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Tag: Grève générale
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Comment la grève générale de 1936 a imposé les congés payés
1936. En Allemagne, les nazis sont au pouvoir et une politique anti-ouvrière brutale est menée. Chez nous aussi, l’extrême-droite fait une percée lors des élections du 24 mai 1936. En Espagne et en France, ce sont des gouvernements de gauche, mais qui – entre autres, sur insistance de la Russie stalinienne – refusent de casser avec le capitalisme et restent ainsi pris en entaille par la crise capitaliste. La colère est grande et cherche à s’exprimer.
Par Geert Cool
Une vague de grèves spontanées de la base
Lors de la campagne électorale, deux militants du syndicat socialiste des transports BTB-UBOT ont été assassinés par des militants d’extrême-droite : Albert Pot et Theofiel Grijp. Une grève de 24 heures le jour de leurs funérailles était insuffisante aux yeux de nombreux militants. Cette violence mortelle n’était pas seule visée. Les salaires ne suivaient pas l’augmentation des prix et les conditions de vie des travailleurs étaient mises à mal depuis des années.
La direction du BTB s’est vue contrainte, sous pression de la base – avec, entre autres, une bagarre devant les locaux du BTB au Paardenmarkt – d’appeler à une grève avec pour revendications centrales : la semaine des 40 heures, une augmentation salariale générale, un salaire minimum de 32 francs par jour et six jours de congés payés annuels. Les leaders syndicaux ont reconnu que la grève “débordait la direction”.
La grève s’est ensuite étendue à d’autres secteurs : les réparateurs de bateaux, le secteur du diamant, … et à partir du 9 juin, les mines de charbon, le secteur du métal, etc. La FN-Herstal a été occupée par le personnel ; la première grande occupation d’entreprise de l’Histoire sociale belge, à l’initiative de militants combatifs qui s’étaient insurgés pendant le mouvement de grève de 1932.
Les centres de gravité du mouvement se trouvaient à Anvers, Liège et dans le Borinage. Les militants avaient répondu à l’unisson aux tentatives de division communautaire par le slogan: “Mon prénom est flamand ou wallon, mon nom est ouvrier.” Le nombre de grévistes est monté à un demi-million. Le gouvernement s’est vu contraint, pour la première fois dans l’Histoire nationale, de se concerter avec les directions syndicales et les employeurs.Gouvernement et patronat doivent faire des concessions
Si le gouvernement et les employeurs ont fait des concessions en 1936, ce n’était pas par sens social, mais parce qu’ils avaient le couteau de la grève sous la gorge.
Une augmentation de salaire de 7 à 8 % a été obtenue, ainsi que l’instauration d’un salaire minimum légal, de la semaine de 40 heures dans les mines et le droit à 6 jours de congés payés. Dans plusieurs secteurs, des commissions paritaires ont été instaurées pour la première fois (pour la concertation entre employeurs et travailleurs). Les dirigeants syndicaux nationaux ont proposé de reprendre le travail à partir du 24 juin, mais la grève s’est encore poursuivie à plusieurs endroits.
Le 8 juillet 1936, la loi sur les congés payés était une réalité. Des actions ont cependant encore été nécessaires pour qu’elle soit appliquée dans tous les secteurs. Les actions de grève qui ont conduit à l’obtention des congés payés ont fait des blessés et même un mort : une femme de Quaregnon est tombée sous les balles de la gendarmerie qui tirait arbitrairement suite à des confrontations précédentes avec les grévistes.Comment la gauche peut-elle se construire dans les mouvements ?
Des militants de gauche – dont des activistes du Parti Communiste de Belgique (PCB), mais aussi d’autres courants, ont connu une influence croissante durant cette période. De son côté, la social-démocratie était dans le gouvernement et entendait y rester après les élections. Des leaders syndicaux alliés – certains siégeaient au parlement au nom du POB – freinaient aussi des quatre fers.
Après la scission du PCB en 1928 (lorsque les partisans de Trotsky ont été exclus) et le choc de la récession économique, la gauche était très affaiblie. La grève de 1932 a marqué un tournant avec une augmentation du poids syndical des militants de gauche. Sur le plan politique, cela s’est limité à une timide croissance du PCB.La radicalisation des années précédant 1936 a surtout bénéficié, sur le plan politique, à la base du POB. Le “plan De Man”, un programme se limitant à des réformes par la voie parlementaire, a suscité un grand espoir de changement. Trotsky a proposé d’émettre une critique politique de ce Plan, mais aussi “de montrer à une couche d’ouvriers la plus large possible que, tant que la bourgeoisie tente de contrecarrer le Plan, nous lutterons à leurs côtés pour les aider à traverser cette expérience. Nous partagerons avec eux toutes les difficultés de la lutte, mais ce que nous ne partagerons pas, ce sont les illusions qui y sont liées.” La critique du Plan ne devait pas mener à l’augmentation de la “passivité des ouvriers” en donnant une “prétendue justification théorique”, mais au contraire à renforcer les forces révolutionnaires.
Un petit groupe de trotskystes belges, surtout organisés à Charleroi, a construit à la base du POB un front unique. Ils collaboraient avec le courant de gauche ‘Action Socialiste’ qui a vite été placé devant un choix : une cassure révolutionnaire ou l’acceptation du capitalisme. Spaak, entre autres, a choisi la dernière option et a été récompensé par des postes de ministre et la fonction de secrétaire général de l’OTAN. Sous la houlette de Walter Dauge et l’influence de trotskystes, une partie a choisi la cassure révolutionnaire avec le capitalisme. Ce groupe a été exclu du POB et a formé le Parti Socialiste Révolutionnaire avec environ 800 membres et une implantation et influence dans le Hainaut. Ainsi, Dauge a obtenu une majorité aux élections communales à Flénu, le roi a alors refusé de le nommer bourgmestre.
La défaite en Espagne et le fait que le mouvement français ne s’est pas développé ont fait que la phase ascendante de la lutte des classes a été stoppée en 1936. Cela a offert plus d’espace aux développements contre-révolutionnaires. Cela a, avec la guerre qui approchait, rendu difficile la consolidation de la nouvelle organisation trotskyste en Belgique.
Le mouvement offensif de 1936 a mené à une victoire. De plus, cela a amené la question d’alternatives politiques. Le prestige international de l’Union soviétique a aussi fait que c’est surtout le POB qui a tiré profit de ce mouvement. Mais les trotskystes aussi ont pu devenir un facteur d’importance, là où ils répondaient audacieusement à la radicalisation et aux mouvements de masse sans faire de concessions sur leur détermination programmatique.
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De la colère au mouvement de masse: La lutte contre les apprentis-Thatcher
Avec un plan d’action menant graduellement à une grève générale le 7 octobre, nous savons ce qu’il nous reste à faire ces prochains mois : traduire autant que possible le mécontentement sur les lieux de travail et au-delà en un mouvement actif qui fera chuter le gouvernement. Le premier plan d’action en 2014 a montré le potentiel : nous avons fait vaciller le gouvernement et mis nos préoccupations à l’agenda de l’opinion publique. Mais le mouvement est temporairement retombé et le gouvernement thatchérien a pu se relever. Les nouvelles attaques n’ont alors pas tardé à suivre. Nous devons stopper ce gouvernement. Le laisser aller à son terme serait irresponsable pour nos conditions de vie.
Par Geert Cool, dossier paru dans l’édition de juin de Lutte Socialiste
Le plan d’action de 2014 a montré notre potentiel
Juste avant l’entrée en fonction de ce gouvernement de droite en 2014, il y avait déjà eu des protestations. Le gouvernement flamand de même composition donnait déjà une idée très claire de ce qui allait suivre. Durant l’été 2014, il avait entre autres annoncé une forte hausse du minerval dans l’enseignement supérieur, à côté d’autres mesures antisociales. Le 23 septembre 2014, une première concentration de militants a réuni 7000 personnes à Bruxelles contre le gouvernement fédéral en formation. Déjà alors, il était question d’un saut d’index, d’attaques sur les pensions et de sape du droit de grève. Nous allions avoir un autre type de gouvernement, le slogan “Pas de Thatcher en Belgique” a bénéficié d’un très bon écho parmi les militants.
Dans le tract que nous avons distribué le 23 septembre, nous faisions les propositions suivantes pour la lutte : “Pourquoi pas une campagne d’information, avec une argumentation solide, des tracts et affiches pour aller vers les collègues sur son lieu de travail et les motiver. De préférence avec un mot d’ordre concret de sorte que nous réagissions de concert et pas dans toutes les directions. Cela peut être une manifestation nationale ou plusieurs manifestations provinciales et des meetings pour mesurer la combativité. Nous pourrions y annoncer des assemblées générales pendant les heures de travail sur les lieux de travail. Un plan d’action pourrait y être discuté, avec des grèves provinciales tournantes et des manifestations qui déboucheraient sur une grève nationale de 24 ou 48 heures. Si à ce moment-là, le gouvernement n’a pas encore fait de concessions ou n’a pas chuté, une semaine plus tard, on pourrait lors d’assemblées générales sur le lieu de travail, proposer, voter et organiser une grève renouvelable chaque jour.”
Une manifestation nationale a effectivement eu lieu le 6 novembre, suivie de grèves provinciales les 24 novembre, 1er décembre et 8 décembre avec pour point culminant, la grève générale nationale du 15 décembre 2014. Là où des assemblées générales ont été tenues, cela a renforcé la lutte. Mais c’est resté limité à quelques lieux de travail. L’initiative est restée principalement aux mains des directions syndicales, ce qui lui a permis début 2015 de stopper le mouvement. Mais cela ne s’est pas fait sans difficulté.
