Tag: Italie

  • Italie. Contre l’offensive de la droite : résistance partout ! À l’école, au travail, dans la rue !

    Les élections de septembre ont confirmé la profonde crise politique que traverse l’Italie. Un autre gouvernement de coalition instable, avec toutes sortes de technocrates non élus comme ministres, est tombé en juillet. Avec un taux de participation électorale le plus faible depuis Mussolini, la droite est devenue le plus grand groupe parlementaire et les Fratelli d’Italia (FDI ou « Frères d’Italie »), parti d’extrême droite, le plus important au parlement. Malheureusement, il n’y avait pas d’alternative de gauche crédible lors de ces élections.

    Par Eugenio (Bruxelles)

    Le 21 octobre, Giorgia Meloni (FDI) est devenue la première femme à diriger un gouvernement italien, le plus à droite du pays depuis la Seconde Guerre mondiale. Une multitude de figures réactionnaires ont endossé des fonctions ministérielles. Eugenia Roccella, à la tête du nouveau ministère de la « Famille, de la naissance et de l’égalité des chances », est opposée à l’avortement, aux droits des personnes LGBTQIA+ et aux traitements de fertilité. Galeazzo Bignami (FDI), ministre délégué aux Infrastructures, a été photographié en 2005 en tenue noire et portant au bras un brassard frappé de la croix gammée.

    Criminalisation des rassemblements

    L’un des premiers projets de loi du nouveau gouvernement est le décret contre les rave-party, qui criminalise les rassemblements non autorisés de plus de 50 personnes. Derrière le prétexte de s’en prendre aux fêtes illégales (priorité politique majeure, semble-t-il), cette législation liberticide vise bien entendu à réprimer les rassemblements de protestation. Les droits sociaux et libertés sont en danger, les principales cibles étant les migrants, les femmes et les personnes LGBTQIA+.

    Ce gouvernement d’un pays plongé dans la récession sait qu’il sera incapable d’adopter des mesures économiques et sociales de nature à atténuer la crise du coût de la vie que subit une classe travailleuse italienne déjà gravement précarisée. Les projets économiques du gouvernement ne représentent aucune solution pour la population. Ceux-ci s’alignent sur les politiques antisociales du gouvernement Draghi, qui était la marionnette de l’Union européenne et du Fonds monétaire international (FMI). Afin d’obtenir les 200 milliards d’euros d’aide du plan de relance européen, ce gouvernement est lui aussi pieds et poings liés aux diktats de la Commission européenne. S’attaquer aux migrants, aux femmes et aux communautés marginalisées doit servir à détourner l’attention de son impuissance tout en cherchant à affaiblir la solidarité et donc la capacité de riposte de la classe travailleuse.

    Les jeunes se mobilisent

    Car la jeunesse et la classe travailleuse ne resteront pas sur la touche. Le 27 septembre, des milliers de personnes sont déjà descendues dans la rue en défense du droit à l’avortement menacé par l’extrême droite. Cette démarche s’inscrit dans le cadre de la renaissance du mouvement féministe italien, qui a par ailleurs manifesté contre les violences sexistes le 26 novembre.

    Diverses mobilisations nationales ont déjà été organisées par des collectifs sociaux et de travailleurs contre les politiques antisociales du nouveau gouvernement. La jeunesse a tout particulièrement réagi avec des occupations d’écoles et d’universités, aboutissant à une journée nationale d’action le 18 novembre dernier. Ce  #NoMeloniDay a réuni 100.000 étudiants et écoliers dans plus d’une cinquantaine de villes. Ils ont exigé plus de moyens pour l’enseignement et la fin de la répression policière brutale.

    Les jeunes ne sont pas isolés dans leur combat. L’Unione Sindacale di Base et Si Cobas (syndicats indépendants) ont appelé à une grève générale le 2 décembre sous le slogan « Déposez les armes, montez les salaires ! », suivie d’une manifestation nationale à Rome le lendemain. Ils réclament des augmentations de salaire de 10 %, un système d’indexation des salaires et un salaire minimum de 10 euros de l’heure. La CGIL, la plus grande fédération syndicale, ne doit plus attendre et doit immédiatement se joindre aux mouvements.

    Syndicalisme militant

    Des exemples de syndicalisme militant – comme celui des travailleurs de l’usine occupée GKN à Florence, qui ont formé un collectif pour défendre les 500 emplois menacés par la fermeture et qui cherchent activement à construire la solidarité entre les différentes luttes – sont capables de rallier de larges couches de la société autour d’eux et de poser les bases d’un mouvement indépendant et combatif des travailleuses et travailleurs pour repartir à l’offensive politique.

    Pour plus d’informations, suivez la page Instagram de notre section italienne @ASI_Italia, ou visitez notre site LottaPerilSocialismo.it.

  • Vers une victoire de l’extrême droite mais… le mouvement ouvrier n’a pas dit son dernier mot en Italie

    Le gouvernement d’unité nationale dirigé par l’ancien président de la Banque centrale européenne Mario Draghi s’est effondré le 21 juillet dernier, en dépit du soutien indéfectible du patronat italien et de la large majorité parlementaire dont il disposait. Les élections anticipées du 25 septembre vont se dérouler sur fond de profonde crise sociale, économique et politique.

    Par Pietro (Bruxelles)

    Le gouvernement Draghi réunissait une équipe hétéroclite, mais unie par son désir de servir les intérêts de la classe dirigeante : le Mouvement 5 étoiles (M5S, populiste), la Ligue (Lega, extrême droite), le Parti démocrate (PD, social-démocrate), Forza Italia (FI, le parti de Berlusconi) et Italia Viva (autour de l’ancien président du PD Matteo Renzi,). On retiendra notamment ce gouvernement pour les milliards d’euros donnés aux grandes entreprises, les coupes budgétaires dans les soins de santé et la vente de l’enseignement aux entreprises. C’est un gouvernement ennemi des travailleurs qui est tombé.

    Une crise sociale qui n’en finit pas

    25,2 % de la population italienne est aujourd’hui menacée d’exclusion sociale, soit 14,83 millions de personnes. Le nombre d’individus en situation de pauvreté absolue a presque triplé de 2005 à 2021, passant de 1,9 à 5,6 millions (9,4 %), tandis que celui des ménages a doublé, passant de 800.000 à 1,96 million (7,5 %), selon l’institut italien de statistiques. Si des millions de familles peinent aujourd’hui à joindre les deux bouts, les banques et les grandes entreprises réalisent quant à elles des bénéfices records. Voici quelques titres des pages économiques du Corriere della Sera : « Fineco, profits en hausse de 30 % » ; « Pirelli, bénéfices en hausse de 160 %. Des objectifs revus à la hausse » ; « Mediobanca, bénéfices à 716 millions (+19%) ». Et la liste est encore longue.

    Un récent sondage a révélé que 65,3% des Italiens n’ont peu ou pas confiance dans la classe politique. Seuls 6,3% ont déclaré en avoir « beaucoup ». Cette méfiance à l’égard des institutions est bien méritée et est désormais ancrée dans la conscience de masse. Au milieu de ce champ de mines, la classe dirigeante a perdu son homme le plus fiable avec la chute de Mario Draghi.

    D’instabilité politique en instabilité politique

    À y regarder de plus près, le gouvernement Draghi était précisément un produit de l’instabilité politique. Le parlement élu en 2018 au nom du rejet des partis de l’establishment donné lieu aux alliances politiques les plus improbables (M5E et Ligue puis M5E et PD) avant de parvenir à l’impasse politique. La bourgeoisie a alors imposé par surprise son propre homme, Mario Draghi, présenté comme « au-dessus de la mêlée » et qui se considérait lui-même comme le sauveur de la patrie.

    Mais la politique impopulaire du gouvernement a eu ses conséquences sur les partis de la coalition. La Ligue de Salvini a connu une véritable hémorragie au bénéfice de Fratelli d’Italia (Frères d’Italie) de Giorgia Meloni, une militante d’extrême droite de longue date et ancienne ministre de Berlusconi. La Ligue, Forza Italia et le M5E ont cherché à se distinguer de l’équipe au pouvoir par tous les moyens possibles, jusqu’à retirer la prise du gouvernement comme l’a finalement fait le M5E.

    La victoire de la droite comme seul horizon ?

    À six semaines des élections anticipées, un sondage donnait une avance écrasante à la coalition des droites qui réunit Fratelli d’Italia, Forza Italia et la Ligue avec 45 % des intentions de vote. Après des années de destruction des conditions de vie et de chaos économique qui n’ont laissé que le stress pour la survie comme seule perspective pour des couches grandissantes de la population, l’aliénation a été instrumentalisée par la droite pour être tournée en haine de l’autre.

    Le danger représenté par les Fratelli d’Italia est illustré par la région des Marches, où le parti est au pouvoir depuis 2020, et où il a par exemple refusé d’appliquer une directive du ministère de la Santé sur la disponibilité de pilules abortives dans toutes les institutions hospitalières. Il estime également que les militants antiavortement devraient avoir le droit de venir intimider les femmes jusque dans les hôpitaux afin de contrer le déclin de natalité du pays.

    Une liste de gauche sera présente sous le nom d’Union populaire, à l’initiative du Parti de la refondation communiste et de Potere al Popolo (Pouvoir au Peuple, formation de gauche issue des élections de 2018). L’initiative défend des revendications intéressantes (nationalisation du secteur de l’énergie, salaire minimum de 10 euros de l’heure, réduction collective du temps de travail à 32h/semaine, refinancement public à la hauteur des besoins dans les soins de santé et le système scolaire, etc.), mais semble, à l’image des tentatives d’unité de gauche de ces 15 dernières années, uniquement se concentrer sur une entrée au Parlement, sans chercher à jouer un rôle dans la coordination des divers mouvements de lutte sur le terrain, d’où germent les éléments de riposte de masse de l’avenir.

