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Kosova. Une indĂ©pendance sous la supervision de lâEurope. Un dangereux mirage ?
La déclaration dâindépendance provoque des divisions au sein de lâUnion Européenne ainsi que de la violence aux frontières du Kosovo. Pendant que lâethnie albanaise kosovare faisait la fête avec des feux dâartifice dans les rues de Pristina, la capitale du Kosovo, les nationalistes serbes irrités arrosaient de pierres l’ambassade américaine à Belgrade. Ces deux événements étaient des réactions suscitées par la déclaration d’indépendance vis-à-vis de la Serbie du parlement kosovare le 17 février dernier.
Article de Dave Carr, publié en anglais le 20 février.
Le Kosova (ou Kosovo, comme les Serbes lâappellent) est le septième Etat indépendant à être formé depuis la dissolution de l’ancienne fédération de Yougoslavie en 1991. Mais, bien que 90% des kosovares appartiennent à lâethnie albanaise, il existe au Kosova une importante minorité serbe dâun peu plus de 5% de la population, principalement concentrée dans une enclave, au nord, et qui reste fermement opposée à la séparation de la Serbie.
Bien que la Serbie ait déclaré qu’elle ne lancerait pas une guerre pour empêcher la sécession, la violence ayant pour cible les troupes de l’OTAN de la part de certains membres de la minorité serbe peut sâintensifier dans l’enclave tout en menaçant de sâétendre à un conflit plus large dans la région.
Le 19 février, des Serbes masqués ont incendié des postes frontières qui séparent la Serbie du Kosova. Plus tard, les forces de l’OTAN ont fermé les routes menant aux points de contrôle des frontières.
En outre, le même jour, près dâun millier dâhommes – dont certains sont suspectés d’appartenir au ministère serbe de la police intérieure – ont parcouru le nord du Kosova, où la plupart des serbes kosovares vivent, augmentant ainsi la crainte que le nord soit divisé en deux le long de la rivière Ibar.
Depuis la guerre menée par l’OTAN contre la Serbie en 1999 (précédée de trois ans de guerre civile et de conflits ethniques entre le régime nationaliste serbe de Slobodan Milosevic et l’armée de libération du Kosova – UÇK – soutenue par la population albanaise, lâethnie majoritaire), le Kosova a été administré par les Nations Unies, tandis que les troupes de lâOTAN maintiennent lâordre.
Les entretiens finaux sur le statut du Kosova ont commencé en 2006, mais ils n’ont pas permis dâaboutir à un accord entre la Serbie et le Kosova, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France indiquant toutefois qu’ils reconnaitraient un Kosova indépendant. En novembre 2007, les élections parlementaires ont permis à Hashim Thaci, ancien commandant de lâUÇK, de devenir premier ministre, suivi, trois mois plus tard, par la déclaration d’indépendance coordonnée par les puissances occidentales.
Mais la déclaration d’indépendance a des répercussions politiques, non seulement en Serbie – dont le gouvernement a appelé à un rassemblement de masse pour protester tout en menaçant dâappliquer des sanctions économiques et diplomatiques – mais également dans le monde entier.
La Russie et la Chine se sont énergiquement opposées à l’indépendance kosovare. La Russie a même essayé, sans succès, de faire voter par le Conseil de sécurité de l’ONU une résolution affirmant que la déclaration d’indépendance du Kosova est « nulle et vide ».
La Russie a des liens historiques avec la Serbie et veut éviter de voir une nouvelle érosion de son influence déjà amoindrie dans les Balkans, surtout pour un Etat pro-américain. Elle craint également que la déclaration d’indépendance du Kosova puisse représenter un précédent pour les mouvements sécessionnistes de certains territoires de la Fédération russe.
La Russie a tout particulièrement peur que le Kosova stimule les séparatistes de Tchétchénie, contre lesquels la Russie a mené deux guerres sanglantes.
Le Président russe Vladimir Poutine a notamment menacé, en représailles, de reconnaitre les régions dissidentes de la pro-occidentale Géorgie : lâOssétie du Sud et lâAbkhazie, soutenues par la Russie. Il est également possible que les Serbes de l’ancienne République yougoslave de Bosnie-Herzégovine puissent réclamer un référendum sur lâoption séparatiste.
L’Union européenne, qui envoie 2.000 policiers et fonctionnaires administratifs pour surveiller la transition du Kosova vers l’indépendance, est divisée au sujet de la reconnaissance : la Chypre, la Grèce, la Roumanie, la Slovaquie et l’Espagne sây sont opposés, déclarant que cela stimulerait les mouvements séparatistes.
Cependant, avec le chômage et la pauvreté de masse qui sévit au Kosova, les puissances impérialistes occidentales craignent que, sans accorder une certaine indépendance, une révolte ou une guerre civile ne se développe contre le contrôle du pays par lâétranger. Elles préfèrent donc donner plus de pouvoir à leurs vassaux de l’élite politique du Kosova tout en gardant dans leurs mains le contrôle final. Le « nouveau Kosova » n’est pas un véritable Etat souverain indépendant, mais un « semi-protectorat » des puissances occidentales.
LâUnion Européenne va diriger le territoire tel lâOccident lâa déjà fait, tout comme pour la Bosnie, au cours de ces 10 dernières années, y compris en donnant un pouvoir gigantesque à « Bureau Civil International » qui aura le pouvoir dâabroger des lois et de démettre des fonctionnaires kosovares (Guardian, Londres, 20 février 2008). Le Kosova est d’une importance géostratégique essentielle pour l’impérialisme, en particulier dans le cadre de lâopposition face à la Russie. Les Etats-Unis ont déjà une importante base militaire dans le territoire.
LâAlternative socialiste
Sur base capitaliste, le sous-développement du Kosova, l’exploitation et la domination par des sociétés multinationales et des élites albanaises corrompues, lâextrême pauvreté et le chômage ne peuvent être surmontés. Un Kosova capitaliste indépendant ne pourrait développer ni une industrie nationale forte, ni une réelle démocratie, ni une vraie indépendance.
Pour que le Kosova puisse devenir démocratique et économiquement viable, une transformation socialiste de la société est nécessaire, basée sur la propriété publique des secteurs primordiaux de l’économie sous le contrôle et la gestion des travailleurs. Une planification économique démocratique serait également nécessaire afin de satisfaire les besoins de la société.
Un Kosova socialiste indépendant garantirait tous les droits, notamment linguistiques et culturels, des minorités. Cela peut également impliquer l’autonomie pour la minorité serbe, si celle-ci le réclame.
Câest seulement sur cette base que les craintes des minorités dâêtre opprimées dans un Kosova indépendant à dominance albanaise peuvent être surmontées et quâune vraie unité puisse être réalisée.
Ce serait un signal clair aux classes ouvrières des autres pays des Balkans qu’un Kosova socialiste indépendant veut surmonter le nationalisme dans cette région et cherche la coopération des peuples des Balkans.
Un appel devrait être lancé aux masses des travailleurs et des paysans des populations de l’ex-Yougoslavie et de l’Albanie pour emprunter un chemin socialiste et pour mettre sur pied une fédération volontaire, démocratique et socialiste des pays des Balkans.
Liens
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Environnement. A la recherche dâun bricolage rapide
La conférence de lâONU à Bali sur le changement climatique, destinée à donner une suite au très discrédité Traité de Kyoto, sâest tenue peu après la parution du dernier rapport du Groupe Intergouvernemental dâExperts sur le Climat (GIEC). Ce rapport a, pour la première fois, démontré que certains des effets du réchauffement climatique étaient déjà irréversibles.
Ce sombre avertissement est particulièrement inquiétant parce que le GIEC est sous le feu des critiques de certains scientifiques qui lui reprochent dâavoir aboutis à des conclusions trop optimistes, à cause de données dépassées. Par exemple, selon le GIEC, la fonte des glaces du Groenland prendrait 1.000 ans, tandis que beaucoup de scientifiques spécialistes des questions climatiques sont persuadés que cela se produira beaucoup plus tôt. Greg Marland de l’Institut international pour les systèmes dâanalyse appliquée (International Institute for Applied Systems Analysis), en Autriche, a soutenu dans le New Scientist que les projections du rapport du GIEC ont utilisé des données publiées en 2000, dont certaines ont été très probablement collectées en 1998. Depuis lors cependant, la production de carbone a augmenté avec plus dâintensité, notamment à cause de la récente croissance rapide des émissions de la Chine, ce qui mine sérieusement la validité des prévisions précédentes.
Le nouveau rôle de la Chine dans la pollution a été également récemment souligné par l’agence internationale de l’énergie, qui a calculé que la Chine est sur le point de rattraper les Etats-Unis en tant que plus grand producteur de gaz à effet de serre. La croissance insoutenable du pays, illustrée par l’ouverture de deux centrales électriques à charbon par semaine, coïncide avec les données selon lesquelles les puits de carbone, telles que les forêts tropicales, qui ont jusquâici absorbé la moitié des émissions humaines de gaz à effet de serre, ne peuvent plus soutenir le rythme des émissions.
Ces données sont liées à la peur croissante que de nouveaux points de non-retour soient atteints, des points où la dégradation de lâenvironnement est irréversible. Lâune de ces craintes est celle de l’effondrement du système océanique global, ce qui nâarrêterait pas seulement le Gulf Stream, mais affecterait également la mousson asiatique et mènerait au réchauffement de lâOcéan Austral et selon toutes vraisemblances aussi à la déstabilisation des glaces de lâAntarctique. Dans le pacifique, El Nino pourrait alors devenir un phénomène permanant qui accélérerait la disparition de la forêt tropicale d’Amazonie, un des principaux puits de carbone au monde. La rupture des courants océaniques est un autre point sans retour lié à la fonte des glaces polaires. Leur absence ne permettrait plus de refléter les rayons solaires au delà de l’atmosphère, ce qui renforcerait le réchauffement climatique. Ces différents points ainsi que dâautres tendent à sâalimenter les uns les autres, ce qui pourrait rapidement conduire à une détérioration rapide de la situation.
Une recherche désespérée dâune alternative bon marché
Bien que cela ne puisse pas être statistiquement établi, il est néanmoins très possible que l’ouragan Katrina ait été provoqué par l’élévation des températures dans les Caraïbes et le Golfe du Mexique. Cependant, comme Socialism Today lâavait prédit à lâépoque, cette catastrophe nâa entraîné aucune conséquence en termes dâactions efficaces de la part du gouvernement US face au changement climatique parce que les grandes entreprises ne sont pas prêtes à voir leurs bénéfices pâtir, même très modestement, dâun mouvement favorable aux sources dâénergies renouvelables. Au lieu de cela, on assiste aux USA, comme dans la plupart des autres pays capitalistes industrialisés, à une orientation plus marquée vers des politiques visant à développer l’énergie nucléaire parce que, par coïncidence, le nucléaire ne produit pas beaucoup de gaz à effet de serre et parce quâune telle adaptation implique relativement peu dâinvestissements.
Les dangers de l’énergie nucléaire ont été décrits à de nombreuses reprises dans le Socialism Today. Elle ne représente pas une solution sûre et soutenable face aux problèmes du changement climatique. Mais c’est une considération secondaire pour un système basé sur le profit, un système où le résultat à court terme est toujours prioritaire, dâoù la décision de ré-adopter l’énergie nucléaire. Mais il s’avère maintenant que le gouvernement américain a lancé des recherches pour trouver une alternative « magique » pour « réparer » le réchauffement climatique, peut-être parce que les coûts de construction de nouvelles centrales nucléaires sont inacceptables, en particulier avec lâarrivée dâune récession économique. D’autre part, cela pourrait également être lié à la panique éprouvée face à lâaccélération rapide du changement climatique, après 20 années d’inaction. Si une « solution » rapide et à bon marché était proposée, en particulier durant une crise économique, la tentation de l’essayer indépendamment de n’importe quels dangers ne pourrait-elle pas se développer ?
En 1883, une explosion volcanique a eu lieu à Krakatoa, sur les côtes de lâactuelle Indonésie, la plus grande jamais relatée dans lâhistoire : le bruit de lâexplosion a été entendu jusquâen Australie. Des millions de tonnes de cendre volcanique ont été expulsées dans l’atmosphère et ont donc plus tard été emportées partout autour du globe. Ce qui est important pour la discussion qui nous intéresse ici, câest que lâon a pu noter ensuite que ces cendres nâont pas été sans effets sur le climat parce les particules de sulfate comprises dans la cendre ont directement reflété la chaleur du soleil dans lâespace. Plus récemment encore, après l’éruption du Mont Pinatubo aux Philippines en 1991, des quantités énormes de particules de sulfate ont été éjectées dans la stratosphère et lâon a pu observer un refroidissement de la température terrestre de quelques dizaines de degré durant plusieurs années. Cela pourrait sembler infime, mais câest en fait une diminution significative de température en termes de réchauffement climatique.
