’histoire de son parti un très grand nombre de voix dans le Sud, y compris la majorité dans cinq des six États du Sud Est (delta du Niger). La doctrine de « changement » promue par l’APC a certainement eu un effet sur les électeurs au-delà des divisions ethniques et religieuses. Les efforts du PDP pour effrayer les électeurs chrétiens en leur racontant que « Buhari cherche à islamiser le Nigeria » n’ont pas eu le moindre effet.

    Il est instructif de noter que Buhari a obtenu un important soutien dans les États centraux, dont la population est essentiellement chrétienne. Il y a gagné la majorité dans quatre des six États. Dans ces États, surtout dans l’État de Benué (où vit l’ethnie Tiv, chrétienne), la population a mis de côté la question religieuse pour punir le gouvernement PDP qui ne payait pas les salaires des enseignants et à cause de qui les écoles ont été fermées pendant plusieurs mois entre 2013 et 2014 alors que le pétrole se vendait toujours au-dessus des 100 $ du baril. En outre, les fonctionnaires de cet État n’ont pas été payés depuis six mois.

    Mais d’un autre côté, Buhari a pu compter sur les voix des Nordistes qui lui ont permis de remporter les élections de manière décisive. S’il est vrai qu’on a vu la population fêter la victoire de Buhari dans tout le pays, y compris à Port Harcourt (qui est la base de Jonathan), cela ne fait que masquer la division ethnique qui reste cachée telle une bombe à retardement.

    Chose étonnante, c’est le journal The Nation, l’organe de l’APC, qui a été le premier à annoncer cette inquiétude dans la presse bourgeoise du Nigeria. Dans son édition du 1er avril consacrée aux résultats des élections, son rédacteur en chef Emmanuel Oladesu a souligné les points suivants : « Contrairement aux élections du 12 juin 1993 qui avaient élu le candidat du Parti social-démocrate, feu chef Moshood Abiola, le mandat octroyé au général Buhari pourrait ne pas être perçu comme un mandat pannigérian, vu le vote qui s’est beaucoup exprimé selon des lignes ethniques ou religieuses ».

    Poursuivant, il écrit : « La position prise par le Nord musulman dans la bataille pour la présidence a été clairement façonnée par son désir de voir un changement de pouvoir. De même, le comportement des électeurs dans le Sud et le Sud-Est a également été influencé par la question ethnique et religieuse ». Dans son commentaire sur le nouvel alignement des forces politiques causé par les résultats électoraux, Emmanuel Oladesu dit aussi que : « L’alliance apparemment naturelle entre le Nord et le Sud/Sud-Est qui datait d’avant la Première République a maintenant disparu. Pour la première fois, c’est le Sud-Ouest et le Nord qui semblent s’être mis d’accord ».

    Même si cette problématique a pour l’instant été mise en sourdine par le fait que le président Jonathan a admis sa défaite publiquement et immédiatement même avant que tous les votes ne soient comptés, le mécontentement ethnique va inévitablement revenir sur le devant de la scène à partir d’un certain moment.

    Ceci, parce que le capitalisme – que Buhari et son parti l’APC comptent bien perpétuer avec leur accès au pouvoir – est à sa base un système injuste qui empêche toute distribution équitable des richesses, puisqu’il a pour mécanisme leur concentration entre quelques mains. Seule une action décisive du mouvement syndical peut unifier les luttes de la population ; par contre, sans cette unification, le mécontentement des masses pourrait prendre un caractère ethnique ou religieux. Les factions rivales au sein de la classe capitaliste peuvent chercher à exploiter les divisions ethniques. Ce n’est donc pas un hasard si, dans son allocution à la suite de la proclamation des résultats par la CEI, l’agent national du PDP, l’ancien ministre Godsdey Orubebe, a accusé le président de la CEI, M. Jaga, d’être un « tribaliste ».

    Cela pourrait signifier qu’à partir d’un certain moment, les habitants du delta du Niger et du Sud qui produisent le pétrole vont à nouveau commencer à se sentir marginalisés et délaissés, malgré le fait que la situation de la population de cette région ne s’est aucunement améliorée lorsque le « fils du Sud » Jonathan était au pouvoir. Dans la plupart des États du Sud, y compris l’État de Bayelsa où est né Jonathan, la majorité de la population reste pauvre, souffre de l’exploitation et de la répression par les multinationales pétrolières, n’ont pas accès à l’électricité, aux routes ou à l’infrastructure. De nombreux jeunes désespérés se lancent dans le raffinage informel du pétrole afin de survivre.

    Le magazine Financial Times le souligne également : « Selon des dirigeants politiques du delta du Niger, il y a un risque important que d’anciens militants qui ont profité de la présidence de M. Jonathan tentent à présent de se MAINTENIR coute que coute en provoquant des troubles » (31 mars 2015).

    Des élections pas si libres et ouvertes

    Comme la plupart des observateurs locaux et internationaux l’ont rapporté, ces élections se sont distinguées par un nombre qualifié de très bas d’irrégularités, de fraude et de violence. Cela n’a tout de même pas empêché, selon la Commission national des droits de l’homme, 50 personnes de se faire tuer pendant le vote samedi 28 mars. On a aussi entendu parler d’actes de violence dans l’État des Rivières, où quatre personnes ont trouvé la mort, y compris un soldat. Cela, malgré le fait que 360 000 policiers avaient été déployés dans tout le pays à des emplacements stratégiques avec des chiens renifleurs, etc. en plus de la mobilisation de l’armée.

    Dans son rapport, la Mission d’observation du scrutin de l’Union européenne a mentionné des failles dans le processus comme par exemple l’ouverture tardive de certains bureaux de vote, les dysfonctionnements de l’identification biométrique, certains incidents violents regrettables et la réouverture des bureaux le dimanche. Selon le Groupe de suivi de la transition, les voix de l’État des Rivières et d’autres États du Sud (base du président sortant Jonathan) semblent avoir été fortement gonflées pendant le comptage.

    Lundi, des milliers de manifestants ont assiégé le bureau de la CEI pour exiger la tenue d’un nouveau scrutin dans leur État. Lors d’un de ces accidents, le siège d’une délégation locale de la CEI dans l’État des Rivières a été incendié par les manifestants. On a également eu des rapports selon lesquels dans le Nord, qui soutient Buhari, des mineurs sont venus voter et les voix ont été exagérées lors du comptage.

    En outre, un des traits distinctifs de ces élections a été les sommes astronomiques dépensées tant par le PDP que par l’APC. Bien entendu, le PDP qui était le parti au pouvoir au niveau fédéral disposait d’une source quasi illimitée de fonds pour financer sa campagne. Le régime du PDP a mis à profit la période de six semaines de report des élections (du 14 février au 28 mars) pour dépenser des milliards et des milliards de naïras pour sa campagne avec des publicités, des meetings, des réunions avec divers regroupements et associations, des clips et des documentaires de propagande.

    Mais l’APC n’était pas loin derrière. Des milliards de naïras ont également été dépensés par l’APC qui a plongé les mains dans les finances de tous les États sous son contrôle. Cela explique en partie pourquoi dans de nombreux États, comme l’État d’Osun, les fonctionnaires n’ont pas été payés depuis cinq mois.

    Dès le départ, au moment de choisir les formulaires de vote, le PDP comme l’APC avaient déjà décidé que le résultat du scrutin serait une simple affaire de savoir qui des deux factions rivale de l’élite dirigeante allait dépenser le plus d’argent, tandis que les masses populaires étaient malheureusement reléguées au rang de simples spectateurs tout juste bons à applaudir l’un ou l’autre dirigeant.

    Malgré son discours contre la corruption et pour le « changement », Buhari a pris le formulaire de nomination présidentiel de l’APC pour 27,5 millions de naïras (80 millions de francs), tandis que le président Jonathan a payé 22 millions de naïras pour le formulaire du PDP (65 millions de francs).

    C’est une autre raison pour laquelle les illusions des masses dans la présidence de Buhari vont certainement être rapidement réduites à néant. C’est celui qui paye le musicien qui décide de la musique. Buhari a parcouru tout le PAYS d’un bout à l’autre en volant dans des jets privés : il n’aurait jamais pu se lancer dans une campagne aussi couteuse – bien plus couteuse que ses trois dernières campagnes réunies –, sans d’énormes investissements de la part des nombreux escrocs et détourneurs de fonds publics qui abondent au sein de l’APC.

    Ces individus vont à présent certainement exiger un retour sur investissement et des compensations en termes de contrats juteux et de mesures économiques favorables après l’intronisation de Buhari. Cela veut donc dire que, comme cela s’est passé avec tous les gouvernements précédents, malgré ses bonnes intentions affichées, l’argent censé financer l’enseignement, la santé ou les services sociaux terminera à la place dans les poches et sur les comptes en banque des riches soutiens et parrains de son parti, qui ne vont pas perdre de temps à s’emparer de leur part du gâteau dès que le nouveau gouvernement aura été mis en place.

    Les perspectives pour les masses populaires

    Les masses populaires, surtout les couches qui ont placé le plus d’illusions dans Buhari, vont entrer dans une nouvelle période où ces illusions seront soumises aux tests et vérifications les plus sévères. Il sera extrêmement important que les socialistes et les militants de gauche utilisent la période actuelle pour maintenir et renforcer les liens avec la classe des travailleurs, la jeunesse et les masses pauvres ainsi qu’avec leurs organisations afin de tirer ensemble les leçons que nous réserve la nouvelle période qui s’ouvre au Nigeria.

    À la suite de ces élections, l’enthousiasme délirant des dernières semaines semble en train de doucement faire place à une certaine sobriété. Même le journal Punch, dans son éditorial du mardi 2 avril 2015, a reconnu le fait que « Le Nigeria a déjà vu de fausses aurores auparavant, surtout après les élections générales de 2011, lorsque les électeurs ont porté Jonathan au pouvoir sur une vague de sympathie à la suite du décès soudain du président Umaru Yar’ Adua ».

    Il ne fait aucun doute que le nouveau gouvernement de Buhari va prendre le pouvoir dans une période extrêmement sombre pour le capitalisme. Les revenus d’État sont en chute libre à cause de l’effondrement du cours du pétrole. La naïra a perdu une grande partie de sa valeur, tandis que l’inflation s’est accrue de +0,25 points de pourcentage entre janvier et février pour atteindre 8,4 %.

    Après que ses prédécesseurs aient dilapidé la majorité du revenu provenant de la vente du pétrole lorsque l’économie se portait bien, le nouveau gouvernement va avoir relativement peu de moyens (pour un gouvernement capitaliste) avec lesquels démarrer. Pour ce gouvernement capitaliste dans lequel les larges masses populaires ont placé leurs espoirs et leurs aspirations à une vie meilleure, l’évolution de la situation économique va le restreindre sérieusement et le forcer à abandonner bon nombre de ses promesses à un moment où la population s’attend justement au « changement ». Il ne fait aucun doute que le gouvernement Buhari sera un gouvernement de crise.

    Le gouvernement entrant, malgré l’intégrité personnelle de Buhari, ne sera jamais qu’un autre gouvernement capitaliste, càd. un gouvernement dont l’objectif est de rendre les riches plus riches et ce, aux dépens de la majorité pauvre, via une politique de privatisation, de commercialisation et de soi-disant « partenariats publics-privés ». Né il y a deux ans de la fusion de différents partis d’opposition et de personnes qui ont quitté le PDP au pouvoir, l’APC qui a choisi Buhari comme son candidat aux élections est un parti procapitaliste qui s’inscrit dans la même idéologie de privatisation et de dérégulation que le PDP, et a déjà démontré dans les États où il a remporté les élections, qu’il est bien plus efficace en tant que défenseur du capitalisme.

    Le journal The Guardian du 2 avril 2015 a fait état de l’enthousiasme sur les marchés à l’annonce de la victoire de Buhari. Selon un rapport, la capitalisation sur le marché à la bourse du Nigeria s’est accrue de 8,5 % mercredi, soit 906 milliards de naïras de plus (2700 milliards de francs). Les opérateurs expliquent que « On n’a jamais connu un tel rebond du marché dans toute l’histoire de notre bourse informatisée ». Un courtier a décrit cette amélioration comme étant un signe de « retour de la confiance des investisseurs ».

    Le naïra a lui aussi opéré un brusque demi-tour en reprenant de la valeur face aux principales devises alors qu’il ne faisait que baisser jusqu’ici. Le directeur exécutif de Highcap Securities Limited, M. Tunde Adanri, a résumé cette humeur en disant qu’il espère que le nouveau régime soutiendra l’enthousiasme des investisseurs en mettant en œuvre des « mesures économiques tournées vers le marché ».

    Cela veut dire que, après quelques concessions temporaires faites au départ afin de répondre quelque peu aux attentes des masses, il est plus que certain que la politique de l’administration Buhari sera la même que celle suivie par les gouvernements précédents, faites de mesures procapitalistes telles que la privatisation, la dérégulation, le sous-financement de l’enseignement, la hausse des frais d’inscription, etc. Cela signifie que le Nigeria restera plongé de manière indéfinie dans la même situation paradoxale d’une misère de masse au milieu d’une abondance de richesses.

