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  • Solidarité avec les masses en révolte en Tunisie! Manifestation jusqu’au consulat de Tunisie à Hong Kong

    Ce vendredi 21 janvier, durant l’après midi, des militants ont exprimé leur solidarité avec les travailleurs et les masses opprimées de Tunisie à Hong Kong. Ils ont ainsi montré leur solidarité avec la lutte des masses tunisiennes contre le régime dictatorial du président déchu Ben Ali.

    J. M. Roy, chinaworker.info

    "Le pouvoir aux travailleurs! Non à tous les dictateurs!" ont ainsi crié les manifestants. Le groupe de militant a manifesté du commissariat de police jusqu’au consulat de Tunisie pour y remettre une lettre de protestation et de solidarité avec la révolte de masse en Tunisie contre le régime du RCD (Rassemblement Constitutionnel Démocratique). Cette marche avait été organisée par Socialist Action – Hong Kong (section du CIO à Hong Kong) et par le célèbre militant Leung Kwok Hung, de la Ligue des sociaux-démocrates. Ce dernier est surnommé ”Cheveux longs” depuis qu’il a décidé de ne pas se couper les cheveux jusqu’à ce que le régime de Pékin présente ses excuses pour la répression de Tian’anmen en 1989.

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    Sur la Tunisie:

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    "Nous condamnons fermement la réponse brutale du régime et de ses forces de police, ce qui a coûté la vie à 100 personnes" était-il notamment écrit dans la lettre de protestation, signée par Leung et Vincent Kolo, de Socialist Action. La lettre mettait également en garde contre les tentatives d’accords entre représentants du vieux régime et les partis d’opposition pro-capitalistes, tout en appelant les travailleurs et les jeunes de Tunisie à construire des comités de luttes démocratiques et à lutter pour une assemblée constituante révolutionnaire ainsi que pour le contrôle public de l’économie du pays afin de la retirer des griffes de la vieille élite.

    Comme cela a été souligné par les orateurs lors de la manifestation, l’importance de cette lutte ne se limite pas qu’aux rues de Tunis ou des autres villes de Tunisie. Les réactions des classes dirigeantes des autres pays a été très révélatrice. Le gouvernement français a ainsi offert de soutenir la répression du soulèvement dans son ancienne colonie, et le président Sarkozy avait il y a peu félicité le dictateur Ben Ali, se disant ”impressionné par la clarté des analyses du Président Ben Ali,  par son ouverture d’esprit et par sa franchise.” Il ne fait aucun doute que les masses d’Afrique du Nord et de France ne se souviendront que trop bien de la manière dont le gouvernement capitaliste français traite les peuples qui osent se soulever contre la tyrannie. Les dirigeants d’Égypte et de Libye ont également été rapides pour condamner les luttes du peuple tunisien et ils ont directement pris des mesures pour prévenir de tels mouvements de la part de leurs propres masses opprimées. Dans le même but, les gouvernements du Maroc et de Jordanie ont abaissé les prix de l’alimentation pour essayer d’ainsi apaiser les masses.

    Les évènements de Tunisie sont aussi riches de leçons pour les masses en Chine et à Hong Kong, avec leur propre forme de régime dictatorial. Les dictateurs arabes ne sont pas les seuls à suivre avec effroi les nouvelles de Tunis…

  • Les tâches urgentes de la révolution tunisienne

    L’insurrection populaire de masse a forcé Ben Ali à quitter le pays

    La Tunisie d’aujourd’hui n’est pas le même pays que celui qu’elle était il y a à peine un mois. Le puissant mouvement de révolte des masses tunisiennes a balayé le dictateur, le Président Ben Ali, à la vitesse d’une tornade, preuve s’il en fallait de la rage qui s’est accumulée après des décennies de règne autoritaire. La peur de parler de politique, même en privé, a été remplacée par un gigantesque processus de bouillonnement politique ; nous assistons au début d’une révolution. Comme ils paraissent loin, les jours de la dictature “incontestée” de Ben Ali !

    Par Chahid Gashir, CIO

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    Pour en savoir plus:

    • Maghreb : La révolte Tunisienne s’étend en Algérie – Solidarité avec les masses Tunisiennes et Algériennes !
    • Révolte sans précédent en Tunisie – A bas le régime de Ben Ali !
    • Tunisie: Message de solidarité de Joe Higgins, député européen du CIO
    • Algérie: Arcelor Mittal connaît sa seconde grève à durée indéterminée de l’année! Juin 2010
    • Algérie : Révolte de masse et actions de grève continuent de secouer le pays Avril 2010
    • COURRIER des lecteurs: Elections en Tunisie – Quels enjeux et perspectives? Septembre 2009

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    La Tunisie qui, pendant des années, était louée par les analystes capitalistes et les pays impérialistes en tant que régime le plus stable de la région, décrit comme un “modèle de développement économique” il y a à peine un mois par le chef du FMI Dominique Strauss-Kahn, est maintenant parcourue de fissures. Ce paradis touristique, avec ses merveilleuses plages méditerranéennes, a révélé son vrai visage, et la violence utilisée pour écraser la véritable révolte de masse a montré le vrai caractère d’un des régimes les plus répressifs de la région.

    Le mouvement révolutionnaire qui s’est développé au cours du dernier mois en Tunisie est d’une importance historique pour les masses de l’ensemble du monde arabe et d’ailleurs. Au moment où dans la plupart des pays du monde on applique des politiques d’austérité et le cours des denrées alimentaires ne cesse de monter, affectant tout le monde, la Tunisie pourrait devenir un exemple à suivre pour les travailleurs et les jeunes du monde entier. Ce mouvement est le plus grand bouleversement qui ait ébranlé la dictature tunisienne au pouvoir depuis plus d’un quart de siècle, et sans doute le plus grand bouleversement de toute l’histoire du pays.

    Chacune des tentatives successives de Ben Ali dans le but de calmer la situation a lamentablement échoué. Le clan dirigeant de Ben Ali a définitivement perdu toute sorte de soutien populaire. Après avoir dissous le gouvernement tout entier, annoncé de nouvelles élections législatives dans les six mois, et décrété l’état d’urgence, le Président haï a fini par fuir le pays, tandis que les opposants étaient en train de déchirer en riant ses nombreux immenses portraits qui ornaient les façades de la capitale.

    Des ondes de choc dans toute la région

    La lutte épique des travailleurs et de la jeunesse tunisienne a créé une vague de panique parmi les régimes voisins, de même que parmi les gouvernements de leurs alliés occidentaux en Europe et aux États-Unis.