    La classe dirigeante italienne ne doute pas que la coalition des droites puisse défendre ses intérêts, mais elle redoute qu’elle le fasse en provoquant directement le mouvement ouvrier et la jeunesse. Sous la surface de la société, une tension sociale extrême s’est en effet développée et peut exploser au moindre incident.

    En octobre de l’an dernier, des syndicats de base (USB, Cobas et autres) avaient organisé avec succès une grève générale qui a impliqué un million de personnes avec des manifestations qui ont regroupé 100.000 personnes dans tout le pays contre la conclusion d’un pacte entre les plus grandes organisations syndicales et le gouvernement. La mobilisation avait également adopté un caractère antifasciste au surlendemain de l’attaque du siège de la fédération syndicale CGIL par des militants d’extrême droite.

    Depuis l’été 2021, la lutte des travailleurs de Driveline GKN et l’occupation de cette usine de composants automobiles de la banlieue de Florence s’est imposée sur la scène nationale grâce notamment à l’implication de toute la communauté locale et des efforts des travailleurs pour lier leur combat à d’autres luttes sociales (féministes, LGBTQIA+, etc.). Cette approche est cruciale, car les luttes ne manquent pas sur la question du climat, contre l’alternance école-travail (une réforme responsable de la mort de plusieurs élèves en entreprise au début de cette année), contre les féminicides ou encore contre le racisme qui continue à tuer en Italie.

  • [PHOTOS] Rassemblement antifasciste et solidarité internationale à Bruxelles

    Voici quelques photos de l’action de solidarité antifasciste organisée à l’appel de syndicats et d’organisations de gauche ce samedi 16 octobre à Bruxelles. Au même moment, des dizaines de milliers de personnes (200.000 selon les organisateurs qui ont mobilisé au moins 10 trains et 800 cars) manifestaient à Rome en réponse à l’attaque du siège du syndicat CGIL (principale confédération syndicale du pays) après une manifestation contre l’obligation du pass sanitaire. Des dirigeants du groupe néofasciste Forza Nuova (FN) figuraient parmi les personnes arrêtées après l’attaque du syndicat. NO PASARAN ‼

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  • Manifestation antifasciste suite à l’attaque contre le syndicat italien CGIL

    La campagne antifasciste Blokbuster soutient l’appel syndical à manifester à Bruxelles contre la violence fasciste dont a été victime le syndicat italien CGIL. Celui qui touche à l’un d’entre nous s’en prend à nous tous. La meilleure riposte contre la violence fasciste est de se mobiliser et d’organiser notre solidarité.

     

    Le week-end dernier, l’extrême droite a organisé une marche à Rome contre le pass Covid qui sera obligatoire en Italie à partir du 15 octobre. Des militants du groupe fasciste Forza Nuova en ont profité pour faire une descente contre les bureaux du syndicat CGIL. Plus tard dans la soirée, des violences ont également été commises à l’encontre du personnel soignant de l’hôpital Umberto I à Rome. L’extrême droite montre ainsi une fois de plus qu’elle est l’ennemi absolu des syndicats et de toutes les organisations qui défendent les intérêts de la classe ouvrière.

     

    Par la suite, 12 personnes ont été arrêtées. Parmi elles figurent des dirigeants nationaux de Forza Nuova tels que Roberto Fiore, qui s’est rendu en Grande-Bretagne pour échapper aux poursuites après un attentat à la bombe meurtrier à la gare de Bologne en 1980. Pour mettre fin à la violence, nous ne pouvons pas compter sur les dirigeants politiques qui, en Italie, n’hésitent pas à gouverner avec la Lega, le parti d’extrême droite de Salvini. Salvini a condamné la violence, mais il va sans dire que la participation de l’extrême droite au gouvernement renforce la confiance de groupes comme Forza Nuova.

     

    Une mobilisation de masse est nécessaire pour pousser les fascistes sur la défensive. L’appel des syndicats italiens à une grande manifestation le 16 octobre est particulièrement important. Il est préférable d’y associer des revendications qui défendent les intérêts des travailleurs et de leurs familles contre la hausse continue des prix, pour une meilleure sécurité sociale et de meilleurs services publics, mais aussi en défense de l’environnement.

     

    Le mécontentement entourant le pass Covid est renforcé par l’approche inadéquate de la crise sanitaire. La réponse est de lutter pour un investissement public massif dans les soins de santé et pour la nationalisation du secteur pharmaceutique afin que les mesures de protection et la vaccination se fassent sous la gestion et le contrôle démocratique du personnel et de la communauté. Ce n’est qu’alors qu’une approche planifiée sera possible pour une protection globale contre le Covid-19. Les vraies réponses à la crise ne peuvent venir que du mouvement ouvrier. Si nous ne le défendons pas de manière suffisamment offensive, il y a plus de place pour le désespoir de l’extrême droite et toutes sortes de divisions (racisme, sexisme, LGBTQI+phobie).

     

    La violence fasciste à Rome est un avertissement que nous ne pouvons ignorer. Un antifascisme actif et combatif est nécessaire. Samedi, une action de solidarité de la FGTB aura lieu à 11 heures sur la place du Luxembourg à Bruxelles. Blokbuster appelle à y participer.

  • Les dockers de Gênes, Livourne et Naples s’opposent au transfert d’armes vers Israël

    Alternative Socialiste Internationale (ASI), convaincue que la classe ouvrière est la seule force de la société capable d’arrêter les guerres, les massacres et l’oppression, exprime sa solidarité avec les dockers en lutte contre le transfert d’armes vers Israël.

    Par Giuliano Brunetto Resistenze Internazionali, section italienne d’ASI

    Le 14 mai, les travailleurs du Collectif autonome des travailleurs portuaires (CALP), les membres du syndicat de base Usb et l’association internationale Weapon Watch ont appris que des “balles de haute précision” destinées au port israélien d’Ashdod avaient été chargées sur le navire “Asiatic Island”.

    Le porte-conteneurs “Asiatic Island”, battant pavillon de Singapour et venant du port de Marseille, avait quitté le port de Haïfa en Israël le 6 mai à destination de Livourne. L’”Asiatic Island” est un navire collecteur, c’est-à-dire, dans le jargon maritime, un navire relativement petit, faisant partie du service régulier de ZIM, la compagnie maritime publique israélienne.

    CALP et Weapon Watch ont découvert que le chargement de matériel de guerre avait été effectué sans que le navire n’accoste au port, comme l’exigent les règles de sécurité internationales en matière de chargement de marchandises dangereuses ou explosives.

    Les travailleurs du CALP avaient déjà participé à des actions de solidarité internationaliste ces derniers mois, en organisant des grèves et des blocages contre le chargement d’un navire saoudien chargé d’armements lourds destinés à être utilisés dans la guerre au Yémen. Pour cette raison, plusieurs d’entre eux ont fait l’objet d’une enquête du parquet et sont mis en examen par les autorités italiennes.

    Dès qu’ils ont appris la nouvelle de l’arrivée de l’Asiatic Island, les dockers du CALP ont immédiatement alerté leurs collègues du port de Livourne, où le navire devait être ravitaillé. Les collègues de Livourne, délégués syndicaux de l’Usb, dont certains sont membres de l’organisation anticapitaliste Potere al Popolo, ont diffusé la nouvelle dans la ville et ont rapidement alerté l’autorité portuaire et la capitainerie, demandant des contrôles urgents à bord du navire.

    Manifestant un fort sentiment internationaliste de solidarité contre la guerre, ils ont déclaré une journée de grève en solidarité avec la population palestinienne et pour exiger l’arrêt immédiat des bombardements sur Gaza et la fin de l’expropriation des maisons dans les territoires occupés. Dans un communiqué intitulé “Le port de Livourne n’est pas complice du massacre de la population palestinienne”, ils ont signalé qu’ils ne voulaient pas être complices du massacre perpétré dans les territoires occupés en Palestine. Après Livourne, le navire a fait route vers le port de Naples.

    À Naples également, où le navire s’est dirigé le 15 mai, les dockers ont clairement manifesté leur solidarité avec la cause palestinienne. Les membres du syndicat SI Cobas se sont fermement prononcés “contre le rassemblement d’armes qui servent à alimenter les guerres et les profits contre le peuple palestinien qui subit depuis des années une répression impitoyable de la part d’Israël”, déclarant que “nos mains ne seront pas tachées de sang pour vos guerres”.

    Ces initiatives des dockers, qui ont eu lieu en même temps que les grandes mobilisations qui ont traversé le pays de Rome à Milan, de Naples à Turin en solidarité avec le peuple palestinien, ont eu un important retentissement international.

    En Afrique du Sud, le syndicat SATAWU a organisé une action de protestation contre le chargement de marchandises à destination d’Israël le 21 mai, en se référant explicitement au communiqué rédigé par les travailleurs du port de Livourne. Dans le port d’Oakland, aux États-Unis, des activistes et des militants anti-guerre se mobilisent pour empêcher le chargement d’un autre navire ZIM qui doit accoster dans les prochains jours.

    Les initiatives des dockers italiens représentent une continuation des meilleures traditions de la classe ouvrière, elles vont dans la bonne direction et doivent donc être soutenues de manière décisive par toutes les forces de la gauche politique, des syndicats et des associations en Italie et dans le monde.

    Alternative Socialiste Internationale, convaincue que la classe ouvrière est la seule force de la société capable d’arrêter les guerres, les massacres et l’oppression, exprime sa proximité et sa solidarité avec les dockers qui ont une fois de plus démontré la force potentielle des travailleurs s’ils sont organisés et en contact les uns avec les autres.

    Nous continuerons à soutenir les initiatives internationalistes des courageux dockers italiens qui montrent la voie pour construire une véritable solidarité contre la barbarie que le capitalisme produit partout dans le monde.