    En particulier, en conséquence de la baisse du revenu national, le gouvernement va tenter d’imposer une politique d’austérité tout en lançant quelques actions symboliques de haut vol contre quelques personnes notoirement archicorrompues. Mais dans le contexte de chute du cours du pétrole, l’austérité constituera le gros de la politique qui se présentera au gouvernement Buhari. L’austérité va mener à des pertes d’emplois, à la dépression économique et à une aggravation des conditions de vie. Cela a été confirmé par le Financial Times du 31 mars 2015 pour qui « ayant pris le pouvoir dans une période tout aussi morose dans les années ’80, le général Buhari a déjà une bonne expérience pour ce qui est d’imposer l’austérité ».

    Cependant, les masses laborieuses et la jeunesse dont la puissance a fini par dégager le gouvernement PDP ne vont pas rester là à regarder sans rien faire tandis que leurs conditions de vie sont attaquées. La présidence Buhari pourrait par conséquent mener à une explosion de la lutte populaire. Des manifestations et grèves de masse pourraient être à l’ordre du jour tôt ou tard.

    On peut voir un développement de luttes qui, si elles sont menées de manière décisive, pourraient arracher des concessions. Mais dans ce contexte de crise, ces concessions ne seront que temporaires. Ce dont nous avons besoin est un mouvement qui se batte pour une rupture complète avec le système capitaliste.

    Au fur et à mesure que la déception envers le gouvernement Buhari se répandra et que les masses commenceront à ouvrir les yeux, de plus en plus de gens vont partir en quête d’une alternative. Mais si le mouvement syndical, les socialistes et les militants de gauche ne sont pas prêts avec une alternative politique sous la forme d’un parti prolétarien de masse, il y a un risque que des couches de la population et de la jeunesse déçues placent à nouveau leurs espoirs dans un autre parti ou candidat de la même élite dirigeante capitaliste. Au niveau régional, nous avons d’ailleurs déjà vu le pouvoir passer du PDP à l’APC et vice-versa sans que cela n’amène le moindre changement dans les conditions de vie des masses.

    C’est pourquoi la meilleure façon d’éviter de se retrouver à nouveau dans cette situation où la classe des travailleurs met sa foi dans l’une ou l’autre faction bourgeoise rivale de laquelle elle attend un salut qui ne vient jamais, est que les syndicalistes, les socialistes et les militants de gauche commencent la tâche cruciale de la construction d’une alternative politique sous la forme d’un parti prolétarien de masse.

    Nous, membres du DSM (section nigériane du CIO) et du Parti socialiste du Nigeria (SPN), réitérons donc notre appel au mouvement syndical à se hâter, en particulier suite à ces élections de 2015, de convoquer un congrès des syndicats, des socialistes et de la société civile où pourra être posée la question de la construction d’un parti politique prolétarien de masse représentant une véritable alternative.

  • Allégeance de Boko Haram à l'Etat Islamique : propagande ou menace réelle ?

    bokoharam_EILe groupe islamique fondamentaliste nigérian Boko Haram s’est récemment formellement affilié à l’Etat Islamique d’Irak et de Syrie. Depuis un certain temps maintenant, le leader de Boko Haram Abubakar Shekaku avait fait des signes d’ouverture au leader de l’Etat Islamique (EI), Abu-Bakr al-Baghadi, dans des messages audio et des vidéos notamment.

    Par H.T Soweto, Democratic Socialist Movement (section du Comité pour une Internationale Ouvrière au Nigéria)

    L’Etat Islamique est une branche du noyau dur d’Al-Qaïda qui a déjà établi un califat dans des territoires capturés dans certaines partie d’Irak et de Syrie. Comme Boko Haram, l’EI est une secte islamique sunnite qui se dévoue à une interprétation extrémiste du Coran. Ceci signifie une opposition à l’éducation occidentale, l’interdiction de boire, fumer ou encore bannir les élections et les droits démocratiques. ISIS souhaite établir un califat appliquant la Charia et dirigé par un seul chef, le calife. Le groupe est connu pour ses vidéos macabres de décapitations, d’exécutions de masse, de crucifixions, d’asservissement de femmes et le meurtre de quiconque se tient sur le chemin de leur programme sectaire.

    Porté par le succès enregistré lors de ses campagnes militaires, des tentatives ont été faites de décrire cette alliance comme rien de plus qu’une propagande pour Boko Haram comme pour l’EI. Par exemple, Simon Tisdall du Guardian (Londres) écrit qu’ « il est peu probable que la nouvelle alliance, unilatéralement proclamée dans le week-end par le leader de Boko Haram Abubakar Shekaku, mène à des opérations conjointes sur le terrain. Cela pourrait en fait plutôt être un appel à l’aide étant donné les récentes défaites subies par Boko Haram ». Mais il est également prompt à reconnaître que les implications vont au-delà de cela. Selon lui, « Pour l’EI, l’offre de Boko Haram d’une alliance idéologique est un boost pour sa propagande qui lui confère une crédibilité internationale. Pour Boko Haram, l’aura de l’EI et les zones non-gouvernées du Sahel fournissent potentiellement de nouvelles connexions vers d’autres conflits dans le monde musulman en termes de recrues, d’armes, de finances, de technique et d’intelligence. Pour les gouvernements occidentaux, ce scénario évoque leur pire cauchemar- la perspective d’un djihad uni et globalisé » (Guardian (Londres) 9/3/15).

    Le lien maintenant formellement établi entre l’EI et Boko Haram fait potentiellement du Nigéria la destination préférée pour toutes sortes de djihadistes-en-devenir qui n’auraient pas pu franchir la frontière vers la Syrie ou l’Irak pour rejoindre l’EI. La sophistication que ces djihadistes étrangers peuvent apporter amène sur la table la perspective effrayante que, même si bouté hors des territoires capturés, Boko Haram puisse continuer à être une menace pour les peuples du Nigéria et ses voisins, à travers des attentats suicides, des kidnappings etc. Ceci signifie également que le Nigéria pourrait devenir dans la prochaine période un centre global du djihadisme, avec toutes les conséquences que cela entraîne.

    Dans sa déclaration où il acceptait l’allégeance de Boko Haram, le porte-parole de l’EI Abu Muhammed Al-Adani a appelé les musulmans qui ne peuvent rejoindre l’EI en Irak ou en Syrie à s’engager dans les combats en Afrique en disant que l’engagement de Boko Haram avait ouvert « une nouvelle porte pour émigrer en Terre d’Islam et se battre » (Guardian (Londres), 9/3/15).

    Si cela arrivait, cela signifierait certainement qu’une fin à l’insurrection de six ans est loin d’arriver malgré quelques victoires substantielles sur le plan militaire. Cela signifierait même plutôt que Boko Haram en alliance avec d’autres groupes en Libye, en Egypte et en Algérie pourraient développer des attaques contre des intérêts locaux et étrangers à l’intérieur même de l’Afrique. C’est la forme que pourrait prendre une « opération conjointe ». Par exemple, le Punch du 12 mars reporte que « un législateur américain, Stephen Lynch, est actuellement au Nigéria en concertation avec le gouvernement fédéral pour revoir la sécurité de l’ambassade américaine » en raison des récentes explosions à Maiduguri « et le gage d’opérations conjointes avec l’Etat Islamique d’Irak et de Syrie ». Ce n’est pas une réaction de panique. Même en soi-même, Boko Haram a démontré qu’il avait une force de frappe et une capacité largement plus grande que simplement les attaques envers l’état nigérian. Le vendredi 26 août 2011, le groupe revendiquait l’explosion d’une voiture au bâtiment des Nations Unies dans la capitale nigériane Abuja, qui a fait 21 morts et 60 blessés.

    L’entrainement que l’EI peut fournir à Boko Haram est également significatif. Selon la BBC (13/3/15), même l’ancien Président Goodluck Jonathan a déclaré dans Voice of America (VOA) que « les militants de Boko Haram voyagent jusqu’aux camps de l’EI pour s’entrainer ». Des experts ont également pointé le professionnalisme de certains enregistrements vidéos de Boko Haram, mettant en évidence le fait qu’ils aurait pu recevoir de l’aide de l’EI, qui est largement connu pour ses vidéos de propagandes professionnelles ainsi qu’une forte présence sur les réseaux sociaux.

    La résistance de Boko Haram et sa capacité à rebondir sont aussi significatives. Dans une certaine mesure, Boko Haram partage certaines méthodes et des aires géographiques avec le mouvement Maitasine qui a culminé dans la première moitié des années ’80 dans des combats qui ont coûté la vie à près de 4000 personnes. Plus tard, en 2009, Boko Haram, qui attira ensuite des masses de gens pauvres et de jeunes désillusionnées dans l’état de Borno par son enseignement de la Charia et sa critique des excès des élites corrompus, s’est fait connaitre du grand public par une sanglante répression par l’état où furent massacrés beaucoup des membres de Boko Haram dont son fondateur Mohammed Yusuf, de façon totalement extra-judiciaire. Déjà là, ils furent capables de se reformer en peu de temps pour commencer des représailles sanglantes, qui continuent encore aujourd’hui et qui l’ont amené à contrôler actuellement une partie du Nigéria de quasiment la taille de la Belgique.

    Les forces de combat de Boko Haram sont estimées entre 6000 et 9000. Un analyste de la finance et de la sécurité anglais a estimé que les revenus annuels de Boko Haram tournaient autour de 10 millions de dollars US pour des demandes de rançon, des braquages de banques et des razzias de village (BBC News 26 janvier 2015). Alors que ces ressources ont pu être réduites à cause du recul de certains territoires occupés, il souligne cependant le potentiel de Boko Haram à rebondir, même même s’ils se trouvent enlisés l’offensive militaire en cours.

    C’est pourquoi il n’y a aucun optimisme à avoir malgré les quelques récentes victoires des assauts militaires. Par exemple, Boko Haram, peut-être par désespoir, apparaît aujourd’hui avoir changé de tactique. Il semble qu’ils se soient renouvelés dans les attentats suicides dans les parcs d’autobus, les marchés les lieux publics etc. contrôlés par l’armée, ce qui est un rappel inquiétant que malgré que les assauts militaires poussent Boko Haram sous terre, ceux-ci gardent la capacité de frapper n’importe où, n’importe quand. Alors que la fin des élections approche, il est incertain que le vote puisse prendre place dans le Nord-Est sans une menace d’attentats suicides à Maiduguri et d’autres villes dans les états de Borno, Yobe et Adamawa.

    La forte résistante à l’EI dans les zones kurdes d’Irak et de Syrie est un exemple de comment une population mobilisée peut vaincre Boko Haram, bien qu’en Irak et en Syrie il y ait un danger omniprésent de tomber dans une guerre religieuse ou ethnique. D’où l’appel constant du Democratic Socialist Movement (DSM) de construire des comités de défense armée multi-ethniques et multi-religieux indépendants de l’état mais sous le contrôle démocratique des communautés et du mouvement ouvrier pour protéger les communautés des attaques de Boko Haram. Mais l’insurrection de Boko Haram n’est qu’un produit de la non-résolution de la question nationale au Nigéria, qui n’est rendu possible que par une situation, induite par le capitalisme, avec une extrême pauvreté et un chômage massif à côté de richesses abondantes. À son paroxysme, une telle situation mène inéluctablement à des crises de violence et des extrémismes.

    Personne d’autre que l’ex-Président du Nigéria, Olusegun Obasanjo, a admis récemment que « Boko Haram a des griefs légitimes » (IBTimes UK, 16/3/2015). Selon lui « alors que 79% des Nigérians reçoivent une éducation dans le Sud-Ouest du pays et 77% dans le Sud-Est, dans les fiefs de Boko Haram dans le Nord-Est les taux ne se situent qu’à 19% ». Ces chiffres interpellants seuls montrent pourquoi un groupe terroriste peut émerger dans le Nord-Est contre l’éducation occidentale. Dans beaucoup de zones du Nord, l’éducation occidentale est vue comme un privilège de quelques riches suite au niveau rudimentaire des infrastructures d’éducation dans la région. Ceci arrive malgré que des membres de l’oligarchie corrompue du Nord aient gouverné le Nigéria, soit à la tête de l’armée soit dans le gouvernement civil, pendant plus de la moitié de l’histoire du pays depuis son indépendance. Plutôt que d’utiliser les ressources du pays pour développer l’éducation publique, les élites n’ont jusqu’à présent que largement utilisé ces fonds pour s’enrichir elles-mêmes, formant le lit pour un discours, comme celui de Boko Haram, qui lie « éducation occidentale » avec la corruption et présence cette éducation comme « anti-islamique ».

    Ce qui est responsable de cet état déplorable des choses est le capitalisme, qui a vu le Nigéria s’enrichir de quelques milliardaires alors que l’écrasante majorité des 170 millions d’habitants vit avec moins de 2$/jour. Même dans le Sud-Ouest aujourd’hui, l’Université est réservée aux riches, suite à l’augmentation des frais d’inscription. Aussi longtemps que subsisteront ces injustices socio-économiques, Boko Haram et d’autres formes d’extrémisme persisteront. C’est parce que beaucoup de gens, y compris de nombreux jeunes, continueront de se sentir marginalisés et aliénés par une société qui ne sert d’aux riches. En l’absence d’un mouvement de travailleurs qui met en avant énergiquement une alternative au capitalisme, ces éléments de la société seront prédisposés à tomber sous l’influence d’idées sectaires, qui tentent de substituer des idées réactionnaires, religieuses et ethniques à une compréhension de classe de comment la société est menée à l’oppression et à l’injustice par le capitalisme.

