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Tag: Irlande du Nord
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[INTERVIEW] L’occupation historique du chantier naval Harland & Wolff à Belfast

Une lutte historique qui a sauvé des emplois
Pendant neuf semaines, les travailleurs du chantier naval de Harland & Wolff à Belfast, un chantier historique d’où est sorti le Titanic, ont occupé leur site. Le chantier avait été placé sous administration judiciaire le 6 août, ce qui faisait planer la perte potentielle de 120 emplois dès lors que la maison mère en difficulté, Norwegian Dolphin Drilling, n’était pas parvenue à trouver un repreneur. Les travailleurs – membres des syndicats Unite et GMB – ont exigé que le gouvernement nationalise le chantier pour garantir son avenir. Les travailleurs, les jeunes et les syndicalistes se sont montrés solidaires de cette lutte importante afin de défendre cet emblème et de créer des emplois pour les générations à venir. Cette lutte a sauvé le chantier naval. Un nouveau repreneur a été trouvé..
L’entretien ci-dessous a été réalisé avec Susan Fitzgerald, coordinatrice régionale d’Unite et membre du Socialist Party (section irlandaise du Comité pour une Internationale Ouvrière).
L’occupation du chantier naval Harland & Wolff était vraiment historique. Peux-tu nous expliquer comment le conflit a éclaté ?
Des semaines avant l’éclatement du conflit, un repreneur était l’objet exclusif de l’attention de l’administration du chantier. Cet acheteur avait promis de reprendre les actifs et la main-d’œuvre de Harland & Wolff. Mais, à la dernière minute, il a considérablement réduit son offre et, surtout, a refusé de reprendre la main-d’œuvre. À ce moment-là, la direction s’est pris la tête entre les mains et a laissé aux syndicats le soin d’élaborer un plan de sauvetage du chantier naval, de le présenter aux travailleurs et d’en plus en discuter avec le gouvernement, les responsables politiques et l’administrateur.
Pendant que ces pourparlers se poursuivaient, nous avons organisé des réunions régulières à la cantine avec tous les travailleurs. En plus de les tenir au courant de ce qui se passait, nous avons soutenu qu’il leur fallait passer à l’action pour imprimer leur empreinte sur les événements. Nous avons fait référence aux leçons des occupations ouvrières de l’usine de Ford/Visteon à Belfast et de Waterford Crystal, il y a dix ans. Nous avons également parlé d’autres occupations, y compris celles dirigées par des socialistes comme Jimmy Reid, le syndicaliste écossais qui avait organisé la lutte contre les licenciements au chantier naval de la Clyde, en Écosse, dans les années 1970.
Nous avons souligné ce qui était nécessaire pour sauver le chantier naval : sa renationalisation. Les travailleurs savaient que le chantier naval avait été nationalisé de 1977 à 1989. Les arguments en faveur de la nationalisation n’étaient pas ‘‘idéologiques’’, mais découlaient du fait qu’il n’y avait pas de solution facile de la part du secteur privé. Pourtant, nous disposions des moyens nécessaires à la production d’énergie verte, un domaine dans lequel le chantier naval s’était engagé au cours des 10 à 15 dernières années.
Pendant que les pourparlers se poursuivaient, dans les coulisses, des plans étaient en cours d’élaboration pour occuper le chantier si nécessaire. Un ‘‘Cobra Committee’’ a été créé sur le lieu de travail, sur le modèle des comités d’urgence du gouvernement britannique (un Cabinet Office Briefing Rooms, ou COBRA, est un dispositif de coordination des secours mis en place par le gouvernement du Royaume-Uni en cas de catastrophe ou d’attaque, NdT). Le 29 juillet, il était devenu clair qu’aucun plan de sauvetage de dernière minute n’arriverait et qu’il fallait que les travailleurs déclarent qu’ils reprenaient le chantier naval. Parallèlement, un développement similaire prenait place à Ferguson Marine, à Glasgow, le gouvernement écossais annonçant qu’il nationaliserait le chantier naval. Cela a renforcé les arguments en faveur de la nationalisation : si c’était possible en Écosse, pourquoi pas ici ?
C’est ainsi que la principale banderole suspendue à la célèbre grue Samson proclamait ‘‘Sauvons notre chantier naval : renationalisation immédiate !’’
Les travailleurs ont reçu un soutien impressionnant. Comment cette solidarité s’est-elle manifestée ?
Une fois cette banderole érigée et l’occupation commencée, la solidarité est venue de la part de tous les types de travailleurs auxquels vous pouvez penser. Les travailleurs de Bombardier, basés à côté du chantier naval, ont été parmi les premiers à s’impliquer. Dès le début de l’occupation, ils avaient leur propre banderole proclamant ‘‘Les travailleurs de Bombardier sont solidaires des travailleurs de Harland & Wolff’’. Dans une scène qui rappelait le passé, alors qu’ils manifestaient ensemble pour de meilleurs salaires, les travailleurs de Bombardier se sont rendus sur la route de l’aéroport et ont été accueillis par des applaudissements et des vivats. C’était vraiment émouvant.
De nombreux travailleurs intérimaires qui étaient passés par le chantier naval sont revenus et se sont présentés quotidiennement à l’occupation pour offrir leur soutien en considérant ce combat pour ce qu’il était vraiment : une lutte pour des emplois décents qui les concernait donc au premier chef. Lorsque le chantier naval Ferguson Marine a été nationalisé, les travailleurs y ont déclaré que Harland & Wolff était le prochain sur la liste. Ils ont eux aussi confectionné leur banderole de solidarité et ont envoyé un de leurs responsables syndicaux à Belfast pour qu’il transmette leurs salutations solidaires.
Avant que l’occupation ne commence, c’étaient les fonctionnaires qui étaient en grève. Ils se faisaient photographier en tenant des pancartes de solidarité avec le chantier naval. Des gens de toute l’Irlande du Nord se sont montrés présents : des footballeurs, des musiciens, des comédiens, des écrivains, des musiciens traditionnels, etc. Lorsque le Congrès irlandais des syndicats (Irish Congress of Trade Unions) a organisé un rassemblement, chaque syndicat a laissé son drapeau à l’occupation pour clairement signifier qu’il s’agissait d’une lutte au bénéfice de l’ensemble du mouvement et pour démontrer son unité.