Une toute petite majorité (historiquement courte) du Conseil de la CSC du 10 février – 49 % pour, 45 % contre, 6 % d’abstention – a accepté l’accord salarial prévoyant une marge de 0,8 % maximum, avec maintien du saut d’index. Des espoirs ont été fondés sur la concertation, entre autres dans le cadre d’un tax-shift, un virage fiscal qui devait conduire à une fiscalité plus juste. Ce tax-shift a cependant constitué une nouvelle attaque contre notre pouvoir d’achat et un nouveau cadeau aux grandes entreprises. La concertation n’a rien rapporté et lorsqu’un tout petit quelque chose risquait d’être imposé via la concertation, le gouvernement l’a systématiquement balayé. Il suffit de penser aux corrections pour les fins de carrière ou à la disponibilité des chômeurs âgés. Pour les attaques les plus dures telles que la suppression de la semaine de 38 heures et du sursalaire, on n’a même plus organisé de concertation. En 2015, à l’exception du mois d’octobre (avec la manifestation de plus de 100.000 personnes du 7 octobre et la grève générale à Liège-Huy-Waremme le 19 octobre), les mobilisations se sont limitées à des actions “thématiques” sans perspectives ni enthousiasme.
La fin du premier plan d’action en 2014 a été décevante pour beaucoup de militants. Mais nous ne devons pas en oublier les éléments positifs : le caractère progressif et constructif des actions qui nous a renforcés, les mobilisations offensives qui ont attiré d’autres couches et mis l’opinion publique de notre côté, le fait qu’avec nos actions, nous avons pu faire vaciller le gouvernement. Beaucoup ont vu le potentiel de ce mouvement, ce qui a entrainé une désillusion d’autant plus grande quand celui-ci n’a pas été réalisé.
Le nouveau plan d’action démarre aujourd’hui des expériences et acquis du plan d’action de 2014. La base des syndicats s’est élargie, le nombre record de candidats lors des élections sociales (132.750 !) le confirme. C’est plus de candidats qu’en 1979, après la première vague de protestation contre le début de la politique d’austérité néolibérale avec, entre autres, les grèves du vendredi de 1977 contre le gouvernement orange-bleu (sociaux-chrétiens et de libéraux) Tindemans – De Clercq qui est tombé sous la pression sociale. Il a alors fallu attendre 1981 avant qu’un nouveau gouvernement de droite n’essaie de reprendre le fil néolibéral. Depuis, de nombreux bastions industriels ont disparu, mais malgré tout, cette année, il y a quand même eu plus de candidats aux élections sociales. L’implication dans les syndicats semble plus grande aussi. Ainsi, une étude du bureau d’intérim Randstad établit que 53 % des travailleurs se sentent fortement impliqués dans le syndicat, contre 44 % lors des élections précédentes de 2012. Ceci est aussi le résultat du caractère constructif du plan d’action de 2014.Nous pouvons aujourd’hui continuer à construire sur base de l’expérience d’une lutte offensive grâce à laquelle nous avons permis à nos revendications de trouver un large écho en entraînant de nouvelles couches avec nous. Fin 2014, un sondage de VTM et du Knack indiquait que 85 % des Flamands étaient en faveur d’une taxe sur les richesses et 55 % disait comprendre la protestation syndicale. Lors des manifestations et grèves, les jeunes ont toujours montré leur soutien – c’était certainement le cas à Gand où un mouvement contre l’augmentation du minerval a été construit – tout comme le secteur socio-culturel avec, entre autres, Hart boven Hard / Tout autre chose. Dans une lutte offensive, ce qui nous unit est plus évident que ce qui nous divise.
Après le plan d’action de 2014, la question se pose de savoir comment avoir plus de contrôle sur notre lutte, de sorte qu’elle ne soit pas stoppée ou mise en stand-by d’en haut. La proposition que nous faisions déjà en septembre 2014 par rapport aux assemblées du personnel pour discuter du plan d’action et le voter n’a pas seulement pour but d’accroître l’implication lors des actions. Cela pose également la question de savoir qui prend la responsabilité des actions et donc aussi de les arrêter. Nous pourrions ainsi consolider la base active plus large des syndicats et la mettre pleinement à profit.
En 2014, le gouvernement a vacillé. Juste avant la grève générale du 15 décembre, selon un sondage de La Libre et la RTBF, seulement 20 % étaient encore favorables au gouvernement Michel, 43 % défavorables et 39 % indécis. En ce qui concerne le gouvernement flamand, il y avait plus de personnes en sa défaveur (29 %) qu’en sa faveur (28 %). Nous savons qu’avec un gouvernement thatchérien qui après chaque coup, essaie de se remettre d’aplomb pour frapper d’autant plus fort, la concertation ne mène à rien.Laisser le gouvernement aller à son terme en espérant un mieux après les prochaines élections signifie que, dans le contexte actuel de problèmes économiques, nous laissions encore passer des années d’austérité. Et le résultat en est incertain. La direction syndicale britannique a suivi cette stratégie, mais les conservateurs de Cameron ont gagné les élections suivantes et ont poursuivi la politique d’austérité. Nous ne pouvons courir ce risque en Belgique, l’enjeu de notre protestation doit être la chute du gouvernement. Quel que soit le gouvernement qui viendra ensuite, il devra tenir compte d’une classe ouvrière plus consciente. En résumé : nous devons mieux nous organiser pour maximaliser l’implication et renforcer le mouvement, mais aussi directement renforcer notre contrôle démocratique de la lutte. Nous pouvons pour cela traduire le mécontentement dans un large mouvement de masse dans le cadre d’un plan d’action constructif par lequel nous chasserons le gouvernement de droite et la politique d’austérité par la grève. Celui qui lutte peut perdre, celui qui ne lutte pas a déjà perdu.
Grève générale : “si votre bras puissant le veut, il peut arrêter les rouages”
Sous la surface, le mécontentement de larges couches de la population grandit. Dans le même temps, la rhétorique dominante des médias établis et traditionnels est particulièrement à droite. Certains en ont déduit qu’il y aurait une droitisation et que la base pour les actions et les points de vue syndicaux serait limitée. Si nous nous basons sur les médias, c’est plausible et cela a assurément un certain effet. Mais le mécontentement latent face aux énormes inégalités et à l’austérité qui mine sans cesse notre niveau de vie ne disparaît pas parce qu’on n’en parle pas dans les journaux.
En fait, il y a une polarisation avec un fossé croissant entre la rhétorique dominante et ce que de larges couches de la population vivent et pensent. Les partis établis qui se disent de gauche, comme la social-démocratie (PS, SP.a) et les verts regardent surtout vers le haut et s’adaptent facilement à la rhétorique de droite. Cela les isole du mécontentement largement porté et rend particulièrement difficile la possibilité de le traduire politiquement.
Au travers de nos actions, certainement dans le cadre d’un plan d’action crescendo étalé sur plusieurs mois, nous pouvons rendre conscients de nombreux éléments inconscients. Chaque mouvement de lutte est riche de leçons et de nouveaux militants qui font en sorte que nos revendications et préoccupations puissent être mises en avant à plus grande échelle. Une grève générale constitue un point culminant et montre en effet que les travailleurs sont à même de mettre l’économie à l’arrêt. Sans notre force de travail, leur capital ne vaut rien. ‘‘Si votre bras puissant le veut, tous les rouages sont à l’arrêt” était le slogan de la grève des chemins de fer néerlandais en 1903.
Dans le contexte actuel, l’accent doit surtout être mis sur le caractère unifiant d’une grève générale : nous faisons grève tous ensemble, pas secteur par secteur ou région par région. Avec une grève générale, cela va plus loin que ça. Cela signifie une mobilisation de la classe ouvrière contre les capitalistes et contre l’état capitaliste, même si les participants à la grève n’en sont pas pleinement conscients. Une grève générale met en effet l’ensemble du système à l’arrêt et fait en sorte qu’il devient clair que les travailleurs, la classe ouvrière, sont capables de prendre la société en mains.
Lors d’une grève générale de longue durée dans laquelle des comités de grève organisent l’approvisionnement, cela s’accentue encore davantage. Nous avons alors deux pouvoirs : le pouvoir capitaliste paralysé et l’embryon d’un nouvel état ouvrier. La bourgeoisie ne se laissera jamais dessaisir du pouvoir sans réaction ; nous devrons être organisés et en finir avec toutes les armes possibles de l’état capitaliste. Une grève générale aujourd’hui est surtout destinée à montrer la force et la solidarité du mouvement ouvrier. Cela peut entraîner des couches qui auparavant n’étaient pas prêtes à l’action. De plus, on peut tirer beaucoup de leçons de cette lutte, des expériences pratiques sont toujours plus parlantes. Il faut en faire quelque chose : construire un rapport de forces par lequel, via des grèves générales, nous pourrons arriver à une rupture avec le capitalisme et commencer la construction d’un autre système, une société socialiste.
Une alternative politique propre au mouvement ouvrier
Chasser le gouvernement et la politique d’austérité par la grève est possible. Mais après ?
Un retour à un gouvernement de centre gauche dirigé par la social-démocratie qui mène la même politique à un tempo moins élevé n’est pas une alternative réelle. Naturellement, le gouvernement qui suit la chute de son prédécesseur sous la pression des travailleurs devra faire attention. Après la chute du gouvernement Tindemans – De Clercq en 1977, il a fallu quatre ans avant qu’un gouvernement ne vienne avec l’intention de mener les mêmes attaques. Après la chute du gouvernement Martens – Verhofstadt en 1987 sous la pression de la protestation contre le plan Ste-Anne en 1986, les libéraux ont disparu du gouvernement pour plus de 10 ans. Un gouvernement qui suit un gouvernement chassé par la grève – même si finalement cette chute est teintée de communautarisme comme ce fut le cas en 1977 et 1987 – doit tenir compte d’une classe ouvrière plus consciente.
L’ambition du mouvement ouvrier ne doit pas se limiter à chasser une politique de droite par la grève. Nous devons mettre en avant nos propres alternatives et construire nos propres instruments politiques pour les faire aboutir. Dans le monde entier, de nouvelles forces de gauche naissent qui mettent à l’agenda la question d’une autre politique. Il suffit de penser à Syriza (Grèce), Podemos (Espagne), Jeremy Corbyn (Grande-Bretagne) ou Bernie Sanders (États-Unis). Chez nous aussi, l’ambition d’arriver à une force capable de traduire politiquement nos revendications et nos préoccupations à grande échelle doit être présente.