  • [DOSSIER] L’héritage révolutionnaire d’Antonio Gramsci

    Antonio Gramsci est certainement l’un des penseurs marxistes les plus populaires. Il est considéré comme l’un des plus grands intellectuels du XXe siècle. Ces dernières années, ses idées ont été particulièrement étudiées et appréciées par la gauche latino-américaine, qui se penche sur l’héritage politique de ce révolutionnaire sarde. Même en Italie, à l’occasion du 100e anniversaire de la naissance du Parti communiste italien (PCI), la figure de Gramsci fait un retour en force.

    Par Massimo Amadori, Resistenze Internazionali, section italienne d’Alternative Socialiste Internationale

    En tant que marxistes, nous devons nous aussi nous tourner vers ce grand révolutionnaire, dont les idées peuvent encore nous apprendre beaucoup. Il est certainement nécessaire de libérer Antonio Gramsci de toutes les falsifications staliniennes ou bourgeoises qui ont déformé l’image de Gramsci au point de retirer toute portée révolutionnaire.

    Le Biennio Rosso

    Pour comprendre l’héritage politique d’Antonio Gramsci, il est nécessaire de lire ses écrits et d’étudier l’évolution de sa pensée au fil des ans. Cela nous oblige à analyser le contexte historique dans lequel Gramsci a travaillé, depuis le Biennio Rosso (en français, « Les deux années rouges », 1919-1920) jusqu’à sa mort dans une prison fasciste en 1937.

    Antonio Gramsci est né en Sardaigne en 1891. Très jeune, il s’installe à Turin ; c’est dans la capitale piémontaise qu’il est attiré pour la première fois par les idées socialistes, et où il rejoint le Parti socialiste italien (PSI).

    Après la Première Guerre mondiale, l’Italie est secouée par une vague de grèves, de protestations ouvrières et paysannes qui dure deux ans. Le mouvement ouvrier de masse ne se limite alors pas à des revendications économiques, un véritable potentiel révolutionnaire est présent, inspiré par la révolution bolchevique d’octobre 1917. Les ouvriers du nord de l’Italie ne se contentent pas de faire la grève, ils occupent également leurs usines et élisent des conseils ouvriers, à l’instar des soviets russes.

    Une situation de double pouvoir se développe. Les conseils ouvriers (l’État socialiste à l’état embryonnaire) entrent en concurrence avec l’État bourgeois pour la détention du pouvoir. Lors des élections de 1919, le PSI devient le principal parti du pays. « Faisons comme en Russie » devient le slogan du prolétariat italien. Dans ce contexte, Antonio Gramsci représente l’aile la plus combative et la plus révolutionnaire du Parti socialiste italien. Il joue un rôle de premier plan dans la formation des conseils d’usine, qu’il considère à juste titre comme les organes du futur État socialiste.

    Bien que les travailleurs réussissent à arracher aux patrons des gains sociaux importants, comme la journée de travail de 8 heures, les aspirations révolutionnaires du prolétariat italien sont rapidement étouffées par les dirigeants réformistes du PSI et les bureaucraties syndicales. Le Biennio Rosso est vaincu.

    Antonio Gramsci, Amedeo Bordiga et toute l’aile révolutionnaire du PSI n’ont pas eu la détermination nécessaire pour rompre avec les réformistes et n’ont donc pas pu prendre l’initiative pour conduire les travailleurs à prendre le pouvoir politique. Malgré cela, à cette époque, la renommée de Gramsci dans le mouvement socialiste s’est considérablement accrue. En 1919, le révolutionnaire sarde fonde « L’Ordine Nuovo » (L’Ordre Nouveau), un journal qui réunit toute l’aile révolutionnaire du PSI à Turin.

    Le fascisme italien

    La réponse des grands capitalistes et des propriétaires terriens aux luttes ouvrières et paysannes ainsi qu’à la percée des socialistes est de créer et de financer des escouades fascistes. Ces escouades fascistes agressent et même assassinent des ouvriers en grève, des paysans qui avaient occupé les terres, des syndicalistes et des socialistes.

    Le fascisme est le prix que le mouvement ouvrier italien a dû payer pour la défaite du Biennio Rosso. Au milieu de la vague de violence fasciste, à Livourne, le 21 janvier 1921, le PSI a connu la plus importante scission de son histoire : l’aile marxiste révolutionnaire du parti dirigée par Antonio Gramsci et Amedeo Bordiga s’est séparée pour constituer le Parti communiste italien (PCI). Le PCI est devenu la section italienne de la Troisième Internationale de Lénine et Trotsky, l’Internationale Communiste. Cette séparation d’avec les réformistes a certainement été tardive, car le mouvement ouvrier avait alors été vaincu par les escouades fascistes, et les forces réactionnaires l’emportaient dans toute l’Italie.

    L’ultra-gauchisme de Bordiga

    Le PCI s’est immédiatement retrouvé isolé des masses populaires, notamment en raison de la politique sectaire et gauchiste suivie par Bordiga. La direction du parti fut initialement aux mains de ce révolutionnaire napolitain qui refusait toute forme de front uni antifasciste avec le PSI et les autres forces du mouvement ouvrier. Il était donc en conflit avec Lénine, Trotsky et la direction de l’Internationale, qui soutenaient que le PCI devait défendre un front uni des organisations ouvrières pour lutter contre le fascisme. À cette époque, Gramsci, bien que n’étant pas toujours d’accord avec Bordiga, accepta sa politique sectaire.

    En 1922, Antonio Gramsci se rendit à Moscou et, pendant son séjour, après avoir débattu avec Lénine, Trotsky et d’autres dirigeants bolcheviques, il acquit la conviction que la politique ultra-gauche de Bordiga était erronée et qu’une politique de front unique de la gauche contre le fascisme était nécessaire. Plus tard, il est retourné en Italie, déterminé à modifier la politique du parti sur cette question, en opposition à la fraction bordigiste.

    Entre-temps, Mussolini était arrivé au pouvoir, rendant immédiatement la vie difficile au jeune parti communiste. En effet, les escouades fascistes avaient déjà commencé à arrêter et à assassiner de nombreux militants communistes. Gramsci, cependant, s’est retrouvé élu au Parlement et a donc bénéficié de l’immunité parlementaire dans les premières années du fascisme. Cette situation dura jusqu’en 1926, lorsqu’une nouvelle série de lois fut adoptée pour liquider toute opposition au fascisme et finalement faire de l’Italie un régime totalitaire.

    Gramsci à la tête du PCI

    Au cours des années 1923-1924, Antonio Gramsci a défendu les politiques de l’Internationale. Bien que toujours minoritaire, l’aile de Grmasci a organisé un coup d’Etat interne pour évincer Bordiga avec le soutien de l’Internationale et en utilisant des méthodes bureaucratiques. Ces méthodes antidémocratiques auraient été impensables dans les premières années de l’Internationale communiste ; mais celle-ci se bureaucratisait déjà à mesure que le stalinisme se renforçait au sein de l’URSS elle-même.

    La bataille politique de Gramsci contre Bordiga était correcte et conforme aux positions non sectaires de Lénine et Trotsky. Cette bataille a toutefois été menée avec des méthodes non démocratiques et contraires à l’approche bolchevique. Au congrès de Lyon de 1926, Gramsci a porté le coup de grâce à la direction bordigiste en suivant les instructions de l’Internationale. À cette époque, le révolutionnaire sarde se rangeait du côté de la fraction stalinienne du parti bolchevique, croyant à tort que les positions de Trotsky étaient similaires à celles de Bordiga. Malgré cette erreur, Gramsci ne fut jamais stalinien et, dans une lettre adressée au Comité central du Parti communiste d’Union Soviétique (PCUS) en 1926, tout en soutenant politiquement la majorité du parti soviétique, il critiqua sévèrement les méthodes bureaucratiques et antidémocratiques que Staline utilisait contre les « trotskystes ». C’était en 1926, bien avant les procès de Moscou et les grandes purges au moyen desquelles Staline a exterminé toute la vieille garde bolchevique.

    Togliatti et Staline

    Avec cette position, Gramsci s’est retrouvé en conflit avec un autre communiste italien, Palmiro Togliatti, qui se trouvait alors à Moscou, et était un partisan sans réserve de Staline. Ce dernier a fait en sorte que la lettre de Gramsci ne parvienne jamais au Comité central du PCUS. La même année, Gramsci a été arrêté par le régime fasciste et condamné à une longue peine de prison. Le PCI est alors passé sous la direction stalinienne de Togliatti, qui a été pendant de nombreuses années l’un des principaux collaborateurs de Staline et fut le complice de nombre de ses crimes.

    Bien qu’en prison et gravement malade, Antonio Gramsci n’a pas abandonné la lutte et a écrit de manière prolifique. Ses célèbres « Carnets de prison », probablement l’ouvrage le plus lu d’Antonio Gramsci, datent de cette période de détention. Ces écrits traitent de diverses questions et contiennent plusieurs conceptions novatrices de la théorie marxiste. Ses jugements sur Trotsky sont cependant hâtifs et démontrent un manque de connaissance des idées de Trotsky dû, sans doute, au fait que Gramsci est resté isolé en prison et n’a pas eu accès aux informations du monde extérieur. Par conséquent, il n’a pas compris ce qui se passait en Union soviétique. Malgré ces limites, Gramsci était très critique envers Staline et Togliatti, en particulier en ce qui concerne la politique d’ultra-gauche et sectaire de la « Troisième période ».

    La « Troisième période »

    De 1928 à 1934, l’Internationale communiste stalinisée a connu une phase d’ultra-gauche où les partis communistes ont identifié le fascisme à la social-démocratie, en définissant celle-ci comme étant du « social-fascisme ». Depuis la prison, Gramsci s’est opposé à cette politique insensée qui, en 1933, a empêché tout front uni en Allemagne entre communistes et sociaux-démocrates. Cela a permis aux nazis de prendre le pouvoir presque sans opposition. Les critiques que Gramsci adressait à l’époque à la direction stalinienne du PCI coïncidaient avec celles des trotskystes de la Nouvelle opposition italienne (NOI), liée à l’Opposition de gauche internationale de Trotsky. La NOI était dirigée par les trotskystes Pietro Tresso, Alfonso Leonetti et Alberto Ravazzoli, tous expulsés du PCI en 1930 pour leur opposition au stalinisme.