    Confier la sécurité des gens à un gouvernement corrompu qui est largement responsable de la situation n’est pas une solution. Il est nécessaire de répondre aux causes de ces mouvements comme à leurs conséquences.

    Il est donc essentiel de construire ces comités de défense armée dans chaque communauté pour combattre Boko Haram et chaque groupe extrémiste. Le mouvement des travailleurs a la tâche urgente de construire un mouvement de masse qui unit les ouvriers et les pauvres contre les idées sectaires autour d’un programme de lutte pour un salaire minimum, contre l’austérité qui se profile, contre les idées sectaires et pour l’amélioration des conditions de vie, des emplois et des services publics de santé et d’éducation. Un tel mouvement doit également mener le combat pour prolonger ces mesures par la construction d’une alternative politique de masse pour mettre fin au système injuste du capitalisme et instaurer un système démocratique et socialiste. Seul un gouvernement socialiste, formé et soutenu par la classe ouvrière elle-même est capable d’allouer judicieusement les vastes ressources du Nigéria pour prendre soin de tous, au Sud, à l’Ouest, à l’Est et au Nord du Nigéria, contrairement à la situation actuelle où à peine quelques personnes possèdent plus que 80% des Nigérians.

  • Nigeria. Massacre de Baga : socialisme ou barbarie

    nigeriaBHLes 4 jours de massacre à Baga, au Nigeria, rappellent durement qu’aussi sanglante que soit déjà l’insécurité dans le pays, il n’y a aucune limite au point auquel les choses peuvent dégénérer. Le décompte initial faisait état de 2.000 morts et de 35.000 personnes évacuées. L’armée a cependant rejeté ce chiffre, qui est selon eux une exagération. Dans une déclaration officielle, le Général Chris Olukolade, porte-parole de l’armée, a déclaré que le nombre de personnes tuées, y-compris les combattants de Boko Haram, « n’a pas encore excédé les 150 personnes ». Mais que ce soient 2000 ou 150 personnes qui aient été tuées, il s’agit d’un incroyable nombre de pertes de vies humaines en un seul jour.

    H.T Soweto, Democratic Socialist Movement (section du Comité pour une Internationale Ouvrière au Nigéria)

    Au total, 3.720 maisons, cliniques et écoles ont été rasées au cours des attaques sur Baga et Doron Baga. Les survivants racontent qu’ils ont traversé des villages vides jonchés de cadavres. C’est inacceptable, condamnable et impensable. Les défenseurs des idées du socialisme condamnent ce carnage et se joignent aux Nigérians pour exiger la fin de ces pertes de vies humaines quotidiennes.

    Dans les dernières images satellites, Amnesty International a décrit l’attaque de Baga comme « la dévastation de deux villes en proportions catastrophiques, l’une d’entre elle ayant presque disparu de la carte en l’espace de quatre jours. » De tous les assauts perpétués par la secte, c’est « le plus large et le plus destructif ».

    Qualifier simplement les 6 ans d’offensive de Boko Haram d’attaques terroristes est maintenant un euphémisme à tous les niveaux. C’est une véritable guerre qui fait rage au sein des territoires d’une nation souveraine. Dans certains endroits des 3 Etats du Nord-Est, l’autorité gouvernementale s’est effondrée alors que les membres de la secte règnent en maîtres. La secte contrôle maintenant une grande partie de la frontière entre le Nigeria et le Tchad et le Cameroun, ce qui lui donne le contrôle du commerce.

    Par ses exploits, Boko Haram – un groupe terroriste islamiste – met la barre du terrorisme mondial de plus en plus haut. Dans la nuit du 14 au 15 avril 2014, 276 écolières ont été enlevées par ce groupe terroriste dans la ville de Chibok, dans l’État de Borno. Mis à part quelques-unes qui ont réussi à s’enfuir dans la brousse pendant le transport vers le repaire du groupe, il n’y a aucune nouvelle d’elles depuis lors, malgré l’indignation mondiale et la campagne tumultueuse pour leur libération au Nigeria (#BringBackOurGirls). Au lieu de se calmer, Boko Haram a continué de pratiquer des carnages meurtriers quotidiens. Au Cameroun, ils ont récemment kidnappé environ 80 personnes, dont beaucoup d’enfants, et en ont tuées trois autres au cours d’une attaque transfrontalière contre des villages dans le Nord du pays.

    Impuissance militaire

    La capacité incroyable de cette secte à commettre des violences est tellement alarmante qu’à peine le public s’est remis d’un carnage qu’un nouveau se produit. Tout aussi alarmante est l’impuissance de l’armée. Pendant l’attaque contre Baga, il a été rapporté que des soldats ont «rejoint les civils qui s’échappaient dans la brousse». Baga est en fait le quartier général du Multinational Joint Task Force (MNJTF, force multinationale conjointe) – une force internationale de soldats du Nigeria, du Niger et du Tchad mise sur pied en 1994 pour faire face aux problèmes de sécurité transfrontalières et, récemment, à Boko Haram. Quand les combattants de Boko Haram sont arrivés, ils ont d’abord envahi les baraques militaires de MNJTF. Il y a des rapports de soldats s’enfuyant après avoir repoussé les membres de la secte pendant 9 heures sans recevoir de renforts.

    La déroute de l’armée nigériane montre la perte de confiance générale en le régime et le système. Les années de corruption ont laissé pourrir l’armée, avec un manque d’équipements et d’armements adéquats et des soldats du rang dont le niveau de vie est aussi pauvre que celui du reste de la classe des travailleurs. En résultat, les soldats ne veulent pas risquer leurs vies pour l’élite dominante corrompue. Il y a eu des mutineries et une série de procès en court martiale. En septembre 2014, 12 soldats ont été condamnés à mort pour mutinerie. A la fin de l’année dernière, 54 soldats de plus ont été condamnés à mort pour désobéissance à un ordre direct. Plus de 100 sont encore en jugement pour des charges qui vont de perte de fusil au cours des opération à la négligence et la lâcheté. Cependant, au lieu de restaurer la discipline, les mesures répressives ont continué de générer la colère parmi les soldats, leurs familles et ceux qui dépendent d’eux.

    Par exemple, le vendredi 16 janvier 2015, environ 227 membres ont manifesté à Jos, dans l’Etat du Plateau, contre leur licenciement par l’armée nigériane en conséquence de la guerre en cours contre Boko Haram. Le dirigeant des soldats mécontents, le Sergent Abiona Elisag, a brossé un tableau violent des conditions qui rendent extrêmement difficile aux soldats d’être préparé physiquement et mentalement à se confronter à Boko Haram : «Nous sommes surpris qu’on puisse nous traiter ainsi dans notre propre pays. Nous avons été envoyés sans armes nous battre contre les insurgés. Beaucoup de nos collègues ont été tués au cours de la défense de notre patrie. Même ceux qui sont à l’hôpital pour soigner les blessures qu’ils ont reçues sur le champ de bataille ont été licenciés alors qu’ils étaient encore hospitalisés. Le pire, c’est que les familles des collègues tués à Adamawa et à Yobe se meurent de faim puisque l’Armée Nigériane refuse de payer leurs indemnités.» (This Day, 17 janvier 2015).

    En plus, il est de nouveau apparu que les soldats, la police et d’autres agents de sécurité doivent souvent acheter leurs propres uniformes, équipements et dans certains cas doivent acheter les balles eux-mêmes quand ils sont déployés dans des zones de trouble avec très peu d’approvisionnement en munitions. Les conditions pitoyables de l’armée, de la police et du personnel de sécurité, malgré les milliards de nairas votés annuellement pour «la guerre contre la terreur» depuis 2009 et que l’insurrection de Boko Haram a aidé à exposer, méritent une campagne vigoureuse de la part du mouvement syndical. Les soldats du rang font partie de la classe ouvrière ; qu’ils soient envoyés se faire massacrer méritent notre condamnation et notre solidarité fraternelle.

    Ce n’est absolument pas la même chose que de soutenir la «guerre contre la terreur» du gouvernement ; il s’agit plutôt de se solidariser avec les membres de la classe ouvrière dans l’armée et de les unir au reste de leur classe sociale. Une telle campagne doit exiger l’annulation de toutes les actions disciplinaires contre les soldats sur le front, l’amélioration des conditions de vie des soldats du rang et du personnel de base de la police et des autres agents de sécurité, une compensation adéquate pour les familles des morts au combat, des blessés ou des invalides et une rémunération convenable de ceux en service, la démocratisation de l’armée et de la police et le droit des soldats, de la police et du personnel de sécurité à former un syndicat pour défendre leur droit.

    Pas d’issue en vue

    L’existence de plus d’un million de déplacés internes et l’invasion totale d’une grande partie des 3 Etats du Nord-Est (Borno, Yobe et Adamawa) créent une crise sérieuse pour la tenue des élections présidentielles et législatives de 2015, qui doivent commencer le 14 février. Mis à part la question générale d’à quel point ces élections vont être démocratiques, on peut douter de la capacité de la Commission Électorale Nationale Indépendante (INEC) à organiser le vote dans les 3 Etats du Nord-Est sur lesquels le gouvernement Nigérian a perdu le contrôle face aux assauts continuels contre ses bases militaires et au rasage de villes et de villages par Boko Haram.

    La question de comment mettre fin au carnage de Boko Haram a dominé les campagnes présidentielles du 14 février prochain. Dans cette élection, le président du Peoples Democratic Party (PDP) Goodluck Jonathan, qui a dirigé pendant 6 ans un gouvernement capitaliste contre les pauvres, généralement acclamé pour sa contre-performance même selon les critères nigérians, fait face à la tâche ardue de maintenir la tradition selon laquelle les sortants sont souvent réélus. Le concurrent principal, le général à la retraite Muhammadu Buhari du All Progressive Congress (APC), s’est engagé à mettre fin à l’insurrection s’il est élu. Mais il ne dit pas clairement en quoi il va approcher la question différemment du régime actuel.

    Cependant, il est clair que ce que les candidats du PDP comme de l’APC prévoient comme solution à l’insurrection de Boko Haram est plus ou moins d’augmenter les actions militaires. En tant que général à la retraite et ancien chef d’État militaire, Muhammadu Buhari espère faire valoir son expérience martiale ainsi que son avantage particulier d’être un Musulman du Nord.

    Toute désirable que puisse être une solution militaire aux yeux des Nigérians traumatisés, la réalité est que cela n’apporterait qu’un soulagement temporaire. Il ne peut pas y avoir de «solution» miliaire simple à Boko Haram. C’est la faillite monumentale de l’élite capitaliste dirigeante qui crée les conditions favorables au recrutement massif de jeunes et de pauvres par Boko Haram. Le fondateur décédé de Boko Haram, Muhammed Yusuff, était capable d’attirer les masses dans le Nord-Est du Nigéria, réputées les plus pauvres et les moins développées du pays, parce que les prêches et les sermons contre les inégalités dans la société et la corruption de l’élite dominante trouvaient une résonance dans les cœurs et les esprits des jeunes sans emplois et des pauvres qui existent en marge de la société.

    Il est cependant important de rappeler que les Nigérians ne doivent pas oublier que c’est l’exécution extra-judiciaire de Muhammed Yusuff pendant sa garde à vue en 2009, après l’avoir exhibé devant les caméras de télé, qui a fait de Boko Haram la terreur qu’elle est maintenant. En plus du meurtre extra-judiciaire de Yusuff et d’autres dirigeants de la secte et de soutiens financiers, plus de 700 membres de la secte ont été massacrés dans une répression majeure au cours de laquelle la police nigériane, alors mieux armée, a engagé le combat avec des membres de la secte équipés d’arcs et de flèches dans une opération qui visait à les exterminer complètement. Cependant, au lieu de cela, la secte est simplement tombée sous la direction d’une aile plus extrémiste représentée par Abubakar Shekau et d’autres qui auraient des liens avec Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI). Au moment où Boko Haram s’est réorganisé et a commencé une série d’attaques vengeresses, il était maintenant équipé de bombes, de lances-roquette, de kalachnikovs et avait acquis une grande expertise technique et des combattants dont la rumeur dit qu’ils ont été entraînés en Somalie et dans d’autres centres du terrorisme en Afrique.

    Ainsi, même si Boko Haram est abattu, dans la mesure où toutes les contradictions de l’aliénation de la vaste majorité, en particulier des jeunes, de la richesses de la société, continuent à exister, il y a toujours une possibilité que des campagnes d’agitation violentes éclatent ailleurs au Nigéria. Par exemple, le fait qu’il y avait un vice-président (plus tard devenu président) du Delta du Niger en la personne de Goodluck Jonathan peut avoir contribué à rendre possible l’achat temporaire des militants du Delta du Niger dans un accord d’amnistie qui valait des milliards de Nairas.

    Mais même si un président musulman du Nord avec une expérience miliaire rendrait jusqu’à un certain point possible d’en finir avec le carnage de Boko Haram, les Nigérians devraient s’attendre à ce que des campagnes d’agitation violentes et cacophoniques similaires émergent dans d’autres groupes ethniques, religieux et parmi d’autres extrémistes. Boko Haram n’est pas le premier mouvement de ce type dans le Nord, «son credo réactionnaire et religieux a commencé bien plus tôt, avec la recrudescence du mouvement Maitasine au début des années 1980» (“Socialist Democracy”, juin-juillet 2014). Et, aussi longtemps qu’existent les conditions de crise, de pauvreté et de corruption, l’écrasement militaire de Boko Haram ne va pas en lui-même empêcher des mouvements similaires d’émerger dans le futur.