La progression du PTB/PVDA aux élections fait en sorte qu’enfin, une voix de gauche radicale résonne au parlement. Cela permet, au moins, au point de vue des travailleurs épuisés ou des personnes qui ont du mal à joindre les deux bouts d’arriver jusqu’au parlement. Le PTB se fixe aujourd’hui très fort sur une approche électoraliste : ceux qui ne sont pas satisfaits de la politique actuelle doivent voter pour le PTB la prochaine fois de sorte qu’il y ait trois ou quatre parlementaires de gauche supplémentaires. Dans le meilleur des cas, ceux-ci pourront peser sur la politique. Voici le constat posé. Pour les élections communales, cela s’est traduit à Anvers, dans un appel à un “cartel de gauche” avec le SP.a et Groen. Nous comprenons le souci de beaucoup d’en finir avec la politique de “l’empereur De Wever”, mais faut-il pour autant limiter l’ambition de la gauche à n’être qu’un petit partenaire des partis qui optent pour la même politique d’austérité à un tempo plus lent ?
Nous pensons que l’ambition du mouvement ouvrier sur le terrain politique doit être plus grande. Le plan d’action ne peut se limiter à stopper le gouvernement et l’austérité, nous devons, dans les entreprises, en rue, dans les quartiers, unir les forces par lesquelles nous pourrons imposer une autre politique. Une campagne comme celle de Sanders montre le potentiel d’un parti qui casse avec la politique de Wall Street. Une initiative ferme en ce sens de la part des syndicats, qui soit ouverte aux nouveaux mouvements sociaux, du PTB et d’autres forces de gauche radicale éveillerait un enthousiasme écrasant et redessinerait en quelques mois le paysage politique de notre pays.
Une société socialiste
Après des années d’offensive néolibérale, un mécontentement croissant contre les inégalités et les conséquences de l’austérité est présent.
Toutefois, la conscience de larges couches de la population reste marquée par l’offensive idéologique des néolibéraux, en particulier après la chute des dictatures staliniennes du bloc de l’Est. Ces régimes étaient des caricatures du socialisme, l’absence de démocratie ouvrière a constitué un frein absolu aux économies planifiées bureaucratiquement. Mais leur disparition à la fin des années 1980 a tout de même eu un effet négatif sur le mouvement ouvrier, une “alternative existant réellement” disparaissait en effet, ce qui a alimenté la propagande de ceux qui disaient qu’il n’y “pas d’alternative” possible au capitalisme.
Cela joue jusqu’à aujourd’hui un rôle sur la détermination de la conscience. Il n’y a pas encore de large soutien pour une société socialiste comme alternative concrète au chaos du capitalisme. Au travers de mouvements, on constate la colère à l’égard de ce système, mais alors que la situation est bien mûre pour une autre société, la conscience à cet égard est encore hésitante. Cela laisse l’espace au développement de toutes sortes de visions et pratiques plutôt utopiques qui font plutôt penser au premier développement du mouvement ouvrier au 18e siècle.
Pour les socialistes, il convient d’approcher positivement le potentiel d’un nouvel éveil à la recherche d’alternatives. Nous devons y donner un contenu de manière conséquente en mettant l’accent sur la force du mouvement ouvrier organisé capable de mettre le système à l’arrêt et poser la base pour une société dans laquelle les moyens existants sont utilisés pour satisfaire aux besoins et nécessités de chacun et dans laquelle il est décidé démocratiquement comment la société doit être gérée. C’est la société socialiste du futur pour laquelle nous nous battons. Participer à la construction du PSL est la meilleure garantie d’avancer dans la direction que nous décrivons dans ce dossier.
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Une gigantesque rupture sociétale en préparation ?

Photo : Isabelle Marchal Comment y parvenir et quel rôle la grève générale peut-elle jouer ?
‘‘Dans les prochaines années, le débat idéologique portera sur le dialogue entre l’État et le marché, entre la collectivité et l’individu, et entre la dette publique et la propriété privée. (…) Un monde nouveau se dresse. Il porte en lui une gigantesque transformation sociétale.’’ C’est ce qu’a écrit l’économiste Bruno Colmant au lendemain de la manifestation du 6 novembre, le plus imposant rassemblement syndical depuis 1986, dans un article intitulé ‘‘Et si une gigantesque rupture sociétale se préparait ?’’ Cette rupture est une absolue nécessité. Mais comment assurer qu’elle soit bénéfique au monde du travail ?
Dossier par Nicolas Croes
La mobilisation de ce 6 novembre fut excessivement impressionnante. Entre 120.000 et 150.000 personnes ont battu le pavé pour protester contre les projets austéritaires du gouvernement Michel. Les prochaines étapes du plan d’action syndical – les grèves régionales et la grève générale nationale du 15 décembre – promettent, elles aussi, de profondément frapper les imaginations.
Une fois le 6 novembre passé, il n’a pas fallu longtemps pour que Kris Peeters (CD&V) se lance avec tout le poids de son parti pour tenter d’obtenir un impôt sur le capital. Il faut dire que les révélations du Lux Leaks (concernant des opérations visant à éluder l’impôt via le Luxembourg) avaient rajouté de l’huile sur le feu. Et c’est sans compter la plus-value de 1,45 milliard d’euros réalisée par le patron d’Omega Pharma à l’occasion de la revente de son entreprise sans qu’il ne paye le moindre impôt. Cette manœuvre, comme on s’en doute bien, ne vise qu’à faire accepter l’inacceptable, c’est une expression de la panique du gouvernement. La rédactrice en chef du Soir, Béatrice Delvaux, a elle-même été limpide à ce sujet : ‘‘il n’est pas question ici de punir le capital (…) il est crucial que les réformes radicales décidées soient rendues plus acceptables et donc applicables par ceux qui les ‘‘subissent’’.’’ Il serait véritablement malheureux que toute la force du mouvement syndical n’ait servi qu’à cela…
Ce gouvernement des riches ne doit pas être aménagé, il doit être renversé. Son accord gouvernemental est tout entier dévolu à l’élite au sommet de cette société qui vit de notre travail et de notre exploitation. Mais pour céder place à quoi ? À un Di Rupo II ou une quelconque coalition entre partis de l’establishment ? Ceux-là s’entendent comme larrons en foire dès qu’il s’agit de nous faire payer la crise. Seul le rythme de l’offensive antisociale les divise, pas son principe même.
Comme le PSL le répète inlassablement depuis des semaines, c’est toute l’austérité qu’il faut combattre : la chute du gouvernement MR/CD&V/OpenVLD/N-VA ne marquera pas la fin de notre combat, mais simplement une étape, tout importante qu’elle soit. Comme on pouvait le lire sur le tract que le PSL a distribué le 6 novembre : ‘‘Notre lutte ne fait que commencer. L’expérience ainsi acquise doit être utilisée pour la construction d’un véritable contre-pouvoir de la classe des travailleurs. À la place d’un gouvernement anti-travailleur, nous voulons un gouvernement des travailleurs, un gouvernement dont la politique garantira la satisfaction des besoins de la large majorité de la population au lieu des profits d’une poignée de super-riches. Cela exige d’intégralement rompre avec la politique austéritaire.’’
La grève générale comme instrument pour changer de système
La tâche peut paraître titanesque, mais il s’agit de notre seule alternative. L’ouragan de la crise économique ne va pas disparaître et l’offensive capitaliste est destinée à s’amplifier, en Europe et ailleurs à travers le monde. Cependant, il n’existe pas de chose telle que la crise finale du capitalisme. Mais ce système archaïque ne pourra retrouver un semblant de stabilité que par la défaite de la classe des travailleurs et la réduction drastique de ses conditions de vie et de travail.
Durant la dernière période, les attaques antisociales ont plu sur les travailleurs à un rythme inédit, sous la forme de restructurations massives ou de fermetures d’entreprises dans le privé et de mesures d’austérité drastiques de la part des autorités publiques capitalistes. Toutefois, sur le même temps, le mouvement des travailleurs n’est pas resté inactif et toutes les institutions traditionnelles de la classe dominante ont été frappées d’un discrédit sans précédent. Et alors qu’elle avait semblé disparaître avec le 20e siècle, une des plus formidables armes de la classe des travailleurs a fait son retour : la grève générale.
Reste que les grèves générales sont actuellement essentiellement considérées comme une forme de contestation ou de pression. En Belgique, les dernières grèves générales étaient destinées à ‘‘faire entendre au gouvernement la voix de la rue’’. L’objectif n’était clairement pas de faire chuter le gouvernement, ne parlons même pas de renverser le système capitaliste. Le mouvement a systématiquement été freiné par la crainte de voir arriver au pouvoir un gouvernement encore plus à droite. Mais cette fois-ci, l’argument ne vaut plus.
De plus, même si la colère ne fait que grandir dans la société et avec elle le désir d’aller vers ‘autre chose’, les gens ne savent en général pas encore vraiment ce à quoi cette ‘autre chose’ peut bien se rapporter. L’alternative à défendre fait défaut auprès des couches larges de la population.
Or, chaque grève recèle en elle la contestation d’une parcelle du pouvoir capitaliste. Un piquet de grève peut, par exemple, contester au patron le pouvoir de faire entrer qui il veut dans “son” entreprise. Il peut également remettre en question l’idée de travailler pour un patron, en acceptant ainsi l’exploitation quotidienne pour pouvoir vivre.
Lorsqu’une grève prend de l’ampleur (en démarrant dans une entreprise, s’étendant vers une grève locale puis générale nationale, durant plusieurs jours,…), la force de cette contestation augmente d’autant. Cela peut aller jusqu’à poser la question cruciale : qui est le maître à l’entreprise, dans l’économie et dans l’État : les travailleurs ou les patrons et actionnaires ? Le potentiel d’une grève générale est de clairement montrer la réalité au grand jour : les travailleurs produisent les richesses et sont à la base de l’économie. C’est pour cela qu’ils peuvent bloquer celle-ci. À eux ensuite de relancer l’économie, en étant cette fois débarrassés des grands patrons, des spéculateurs et autres parasites économiques. Comme le dit le vieux slogan ouvrier, ‘‘le patron a besoin de toi, tu n’as pas besoin de lui.’’
