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  • De l’occupation de places à l’occupation d’entreprises !

    Quelles méthodes pour les 99%?

    Au cours de cette année 2011, nous avons vu croître la résistance contre l’austérité, et les mobilisations ont gagné en ampleur à travers le monde. Avec le rejet croissant du capitalisme, la question de l’alternative à défendre et de la façon d’y parvenir devient de plus en plus aigüe. En Tunisie, en Egypte, en Espagne, en Grèce, aux Etats-Unis et ailleurs s’est imposée la tactique de l’occupation des places. Elle a joué un rôle important, tant pour rendre le mécontentement visible que pour offrir un point de rassemblement afin de discuter largement de la poursuite du mouvement en Assemblée populaires. Comment aller de l’avant ?

    Par Nicolas Croes

    Partout où ils sont présents, les partisans du Comité pour une Internationale Ouvrière, dont le PSL est la section belge, préconisent de s’orienter vers le mouvement organisé des travailleurs, c’est-à-dire vers ceux qui produisent les richesses dans la société sans pour autant avoir le moindre mot à dire sur la manière dont cette production est gérée. Comme nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises dans les pages de ce journal, ce n’est nullement un hasard si les grèves générales ont été décisives pour renverser Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte.

    Cette orientation vers les travailleurs et la base syndicale, qui n’était pas claire au début du mouvement en Espagne, par exemple, s’est par la suite développée peu à peu. Cela a notamment été illustré par cet appel à la grève générale lancé par les activistes d’Occupy Oakland aux Etats-Unis le 2 novembre dernier. Même s’il ne s’agissait pas d’une véritable grève générale, cet appel a trouvé écho auprès de la base syndicale, dont de nombreux militants ont participé à la mobilisation de 20.000 personnes qui a bloqué le port de la ville. La méthode d’action retenue à chaque étape d’un mouvement doit être celle qui mobilise les couches les plus larges de travailleurs et force est de constater que, sur base de l’expérience de ces derniers mois, ce qui a le mieux fonctionné, ce sont des revendications claires centrées sur le quotidien des masses, heurté de plein fouet par l’austérité, en combinaisons d’actions de masses radicales.

    En Espagne ou encore aux USA, nous défendons que les différentes Assemblées populaires soient reliées les unes aux autres par l’élection démocratique de représentants, afin de coordonner démocratiquement les actions aux niveaux local et national. Mais nous pensons également qu’il est crucial de développer ces assemblées générales sur les lieux de travail eux-mêmes, et d’amener très concrètement la question de la démocratie syndicale. Pourquoi d’ailleurs, là où la situation le permet, ne pas passer de l’occupation de places et de lieux symboliques à l’occupation d’entreprises ? Pourquoi ne pas envisager de préparer l’occupation du cœur même de la structure du capitalisme ?

    Les 99% contre les 1%

    Dans le cas de menace de fermetures ou de licenciements, cette question de l’occupation se pose très concrètement. C’est une méthode que nous défendons d’ailleurs dans la lutte des travailleurs d’ArcelorMittal contre la fermeture de la phase à chaud liégeoise, en tant que première étape vers l’expropriation de la sidérurgie et sa nationalisation sous le contrôle démocratique des travailleurs.

    Depuis que cette crise économique a éclaté, plusieurs usines ont été occupées pour lutter contre des restructurations (Republic Windows à Chicago en 2008, Visteon en Angleterre et en Irlande du Nord en 2009, Waterford Chrystal en Irlande en 2009, INNSE en Italie en 2009,…) A différents moments de l’histoire des luttes d’ailleurs, comme dans les années ’30 ou ‘70, de véritables vagues d’occupations d’usines ont déferlé, causant une peur panique au Capital. En France, l’occupation de l’usine de montres LIP, en 1973, a profondément marqué les esprits : les travailleurs en étaient venus à vendre eux-mêmes leur production.

    Une occupation instaure une double pression sur le patronat. Tout d’abord, il est privé de son profit, puisque la grève a stoppé la production. Ensuite, et c’est fondamental, cela pose la question de la propriété des moyens de production : qui dirige l’entreprise ? Les travailleurs sont responsables du fonctionnement quotidien de l’entreprise et de la création de richesses, mais ils n’ont rien à dire sur l’organisation de la production et son orientation. Voilà ce qui se situe au cœur de la lutte des ‘‘99% contre les 1%’’ : le patron a besoin de travailleurs, les travailleurs n’ont pas besoin de patrons.

    Pour la démocratie réelle dans l’entreprise

    Toute lutte a besoin de construire un rapport de forces qui lui est favorable, d’impliquer un maximum de travailleurs dans l’action ainsi que d’assurer une solidarité maximale dans les autres entreprises et au sein de la population. Tout comme cela a été le cas sur les différentes places occupées, une entreprise occupée permet de développer une discussion large entre tous les travailleurs avec des Assemblées générales capables d’éviter les tensions et divisions entre syndicats, entre ouvriers et employés,… tout en constituant un lieu d’information et de débat permanent pour accueillir chaque personne voulant aider la lutte. Une structure unifiée de direction pour la lutte est un élément crucial pour empêcher les patrons et les autorités de l’Etat de venir jouer sur les différences existantes (entre contrat de travail, syndicats,…) pour semer le trouble et la division.

    Il est crucial qu’un comité de grève soit élu démocratiquement par l’Assemblée générale des travailleurs et qu’il jouisse de tout son soutien, avec notamment l’assurance de pouvoir révoquer des représentants élus à tout moment. Ce comité, responsable devant l’assemblée générale souveraine, doit organiser la lutte et la diffusion maximale de l’information, avec pour principal objectif d’impliquer chaque travailleur dans le travail à effectuer et dans la prise de décision. Ce travail d’organisation est une tâche titanesque et, tout comme cela est le cas sur les places occupées, il faut développer des commissions spécifiques.

    Il n’en est pas allé autrement dans les différentes commissions des Assemblées Populaires des Indignés. Ainsi, en Espagne par exemple, on trouvait des commissions très pratiques (cuisines, santé, traduction, informations,…) mais aussi des commissions ‘‘grève générale’’ chargée d’organiser l’agitation autour de cette idée vers la base syndicale, ‘‘femmes’’ pour aborder la thématique de l’oppression des femmes, ‘‘immigrés’’,… Ces commissions ont réellement constitué des espaces de formation politique pour tous ceux qui s’y sont impliqués. Face à un comité de grève élu et révocable, cette formation permet de construire la confiance de la base des travailleurs et d’assurer qu’elle reste réellement aux commandes de sa lutte.

    Lors de différentes occupations, on a aussi vu d’autres mesures de contrôle sur les responsables élus se développer, comme de retransmettre par haut-parleur les négociations entre responsables du comité de grève et représentants patronaux afin d’éviter tout marchandage secret. Quand nous parlons de démocratie réelle, c’est de cela dont nous parlons : d’une structure où chaque représentant est constamment soumis à l’autorité de sa base.

    Enfin, en déplaçant le centre de la résistance contre l’austérité dans les entreprises, on rend beaucoup plus difficile le travail de la répression. Il est beaucoup plus malaisé d’encercler et de réprimer un mouvement retranché dans une usine qui lui est familière, où les outils peuvent aussi servir de moyen de défense. Dans le mouvement ouvrier belge, le souvenir de la lutte des métallos de Clabecq en 1996-97 est encore vivace, avec leurs assemblées générales régulières, mais aussi cette fois mémorable où les grévistes étaient sortis de leur usine avec des bulldozers. Un barrage policier avait – brièvement – tenter de bloquer le trajet de la manifestation qu’ils avaient pourtant négocié…

    Double pouvoir

    De telles méthodes ne servent pas seulement à travailler au renversement de la société capitaliste. Une nouvelle société est en germe dans ces luttes. Les comités de lutte démocratiques et les Assemblées générales sont les embryons de cette future société où les 99% de la population auront leur mot à dire sur ce qui est produit, comment il est produit et comment il est distribué, grâce à une économie démocratiquement planifiée, basée sur la collectivisation des secteurs-clés de l’économie.

    A mesure que la lutte gagnera de l’ampleur et se généralisera, les tâches de ces comités et assemblées se développeront au point de concurrencer le pouvoir de l’Etat capitaliste et de sa démocratie fantoche. Cette situation de double pouvoir sera un moment crucial, où le mouvement aura besoin d’une direction révolutionnaire hardie et reconnue par les masses, qui pourra lancer les mots d’ordres cruciaux pour éviter de sombrer dans le statu-quo et assurer que les travailleurs, les pauvres et les jeunes puissent arracher le contrôle de la société. Dans une telle période de crise révolutionnaire, un parti comme le PSL sera crucial.

  • La “zone d’exclusion aérienne” et la gauche

    Les puissances impérialistes ont mis en place une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye afin de protéger leurs propres intérêts économiques et stratégiques et de restaurer leur prestige endommagé. Il est incroyable de voir que certaines personnes de la gauche marxiste soutiennent cette intervention militaire.

    Peter Taaffe – article paru dans Socialism Today, le magazine mensuel du Socialist Party (CIO – Angleterre et Pays de Galles)

    La guerre est la plus barbare de toutes les activités humaines, dotée comme elle l’est dans l’ère moderne de monstrueuses armes de destruction massive. Elle met aussi à nu la réalité des relations de classe, nationalement et internationalement, qui sont normalement obscurcies, cachées sous des couches d’hypocrisie et de turpitude morale des classe dirigeantes. Elle est l’épreuve ultime, au côté de la révolution, des idées et du programme, non seulement pour la bourgeoisie, mais égalemet pour le mouvement ouvrier et pour les différentes tendances en son sein.

    La guerre en cours en ce moment en Libye – car c’est bien de cela qu’il s’agit – illustre clairement ce phénomène. Le capitalisme et l’impérialisme, déguisés sous l’étiquette de l’“intervention militaire à but humanitaire” – totalement discréditée par le massacre en Irak – utilisent ce conflit pour tenter de reprendre la main. Pris par surprise par l’ampleur de la révolution en Tunisie et en Égypte – avec le renversement des soutiens fidèles de Moubarak et de Ben Ali – ils cherchent désespérément un levier afin de stopper ce processus et avec un peu de chance de lui faire faire marche arrière.

    C’est le même calcul qui se cache derrière le massacre sanglant au Bahreïn, perpétré par les troupes saoudiennes, avec un large contingent de mercenaires pakistanais et autres. Aucun commentaire n’est parvenu du gouvernement britannique quant aux révélations parues dans l’Observer au sujet d’escadrons de la mort – dirigés par des sunnites liés à la monarchie – et au sujet de la tentative délibérée d’encourager le sectarisme dans ce qui avait auparavant été un mouvement non-ethnique uni. Les slogans des premières manifestations bahreïniennes étaient : « Nous ne sommes pas chiites ni sunnites, mais nous sommes bahreïniens ».

    De même, les “dirigeants du Labour” – menés par le chef du New Labour Ed Miliband, qui a promis quelque chose de “différent” par rapport au régime précédent de Tony Blair – sont maintenant rentrés dans les rangs et soutiennent la politique de David Cameron en Libye et l’imposition de la zone d’exclusion aérienne. 

    Il est incroyable de constater que cette politique a été acceptée par certains à gauche, y compris quelques-uns qui se revendiquent du marxisme et du trotskisme. Parmi ceux-ci, il faut inclure Gilbert Achar, qui a écrit des livres sur le Moyen-Orient, et dont le soutien à la zone d’exclusion aérienne a au départ été publié sans aucune critique dans International Viewpoint, le site internet du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale (SUQI). Son point de vue a toutefois été répudié par le SUQI par après.

    Mais on ne peut par contre pas qualifier d’ambigüe la position de l’Alliance pour la liberté des travailleurs (Alliance for Workers’ Liberty, AWL). Les cris stridants de cette organisation, en particulier dans ses critiques d’autres forces de gauche, sont en proportion inverse de ses faibles forces et de son influence encore plus limitée au sein du mouvement ouvrier. L’AWL a même cité Leon Trotsky pour justifier l’intervention américaine avec la zone d’exclusion aérienne. Un de leurs titres était : « Libye : aucune illusion dans l’Occident, mais l’opposition “anti-intervention” revient à abandonner les rebelles » Un autre titre impayable était : « Pourquoi nous ne devrions pas dénoncer l’intervention en Libye » (Workers Liberty, 23 mars).

    Ces derniers exemples sont en opposition directe avec l’essence même du marxisme et du trotskisme. Celle-ci consiste à insuffler dans la classe ouvrière et dans ses organisations une indépendance de classe complète par rapport à toutes les tendances de l’opinion bourgeoise, et à prendre les actions qui en découlent. Ceci s’applique à toutes les questions, en particulier pendant une guerre, voire une guerre civile, ce dont le conflit libyen comporte clairement des éléments.

    Il n’y a rien progressiste, même de loin, dans la tentative des puissances impérialistes que sont le Royaume-Uni ou la France de mettre en place une zone d’exclusion aérienne. Les rebelles de Benghazi ne sont que menue monnaie au milieu de leurs calculs. Hier encore, ces “puissances” embrassaient Mouammar Kadhafi, lui fournissaient des armes, achetaient son pétrole et, via Tony Blair, visitaient sa “grande tente” dans le désert et l’accueillaient au sein de la “communauté internationale”. Ce terme est un complet abus de langage, tout comme l’est l’idée des Nations-Unies, utilisée à cette occasion en tant qu’écran derrière lequel cacher que l’intervention en Libye avait été préparée uniquement en faveur des intérêts de classe crus de l’impérialisme et du capitalisme.

    Il ne fait aucun doute qu’il y a des illusions parmi de nombreux jeunes et travailleurs idéalistes qui attendent de telles institutions qu’elles résolvent les problèmes que sont les guerres, les conflits, la misère, etc. Certains sont également motivés dans leur soutien à la zone d’exclusion aérienne parce qu’ils craignaient que la population de Benghazi serait massacrée par les forces de Kadhafi. Mais les Nations-Unies ne font que rallier les nations capitalistes, dominées de manière écrasante par les États-Unis, afin de les faire collaborer lorsque leurs intérêts coïncident, mais qui sont de même fort “désunis” lorsque ce n’est pas le cas. Les guéguerres de positionnement et les querelles entre les différentes puissances impérialistes quant à l’intervention libyenne illustre bien ceci.

    Éparpillement américain et incertitude

    Les révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont tout d’abord révélé l’incertitude – voire la paralysie – de la plus grande puissance impérialiste au monde, les États-Unis, quant à l’intervention adéquate. L’administration de Barack Obama a été forcée de tenter de se distinguer de la doctrine de George Bush d’un monde unipolaire dominé par l’impérialisme américain, avec son écrasante puissance militaire et économique. Les USA conservent toujours cet avantage militaire comparés à leurs rivaux, mais il est maintenant sapé par l’afaiblissement économique des États-Unis.

    Il y a aussi le problème de l’Afghanistan et la peur que cela ne mène à un éparpillement militaire. C’est ce qui a contraint Robert Gates, le secrétaire à la défense américain, à dès le départ déclarer son opposition – et, on suppose, celle de l’ensemble de l’état-major américain – par rapport à l’utilisation de troupes américaines terrestres où que ce soit ailleurs dans le monde. Il a aussi affirmé être “certain“ qu’Obama n’autoriserait aucune troupe au sol américaine à intervenir en Libye. Il a souligné cela lors de son interview où il se déclarait “dubitatif par rapport aux capacités des rebelles”, décrivant l’opposition comme n’étant en réalité rien de plus qu’un groupe disparate de factions et sans aucun véritable “commandemet, contrôle et organisation”. (The Observer du 3 avril).

    Obama, a sur le champ cherché à formuler une nouvelle doctrine diplomatique militaire, en ligne avec la nouvelle position des États-Unis sur le plan mondial. Il a tenté de faire une distinction entre les intérêts “vitaux” et “non-vitaux” de l’impérialisme américain. Dans les cas “vitaux”, les États-Unis agiront de manière unilatérale si la situation le requiert. Cependant les États-Unis, a-t-il proclamé de manière arrogante, ne sont plus le “gendarme du monde”, mais agiront dans le futur en tant que “chef de la gendarmerie” mondiale. Ceci semble signifier que les États-Unis accorderont leur soutien et seront formellement à la tête d’une “coalition multilatérale” tant que cela ne signifie pas le déploiement effectif et automatique des troupes.

    Malgré cela, la pression qui s’est effectuée pour empêcher un “bain de sang” a obligé Obama à signer une lettre publique avec Nicolas Sarkozy et Cameron, déclarant que ce serait une “trahison outrageuse” si Kadhafi restait en place et que les rebelles demeuraient à sa merci. La Libye, ont-ils déclaré, menace de devenir un “État déchu”. Ceci semble jeter les bases pour un nouveau saut périlleux, en particulier de la part d’Obama, qui verra l’emploi de troupes terrestres si nécessaire. Lorsqu’il a été incapable d’intervenir directement, à cause de l’opposition domestique par exemple, l’impérialisme n’a pas hésité à engager des mercenaires pour renverser un régime qui n’avait pas sa faveur ou pour contrecarrer une révolution. Telle était la politique de l’administration Ronald Reagan lorsqu’elle a employé des bandits soudards, les Contras, contre la révolution nicaraguayenne.

    L’impérialisme a été forcé dans la dernière intervention par le fait que Kadhafi semblait sur le point de gagner ou, en tous cas, d’avoir assez de force militaire et de soutien résiduel pour pouvoir éviter une complète défaite militaire, à moins d’une invasion terrestre. Les rebelles ne tiennent que l’Est, et encore, une partie seulement. L’Ouest, dans lequel vivent les deux tiers de la population, est toujours en grande partie contrôlé par Kadhafi et par ses forces. Ce contrôle n’est pas uniquement dû à un soutien populaire par rapport au régime. Ses forces possèdent la plupart des armes, y compris des armes lourdes, des tanks, etc. Il a toujours surveillé l’armée régulière de peur qu’un coup d’État n’en provienne. Patrick Cockburn a écrit dans The Independant du 17 avril : « L’absence d’une armée professionnelle en Libye signifie que les rebelles ont dû se fier à de vieux soldats à la retraite depuis longtemps pour entraîner leurs nouvelles recrues». Kadhafi est aussi capable d’attirer un soutien de la part des tribus, de même que du capital politique qu’il a accumulé pour son régime grâce au bon niveau de vie en Libye (avant le conflit) par rapport aux autres pays de la région.

    La révolution espagnole

    De nombreux partisans de la zone d’exclusion aérienne ont pris cette position en supposant que l’impérialisme ne serait pas capable d’aller plus loin que ça. Mais que feront-ils si, comme on ne peut l’exclure, des troupes au sol sous une forme ou une autre sont déployées avec la complicité des puissances impérialistes que sont les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ?

    Lors du débat à la Chambre des Communes (House of Commons) du 21 mars, Miliband (le nouveau chef du Parti travailliste) a accordé un soutien enthousiaste pour l’action militaire de Cameron. Voilà encore une nouvelle confirmation de la dégénerescence politique du Labour Party, qui d’un parti à base ouvrière, est devenu une formation bourgeoise. Les rédacteurs de la classe capitaliste reconnaissent eux aussi platement cette réalité : « Il fut un temps où le Labour party était le bras politique de la classe ouvrière organisée. Tous les trois principaux partis constituent maintenant le bras politique de la classe capitaliste organisée. Ce phénomène n’est pas propre à la Grande-Bretagne. Presque chaque démocratie avancée, surtout les États-Unis, lutte pour contrôler le monde des affaires » (Peter Wilby, The Guardian du 12 avril).

    Comparez seulement la position du dirigeant “travailliste” actuel avec celle de son prédécesseur Harold Wilson au moment de la guerre du Vietnam. Au grand regret de Lyndon Johnson, le président américain de l’époque, Wilson – bien qu’il n’aurait pas été contre l’idée de soutenir des actions militaires à l’étranger s’il avait cru pouvoir s’en tirer après coup – a refusé d’impliquer les troupes britanniques. Toute autre décision aurait provoqué une scission du Labour de haut en bas, ce qui aurait probablement mené à sa démission. En d’autres termes, il avait été forcé par la pression de la base du Labour et des syndicats à refuser de soutenir l’action militaire de l’impérialisme américain.

    Aujourd’hui Miliband soutient Cameron, en provoquant à peine un froncement de sourcils de la part des députés Labour ou de la “base”. Il a invoqué le cas de l’Espagne pendant la guerre civile afin de justifier le soutien au gouvernement, déclarant ceci : « En 1936, un politicien espagnol est venu au Royaume-Uni afin de plaider notre soutien face au fascisme violent du général Franco, disant “Nous nous battons avec des bâtons et des couteaux contre des tanks, des avions et des fusils, et cela révolte la conscience du monde qu’un tel fait soit vrai” » (Hansard, 21 mars).

    Le parallèle avec l’Espagne est entièrement faux. C’était alors une véritable révolution des travailleurs et des paysans pauvres qui se déroulait, avec la création (tout au moins au cours de la période initiale après juillet 1936) d’un véritable pouvoir ouvrier, de comités de masse et avec l’occupation des terres et des usines. L’Espagne était confrontée à une révolution sociale. Cette révolution a surtout été vaincue non pas par les forces fascistes de Franco, mais par la politique erronnée de la bourgeoisie républicaine qui a fait dérailler la révolution, aidée et soutenue par le Parti communiste sous les ordres de Staline et de la bureaucratie russe. Ceux-ci craignaient à juste titre que le triomphe de la révolution espagnole ne soit le signal de leur propre renversement.

    Dans une telle situation, la classe ouvrière du monde entier se rassemblait pour soutenir la revendication d’envoyer des armes à l’Espagne. Alors l’impérialisme, et en particulier les puissances franco-anglaises, ont tout fait pour empêcher l’armement des travailleurs espagnols. Pourtant, le député Tory Bill Cash était entièrement d’accord avec Miliband pour affirmer qu’il y a en effet “un parallèle avec ce qui s’est passé en 1936”, et soutenait donc “l’armement de ceux qui résistent contre Kadhafi” à Benghazi. Cela n’est-il pas un indicateur de la nature politique de la direction actuelle à Benghazi et à l’Est, qui inclut d’anciens partisans de Kadhafi tels que l’ancien chef des forces spéciales Abdoul Fattah Younis ? Si la tendance au départ à Benghazi (des comités de masse avec la participation de la classe ouvrière) s’était maintenue, il n’y aurait maintenant pas la moindre question d’un soutien de la part des Tories de droite ! Miliband a donné une nouvelle justification pour son soutien de la zone d’exclusion aérienne : « Il y a un consensus international, une cause juste et une mission faisable… Sommes-nous réellement en train de dire que nous devrions être un pays qui reste sur le côté sans rien faire ? »

    Aucune force de gauche sérieuse ne peut prôner une politique d’abstention lorsque des travailleurs sont soumis aux attaques meurtrières d’un dictateur brutal tel que Kadhafi. Il est clair qu’il fallait donner un soutien politique à la population de Benghazi lorsqu’elle a éjecté les forces de Kadhafi de la ville par une insurrection révolutionnaire – et ceci était la position du CIO dès le départ. Voilà une réponse suffisante pour ceux qui cherchent à justifier le soutien à l’intervention militaire de l’extérieur, sur base du fait que la population de Benghazi était sans défense. Les mêmes personnes ont utilisé les mêmes arguments au sujet de l’impuissance du peuple irakien qui se trouvait sous l’emprise d’un dictateur brutal pour justifier le bombardement puis l’invasion de l’Irak, avec les résultats criminels que nous voyons à présent. Mais cet argument a été mis en pièces par les révoltes des populations tunisienne et égyptienne qui ont écrasé les dictatures, sous leurs puissants millions.

    Les gens de Benghazi ont déjà vaincu les forces de Kadhafi une fois. Cela a été réalisé lorsque des méthodes révolutionnaires ou semi-révolutionnaires ont été employées. Ces méthodes semblent maintenant avoir été reléguées à l’arrière-plan par des forces bourgeoises et petites-bourgeoises qui ont mis de côté les forces véritablement révolutionnaires. Sur base de comités ouvriers de masse, une véritable armée révolutionnaire – plutôt que le ramassis de soudards qui soutient le soi-disant “gouvernement provisoire” – aurait pu être mobilisée afin de capturer toutes les villes de l’Est et d’adresser un appel révolutionnaire aux habitants de l’Ouest, et en particulier à ceux de la capitale, Tripoli.

    Il y a dans l’Histoire de nombreux exemples victorieux d’une telle approche, en particulier dans la révolution espagnole à laquelle Miliband se réfère mais qu’il ne comprend pas. Par exemple, après que les travailleurs de Barcelone aient écrasé l’insurrection fasciste de Franco en juillet 1936, José Buenaventura Durruti a formé une armée révolutionnaire qui a marché à travers la Catalogne et l’Aragon jusqu’aux portes de Madrid. Ce faisant, il a placé les quatre-cinquièmes de l’Espagne entre les mains de la classe ouvrière et de la paysannerie. C’était bel et bien une guerre “juste” de la part des masses qui défendaient la démocratie tout en luttant pour une nouvelle société socialiste, plus humaine. En outre, cette guerre bénéficiait d’un réel soutien international de la part de la classe ouvrière européenne et mondiale. Les critères utilisés par Miliband pour décider de ce qui est “juste” ou pas se situent dans le cadre du capitalisme et de ce qui est mieux pour ce système, et non pas pour les intérêts des travailleurs qui se trouvent dans une relation opposée et antagoniste par rapport à ce système, et de plus et plus aujourd’hui.

    Le “deux poids, deux mesures” des puissances occidentales

    Notre critère pour mesurer ce qui est juste et progressiste, y compris dans le cas de guerres, est de savoir dans quelle mesure tel ou tel événement renforce ou non les masses ouvrières, accroit leur puissance, leur conscience, etc. Tout ce qui freine cette force est rétrograde. L’intervention impérialiste capitaliste, y compris la zone d’exclusion aérienne, même si elle devait parvenir à ses objectifs, ne va pas renforcer le pouvoir de la classe ouvrière, ne va pas accroitre sa conscience de sa propre puissance, ne va pas la mener à se percevoir et à percevoir ses organisations comme étant le seul et véritable outil capable d’accomplir ses objectifs. Au lieu de ça, l’intervention attire l’attention des travailleurs de l’Est vers une force de “libération” venue de l’extérieur, abaissant ainsi le niveau de conscience des travailleurs de leur propre puissance potentielle.