La solidarité est venue de toute l’île d’Irlande, des travailleurs du Sud sont venus visiter l’occupation. Des travailleurs d’Unite – Construction et d’Unite – Energie sont venus visiter l’occupation en apportant avec eux des milliers d’euros pour le fonds d’aide aux plus démunis. Les travailleurs de Waterford Crystal se sont déplacés pour partager leur expérience de lutte et ils sont revenus encore avec un soutien financier fantastique.
Les travailleurs ont reçu de la solidarité, mais ils étaient prêts à en rendre. Pendant la semaine de la Belfast Pride, les travailleurs ont hissé deux drapeaux arc-en-ciel à la porte du chantier. Ils y flottent encore aujourd’hui. Lors de diverses manifestations de la Pride, des drapeaux et des t-shirts ‘‘Sauvons notre chantier naval’’ étaient portés en soutien à l’occupation. Beaucoup de gens brandissaient également les pancartes du Socialist Party qui proclamaient ‘‘La Pride signifie solidarité’’ ou ‘‘Soutenez les ouvriers du chantier naval’’. Le 20 septembre, journée de la 3e grève mondiale pour le climat, les travailleurs ont décoré le site avec des affiches en soutien aux grèves pour le climat, ont porté des t-shirts qui y faisaient référence et ont aidé à porter des banderoles syndicales lors de la manifestation.
De même, lorsque Boris Johnson est venu à Stormont, les ouvriers du chantier naval ont été les premiers à manifester. Évidemment, d’autres personnes se sont jointes à eux et y ont expliqué leur cause, y compris des militants de la langue traditionnelle irlandaise. Les travailleurs du chantier naval ont discuté avec eux de la manière de dire ‘‘Sauvons notre chantier naval’’ en irlandais. Nous l’avons ensuite chanté ensemble. Ce geste a été posé par les travailleurs du chantier naval, sous la direction de Joe Passmore, représentant d’Unite, pour tendre la main à toutes les communautés d’Irlande du Nord et leur témoigner du respect, ce qui illustre le potentiel qui existe lorsque les travailleurs luttent ensemble sur base du respect mutuel et de la solidarité.
Sur ce point, les médias et d’autres ont tenté d’injecter le poison du sectarisme dans le conflit. Comment y avez-vous fait face ?
Les travailleurs étaient très en colère lorsque la BBC a montré de vieilles images d’un travailleur catholique d’il y a 40 ans en train d’être interviewé au sujet des intimidations sectaires sur son lieu de travail ; non pas parce que quiconque devrait se livrer à une révision du passé, mais parce que c’était une description grossière du chantier naval, particulièrement dans sa forme actuelle. Cela a été considéré comme une insulte dans le contexte d’une lutte unitaire pour la défense de l’emploi.
C’était aussi une présentation unilatérale de ce qui s’est passé dans les chantiers navals. J’ai mis au défi le rédacteur économique de la BBC de couvrir l’histoire du délégué syndical principal Sandy Scott qui, il y a cinquante ans, lorsque les Troubles ont commencé, a organisé une réunion de masse des travailleurs parce que les travailleurs catholiques n’étaient pas venus travailler par crainte d’attaques provoquées par les protestants. Lors de la réunion, les travailleurs des chantiers navals ont adopté à l’unanimité une motion organisant une grève symbolique contre le sectarisme et les délégués syndicaux ont ensuite visité les maisons des travailleurs catholiques des chantiers navals en leur demandant de revenir, avec succès. Au même moment, Ian Paisley n’a pu mobiliser que 180 personnes sur un effectif de 8.000 personnes pour soutenir ses manifestations. Il y a eu beaucoup de discussions au chantier pour savoir pourquoi nous n’entendons jamais ces histoires. Jusqu’à présent, il ne semble pas que la BBC ait suivi notre suggestion, mais nous avons pris contact avec Sandy Scott pour lui parler de l’occupation et louer son rôle.
Comme cela a déjà été précisé, les travailleurs exigeaient la nationalisation du chantier naval. En tant que marxiste, qu’entends-tu par ce terme de nationalisation ?
La revendication de la nationalisation du chantier naval par le gouvernement est tout à fait sensée, en particulier dans le contexte de la nécessité de faire face à la crise environnementale et de créer des emplois verts.
Personne ne comprend mieux que les travailleurs ce qu’il faut pour diriger le chantier naval, ou ce qu’il faut pour répondre à ses besoins. Personne n’a investi plus que les travailleurs eux-mêmes dans le chantier naval et personne n’a fait preuve d’une plus grande volonté de se battre pour lui que les travailleurs eux-mêmes. Donc, à mon avis, il est tout à fait logique que non seulement le chantier naval soit pris en charge par l’État, mais qu’il soit confié à de véritables experts – les travailleurs – pour qu’ils le dirigent. En d’autres termes, qu’il devrait y avoir un contrôle et une gestion du chantier naval par les travailleurs. Cela signifierait que les travailleurs pourraient prendre des décisions, non pas en tenant compte simplement du profit, mais en tenant compte de ce qui est socialement utile et dans l’intérêt de notre environnement – comme l’énergie verte.
L’arrivée d’un nouveau repreneur représente une victoire importante, en ce sens qu’elle assure les chantiers navals et les emplois qualifiés pour le moment. Cela n’a été possible que grâce à la lutte, qui a permis que les travailleurs soient sous licenciement temporaire et non tout simplement licenciés et qui a assuré que le thème de la sauvegarde du chantier naval soit constamment rappelé à l’ordre du jour. Néanmoins, la nationalisation aurait été et reste le meilleur moyen d’assurer la sécurité à long terme du chantier naval et de veiller à ce que les compétences des travailleurs soient utilisées au mieux pour la société dans son ensemble. Cela n’a jamais été sérieusement envisagé, ce qui en dit long sur la politique des principaux partis locaux et des conservateurs.
J’étais loin d’être la seule socialiste sur ce chantier naval et l’une des choses que l’on voyait vraiment, c’était la capacité des travailleurs à tirer rapidement des leçons profondes de la lutte dans laquelle ils étaient engagés. En même temps, nous avions là une main-d’œuvre aux opinions politiques et religieuses très différentes, y compris avec des convictions très fortes. Pourtant, les travailleurs se sont montrés capables de discuter de ces questions d’une manière respectueuse.
Un point de vue qui est devenu plus clair, cependant, est que ni les politiciens unionistes ni les politiciens nationalistes ne représentent les intérêts de la classe ouvrière. Je pense qu’il a été compris que, lorsque vous êtes dans une bataille comme celle-ci, les seules personnes sur lesquelles vous pouvez vraiment compter sont les autres travailleurs et vos propres organisations. En tant que socialiste, je pense qu’il est plus que jamais nécessaire que le mouvement ouvrier mette son propre programme sur la table et examine comment il peut défier les principaux partis d’une manière qui puisse unir les travailleurs.