Quelques scientifiques proposent aujourdâhui dâimiter les effets d’une explosion volcanique en émettant des particules de sulfate dans l’atmosphère afin de reproduire ses effets de refroidissement. Une nouvelle recherche publiée par le journal scientifique « Geophysical Research Letters » a cependant prouvé qu’il pourrait y avoir de graves conséquences si une pareille méthode était utilisée. Une étude menée par des chercheurs du National Centre for Atmospheric Research, dans le Colorado, sur les répercussions de l’explosion de Pinatubo a constaté une diminution marquée des précipitations. Ils en ont conclu que lâinjection de particules de sulfate dans la stratosphère pourrait avoir un effet désastreux sur les cycles de l’eau, conduisant à des sécheresses et à des famines catastrophiques.
Et si, à lâavenirâŠ
Est-il toutefois possible à lâavenir qu’un président des USA essaye d’imiter l’activité volcanique comme porte de sortie pour le dilemme du réchauffement climatique ? Cette pratique serait relativement facile à appliquer et bon marché, et Bush a déjà soulevé la possibilité dâinstaller dâénormes miroirs dans l’espace pour refléter les rayons solaires, une méthode qui aurait un effet climatique similaire à une explosion volcanique. Cependant, avant de sauter à la conclusion de la possibilité dâun tel scénario, cette probabilité doit dâabord être mise en perspective. Bush a en grande partie proposé son idée pour répondre à la critique selon laquelle il ne prenait pas au sérieux le réchauffement climatique, et nâa jamais véritablement eu l’intention d’agir (le vaste coût quâune telle opération impliquerait nâest pas la dernière raison de cela). Mais les futurs dirigeants des Etats-Unis auront à penser plus soigneusement que Bush aux effets du réchauffement climatique et à ses répercussions politiques.
Néanmoins, dans un contexte de crise de plus en plus profonde et désespérée du système, soulever cette possibilité nâest pas un grotesque essai de provoquer la frayeur, mais bien un sobre avertissement des dangers auxquels nous devons faire face. Il n’est pas entièrement ridicule d’imaginer un scénario dans lequel une méthode sale, mais bon marché pourrait être mise à lâessai, par exemple après qu’un second Katrina ait frappé les Etats-Unis, mais à une échelle plus grande et pendant une récession économique grave. Un futur président pourrait alors être tenté dâessayer un bricolage rapide, bon marché, mais catastrophique.
Lors d’une récente réunion tenue à Londres dans le cadre de la préparation de la manifestation de décembre sur le climat, le journaliste et militant environnemental George Monbiot a lui-même déclaré que bien que le système capitaliste soit la cause de la crise climatique, puisqu’il ne peut être détruit immédiatement, nous devons décider maintenant dâune autre action. Bien qu’il nâait assurément pas eu à lâesprit les idées exposées dans cet article, toute manière de détourner l’attention de la lutte pour remplacer le capitalisme en créant des illusions sur nâimporte quelle alternative à court terme tout en restant dans le système du marché augmenterait malheureusement seulement les risques d’un futur désastre.
Pour en savoir plus:
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La RĂ©volution Russe dâOctobre 1917 : quelques leçons, 90 ans aprĂšs
Toutes les classes dominantes dans lâhistoire ont voulu donner à leur mode de production un caractère éternel. Dans la même idée, les prophètes du capitalisme ont toujours tenté dâempêcher les travailleurs de tirer la conclusion que le capitalisme pouvait être changé.
Rappelons-nous seulement la fameuse phrase du pseudo-philosophe américain Fukuyama annonçant à grands cris « la fin de lâhistoire » après la chute de lâURSS, voulant ainsi dépeindre le système capitaliste comme lâhorizon ultime de la société humaine. Rien quâà ce titre, la Révolution Russe dâOctobre 1917 fut un événement dâune portée gigantesque : pour la première fois dans lâhistoire après la brève expérience de la Commune de Paris en 1871, les travailleurs russes ont pris le pouvoir entre leurs mains et montré que le capitalisme pouvait être renversé.
La révolution russe revue et corrigée par la bourgeoisie
Câest pourquoi étudier la révolution russe est extrêmement important, surtout lorsque lâon voit à quel point, de nos jours, cet événement historique est ârevisitéâ par certains historiens. Marx affirmait que âLes pensées de la classe dominante sont aussi, à chaque époque, les pensées dominantesâ. Cette phrase nâa pas vraiment vieillie lorsquâon voit comment lâanniversaire des 90 ans de la Révolution dâOctobre 1917 est âcommémoréeâ dans la presse et les médias officiels.
Le magazine âLâHistoireâ a édité un numéro spécialement pour lâoccasion, intitulé âLes crimes cachés du communisme – de Lénine à Pol Potâ.Tout un chapitre porte le titre âLénine est aussi coupable que Stalineâ, dossier dont le fil conducteur sert à accréditer la thèse selon laquelle le stalinisme trouverait ses germes dans le léninisme ; Lénine aurait ainsi enfanté les Staline, Mao, Pol-Pot, Kim-Il-Sung et compagnie…Le quotidien gratuit âMétroâ avait quant à lui trouvé une manière un peu plus subtile de fêter lâévénement : il y a deux semaines, une petite brève relatait la tuerie dans un lycée en Finlande. Lâarticle finissait par une petite phrase tout à fait innocente : âIl a mis ses menaces à exécution le jour anniversaire de la révolution dâOctobre.â Au début du mois, la chaîne de télévision ARTE a passé un reportage-documentaire sur la vie de Léon Trotsky. Ce reportage se concluait par lâépisode de lâassassinat de Trotsky, commentée par un historien affirmant : âEn analysant la mort de Trotsky, je pense quâil est devenu victime dâune machine quâil avait lui-même construite.â Sur cette conclusion apparaissait le générique auquel venait se greffer la citation dâun poète allemand : âLa révolution est le masque de la mort. La mort est le masque de la révolution.â Lâidée qui sous-entend cette conclusion ressort sans ambiguïté : si tu joues avec le feu en essayant de faire comme Trotsky, à essayer de renverser le capitalisme, tu vas faire naître un monstre encore plus grand⊠Mais point nâest besoin de se choquer de ce genre dâanalyses. A lâépoque même de la révolution de 1917, les journalistes de la bourgeoisie ne sâencombraient pas de toutes ces subtilités mais allaient directement droit au but, comme le montre un magnifique éditorial du âTimesâ (le quotidien britannique) paru quelques jours avant lâinsurrection qui affirmait, tout simplement : âLe seul remède contre le bolchévisme, ce sont les balles.â
Les livres dâhistoire évoquent souvent lâannée 1917 comme « lâannée terrible », illustrant le cauchemard quâelle a représentée pour les classes dominantes. Et câest bien par crainte du spectre de nouvelles années terribles que la bourgeoisie continue de faire tout, 90 ans après, pour enterrer les véritables leçons de la Révolution dâOctobre, du rôle que Lénine, Trotsky et le Parti Bolchévik ont réellement joué dans ces événements, et pour réduire cette expérience gigantesque à lâhorreur du stalinisme et des goulags.
Une tempête révolutionnaire
La victoire de la Révolution dâOctobre ainsi que les mots dâordre des Bolchéviks avaient rencontré un enthousiasme libérateur et stimulé le tempérament révolutionnaire des travailleurs et des opprimés du monde entier. Dans les années qui suivirent la révolution russe, des foyers révolutionnaires sâallumèrent aux quatre coins de lâEurope (en Allemagne, en Hongrie, dans le Nord de lâItalie, en Finlande,…) et rencontrèrent un écho considérable jusque dans le monde colonial : en Corée, en Inde, en Egypte, etc. Tous les écrits et les mémoires des politiciens bourgeois de lâépoque témoignent de la panique généralisée qui dominait dans la classe dominante, celle-ci craignant de perdre pour de bon le contrôle de la situation face à cette tempête révolutionnaire. En 1919, le premier ministre britannique Lloyd Georges écrivait : âLâEurope entière est dâune humeur révolutionnaire. Tout lâodre social, politique et économique existant est remis en question par les masses populaires dâun bout à lâautre de lâEurope. Si nous envoyons plus de troupes pour combattre la Russie, la Grande-Bretagne elle-même deviendra bolchévique et nous aurons des soviets à Londres.â Même les Etats-Unis étaient traversés par une vague de grèves sans précédent, au point que le président Wilson disait : âNous devons absolument agir pour plus de démocratie économique si nous voulons contrer la menace socialiste dans notre pays.â Ce nâest pas pour rien non plus si, en Belgique, les acquis de la journée des 8 heures et du suffrage universel (âŠpour les hommes) ont été obtenus respectivement en 1918 et 1919 : ce sont des concessions qui ont été lâchées par la bourgeoisie belge à une époque où elle craignait les soubresauts révolutionnaires qui contagiaient lâEurope entière.
Il existe un courant de pensée que lâon appelle le courant évolutionniste, suivant lequel la société humaine ne ferait pas de bonds, mais évoluerait de manière linéaire de la barbarie vers le progrès et la civilisation. Cette théorie a souvent été utilisée pour fournir une base soi-disant scientifique contre les idées révolutionnaires. En tant que marxistes, nous pensons au contraire que la société ne se développe pas dâune manière lente et évolutive. Les contradictions dans la société conduisent au contraire à des crises sociales et politiques, à des guerres et à des révolutions, autrement dit à des changements soudains et des tournants brusques. Les retombées quâa eu la victoire de la révolution russe dans toute une série de pays illustrent à quel point les acquis du mouvement ouvrier ne sont pas tombés du ciel, ou par une constante évolution du capitalisme vers plus de progrès, mais ont été obtenus par des batailles acharnées que le mouvement ouvrier a menée pour les obtenir.
Octobre : un putsch ou une révolution ?
Il est devenu courant aujourdâhui de présenter la révolution dâOctobre comme un putsch réalisé par une minorité de Bolchéviks conspirateurs. Câest probablement une des contre-vérités les plus répandues sur la révolution russe. Le schéma classique consiste à présenter la Révolution de Février 1917 comme la âvraieâ révolution populaire, suivi quelques mois après par le âcoup dâétatâ, le âcomplotâ dâOctobre. Le tout vise à dépeindre le Parti Bolchévik comme un petit groupe de gens mal intentionnés qui ont pris le pouvoir de manière despotique, sans lâassentiment populaire.
Pourtant, ce qui donna à lâinsurrection dans la capitale Petrograd le caractère dâune petite échauffourée nocturne rapide, réalisée au prix de seulement 6 victimes, et non lâaspect dâun grand soulèvement populaire avec des batailles de rue ouvertes, ne sâexplique pas par le fait que les Bolchéviks étaient une petite minorité, mais au contraire parce quâils disposaient dâune écrasante majorité dans les quartiers ouvriers et les casernes. Si Lénine dira par la suite que âprendre le pouvoir en Russie fut aussi facile que de ramasser une plumeâ, câest précisément parce que la prise du pouvoir en elle-même nâétait que le dernier acte visant à la destitution dâun régime totalement brisé, isolé et discrédité politiquement en huit mois dâexistence, un régime dont la base sociale sâétait littéralement évaporée sous ses pieds. Lorsque les Bolchéviks ont destitué le gouvernement provisoire et transmis le pouvoir aux Soviets, beaucoup pensaient que ce pouvoir ne tiendrait pas trois jours. De la même manière, beaucoup pariaient sur lâinévitable défaite de lâArmée Rouge dans la guerre civile. Si tel ne fut pas le cas, câest bien parce que les Bolchéviks disposaient dâun programme capable de rallier des millions de travailleurs et de paysans pauvres, en Russie et par-delà les frontières, dans une lutte à mort contre leurs exploiteurs.
La plupart des historiens bourgeois ne comprennent pas -ou plutôt ne veulent pas comprendre- que la révolution nâest pas un processus artificiel créé de toutes pièces, qui peut se fabriquer dans les laboratoire des état-majors des partis politiques, mais est un processus objectif qui a des racines historiques profondes dans la société : les contradictions entre les classes sociales. Pour les marxistes, les révolutions ne sont pas des surprises, mais sont préparées par toute l’évolution antérieure. La révolution arrive inévitablement quand la contradiction entre la structure de la société et les nécessités de son développement arrive à maturité : lorsque lâaccumulation quantitative de frustration encaissée pendant des décennies par les classes exploitées atteint un stade qualitatif, lorsque toute cette quantité dâénergie accumulée dans la société augmente jusquâà faire âsauter le couvercleâ.
Dans ce sens, la Révolution dâOctobre 1917 nâa été que lâaboutissement dâun processus révolutionnaire ouvert par lâécroulement du régime tsariste en février, et qui, durant cette période qui sépare la révolution de février de celle dâoctobre, va voir se déployer une énergie, une vitalité, un bouillonnement incroyable parmi les masses, et une vie politique intense. 1917 fut une année dâaction de masses étonnante par la variété et la puissance des initiatives populaires, témoin du déferlement dâun torrent de politisation générale de la société : partout, les ouvriers dans les usines, les soldats dans les casernes et les tranchées, les paysans dans les villages, avaient soif de politique, soif de sâinstruire, soif de lire des journaux, de discuter des idées, de participer aux grands débats,…Chaque ville, chaque village, chaque district, chaque province, développait ses soviets de députés ouvriers, soldats et paysans, prêts à assurer lâadministration locale. John Reed, le journaliste socialiste américain auteur du célèbre livre âDix jours qui ébranlèrent le mondeâ expliquait quâ « à Pétrograd comme dans toute la Russie, chaque coin de rue était transformée en une tribune publique. » Lâintervention active des masses dans les événements constitue lâélément le plus essentiel dâune révolution. Toute cette dynamique de masse illustre lâabsurdité des arguments sur le soi-disant âputschâ des Bolchéviks.