    Les commentaires du Président américain Barack Obama, qui applaudissait le « courage et la dignité du peuple tunisien », vont certainement laisser un gout amer aux nombreux Tunisiens qui ont combattu sans relâche leur gouvernement, celui-ci étant soutenu par les États-Unis. Obama ne fait bien entendu que célébrer un fait déjà accompli, dans l’espoir qu’il trouvera une conclusion pro-impérialiste. Lui et ses cohortes n’ont jamais pris aucune initiative pour critiquer les régimes amis ou vassaux ; c’est ainsi que Washington n’a pas dit le moindre mot au sujet du trucage flagrant des élections en Égypte à la fin de l’année passée.

    De la même manière, la réponse muette du gouvernement français quant aux protestations et à la répression dans son ancienne colonie nord-africaine a suscité un tollé parmi sa forte communauté maghrébine. La déclaration de la Ministre française des affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, qui proposait la coopération de la France avec le gouvernement tunisien afin de “rétablir la sécurité” – allant même jusqu’à souligner l’expérience et l’expertise de l’État français dans ce domaine – a une fois de plus révélé le véritable caractère de la politique extérieure française et l’embarrassement de sa classe dirigeante, qui perçoit une menace à ses investissements dans un de ses avants-postes dans la région.

    L’insurrection tunisienne a ouvert un nouveau chapitre de développements révolutionnaires dans le monde arabe, qui pourrait rapidement provoquer un effet domino à l’encontre des régimes dictatoriaux voisins. D’ailleurs comme par hasard, les gouvernements de Jordanie, du Maroc, d’Algérie et de Lybie ont tous mis en place au cours des dernières semaines des mesures pour diminuer les prix des denrées alimentaires, de peur de voir des développements similaires se produire dans leurs propres pays. « Chaque dirigeant arabe tourne vers la Tunisie son regard rempli de peur, tandis que chaque citoyen arabe se tourne vers la Tunisie rempli d’espoir et de solidarité », twittait un commentateur égyptien cité par le Guardian de Londres le 15 janvier.

    La révolte a commencé dans la petite ville de Sidi Bouzid à la mi-décembre pour se répandre comme un feu de brousse à l’ensemble du pays, et est allée bien plus loin que de simples revendications contre le chômage. Elle n’a montré aucun signe d’épuisement malgré tous les zigzags et toutes les manœuvres désespérées du régime Ben Ali dans sa lutte pour la survie. Le cycle de répression barbare opéré par la police sur ordre de la clique au pouvoir a selon les organisations des droits de l’Homme causé la morte de plus de 70 citoyens. Il a été rapporté que la police a tiré à balles réelles sur les cortèges funèbres en mémoire aux manifestants tués lors des jours précédents ; ceci montre bien jusqu’où était prêt à aller le régime afin de préserver son emprise sur le pouvoir. Une telle débauche de violence est typique d’un régime aux abois et dont la survie même est en danger ; cependant, cette violence n’a fait qu’encore plus enflammer la colère des travailleurs et des jeunes. La Tunisie n’est d’ailleurs pas un cas isolé à cet égard : c’est le cas dans de nombreuses parties du monde, où les actions de solidarité et les appels à la fin de la répression n’ont fait que croitre au cours de la dernière période.

    Les masses tunisiennes, ayant perdu toute crainte du régime de plus en plus isolé, se sont soulevées dans chaque recoin du pays. La capitale Tunis, le cœur économique du pays qui avait été épargnée lors des premières semaines du mouvement qui avait éclaté dans les provinces pauvres du centre et du sud du pays, a été atteinte de manière décisive par le mouvement à partir du mardi 11 . « On n’a pas peur, on n’a pas peur ! » clamaient ce jour-là les centaines de jeunes qui se soulevaient et attaquaient les bâtiments administratifs à Ettadem, un quartier pauvre de Tunis. En guise de réponse, le gouvernement a ordonné l’imposition d’un couvre-feu illimité de 20h à 5h30 du matin dans toute la capitale et a dans un premier temps déployé le soir même dans toute la ville des unités militaires accompagnés de véhicules blindés. Mais ces mesures se sont en général révélées inefficaces : des milliers de manifestants les ont courageusement défiées dès le premier soir. La peur a changé de camp, passant du côté de l’élite dirigeante.

    Les failles dans le camp du pouvoir

    Ces derniers jours, certains ministres et ex-ministres, ainsi que d’autres politiciens membres du parti présidentiel, le RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique), ont exprimé de plus en plus de critiques publiques à l’encontre de Ben Ali et sur la manière dont il avait répondu aux protestations ; ces divisions au sein du camp du pouvoir étaient le reflet de la pression qui venait d’en-bas. Certaines personnalités du régime cherchaient par-là à se positionner pour la période de l’“après Ben Ali” en misant sur le mouvement de masse. Certaines parties de l’élite dirigeante se sont de plus en plus apprêtées à se débarrasser de Ben Ali afin de préserver leurs propres intérêts, espérant ainsi apaiser la révolte des masses, de la même manière que l’on jette un os à un chien dans l’espoir de le calmer.

    Reflétant ces divisions croissantes, on a également fait état de tensions en train de se développer au sein de l’armée. Le chef de l’armée, le Général Rachid Ammar, a été démis de ses fonctions le dimanche 9 janvier pour avoir refusé de donner l’ordre aux soldats de réprimer les manifestations, et pour son attitude ouvertement critique sur l’usage “excessif” de la force contre les manifestants. De tels prises de position se sont multipliées, notamment parmi les soldats qui ont refusé d’ouvrir le feu sur leurs frères et sœurs de classe et qui dans certaines zones ont fraternisé avec les manifestants et les ont protégés de la police.

    C’est la raison pour laquelle l’armée a été retirée de Tunis jeudi soir pour y être remplacée par la police et d’autres forces de sécurité généralement considérées comme étant plus loyales au régime. Mais même certaines sections de la police ont été affectées par le mouvement de masse. Le New York Times a rapporté l’histoire de deux policiers qui ont dissuadé les manifestants enragés d’attaquer un commissariat à Tunis en leur suggérant d’aller plutôt saccager les luxueues villas de bord de mer de la famille du Président ! Un manifestant a commenté : « Les policiers sont pauvres tout comme nous. Ils ont dit, “Allez plutôt à leurs villas s’il vous plait, c’est plus logique” ».