Le double pouvoir
En bref, une grève générale ne pose pas seulement les bases pour une lutte de plus grande ampleur contre la société capitaliste et ses partisans. Elle est le terreau idéal pour que germe potentiellement une nouvelle société égalitaire, basée sur le contrôle démocratique des grands moyens de production, les secteurs-clés de l’économie.
Ainsi, en Belgique, au cours de la grande grève générale de l’hiver 1960-1961, des comités de lutte avaient véritablement paralysé l’activité économique 5 semaines durant. Ces organes, initialement prévus pour l’efficacité du combat contre le plan d’austérité de la ‘‘Loi Unique’’, avaient pris en charge l’organisation de la distribution alimentaire ou médicale, la gestion des transports,… Quand une situation pareille se développe, la classe dominante perd progressivement son contrôle sur la société. Au fur et à mesure de l’approfondissement du conflit social, les tâches des comités se développent pour arriver à une situation de ‘‘double pouvoir’’où, à côté de l’État capitaliste, surgit un embryon de nouvel État basé sur la coordination des assemblées de travailleurs et leur action.
Ces comités de lutte ou de grève ont donc le potentiel de représenter le début d’une nouvelle organisation de la société en passant d’organes de combat à des organes de gestion. C’était un phénomène régulièrement présent dans les grèves générales du passé. La bourgeoisie de même que les dirigeants syndicaux étaient, par ailleurs, très inquiets de tels développements. Pendant la grande grève générale de 1926 en Grande Bretagne (la dernière connue par le pays), un politicien conservateur avait déclaré aux dirigeants syndicaux que s’ils poursuivaient la grève, ils deviendraient plus puissants que l’État lui-même. Il leur a donc posé la question : ‘‘Est-ce que vous êtes prêts à cela ?’’ En Belgique en 1960-61 comme en Grande-Bretagne en 1926, le système capitaliste a été sauvé non par sa force, mais par l’absence d’une direction suffisamment audacieuse et confiante envers les capacités du mouvement des travailleurs à construire leur propre alternative démocratique.
Pas de démocratie réelle sans démocratie économique !
Des assemblées sur les lieux de travail, dans les quartiers, dans les écoles et dans les universités sont nécessaires à l’organisation de la lutte et pour poursuivre le combat. Cela permettra de construire un puissant mouvement impliquant le plus de monde possible en unifiant les travailleurs, les jeunes et les pauvres, organisés démocratiquement par la base au travers de comités de base.
Pour autant que ces comités soient reliés localement, régionalement et nationalement, toujours sous le contrôle des assemblées et avec des représentants sujets à révocation, ils peuvent progressivement passer d’organes de lutte à organes de pouvoir. Il y aurait ainsi une extraordinaire multitude de ‘‘parlements’’.
L’aboutissement de ce processus est l’instauration d’un gouvernement des travailleurs représentant les intérêts de la majorité de la population, et non pas ceux de l’élite. Aujourd’hui, chaque revendication de type économique, démocratique ou écologique se heurte à la dictature des marchés capitaliste et à la sacro-sainte ‘‘position de compétitivité’’. Ce système est génétiquement incapable de donner naissance à une démocratie puisque les intérêts de la majorité de la population entreront par nature en conflit avec le pouvoir exercé par l’infime minorité de propriétaires des moyens de production.
Notons que si nous faisons ici référence aux travailleurs, ce n’est pas par fétichisme marxiste, mais tout simplement parce que le mouvement organisé des travailleurs est le seul à pouvoir bloquer l’économie – et donc la base du pouvoir de l’élite capitaliste – à l’aide de la grève générale et des mobilisations de masse. De la sorte, le mouvement des travailleurs peut poser les jalons d’une nouvelle société où les secteurs-clés de l’économie seraient aux mains de ce mouvement et fonctionneraient dans le cadre d’une planification démocratique.
Cet élément de démocratie dans le processus de production est un point fondamental, car pour reprendre les mots du révolutionnaire russe Léon Trotsky : ‘‘une économie planifiée a besoin de démocratie comme le corps humain a besoin d’oxygène.’’ C’est d’ailleurs cette absence de démocratie qui a conduit à l’effondrement des pays du Bloc de l’Est, étouffés par le cancer dictatorial bureaucratique du stalinisme.
L’internationalisme
Un des facteurs qui permet de comprendre la dégénérescence bureaucratique de la Révolution russe et l’usurpation du pouvoir par une caste bureaucratique en Union Soviétique est l’isolement dans lequel s’est retrouvé ce pays arriéré économiquement et culturellement au lendemain de la révolution. Par ailleurs, l’absence directions révolutionnaires éprouvées dans les autres pays, a fortement contribué à vouer à leur perte les expériences révolutionnaires allemande, hongroise, italienne, etc. des années 17-21.
Néanmoins, regardons comment les récents mouvements de masse ont fait appel les uns aux autres depuis le début de la crise économique ! Il suffit de voir jusqu’où l’on a parlé de la manifestation du 6 novembre et du plan d’action syndical. Dans de nombreux pays, un plan d’action anti-austérité qui ne se limite pas à une manifestation nationale sans lendemain doit encore arriver. Les réseaux sociaux et internet constituent un puissant vecteur d’information sur les luttes en cours. Une expérience concrète de rupture anticapitaliste pourrait lancer un signal fort et enthousiasmant aux mouvements sociaux à travers le globe et enclencher une dynamique révolutionnaire à une vitesse encore inédite dans l’Histoire de l’Humanité.
Quel impact international aurait un gouvernement des travailleurs qui oserait refuser de se plier aux diktats des fonds spéculateurs, répudierait sa dette publique (sauf sur base de besoins prouvés) et nationaliserait sous contrôle et gestions de la collectivité le secteur financier dans sa totalité, de même que d’autres secteurs vitaux (énergie, grande distribution, etc.) et les richesses naturelles ? Quel enthousiasme susciterait de par le monde un gouvernement qui utiliserait les richesses créées par la collectivité pour lancer un vaste programme de construction de logements sociaux bien isolés, d’écoles, d’hôpitaux (etc.) et assurerait que chaque travailleur dispose non seulement de bonnes conditions de travail et de salaire, mais aussi de son mot à dire sur l’organisation pratique de son travail et sur l’organisation de la vie quotidienne dans la société ?
Bien évidemment, en Europe ou ailleurs, un tel gouvernement déclencherait les foudres des institutions telles que le FMI, la Banque Mondiale, etc. Il devrait donc combiner l’application de sa politique avec des mobilisations de la population et des appels à la solidarité internationale. Le conflit entre les classes sociales entrerait dans une autre sphère, mais la classe des travailleurs serait grandement renforcée.
Organiser les forces révolutionnaires
Aujourd’hui, cette conscience large de la nécessité de se diriger vers une société où la production est sous le contrôle et la gestion démocratiques des masses fait encore défaut. Mais il ne faut pas perdre de vue que l’Histoire n’évolue pas toujours au même rythme, de façon linéaire. Elle est au contraire parcourue de soubresauts. Parfois, le mouvement des travailleurs semble ne pas évoluer des décennies durant. Puis, poussé par des luttes et l’intervention consciente des militants marxistes, il peut bien vite – en quelques semaines, parfois même en quelques jours – rattraper le retard sur la situation politique réelle.
Au fil du temps, des grèves générales prendront un caractère révolutionnaire. Cela exige quatre conditions. La classe des travailleurs doit se révolter contre le capitalisme. Les couches moyennes dans la société doivent douter et – partiellement au moins – choisir le camp des travailleurs. Ensuite, la classe dominante – la bourgeoisie – doit être divisée au vu du manque de moyens pour sortir de la crise. Enfin, et c’est crucial : il faut un parti révolutionnaire de masse capable de canaliser la colère dans une lutte organisée pour une société socialiste démocratique. Construire cette force pour la phase suivante de la lutte des classes est la tâche principale du PSL et de son internationale, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO).
Dans sa lutte, la classe des travailleurs a besoin de mots d’ordre qui correspondent aux besoins objectifs du moment. Même un petit groupe peut surmonter sa faiblesse numérique et devenir un facteur dans le mouvement, à condition qu’il lance les mots d’ordre appropriés au bon moment. Nous devons trouver les moyens de faire graduellement émerger, pas à pas et en partant des besoins actuels, l’idée de la transformation socialiste de la société comme étant la seule issue possible.
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5 conseils pour un piquet de grève réussi
Lors des journées de grèves régionales et nationale, nous allons voir les piquets de grève fleurir à travers le pays. Comment s’assurer du bon succès de notre piquet ?1. Mobiliser pour le piquet
Un piquet, c’est une démonstration de force. Il faut convaincre par la discussion ceux qui voudraient travailler de soutenir la grève, passer du temps entre collègues pour discuter de la lutte et des mesures à prendre pour la faire progresser tout autant que de l’alternative à proposer contre l’austérité. Pour tout ça, il faut assurer la présence de tout le monde au piquet, pas seulement de deux ou trois délégués. Pour que le piquet puisse tenir un certain temps, il faut organiser un plan précisant qui vient à quelle heure. En général, le mieux est de tenir le piquet en suivant l’horaire habituel de chacun.
2. Organiser le piquet
Les actions prennent place en novembre et en décembre : il y a donc de fortes chances qu’il fasse froid et qu’il pleuve! Ce n’est pas évident de rester debout dehors toute la journée en pareilles circonstances. Le minimum est donc de prévoir de quoi faire un brasero et une tonnelle pour s’abriter : ce sont de petites choses, mais l’action risque de tomber à l’eau sans cela. L’idée d’un piquet, ce n’est pas de venir y passer cinq-dix minutes, mais bien plusieurs heures d’affilée. En plus d’un tente et d’un feu, c’est toujours bien de penser aussi à assurer des collations et des boissons.