Les Bolchéviks et la question de la violence
Bien sûr, il est aujourdâhui de bon ton de présenter le parti Bolchévik comme des bouchers sanguinaires assoiffés de sang. On se souvient notamment de lâimage de Trotsky entourée dâune montagne de crânes et de squelettes, dépeint comme un assassin et un bourreau. Des tonnes dâencres ont été déversées pour dénoncer en long et en large la Terreur Rouge et les exactions de la guerre civile. On parle étrangement beaucoup moins du fait que la guerre civile fut suscitée par la volonté des anciennes classes possédantes de Russie et de lâimpérialisme mondial de mettre le pays à feu et à sang pour écraser la révolution par tous les moyens, et que le jeune Etat ouvrier fut réduit à une situation de âforteresse assiégéeâ par un total de 22 armées.
Le général blanc Kornilov illustrait à merveille lâétat dâesprit peu soucieux dâamabilité des capitalistes face au pouvoir soviétique lorsquâil disait : âSi nous devons brûler la moitié de la Russie et décimer les trois quarts de sa population pour la sauver, nous le ferons. Le pouvoir est aux mains dâune plèbe criminelle que lâon ne mettra à la raison que par des exécutions et des pendaisons publiquesâ. On ne peut donc pas faire une analyse un tant soit peu sérieuse si lâon ne tient pas compte quâil sâagit là du genre de bonhommes que les Bolchéviks avaient en face dâeux. Lâironie de lâhistoire est quâau début, les Bolchéviks étaient même plus quâindulgents avec leurs ennemis de classe, au point de libérer les généraux contre-révolutionnaires sur base dâun engagement sur parole quâils ne prendraient plus les armes contre le pouvoir soviétique! Bien sûr, les marxistes ne sont pas des apologistes de la violence, surtout lorsquâil sâagit dâune violence aveugle, réalisée par une minorité isolée et coupée de lâaction de masses. Les marxistes russes avaient notamment mené un combat idéologique pendant des années contre les terroristes russes, à commencer par la âNarodnaia Voliaâ (= âLa Volonté du Peupleâ), organisation terroriste qui voulait combattre lâautocratie par la seule force de la bombe et du revolver. Leur chef disait explicitement : âLâhistoire est trop lente, il faut la bousculerâ. Cette organisation va perpétrer en 1881 un attentat contre le Tsar Alexandre II, persuadée que cela allait stimuler un soulèvement général des paysans. Lâassassinat nâaura aucun écho, les auteurs seront pendus, la répression va sâabattre sur le pays et décapiter la Narodnaia Volia ; Alexandre II, quant à lui, sera simplement remplacé par Alexandre III. Les marxistes ont toujours opposé à ce type de méthodes de terrorisme individuel lâorganisation des masses.
Mais les marxistes ont aussi les pieds sur terre; ils ne raisonnent pas sous forme de catégories abstraites âpour ou contre la violence âen généralâ-, mais prennent comme point de départ de leur analyse la situation concrète. Et une réalité concrète est que lorsque la classe opprimée ose se rebeller pour ses droits, les classes dominantes nâhésitent jamais à recourir à une répression impitoyable, à un déferlement dâune violence inouïe, dépassant parfois toute imagination. Il suffirait par exemple de rappeler la répression des Communards de Paris par les bandes de Thiers, qui culmina dans un carnage effroyable, exécutant à bout portant hommes, femmes, enfants et vieillards. Le fusil ne tuant plus assez vite, c’est par centaines que les ouvriers vaincus furent abattus à la mitrailleuse. On sâapitoie souvent sur le triste sort réservée à la famille tsariste exécutée par les âRougesâ. On sâapitoie beaucoup moins sur les 5 millions de soldats envoyés par le régime tsariste se faire charcuter dans la boucherie des tranchées, parfois à pieds nus et sans armes. Il faut sâimaginer que les soldats russes devaient parfois partir à lâassaut avec un fusil pour quatre. Il est dâailleurs clair que lâhorreur de cette guerre impérialiste, dont lâunique but était le partage du monde et des sphères de marché entre les grandes puissances, jouera un rôle décisif dâaccélérateur des événements révolutionnaires de lâaprès-guerre. La combativité des masses, étouffée dans un premier temps par la propagande patriotique, va dans un deuxième temps ressurgir à la surface avec une vigueur et une vitalité exceptionnelle.
Le développement dâune conscience révolutionnaire : un processus dialectique
Il nây a pas de meilleure école que celle de la pratique : lâéducation politique des masses sâeffectue à travers leur propre expérience pratique. Ce que lâon constate dans toute période révolutionnaire ou dans toute lutte dâune certaine importance, câest que dans le feu de lâaction, la conscience politique des travailleurs peut faire des bonds gigantesques en avant. Engels disait quââil peut y avoir des périodes dans la société humaine où 20 ans apparaissent comme un seul jour, tout comme des moments où une seule journée apparaît comme 20 ans.â Lâannée 1917 en Russie illustre cette idée : la classe ouvrière russe a plus appris en quelques mois quâelle nâavait pu le faire pendant des dizaines dâannées auparavant. Câest ce qui explique comment un type comme Alexandre Kérensky, très populaire en mars â17, était unanimement détesté au mois dâoctobre. Câest ce qui explique la progression numérique fulgurante du Parti Bolchévik, qui ne comptait que quelques milliers de membres au début du mois de février, déjà 100.000 en avril, près de 200.000 au mois dâaoût et plus dâun quart de millions au début dâoctobre. On voit ainsi que, dans le cours dâune révolution, quand les événements se succèdent à un rythme accéléré, un parti faible peut rapidement devenir un parti puissant : le POUM (Parti Ouvrier dâUnification Marxiste), dans les six premières semaines qui suivirent lâoffensive révolutionnaire de juillet 1936 en Espagne, était ainsi passé dâun parti de 1000-1500 membres à plus de 30.000 membres.
Cela montre que la compréhension de la nécessité dâun parti révolutionnaire au sein de larges couches de travailleurs nâest pas quelque chose dâautomatique. Le processus qui part de l’élaboration dâun programme révolutionnaire et de lâaccumulation primitive des premiers cadres révolutionnaires jusquâà la construction de partis révolutionnaires de masse est un processus qui s’accomplit à travers divers stades inégaux de développement. Mais en dernière instance, ce nâest que lorsque les contradictions du système éclatent au grand jour que les conditions objectives se créent pour une large pénétration des idées révolutionnaires au sein de la classe des travailleurs.
Le stalinisme et le fascisme étaient-ils inévitables ?
Une chose est sûre : sâil nây avait pas eu de Parti Bolchévik en Russie, toute lâénergie révolutionnaire colossale des travailleurs aurait été lamentablement gâchée et aurait repoussé le mouvement ouvrier en arrière pour longtemps au prix dâune défaite catastrophique et sanglante, comme cela sâest dâailleurs passé en Hongrie avec lâavènement de la dictature militaire du général Horthy, ou en Allemagne et en Italie avec la montée au pouvoir du fascisme. Ces régimes vont liquider avec zèle les syndicats et les organisations ouvrières, torturer et massacrer les communistes et les socialistes par milliers. La communiste allemande Clara Zetkin lâavait compris, elle qui déclarait en 1923 que âle fascisme sera à lâordre du jour si la Révolution Russe ne connaît pas de prolongement dans le reste de lâEurope.â Le fascisme a été le prix à payer de la trahison des partis de la social-démocratie, et de lâinexistence ou de la faiblesse dâun parti politique de type Bolchévique comme il en existait un en Russie.
Mais ce prix, les travailleurs russes le payeront également. Car ces défaites vont contribuer à lâisolement de la révolution russe dans un pays extrêmement arriéré, et, en conséquence, à sa dégénérescence vers une dictature bureaucratique et totalitaire. En 1924, Staline mit en avant la théorie du âsocialisme dans un seul paysâ, afin de se débarrasser de la tâche de la construction de la révolution mondiale, et pour protéger les intérêts et privilèges de la bureaucratie montante, notamment en empêchant le développement et lâaboutissement dâautres révolutions ouvrières qui auraient pu mettre ces privilèges en péril. Cette dégénérescence sera elle-même facteur de nouvelles défaites (comme lors de la révolution chinoise de 1926-27).
Lorsque Lénine arriva à Pétrograd au mois dâavril 1917, le président du soviet (encore un Menchévik à lâépoque) va prononcer un discours rituel dâaccueil; Lénine va lui tourner le dos, grimper sur un char, se tourner vers la foule des travailleurs et proclamer : âLâaube de la révolution mondiale est arrivée…Vive la révolution socialiste mondiale!â Ce slogan sera gravé plus tard sur le socle dâune statue de Lénine érigée à cet endroit…mais en y retirant le mot âmondialeâ! La fameuse théorie de Staline du âsocialisme dans un seul paysâ était une théorie réactionnaire qui allait à lâencontre de tout lâenseignement marxiste et de toute la tradition internationaliste du Bolchévisme; ce ne fut en fait rien dâautre que le couronnement idéologique de la position de lâappareil bureaucratique stalinien qui va sâériger et se conforter sur les ruines de toutes ces défaites du mouvement ouvrier.
Le Parti Révolutionnaire : un ingrédient indispensable
Trotsky expliquait que « Sans organisation dirigeante, l’énergie des masses se volatilise comme de la vapeur non enfermée dans un cylindre à piston. » La révolution dâOctobre nâaurait jamais pu aboutir sans lâexistence dâun tel parti, capable de donner à la force spontanée des travailleurs une expression politique consciente, organisée et disciplinée ou, pour reprendre lâexpression de Lénine, pour âconcentrer toutes les gouttes et les ruisseaux du mécontentement populaire en un seul torrent gigantesque.â Toute révolution exige une organisation sérieusement structurée pour définir et mettre en application un programme, une stratégie, des tactiques correspondant aux diverses phases de la lutte et à lâévolution des rapports de force. Comment les Bolchéviks ont-ils été capables de conquérir un territoire géographique aussi vaste que la Russie ? Cela sâexplique par le vaste réseau de cadres révolutionnaires que Lénine et le Parti Bolchévik avait construit et formé pendant des années. Pendant la révolution, des détachements dâouvriers et des régiments de soldats envoyaient des délégués au front, allaient conquérir les régiments arriérés, se cotisaient pour envoyer des délégués dans les provinces et les campagnes dont ils étaient originaires, parfois dans les régions les plus reculées du pays. Certains cadres passaient des journées entières à haranguer les usines, le front, les casernes,…sans relâche. Câest comme ça quâen quelques mois, en sâappuyant sur le développement de la révolution, le parti a été capable de convaincre la majorité des travailleurs de la justesse de ses mots dâordre. Cela illustre lâimportance de la construction préalable dâun parti de cadres formés et préparés aux événements, éprouvés et trempés dans la lutte, prêts au sacrifice, et capables par lâexpérience quâils ont accumulée, de jouer un rôle décisif au moment fatidique. Là était toute la force du parti Bolchévik.
Ce dernier nâétait pourtant suivi en février 1917 que par une insignifiante minorité de la classe ouvrière. Lors du premier congrès des Soviets en juin, sur 822 délégués, seulement 105 étaient Bolchéviks, montrant quâune majorité encore imposante des ouvriers soutenait les partis Mencheviks et âSocialiste-Révolutionnaireâ. Ces partis jouaient littéralement le rôle de commis de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier : soucieux de respecter les engagements pris avec lâimpérialisme étranger, ils appuyaient la poursuite jusquâà la victoire dâune guerre massivement rejetée par la population, sâévertuaient à freiner les revendications sociales, refusaient dâaccorder la terre aux paysans. En dâautres termes, ils faisaient tout pour empêcher la réalisation de revendications qui puissent empiéter sur les intérêts des classes possédantes. Ils prônaient la collaboration entre deux formes de pouvoir irrémédiablement incompatibles et sâappuyant sur deux classes antagonistes : dâun côté, les soviets, épine dorsale de la révolution représentant les masses laborieuses en action, et de lâautre, le gouvernement provisoire représentant la bourgeoisie et les propriétaires terriens. Alexandre Kérensky était la forme achevée de ce rôle conciliateur, étant pendant toute une période à la fois vice-président du Soviet de Pétrograd et membre du gouvernement provisoire. Son action, comme celle de tous les politiciens Menchéviks et S-R, était guidée par lâidée de contenir les masses et de maintenir les Soviets dans le giron de la bourgeoisie. Mais au fur et à mesure que les masses populaires devenaient plus radicales, poussaient pour mettre en avant leurs revendications propres et une politique indépendante, autrement dit au plus les masses évoluaient vers la gauche, au plus ces politiciens étaient repoussés vers la droite. Kérensky finira dâailleurs par dire : âLe gouvernement provisoire non seulement ne sâappuie pas sur les soviets, mais il considère comme très regrettable le seul fait de leur existence.â
Ce processus illustre quâil nây a pas de troisième voie, de solution âà mi-cheminâ entre le pouvoir des capitalistes et celui des travailleurs. Et ça, câest une leçon que les anarchistes espagnols âainsi que le POUM à leur suite- nâont pas compris lors de la révolution espagnole de 1936 : dans une situation de dualité de pouvoir, caractéristique de toute situation révolutionnaire, câest-à-dire au moment crucial où il faut choisir entre deux formes de pouvoir différents, les dirigeants anarchistes de la CNT, refusant a priori toute forme de pouvoir quelle quâelle soit, vont non seulement accepter de laisser les rênes de ce pouvoir dans les mains de lâennemi de classe, mais même participer à la reconstitution de lâEtat bourgeois en acceptant des portefeuilles ministériels dans le gouvernement de Front Populaire.