    La révolution doit exploiter ces fissures au sein de l’appareil d’État, afin de renforcer ses propres forces. De fait, malgré le départ de Ben Ali, le vieil appareil d’État avec son immense machine de répression est resté essentiellement intact. En-dehors de l’armée, on estime qu’entre 80 000 et 120 000 personnes on été déployées par l’État tunisien pour assurer le contrôle de la population. Malgré le climat compréhensible d’euphorie qui vit après la fuite de Ben Ali, le processus révolutionnaire ne fait en réalité que commencer, et tous les dangers qui se pointent à l’horizon doivent être affrontés grâce à une politique correcte. Des forces réactionnaires incorrigibles, provenant de l’intérieur comme de l’extérieur de la machine d’État, pourraient tenter d’exploiter l’état de confusion générale afin de reprendre l’initiative, et d’organiser une violence sans merci contre les forces progressistes, les syndicalistes, les jeunes manifestants, etc.

    Pour faire face à une telle situation, un appel de classe doit être adressé aux troupes afin de les gagner à la cause de la révolution ; la création de véritables comités élus de soldats doit faire partie d’un tel processus, afin de purger l’armée des éléments réactionnaires et des personnes qui ont collaboré avec le vieux régime.

    On parle beaucoup de gangs de pillards qui s’attaquent aux habitations et aux magasins, incendiant des bâtiments et attaquant des gens. Il y a énormément de soupçons qui indiquent que ces gangs sont en fait composés de policiers, d’éléments des forces de sécurité et d’anciens criminels engagés par la clique de Ben Ali pour montrer que sans Ben Ali, “le chaos règne”, et pour tenter d’en faire porter la responsabilité aux manifestants pacifiques.

    D’un autre côté, le problème de “la loi et l’ordre” est utilisé par les autorités intérimaires pour tenter de justifier le maintien de l’état d’urgence et de la loi martiale, et pour imposer de grosses restrictions sur les libertés civiles. Ces deux aspects doivent recevoir une réponse par la formation de forces de défense ouvrières armées et gérées démocratiquement afin de protéger les quartiers, les citoyens et les manifestants contre la violence arbitraire, quelle qu’en soit l’origine. Il a été rapporté que des habitants de la cité côtière de Gammarth, dans le Nord, sont en train de s’organiser dans leur quartier pour se protéger contre les milices du régime. De telles initiatives doivent être prises partout, afin de garantir la sécurité contre toutes représailles de la part d’éléments réactionnaires.

    Les zigzags politiques de Ben Ali ne l’ont pas sauvé d’une fin honteuse

    Ben Ali, dans une tentative désespérée de gagner un certain répit, a viré mercredi son Ministre de l’Intérieur, Rafik Belhaj Kacem – le chef de la police tunisienne – en tentant de fournir aux masses un bouc-émissaire. Mais cette manœuvre, comme tous les précédents limogeages de ministres, a à peine satisfait la combativité et le désir de vengeance qui s’étaient développés parmi les masses tunisiennes. Ben Ali a alors plus mis l’accent sur la “carotte” que sur le “bâton”, allant d’une concession à l’autre.

    Son discours télévisé de jeudi soir, dans lequel il promettait de ne pas se représenter aux élections de 2014, ordonnait aux troupes d’arrêter de tirer à balles réelles sur les manifestants, annonçait la fin de la censure d’internet et la liberté totale des médias, plus de “pluralisme politique” et la réduction du prix du pain, du lait et du sucre, représentait un demi-tour complet par rapport à la politique qu’il avait adoptée précédemment. Mais les mesures n’ont pas permis d’arrêter la colère. Cette preuve flagrante de faiblesse de la part du régime n’a fait que renforcé la volonté et la confiance du mouvement, galvanisant le sentiment de ses propres forces, et ouvrant la porte pour que les actions de protestation déferlent dans une direction encore plus radicale. C’est ce qui a été illustré par la manifestation sans précédent de milliers d’opposants qui ont descendu l’avenue Bourguiba vendredi, en criant « Non à Ben Ali, la révolte se poursuit ! », « Ben Ali — assassin ! », « Ben Ali — dehors ! », « Go, go, go… game over ! », exigeant que Ben Ali quitte le pouvoir immédiatement.

    Il était clair que les concessions effectuées par Ben Ali n’étaient que des changements cosmétiques, proposés dans une tentative désespérée du gouvernement d’éviter que la lutte n’aille plus loin et ne menace les fondations même des intérêts capitalistes. De fait, bien que le départ de Ben Ali était devenue une des principales revendications du mouvement, derrière cet appel se trouvait d’instinct remis en question l’ensemble du système sur lequel reposait le pouvoir de Ben Ali, même si cela n’était pas formulé clairement.

    L’emprise étroite de Ben Ali et de sa famille, qui s’est retrouvée aux commandes de pans entiers de la richesse et des activités profitables du pays grâce à un savant mélange de corruption, d’extortion et autres pratiques mafieuses, est devenue le symbole du pouvoir arrogant et corrompu de la riche classe capitaliste tunisienne. « Non, non, aux Trabelsi qui ont pillé le budget ! » était un des slogans les plus populaires, visant Leila Trabelsi, la deuxième femme de Ben Ali, qui possède d’importants parts dans de nombreuses entreprises tunisiennes. « Il semble que la moitié des membres du monde des affaires tunisien possèdent une connection avec Ben Ali grâce à un mariage, et on dit que ce sont ces relations qui ont le plus contribué à leur fortune », écrivait un ambassadeur américain dans un des câbles diplomatiques publiés récemment par WikiLeaks. Il semble que certains membres de la famille de Ben Ali avaient déjà quitté le pays jeudi par peur des conséquences du mouvement révolutionnaire. C’était le cas par exemple de Mohamed Sakher El Materi, le beau-fils milliardaire de Ben Ali, qui s’était réfugié dans sa villa de luxe à Montréal au Québec.

    Quelles perspectives pour le mouvement ?

    La chute de Ben Ali est maintenant acquise mais, malheureusement, il n’y a jusqu’ici aucune force ouvrière indépendante capable de donner une direction à cette explosion spontanée pour indiquer l’étape suivante, et pour prendre des initiatives afin de faire triompher une révolution politique et sociale qui pourrait radicalement transformer la société tunisenne tout entière. Pour accomplir cela, il faut rompre avec le capitalisme et commencer à élaborer un plan de rénovation de la société selon des lignes socialistes, pour satisfaire aux intérêts de la majorité en instaurant une justice sociale, en résolvant le problème du chômage en donnant un emploi décent à tous, et en donnant libre cours aux aspirations longtemps réprimées en faveur de réels droits démocratiques.

