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  • “Les Veines ouvertes de l’Amérique latine”

    Ce livre écrit par l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano, paru en 1971, est rapidement devenu un classique. En dépit de ses cinquante ans, ce récit détaillé et compact de l’histoire coloniale de l’Amérique latine est toujours d’actualité.

    Par Natalia Medina Rättvisepartiet Socialisterna (ASI-Suède)

    L’ouvrage revient sur cinq siècles d’exploitation exceptionnelle. D’abord l’or, l’argent et les diamants, puis le sucre, le cacao, le coton, le caoutchouc, les fruits et finalement le pétrole. Afin d’extraire ces richesses, les peuples indigènes ont été exploités dans un travail cruel au fond des mines et, lorsqu’ils n’ont plus suffi, les esclaves du continent africain ont été envoyés dans les plantations.

    Il existe une grande différence entre l’histoire de l’Amérique du Nord et celle de l’Amérique latine. Les colonisateurs d’Amérique du Nord sont venus construire une nouvelle vie, bien que sur des terres volées, et se sont ensuite libérés de la couronne britannique. Les colonisateurs d’Amérique latine ont au contraire vidé le continent de ses richesses. Galeano explique les choses ainsi : « Car le nord de l’Amérique n’avait ni or ni argent, ni civilisations indiennes avec des concentrations denses de personnes déjà organisées pour le travail… »

    Alors que l’Amérique du Nord se remplissait d’ouvriers et de paysans devenus obsolètes en Europe, les capitalistes d’Amérique latine disposaient d’une réserve de main-d’œuvre énorme et bon marché sous la forme des peuples indigènes et des esclaves. L’exploitation des richesses de l’Amérique latine était synonyme d’emplois, de développement et de prospérité en Europe et en Amérique du Nord, mais pas pour les peuples d’Amérique latine ni pour les victimes de la traite des esclaves. « L’exploitation des conquérants européens a entraîné non seulement un génocide, mais aussi de nombreux génocides parallèles au cours desquels des civilisations entières ont été anéanties. » En plus de conduire à l’anéantissement horrible et systématique d’êtres humains, cette exploitation a également entraîné une destruction culturelle et scientifique ainsi qu’un désastre écologique.

    En même temps, le succès de chaque matière première était de courte durée. Bientôt, un autre continent produisait les mêmes biens moins chers, plus rapidement et plus efficacement, et l’effondrement devint vite un fait. L’Amérique du Nord a repris la production de coton et le Ghana celle de cacao. Parallèlement, toutes les tentatives d’industrie nationale étaient contrecarrées par les marchandises importées. « Des agents commerciaux de Manchester, Glasgow et Liverpool visitèrent l’Argentine et copièrent les ponchos de Santiagan et Córdoban et les articles en cuir de Corrientes, ainsi que les étriers en bois locaux. Les ponchos argentins coûtent sept pesos, ceux des Yorkshire trois. L’industrie textile la plus avancée du monde l’emportait au galop sur les produits des métiers à tisser indigènes, et il en était de même pour les bottes, les éperons, les grilles de fer, les brides et même les clous. »

    Le Paraguay s’est toutefois distingué. Au milieu de l’Amérique du Sud, sans côtes, voici un pays avec ses propres industries sans profiteurs étrangers. Un État fort au lieu d’une bourgeoisie fantoche a posé les bases d’une économie qui a connu un certain développement et une certaine forme de prospérité au lieu d’un libre-échange défavorable avec l’Europe ou les États-Unis. Mais l’exemple n’a pas été de longue durée. Au cours d’une guerre de six ans menée sur trois fronts, le Paraguay a été écrasé à la fin des années 1800 avec l’aide de capitaux venus d’Angleterre. Plus de 60 % de la population y a trouvé la mort et le pays a été laissé en ruines. Aujourd’hui encore, le Paraguay est un pays pauvre caractérisé par l’inégalité, l’instabilité et la corruption.

    Un pays qui base toute son économie sur l’exportation de matières premières sans industries ni raffinage est très sensible aux caprices du marché. Nous l’avons encore constaté en 2016 lorsque les prix des matières premières ont chuté et que des pays comme l’Argentine, le Brésil et le Venezuela ont plongé avec eux. Dans « Les veines ouvertes de l’Amérique latine », Galeano décrit en détail comment le continent reste un producteur de matières premières et n’obtient jamais la plus grande part du gâteau : « Avec le pétrole, comme avec le café ou la viande, les pays riches profitent davantage du travail de consommation que les pays pauvres du travail de production. »

    La hausse du prix du café entraîne une augmentation des profits, mais pas des salaires. La baisse des prix du café réduit les revenus des travailleurs d’un seul coup dévastateur. Les exportations ont été de pair avec la faim. Les enfants mangeaient la terre pour éviter l’anémie, tandis que les bénéfices quittaient librement le continent. Au Salvador, un quart de la population est décédé à cause de carences en vitamines, tandis qu’une poignée de capitalistes faisaient fortune grâce aux exportations de café.

    Le livre de Galeano est rempli d’exemples déchirants, mais il ne tombe jamais dans le sentimentalisme. Il y a un paradoxe ridicule dans le fait que les régions les plus fertiles et les plus riches sont celles qui ont été plongées dans une pauvreté et une famine abyssales. Des terres qui pouvaient nourrir un si grand nombre de personnes ont été vidées de leur substance en y plantant la nouvelle denrée recherchée pour donner naissance à d’immenses monocultures.

    Il n’y a plus eu de place pour la production alimentaire. Il a fallu importer des aliments d’autres endroits moins fertiles pour maximiser les profits à court terme. En novembre de cette année, l’ONU a averti que le nombre de personnes souffrant de la faim en Amérique latine a augmenté de 30 % depuis 2019. Environ 9 % de la population d’Amérique latine et des Caraïbes souffre de la faim, rapporte la chaîne Al Jazeera.

    En plus de la violence directe, du travail forcé et de la famine, les infections virales, importée par les colonisateurs, ont tué de larges pans des peuples indigènes. La pandémie de coronavirus a démontré que, même ces dernières années, les peuples indigènes sont toujours marginalisés en Amérique latine. Nombre d’entre eux travaillent comme femmes de ménage, nounous, concierges, etc. dans les maisons des familles aisées des grandes villes.

    Lorsque la pandémie a frappé de plein fouet, nombre d’entre eux se sont retrouvés sans travail et ont dû retourner dans leurs villages d’origine en emportant l’infection avec eux. Dans des endroits isolés, avec une population vieillissante et de longues distances pour accéder aux hôpitaux et aux médecins, le virus s’est rapidement propagé. L’isolement, qui aurait pu être une aide pour échapper à la pandémie est devenu une condamnation à mort. Le taux de mortalité parmi les personnes ayant reçu le covid-19 chez les peuples indigènes du Brésil est de 9,1 % ; le chiffre correspondant pour le reste de la population est de 5,2 %.

    En même temps, la pandémie a créé une instabilité économique supplémentaire dans la région. L’Amérique latine est l’une des régions les plus inégalitaires du monde. Et ce sont les peuples indigènes et les descendants d’esclaves qui sont de loin les plus mal lotis.

    Si l’exploitation et la colonisation sont ancrées dans les 500 dernières années de l’histoire de l’Amérique latine, il en va de même pour la résistance, comme le montre brillamment Galeano dans son livre. La première grande révolte d’esclaves a eu lieu dès 1522, lorsque les esclaves se sont soulevés contre le fils de Christophe Colomb, Diego Colomb. Cette première révolte fut loin d’être la seule.

    Dans les années 1600, les esclaves qui se sont échappés ont construit leur propre société, Palmares, sur la côte est du Brésil. A Palmares, la faim n’existait pas. On y pratiquait diverses cultures qui permettaient à la communauté d’environ 10.000 personnes de rester autosuffisante, contrairement aux régions où l’on cultivait la canne à sucre.