Marx disait que âDans toute révolution, il se glisse, à côté de ses représentants véritables, des hommes d’un tout autre caractère; ne comprenant pas le mouvement présent, ou ne le comprenant que trop bien, ils possèdent encore une grande influence sur le peuple, souvent par la simple force de la tradition.â Lors de la révolution russe, ce rôle fut incontestablement joué par les Menchéviks et les S-R. Mais ce nâest que peu à peu, et seulement sur la base de leur propre expérience à travers les différentes étapes de la bataille, que les couches les plus larges des masses ont fini par se défaire de ces partis, et par se convaincre que la direction Bolchévique était plus déterminée, plus sûre, plus loyale, plus fiable, que tous les autres partis. Les 8 mois qui séparent Février dâOctobre ont été nécessaires pour que les travailleurs et les paysans pauvres de Russie puissent faire lâexpérience du gouvernement provisoire, et pour que, combiné avec le travail mené par le Parti Bolchévik, les larges masses puissent arriver à la conclusion que ce régime devait être renversé car il nâétait pas le leur, mais celui de la bourgeoisie et des grands propriétaires ; à lâinverse, le parti Bolchévik était quant à lui le seul parti prêt à les défendre jusquâau bout, jusquâà lâultime conclusionâŠcâest-à-dire jusquâau pouvoir.
Mais la condition pour cela était évidemment lâexistence même dâune organisation véritablement révolutionnaire capable, de par sa lucidité politique et sa détermination, de contrecarrer lâinfluence des appareils et des politiciens traîtres et réformistes. Lâabsence dâun tel facteur sera à lâorigine de toutes les défaites révolutionnaires ultérieures. En maiâ68, dix millions de travailleurs étaient en grève en France, occupant leurs usines, dressant des comités ouvriers dans tout le pays. La classe ouvrière française était à deux doigts du pouvoir .Mais la bureaucratie stalinienne du Parti Communiste Français refusera de prendre ses responsabilités : elle va dénigrer les étudiants en lutte qualifiés pour lâoccasion de ârenégats gauchistesâ ou de âfaux révolutionnairesâ, nier le caractère révolutionnaire du mouvement, et détourner la lutte vers la voie électorale avec des slogans tels que ârétablissons lâordre dans le chaosâ. La plus grosse grève générale de toute lâhistoire va ainsi refluer faute de perspectives politiques, et câest ainsi que la plus belle occasion pour les travailleurs de prendre le pouvoir dans un pays capitaliste avancé sera perdue.
La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire
Marx affirmait que âles révolutions sont les locomotives de lâhistoireâ. Mais chacun sait quâune locomotive a besoin dâun bon conducteur pour arriver à destination, sinon elle risque de dérailler rapidement. De la même manière, si la révolution ne dispose pas dâun bon conducteur pour lâorienter, sous la forme dâune direction révolutionnaire, elle déraille aussi. Et une chose dont nous pouvons être sûrs, câest que la locomotive de la révolution nâattendra pas les révolutionnaires ; elle ne laisse en général que peu de temps à la confusion et à lâhésitation. Le sort des partis qui ne sont quâà moitié ou au quart révolutionnaires est de passer en-dessous des roues de la locomotive : câest ce qui est par exemple arrivé au POUM en Espagne, dont beaucoup des militants vont payer de leur vie les erreurs et les hésitations de sa direction. Câest aussi ce qui est arrivé au MIR au Chili en 1973, dont de nombreux militants vont finir leur vie torturés dans les geôles de Pinochet. Lâapproche et les méthodes gauchistes du MIR vont le rendre incapables de développer une assise significative au sein du mouvement ouvrier. Ce qui met en avant un autre élément fondamental : se dire révolutionnaire est une chose ; mais encore faut-il arriver à transcrire le programme révolutionnaire de manière correcte dans la réalité vivante, avec une approche et des revendications qui soient adaptées à chaque situation spécifique, à chaque étape de la lutte, tenant compte du niveau de conscience, des traditions du mouvement ouvrier dans chaque pays, etc. Lénine disait que âle marxisme, câest avant tout, lâanalyse concrète de la situation concrète.â Il est clair par exemple que le slogan âTout le pouvoir aux sovietsâ était un slogan directement adapté aux conditions spécifiques de la Russie de 1917. Lors de la révolution chilienne de 1973, un tel slogan aurait dû être traduit par quelque chose comme âTout le pouvoir aux cordons industrielsâ les cordons industriels étant les organismes de classe rassemblant les travailleurs et les habitants des quartiers ouvriers qui étaient apparus pendant le processus révolutionnaire au Chili. Mais lorsque les staliniens du Parti Communiste Espagnol vont lancer au début des années â30 le mot dâordre: «A bas la République bourgeoise ! Tout le pouvoir aux soviets ! » à une période où la république venait dâêtre proclamée et où il nâexistait pas lâombre dâun soviet ou dâun organisme semblable dans toute lâEspagne, le seul résultat quâils pouvaient obtenir était de sâisoler complètement des massesâŠ
Cette discussion met en évidence une des principales contributions de Trotsky au marxisme, à savoir le âProgramme de Transitionâ. Trotsky expliquait quâil faut aider les masses, dans le processus de leurs luttes quotidiennes, à trouver le pont entre leurs revendications actuelles, immédiates, et le programme de la révolution socialiste. Ce pont doit consister en un système de revendications transitoires, qui partent des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de travailleurs pour conduire à une seule et même conclusion : la révolution socialiste et la conquête du pouvoir. Câest-à-dire élaborer un panel de revendications qui, en partant des besoins concrets et du niveau de conscience des travailleurs et de leurs familles, sont par essence incompatibles avec le maintien du système capitaliste. Le slogan des Bolchéviks âPain, Terre et Paixâ, dans une situation où la famine rôdait, où la paysannerie avait soif de terre, et où le ras-le-bol de la guerre était général, faisait ainsi directement appel aux aspirations les plus profondes de la majorité de la population laborieuse, et, tout en même temps, renvoyait implicitement à la nécessité de renverser le pouvoir de la bourgeoisie; cette dernière, pieds et poings liés et avec lâimpérialisme étranger et avec les grands propriétaires fonciers, était absolument incapable de satisfaire ne fût-ce quâune seule de ces revendications.
Trotsky commençait son programme de transition en disant que âLa crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire.â Le rôle et la responsabilité de la direction politique dans une époque révolutionnaire sont effectivement dâune importance colossale. Dans une telle époque, en lâabsence dâun parti révolutionnaire, les espoirs des masses font place à la désillusion, lâennemi tire profit de cette désillusion et se remet de sa panique, les masses découragées se lancent dans des explosions désordonnées et sans perspective, et câest la défaite assurée.
Bien sûr, la construction dâun Parti Révolutionnaire nâest pas seulement importante dans une époque révolutionnaire. En effet, la construction dâun cadre marxiste révolutionnaire solide et préparé ne peut pas sâeffectuer du jour au lendemain, mais exige au contraire des délais considérables que la rapidité des processus révolutionnaires ne laisse pas le temps dâentreprendre en quelques jours, semaines ou mois. La société connaît, à côté des périodes dâouverture révolutionnaire, des périodes dâun tout autre caractère : des périodes de réaction, de recul, durant lesquelles la lutte du mouvement ouvrier ainsi que les idées socialistes sont poussées sur la défensive. Nous avons connu une telle période après la chute des régimes staliniens dans les années â90, période durant laquelle les révolutionnaires devaient complètement nager à contre-courant dans la société pour pouvoir exister. Dans un tout autre contexte, les Bolchéviks avaient connu une période similaire après la défaite de la révolution russe de 1905. Sous les coups de la répression et de la démoralisation, le parti subit une véritable hémorragie en termes de membres, et mêmes certains cadres dirigeants du parti succombèrent à la pression et au défaitisme ambiants ; pour exemple, Lounatcharsky développa un groupe appelé âLes Constructeurs de Dieuâ, qui se fixait pour idée-maîtresse de présenter le socialisme sous la forme dâune religion, jugée selon eux « plus attractive » que la lutte des classes pour les masses déçues et démoralisées ! Néanmoins, la volonté infatigable de Lénine de sâacharner, même dans ces conditions difficiles, à construire et à former un cadre révolutionnaire pendant cette période va considérablement aider le Parti Bolchévik à pouvoir affronter les défis et les tâches grandioses qui allaient lâattendre quelques années plus tard.
Lénine avait certes éduqué un cadre sur base de perspectives qui révéleront leur faiblesse dans la pratique en 1917. En effet, jusque-là Lénine croyait encore à lâidée dâune révolution par étapes nettement séparées dans le temps : une première étape à caractère démocratique-bourgeoise, portée par une « alliance démocratique entre le prolétariat et la paysannerie » (câest-à-dire une révolution prolétarienne dans sa forme, mais bourgeoise dans son contenu), suivie dâune étape socialiste plus lointaine ; ces deux étapes étant entrecoupées dâune période significative de développement capitaliste du pays. Cependant, refusant de sâaccrocher aux vieilles formules, et proclamant que « le vieux bolchévisme doit être abandonné », Lénine corrigera ses perspectives à la lumière des événements, lors de lâéclatement de la révolution. Là est toute lâessence de ses âThèses dâAvrilâ, dans lesquelles il rallie la perspective dâune ârévolution permanenteâ avancée depuis plusieurs années déjà par Trotsky. A partir de ce moment, tout son travail consistera à tenter dâinfléchir la ligne du Parti Bolchévik en vue dâune telle perspective : armer politiquement le parti pour le préparer à une rapide prise du pouvoir par les soviets, à lâinstauration dâun gouvernement ouvrier et des premières mesures socialistes.
Avec le recul, on peut aisément affirmer que Trotsky disposait de perspectives plus élaborées que Lénine. Mais le développement théorique plus consistant de Trotsky ne peut se comprendre sans tenir compte du fait que durant toutes les années qui précèdent la révolution de 1917, toute lâénergie de Lénine était concentrée sur la construction du Parti Bolchévik, à une époque où, de ses propres aveux, Trotsky nâavait pas encore saisi toute lâimportance dâun parti soudé et centralisé comme condition indispensable pour atteindre le but révolutionnaire, et, jusquâà un certain point, entretenait encore lâillusion dâune âréconciliationâ entre la fraction réformiste (les Menchéviks) et la fraction révolutionnaire (les Bolchéviks) de lâancien POSDR (Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie). Câest finalement la révolution elle-même qui permettra de rassembler les deux hommes autour dâune même perspective et dâune même conception du type de parti nécessaire.
Ne laissons pas ces leçons sur le papier !
A dâinnombrables reprises dans lâhistoire, les travailleurs ont tenté de suivre la voie des travailleurs russes, de se frayer un chemin vers le pouvoir et vers lâinstauration dâune société socialiste. Lors de la révolution portugaise de 1974, les travailleurs en étaient tellement proches que la presse annonçait déjà âla fin du capitalismeâ au Portugal ! On pourrait multiplier ces exemples. Lâhistoire du capitalisme est jalonnée de nombreux combats révolutionnaires héroïques menés par le mouvement ouvrier pour son émancipation. Mais à lâexception de la révolution russe, la défaite a été lâissue de tous ces combats pour la seule raison quâils nâavaient pas à leur tête une direction politique expérimentée, préparée à encadrer ces mouvements, à leur donner une perspective, et à les faire aboutir jusquâà leur conclusion logique et naturelle. Malgré sa dégénérescence ultérieure, malgré les décennies de pourriture du stalinisme, la révolution russe continuera de se distinguer de toutes les autres révolutions ouvrières sur un point essentiel : câest la seule qui a abouti. Dès lors, sâatteler à la construction dâune organisation révolutionnaire internationale est la leçon la plus générale, mais aussi la plus importante, que lâon puisse dégager dâune telle discussion aujourdâhui, afin dâéviter de nouvelles défaites au mouvement ouvrier et dâassurer un meilleur avenir pour les générations futures.
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Au Carrefour du monde
« En quelques années, le fonctionnement de la grande distribution a été chamboulé de fond en comble. Il faut comprendre ces changements et ce quâils impliquent pour pouvoir adapter notre propre stratégie de défense de lâemploi et des travailleurs ». Câest ce que nous a expliqué un militant syndical liégeois de Carrefour que nous avons rencontré récemment.