    L’absence d’une direction armée d’un programme socialiste clair et capable d’expliquer quelles sont les prochaines étapes nécessaires pour faire progresser le mouvement pourrait avoir comme conséquence un reflux temporaire du mouvement. Le vide politique laisse ouverte la possibilité à toutes sortes de forces de venir exploiter la situation à leur propre avantage. Dans une telle situation, il n’est pas exclu d’assister à un coup d’État militaire justifiant son action par la nécessité d’un “grand nettoyage”. Un tel coup d’État pourrait même bénéficier d’un certain soutien populaire. D’un autre côté, certains dirigeants de l’opposition bourgeoise, qui avaient déjà tenté de qualifier le discours de Ben Ali d’“ouverture” de la part du gouvernement (le principal dirigeant de l’opposition, Najib Chebbi du Parti démocratique progressiste, a qualifié l’allocution présidentielle de « très bonne », tandis que Moustapha Ben Jaafar, le chef du Forum démocratique pour le travail et les libertés, a dit que le discours de Ben Ali « ouvrait des possibilités »), vont essayer de se mettre en avant et d’utiliser leur écartement de la vie politique pour préserver l’ordre ancien.

    Vendredi soir, après que le Premier Ministre Mohamed Ghannouchi ait déclaré prendre les commandes en tant que dirigeant parce que Ben Ali était « temporairement dans l’incapacité d’accomplir son devoir », il y a eu des rumeurs de protestations continues devant le Ministère de l’Intérieur, appelant à la démission immédiate de Ghannouchi. Par la suite, le Conseil constitutionnel a annoncé que le dirigeant de la chambre basse du Parlement, Fouad Mebazaa, serait le Président intérimaire. La Constitution requiert que de nouvelles élections présidentielles soient organisées dans les 60 jours à partir d’aujourd’hui. Ces gens sont en train de se préparer à poignarder dans le dos la lutte héroïque des masses ! Ghannouchi est un économiste qui a passé l’entièreté de sa carrière politique aux côtés du Président Ben Ali, tandis que Mebazaa fait lui aussi partie de la même élite politique corrompue. Comme l’a fait remarquer Youssef Gaigi, un militant tunisien cité par Al-Jazeera : «Les gens ne savent pas s’ils peuvent faire confiance à ce type, parce qu’il fait lui aussi partie de l’establishment. Il a fait partie du parti politique qui a dirigé la Tunisie pendant ces 23 dernières années, et il était fortement impliqué dans le précédent gouvernement, qui est maintenant appelé une dictature ».

    Les masses n’ont pas dépensé autant d’énergie, fait autant de sacrifices, versé autant de sang pour voir tout bêtement d’autres membres de l’élite dirigeante, étroitement associés à l’ancien régime, prendre la place de Ben Ali. Le premier jour après que le gouvernement Ben Ali se soit enfui, le gouvernement a déployé l’armée, la police et les services de sécurité dans les rues. Que cela serve d’avertissement aux travailleurs, aux chômeurs, aux jeunes et aux masses pauvres des régions urbaines et rurales. Officiellement c’était pour assurer “la loi et l’ordre”, mais tandis que la population laborieuse veut de l’ordre dans sa vie, ce n’est pas le but du gouvernement. “La loi et l’ordre” que désirent les associés de Ben Ali sont celles qui leur permettent de garder le contrôle. C’est pourquoi il est essentiel que la population s’organise et construise des organisations indépendantes de masse capables d’élaborer une stratégie révolutionnaire afin de sortir de l’impasse et d’éviter que la révolution ne soit volée par en-haut.

    Les travailleurs et les jeunes ne devraient accorder aucune confiance à aucune forme de repartage du pouvoir entre ces bandits pillards et meurtriers. Il ne faut pas permettre la persistance de l’appareil répressif de l’ancien régime, ni que le vieux gouvernement puisse rester au pouvoir. En ce qui concerne les appels à un “gouvernement d’unité nationale” – ce qui est de plus en plus suggéré par d’importantes couches des partis d’opposition –, cela n’aurait un sens que s’il s’agit d’un gouvernement d’unité de la classe ouvrière et de tous les opprimés, un gouvernement qui représente véritablement les masses en lutte, désireux de balayer l’ensemble de ceux qui ont participé au et profité du régime de Ben Ali, et qui s’oppose fermement à tout compromis avec l’ensemble des dirigeants capitalistes, qu’il s’agisse d’associés proches de Ben Ali ou pas. Toute autre forme d’“unité” reviendrait à la neutralisation du mouvement révolutionnaire et à ce que ce mouvement soit relégué au rang de force auxiliaire pour remplacer un clan d’oppresseurs par un autre. De vraies élections véritablement démocratiques peuvent être organisées sous le contrôle démocratique des travailleurs ; c’est là la seule manière d’empêcher les tentatives de récupérer la révolution par les partisans de l’ancien régime.

    Dans ce sens, la question de qui contrôle la richesse et les moyens de production du pays est devenue un des enjeux cruciaux auxquels est confronté le mouvement s’il veut résoudre la crise du chômage et de la misère. De fait, tant que les relations économiques demeureront sur une base capitaliste, orientée vers les profits de quelques-uns (qui que soient ces quelques-uns !), aucun changement fondamental et durable ne pourra être effectué dans les conditions de vie de la majorité. Seule la classe ouvrière organisée, en prenant le contrôle des secteurs-clés de l’économie, peut réaliser un tel changement.

    Une partie de la direction de la fédération syndicale UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens) partage des relations amicales et de longue date avec la dictature ; par exemple, le secrétaire général de l’UGTT a réitéré son soutien à Ben Ali, seulement quelques jours avant sa chute. Malgré tout ceci, le syndicat a finalement été débordé par l’impact de la vague révolutionnaire sur ses 500 000 affiliés, et a donce été forcé à appeler à l’action. « Loyal au régime depuis la fin des années ’80, l’UGTT a soutenu la réelection du Président Ben Ali en 2009.Toutefois, son rôle depuis le début du mouvement le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid est plutôt différent. De nombreux débats ont tout d’abord été organisés à travers tout le pays dans les bâtiments des sections régionales, qui ont eu pour résultat à la fin de décembre que le secrétaire général de l’UGTT a menacé d’attaque en justice quiconque parmi ces membres participerait à de tels meetings. Le lendemain de Noël, le mouvement, qui reposait sur quelques branches dissidents du syndicat comme la poste ou l’enseignement primaire et secondaire, a graduellement gagné l’ensemble des branches du syndicat » (Mediapart, 12/01/2011).