    Comme l’ont fait remarquer même les députés Tory lors du débat à la Chambre des Communes, Miliband semble complètement adhérer à la “doctrine Blair” – une intervention militaire soi-disant humanitaire en provenance de l’extérieur – dont il avait pourtant semblé se distancier lorsqu’il avait été élu dirigeant du Labour. Ceci revient à justifier les arguments de Blair comme ceux de Cameron concernant le où et quand intervenir dans le monde. Miliband s’est rabattu sur la vague affirmation suivante : « L’argument selon lequel parce que nous ne pouvons pas faire n’importe quoi, alors nous ne pouvons rien faire, est un mauvais argument ». “Nous” (c’est-à-dire l’impérialisme et le capitalisme) ne pouvons pas intervenir contre la dictature en Birmanie, ne pouvons pas hausser “notre” ton contre les attaques meurtrières de la classe dirigeante israélienne contre les Palestiniens de Gaza. “Nous” sommes muets face aux régimes criminels d’Arabie saoudite et du Bahreïn. Néanmoins, il est “juste” de “nous” opposer à Kadhafi – même si “nous” le serrions encore dans “nos” bras pas plus tard que hier – et d’utiliser “notre” force aérienne (pour le moment) contre lui et son régime.

    C’est le journal “libéral” The Observer qui a fait la meilleure description de l’approche hypocrite arbitraire du capitalisme : « Pourquoi ce régime du Golfe (le Bahreïn) a-t-il le bénéfice du doute alors que d’autres dirigeants arabes n’y ont pas droit ? Il est clair qu’il n’est pas question d’intervenir au Bahreïn ou dans tout autre État où les mouvements de protestation sont en train d’être réprimés. L’implication en Libye ne laisse aucun appétit pour le moindre soutien actif, diplomatique ou militaire, pour les autres rébellions. S’il fallait choisir de n’attaquer qu’un seul méchant dans l’ensemble de la région, alors le colonel Kadhafi était certainement le meilleur candidat. » (The Observer du 17 avril)

    Ce qui est par contre entièrement absent de cette argumentation, ce sont les véritables raisons derrière l’intervention en Libye, qui sont les intérêts matériels du capitalisme et de l’internationalisme, pour le pétrole avant tout – la Libye comporte quelques-unes des plus grandes réserves de toute l’Afrique. Certains ont nié cet argument – ils ont dit la même chose à propos de l’Irak. « La théorie de la conspiration pour le pétrole … est une des plus absurdes qui soit » affirmait Blair le 6 février 2003. Aujourd’hui, The Independant (19 avril) a publié un mémorandum secret de l’Office des affaires étrangères datant du 13 novembre 2002, à la suite d’une rencontre avec le géant pétrolier BP : « L’Irak comporte les meilleures perspectives pétrolières. BP meurt d’envie de s’y installer ».

    Un soutien honteux pour l’intervention militaire

    Tandis que la position de Miliband et de ses comparses n’est guère surprenante étant donné l’évolution droitière des ex-partis ouvriers et de leurs dirigeants, on ne peut en dire de même de ceux qui prétendent s’inscrire dans la tradition marxiste et trotskiste. Sean Matgamna de l’AWL cite même Trotsky pour justifier son soutien à l’intervention militaire en Libye : « Un individu, un groupe, un parti ou une classe qui reste “objectivement” à se curer le nez tout en regardant des hommes ivres de sang massacrer des personnes sans défense, est condamné par l’Histoire à se putréfier et à être dévoré vivant par les vers ». Dans ce passage tiré des écrits de Trotsky sur la guerre des Balkans avant la Première Guerre mondiale, celui-ci dénonce les porte-paroles du capitalisme libéral russe qui restaient silencieux face aux atrocités commises par la Serbie et la Bulgarie à l’encontre des autres nationalités.

    Il ne justifiait pas le moins du monde le moindre soutien en faveur des dirigeants d’une nation contre l’autre. Cela est clair à la lecture de la suite de ce passage, que Matgamna ne cite pas : « D’un autre côté, un parti ou une classe qui se dresse contre chaque acte abominable où qu’il se produise, aussi vigoureusement et décidément qu’un organisme réagit pour protéger ses yeux lorsqu’ils sont menacés par une blessure externe – un tel parti ou classe est pur de cœur. Le fait de protester contre les outrages dans les Balkans purifie l’atmosphère sociale dans notre propre pays, élève le niveau de conscience morale parmi notre propre population… Par conséquent, une opposition obstinée contre les atrocités ne sert pas seulement l’objectif d’autodéfense morale au niveau de l’individu ou du parti, mais également l’objectif de sauvegarde politique de notre peuple contre l’aventurisme caché sous l’étendard de la “libération”. »

    Le dernier point de cette citation ne peut être à tout le moins compris qu’allant à l’encontre de la position de l’AWL, qui soutient l’intervention impérialiste cachée sous l’étendard trompeur de la “libération”. Et pourtant, nous trouvons ici l’affirmation surprenante selon laquelle : « La soi-disant gauche s’emmêle encore une fois dans un faux dilemme politique : la croyance selon laquelle il est obligatoire de s’opposer de manière criarde à l’“intervention libérale” franco-britannique en Libye au sujet de chacun de ses actes (ou au moins de chacun de ses actes militaires), sans quoi cela reviendrait à lui accorder un soutien général. En fait, ce dilemme n’est que de leur propre invention ». Tentant de trouver la quadrature du cercle, Matgamna ajoute ensuite que : « Bien entendu, les socialistes n’accordent aucun soutien aux gouvernements et aux capitalistes au pouvoir au Royaume-Uni, en France et aux États-Unis, ni aux Nations-Unies, ni en Libye, ni nulle part ailleurs ».

    Même un enfant de dix ans se rendrait compte que le fait de soutenir la moindre forme d’action militaire est une forme de “soutien politique actif”. L’AWL prétend pouvoir nettement séparer le soutien pour ce type d’action des perspectives plus globales concernant les puissances qui entreprennent ce type d’action. Mais elle agit dans la pratique comme un défenseur de la France et du Royaume-Uni : « L’ONU, se servant du Royaume-Uni et de la France, a fixé des objectifs très limités en Libye. Il n’y a aucune raison de croire que les “Grandes Puissances” veulent occuper la Libye ou sont occupées à quoi que ce soit d’autre que d’effectuer une opération de police internationale limitée sur ce qu’elles perçoivent comme constituant la “frontière sud” de l’Europe ». L’AWL ajoute même gratuitement que : « Les âpres leçons du bourbier iraqien sont encore très vives dans la mémoire de ces puissances ». Et poursuit avec ceci : « Au nom de quelle alternative devrions-nous leur dire de ne pas utiliser leur force aérienne pour empêcher Kadhafi de massacrer un nombre incalculable de ses propres sujets ? Voilà quelle est la question décisive dans de telles situations ». Et quiconque ne s’aligne pas sur ce non-sens est selon l’AWL un pacifiste incorrigible.

    Pour montrer à quel point ces annonciateurs “trotskistes” sont éloignés de la réelle position de Trotsky par rapport à la guerre, regardons sa position au cours de la guerre civile espagnole concernant la question du budget militaire du gouvernement républicain. Max Shachtman, qui était en ce temps un de ses partisans, s’est opposé à Trotsky qui défendait en 1937 le fait que : « Si nous avions un membre dans le Cortes [le parlement espagnol], nous voterions contre le budget militaire de Negrin ». Trotsky a écrit que l’opposition de Shachtman à sa position « m’a étonné. Shachtman était prêt à exprimer sa confiance dans le perfide gouvernement Negrin ».

    Il a plus tard expliqué que : « Le fait de voter en faveur du budget militaire du gouvernement Negrin revient à lui donner un vote de confiance politique… Le faire serait un crime. Comment expliquer notre vote aux travailleurs anarchistes ? Très simplement : Nous n’accordons pas la moindre confiance en la capacité de ce gouvernement à diriger la guerre et à assurer la victoire. Nous accusons ce gouvernement de protéger les riches et d’affamer les pauvres. Ce gouvernement doit être broyé. Tant que nous ne serons pas assez forts que pour le remplacer, nous nous battrons sous son commandement. Mais en toute occasion, nous exprimerons ouvertement notre méfiance à son égard : voici la seule possibilité de mobiliser les masses politiquement contre ce gouvernement et de préparer son renversement. Toute autre politique constituerait une trahison de la révolution » (Trotsky, D’une égratignure au risque de gangrène, 24 janvier 1940). Imaginons maintenant à quel point Trotsky dénoncerait le soutien honteux de l’AWL à l’intervention impérialiste en Libye aujourd’hui.

    Une position de classe indépendante

    On reste sans voix devant le fait que l’AWL, avec son apologie de l’intervention impérialiste, prétende défendre par-là une “politique ouvrière indépendante”. Mais il n’y a pas le moindre atome de position indépendante de classe dans son approche. Nous nous opposons à l’intervention militaire, tout comme s’y sont opposées les masses de Benghazi au cours de la première période. Les slogans sur les murs proclamaient en anglais : « Non à l’intervention étrangère, les Libyens peuvent se débrouiller par eux-mêmes ». En d’autres termes, les masse avaient un instinct de classe bien plus solide, une suspicion par rapport à toute intervention militaire extérieure, en particulier par les puissances qui dominaient autrefois la région – le Royaume-Uni et la France. Elles craignaient à juste titre que la zone d’exclusion aérienne, malgré les grands discours proclamant le contraire, ne mènent à une invasion, comme cela a été le cas en Irak.

    Cela signifie-t-il que nous nous contentons de rester au niveau de slogans généraux, que nous restons passifs face à l’éventuelle attaque de Kadhafi sur Benghazi ? Non. Mais dans une telle situation, nous insistons sur la nécessité d’une politique de classe indépendante, sur le fait que les masses ne doivent avoir confiance qu’en leur propre force, et ne pas accorder le moindre crédit à l’idée que l’impérialisme agit pour le bien des masses. Il est tout à fait vrai que nous ne pouvons en aucun cas répondre à l’argument du massacre potentiel par des affirmations du style : “La triste réalité est que les massacres sont une caractéristique chronique du capitalisme. La gauche révolutionnaire est, hélas trop faible pour les empêcher » (Alex Callinicos, un des dirigeants du SWP britannique).

    Les forces du marxisme peuvent être physiquement trop faibles pour empêcher des massacres – comme dans le cas du Rwanda par exemple. Nous sommes néanmoins obligés de défendre le fait que le mouvement ouvrier large adopte la position la plus efficace afin de défendre et de renforcer le pouvoir et l’influence de la classe ouvrière dans toute situation donnée. Par exempe, en Irlande du Nord en 1969, les partisans de Militant (prédécesseur du Socialist Party) se sont opposés à l’arrivée des troupes britanniques pour “défendre” les zones catholiques nationalistes de Belfast et de Derry contre l’attaque meurtrière des milices B-specials à prédominance loyaliste. Le SWP, bien qu’il l’ait plus tard nié, soutenait le débarquement des troupes britanniques. Lorsque les troupes sont arrivées, elles ont protégé ces zones des attaques loyalistes et ont été accueillies en tant que “défenseurs”. Mais, comme nous l’avions prédit, à partir d’un certain point ces troupes se transformeraient en leur contraire et commenceraient à être perçues comme une force de répression contre la minorité catholique nationaliste. Et c’est exactement ce qui s’est passé.

    Toutefois, confrontés au massacre potentiel de la population catholique, nous n’avons pas adopté une position “neutre” ou passive. Dans notre journal Militant de septembre 1969, nous appelions à la création d’une force de défense unitaire ouvrière, au retrait des troupes britanniques, au démantèlement de la milice B-specials, à la fin des discriminations, à la création d’emplois, de logements, d’écoles, etc. pour tous les travailleurs. En d’autres termes, nous étions donc en faveur d’une unité de classe et pour que les travailleurs se basent sur leurs propres forces et non pas sur celles de l’État capitaliste. Une approche similaire, basée sur l’indépendance de classe la plus complète, et adaptée au contexte concret de la Libye et du reste de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, est la seule capable de mener à la victoire de la lutte des travailleurs dans une situation aussi compliquée.

    Nous ne pouvons suivre Achar non plus, lorsqu’il dit : « Selon ma conception de la gauche, quiconque prétend appartenir à la gauche ne peut tout bonnement ignorer la demande de protection émanant d’un mouvement populaire, même de la part des ripoux impérialistes, lorsque le type de protection demandé n’en est pas un par lequel le contrôle sur leur pays peut être exercé. Aucune force progressiste ne peut se contenter d’ignorer la demande de protection provenant des rangs des insurgés ».

    Il est erroné d’identifier “les insurgés”, qui provenaient au départ d’un authentique mouvement de masse – comme nous l’avons fait observer – à leur direction actuelle, bourrée d’éléments bourgeois et pro-bourgeois, y compris de renégats en provenance du régime de Kadhafi. Qui plus est, il est entièrement faux – comme certains l’ont fait – de comparer l’acceptation de la part de Lénine de nourriture et d’armes fournies par une puissance impérialiste pour en repousser une autre, sans aucune condition militaire ou politique liée, à un soutien à la zone d’exclusion aérienne. La question pour les marxistes n’est pas de ce qui est fait, mais de qui le fait, comment et pourquoi.

    Défendre la révolution

    Au final, l’objectif de l’intervention impérialiste est de sauvegarder sa puissance, son prestige et son revenu de la menace de la révolution qui se développe dans la région. Comme l’a bien expliqué un porte-parole de l’administration Obama, la principale source d’inquiétude n’est pas ce qui se passe en Libye, mais bien les conséquences que cela pourrait avoir en Arabie saoudite et dans les États du Golfe, où sont concentrées la plupart des réserves pétrolières desquelles dépend le capitalisme mondial. Les impérialistes considèrent une intervention victorieuse en Libye comme étant un rempart contre toute menace de révolution dans ces États et dans l’ensemble de la région. Ils sont aussi inquiets de l’influence régionale de l’Iran, qui s’est énormément accrue en conséquence de la guerre d’Irak.

    La situation en Libye est extrêmement fluide. La manière dont se résoudra le conflit actuel est incertaine. En ce moment, il semble que cela se termine par une impasse, dans laquelle ni Kadhafi ni les rebelles ne sont capables de porter un coup décisif pour s’assurer la victoire dans ce qui est à présent une guerre civile prolongée. Ceci pourrait mener à une réelle partition du pays, ce qui est déjà le cas dans les faits. Dans cette situation, toutes les divisions tribales latentes – qui étaient en partie tenues en échec par la terreur du régime Kadhafi – pourraient remonter à la surface, créant une nouvelle Somalie au beau milieu de l’Afrique du Nord, avec toute l’instabilité que cela signifie, en particulier en ce qui concerne la lutte pour les réserves de pétrole de la Libye. D’un autre côté, l’impérialisme cherche désespérément à éviter de donner l’impression que Kadhafi ait obtenu une victoire partielle dans cette lutte, ce qui renforcerait la perception d’impuissance des puissances impérialistes à pouvoir décider de l’issue des événements.

    Mais la responsabilité du mouvement ouvrier au Royaume-Uni et dans le monde est claire : opposition absolue à toute intervention impérialiste ! Que le peuple libyen décide de son propre destin ! Soutien maximum de la part de la classe ouvrière et du mouvement ouvrier mondial aux véritables forces de libération nationale et sociale en Libye et ailleurs dans la région, y compris sous la forme d’un approvisionnement en nourriture et en armes !

    L’impérialisme ne sera pas capable d’arrêter la marche en avant de la révolution en Afrique du Nord et dans le Moyen-Orient. Certes, comme le CIO l’avait prédit, il existe une grande déception parmi les masses, qui estiment que les fruits de leurs victoires contre Moubarak et Ben Ali ont jusqu’ici été volées par les régimes qui les ont remplacés. L’appareil de sécurité et la machine d’État tant haïs qui existaient auparavant demeurent largement intacts, malgré les puissantes convulsions de la révolution. Mais ceux-ci sont en train d’être combattus par des mouvements de masse.

    Les révolutions tiennent bon, et des millions de gens ont appris énormément de choses au cours du mouvement. Espérons que leurs conclusions mèneront à un renforcement de la classe ouvrière et au développement d’une politique de classe indépendant. Un tel renforcement serait symbolisé par le développement par les travailleurs de leurs propres organisations, de nouveaux et puissants syndicats et partis ouvriers, avec l’objectif de la transformation socialiste de la société, accompagnée par la démocratie en Libye et dans l’ensemble de la région.

  • Irlande : Retour sur les dernières élections générales

    Après 14 années de politique néolibérale au profit des banquiers et des gros actionnaires menée par le Fianna Faìl (conservateurs), et plus récemment aidé par le Green Party ; le gouvernement haï de tous est tombé, après avoir fait payé le sauvetage des banques aux travailleurs et leurs familles et accepté l’intervention de l’Union Européenne et du Fonds Monétaire International ; poussé par ‘‘l’opposition’’, mais aussi (et surtout) par des manifestations massives.

    Par Navid (Bruxelles)

    Un scrutin-sanction

    Ces élections étaient considérées comme l’occasion de sanctionner les partis du gouvernement. Ainsi, le Fianna Faìl a-t-il connu une défaite historique en passant de 78 sièges à 17 sièges (42% à 17%) !!! Les verts, quant à eux, ont été complètement rayés en perdant les 6 sièges qu’ils avaient récemment acquis !

    Mais là où un quotidien bourgeois belge (La Libre, pour ne pas le citer…) analyse ce résultat de la manière qui suit : ‘‘l’appel à l’aide de l’étranger a meurtri la fierté nationale. Le scrutin de vendredi s’est ainsi transformé en référendum sur le plan.’’ (LaLibre.be – 27/02/2011), il faut aussi y voir un aspect de classe.

    Le gouvernement sortant n’a pas ‘‘meurtri la fierté nationale’’, il a plongé le pays dans une crise terrible ; transformant ce qui, a une époque pas si lointaine, était encore le ‘‘Tigre Celtique’’ (une des plus fortes économies européennes) en ‘‘Porc européen’’ (du nom ‘P.I.G.S.’ l’acronyme anglais des pays les plus touchés par la crise – Portugal, Italie, Irlande, Grèce, Espagne – et qui forme le mot ‘porc’ en anglais…) !

    C’est le gouvernement qui, en se faisant le servile larbin de la bourgeoisie, a fait chuter les salaires dans les service publiques de 20%, diminuer le salaire minimum de 11%, fait chuter le niveau de vie de 25%, pousse plus de 1,500 jeunes irlandais par semaine à quitter le pays en quête d’un job en plus de toutes les attaques et les coupes dans la sécurité sociale, l’enseignement, etc. … ! Ce scrutin a en fait été une sanction de toute la politique néolibérale, du système capitaliste !

    Quelle opposition ?

    Cependant, ce n’est pas spécialement ce qui apparaît dans les résultats… Ceux qui ont été ‘‘l’opposition’’ au sein du dernier gouvernement et qui ont remporté les élections sont loin de représenter une alternative réelle. Le Fine Gael (chrétiens-démocrates, libéraux) et le Labour Party (travaillistes, sociaux-démocrates) ont maintes fois prouvé dans quel camp ils se trouvaient : pas dans celui des travailleurs (le Fine Gael et le Labour étaient favorables au traité antisocial de Lisbonne). Aussi, ces deux partis sont fondamentalement d’accord avec le principe de faire payer la crise aux travailleurs et d’appliquer des coupes budgétaires à hauteur de 6 milliards d’euros. Même si le Labour parle ‘‘d’ajustements budgétaires’’, un peu à la manière de notre Elio Di Rupo qui préfère parler de ‘‘rigueur’’ au lieu ‘‘d’austérité’’…

    Quant au Sinn Fein, le parti nationaliste ‘‘de gauche’’ qui, avec sa rhétorique anti-establishment et anti-austérité, est passé de 5 à 14 sièges, il n’en reste pas moins le parti au gouvernement en Irlande du Nord et, là, c’est lui qui applique consciemment l’austérité… Alors, une opposition crédible ?

    United Left Alliance

    Mais face à tout cela, il y a la ULA. La United Left Alliance – une alliance de gauche radicale formée par le Socialist Party (parti-frère du PSL en République irlandaise), la People Before Profit Alliance et d’autres personnalités indépendantes – s’est présentée à ces élections en tant qu’alternative aux coupes budgétaires, à l’austérité et à la crise. Avec un programme défendant un investissement massif dans la création d’emplois, de meilleurs services publics, contre le payement des dettes par les travailleurs et contre les prétendus plans de ‘‘sauvetages’’ de l’Union Européenne et du FMI !

    Après une campagne intense, la liste unitaire de gauche a obtenu un excellent résultat, et le Parlement irlandais dispose maintenant de cinq élus qui défendront une réelle opposition de gauche à la politique néolibérale. Les élus de la ULA se sont engagés à vivre avec le salaire moyen d’un travailleur et à organiser la lutte, non seulement dans le Parlement, mais surtout dans la rue !

    Ainsi, Joe Higgins, élu au Parlement irlandais et qui vient maintenant de faire son entrée au Parlement irlandais, avait-il déclaré : “Nous allons représenter une réelle opposition et une réelle alternative. Et cela, nous n’allons pas seulement le faire au Parlement, mais également à l’extérieur. Des mouvements de la population vont arriver, des mouvements des travailleurs, des mouvements dans les communautés contre les attaques à venir. Le nouveau gouvernement va mener ces attaques contre la population travailleuse pour leur faire supporter les conséquences de la crise.”

    Les cinq sièges gagnés par la ULA (2 pour le Socialist Party, 2 pour la campagne People Before Profit et 1 indépendant) vont permettre d’utiliser le Parlement irlandais comme plateforme pour organiser les masses contre les futurs plans d’austérité !

    Joe Higgins (SP, Dublin, élu avec 19,0%), Clare Daly (SP, Dublin, élue avec 15,2%), Richard Boyd-Barret (PBP, Dublin, élu avec 10,9%), Joan Collins (PBP, Dublin, élue avec 12,9%) et Seamus Healy (Workers and Unemployed Action Group, Tipperary, élu avec 21,2%) seront de réels combattants pour les droits des travailleurs et de la jeunesse, des militants qui défendront la cause de gens ordinaires.

  • Construire le CIO : diffuser les idées socialistes à travers le monde

    La crise capitaliste conduit à un intérêt croissant pour les idées et les campagnes socialistes du CIO

    A la mi-juillet s’est déroulée, à Gand, l’école d’été du CIO. Cette semaine très réussie a réuni plus de 400 participants. La dernière session de discussion était consacrée à la construction du Comité pour une Internationale Ouvrière, dans cette période de crise mondiale économique et politique.

    Rapport de l’école d’été du CIO par Michael O’Brien, Socialist Party (CIO-Irlande)

    La session a débuté par un montage vidéo consacré aux récents mouvements de protestations qui ont pris place sur tous les continents, et auxquels le CIO a activement participé, et en a même initié certains. Niall Mulholland, du Secrétariat International du CIO, a introduit la discussion, en résumant les expériences de différentes sections au cours de l’année écoulée, en parlant de leurs percées mais également des défis auxquelles elles ont dû faire face.

    La plupart des sections du CIO ont connu une croissance de leurs effectifs pendant l’année passée. Malgré l’ampleur de la crise et l’absence d’une alternative claire pour les travailleurs, Niall a souligné qu’il serait une erreur de faire un lien automatique entre le déclenchement d’une récession et le fait que des jeunes et travailleurs y répondent en tirant immédiatement des conclusions socialistes. En général, la conscience politique tend à être en retard sur les évènements. La précédente période de domination idéologique néolibérale, les obstacles pratiques que constituent les directions syndicales de droite et l’absence d’une alternative politique de gauche à une échelle de masse ont été autant d’éléments qui ont constitué un frein pour le développement d’une réponse militante plus active de la part des travailleurs et des jeunes. Cela étant dit, les évènements poussent clairement une grande partie de la jeunesse et des travailleurs à entrer en opposition face au système, et il existe une couche qui se radicalise de plus en plus et qui est attentive aux idées du socialisme et du Comité pour une Internationale Ouvrière.

    Toutes les sections du CIO ont fait l’expérience d’une accélération du rythme de leur activité ces derniers mois, car les sujets sur lesquels se battre et faire campagne ne manquent pas. L’année dernière a aussi vu un renouveau de l’activité du CIO dans des endroits comme l’Espagne, le Portugal et Taïwan. ControCorrente, en Italie, a rejoint le CIO, le Mouvement pour le Parti Socialiste fait campagne pour construire le CIO au Québec,…

    Niall s’est particulièrement concentré sur le développement du CIO en dehors de l’Europe. Le CIO est actif dans des pays tels que la Malaisie ou encore la Bolivie. Au Brésil, la section du CIO a obtenu un grand succès lors de sa fusion avec un autre groupe de gauche pour former Liberté, Socialisme et Révolution. Des discussions et une collaboration avec d’autres groupes de gauche voient le jour dans des pays variés, y compris en Turquie.

    Les socialistes rencontrent des situations difficiles

    Niall a aussi fait état que, dans certaines parties du monde comme au Sri Lanka et au Nigéria, la période à laquelle les socialistes sont confrontés est actuellement très difficile à cause des guerres, de l’oppression nationale, d’une généralisation extrême de la pauvreté et d’un recul des luttes de masse. Les sections du CIO au Sri Lanka (le Parti Socialiste Unifié) et au Nigéria (le Mouvement Socialiste et Démocratique) ont accompli le miracle de maintenir leurs forces, construites à travers des années en développant leur politique et leur programme, ce qui les place dans une bonne position pour une croissance substantielle lorsque la situation leur sera plus favorable.

    Un des développements les plus frappants cette année a été celui rencontré par le CIO au Pakistan avec le Mouvement Socialiste du Pakistan, qui a récemment pu tenir une école de cadres rassemblant plus de 100 personnes. Etant donné la pauvreté énorme au Pakistan et le manque d’infrastructures, la construction d’une organisation socialiste dans ces conditions relève de l’exploit. Cette section a aussi vu la fédération syndicale qu’elle a lancée, la Fédération Progressiste des Travailleurs du Pakistan, augmenter son nombre de membres pour atteindre les 500.000 membres.

    Niall a aussi évoqué les différentes activités dans lesquelles les sections européennes du CIO ont été impliquées, ce qui a été développé plus en détail dans la discussion. Le rôle pratique qu’une organisation internationale comme le CIO peut jouer a été démontré par la semaine de solidarité et d’action initiée par Joe Higgins, notre député européen, et soutenue par le groupe de la Gauche Européenne du Parlement Européen en juin, contre les attaques d’austérité qui pleuvent sur la classe ouvrière grecque. En conséquence, les sections du CIO ainsi que d’autres partis de gauche ont organisé des protestations, des piquets de grève et des meetings dans toute l’Europe.