Jean Peltier
« Il est fini le temps où nous avions face à nous des groupes comme GB et Delhaize dont les patrons étaient belges et qui fixaient leur objectifs à Bruxelles. Aujourdâhui, la stratégie dâun groupe de grande distribution est définie centralement à New York, Londres, Berlin ou Paris pour des groupes multinationaux qui sont actifs sur tous les continents, à travers leurs magasins mais aussi leurs fabricants et sous-traitants. Dès lors, la question de la rentabilité ne se pose plus du tout comme avant au niveau de chaque magasin. Dâune part, parce que les marchandises et lâargent circulent sans arrêt entre les magasins en fonction des demandes et, dâautre part, parce que ce nâest pas sur les ventes de laitues et de couchesâculottes quâun groupe comme Carrefour base sa stratégie et réalise ses bénéfices. La grande majorité des produits qui ornent les rayons servent principalement à fidéliser une clientèle locale vis-àvis de laquelle Carrefour à dâautres intentions.
« Lâ élément-clé de la stratégie commerciale du groupe, câest le produit qui bénéficie de la superpromotion en première page du dépliant publicitaire que vous recevez deux fois par mois dans votre boîte aux lettres : écran plat dâordinateur, TV numérique, cartable pour la rentrée,⊠Le choix de cet article nâest pas laissé à la direction dâun magasin ou même dâun pays : câest une décision impliquant plusieurs pays qui concentrent leurs moyens sur cet article.
« Une publicité de ce type, cela peut signifier 1 million dâécrans plats produits par une usine, souvent chinoise, avec laquelle traite le groupe. Comme cette production est colossale pour lâusine, Carrefour peut lui imposer des prix de vente très bas, en laissant aux patrons de cette boîte le soin de se payer sur le dos de leur personnel.
« Chaque magasin a un quota de ce produit à vendre. Sâil lâatteint, il reçoit immédiatement un nouvel arrivage provenant de magasins où la vente a été moins bonne. Lâensemble de la production peut ainsi être écoulée en deux mois, ce qui représente déjà un fameux bénéfice pour le groupe. Mais lâhistoire ne sâarrête pas là. Car, profitant de son poids, Carrefour a imposé une clause supplémentaire à son producteur chinois : celui-ci ne sera payé que six mois après la livraison du produit. Pendant ce temps, lâargent des ventes est placé en banque ou en Bourse, où il rapporte des intérêts conséquents qui viennent sâajouter aux bénéfices réalisés sur la vente. Double profit donc et sur des sommes colossales !
« Un tel fonctionnement multinational donne évidemment un rapport de forces bien meilleur à la direction de Carrefour vis-à-vis de ses travailleurs. Mais cette stratégie a aussi ses contraintes. Carrefour a besoin dâavoir un maximum de magasins qui sont autant de « vitrines » pour écouler ses propres produits (gamme N°1,âŠ) et surtout ses « offres spéciales ». Dès lors, fermer des magasins, câest perdre des clientèles locales et offrir à ses concurrents (qui agissent de plus en plus avec les mêmes stratégies) des possibilités de « capter » ces clientèles â ce que chaque direction veut par-dessus tout éviter.
« A condition que les syndicats comprennent bien cette nouvelle réalité, ce qui est loin dâêtre toujours le cas, il y a là de nouvelles possibilités de lutte pour défendre lâemploi â y compris en impliquant les populations « clientes » et en mettant en cause lâ « image de marque » de ces groupes multinationaux. »
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Perspectives pour la lutte des classes en République « Populaire » de Chine
Lors de notre dernière école dâété sâest tenue une large discussion sur la Chine. Dans quelle direction sâengage ce colosse dâAsie ? La Chine a-t-elle les moyens de sortir lâéconomie mondiale de ses crises ? Quelle sont les conditions de vie dans ce pays qui soi-disant construit le « socialisme » ? Câest à ces questions – et à bien dâautres, comme celle de la pollution – que nous nous sommes intéressés. Voici un résumé des différentes contributions.
Enlèvement et trafic dâenfants esclaves : un élément révélateur de la situation en Chine
Tout récemment, lâimplication du Parti « Communiste » Chinois dans le trafic dâesclaves en Chine a pu être prouvée. La nouvelle de cette exploitation immonde ainsi que le soutien avéré du gouvernement à ces pratiques a été un choc pour la population : des enfants enlevés travaillaient 18 heures par jour et depuis des années (lâun dâentre eux a été exploité ainsi durant 7 ans avant de réussir à sâéchapper). A côté des enlèvements, on trouve aussi des enfants vendus par des parents désespérés par leur situation économique. Comment cela a-t-il pu être possible â et surtout pendant aussi longtemps ? Dans une des briqueteries liée à ce scandale, un enfant a expliqué que le propriétaire possédait en réalité toute la ville. Quand la police passait, ils ne faisaient que discuter avant de sâen aller. En fait, cette affaire révèle lâampleur de la corruption qui sévit en Chine ainsi que la manière dont le régime choisit ses priorités.
Un des responsables du gouvernement a ainsi déclaré : « Il sâagit dâun conflit entre le travail et le capital, nous ne pouvons pas intervenir ». Un autre responsable du PCC a lui déclaré : « Ce nâest pas notre faute si vos enfants sont kidnappés, vous nâavez quâà mieux vous en occuper ». Le gouvernement a toutefois été contraint dâautoriser la divulgation de ces informations, qui ont défilé sans arrêt durant une semaine sur la chaîne officielle.
Alors que lâon parle sans cesse du boom économique chinois, cette situation est une réalité pour des centaines de milliers de Chinois, particulièrement dans les régions rurales beaucoup plus pauvres.
Des conditions de travail quâapprécient les multinationalesâŠ
Pour régler cette situation catastrophique, la bourgeoisie a ses solutions. Le ministre du commerce de Suède a par exemple déclaré « Au plus nous commercerons avec la Chine, au plus celle-ci évoluera vers la démocratie ». Cette déclaration est révélatrice de la manière dont les profits des entreprises passent avant toute autre chose dans le système capitaliste. Car les moindres coûts de la Chine sont le résultat dâune exploitation sans précédent : salaires de misère, horaires insoutenables, punitions corporelles, retenues sur salaires,⊠Mais, à cela, les entreprises étrangères ont leurs réponses. Ainsi, quand H&M est critiquée pour lâexploitation dâenfants en Chine, lâentreprise rétorque : « Ce nâest pas nous, ce sont les sous-traitants ».
De fait, la Chine développe un labyrinthe de sous-traitants derrière lesquels se cachent les multinationales (comme cela se fait aussi ailleurs, au Bangladesh notamment). Ainsi, alors que les multinationales ont – sous la pression des consommateurs – adopté des clauses éthiques, il ne sâagit en réalité que dâune gigantesque escroquerie destinée à gagner la confiance du marché. Les multinationales disent aussi envoyer régulièrement des inspecteurs vérifier sâil nây a pas dâenfants au travail ou dâautres abus. Mais tout comme cela se faisait au 19e siècle, les entreprises sont prévenues à lâavance de leur arrivée. Lâutilisation de différentes cartes de pointages a aussi été instauré : lâune nâexcède pas les huit heures tandis que lâautre compte encore quatre ou cinq heures de plus. Il y a même un système de salaires officiels et officieux, les travailleurs rendant le « surplus » à la sortie. On estime en fait que 60% des entreprises en Chine ne respectent pas la législation.
Même si une loi est récemment passée instaurant un nouveau salaire minimum, il est très difficile de vérifier lâétendue de son application. Comme la plupart des lois chinoises, celle-ci est plus une ligne de conduite à respecter (ou non) plutôt quâune véritable loi contraignante. Le plus bas salaire minimum dans une province est de 25 euros par mois, tandis que le bas salaire le plus haut en Chine est de seulement 85 euros par mois. Quant à la couverture sociale, seul un dixième des travailleurs possède une couverture sociale.
Il y a actuellement quelques 600.000 entreprises étrangères en Chine. En fait, pour tenir le coup face aux concurrents, câest devenu presque une obligation de sâimplanter dans ce pays. Lâéconomie chinoise est ainsi devenue celle qui se développe le plus au monde avec une croissance économique pour cette année de 12%, un record depuis 1995 (ce chiffre est à nuancer, la Chine a déjà connu des croissances beaucoup plus impressionnantes). Il semblerait même que la Chine ait dépassé lâAllemagne sur le plan économique, lui raflant la troisième place dans lâéconomie mondiale. On peut aujourdâhui comparer lâéconomie chinoise à une gigantesque locomotive lancée à toute allure et que personne ne sait comment arrêter. La Chine a par exemple construit plus de voitures que les USA lâan dernier alors que la production était quasiment inexistante il y a 10 ans. Selon le Financial Times, sur les 100 plus grandes entreprises au monde, 7 sont françaises, 3 italiennes, 6 japonaises, et 6 chinoises. De même, depuis la privatisation des 4 grandes banques chinoises, 3 dâentre elles sont déjà bien installées dans le top 10 des plus grandes banques du monde tandis que la dernière vient dây faire sont apparition. Mais bien que le marché intérieur se développe un peu, la Chine est incapable de fournir un milliard de nouveaux consommateurs, contrairement aux désirs de lâOrganisation Mondiale du Commerce dont la Chine est membre depuis maintenant 6 ansâŠ
Une croissance économique au détriment des travailleurs et de leur environnement
La Chine est l’un des plus grands pollueurs mondiaux. En 2006, elle a émis 8% de gaz carbonique en plus que les USA. Dâici 2020, en terme de production de gaz toxiques (tous confondus), la Chine sera un 2e Etats-Unis. Le gouvernement chinois nâa en fait plus aucun contrôle sur son économie, qui est devenue un jouet aux mains du marché mondial. De plus, le pouvoir central a du mal à se faire respecter par les pouvoirs régionaux. Donc, et ce malgré les déclarations fracassantes du régime, lâévolution prend la forme dâun recul sur la question environnementale. Câest ainsi quâau bas mot 750.000 personnes meurent chaque année en Chine à cause de la pollution, principalement celle de lâair. Lâindice de pollution de lâair à Pékin est deux fois supérieur à celui relevé à Mexico ou à Los Angeles. Pour les enfants, on calculé que cela revenait à fumer 40 cigarettes par jour. Cette situation est similaire dans les deux-tiers des villes chinoises dont lâair est de très mauvaise qualité. Mais le gouvernement ne ménage bien entendu pas ses efforts pour ne pas ébruiter ces informations de crainte de susciter des troubles : il y a déjà eu des centaines de milliers dâactions de protestation concernant uniquement la thématique de lâenvironnement ces dernières années. Quelques- unes ont même réussi à obtenir des effets positifs. Les slogans utilisés lors de ces actions sont du genre : « Nous ne voulons pas de PIB, nous voulons une vie ».
Services publics et acquis en déclin
Il y a aujourdâhui plus de voitures à Pékin quâà Londres et 1.000 voitures supplémentaires arrivent chaque jour. Le sous-investissement dans les transports en commun, lui, est tout aussi flagrant. A titre de comparaison, on trouve dans une ville comme Shanghai moins de la moitié des transports en commun qui existent dans une ville dâun pays capitaliste développé. Dans 1/3 de la Chine, il nâexiste dâailleurs aucun subside gouvernemental pour les transports en commun alors que, malgré les privatisations, de tels subsides existent encore dans les villes des pays capitalistes.
Le système de soins de santé a lui aussi beaucoup souffert alors quâil était un modèle et un exemple dans le monde néo-colonial il y a trente ans. Lâespérance de vie de la population était même passée de 39 ans en 1949 à 70 ans en 1969. Mais aujourdâhui, plus de 400 millions de Chinois nâont pas les moyens de faire appel à un véritable médecin et plus de la moitié des malades nâont accès à aucun traitement quel quâil soit. Dans un pays ou plus de 70% de la population rurale nâa pas accès à des sanitaires⊠Et si les hôpitaux sont encore propriété dâEtat, ils ne reçoivent aucun subside et doivent fonctionner seuls et donc adopter une attitude commerciale pour sâen sortir. Tomber malade est devenu un véritable cauchemar.
Dans certaines villes, le personnel porte même un gilet pare-balles en prévention de la colère des familles ou des patients mécontents. Un hôpital a par exemple été rasé par 2.000 personnes en réaction à la mort dâun enfant pauvre qui nâavait reçu aucun soin à lâhôpital. Pourtant, un cinquième des réserves en liquidités de lâEtat suffiraient à résoudre le problème des soins de santé. Mais la Chine est obligée dâutiliser cet argent pour investir dans les obligations américaines pour éviter lâinflation. Voilà une absurdité des plus ridicules : lâargent existe, mais on ne peut pas lâutiliser.
Une situation pareille est dâautant plus infâme quâelle côtoie des écoles dâélite à 300.000 euros par an où les cours de golf sont obligatoires, pour les enfants de la bureaucratie « communiste » et de la classe capitaliste naissante.
Un gouvernement à la fois impuissant et complice
Les luttes entre les régions et le centre sont millénaires en Chine, mais il faut aujourdâhui y ajouter les conflits avec â et entre – les mafias, les relations avec les entreprises et les Etats capitalistes, les querelles au sein de la bureaucratie,⊠En fait, restaurer lâautorité du gouvernement central de manière administrative est impossible. La seule solution serait de faire appel aux masses, un peu comme lors de la révolution culturelle, mais le régime a bien trop peur, à juste titre, de perdre le contrôle du mouvement.