    Cette semaine, de solides grèves générales de ville ont été organisées à Sfax, à Sousse, à Kasserine, et à Tunis. Dans la capitale, malgré l’appel des dirigeants syndicaux à ne pas manifester pendant la grève générale de deux heures de vendredi, beaucoup de syndicalistes ont défié ces ordres et sont quand même descendus dans les rues. Il est urgent que cette lutte pour balayer l’ancien régime soit étendue et coordonnée, y compris si nécessaire via une grève générale demandant le départ des associés de Ben Ali, les pleins droits démocratiques et un gouvernement des travailleurs et des pauvres. Pour cela, il faut la formation de comités démocratiquement contrôlés, élus par les travailleurs eux-mêmes dans les entreprises et dans les usines. De tels comités d’organisation doivent être mis sur pied dans les quartiers et dans les villages, afin de garantir que la lutte soit partout contrôlée par en-bas, et que chaque organisation politique puisse y défendre son point de vue et ses propositions en termes de suivi du mouvement actuel. De tels comités pourraient ensuite se coordonner les aux autres sur une base locale, régionale, et nationale, afin d’édifier les fondations d’un gouvernement des travailleurs et des pauvres.

    Un tel gouvernement – dans lequel chaque responsable élu ne gagnerait pas plus que le salaire d’un travailleur moyen, et serait soumis au droit de révocation à tout moment – pourrait confisquer les principales entreprises et banques qui sont toujours en ce moment aux mains des dirigeants mafieux, pour les placer sous le contrôle et la gestion démocratiques de la population laborieuse dans son ensemble. On jèterait par-là les bases pour commencer la reconstruction socialiste de la société, basée sur la planification démocratique de l’économie dans l’intérêt de tous. De telles mesures constitueraient un exemple éclatant, inspirant les masses de la région tout entière.

    Le CIO est pour la pleine reconnaissance des droits démocratiques, de la liberté d’expression, de la liberté d’association, de la liberté de presse et pour la fin immédiate de l’état d’urgence. Nous appelons à la libération immédiate de tous les prisonniers politiques en Tunisie et à la constitution de tribunaux ouvriers afin de juger les criminels, les assassins et les bourreaux qui sont toujours en maraude et qui occupent même d’importantes positions dans l’appareil d’État. L’avenir de la Tunisie ne doit pas être déterminé par un accord entre des éléments de l’ancien régime et les dirigeants de l’opposition pro-capitaliste ; au lieu de ça, il faut des élections transparentes et pleinement démocratiques pour une Assemblée constituante révolutionnaire, dans laquelle les représentants des travailleurs et des pauvres pourraient décider de l’avenir du pays.

    Nous appelons à l’organisation d’actions de solidarité avec la lutte tunisienne à l’échelle internationale. Des initiatives peuvent aider à structurer une campagne internationale afin de propager le soutien de manière active pour la révolution tunisienne en cours.

  • Rapport sur la situation à Sidi Ifni, Maroc

    Sidi Ifni, ville côtière de 20.000 habitants au Sud du Maroc, a connu les 7 et 8 juin 2008, puis à nouveau les 18 et 19 août 2008 deux vagues de répression extrêmement violentes en guise de réponse à un mouvement social qui revendique, depuis le début des années 2000, une réelle politique de développement de la région ainsi qu’une extension et amélioration des services publics.

    Par Mourad

    Le mouvement se renforce à partir de 2005: en août, une manifestation de plus de 10.000 personnes obtient l’affectation d’un chirurgien à l’hôpital, deux ambulances et la promesse de travaux d’infrastructures portuaires et urbaines. Il se structure en Secrétariat local Sidi Ifni – Aït Baamrane élabore un cahier revendicatif porté par la population. C’est du sein même de ce mouvement qu’ont émergé des groupes comme Attac Ifni et l’Association Nationale des Diplômés Chômeurs au Maroc qui, depuis leur création, font le lien entre les problèmes vécus localement par les habitants d’Ifni et les politiques globales néo-libérales capitalistes, telles qu’elles se déclinent au Maroc aussi.

    Le contexte

    Il faut savoir que la ville de Sidi Ifni est restée plus longtemps que les autres villes marocaines sous le joug colonial espagnol et n’a été rétrocédée au Maroc qu’en 1969. Ville alors florissante, elle connaît depuis un processus de marginalisation et de paupérisation. Administrativement déclassée et rattachée à la province d’Agadir en 1970, Sidi Ifni ne bénéficie pas des mêmes subventions que les villes voisine et elle vivote aujourd’hui de tourisme, de la pêche encore concédée et de l’argent envoyé par ses émigrés. Le taux de chômage actuel y dépasse les 30%. L’absence de perspectives incite nombre de jeunes à s’embarquer clandestinement vers les Canaries voisines (28 heures de traversée) ou l’Espagne.

    En revanche, les ressources halieutiques de la région attisent les convoitises de lobbies économiques extérieurs à la ville, ayant de très fortes connexions avec l’appareil sécuritaire du Royaume. Ifni voit passer le poisson mais n’en récupère pratiquement plus aucun bénéfice et même les postes de travail du port bénéficient essentiellement à une main d’œuvre extérieure à la région.

    Cela explique pourquoi, exaspérée par les promesses non-tenues et l’absence de réponses à ses demandes, la population a décidé, à la fin mai 2008, de bloquer l’accès au port, ce qui a déclenché en retour, à partir du samedi 7 juin, une répression d’une rare violence menée par les plus hautes autorités sécuritaires, ceux-là mêmes qui exerçaient tout au long des «années de plomb» et qui se trouvent avoir des intérêts directs dans le secteur de la pêche dans la région.

    Le fil des évènements

    Deux évènements ont provoqué le durcissement du mouvement :

    • Des attributions de postes au sein de la municipalité, entachées de népotisme
    • Un regain d’activité au port d’Ifni qui a fait se demander «comment tant de poisson peut arriver tous les jours au port et nous crevons de faim et restons chômeurs ?»

    Le 30 mai, à la suite d’un rassemblement de protestation, des dizaines de jeunes, soutenus par la population, partent bloquer les accès du port et empêchent la sortie des camions frigorifiques chargés de poissons destinés à être traités et conditionnés à Agadir.

    Le 2 juin, les autorités demandent l’ouverture de négociations avec les manifestants, mais elles n’aboutissent pas et dès le lendemain le groupe de bloqueurs grossit tandis que les femmes de Sidi Ifni organisent des marches de solidarité et ce plusieurs jours durant.