    Ceci parce qu’en premier lieu, les crises ethniques et religieuses apparemment inextricables du Nigeria sont le produit de la question nationale non résolue du Nigeria, qui inclut la façon non-démocratique dont les colonialistes britanniques ont fusionné différentes entités qui se sont rassemblées pour former le Nigeria, le système exploiteur et inégalitaire du capitalisme, ainsi que l’héritage de l’élite capitaliste néo-coloniale qui joue régulièrement avec les sentiments religieux et ethniques pour inciter à l’agitation, de façon à poursuivre leurs propres buts et ambitions politiques dans leurs propres intérêts.

    Une solution socialiste

    Ainsi, la seule manière durable et sûre de mettre définitivement fin à Boko Haram et d’autres formes de crise ethno-religieuse est d’assurer que l’énorme richesse en pétrole et en minerai du Nigeria, qui sous le système actuel du capitalisme bénéficie seulement à 1% de la population, soit maintenant utilisée au bénéfice de la grande majorité. C’est le seul moyen pour commencer à saper la division ethnique et religieuse. Cela requiert que l’État s’embarque dans un programme social financé publiquement, qui comprendrait le développement et l’amélioration à une large échelle des conditions infra-structurelles et socio-économiques du Nigeria, l’éducation et les soins de santé gratuits, la création massive d’emplois et la redistribution des richesses. Cependant, pour que ces programmes sociaux soient un succès, les masses ouvrières doivent remplacer le système exploiteur et inéquitable du capitalisme par un système socialiste démocratique

    Si par exemple, on procurait l’éducation gratuite à tous les niveaux, une formation professionnelle et des emplois décents pour tous, il serait possible de commencer à engager les millions d’almajiris (les plus pauvres des pauvres du Nord) qui finissent par suivre Boko Haram et les autres forces extrémistes. Cela empêcherait sensiblement Boko Haram de trouver de nouvelles recrues et commencerait à saper son attrait. Boko Haram lui-même maintient son autorité sur son armée d’anciens enfants des rues et jeunes aliénés en partie parce qu’il leur procure de la nourriture, de l’argent et garantit un certain niveau de vie, ce qui est la responsabilité constitutionnelle du gouvernement mais que le capitalisme rend impossible à accomplir.

    C’est un fait qu’aucune section des élites dominantes ne souscrit à une alternative socio-économique et politique qui peut apporter cette solution. Par exemple, les deux principaux partis politiques en lice pour la présidence dans les élections générales de 2015 (PDP et APC) sont tous deux renommés pour leurs politiques capitalistes néo-libérales anti-pauvres de sous-financement de l’enseignement, d’augmentation des tarifs et de commercialisation. Aucun des deux partis ne peut donc procurer aucune solution permanente aux défis du Nigeria, y compris à l’insurrection de Boko Haram.

    La responsabilité de sauver la nation de la barbarie repose uniquement sur les masses travailleuses et la jeunesse du Nigeria. Toute illusion en n’importe quelle composante de la classe dominante essuiera une déception. Il y a un besoin urgent pour le mouvement ouvrier de se soulever maintenant pour prendre la tête et unir les Nigérians autour d’un programme d’action pour lutter pour une amélioration socio-économique. C’est l’incapacité de la direction du mouvement ouvrier à donner une alternative révolutionnaire audacieuse à l’impasse de l’exploitation capitaliste du Nigeria qui a créé le vide dans lequel Boko Haram est entré avec son idéologie extrémiste.

    La gravité de la situation est telle que même une partie de la presse demande pourquoi la direction du mouvement ouvrier est pratiquement silencieuse et inactive ? Le jour de l’an, l’éditorial du journal Punch écrivait à propos des dirigeants politiques «célébrant dans l’opulence avec leur famille, pendant que beaucoup de travailleurs Nigérians ont faim et sont en colère» et finissait par ces mots «le NLC (Nigeria Labour Congress) doit donner un signal et lutter pour le bien-être des travailleurs Nigérians». Mais malheureusement, les dirigeants syndicaux, tout en lançant parfois des revendications, n’ont pas proposé d’action concrète pour les obtenir. C’est cette inactivité qui donne un espace aux groupes comme Boko Haram pour mobiliser une partie des plus aliénés et des plus pauvres.

    Mais il y a un grand potentiel latent pour une lutte conjointe. En janvier 2012, pendant la grève générale contre la suppression des subventions sur le carburant menée par le mouvement des travailleurs, le Nord a connu certains des moments les plus glorieux du formidable mouvement de masse. Des images de manifestants chrétiens faisant une chaîne de leurs bras autour des manifestants musulmans pendant leur prière sur les barricades ont déferlé dans les médias. Cela atteste de la capacité des masses ouvrières à surmonter les divisions ethniques et religieuses et à s’unir pour lutter pour une cause commune, en particulier quand une direction hardie est donnée par le mouvement des travailleurs.

    Tant que la direction du Labour continue à abandonner son rôle historique de diriger les masses ouvrières et pauvres hors des abysses du capitalisme, les groupes fondamentalistes vont continuer à servir leur poison meurtrier à laper aux masses désespérées. Nous avons besoin d’une alternative politique et révolutionnaire pour construire un mouvement unifié qui puisse offrir au régime capitaliste imbibé de questions ethniques et religieuses un futur d’unité, de solidarité et de fraternité authentique à tous les membres de la classe ouvrière sans distinction d’ethnie ou de croyances religieuses. Une telle société n’est pas possible sur base du capitalisme. Comme le disait Rosa Luxembourg, la socialiste et révolutionnaire allemande, c’est soit le socialisme, soit la barbarie.

    Le Democratic Socialist Movement (DSM) et le Socialist Party of Nigeria (SPN, parti large auquel collabore le DSM) appellent à :

    – Des actions indépendantes qui sont maintenant vitales pour défendre les quartiers et les communautés contre les attaques de Boko Haram. Le Democratic Socialist Movement (DSM) et le Socialist Party of Nigeria (SPN) appellent à fonder et à armer des comités de défense multi-ethniques et multi-religieux composés de travailleurs et de jeunes et sous leurs contrôle et autorité démocratiques, pour sécuriser les quartiers et les communautés.

    – Nous exigeons l’amélioration des conditions dans les camps de réfugiés, y compris des approvisionnements adéquats en nourriture, eau potable, équipements sanitaires, literie et matériaux de couchage, soins de santé et un programme de réintégration. Le mouvement syndical doit intervenir et visiter les centres de réfugiés pour vérifier les conditions des Nigérians dans ceux-ci et prenne en main la lutte pour leur amélioration.

    – L’annulation des peines de mort et des licenciements de l’armée prononcés contre les soldats et les autres membres des forces de sécurité accusés de désobéissance aux ordres, de négligence et de lâcheté dans la guerre contre Boko Haram.

    – Nous demandons l’amélioration de la solde et des conditions des soldats du rang et des autres agents de sécurité, y compris leur droit à former et à rejoindre des syndicats, à appeler à la grève et à contester les décisions inacceptables de leur commandement.

    – L’organisation d’actions de solidarité, comme des rassemblements et des manifestations, par le mouvement des travailleurs et la société civile pour commencer à unir les masses ouvrières contre l’insurrection de Boko Haram ainsi que les politiques capitalistes anti-pauvres qui permettent le développement des conditions pour le recrutement des jeunes et des pauvres par Boko Haram.

    – Pour que le mouvement des travailleurs construise un mouvement indépendant capable de lutter contre les politiques anti-pauvres et pour l’enseignement gratuit, des emplois décents, l’augmentation du salaire minimum national et pour de meilleures conditions de vie.

    – Pour que le Nigeria Labour Congress et le Trade Union Congress appellent à une conférence des organisations syndicales, socialistes et pro-masses à discuter de la formation d’un parti de la classe ouvrière armé d’idées socialistes pour lutter pour la prise du pouvoir politique par la classe ouvrière et pour une société libérée de la division ethnique et religieuse.

  • Action de protestation à l’ambassade du Nigéria

    Le Socialist Party of Nigeria est un front électoral mis en place par nos camarades nigérians du Democratic Socialist Movement. Il répond à toutes les exigences pour être enregistré comme parti officiel et pour ainsi pouvoir prendre part aux élections. Toutes les étapes ont respectées et la contribution d’un million de nairas (environ 5.000 euros) a été payée. Le comité d’inscription a toutefois refusé d’enregistrer ce parti.

    Un appel a été lancé pour protester contre cela contre et ce mardi, à l’occasion de la première audition de l’appel, des lettres de protestation ont été remises à diverses ambassades du Nigeria à travers le monde. Ce fut également le cas à Bruxelles par une délégation du PSL.

    Photos par PPICS:

  • Nigeria, un pays saigné à blanc et c’est le peuple qui paie.

    Rapport de la commission consacrée au Nigeria lors de l’école d’été du CIO

    Voici le rapport de la Commission sur le Nigeria qui s’est tenue lors de l’école d’été du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) qui a eu lieu du 21 au 26 juillet dernier à Louvain. L’introduction a la discussion a été réalisée par Kola Ibrahim, permanent du secrétariat du DSM (Democratic Socialist Movement, section du CIO au Nigeria) de la province d’Osun et responsable du travail étudiant, qui nous a fait part de la situation sociale et économique dans laquelle se trouve ce pays d’Afrique de l’ouest et ses 170 millions d’habitants.

    Par Yves (Liège)

    Partout dans le pays les gens éduqués ou non parlent de révolution, des mouvements indépendants se lancent spontanément, il y a plus de 12 grèves générales annuellement depuis quelques années, mais bien qu’une volonté de changement est clairement présente dans la conscience collective, les directions syndicales du Congrès des syndicats TUC (Trades Union Congress – qui regroupe principalement les cadres) et du Congrès du travail du Nigéria NLC (Nigeria Labour Congress – le syndicat principal des ouvriers et employés) démobilisent quand ils n’arrêtent pas purement et simplement les mouvements sociaux.

    Les inégalités économiques s’accentuent malgré 13 ans de gouvernement civil (principalement le PDP – Parti démocratique populaire) après plus de 30 ans de gestion militaire. Dans ce contexte, les camarades du DSM s’attèlent au lancement d’une plateforme politique : le ‘‘Socialist Party of Nigeria (SPN)’’, une alternative socialiste face à la corruption, aux politiques capitalistes anti-pauvres et néolibérales ; un parti des travailleurs, de pauvres et de jeunes prêt à redistribuer équitablement les richesses du pays pour le bénéfice de la majorité.

    Une pauvreté endémique en pleine abondance de ressources naturelles et humaines

    Le Nigéria est le 6ème pays exportateur de pétrole brut au monde, et le premier du continent africain, mais faute de raffineries, il exporte son pétrole brut pour importer son carburant. L’exportation de pétrole brut et de gaz participe à hauteur de 80% aux revenus du gouvernement. L’industrie minière y est encore balbutiante malgré des ressources en fer, zinc, étain, or, pierre à chaux et marbre car les investissements miniers sont principalement absorbés par le secteur des hydrocarbures. Malgré une croissance de plus de 7% en moyenne du PIB depuis plusieurs années (le Produit Intérieur Brut était de 262 milliards de dollars en 2012 selon les données de la Banque Mondiale), et d’énormes revenus dus à l’exportation du pétrole et du gaz, le Nigéria présente un déficit budgétaire dû à la corruption (139ème sur 176 pays en 2012 d’après Transparency International) et des problèmes de gouvernance endémiques et chroniques.

    Bien qu’au Nigéria certains pasteurs soient millionnaires en dollars, et que le pays abrite de nombreux millionnaires (hommes d’affaires mais surtout hommes d’Etat) et milliardaires (dont Aliko Dangote magnat du ciment devenu 25e fortune mondiale dépassant ainsi Mittal), le rêve Nigérian, lorsqu’on ouvre les yeux, c’est plus de 70% de la population (54% en 2004) qui vit sous le seuil de pauvreté (1) et plus de 40% des jeunes sans emploi qui vivent de débrouillardise quotidienne. Encore une fois, le schéma capitaliste se répète, ces chiffres sont l’illustration de la main mise d’ 1% de la population qui contrôle 80% des richesses du pays, ceci vient s’ajouter à la corruption endémique du gouvernement qui – toutes fonctions administratives confondues – absorbe 30% du budget de l’Etat. Les législateurs nigérians sans aucun scrupule se payent mieux que Barack Obama, les sénateurs touchent 720.000 $ contre 400.000 $ l’année pour le président US. Non content de se payer grassement, les brigands du gouvernement détournent allègrement les bénéfices dus aux revenus du pétrole. En effet, le secteur des hydrocarbures perd en moyenne 30 milliards $ par an avec la complicité des multinationales et de courtiers indépendants, le tout ajouté aux opérations de sabotage de groupuscules de plus en plus violents (Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger). Il faut dire que les mouvements non-violents des années ‘90 se sont fait réprimés dans la violence et beaucoup de leurs activistes ont soit été assassinés soit emprisonnés (Ken Saro-Wiwa du Mouvement pour la survie du peuple Ogoni -MOSOP-par exemple).