    Dans plusieurs de ces révoltes, la redistribution des terres était l’une des réformes les plus importantes à l’ordre du jour. La vision d’Artiga d’une Amérique latine unie où les peuples indigènes retrouveraient leur droit à la terre est peut-être la plus ancienne. On y trouve les graines d’un rêve d’une société complètement différente. Une vie sans oppression ni violence, où les richesses sont distribuées équitablement. La lutte de dix ans menée au Mexique en 1910-20 par des paysans indigènes sous la direction d’Emiliano Zapata fut porteuse de leçons d’organisation : nationalisation, expropriation des terres, conseils populaires, juges et policiers élus.
    C’est une histoire brutale que décrit Galeano. La résistance a été noyée dans le sang par des exécutions, la persécution et la torture. La contre-révolution est généralement bien plus sanglante que la révolution, et les capitalistes, qui, même dans les cas ordinaires, n’ont aucun problème à bâtir leur richesse sur des cadavres, n’ont pas hésité à recourir aux armes quand leur pouvoir fut menacé en Amérique latine.

    En 1968, juste avant les Jeux olympiques, le mouvement étudiant en plein essor de Tlatelolco, au Mexique, a manifesté contre la pauvreté et la faim. Les militaires et les paramilitaires ont ouvert le feu sur la manifestation. Lorsqu’il a écrit « Les veines ouvertes de l’Amérique latine », Galeano ne savait pas que les Etats-Unis et la CIA avaient été impliqués dans le massacre de Tlatelolco.

    La violence continue d’être présente dans toute l’Amérique latine. Au Mexique, les proches des 43 étudiants disparus il y a 7 ans recherchent toujours leurs corps. À Rio de Janeiro, au Brésil, près de 60 fusillades ayant fait trois morts ou plus ont été signalées en 2021. La majorité de ces fusillades ont eu lieu lors d’interventions policières qui s’apparentent davantage à de pures exécutions.

    L’histoire n’est pas terminée. Les veines sont encore ouvertes. Aujourd’hui, le nouvel engouement pour les avocats assèche l’eau potable du Chili, les plantations de quinoa épuisent les sols en Bolivie et l’utilisation intensive de pesticides pour les bananes tue prématurément les travailleurs des plantations au Nicaragua. Pendant ce temps, le poumon du monde, l’Amazonie, est ravagée pour faire place au soja, et ainsi la dévastation continue.

    Mais la résistance est bien vivante. Au Brésil, au Paraguay et en Bolivie, les peuples indigènes luttent contre la déforestation et les produits toxiques. Il faudrait rendre compte de 50 autres années d’exploitation, d’impérialisme et de mouvements de lutte, les 50 dernières. Lorsque ce livre a été écrit, le mouvement ouvrier était en plein essor. On était optimiste et on croyait en l’avenir. C’était avant le coup d’Etat d’Augusto Pinochet et l’arrivée au pouvoir des dictatures militaires soutenues par les États-Unis en Amérique du Sud. Le souffle de la gauche est arrivé et est reparti. Des tentatives réformistes visant à abolir, étape par étape, le pouvoir du capital et des propriétaires terriens ont été faites et contrecarrées.

    Eduardo Galeano a vécu la chute de la dictature en Uruguay et aussi la victoire de la gauche. Mais il n’a pas vu comment la droite est revenue aux affaires et comment l’État-providence qui a existé pendant une courte période et qui a donné à la classe ouvrière un répit dont elle avait tant besoin est en train de s’effondrer.

    Le bras de fer entre la classe supérieure capitaliste et les travailleurs prend constamment de nouvelles formes. Les États-Unis continuent d’utiliser l’Amérique latine comme terrain de jeu, sur lequel intervient également la Chine aujourd’hui. Tout a changé, rien n’a changé. Le livre reste une importante contribution historique à l’histoire coloniale de l’Amérique latine et, aujourd’hui, il aurait besoin d’une suite, voire de deux.

    A l’époque de la rédaction de ce livre, l’Union soviétique et un bloc stalinien existaient encore comme contrepoids rival de l’impérialisme américain. Les dictatures militaires en Uruguay, au Chili et en Argentine n’avaient pas encore écrasé le mouvement ouvrier, qui était en plein essor au début des années ‘70. La fleur pourrie du néolibéralisme n’avait pas encore éclos au Chili, ni les énormes manifestations qui ont eu lieu en 2019 en riposte aux politiques néolibérales.

    Si ce livre avait été écrit aujourd’hui, les énormes migrations qui ont lieu actuellement d’Amérique latine et des Caraïbes vers les États-Unis auraient eu leur propre chapitre. Un autre chapitre aurait été consacré à la vague de mobilisations féministes pour le droit à l’avortement et contre la violence à l’égard des femmes qui a déferlé sur l’Amérique latine, et qui a également gagné d’autres continents.

    Beaucoup de choses se sont passées depuis 1971, mais l’exploitation de la nature et des peuples d’Amérique latine persiste. Tout comme la résistance sociale. Ce n’est que lorsque la classe ouvrière quittera l’arène du parlementarisme et du réformisme et s’unira au-delà des frontières nationales pour renverser les esclavagistes que les veines pourront véritablement conduire le sang au cœur et nourrir toute l’Amérique latine.

  • Sophia Poznanska. L’histoire d’une héroïne de la Résistance antinazie

    La résistance antifasciste au nazisme a donné naissance à de nombreux héros. Un nouveau livre d’Anne Vanesse raconte ainsi l’histoire de Sophia Poznanska, une jeune femme d’origine juive devenue communiste en Palestine et son rôle important dans l’Orchestre rouge, un mouvement de contre-espionnage soviétique. Les nazis ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour empêcher que les précieuses informations ne parviennent à Moscou. Sophia Poznanska a finalement été arrêtée et s’est suicidée à la prison de Saint-Gilles pour échapper aux tortures de la Gestapo.

    Le combat et la vie des résistants sont généralement méconnus du grand public. Il revient aux antifascistes et au mouvement ouvrier de raconter l’histoire de leurs propres héros. Ce livre sur Sophie Poznanska doit être considéré dans ce cadre. Il fait explicitement référence à des pionniers comme Gilles Perrault qui, dans les années 1960, a fait connaître à un large public l’histoire remarquable de Léopold Trepper et de l’Orchestre rouge. À la fin de ce nouveau livre se trouve une interview intéressante de Gilles Perrault. On m’a demandé d’écrire une préface sur le regard que les marxistes portent sur l’Orchestre rouge, sur le rôle de certains autres membres de l’Orchestre rouge, comme l’Anversoise Vera Akkerman, et de faire le lien avec les luttes antifascistes actuelles.

    Poznanska a connu une jeunesse difficile en Pologne, où elle s’est engagée très tôt dans le mouvement Hachomer Hatzaïr. Ce mouvement de jeunesse était sioniste de gauche, un mouvement fortement implanté parmi les migrants juifs en Palestine. Le sionisme était une réaction au racisme anti-juif en Europe. En Palestine, Poznanska, comme Léopold Trepper et d’autres, s’est détournée du sionisme. Elle constatait que la « terre promise » ne signifiait pas la fin de la lutte des classes et fut choquée par l’oppression de la population arabe. Poznanska est devenue communiste parce qu’elle a compris que pour mettre fin à toutes les formes d’oppression, il fallait changer la société. De nombreux dirigeants du Parti communiste palestinien ont dû partir dans les années 1930 en raison de la répression exercée par les colons britanniques. Sophia s’est retrouvée à Paris, puis à Bruxelles. Elle y a poursuit ses activités, entre autres dans l’Orchestre rouge. Ce groupe de résistance transmettait des informations à Moscou, notamment les plans d’invasion de l’Union soviétique par les nazis. Sophia Poznanska a joué un rôle central dans la branche bruxelloise de ce groupe de résistance. En 1941, elle a été arrêtée et torturée par la Gestapo. Elle n’a pas avoué. Pour s’assurer qu’elle ne donnerait aucune information aux nazis, elle s’est suicidée en 1942 à la prison de Saint-Gilles.