3. Discuter sur le piquet
Nous ne restons pas dehors toute la journée parce que ça nous amuse ; ce n’est pas non plus pour profiter du beau temps ni pour jouer au ballon. Un piquet, c’est l’occasion d’apprendre à connaitre ses collègues d’une autre manière mais, au final, nous sommes en grève pour obtenir quelque chose.
Nous voulons balayer ce gouvernement et sa politique d’austérité. Quitte à passer plusieurs heures debout au piquet, autant que ce soit pour discuter des arguments à utiliser pour convaincre plus de camarades de s’impliquer dans le mouvement, etc. Pourquoi ne pas imprimer un tract pour les exposer?
En même temps, ce tract pourrait aussi appeler à une assemblée du personnel afin d’évaluer le mouvement et préparer la suite.
4. Aller visiter les autres piquets
Une fois que le piquet est bien installé et qu’il y a suffisamment de monde pour le tenir, cela peut être intéressant d’envoyer une délégation visiter les autres piquets aux alentours. Ces visites de solidarité peuvent servir à ce que les travailleurs d’un même coin apprennent à mieux se connaitre, à nouer des liens qui permettront de créer un réseau de solidarité dans un même zoning ou une même ville. Il faut évidemment aussi être prêt à bien recevoir les délégations qui visitent notre piquet pour stimuler la discussion. L’union fait la force !
5. Évaluer le piquet
Le lendemain de la grève, tous les journaux du pays déborderont d’articles sur la grève pour évaluer les ‘‘dégâts’’ (selon eux). Mieux vaut évaluer nous-mêmes notre propre mouvement!
Le fait de convoquer une assemblée du personnel après l’action pour évaluer la grève, le piquet et les objectifs ainsi que pour préparer les prochaines étapes du mouvement constitue la cerise sur le gâteau pour un piquet réussi. Cela nous donne en même temps l’espace d’élaborer nos revendications et propositions pour les rendre plus concrètes, au niveau de l’entreprise comme du secteur.
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Ce gouvernement et la politique d’austérité peuvent être balayés par la grève !
En avant vers la plus grande grève générale de 24 heures de l’histoire belge !
Michel I a été totalement surpris par les plus de 120.000 manifestants du 6 novembre. Soudainement, une petite taxe sur le capital bien symbolique semblait négociable pour faire passer la pilule. On peut donc faire trembler ce gouvernement. Mais tant que nous ne l’aurons pas complètement balayé par la grève, il va se redresser et lancer de nouvelles attaques. En faisant du 15 décembre la plus grande grève générale de 24 heures de l’histoire du pays, nous pouvons lui infliger une nouvelle claque. Le gouvernement survivra-t-il ? Il sera au moins fortement affaibli. Il ne sera probablement plus capable d’encaisser un deuxième plan d’action début 2015.
Tract du PSL – Tract en version PDF
La volonté du gouvernement pour des concessions n’a pas duré longtemps. Le temps passant, la manifestation massive a été réduite à un fait divers et toute l’attention a été détournée vers les violences qui ont eu lieu à sa marge. Jusqu’à ce que l’Open VLD et la N-VA aient la confiance d’exiger de limiter les allocations de chômage dans le temps en contrepartie de “l’impôt sur la fortune”. La manœuvre était évidente et visait à totalement évacuer de la table l’impôt sur la fortune. Et alors que le Secrétaire d’Etat Tommelein (Open VLD) veut vérifier si les allocataires vivent vraiment seuls en comparant leur consommation d’eau, la Secrétaire d’Etat Elke Sleurs (N-VA) a déclaré, même après l’affaire Luxleaks et les frasques de Marc Coucke (Omega Pharma), que les entreprises et bourgeois qui fraudaient le fisc devaient être traités ‘‘avec compréhension et en tant que partenaires’’.
Entretemps les salariés, les chômeurs, les retraités, les malades, les personnes handicapées et aussi beaucoup de petits indépendants sont plumés. Le saut d’index, les attaques contre les pensions des fonctionnaires, contre les services publics, contre les chômeurs et contre le droit de grève sont accompagnées par de nombreuses mesures plus petites qui, ensemble, sont l’équivalent d’une morsure de requin sur notre budget. Chaque jour, les coalitions au pouvoir en rajoutent : augmentation des prix à la TEC, non-indexation rétrospective des quelques déductions fiscales dont bénéficient le commun des mortels, révision du panier de l’index, etc. A chaque fois, les plus faibles revenus sont les plus touchés.
Le gouvernement soutient que la compétitivité des entreprises sera ainsi restaurée et que des dizaines de milliers d’emplois seront créés. Mais même le journal d’affaires De Tijd reconnaît que les entreprises belges se portent bien. ‘‘Les sociétés belges en crise? Quelle crise?”, a-t-on pu lire dans ses pages le 15 novembre. Il apparait que les entreprises ne veulent pas investir leurs réserves (240 milliards d’euros!) mais surtout payer leurs actionnaires. Le gouvernement ne le sait que trop bien. Sur une carrière complète, les salariés perdront entre 25.000 et 40.000 € avec un saut d’index. Aucun ministre ne dit combien d’emplois cela créera : ‘‘Nous vivons dans une économie de marché, pas dans une économie planifiée.” Cependant, il ressort du budget que le gouvernement n’a pas confiance. Sur les 1,2 milliard d’euros qui iront vers les entreprises en 2015 avec un saut d’index, il s’attend à ce que 850 millions (les 2/3) aillent à l’augmentation des profits des entreprises et non à la création d’emplois.
Le 6 novembre a démontré qu’il existe une grande volonté d’agir. Pourtant, chacun de nous doit argumenter contre des collègues qui chérissent l’illusion que si nous serrons les dents maintenant, ça ira mieux ensuite. Des collègues qui pensent qu’il n’y a pas de solution alternative, que faire grève ne sert à rien et qui se sont laissé entrainer par la couverture médiatique des émeutes après la manifestation. Nous ne voulons pas les pousser dans les bras des patrons. Nous avons des arguments pour les convaincre comme jamais auparavant. Des tracts et des discussions sont indispensables sur les lieux de travail, mais aussi et surtout des assemblées générales du personnel pour expliquer les mesures gouvernementales, pour faire l’évaluation du plan d’action, pour préparer les actions mais aussi pour clarifier qu’il ne s’agit pas d’une grève ‘‘des syndicats’’, mais de chacun d’entre nous, assistée par les syndicats.
Les syndicats, de leur côté, ont intérêt à ce que se développe une dynamique qui implique tout le monde dans l’organisation du plan d’action. Pourquoi, dans les secteurs et les régionales, ne pas organiser des assemblées générales ouvertes en front commun syndical afin d’évaluer la grève et de discuter des moyens de faire du 15 décembre un succès sans précédent? Pourquoi ne pas également planifier des assemblées générales après le 15 décembre pour faire démocratiquement l’évaluation et voir comment procéder après nouvel an ? Le point le plus faible de notre plan d’action reste la question de l’alternative. La coalition de droite dure souligne subtilement que le gouvernement précédent n’a pas introduit d’impôt sur la fortune. Il est vrai que si nous balayons Michel I par la grève, nous freineront également fortement du même coup la politique de casse sociale du prochain gouvernement, qu’il s’appelle Di Rupo II ou Peeters I. Mais ce mouvement a un potentiel bien plus grand que de simplement assurer le retour d’une tripartite au pouvoir. Ce serait une déception.
Ce dont nous avons besoin, c’est d’un gouvernement qui défend aussi fermement les intérêts des travailleurs que le gouvernement actuel défend ceux des patrons. Nos assemblées du personnel ne doivent pas se limiter à l’évaluation et à la préparation des actions, elles pourraient contribuer à l’élaboration d’une véritable alternative en construisant et en faisant vivre de la base – par entreprises et par secteurs – le cahier de revendications des travailleurs. En se rabattant toujours sur le moindre mal – la social-démocratie pour la FGTB, la démocratie chrétienne pour l’ACV et les verts pour certains autres – nous n’avons fait que préparer le lit pour l’arrivée de la droite dure au pouvoir. Le mouvement des travailleurs mérite de meilleurs représentants. La FGTB de Charleroi & Sud Hainaut appelle depuis deux ans à rompre avec la social-démocratie et les Verts pour s’unir dans un vaste parti de lutte de la gauche. Le PSL reste disponible et veut entièrement coopérer.
Le Parti Socialiste de Lutte défend:
• Rétablissement total de l’indexation, négociations salariales libres et salaire minimum de 15 euros bruts de l’heure!
• Non à la dégradation des contrats de travail par la sous-traitance, l’intérim ou les autres emplois précaires !
• Bas les pattes du statut des fonctionnaires! Aucun démantèlement des services publics! Aucune privatisation ou libéralisation! De l’insourcing au lieu de l’outsourcing!
• Bas les pattes de nos pensions. Maintien de la prépension et de la retraite anticipée!
• Augmentation des pensions à minimum 75% du dernier salaire avec un minimum de 1500 euros par mois!
• Ni chasse aux chômeurs, ni dégressivité, ni service communautaire! Attaquons le chômage par la diminution généralisée du temps de travail à 32 heures/semaine sans perte de salaire et avec embauches compensatoires!
• Nationalisation des secteurs clés de l’économie sous contrôle démocratique de la collectivité!
• L’économie de marché chaotique et la course aux profits n’offrent aucune garantie d’emplois. Pour une économie planifiée, gérée et contrôlée démocratiquement par la collectivité : pour un socialisme démocratique et moderne!
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Film : Hiver ’60
“Hiver 60” est un film réalisé en 1982 par Thierry Michel et qui est consacré à la grande grève générale de l’hiver 1960-1961. Bien qu’il aborde ces 5 semaines de grève quasi unilatéralement sous l’angle wallon, ce film relate assez bien les événements, et notamment le rôle de frein de l’appareil syndical.