    Le Nigéria est le pays le plus peuplé d’Afrique, alors que sa population s’élevait à 55 millions d’habitants en 1970, elle est aujourd’hui estimée à un peu plus de 170 millions de vies humaines dont 2/3 ont moins de 25ans. D’ici 2050 le Nigéria devrait être le 3ème pays le plus peuplé au monde. Un potentiel énorme en termes de mouvements de masses qui vont certainement continuer à se produire.

    Le gouvernement de Good Luck Jonathan, comme les gouvernements précédents, pratique un clientélisme dans la «redistribution» des revenus du pétrole. Le président Goodluck est un chrétien du sud (les régions pétrolifères) et les membres de son gouvernement font prioritairement manger leurs proches, le taux de pauvreté atteint 80% dans certains Etats du nord du Nigeria. Cette politique de ‘‘diviser pour mieux régner’’ aggrave le problème de la question nationale qui n’a jamais été résolu.

    Mais il ne faut pas se mentir, la pauvreté est aussi très présente dans le sud, le peu de revenus qui y parvient est détourné par les dirigeants locaux et le reste sert à y corrompre les activistes, les militants et les membres de la société civile. Le nord a peur de ne plus avoir accès au fédéral et l’entourage du président fait tout pour garder le pouvoir. Pour s’accrocher à leur pouvoir, ils corrompent ceux qu’ils peuvent (et sécurisent ainsi leurs intérêts) et combattent les autres (opposants, objecteurs de conscience, activistes) sans distinction, ce qui accentue la crise nationale.

    En plus de la confession et de la provenance géographique, vient s’ajouter une mosaïque ethnique des plus complexes, avec plus de 374 ethnies présentes, dont 3 (Igbo, Yoruba, Hausa) représentent 58% de la population (2). Cette situation est héritée du processus non démocratique par lequel les différentes ethnies ont été soumises au joug de l’impérialisme britannique en 1914 avec la fusion des provinces du nord, du sud, et de la colonie de Lagos en une colonie du Nigéria. L’indépendance de 1960 a simplement remplacé l’impérialisme britannique par une minorité dirigeante capitaliste de Nigérians qui, de génération en génération, a aggravé les conditions de vie et l’exploitation de la vaste majorité des Nigérians.

    La guerre du Biafra de 1967 à 1970 a failli conduire à la scission du pays, d’ailleurs il y a 8 ans, une étude de l’ONU envisageait une balkanisation du Nigéria. Le pays n’en est peut être pas encore à ce stade, mais les crises répétées, la mauvaise gestion et les contradictions du pouvoir menacent effectivement l’existence du Nigéria. Le DSM est avant tout pour une unité de la classe ouvrière, mais soutient le droit de chaque ethnie à l’autodétermination, jusqu’à la sécession si elle a été voulue par référendum et soumise à un vote démocratique direct.

    Le secteur agricole est le premier employeur du pays avec près de 70% de la population qui en dépendent. Malgré une énorme superficie de terres fertiles souvent sous-exploitées, cette proportion tant à baisser avec un exode rural sans précédent (Lagos est passé de 300.000 habitants en 1950 à 15 millions aujourd’hui) et la prolifération de méga-fermes qui, contrairement aux petits paysans qui ont toujours des méthodes de récolte primitives, bénéficient de subsides de l’Etat. Pourtant, l’Etat n’a pas atteint l’indépendance alimentaire pourtant possible avec des investissements cohérents. Pour l’instant, le Nigéria importe pour 200 millions $ de nourriture américaine par an. Le ministère fédéral de l’agriculture et du développement rural a récemment proposé de distribuer plus de 10 millions de téléphones portables à des petits fermiers pour une valeur d’à peu près 20 € chacun (3). Encore une fois, cette initiative semble être un moyen de siphonner les fonds publics. Les agriculteurs ont prioritairement besoins de fonds, pas de téléphones, d’investissements dans le réseau routier, de puits de forages pour une meilleure irrigation, de services médicaux de bases pour eux et leurs familles qui sont leur main d’œuvre principale.

    Pour rester dans le secteur de la téléphonie mobile, l’explosion du nombre de numéros de téléphones ces 11 dernières années (10 millions par an) est en fait une croissance superficielle du secteur de la communication. En réalité, seuls 30 millions de personnes sur 170 ont accès au téléphone. La défectuosité du réseau fait que ceux qui ont les moyens d’avoir un numéro en ont généralement 3 ou 4 pour être joignables. Il faut ajouter que cette ‘‘success story’’ nigériane ne profite qu’à 1% de la population active qui travaille dans le secteur des télécoms. Les 50 milliards $ engrangés par le secteur ces 10 dernières années ne participent pas à la croissance mais plutôt à une extraction ou plus précisément une exportation d’une partie des revenus des Nigérians.

    En plus de l’éducation et de la santé, qui ensemble n’égalent pas la part du PIB dédiée au remboursement de la dette (30%), l’électricité est un autre de ces secteurs qui a et qui continue de manquer cruellement d’investissements malgré les belles promesses de Goodluck et 24 milliards $ censés avoir été investis durant l’ère Obasanjo dans l’amélioration de l’approvisionnement en électricité…

    Pour exemple, l’Afrique du Sud, qui en nombre d’habitants équivaut à un tiers de la population nigériane, produit un peu plus de 40.000 mégawatts d’électricité annuellement et ce n’est même pas assez pour toute la population dont la majorité de toutes façons ne peut pas se permettre l’accès au réseau. Le Nigéria, lui, produit annuellement 4000 mégawatts d’électricité dont 1000 ne peuvent pas être distribués à cause de ‘‘lignes électriques qui sont restées faibles depuis des années’’ d’après les termes du président Jonathan en déplacement au Pakistan. Le Nigéria se retrouve avec 30% de sa population ayant possiblement accès à l’électricité mais sans garantie de livraison, ceux qui le peuvent n’ont donc d’autre choix que d’acheter un générateur… Pour régler le problème, la stratégie du gouvernement a été une augmentation de 100% des tarifs d’électricité pour rendre le secteur attractif aux investissements privés, suivi de la revente des plans de productions à 10% de leurs valeurs d’investissements. (4) Inutile de préciser que le problème est toujours plus que présent, et que même la capitale vie dans le noir.

    ’‘Ne trahissez pas la lutte !’’ (5)

    En janvier 2012, le gouvernement Jonathan a décidé d’implémenter 4 mois à l’avance l’arrêt des subventions sur l’essence, pensant profiter du réveillon du nouvel an, pour faire monter le prix du pétrole du jour au lendemain de 30 à 66 cents. Dès le lendemain, le Nigéria a montré que les mouvements révolutionnaires observés en Tunisie et en Egypte n’étaient pas uniquement l’apanage du Maghreb ou du Moyen Orient. L’augmentation des prix de l’essence resserrant le nœud autour de la corde déjà au cou de nombreux Nigérians a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de la colère qui a abreuvé les Nigérians en soif de changement.

    La chute des revenus des Nigérians, l’extrême pauvreté généralisée, les transports en commun éventrés, le délabrement du système de santé, l’éducation abandonnée, sont autant de facteurs qui ont ouvert la boîte de pandore. Mais c’est surtout l’écart de richesse de plus en plus grandissant entre les 1% des plus riches, généralement des politiciens devenus millionnaires du jour au lendemain grâce aux revenus du pétrole qui devraient servir à améliorer les conditions de vie de la population, et cette même population exsangue, qui ont poussé les masses dans la rue dès le 2janvier 2012.

    Pendant sept jours les jeunes et les masses désorganisées étaient dans la rue, mais c’est le 9 janvier, avec l’entrée en jeu de la classe ouvrière organisée et le mot d’ordre de grève générale indéfinie – qui en plus de poser la question du pouvoir est l’équivalent d’une insurrection -, que la donne a complètement changé.

    Le mouvement est parti de quelques dizaines de milliers de manifestants par ville à plusieurs centaines de milliers de personnes dans les rues par manifestation (1 million rien qu’à Lagos), celles-ci se sont rapidement étendue à plus de 10 Etats et ont rassemblées plus de 40 millions de personnes nationalement. Malgré seulement 10% de travailleurs syndiqués, c’est le pays tout entier qui était en suspend, l’activité économique était à l’arrêt, mais surtout, le régime (et même l’opposition) ainsi que le système capitaliste faisaient face à un vrai risque d’effondrement. Même Boko Haram (islamistes fondamentaux du nord qui ont fait plus de 3000 morts ces 4 dernières années) était isolé et a préféré faire profil bas pendant toute la durée des manifestations, voyant clairement qu’avec la montée de la lutte des classes, l’action de masse collective était préférée par tous et ne laissait aucune place au actions terroristes individuelles. Comme en Egypte, on a vu des groupes de manifestants chrétiens, débout, protégeant les musulmans pendant leurs prières. Les divisions ethniques, géographiques, linguistiques ont elles aussi disparues pour laisser place à une conscience de classe.

    Avec la propagation du mouvement, les travailleurs et les masses ont réalisé qu’il fallait plus de détermination pour vaincre le régime. Des slogans tels que ‘‘Jonathan doit partir !’’, ‘‘we want good gouvernance not Goodluck’’ étaient scandés en cœur, les masses avertissaient les dirigeants syndicaux de ‘‘ne pas trahir le combat !’’ La classe dirigeante, dos au mur, a fait ce qu’elle fait dans ce genre de situation, elle a brandit la menace d’une répression à grande échelle menée par l’armée. C’était sans compter que beaucoup de policiers et de membres de l’armée (généralement les moins gradés) montraient de la sympathie au mouvement, allant jusqu’à applaudir certaines manifestation.

    Néanmoins, les dirigeants syndicaux (TUC et NLC) ont pris cette menace de répression comme excuse pour mettre fin à la grève générale le 16 janvier, unilatéralement bien évidemment, renforçant ainsi le régime et diminuant la confiance des travailleurs en leur capacité de combattre face à l’oppression.

    Il y a eu au total 20 morts et 600 blessés sur l’ensemble des manifestations, ce qui est ‘‘moyen’’ selon les standards de répression nigérians. Malgré cela, certaines manifestations ont continué ici et là, mais il manquait une alternative politique crédible et combattive vers laquelle les mouvements toujours combattifs auraient pu se tourner.

    Alors que la grève aurait pu mener à un changement de régime et pourquoi pas de système si la direction avait été courageuse, le but du NLC et du TUC était avant tout de récupérer le mouvement, ils ne s’attendaient pas à être dépassés par son ampleur ni à la tournure qu’il a pris. Alors que celui-ci commençait à remettre globalement le système en question, les directions syndicales ont préféré simplement jouer la carte de la frayeur afin d’avoir des concessions rapides du pouvoir. Au final, la grève aura simplement mené à une remise en place partielle des subventions sur l’essence, ramenant le prix à 45 euro cents par litre, après être monté de 30cents initialement à 66ç/L le 1er janvier 2012.

    Face à la menace d’utiliser la répression, une direction syndicale plus combative aurait dû lancer un appel de classe aux militaires et aux policiers aussi concernés par les problèmes des manifestants.

    Et pour être plus productif encore, il aurait fallu former des comités démocratiques de défense (armés si nécessaire) pour protéger et défendre les rassemblements et les manifestants.

    Encore mieux, avec une direction audacieuse, la menace du régime d’utiliser la répression aurait pu permettre au mouvement et aux travailleurs de passer à l’offensive et de fermer la production de pétrole, prendre le contrôle des transports aériens, maritimes, routiers ainsi que des services et des échanges de biens. Cela aurait complètement changé le rapport de force en faveur du mouvement et isolé le gouvernement.

    Une direction téméraire aurait permis d’enfin mettre sur la table la possibilité d’une transformation profonde du Nigéria, de le retirer des mains des capitalistes locaux et étrangers qui pillent le pays depuis des décennies, et de se diriger vers un gouvernement socialiste de pauvres, de jeunes et de travailleurs afin que les ressources du pays soient utilisées dans l’intérêt de tous et non d’une poignée de kleptocrates.

    Mais c’était sans compter que le TUC et le NLC attendent de pouvoir manger leur part du gâteau, ils n’ont pas d’idée d’alternative à apporter au capitalisme, d’où leur approche contre productive lors des évènements de 2012, et leurs positions pro-capitalistes en général.

    Grève générale de 48h pour la mise en œuvre effective du salaire minimum

    En mars 2011, quelques jours avant les élections présidentielles, le Président Goodluck Jonathan a ratifié la loi garantissant le salaire minimum à 18.000 Niaras (83,5 €), une mesure clairement électoraliste pour pousser les travailleurs à voter pour son parti, le PDP (le Parti démocratique populaire). Un fifrelin à côté des revenus du pétrole et surtout encore plus quand on voit ce que gagne un sénateur indemnités comprises : 720.000 $/ans. 3 ans auparavant, le NLC avait demandé à ce que le salaire minimum soit de 58.000 Niara (269 €), le syndicat s’est finalement contenté d’accepter sans revendications la baisse de celui-ci à 18.000 Niaras malgré le fait qu’avec l’inflation (13% l’an passé et jusqu’à 50% pour certains biens de consommation), les augmentations du prix de l’électricité, des frais scolaires etc. ça n’est clairement pas suffisant.