    Avec la croissance numérique du CIO se présente le défi de développer politiquement et organisationnellement des camarades expérimentés pour qu’ils participent et mènent des luttes dans leur quartier, leur lieu de travail ou d’étude.

    Dans la discussion qui a suivi, le camarade Brett des Etats-Unis a fait état d’une série d’interventions que Socialist Alternative (CIO-USA) a fait dans les luttes récentes, notamment avec une grève des infirmières à Philadelphie, avec le mouvement anti-guerre contre l’envoi de troupes en Afghanistan par Obama et avec le « Grassroots Education Movement », qui a été mis en place en réponse à la privatisation à venir de l’éducation.

    Christel, de ControCorrente (CIO-Italie) a parlé du travail avec les postiers en lutte contre la privatisation. Suite à l’initiative d’un jeune camarade dans la petite ville d’Abruzzo, une manifestation contre l’extrême droite de Forza Novo a eu lieu.

    Gary a parlé du travail du Socialist Party en Irlande du Nord, où les problèmes du sectarisme compliquent pas mal l’activité de nos camarades. Néanmoins, les effets des coupes sociales se font ressentir et notre parti a récemment été à l’initiative d’une manifestation réussie à Belfast, avec le soutien de nombre de syndicats. Ce genre de travail a créé les bases pour le développement de nouvelles sections du Socialist Party.

    Kyriakos, de Xekinima (CIO-Grèce), a décrit le travail des camarades dans l’alliance de gauche Syriza, ainsi que notre travail dans d’autres secteurs, et particulièrement parmi la jeunesse. Xekinima a traversé une période de croissance rapide dans les années récentes et développe ses efforts pour former plus de cadres.

    Greg, du Socialist Party (CIO-Angleterre & Pays de Galles), a montré des chiffres prouvant la croissance dans le nombre de nouvelles adhésions ces derniers mois, particulièrement remarquable parmi les syndicalistes. Une nouvelle dynamique a permis au parti de refonder des sections dans plusieurs villes. Le week end ‘‘Socialisme 2010’’ en novembre, les campagnes contre les coupes budgétaires dans les quartiers et les syndicats seront les principaux axes de travail du parti.

    Ioshe du Mouvement de Lutte Socialiste (CIO-Israël) a parlé de la participation des membres du CIO dans les mouvements de protestation contre l’attaque contre la flotille d’aide humanitaire à Gaza, ainsi que contre les colonies en Cisjordanie. Les camarades ont aussi gagné de nouveaux membres suite à leur participation aux campagnes pour les droits des LGBT en Israël.

    La lutte pour le socialisme en Inde, en France et en Belgique

    Vishwa, de la Nouvelle Alternative Socialiste (CIO-Inde) est intervenu sur le travail des camarades contre les activités des compagnies minières, qui se sont vues offrir par le gouvernement les ressources naturelles indiennes et qui tire du profit de l’exploitation effrénée des travailleurs et de l’environnement. Le livre du CIO, Le Marxisme dans le monde d’aujourd’hui, a été traduit dans une quatrième langue en Inde, afin d’apporter aux idées socialistes un profil encore plus grand dans le sous-continent.

    Alex de la Gauche Révolutionnaire (CIO-France), a décrit comment la section française a participé au Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), où les camarades font campagne pour que celui-ci adopte un programme socialiste. Le CIO en France mène également des campagnes antiracistes et pour les droits des écoliers.

    Bart du Linkse Socialistiche Partij / Parti Socialiste de Lutte (CIO-Belgique) a décrit comment le CIO développe la formation socialiste de ses membres après une croissance significative du parti. Alors qu’il n’y a pas eu de lutte généralisée en Belgique depuis une certaine période, il y a eu quelques mouvements importants de la jeunesse et des luttes industrielles isolées auxquelles les membres du CIO ont apporté leur soutien.

    Pour clore l’école d’été 2010, Tony Saunois du Secrétariat International a souligné qu’il s’agissait de la plus grande école d’été depuis plus de 20 ans, ce qui est une autre indication des progrès que le CIO a fait pendant l’année passée. Avec cette croissance arrive aussi le défi de former des cadres – ce qui peut être fortement accéléré dans le contexte de la crise économique et l’augmentation du tempo de la lutte des classes, ce qui permettra à de nouveaux membres du CIO d’acquérir rapidement, à plus ou moins court terme, une expérience vitale.

    Tony a aussi souligné l’importance de l’appel de la Confédération Européenne des Syndicats pour des actions à l’échelle européenne le 29 septembre prochain contre les coupes sociales et les plans d’austérité. A cette date, une grève générale aura également lieu en Espagne. Le CIO en Europe participera aux grèves et aux manifestations qui se tiendront ce jour ci, là où ce sera possible.

    L’école d’été se conclut sur les notes de l’Internationale, chantée dans plus de douze langues, alors que les participants se préparent pour les luttes futures. A cette date, il y aura également une grève générale en Espagne. Le CIO, à travers l’Europe, va participer aux grèves, manifestations et diverses initiatives qui auront lieu ce jour-là, partout où cela nous sera possible.

    Cette école d’été du CIO a été clôturée par l’Internationale, chantée dans une douzaine de langues différentes, avec un grand enthousiasme de la part des participants, qui sont prêts pour les luttes à venir.

  • L’histoire du Comité pour une Internationale Ouvrière

    Le capitalisme est un système mondial et il doit être combattu à la même échelle. C’est pourquoi le Parti Socialiste de Lutte fait partie d’une organisation marxiste internationale: le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), un parti mondial actif sur tous les continents. Notre lutte en Belgique s’inscrit dans le cadre d’une lutte des travailleurs du monde entier pour un société socialiste car si la révolution socialiste éclate sur le plan national, elle se termine sur l’arène internationale. La démocratie ouvrière et la planification socialiste de la production ne peuvent se limiter à un seul pays. C’est d’ailleurs l’isolement de la Russie soviétique qui a conduit à sa dégénérescence à partir de 1924.

    Le CIO est une organisation socialiste internationale qui comprend des sections dans environ quarante pays sur tous les continents.

    Lors du Congrès de fondation du CIO en avril 1974, quatre sections existaient alors (Grande-Bretagne, Allemagne, Irlande et Suède) et des membres étaient présents de Belgique, d’Inde, d’Espagne et du Sri Lanka, des pays où aucune section n’existait encore.

    Au moment de notre neuvième Congrès Mondial (en janvier 2007), des représentants de sections du CIO de tous les continents étaient là : d’Allemagne, d’Angleterre et Pays de Galles, d’Australie, d’Autriche, de Belgique, du Brésil, du Cachemire, du Chili, de Chypre, d’Ecosse, des Etats-Unis, de France, de Grèce, d’Inde, d’Irlande, d’Israël, d’Italie, du Kazakstan, de Malaisie, du Pakistan, des Pays-Bas, de Pologne, du Portugal, de Russie, du Sri Lanka, de Suède, de Tchéquie, d’Ukraine et du Venezuela.

    Les origines du CIO sont ancrées dans la lutte menée par Léon Trotsky contre la progression du Stalinisme. L’isolement de l’Union soviétique combinée à l’arriération du pays héritée du tsarisme a permis l’émergence du régime totalitaire stalinien. La lutte de Trotsky et de ses partisans contre ce régime a conduit à la fondation de la Quatrième Internationale, organisation internationale créée pour la défense de la démocratie ouvrière et du socialisme. Peu de temps après la fondation de la Quatrième Internationale a éclaté la seconde guerre mondiale et de nombreux militants, dont Trotsky lui-même, ont été assassinés tant par les fascistes que par les staliniens.

    La dégénérescence de la Quatrième Internationale

    Après la guerre, les dirigeants de la Quatrième Internationale survivants ont été confrontés à d’énormes difficultés dans la compréhension des changements qui étaient survenus dans la situation mondiale. Ils n’ont pas réussi à saisir le caractère de la croissance économique d’après-guerre en Occident, ni à comprendre les raisons du renforcement du stalinisme en Russie et en Europe de l’Est. Cette incompréhension s’est également vue dans l’analyse des révolutions du monde néo-colonial ainsi que dans l’analyse du rôle décisif de la classe ouvrière dans le changement de société.

    En effet, la longue croissance économique exceptionnelle de l’après-guerre amena de substantielles améliorations dans le niveau de vie de la classe ouvrière, tout au moins dans les pays capitalistes développés. Beaucoup de ‘marxistes’ en tirèrent un peu vite la conclusion que les travailleurs salariés s’étaient ‘embourgeoisés’, et ne pouvaient dès lors plus constituer le moteur d’un changement socialiste de société. Ce fatalisme les poussa vers la recherche de nouvelles forces sociales pouvant se substituer au mouvement ouvrier.

    Sous l’impulsion des mouvements de libération nationale qui explosèrent dans le monde colonial et semi-colonial (Asie, Afrique, Amérique Latine) dans les années’50 et ’60, les dirigeants de la Quatrième Internationale glissèrent vers un soutien acritique à la direction – souvent fortement influencée par le stalinisme – de ces mouvements. Les mouvements à prédominance paysanne et les méthodes de guérilla furent ainsi érigés en modèles, tandis que l’épicentre de la révolution mondiale fut déplacé vers le monde colonial et semi-colonial. Mao Zedong (en Chine), Fidel Castro (à Cuba) ou Hô Chi Minh (au Vietnam) furent ainsi présentés comme des «trotskistes inconscients», pendant que le réveil de la classe ouvrière en Europe, exprimé à merveille par l’immense grève générale des travailleurs français en mai’68, prit de court les dirigeants de la Quatrième Internationale, aveuglés par des perspectives erronées.

    Une série d’erreurs politiques de ce type eurent comme conséquence l’effondrement de l’organisation et un fractionnement de celle-ci dans des dizaines de groupes différents.

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) puise quant à lui ses racines chez des troskistes britanniques qui n’ont pas ignoré la nouvelle situation, mais n’ont pas cherché à l’exploiter de façon opportuniste pour obtenir des succès faciles ou chercher des raccourcis. Nous ne nous sommes pas non plus limités à l’analyse de la situation, mais avons cherché sans cesse à intervenir autant que possible dans les luttes pour diffuser les idées du marxisme parmi les travailleurs et la jeunesse.

    Notre organisation a pendant longtemps été très petite et uniquement active en Grande-Bretagne ; pour autant, nous avons toujours conservé et exprimé sur le terrain une attitude internationaliste intransigeante. Dès ses débuts, notre journal anglais «The Militant» consacrait un nombre significatif de ses colonnes à la couverture des luttes au niveau international. Nous avons ainsi gagné davantage de militants, établi des contacts successifs dans d’autres pays, et à la fin des années ‘60, la possibilité de mettre en place les fondations qui ont été à la base de la création et de la croissance ultérieure du Comité pour une Internationale Ouvrière.

    L’entrisme

    Pour construire ses forces, le CIO a appliqué différentes tactiques à différents stades de son évolution, en fonction des conditions objectives du moment, tout en maintenant à tout moment une orientation consciente vers le mouvement ouvrier, en particulier vers ses couches les plus combatives.

    Avant que la vague néo-libérale des années ’80, puis le tournant majeur représenté par la chute du stalinisme dans les années ’90, ne viennent affecter durablement la composition et le programme des partis sociaux-démocrates, ces derniers exerçaient encore une grande attraction sur un nombre important de travailleurs et de jeunes. Les partis sociaux-démocrates correspondaient typiquement à la définition que donnait Lénine de «partis ouvriers bourgeois» : des partis ouvriers de masse, bien que dominés par une direction réformiste et bureaucratique. A la base, les rangs de la social-démocratie comprenaient encore beaucoup de travailleurs activement engagés pour le parti, et étaient encore traversés de vifs débats politiques. Celui qui voulait être actif dans le mouvement ouvrier pouvait difficilement passer à côté de cette réalité.

    La tâche des révolutionnaires demande d’être en contact le plus étroit possible avec les travailleurs. Par conséquent, les militants du CIO étaient d’avis qu’il était préférable de militer à l’intérieur même de la social-démocratie, en défendant conséquemment et ouvertement un programme marxiste, plutôt que de s’isoler en dehors de ces partis. A l’inverse d’autres groupes, cette tactique d’«entrisme» dans la social-démocratie n’a jamais été pour nous une panacée, ou un prétexte pour succomber aux idées réformistes et masquer le programme révolutionnaire. Bien au contraire, nous avons toujours mené notre travail drapeau déployé, défendant nos positions marxistes dans le but de combattre l’influence exercée par la direction bureaucratique sur ces partis d’une part, afin de gagner les travailleurs et les jeunes organisés dans ces partis à nos positions d’autre part. C’est ainsi que nous avons par exemple acquis une solide base de soutien au sein des Jeunesses Socialistes du Labour Party en Angleterre dans les années ‘70, ou de celle du SP en Flandre dans les années ‘80.

    Pourtant, dès le milieu des années ’80, mais surtout après la chute du mur de Berlin, la situation a commencé à tourner. La chute des régimes staliniens a ouvert la voie à une offensive idéologique majeure de la part des représentants du capitalisme, et a servi d’excuse aux dirigeants des organisations de la social-démocratie pour retourner définitivement leurs vestes. Les idées de lutte, de solidarité et de socialisme furent mises de côté au profit d’une adhésion aux principes du libre-marché. La trahison des directions ouvrières traditionnelles a laissé place à un vide et à la confusion politique.

    Dans ces conditions, l’idée selon laquelle les travailleurs et les jeunes en lutte se dirigeraient en premier lieu vers la social-démocratie devenait de plus en plus invraisemblable. C’est pourquoi petit à petit, la plupart des sections du CIO ont opté pour la création d’organisations révolutionnaires indépendantes et ouvertes, tout en appelant, dès le début des années ’90, à la formation de nouveaux partis larges des travailleurs, sur base de l’analyse de cette bourgeoisification des anciens partis ouvriers.

    Liverpool et la lutte contre la Poll Tax

    Un élément important dans le développement de quasiment toutes nos sections est notre engagement dans les différentes formes de lutte. Notre rôle n’a d’ailleurs pas seulement été limité à une participation active aux luttes car dans beaucoup de cas, notre organisation a su jouer un rôle crucial.

    Les mouvements de lutte les plus importants que nous avons eu à diriger jusqu’à présent se sont déroulés en Grande-Bretagne, notamment contre Margaret Thatcher lorsqu’elle était Premier ministre. Au milieu des années ‘80, nos camarades (dont l’organisation s’appelait à ce moment-là Militant) ont dirigé la lutte de la commune de Liverpool contre les plans d’assainissement, une lutte accompagnée d’actions de grève et de manifestations massives. Plus tard, nous avons aussi été fortement impliqués dans la campagne contre la Poll Tax (un impôt introduit par Thatcher mais rejeté en masse par la population). Une campagne massive de désobéissance civile avait été organisée à tel point que 18 millions de personnes n’ont pas payé la Poll Tax. Les manifestations ont rassemblé jusqu’à 250.000 personnes. Grace à cela Thatcher a été contrainte de retirer cette taxe et même de prendre la porte.

    Cette lutte avait été organisée en opposition à la direction du Labour Party (le parti travailliste) et à la plupart des dirigeants syndicaux. A Liverpool, ils ont même appelé les Conservateurs en soutien pour combattre la protestation. Avec la Poll Tax, ils n’ont pas réussi à en faire autant. Notre lutte contre les dirigeants pro-capitalistes du mouvement ouvrier a toujours été une donnée importante dans le développement de notre organisation.

    Mais ce genre de lutte est bien plus difficile dans beaucoup de pays tels que la Grèce, l’Espagne, l’Afrique du Sud et la Suède. La direction des organisations ouvrières établies avait peur d’une répétition du succès rencontré en Grande Bretagne où, durant plus de 15 ans, nous avons pu diriger les sections jeunes du parti travailliste et où, dans les années ’80, nous avons pu faire élire trois camarades au parlement sous le slogan : «un parlementaire ouvrier à un salaire d’ouvrier».

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière a toujours été impliqué dans différents domaines des luttes. Parfois, nous avons même été les précurseurs autour de nouveaux thèmes, comme pour une campagne contre la violence domestique. D’autres initiatives ont également été très importantes, comme la fondation de «Youth against Racism in Europe» («Jeunes contre le racisme en Europe», en Belgique : «Blobuster» et «Résistance Internationale»), une organisation anti-fasciste internationale qui avait organisé une manifestation européenne à Bruxelles en octobre 1992 à laquelle 40.000 manifestants avaient participé.

    À côté de nos campagnes sur les lieux de travail et dans les quartiers, les membres du CIO participent aussi aux élections. Dans se cadre là, nous insistons sur le fait que les élus du CIO participent activement aux mouvements de lutte et gagnent un salaire identique à celui des travailleurs qui les ont élus. En ce moment, différents membres du CIO sont élus dans des conseils communaux en Grande Bretagne, en Irlande, en Suède et en Allemagne. Jusqu’il y a peu, nous avons également eu un député au parlement irlandais, Joe Higgins.

    Lutter contre les dictatures et la division de la classe ouvrière

    Dans d’autres pays, nous avons activement contribué à la lutte contre les dictatures, comme lorsque nous nous sommes impliqués pour la construction de syndicats combatifs en Afrique du Sud à l’époque du régime de l’apartheid. D’autres camarades ont clandestinement milité au Chili contre le régime de Pinochet. Au Nigéria, après l’annulation des élections présidentielles de 1993 par les généraux, l’opposition démocratique a soutenu l’appel de nos camarades pour une grève générale.

    Dans certains pays, nous avons été confrontés à des situations extrêmement difficiles. Ainsi nos camarades d’Irlande du Nord et du Sri Lanka ont dû s’opposer à la division nationale ou religieuse. Nous avons toujours défendu la nécessité de l’unité des travailleurs dans les luttes et la résistance contre la répression d’Etat. Nous avons été les seuls dans la gauche à défendre une position constante et principielle à propos de la question nationale en partant des intérêts de la classe ouvrière dans son ensemble.

    La chute de l’Union Soviétique a conduit à une situation mondiale fondamentalement différente et a eu d’énormes répercussions sur toutes les organisations politiques. Face à ces évènements, bon nombre d’organisations et d’individus ont été désorientés, confus, et ont abandonné la lutte pour le socialisme en capitulant face à l’idéologie de la classe dominante. Le CIO a analysé et tenté de comprendre la signification de la chute du bloc de l’Est : entre autres le renforcement de la position de l’impérialisme américain et le virage à droite de nombreuses organisations ouvrières. Mais nous avons toujours défendu la nécessité du socialisme comme seule alternative au capitalisme et avons toujours cherché à l’expliquer le plus largement possible.

    Le CIO a utilisé la méthode d’analyse marxiste pour approfondir la compréhension des événements et des processus qui se sont développés depuis les années ‘90. Contrairement à beaucoup d’autres groupes de gauche, nous avons ainsi non seulement pu conserver nos membres au cours des très dures années ’90, mais nous avons en outre beaucoup renforcé nos organisations ainsi que gagné de nouvelles forces dans différentes régions du monde. La nouvelle période qui se trouve face à nous aujourd’hui va nous permettre de mettre bien plus en avant le précieux héritage que nous avons préservé dans ces années bien difficiles.

    Rejoignez le CIO !

    Mais la construction de nos propres forces ne nous a pas empêché d’avoir des discussions avec d’autres groupes pour, si possible, mener des actions en commun. Si ces discussions conduisent à un accord politique sur les principes fondamentaux, une organisation commune peut alors naître, comme cela s’est passé notamment en Belgique ou en France au cours des années ‘90.

    Le CIO est ouvert à toute personne qui veut lutter pour un monde meilleur, un monde socialiste, et qui est ouverte à discuter de nos idées. Nous avons toujours été préparés à discuter avec différents groupes et individus qui ont acquis une autre expérience que la nôtre dans les différentes luttes et qui veulent construire un mouvement socialiste.

    Alors si vous êtes intéressés par les idées du CIO, n’hésitez pas à nous contacter et à nous rejoindre!


  • Pourquoi nous nous retirons du front pour la manifestation du 7 mars

    Après une dernière discussion avec les représentants du Comité des Opprimés Immigrés (COI) et l’Initiative Femme de la Fédération des Associations Kurdes en Belgique (Fek-bel) nous avons décidés, le dimanche 25 janvier, de nous retirer du front qui s’était formé autour de la Journée Internationale des Femmes. Notre propre campagne et nos activités pour la Journée Internationale des Femmes sont en plein préparation.

    Déclaration de la commission femmes et du Bureau Exécutif du PSL/LSP

    L’année dernière, le Parti Socialiste de Lutte (ex-MAS) avait pris avec le groupe iranien/afghan 8 March Organisation l’initiative d’une manifestation à l’occasion de la Journée Internationale des Femmes qui combinait une protestation aux ambassades américaine et iranienne ainsi qu’au parlement européen. Au cours des dernières semaines avant cette manifestation, nous sommes également rentrés en contact avec le COI et l’Initiative Femmes du Fek-bel et nous avions décidé de combiner leur manifestation et la nôtre. La collaboration s’est faite très facilement parce que ces organisations – qui sont très différentes de nous tant sur le plan idéologique que sur le plan de la pratique politique – partageaient avec nous la volonté de remettre en avant la Journée Internationale des Femmes. Sur le programme à défendre, il y avait aussi un grand accord. Nous partageons ensemble l’opinion qu’un changement de législation ne suffit pas pour aboutir à une véritable libération des femmes et qu’il faut en finir avec ce système capitaliste qui vit de la division qu’il sème au sein du mouvement ouvrier.

    Cette année, il était évident de poursuivre cette collaboration, ce qui a déjà conduit à l’organisation d’un séminaire commun à l’occasion de la Journée Internationale contre la Violence contre les Femmes en novembre 2008. La préparation d’une nouvelle manifestation commune était déjà avancée, dont le fait d’inviter d’autres groupes pour élargir le front. C’est à ce sujet qu’un vrai problème est apparu.

    Concrètement, le COI et Fek-bel ont aussi invité Secours Rouge, un groupe avec lequel ils travaillent régulièrement autour de certains projets concrets, mais avec lequel le PSL /LSP ne peut pas et ne veux pas se lier. Nous n’avons malheureusement pas pu convaincre ces organisations du fait que la collaboration avec ce type de groupes ne fait pas progresser la construction d’un front plus large, mais rend justement cette tâche impossible.

    Secours Rouge est une organisation peu connue et bien petite qui a reçu une attention médiatique l’an dernier, surtout du côté francophone, quand deux de ses membres (entre autres l’ancien membre des CCC Bertrand Sassoie) ont été arrêtés dans le cadre d’une enquête sur un groupe terroriste italien. Finalement, cette enquête n’a été qu’un pétard mouillé et ils ont été libérés par manque de preuves. Il s’agissait probablement d’une tentative de l’Etat pour tester les nouvelles lois anti-terroristes en pratique.

    Les membres de Secours Rouge ont néanmoins défendu le terrorisme individuel dans les médias et Bertrand Sassoie a défendu les attentats qu’il avait commis dans les années ’80 avec les CCC. Le fait que deux pompiers – qu’on ne peut pas vraiment prendre pour de ‘grands oppresseurs’ des travailleurs et d’autres couches de la population – aient perdu la vie n’est pour eux qu’un détail déplorable sur lequel ils refusent jusqu’à ce jour de prendre leurs responsabilités.

    Nous voulons clairement affirmer ici que le PSL/LSP s’oppose aux lois anti-terroristes introduites un peu partout dans le monde après les attentas d’Al Qaida le 11 septembre 2001. Comme nous l’avons toujours clairement expliqué, toutes les lois qui limitent la liberté d’expression et renforcent l’appareil d’Etat vont finalement être utilisées contre le mouvement ouvrier. L’introduction de telles lois illustre justement que la classe dirigeante se prépare à une lutte de classes plus intense. Il y a toutefois pour nous encore une grande différence entre ce point de vue et la défense réelle de groupes et individus qui recourent à la méthode du terrorisme individuel.

    Nous sommes d’accord avec le COI et Fek-bel pour dire que les Etats capitalistes ont presque tous pris l’habitude de décrire chaque mouvement de résistance comme “terroriste” et qu’ils ne font pas de différences entre les réels mouvements de résistance des peuples et des groupes de la population opprimés d’un côté et des individus ou des petits groupes isolés de l’autre. Le PSL/LSP fait cette différence, bien que nous nous opposons également à cette méthode contre-productive dans le premier cas lorsqu’il s’agit d’attentats terroristes qui font part d’un mouvement de résistance plus large comme dans le cas de la résistance kurde ou palestinienne contre des Etats qui refusent le droit à l’indépendance de ces peuples et qui empêchent activement cette indépendance avec l’utilisation brutale de la violence.

    Le PSL/LSP n’a jamais fait un secret de notre rejet du terrorisme individuel. Notre Internationale, le Comité pour une Internationale Ouvrière – CIO, a dans le passée refusé de façon conséquente de défendre les attentats terroristes de l’IRA, de l’ETA ou de l’OLP, entre autres, y compris quand ces organisations bénéficiaient encore d’un soutien plus large dans leur population. Il peut encore y avoir une certaine compréhension de ces actions au vu de l’oppression brutale à laquelle les catholiques d’Irlande du Nord, les Basques ou les Palestiniens ont été confrontés, ce qui n’est pas du tout le cas de mouvements terroristes comme les CCC ou la RAF, surtout actifs au cours des années ’80 du siècle précédent.

    Ces organisations pouvaient encore surfer sur une résistance plus générale dans la société à cette époque, mais ils ne faisaient pas partie de cette résistance. Il s’agissait de groupes isolés constitués d’éléments petit-bourgeois qui voulaient donner une leçon au mouvement ouvrier, qui voulaient par leur activité individuelle et isolée impulser une révolution à la classe ouvrière. Le mouvement ouvrier – le plus souvent considéré par ces organisations comme une masse ignorante qui doit être poussée à plus de radicalisme par l’action de ces ‘intellectuels radicaux et éclairés’ – n’a aucune raison de défendre ces individus et/ou organisations.