La classe ouvrière représente aujourdâhui en Chine 256 millions de personnes. Mais à cause de la répression, elle ne peut développer son propre mouvement. Celle-ci existait déjà du temps de Mao, mais les acquis sociaux en limitaient relativement les effets. En fait, sous la pression de la base, Mao a été forcé dâaller plus loin que ce quâil imaginait au départ. Malgré tout, une grève démarre toutes les cinq minutes en Chine. Malheureusement, la grande majorité de ces grèves sont spontanées et sans aucune coordination. Dans cette situation, la plupart ne durent au mieux que deux jours. Les syndicats autonomes sont bien sûr interdits en Chine, ce qui représente un avantage et un attrait énorme pour les entreprises étrangères. Ainsi, 480 des 500 plus grandes entreprises au monde possèdent des usines en Chine. Lâexemple récent de la ville dâErlangmaio nous donne une idée de lâautre facette de la médaille. Cette ville de la province centrale de Sichuan est isolée par la police et le gouvernement suite à une grève de deux semaines déclenchée par plus de 3.000 travailleurs du ciment. Lâaccès au téléphone, à internet et au GSM a même été coupé. Le pouvoir en place a eu la possibilité de faire disparaître une ville entière du système de communication !
La part de lâéconomie aux mains de lâEtat diminue sans cesse. Plus de la moitié des entreprises nationales ont disparu : on est passé de 100 millions à 48 millions. La privatisation sâeffectue peu à peu, tranche par tranche. A lâorigine, câest sous le « règne » de Deng Xiaoping que se sont développées les enclaves capitalistes au sein de lâéconomie planifiée. Petit à petit, le reste du pays a suivi. Câest dâailleurs sur base de ces enclaves quâa été brisée la règle des huit heures, lâun des acquis de la révolution chinoise.
Entre 1997 et 1999 seulement, 30 millions de travailleurs ont été licenciés, suite aux privatisations et à la crise financière asiatique de 1997. Mais alors que la Chine connaît actuellement une croissance énorme, les problèmes demeurent et même empirent, et les réactions se développent. Il y a eu de véritables explosions de rage ces 15 dernières années, et le nombre dâ« incidents de masse » (selon la terminologie gouvernementale) est passé de 9.300 en 1990 à 87.000 en 2005. Il semblerait que ce chiffre ait ensuite un peu baissé, mais il est terriblement difficile de savoir exactement ce qui se déroule là-bas, le gouvernement faisant tout son possible pour masquer lâampleur de la contestation, agissant ainsi dans ce domaine de la même manière quâavec les données sur lâenvironnement. Toutefois, lâampleur de ces actions a elle aussi augmenté et il nâest pas rare quâelles impliquent des dizaines de millier de personnes. Les protestations se basent principalement sur des revendications liées aux salaires et conditions de travail, à lâécologie et enfin aux expropriations. En fait, la moitié des conflits en zone rurales sont dus à des questions liées à la terre. Lâabolition des taxes sur les produits agricoles fait partie des petites mesures destinées à calmer le jeu autrement quâen utilisant uniquement la répression.
En 2008, les Jeux Olympiques se dérouleront en Chine et on peut faire un parallèle avec la Corée du Sud où sâétaient tenus les jeux en 1998. Cet événement avait mené à lâépoque à des protestations massives contre le régime militaire en place. Le même potentiel existe actuellement en Chine et pourrait devenir un point de cristallisation du mécontentement.
En fait, même parmi la classe moyenne – qui vit mieux quâil y a 10 ans – le sentiment que la société ne va pas dans la bonne direction sâest répandu. Lâampleur du mécontentement ouvre la voie au développement de sectes religieuses diverses ainsi quâau Kuomintang, lâancien parti bourgeois nationaliste qui sâest réfugié avec ses dirigeants à Taiwan après la victoire de Mao en 1949. Ce parti réactionnaire a reconstruit des cellules clandestines en Chine. Peut être le PCC sera-t-il amené à créer lui-même sa propre opposition en se scindant pour servir de soupape de pression.
De fait lâorientation actuelle du Parti Communiste Chinois est étrange. On a ainsi pu lire récemment dans le China Daily, organe du PCC, un article fustigeant le processus qui se développe en ce moment en Amérique Latine : « Quand certains régimes en Amérique Latine imposent de force plus de justice sociale, cela augmente la dette et crée des désordres économiques ».
Où va la Chine ?
La Chine se dirige de plus en plus vers le capitalisme et un retour au stalinisme est devenu impossible, même sâil subsiste encore des ruines et des vestiges de cette tradition. Le processus de restauration du capitalisme est avancé et organisé par lâEtat. Cela peut paraître contradictoire au premier abord mais la bourgeoisie naissante nâa pas intérêt à essayer de modifier de suite ce processus, faute de disposer dâun autre moyen de maintenir la cohésion du pays et de contenir lâagitation sociale. Il nây a plus rien dans cet Etat corrompu qui puisse lutter contre la place grandissante laissée au capitalisme dans le pays. Comme Trotsky lâa expliqué : « Des restes dâanciens régimes ne sont pas des facteurs dominants en général, même si lâon doit les prendre en compte ». La Chine combine aujourdâhui le pire du stalinisme et du capitalisme sans élément positif ni de lâun, ni de lâautre. Et ce phénomène se répand, en Afrique notamment, à travers les entreprises chinoises.
Il est extrêmement difficile de pronostiquer ce qui peut arriver. Si la croissance économique continue au rythme actuel pendant quelques années encore (ce qui est le scénario le moins probable), la classe capitaliste naissante va entrer de plus en plus en conflit avec la bureaucratie. Mais si une crise économique se développe au niveau mondial (sur base des rapports entre la production chinoise et la consommation américaine), alors elle touchera également la Chine et renforcera lâélément bureaucratique au sein de la société. Ce ne serait finalement quâune déformation de la tendance au protectionnisme que lâon trouverait alors ailleurs. Mais la bureaucratie sera incapable de contrôler éternellement le développement de la situation. Le processus actuel nâest pas un choix de sa part, elle est obligée de continuer sur cette voie quâelle ne maîtrise que fort partiellement.
La question fondamentale nâest cependant pas de savoir si la Chine est déjà capitaliste ou pas et, si non, quand elle le sera. La question cruciale est de savoir comment les masses vont réagir face aux changements. Cependant, sans connaître exactement le niveau de conscience des masses, répondre à cette question est difficile. Dans un premier temps, câest probablement un Etat démocratique bourgeois que réclameront les masses qui sâéveillent et la réaction de lâEtat et des différentes tendances et niveau de la bureaucratie à ce moment seront déterminants. Sans compter que le problème des nationalités gagne en importance et quâil nâest pas impossible de voir des sécessions se produire.
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Actions internationales en réponse aux attaques orchestrées contre un meeting anti-guerre
Sri Lanka :
>>> ACTION ce mercredi 31 janvier à 10H devant lâambassade du SRI LANKA (Rue Jules Lejeune/Jules Lejeunestraat, 27 – 1050 Ixelles)
- Stop aux attaques contre les militants anti-guerre !
- Luttons pour garantir les libertés démocratiques !
- Soutenons la lutte des travailleurs et des pauvres face à lâinflation galopante !
Depuis les attaques vicieuses perpétrées contre le rassemblement anti-guerre qui sâest tenu le 9 janvier à Nugegoda, Colombo (Sri Lanka), des actions de protestation devant les ambassades et les consulats se sont tenues à Londres, Berlin, Bonn, Dublin et Melbourne, à l’initiative des sections-soeur du CWI. Des rassemblements sont encore prévus cette semaine, notamment en Suède, en Grande-Bretagne, en France et en Belgique.
Pour plus dâinformations sur le développement de la situation sur place, pour des rapports sur les actions internationales en soutien à la campagne, consultez régulièrement le site web du CWI, www.socialistworld.net (en anglais
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Thailande. Un coup dâétat suite à lâimpasse politique. Lâarmée supprime les droits démocratiques.
Ce 19 septembre, la Thailande a été le théâtre dâun autre coup dâétat. Ceci est le 17ème coup dâétat depuis que la « monarchie constitutionnelle » a été établie en 1932. Ce coup dâétat, mené par Sonthi Bunyaratglin, commandant en chef des forces armées, a expulsé le premier ministre Thaksin Sinawatra, un magnat des télécoms milliardaire. Depuis 2001, avec son gouvernement du parti « Thai Rak Thai » (TRT â « les Thaïs aiment les Thaïs »), Thaksin Sinawatra a remporté deux écrasantes victoires électorales, avant de devoir faire face cette année à des manifestations de rue contre la corruption. Il est largement entendu que le roi Bhumibol a donné le feu vert à lâarmée quant à la mise sur pied de ce coup dâétat. Les forces armées, avec le soutien du roi, misaient sur lâhostilité générale envers Thaksin, en particulier sur celle de la population urbaine de Bangkok, afin dâobtenir une victoire rapide, remportée sans devoir tirer le moindre coup de feu ni verser la moindre goutte de sang. Ce coup dâétat avait pour but, selon ses chefs, de mettre un terme à plus dâun an dâimpasse politique.
Dossier par Ravie Chandren
La chute de Thaksin
Thaksin est arrivé au pouvoir en 2001, en utilisant à son avantage lâimpact de lâagenda de « restructuration » demandé par le FMI lors de la crise de lâéconomie asiatique en 1997. Il gagna un soutien significatif, surtout dans les zones rurales, pour son programme populiste vis-à-vis des fermiers et des pauvres, avec par exemple des promesses de soins de santé bon marché. En même temps, il utilisa des mesures protectionnistes pour servir ses propres intérêts économiques. Ses cinq ans au pouvoir furent caractérisés par son administration de style « PDG ». A cause des pressions économiques au niveau mondial, Thaksin recourut à une politique néo-libérale, comprenant des privatisations de services publics (par exemple, lâélectricité). Il introduisit des accords de libre échange pour faciliter les investissements étrangers.
Ces mesures furent à la source de désaccords importants avec des hommes dâaffaires locaux, et dâautres plus petits commerçants et industriels, ainsi que dâune certaine colère de la population urbaine, lorsque lâinflation atteignit son plus haut niveau en 6 ans. La population urbaine était également outragée par le contrôle que Thaksin exerçait sur les médias et par sa négligence des droits démocratiques, par ses incessantes tentatives de remplir les institutions avec ses propres hommes, par sa « guerre contre les trafiquants de drogue » (qui lui servait dâexcuse pour commettre des meurtres illégaux), et par les moyens de répression brutaux quâil employa contre une insurrection organisée par les musulmans au Sud, et qui intensifia les émeutes séparatistes.
La goutte qui fit déborder le vase, fut la vente de toutes les parts que la famille de Thaksin détenait dans Sin Corp., le géant des télécommunications, à Tamasek Holdings, une société singapourienne, pour une valeur de 1,88 milliards de dollars, réalisant ainsi la plus grosse vente de toute lâhistoire de Thaïlande. Pas un centime de taxe nâen fut prélevé. Cette opération donna naissance à des manifestations de milliers de personnes dans les rues de Bangkok, en février et mars de cette année, comprenant les classes moyennes, des groupes de citoyens, dâétudiants, dâintellectuels, les partis dâopposition et les églises, ainsi que des travailleurs. Pendant ce temps, Thaksin se reposait sur son soutien populaire à la campagne, où habite 60% de la population, utilisant à son avantage les divisions entre campagne et ville, élaborant des stratégies de « diviser pour régner » afin de remporter les élections.
Cependant, les tensions entre Thaksin et les partis dâopposition atteignirent un sommet lors des derniers mois. Thaksin tenta de calmer les manifestations à Bangkok, en improvisant des élections le 2 avril de cette année. Les partis dâopposition boycottèrent le scrutin, de sorte quâil fut impossible de former un nouveau parlement sur base des maigres résultats. Par conséquent, Thaksin promit de démissionner dès quâun nouveau cabinet aurait été mis sur pied. On pense que cette décision lui fut conseillée par le roi Bhumibol, afin de mettre un terme à lâimpasse politique. Mais la crise ne se résolut pas, ce qui poussa le roi à demander aux juges du pays de « mettre de lâordre » dans le pays.
La cour constitutionnelle annula rapidement les élections dâavril, puis la cour criminelle emprisonna trois des commissaires qui avaient organisé les élections. Les nouveaux commissaires avaient été choisis un peu plus tôt ce mois-ci. Il semblait que la Thaïlande se dirigeait vers de nouvelles élections, peut-être dès le mois de novembre, et auxquelles les partis dâopposition auraient pris part. Mais la crise politique nâaurait pas été terminée, même après ces élections de novembre, puisquâil était largement attendu que le parti de Thaksin (le TRT) allait remporter les élections, grâce à son important soutien rural. Et donc, même si Thaksin avait démissionné de son poste de premier ministre, comme il avait suggéré de le faire, il aurait continué de contrôler le gouvernement à travers le TRT.