Afin d’accompagner le film, vous trouverez ci-dessous un dossier consacré à cette grande épreuve de force paru dans les pages de Lutte Socialiste fin 2010.
Retour sur la “Grève du siècle”
50 ans après la grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61Ces cinq semaines d’un combat implacable, mené en plein hiver, constituent rien de moins que l’évènement le plus grandiose à ce jour de l’histoire des luttes de la classe ouvrière belge. A la base de ce conflit qui a puissamment ébranlé les fondations du système capitaliste, se trouvait un plan d’austérité particulièrement brutal, la Loi Unique. A l’heure où les plans d’austérité pleuvent sur les travailleurs partout en Europe et ailleurs, à l’heure où reviennent à l’avant-plan les grèves générales (voir notre dossier du mois dernier), les leçons à tirer de ce conflit sont inestimables.
Par Nicolas Croes, sur base du livre de Gustave Dache, La Grège générale révolutionnaire et insurrectionnelle de l’hiver 1960-61
LE CONTEXTE
A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’appareil de production de la bourgeoisie belge était quasiment intact, un énorme avantage pour une économie belge basée sur l’exportation face à des économies voisines à reconstruire. La machine économique belge tournait donc à plein rendement mais, face au développement progressif de nouvelles industries à l’étranger, cet avantage a progressivement disparu.
De plus, la bourgeoisie belge avait délibérément négligé des branches industrielles qui s’étaient récemment développées, comme la chimie ou encore l’électronique, pour conserver une structure industrielle basée sur l’industrie lourde (sidérurgie, extraction de charbon,…). Plutôt que d’investir dans leur appareil de production, les capitalistes belges investissaient leurs profits en banque. Disposant d’un très puissant capital financier, la Belgique était alors qualifiée de ‘‘banquier de l’Europe’’. Cette fonction de banquier a toutefois été fondamentalement remise en question par la crise de l’industrie. A cela s’ajoutait encore le coût de la perte du Congo, devenu indépendant le 30 juin 1960.
Pour assurer ses profits, la classe capitaliste belge devait donc prendre des mesures radicales. Comme toujours, c’est aux travailleurs et à leurs familles que l’on a voulu faire payer la crise avec les mesures d’austérité de la Loi Unique. Mais la prudence s’imposait. Un certain climat de lutte régnait à ce moment, et la grève générale insurrectionnelle de 1950 concernant la Question Royale (le retour du roi Léopold III) n’était pas encore oubliée… C’est pour cette raison que le gouvernement avait choisi de commencer la discussion au Parlement sur la Loi Unique le 20 décembre, en comptant sur les préparatifs des fêtes de fin d’année afin d’affaiblir la mobilisation des travailleurs.
De leur côté, la direction du Parti Socialiste Belge et de la FGTB comptaient également sur cette période pour éviter de prendre l’initiative et déclencher les hostilités. Les bureaucrates du PSB et de la FGTB étaient pris entre deux feux. Une défaite significative des travailleurs aurait signifié que la bourgeoisie aurait sérieusement commencé à s’en prendre à ses positions et à ses privilèges, mais une victoire de la classe ouvrière était tout aussi menaçante pour ces mêmes privilèges.
La direction du PSB avait déjà démontré à plusieurs reprises sa servilité à la ‘raison d’Etat’. Quand s’était déroulée la grève des métallurgistes de 1957, le ‘socialiste’ Achille Van Acker, alors premier ministre, n’avait pas hésité à la réprimer. Cependant, la très forte base ouvrière active en son sein forçait la direction du PSB à imprimer des accents plus radicaux à sa politique. Début octobre 1960, le PSB a donc pris l’initiative de mener campagne dans tout le pays au sujet de la Loi Unique. C’était l’Opération Vérité, dont le but était d’assurer qu’une fois la Loi votée et appliquée, la colère et le mécontentement des travailleurs se traduisent en soutien électoral. Partout, l’assistance était nombreuse et les salles souvent trop petites. Ce n’était pas son objectif premier, mais cette campagne aura joué un effet non négligeable dans la préparation de la bataille de l’hiver 60-61.
Au niveau syndical, les directions voulaient elles aussi éviter la grève générale et une lutte dont elles pouvaient perdre le contrôle. La Centrale Syndicale Chrétienne, proche du PSC au pouvoir, a dès le début freiné la contestation de tout son poids. Au cours de la grève générale pourtant, de très nombreux militants de la CSC, tant au nord qu’au sud du pays, ont rejoint la lutte.
Au syndicat socialiste, différentes ailes s’affrontaient, ce qui s’est exprimé lors du Comité National Elargi du 16 décembre 1960. La gauche syndicale groupée autour d’André Renard y avait proposé de voter pour un plan comprenant une série de manifestations allant vers une grève générale de 24 heures le 15 janvier 1961 (soit après le vote de la Loi Unique, beaucoup trop tard). De son côté, la droite proposait de simplement organiser une journée nationale d’action quelque part en janvier 1961. Au final, la gauche syndicale a reçu 475.823 voix, la droite 496.487. Mais, en moins de quatre jours, ces deux positions ont complètement été dépassées par l’action de la base.
LA BATAILLE COMMENCE – L’APPAREIL SYNDICAL EST DÉBORDÉ
Les services publics étaient particulièrement touchés par la Loi Unique et, le 12 décembre, la Centrale Générale des Services Publics de la FGTB avait appelé au déclenchement d’une grève générale illimitée pour le matin du 20 décembre.
Dans tout le pays, la grève des services publics a très bien été suivie. A Gand, par exemple, les ouvriers communaux ont bloqué la régie de l’électricité, privant de courant le port et toute la région. Des milliers de syndiqués chrétiens ont rejoint le mouvement, contre l’avis de leurs dirigeants. Dès ses premières heures, le mouvement n’est pas resté limité au service public, de nombreuses grosses entreprises ont été mises à l’arrêt. Souvent, les travailleurs ont dû menacer leurs délégués, qui tentaient d’appliquer les consignes des sommets syndicaux.
En quelques heures, l’action spontanée des travailleurs a ébranlé tout le système capitaliste et surpris ses agents dans le mouvement ouvrier. Le lendemain, désolé, le secrétaire général de la FGTB Louis Major (également député socialiste) s’est lamentablement excusé à la Chambre en disant : ‘‘Nous avons essayé, Monsieur le premier ministre, par tous les moyens, même avec l’aide des patrons, de limiter la grève à un secteur professionnel.’’
Le 21 décembre, tout le pays était paralysé. Ce jour-là, on pouvait lire dans La Cité: ‘‘on signale qu’en plusieurs endroits, les dirigeants de la FGTB eux-mêmes auraient été pris de court (…) Il semble bien qu’en certains endroits du moins, le contrôle du mouvement échappe à la direction de la FGTB.’’ Pour pallier au manque de direction, les travailleurs se sont petit à petit organisés avec des comités de grève, qui ont commencé à se coordonner. Voilà très précisément ce que craignait le plus la direction syndicale : qu’une nouvelle direction réellement basée sur la lutte collective des travailleurs se substitue à elle. La droite de la FGTB nationale, qui s’était opposée par tous les moyens à la grève générale, s’est déchargée de ses responsabilités sur les régionales en leur laissant le choix de partir ou non en grève.
Ainsi, ce n’est qu’après que la grève générale ait été effective dans tout le pays que les régionales ont lancé un mot d’ordre de grève générale et tenté de dissoudre ou de récupérer les comités de grève (qui contrôlaient 40% de la région de Charleroi par exemple).
TRAVAILLEURS FRANCOPHONES ET FLAMANDS UNIS DANS LA LUTTE
La grève s’est étendue partout, les débrayages spontanés surgissant dans tout le pays. Les métallurgistes, les verriers, les mineurs, les cheminots, les dockers, etc. étaient tous en grève, toute la Wallonie était paralysée. En Flandre, le développement de la grève était plus lent et plus dur, mais bien réel. Des secteurs entiers y étaient en grève. D’ailleurs c’est en Flandre que s’est trouvée la seule entreprise à avoir été occupée par les grévistes lors de cette grève générale (la régie de l’électricité de Gand, du 20 au 30 décembre).
Contrairement à ce que certains affirmeront par la suite, les travailleurs flamands ont largement démontré qu’ils étaient fermement engagés dans la lutte, malgré toutes les difficultés supplémentaires rencontrées dans une région où n’existaient pas de bassins industriels comparables à ceux de Charleroi ou de Liège, où le poids réactionnaire du clergé était plus important, où la CSC était dominante et où la direction de la FGTB était plus à droite.
Dans ce cadre, la constitution sous la direction d’André Renard du Comité de coordination des régionales wallonnes de la FGTB, le 23 décembre, a représenté une véritable trahison. En plus d’être une manoeuvre destinée à assurer que la direction de la lutte n’échappe pas à l’appareil de la FGTB en faveur des comités de grève, la formation de ce Comité a divisé les forces de la classe ouvrière face à un gouvernement, des forces de répression et une bourgeoisie unie nationalement. Toujours à l’initiative d’André Renard, cette politique de division des travailleurs a été encore plus loin quand, au moment le plus critique de la lutte, la gauche syndicale a introduit la revendication du fédéralisme.
LE DANGER DE LA RÉVOLUTION
Au départ, il ne s’agissait que de la Loi Unique mais, très rapidement, c’est la question de la prise du pouvoir qui s’est posée. Il n’a pas fallu attendre longtemps avant que n’apparaissent dans les nombreux et massifs cortèges de manifestants des slogans revendiquant une Marche sur Bruxelles. Ce que les travailleurs entendaient avec cet appel, ce n’est pas une simple manifestation à Bruxelles, mais un rassemblement ouvrier massif dans la capitale pour une confrontation ouverte avec le régime.