    Les trotskystes italiens partageaient avec Gramsci l’opposition à la ligne du « social-fascisme ». Cependant, Gramsci, étant en prison, n’en était pas conscient. Cela ne veut pas dire que Gramsci serait devenu trotskyste, mais il n’était certainement pas stalinien et sa rupture avec Togliatti fut vive. Alors qu’il était isolé en prison, certains des camarades du parti de Gramsci s’étaient détournés de lui. Les staliniens ont à leur tour évité Gramsci, incapables de lui pardonner son « hétérodoxie ».

    Nous ne savons pas comment ses pensées auraient évolué car, en raison de ses souffrances dans les prisons fascistes, Gramsci est mort en 1937. Les fascistes ont tué l’un des grands esprits de la classe ouvrière italienne.

    L’héritage politique de Gramsci

    L’aspect le plus important de l’héritage politique d’Antonio Gramsci est ce qui s’est passé après sa mort. Les staliniens de Togliatti, qui s’étaient opposés à lui dans la vie, se sont présentés hypocritement comme les héritiers politiques de Gramsci et ont déformé sa pensée en le présentant comme un réformiste et un « anti-trotskyste ». À partir de 1935, les staliniens ont abandonné leur phase d’ultra-gauche et, en rejetant l’approche de front unique des bolcheviks, ont introduit la stratégie des « fronts populaires », inaugurant une politique réformiste de collaboration de classe avec la bourgeoisie. Cette politique ne fut jamais révisée. En Italie, elle atteignit son apogée avec la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque le PCI dirigé par Togliatti, sous les instructions de Staline, abandonna toute perspective révolutionnaire et promut une politique d’unité nationale avec les forces bourgeoises, y compris avec la monarchie et les ex-fascistes passés du côté des alliés.

    Dans l’immédiat après-guerre, le PCI est entré dans des gouvernements bourgeois et a participé à la reconstruction de l’État bourgeois républicain. L’appareil répressif de l’État est resté le même que celui créé durant le régime fasciste. Les fascistes n’avaient pas été purgés de l’appareil d’État et étaient restés à la tête de la police, de l’armée et du système judiciaire. En accordant l’amnistie aux fascistes, le PCI de Togliatti a peut-être atteint le point le plus bas de son histoire.

    Togliatti a présenté la politique réformiste imposée par Staline comme une innovation italienne découlant des idées de Gramsci. Le révolutionnaire sarde a ensuite été présenté par Togliatti comme un précurseur de la politique réformiste du PCI stalinien, de la « voie parlementaire » vers le socialisme et de l’unité nationale avec la bourgeoisie.

    Les écrits de Gramsci ont ensuite été produits par des maisons d’édition contrôlées par le PCI, après que Togliatti ait pris des mesures pour en effacer tout élément ne correspondant pas aux besoins des staliniens. De véritables falsifications ont été introduites, comme la phrase « Trotsky est la putain du fascisme », attribuée par Togliatti à Gramsci alors qu’il s’agissait d’une citation de Togliatti lui-même.

    Les « Carnets de prison » est sans doute le texte le plus falsifié par les staliniens, ces derniers présentant les idées novatrices de Gramsci comme une anticipation du réformisme du PCI. Par exemple, le concept gramsciste « d’hégémonie culturelle », exprimé dans les Carnets, est présentée comme l’abandon de la perspective révolutionnaire et donc comme une anticipation de la voie parlementaire vers le socialisme suivie par le PCI. En fait, quiconque lit attentivement les écrits de Gramsci comprendra que le concept « d’hégémonie culturelle » n’était pas du tout l’abandon de la perspective révolutionnaire mais une tentative de Gramsci d’adapter la stratégie léniniste à un contexte occidental. Le même concept d’hégémonie était également présent dans l’œuvre de Lénine.

    Gramsci voulait faire valoir que, dans les pays capitalistes avancés, la société bourgeoise s’exprimait beaucoup plus fortement que dans la Russie tsariste et que, par conséquent, le mouvement révolutionnaire devait surmonter beaucoup plus d’obstacles. Cela nécessitait la construction patiente d’une hégémonie culturelle du mouvement socialiste au sein de la société, pour contrer l’hégémonie bourgeoise. Gramsci soutenait qu’à l’Ouest, le chemin vers la révolution socialiste serait plus long et plus complexe qu’en Russie et qu’il fallait donc mener une « guerre de position » contre le capital plutôt qu’une « guerre de mouvement » comme l’avaient fait les bolcheviks en Russie. Cette perspective n’excluait pas les fronts unis avec d’autres forces de gauche et les luttes pour des objectifs démocratiques. Pour Gramsci, il s’agissait donc de repenser les méthodes révolutionnaires à l’Ouest, et non de renoncer à la révolution en rejoignant des gouvernements bourgeois comme l’a fait le PCI de Togliatti, sur recommandation de Staline.

    Gramsci rejetait l’ultra-gauche de Bordiga et sa position sectaire s’opposant à un front uni de la gauche, mais il n’a jamais proposé de théorie justifiant les fronts populaires avec la bourgeoisie. Il n’a pas non plus abandonné la politique de la classe ouvrière et de la révolution. Il n’a jamais soutenu qu’à l’Ouest, il était possible pour les socialistes de prendre le pouvoir par des moyens parlementaires, sans qu’il soit nécessaire de renverser l’État bourgeois par la voie de la révolution. Toutes les batailles politiques de Gramsci étaient dirigées contre le réformisme. Toutes ses idées et ses actions contredisaient l’approche stalinienne.

    Le faux réformiste

    Aujourd’hui, en Italie, la presse bourgeoise, reprenant les mensonges de Togliatti, présente un Gramsci réformiste, « Père de la Patrie » et de la République italienne bourgeoise. Une fois de plus, Gramsci est purgé de ses aspects révolutionnaires. Que donc Gramsci – partisan enthousiaste de la révolution bolchevique et dirigeant du mouvement des conseils d’usine de Turin en 1920 – peut-il bien avoir à voir avec le faux réformiste Gramsci que la bourgeoisie et les staliniens nous présentent ? Le Gramsci « réformiste » qui a favorisé la coalition avec la bourgeoisie n’a jamais existé, sauf dans les fantasmes de Togliatti et de Berlinguer. Pourtant, aujourd’hui, c’est ce Gramsci que tout le monde connaît, le Gramsci honoré par la presse bourgeoise, le Parti démocrate et les héritiers du stalinisme et de la gauche réformiste italienne.

    Heureusement, en Amérique latine et dans de nombreux autres pays, la gauche et les socialistes redécouvrent un autre Gramsci, le Gramsci marxiste et révolutionnaire. Gramsci était un grand révolutionnaire, qui comme tout le monde a fait des erreurs, mais qui a toujours été cohérent avec ses idéaux socialistes. Son héritage politique appartient aux marxistes révolutionnaires.

  • DOSSIER Cent ans depuis les “deux années rouges” (Biennio Rosso 1919-1920) en Italie

    S’il y a un anniversaire important qui est resté pratiquement absent du débat politique italien de ces derniers mois, c’est bien celui des deux années rouges 1919-1920. Si on pense à d’autres anniversaires récemment célébrés, comme celui du centenaire de la bataille de Caporetto, celui des cent ans depuis la fin de la Grande Guerre, ou celui du cent cinquantième anniversaire de l’unification de l’Italie, cet “oubli” parait presque inimaginable. Il est surprenant qu’il n’y a eu presque aucune activité pour commémorer cet événement central de l’histoire italienne. Il est étrange, par exemple, que les syndicats CGIL et FIOM n’y prêtent presque aucune attention. Pourquoi cet oubli?

    Dossier de Giuliano Brunetti et Massimo Amadori, Resistenze Internazionale (section italienne d’Alternative Socialiste Internationale)

    De toute évidence, le choix de ce qu’il faut célébrer et de ce qu’il ne faut pas célébrer n’est jamais un choix politiquement neutre. Chaque époque historique reconstruit son passé, sa mémoire, et le révise de manière plus ou moins inconsciente pour le rendre fonctionnelle, pour expliquer ou justifier le présent. C’est ce que l’on voit également aujourd’hui. Dans un contexte historique défini par la montée du nationalisme déguisé en “souverainisme” et par un fort affaiblissement des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier, le centenaire des deux années rouges semble être un problème gênant, à évoquer qu’en passant, ou plutôt à ne pas évoquer du tout.

    Pour les mêmes raisons pour lesquelles on essaye aujourd’hui d’effacer de la mémoire les “deux années rouges” dans les écoles, les universités et dans le débat public, nous assistons aussi à une réécriture du passé qui tend à passer sous silence les crimes du fascisme et à re-proposer le cliché improbable et anti-historique commun des “bons italiens”.

    Depuis une vingtaine d’années, tout du moins en Italie, des publications révisionnistes se multiplient attaquant la résistance et assimilant les partisans aux combattants de la RSI (République Sociale Italienne), état fasciste fantoche du nord de l’Italie instauré après la capitulation du royaume d’Italie. Ces publications tentent de minimiser la responsabilité historique et morale des fascistes avec l’argument de “leur prétendu idéalisme et de leur jeune âge”. Partout, nous sommes confrontés à des publications qui oublient ou cachent les crimes du colonialisme italien, les lois raciales, l’invasion par l’Italie fasciste de l’Éthiopie, de l’Albanie, de la France, de la Grèce, de la Yougoslavie et de l’Union Soviétique. Passés sous silence sont les crimes de guerre les troupes de l’armée royale en Éthiopie, à commencer par l’utilisation de gaz contre des civils, ainsi que les raids menés par les fascistes italiens en Yougoslavie. Également balayés sous le tapis est la coresponsabilité du régime fasciste dans la déportation des juifs tant italiens que ceux qui vivaient dans les territoires soumis militairement à l’Axe.