Au même moment, des couches entières de lâélite dirigeante ressentaient un profond malaise vis-à-vis des conséquences politiques et économiques que causerait une confrontation prolongée entre Thaksin et ses opposants politiques : plus longtemps durerait ce conflit, plus grand allait en être lâimpact sur les prix des actions, sur lâinflation et sur les investissements. Des couches encore plus larges de la population étaient aussi prêtes à donner de la voix si lâéconomie continuait à se détériorer.
Une autre cause du coup dâétat semble avoir été les manĆuvres de Thaksin contre des officiers âgés, dont le Général Sonthi, qui était critique envers le premier ministre. Des rapports indiquent que pendant le mois de juillet, cent officiers de rang moyen qui étaient loyaux à Thaksin, furent écartés des postes-clés à Bangkok. Récemment, Thaksin avait projeté de placer deux de ses partisans à des endroits stratégiques, pour contrôler la sécurité de la capitale.
Depuis le coup dâétat de cette semaine, les généraux de lâarmée ont insisté sur le fait que Thaksin, qui se trouve pour lâinstant à Londres, est libre de rentrer au pays, et même de participer aux prochaines élections. Pendant ce temps, Reuters a mentionné deux juges et lâancien dirigeant de la banque centrale comme membres attendus du nouveau comité de six experts qui aurait pour mission dâenquêter sur les affaires financières de Thaksin, de sa femme, de ses autres parents, et de ses collègues politiques. Divers accusations ont été formulées contre lui auprès des tribunaux et, maintenant quâil a quitté le pouvoir, dâautres semblent devoir bientôt suivre.
Le roi et lâarmée
La Thaïlande, le seul pays dâAsie du Sud-Est à nâavoir jamais été colonisé par une puissance européenne, était une monarchie absolue pendant presque quatre siècles, jusquâen 1932, lorsquâun coup dâétat pacifique limita les pouvoirs du roi. Cependant, le roi reste extrêmement révéré et influent, de par la constitution. Câest par son implication dans le coup dâétat militaire que le gouvernement Thaksin a vu son terme. Pendant presque les deux tiers du siècle dernier, la direction du pays a été dominée par les forces armées, avec toute une succession de dictateurs militaires.
Le lendemain du coup dâétat, la junte militaire qui a pris le pouvoir, composée de six hommes, est apparue devant les medias du monde entier, insistant quâils nâavaient aucune intention de sâaccrocher au pouvoir. Ils ont promis de passer le pouvoir dans deux semaines, après quâils aient sélectionné lâadministration civile qui devra diriger le pays pour une année. Les généraux ont aussi insisté sur le fait que ce nouveau cabinet devrait constituer un comité à charge dâécrire une nouvelle constitution, qui serait soumise à un référendum avant que des élections nâaient lieu.
Bien que le pays ait déjà eu 15 constitutions différentes depuis 1932, de nombreux politiciens et académiciens thaïs semblent convaincus quâune nouvelle réécriture sera un grand succès. Le magazine The Economist a écrit : « Lorsque la dernière constitution a été rédigée, en 1997, elle fut largement perçue comme porteuse dâun équilibre certain. Dâun côté, elle fournissait à la Thaïlande des partis politiques et un pouvoir exécutif plus forts – ce dont elle avait besoin, avec son histoire faite de différentes administrations aussi faibles quâéphémères ; dâun autre côté, elle introduisait de nouveaux équilibres et contrepoids, tels que la cour constitutionnelle, et un important organe anti-corruption. Malgré cela, on reproche maintenant à la constitution de 1997 dâavoir permis à M. Thaksin de dominer les institutions étatiques, et dâabuser de son pouvoir de premier ministre. Différentes propositions de réformes â telles que des restrictions aux changements dâallégeance politique â ont été rédigées ; bien quâil semble peu probable quâelles puissent réaliser les miracles qui sont attendus dâelles, même si elles devaient être promulguées. »
La junte militaire, qui sâest donnée le nom de « Conseil pour la Réforme Démocratique », répète que son but est de sauver la démocratie thaï de la « corruption galopante » du gouvernement Thaksin, de mettre un terme à ses interventions au sein des institutions du pays, supposées « indépendantes », et de réparer les divisions profondes que Thaksin a ouvertes parmi les Thaïs. Néanmoins, lorsque nous examinons le passé (pas si lointain que ça) de la Thaïlande, il est clair que les solutions ne sont pas à aller chercher du côté des chefs militaires qui prennent le pouvoir.
Cette semaine, après que lâarmée ait pris le contrôle à Bangkok et dans les zones environnantes, la première action des généraux a été dâinterdire toutes les manifestations et les rassemblements de plus de 5 personnes. Le nouveau régime a ensuite interdit tous les meetings et autres activités qui auraient pu être organisés par des partis politiques. Ces mesures répressives ont été conçues pour tenter dâempêcher toute tentative de contre-coup dâétat de la part des partisans de Thaksin au sein de lâarmée, et dâempêcher les mouvements de protestations parmi la population rurale, chez qui Thaksin est très populaire. En prenant les pouvoirs législatifs jeudi 21 septembre, les militaires ont interdit tout compte-rendu médiatique jugé « négatif », ont renforcé les restrictions vis-à-vis des partis politiques existants (mais nâont donné aucune indication quant à la durée de ce blocus), et ont interdit la formation de nouveaux partis politiques.
Il semblerait que le commandant en chef de lâarmée, Sonthi Boonyaratglin, officiellement intronisé ce vendredi 22 septembre en tant que chef de la nouvelle junte militaire, ne correspond pas au profil habituel des anciens putschistes. Les généraux de police ou dâarmée qui ont dirigé la Thaïlande précédemment étaient en général des personnages arrogants et égoïstes â des descriptions qui, jusquâici, ne peuvent sâappliquer à Sonthi. « Lors de mes conversations avec le général Sonthi, je lâai trouvé honnête, modeste, poli et professionnel », a déclaré Surin Pitsuwan, un ancien ministre des affaires étrangères thaï, et le chef du « Parti Démocrate ». Sonthi va tenter dâutiliser son image « modérée » pour assurer à la fois à la population thaïe et aux groupes de la finance internationale que sous son règne la vie sera paisible et prospère. Mais, si la situation économique et politique devait ne pas se redresser, ou empirer, le commandant en chef Sonthi Bunyaratglin et sa junte peuvent toujours prendre des mesures plus sévères contre lâopposition populaire.
Les meneurs du coup dâétat vont probablement assigner un premier ministre par intérim, capable de rassurer la « communauté financière » nationale et multinationale. Le message quâils cherchent à faire passer est que lâéconomie thaïe, si dépendante de ses exportations, se trouve entre de « bonnes mains ». La spéculation autour de qui sera appointé aux postes gouvernementaux cruciaux pointe en direction Supachai Panitchpakdi, lâancien chef de lâOMC, et de lâancien directeur de la Banque Centrale, Pridiyathom Devakula. De toutes façons, qui que soit le prochain premier ministre, tout le monde sâattend à ce que ce soit la junte militaire, accompagnée du roi, qui dirige la politique des cabinets par intérim.
Les conglomérats de la finance et des multinationales qui, depuis 2001, ont beaucoup bénéficié de la politique néolibérale du premier ministre Thaksin, applaudiraient aussi à ce coup dâétat, sâil aidait à résoudre la longue crise politique débilitante qui a frappé la croissance économique. Les économistes disent quâils ne sâattendent guère à un gros impact sur lâéconomie thaïe, pourvu que la situation politique du pays demeure calme et que le pays sâachemine rapidement vers un régime civil. Somjai Phagaphasvivat, professeur en sciences politiques à lâuniversité Thammasat, à Bangkok, a dit que « Je ne prévois pas beaucoup dâimpact sur lâéconomie globale, qui, ironiquement, aurait pu encore plus se dégrader si Thaksin était resté au pouvoir. Jusquâà présent, elle a été affaiblie par une société sérieusement divisée, et par la crise politique de cette année⊠Le redressement ou lâeffondrement de lâéconomie dépendra de la manière dont les meneurs de ce coup dâétat vont la diriger, et de la manière dont ils tiendront leur promesse dâorganiser rapidement des élections correctes. »
Bien que les grandes puissances occidentales, comme les USA et le Royaume-Uni, ont exprimé leur « considération » quant à la fin de la démocratie en Thaïlande, il nây a eu aucune condamnation sérieuse du coup dâétat. Ces puissances sont plutôt satisfaites de voir la démocratie supprimée, et lâarrivée au pouvoir des généraux, si cela est dans lâintérêt général des grosses entreprises et de lâimpérialisme, et si cela permet de faire taire les mouvements de protestation populaires. Quâen est-il de lâidée des « révolutions démocratiques », que Bush et les autres leaders occidentaux ont proclamée partout au Moyen-Orient et dans le monde néocolonial ?!
Les partis dâopposition thaïs, la population urbaine et les groupes de « citoyenneté » qui ont mené les manifestations au cours des derniers mois, ont bien acclamé lâintervention de lâarmée. Ils pensent que lâaction des généraux peut mettre un terme à lâincertitude politique qui avait été amenée par le régime Thaksin. Les directions de ces organisations nâont pas un programme pour en finir avec les crises économiques et politiques. Ceci signifierait la fin du système de profit.
Les populations rurales et urbaines
A de nombreuses reprises, lâhistoire de la Thaïlande a démontré quâà chaque fois quâil y a une intense crise politique ou économique, la classe dirigeante utilise soit la monarchie, soit lâarmée, ou, quand elle le peut, le système parlementaire, comme outil pour briser la révolte populaire et façonner lâEtat en faveur des besoins de la classe capitaliste. Le coup dâétat militaire de cette semaine a été mené à des fins similaires. Lâintervention de lâarmée a été conçue pour mettre un terme à un an de troubles politiques, qui ont affectés lâindustrie et lâéconomie toute entière, en particulier à Bangkok, qui se trouve être le pivot de lâéconomie thaïe.
Sous le règne militaire, il pourra y a voir quelques réformes pour apaiser des couches de la population, tels que les pauvres à la campagne. Mais aucune réforme ne peut être durable dans le système de profit, quâelles soient établies par des gouvernements civils ou par des dirigeants militaires. Le capitalisme est incapable de satisfaire les besoins fondamentaux des travailleurs et des paysans. La classe ouvrière thaïe et les paysans pauvres vont devoir faire face à encore plus dâincertitudes et dâattaques sur leur mode de vie au cours des prochaines années, ce qui mènera à une nouvelle instabilité politique, qui déclenchera de nouvelles luttes de masse.
Lors des deux précédentes émeutes de masse en Thaïlande, il y avait des illusions envers la soi-disant « bourgeoisie progressive » (la classe capitaliste), surtout parmi les classes moyennes, les étudiants et les paysans, qui espéraient gagner des droits démocratiques par des luttes contre le régime militaire. Le 14 octobre 1973, une manifestation menée par des étudiants renversa une dictature militaire et amena une courte période de régime démocratique. Cette période dura jusquâen 1976, lorsque des forces militaires de droite réprimèrent violemment le mouvement étudiant. En mai 1992, un autre dictateur militaire, Suchinda Kraprayoon, a été chassé par des citoyens thaïs. Ils étaient en colère contre ses mesures anti-démocratiques. Mais Suchinda Kraprayoon fut remplacé par un gouvernement de droite qui fut incapable de résoudre les problèmes économiques et sociaux qui se posaient au peuple thaï.
Ces événements montrent que les travailleurs et paysans thaïs peuvent avoir des illusions dans les ailes soi-disant « démocratiques » ou « progressives » de la classe capitaliste. Toutes les différentes sections de la classe dirigeante et des partis politiques agissent dâabord au profit des grosses entreprises, et cela inclut la suppression des droits démocratiques sâils entrent en contradiction avec leurs intérêts de classe.
Cette année, al crise politique a révélé les différents agendas des organisations qui constituent lâopposition, qui inclut les partis politiques, les étudiants, les ONG (organisations non-gouvernementales), les syndicats et dâautres, tous unis sous « lâAlliance Populaire pour la Démocratie » (APD). Ils resserrèrent les rangs après que Thaksin ait été accusé dâabuser de son pouvoir, et en particulier, de sâenrichir soi-même grâce à une grosse opération financière dans le secteur des télécommunications. Mais les forces qui composent lâAPD différèrent au sujet de ce quâil fallait faire de Thaksin et de son parti, de la nature des réformes constitutionnelles, et des négociations de « libre échange » avec les Etats-Unis.
Les partis dâopposition de droite, tels que le Parti Démocrate, qui a organisé des attaques sur les paysans et les travailleurs lorsquâil était au gouvernement, se concentre maintenant essentiellement sur le démantèlement du parti de Thaksin. La demande dâune « réforme constitutionnelle » émanant du Parti Démocrate nâest quâune rhétorique politique pour tenter dâélargir son soutien électoral. Les syndicats, les « groupes de pression », et les organisations dâétudiants veulent plus de changements fondamentaux, exigeant la fin des privatisations et des autres attaques néolibérales sur les travailleurs. Mais cela nâest pas à lâagenda des directions de lâAPD et du Parti Démocrate.