    Dans la nuit du 6 au 7 juin, des forces de l’ordre venues de plusieurs régions du Maroc investissent la ville, par air, par terre et par mer. Plus de 4.OOO hommes de différents corps de répression bloquent les issues de la ville, dispersent violemment le piquet de blocage du port cependant qu’ils investissent les maisons des quartiers populaires, cassant les portes et le mobilier, faisant main basse sur tout ce qui a de la valeur, terrorisant les familles au saut du lit, arrêtant à tour de bras, violentant et terrorisant les femmes, transformant les écoles en casernes.

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    Chapeaux bas devant les femmes d’Ifni

    Les femmes d’Ifni sont, comme dans bien d’autres régions du Maroc, souvent reléguées dans l’espace et les tâches domestiques et ne sortent dans la rue que couvertes d’un tissu ou d’un foulard symboles de leur décence et de leur réserve.

    Mais elles ont largement adhéré au mouvement de contestation et ont fait preuve d’un sens politique et d’un courage impressionnant. Premières victimes de la dégradation des services publics, notamment de santé, de la hausse des prix et de la disparition du poisson varié et bon marché des étals, les premières elles ont organisé des marches pour bien montrer que le bocage du port n’était pas une action minoritaire et isolée. Suffoquant de colère et de honte, elles n’ont pas hésité à témoigner, malgré les tabous, devant la presse, les télévisions, les enquêteurs, des viols et de toutes les violences physiques et verbales qu’elles ont subies.

    Alors que les forces de l’ordre quadrillaient la ville et occupaient les rues, elles sont sorties, toutes en noir, les chairs encore meurtries des coups de matraque et de godillots, pour reprendre possession de la rue et libérer l’espace public. Cette irruption des femmes sur la scène publique et politique aura de toute évidence des répercussions profondes et prolongées et constitue déjà la première victoire de la révolte de Sidi Ifni.

    Dans les rues, la police matraque et tire des bombes lacrymogènes et des balles en caoutchouc. Plusieurs témoins font état de morts, sans qu’il soit possible encore à ce jour de confirmer ou d’infirmer cette information. L’arrestation de Brahim Sebaalil et sa condamnation à 6 mois de prison, pour «diffusion de fausses informations» alors qu’il avait annoncé l’existence de morts lors d’une conférence de presse, visant bien évidemment à étouffer ce point. Des groupes de jeunes gagnent les montagnes environnantes, cependant que dans les commissariats, les personnes arrêtées par centaines sont soumises à des tortures et à des violences inouïes. La plupart seront relâchées, mais une dizaine sont inculpées et 4 sont transférées à la prison d’Inezgane. Les photos des tortures feront vite le tour du monde via Internet, des cas de viols sont dénoncés. A la télévision, le premier ministre, Abbas el Fassi, déclare qu’il ne s’est rien passé à Sidi Ifni.

    Jouant son rôle d’aide aux citoyens de façon continue, tout de suite après la répression qui s’est abattue le samedi 7 juin, Attac Maroc s’est immédiatement associée à d’autres forces pour lancer une campagne d’information et de solidarité sur le mouvement d’Ifni. L’Etat et la presse aux ordres ont immédiatement désigné Attac et l’Association Nationale des Diplômés Chômeurs au Maroc (ANDCM) comme les associations fauteuses de troubles.

    Trois commissions d’enquête ont été constituées. La première, diligentée par l’Organisation Marocaine des Droits de l’Homme, s’est rendue à Ifni quelques jours après les évènements, en compagnie d’un représentant du gouverneur de la région Souss-Massa et a été de toute évidence beaucoup plus à l’écoute des représentants des autorités que des habitants de la ville. Tout en reconnaissant l’évidence d’une forte répression policière, son rapport s’est centré sur les pertes occasionnées par le blocage du port et a minimisé les violences subies par les habitant(e)s.

    La deuxième commission, désignée par le Parlement, s’est rendue à Ifni à la fin du mois de juin mais n’a toujours pas rendu ses conclusions.

    La troisième commission constituée de 14 organisations de droits humains et du mouvement social a fait le constat des violences, viols et exactions subis par les habitant(e)s, pointé les zones d’ombre et rédigé un certain nombre de recommandations.

    Cahier revendicatif des habitants d’Ifni

    • Soins gratuits et de qualité
    • 0ctroi de cartes de la solidarité nationale aux familles pauvres
    • Versement des indemnités sociales aux ayant-droits des familles des victimes de la colonisation
    • Création de plusieurs unités industrielles dans la région afin de fournir de l’emploi aux jeunes
    • Construction d’un centre de formation aux métiers de la mer au bénéfice des jeunes
    • Octroi des permis maritimes aux jeunes chômeurs pour qu’ils puissent travailler sur les bateaux de pêche
    • Généralisation effective de la pesée électronique à la criée
    • Ouverture d’une enquête sur les dysfonctionnements existant au port
    • Octroi de permis de pêche traditionnelle aux chômeurs (un permis par personne et non pour 3 personnes comme cela se pratique)
    • Réserver un quota de pêche aux habitants de la région
    • Exécution des projets inaugurés sur le papier lors de la visite royale (assainissement, électricité, routes) malgré leur inadéquation
    • L’appel au boycott des élections législatives de 2007 avait été massivement suivi.

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    La résistance continue

    La répression qui s’est abattue sur Sidi Ifni n’est pas inédite au Maroc. Depuis 1965 et la violente répression des lycéens de Casablanca, d’autres dates aussi sombres jalonnent l’histoire du Maroc: 1981, 1984, 1994 … et aujourd’hui encore de nouveaux charniers apparaissent.

    Ce qui est nouveau, c’est que cette fois une telle violence n’a pas raison de la colère des habitants. Cinq jours après le «samedi noir» du 7 juin, une manifestation de plusieurs centaines de femmes en noir reprenait possession de la rue. Le 15, c’est une marche monstre de 12.000 personnes qui sillonne pendant plusieurs heures les rues de Sidi Ifni, avec la participation d’une caravane de solidarité venue de tout le Maroc. L’opération est rééditée le 22. Depuis, inlassablement la population se mobilise, quartier par quartier et continue à présenter ses revendications et à réclamer l’ouverture de réelles négociations, avec comme préalable la libération des prisonniers et l’arrêt des poursuites pénales.