D’importants mouvements de jeunes se développent, y compris des grèves scolaires contre le changement climatique. En quoi cette lutte ouvrière est-elle pertinente pour ces mouvements ?
Personne ne comprend aussi bien que les travailleurs de Harland & Wolff le rôle que le chantier naval peut jouer dans la création d’énergie verte. Au cours des 10 à 15 dernières années, ces travailleurs ont participé à la fabrication de prototypes et à la construction de l’infrastructure physique nécessaire aux éoliennes en mer. En tant que syndicat, nous nous battons depuis des années pour que Harland & Wolff devienne un spécialiste de l’énergie verte. Avant la récente crise, les représentants et moi-même avons pris l’initiative de rechercher et d’identifier les travaux possibles dans ce secteur. Nous avons utilisé la position du Socialist Party au Dáil (le parlement de la République irlandaise) pour poser des questions sur les projets à venir qui pourraient apporter du travail. Nous avons aussi voulu pousser les dirigeants d’Unite à faire de même au Parlement de Westminster, à Londres. Mais, rétrospectivement, il est clair que la direction n’avait aucun intérêt réel et qu’elle avait abandonné.
Les écologistes connaîtront InfaStrata, la société qui a repris le chantier naval, pour son rôle dans le forage exploratoire de pétrole à Woodburn Forest près de Carrickfergus et le projet controversé de stockage de gaz à Islandmagee. Des membres du Socialist Party et de nombreux militants syndicaux ont participé à ces campagnes. Il ne fait aucun doute que de nombreux travailleurs voudront que leurs compétences soient mises à profit pour faire face à la catastrophe environnementale et le syndicat continuera de faire campagne en faveur des emplois verts et d’une transition juste. Le problème central, cependant, est que vous ne pouvez pas contrôler ce que vous ne possédez pas. Laissé entre des mains privées, le chantier naval sera utilisé pour ce qui est le plus rentable, qu’il s’agisse d’énergie renouvelable ou de combustibles fossiles. La seule façon de garantir que le chantier naval soit utilisé de manière écologique, c’est de le placer sous propriété publique et sous contrôle démocratique des travailleurs.
Les travailleurs, bien sûr, savent aussi qu’un grand nombre des jeunes qui leur ont rendu visite sur le site étaient de jeunes socialistes et des militants écologistes. Tous les travailleurs ont vu dans la lutte qu’ils menaient non seulement la défense de leur emploi, mais aussi la lutte pour l’avenir des jeunes. Sauver le chantier naval donne l’occasion de transmettre les compétences qui existent dans le chantier naval à une génération plus jeune en faisant venir des apprentis, ce qui est essentiel si nous voulons utiliser le chantier naval pour créer des emplois verts.
Assistons-nous à une reprise des luttes ouvrières en Irlande du Nord ? Il y a eu la grève des fonctionnaires, mais aussi celle des facteurs et celle des infirmières. D’autre part, 1.200 emplois sont menacés chez Wrightbus. Quelles leçons pensez-vous que les travailleurs peuvent tirer de ce conflit ?
Avant ce conflit, le chantier naval et l’idée de la construction navale à Belfast étaient considérés comme une relique du passé. Ce sont les travailleurs eux-mêmes qui avaient confiance en l’avenir de l’industrie et qui pouvaient voir comment leurs compétences pouvaient être mises à profit.
L’occupation a démontré la capacité des travailleurs à s’organiser et à relever le défi. Chaque jour de l’occupation, j’ai été témoin de l’ingéniosité et d’une grande capacité à régler des problèmes, petits ou grands. Ces travailleurs sont devenus des guerriers de classe pour répondre aux besoins de la lutte – organiser les finances, gérer les rotations, développer des structures et, surtout, développer un plan d’action pour gagner. Ils ont montré qu’ils peuvent défendre leur cause de façon réfléchie, tant vis-à-vis des médias que dans les réunions, tout en prenant soin les uns des autres pendant ces longues semaines. C’est impressionnant de voir comment la pensée des travailleurs était aiguisée, aux réunions ou dans des discussions privées, et avait développé une capacité à percer à jour les manœuvres des capitalistes.
L’autre leçon dont nous avons parlé tout à l’heure, c’est que lorsqu’un groupe de travailleurs prend position, des milliers de travailleurs de tous horizons font preuve de solidarité. Nous avons été particulièrement surpris par la solidarité des syndicalistes et des travailleurs d’Afrique du Sud qui ont appris le conflit par l’intermédiaire de l’organisation sœur du Socialist Party, le Workers and Socialist Party. L’idée que ces travailleurs durement éprouvés ont été inspirés et ont agi en solidarité avec les travailleurs de Belfast était tout simplement incroyable et faisait l’objet de nombreuses conversations.
Wrightbus est une autre illustration graphique du mépris total du système capitaliste pour les travailleurs, de sa volonté de jeter à la casse des travailleurs qualifiés qui ont donné des années de leur vie à une entreprise. La leçon de Harland & Wolff est que la lutte et la solidarité de classe sont essentielles à la défense de l’emploi. Au moment où nous parlons, les travailleurs du chantier louent des autobus pour se joindre aux travailleurs de Wrightbus à Ballymena dans un rassemblement pour sauver leur emploi.
Comme avait l’habitude de dire le dirigeant syndical Bob Crow : ‘‘Si vous vous battez, vous pouvez gagner, sinon, vous avez déjà perdu’’. Il n’y a aucune garantie de victoire, mais la lutte de ces travailleurs a été essentielle pour garantir leurs emplois et l’avenir du chantier. La dernière chose que je voudrais dire, c’est que la lutte de ces travailleurs montre qu’une alternative socialiste aux échecs du capitalisme est possible et que l’agent clé pour y parvenir est la classe ouvrière.
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Après la victoire du “oui” en Irlande, un référendum sur l’avortement en Irlande du Nord ?

Après la victoire du “oui” en Irlande du Sud, les activistes pro-choix de ROSA en Irlande du Nord défendent l’abrogation de l’interdiction de l’avortement. L’Ecole d’été du Comité pour une Internationale, qui a eu lieu la semaine dernière à Barcelone pour la deuxième année consécutive, rassemble lors d’une semaine de discussions intenses des marxistes du monde entier, des membres des sections sœurs du PSL dans divers pays. Sur les événements politiques de l’année passée, mais aussi sur les perspectives mondiales à venir, les discussions permettent d’échanger les expériences et de comprendre comment la lutte s’organise.