Ce mot d’ordre avait été décisif en 1950 lors de la grève générale sur la Question Royale. Le roi Léopold III avait abdiqué la veille de la tenue de cette Marche afin de désamorcer un mouvement qui n’aurait pas seulement fait basculer la monarchie, mais aurait également fait courir un grand péril au régime capitaliste lui-même. En 60-61, si les bureaucrates ont refusé d’organiser la Marche sur Bruxelles, c’est qu’ils comprenaient fort bien que ce mot d’ordre signifiait l’affrontement révolutionnaire des masses ouvrières et de l’Etat bourgeois.
Face à l’ampleur du mouvement de grève, le gouvernement a réagi par l’intimidation, par de nombreuses arrestations arbitraires et par la violence des forces de l’ordre. Le gouvernement craignait que les grévistes ne parviennent spontanément à s’emparer des stocks d’armes et de munitions entreposées à la Fabrique Nationale, occupée militairement. L’armée a été envoyée renforcer la gendarmerie afin de surveiller les chemins de fer, les ponts, les grands centres, etc. Des troupes ont été rappelées d’Allemagne.
Mais les forces de répression se déplaçaient lentement à cause des routes parsemées de clous, des rues dépavées ou encore des barrages. De plus, les troupes n’étaient pas sûres et subissaient la propagande des comités de grève les appelant à rejoindre la lutte. A certains endroits, les femmes de grévistes apportaient de la soupe et de la nourriture aux soldats. Le pouvoir bourgeois avait grand peur de cette fraternisation avec les grévistes.
Les dirigeants syndicaux étaient systématiquement plus fortement hués lors des meetings de masse, car ils ne faisaient qu’inlassablement répéter en quoi la Loi Unique était néfaste alors que les travailleurs criaient ‘‘A Bruxelles ! A Bruxelles !’’ C’est dans ce cadre qu’il faut considérer les très nombreux actes de sabotage de cette grève générale. Ces actes ne sont que la conséquence de la frustration, de la colère et de l’impatience des travailleurs suite au refus des responsables de donner une perspective au mouvement.
André Renard, le leader de l’aile gauche de la FGTB, a partout été réclamé pour prendre la parole. Sa rhétorique plus radicale correspondait mieux à l’état d’esprit des grévistes mais derrière son discours se cachait la volonté de ne faire qu’utiliser la force des travailleurs pour forcer la bourgeoisie à faire des concessions et non pour renverser le régime capitaliste. En cela, il a surestimé la marge de manœuvre dont disposaient les capitalistes et a été forcé de trouver une voie de sortie honorable.
LE FÉDÉRALISME : L’ÉNERGIE DES MASSES DÉTOURNÉE
Le mouvement était placé devant un choix : la confrontation directe avec le régime capitaliste ou la retraite derrière un prétexte capable de sauver la face à une partie au moins de l’appareil syndical. C’est dans ce cadre qu’il faut voir l’appel au fédéralisme lancé par André Renard, un appel fatal à la grève générale. Le 31 décembre, le Comité de coordination des régionales wallonnes de la FGTB publiait un communiqué déclarant que la grève était essentiellement localisée en Wallonie, ce qui est faux. Alors que, partout, les travailleurs réclamaient des actions plus dures, le Comité a répondu en semblant prétendre que seule la Wallonie luttait.
Le 3 janvier, André Renard s’est ouvertement prononcé contre une Marche sur Bruxelles. Le même jour, il a déclaré « Le peuple Wallon est mûr pour la bataille. Nous ne voulons plus que les cléricaux flamands nous imposent la loi. Le corps électoral socialiste représente 60 % des électeurs en Wallonie. Si demain le fédéralisme était instauré, nous pourrions avoir un gouvernement du peuple et pour le peuple. » (Le Soir du 4 janvier 1961) Le 5 janvier paraissait le premier numéro de l’hebdomadaire dirigé par André Renard, Combat. Son slogan de première page était : « La Wallonie en a assez. »
Peu à peu, et sans consultation de la base, c’est ce mot d’ordre, une rupture de l’unité de front entre les travailleurs du pays, qui a été diffusé par l’appareil syndical. A ce moment, des dizaines de milliers de travailleurs flamands étaient encore en grève à Gand et Anvers, mais aussi dans des villes plus petites comme Bruges, Courtrai, Alost, Furnes,…
Finalement, faute de mots d’ordre et de perspective, le mouvement s’est essoufflé. La grève s’est terminée le 23 janvier 1961.Cette défaite ne doit rien au génie ni à la force du patronat et de son gouvernement, mais tout à la trahison des dirigeants du PSB et de la FGTB, de droite comme de gauche, qui ont préféré la défaite à la poursuite de la lutte contre le capitalisme et pour une autre société.
Comment la défaite aurait-elle pu être évitée ?
Ce combat historique a été caractérisé par la gigantesque volonté d’en découdre de la part du mouvement ouvrier. Il n’a manqué qu’une chose pour que le mouvement aboutisse à sa conclusion logique, c’est-à- dire le renversement du régime capitaliste, il aurait fallu une direction réellement révolutionnaire aux masses en mouvement. Dans son Histoire de la révolution russe, Léon Trotsky (l’un des dirigeants de cette révolution avec Lénine) a expliqué que “Sans organisation dirigeante, l’énergie des masses se volatiliserait comme de la vapeur non enfermée dans un cylindre à piston. Cependant le mouvement ne vient ni du cylindre ni du piston, mais de la vapeur.” C’est exactement ce qui s’est produit ici, l’énergie des masses s’est volatilisée. Une organisation, même petite, aurait pu réaliser de grandes choses si elle était décidée à prendre ses responsabilités.
Concrètement, cela aurait signifié d’appuyer sans réserve la constitution des comités de grève et d’appeler à un Congrès national des comités de grève – premier pas vers l’instauration d’un gouvernement ouvrier basé sur les comités de grève – tout en défendant un programme socialiste et révolutionnaire. Cela aurait signifié de vigoureusement dénoncer le refus des directions syndicales d’offrir une voie en avant et les manoeuvres telles que le fédéralisme. Cela aurait aussi signifié d’appuyer concrètement l’appel à la Marche sur Bruxelles. Hélas, cela, personne ne l’a fait. Le Parti Communiste Belge est ainsi essentiellement resté à la remorque du PSB et de la FGTB (il faut toutefois préciser que bon nombre de ses militants ont joué un rôle important dans les entreprises pour déclencher la grève).
Un autre groupe de gauche radicale existait, au sein du PSB, groupé autour du journal La Gauche (Links en Flandre). Ce groupe était essentiellement dirigé par des militants se réclamant du trotskysme et dont la principale figure était Ernest Mandel. Ils prétendaient défendre une politique révolutionnaire, mais ses dirigeants étaient très fortement influencés par la pratique réformiste de la direction du PSB et des appareils bureaucratiques de la FGTB. Dans les faits, ce groupe a suivi la tendance d’André Renard, n’a pas dénoncé la création du Comité de coordination des régionale wallonnes, n’a pas appelé à la convocation d’un Congrès national des comité de grève et a limité son soutien à la Marche sur Bruxelles à de vagues propositions irréalistes. Concernant les propositions fédéralistes de Renard, La Gauche aurait dû réagir en opposant le renversement du gouvernement et de l’Etat bourgeois. A la place ne s’est manifesté qu’un silence complice.
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Grande-Bretagne : Les millions de travailleurs du secteur public sur le sentier de la grève !
Construisons le mouvement des travailleurs !
Ce 10 juillet, jusqu’à deux millions de travailleurs du secteur public entrent en grève en Grande-Bretagne contre leurs salaires de misère. Les pompiers lancent quant à eux huit jours de lutte contre le hold-up des retraites. Des milliers d’autres travailleurs entrent en action localement pour défendre leur niveau de vie dans cette prétendue reprise économique.
Par Hannah Sell, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)
Cette journée d’action de grève coordonnée est attendue depuis longtemps. Les retenues sur salaires ont été combinées à la décimation des services publics. Ces quatre dernières années, le gel des salaires a en moyenne fait perdre 3.700 £ par an aux travailleurs du secteur public. Le gouvernement vient d’annoncer que le gel des salaires dans la fonction publique se poursuivra jusqu’en 2018.
Mais puisque cette grève intervient dix mois avant la prochaine élection générale, elle revêt encore plus d’importance. C’est un avertissement pour n’importe quel parti pro-austérité destiné à participer au prochain gouvernement : les travailleurs veulent se battre.
Certains commentateurs capitalistes cherchent réconfort dans l’absence – jusqu’à présent – d’une lutte plus généralisée contre l’austérité. Janan Ganesh, par exemple, a déclaré dans le Financial Times que « la droite » a pu impunément appliquer des « coupes [d’austérité] déjà plus grandes que celles lancées par Thatcher. » (8 juillet 2014) Mais tirer la conclusion que la lutte n’est pas à l’ordre du jour est tout à fait erroné. Certes, les dirigeants syndicaux de droite ont fait dérailler la lutte issue du magnifique mouvement qui s’est développé en 2011. Et il est vrai que cela a inévitablement accru la confiance du gouvernement pour intensifier l’application de l’austérité tout en sapant celle des travailleurs envers la possibilité d’arrêter cette logique. Mais une énorme et viscérale colère de classe s’est construite sous la surface de la société et, à un certain stade, elle va trouver un débouché.
Il n’existe aucune alternative à l’intensification de la lutte contre l’austérité après la journée du 10 juillet. La prétendue «reprise économique» ne conduira pas à une véritable amélioration du niveau de vie des travailleurs. Seuls les super-riches en bénéficient, mais les bulles du crédit et la domination du secteur financier laissent entrevoir la perspective d’une nouvelle crise.
La journée du 10 juillet doit constituer une rampe de lancement vers une nouvelle action coordonnée, vers la construction d’une grève générale de 24 heures avec participation des syndicats des secteurs public et privé. Parallèlement à l’opposition aux coupes budgétaires, à la privatisation et à la modération salariale, cette grève devrait également revendiquer très clairement la fin des contrats « zéro heure » [un contrat de travail ultra-flexible et unilatéralement favorable aux patrons, NDT] et pour un salaire minimum d’au moins 10 £ de l’heure. Cela serait de nature à enthousiasmer les millions de jeunes qui n’ont pas encore été touchés par le mouvement syndical. En outre, cette grève générale devrait également exiger l’abrogation des vicieuses lois antisyndicales.