    Le 18 août, de nouveau, des manifestants décident de bloquer l’accès au port. La répression est immédiate et de nouvelles arrestations ont lieu, mais le mouvement reste très offensif, réclamant la libération des prisonniers, la satisfaction de ses revendications économiques et sociales, la poursuite des responsables des violences policières, le respect de la dignité des habitants. Cependant, les autorités manient la carotte et le bâton, le ministre de l’Intérieur multipliant les menaces et les arrestations tout en annonçant que différents projets seront mis à l’étude et en tentant de fissurer l’unité des habitants en organisant des réunions consultatives sans réel mandat avec des notables et des représentants de la société civile choisis par les autorités.

    Leçons d’Ifni

    Le mouvement qui se déroule à Ifni est riche d’enseignements et constitue un test tant pour le mouvement ouvrier et social que pour le gouvernement. Il pose des questions qui débordent largement le cadre de ce petit port naguère un peu assoupi et s’insèrent non seulement dans un mouvement social qui s’étend dans tout le sud marocain, mais aussi dans le débat qui parcourt le mouvement ouvrier international.

    En effet, il pose les questions fondamentales des politiques de l’emploi et du développement local, de l’accès à des services publics de qualité et de leur fonctionnement, mais il pose également les questions du rapport entre l’Etat et les citoyens et plus largement de la démocratie ainsi que de la nature de l’Etat et du camp qu’il représente. Les Ifniouis réclament de l’Etat qu’il assume ses fonctions: assurer aux citoyens des services publics accessibles pour tous et de qualité, promouvoir une politique de l’emploi reposant sur des perspectives réelles de développement local, rendre des comptes à la population sur son action.

    Se heurtant à une fin de non recevoir, il n’est pas étonnant qu’ils aient boycotté massivement les dernières élections législatives, marquant par là leur colère d’être ignorés par l’Etat central mais aussi leur défiance vis-à-vis des partis tout aussi éloignés des préoccupations des citoyens. Répondre à de telles préoccupations de fond par la seule politique de la matraque ne peut qu’approfondir les rancoeurs et creuser encore le fossé profond qui sépare le pouvoir de la population.

    Mais dans le même temps, les Ifniouis ne se complaisent pas en lamentations et pratiquent une forme de démocratie directe totalement inédite dans ce pays – et dans bien d’autres – s’imposant dans le débat municipal et régional en tant qu’acteurs à part entière. Ils redonnent ainsi son plein sens au mot «citoyenneté» tellement galvaudé dans les discours de gauche et de droite, dans la presse et par les ONG.

    Il y a donc fort à parier qu’ils ne se contenteront pas du replâtrage des politiques dites de lutte contre la pauvreté comme ils ne se laisseront pas embobiner par des projets de développement qui satisferaient encore une fois les intérêts non pas de la population ni des travailleurs mais des gros bonnets de la pêche ou les multinationales du tourisme qui ont déjà manifesté leurs convoitises sur la région. Car ce qui est nettement posé derrière leur mobilisation, c’est la question de qui contrôle réellement et du contrôle ouvrier et populaire sur les politiques publiques et de la démocratie.

    Ces enjeux sont d’autant plus importants que d’autres villes, dans le sud du Maroc, connaissent des mouvements d’ampleur similaire et sur des revendications de même nature, où la question de la dignité apparaît comme centrale (citons les luttes des populations de Tata, pour des services de santé gratuits et de qualité, les luttes des habitants de Bouarfa contre la surfacturation de l’eau, les luttes des mineurs contre des conditions de travail et de salaire à peine imaginables, et plus récemment les habitants de Bouizakarn…).

    Leur lutte est exemplaire et a une portée qui dépasse largement les limites de la ville, de la province et du Maroc.

    C’est pourquoi, sur le plan national et international la solidarité s’organise afin de faire de Sidi Ifni une victoire contre l’arrogance et l’égoïsme du capitalisme. Mais la victoire définitive contre cette arrogance ne pourra être amenée qu’avec l’alternative socialiste car il n’y a qu’avec une telle alternative qu’un pays comme le Maroc pourra être réellement démocratique, vu que dans les pays dominés les bourgeoisies locales sont trop inféodées à l’impérialisme et donc de par leur système incapable d’apporter l’indépendance de fait et le développement économique et social, et aussi vu que le socialisme implique le contrôle démocratique des travailleurs et des usagers, soit de la population, sur les richesses et moyens de productions à tous les échelons quant à comment produire, en quelle qualité et quantité, comment redistribuer ces richesses et biens.

    Puis, grâce au contrôle sur les moyens de production tels que les usines, les ports et autres biens de productions de richesses, biens et services par ceux qui y travaillent et qui les utilisent, il sera possible de répartir le travail entre toutes les mains disponibles et qui en font la demande, les moyens d’existence étant en possession de ceux qui les travaillent et les utilisent. Ainsi, par exemple, ce ne sera que grâce à la possession des hôpitaux et cliniques par les personnels et les usagers et la population qu’il sera possible d’obtenir des soins gratuits et de qualité, et une telle possession collective ne peut être issue que de l’alternative socialiste. C’est pourquoi, en définitive, les droits de la population de Sidi Ifni comme du reste de tout le Maroc ne pourront être obtenus que par l’authentique socialisme démocratique, qui n’a rien à voir ni avec le social libéralisme de l’USFP ni avec le stalinisme des organisations stalino-maoïstes marocaines ou des régimes de l’ancienne URSS et des pays de l’Est.


    Liste des personnes maintenues en détention et déférées devant la cour d’appel d’Agadir

    Mohamed El Ouahadani , Ahmed Boufim, Zinelabidin Radi, Abdelkader Atbib, Brahim Bara (Attac), Hassan Agharbi (Attac), Abdelmalek Idrissi, Zakarya Rifi (ANDCM), Khadija Zyane (CMDH), arrêté à Layoune le 26 août, en plus d’une autre personne à l’identité inconnue.

    D’autres sont poursuivis mais en liberté provisoire : Fayçal Moukhilif, Khalil Ezzin, Mounir Zakarya, Abderrahmane Ben Ahmed, Abdellatif Makiza, Bouchaib El Ghati, Khalid Bouchra, Brahim Boumrah, Hassan Moumni (Attac).

    Par ailleurs, Brahim Sebaalil (CMDH) a été jugé à 6 mois de prison et est actuellement à la prison de Salé.

  • Roumanie : Grève et victoire à l’usine Dacia !