Par Brune (Bruxelles)
L’une des nombreuses commissions organisées durant cette semaine portait sur la lutte pour le droit à l’avortement en Irlande du Sud ; et comment la section sœur du PSL, le Socialist Party en Irlande – et son organisation féministe socialiste ROSA – ont organisée la plateforme pour le « Oui », contre le 8ème amendement à la Constitution qui, depuis des décennies, empêchait les Irlandaises d’avoir accès à un droit fondamental, celui de faire leurs propres choix sur leurs corps.
Laura Fitzgerald est revenue sur divers détails qui ont permis de faire tourner la roue de l’Histoire du bon côté, comme l’organisation d’actions par ROSA (Train et Bus pour la pilule abortive) depuis des années pour conscientiser sur la non-dangerosité de la pilule ; mais aussi l’organisation de stands et le placardage par milliers avec l’image de Savita (une jeune femme décédée des suites d’une fausse couche qui aurait pu être résolue si l’avortement avait été légal), et qui rappelait à quel point le 8ème amendement avait un impact direct et dangereux sur les femmes et leur corps.
Après la victoire du référendum historique en Irlande du sud, avec une participation tout aussi historique, la pression exercée sur l’establishment est telle que des événements importants pour donner aux femmes et aux femmes enceintes en Irlande du Nord le droit de choisir ont assez vite pris place.
La Cour suprême (du Royaume-Uni) a dû reconnaître que le déni du droit à l’avortement dans les cas d’anomalies fœtales mortelles et de viols est une violation des droits de l’homme. La Chambre des communes (Chambre basse du Parlement du Royaume-Uni) a tenu un débat d’urgence sur la question du déni du droit à l’avortement en Irlande du Nord – cinquante ans après que le droit de choisir a été conquis en Grande-Bretagne, ce n’est que maintenant qu’il est considéré comme une urgence !
Il est important de noter que les députés ont également déposé des amendements au projet de loi sur la violence domestique –ce qui décriminaliserait l’avortement dans tout le Royaume-Uni en abrogeant les articles 58 et 59 de la loi sur les infractions contre la personne. Ce projet de loi prévoit actuellement une peine d’emprisonnement à vie pour avoir subi un avortement en dehors des exemptions légales ou jusqu’à cinq ans pour avoir aidé quelqu’un à le faire. Même d’éminents conservateurs ont été forcés d’appuyer ce changement proposé.
Les partis locaux sous pression
Les partis locaux ressentent également la pression. Le DUP (Parti unioniste démocrate) n’a aucune raison de prétendre parler au nom du peuple d’Irlande du Nord ou même de ses propres électeurs sur cette question. Par exemple, Sammy Wilson – qui a prononcé un discours vicieux à la Chambre des communes où il a clairement montré sa haine et son mépris pour les femmes qui ont subi un avortement – est le député d’une circonscription où 73 % des électeurs appuient l’accès sans restriction à l’avortement jusqu’à 12 semaines de grossesse ! Il y a quelques mois seulement, Michelle O’Neill disait que le Sinn Féin “n’est pas en faveur de l’avortement”. Maintenant, elle prétend être la championne de la question.
Le Sinn Féin n’a pas dirigé le changement, mais a été entraîné dans le sillage du mouvement. En juin, le parti a tenu une conférence qui a soutenu l’accès sans restriction à l’avortement jusqu’à 12 semaines. Cependant, en décembre, les députés du Sinn Féin ont refusé d’appuyer cette proposition au comité parlementaire du Sud chargé d’examiner la question, adoptant une position plus conservatrice que les représentants des principaux partis de l’establishment. Le Sinn Féin reste opposé à ce que Westminster légifère pour l’accès à l’avortement ici, insistant sur le fait que c’est un problème pour Stormont (Parlement d’Irlande du Nord)- en d’autres termes, les femmes et les femmes enceintes doivent continuer d’attendre le changement. En ce qui concerne le mariage homosexuel, Sinn Féin a demandé à Westminster de légiférer pour l’égalité en Irlande du Nord. Alors pourquoi cette différence ???
Une récente conférence du SDLP (Parti social-démocrate et travailliste) a réaffirmé sa position “pro-vie”, mais a accordé à ses représentants élus le droit de voter avec leur conscience sur la question. L’UUP (Parti unioniste d’Ulster) et l’Alliance ont une position similaire. Ce n’est pas suffisant – la seule personne qui devrait avoir le choix sur la question de l’avortement est la personne enceinte elle-même. Le mouvement pro-choix ne peut pas faire confiance aux politiciens qui, depuis des décennies, refusent de faire confiance aux femmes.
Mouvement de masse : la clé du changement
Dans la foulée du référendum en Irlande du Sud, notre réponse doit être d’intensifier notre campagne. C’est pourquoi ROSA et Women on Web ont organisé le Bus4Choice qui a défié la loi, avec des activistes prenant des pilules abortives pour souligner leur disponibilité et démontrer leur sécurité. Parallèlement à un mouvement de masse comprenant des protestations et des grèves, cette désobéissance civile a joué un rôle clé dans le déplacement du débat sur le droit à l’avortement dans le Sud.
Les militants pro-choix et les syndicalistes doivent s’organiser pour mobiliser le plus grand nombre possible de personnes dans la rue avant tout vote sur la dépénalisation. Il est essentiel de rechercher également la solidarité du mouvement syndical au Royaume-Uni. Les politiciens ne devraient pas douter que, si les droits en Irlande du Nord continuent d’être bafoués, ils seront confrontés à une campagne de désobéissance civile qui rendra la loi inapplicable.
Aujourd’hui, malgré la division qui existe encore parmi la classe ouvrière de l’Irlande du Nord et du Sud, entre catholiques et protestants, la lutte pour l’avortement peut également permettre de faire le pont entre les deux ; puisqu’il y a un intérêt commun certain entre ceux-ci, celui de se battre pour un droit fondamental. La dépénalisation en Irlande du Sud donne déjà aujourd’hui une impulsion à la lutte en Irlande du Nord. Il n’est pas du tout exclu que des mouvements de soutien provenant de l’Irlande du Sud comme en Angleterre viennent mettre davantage de pression sur l’establishment.