La plupart des partis politiques et des organisations de masse misent publiquement sur le roi, espérant quâil calmera la situation, et quâil veillera à lâamélioration de la vie pour les Thaïs. Mais lâhistoire des nombreux coups dâétat en Thaïlande montre que le roi a toujours donné son soutien à partir des coulisses aux juntes militaires comme le régime Sonthi. Cela montre bien que la monarchie aide les magnats de lâindustrie tels que Thaksin à monter au pouvoir. Le roi légitimise les coups dâétat et les régimes anti-travailleurs et anti-paysans.
Le problème des rébellions des musulmans, et des demandes séparatistes – une cause dâinstabilité majeure en Thaïlande â ne peut être résolu sur base du capitalisme. Seule, lâaction de la classe salariée, par la lutte pour ses droits démocratiques, pour les réformes sociales et économiques, et pour le socialisme, peut gagner de véritables droits pour cette communauté opprimée.
Les expériences passées de luttes de masse en Thaïlande ont clairement prouvé que, en dépit de leur héroïsme et de leur sacrifice, ni les paysans, ni les étudiants, ni la classe moyennes, à cause de leur caractère très hétérogène, ne peuvent mener la bataille pour la mise à bas du capitalisme. En ce moment, il semble que la population rurale (surtout composée de paysans), qui constitue la majorité de la population en Thaïlande, penche vers un soutien à des meneurs tels que Thaksin.
La classe salariée est la seule classe capable de prendre la direction jusquâà la chute du capitalisme, et capable de tirer à elle le soutien des pauvres des campagnes, des étudiants et des classes moyennes, ainsi que celui des pauvres musulmans du Sud. Afin dâaccomplir cette tâche, il est crucial de commencer la construction dâun parti des travailleurs. Un tel parti, avec un soutien massif, sur base dâun programme socialiste, donnerait assez de confiance à la classe salariée pour quâelle prenne la direction des luttes dâopposition.
Pour un parti des travailleurs et des paysans, il est nécessaire de lier les revendications pour des droits démocratiques et des réformes économiques et sociales, au besoin de bâtir un Etat ouvrier. Une Thaïlande socialiste gagnerait le soutien des travailleurs à travers toute lâAsie du Sud-Est, et le monde entier.
Le CIO demande :
- Opposition totale au coup dâétat militaire
- Non au règne des généraux, non au règne des politiciens millionnaires et corrompus
- Non à la suppression des droits démocratiques, et à la mainmise étatique sur les médias
- Pour une lutte de masse afin de remporter des droits démocratiques complets, y compris le droit aux travailleurs de sâorganiser, de manifester et de faire grève
- Pour des organisations paysannes et des syndicats indépendants, combatifs, et démocratiques
- Des droits syndicaux pour les soldats â afin de gagner le soutien des soldats pauvres pour les luttes des travailleurs
- Pour la construction dâun parti de masse, des salariés et des paysans
- Pour une lutte unie des travailleurs et des paysans, afin de renverser lâarmée et son gouvernement fantoche
- Pour une Assemblée Constituante honnête et représentative
- Abolir la monarchie
- Pour un gouvernement à majorité ouvrière et paysanne
- Des droits égaux pour toutes les minorités ethniques, y compris les populations musulmanes
- Non à la politique néolibérale de privatisation et de dérégulation
- Nationaliser les grosses entreprises, les secteurs-clé de lâindustrie, les grands holdings privés et les banques
- Pour une économie planifiée destinée à fournir à tous les travailleurs et paysans leurs besoins de base, sous le contrôle et la gestion démocratique de comités élus à partir des ouvriers et des paysans
- Pour une Thaïlande socialiste et membre dâune fédération socialiste dâAsie du Sud-Est
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Manifestation massive au Forum Social Européen dâAthènes
Une politique socialiste et combative est nécessaire pour résister à la guerre, à la casse sociale et au capitalisme
Le samedi 6 mai, plus de 100.000 travailleurs et jeunes grecs se sont rassemblés pour une manifestation de 7 kilomètres contre la guerre et lâexploitation capitaliste. Cette marche était à lâinitiative du Forum Social Européen (FSE) qui sâest déroulé à Athènes du 4 au 7 mai. La manifestation avait une taille impressionante, même pour les traditions du mouvement ouvrier grec. La police, une fois de plus, a tout fait pour se ridiculiser en déclarant initialement quâil nây avait que 15.000 participants, chiffre doublé ensuite pour se contenter enfin de mentionner la longueur de la manifestation.
Andros, Xekinima (organisation-soeur du MAS en Grèce)
La foule sâest dirigée vers lâambassade américaine pour protester contre les politiques impérialistes des Etats Unis et de lâUnion Européenne au Moyen-orient, en Irak et en Iran. Ensuite, la manifestation a pris le chemin du Parlement grec pour exprimer son opposition aux politiques menées contre la classe ouvrière par le gouvernement grec et lâUnion Européenne. Lâatmosphère présente à cette marche était jubilatoire. Sa taille a permis aux travailleurs de sentir leur force et de donner un puissant message pour toute la société grecque. Le fait quâétaient présent environ 9.000 activistes du reste de lâeurope â en particulier de France, dâItalie, de Turquie et des Balkans (plus ou moins 2.000) â a pu donner un véritable élément dâinternationalisme.
Xekinima
Xekinima, la section grecque de notre internationale, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), a mené une campagne enthousiaste pour le succès de cette manifestation du 6 mai et a pris également part aux discussions durant le FSE. Nous avons notamment produit 10.000 affiches et 20.000 tracts appelant les travailleurs et les jeunes à prendre part à cette marche. Il y avait aussi des versions turque, italienne et anglaise du tract de Xekinima/CIO que nous avons distribué au FSM.
En même temps, nous avons critiqué les politiques du FSE et, en général, des Forums Sociaux (Forum Social Mondial et les forums sociaux nationaux) ainsi que la direction suivie par ces forum sociaux. Les slogans du FSE â contre la guerre, le néo-libéralisme et le racisme â sont tellement généraux quâils permettent à nâimporte qui de prendre part aux évènements organisés, comme les partis sociaux-démocrates qui supportent les politiques menées contre les travailleurs et les appliquent même lorsquâils sont au gouvernement !
Les forums sociaux sont maintenant dominés, bien plus que par le passé, par les partis de la Gauche Européenne, comme le Parti Communiste en France (PCF), la Refondation Communiste en Italie (PRC) ou le Parti du Socialisme Démocratique en Allemagne (PDS). Beaucoup de ces partis sont coupables de participer, avec les sociaux-démocrates, à des gouvernements qui mènent des politiques anti-travailleurs et anti-immigrés.
Ces caractéristiques du FSE minent ses perspectives futures et ses capacités à jouer un rôle unificateur pour les luttes de la classe ouvrière contre des politiques à caractère européen ou international. Seule une approche anti-capitaliste et des idées socialistes peuvent offrir le programme nécessaire aux activistes de toute lâEurope pour combattre la politique du capital. Xekinima et le CIO participent aux initiatives majeures des Forums Sociaux tout en critiquant ouvertement de mannière claire et constructive les orientations que nous jugeons mauvaises.
Le reste de la gauche
Le reste de la gauche grecque nâa pas une approche similaire. Les organisations qui prennent part au Forum Social Grec et au récent Forum Social Européen à Athènes nâévaluent pas de façon critique ces organisations, ou le font de manière trop partielle. Chaque organisation parlant au nom de Trotsky autre que la nôtre, comme lâInternational Socialist Tendency (le SWP britannique) ou lâUSFI, le Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale (La LCR en France), tentent de créer un optimisme artificiel sur lâavenir et le rôle de ces forums sociaux.
Les organisations critiques envers le FSE et le Forum Social Grec, comme le Parti Communiste Grec (KKE) et les groupes maoïstes ainsi que leurs alliés, choisissent de rester en dehors et dâattaquer le FSE et tout ceux qui participent à ces évènements. Ils se coupent ainsi des centaines de milliers de travailleurs qui répondent ou sont attirés par lâappel anti-guerre et anti-néo-libéral des organisations autour du FSE. Le Parti Communiste Grec, en particulier, a panniqué durant la semaine précédent le FSE et a entammé une forte campagne pour couvrir les affiches annonçant le FSE. Cela sâest avéré vain. Les groupes maoïstes et leurs alliés ont quant à eux appelé à un « contre-forum » et à une « contre manifestation » qui a rassemblé à peu près 500 personnes.
Le journal du Parti Communiste du 7 mai avait une petite note sur la manifestation à lâappel du FSE où était déclaré quâenviron 7.000 personnes y avaient pris part.
Perspectives
Jusquâau meeting du FSE à Athènes, les organisateurs étaient assez pessimistes sur lâavenir de lâinitiative. Cela était essentiellement arrivé après le 3e meeting du FSE, tenu à Londres. Le Maire de londres, Ken Livingstone, et le SWP britannique étaient deux des principales forces dirigeantes de cet événement ce que beaucoup dâactivistes avaient mal ressentis. Mais le meeting dâAthènes a revivé leurs espoirs.
Une résolution est passée à la conférence du FSE à Athènes appelant à une meilleure coordination des actions au niveau européen, spécialement sur les questions de la guerre et du racisme. La résolution appelle à une semaine dâactions contre la guerre (du 22 au 30 septembre), et à une journée dâactions le 7 octobre contre le racisme et en soutien des droits des immigrés.
Ce sont des initiatives positives, mais loin dâêtre suffisantes. Les organisateurs du FSE semblent éviter, de toutes les manières possibles, de voir la remontée de la lutte des classes en Europe et les actions de classe décisives que cela demande. Cela inclut entre autre les thématiques de la pauvreté qui sâaccroît, de lâinégalité, de lâexploitation et des attaques sur les pensions. Bien plus encore, les organisateurs du FSE semblent éviter de proposer des moyens de lutte qui puisse stopper ces politiques. Des festivals, des journées de protestation et autres manifestations colorées peuvent être utiles, mais sans actions de lutte et sans protestations de masse de la part de centaines de millions de travailleurs et de jeunes à travers lâEurope, les capitalistes â en Europe et internationallement â vont continuer à appliquer les mêmes politiques.
Dans les rangs des activistes, une conclusion va sâimposer avec le passage du temps : le capitalisme ne peut pas devenir « humain ». Les guerres, le racisme, la pauvreté et la famine ne seront jamais éliminés tant que le capitalisme ne sera pas tombé.
Xekinima (CIO) a eu une excellente délégation lors de la manifestation du 6 mai à Athènes, avec plus de 400 participants de Grande-Bretagne, dâIrlande, de belgique et dâex-Union Soviétique. Cette délégation a été remarquée tant par nos amis que par nos ennemis pour son côté éminement militant et plein de vitalité.
La campagne de Xekinima pour renforcer le soutien au FSE et à la marche du 6 mai nâa duré que 8 jours, le FSE venait peu de temps après les vacances de Pâques grecques. Durant ces journées de mobilisations, plus de 1000 journaux de Xekinima ont été vendus, et à peu près 1.300 euros ont été récoltés pour notre fonds de lutte. Beaucoup de personnes intéressées par les idées défendues par Xekinima et le CIO ont laissé leurs coordonnées pour nous rejoindre ou nous aider dans notre travail.
Raph Parkinson, vice-président du bureau exécutif de UNISON â syndicat du secteur public en Grande-Bretagne â et membre du Parti Socialiste dâAngleterre et du Pays de Gales, membre du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), sâest également rendu au Forum Social Européen. Raph écrit à titre personnel:
« Des socialistes, syndicalistes, Organisations Non Gouvernementales (ONG), communautés et de jeunes activistes se sont rencontrés pour discuter dâun large pannel de problématiques au Forum Social Européen dâAthènes, entre autres des privatisations, du développement du commerce équitable, de lâAmérique Latine, de la guerre en Irak, et de la libération sociale. En comparaison au FSE tenu à Londres il y a deux ans, lâatmosphère à Athènes était plus sérieuse, mais il y avait moins de participants.
Le point culminant était pour moi la très large manifestation du 6 mai contre la pauvreté, le chômage, la guerre et le racisme. Les membres du Parti Socialiste dâAngleterre et du Pays de Gales ont marché sous la bannière de Xekinima, la section grecque du CIO.
Cette section était suivie par la délégation de Youth Against Racism in Europe (YRE, Jeunes contre le Racisme en Europe, campagne lancée à lâinitiative du CIO) qui comprenait beaucoup dâimmigrés vivant en Grèce.
Il était fort remarquable que les manifestants du CIO et de YRE étaient très dynamiques, en chantant notamment des chants de lutte variés, et étaient bien organisés.
Une « contre-manifestation » est sortie de la manifestation principale pour tenter dâattaquer lâambassade américaine et a été confrontée à la police anti-émeute. Dâinnocents manifestants ont été gazés. Les stewards du CIO et de YRE ont maintenu à cette occasion une approche disciplinée pour défendre leurs délégations contre toutes attaques possibles.
Les télévisions ont montré les McDonalds attaqués, mais nâont pas montré la majorité pacifique de la manifâ. En Bref, le FSE cette année fut mieux organisé, avec moins de conférences, mais des discussions plus sérieuses.