    L’origine des deux années rouges

    Comme pour la révolution russe de 1917, la révolution hongroise de 1919 ou la révolution allemande de 1918-1919, il est impossible de comprendre les “années rouges” italiennes sans une analyse des conséquences politiques et sociales de la Première Guerre mondiale.

    En Italie, le carnage horrible causa la mort de 651 000 soldats et 589 000 civils. Le nombre total de victimes étant donc de 1 240 000, soit 3,5% de la population italienne. Un chiffre énorme qui équivaut en pourcentage au nombre de pertes enregistrées par les Empires Centraux, l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie.

    Ce chiffre, énorme en soi, ne rend pas pleinement compte de la tragédie que la Grande Guerre représenta pour les masses populaires, en particulier pour les paysans et les travailleurs des régions les plus pauvres du pays. La guerre se développa dans un pays à prédominance agricole, gouverné par une monarchie obtuse, réactionnaire et impopulaire. Une monarchie qui venait juste d’être élevée au rang de monarchie nationale avec l’unification du pays moins de cinquante ans auparavant. La fin des États pontificaux et le rattachement de Rome au Royaume d’Italie n’advient qu’en 1870 à la suite du retrait de Rome des troupes françaises engagées dans la guerre franco-prussienne cette même année, une guerre qui a d’ailleurs précipita “l’assaut du ciel” que fut la Commune de Paris.

    Pour l’Italie la Première Guerre Mondiale commença en mai 1915. Bien que le pays fit d’abord formellement partie de l’Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie et Empire Ottoman), suite au “Pacte de Londres” l’Italie entra en guerre du côté de l’Entente (France, Russie et l’Angleterre). Le pacte avec l’Entente contenait la garantie que l’impérialisme italien obtiendrait sa part du butin après la fin de la guerre. Le “butin italien” consistait principalement en la région de l’Istrie et de la Dalmatie, terres dites “irrédentistes” de l’actuelle Slovénie et Croatie, qui étaient alors occupées par l’empire des Habsbourg.

    Les “radieuses journées de mai”

    Contrairement à ce qui se passa, par exemple, en Allemagne et en France, où la social-démocratie tourna le dos à la classe ouvrière et s’aligna dès les premières semaines du conflit, bien que de manière critique, avec sa bourgeoisie nationale respective, le Parti Socialiste Italien (PSI) défendit une position de neutralité et condamna le massacre en cours.

    Au sein du PSI, cependant, une tendance nationaliste et interventionniste s’était cristallisée, défendant d’abord la “neutralité active” contre le “militarisme germanique”, pour ensuite passer à l’interventionnisme. Cette tendance trouva son chef en Benito Mussolini, l’ancien rédacteur en chef de l’Avanti, le journal du parti. Ayant rompu avec le socialisme, Mussolini et d’autres membres du PSI tels que l’ancien syndicaliste et député Alceste De Ambris, unirent leurs forces avec celles des nationalistes dirigées par le poète populaire Gabriele d’Annunzio. Ensemble, ils exigèrent l’entrée de l’Italie dans la guerre. A cet effet, la fondation d’un nouveau quotidien sous la direction de Mussolini, “Il Popolo d’Italia,” joua un rôle providentielle, multipliant la propagande interventionniste. Ce quotidien fut largement financé d’abord par d’autres journaux bourgeois tels que “Corriere della Sera” et “Resto del Carlino”, puis par d’importants industriels, parmi lesquels les frères Perrone (propriétaires d’Ansaldo di Genova qui produissit 46% de l’artillerie utilisée par l’Italie durant la guerre) et enfin par les services secrets de la France et de la Grande-Bretagne.

    Un moment clé dans le développement de la campagne interventionniste fut la fondation du “Fascio d’Azione Rivoluzionaria” (Faisceaux d’Action Révolutionnaire [FAR]). Déjà fondée en 1914 par Mussolini et De Ambris, cette organisation avait comme but spécifique d’accélérer les préparatifs de l’entrée en guerre. Le programme du Fascio fut publié le 1er janvier 1915 dans “Il Popolo d’Italia” et en quelques mois, les Fasci réussirent à organiser 9000 membres. Des “Fasci d’Azione Rivoluzionaria” sont issus d’abord les “Fasci Italiani di Combattimento” (Faisceaux italiens de combat) en 1919, puis le “Partito Nazionale Fascista” (Parti National Fasciste) en 1921.

    Malgré les intentions des industriels, de la monarchie et de l’armée d’obtenir l’entrée de l’Italie en guerre, il fallait encore convaincre la classe ouvrière. Une grande majorité du prolétariat y était hostile ou du moins peu convaincue. Ainsi arrivèrent ce qui est entré dans l’histoire comme les “radieuses journées de mai”, jours qui n’étaient rayonnants, comme cela était évident à l’époque, que pour les bellicistes et les industriels de l’acier. Durant les jours de mai on vit un contraste clair entre deux fronts qui s’affrontèrent à maintes reprises sur les places en y laissant des morts et des blessés; d’une part, il y avait les travailleurs et les classes populaires, principalement des socialistes, qui étaient pour la neutralité, de l’autre part les fils des couches aisées, les renégats socialistes, les nationalistes et les intellectuels futuristes qui voulaient la guerre pour les raisons les plus diverses: certains par ennui, certains par nationalisme, certains parce qu’ils avaient des intérêts matériels en jeu. En mai 1915, ce deuxième parti l’emporta sur le mouvement pacifiste.

    C’est ainsi que pendant que la monarchie et l’état-major se réjouissaient de leurs plans de conquête, des millions d’hommes, commandés principalement par des officiers piémontais, qui souvent ne parlaient pas et ne comprenaient pas les dialectes parlés par les soldats paysans, furent contraints de mener une guerre qu’ils ne voulaient pas et ne comprenaient pas.

    Mal entraînés et mal équipés, ils furent utilisés comme chair à canon par l’état-major savoyards aux cris de “Avanti Savoia” (“En avant Savoia!” Savoia étant le nom de la famille royale). Le commandement de l’armée força des millions d’hommes à se lancer dans des offensives absurdes sur des positions austro-hongroises, qui étaient en fait défendues par des Serbes, des Croates, des Slovènes et des Roumains. Ainsi douze batailles de l’Isonzo furent menées entre juin 1915 et novembre 1917.

    Division d’après-guerre

    Formellement victorieuse dans le conflit, l’Italie en 1918 était un pays for appauvri, saigné à blanc et divisé. L’esprit patriotique qui avaient traversé le pays lors du traumatisme de la défaite de Caporetto et après la victoire finale obtenue dans la bataille de Vittorio Veneto se dissipa et l’ivresse nationaliste fit place à autre chose. Des millions d’hommes commencèrent à manifester un fort sentiment de rancune, sinon de une véritable haine envers les généraux et les classes dirigeantes qui avaient littéralement joué à la roulette avec leurs vies.

    Quiconque avait combattu dans les tranchées se souvenait du harcèlement subi de la part des officiers, des fusillades des Carabinieri détestés et des châtiments exemplaires. Il se souvenait du sort des nombreuses personnes tuées en représailles ou pour maintenir “l’ordre et la discipline” dans les tranchées. Ils se souvenait du sort du jeune canonnier Alessandro Ruffini qui d’abord matraqué fut ensuite sommairement fusillé par ordre du général Graziani pour ne pas lui avoir sorti son cigare de la bouche lors d’un salut. Après la guerre, après l’exaltation nationaliste et la peur de l’invasion, des millions d’hommes rentrèrent ainsi chez eux, à leurs champs et à leurs usines, emportant avec eux les sentiments de haine et de brutalité que l’état-major leurs avaient si habilement évoqués.

    D’un point de vue social, l’Italie de l’après-guerre était un pays profondément meurtri et appauvri. Toujours fortement agraire, le pays dû faire face à un effondrement de la production agricole en raison de la réduction du nombre de paysans, dont beaucoup avaient péri au front, et du maintien des grandes propriétés foncières. Par rapport à 1914, année où la production de blé avait atteint 52 millions de quintaux, l’Italie produisait à peine 28 millions de quintaux en 1920.

    Comme si cela ne suffisait pas, l’inflation avait atteint des niveaux très élevés alors que les salaires étaient restés les mêmes. Ceci rendit la vie impossible pour des millions d’italiens. En 1918, les salaires ne représentaient plus que 64,6% de ce qu’ils avaient représenté en 1913. En même temps, les grands capitalistes et les groupes industriels qui, comme Ansaldo, Breda ou Fiat, s’étaient enrichis au-delà de toutes limites avec les profits provenant des contrats militaires, continuaient de dicter l’agenda politique du gouvernement.

    La guerre terminée, le mécontentement grandi dans toute la classe ouvrière, laquelle retourna au travail dans des conditions très difficiles et avec des salaires de famine. De même pour la classe paysanne à laquelle on avait promit des terres pendant la guerre, mais qui dû retourner travailler comme métayers ou journaliers sous les mêmes grands propriétaires terriens qu’auparavant.

    Une situation explosive se développe

    Au mécontentement des ouvriers et des paysans s’ajoutait celui des ex-combattants; simples soldats, mais surtout sous-officiers et officiers incapables de se réinsérer dans la vie civile, ceux-ci regardaient avec une terreur mêlée de haine les paysans et travailleurs socialistes qui avaient été pacifistes pendant le carnage impérialiste et lesquels ils avaient affronté pendant les “radieuses journéés de mai”. L’opposition entre ouvriers socialistes et anarchistes d’une part et ex-combattants et ex-interventionnistes de l’autre éclata en affrontements violents à Milan dès le 15 avril 1919. A cette occasion, arditi (ex-combattants ayant appartenu à un corps d’élite), futuristes et fascistes de la première heure agissant ensemble attaquèrent le siège de “l’Avanti,” le journal du PSI.