Durant la discussion de notre école d’été du CIO, le syndicat le plus important en Irlande, ICTU, a été cité ; nos camarades irlandais appellent celui-ci, avec l’aide de la base du syndicat qui peut faire pression comme le fait le référendum aujourd’hui sur les politiciens au Royaume-Uni, à prendre position sur le droit à l’avortement en Irlande du Nord afin de stimuler les mobilisations de masse pour ce droit fondamental encore aujourd’hui bafoué pour les femmes d’Irlande du Nord, et plus particulièrement les femmes de la classe ouvrière.
Le Socialist Party (parti-frère du PSL) soutient la dépénalisation complète de l’avortement, mais nous devons aller plus loin et construire des mobilisations de masse un peu partout pour garantir que les avortements deviennent gratuits, sûrs, légaux et accessibles ici en Irlande du Nord.
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Trop c’est trop ! Il faut affronter cette culture misogyne mondiale !

L’article 40.3.3 de la Constitution irlandaise (le 8e amendement) garantit le droit à la vie de l’enfant à naître, ce qui interdit le droit à l’avortement à moins que la vie de la mère ne soit gravement menacée. C’est la loi la plus stricte d’Europe. 35 ans après que ce changement de constitution a été co-écrit par un archevêque et ensuite envoyé au Pape pour approbation, la lutte pour libérer l’Irlande de son oppression catholique est en cours.
Par Laura Feeney
Un référendum historique
Un référendum a été convoqué pour le 25 mai afin d’abroger ce 8e amendement, mais il aura fallu une longue lutte pour que le sujet soit discuté au Parlement. C’est la pression de la rue qui en est responsable, en grande partie organisée par l’organisation socialiste-féministe ROSA. En Irlande, la campagne ROSA (for Reproductive rights, against Oppression, Sexism & Austerity) a été créée après le décès de Savita Halappanavar, morte à la suite de complications liées à sa grossesse et à l’incapacité du médecin à l’opérer en raison du 8e amendement.
En réponse à ce flot continu d’injustices horribles, une Assemblée citoyenne a voté en faveur de l’abrogation du 8e amendement et pour un accès non restrictif à l’avortement jusqu’à 12 semaines. Ces recommandations étaient beaucoup plus radicales que celles des politiciens traditionnels. Une commission parlementaire a été mise sur pied tandis que les actions de ROSA et de la députée Ruth Coppinger (élue de Solidarity et membre du Socialist Party) ont souligné quelle était l’utilisation de pilules abortives illégales en Irlande. Cela a eu un impact significatif. Il est évident que l’avortement est déjà pratiqué en Irlande, sa légalisation en rendrait la pratique plus sûre. Les tensions sont vives avant la tenue du référendum qui survient dans un contexte où d’autres développements majeurs sont en cours sur le terrain de la lutte contre le sexisme et de radicalisation, particulièrement parmi les jeunes Irlandaises.
‘We stand with her’
En Irlande du Nord, un procès très médiatisé impliquant une jeune femme de dix-neuf ans face à des joueurs de rugby professionnels a récemment attiré l’attention sur le combat à mener plus largement contre l’oppression sexiste. Ce procès était des plus pénibles pour les victimes d’agressions sexuelles. La jeune femme a été interrogée beaucoup plus longuement que les accusés, le jury a fait circuler ses sous-vêtements et une ancienne députée a déclaré qu’une fille de la classe moyenne ne se serait jamais retrouvée dans une telle situation. Lorsque le verdict a été annoncé, non coupable, la colère fut générale. Des rassemblements ont immédiatement eu lieu avec le hashtag #IBelieveHer (je la crois). Deux jours plus tard, des milliers de personnes ont défilé dans les rues de Dublin et devant le palais de justice de Belfast. Une pétition en ligne réclamant la tenue d’une enquête sur le comportement des joueurs a recueilli 65.000 signatures. L’Irish Rugby Union et l’Ulster Rugby ont dû annoncer que les contrats des deux joueurs, Paddy Jackson et Stuart Olding, étaient révoqués. 30.000 euros ont été récoltés pour le Dublin Rape Crisis Centre dans les deux jours qui ont suivi l’annonce du verdict.
Les actions ont été absolument monumentales sur l’ensemble de l’île. Elles s’inscrivent dans un sentiment global. En Pologne, les femmes sont également choquées par l’éthique catholique réactionnaire et se battent pour changer leur loi archaïque sur l’avortement. Lors de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, une ‘‘grève féministe’’ a été déclenchée en Espagne et pas moins de 5,3 millions de personnes sont descendues dans la rue pour lutter contre les abus sexuels et l’écart salarial ! En Irlande, durant les manifestations, de nombreuses pancartes reprenaient une citation de la militante Angela Davis : “Je n’accepte plus les choses que je ne peux pas changer. Je change les choses que je ne peux pas accepter.’’ ‘‘Trop, c’est trop !’’ est devenu un cri de ralliement. Ces femmes ne recherchent pas des réformes ou des solutions rapides et bâclées.
‘‘Je ne vais pas me rendre à la police. Je ne vais pas affronter l’Ulster Rugby.’’ C’est le message effrayant que la jeune victime a envoyé à son amie au lendemain de son agression. Les femmes savent que le système n’est pas à leurs côtés, mais contre elles. Ces hommes puissants n’allaient jamais être réprimandés dans une culture qui considère tout cela comme du ‘‘discours de vestiaire’’. Nous devons lutter contre ce système d’exploitation qui protège les plus puissants plutôt que les plus vulnérables. La ‘‘culture machiste’’ est ancrée à tous les niveaux de la société capitaliste : y compris les forces de police, les tribunaux et l’État. Nous savons que ces institutions ne sont pas là pour la démocratie ou l’égalité, ce sont des outils pour réprimer la révolte de la classe ouvrière. Les mesures qui ont été prises en réponse à cette situation devraient déclencher un feu dans le ventre de chacun. Le changement est imminent et nous n’attendrons plus. Trop, c’est trop.
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Manifestations massives en Irlande contre le ‘‘victim blaming’’ dans une affaire de viol

Ce jeudi 29 mars, des manifestations spontanées d’indignation ont éclaté dans toute l’Irlande, tant au nord qu’au sud, en raison de la décision d’un juge de Belfast d’acquitter des joueurs de rugby dans une affaire de viol. La victime a par contre été blâmée tout au long du procès. Femmes et hommes sont descendus par milliers dans les rues avec le hashtag #IBelieveHer (je la crois). En Irlande, la campagne féministe socialiste ROSA (for Reproductive rights, against Oppression, Sexism & Austerity) est en première ligne de ces protestations.