    On peut estimer que “la fin justifie les moyens”, mais seulement si ces moyens font effectivement approcher la fin. Nous ne considérons pas le terrorisme individuel comme un moyen à envisager, nous ne défendons la violence dans la lutte que lorsqu’il s’agit d’une décision collective organisée et contrôlée par les couches larges de la population opprimée en réponse à une oppression violente. Nous ne sommes pas des pacifistes et nous défendons le droit, en Palestine par exemple, d’une population opprimée de s’opposer contre cette oppression y compris avec le recours à la violence. L’article suivant (en anglais) développe notre appel et le programme que nous avons défendu durant la dernière guerre à Gaza.

    Non seulement le terrorisme individuel est incapable d’atteindre le but d’un changement de société, mais cela fait en plus obstacle à ce processus de changement de société. La révolution n’est pas une affaire d’intellectuels individuels, c’est une affaire de masses. Les masses sont mises de côté par ces organisations et reçoivent le message que ces ‘dirigeants’ autoproclamés vont se charger de tout – des ‘dirigeants’ qui ne veulent pas passer pas le processus laborieux de se faire accepter en tant que direction par les masses sur base de mérites montrés dans la pratique. Cette méthode pousse les couches larges directement dans les bras de la classe dirigeante et discrédite et diabolise les courants plus radicaux du mouvement ouvrier tout en offrant une excuse à la classe dirigeante pour élargir fortement son appareil de répression.

    Nous regrettons qu’un bon projet autour de la Journée Internationale des Femmes tombe à l’eau avec cette affaire. Le refus du COI et de Fek-bel d’arrêter la collaboration avec Secours Rouge dans ce front revient pour nous à un choix entre la peste et le choléra : ou nous nous retirons, ce qui fait que la manifestation aura le caractère d’une manifestation de la communauté immigrée seulement; ou nous restons, mais la construction d’une plateforme plus large pour aujourd’hui et demain est mise en péril. Au moment où le mécontentement et la colère contre le système capitaliste commence à augmenter aussi parmi des couches plus larges de la population et qu’il devient toujours plus clair qu’il y a encore du chemin à faire pour atteindre l’émancipation de la grande majorité des femmes, nous ne voulons pas faire obstacle à la construction d’un front plus large autour des droits des femmes en collaborant avec des groupes qui utilisent et défendent des méthodes indéfendables.

    Vous pouvez trouver ci-dessous la lettre que nous avons écrite au COI et à Fek-bel sur cette question, lettre dans laquelle nous motivons notre décision.


    Aux participants au front pour une manifestation pour la Journée Internationale des Femmes

    Chers,

    Lors de la dernière réunion, les représentants du PSL/LSP ont été un peu surpris et ne savaient pas très bien que faire de la situation. Après discussions avec nos membres et au sein de nos structures dirigeantes, nous ne pouvons néanmoins rien faire d’autre que de retirer les accords faits au cours de la dernière réunion concernant la collaboration avec Secours Rouge/Bloc ML, pour nous au moins.

    Tout le monde est au courant qu’il y a des grosses différences, aussi bien sur le plan de la pratique politique que sur le plan idéologique, entre les organisations qui participent à ce front. Cela n’est pas un problème pour nous. Nous avons toujours été en faveur de la collaboration en action si on peut de cette façon faire progresser (une partie de) la lutte du mouvement ouvrier. Suivant cette logique, nous avons fait des alliances autour de listes électorales, des coopérations dans la lutte contre le Vlaams Belang ou dans le mouvement anti-guerre, etc. Les seules conditions que nous avons mises en avant étaient d’arriver à un accord entre participants sur base d’un bon cahier de revendications et/ou de slogans corrects tout en garantissant la liberté à chaque participant de défendre ses propres idées et son programme propre.

    Dans quelques cas néanmoins, la coopération devient un élément qui n’aide pas à faire progresser la lutte, mais crée justement de nouveaux obstacles pour avoir un soutien plus large. Avec ce ‘soutien plus large’ nous ne voulons pas dire un soutien plus large parmi la direction syndicale ou chez les partis sociaux-démocrates, ni parmi les organisations féministes bourgeoises, ni parmi la gauche officielle, etc., mais parmi les couches de militants syndicaux combatifs et d’autres personnes activement impliquées dans la lutte contre la politique asociale du gouvernement. Nous pensons qu’une coopération avec des organisations comme Secours Rouge/Bloc ML en est un exemple.

    Le PSL/LSP a toujours adopté une position de principe contre le terrorisme individuel, que cette méthode soit utilisée par qui que ce soit. Ce n’est pas un point de vue moraliste, le PSL/LSP n’est pas une organisation pacifiste. Nous défendons le droit de résister à la violence, si nécessaire par la violence, mais sous le contrôle et avec la participation du mouvement ouvrier et des couches pauvres et opprimées de la population. C’est quelque chose de totalement différent du terrorisme individuel, où des groupes plus ou moins petits décident en lieu et place de cette population large de la manière dont la lutte va se dérouler. Des groupes qui recourent au terrorisme individuel se mettent à la place des masses et de la lutte des masses, bien que celle-ci soit la seule capable de mener à un changement de société.

    Le terrorisme individuel est en plus un facteur très divisant pour le mouvement ouvrier. Cela peut, pour un moment restreint, enthousiasmer de petits groupes de radicaux, mais cela démoralise les couches larges et les pousse dans les bras du pouvoir établi. Les actions des CCC – dont Secours Rouge/Bloc ML ne veut se distancer et qu’ils défendent pleinement jusqu’à aujourd’hui – ont dans une large mesure agit en ce sens. Le résultat a été un renforcement encore jamais vu et indéfendable de l’appareil d’Etat. Après les actions des CCC, renforcées par les attentats totalement distincts de la Bande de Nivelles, on a vu des ‘robocops’ débarquer dans les rues pour la première fois en Belgique. Ces actions ont constitué l’excuse rêvée pour libérer plus de moyens pour la gendarmerie, une force spéciale d’intervention rapide a été mise sur pied, etc.

    Plus important encore, deux pompiers sont morts. La direction syndicale a aussi été capable de jouer sur l’aversion de ce qu’ils appelaient ’le radicalisme de gauche’ (que nous appelons de l’aventurisme criminel) pour limiter l’influence de figures explicitement de gauche au sein du mouvement syndical. Nous connaissons l’excuse des CCC : leur attentat était annoncé et, si ces pompiers étaient cependant présents, c’était parce que la police n’a pas fait son travail. Si on pose premièrement des bombes pour faire ensuite confiance à l’appareil d’Etat pour protéger les travailleurs qui pourraient être présents sur les lieux, il ne faut pas ensuite se plaindre que cet appareil d’Etat saute sur l’opportunité de discréditer les terroristes aux yeux de la population. Avec les terroristes des CCC, tout le mouvement à gauche de la social-démocratie a été d’un coup discrédité et diabolisé.

    Nous ne voulons pas être présents dans une plateforme au côté d’individus et de groupes qui rendent impossible à cette la plateforme d’atteindre également des couches plus larges avec le message que l’on veut mettre en avant. Les objectifs du PSL/LSP pour cette campagne autour de la Journée Internationale des Femmes est justement d’aller vers les couches larges pour clarifier que cette lutte est nécessaire. Le programme que nous défendons sur la question des droits des femmes a pour objectif de s’en prendre à la division qui, à cause de la position de la femme dans la société et de la constante propagande sexiste de la bourgeoisie, existe aussi dans le mouvement ouvrier. Nous voulons mettre fin à cette division en essayant d’arriver à un programme commun et une lutte commune des hommes et des femmes du mouvement ouvrier et des autres couches opprimées de la société pour mettre fin à la discrimination des femmes et pour le socialisme.

    Nous sommes d’avis que la coopération avec Secours Rouge/Bloc ML fait obstacle à cet objectif – mettre à l’agenda de façon plus large la lutte pour les droits des femmes – et nous ne sommes donc pas préparés à une collaboration. Nous demandons aux autres partenaires de la plateforme de poursuivre sans Secours Rouge/Bloc ML – nous pouvons éventuellement continuer la discussion là-dessus en vue de coopérations ultérieures au 8 mars 2009. Si, par contre, vous décidez de coopérer avec Secours Rouge/Bloc ML, le PSL/LSP se retire de cette coopération. Nous avons longuement construit un parti socialiste révolutionnaire en Belgique (et dans le monde avec le CIO) qui peut, au travers d’une approche transitoire, obtenir une réelle implantation dans les masses larges de la classe ouvrière. Plusieurs de nos membres ont obtenu le respect de leurs collègues en tant que délégué syndical ou jouent un rôle important dans leur quartier. Nous refusons de mettre cela en jeu pour une petite poignée d’aventuriers.

    Pour le PSL/LSP, Anja Deschoemacker

  • La question nationale: histoire récente et perspectives

    Dans ce chapitre nous nous exprimons sur l’effet de la crise sur les soi-disant accords de paix et l’éparpillement des Etats nations. Nous ne le faisons que dans la mesure où cela affecte la Belgique où la prochaine reforme d’Etat a pour principal but la création d’un cadre dans lequel la bourgeoisie peut appliquer sa politique d’assainissement via la responsabilisation des régions.

    Cinquième partie de notre texte de perspectives pour notre dernier Congrès National

    142. L’Etat-Nation est et reste fondamental pour le capitalisme. Dans la période de mondialisation, qui pour l’instant est en train de se transformer en son contraire, l’illusion que la bourgeoisie avait dépassé cette question a été entretenue. Dans les années ‘90, période de la pensée unique néolibérale, l’idée se développait selon laquelle les Etats nationaux perdaient de leur importance au profit des entreprises multinationales, qu’une réelle unification des peuples était possible avec la création de blocs régionaux (en particulier autour de l’Union Européenne qui a suscité une réelle euphorie avec une monnaie unique, l’idée d’une véritable constitution, la création d’une armée européenne,…), que la question nationale pouvait être résolue de façon pacifique et en concertation au travers de concessions mutuelles et toutes formes de partages de pouvoir,… Il est de plus en plus évident aujourd’hui que, bien que le capitalisme ait pu repousser temporairement ses limites, il est à nouveau repoussé dans celles-ci – un processus qui va se poursuivre par secousses dans la période à venir. La montée du protectionnisme sera un élément de ce processus, ainsi que celle des tensions entre et à l’intérieur des différents Etats-Nations.

    Le super Etat européen et l’Europe des régions

    143. L’illusion de la création d’un véritable Etat européen, dans lequel les Etats nationaux s’évaporeraient entre l’Europe d’un coté et les « régions » de l’autre, n’est plus défendue aujourd’hui par aucun commentateur sérieux, bien que divers mouvements nationaux (entre autre la NVA) la chérissent tant qu’ils le peuvent. Les diverses tentatives d’arriver à une Constitution Européenne se sont heurtées à la résistance du mouvement ouvrier, ce qui s’est exprimé par le refus en France et aux Pays-Bas lors du référendum autour de la Constitution et plus récemment dans le rejet irlandais du traité de Lisbonne, qu’on ne pouvait déjà plus appeler une Constitution. Dans les trois victoires du ‘NON’, l’analyse du résultat démontrait clairement que l’opposition l’avait surtout emporté dans les villes et les quartiers ouvriers. Le mouvement ouvrier en Europe est aujourd’hui de plus en plus libéré de ses illusions en une ‘Europe sociale’ et de plus en plus conscient du fait que l’Europe est avant tout un agenda néolibéral des classes dirigeantes. Les normes de Maastricht ont été utilisées par Dehaene comme un argument pour faire avaler l’austérité au mouvement ouvrier. L’orthodoxie budgétaire est maintenant défendue avec le «vieil» argument de «ne pas laisser de dettes pour les prochaines générations»

    144. Les normes de Maastricht, le Pacte de Stabilité, les directives européennes sur la concurrence, les tentatives d’appliquer une Constitution Européenne, puis ensuite un ‘Traité’,… Le ver est dans le fruit. Différents Etats européens – et pas les plus petits – ont creusé ces dernières années des déficits budgétaires alors qu’ils menaient l’offensive contre leur mouvement ouvrier. Malgré la possibilité d’amendes européennes, « l’Europe » n’a rien su faire d’autre que de laisser faire. L’unification européenne est allée plus loin que ce que nous avions originellement pensé, surtout sur base d’une postposition de la crise (décrite ailleurs dans ce texte de perspective) par la création de nouvelles bulles de savon et surtout par l’augmentation de l’exploitation de la classe ouvrière à l’échelle mondiale et dans chaque pays pris séparément. A présent, chaque tentative pour approfondir l’unification européenne se heurte à des contradictions croissantes. Bien que l’Union Européenne ne va pas de suite se désintégrer sous pression de la concurrence internationale, la création d’un super Etat européen avec sa Constitution et sa propre armée n’a jamais été aussi illusoire qu’aujourd’hui. Des directives déjà acceptées ne sont plus suivies à mesure que les différentes bourgeoisies nationales sont mises sous pression de leur propre mouvement ouvrier (avec des déficits budgétaires mais aussi par l’intervention de l’Etat dans l’économie). Le carcan de l’euro va de plus en plus faire mal à mesure que la crise va s’approfondir et que les différences entre les divers pays européens vont s’affirmer. L’unification de la politique étrangère est apparue une fois de plus impossible pendant la guerre de cinq jours entre la Géorgie et la Russie. Le mieux qu’ils arrivent encore à faire sont des ‘accords’ qui ressemblent de plus en plus clairement à des ‘compromis à la belge’ où le flou l’emporte et où différentes interprétations ne sont pas seulement possibles, mais consciemment voulues.

    Processus de paix et dividende de paix

    145. De la période d’euphorie et d’illusions à propos d’un ‘nouvel ordre mondial’ – où l’unique superpuissance était sensée mettre de l’ordre dans le reste du monde – est apparue l’idée du ‘processus de paix’ où des accords de partage de pouvoir devaient mener à la stabilité et à un ‘dividende de paix’. En Israël, cela a conduit aux accords d’Oslo en 1993, rapidement enterrés par l’escalade de conflits sanglants. Le partage limité de pouvoir qui a trouvé son expression par la mise en place de l’Autorité Palestinienne sous le régime corrompu d’Arafat n’a rien résolu, bien au contraire. Une solution est plus éloignée que jamais avec à la fois l’éclatement d’une guerre civile en Palestine même entre le Fatah et le Hamas et la crise économique qui ne laisse à la bourgeoisie israélienne que le nationalisme pour se présenter comme dirigeante de la nation.

    146. En Irlande du Nord, en 1998, l’Accord du Vendredi Saint a été conclu, avec pour la première fois l’implication au pouvoir de l’aile politique de l’IRA, le Sinn Fein. Tout comme avec les accords d’Oslo, les problèmes dont ne parlaient pas les accords (ceux qui étaient nécessaires pour parvenir à un « accord ») sont sans arrêt remontés à la surface. L’Accord du Vendredi Saint n’a conduit à la formation d’un gouvernement plus ou moins stable que neuf ans plus tard (en mai 2007), néanmoins régulièrement paralysé par un total désaccord. Tout comme en Israël, aucun des problèmes économiques n’ont été résolu – la situation de la majorité de la population est même devenue pire encore à cause de la politique néolibérale – et il n’y a rien eu en termes de « dividendes de paix ». Le chômage est toujours plus élevé en Irlande du Nord que dans n’importe quelle autre région de Grande-Bretagne. Les emplois créés n’ont été que des emplois à bas salaire, temporaires et à temps partiel. Bien que la violence a fortement baissé, cela ne signifie pas pour autant que les divisions ont disparu. La division sectaire parmi la population n’a fait que monter et a été institutionnalisée, conséquence logique du partage de pouvoir, la seule « solution » capitaliste à la question nationale. Si aujourd’hui il y a une paix relative, cela n’a rien à voir avec l’Accord, mais tout avec le fait que la grande majorité de la population ne veut pas d’un retour aux troubles et l’a fait massivement savoir à maintes occasions.

    147. Ces “accords” ont mené mondialement à des illusions comme de quoi la bourgeoisie était capable de résoudre la question nationale de façon pacifique. Ceux qui ont conclu ces accords ont reçu le Prix Nobel de la Paix ou d’autres récompenses prestigieuses. Aujourd’hui, il est clair qu’ils n’ont nulle part conduit à une réelle solution, nulle part il n’y a eu sur base de ces « processus de paix » une amélioration du standard de vie de la majorité de la population. Aujourd’hui, la crise est entrain de se répandre et de s’approfondir mondialement, ce qui va faire exacerber les contradictions. Ce type d’accords-bidons tels qu’ils sont apparus va être encore plus difficile à conclure maintenant qu’il y a dix ans.

    Des Etats-nations tombent en pièces : régionalisation des compétences, “scission de velours” et guerre civile.

    148. Depuis 1973-74, l’économie mondiale connaît une période de dépression, une période de régression économique dans laquelle les périodes de croissance ne suffisent plus à récupérer ce qui a été perdu en période de crise. Le chômage structurel surgit, la pauvreté augmente. Cette armée de réserve de forces de travail permet à la bourgeoisie de démanteler les salaires et les conditions de travail. Dans une telle situation les déficits augmentent et toutes sortes de luttes naissent pour mettre la main sur la richesse produite : premièrement entre les classes, mais aussi entre les pays et dans les pays entre différentes régions/communautés. La question nationale revit de nouveau à grande échelle.

    149. Cela s’est opéré de différentes manières dans les diverses parties du monde, en fonction des rapports de forces réels, entre autres en fonction du contrôle sur la situation dont dispose encore la bourgeoisie et de la conscience de la classe ouvrière. En ce qui concerne ce dernier point, la question nationale et la lutte de classes sont des vases communicants : quand l’un monte, l’autre descend, et vice versa. En fonction de la situation concrète, les marxistes vont adopter différents programmes, mais toujours basés sur la réponse à la question suivante: qu’est-ce qui est à l’avantage du mouvement ouvrier ?

    150. Dans la période précédente, on a vu l’éclatement de l’ex-URSS et entre autres de la Yougoslavie. Ce processus souvent sanglant a pris place avec en arrière-fond la catastrophe économique et sociale que l’introduction du capitalisme a représenté pour la majorité de la population dans ces régions. Ce qu’on a pu également voir de manière assez claire, c’est que le stalinisme n’a jamais réussi à résoudre la question nationale, bien que ce système a pu dans la plupart des cas éviter des escalades (par la méthode de la carotte et du bâton). Dans le cadre de meilleures circonstances économiques, en Tchécoslovaquie, la désintégration (entre la Tchéquie orientée vers l’Occident et la Slovaquie orientée vers l’Europe de l’Est et la Russie) a pu se faire de façon plus contrôlée (ce qui a été appelé la scission de «velours»).

    151. Comparer la question nationale dans ces pays, où une bourgeoisie était seulement en train de se développer et devait encore établir son pouvoir – avec de grosses différences d’opinion au sein des différentes élites sur la manière d’y arriver – avec la question nationale dans des Etats-nations établis comme la Grande-Bretagne, l’Espagne ou la Belgique n’a pas beaucoup de sens. En général, on peut dire que la réaction par rapport aux tensions nationales croissantes dans les pays capitalistes développés va dans la direction de la création d’un système « belge » de partage de pouvoir, de création et de renforcement des autorités régionales,… Plutôt tôt que tard, ces structures vont faire naître les mêmes situations « belges » d’impasse et de paralysie parce qu’elles institutionnalisent et approfondissent la division. Les bourgeoisies de ces Etats vont essayer de faire tout ce que la bourgeoisie belge a déjà fait et fait encore : des concessions aux élites régionales afin d’enlever le radicalisme de ces élites et les envelopper dans la structure du pouvoir. En même temps, elles vont essayer d’utiliser la division existante pour imposer leur programme.

    152. Afin de mettre en avant un programme correct, chaque situation doit être regardée de manière spécifique. La question nationale peut mener à une certaine amertume en Belgique, mais jamais la violence n’a été utilisée : les familles ouvrières en Flandre ou en Wallonie ne déplorent pas de membre de leur famille qui ont étés assassinés par ‘ceux d’en face’. Mais même là où cela s’est produit, comme par exemple en Irlande du Nord, l’organisation va défendre un programme qui peut mener à l’unité des travailleurs des différentes communautés. Dans beaucoup de pays, le droit à l’autodétermination ne peut pas être défendu sans porter en même temps une attention aux droits des minorités. Dans la plupart des cas, la question nationale dans ces pays est très complexe, et il faut l’étudier profondément avant d’en arriver aux perspectives et à un programme. Il serait néanmoins incorrect de s’imaginer qu’un de ces pays puisse se décomposer de façon « facile ». C’est une illusion.

    Perspectives pour la question nationale en Belgique

    153. Il est clair pour tout le monde que la Belgique se trouve dans une crise politique profonde. La base pour cela n’est pas en soi la remontée des sentiments nationalistes parmi la majorité de la population, mais la crise dans laquelle se trouvent tous les instruments politiques de la bourgeoisie (y compris les vieux partis sociaux-démocrates) après trente années de politique d’austérité qui ont fait du « meilleur système social d’Europe » le pays avec les pensions les plus basses et la contribution individuelle pour les coûts des soins de santé la plus haute d’Europe ! La disparition de la question de classes entre les différents partis (au travers de la bourgeoisification de la social-démocratie) a poussé tous les partis dans une position de défense des intérêts régionaux et des intérêts de «leur propre communauté» avec laquelle ils doivent aussi être élus.

    154. “La Belgique n’a plus de valeur ajoutée”, “Le surréalisme, le chocolat, la bière et le roi – la Belgique n’est pas plus que ça”,… Ce sont des propos qui ont étés répétés plusieurs fois dans la dernière année et demie. Une étude réelle de l’économie montre pourtant une toute autre chose, une vie économique bien intégrée, où chaque partie en présence aurait à perdre en cas de déchirure de ce tissu économique. Il n’est donc pas surprenant que les ‘partenaires sociaux’ s’opposent quasi unanimement à une scission du pays. Même si Unizo et le VEV ont poussé avant les élections le CD&V à l’autonomie la plus grande possible, surtout sur le plan du marché de l’emploi et de la sécurité sociale, ils ont été rapidement été convaincus par la réalité de la crise politique et par le fait que la proposition de Béa Cantillon («pas de régionalisation, mais la responsabilisation des régions») avait plus de mérites. Pour les grandes entreprises avec des filiales dans différentes parties du pays, il ne serait pas du tout évident de fonctionner avec différentes législations du travail dans les régions.

    155. Plusieurs études de cette dernière année montrent également que les histoires de deux réalités et aspirations de la population ‘totalement différentes’ doivent être nuancées, même si ces différences sont parfois grandes. Des études sur les raisons des votes en Flandre et en Wallonie montrent de façon remarquable que les inquiétudes sociales et économiques, et certainement pas les thèmes communautaires, étaient au centre des préoccupations. Il y a un fossé très clair entre le revenu moyen en Flandre et en Wallonie, (un Flamand gagne en moyenne un quart de plus qu’un Wallon), mais en même temps la commune la plus riche (Lasne), l’arrondissement le plus riche (Arlon) et la province la plus riche (le Brabant Wallon) se trouvent tous en Wallonie. Les chiffres wallons sont surtout aspirés vers le bas par la province belge la plus pauvre, le Hainaut : 7 des 10 communes belges les plus pauvres se trouvent dans cette province. Trois communes bruxelloises sont plus riches que la commune flamande la plus riche (Sint-Maartens-Latem). Les revenus à Namur et au Luxembourg sont plus hauts que ceux du Limbourg et de Flandre Occidentale, qui arrive juste avant Liège (1).

    156. En ce qui concerne la bourgeoisie belge, nous voyons que la division ‘Wallonie= pauvreté / Flandre=richesse’ ne tient pas debout. Dans le Top 10 des familles d’entrepreneurs belges (Trends/Tendances) se retrouvent trois familles flamandes (au n°4 Colruyt, au n°9 Savereys et au n°10 De Clerck) et une famille flamando-wallonne (au n°1 de Spoelbergh, de Mevius et Van Damme d’Inbev), le reste sont des familles wallonnes (au n°2 Solvay, au n° 3 Frère, au n° 5 Lhoist, au n° 6 Emsens de l’entreprise Cuvelier, au n° 7 Emsens de l’entreprise Sibelco et au n° 8 Cigrang). Le belge le plus riche à titre individuel est un wallon, à savoir Albert Frère.

    157. Depuis la démission de Leterme en été (laquelle n’a pas été acceptée par le Roi) la rhétorique est que ‘le modèle fédéral a atteint ses limites’. La structure de l’Etat belge n’est pas construite avec une vision et des objectifs clairs, mais sur base de compromis et de concessions consécutives. La première phase s’appelait la ‘fédéralisation’ en opposition à l’Etat unitaire en vigueur précédemment ; la phase qui vient maintenant doit mener à une sorte de ‘confédéralisme’, un mot maintenant utilisé par toute une série de politiciens francophones. Toutefois, personne, pas même en Flandre, n’a une définition de ce qu’est exactement le confédéralisme. Un vrai confédéralisme (une confédération conclue par des Etats indépendants) ne pourra se faire que si on crée premièrement une Flandre indépendante, une Wallonie indépendante et une Bruxelles (ou une Wallonie/Bruxelles) indépendante, entre lesquelles peut alors s’établir une confédération. Mais si de tels Etats sont issus d’une décomposition de la Belgique, il est selon nous peu probable qu’ils puissent après coup en arriver à une confédération.

    158. Cela n’exclut pas qu’un compromis final puisse s’appeler “confédération”, mais ce qu’ils veulent en réalité ce sont des paquets de compétences plus homogènes pour éviter ce qu’on a vu depuis l’existence des gouvernements asymétriques (des gouvernements différents au niveau des régions qu’au fédéral): un blocage toujours plus important de toute une série de dossiers. Un exemple éloquent est la question de Zaventem : la compétence régionale pour les normes sonores fait que les normes bruxelloises ne permettent pas un espacement proportionnel du bruit. Ce qu’ils veulent est donc un rafistolage des vieux accords et un compromis pour pouvoir imposer de façon plus aisée le programme de la bourgeoisie. Ce que la bourgeoisie veut également sont des élections fédérales et régionales qui se déroulent au même moment afin d’éviter une asymétrie trop grande. Cela serait une pilule amère tant pour les régionalistes flamands que wallons et il est possible qu’ils n’arrivent pas à conclure un accord là-dessus.

    159. Il reste néanmoins très probable que ce gouvernement instable, avec maintenant la perte du soutien extérieur de la NVA, jette l’éponge avant les élections régionales de 2009, pour de cette façon avoir de facto des élections au même moment, ce qui donneraient lieu à une longue période de gouvernement sans élections. Si ce scénario devient réel, il est très probable que l’on ira vers un (des) gouvernement(s) d’union nationale, avec tous les partis traditionnels (chrétiens- et sociaux-démocrates et libéraux).