    Ce livre raconte non seulement l’histoire de Sophia Poznanska, mais fournit également des informations intéressantes sur les origines du Parti communiste palestinien et les débats au sein de la gauche de l’époque sur la lutte contre toutes les formes d’oppression. Il faut davantage de livres qui mettent en lumière le rôle des héros de la résistance antifasciste et qui peuvent servir d’inspiration à ceux qui se dressent aujourd’hui contre l’extrême droite, contre l’oppression et pour une société socialiste.

    – Anne Vanesse, Sophia Poznanska. Du Parti communiste palestinien à l’Orchestre rouge, Éditions Cimarron, 2021, 250 pages. En vente en ligne auprès de notre webshop au prix de 12€ + frais de port.
    – Lancement du livre le vendredi 5 novembre à 17 heures au centre “De Markten” (Rue du Vieux Marché aux Grains n°5, Bruxelles). Intervenants : Anne Vanesse et Geert Cool.

  • [LIVRE] Le Talon de fer

    C’est l’été, l’occasion de se détendre, et pourquoi pas avec un bon bouquin… forcément un peu politique (sinon on n’en parlerait pas dans Lutte Socialiste). Alors, avec un bon Mojito à côté de soi, on se plonge dans « Le Talon de fer », un roman d’anticipation sociale signé Jack London (1876-1916) qui est quelque part l’ancêtre de « 1984 » et de toutes les dystopies modernes.

    Article paru dans l’édition d’été de Lutte Socialiste

    Quand on pense à Jack London, on pense généralement à « Croc-Blanc » (surtout pour celles et ceux dont l’enfance fut marquée par l’excellente adaptation de 1991 avec Ethan Hawke…), à la nature sauvage et à l’aventure. Mais il y a bien plus à découvrir chez l’auteur de « L’Appel de la foret ». Une partie généralement négligée de son œuvre très considérable ne fait pas de mystère de ses opinions politiques clairement socialistes révolutionnaires. Il a notamment publié en 1905 un recueil intitulé « La Guerre des classes », fut un partisan et il fut militant du Socialist Labor Party puis du Socialist Party qu’il quitta l’année de sa mort en lui reprochant son réformisme et sa désertion de l’approche révolutionnaire.

    « Un optimiste au regard aigu et perspicace »

    C’est ainsi que parlait de lui Léon Trotsky dans une lettre écrite à la fille de Jack London, Joanne London, en 1937 dans laquelle il louait « l’intuition puissante de l’artiste révolutionnaire » : « Un fait est indiscutable, dès 1907, Jack London a prévu et décrit le régime fasciste comme le résultat inéluctable de la défaite de la révolution prolétarienne. » On ne peut qu’être frappé effectivement par la justesse d’anticipation de ce roman qui décrit une révolution socialiste aux États-Unis – la Commune de Chicago – et sa répression pendant trois cents ans par une société de type fasciste.

    Le narrateur est une femme d’origine bourgeoise, Avis Cunningham, qui tombe progressivement amoureuse du révolutionnaire Ernest Everhard et qui relate le développement de la classe ouvrière nord-américaine et ses combats contre la classe capitaliste. Le récit est parsemé d’astérisques et de notes de bas de pages écrites par un observateur du XXIVe siècle destinées à faire comprendre le récit à des lecteurs enfin libérés de l’exploitation capitaliste toute l’absurdité de notions telles que « loyer ».

    L’ambition du roman est limpide : vulgariser différents éléments de la théorie marxiste au travers d’une histoire fictive toute entière construite autour de la lutte des classes et de la nécessité d’une révolution pour renverser l’ordre établi. Un récit original et passionné qui n’a fait que gagner en pertinence avec le temps.

  • Orwell : sa vie, son oeuvre, ses opinions politiques

    L’année 2020 marque le 70e anniversaire du décès prématuré de George Orwell (Eric Arthur Blair de son vrai nom) des suites d’une tuberculose à l’University College Hospital de Londres. Son héritage politique et littéraire n’a cessé depuis lors d’être l’objet d’une lutte.

    Par Andy Ford, Socialist Alternative (section d’Alternative Socialiste Internationale en Angleterre, Pays de Galles et en Ecosse)

    Jeunesse

    Orwell est né en 1903 à Motihari, en Inde, car son père travaillait dans la fonction publique indienne. Après que sa mère l’ait ramené en Angleterre, il n’a pu revoir son père qu’en 1912. Il a plus tard écrit que c’est à peine s’il pouvait se souvenir de lui si ce n’est qu’en tant que personne « qui disait toujours non ». Il a été placé dans un pensionnat du Sussex, St Cyprian’s, mentionné plus tard dans son essai Such, such were the joys. Selon Orwell, l’école partageait de nombreuses caractéristiques de sa dystopie finale 1984 : surveillance omniprésente, punitions arbitraires et répression féroce de la sexualité. D’autres pensionnaires ont déclaré que cette école n’était ni meilleure ni pire que toute autre école publique mineure de l’époque.

    Ses parents étaient distingués, mais pauvres. Orwell s’est retrouvé dans ce pensionnat grâce à une bourse. Il fut poussé sans pitié à obtenir les meilleurs notes pour entrer au prestigieux collège d’Eton, avec la peur de finir comme « garçon de bureau gagnant 40£ par an », comme triste alternative.

    Cet effort continu pour éviter de sombrer dans l’échelle sociale sous-tend une grande partie des perspectives d’Orwell. Sa famille était aisée par rapport aux travailleurs, elle était même apparentée de loin au comte de Westmoreland. Mais elle luttait constamment pour préserver les apparences. Orwell a parfaitement décrit cette lutte dans Et vive l’Aspidistra ! De sa position de classe intermédiaire, il était intensément conscient des différentes classes sociales dans la société et avait horreur de la bourgeoisie. Mais il n’a jamais été capable de vraiment adopter le point de vue de la classe ouvrière en dépit de sa sympathie évidente pour ses luttes. Cela signifiait également que chaque fois que les choses devenaient vraiment difficiles, Orwell pouvait généralement puiser dans ses contacts pour emprunter de l’argent, trouver un emploi ou bénéficier du prêt d’un logement.

    La Birmanie

    Orwell s’est rendu à Eton où il était « intéressé et heureux », mais lorsqu’il est parti en 1921, sa famille ne pouvait pas se permettre de l’envoyer à l’université et a donc opté pour la police impériale britannique. C’est ainsi qu’il a été envoyé en Birmanie. Les expériences qu’il y a vécu ont donné naissance à une haine permanente de l’impérialisme. Il a écrit que les Britanniques étaient en Birmanie pour les richesses naturelles, mais qu’ils devaient hypocritement prétendre y être pour répandre la « civilisation » et le christianisme. Le racisme, l’arrogance et l’hypocrisie du service colonial britannique sont les sources de son roman Une histoire Birmane de l’un de ses premiers ouvrages publiés A Hanging (qui décrit l’inhumanité de la peine capitale) et de son essai Shooting an Elephant.

    Les sentiments qu’ils éprouvait vis-à-vis de ses compagnons au service de l’Empire ne laissent planer aucun doute : « Année après année, vous êtes assis dans de petits clubs hantés par Kipling, un whisky à droite, un journal à gauche, écoutant et acceptant avec empressement tandis que le colonel Bodger développe sa théorie selon laquelle ces sanglants nationalistes devraient être bouillis dans de l’huile. Vous entendez vos amis orientaux être appelés « de gros petits babus », et vous admettez consciencieusement qu’ils sont des gros petits babus. Vous voyez des voyous fraîchement sortis de l’école frapper des domestiques aux cheveux gris. Le moment vient où vous brûlez de haine envers vos propres compatriotes, où vous aspirez à ce qu’un indigène se lève pour noyer l’Empire dans le sang. »

    Retour en Angleterre

    En congé en Angleterre, il a décidé que ‘garder la Birmanie britannique’ (pour paraphraser les Monty Python) n’était pas pour lui. Il est donc parti rejoindre sa famille, qui résidant alors à Southwold, dans le Suffolk. Un ami lui a conseillé « d’écrire sur ce que tu sais ». Bien conscient que la vie dans une famille de la classe moyenne inférieure d’une ville de campagne n’intéresserait pas beaucoup de gens, il a commencé à être à la quête de nouvelles expériences tel que s’aventurer dans l’East End, rester dans des asiles de nuit et vivre occasionnellement comme un clochard. Ces expériences ont constitué la base de son livre Dans la dèche à Londres et à Paris. Il se peut toutefois qu’il ait forci le trait de son expérience. Par exemple, tout au long de son séjour à Paris, il a toujours pu emprunter de petites sommes d’argent en cas de besoin à sa tante, Nellie Limouzin.