Vue du cortège de la manifestation de Dublin. Différentes études indiquent que 26 % des Irlandaises sont victimes de violence sexuelle ou physique de la part de leur partenaire ou non, tandis que 31 % sont victimes de violence psychologique, y compris de violence économique. Seules 21 % des femmes victimes de violence le signalent à la police. Moins d’un tiers d’entre elles considèrent que la police a pris l’affaire au sérieux.
En ce moment, les droits des femmes font l’objet d’une plus grande attention dans la société irlandaise, ce à quoi contribue l’organisation prochaine d’un référendum pour l’abolition de l’interdiction constitutionnelle de l’avortement. La campagne féministe socialiste ROSA a joué un rôle de premier plan dans le mouvement de masse qui a conduit à l’organisation de ce référendum et défend l’importance de l’abolition de l’interdiction de l’avortement.
Tout cela a assuré que ce verdict dans une affaire de viol très médiatisée entraîne immédiatement une vague d’indignation et d’actions. Des joueurs de rugby étaient accusés d’avoir violé une jeune femme lors d’une fête. Celle-ci a affirmé qu’elle avait bien accepté d’être embrassée par l’un d’eux, mais qu’elle n’avait donné aucun consentement pour aller plus loin. Les avocats des joueurs de rugby ont fait tout ce qu’ils ont pu pour faire reporter la responsabilité sur la jeune victime. Les vêtements qu’elle portait ont ainsi été présentés comme ‘‘preuves’’ de consentement ! Le procès a pris la forme d’une condamnation de la victime. Comme dans 94 % de toutes les affaires de viol en Irlande, les accusés n’ont pas été condamnés.
A Dublin, notre camarade Ruth Coppinger (députée de Solidarity et membre du Socialist Party, notre parti-frère irlandais) a pris la parole au Parlement concernant cette affaire.
Directement après, elle s’est rendue participer aux actions de protestations dans la rue. Voici une vidéo de l’une de ses prises de parole :
Laura Fitzgerald, de la campagne ROSA – Irlande a également pu prendre la parole :
Des actions ont eu lieu dans toute l’île. D’autres actions sont encore prévues ce week-end. En Belgique, la campagne ROSA (Résistance contre l’Oppression, le Sexisme et l’Austérité) est solidaire de ces manifestations. #WeStandWithHer!
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Reprise de la lutte des classes en Europe tandis que la crise de la zone euro s’approfondit
Le Comité Exécutif International (CEI) du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) s’est réuni du 17 au 22 janvier 2011, en Belgique, avec 33 pays d’Europe, d’Asie, d’Amérique Latine et d’Afrique représentés. Après le premier rapport du meeting du CEI sur la situation mondiale, voici un rapport de Finghin Kelly sur les développements cruciaux en développement en Europe.
Finghín Kelly, Socialist Party (CIO en Irlande)
L’année dernière, l’Europe a connu une forte remontée des luttes, avec des mobilisations et des mouvements considérables. L’Europe a aussi été balayée par les mouvements Occupy et des Indignés. C’est dans ce contexte et celui de la crise économique, politique et sociale que le CEI a discuté des perspectives européennes, discussion introduite par Tony Saunois et conclue par Clare Doyle, tous deux membres du Secrétariat International du CIO.
La classe dominante européenne a implanté des programmes d’austérité vicieux pour tenter de faire payer la crise du capitalisme à la classe ouvrière. Les réformes qui ont été obtenues après des années de lutte, comme les droits à la pension, à la sécurité sociale, les conditions de travail et les dépenses sociales, sont maintenant violemment attaquées. Ce processus élimine tous les acquis et conquêtes de la classe ouvrière depuis la seconde guerre mondiale. C’est une réponse aux idées réformistes de l’après-guerre, dans une période de croissance économique, qui a laissé place à un retour sur les conditions de vie et l’Etat-providence. Cela ne veut toutefois pas encore dire que les idées réformistes ne vont pas resurgir.
L’approfondissement de la crise de la zone euro, à laquelle le capitalisme est complètement incapable de répondre, est une bonne illustration de l’instabilité et de la fragilité de la position des capitalistes.
En réponse à cela et à la montée de la riposte des travailleurs contre les plans des banques et du marché, les Etats utilisent de plus en plus des méthodes autoritaires, anti-démocratiques ou celles du ”Bonapartisme parlementaire”, avec une augmentation de la répression et le minage des institutions ”démocratiques”.
Les attaques de l’austérité sont visibles partout en Europe. Les contributeurs à la discussion ont illustré la nature de l’austérité dans chaque pays ainsi que la révolte et les résistances qu’elles ont provoquées. L’austérité et la réaction à celle-ci ont particulièrement été aigües en Grèce. Les contributions des participants Grecs au CEI ont montré quelle situation explosive existe dans ce pays.
La Grèce a connu 14 grèves générales, dont deux de 48 heures, au cours des deux dernières années uniquement. Plusieurs intervenants ont vivement montré ce que l’austérité signifie pour les travailleurs grecs. Les conditions de vie se sont effondrées, avec des parts entières de la société ruinées ou appauvries, dont une partie de la classe moyenne. Le chômage est massif : celui des jeunes est maintenant proche de 50%. Des enquêtes montrent que 91% des foyers ont subi une forte baisse de leur revenu – en moyenne une diminution de 30%. Maintenant, 78% des foyers ont des difficultés à subvenir à leurs besoins. Ceci a conduit à des exemples tragiques de familles proposant leurs enfants à l’adoption.
L’émigration est un problème énorme dans beaucoup de pays ; l’Irlande, l’Espagne, le Portugal et la Grèce en particulier connaissent une émigration massive des jeunes. Non seulement cela a des conséquences sociales dévastatrices, mais cela complique les luttes de masse et peut agir comme une soupape temporaire pour le capitalisme, car les couches les plus énergiques sont alors éloignées des luttes.
Mouvements sociaux
Le CEI a entendu beaucoup de rapports des mouvements sociaux en Grèce, dont le mouvement de non-paiement d’une nouvelle taxe par foyer, et d’autres campagnes contre les péages routiers et le prix du métro et du bus après des hausses massives. Le CEI a aussi entendu des rapports du mouvement qui rejette l’implantation d’une décharge dans une ville grecque, une révolte ouverte contre les autorités.