    160. Ce scénario peut se réaliser de différentes manières : si le gouvernement n’arrive pas à conclure des accords (sociaux-économiques, mais aussi communautaires, bien qu’“une grande Réforme de l’Etat” soit impossible avant les élections), il pourrait tomber une fois que les élections régionales sont en vue. Si cela se passe de cette manière, il est probable qu’un dossier communautaire symbolique va être utilisé comme excuse (BHV ayant le plus de chances de l’emporter). Le CD&V pourrait alors aller aux élections même avec la « jambe raide ». Si le gouvernement réussit à conclure des accords, il pourrait « démissionner » pour entamer une réforme d’état, changement de Constitution inclu, avec un nouveau gouvernement. En tout cas, l’absence d’une majorité du côté flamand fait que le scénario d’un gouvernement Leterme qui perdure jusque 2011 devient encore plus improbable qu’avant.

    161. Quel sera le contenu d’une nouvelle réforme d’Etat? Il est difficile d’être très concret sur ce point. Un certain nombre d’éléments se profilent néanmoins déjà et vont sûrement en faire partie. Premièrement, il va falloir trouver une solution pour l’Etat fédéral en difficulté financière et donc chercher une nouvelle balance dans les transferts d’argent. En Flandre, la majorité des partis sont gagnés à l’idée – publiquement défendue pour la première fois par Frank Vandenbroucke – d’un glissement ultérieur de compétences aux régions et communautés sans les budgets complémentaires ; en Wallonie et à Bruxelles, qui n’ont pas le genre de surplus dont dispose la Flandre, il y a toutefois beaucoup d’opposition à cette idée. Si un glissement de moyens du niveau fédéral vers les régions devait s’effectuer, cela se ferait de manière plus cachée. Un autre moyen de décharger l’Etat fédéral est le démantèlement des dépenses de sécurité sociale ou une augmentation des revenus alloués à la sécurité sociale. Un glissement des charges sur le travail vers la TVA et d’autres revenus pourrait aussi servir à cela – le PS, ainsi que la CSC, sont gagnés à cette idée.

    162. Deuxièmement, la bourgeoisie en Belgique s’est toujours servie de la question nationale pour pouvoir imposer son programme à la classe ouvrière. Malgré les éructations ponctuelles d’un certain belgicisme parmi les patrons et une certaine réticence à présent que la surenchère communautaire de ces partis a mené à une impasse totale, il est peu probable qu’elle laisse tomber cette tactique, certainement en face de syndicats toujours puissants. Il est très probable qu’une ou l’autre responsabilisation des régions va se faire pour ce qui concerne le contrôle des chômeurs (traduire : la chasse aux chômeurs) – des deux côtés de la frontière linguistique, la plupart des forces politiques sont d’accord avec cela. Les organisations patronales le défendent aussi; les seules obstructionnistes en ce domaine sont les syndicats qui jusqu’à maintenant veulent conserver toute la politique du marché d’emploi sur un plan fédéral. En Belgique, la régionalisation des compétences signifie presque toujours la ‘régionalisation des assainissements’ au travers de laquelle la résistance unifiée des travailleurs peut être évitée.

    163. Il va falloir finalement trouver une solution pour BHV. Comme Thomas Leysen, le président de la FEB, l’a déclaré dans Le Soir le 12 juillet : «Ce n’est d’ailleurs plus possible d’adopter une approche gagnant-gagnant dans ce dossier. Il conviendra davantage de veiller à ce que chaque partie perde la face de manière équilibrée». Le plus probable est que la scission se produise, mais en maintenant une série de droits électoraux pour les francophones de la périphérie. Le MR ne va jamais signer un accord qui lui ferait perdre des votes à un moment où il veut confirmer sa position de dirigeant en Belgique francophone (ce qui, selon les derniers sondages, est de toute façon peu probable – mais cela peut encore changer fortement dans les mois à venir). Maintenant que la NVA est mise de côté – concession que le CD&V a été obligé de faire pour maintenir le soutien de la bourgeoisie – le MR va devoir faire bien attention à ne pas paraître comme celui qui fait durer le chaos. Bien que la famille libérale est maintenant la plus grande dans le gouvernement, le fait qu’il faille en Flandre acheter le soutien du SP.a pour des décisions importantes la rend quand même vulnérable. Certainement dans le cadre d’une période de crise économique et de montée de la lutte de classes, elle peut être mise sous pression entre les sociaux- et les chrétiens-démocrates qui vont probablement en appeler à ‘l’intérêt général’ et développer davantage dans la période devant nous une rhétorique de collaboration de classes contre le néolibéralisme pur et dur de la période précédente. Sans le soutien de la direction syndicale, n’importe quel gouvernement se retrouverait toutefois vite par terre s’il lançait une attaque conséquente contre la classe ouvrière.

    164. La période qui vient ne va à aucun moment être totalement libérée de la surenchère communautaire – en fait, jusqu’à une nouvelle réforme d’état, cela fera partie de la réalité de tous les jours. Ceci dit, la discussion sur ‘le pays qui va tomber en pièce’ est passée de plus en plus à l’arrière-plan. Aucun commentateur sérieux ne voit cela comme une possibilité, du fait que personne n’a un plan ou une véritable stratégie pour y arriver, ni une vision sur qu’est-ce que serait cette Flandre indépendante. Dans la presse francophone, l’idée du rattachement à la France a été évoquée, mais juste comme l’idée de l’indépendance de la Flandre, c’est-à-dire sans une réelle étude ou même sans vraiment réfléchir sur comment cela devrait se faire. C’est une raison importante expliquant pourquoi la scission n’est pas à l’agenda aujourd’hui ou même demain : économiquement, aucun groupe dans la société n’y a à gagner quelque chose (bien que cette illusion soit vivante, surtout parmi la petite bourgeoisie flamande – la FEB a quant à elle réussi à convaincre Unizo que c’était une illusion). De plus, il n’y a aucune élite présente capable de convaincre les masses de la nécessité d’un tel scénario, ni à même de se mettre à la tête d’un tel mouvement. Comme décrit ci-dessus, l’Etat-nation belge est sujet à des forces centrifuges, comme c’est le cas aussi par exemple en Grande-Bretagne ou en Espagne. Mais une scission totale ne pourrait se faire que si la majorité de la population est convaincue que c’est la seule manière d’assurer son niveau de vie – en d’autres termes si le mouvement ouvrier de ces pays est démoralisé par une longue période de faillite totale de la lutte collective pour la défense de ses standards de vie.


    (1) De Standaard 19/04/2007, part du dossier Nord-Sud entrepris avec Le Soir

  • 20 ans après le meurtre de trois volontaires de l’IRA par les SAS

    De la répression de l’Etat britannique, du terrorisme et du mouvement ouvrier

    20 ans après le meurtre de trois volontaires de l’IRA par les SAS

    Vingt ans ont maintenant passé depuis le meurtre à Gibraltar de trois membres de l’IRA (Irish Republican Army – Armée Républicaine Irlandaise, groupe paramilitaire indépendantiste) par les SAS (Special Air Service – Service Spécial Aérien, forces d’élite britanniques, notamment utilisées dans la lutte antiterroriste). En Irlande du Nord, ces morts avaient été le détonateur d’une nouvelle explosion de violence, brève mais particulièrement sanglante. Au cours des treize jours qui ont suivit, huit personnes ont perdu la vie et soixante-huit autres ont été blessées à travers toute une série d’attaques impliquant l’armée, l’IRA, et les milices loyalistes.

    Peter Hadden, Socialist Party (CIO-Irlande), Belfast, 7 avril 2008

    C’est surtout de deux de ces incidents que se rappelleront le plus vivement ceux qui ont connu ces événements, même si ce n’est que parce qu’ils ont eu la chance d’être pris en direct par les caméras qui se trouvaient sur place.

    L’un de ces incidents était l’attaque d’un fusilier loyaliste, Micahel Stone, contre la foule rassemblée aux funérailles des victimes de Gibraltar, qui a fait trois morts et de nombreux blessés. Les images diffusées à plusieurs reprises dans les nouvelles du jour montraient Stone fuyant à travers le cimetière Milltown de Belfast-Ouest en direction de l’autoroute M1, tentant de distancer la foule enragée lancée à sa poursuite en les arrosant de tirs de pistolet et de grenades, fournissant par là-même une illustration frappante de la brutale réalité qui était celle des « Troubles » en Irlande du Nord.

    Il y a aussi eu le film réalisé trois jours plus tard sur la Route d’Andersonstown, aux funérailles d’une des victimes de Stone à Milltown. Cette vidéo montrait deux soldats anglais en civil qui avaient brutalement foncé avec leur voiture dans le cortège funèbre et s’étaient fait tirer hors de leurs véhicule par la foule, l’un d’entre eux brandissant un fusil. Peu après cela, ils ont été remis à l’IRA qui les a conduits dans une décharge derrière des magasins du coin avant de les abattre.

    Aujourd’hui, vingt ans plus tard, le Sinn Féin (« Nous-mêmes », le principal parti indépendantiste, lié à l’IRA) est en train de faire de gros efforts pour organiser toute une série de grands événements afin de commémorer les victimes de Gibraltar. Il y a eu des assemblées et un grand meeting public à Belfast-Ouest. Une brochure spéciale de douze pages retraçant l’histoire de Gibraltar et ses conséquences sanglantes a été produit et distribué en porte-à-porte dans les zones catholiques de la ville.

    La controverse publique s’est rapidement développée au sujet de ces commémorations, surtout au sujet de la proposition d’organiser, dans la Longue Gallerie du Parlement à Stormont, une célébration de la vie de Mairéad Farrell – une des trois personnes abattues par les SAS à Gibraltar. Ce débat a, comme il fallait s’y attendre, produit une réaction immédiate de la part du Parti Démocrate Unioniste (DUP), qui a annoncé fort logiquement qu’il allait organiser un événement, au même endroit et au même moment, afin de commémorer le rôle des SAS dans cette affaire. Au final, aucun des partis n’a obtenu l’autorisation de faire quoi que ce soit – un nouveau règlement a été voté en toute hâte pour rendre la location de la Longue Gallerie plus difficile – et le Sinn Féin s’est donc rabattu sur un petit meeting consacré à la vie de Mairéad Farrell dans leurs propres bureaux, à Stormont.

    Réveiller le passé

    Pour le Sinn Féin comme pour le DUP, tout ce battage autour de vieilles rancœurs, aussi sectaire que rituel, a en fait bien plus à voir avec les événements qui se déroulent maintenant qu’avec ce qui s’est passé vingt ans plus tôt. Les partis sectaires d’Irlande du Nord ont toujours suivi cette simple règle : à chaque fois que quelque chose ne va pas, on ressort les vieilles histoires.

    Et effectivement, le Sinn Féin comme le DUP s’attendent à ce que les choses n’aillent pas si bien dans le futur proche. Tout au long des dernières décennies, ces deux partis ont représenté les deux pôles extrêmes opposés sur l’échelle de la politique sectaire. Et maintenant, ils participent ensemble au gouvernement. Pour un nombre croissant des partisans de ces deux partis, la relation entre leurs dirigeants et ces ex-ennemis jurés qu’ils injuriaient autrefois publiquement, est devenue bien trop amicale ces derniers temps, et ce sans qu’ils en aient retiré quoi que ce soit de concret.

    L’Exécutif de coalition, mis en place il y a tout juste un an, n’a fait que continuer la politique précédente des Ministres du New Labour : la bonne vieille recette pro-big business, mais avec une petite pincée en plus de népotisme et de corruption.

    Les Ministres Sinn Féin et DUP ne sont visiblement pas très à leur aise lorsque l’on mentionne avec eux des enjeux tels que les privatisations, les coupures budgétaires dans l’éducation, les soins de santé et, bien entendu, la compagnie des eaux. Il est évident qu’ils préfèrent rester en terrain connu, dans le domaine des attaques sectaires qui leur sont bien plus familières. Ces deux partis seraient bien contents de pouvoir se chamailler toute la journée afin de savoir qui l’on doit commémorer, des glorieux martyrs de l’IRA ou des vaillants soldats SAS, sachant que sur cette question ils sont sur leur terrain, avec une base solide parmi la population pour les soutenir. Ils se tournent délibérément vers de telles « problématiques » afin de lancer de la poudre aux yeux des travailleurs pour détourner l’attention de ce qu’ils sont réellement en train de faire au gouvernement. Ces partis sont eux-mêmes bien rôdés en ce qui concerne l’usage de la vieille tactique de l’impérialisme : diviser pour régner.

    Et quand ils se réfèrent au passé, c’est toujours leur version de l’histoire qui est présentée. A tous les coups, c’est une version à une seule facette : l’image tronquée qui apparaît lorsqu’on observe tout à travers le prisme du sectarisme. Ainsi, aucun de ces partis ne peut nous raconter ce qui s’est réellement passé à Gibraltar et après.

    Un récit à une seule facette

    Dans la période qui a directement suivi la tuerie de Gibraltar, le gouvernement Thatcher et ses chefs de la sécurité avait délibérément publié un nuage de mensonges pour tenter de couvrir ce qui s’était réellement passé. La presse britannique a régurgité ce tissu de mensonges de la manière la plus fidèle et non-critique qui soit. Le journal télévisé et la presse racontaient la même histoire : les trois victimes, Sean Savage, Dan McCann et Mairéad Farrell, avaient été tuées par la police de Gibraltar après qu’ils y aient implanté une énorme bombe ; le trio était armé, avait ignoré les avertissements qui leur avaient été donnés et des tirs avaient été échangés jusqu’à la mort des trois terroristes. L’armée était ensuite intervenue pour désamorcer la bombe.

    La brochure commémorative du Sinn Féin réfute correctement cette version de l’histoire dans sa totalité. Au lieu de cela, ils disent que :

    « Toute cette histoire n’est que mensonges. La vérité est que :

    • Les Britanniques ont suivi le moindre mouvement des trois volontaires dès leur traversée de la frontière espagnole avec Gibraltar.
    • Il n’y avait pas de bombe
    • Il n’y a pas eu d’échange de coups de feu
    • Le trio n’était pas armé
    • Ce n’est pas la police de Gibraltar qui est intervenue, mais bel et bien les SAS. »

    La brochure reprend également une déclaration que l’IRA avait faite à l’époque : « les principes militaires du gouvernement britannique incluent l’exécution de volontaires désarmés. »

    Les autres articles dans cette brochure continuent avec le récit des violences qui ont suivi Gibraltar – les tentatives de la RUC (Royal Ulster Constabulary – la police nord-irlandaise, maintenant rebatpisée PSNI – Police Service of Northern Ireland), à peine une semaine plus tard, de détourner de force les corbillards transportant les restes des trois victimes à Belfast-Ouest, de sorte à ce qu’ils ne parviennent pas à la foule qui attendait ; le meurtre, la même nuit, d’un volontaire de l’IRA, Kevin McCracken, tandis qu’il se préparait lui-même à ouvrir le feu sur des soldats dans le quartier de Turf Lodge, où avait vécu Sean Savage ; l’attaque de Michael Stone à Milltown, deux jours plus tard ; et, enfin, l’exécution des deux soldats « sous couverture » qui avaient foncé avec leur voiture dans la procession funéraire de Kevin Brandy, une des victimes de Milltown.

    Toute cette version de la part du Sinn Féin est totalement véridique… mais ne raconte pas tout. Le seul but recherché avec cette publication était de rappeler aux gens dans les bastions du Sinn Féin, tels que Belfast-Ouest, toute la répression qu’ils subissaient aux mains de l’armée, de la RUC et des loyalistes, et ceci afin de renforcer l’autorité vacillante de leur parti, en réaffirmant les sacrifices faits par les républicains dans leur résistance face à l’oppression. Tout élément qui ne rentre pas parfaitement dans ce scénario est tout bonnement ignoré. Ce qui en ressort, est un tableau inachevé, unilatéral, présenté sans aucune tentative d’analyser ce qu’il s’est passé ni d’en tirer quelque leçon.

    « Shoot to kill »

    Ceux qui sont incapables de tirer les leçons du passé, surtout lorsqu’il s’agit d’erreurs passées et d’actions qui n’eurent pas l’effet escompté, sont d’office condamnés par l’Histoire à répéter les mêmes erreurs. Gibraltar et ses conséquences sanglantes ont été une version condensée des « Troubles », riche en leçons. Deux décennies plus tard, il est important que la nouvelle génération, se tenant sur le seuil d’une nouvelle vague d’importants bouleversements sociaux, puisse passer au-dessus de cette version unilatérale de l’Histoire que nous fournit le Sinn Féin – ainsi que les autres forces sectaires – et se basent sur la compréhension la plus complète d’événements aussi importants que celui-ci.

    Avant toute chose, Gibraltar a exposé la nature impitoyable de la classe dirigeante britannique. Gibraltar a arraché le voile démocratique tendu sur l’establishment britannique pour nous donner un aperçu des méthodes que ces gens sont préparés à employer afin de protéger leurs intérêts.

    Pendant les années ‘80, le gouvernement Thatcher a adopté une politique consciente de « tirer pour tuer », utilisant en Irlande du Nord les SAS et des unités de police spécialement entraînées afin d’éliminer systématiquement tous les membres de l’IRA et des autres groupes républicains. Dix mois avant Gibraltar, un petit village du Conté d’Armagh était le témoin d’un exemple cinglant de cette cruauté militaire. Une embuscade tendue par les SAS y extermina une unité de l’IRA qui se préparait à attaquer le commissariat de Loughgall. Huit membres de l’unité furent abattus tandis qu’ils descendaient de leur camionnette pour plonger dans un barrage de tirs de fusils. Un automobiliste de passage, qui avait le malheur de suivre le combi de l’IRA d’un peu trop près, fut lui aussi pris dans le nuage des balles des SAS et tué.

    Ce sont exactement les mêmes méthodes qui ont été mises en œuvre à Gibraltar. Les intentions des trois membres de l’IRA étaient bien connues des polices espagnole et britannique qui, depuis des mois déjà, avaient enregistré leurs moindres faits et gestes. Les services de renseignement de l’Etat savaient également qu’aucune attaque n’avait été planifiée par l’IRA le jour de la fusillade ; leur objectif était la cérémonie du changement de garde devant les bureaux du Gouverneur, deux jours plus tard, le huit mars.

    Le but recherché, en envoyant une unité spéciale des SAS expédiée par avion juste à temps pour l’attaque et rapatriée par avion immédiatement après, n’était pas d’empêcher l’attaque – ce qui aurait pu être fait par la police de Gibraltar ou la police espagnole – et n’était certainement pas non plus d’arrêter qui que ce soit. L’objectif était simplement de s’assurer que Mairéad Farrell, Dan McCann et Sean Savage ne quitteraient pas Gibraltar vivants. Les ordres des SAS furent signés par les plus hauts étages du gouvernement Tory. Thatcher elle-même était parfaitement au courant de toute l’opération, et n’hésita pas à la moindre seconde à mettre de côté toutes les politesses démocratiques.

    Désinformation britannique

    L’histoire, nulle doute concoctée à l’avance, immédiatement diffusée via les médias par le gouvernement Tory était un véritable chef-d’œuvre de désinformation qui n’avait absolument aucun lien avec ce qui s’était réellement passé. C’était une pure invention qui n’aurait pu tenir très longtemps – même Thatcher ne pouvait plus maintenir l’idée qu’une bombe avait été enclenchée puis désamorcée lorsqu’il devint clair qu’il n’y avait aucune bombe dans la voiture que Sean Savage venait de garer avant d’être tué.

    Par conséquent, de nouveaux mensonges sont arrivés pour raccommoder les trous qui commençaient à apparaître dans la première version de l’histoire. Les SAS, dirent-ils, avaient ouvert le feu parce qu’ils « pensaient qu’il y avait une bombe », et parce que leurs trois victimes avaient eu des gestes « menaçants lorsqu’ils furent interpelés », ce qui les avait fait croire qu’ils tentaient d’enclencher la bombe au moyen d’une télécommande.

    D’une manière plutôt inhabituelle pour une force aussi secrète, les membres des SAS ont témoigné lors de l’enquête, cachés derrière des écrans pour garder leur identité secrète tandis qu’ils répondaient aux questions. Un des membres de l’escouade SAS expliqua ainsi qu’il avait vu Sean Savage parquer la voiture, qui, supposait-il, contenait une bombe. Savage rejoignit alors les deux autres membres de l’IRA, et ils se dirigèrent vers la frontière espagnole. Ce membre des SAS affirma qu’il avait alors inspecté la voiture mais n’avait pas pu s’assurer qu’elle ne contenait aucune bombe.

    Mais si la version des SAS avait été véridique et qu’ils s’étaient réellement souciés de savoir si oui ou non il se trouvait dans la voiture une bombe qui aurait pu être enclenchée à distance, la première chose qu’ils auraient dû faire aurait été d’installer des barrages de sécurité autour de la zone contenant la voiture. Rien de tel ne fut entrepris, et aucune explication n’a été donnée pour expliquer cette erreur.

    La seule conclusion qui peut être tirée est que les SAS savaient qu’il n’y avait pas de bombe et, de toutes manières, savaient que les trois membres de l’IRA n’auraient pas utilisé une télécommande pour déclencher un tel attentat. L’usage d’une télécommande aurait effectivement impliqué qu’ils auraient dû rester à Gibraltar pour déclencher l’explosion, sachant fort bien que la frontière aurait été immédiatement fermée, ce qui aurait signifié une capture quasi-certaine.

    Les comptes-rendus donnés par les quelques témoins oculaires de l’évènement ont confirmé ceci. Selon leur témoignage, il n’y eut aucun avertissement, aucun geste menaçant : juste une averse de balles délivrée par les pistolets automatiques des SAS. Un de ces témoins a vu Sean Savage, déjà à terre, avec un des SAS lui tirant des balles dans sa tête à bout portant.

    Les expertises scientifiques et médicales ont confirmé ces témoignages. Les trois corps avaient été touchés à vingt-sept reprises, au niveau du corps, puis de la tête, une exécution conduite de manière extrêmement professionnelle. Sean Savage avait été touché seize fois, dont quatre balles dans la tête. Même le pathologiste d’Etat, le Professeur Alan Watson, a décrit cette attaque comme « un acte de sauvagerie incontrôlée ».

    La seule raison qui faisait que l’Etat pouvait utiliser de telles méthodes en toute impunité, était le fait que la plupart des gens étaient prêts à simplement hausser les épaules tant que les victimes étaient de l’IRA ou d’autres groupes terroristes du même genre. Ce n’est là qu’un des nombreux exemples de situations où les méthodes du terrorisme individuel, tel que pratiqué par l’IRA entre autres, ont joué en dernier recours un rôle réactionnaire.

    Terrorisme individuel

    Le terrorisme individuel, tel que les récents phénomènes de terrorisme de masse pratiqués par des groupes comme Al Qaeda, désoriente la classe ouvrière et est source de confusion. En tentant d’affaiblir le pouvoir de l’Etat, il ne fait à chaque fois que produire l’effet inverse : il fournit à l’Etat une excuse afin d’instaurer toute une batterie de mesures répressives qui, dans d’autres circonstances, ne seraient pas passées sans une résistance généralisée.

    Plus que cela, l’exécution de membres de l’IRA, désarmés, en plein jour dans les rues, le blocage des aéroports avec des véhicules blindés, et d’autres mesures du même acabit, toutes mises en œuvre sous le prétexte de « menace terroriste », permettent à la classe dirigeante de préparer psychologiquement la population à l’éventualité d’une généralisation de telles mesures dans le futur.

    Les lois et les méthodes répressives, quel que soit le contexte dans lequel elles sont d’abord introduites, sont toujours, en dernier recours, une arme qui sera conservée dans le futur, afin d’être utilisée contre la classe ouvrière, et en particulier contre tous ceux qui se battent pour un avenir socialiste. C’est une des raisons qui explique pourquoi les socialistes ont à la fois une responsabilité et un intérêt dans l’organisation d’une opposition rigoureuse face à toute forme de répression – sans pour autant adopter le point de vue des dirigeants sociaux-démocrates d’Irlande du Nord qui préféraient ignorer ou, pire encore, soutenir les mesures répressives introduites par les différents gouvernements britanniques depuis le commencement des Troubles.

    Pendant des décennies, l’Irlande du Nord a été utilisée par la classe dirigeante britannique comme un laboratoire à ciel ouvert dans lequel elle pouvait perfectionner ses méthodes de surveillance et de contrôle de foule, en vue de les utiliser contre la classe ouvrière britannique. En 1984 et 85, les mineurs britanniques ont d’ailleurs pu goûter aux méthodes de police militaire qui avaient d’abord été affûtées jusqu’à la perfection dans les rues de Belfast et de Derry.

    Contre-productif

    C’est le terrorisme individuel qui crée un climat dans lequel une telle répression peut être employée. Tout récit de la tuerie de Gibraltar qui ne ferait que discuter du rôle de l’Etat, sans aborder le moins du monde la question de ce qu’était allée y faire l’unité de l’IRA, est par conséquent déformée et unilatérale. Ce n’est qu’une fois qu’on a rempli les trous dans l’histoire que l’ensemble du tableau émerge, ce qui, en plus de démontrer la brutalité de l’Etat, nous montre aussi la futilité et, du point de vue de la classe ouvrière, la nature totalement contre-productive de la campagne de l’IRA.

    La brochure commémorative du Sinn Féin dit que les trois volontaires étaient « en service », mais sans nous fournir le moindre mot d’explication quant à la nature de leur mission. On peut effectivement affirmer, comme le fait cette brochure, qu’il n’y avait « pas de bombe », mais cela revient à s’interrompre à la moitié de la phrase. Pour que cette affirmation soit totalement véridique, il faudrait dire qu’il n’y avait « pas de bombe à Gibraltar ». Mais, cependant, sur la côte espagnole, juste à côté, dans la station balnéaire de Marbella, se trouvait une deuxième voiture remplie de 63kg de plastic accompagnés d’une minuterie, à l’horloge programmée pour 11h20, mais qui n’avait pas encore été activée.

    Il est évident que la cible intentionnelle était la cérémonie du changement de garde qui devait se produire deux jours plus tard. L’automobile garée par Sean Savage à Gibraltar avait été parquée là afin de réserver un emplacement de parking et, si le plan s’était déroulé comme prévu, aurait été remplacée, peu avant la cérémonie – qui devait prendre fin à 11h20 – par la voiture contenant la bombe.