    En 1929, il retourna à Southwold et se mit à écrire dans la maison familiale, en vivant de cours particuliers et plus tard en passant à l’enseignement dans des petites écoles publiques. Dans la dèche à Londres et à Paris a été publié en 1933 et a connu un succès raisonnable.

    Londres, l’ILP et Une fille du Pasteur

    Il a alors commencé à travailler sur un roman basé sur sa vie à Southwold, Une fille du Pasteur, ouvrage qu’il a continué de a continué à développer après avoir déménagé à Hampstead où un parent lui avait trouvé un emploi dans une librairie. Les heures n’étaient pas ardues, ce qui lui permettait de travailler sur Une Histoire Birmane et Une fille du Pasteur, et de commencer à entrer dans la vie littéraire et politique de la capitale.

    C’est là qu’il est entré en contact pour la première fois avec le Parti Travailliste Indépendant (Independent Labour Party ou ILP) qui devait façonner en grande partie l’avenir politique d’Orwell. L’ILP était principalement basé sur un socialisme moraliste, mais un groupe de trotskystes travaillait en son sein, ce qui semble avoir vacciné Orwell contre le stalinisme qui a infecté tant d’intellectuels de gauche dans les années 1930 et 40. Ses expériences d’aliénation de la vie urbaine, d’insalubrité et de pauvreté distinguée ont constitué la base de son roman de 1936 : Et vive l’Aspidistra !, que la plupart des gens, et Orwell lui-même, considéraient comme un échec, bien que la rébellion et la défaite de Gordon Comstock contre le système préfigurent celles de Winston Smith dans 1984.

    Une fille du Pasteur a été publié en mars 1935. Étrangement, étant donné l’utilisation ultérieure par Orwell de l’intrigue d’une oeuvre de l’écrivain soviétique Yevgeny Zamyatin pour 1984, cette histoire d’une jeune femme tyrannisée par les règles de sa maison et les moeurs de la petite ville est étonnamment similaire à une nouvelle de Zamyatin – Les préceptes du salut obligatoire – bien qu’il n’y ait aucune preuve qu’Orwell ait lu l’oeuvre de Zamyatin à cette époque. Ce roman est une expérience courageuse, mais assez infructueuse car elle combine une description réaliste de la vie dans une petite ville, un compte-rendu plus ou moins journalistique de la cueillette du houblon dans le Kent, et des passages surréalistes de Londres que l’on pense influencés par James Joyce.

    Le Quai de Wigan

    Une Histoire Birmane a finalement été publié la même année, en juillet, et a reçu une critique favorable de la part de son vieil ami Cyril Connolly ce qui lui a ouvert les porte d’une commission menée par Victor Gollancz en 1936 pour visiter le nord de l’Angleterre et écrire un rapport sur les conditions de vie en vigueur dans cette région.

    Il a passé la plupart de son temps à Wigan, à enquêter sur la vie des mineurs. Il a notamment visité la mine de Bryn et a rendu visite à des mineurs au chômage. Il a ensuite loué un chalet dans le Hertfordshire rural pour rédiger ses notes. Le livre a une structure inhabituel, la première moitié étant une description de l’extraction du charbon et des salaires, du régime alimentaire et de la vie des mineurs, la seconde moitié étant un manifeste socialiste combiné à une revue critique des intellectuels socialistes de l’époque. Encore une fois, Orwell ne parvient pas tout à fait à surmonter ses propres préjugés sur les classes et un journaliste de la classe ouvrière de Wigan a écrit qu’Orwell n’avait pas réussi à comprendre : «…l’énorme joie de vivre du travailleur, la richesse de son humour et la philosophie simple qui le soutient aussi longtemps dans l’adversité ».

    La Catalogne – Orwell rencontre la révolution

    Au moment où il terminait Le Quai de Wigan, Franco lança sa contre-révolution en Espagne et Orwell fut immédiatement attiré par la lutte armée contre le fascisme. Utilisant ses contacts de l’ILP, il s’est engagé dans une milice liée au parti politique POUM (Le Parti ouvrier d’unification marxiste) qui, à un moment donné, avait été influencé par le trotskisme. Cela a eu une énorme influence sur son expérience avec la guerre civile espagnole car il a vu de première main les staliniens bloquer la lutte ouvrière, puis attaquer et étrangler le mouvement de la classe ouvrière en Catalogne avant de lancer une monumentale campagne de calomnie et de meurtres. Tout cela est relaté dans son merveilleux récit des événements de Barcelone, L’hommage à la Catalogne.

    Le livre commence par Orwell décrivant la pure joie de voir une ville sous le contrôle de la classe ouvrière : « C’était la première fois que je me rendais dans une ville où la classe ouvrière était en selle… Chaque mur était griffonné avec le marteau et la faucille et chaque magasin et café avait une inscription disant qu’il avait été collectivisé ».

    Mais quand il est retourné à Barcelone après 3 mois de combat, il a pu constater par lui-même à quel point les staliniens avaient étouffé la ferveur révolutionnaire. Il était encore plus consterné de constater qu’ils avaient utilisé les fusils les plus modernes non contre les anarchistes et les trotskystes alors que troupes qui combattaient les fascistes n’avaient que des fusils rouillés et désuets. Il a assisté le POUM lors des journées de mai 1937 à Barcelone, quand les staliniens ont désarmé leurs opposants politiques avant de les traquer. Heureusement pour lui, il est reparti au front la veille de la déclaration d’illégalité du POUM.

    En revenant sur le front, il a reçu une balle dans la gorge et a eu de la chance d’y survivre. Il a encore eu plus de chance par la suite en évitant d’être arrêté par les staliniens une fois soigné. Il a pu retourner en Angleterre avec quelques difficultés et a commencé à travailler sur ce qui deviendra « L’hommage à la Catalogne », finalement publié en avril 1938. Le livre ne s’est écoulé qu’à 600 exemplaires.

    L’Hommage à la Catalogne est pourtant un livre formidable. Sa force provient de sa véracité. On y sent à quel point Orwell est inspiré par le spectacle des travailleurs aux commandes. Suit alors sa description de la trahison stalinienne, à un moment où la plupart de la gauche acceptait des monstruosités telles que les procès de Moscou et la répression du POUM comme des actes nécessaires. Cela a marqué le sommet de l’approche politique d’Orwell. Cela a laissé une marque durable sur sa personne. Dans une lettre de 1937, il écrivit : « Enfin, je crois vraiment au socialisme, ce que je n’avais jamais fait auparavant », et vers la fin de sa vie, il disait encore : « Chaque ligne de travail sérieux que j’ai écrit depuis 1936 a été écrite, directement ou indirectement, contre le totalitarisme et pour le socialisme démocratique. »

    Le terme d’hommage indique clairement la volonté qui est la sienne avec ce livre : honorer et se souvenir de la classe ouvrière catalane qui avait combattu le fascisme avec tant de courage, pour être finalement trahie. Il se sentait presque seul à remplir cette tâche, mais cela ne l’a pas empêché de le faire.