Ces mouvements considérables ne sont pas confinés à la Grèce; le Portugal a connu sa plus grande grève générale depuis 1974. En Grande Bretagne et en Irlande du Nord, le secteur public a mené une grève historique contre les attaques du gouvernement de coalition contre les retraites. Entre 1 et 2 millions de travailleurs sont entrés en action : c’est la plus grande grève depuis la Grève Générale de 1926. La Belgique a aussi connu de grandes mobilisations et une grève générale du secteur public en décembre. Le 30 janvier, il y aura une grève générale contre l’austérité du nouveau gouvernement (ce rapport a été publié en anglais avant que celle-ci ne se déroule, NDLR).
L’Espagne a été secouée par les mouvements de masses, qui ont impliqué des millions de travailleurs et de jeunes, un mouvement qui a joué un rôle-clé dans le renversement du gouvernement Zapatero. De plus, l’Espagne a été le terrain du développement du mouvement des Indignados, qui s’inspirait des révolutions en Afrique du Nord et au Moyen-Orient et s’est à son tour exporté à travers le monde et a nourri le mouvement Occupy. Le CEI a entendu beaucoup de rapports de ces mouvements.
Ces mouvements ont été une manifestation importante de la jeunesse radicalisée qui souffre d’un chômage élevé et est touchée par l’austérité. En Espagne, le chômage est de 21%, celui des jeunes est maintenant de 50%.
Le mouvement Occupy est arrivé comme une première réponse des travailleurs et des jeunes à cette crise historique. C’est un mouvement extrêmement important et significatif qui s’est approfondi et qui a eu plus d’effet que les mouvements anticapitalistes de la dernière décennie. Ce mouvement contient des éléments des « mouvements sociaux », qui ont émergé en Amérique Latine dans les dernières décennies par des luttes construites par la base pour combattre dans l’intérêt des principaux secteurs de la société. Tout comme dans ces mouvements, la question de lier le mouvement Occupy aux luttes de la classe ouvrière organisée est décisive. Il est nécessaire de lier les mouvements sociaux aux mouvements de la classe ouvrière. Les camarades du CIO au Brésil ont connu une situation similaire et se sont battus pour la formation d’une nouvelle centrale syndicale, Conlutas, qui inclut les mouvements sociaux tout en étant basée sur la classe ouvrière.
Tendance anti-capitaliste
Ces mouvements représentent le développement d’une tendance antisystème et anticapitaliste. Dans de nombreux cas, il lui a manqué une alternative claire par laquelle remplacer le capitalisme. Une autre caractéristique significative de ces mouvements, c’est que, bien qu’ils n’aient la participation active que d’une minorité, le soutien pour ces mouvements est très large parmi la classe ouvrière.
Il y a eu une discussion sur l’atmosphère « anti-parti » de ces mouvements. Cette tendance reflète le scepticisme et même l’hostilité envers les partis politiques traditionnels. Les marxistes doivent dialoguer avec ces mouvements sur l’alternative au capitalisme, présenter le socialisme et lier les mouvements à la classe ouvrière et des communautés organisées, défendant l’idée du besoin d’un instrument politique pour la classe ouvrière pour permettre la lutte pour le socialisme.
Le développement de la conscience de différentes parties de la société, et de la classe ouvrière en particulier, a été discuté au CEI. Beaucoup de travailleurs espèrent encore que les politiques réformistes ou Keynésianistes peuvent vaincre la crise, alors que d’autres en arrivent à la conclusion que le capitalisme est dans une impasse.
La politique du “moindre mal” vue dans les élections, ou les succès des partis sociaux-démocrates dans les sondages, ont aussi été discutés. Cela ne reflète pas de grandes illusions dans ces partis mais un espoir qu’ils pourront amoindrir les effets des mesures d’austérité. Le soutien pour ces partis peut très vite s’éroder. Cela s’est vu en Irlande, où une coalition Fine Gael / Labour a été élue en février à une large majorité, dans l’espoir qu’ils « brûleraient les porteurs d’obligations ». Mais ces espoirs ont été balayés par les politiques de coupes du nouveau gouvernement de coalition.
La question du moindre mal est posée dans plusieurs pays dont la France, où le parti « socialiste » peut mettre en échec Sarkozy cette année (surtout après la perte du triple A par la France). Cette question est fortement liée au manque d’alternatives de masse à gauche des partis traditionnels. L’échec du NPA en France à se développer comme une référence massive dans un contexte de radicalisation montante est aussi décisif. En Espagne, ce même facteur a conduit à la venue au pouvoir du parti de droite PP : bien que son soutien n’ait pas beaucoup augmenté. Beaucoup se sont tournés vers lui pour porter un coup au gouvernement PSOE, qui a été massacré aux élections de novembre.
Les intervenants ont montré comment une conscience socialiste relativement faible parmi les masses de la classe ouvrière peut être un facteur-clé dans la limitation des mouvements de masse d’opposition.
C’est en train de changer et on peut s’attendre à des bonds en avant dans la conscience de classe à mesure que la lutte se développe, ce qui va augmenter de beaucoup l’attrait pour le socialisme. L’idée et le mot « socialisme » ont été entachés, non seulement par le stalinisme, mais aussi par les gouvernements « socialistes » qui en Europe du Sud ont appliqué des programmes d’austérité. Cela renforce le rôle des marxistes et socialistes authentiques d’expliquer et de populariser une alternative socialiste basée sur la propriété publique et le contrôle démocratique des principales ressources et industries de la société à travers un gouvernement des travailleurs.
Rôle des syndicats
Le rôle joué par les directions syndicales et les partis de gauche a été indentifié comme un facteur qui bride le développement de la conscience de la classe ouvrière. Là où les dirigeants syndicaux ont appelé à une grève, ils l’ont généralement fait les dents serrées et seulement après une forte pression venue d’en bas.
Dans certains cas, les syndicats ont été désertés par leurs activistes et ne sont plus des pôles d’attraction pour les jeunes et les chômeurs radicalisés. Certains des appareils syndicaux sont devenus des organisations « jaunes » ou « d’entreprise » qui agissent comme le bras droit du patronat. C’est une complication pour la lutte. C’est une tâche essentielle pour les militants de se battre pour construire des groupes d’opposition dans les syndicats et essayer de se réapproprier les syndicats. Les véritables socialistes n’adoptent pas une approche sectaire ou gauchiste des syndicats mais doivent aussi se préparer à des scissions et la formation de nouvelles organisations syndicales.
Le CEI a discuté de l’échec des nouveaux partis et formations de gauche à exploiter la situation.