    La situation générale était donc explosive. Le résultat fut un mouvement de masse vaste et complexe qui commença au printemps 1919 et se termina en septembre 1920 avec la fin des occupations de certaines grandes usines parmi les plus importantes du nord de l’Italie.

    Grèves et occupations

    Les “deux années rouges” fut une période très radicale qui vit de nombreuses grèves et actions de lutte et qui, tout en se concentrant surtout dans le centre-nord, impliqua toute la péninsule italienne: du Piémont à la Sicile. Les travailleurs et les ouvriers agricoles exigèrent des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail. Les revendciations politiques générales s’ajoutèrent rapidement à celles d’ordre purement économiques. Ils commencèrent à revendiquer la possession de la terre. Les nouvelles de Russie, où les paysans avaient pris possession de la terre grâce à la révolution, eut un impact majeur. Les “deux années rouges” virent naître en Italie un mouvement révolutionnaire directement inspiré de la révolution russe d’octobre 1917. “Faire comme en Russie” devint la devise de la partie la plus avancée du mouvement ouvrier italien. En fait, dès 1917, il y avait déjà eu des épisodes de semi-insurrection organisés dans le nord et dans le sud du pays en solidarité avec l’expérience bolchevique. Ces mouvements prirent la forme d’occupations temporaires des terres, une méthode d’action qui s’intensifia et généralisa deux ans plus tard. L’occupation des terres toucha principalement l’Émilie-Romagne, la Vénétie et le Latium, mais le sud du pays lui aussi vit d’importantes luttes d’ouvriers agricoles menées afin d’occuper les terres non cultivées.

    Des formations d’anciens combattants prirent part eu aussi aux occupations des terres occupant des grands domaines agricoles dans les Pouilles, la Calabre et la Sicile.

    À Turin, les travailleurs occupèrent les usines FIAT, fleuron du capitalisme italien. Des conseils d’usines furent formés dans les usines occupées, conseils élus démocratiquement par les travailleurs eux-mêmes. Le modèle de référence était les soviets russes. Les travailleurs exigèrent de contrôle de la production. Dans les usines occupées, des détachements armés de travailleurs se formèrent, les soi-disant “gardes rouges.” Ces détachements devaient défendre les occupations de l’armée et des escouades fascistes. Elles étaient prêtes pour l’insurrection. Le marxiste Antonio Gramsci joua un rôle de premier plan dans le mouvement des conseils ouvriers de Turin. Dans le journal “Ordine Nuovo” il lança à plusieurs reprises l’appel qu’il fallait étendre ce réseau de conseils d’usine, puisque ces conseils représentait les éléments embryonnaires du double pouvoir.

    Contradictions au sein du PSI

    Sur le plan politique, le front ouvrier et paysan était représenté par le PSI, au sein duquel se retrouvaient à la fois une aile droite et une aile révolutionnaire. Le PSI fut poussé vers la gauche dans l’immédiat après-guerre. Ce déplacement significatif du centre de gravité politique du PSI fut déterminé d’une part par l’issue victorieuse de la révolution russe et d’autre part par le poids croissant de la base socialiste qui, radicalisée par le contexte de l’après-guerre, cherchait des solutions pour rompre avec le capitalisme.

    Cette radicalisation s’exprima par une croissance spectaculaire du PSI lequel passa de 24,000 membres en 1918 à plus de 200,000 en 1920. Les organisations syndicales connurent un développement parallèle: la confédération CGdL (précurseur de l’actuel CDIL) pouvait compter sur près de deux millions de membres, tandis que “l’Unione Sindacale Italiana,” le syndicat anarchiste, organisa pas moins de 800,000 travailleurs.

    Lors du 16e congrès qui fut tenu à Bologne du 5 au 8 octobre 1919, le PSI approuva à la majorité les thèses de l’aile maximaliste du Parti (maximaliste car il défendit le programme maximum). Cette aile maximaliste était dirigé par Serrati. Ainsi le PSI décida de rejoindre la Troisième Internationale, le Komintern. De leur côté, les minimalistes de Turati subirent une défaite retentissante.

    Cependant, comme l’a expliqué Gramsci, l’adhésion à la Troisième Internationale fut réalisée sans une réelle compréhension politique de ses implications. La direction du parti continua à être marquée par une tendance prête à faire des concessions politiques de tout genre afin de maintenir l’unité du parti avec les réformistes. Au sein du PSI, une aile ouvertement communiste vit également le jour en 1919. Cette aile, suivant les instructions de Lénine, poussa à expulser du parti les réformistes de Turati. La tendance marxiste révolutionnaire du PSI était regroupée autour d’Antonio Gramsci. Celui-ci fonda son journal “L’Ordine Nuovo” à Turin en 1919 et joua un rôle fondamental dans l’occupation des usines. Toutefois, dans le sud de l’Italie, ce fut Amedeo Bordiga qui dirigea l’aile révolutionnaire du parti, regroupée autour de l’hebdomadaire “Il Soviet”. Les “centristes” de Serrati partageaient les positions révolutionnaires de Gramsci et de Bordiga, mais ne voulant pas expulser les réformistes du parti, ils restèrent ainsi les otages de Turati et furent incapables de développer une stratégie révolutionnaire.

    Aux élections de novembre 1919, le PSI devint le premier parti du pays, obtenant 32,4% des suffrages. Le succès électoral des socialistes fut directement lié à la radicalisation du mouvement ouvrier et paysan pendant les “deux années rouges”. En fait, rien qu’en 1919, il y eu plus de 1800 grèves impliquant plus de 1,5 million de grévistes.

    Conflit de classe ouvert

    En 1920, il y eu plus de 2000 grèves auquel prirent part environ 2,5 millions de personnes. Le mouvement révolutionnaire atteignit son point culminant en septembre 1920, lorsque la majorité des usines métallurgiques du nord de l’Italie furent occupées par des travailleurs. Environ un demi-million de personnes furent impliquées dans l’occupation. En même temps, durant l’année 1920, le camp patronal s’organisa lui aussi. D’une part, la Confédération Générale de l’Agriculture vit le jour, organisation regroupant agriculteurs et propriétaires terriens. D’autre part, la Confindustria, constituée de 11,000 industriels, se dota pour la première fois d’une structure et d’une organisation nationale.

    En juin 1920 les tireurs d’élite du régiment des Bersaglieri à Ancône se révoltèrent. Tout commença par la mutinerie de quelques soldats contre leurs officiers au sein d’un régiment d’assaut qui devait être embarquer pour l’Albanie. Comme à Trieste le 11 juin, la raison du soulèvement fut le refus de s’embarquer pour l’Albanie, où une occupation militaire par des troupes italiennes était en cours. Depuis Ancône, la révolte se propageât à travers les Marches en Ombrie et jusqu’a Rome. Là les cheminots déclenchèrent une grève pour empêcher l’armée royale d’intervenir. Toutefois la révolte fini par être réprimée par la marine, qui intervint en bombardant Ancône.

    Le point culminant des deux années rouges commença en mars 1920 à Turin. La grève du 29 mars 1920 s’étendit en effet à tout les ateliers métallurgiques de Turin et impliquât 1,2 million travailleurs. Les industriels y répondirent par le lock-out et exigèrent la dissolution des conseils d’usine. Néanmoins, en septembre 1920, toutes les entreprises métallurgiques du nord du pays étaient occupées. Le nombre de travailleurs impliqués dans l’occupation dépassa un demi-million. Dans les usines occupées et autogérées, où la production se poursuivit, des comités furent créés pour gérer la production, les fournitures et les contacts avec d’autres usines en lutte. Durant le mois suivant, la grève se généralisa et s’étendit aux secteurs de la chimie, de l’imprimerie et de la construction. De plus, la grève franchit les frontières du Piémont avec des grèves de solidarité organisées par les travailleurs de Florence, Livourne, Bologne et Gênes.

    Pour répondre à la menace de la révolution et mettre fin au mouvement d’occupation, le chef du gouvernement Giolitti envoya environ 50,000 soldats à Turin. Isolés, sans chefs, sans armes et menacés, les travailleurs de Turin se rendirent et quittèrent les usines qu’ils avaient occupé.

    Le mouvement révolutionnaire de Turin resta isolé et ne put continuer. Le 19 septembre 1920, la CGdL approuva un accord avec la Confindustria. Cet accord prévoyait des augmentations de salaire et d’autres améliorations de la condition des travailleurs, mais prévoyait également l’évacuation des usines occupées par les travailleurs. Les dirigeants du PSI et du syndicat finirent par capituler et le mouvement révolutionnaire fut vaincu. Le mouvement ouvrier italien ne se remis jamais de cette défaite: à partir de ce moment se furent les patrons qui prirent l’initiative, finançant les forces réactionnaires, en particulier les fascistes du PNF, pour vaincre la classe ouvrière qui venait de fournir un exemple extraordinaire d’autogestion et de discipline révolutionnaire.

    Échec de la direction ouvrière

    L’une des raisons pour la défaite du mouvement ouvrier fut l’incapacité des dirigeants politiques et syndicaux à l’étendre et à le renforcer. Dominé comme il l’était par des contradictions internes entre son aile maximaliste et minimaliste, le PSI n’était pas en mesure de proposer une politique crédible et concrète. En d’autres termes, dans les journaux, dans les discours, au parlement, il défendait une perspective révolutionnaire, mais en réalité il poursuivait une politique réformiste qui se concentrait uniquement sur des réformes pour la classe ouvrière et regardait avec inquiétude le développement d’un mouvement révolutionnaire radical qui menaçait de remettre en cause sa position et sa place à la table des négociations avec le gouvernement et les industriels.