    Des milliers de travailleurs de l’usine Dacia Renault sont partis en grève pour une augmentation de 60% de leur salaire. Après 3 semaines de lutte, ils ont réussi à obtenir environ 40% d’augmentation. Dans le quotidien « Adevarul », un journaliste a annoncé la fin du mythe des travailleurs roumains bon marché.

    Le syndicat local a déclaré que plus de 80% des 13.000 travailleurs de l‘usine Dacia de Pitest (ville du sud de la Roumanie) avaient participé à la grève. La principale revendication des travailleurs, qui gagnaient environ 285 euro par mois, était une augmentation salariale de 60%. « Nous travaillons le même nombre d’heures qu’en France mais nous sommes payés des cacahuètes », rapporte un travailleur. Le syndicat a déclaré qu’il était temps « de se battre pour les salaires comme en France ».

    Renault, le fabricant automobile français, a créé l’usine Dacia en 1999 et y produit depuis lors la Logan, la voirure la moins chère de sa gamme. Évidemment, même si l’augmentation de 60% avait été obtenue, les travailleurs auraient toujours gagné moins que leurs homologues français (qui gagnent en moyenne 2.200 euros brut par mois). Néanmoins, la revendication « de se battre pour les salaires comme en France » est très importante car c’est une tentative de surmonter les divisions entre travailleurs de différents pays. L’un des principaux slogans aux piquets tenu par les grévistes était «Unitate» (unité).

    La direction de Renault a réagi de manière très agressive en essayant d’obtenir l’interdiction de la grève par voie légale. Dans une lettre ouverte au journal « Evenimentul Zilei », le directeur général de Dacia, François Fourmont, a même menacé les travailleurs en grève de fermer l’entreprise. Fourmont a déclaré à propos des revendications salariales que « ces revendications peuvent mettre en péril le futur de l’usine, il faut prendre en compte le fait que d’ici à 2010 des usines Renault au Maroc, en Inde et en Russie seront opérationnelles et capables de produire la Dacia ».

    La menace de délocaliser la production dans un pays avec des conditions salariales plus faibles est une menace que les travailleurs d’Europe de l’Ouest connaissent bien. Durant ces derniers mois, des grandes entreprises (Ford, Nokia,…) ont délocalisé une partie de leur production en Roumanie ou ont menacé de le faire. Aux travailleurs à travers l’Europe de reprendre l’exemple de Dacia…

  • IN MEMORIAM: Pierre Le Grève (1918-2004)

    Une soirée d’hommage à Pierre Le Grève s’est déroulée à la CGSP de Bruxelles le 8 novembre. Il avait rejoint le mouvement trotskyste dans les années 30.

    Guy Van Sinoy

    Dans les années 50, les trotskystes entrent au PSB pour sortir de leur isolement et y faire de l’entrisme. Après 1954, en pleine montée de la révolution coloniale, Pierre s’engagea activement dans un réseau d’aide au Front de Libération Nationale algérien. Il fut une des plaques tournantes du réseau et les services secrets français tentèrent de l’assassiner. Au cours de cette période, il développa l’idée (fausse selon nous) que la révolution socialiste n’était plus possible que dans les pays coloniaux. Militant CGSP Enseignement, il parvint lors de la grève générale de 60/61 à renverser la bureaucratie syndicale en s’appuyant sur l’assemblée générale. Pendant 27 ans il anima une équipe de militants combatifs à la tête de la CGSP Enseignement de Bruxelles.

    Exclu du PSB en 1964, il fut élu député de l’Union de la Gauche Socialiste de 1965 à 1968. Il fut un des piliers du Comité Vietnam et fonda plus tard le Comité contre la Répression au Maroc.

    Il s’est sans doute trompé sur certains pronostics politiques essentiels. Mais c’était un orateur fougueux et redoutable, une personnalité hors pair du mouvement ouvrier, un lutteur courageux et qui s’est battu jusqu’à ce que ses forces le quittent. Et cela personne ne peut le lui enlever.

  • Le peuple marocain toujours victime du régime

    Le mois dernier, Chirac s’est rendu au Maroc pour réaffirmer une nouvelle fois le soutien sans faille de l’Etat français au régime marocain.

    Pascal Grimbert

    Après les années terribles du règne d’Hassan II, réprimant férocement les opposants, maintenant son peuple dans la misère et soutenant l’impérialisme en toutes circonstances, Mohammed VI s’était présenté comme un dirigeant moderne et ouvert aux réformes. Pourtant, après 4 ans de règne, rien n’a changé : la misère et les bidonvilles sont toujours là (4 millions de personnes y survivent), la répression se poursuit (comme avec l’emprisonnement du journaliste Ali Lmrabet).

    Alors, quels étaient les enjeux de cette visite ?

    Pour le gouvernement français, c’est renforcer sa présence et son influence dans le Maghreb, où les Etats-Unis veulent développer leurs intérêts économiques, avec la signature d’un accord de libre-échange avec le Maroc.

    Pour le gouvernement marocain, il s’agit de redorer l’image déjà usée de Mohammed VI. D’abord comme soutien traditionnel de l’impérialisme occidental, ce soutien devenant problématique face au peuple marocain, avec la guerre et l’occupation de l’Irak et alors que se durcit la guerre Israël – Palestine. Ensuite en tant que " rempart " face à l’islamisme fondamentaliste, rempart ébranlé après les attentats de Casablanca et les progrès électoraux du PJD (Parti Justice et Développement). Le gouvernement a tenté à la fois de composer avec le PJD, réputé " modéré ", et de durcir la répression anti-islamiste avec une vague d’arrestations et de condamnations (dont 16 à mort), allant jusqu’à la condamnation de deux jeunes filles de 14 ans par la juridiction antiterroriste. Malgré ses effets d’annonce, Mohammed VI marche sur des œufs pour réformer le code de la famille, en particulier le statut de la femme, toujours considérée comme mineure socialement et juridiquement. La question du Sahara occidental n’est, elle non plus, toujours pas résolue, après plus de 25 ans de conflit.

    Sur toutes ces questions, c’est le peuple marocain qui fait les frais de la politique du gouvernement marocain et des impérialismes : la jeunesse, condamnée à la misère et au chômage, les femmes, toujours opprimées par un statut moyenâgeux, les paysans, menacés par l’accord de libre-échange, les travailleurs, alors que l’économie est toujours minée par la corruption et l’accaparement des richesses par quelques grandes familles.

    Tout ceci ouvre un boulevard à la démagogie des fondamentalistes islamistes, alors que le principal parti autrefois d’opposition, l’USFP, s’est totalement discrédité par sa participation à un gouvernement de coalition.

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