    Un peu d’air frais

    Une fois de retour en Angleterre, Orwell a souffert de problèmes de santé liés à sa blessure ou vraisemblablement au début de sa tuberculose qui allait le tuer. Un ami romancier a payé à Orwell et sa nouvelle épouse, Eileen O’Shaughnessy, un voyage au Maroc pendant l’hiver 1938-1939 et c’est là-bas qu’il a écrit le roman Un peu d’air frais. Peut-être, pour la toute première fois, Orwell a enfin réussi à écrire un roman à succès. Il y traite des réflexions de George Bowling, une version adulte du « garçon de bureau gagnant 40£ par an » qu’Orwell aurait pu devenir, profondément insatisfait de son travail, de ses enfants, de son mariage et du monde moderne en général. Bowling décide de se souvenir de certaines scènes du passé, qu’il considérait être une enfance idyllique avant la Première Guerre mondiale, pour seulement constater par après qu’elles ont été construites dans une banlieue laide et que l’étang où il pêchait est maintenant rempli de détritus. Un peu d’air frais décrit l’impossibilité d’un retour dans le passé et décrit amèrement le sort des classes moyennes asservies par leurs hypothèques et leur vie terne et laide. La visite de notre anti-héros à une réunion du Parti communiste servira clairement de modèle pour les « deux minutes de la haine » que l’on trouve dans 1984.

    Orwell en temps de guerre

    Comme George Bowling le craignait, la guerre est survenue, quelques semaines à peine après la publication du livre. Orwell et sa femme ont obtenu des emplois dans le département de la censure du ministère de l’information, une expérience qui servira de base pour les travaux du héro de 1984, Winston Smith, au ministère de la Vérité. Il a écrit de nombreux essais à cette époque, publiés sous les titres Inside the Whale et The Lion and the Unicorn, dans lesquels il a développé une vision du « socialisme anglais ». Malgré l’utilisation d’un tel terme, cela n’est pas aussi réactionnaire qu’on ne le penserait. Il croyait que le système des classes sociales entravait la guerre contre les nazis qui ne pouvait être poursuivie efficacement que par un gouvernement socialiste. En cela, il n’était pas si loin de la controversée « politique militaire prolétarienne » de Trotsky, car Orwell, par exemple, pensait que la Home Guard avait des éléments d’une milice populaire ou ouvrière (la Home Guard est une formation paramilitaire britannique instituée au début de la Seconde Guerre mondiale dans la perspective d’un éventuel débarquement allemand, NdlR).

    Il a également commencé à écrire pour le journal Tribune de Nye Bevan et la BBC. Son adaptation en 1943 du conte de fées Les Habits neufs de l’empereur, a clairement eu une influence sur La Ferme des Animaux qui a été sous-titré Une histoire de fées. Après l’échec de L’hommage à la Catalogne, Orwell avait décidé que les gens comprendraient mieux la politique à travers la fiction.

    La Ferme des Animaux a finalement été publié, après les efforts de censure des staliniens britanniques, en 1945. Il n’est pas étonnant que ces derniers voulaient empêcher sa publication : le livre est une attaque en règle du régime et des crimes de Joseph Staline sous la forme d’une allégorie. Chacun des principaux protagonistes de la révolution russe a sa place dans la cour de la ferme des animaux : Lénine, Staline, Trotsky, les héroïques ouvriers soviétiques, le GPU (ancêtre du KGB) et même l’Église orthodoxe russe, présentée sous les traits d’un corbeau lâche. Le livre se termine par la victoire de la bureaucratie soviétique, représentée par des porcs qui vivent loin des réalités de la classe ouvrière et travaillent à pied d’égalité avec les agriculteurs humains. La représentation de la conférence de Yalta en 1945 est à peine déguisée.

    En dépit de son utilisation et de sa promotion par la CIA, La Ferme des Animaux défend à tout moment la révolution initiale des animaux contre leurs conditions de vies intolérables. Le véritable héros est Boxer, le cheval de trait assidu qui symbolise la classe ouvrière russe. Après avoir reconstruit la ferme deux fois, Boxer est emmené dans la cour de l’éleveur par les cochons, tout comme les millions de travailleurs russes abattus ou envoyés aux goulags après avoir reconstruit l’URSS à deux reprises ; une fois après la guerre civile, puis à nouveau lors des plans quinquennaux.

    1984

    Alors qu’Orwell essayait de faire publier la Ferme des Animaux, il travaillait comme correspondant de guerre pour le journal The Observer. C’est dans ce cadre qu’il a couvert la libération de Paris et l’occupation de Cologne. Alors qu’il était à l’étranger, sa femme est décédée de façon inattendue des complications d’une opération, lui laissant la garde de son fils adoptif, Richard.

    Il se peut que cette tragédie personnelle, ainsi que les sombres perspectives politiques et économiques du lendemain de la guerre, aient influencé la vision désolée développée dans 1984. Il est facile d’oublier qu’en 1946, personne ne savait qu’il y aurait une croissance économique mondiale du capitalisme et de la société de consommation. Tout ce qu’Orwell pouvait voir, c’était que des millions de personnes de la classe ouvrière étaient mortes durant la guerre, que des villes avaient été détruites, que les réfugiés ce comptaient par milliers, que les camps de concentration avaient existé, que les économies avaient été disloquées et que le régime de Staline s’étendait au cœur de l’Europe.

    Même dans les « démocraties occidentales », l’autocensure était la règle. La plupart des écrivains étaient soit des compagnons de route du parti communiste, soit des partisans chauvins de Churchill et de l’Empire. Il n’est pas étonnant que le titre original de 1984 ait été Le Dernier Homme en Europe. Orwell estimait que seuls lui et un petit nombre de collaborateurs représentaient encore la vérité objective et la défense du véritable socialisme. Mais sans pouvoir trouver son chemin vers les petites forces du trotskisme, il n’a pas pu développer une compréhension de la période qu’il vivait. Les motifs centraux de 1984 sont laids : le mensonge institutionnalisé, la torture affinée à la perfection, et une botte imprimée sur un visage humain pour toujours. Mais il y a aussi de l’espoir : la grive qui chante en liberté à la campagne juste parce qu’elle le peut, le réveil de Winston Smith à l’amour pour Julia, et surtout pour la classe ouvrière. Un refrain répété dans le livre est « S’il y avait de l’espoir, c’est chez les prolétaires ». Eux seuls conservent une liberté vis-à-vis du Parti et doivent être maîtrisés par un mélange de répression et de distraction de masse. Il avait bien sûr raison sur ce point : seule la classe ouvrière peut renverser la dictature et l’oppression de classe et c’est précisément pourquoi les dirigeants capitalistes consacrent tant de temps et d’efforts à empêcher la classe ouvrière à comprendre sa situation et surtout sa force et son pouvoir.

    1984 a été publié en 1949, après des efforts héroïques de la part d’Orwell qui luttait alors contre la tuberculose qui l’a emportée le 21 janvier 1950.

  • Que crève le capitalisme. Ce sera lui ou nous.

    Hervé Kempf (1) avait déjà écrit « Comment les riches détruisent la planète (2007) ». Son tout nouvel ouvrage se situe dans cette continuité et son titre a le mérite de dire les choses clairement. C’est hélas beaucoup moins le cas dans le livre proprement dit.

    L’auteur ne manque pas de bonnes intention et une inquiétude sérieuse l’anime face à la perspective d’un « apartheid climatique » où les riches paient pour échapper à la surchauffe, à la faim et aux conflits, tandis que le reste du monde est laissé pour compte. Mais son analyse et ses propositions reposent avant tous sur les comportements individuels. Ainsi, pour lui, le capitalisme « est une organisation sociale dont les membres sont réputés avoir pour motivation principale de gagner de l’argent afin de pouvoir gagner plus d’argent. » C’est vrai. Mais cette cupidité est ancrée dans un élément matériel : la possession des moyens de production. C’est là que se situe le fondement du capitalisme et c’est à cela qu’il faut s’attaquer.

    Hervé Kempf semble fier de dire « qu’il n’y a pas de programme, pas de solution clé en main, pas de remède magique qui remplace le vilain capitalisme par le gentil monde écologique et fraternel », mais définir l’alternative que nous voulons est pourtant crucial afin de définir le chemin et les méthodes d’y parvenir. L’auteur défend quant à lui la stratégie de la frénésie : mener n’importe quel type d’action contre le système capitaliste en crise pour en accélérer l’effondrement. Et espérer que cela ira mieux ensuite.