    Le PSI appliqua une politique “centriste” dans le sens où sa phraséologie révolutionnaire était accompagnée d’une politique réformiste et de collaboration de classe. Au-delà d’une phraséologie révolutionnaire grandiloquente qui suscita d’abord des attentes puis de grandes frustrations auprès des masses, le PSI ne pu jouer un rôle de premier plan et s’orienter vers des secteurs, comme par exemple celui des ex-combattants, qui s’étaient radicalisés autour de la question des terres et des salaires dans la période précédente. À part cela, il faut tenir compte de l’incapacité du parti de Serrati à engager ouvertement un dialogue avec les masses paysannes du sud de l’Italie, laissées sans direction politique, sans liens et sans contact avec le mouvement révolutionnaire des usines du nord.

    Le confédération syndicale CGdL, pour sa part, ne bougeât du doigt pour généraliser les grèves et apporter aux grévistes la solidarité active qui se développait dans de nombreuses régions italiennes.

    La bourgeoise utilise les fascistes

    Pendant ces mois mouvementés, la bourgeoisie italienne craignait sérieusement de perdre son pouvoir. Si cela ne s’est pas produit, c’est à cause du manque de préparation et de la docilité des dirigeants de la classe ouvrière.

    Les élections municipales de 1920 furent un succès relatif pour le PSI, lequel remporta, entre autres, la majorité des conseils en Émilie-Romagne et en Toscane. Dans ces régions agraires les propriétaires fonciers commencèrent à mobiliser les forces de réaction, des jeunes éléments déclassés à la recherche “d’action.” Cela eu comme résultat le renforcement des forces fascistes du PNF.

    À partir de 1920, des groupes fascistes, soutenu par des propriétaires fonciers et des industriels, commencèrent à attaquer les sièges des syndicats et des partis de gauche, ainsi qu’à agresser et assassiner les travailleurs et les ouvriers agricoles en grève, les syndicalistes et les militants socialistes et communistes.

    Les propriétaires fonciers mirent à leur disposition des fonds et des moyens matériels, entre autres les camions avec lesquels les escouades fascistes furent envoyés aux municipalités socialistes pour de brèves attaques contre les maisons du peuple et les ligues paysannes. Leurs raids se terminèrent souvent par le meurtre de dirigeants socialistes, ce qui avaient pour effet de terroriser les paysans et les simples travailleurs.

    De leur côté, les forces de la bourgeoisie libérale s’efforcèrent de construire, lors des élections susmentionnées, des “blocs nationaux” de toutes les forces hostiles au socialisme. Légitimant ainsi le PNF, ils préparèrent les conditions institutionnelles, notamment le soutien de la monarchie et de la majorité du parti populaire, à la “marche sur Rome”, le coup d’état du 28 octobre 1922.

    Les fascistes avaient le soutien financier du grand capital, mais leur base sociale restait avant tout constituée de la classe moyenne, la petite bourgeoisie appauvrie par la crise économique et déçue par les résultats des deux années rouges.

    Le Parti Communiste Italien (PCI) fut enfin né en Janvier 1921, suite à la scission de l’aile révolutionnaire du PSI dirigée par Gramsci et Bordiga. Le PCI, la section italienne de l’Internationale communiste, vit le jour alors que la puissante vague du mouvement de classe s’était déjà échouée, à une époque où le mouvement ouvrier italien était gravement affaibli et où le fascisme se préparait à prendre le pouvoir.

    Les travailleurs combattent les fascistes

    Malgré la défaite brûlante du mouvement ouvrier italien, les fascistes rencontrèrent beaucoup de résistance parmi les militants de gauche, qui s’opposèrent souvent à la violence des escadrons de manière organisée les armes à la main. Au cours des “deux années noires” (Biennio Nero, 1921-1922), la nécessité de se défendre contre les attaques des fascistes, qui attaquaient continuellement les militants du mouvement ouvrier et de gauche, les syndicats et les maisons du peuple, se fit évidente. Initialement, la réponse des antifascistes était désorganisée et inadéquate. Toutefois, durant l’été 1921, l’anarchiste Argo Secondari, ancien soldat de la Première Guerre Mondiale, fonda les “Arditi del Popolo”, des équipes armées composées principalement d’ouvriers et d’anciens soldats chargés de défendre le mouvement ouvrier les escadrons fascistes. Ce fut un véritable front unique des forces de la gauche né spontanément et principalement composé de militants socialistes, communistes et anarchistes.

    Mis à part l’anarchiste Secondari, l’un des plus important organisateurs de ce mouvement antifasciste était le révolutionnaire socialiste de Parme, Guido Picelli. Des années plus tard celui-ci allait rejoindre les forces républicaines pendant la guerre civile espagnole. La naissance des “Arditi del Popolo” fut accueillie avec enthousiasme par Lénine dans les pages de la Pravda. Cette formation paramilitaire su tenir tête aux escadrons fascistes jusqu’à la marche sur Rome; chaque fois que les fascistes attaquèrent un siège syndical, une coopérative, une maison du peuple, une grève des travailleurs, etc., les “Arditi del Popolo” défendirent les camarades les armes à la main. Il y a eu des morts des deux côtés. Il n’était pas rare que se soit les fascistes qui soient contraint de fuir devant les Arditi.

    Fin juillet 1922, les syndicats et les partis de gauche appelèrent à faire la grève dans toute l’Italie contre le fascisme et contre la complicité de l’état et de la police avec les violences de ceux-ci. À Parme cette grève fut particulièrement suivie et ressentie. Comme le gouvernement se montra trop timide à réprimer la grève, ce furent les fascistes qui s’organisèrent pour la briser violemment. Environ 10,000 fascistes sous le commandement d’Italo Balbo se rendirent à Parme pour donner une leçon aux travailleurs. Les “Arditi del Popolo,” commandés entre autre par le légendaire Guido Picelli, organisèrent la défense de la ville de manière magistrale. Les fascistes furent contraint à se retirer après quelques jours ayant subi de lourdes pertes.

    Les “Arditi del Popolo” démontrèrent par les faits que, malgré la défaite des “deux années rouges”, il était toujours possible de s’opposer au fascisme. Des dizaines de milliers de travailleurs étaient prêts à se défendre contre les fascistes les armes à la main. Malheureusement, ces équipes d’autodéfense étaient opposées par le parti communiste (PCI), dont la direction adopta une position ultra-gauche et sectaire, rejetant tout front unique antifasciste avec les autres forces de gauche. Lénine conseilla au PCI de soutenir activement les “Arditi del Popolo”, mais malheureusement Bordiga était d’un avis complètement différent et les suggestions des bolcheviks restèrent lettre morte. Gramsci était plus proche des positions de Lénine et de l’Internationale Communiste, mais n’avait pas la force de défier la direction sectaire et ultra-gauche de Bordiga et dans les faits s’adapta à celle-ci. Malgré cela, de nombreux travailleurs communistes participèrent activement aux équipes de défense antifasciste, aux côtés de militants socialistes et anarchistes. En raison du sectarisme du PCI et de l’opportunisme du PSI, les “Arditi del Popolo” ne surent résister à la violence fasciste et finalement la marche sur Rome devint inévitable.

    Des leçons pour aujourd’hui

    La montée du fascisme est avant tout le résultat de l’échec des “deux années rouges” et des erreurs de la gauche: d’abord l’opportunisme du PSI et des syndicats, puis l’ultra-gauchisme du PCI. La gauche d’aujourd’hui peut apprendre beaucoup de cette histoire; si le mouvement ouvrier n’est pas en mesure de proposer sa solution à la crise du capitalisme et d’entamer une lutte pour la conquête du pouvoir en attirant la petite bourgeoisie vers elle, celle-ci aura tendance à se positionner à droite, faisant preuve d’hostilité envers les classes ouvrières dans lesquelles il ne se reconnaît pas socialement.

    Dans les années 1920, le fascisme sut exploiter la colère et la frustration de la classe moyenne pour l’utiliser contre les travailleurs et le mouvement socialiste, au profit du grand capital. Aujourd’hui, il n’y a aucun risque en Italie du retour au pouvoir du fascisme, ne serait-ce que parce que nous n’avons pas connus une période comparable aux “deux années rouges” et qu’il n’y a en conséquence, pour le moment, pas de classe ouvrière à atomiser. Cependant, même aujourd’hui, nous assistons à une dangereuse descente de vastes secteurs de la classe moyenne vers la pauvreté absolue. Cette descente se produit dans un contexte de stagnation des luttes et d’absence totale de référence politique générale pour la classe ouvrière. Dans ce contexte, il ne peut être exclu que la radicalisation de la petite bourgeoisie, résultat de sa condition sociale, s’exprime à droite avec la recherche de solutions radicales. Pour éviter ce scénario, les forces du mouvement ouvrier doivent immédiatement offrir une alternative socialiste cohérente et claire aux catastrophes que le capitalisme crée et n’est pas en mesure de résoudre.

  • [VIDEO] Giuliano, Resistenze Internazionali “L’Italie souffre de la privatisation de la santé publique”

    Quelques mots de notre camarade Giuliano, membre de la section italienne de l’Alternative Socialiste Internationale, Resistenze Internazionali.

    Il revient dans cette vidéo sur la manière dont la politique néolibérale a durement affecté les soins de santé ainsi que sur la vague de grève pour fermer la production et les usines non-nécessaires afin de contrer la propagation du coronavirus.

  • Italie “Arrêtons tout avant qu’il ne soit trop tard ! Le virus ne s’arrête pas aux portes de l’usine !”