    Cependant, 2 ans après, les gouverneurs des Etats s’abritent derrière un soi-disant manque de financement de l’Etat fédéral pour ne pas payer ce salaire minimum. Pire encore, récemment, le Sénat (Chambre haute de l’assemblée nationale) a voté l’exclusion de la loi sur le salaire minimum de la ‘‘liste législative exclusive (Exclusive Legislative List)’’, permettant ainsi à chaque Etat de déterminer ce qu’il veut (le gouverneur dira ‘‘ce qu’il peut’’) payer aux travailleurs. Encore plus, ça empêcherait dans le futur toute lutte sur le plan national pour une augmentation du salaire minimum, celui-ci étant devenu une compétence des Etats. L’insensibilité du Sénat veut que les sénateurs se soient octroyés une pension à vie le jour-même où ils ont voté le retrait de la loi sur le salaire minimum de la Liste Exclusive de la Constitution. Certains gouverneurs se targueront certainement de payer le salaire minimum, après l’avoir baissé dans leur législation évidemment… L’argument derrière ce retrait, est la volonté d’un ‘‘véritable fédéralisme’’ qui n’est pas mis en avant lorsqu’il s’agit de payer les gouverneurs dont le salaire est déterminé par une agence fédérale au niveau national. Heureusement pour l’instant il y a un statu quo car la chambre des représentants (chambre basse de l’assemblée nationale) a voté contre le retrait de la loi sur le salaire minimum de la List Exclusive Legislative.

    Alors que cette attaque du Sénat sonne comme un coup de semonce au TUC et au NLC pour défendre résolument les droits et conditions de vies des travailleurs, encore une fois, la direction du NLC et du TUC ne fait rien pour mobiliser les travailleurs et rien non plus pour expliquer pourquoi la loi doit rester sous la Liste Exclusive de la Constitution. Dans les Etats où les travailleurs ont combattu ardemment pour l’implémentation effective du salaire minimum, les directions du NLC et TUC ont fermé les yeux (et les oreilles, et la bouche). Au lieu de lancer un appel à la grève générale, les travailleurs sont abandonnés aux désidérata de leurs gouverneurs. La seule grève annoncée par les directions syndicales nationale a été annulée le 20 juillet 2011 alors que la détermination des travailleurs avait atteint son paroxysme. Pire, Abdul Wahed Omar, président du NLC, a avoué que dans certains Etats, les directions syndicales négociaient à la baisse le salaire minimum si les gouverneurs de ceux ci arrivaient à prouver leur inhabilité à payer les 83€ (6). Certaines entreprises privées refusent tout simplement de payer le salaire minimum sans aucune justification si ce n’est celle du profit maximum pour l’entreprise et les actionnaires. Encore une fois les directions syndicales ne font rien. Au mieux, celle-ci se lamentent et se contentent de lancer des menaces dénuées de tout contenu.

    C’est ce manque de combativité du NLC et du TUC qui implicitement donne carte blanche aux législateurs pour sabrer encore plus les acquis des travailleurs.

    Le Parti Socialiste du Nigeria (SPN) appelle le Congrès du travail du Nigéria (NLC) et le Congrès des syndicats (TUC) à commencer dès à présent une mobilisation pour une grève générale nationale de 48 heures ainsi qu’à organiser un mouvement de masses pour s’opposer à cette décision du Sénat de retirer la loi sur le salaire minimum de la liste Exclusive qui va à l’encontre des droits des travailleurs, et aussi de commencer sans plus attendre la lutte pour une mise en œuvre complète et effective du salaire minimum de 83€ à tous les niveaux.

    Les directions syndicales doivent aussi aller dans les entreprises privées qui refusent de payer le salaire minimum avec un plan d’action et des meetings pour sensibiliser puis mobiliser les travailleurs pour des piquets de grèves et des manifestations massives en cas de refus de paiement. Les droits sont rarement donnés, ils sont arrachés !

    ‘‘L’éducation est un droit ! Le changement de système est notre but !!!’’

    L’investissement du gouvernement dans l’éducation au Nigeria ne représente que 8% de la part du PIB alors que celui-ci devrait atteindre 26% d’ici 2020 pour rejoindre les normes internationales, mais encore une fois rien n’est fait.

    Comme dans beaucoup de pays du monde, les étudiants ont du mal à payer leurs frais d’inscription à l’université, donc beaucoup n’y mettent jamais les pieds. Par exemple, le minerval de l’université d’Etat de Lagos (LASU) est passé de 120 € à 1.500 €. Ceux qui y ont accès et qui parviennent à payer leurs études jusqu’à la fin de leur parcours académique se retrouvent presque systématiquement au chômage (quelques centaines sur 10.000 trouvent un emploi). Et même ceux qui travaillent n’ont pas la garantie d’avoir un salaire qui leur permettra de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille par la suite.

    Les hommes d’affaires et propriétaires terriens du Sénat et de la Chambre des représentants font ce qu’ils font le mieux, ils privatisent et commercialisent l’éducation. Bien que la plupart des membres de l’assemblée nationale ont été formés à l’école publique, leurs enfants allant dans des écoles privées (99%), l’éducation publique est abandonnée à son sort.

    Plutôt que de rénover les bâtiments, certains sont détruits prétextant de nouvelles constructions qui souvent ne voient jamais le jour. Il s’agit là encore de chantiers de détournements de fonds publics. Le trop faible investissement dans l’éducation (infrastructures et programmes de cours), l’irresponsabilité de la classe dirigeante pousse depuis des années les étudiants et les professeurs à manifester, malheureusement souvent passivement, leur mécontentement.

    Un peu partout dans le pays, le NUT (National Union of Teachers) est en grève passive/casanière (sit-at-home strike) depuis le 1er juin dans les Etats où l’indemnité particulière des professeurs (TPA – Teacher’s Peculiar Allowance) n’est pas effectivement payée. La direction de l’ASUU (Academic Staff Union of Universities – Syndicat du personnel académique des universités) a lancé une action de grève indéfinie car le gouvernement rechigne à mettre en place les accords de 2009 pris avec le syndicat concernant le financement (et la rénovation) d’infrastructures, de locaux, et des programmes de cours académiques ainsi que l’augmentation de leurs salaires. Deux des syndicats du polytechnique (secteur des sciences et des technologies, génie civil) sont en grève depuis 3 mois, il s’agit de l’ASUP (Academic Staff Union of Polytechnics – syndicat dupersonnel académique du polytechnique) et du SSANIP (Senior Staff Association of Nigeria Polytechnics – association du personnel senior des polytechniques du Nigeria). Ils ont mis en suspend leur grève après 78 jours avec menace de la reprendre si le gouvernement ne montrait pas concrètement qu’il s’attelait à répondre à leurs demandes. Cette grève a d’ailleurs surpris le gouvernement qui ne s’attendait pas à voir les élèves de polytechnique soutenir leurs professeurs. (7)

    Nos camarades du DSM (Mouvement démocratique socialiste) ont lancé le ERC (Education Rights Campaign – Campagne pour les droits à l’éducation) en 2004 afin de pourvoir une plateforme qui soutient le droit à une éducation gratuite (via un financement adéquat), efficace et gérée démocratiquement.

    C’est par le biais d’affichages massifs, de distributions de tracts, de rassemblements, de conférences et de meetings qu’ils mènent campagne contre l’augmentation brutale des frais scolaires et la médiocrité des conditions d’étude et de logement.

    Ils sont contre la victimisation des étudiants activistes et l’interdiction des syndicats étudiants dans certaines universités, quand ils ne sont pas récupérés ou infiltrés par des agents du gouvernement. Il supportent les travailleurs de l’enseignement dans leurs demandes pour de meilleures paies et conditions de travail, et ils mènent campagne pour que les étudiants puissent construire leurs syndicats comme des organismes de lutte, démocratiques, basés sur la masse, avec une direction courageuse et révocable à tout instant.

    L’association nationale des étudiants du Nigéria, le NANS, est l’organe qui est censé représenté les étudiants au niveau national. Mais celui-ci est pro establishment, corrompu et la plupart de ses dirigeants ne sont mêmes pas des étudiants. Dans certaines zones des motions de censures contre le président ont d’ailleurs été votés. Souvent contre productif lors de mouvements de grèves, le syndicalisme au NANS est monétisé et politisé. Localement, les syndicats d’étudiants ont généralement à leur tête des personnes inexpérimentées ou pro capitalistes. Et d’autres syndicats d’étudiants sont tous simplement interdits par certaines directions scolaires.

    Il faut une lutte commune du corps professoral et estudiantin afin d’éviter que l’un ne soit contreproductif ou se plaigne de l’autre et il est nécessaire qu’une prise de conscience globale des professeurs et des étudiants qu’une avancée pour l’un est une avancée pour l’autre émerge.

    Il ne faut pas des grèves passives où les professeurs et étudiants restent chez eux, mais des manifestations où ils sont actifs et marchent côte-à-côte ; pour ça, il faut des meetings, des distributions de tracts des conférences afin de conscientiser les plus larges couches possibles d’étudiants de professeurs mais aussi de la population (les parents d’élèves notamment).

    C’est pourquoi le Parti Socialiste du Nigéria lance un appel à la direction du NLC et du TUC pour une mobilisation en vue d’une grève générale de 48h et des mouvements de masses qui réuniraient les pauvres, les jeunes au chômage, les étudiants, et les travailleurs afin de transformer le Nigéria.

    Les étudiants sont les travailleurs de demain, il est donc indispensable que les principaux syndicats de travailleurs se joignent à la lutte pour le sauvetage de l’éducation nigériane et par la même occasion face pression sur le gouvernement pour l’implémentation effective du salaire minimum et la fin des violences policières (certains étudiants qui manifestaient contre les mesures d’austérités prises par les gestionnaires de l’éducation se sont fait tuer lors de manifestations). (8)

    Le Parti Socialiste du Nigeria, l’alternative socialiste qui se construit : ‘‘Un parti pour les millions (pauvres, jeunes et travailleurs ndlr) et non pour les pillards millionnaires’’

    Pour paraphraser Mark Twain : ‘‘Les chiffres et les faits montreraient probablement qu’il n’existe pas de classe criminelle Nigériane distincte à part l’assemblée nationale.’’ (9) La population en a marre de voir ses richesses pillées par les kleptocrates au pouvoir en collaboration avec les multinationales présentent sur le terrain. Non content de siphonner les ressources naturelles, le pouvoir en place vampirise son peuple en augmentant tour à tour, le prix de l’électricité, les frais d’inscriptions, l’essence tout en attaquant le droit des travailleurs à un salaire décent et des étudiants à des syndicats démocratiques.

    En plus de ces problèmes économiques dont on ne parle que trop peu dans nos médias occidentaux, le Nigéria est devenu tristement célèbres ces dernières années par les attentats répétés de Boko Haram dans le nord du pays.

    Le problème de Boko Haram est à mettre en lien avec la question nationale non résolue depuis l’indépendance. Alors que la gauche petite-bourgeoise esquive la question nationale, nos camarades du DSM plaident pour une conférence de souveraineté nationale avec une majorité de représentants élus de travailleurs pour parler de la question nationale ainsi que des problèmes économiques, afin de décider de la marche à suivre, car ceux ci doivent être réglés pour pouvoir régler, entres autres, le problème de Boko Haram.

    L’Islamisme fondamental qui a fait 3600 morts depuis 2009 selon Human Rights Watch, est le résultat de l’échec de la prise en main sérieuse de la question nationale par les gouvernements successifs, de l’état délabré de l’économie nigériane, du manque d’investissement dans l’éducation, de la pauvreté abjecte de certaines région, de l’abandon de certaines régions par l’administration qui n’est là que pour s’enrichir, en somme de la mauvaise gouvernance qui définit la classe dirigeante nigériane depuis son indépendance.

    Boko Haram se présente comme une réponse à la politique dirigeante, d’ailleurs, ce groupuscule est le plus enraciné au nord dans les provinces les plus pauvres et s’est développé le plus facilement après une catastrophe naturelle ignorée par l’Etat. Ce groupe terroriste n’est pas une création récente mais est une entité qui s’est développée graduellement par effet boule de neige jusqu’à devenir ce qu’il est aujourd’hui. Boko Haram, qui signifie littéralement ‘‘la société occidentale est diabolique’’, reflète rien que dans son nom une haine de tout ce que représente l’occident, cette haine est alimentée par le Big Business de la capitale et la richesse exubérante des dirigeants. Le gouvernement, utilise Boko Haram comme alibi pour augmenter la militarisation du pays (la loi martiale est déjà effective dans 2 Etats sur 3) et ainsi harceler et intimider toute personne ou groupe qui serait critique envers le gouvernement. On voit comment les attaques contre les droits démocratiques de la population vont de pair avec la protection des intérêts capitalistes de la classe dirigeante. (10)

    Le TUC et le NLC ont échoué à la construction d’un authentique parti démocratiquement géré par les travailleurs, les masses et les pauvres, et dévoué à la répartition équitable des ressources humaines et naturelles pour le bénéfice de tous. Le Parti Travailliste (Labour Party), créé par le NLC et dont nos camarades du DSM ont aidé à la construction dans les années ‘90 avant de s’en faire exclure, est aujourd’hui une autre de ces factions politiques qui se dit ‘‘l’alliée des travailleurs’’ tout en dinant à la table du grand capital, protégeant ses intérêts et se désolidarisant du peuple lorsque les politiques anti pauvres s’acharnent sur la population. L’organisation interne du parti n’a plus rien de démocratique non plus. Pour qu’un aspirant ait une chance de se faire élire à un poste, il doit mettre la main à la poche et payer les leaders du parti jusqu’à plusieurs centaines de milliers de Niaras (jusqu’à 5000€) afin de pouvoir concourir pour le poste.