    Le livre souligne à juste titre que les révoltent gagnent en ampleur : entre 2011 et 2019, les émeutes, les grèves générales et les manifestations antigouvernementales se sont accrues de 244 %, selon le Global Peace Index. L’Europe étant par ailleurs la région où l’on a compté le plus de ces rébellions. Mais nous ne pouvons simplement souhaiter que ces révoltes augmentent en nous disant « on verra bien ».

    La meilleure manière de bloquer l’économie, c’est de recourir à l’arme de la grève. Nous devons faire reposer notre stratégie sur le lien avec la classe des travailleuses et des travailleurs, les seuls à même de complètement bloquer l’économie capitaliste pour la refaire ensuite tourner en étant débarrassés des parasites du patronat. Sur cette base, nous pourrons alors rationnellement et démocratiquement planifier la production économique et mobiliser toutes les ressources pour répondre aux besoins sociaux et faire face au défi écologique.

    Au final, « Que crève le capitalisme » ressemble bien plus à un cri de désespoir qu’à un acte d’accusation.

    1) Ancien journaliste de Courrier international, La Recherche et du Monde, actuel rédacteur en chef de Reporterre

  • Critique du livre ”Ils nous ont oubliés” de Peter Mertens

    Plaçons la classe ouvrière au centre, y compris dans le combat pour un changement de société !

    Sept mois de crise sanitaire ont démontré que ce sont les travailleurs qui font tourner le monde. Cela conduit à une plus grande conscience de classe. Le livre de Peter Mertens aborde cette question. Il part de la vie et du travail des héros, de la classe ouvrière. C’est, de plus, une mise en accusation de la classe capitaliste qui souhaite que cette conscience collective de la classe ouvrière soit oubliée le plus vite possible.

    Par Michael (Gand)

    Un rappel essentiel

    Les travailleurs ont dû tout faire mais, pourtant, leurs intérêts étaient loin d’être centraux dans les mesures sanitaires. Nous avons constaté une contradiction criminelle entre les mesures de confinement individuelles et les intérêts économiques. Peter Mertens dénonce à juste titre le ”deux poids, deux mesures”. “Les règles s’appliquent à tous, sauf lorsqu’il s’agit de fabriquer des boîtes de vitesses. Ça c’est permis !”, écrit-il dans son avant-propos. Tout est secondaire face aux profits.

    Le livre nous rappelle que ce sont les travailleurs eux-mêmes et leurs syndicats qui ont provoqué l’arrêt d’une partie de la production non essentielle ou qui ont fait respecter les mesures de sécurité. “Plus le syndicat est fort sur ses pattes, plus le lieu de travail est sûr”, résume Mertens.

    Il aurait aller un peu plus loin : les initiatives viennent actuellement presque toujours de la base, alors que la direction semble absente. Dans la saga des masques, par exemple, les directions syndicales auraient pu faire campagne pour exiger que des lignes de production soient réorientées et des stocks saisis pour protéger les travailleuses et les travailleurs. Lorsque le collectif militant “La Santé en Lutte” a pris l’initiative de sortir la lutte sociale du confinement, les dirigeants syndicaux auraient pu en faire un exemple national.

    Le rôle de la classe ouvrière a été clairement démontré dans cette crise sanitaire. Les responsables politiques et les médias aimeraient que cela soit oublié au plus vite. Après tout, cela représente un danger pour leur politique. Des années de mesures d’austérité fanatiques et désastreuses ont aggravées les conséquences de la crise. Ces dernières années, les patrons ont mené avec succès une lutte de classe pour défendre leurs intérêts matériels : leurs profits. Si leur adversaire – notre classe ouvrière – commence à s’en rendre compte, ils ont un problème.

    Des investissements publics massifs sont nécessaires. Comment les arracher ?

    La nécessité d’investissements publics massifs devient de plus en plus évidente. Plusieurs gouvernements capitalistes s’en rendent compte et proposent des plans de relance. En général, ces plans visent directement les intérêts des grandes entreprises, même s’il y a parfois quelques mesurettes en faveur du pouvoir d’achat. Les marxistes partent d’une logique différente : de ce qui est nécessaire pour la majorité de la population.

    Dans son livre, Peter Mertens présente son plan Prométhée, un plan que quatre consortiums publics européens mettraient en place pour investir dans l’énergie, les soins de santé, les transports et le développement numérique. Il s’agirait de consortiums publics destinés à développer l’activité économique et l’emploi sur la base d’investissements publics qui auraient, en outre, lieu au niveau européen. La manière dont cela serait mis en œuvre est toutefois beaucoup moins claire. Peter Mertens pense-t-il que l’on peut convaincre l’establishment avec de bons arguments ? Ou que les nouvelles formations de gauche en Europe seront soudainement si fortes qu’elles pourront l’imposer et même répondre à l’inévitable chantage des grandes entreprises ? Nous en doutons : malheureusement, de nombreuses nouvelles formations de gauche en Europe se mettront rapidement à genoux dès qu’elles rencontreront une opposition. Nous l’avons constaté avec Syriza en Grèce ou avec Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne.

    Néanmoins, un plaidoyer en faveur d’un vaste plan d’investissements publics est très utile. Mertens fait référence au Green New Deal d’Alexandria Ocasio-Cortez aux États-Unis, un plan ambitieux qui suscite un grand enthousiasme. En même temps, il est clair que l’application de ces mesures nécessite une lutte acharnée et qu’elles sont contraires aux intérêts des grandes entreprises. Tant que les secteurs clés de l’économie seront détenus et gérés par le secteur privé sur base de la logique de profit et de concurrence, il y aura une résistance farouche de la part des grandes entreprises. D’une part, les grandes multinationales de l’énergie n’accepteront pas la concurrence d’un consortium énergétique public. D’autre part, pour survivre, une entreprise d’énergie publique dans un marché dominé par des multinationales devrait suivre les règles de ces dernières.

    Pour le financement du plan Prométhée, Peter Mertens se penche sur une taxe des millionnaires, mais au niveau européen. Un tel impôt sur les actifs serait plus que bienvenu, mais il nécessite la levée du secret bancaire, l’élaboration d’un registre d’actifs et la possibilité d’exproprier pour éviter le sabotage.

    Pourquoi ne pas mettre la capacité de production développée par la classe ouvrière sous le contrôle et la gestion de cette même classe et de la communauté ? Il serait alors possible de planifier démocratiquement la production en fonction des besoins en tenant compte de l’environnement.

    Apprivoiser le capitalisme ?

    Placer les secteurs clés de l’économie dans les mains du public et développer une économie planifiée signifie de rompre avec le capitalisme. À l’heure où le capitalisme démontre si clairement l’étendue de sa faillite, la gauche doit ouvertement et audacieusement défendre une transformation socialiste de la société.

    Il est illusoire de penser que le capitalisme peut être dompté, même si les défenseurs clairvoyants de ce système se rendent compte qu’il est parfois nécessaire de permettre au gouvernement de jouer un rôle plus important et de réduire un peu les inégalités. Leur objectif n’est pas de se concentrer sur les besoins des masses, mais de défendre le capitalisme et de le protéger de la révolution.

    C’est la position de l’économiste libéral Paul De Grauwe, qui a beaucoup fait l’éloge du livre de Peter Mertens et qui était l’un des intervenants lors de la présentation du livre. Dans le quotidien flamand De Morgen, il s’est exprimé ainsi : “Si vous laissez simplement le capitalisme à lui-même, sans un gouvernement qui intervient fortement, l’inégalité continuera à s’accroître. (…) Sans gouvernement pour soutenir ce système, le capitalisme peut imploser”. De Grauwe était autrefois un défenseur du néolibéralisme, mais il se rend bien compte que la logique néolibérale met aujourd’hui en danger le capitalisme. Par ailleurs, De Grauwe fait souvent référence aux taux d’imposition élevés sur les gros actifs aux États-Unis dans les années 1950 et 1960, une période de croissance économique exceptionnelle dans un contexte de guerre froide et d’un mouvement ouvrier bien organisé.