    Réaction de Giuliano Brunetti, Resistenze Internazionali, Alternative Socialiste Internationale – Italie 

    Après un retard inutile, le gouvernement a maintenant décidé de renforcer les mesures visant à contenir la propagation du coronavirus en Italie. Dès mardi, un décret du président du Conseil, Giuseppe Conte, a ordonné la fermeture de toutes les activités commerciales, à l’exception des pharmacies, des kiosques à journaux et des épiceries. Cette mesure s’ajoute à la fermeture de tous les lieux d’étude et de rassemblement : universités, écoles, gymnases, cinémas, bars et théâtres. Ce décret remplace celui qui a transformé tout le pays d’abord en zone orange puis en zone rouge, et celui qui a verrouillé de nombreuses régions du nord.

    Afin de contenir la propagation du Coronavirus, il nous est demandé, à juste titre, de rester chez nous et de limiter les contacts au minimum. Si nous devons quitter notre domicile, nous devons signer une déclaration certifiant que nous sommes en bonne santé. En gros, cela signifie qu’il n’est permis de quitter la maison que pour aller travailler, chez le médecin ou pour faire des courses. Une seule personne par famille est autorisée à le faire.

    Si vous quittez votre domicile sans raison valable, vous risquez une amende et une mise en accusation pénale. Des centaines de personnes ont déjà été signalées par la police pour avoir enfreint cette ordonnance. La police arrête les gens dans la rue pour vérifier s’il existe des raisons sérieuses et fondées de quitter son domicile. Ces mesures drastiques ont un sens si elles sont prises par toutes les personnes de tous âges et de tous statuts sociaux.

    Mais pourquoi alors, les entreprises ne ferment-elles pas ? Même s’il est nécessaire de réduire les déplacements au minimum, les entreprises restent ouvertes, ce qui démontre la servilité du gouvernement envers la Confindustria, la fédération patronale italienne, et rend vaines les autres mesures adoptées.

    Quelqu’un pense-t-il sérieusement que le virus ne va pas se propager aux entrepôts logistiques, aux cantines d’usine ou dans les bus et les trains que nous utilisons pour nous rendre au travail ? Quel est l’intérêt de bloquer le transit des personnes, si les marchandises circulent librement et sans être dérangées ? Quel est l’intérêt de fermer des restaurants, mais de maintenir les services de livraison à domicile des plateformes Justeat et Deliveroo ? Pourquoi permettre aux coursiers de la BRT de continuer à travailler sans aucune mesure de sécurité, comme des masques ? Pourquoi n’est-il pas possible de distribuer gratuitement et immédiatement des masques sanitaires au personnel de la grande distribution et aux catégories de travailleurs : chauffeurs, routiers, éboueurs qui doivent continuer à travailler ?

    Face à cette situation, où les profits des capitalistes sont plus importants que la santé collective de millions d’Italiens, les travailleurs de dizaines d’entreprises se sont engagés dans des grèves spontanées pour exiger que leur droit à la santé soit respecté. Des grèves et des mobilisations ont déjà eu lieu chez Fiat à Pomigliano, Pasotti à Brescia, Piaggio à Pontedera, Electrolux à Susegana et Bonfiglioli à Bologne. D’autres grèves sont prévues pour chez Fincantieri à Palerme et Vitesco à Pise. Il est probable que ces grèves s’étendront encore. Les trois principaux syndicats de métallurgistes, la FIM, la FILM et l’UILM, exigent l’arrêt complet de la production jusqu’au 22 mars. L’Unione sindacale di base (USB) a, pour sa part, annoncé un plan de 32 heures de grèves dans les secteurs industriels non essentiels, à partir d’aujourd’hui.

    Pour arrêter la propagation du virus, il faut mettre un terme à tout travail inutile. Les transports aériens, ferroviaires, maritimes et routiers, sauf s’ils sont essentiels, doivent maintenant cesser. Face à la gravité de la situation, à un système de santé national qui risque de s’effondrer, entraînant avec lui des centaines de vies, nous devons immédiatement arrêter la production, juste pour faire des profits, et fermer les bureaux, les usines et les entreprises inutiles. C’est la seule décision sensée à prendre pour le moment.

    Dans le même temps, des paiements spéciaux de quarantaine doivent être immédiatement introduits pour garantir que les millions de travailleurs qui perdront leur salaire à cause de la pandémie ne risquent pas de mourir de faim. Le recours au Fonds d’allocations complémentaires extraordinaires doit être immédiatement mis à la disposition de tous les travailleurs de tous les secteurs, quel que soit leur type de contrat et quel que soit le nombre d’heures travaillées. Des suppléments de salaire devraient être accordés à tous les travailleurs occupant des emplois précaires, par exemple dans le tourisme et la restauration, qui travaillaient avant l’épidémie sans contrat en bonne et due forme ou avec des contrats « à durée zéro », surtout lorsqu’ils auront plus de difficultés à trouver du travail à l’avenir.

    Dès mercredi soir, avec plus de 12.000 cas confirmés, un chiffre certainement bien inférieur à la réalité, le test de dépistage de la maladie doit être effectué pour l’ensemble de la population, en commençant par les personnes les plus à risque. Des prélèvements ne devraient pas être faits uniquement pour les cas les plus graves, lorsque les symptômes de la maladie sont déjà évidents et que l’infection s’est déjà propagée. Les porteurs de virus peuvent être asymptomatiques et la période d’incubation peut durer jusqu’à vingt jours. Il est donc nécessaire de surveiller toute la population résidente afin de cartographier la population infectée pour qu’elle puisse être correctement isolée, traitée et assistée non seulement sur le plan médical, mais aussi en ce qui concerne la nourriture et les autres produits nécessaires !

    Cette grave crise dans laquelle beaucoup d’entre nous risquent de perdre leur emploi, leur stabilité économique et, dans certains cas, même leur vie – il y a déjà plus de mille morts rien qu’en Italie – doit être abordée de manière décisive et transparente, avec la participation des syndicats et de l’ensemble de la population à la prise de décision.

    Aujourd’hui, le Service national de santé devrait être doté de toutes les ressources nécessaires pour permettre à nos héroïques médecins, infirmières et personnel auxiliaire de mener cette dure bataille contre cet ennemi invisible. Pas un lit d’hôpital, pas une seringue, pas un seul médicament ne doit être détourné de son usage pour assurer la santé et le traitement des personnes. Les installations médicales privées doivent être réquisitionnées immédiatement ! Les cliniques et les centres de traitement privés doivent être immédiatement intégrés au NHS et le personnel qui y travaille doit bénéficier des mêmes conditions que celui qui travaille dans le système étatique.

  • Italie 1919-1920 (2e partie) : Les occupations de terres

    L’image ci-dessus est tirée du film photo de Bernardo Bertolucci ‘‘1900‘‘.

    1919, au moment où la colère contre la vie chère explose dans les villes, un autre incendie social embrase les campagnes : les occupations de terres. Pendant la guerre, le président du Conseil avait promis : ‘‘Après la victoire, l’Italie accomplira un grand geste de justice sociale : elle donnera la terre aux paysans avec tout ce qui en fait partie’’. Les soldats démobilisés rapportent au plus profond des campagnes l’espoir de vivre mieux et surtout d’avoir enfin la terre.

    Par Guy Van Sinoy – Accéder à la première partie 

    Le mouvement va entraîner différentes catégories de paysans : les métayers locataires de la terre qu’ils cultivent, les journaliers qui revendiquent de meilleurs contrats, les paysans sans terre ni travail qui exigent des terres. En mars 1919, dans le Latium (région autour de Rome), ils commencent à occuper des terres que les grands propriétaires laissent en friche par manque de volonté d’investir, ce qui est intolérable pour tous les paysans dans la misère. Des centaines d’hommes et de femmes, portant leurs outils de travail et arborant des calicots, forment des cortèges précédés d’une fanfare. Ils parcourent les villes avant d’occuper les terres en friche.

    En juin, le mouvement s’étend aux ligues paysannes catholiques qui occupent à leur tour les terres, ce que le journal catholique Il Popolo romano dénonce comme étant «un authentique acte bolchevique». En août, le mouvement s’étend au Sud du pays (Pouilles, Calabre, Sicile). Dans le Latium, des dizaines de ligues et de coopératives rouges affiliées au syndicat CGL(1) organisent le 24 août les occupations dans 40 communes. 25.000 hectares sont ainsi occupés, pour certains déjà ensemencés, ce qui suscite une vive émotion parmi les grands propriétaires.

    Fin 1919 et au printemps 1920, la lutte s’intensifie. En Émilie (Parme, Modène, Bologne), des paysans organisent des piquets et bloquent les routes. Les ligues paysannes organisent un boycott des propriétaires récalcitrants qui ne parviennent plus à acheter le nécessaire pour faire fonctionner leur exploitation. En janvier 1920, un projet de décret gouvernemental prévoit des peines renforcées contre les occupations. Pourtant le mouvement se poursuit. Dans les Pouilles, les paysans occupent cette fois des terres cultivées, coupent les fils du télégraphe, font sauter des ponts, désarment les carabiniers et résistent à la troupe qui tue deux d’entre eux.

    Dans le Nord du pays, 180.000 métayers et journaliers se croisent les bras afin d’imposer de meilleurs contrats collectifs. Les seuls symptômes de vie dans les champs et les rizières sont les équipes de plusieurs dizaines de ‘‘cyclistes rouges’’ qui assurent la liaison entre les grévistes et repèrent les jaunes (les non-grévistes) au travail.

    L’extension spontanée du mouvement paysan et sa profondeur indiquaient un énorme potentiel révolutionnaire, en posant la question de l’expropriation des grands propriétaires. Cela aurait pu devenir un allié déterminant pour les travailleurs de villes. Mais il n’existait à ce moment-là aucune force politique capable de rassembler cette énergie, de la centraliser et de l’orienter vers un changement radical de société.

    Dans le prochain numéro : Les occupations d’usines. La première partie ‘‘La lutte contre la vie chère’’ est parue dans Lutte Socialiste n°244.

    (1) CGL : Confederazione Generale del Lavoro (Confédération Générale du Travail).

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