    Il n’y aurait eu aucun avertissement. Si tout s’était déroulé selon le plan établi, les trois membres de l’IRA se seraient déjà trouvés en Espagne au moment de l’explosion, sans avoir la moindre idée du nombre de gens qui auraient pu se trouver à proximité de la voiture.

    La conséquence la plus probable aurait été un carnage horrible, qui aurait tué ou mutilé, sans aucune distinction, les membres de la fanfare militaire, mais aussi les passants et les spectateurs (hommes, femmes et enfants). Cet acte aurait été un désastre pour la propagande du mouvement républicain. Les images des civils morts ou blessés auraient été utilisées pour justifier une grande campagne anti-IRA, pas seulement en Irlande du Nord et en Grande-Bretagne, mais à travers toute l’Europe. Nous pouvons être certains que, si les trois volontaires de l’IRA avaient pu rentrer en Irlande comme si de rien n’était, nous n’aurions droit aujourd’hui à aucune brochure commémorative, aucun défilé ni meeting.

    Le bombardement d’Enniskillen

    Quatre mois avant Gibraltar, le huit novembre 1987, l’IRA avait mit en œuvre une opération qui, si l’on parle de ses objectifs immédiats, a été un succès total. Une bombe explosa à l’endroit prévu, tuant onze personnes et en blessant soixante-trois autres, gravement pour plusieurs d’entre elles. Une de ces personnes est décédée après treize jours de coma. Ceux qui avaient organisé cet attentat ont pu s’échapper sans problème. A ce jour, ils n’ont toujours pas été arrêtés.

    Lors de cet incident, appelé par la suite « l’atrocité de l’Armistice », une bombe, placée près du cénotaphe d’Enniskillen, avait été programmée pour exploser au moment où la foule se rassemblait pour commémorer les victimes de la guerre. Pour ceux qui avaient placé cette bombe, cette opération fut une grande réussite ; mais pour qui que ce soit d’autre, Enniskillen fut un désastre, pas seulement pour les familles qui en ont souffert, mais aussi un désastre pour le mouvement républicain, ouvrant même des divisions au sein de l’IRA. Sans aucune surprise, le vingtième anniversaire de l’atrocité d’Enniskillen, en novembre dernier, est passé sans que le Sinn Féin n’organise quoi que ce soit.

    Enniskillen, tout comme Gibraltar, a montré comment, après presque deux décennies de lutte armée, l’IRA considérait toute chose comme sens dessus-dessous : un « succès » à la Enniskillen signifiait une défaite et une perte de soutien, tandis qu’un échec à la Gibraltar devenait une réussite. La « lutte armée » était dans l’impasse.

    Même des événements inhabituels comme l’incident d’Andersonstown, lorsque les deux caporaux de l’armée ont foncé avec leur voiture dans le cortège funèbre de Kevin Brady, une des victimes de Milltown, ont montré comment, dans la plupart des cas, les actions de l’IRA étaient devenues contre-productives. Avec le souvenir de ce qui s’était passé à Milltown bien présent dans l’esprit de tous, les personnes présentes aux funérailles étaient déjà sur leurs gardes. Lorsque la voiture des deux soldats est passée devant la procession, a tourné dans une ruelle adjacente (pour se rendre compte que c’était un cul-de-sac…) et est revenue à toute vitesse en marche arrière en plein milieu du cortège, tout le monde a naturellement supposé que c’était une nouvelle attaque. Ils ont donc agi en conséquence. Leur suspicion a été confirmée lorsque l’un des soldats a sorti son pistolet pour tirer en l’air en guise d’avertissement. Rapidement débordés et désarmés, les soldats ont été arrachés de leur véhicule.

    S’ils avaient été emmenés, interrogés puis relâchés, toute l’attention des médias en Irlande et en Grande-Bretagne se serait penchée sur la question de savoir ce que ces soldats faisaient là et aurait vérifié la véracité de l’explication fournie par l’armée : qu’ils s’étaient trompés de rue et s’étaient retrouvés à Andersonstown par accident.

    Que s’est-il passé à Andersonstown ?

    A moins que les soldats britanniques, comme le prétendit l’IRA, se trouvaient là en mission secrète ? Et est-ce que Milltown, trois jours auparavant, n’avait pas été le résultat d’une opération similaire ? N’y avait-il pas eu un accord entre l’armée et les loyalistes afin de cibler les dirigeants républicains ? Ce ne sont là que quelques-unes des questions auxquelles les caporaux auraient été confrontés, et leurs réponses auraient permis de lever un peu le voile au sujet de la sale guerre que l’Etat était en train de mener en coulisses.

    A quoi jouaient donc ces soldats, en ce jour de funérailles ? Cela n’a jamais été réellement expliqué, et certainement pas par l’armée. Nous ne connaîtrons sans doute jamais la vérité, parce que l’IRA est vite intervenue, et que quelques minutes après avoir trouvé leur carte de militaire sur eux, l’IRA a conduit les deux soldats dans une décharge pour les exécuter.

    Cette « exécution » a en fait octroyé un énorme bénéfice à l’armée britannique. Toute l’attention a été dirigée non pas sur la raison de la présence des deux soldats au cortège, ni sur les causes de la bourde qui les a fait détecter et arrêter par la foule, mais elle se focalisa au contraire fermement sur la brutalité de l’IRA, qui avait exécuté des prisonniers alors que ceux-ci n’étaient pas seulement désarmés, mais avaient également été battus jusqu’à en perdre conscience.

    Dans une déclaration de l’époque, l’IRA, de manière incroyable, a tenté de s’affirmer sur le plan moral en se distanciant des coups que les caporaux avaient reçus. Mais ce qu’ils ont offert n’était qu’une succincte « justification » de leurs actes qui, loin d’être rassurante, était effrayante tant elle rappelait l’approche clinique des SAS dans leur fonctionnement. Leur déclaration se terminait par : « Malgré ce qu’en disent les médias, nous sommes satisfaits du fait qu’à aucun moment, nos Volontaires n’ont physiquement attaqué les soldats. Une fois leur identité confirmée, ils furent immédiatement exécutés ».

    La campagne de l’IRA s’essouffle

    A ce stade, la campagne militaire de l’IRA avait déjà bien perdu de sa vigueur. Pendant les années ‘80, l’IRA avait reçu quatre grosses cargaisons d’armes et d’explosifs en provenance de Libye – donc le plastic qui fut retrouvé à Malaga. L’IRA était armée jusqu’aux dents avec tout un arsenal d’armes qui troqué par la suite en échange d’avantages politiques. Mais, bien avant que l’IRA ne décide de rendre « hors d’usage » ces stocks d’armes, elle n’avait déjà plus du tout la possibilité de les utiliser.

    Sur le plan militaire, l’IRA était contenue. L’idée qui était fournie aux Volontaires de l’IRA au début des années ‘80 était que les armes libyennes leur permettraient de mener une offensive majeure ; mais cette idée n’a jamais été mise en pratique, et n’aurait d’ailleurs jamais pu l’être. Toute escalade de la violence aurait signifié une plus grande exposition et un plus grand risque. A ce stade, l’armée britannique avait à la fois les moyens militaires et les services de renseignement appropriés pour contrer toute action que l’IRA aurait pu entreprendre. La « grosse poussée » (« big push ») de l’IRA s’est terminée avant d’avoir pu commencer – dans le champ de tir des SAS à Loughgall.

    Au moment de Girbaltar, la direction de l’IRA n’était que trop bien consciente que leur campagne militaire ne pourrait jamais parvenir à vaincre l’Etat britannique. Le discours qu’ils employaient dans les années ’70, qui parlait d’un « retrait imminent des troupes britanniques » avait été abandonné depuis belle lurette. La direction républicaine s’était déjà repliée sur une stratégie politique ; de plus en plus d’efforts étaient investis dans la construction de leur aile politique, le Sinn Féin, et par là-même, bon gré mal gré, ils se voyaient contraints de donner moins d’importance à la lutte armée.

    Mécontentement au sein de l’IRA

    Au sein de l’IRA, les membres commençaient à soupçonner les dirigeants de s’être « attendris » au sujet de la « lutte armée », et étaient mécontents de l’attention grandissante portée à la politique. Dan McCann était un de ceux qui participaient à l’opposition à la direction d’Adams sur ce sujet. Il avait quitté l’IRA pendant un certain temps, et n’avait été persuadé de rejoindre à nouveau que quelque temps avant sa mission infortunée à Gibraltar.

    En public, la direction républicaine devait maintenir un discours affirmant que la victoire serait au final obtenue par les moyens militaires, mais en combinaison de moyens politiques. Ce n’était là qu’un message prononcé à contrecœur. Le langage déterminé des années ‘70, parlant d’un « retrait imminent des troupes britanniques », sonnait faux par rapport aux nouvelles circonstances, et avait depuis longtemps été abandonné.

    Lorsque Martin McGuinness, le Chef du Personnel de l’IRA, a pris la parole à l’anniversaire du massacre de Loughgall, il parlait toujours d’une défaite des forces britanniques par des moyens « militaires » et « politiques ». Mais les tombes au-dessus desquelles il se tenait, celles de l’unité de l’IRA oblitérée par les SAS, renvoyait un message somme toute différent. McGuinness ajouta ceci : « Mais en disant cela, je ne veux pas dire que l’IRA a la capacité de chasser chaque soldat britannique de Derry, Armagh, Down ou où que ce soit d’autre. Mais ils ont toujours la possibilité d’écœurer les forces d’occupation britanniques. » Mais il aurait été plus juste de reconnaître que, à ce stade, que l’IRA n’avait même plus la possibilité d’irriter l’armée britannique, sans même parler de « l’écœurer ».

    « Ulstérisation »

    La nature changeante du conflit a eu un autre aspect malvenu pour les républicains. La politique britannique, pendant quelque temps, avait consisté en une « ulstérisation » des forces de sécurité, semblable à la politique de « les Irakiens aux commandes » poursuivie par les Etats-Unis en Irak, mais en bien plus fructueux. La plupart de l’activité militaire du front en Irlande du Nord avait donc été confiée à des locaux, en grande majorité des protestants, regroupés dans le Régiment de Défense de l’Ulster (Ulster Defence Regiment – UDR).

    A cause de cette ulstérisation et, en général, de leur avantage militaire, le nombre de soldats britanniques tués en Irlande du Nord était retombé à un niveau qui aurait eu bien du mal à ne fût-ce qu’inquiéter l’état-major. Les pertes de l’armée britannique s’élevaient à neuf hommes en 1984, deux en 1985 et quatre en 1986. Ceci, ajouté à la baisse du bilan général depuis la fin des Troubles, signifiait que les objectifs des britanniques, définis lors d’une conférence de presse en 1971 par Reginald Maudling, Secrétaire de l’Intérieur Tory, et qui consistaient à réduire le taux de violence à un « niveau acceptable », avaient dans l’ensemble été accomplis.

    Pour les républicains, l’effet indésiré de l’ulstérisation était que c’étaient maintenant des membres de l’UDR, en plus de ceux de la RUC, qui se trouvaient en tête de la liste de l’IRA. Ce facteur accrut inévitablement le caractère sectaire de la campagne de l’IRA.

    En fait, la campagne avait été sectaire dans les faits, mais aussi parfois dans l’intention, dès son commencement. Par exemple, parmi la première vague d’attentats au début des années ‘70, il y avait des attaques sans avertissement sur des pubs protestants dans des quartiers ouvriers. Pourtant, la grande majorité des jeunes qui, à l’époque, accouraient à l’IRA la rejoignaient parce qu’ils voyaient la lutte comme une lutte contre l’Etat, et ne voulaient pas se retrouver mêlés à un conflit sectaire.

    La politique d’ulstérisation a signifié que, à partir des années ‘80, au lieu de tuer des soldats « trangers » britanniques, c’était surtout des soldats irlandais protestants qui se retrouvaient visés. Beaucoup d’entre eux étaient des volontaires à mi-temps qui se faisaient tuer en-dehors du service, souvent pendant qu’ils étaient au boulot ou sur le chemin du boulot. Quel qu’en ait été l’objectif, aux yeux de la majorité des protestants, on avait là affaire à des attaques sectaires. Dans les zones rurales, où beaucoup de victimes étaient des fermiers locaux, ces attaques furent perçues comme une preuve que l’IRA menait une campagne génocidaire, afin de chasser les protestants de leurs terres.

    Les protestants pris pour cibles

    Il y eut deux morts, après Gibraltar, qui n’ont pas été mentionnés dans la brochure commémorative du Sinn Féin. Dans un des cas, c’était parce qu’il s’agissait d’une affaire que les républicains préféreraient ne pas voir refaire surface.

    Le 18 mars, la veille de l’exécution des deux caporaux britanniques à Andersonstown, Gillian Johnston, une jeune protestante âgée de 21 ans, était assise avec son fiancé dans sa voiture, dans le petit village de Belleek, dans le Conté de Fermanagh, lorsque l’IRA a ouvert le feu sur eux. Elle fut tuée et son fiancé blessé. L’IRA a alors immédiatement publié une déclaration disant que ce meurtre était une erreur et que la cible était son frère, supposé être membre de l’UDR. La famille a très vite contredit cette affirmation, signalant qu’il n’y avait personne chez eux qui faisait partie de l’UDR.

    Pour la communauté protestante locale, c’était là une nouvelle preuve des doubles mesures employées par les républicains. L’IRA condamnait le gouvernement britannique pour ses mensonges et sa tentative d’étouffer l’affaire de Gibraltar. Mais leur propre réaction après ce meurtre a pourtant été de diffuser une déclaration qui était tout aussi mensongère.

    L’IRA condamnait les « lois martiales » qui permettaient aux SAS d’exécuter des « volontaires désarmés » à Gibraltar. Mais leur propre justification de la mort de Gillian Johnston était qu’ils cherchaient à tuer un membre de l’UDR qui, selon toute probabilité, aurait été désarmé lui aussi. Plus que ça, les trois personnes tuées à Gibralatar étaient « en service », ce qui n’aurait pas été le cas de la cible de Belleek.

    Une guerre d’usure sectaire

    Les Troubles, au milieu des années ‘80, n’étaient de plus en plus rien d’autre qu’une petite guéguerre sectaire, une guerre d’usure, dans laquelle le conflit entre les républicains et l’Etat était de plus en plus reléguée à l’arrière-plan. La contribution des milices loyalistes, dont la tâche principale consistait à effectuer des tueries sectaires perpétrées au hasard, au bilan des morts augmentait de plus en plus. Au début des années ‘90, leur action commençait à dépasser celle des républicains ; ils en arrivaient au point de se vanter du fait que plus de personnes perdaient la vie par leur action que par celle des républicains…

    Dans les jours qui ont suivit Gibraltar, on a eu droit à un exemple typique de ceci : c’est là la deuxième victime qui n’est pas mentionnée dans le matériel du Sinn Féin. Le 15 mars, le jour même où les corps des trois « martyrs » de l’IRA étaient rapatriés à Belfast, la veille de l’attaque de Michael Stone à Milltown, un jeune employé de magasin catholique a été par balle à Belfast Sud. Charles McGrillen, âgé de 25 ans, fut abattu par les Combattants pour la Liberté de l’Ulster (UFF – Ulster Freedom Fighters), un autre nom de l’Association pour la Défense de l’Ulster (UDA – Ulster Defence Association), à la succursale de Dunnes Stores où il travaillait.

    Sa mort met en lumière une autre facette des Troubles qui est systématiquement laissée de côté par tous les commentateurs ou historiens, sans même parler des propagandistes sectaires – l’importance du mouvement ouvrier. Charles McGrillen était militant syndical et délégué T&GWU (Transport and General Workers Union – Syndicat Général des Transports et des Travailleurs). Son assassinat n’était pas seulement une attaque contre les catholiques, mais aussi une attaque contre les syndicalistes et leur capacité à s’organiser sans danger.

    Il faut une réponse des syndicats

    Cette attaque demandait une réponse de la part des syndicats, dans leur ensemble. Mais à la place, les dirigeants syndicaux, y compris ceux de la T&GWU, le syndicat auquel avait appartenu Charles McGrillen, préférèrent s’asseoir sur leurs mains et maintenir un silence indigné. Cette réaction est typique du rôle – ou de l’absence de rôle – des dirigeants syndicaux tout au long des Troubles.

    La paralysie du sommet des syndicats signifiait que les membres à la base se sentaient incapables de faire quoi que ce soit face aux forces sectaires qui paraissaient invincibles. Pourtant, l’immense pouvoir détenu par la classe ouvrière avait été démontré à travers toute l’Irlande du Nord, à peine vingt-quatre heures avant la mort de Charkes McGrillen.

    Alors que les corps des victimes de Gibraltar étaient en route pour Belfast, des dizaines de milliers de travailleurs, catholiques comme protestants, s’étaient rassemblés à l’Hôtel de Ville de Belfast et devant d’autres institutions un peu partout dans le Nord, afin de protester contre les attaques du gouvernement sur les services des soins de santé. Même sans un appel clair de la part des dirigeants syndicaux à aller vers une action de grève, cette manifestation s’est dans les faits transformée en une grève générale partielle, avec plusieurs entreprises contraintes de fermer tandis que leur main d’œuvre quittait le lieu de travail pour rejoindre les travailleurs de la santé et des autres services publics à la manifestation. A Belfast, les ouvriers des chantiers navals ont défilé hors de l’usine Harland and Wolff, rencontrant en chemin les travailleurs du port de Belfast Est. Ils ont marché ensemble sur l’Hôtel de Ville. Les employés de l’Hôpital Royal Victoria et d’autres lieux de travail de Belfast Ouest les ont rejoints en cours de route. Il en était ainsi à travers toute la ville.

    Unité de la classe ouvrière

    On ne trouve aucune mention de cette manifestation dans aucune chronique des Troubles écrite par qui que ce soit. Pourtant, même lors de cette période de soulèvements de masse, de funérailles gigantesques et de défilés de milliers de personnes dans les rues, la plus grande de toutes les manifestations a bel et bien été celle-là, cet exemple éclatant d’unité de classe.

    C’était une puissante démonstration du pouvoir de la classe ouvrière mais, lorsqu’il s’agit de combattre le sectarisme ou de résister à la répression de l’Etat, l’absence de direction donnée par les responsables syndicaux a fait en sorte que ce pouvoir restait surtout un pouvoir latent.

    Les délégués et les militants de base, et surtout les membres de Militant (le prédécesseur du Socialist Party, notre section irlandaise), commençaient à organiser des grèves et des manifestations contre les tueries, mais la pression exercée sur les dirigeants syndicaux était encore trop faible que pour les forcer à appeler aux grèves et aux rassemblements de masse qui, à peine quelques années plus tard, amèneraient des dizaines de milliers de personnes dans les rues revendiquant le retrait des milices paramilitaires et qui seraient une des principales raisons à leur faire abandonner leurs campagnes.

    Du point de vue de la classe ouvrière, la véritable histoire des Troubles jusqu’alors avait été celle d’innombrables occasions perdues qui se sont transformées en défaites, toutes dues au total manque de réponse de la part des dirigeants syndicaux face aux grands événements qui allaient chambouler toute l’histoire d’Irlande du Nord. Après Gibraltar, ils ont encore laissé passer une autre occasion de se confronter aux forces sectaires.

    Ils n’avaient rien à dire au sujet des meurtres perpétrés par le gouvernement Thatcher à Gibraltar. Leur silence a donné le champ libre au Sinn Féin et au mouvement républicain pour puiser dans la colère qui soufflait sur les communautés catholiques afin de s’assurer que l’opposition à ces morts demeurait unilatérale, confinée à leur communauté.

    Car s’il est une chose dont on ne peut accuser le mouvement républicain, c’est d’inertie. Ils ont répondu de manière rapide et énergique à la nouvelle de la mort de leurs trois camarades à Gibraltar. Ils s’en sont servi pour mobiliser leur base et en ont tiré autant de capital politique que possible.

    Responsabilité des dirigeants syndicaux

    Comparons ceci avec une direction syndicale capable de faire sortir dans les rues des dizaines de milliers de personnes pour protester contre les coupes budgétaires dans les soins de santé, mais qui, un jour plus tard, n’ont absolument rien fait lorsqu’un de ses propres militants s’est fait tuer par la section Belfast Sud de l’UDA, une force notoirement meurtrière et sectaire. S’ils avaient répondu avec même seulement un dixième de l’énergie et de l’initiative dont les républicains avaient fait preuve pour promouvoir leur propre cause, ils auraient pu, par exemple, faire fermer les supermarchés et organiser une manifestation massive de pure colère ouvrière, le jour des funérailles de Charles McGrillen.

    Et, s’ils l’avaient fait, ils auraient été capables, mais aussi forcés, d’organiser une manifestation de même envergure trois jours plus tard, lorsque l’IRA a assassiné Gillian Johnson. La classe ouvrière aurait pu émerger renforcée de tous ces troubles, ayant porté un grand coup aux forces sectaires des deux camps. Mais au lieu de ça, les dirigeants syndicaux ont gâché cette occasion qui leur était offerte, et le mouvement républicain a été, et est toujours, capable de tirer profit d’événements qui, lorsqu’on les analyse correctement, révélaient la faillite de leurs méthodes.

    Ce qui s’est passé après Gibraltar, c’était cela la véritable histoire des Troubles jusque là ; une longue litanie d’occasions manquées à cause de l’attitude d’autruche adoptée par la direction syndicale. Vingt ans plus tôt, le mouvement ouvrier aurait pu diriger l’Histoire dans une toute autre direction s’il s’était placé à la tête de la campagne pour les droits civiques, s’était courageusement opposé à la réaction oppressante de l’Etat unioniste et avait lié cette lutte à celle pour des emplois, des logements décents, des salaires adéquats et des services publics pour tous les travailleurs, catholiques comme protestants. S’il avait fait cela, le mouvement ouvrier aurait offert une organisation plus accueillante et une meilleure méthode de lutte pour la génération de jeunes catholiques qui, poussés par la colère et la frustration, se sont alignés derrière l’IRA.

    Au lieu de cela, la direction syndicale a choisi de rester en-dehors de tous ces enjeux, se contentant d’appeler au calme, ce qui, dans les faits, consistait plus en un soutien tacite aux sections « modérées » ou « réformistes » du gouvernement. Et c’est sans mentionner le Parti Travailliste d’Irlande du Nord, vacillant, alors qu’il avait eu le potentiel pendant les années ‘60 de se développer en une force politique de masse, mais qui avait rapidement adopté une position sectaire pro-unioniste. En conséquence de cela, il a totalement été désintégré.

    Les conséquences de la faillite des dirigeants sociaux-démocrates

    La conséquence de tout ceci a été que la couche la plus radicalisée des jeunes ouvriers catholiques a été perdue au profit du républicanisme. La plupart se sont tournés vers l’IRA Provisoire (une scission de l’IRA « officielle »), malgré sa direction extrêmement sectaire et très à droite, en croyant erronément que ses méthodes apparemment plus militantes étaient la meilleure manière de résister et de faire avancer la lutte pour une Irlande socialiste. De son côté, afin de temporairement satisfaire la nouvelle génération de jeunes recrues, les vieux dirigeants républicains ont du tenter d’aromatiser leur nationalisme de droite avec une rhétorique populiste de gauche, y compris, de temps à autre, des références au socialisme.

    Mais leur véritable message n’était jamais rien de plus qu’une version réchauffée de la vieille idée qui empoisonne la politique irlandaise depuis la Guerre d’Indépendance, l’idée que « le Travail doit attendre ». D’abord, tous les nationalistes, de gauche comme de droite, patrons et employés, fermiers et ouvriers agricoles, doivent s’unir pour mettre un terme à la séparation et pour réunifier le pays ; ensuite seulement, la lutte pour le socialisme pourra-t-elle commencer. Mais puisqu’il n’y a jamais eu la possibilité de passer outre la résistance protestante, et en particulier la résistance de la classe ouvrière protestante, à l’idée d’une Irlande capitaliste unifiée, le socialisme est resté un idéal pour un futur que l’on n’atteindrait jamais. Ceux qui ont rejoint l’IRA ont non seulement signé pour une campagne militaire vouée à l’échec mais aussi pour une idéologie politique qui, au fond, n’était rien de plus que le même vieux nationalisme de droite, sous un emballage différemment.

    Au moins, l’ancienne direction de droite, basée dans le Sud pendant les années ‘60 et ‘70 rendait parfois un hommage à l’objectif socialiste. Mais on ne peut certainement pas en dire autant des dirigeants d’aujourd’hui. La vitesse à laquelle la direction républicaine actuelle a viré à droite aurait laissé bouche bée même la vieille garde. Tout comme leurs frères d’idéologie à la tête du « New Labour », Adams (Gerry Adams, président du Sinn Féin) et sa bande ne se soucient même plus de ne fût-ce que mentionner le socialisme de temps en temps, soucieux qu’ils sont d’éviter tout propos qui pourrait diminuer leurs chances de se faire accepter comme partie prenante de l’establishment politique.

    Le Sinn Féin passe au capitalisme

    Ils adoptent maintenant le marché et le capitalisme de manière ouverte, enthousiaste, énergique. Ils nous l’ont encore rappelé via leur brochure commémorative. Sur la première page du journal qui accompagnait la brochure, à côté d’une photo de Gerry Adams, il y a un article qui reprend un discours que le sieur a donné à une réunion d’entrepreneurs à Belfast-Ouest, le 14 février : « Je veux être bien clair sur le fait que le Sinn Féin n’est pas anti-business. Nous sommes pro-business. Le Sinn Féin veut voir les affaires de tout le monde prospérer. Nous voulons voir des investissements dans des zones telles que Belfast-Ouest, qui ont été délibérément négligées pendant si longtemps. » Voilà le Sinn Féin relooké, version 2008. On est bien, bien loin de l’image de lutte qu’ils ne peuvent maintenant plus se donner qu’en rappelant aux gens la manière dont les choses tournaient il y a une vingtaine d’années.

    Avant qu’ils aient proposé d’organiser une célébration de la vie de Mairéad Farrell dans la Longue Gallerie à Stromont, il y a une question que le Sinn Féin aurait du se poser. Non pas la question de savoir si leurs amis de coalition du DUP se seraient sentis offensés par cette idée. Non, la vraie question qu’il aurait fallu se poser était celle-ci : Mairéad Farrell aurait-elle souhaité que sa vie fût célébrée dans cette salle ? Ou, posée différemment : aurait-elle considéré la présence des Ministres Sinn Féin dans une institution de droite de l’Irlande du Nord, aux côtés de leurs ex-ennemis jurés du DUP, valait la peine de tous ces sacrifices, de la prison, de la grève de la faim, de Gibraltar ?