Beaucoup n’ont pas réussi à attirer les secteurs radicalisés de la jeunesse et n’ont pas été actifs dans les luttes. Ils ont échoués à augmenter en nombre, bien que dans quelques cas ils aient eu quelques succès électoraux et de bons résultats dans les sondages.
Il est clair que la crise économique s’intensifie mondialement ; l’Europe et l’Euro sont au cœur de la crise. La question de l’éclatement de l’euro et d’une reconfiguration de l’UE est posée. Le CEI a discuté en profondeur et en détail de comment la crise peut se développer et des conséquences de cela.
Les dégradations de notes par les agences de notation montrent qu’elles n’ont pas confiance en les programmes d’austérité pour sortir de la crise. La question du défaut de paiement est beaucoup posée, les « marchés » et beaucoup de commentateurs capitalistes indiquent que le défaut de paiement de la Grèce et du Portugal est une possibilité immédiate. Cela serait le premier cas d’un pays occidental depuis 70 ans.
Quel futur pour l’euro?
L’éclatement de l’euro aurait de lourdes conséquences pour l’économie européenne et mondiale. Les estimations montrent qu’un million d’emplois disparaitraient rien qu’en Allemagne et que le PIB de l’Allemagne diminuerait de 25%. Les classes dirigeantes capitalistes d’Allemagne et des autres pays feront donc tout ce qu’elles peuvent pour garder l’euro. Les euros-obligations ou un plus grand rôle de la BCE sont mis en avant comme moyen de sortir de la crise par beaucoup de commentateurs capitalistes et une partie de la gauche soutient ces mesures. Beaucoup d’intervenants en ont parlé au CEI. Les différents pouvoirs capitalistes agiront pour protéger leurs intérêts nationaux. Le capitalisme allemand ne veut pas voir l’utilité des euros obligations à ce stade. Cependant, il pourrait y être amené par la pression des évènements, dans une tentative désespérée de sauver l’économie européenne du désastre. Mais même cela ne sera pas une solution à la crise, ni à long ni même à moyen terme.
Plusieurs intervenants ont aussi souligné et discuté de la tendance accrue à court-circuiter les procédés démocratiques parlementaires « normaux » et le rognage des droits démocratiques. L’année dernière, des gouvernements « technocratiques » ont été imposés en Italie et en Grèce, quand les marchés et l’UE ont perdu la foi dans la capacité des gouvernements de ces pays à mener à bien les énormes coupes d’austérité.
Le gouvernement italien qui a été intronisé était, en réalité, un gouvernement des banquiers, puisque chaque membre du cabinet a un passé dans les grandes banques ou les institutions financières ou de forts liens avec elles.
La commission européenne a aussi accru son intervention dans de nombreux pays ; ce qui se voit clairement dans les pays « programme », où des programmes d’austérité détaillés ont été planifiés par la « troïka », en conjonction avec les gouvernements nationaux. Même dans les autres pays, cette intervention a augmenté. En Belgique, la Commission a exigé que le gouvernement se réunisse un weekend pour trouver d’autres idées de coupes, parce que selon elle, les coupes n’allaient pas assez loin.
Mesures autoritaires
L’érosion de la démocratie ne s’est pas faite seulement aux niveaux des parlements et des gouvernements ; une tendance générale à l’usage de mesures étatiques autoritaires, la répression et la criminalisation des protestations, ont été discutés. Cela s’est vu dans les tentatives de mettre fin au mouvement Occupy, en Espagne et partout ailleurs.
L’érosion des droits démocratiques est évidente en Hongrie, le premier pays européen à être renfloué par le FMI pendant la crise économique. Les délégués ont rapporté les attaques au droit de grève, le nouveau code du travail et les camps de travail pour les chômeurs-longue durée. Comme dans les autres pays, les droits aux pensions et aux retraites anticipées ont été attaqués. La répression contre les Roms a empiré. Un nouvel impôt à taux unique augmente les difficultés économiques des pauvres. La liberté des médias a été rognée par de nouvelles lois. Une nouvelle constitution introduite par le gouvernement ronge beaucoup de droits démocratiques de base.
En même temps qu’une crise économique, les classes capitalistes européennes font face à une crise politique. Les réserves politiques de la bourgeoisie leur échappent parce que les partis politiques traditionnels sont discrédités par leurs politiques de coupes. Nous avons vu une série de crises gouvernementales en Europe. Tous les pays au premier plan de la crise de l’euro ont subi des changements politiques : l’Italie, l’Espagne, la Grèce, l’Irlande et le Portugal ont changé de gouvernement en 2011.
Même en Allemagne, où il y a eu quelque croissance économique, cela n’a pas donné un coup de pouce aux partis dirigeants. Par exemple, le FDP est en crise et est menacé de perdre ses représentants parlementaires.
Des évènements tumultueux dans les mois à venir
Les anciens partis des travailleurs se sont encore droitisés pendant la crise et se sont discrédités aux yeux des travailleurs. Le Labour en Grande Bretagne a dit qu’il ne reviendrait pas sur les coupes du gouvernement Con-Dem quand il reviendrait au gouvernement. En Italie, le PD (Parti Démocrate) a voté pour les coupes de Monti !
Dans un certain nombre de pays, le vide politique est partiellement rempli par les forces de droite. Le Front National en France utilise cyniquement une rhétorique populiste anti-banque pour essayer d’augmenter son soutien. L’émergence du parti néo-fasciste Jobbik en Hongrie a aussi été discutée en exemple de la façon dont l’extrême-droite peut occuper cet espace. Le danger de l’extrême-droite et la menace raciste peuvent être combattus par le mouvement ouvrier avec un clair programme de classe qui unifie les travailleurs contre les attaques néolibérales et lutte pour les emplois, le logement et des aides sociales pour tous, et pour un vrai changement de système.
Dans cette situation, la question nationale va réapparaitre. Les développements en Écosse et en Espagne ont été discutés par les intervenants de ces pays, où la crise a fait monter la question nationale et posé la question du séparatisme. Les forces du CIO, tout en défendant le droit à l’auto-détermination, opposent une alternative de lutte unifiée et socialiste pour atténuer le nationalisme bourgeois.
De cette excellente et très riche discussion, il ressort très clairement que l’Europe va connaitre des évènements tumultueux dans les mois et années qui viennent, au fur et à mesure que la crise économique et politique s’approfondit. Cela va donner au CIO d’énormes opportunités pour construire le soutien aux idées socialistes.