    Les références au New Deal de Roosevelt et aux taux d’imposition des années 1950 et 1960 sont souvent faites pour montrer qu’une politique différente est possible et réalisable. A une époque de conscience de classe accrue, il est cependant problématique de ne pas regarder ce contexte de lutte des classes. C’est pour éviter un plus grand développement de la lutte ouvrière que Roosevelt a réalisé d’avantage de concessions sociales dans son deuxième New Deal. Mais même cela n’a finalement pas suffi pour stopper la crise. Ce n’est arrivé qu’avec la guerre.

    La classe ouvrière peut arracher le changement

    Dans “Ils nous ont oubliés”, Peter Mertens souligne le rôle central de la classe ouvrière dans la lutte contre le coronavirus et dans la production des richesses. C’est cette même classe ouvrière qui est essentielle pour parvenir au changement social.

    Selon Peter Mertens, un “tremblement de l’esprit” est nécessaire. Ce faisant, il semble créer l’illusion qu’il suffit de faire de bonnes propositions, d’en convaincre les gens et que, sur la base de ce soutien, les capitalistes devront l’accepter. N’est-ce pas là une sous-estimation de notre adversaire ? Les bonnes idées ne suffisent pas lorsque l’autre camp mène avec succès la lutte des classes.

    Tout au long de l’histoire, il a été démontré que les conquêtes sociales ont toujours été obtenues par la lutte des classes. La seule force capable de contrer la résistance profondément enracinée du grand capital est un mouvement de masse reposant sur la force sociale et économique de la classe ouvrière. Un tel mouvement et une telle lutte commencent au niveau national, mais s’étendent rapidement sur la scène internationale, surtout aujourd’hui. C’est important et c’est nécessaire ; après tout, une société socialiste est condamnée en restant isolée à un pays. La solidarité internationale dans la lutte pour le changement social est essentielle.

  • Nouveau livre des éditions Marxisme.be : 1994, génocide au Rwanda. Une analyse marxiste

    Photographies de victimes du génocide au Centre du mémorial du génocide à Kigali Gisozi (Rwanda). Wikipédia

    Comment le capitalisme a engendré la barbarie dans la région des Grands Lacs

    En 1994, un événement d’une horreur inouïe et historique a eu lieu au Rwanda : le génocide des Batutsi et le massacre des Bahutu modérés. Cet événement qui fut médiatisé sidéra le monde entier. La barbarie à l’échelle industrielle entraina la mort de 800.000 à 1.000.000 de personnes en trois petits mois. 25 ans plus tard, c’est l’occasion de revenir sur les causes et les conséquences de ce massacre pour le Rwanda et toute la région.

    Plus jamais ça !

    C’est la réaction immédiate de toute personne prenant connaissance de cette folie meurtrière. Vient ensuite le temps de l’analyse. Cet ouvrage tente notamment d’expliquer le type de société qui a permis à ces funestes événements d’avoir lieu. Beaucoup de choses ont été écrites et dites sur le sujet. À la différence de beaucoup d’autres analyses, la méthode marxiste se base sur la division en classes de la société et du système de production capitaliste et ses contradictions, pour tenter de comprendre comment la société rwandaise a pu sombrer dans le génocide.

    Comprendre le monde pour le changer, telle est la devise des marxistes. À contre-courant des analyses réductrices, racistes ou malthusiennes, ce livre veut être une contribution à l’élaboration d’un programme qui répond aux besoins socio-économiques dans la région, pour en finir définitivement avec les divisions sectaires, l’exploitation de l’Humain et de la nature par une minorité.

    ALAIN MANDIKI est un militant syndical et politique, actif au sein du Parti Socialiste de Lutte / Linkse Socialistische Partij (PSL/LSP) en Belgique. Originaire du Kivu, il est notamment l’auteur de nombreuses analyses concernant l’Afrique, particulièrement la République démocratique du Congo. Il s’agit du premier livre concernant l’Afrique – et en particulier subsaharienne – publié par les éditions marxisme.be.
    Le livre coûte 4€ (+3€ de frais de port, en cas de livraison)
  • Le cri d’alarme de ‘‘Nous sommes le climat’’

    ‘‘Vous nous dites que nous devons ranger notre chambre et vous espérez que nous étudierons beaucoup, que nous deviendrons tous de brillants scientifiques et que nous tenterons tous de résoudre votre problème planétaire. Du moins : s’il est encore temps pour cela. Parce qu’en attendant, le temps presse. Nous entendons le tic-tac.’’

    Par Geert Cool

    Dans leur livre ‘‘Nous sommes le climat’’, Anuna De Wever et Kyra Gantois appellent à l’adoption de mesures sérieuses pour le climat. L’urgence est au centre du petit livre : nous entendons tous résonner le tic-tac du temps qui passe. C’est précisément ce sentiment d’urgence qui, depuis des semaines, mobilise des dizaines de milliers de jeunes dans un mouvement qui a rendu célèbres Anuna et Kyra. Ce mouvement montre quelle est la force de la mobilisation : la colère et la peur ont été transformées en détermination.

    Cette lettre ouverte dénonce l’inaction alors que les scientifiques indiquent clairement que le temps nous manque. Sans changement fondamental au cours des dix à douze prochaines années, un changement climatique irréversible et auto-renforçant menace. Les deux jeunes tracent un parallèle intéressant avec les plans d’évacuation en cas d’incendie qui existent pour chaque école. ‘‘Nous le pratiquons trois fois par an, en laissant tout en place, en fermant les fenêtres, en courant en rangées et en nous réunissant dans la petite place derrière l’école. La planète est en feu, mais il n’y a pas de plan.’’

    Le livre reste plus hésitant au sujet des alternatives et des solutions. La nécessité d’augmenter les moyens pour les transports en commun est précisée et les auteurs ont raison de souligner que des milliards sont consacrés aux combustibles fossiles actuellement ou encore que les milliards n’ont pas manqué il y a dix ans afin de sauver les banques. Pourquoi est-ce impossible pour le climat ? Ces observations ne sont pas neuves : elles remettent directement en question le fonctionnement du système actuel et ouvrent le débat sur l’alternative à lui opposer.

    Répondre que nous sommes tous sur le même bateau et que nous devons écouter les recommandations des experts est hélas insuffisant. Anuna et Kyra soutiennent que le climat n’est ni de gauche ni de droite et que tout le monde devrait se battre pour l’avenir de la Terre-Mère. Mais pourquoi donc les choses tournent-elles aussi mal s’il en est ainsi ? Est-ce la faute de nos aînés qui n’ont pas compris le problème à temps ou à cause des politiciens qui se disputent trop entre eux au lieu de s’en prendre aux problèmes ? Cela peut jouer un rôle, mais la racine du problème est beaucoup plus profonde : le système – et appelons-le par son nom : le capitalisme – ne repose que sur la recherche de profits pour une infime élite, il exploite toutes les sources de richesse, tant le travail que la nature. Accepter ce constat est un fait politique et idéologique.

    Le capitalisme s’oppose à nos intérêts. Anuna et Kyra indiquent à juste titre qu’une planification rationnelle de l’utilisation des ressources disponibles est nécessaire. Des solutions très logiques sont également proposées comme le transfert des milliards de dollars de subventions aux combustibles fossiles vers les transports publics. Nous pourrions réunir des milliers d’autres experts qui confirmeraient les avantages de cette mesure, mais ce ne sera pas suffisant pour en faire une réalité. Pour y arriver, nous ne pourrons pas faire l’économie d’une lutte de masse. Même les mesures les plus évidentes pour préserver notre avenir exigeront une lutte acharnée contre les intérêts des utlra-riches, en développant nos revendications dans le contexte plus large d’un ambitieux projet de société alternative. Sans toutefois parler de socialisme, le livre ouvre la discussion sur cette alternative. Passons d’une pensée utopique à une vision scientifique de la société et de notre alternative à la barbarie du capitalisme.