    Le commentaire qu’a fait Mairéad Farrell lorsqu’elle a été libérée de la prison pour femmes d’Armagh en 1986 suggère qu’elle aurait répondu par la négative. Décrivant ce que la lutte signifiait pour elle, elle a déclaré: « Je suis socialiste, définitivement, et je suis républicaine. Je crois en une Irlande unie : une Irlande unie et socialiste, définitivement socialiste. Le capitalisme ne fournit aucune solution du tout pour notre peuple, et je pense que c’est là le principal intérêt des Brit’s en Irlande. »

    Bien entendu, Mairéad Farrell, si elle avait vécu, aurait pu elle aussi suivre le virage à droite effectué par Adams et le reste de la direction actuelle du Sinn Féin. Mais nous ne sommes pas en droit de supposer quoi que ce soit – elle est morte, détentrice d’une vision bien différente de celle adoptée de nos jours par Adams et compagnie – et n’ils n’ont pas ce droit non plus.

    Vingt ans plus tard, la véritable leçon de tout ce qui s’est passé à Gibraltar et après, est qu’il est nécessaire de construire une alternative socialiste combative face au sectarisme et au capitalisme, de sorte que les énergies de la nouvelle génération ne soient pas gâchées par des idées et des méthodes qui sont d’avance vouées à la défaite.

  • ISLAM & SOCIALISME

    Dans cet article, Hannah SELL explique l’approche des marxistes pour combattre l’islamophobie en tirant les leçons de la politique des bolcheviks dans le sillage de la révolution russe. Si beaucoup de données ne concernent que la Grande-Bretagne et sont un peu datées, la situation n’est pas fondamentalement différente actuellement en Belgique. L’approche adoptée dans cet article reste une aide d’importance.

    Publié en octobre 2004 dans « Socialism Today », revue du Socialist Party, section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et pays de Galles.

    Entre un et demi et deux millions de musulmans vivent aujourd’hui en Grande-Bretagne. Rien qu’à Londres, ils sont issus de 50 groupes ethniques différents. Ils représentent une des sections les plus pauvres de la société britannique : un musulman économiquement actif sur sept est au chômage, comparé à 1 sur 20 pour le reste de la population. Les deux communautés musulmanes les plus importantes de Grande-Bretagne, originaires du Pakistan et du Bangladesh, sont particulièrement appauvries. En 1999 par exemple, 28% des familles blanches vivaient en dessous du seuil de pauvreté comparé aux 41% d’Afro-Caribéens et aux 84% de familles bengalaises (une étude de l’université d’Anvers a récemment mis en lumière le fait que 58% de la population d’origine marocaine vit en Belgique sous le seuil de pauvreté, pour 15% de la population globale, NDT)

    L’histoire des musulmans de Grande Bretagne est une histoire de pauvreté et de discrimination. Historiquement, la discrimination contre les musulmans en Grande-Bretagne a été un des nombreux aspects du racisme de la société capitaliste. Sous différentes formes, le racisme a été un élément intrinsèque du capitalisme depuis son origine. Lors de la dernière décennie et en particulier depuis l’horreur du 11 septembre 2001, il n’y a aucun doute que les préjugés anti-musulmans – l’islamophobie – ont augmenté de façon dramatique. Alors que d’autres aspects du racisme sont déjà présents, les musulmans sont confrontés aux manifestations les plus aigües de discriminations. Le gouvernement verse des larmes de crocodile sur cette hausse du racisme contre les musulmans et ceux que les gens «perçoivent» comme étant des musulmans. Mais c’est la politique gouvernementale qui est responsable d’une augmentation de 41% du nombre d’arrestations et de fouilles contre les populations asiatiques. Plus fondamentalement, la participation du gouvernement aux guerres brutales contre l’Irak et l’Afghanistan (deux pays à majorité musulmane), avec toute la propagande qui accompagne ces interventions et qui dénigre les populations de ces deux pays, a inévitablement fait monter l’islamophobie.

    L’ancien ministre de l’intérieur David Blunkett a suggéré que les minorités ethniques devaient faire de plus grands efforts pour «s’intégrer» à la société britannique, en blâmant les musulmans et les autres communautés pour la montée du racisme. En réalité, c’est le contraire qui est exact. Plus la société est hostile envers eux, plus les minorités ethniques et religieuses vont s’identifier uniquement à leurs propres communautés. Le renforcement de l’identification de beaucoup de musulmans à leur religion et à leur culture a ainsi nettement augmenté. Selon une étude récente, 74% des musulmans britanniques considèrent que leur religion a une influence importante sur leur vie quotidienne, contre 43% chez les Hindous et 46% chez les Sikhs. Nombreuses sont les raisons qui expliquent cela, mais il ne fait aucun doute que la montée des préjugés contre l’Islam a conduit beaucoup de jeunes à défendre leur religion en renforçant leur identification à celle-ci.

    Cependant il n’est pas vrai de dire que les jeunes musulmans de Grande-Bretagne s’identifient seulement ou premièrement au pays d’où ils, ou plus souvent leurs parents ou grands parents, sont originaires. Les deux tiers de tous les musulmans de Grande-Bretagne ont moins de 25 ans. Ayant été élevés en Grande-Bretagne, la plupart d’entre eux ont une double identité, à la fois partie intégrante de la Grande-Bretagne et aliénés par celle-ci. Ces jeunes ont grandi dans une société où ils se sentent sous la menace constante d’une arrestation à cause de leur couleur ou de leur religion. Ils sont confrontés aux discriminations dans l’enseignement et sur le lieu de travail et ont été enragés par la propagande de guerre impérialiste du gouvernement. Mais seule une petite minorité a tiré la conclusion erronée que le barbare terrorisme de masse de la part d’organisations islamiques réactionnaires comme Al Qaïda offre une alternative. Contrairement à ce qu’affirme la presse à scandales, 73% des musulmans de Grande-Bretagne sont fortement opposés aux attaques terroristes. En même temps, le potentiel qui existe pour un mouvement unifié capable d’impliquer les musulmans a été illustré par les centaines de milliers de musulmans qui ont participé, avec d’autres sections de la population, au mouvement anti-guerre durant les plus grandes manifestations qui se sont jamais déroulées en Grande-Bretagne.

    Comment les marxistes doivent-ils aborder la question des communautés musulmanes vivant en Grande-Bretagne? Notre point de départ est d’être fermement opposés aux discriminations anti-musulmanes en défendant le droit de chaque musulman à pouvoir vivre sans subir l’islamophobie, indépendamment de sa classe ou de sa conception de la religion. Concrètement, cela signifie de lutter pour le droit des musulmans à pratiquer librement leur religion, y compris en choisissant librement de porter ce qu’ils veulent. Le véritable marxisme n’a rien à voir avec ceux de l’extrême gauche française qui ont refusé de s’opposer aux exclusions des jeunes femmes musulmanes qui portaient un voile à l’école. Nous devons activement défendre le droit de chacun de pratiquer la religion qu’il choisit (ou de n’en pratiquer aucune) sans avoir à subir de discrimination ou de préjugés.

    Cela ne signifie cependant pas que nous percevons la population musulmane dans sa totalité comme un bloc homogène et progressiste. Au contraire. Plusieurs facteurs, comme la classe, l’origine ethnique et la conception de la religion divisent la population musulmane. Il y a en Grande Bretagne 5.400 musulmans millionnaires, dont la plupart ont fait leur fortune en exploitant d’autres musulmans, et de petites communautés musulmanes sont très riches. Ainsi, 88 Koweïtiens, dont la plupart résident en Grande Bretagne, ont investi 55 milliards de Livres Sterling dans l’économie britannique. Alors que nous avons à défendre les droit de ces milliardaires de pratiquer leur religion sans répression, nous avons aussi à convaincre les travailleurs musulmans qu’ils ont des intérêts diamétralement opposés à ces individus et que la voie vers la libération se trouve dans la cause commune avec les autres sections de la classe ouvrière à travers le monde mais, comme ils vivent en Grande Bretagne, en premier lieu avec la classe ouvrière britannique.

    En tant que révolutionnaires socialistes, le programme que nous mettons en avant doit toujours avoir pour objectif d’encourager l’unité de la classe ouvrière en tant qu’élément du processus d’élévation de sa confiance et de son niveau de compréhension. C’est la raison pour laquelle notre organisation sœur en Irlande du Nord a toujours lutté pour l’unité des travailleurs catholiques et protestants. Dans la Grande-Bretagne d’aujourd’hui, les politiques réactionnaires de Tony Blair et du New Labour (le Parti Travailliste) créent des divisions que nous devons tenter de surmonter.

    Historiquement, il y a de fortes traditions d’unité entre les travailleurs musulmans et les autres sections de la classe ouvrière en Grande-Bretagne. Elles proviennent du rôle important joué par les meilleurs éléments du mouvement ouvrier dans la lutte contre le racisme. Par conséquent, les travailleurs noirs et asiatiques, y compris les musulmans, ont tissé un lien fort avec le mouvement ouvrier, bien que la majorité d’entre eux ne provenait pas initialement d’un milieu urbain dans leur pays d’origine. Dans les années ‘70, les travailleurs noirs et asiatiques ont joué un rôle clé dans plusieurs luttes industrielles. En 1976, la grève de Grunwicks contre les bas salaires, qui a largement impliqué des femmes asiatiques, a été une des batailles cruciales de cette décennie.

    Un des résultats de ces traditions positives a été que, jusqu’à récemment, les musulmans de Grande-Bretagne ont eu tendance à soutenir le Labour Party. Une étude réalisée en 1992 a par exemple conclu que «les musulmans sont loyaux envers le Parti Travailliste car ils le voient comme un parti qui œuvre pour la classe ouvrière et aussi parce que le Parti Travailliste est de loin le moins raciste à la fois dans son attitude et dans sa pratique comparé aux autres partis, en particulier face au Parti Conservateur». Un sondage de l’institut MORI réalisé après les élections de 1997 a démontré que 66% des électeurs asiatiques et 82% des électeurs noirs ont voté pour le Parti Travailliste, un taux beaucoup plus élevé que la moyenne nationale de 44%. En comparaison, les Conservateurs ont obtenu seulement 22% du vote asiatique.

    Cependant, le New Labour d’aujourd’hui ne représente en aucune façon les intérêts des travailleurs. Au contraire, le Parti Travailliste est maintenant un parti favorable à la classe dirigeante dans lequel les syndicats sont sans pouvoir. Il n’est donc pas étonnant que non seulement les musulmans mais aussi la majorité des travailleurs ne croient plus que le Labour Party est «pour eux». La désillusion est particulièrement profonde parmi les électeurs musulmans issus de la classe ouvrière. Les politiques racistes du New Labour, malgré qu’elles aient un vernis plus sophistiqué que celles des Tories, ont profondément désillusionné la plupart des musulmans. Mais c’est la guerre en Irak qui a agi de façon à rompre de façon décisive le soutien que beaucoup de musulmans accordaient encore au Labour Party. Un sondage d’opinions réalisé avant les élections Européennes a rapporté que le soutien au Labour Party a chuté de 75% chez les électeurs musulmans à seulement 38% lors des élections générales.

    Le mouvement anti-guerre a donné un aperçu du potentiel de ce que signifie gagner les travailleurs musulmans désillusionnés par le Labour à une alternative de classe. Ce processus n’est cependant pas automatique. Une condition vitale est qu’après la trahison complète du New Labour, le mouvement ouvrier prouve encore et encore dans la pratique qu’il est déterminé à combattre le racisme et l’islamophobie. Mais les marxistes doivent aussi défendre une approche de classe et socialiste concernant les musulmans. Le fait que les musulmans et les révolutionnaires socialistes marchent ensemble dans le mouvement anti-guerre constitue un véritable pas en avant. Mais nous ne devons pas laisser nos discussions avec les musulmans anti-guerre au niveau de notre opposition commune à l’occupation impérialiste de l’Irak. Nous devons étendre les discussions à des questions de classe ici, en Grande-Bretagne, y compris sur la question d’un programme et d’une stratégie aptes à combattre les privatisations et les coupes budgétaires du New Labour. Nous devons aussi soulever la nécessité d’une alternative politique au New Labour – un nouveau parti de masse qui rassemble le mouvement anti-guerre, les syndicalistes et les militants contre la casse sociale – un parti qui représente et organise toutes les sections de la classe ouvrière.

    Au cours de ces discussions, il sera parfois nécessaire de soulever des questions sur lesquelles il n’y a pas d’accord complet entre les marxistes et certains musulmans. Par exemple, face au racisme qui existe dans la société capitaliste, un nombre croissant de musulmans revendiquent de façon compréhensible des écoles musulmanes séparées. Nous devons d’une part lutter contre le racisme et la discrimination à l’école, ainsi que pour le droit de tous les étudiants d’avoir les commodités pour pratiquer leur religion, mais, d’autre part, cela n’implique pas le soutien à la création d’écoles musulmanes séparées, pas plus que nous ne soutenons d’autres écoles religieuses. Nous devons patiemment expliquer que cette voie amènera à une plus grande ségrégation et à une plus grande isolation des communautés musulmanes qui, en retour, mèneront à faire croître le racisme contre eux.

    De même que nous luttons pour le droit des jeunes musulmanes à choisir de porter le voile, il est aussi clair que nous soutenons le droit de celles qui choisissent de ne pas le porter, même lorsque cela signifie d’entrer en conflit avec d’autres musulmans.

    L’approche erronée de RESPECT

    Malheureusement, cette approche de classe n’a pas été adoptée par le Socialist Workers Party (SWP). RESPECT, la nouvelle coalition électorale qu’il a formé avec le député George Galloway a obtenu quelques succès électoraux, largement grâce à l’appel lancé aux musulmans. Lors des élections européennes, RESPECT a tiré un tract spécifique destiné aux musulmans qui présentait RESPECT comme «le parti des musulmans». George Galloway a été présenté comme un combattant pour les musulmans et décrit de cette manière : «Marié à une doctoresse palestinienne, il a de forts principes religieux concernant la lutte contre l’injustice. Il a été exclu par Blair parce qu’il a refusé de s’excuser pour son attitude anti-guerre. Nos députés musulmans soit sont restés silencieux, soit ont soutenu la guerre. De qui voulez vous pour être votre voix ?»

    Alors qu’il est juste de présenter les références anti-guerre de Galloway et de dénoncer les députés musulmans qui ont refusé de s’opposer à la guerre, le reste de sa déclaration est une tentative hautement opportuniste de faire appel aux musulmans sur base de leur religion. Au lieu de cela, les véritables socialistes doivent tenter de convaincre les musulmans qu’ils peuvent atteindre par les idées socialistes, et parmi eux plus spécifiquement les jeunes musulmans issus de la classe ouvrière (la majorité de la population musulmane de Grande-Bretagne).

    Si RESPECT avait profité de cette situation pour gagner des musulmans ainsi que d’autres sections de la classe ouvrière au véritable socialisme, cela aurait été louable. Mais au lieu de cela, ils ont fait appel aux musulmans en tant que bloc dans l’espoir d’obtenir des gains électoraux à court terme. En fait, l’histoire de l’engagement des musulmans en politique a démontré que cette approche ne marche pas. Il n’y a aucun doute à avoir sur le fait que quelques politiciens musulmans du New Labour se sont engagés en politique dans l’intention d’aider leur communauté. Cependant, à moins d’avoir eu une approche socialiste, ils ont échoué à le faire. C’est par exemple une position complètement erronée de la part de Galloway d’expliquer qu’il ne se présente pas contre Mohamed Sawar, député de Glasgow Govan, parce qu’il est musulman. Sawar a constamment voté avec le New Labour sur toutes les questions. Bien qu’il ait voté contre la guerre, il a depuis lors voté avec le reste de son parti à chaque occasion, même sur la question de l’Irak. Le fait qu’il soit musulman ne signifie pas qu’il défende les intérêts des musulmans ordinaires. Au niveau local, les conseillers musulmans tendent à être issus des petites élites musulmanes plutôt que d’être issus de la classe ouvrière. Mais le plus important, c’est que la majorité d’entre eux a adopté les politiques blairistes du New Labour.

    Mais RESPECT ne fait pas qu’échouer à élever la conscience de classe parmi les musulmans. Si elle continue sur cette voie, la coalition peut entretenir des divisions dangereuses parmi la classe ouvrière entre les musulmans et les autres communautés. Si RESPECT a des succès en étant vu comme un parti musulman qui ne s’adresse pas aux autres sections de la classe ouvrière, il peut éloigner les autres sections de la classe ouvrière et renforcer les idées racistes.

    Malheureusement, cela semble être la voie que Respect a prise. Lors des récentes élections au Sud de Leicester, RESPECT a obtenu un résultat électoral non négligeable. Sa candidate était Yvonne Ridley, la journaliste qui s’est convertie à l’islam après avoir été capturée par les talibans en Afghanistan. Encore une fois, RESPECT a fait appel à la communauté musulmane sur une base purement religieuse. Le tract spécial qu’elle a destiné à la communauté musulmane faisait référence à un dirigeant local de la communauté qui a dit que Ridley était «la seule candidate MUSULMANE» et que «les musulmans vont jouer un rôle clé lors de l’élection». Le tract n’indiquait pas d’autres raisons de voter pour RESPECT.

    La révolution russe comme justification

    En vue de justifier aujourd’hui son opportunisme politique en Grande-Bretagne, le SWP a cherché dans l’histoire de quoi appuyer son approche avec un exemple. C’est dans ce cadre que Socialist Review, publication du SWP, a publié un article de Dave Crouch avec lequel le SWP a crû justifié sa position en se basant sur l’attitude des bolcheviks après la révolution.

    Alors que l’article de Crouch donne un compte-rendu intéressant des évènements qui se sont produits, en utilisant un ton inégal et une emphase clairement façonnée pour justifier l’attitude du SWP envers RESPECT, il désinforme ses lecteurs. Dans un article beaucoup plus long sur le même sujet, publié en 2002 dans le journal théorique du SWP International Socialism, Crouch démontre pourtant qu’il est capable d’adopter une approche un peu plus objective. Ironiquement, dans cet article là, il critiquait un auteur au sujet de «la politique nationale [des bolcheviks qui s’est développée] dans un isolement presque hermétique de la société pré-révolutionnaire à la contre-révolution stalinienne». Mais dans Socialist Review il a reproduit l’erreur qu’il critiquait en ne voyant pas les différences énormes existant entre la situation des marxistes aujourd’hui en Grande-Bretagne et celle de la Russie durant les années qui ont immédiatement suivi la Révolution de 1917. Il a alors simplement déclaré que «nous pouvons apprendre des bolcheviks et nous inspirer des réalisations faites par les bolcheviks».

    Par exemple, l’Armée Rouge a participé à de nombreuses alliances militaires avec des forces pan-islamiques. Cependant, il s’agissait d’une situation de guerre civile et de nombreuses armées capitalistes attaquaient et essayaient d’écraser la première révolution victorieuse en collaboration avec les classes dirigeantes locales, dominées par les grands propriétaires terriens. La guerre civile était particulièrement intense dans les zones à prédominante musulmane d’Asie Centrale. Les comparaisons directes à faire avec la Grande-Bretagne actuelle sont évidemment très limitées…

    Cela ne signifie aucunement qu’il n’y a pas de leçons à tirer du travail de pionniers des bolcheviks. Mais l’article de Crouch ne dévoile que la moitié de l’histoire. Il se concentre presque exclusivement sur des points tels que l’union entre les dirigeants musulmans et les bolcheviks sans expliquer les divergences politiques, les conflits et les complications qui ont existé ou encore comment les bolcheviks ont essayé de gagner les masses musulmanes au programme marxiste. Sans toutefois le dire explicitement, l’article donne aussi l’impression complètement incorrecte selon laquelle l’islam était intrinsèquement plus progressiste que les autres religions parce que c’était la religion des peuples opprimés et colonisés et encore que les bolcheviks avaient traité les populations musulmanes d’une façon fondamentalement différente des autres religions.

    En fait, Vladimir Lénine et Léon Trotsky ont correctement traité les droits religieux de toutes les minorités opprimées avec une attention et une sensibilité extrême, consécutive de leur approche sur la question nationale. Leur objectif était de minimiser systématiquement les divisions et les différences entre les sections de la classe ouvrière. Ils avaient compris que, pour la réalisation de cet objectif, il était nécessaire de démontrer encore et encore que le pouvoir des Soviets était la seule voie vers la libération nationale pour les nationalités opprimées par ce qui avait été l’empire russe des Tsars (que Lénine appelait la «prison des peuples»). Mais jamais ils n’ont cependant baissé la bannière de l’unité internationale de la classe ouvrière. Quand des concessions étaient faites à des forces nationalistes, il était ouvertement et honnêtement expliqué pourquoi de telles concessions étaient nécessaires, et en même temps les bolcheviks continuaient à argumenter clairement en faveur d’un programme marxiste parmi les masses des territoires opprimés.

    Le contexte de l’époque doit être soigneusement regardé. Les bolcheviks agissaient dans des circonstances de difficultés phénoménales. Par la suite, malgré le potentiel existant dans d’autres pays pour des révolutions victorieuses, ces dernières n’ont pas pu aboutir et le premier Etat ouvrier s’est retrouvé isolé dans une situation d’arriération économique avec une domination paysanne. Finalement, ces facteurs ont permis l’émergence du stalinisme ainsi que l’écrasement de la démocratie ouvrière par le fait d’une hideuse bureaucratie.

    Ces conditions extrêmes, la survie de la révolution ne tenait alors qu’à un fil, ont forcé l’Etat ouvrier à faire des concessions à tous les niveaux. En 1921 – alors qu’il était clair qu’on ne pouvait pas compter sur une révolution victorieuse dans un autre pays à court terme – Lénine a été forcé de proposer la Nouvelle Politique Economique (NEP) pour éviter un retour aux privations et aux famines de masse. Cela impliquait des concessions envers le marché. Ces difficultés matérielles écrasantes ont inévitablement eu un effet sur la capacité de l’Etat ouvrier à appliquer ses politiques dans de nombreux domaines.

    Néanmoins, l’approche de Lénine et Trotsky vis-à-vis des droits nationaux, religieux et ethniques en particulier a constitué un modèle dans le sens où elle a combiné la sensibilité envers les aspirations nationales à une approche de principe. Cela n’a rien de commun ni avec l’opportunisme du SWP, ni avec l’approche rigide et étroite de quelques autres parmi la gauche.

    Le droit des nations à l’autodétermination

    L’approche utilisée par les bolcheviks vis-à-vis des populations musulmanes ne découle pas en première instance de la question de la religion en elle-même, mais plutôt de la manière dont la religion était en rapport avec le droit des nations à l’autodétermination. L’unification des pays et la solution à la question nationale est une des tâches clés de la révolution démocratique bourgeoise, ce qui inclut l’élimination des rapports terriens féodaux et semi-féodaux ainsi que l’instauration de la démocratie bourgeoise. Ces tâches n’ont jamais été achevées dans la Russie tsariste qui était en fait une monarchie absolue semi-féodale. Les bolcheviks avaient compris qu’étant donné le développement tardif de la bourgeoisie en tant que classe en Russie et sa crainte mortelle des mouvements révolutionnaires de la classe ouvrière, la bourgeoisie russe était incapable de réaliser les tâches de sa propre révolution.

    C’est Trotsky, avec sa théorie de la révolution permanente, qui a été le premier à tirer la conclusion que ces tâches devaient être l’œuvre de la classe ouvrière à la tête des masses paysannes. Trotsky a expliqué que, aussi important que pouvait être le rôle de la paysannerie, elle ne pouvait être capable d’agir de façon indépendante à cause de son caractère hétérogène et dispersé. La paysannerie est toujours à la suite soit de la classe dirigeante, soit de la classe ouvrière.

    Trotsky a continué à expliquer que la classe ouvrière ne se limiterait pas à l’accomplissement des tâches de la révolution démocratique bourgeoise mais passerait ensuite aux tâches de la révolution socialiste de façon «ininterrompue». Lénine avait tiré la même conclusion plus tard, dans ses «Thèses d’Avril» de 1917. Et effectivement, lors de la Révolution d’Octobre 1917, la classe ouvrière a dépassé les tâches de la révolution démocratique bourgeoise pour commencer à effectuer celles de la révolution socialiste.

    Ces tâches étaient de loin plus grandes dans les territoires de l’empire russe que dans la Russie elle-même. Les différentes régions avaient des caractéristiques différentes, mais l’image générale était celle d’économies extrêmement sous-développées et de populations constituées de façon écrasantes de paysans pauvres. Si la bourgeoisie libérale était faible et lâche en Russie, elle n’existait tout simplement pas dans la plupart de ces territoires. La classe ouvrière y était surtout constituée d’émigrés russes et les quelques bolcheviks présents avant la révolution étaient issus de cette couche de la population. Tous ces facteurs étaient particulièrement aigus en Asie centrale, région à dominante musulmane. Il est toutefois faux de conclure que les caractéristiques d’arriération d’Asie centrale avaient un lien avec cette dominante musulmane. Ces caractéristiques étaient le résultat des relations économiques et sociales féodales et la situation était peu différente dans des régions similairement sous-développées mais à dominante chrétienne.

    Lénine et Trotsky ont compris quelles étaient les énormes difficultés auxquelles le nouvel Etat ouvrier devait faire face pour résoudre la question nationale dans ces régions. La domination impérialiste par le tsarisme russe s’était profondément fait sentir et des luttes déterminées et sanglantes s’étaient déroulées contre cette oppression aussi récemment qu’en 1916. Il était donc vital de démontrer encore et encore aux nationalités qui avaient été opprimées par le tsarisme que le pouvoir soviétique n’était pas une nouvelle forme d’impérialisme, mais bien la seule voie par laquelle ils pouvaient obtenir leur libération.

    En conséquence, la constitution adoptée en juillet 1918 affirmait clairement que les soviets régionaux basés sur «un mode de vie et une composition nationale particuliers» pouvaient décider s’ils voulaient intégrer la République Socialiste Fédérale de Russie et sur quelle base. Cependant, les constitutions seules ne suffisent pas. La réalisation des tâches de la révolution démocratique bourgeoise signifiait d’assister le développement d’une culture nationale qui n’avait pas eu d’espace pour se développer auparavant. Par exemple, après des décennies de «russification», l’utilisation des langues locales a été encouragé, ce qui a aussi signifié dans plusieurs cas de développer pour la toute première fois une forme écrite de l’une ou l’autre langue.