    En 2003, nos camarades se sont présentés avec un programme socialiste en tant que candidats du Parti de la Conscience Nationale (NCP) qu’ils ont permis de transformer en un véritable parti politique alors qu’il n’était qu’une conscience, un mouvement de protestation balbutiant. Ils ont obtenu d’impressionnants résultats, 2ème avec plus de 77.000 voix officiellement dans le district sénatorial ouest de Lagos, malgré des preuves de bourrages d’urnes, d’achats de voix, et autres fraudes électorales. On a fait les meilleurs scores du NCP à l’échelle nationale sur base d’un programme résolument socialiste. Malheureusement, l’histoire a fait que nos camarades ont dû quitter ce parti après le virage à droite de sa direction et de son programme. Nos camarades ont néanmoins pu recruter des éléments désabusés du parti qui aujourd’hui jouent un rôle de cadre important dans le DSM. (11)

    Le Mouvement Socialiste Démocratique (DSM) n’est pas officiellement reconnu comme un parti politique au Nigéria. Pour ce faire, il faut que les membres du Comité National Executif viennent de 24 des 36 Etats du pays, il faut avoir son quartier général à Abuja (ce qui coûte 5000€), et payer 5000€ en plus uniquement pour enregistrement du parti (contre 25€ en Afrique du Sud).

    En plus des difficultés financières, la répression à l’encontre de nos camarades est grandissante. Lors des rassemblements du 1er mai, 15 de nos camarades se sont fait arrêtés pour avoir distribué des tracts du SPN et vendu leur journal (Socialist Democraty), leur matériel politique a bien entendu été détruit. Il a fallu que les camarades se mobilisent internationalement et localement pour faire pression sur les autorités locales pour que nos camarades aient finalement été libérés.

    L’Implosion et les conflits internes du parti travailliste et des autres partis « de gauche » en plus de leur soutien tacite aux politiques d’austérité du gouvernement, envoient des messages contradictoires aux électeurs et à leurs membres qui ne savent plus vers qui se tourner. Sans alternative sérieuse, certains envisagent même parfois l’armée, en cas de crise prolongée, comme solution salvatrice malgré les 3 décennies de juntes militaires au pouvoir qui n’ont pas amélioré la situation du pays et les problèmes ethniques qui s’y retrouvent comme dans le reste du pays.

    C’est pour toutes ces raisons que l’activité politique principale de cette dernière année de nos camarades du DSM a été la construction d’un parti plus large, le SPN.

    La seule façon de régler la question nationale, de mettre fin à la corruption des élites dirigeantes, d’avoir des salaires décents, de pousser les investissements massifs dans la santé, les transport, les infrastructures, l’éducation et d’arrêter leurs démembrement et privatisations ; la seule voie pour mettre fin à la misère dans laquelle vie la grande majorité de la population Nigériane malgré l’extraordinaire abondance de ressources humaines et naturelles, est de mettre en place un système socialiste ou le propriété des secteurs clés de l’économie est collective et sous la gestion démocratique des travailleurs eux-mêmes. C’est à cela que s’attèlent nos camarades du DSM avec la construction du SPN, avec le soutien moral, physique et financier des autres sections du Comité pour une Internationale Ouvrière qui militent pour donner corps à un véritable socialisme partout dans le monde.


    Notes :

    (1) http://www.bloomberg.com/news/2011-01-18/nigeria-s-poverty-ratio-rises-to-70-of-population-trust-says.html

    (2) http://www.unrisd.org/80256B3C005BCCF9/search/C6A23857BA3934CCC12572CE0024BB9E?OpenDocument&language=fr

    (3) http://www.punchng.com/news/we-need-funds-not-phones-farmers-tell-fg/

    (4) http://www.reuters.com/article/2013/06/03/nigeria-electricity-privatisation-idUSL5N0EF27H20130603

    (5) « Socialist Democracy » March/April 2013 (et 2012) p.7, Nigeria’s general strike/mass protest against fuel price hike, Vital lessons for the working class and youth, by H.T. Soweto,

    (6) http://www.socialistnigeria.org/page.php?article=2195

    (7) http://www.socialistnigeria.org/page.php?article=2192

    (8) http://www.socialistnigeria.org/page.php?article=2188

    (9) It could probably be shown by facts and figures that there is no distinctly native American criminal class except Congress. – Pudd’nhead Wilson’s New Calendar

    (10) http://pmnewsnigeria.com/2013/08/14/how-boko-haram-was-created-arogundade/

    (11) Marx is back, CWI Summer School 2013 Monday 22nd July Daily bulletin, building in Nigeria, for a party that truly represents working class people.

  • Capitalisme et culture du viol

    En décembre 2012, l’horrible viol collectif d’une étudiante de 23 ans à Delhi, en Inde, suivi de sa mort, a placé le fléau du viol sur le devant de la scène. Ce cas particulier ne sort malheureusement pas du tout de l’ordinaire par sa nature ou sa gravité. Ce qui l’a rendu exceptionnel, c’est la réponse explosive du mouvement ‘‘rage against rape’’, qui a fait descendre dans la rue une foule de femmes aussi bien que d’hommes opposés aux viols et à la violence sexuelle extrêmement fréquents, commis surtout contre les femmes et les enfants.

    Par Emma Quinn & Laura Fitzgerald, Socialist Party (CIO-Irlande)

    ‘‘Rage against rape’’ en Inde – malgré la nature problématique des appels à la peine de mort et à la castration pour les auteurs de viols (en plus de ne pas répondre aux causes sous-jacentes du viol, cela donnerait encore plus de pouvoir à un Etat indien qui réprime et va continuer à réprimer les luttes des travailleurs et mouvements sociaux) -, le développement du phénomène ‘‘Slutwalk’’ ces dernières années, fer de lance de la montée de la remise en cause de la ‘‘culture du viol’’, sont autant de développements véritablement positifs.

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    Socialisme 2013

    Commission le samedi 13/04 : Les causes de la violence envers les femmes et comment la combattre

    Commission le dimanche 14/04 : Le débat pro-choix sur le droit à l’avortement. Avec des militantes pour les droits des femmes, notamment Aisha Paulis (commission femmes du PSL)

    Plus d’infos et programme complet

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    La ‘‘culture du viol’’ peut être décrite par le fait de réagir aux viols et à la violence sexuelle en culpabilisant les victimes et les survivantes en se demandant comment elles s’habillent, quel est leur passé sexuel, leur consommation de drogue ou d’alcool, etc. de façon à la fois subtile et ouverte. C’est ainsi que réagissent la police et la justice, à des degrés variables en fonction des divers pays du monde. Il s’agit d’une vulgarisation du viol. Au cours de cette dernière période, ce phénomène s’est développé dans un contexte où, de plus en plus, les femmes et leurs corps se voient rabaissés au rang d’objet dans la culture dominante.

    Le viol est une question de pouvoir

    Le viol n’est pas une question de désir sexuel, mais plutôt l’expression ultime du pouvoir, du contrôle et de la suprématie sur un autre être humain. La majorité des victimes et des survivantes sont des femmes et la grande majorité des auteurs de viols sont des hommes. Les hommes victimes d’un viol sont particulièrement stigmatisés, en partie parce que c’est considéré comme une expérience émasculatrice. L’exemple de femmes soldates participant à l’humiliation sexuelle de prisonniers hommes dans la prison d’Abu Ghraib, en Irak, montre comment le viol et l’abus sexuel sont fondamentalement une expression du pouvoir : les forces impérialistes ont utilisé les abus sexuels dans le but très conscient de dégrader et de démoraliser.

    Les milliers d’années d’oppression de la femme ont signifié des milliers d’années de soumission, et notamment de viol. Les viols fréquents sur les esclaves par les possesseurs d’esclaves dans le Sud des Etats-Unis avant la Guerre Civile sont un exemple parmi beaucoup d’autres du viol en tant qu’expression de cette soumission imbriquée dans l’oppression économique également subie.

    Le début de la société humaine divisée en classes sociales – il y a environ 10.000 ans – a constitué un moment crucial dans l’instauration des structures et de l’idéologie qui oppressent les femmes. L’idéologie de la famille nucléaire et patriarcale en particulier, qui a atteint son apogée dans la Rome Antique lorsque les pères avaient droit de vie et de mort sur leur femme et leurs enfants, est une idéologie façonnée et utilisée par le système économique actuel du capitalisme. Malgré les grandes luttes et les changements survenus depuis lors, la promotion de cette idéologie a contribué à pérennisé l’oppression des femmes.

    Ce n’est nullement une coïncidence si la plupart des viols et des abus sexuels sont perpétrés par une connaissance de la victime, souvent même un membre de la famille, un partenaire ou un ex-partenaire. Sous le capitalisme, l’idéologie de la famille patriarcale (soutenue depuis les débuts de ce système) a permis que les femmes soient des sources d’heures de travail non rémunéré – comme elles le sont encore aujourd’hui de bien des façons et dans bien des cas – en effectuant le travail domestique, en s’occupant des enfants et des membres âgés de leur famille ou des malades.

    Cette idéologie était en contradiction avec la nécessité d’intégrer la force de travail féminine dans le système de profit, mais elle a aidé à justifier les plus bas salaires des travailleuses, une réalité toujours d’application aujourd’hui dans les pays capitalistes développés. En Irlande, selon un récent rapport de l’OCDE, les femmes gagnent en moyenne 14% de moins que les hommes, et ce fossé s’élargit à 31% pour les femmes qui ont des enfants (en Belgique, l’écart moyen est de 24%, NDT).

    L’Ère de l’austérité et son impact sur les femmes

    Ces dernières décennies, l’entrée massive des femmes dans la force de travail – tout en augmentant souvent l’exploitation que les femmes subissent à la fois en tant que travailleuses et en tant que femmes – a eu un impact progressiste. En s’engageant dans la force de travail, les femmes ont pris confiance en elles et, en réalité, les idées réactionnaires concernant la famille patriarcale et le rôle subalterne des femmes ont été profondément ébranlées. Par exemple, la grande majorité de la population européenne, hommes et femmes, n’acceptent plus l’idée selon laquelle les femmes ne devraient pas être égales aux hommes.

    L’ère de l’austérité actuelle signifie concrètement une énorme destruction de nos emplois, de nos services publics et de nos conditions de vie. Les femmes sont plus particulièrement affectées par les attaques contre le secteur public parce qu’elles représentent la majorité des travailleurs de ce secteur (en particulier dans la main d’œuvre peu payée du secteur public) et en raison de la nature progressiste des services publics qui peuvent socialiser ce qui auparavant étaient des problèmes privés pour les femmes (comme de prendre soin des malades et des personnes âgés).

    Des services sont en train d’être complètement érodés, comme l’aide à domicile (un service qui a en fait commencé sur base volontaire et non payée – notons l’impact de l’idéologie patriarcale qui montre les femmes comme des ‘‘soignantes naturelles’’ -, et pour lequel on s’est battu pour qu’il devienne financé et développé par l’État). Les femmes, en particulier, vont porter le fardeau de cette érosion, avec comme résultat probable le retour réactionnaire aux rôles traditionnels de genre. L’élite au pouvoir a besoin de trouver des moyens pour justifier ce retour en arrière. La publicité et les autres moyens de propagande (particulièrement aux USA) ont été massivement utilisés pour mettre l’accent sur la ‘‘place naturelle des femmes au foyer’’ en tant qu’épouses, soignantes et domestiques non payées, de même que leur subordination aux hommes juste après la seconde guerre mondiale, alors que les femmes étaient massivement entrées dans les usines pendant la guerre.

    Cette propagande nous paraît aujourd’hui grossièrement sexiste et dépassée. Cependant, d’autres formes de propagande sexiste ont été de plus en plus développées, dans les médias en particulier. L’offensive s’est même intensifiée cette dernière décennie : rabaissement de la femme au rang d’objet, marchandisation du corps féminin et ‘‘pornification’’ de la culture.

    L’impact du ‘‘nouveau sexisme’’

    Le ‘‘nouveau sexisme’’, appuyé en grande partie par l’industrie cosmétique (très rentable), joue actuellement un rôle dans le renforcement des vieilles idées selon lesquelles la valeur d’une femme se mesure à son apparence et à son look, en dénigrant sa valeur en tant qu’être humain égale aux hommes. Cette attaque idéologique offre aux politiciens l’espace pour mener une politique sexiste et réactionnaire. Ainsi, lors des émeutes de Londres en 2010, certains politiciens ont tenté d’expliquer le phénomène par l’éclatement de la famille traditionnelle en reportant la faute sur les parents célibataires, afin de ne pas parler des causes sociales derrière cette explosion de colère (taux de chômage élevé, aliénation et pauvreté massive parmi la jeunesse).

    En Espagne et au Royaume Uni, des partis politiques au pouvoir souhaitent aujourd’hui revenir sur le droit à l’avortement : une véritable indication de l’instrumentalisation des femmes en tant que boucs émissaires de même qu’un cas concret de casse des droits des femmes et de leur liberté de choisir. Aux USA, le degré auquel le parti de droite Tea Party a influencé le discours et la politique représente à la fois une attaque idéologique et une menace physique contre les droits des femmes. Les restrictions à l’accès à l’avortement y ont tellement augmenté que certains États n’ont plus qu’une seule clinique pratiquant l’avortement ouverte ! Paul Ryan, le candidat républicain malchanceux à la vice-présidence américaine aux élections de 2012, a précédemment soutenu une loi qui tentait de permettre aux violeurs de poursuivre en justice les victimes qu’ils auraient mises enceinte pour les empêcher d’avorter ! Voilà le contexte dans lequel la ‘‘culture du viol’’ existe. C’est aussi le contexte dans lequel cette culture doit être remise en cause.