     

  • Livre. Du Rouge au Tricolore – Résistance et Parti communiste

    Le livre de José Gotovitch, Docteur en Histoire (ULB) et compagnon de route du PCB, publié en 1992, vient d’être réédité par le CarCoB. Il mérite l’attention de toute personne soucieuse de connaître de façon minutieuse l’histoire du Parti communiste de Belgique. Le livre couvre essentiellement la période 1939-1944. La fondation du PCB en 1921, l’exclusion des partisans de Trotsky en 1928, la période ultra-gauche 1928-1934 sont survolées brièvement par l’auteur dans le premier chapitre.

    Par Guy Van Sinoy

    Quelques mots d’explication cependant sur la période antérieure à 1939. Le tournant ultra-gauche de l’Internationale communiste (Komintern), qui a fortement isolé plusieurs partis communistes en Europe, s’appuyait sur un pronostic erroné : celui de la fin imminente du capitalisme (illusion renforcée par le krach boursier de Wall Street en 1929). Les PC lancèrent alors des mots d’ordre gauchistes appelant à la constitution de soviets partout (même en l’absence de grève !) et traitaient les socialistes de ‘‘sociaux-fascistes’’. En Allemagne, cette division des rangs ouvriers ouvrit à Hitler la voie vers la prise du pouvoir.

    Au cours de l’été 1935, le 7e Congrès du Komintern tenta de redresser la barre par un brusque tournant à droite. La nouvelle ligne politique, impulsée par Dimitrov, consista désormais à former, avec la social-démocratie et la bourgeoisie ‘‘démocratique’’ un front antifasciste (appelé Front populaire). Ce tournant représenta pour les PC européens l’abandon de l’antimilitarisme, de la lutte contre le colonialisme et, d’une façon générale, des revendications anticapitalistes. En Espagne ce ‘‘Front populaire’’ permit à Staline d’étouffer la révolution en mai 1937.

    Dès le milieu des années 1930, le PCB a été suivi de près par Andor Berei, un envoyé clandestin du Komintern dépêché à Bruxelles pour cornaquer le parti. En août 1939, la signature du pacte Hitler-Staline suscite peu de protestations dans les rangs du PCB qui renverra dos à dos les impérialismes allemand et britannique.

    En juillet 1941, peu après l’invasion de l’URSS par Hitler, la direction clandestine impose alors un tournant politique radical: ‘‘La lutte menée par l’URSS est une guerre de défense nationale contre la barbarie fasciste et pas une lutte entre deux systèmes, le socialisme et le capitalisme.’’ Du Rouge au Tricolore, ce tournant vers la ‘‘défense de la patrie’’ choisi dès l’été 1941 aboutira à la participation du PCB à des gouvernements bourgeois d’union nationale après la guerre.

    Un dernier commentaire : la dissolution de l’Internationale communiste par Staline, en 1943, destinée à donner à Roosevelt et à Churchill la garantie que les partis communistes ne tenteraient pas de s’emparer du pouvoir en Europe occidentale après la défaite d’Hitler, ne suscita pas plus de protestations au sein du PCB que la signature du pacte Hitler-Staline quelques années plus tôt.

    Grâce à l’héroïsme de ses militants, le PCB sera néanmoins capable de s’adapter à ces tournants brusques, de structurer un appareil et un parti de masse (10.000 membres en 1943 !) dans un contexte politique qu’il n’avait pas du tout prévu (clandestinité, lutte armée, répression féroce menée par les nazis, tournants politiques à 180° imposés de façon bureaucratique par Staline).

    Prix : 30€ (port compris) à verser sur le compte BE53 0011 6085 2853 du Carcob, rue de la Caserne 33, 1000 Bruxelles, en mentionnant le titre du livre et vos coordonnées.

  • Rosa Luxemburg et les socialistes belges

    Dans ‘‘Rosa Luxemburg et les socialistes Belges’’, Anne Vanesse présente une esquisse de portrait de Rosa Luxemburg et nous fait ensuite découvrir ses analyses pointues et les polémiques engagées au sujet des grèves belges pour le suffrage universel.

    Par Geert Cool

    Dans ‘‘Rosa Luxemburg et les socialistes Belges’’, Anne Vanesse présente une esquisse de portrait de Rosa Luxemburg et nous fait ensuite découvrir ses analyses pointues et les polémiques engagées au sujet des grèves belges pour le suffrage universel.

    Rosa Luxemburg était une militante polyvalente, avec ses forces et ses faiblesses. Cela entraine inévitablement des estimations très différentes de sa pensée politique. Nous considérons ainsi différemment beaucoup d’éléments présents l’introduction et l’aperçu biographique de Rosa Luxemburg. Le livre développe une approche unilatérale des divergences d’opinion entre Rosa et les bolcheviks, tout particulièrement avec Lénine.

    L’absence d’un mouvement révolutionnaire organisé au sein de la social-démocratie allemande s’est révélée être une faiblesse majeure au début de la Première Guerre mondiale. Les critiques de Rosa à l’égard de la guerre étaient vives, mais sans qu’il n’y ait d’organisation pour la soutenir. Ce n’est que pendant la guerre que cette tâche difficile a commencé, d’abord autour du journal Die Internationale et ensuite avec la Ligue Spartakiste. Elle disait alors que ‘‘la social-démocratie n’est plus qu’un cadavre puant’’ et s’accordait avec Lénine et Trotsky sur le besoin d’une nouvelle Internationale. Rosa a contribué au développement de la Ligue Spartakiste et plus tard du Parti communiste allemand. La Révolution russe d’Octobre l’a enthousiasmée, malgré des critiques qu’elle a immédiatement liées à la nécessité de l’expansion internationale de la Révolution russe.

    La critique de Rosa Luxemburg sur l’attitude de la direction du POB (Parti ouvrier belge, l’ancêtre du PS) dans la lutte pour le suffrage universel en Belgique constitue le point fort de ‘‘Rosa Luxemburg et les socialistes belges’’. Ce passage décrit la puissance des grèves générales pour arracher des conquêtes sociales. Les grandes grèves de 1891 et 1893 ont livré le Suffrage universel masculin tempéré par le vote plural (les privilégiés avaient plusieurs voix). La force de ces mouvements de masse de la base a toutefois été affaiblie par la suite en alignant la lutte sur la conclusion de compromis parlementaires avec les libéraux. C’est ainsi que la revendication du suffrage universel féminin a été mise de côté. Elle faisait remarquer : ‘‘c’est une nouveauté de considérer ainsi (le) programme comme un menu dont les plats ne peuvent être dégustés que l´un après l’autre. Même si une situation politique particulière peut amener temporairement le parti ouvrier de chaque pays à se mobiliser davantage pour certains objectifs de son programme que pour d´autres, c´est bien la totalité de notre programme qui reste le fondement permanent de notre combat politique.’’

    Rosa Luxemburg faisait remarquer que la lutte syndicale et la lutte politique vont de pair, mais que soumettre la lutte extra-parlementaire à celle des compromis parlementaires conduit aux défaites. Elle a souligné la nécessité des mouvements de masse et d’une large participation afin d’assurer le contrôle du mouvement sur les parlementaires ainsi que pour garantir que la discussion prend toujours pour base les besoins de la population active et non ce qui est réalisable dans le cadre de compromis politiques. Elle a également expliqué qu’il ne faut pas instrumentaliser les grèves pour relâcher de la vapeur. ‘‘Même un enfant ne s’effraie pas d’une menace ‘‘les poings dans la poche’’, ainsi que le Peuple le conseillait sérieusement aux grévistes, et une classe au pouvoir luttant à la vie et à la mort pour le reste de sa domination politique, s’en effraie moins encore.’’ Une grève générale a toujours une signification politique : ‘‘l’importance politique des masses ouvrières en grève réside toujours, et aujourd’hui encore, dans le fait qu’en cas de refus obstiné de la majorité parlementaire, elles sont éventuellement prêtes et capables de dompter le parti au pouvoir par des troubles, par des révoltes de rues.’’

    Avec ce livre, Anne Vanesse contribue à ce que Trotsky écrivait au sujet de Rosa Luxemburg concernant le ‘‘devoir de transmettre dans toute sa splendeur et son haut pouvoir d’éducation cette figure vraiment merveilleuse, héroïque et tragique, aux jeunes générations du prolétariat’’.

     

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