    Il n’y a là aucune contradiction entre cette approche et l’internationalisme des bolcheviks. Ce n’est qu’en se révélant être la meilleure combattante pour la libération nationale des opprimés que la Russie des soviets pouvait montrer que la voie de la libération était liée à la classe ouvrière mondiale, et plus spécifiquement à la classe ouvrière de Russie. Cependant, cette approche n’a pas été comprise par tous les bolcheviks. Une certaine couche d’entre eux a vu dans le droit à l’autodétermination des nations quelque chose de contraire à leur internationalisme. Cette analyse a en réalité joué le jeu du nationalisme Grand Russe. Mais c’est au contraire l’approche extrêmement habile et sensible de Lénine qui a eu pour effet que la République Socialiste Fédérale de Russie a réussi à intégrer sur une base libre et volontaire beaucoup de nationalités auparavant opprimées par le tsarisme.

    L’approche des bolcheviks envers l’islam

    Comme l’islam avait été réprimé par le tsarisme, et était aussi réprimé par les impérialismes français et britanniques à travers le monde, il était inévitable que le droit des musulmans à pratiquer leur religion devienne un élément central des revendications des masses musulmanes. Les bolcheviks ont reconnu ce droit et ils étaient extrêmement sensibles sur ce point, de la même manière qu’ils l’avaient été avec les autres religions opprimées comme le bouddhisme et le christianisme non orthodoxe.

    Mais Dave Crouch va trop loin quand il affirme que «les bolcheviks ont eu une attitude très différente (envers l’islam) comparé au christianisme orthodoxe, la religion des brutaux colonisateurs et missionnaires russes». Il ajoute que «1.500 russes ont été chassés du parti communiste du Turkestan à cause de leurs convictions religieuses, mais pas un seul Turkestani». C’est une simplification excessive. Les russes ont été exclus pour avoir poursuivi l’oppression de la Russie impériale sous le nom de la révolution, et non simplement à cause de leur religion.

    Bien sûr, les bolcheviks avaient compris le rôle profondément réactionnaire du christianisme orthodoxe dans les territoires de l’empire tsariste en tant qu’instrument de l’oppression grand russe. Néanmoins, en particulier en Russie même, le christianisme orthodoxe avait une double nature. C’était à la fois la religion oppressive des tsars ainsi que ce que Marx appelait «le soupir de la créature opprimée» des masses russes. Lénine pensait aussi aux millions de travailleurs, en particuliers paysans, qui croyaient toujours en la foi chrétienne orthodoxe en disait que «nous sommes absolument opposés à offenser les convictions religieuses».

    Le véritable marxisme de Lénine et des bolcheviks n’a aucune ressemblance avec les crimes ultérieurs de Staline. A partir d’un point de vue matérialiste, et donc athée, les bolcheviks ont de façon correcte été favorables au droit de chacun à suivre la religion qu’il souhaitait, ou de n’en suivre aucune. Ils avaient compris que cela signifiait la séparation complète de la religion et de l’Etat. La religion d’Etat a été un des piliers majeurs de l’oppression dans la société féodale et, avec quelques modifications, le capitalisme continue d’ailleurs toujours à l’utiliser. Dans la Russie semi-féodale, le mécanisme du christianisme orthodoxe (la religion d’Etat) était une force aux mains de la réaction. Mais, bien que de façon différente, cela était aussi le cas de l’islam dans les républiques à dominante musulmane. Alors que le christianisme orthodoxe était la religion de l’oppression coloniale et l’islam une religion opprimée qui avait un soutien écrasant de la part des masses pauvres, l’élite indigène a tenté d’utiliser l’islam comme outil pour la contre-révolution. La séparation de l’église et de l’Etat en Asie centrale n’a pas seulement concerné le christianisme orthodoxe, mais aussi l’islam. Les bolcheviks avaient adopté cette approche au risque d’obtenir des conflits avec certaines sections de musulmans. Par exemple, en résultat de cette politique, des parents musulmans ont dans certaines régions refusé d’envoyer leurs enfants à l’école.

    Mais, tout en argumentant en faveur de la séparation de la religion et de l’Etat, les bolcheviks étaient très prudents pour éviter de donner l’impression qu’ils imposaient d’en haut la société «russe» à l’Asie centrale. Là où la population était en faveur de la Charia (loi islamique) et des tribunaux islamiques, les bolcheviks avaient compris que s’y opposer aurait été vu comme de l’impérialisme russe. Cela n’a cependant pas voulu dire que les bolcheviks acceptaient les politiques féodales réactionnaires menées par les tribunaux de la charia, pas plus qu’ils n’acceptaient les attitudes féodales qui existaient dans différents aspects de la société de l’ancien empire russe. Ils avaient simplement compris que les attitudes réactionnaires ne pouvaient pas être abolies, mais devaient changer avec le temps. C’est pourquoi ils avaient établi un système légal parallèle en Asie centrale, pour tenter de prouver en pratique que les soviets pouvaient apporter la justice. Pour sauvegarder les droits des femmes, en particulier, l’usage des tribunaux islamiques n’était permis que si les deux parties étaient d’accord. Et si l’une des parties n’était pas satisfaite du jugement, elle pouvait encore avoir recours à un tribunal soviétique.

    L’islam divisé

    Sur cette question et sur d’autres, Crouch donne une impression inégale. En lisant son article, on peut s’imaginer que la population musulmane entière d’Asie centrale était progressiste et alliée aux Bolcheviks. Dans un article de deux pages contenant de nombreux exemples sur la relation positive entre les forces musulmanes et les bolcheviks, seulement deux courtes références illustrent que ce n’était pas le cas dans toutes les circonstances. La première est quand Crouch déclare «en même temps, les dirigeants musulmans conservateurs étaient hostiles au changement révolutionnaire», mais aucune autre explication n’est donnée sur le rôle de ces «dirigeants musulmans conservateurs». La deuxième référence consiste à déclarer que «le mouvement Basmachi (une révolte islamique armée) a éclaté». Cependant, la responsabilité de cette révolte contre-révolutionnaire est exclusivement liée à la politique coloniale du soviet de Tashkent durant la guerre civile.

    Il est vrai que, durant la guerre civile russe, lorsque des larges parties de l’Est étaient détachées de la Russie, certains émigrés russes chauvins ont soutenu la révolution parce qu’ils la considéraient comme le meilleur moyen d’assurer la continuité de la domination russe. Les politiques qu’ils avaient décrétées soi-disant au nom de la révolution ont perpétué l’oppression tsariste des musulmans. A Tachkent, ville musulmane à plus de 90%, le soviet, sous la direction des Socialistes-Révolutionnaires et des Mencheviks, a utilisé la langue russe dans toutes ses procédures et a exclu les dirigeants locaux sans principes et de façon complètement chauviniste. Ces politiques réactionnaires ont joué un rôle majeur dans la constitution du mouvement Basmachi par des bandes de guérilleros islamiques. Mais, en Octobre 1919, la direction bolchevik a rétabli le contact avec Tachkent et a alors inversé les politiques du soviet de Tachkent. En Avril 1918, 40% des délégués du soviet de Tachkent étaient musulmans.

    Alors que les préjugés grand-russes ont sans aucun doute persisté, les bolcheviks se sont donnés une peine considérable pour montrer que le pouvoir des soviets signifiait la liberté nationale et culturelle. Comme Crouch le décrit, «des monuments sacrés islamiques, des livres et des objets pillés par les tsars ont été remis aux mosquées. Le vendredi – jour de célébration musulman – a été déclaré jour férié pour le reste de l’Asie centrale». Mais aucune de ces mesures n’a empêché le nationaliste turc Enver Pasha de venir en Asie Centrale en 1921 et de se joindre immédiatement à la révolte Basmachi, en transformant ainsi des fractions tribales en une force unifiée pour la réaction islamique. Une partie des musulmans avaient rejoint la contre-révolution, non pas à cause des crimes du soviet de Tachkent, mais pour gagner un territoire sur lequel ils pourraient exploiter d’autres musulmans. En d’autres mots, c’était pour défendre et pousser de l’avant leurs propres intérêts de classe.

    Les bolcheviks ont toujours compris que leur tâche était de créer le maximum d’unité entre les travailleurs et d’amener derrière eux les masses paysannes. Cela signifiait de convaincre les masses musulmanes pauvres que leur cause était celle de la révolution, et non pas celle des dirigeants islamiques réactionnaires. Contrairement au SWP aujourd’hui, ils ont toujours déployé leurs efforts dans ce but.

    Les dirigeants autochtones

    Dave Crouch parle des peines que se sont donnés les bolcheviks pour essayer de développer des directions nationales autochtones dans les soviets des Etats autonomes nouvellement formés. La politique des soviets a compris l’instauration d’un commissariat musulman (Muskom), dont la direction était en grande partie composée de musulmans non bolcheviks. En même temps, un effort particulier a été fait pour recruter des autochtones au Parti Communiste (PC – nouveau nom des bolcheviks), ce qui a conduit à une sérieuse augmentation du nombre de membres musulmans.

    Dave Crouch déclare dans son texte : «Il y avait des discussions sérieuses parmi des musulmans sur les similitudes entre les valeurs islamiques et les principes socialistes. Les slogans populaires de l’époque comprenaient : «Vive le pouvoir des soviets, vive à la charia!»; «Religion, liberté et indépendance nationale». Des partisans du «socialisme islamique» ont appelé les musulmans à établir des soviets ».

    De nouveau, ceci cache une réalité plus complexe – aucune mention n’est faite de l’attitude des bolcheviks envers ce «socialisme islamique». Il est naturellement vrai que, alors que le PC était marxiste et donc athée, la croyance religieuse ne représentait pas en soi un obstacle pour rejoindre le parti, et beaucoup de musulmans ont été recrutés. Cependant, cela ne signifiait aucunement qu’il suffisait d’être musulman et de soutenir la révolution pour rejoindre le Parti Communiste. Bien que des alliances militaires à court terme aient été formées avec toutes sortes de forces, il n’y a seulement eu qu’une organisation musulmane sur le territoire soviétique qui ait été reconnue par les bolcheviks comme un véritable parti socialiste (sur la base de son programme) – Azerbaidjani Hummet, qui devait plus tard devenir le noyau du PC de l’Azerbaïdjan. D’autres, comme le parti nationaliste libéral kazakh, Alash Orda, ont été écartés, en dépit de leurs déclarations en faveur de la révolution, et ce en raison de leur programme et de leur base de classe.

    Néanmoins, telle était l’importance de développer des directions autochtones pour le Parti Communiste que des individus qui avaient une approche totalement différente de celle de Lénine et Trotski ont pu rejoindre le PC. Parmi eux, le cas de Mirsaid Sultangaliev, devenu ensuite président du commissariat central musulman après avoir rejoint le PC en novembre 1917, est révélateur. Il affirmait que: «Tous les musulmans colonisés sont des prolétaires et comme presque toutes les classes dans la société musulmane ont été opprimées par les colonialistes, toutes les classes ont le droit d’être désignées «prolétariennes».

    Sur cette base il argumentait qu’il ne pouvait pas y avoir de lutte des classes au sein des nations opprimées. En réalité, ces idées étaient une couverture pour les intérêts de l’élite dirigeante locale. D’ailleurs, ces idées étaient constamment et publiquement contre-argumentées par la direction du Parti Communiste. Par exemple, les Thèses sur la question nationale et coloniale, adoptées par le deuxième congrès de la Comintern (l’Internationale Communiste) disent clairement: «La lutte est nécessaire contre le panislamisme, le mouvement panasiatique et les courants similaires qui lient la lutte de libération contre l’impérialisme européen et américain au renforcement du pouvoir des impérialismes turcs et japonais, de la noblesse, des grands propriétaires terriens, du clergé, etc.»

    Elles ajoutaient: «Une lutte déterminée est nécessaire contre les tentatives de mettre une couverture communiste aux mouvements révolutionnaires de libération qui ne sont pas réellement communistes dans les pays [économiquement] arriérés. L’Internationale Communiste a le devoir de soutenir le mouvement révolutionnaire dans les colonies seulement dans l’optique de rassembler les éléments des futurs partis prolétariens – communistes dans les faits et pas seulement de nom – dans tous les pays arriérés et de les former à être conscients de leurs tâches particulières, c’est-à-dire de lutter contre les tendances démocratiques bourgeoises de leur propre nation».

    Cet exemple illustre à quel point l’approche des bolcheviks est complètement différente de celle du SWP aujourd’hui. Il est vrai que le Manifeste du Congrès des Peuples de l’Est a, comme l’a fait remarquer Crouch, appelé à une guerre sainte, à laquelle les marxistes d’aujourd’hui ne doivent accorder de l’attention que dans son contexte. Ce qui a réellement été dit comprenait un clair contenu de classe: «Vous avez souvent entendu l’appel à la guerre sainte, de la part de vos gouvernements, vous avez marché sous la bannière verte du prophète, mais toutes ces guerres saintes étaient fausses, car elles ont seulement servi les intérêts de vos dirigeants égoïstes et vous, travailleurs et paysans, êtes resté dans l’esclavage et le manque après ces guerres… Maintenant, nous vous appelons à la première véritable guerre sainte pour votre propre bien-être, pour votre propre liberté, votre propre vie !»

    Lors de ce Congrès, il a été souligné encore et encore que la lutte devait être menée contre «les mollahs réactionnaires de notre propre entourage» et que les intérêts des pauvres à l’Est étaient liés à ceux de la classe ouvrière à l’Ouest.

    La Révolution de 1917 a inspiré des millions de personnes à travers le monde. D’immenses couches de pauvres des nations opprimées se sont rassemblés derrière la bannière du premier Etat ouvrier, y compris beaucoup de musulmans. L’attitude de Lénine et de Trotsky consistait à insister sur le point que rejoindre le pouvoir des soviets signifiait la libération nationale et la liberté religieuse. C’était le point le plus crucial étant donné l’histoire répugnante de la Deuxième Internationale social-démocrate qui a soutenu l’oppression coloniale et en déclarant cela, Lénine et Trostky n’ont pas affaibli leur programme socialiste. Au lieu de cela, ils ont insisté sur le fait que la voie vers la liberté ne se trouvait pas dans l’unité avec sa propre bourgeoisie nationale mais au contraire avec la classe ouvrière mondiale dans la lutte contre l’impérialisme mais aussi contre leurs «propres» propriétaires terriens féodaux et contre les mollahs réactionnaires qui avaient ces derniers.

    Quelles leçons pour aujourd’hui?

    En Asie centrale, Lénine et Trotsky ont tenté de gagner une population paysanne à prédominante musulmane qui luttait pour ses droits nationaux, à la bannière de la révolution mondiale, sur un fond de lutte désespérée pour la survie du premier Etat Ouvrier. En Grande-Bretagne aujourd’hui nous tentons de gagner une minorité opprimée de la classe ouvrière à la bannière du socialisme.

    Dans bien des sens, notre tâche est de loin plus facile. La grande majorité des musulmans en Grande-Bretagne est issue de la classe ouvrière et beaucoup d’entre eux travaillent dans des lieux de travail ethniquement mixtes, particulièrement dans le secteur public. Le massif mouvement anti-guerre a donné un aperçu du potentiel qui est présent pour un mouvement unifié de la classe ouvrière, avec des musulmans intégralement englobés dans ce processus. La création d’un nouveau parti de masse des travailleurs qui mènerait campagne sur une base de classe à la fois sur les questions générales ainsi que contre le racisme et l’islamophobie constituerait un énorme pôle d’attraction pour les travailleurs musulmans tout en commençant à détruire les préjugés et le racisme.

    Cependant, l’absence d’un tel parti actuellement amplifie les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Dans les années ‘90, l’effondrement des régimes d’Europe de l’Est et d’Union Soviétique a fourni au capitalisme mondial une opportunité pour écarter la question du socialisme en présentant le socialisme comme un échec en mettant faussement sur un pied d’égalité le socialisme et les régimes staliniens. Cela a permis aux classes dirigeantes de mener un assaut idéologique contre les idées du socialisme. L’aile droite du Parti Travailliste, comme de la social-démocratie partout à travers le monde, s’est servie de cette occasion pour abandonner toute référence au socialisme dans leur programme et pour devenir des partis clairement capitalistes.

    Plus d’une décennie après l’effondrement du stalinisme, une nouvelle génération tire la conclusion que le capitalisme est incapable de satisfaire les besoins de l’humanité et parmi elle une minorité en arrive à des conclusions socialistes. Néanmoins, la conscience reste en recul derrière la réalité objective, et le socialisme n’est pas encore devenu une force de masse.

    Etant donné le vide qui existe par conséquent, des jeunes radicalisés recherchent une alternative politique. Une petite minorité de jeunes musulmans en Grande Bretagne regarde vers des organisations de l’islam politique de droite telles que Al-Muhajiroun. L’absence d’alternative offerte par de telles organisations est démontrée par leur opposition au mouvement anti-guerre, sous le prétexte qu’il engage les musulmans à manifester à côté de non-musulmans. La majorité des jeunes musulmans radicaux ont été dégoûtés par des organisations comme Al-Muhajiroun et ont compris la nécessité d’un mouvement anti-guerre unifié. Le potentiel pour construire une base forte pour les socialistes parmi les musulmans existe sans aucun doute, mais seulement si notre engagement à leur côté se fait avec une argumentation pour le socialisme.

    Il y a partout à travers le monde de grands parallèles à faire avec la situation à laquelle les bolcheviks ont été confrontés, bien que les différences restent grandes. En Irak aujourd’hui, par exemple, les marxistes sont confrontés à la tâche difficile de reconstruire des organisations ouvrières indépendantes et de mobiliser les travailleurs et les masses pauvres en défense de leurs droits, y compris le droit de s’organiser indépendamment des organisations islamiques dont le programme n’offre pas d’alternative aux masses irakiennes. Les leçons du 20ème siècle soulignent les dangers qu’encourent les socialistes s’ils renoncent à leur programme indépendant. Au Moyen Orient en particulier, c’est l’échec des Parti Communistes de masse à conduire la classe ouvrière au pouvoir qui a permis à l’islam politique de droite de l’emporter. Lors de la Révolution iranienne de 1978-79, la classe ouvrière a dirigé un mouvement qui a renversé la monarchie brutale et soumise à l’impérialisme. Le Parti Communiste Tudeh était la plus grande force de gauche en Iran, mais il n’a pas poursuivi une politique ouvrière indépendante. Au lieu de cela, il s’est lié à l’Ayatollah Khomeini malgré les tentatives du clergé pour étouffer le mouvement ouvrier indépendant. Le résultat a été l’arrivée au pouvoir du régime de Khomeini qui a écrasé le Toudeh et a assassiné les éléments les plus conscients de la classe ouvrière.

    D’un autre côté, malgré les difficultés énormes auxquelles ils ont été confrontés, les bolcheviks ont donné un aperçu de la seule voie vers la libération (que ce soit la libération nationale ou encore religieuse) : la classe ouvrière mondiale unifiée autour d’un programme socialiste.

    Les 80 années qui ont suivi ont été un cauchemar d’oppression nationale pour les mêmes minorités qui avaient goûté à la libération durant les années qui ont directement suivi la révolution. Le stalinisme d’abord et maintenant le capitalisme ont signifié l’oppression brutale pour les minorités de la région. Après l’horreur de Beslan, le danger d’une nouvelle guerre caucasienne est présent. La cruauté des preneurs d’otages à Beslan a très justement choqué le monde, et nulle cause ne peut justifier de telles actions inhumaines. Néanmoins, les origines de la situation actuelle sont liées à l’horrible assujettissement du peuple tchétchène par les gouvernements russes successifs, avec 250.000 tués et la capitale Grozny rasée. C’est l’incapacité complète du capitalisme au 21ème siècle de résoudre la question nationale qui va mener une nouvelle génération à redécouvrir le véritable héritage des bolcheviks.

    Les bolcheviks et les musulmanes.

    Le JENOTDEL (Le bureau des ouvrières et des paysannes) a mené une campagne pour aller vers les paysannes opprimées du monde soviétique, souvent en prenant un grand risque. En Asie Centrale, les militants du Jenotdel ont organisé des «yourtes rouges» («tentes rouges») où les femmes de la région se voyaient offrir une formation pour différents métiers, l’alphabétisation, une formation politique et ainsi de suite.

    Cependant, comme la révolution est restée isolée, cette démarche n’a pas pu pleinement réussir (ni dans les régions musulmanes, ni dans l’Union Soviétique) parce que la révolution, dans un pays économiquement arriéré, était incapable de fournir les moyens économiques et culturels pour libérer les femmes. Trotsky avait décrit comment la nouvelle société envisageait de fournir des maternités, des crèches, des jardins d’enfants, des écoles, des cantines sociales, des laveries collectives, des stations de premiers secours, des hôpitaux, des sanatoriums, des organisations athlétiques, des théâtres, tous gratuits et de haute qualité pour donner à la femme et ainsi au couple amoureux une véritable libération des chaînes d’oppression millénaires.

    Mais il continuait d’expliquer «il s’avérait impossible de prendre d’assaut la vieille famille, non pas parce que la volonté manquait, ou parce que la famille était si fermement ancrée dans les cœurs des hommes. Au contraire, après une courte période de méfiance envers le gouvernement et ses crèches, jardins d’enfants et institutions comme celles-ci, les ouvrières et après elles les paysannes les plus avancées ont apprécié les avantages infinis de la prise en charge collective des enfants ainsi que de la socialisation de toute l’économie familiale. Malheureusement, la société était trop pauvre et trop peu cultivée. Les véritables ressources de l’Etat ne correspondaient pas aux plans et aux objectifs du Parti Communiste. On ne peut pas «abolir» la famille, il faut la remplacer. La véritable libération des femmes est irréalisable sur la base de la «pénurie généralisée». L’expérience prouvera bientôt cette austère vérité que Marx avait formulé 80 ans auparavant» (La Révolution trahie).

    La «pénurie généralisée» était particulièrement aiguë en Asie Centrale. Pratiquement, cela signifiait que les femmes qui s’évadaient des situations familiales répressives étaient confrontées à la famine comme elles n’avaient littéralement pas de moyens de soutien alternatifs. Même si les moyens économiques avaient existé pour libérer les femmes du fardeau domestique et leur permettre d’avoir un rôle économique indépendant, il n’y a pas de doute que le nouvel Etat ouvrier aurait toujours été confronté à de la résistance, particulièrement dans les régions économiquement arriérées où la classe ouvrière n’existait pas encore. Cependant, comme Trotsky l’a décrit, après une période, sur la base des ressources fournies, l’écrasante majorité en serait venue à comprendre les avantages de la libération des femmes.


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  • La tournée européenne de Bush s’est achevée aux Royaume-Uni

    La tournée européenne de Bush s’est achevée au Royaume-Uni

    Georges «deubeliou » Bush a achevé les 15 et 16 juin sa tournée européenne d’adieux au Royaume-Uni, après être passé par la Slovénie, l‘Allemagne, l’Italie, le Vatican et la France. A Londres et à Belfast, il a été accueilli par des manifestants anti-guerre, dont nos camarades du Socialist Party of England and Wales et du Socialist Party of Northern Ireland. Voici un petit rapport et quelques photos.

    A Londres, plusieurs milliers de manifestants anti-guerre ont défilé pacifiquement devant la place du parlement pour protester contre la venue de Georges Bush.

    Tandis que Bush le va t’en guerre était diverti au Downing Street par son allié de la coalition Gordon Brown, les manifestants maintenu à l’écart par une lourde présence policière réclamaient le retrait d’Irak des troupes anglaises et américaines.

    Les membres de notre section anglaise, le Socialist Party, ont distribué des tracts contre la guerre et ont vendu plus de 100 journaux aux manifestants et touristes qui étaient présent.

    Plus tard, quand les manifestants ont tenté de marcher sur White Hall, la police anti-émeute a eu recours à la violence pour faire reculer la foule en blessant plusieurs personnes.

    Marasme afghan et menaces contre l’Iran

    L’administration crépusculaire de Bush essaye de transformer l’Irak en avant poste militaire occupé de manière permanente par les USA. Le mois passé, il a été annoncé que pour la première fois il y avait eu plus de mort en Afghanistan qu’en Irak.

    L’insurrection des talibans devient clairement de plus en plus forte (comme en témoigne l’évasion massive de la prison de Kandahar). Le régime corrompu du président Harmid Karzai, soutenu par les USA, a plongé la population dans l’extrême pauvreté et l’insécurité.

    Cependant, en dépit des errances des 7 années d’occupation par la coalition concernant la reconstruction de l’emploi ou la justice sociale, Gordon Brown s’est engagé auprès du canard boiteux G Bush quant à l’augmentation du contingent anglais en Afghanistan qui se trouvera porté à plus de 8000. Cette annonce intervient alors qu’était rapatrié le corps du centième soldat britannique décédé en Afghanistan depuis le lancement de l’intervention en 2001.

    Bush a salué cette annonce, soulignant qu’il était reconnaissant à Gordon Brown d’être "inflexible face au terrorisme".

    Vis-à-vis de l’Iran, Bush a menacé que: "les Iraniens doivent comprendre que toutes les options sont sur la table". Brown a approuvé.

    Ni le bienvenu à Londres, ni le bienvenu à Belfast

    Dans la capitale de l’Irlande du Nord, des centaines de personnes s’étaient également déplacées pour protester contre la venue de Bush.

    Les jours précédents sa venue, Socialist Youth, l’organisation de jeunesse de nos camarades, a milité dans les rues de la ville pour assurer au président américain l’accueil qu’il méritait. Bush a cyniquement utilisé sa venue en Irlande du Nord pour prétendre avoir été un homme de paix en participant au plan prétendument réussi « processus de paix » en Irlande du Nord. Mais Bush restera dans l’histoire le président le plus impopulaire des USA.

    Il laisse derrière lui le souvenir de son inaction lors du désastre de l’ouragan Katrina, de son refus de reconnaître la destruction de l’environnement, de sa participation enthousiaste à l’augmentation de la pauvreté non seulement aux USA mais aussi partout à travers le monde, et bien entendu des désastreuses occupations de l’Afghanistan et de l’Irak.

    Cela n’a pas empêché le premier ministre Peter Robinson (Democratic Unionist Party) et Martin McGuinness (Sinn Fein) d’accueillir Bush les bras ouverts. Mais cela est dans la logique de leur politique néolibérale de privatisation des services publics, de taxes sur l’eau ou encore d’attaques massives contre les travailleurs des services publics. Le Sinn Fein a été particulièrement ridicule en envoyant des représentants et des banderoles aux protestations alors qu’un de ses dirigeants recevait Bush dans le luxe de Stormont Castle.


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