    Les violences sexuelles comme arme de guerre et de domination

    Le viol en tant qu’expression de la suprématie et de la domination est illustré par les abus commis par de nombreux prêtres en position de pouvoir, des cas systématiquement couverts par la hiérarchie de l’Eglise Catholique. On peut également parler du cas du célèbre présentateur de la BBC Jimmy Saville (un proche de Margareth Thatcher qui a été protégé par la véritable institution qu’est la BBC) qui a abusé d’enfants et de jeunes vulnérables et marginalisés en toute impunité, des décennies durant.

    La violence sexuelle est utilisée comme arme de guerre afin d’intimider et de dégrader l’ennemi ; en Syrie, c’est en fait la première raison pour laquelle il y a eu un exode massif de femmes et d’enfants dans des camps de réfugiés de Jordanie et du Liban. L’attaque de femmes et de filles par des hommes armés, parfois à plusieurs, est une caractéristique significative et problématique de la guerre civile syrienne. C’est globalement le cas des zones de guerre ; on estime à 200.000 le nombre de victimes de violences sexuelles en République Démocratique du Congo dans le cadre de conflits armés. Le viol y est décrit comme une arme ‘‘moins chère que les balles et les bombes.’’

    L’Afrique du Sud connait des statistiques parmi les plus alarmantes, le taux de viols d’enfants et de bébés y est le plus élevé au monde. 37% de la population masculine admet avoir commis un viol et plus de 500.000 attaques sexuelles ont lieu chaque année. Le problème est notamment enraciné dans la croyance très répandue qu’une relation sexuelle avec une vierge guérit du sida. Ce pays comprend le plus grand nombre de séropositifs : 11% des habitants sont affectés. La Zambie, le Zimbabwe et le Nigeria sont aussi infestés par les attaques sexuelles à cause de ce mythe dangereux.

    Attaques contre les femmes sur la place Tahrir

    L’un des exemples les plus frappants de ce que représente le viol et d’où il provient se trouve peut-être dans le contexte de révolution et de contre-révolution qui se déroule en Égypte actuellement, au cœur symbolique de la révolution, place Tahrir.

    L’héroïque révolution qui a renversé le dictateur Moubarak en 2011 n’était en fait qu’une demi-révolution : le dictateur corrompu a été renversé par une lutte de masse et une grève générale, mais les bases-mêmes du capitalisme et de l’impérialisme n’ont pas été abattues pour céder la place à un gouvernement représentant les travailleurs et les pauvres visant à placer les richesses sous propriété publique et démocratique. Sans une telle démocratie, les portes ont été ouvertes pour que l’armée et l’Islam politique reviennent à l’avant. Cependant, les femmes, les travailleurs et les pauvres qui se sont battus héroïquement pendant la révolution ne sont pas simplement rentrés chez eux. Les femmes ont été présentes durant tout le soulèvement révolutionnaire de ces dernières années en Égypte, et elles sont encore présentes dans le mouvement aujourd’hui.

    La participation des femmes à la lutte, dans les soulèvements révolutionnaires et dans la quête de changement de la société, n’est pas seulement essentielle, elle est aussi une indication positive de la lutte en elle-même. Les réactionnaires en Égypte comprennent fort bien cela et visent spécifiquement les femmes pour tenter de toucher le mouvement dans son ensemble.

    Le viol est un des outils de ces réactionnaires. Des rapports montrent que la Confrérie Islamique a organisé et payé des groupes d’hommes pour attaquer brutalement et agresser sexuellement les femmes militantes sur la place Tahrir. Les femmes s’arment déjà elles-mêmes pour réaffirmer qu’on ne les forcera pas à rentrer à la maison, et des groupes de manifestants – hommes et femmes – organisent la défense pour résister à ces attaques.

    Viol et violence sexuelle en Irlande

    En Irlande en 2011, plus de 2000 survivantes à la violence sexuelle se sont rendues au RCC (cellule de crise sur le viol, NDT). Des milliers d’autres cas ne sont pas rapportés et on estime que jusqu’à une irlandaise sur sept souffre de graves abus sexuels, physiques ou émotionnels. En Irlande, la question du viol et des abus sexuels est complexe. Historiquement, le pays a été dominé par le contrôle de l’Église et par ses idées tordues sur la moralité. La vision du sexe est empreinte de peur et de honte, surtout en ce qui concerne les femmes. Le sexe était uniquement considéré comme un outil de procréation et une fille considérée comme ‘‘légère’’ était ‘‘une femme déchue’’. Malgré un rejet de ces idées réactionnaires par la plupart des gens d’aujourd’hui, la ‘‘culpabilité catholique’’ et la poussée du sexisme ‘‘moderne’’ (les femmes rabaissées au rang d’objet et la commercialisation du sexe) ont contribué à développer une culture de culpabilisation des victimes d’abus.

    Un sondage récent a montré que 41% des gens pensent qu’une femme est partiellement ou totalement responsable si elle se fait violer en ayant bu de l’alcool, 37% pensent qu’elle porte une part de responsabilité si elle a excessivement flirté avec un homme et 26% pensent qu’elle est responsable si elle portait des vêtements qui révèlent son corps.

    Le sensationnalisme suscitant la peur qui est cyniquement appuyé par les tabloïds possédés par des milliardaires a aidé à perpétrer le mythe que le viol est quelque chose qui n’est commis que par des hommes louches dans des ruelles sombres. En réalité, une femme sur cinq est abusée par son partenaire actuel ou son ex, 39% par un ami ou une connaissance. Le lieu le plus courant des viols est la maison de la victime.

    Selon les estimations, seuls 7% de tous les viols en Irlande sont condamnées. La DPP (Director of Public Prosecution) ne poursuit qu’un tiers des cas reportés, ce qui signifie que 70 cas sur 100 sont déjà perdus à ce stade. ‘‘Le manque de preuves’’ est la première raison pour laquelle la majorité des dénonciations ne va pas plus loin. Il y a significativement plus de chances d’aboutir à une condamnation si l’attaque se produit dans un espace public par un inconnu de la victime, par rapport aux agressions bien plus courantes où l’auteur est connu d’elle. Depuis l’introduction en 1990 de la pénalisation du viol conjugal, il n’y a eu qu’une seule condamnation, ce qui est choquant lorsqu’on considère que 18% des agressions sexuelles sur les femmes sont commises par des hommes qui ont ou ont eu une relation intime avec elles par le passé.

    Une étude par le Rape Crisis Network Ireland a monté que jusqu’à 40% des victimes de viols retirent leur plainte en raison de la faible réaction de la police. Les cas sont souvent abordés de façon insensible et des incidents comme le scandale de la ‘‘rape tape’’ de Rossport n’est pas pour rassurer les victimes lorsqu’elles rapportent la violence sexuelle. Dans cette vidéo, des policiers menaçaient deux manifestantes arrêtées de les violer si elles n’obéissaient pas à leurs instructions. Une autre tendance alarmante dans le système judiciaire irlandais est l’augmentation du nombre de procès où des hommes riches donnent une compensation financière à leur victime au lieu d’être condamnés à la prison.

    Le viol en Inde

    Le viol collectif et le meurtre d’une étudiante en médecine de 23 ans à Delhi ont amené la question de la violence sexuelle dans les médias de masse, obligeant les gens à se rendre compte de l’impact de la ‘‘culture du viol’’ en Inde et à travers le monde. La façon sournoise dont ce cas a été géré par la police a mis en lumière l’attitude dédaigneuse envers le viol en Inde.

    Il s’agit du crime le plus répandu dans le pays : au moins 24 000 incidents sont rapportés chaque année et on estime que seuls 50% des viols sont rapportés. Cette culture est un arrière goût amer du système féodal dominé par les hommes en Inde. Il existe un énorme mépris des femmes dans tout le large et varié spectre politique et religieux du pays. En contradiction directe avec le système discriminatoire, il n’est pas exceptionnel qu’un homme d’une caste inférieure agresse une femme de la classe supérieure dans la rue. La propriété des femmes par les hommes dépasse le statut social même ici, ce qui indique à quel point l’oppression des femmes est enracinée.

    Les femmes des classes inférieures Dalit ou intouchables qui sont les plus vulnérables. La société indienne leur offre peu de protection ou de justice et la majorité du temps, les attaques contre ces femmes ne sont pas remarquées et restent impunies. L’idéologie de la domination masculine dans une période de changement social rapide et abrupt, avec les femmes et les castes inférieures qui entrent dans la force de travail en raison des investissements capitalistes en Inde, est le contexte dans lequel le viol est si endémique et répandu dans le pays.

    Remettre en cause la ‘‘culture du viol’’

    ‘‘Mon violeur ne sait pas qu’il est un violeur. Vous lui avez appris que ce n’est pas de sa faute. J’avais trop bu, j’ai flirté, et mes vêtements étaient trop courts. Je l’ai cherché. Il m’a laissée dans l’escalier d’un parking. Mon (ex) petit copain m’a craché à la figure. Il m’a traitée de pute, il n’a traitée de salope. Je l’avais mérité. Mes amies me jetaient des sales regards. Elles m’ont dit que j’étais un déchet, sans réaliser que ça aurait pu être elles. Cette culture, votre culture, leur a dit, m’a dit, que c’était de ma faute. Et j’ai souffert. Mais mon violeur ne sait pas que c’est violeur. Je n’ai pas honte. Je reste debout.’’

    Comme l’indique cette citation d’une participante à la slutwlak de Washington DC en 2011, une culture qui ramène les femmes au rang d’objet, qui promeut une vision bancale de la sexualité des femmes, qui culpabilise les victimes et non les agresseurs, qui encourage les femmes à ne pas sortir seules la nuit, à prendre des cours de self-défense, à s’habiller d’une certaine façon pour éviter le harcèlement et attaques sexuel mais n’apprend pas aux hommes et aux jeunes pourquoi ‘‘non, c’est non’’ – fait absolument partie du problème auquel on doit s’attaquer.

    La prolifération de l’industrie pornographique – généralement destinée aux hommes et centrée sur une vision des femmes, de leur sexualité et du sexe en général très étroite, dirigée par les hommes et souvent misogyne, qui lie de plus en plus le sexe et la violence – alimente cette culture. C’est aussi le contexte de la gueule de bois de la promotion idéologique des rôles traditionnels de chaque genre qui dénigre aussi les femmes et appuie la subordination des femmes aux hommes. Plus encore, c’est le contexte de la promotion de l’idée, propre au capitalisme, de la responsabilité individuelle et de l’individualisme, qui isole les femmes à leur détriment, et des normes sociales et culturelles arriérées, qui donne naissance à la ‘‘culture du viol’’. Les phénomènes Slutwalk et Rage Against Rape sont en opposition à cette culture, et sont en soi une politisation des questions du viol et de l’oppression. Cela joue un rôle dans l’éducation des masses à cette question.

    Les femmes et la lutte pour le socialisme

    Comme nous l’avons vu, l’ère de l’austérité est une énorme menace contre les conditions de vies et les droits de chacun. Les travailleuses, aux côtés de leurs collègues masculins, sont à l’avant-garde de la lutte contre les coupes budgétaires et les suppressions d’emplois. En Irlande, nous avons surtout vu les travailleuses des entreprises Thomas Cook et La Senza occuper leur lieu de travail lorsqu’elles étaient menacées de licenciement. Les attaques contre le secteur public dans toute l’Europe requièrent une lutte énorme et un mouvement d’opposition massif. Les femmes peuvent jouer un rôle central dans un tel mouvement.

    En plus d’un combat déterminé spécifique pour remettre en cause le sexisme, l’objectification, la violence et les agressions sexuelles, il est vital qu’un mouvement contre l’austérité mette aussi ces questions en avant et les relie afin d’assurer que les femmes puissent être au centre du mouvement, et aussi jouer un rôle dans l’éducation des hommes, qui eux-mêmes n’ont pas intérêt à ce que la situation actuelle perdure.

    Depuis le début de la ‘‘Grande Récession’’ de la crise capitaliste, il y a eu une baisse de 29% du nombre de filles qui finissaient leurs études primaires (le taux est de 22% pour les garçons). Dans le pays le plus riches au monde, les USA, 17 millions de femmes vivaient dans la pauvreté en 2011 (de même que 12,6 millions d’hommes). Ces inégalités sont abjectes, de même que l’énorme pauvreté et la destruction des conditions de vie que le système du profit fait subir à la majorité des femmes, des hommes, des enfants et des jeunes dans le monde.

    La lutte pour en finir avec ce monde de violence, d’oppression, de pauvreté et d’austérité doit mettre le socialisme à l’ordre du jour, c’est à dire la propriété publique démocratique des principales richesses et ressources, et la planification démocratique de l’économie en fonction des besoins de la population.

    Une lutte massive pour réaliser ce changement en Irlande, en Europe et partout dans le monde, et une société basée sur la solidarité humaine et l’égalité, pourraient poser les bases pour remettre en cause et mettre fin à l’oppression des femmes que le viol incarne.

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