Les appels du Parti Travailliste envers le Big Business ne sont que des preuves supplémentaires du fait que ce parti défend les intérêts du capitalisme. Il ne serait même pas capable d’instaurer les mesures incroyablement modestes qu’il propose actuellement pour améliorer les conditions de vie des travailleurs, à moins d’y être contraint – tout comme n’importe quel autre parti capitaliste le serait – par la force d’un mouvement de masse.
La victoire historique pour un salaire minimum de 15 $ de l’heure à Seattle illustre que les travailleurs peuvent l’emporter. Mais cela démontre également l’importance pour le mouvement des travailleurs de disposer d’un relais politique qui lui soit propre. L’élection de la militante socialiste Kshama Sawant a offert au mouvement pour les 15 $ une voix sans compromis afin d’agir vers l’obtention de cette revendication.
Le Socialist Party appelle les syndicalistes à se joindre à la lutte pour assurer que le 10 juillet marque le début d’une nouvelle ère dans la reconstruction d’un tel mouvement.
La classe des travailleurs représente la majorité de la société, elle dispose d’un pouvoir potentiel gigantesque, capable non seulement de défendre nos salaires et services publics, mais aussi de changer le monde.
Pour ce faire, cependant, elle a besoin d’accroître son niveau d’organisation à la fois sur le plan industriel – par la construction d’un mouvement syndical de combat – mais aussi politiquement, par la construction d’un parti de masse qui représente les intérêts de notre classe au lieu de ceux des 1% de l’establishment capitaliste.
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Congés payés : merci à la grève de nos arrière-grands-parents!
Ces derniers jours, une nouvelle offensive médiatique a déferlé contre les grévistes du rail. Tous les journaux traditionnels parlaient d’une seule voix : il était inouï qu’ils puissent arrêter le travail au début des vacances. Tout voyageur très mécontent de ne pas atteindre sa destination avait toute les chances de se retrouver dans les médias. En revanche, celui qui soutenait la grève ne méritait pas la moindre seconde d’attention de leur part. La rhétorique consistait à nouveau en la vieille rengaine selon laquelle les grévistes prennent la population “en otage” et sont, par conséquent, irresponsables.
Le fait que, le même jour, une fédération patronale, à savoir Unizo, plaide pour une crise politique n’a amené aucun journaliste de la presse écrite ou de l’audio-visuel à se demander qui est vraiment “irresponsable”. Appeler à mener le pays dans une crise politique semble être du domaine de l’acceptable. En revanche, mener des actions pour pouvoir prendre un arriéré de congés et de jours de récupération est complètement inacceptable.
Mais revenons-en aux vacances. Nous espérons que chacun des lecteurs de ce site pourra profiter de vacances bien méritées. Et qu’à cette occasion, il n’oubliera pas que les congés payés ne sont pas venus en les demandant poliment au patronat.
Au début du 20ème siècle, les patrons voyaient les congés payés comme une attaque en règle sur les coûts salariaux et la position concurrentielle des entreprises. C’est un large mouvement de grève en 1936 qui a mené à l’instauration des congés payés.
La grève de 1936 a eu lieu dans un contexte de reprise économique limitée après la récession du début des années 1930. Le mécontentement sommeillait déjà depuis des années et a explosé suite à un incident qui a mené à l’assassinat de deux militants de gauche par des fascistes avec à son apogée un demi-million de grévistes. De plus, lors de cette grève, la première grande occupation d’entreprise dans notre pays a pris place à la FN Herstal. La bourgeoisie craignait une explosion de colère sur laquelle les socialistes et les chrétiens-démocrates n’auraient pas prise. Cela mena à de larges concessions sous la forme d’une diminution de la durée du travail à 40 heures/semaine dans des secteurs où le travail lourd était d’application, des augmentations de salaire de 7% à 8%, l’instauration d’un salaire minimum et six jours de congé payés.
Auparavant, les congés payés n’avaient pu être arrachés que dans de grandes entreprises où les syndicats étaient forts. Ainsi en 1925, huit jours de vacances ont été obtenus dans les chemins de fer. Ce n’est, cependant, qu’en 1936 que le droit aux congés payés a valu pour tous. Pour les petites entreprises comptant moins de dix travailleurs, il a fallu attendre 1938. La pression de la protestation massive des travailleurs et la radicalisation après la Seconde Guerre Mondiale a fait que le pécule de vacances a été doublé. Sous la pression de la grève générale révolutionnaire et insurrectionnelle de 1960/61, une troisième semaine de vacances a été instaurée.
Chaque acquis que nous connaissons comme travailleur n’est pas tombé du ciel. C’est sur base de luttes et de grèves que nous pouvons arracher certaines choses. A chaque moment, les employeurs se sont plaints des grévistes qui “prendraient en otage” la population et l’économie et se comporteraient de façon irresponsable. Si nous avions laissé faire les employeurs, nous n’aurions aujourd’hui aucune protection sociale. Ils auraient organisé notre chômage et notre misère, ils auraient coulé notre pouvoir d’achat et celui qui ose dénoncer cela se voit immédiatement imposer le silence.
En ce début de vacances, pensons à la lutte de nos aïeux qui n’ont pas cédé au chantage patronal et à la rhétorique hystérique des médias et des politiciens traditionnels. Grâce à la lutte de nos arrière-grands-parents, nous pouvons bénéficier de vacances bien méritées. Et il faut bien dire qu’après une année de dur labeur, il n’y a rien d’irresponsable à prendre des vacances.
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Espagne 2014. Une reprise ? Pour qui ?
Que l’année 2014 soit celle de la grève générale politique !
Voici ci-dessous une version légèrement adaptée de l’éditorial de l’édition de février du journal La Brecha, publication de nos camarades de Socialismo Revolucionario, la section du Comité pour une Internationale Ouvrière dans l’Etat espagnol. Si cet article traite de la situation qui prévaut dans l’État espagnol, les leçons tirées des évènements économiques, politiques et sociaux de l’année 2013 sont extrêmement riches pour les travailleurs et les jeunes de toute l’Europe, dans le cadre de leur lutte contre l’austérité.
Pour l’État espagnol, l’année 2013 a représenté une aggravation des principaux processus mis en branle par la crise capitaliste qui a explosé il y a 5 ans de cela. Le naufrage de l’économie a continué à jeter des millions de personnes dans une extrême pauvreté au cours d’une année à nouveau marquée par des licenciements massifs, des attaques contre les salaires et des expulsions de logements. La profonde crise politique du système se poursuit avec un gouvernement en permanence dans les cordes. La crise de légitimité des institutions capitalistes et de l’Etat lui-même a connu de nouveaux épisodes, en particulier autour de la question nationale en Catalogne.
Mais nous avons également assisté à d’importantes avancées réalisées dans le processus parallèle clé qui se développe également et qui constitue une source d’inspiration dans ces moments de crise économique et sociale. Il s’agit du processus de l’activité de la classe ouvrière et de la résistance sociale, ce qui représente en soi les premières ”pousses vertes” de la lutte pour une société nouvelle. Dans l’ensemble, 2014 nous offre la promesse de puissants événements et de grandes opportunités. Tous ces processus vont se poursuivre et s’approfondir.
L’année 2014, une année de reprise ? Pour qui ?
Tout au long de l’année 2014, nous allons assister à la constante tentative de la classe dirigeante, avec la collaboration active du gouvernement et des médias dominants, ”d’élever l’atmosphère générale” dans la société. Il s’agit essentiellement d’une tentative visant à diluer la colère des masses et de la résistance en nous assurant que la reprise économique a commencé et que des temps meilleurs sont à venir. Ils promettent d’ailleurs que cette année, l’économie va croitre de… 0,6% !
Pour les marxistes et pour la classe des travailleurs, la question clé est de savoir quel sera le caractère de cette croissance. Cela va-t-il changer le cours de la crise ? Cela va-t-il provoquer une hausse de notre niveau de vie ? Si les réponses à ces questions sont négatives, nous sommes en droit de légitimement nous demander : quelle valeur peut donc bien avoir ce qu’on qualifie de croissance à nos yeux ?
Tout d’abord, nous devons expliquer que pour atténuer la brutalité de la crise – un chômage de masse qui couvre plus d’un quart de la main-d’œuvre – presque tous les économistes (même capitalistes) conviennent que la croissance doit être supérieure à 2% au moins. Aucun économiste sérieux ne prédit un tel niveau de croissance pour cette année ou celles à venir. La quantité infime d’emplois en cours de création nous donne un aperçu du type de reprise que le capitalisme espagnol nous réserve : l’extinction des contrats à durée indéterminée et des bonnes conditions de travail. Les patrons profitent de la crise pour réaliser une contre-révolution sur le marché du travail et pour imposer un nouveau modèle basé sur la précarité et des conditions de vie misérables.
Ensuite, cette situation cauchemardesque est combinée avec toute une vague d’attaques contre nos conquêtes sociales et nos droits démocratiques, la classe dirigeante tirant également parti de la crise pour éliminer les conquêtes historiques du mouvement ouvrier, comme le droit de manifester et de faire grève, ou encore de librement décider de son propre corps et de sa maternité. Cette réalité – qui comprend également la destruction de l’État-providence et des services publics – dévoile la base dont ils ont besoin pour leur prétendue ”reprise” : une destruction constante de notre niveau de vie pour finalement imposer en Espagne et au continent des normes issues du “tiers monde”.
Pour une année 2014 combative avec une lutte constante et généralisée ! Pour une grève générale politique !
Le prix du plus grand obstacle au développement de la lutte en 2013 doit être accordé aux dirigeants des principaux syndicats. Comme nous l’avons expliqué à plusieurs reprises dans les pages de La Brecha, ils ont joué un rôle-clé dans le maintien en place du gouvernement, malgré les crises profondes dans lesquelles il est empêtré.
Mais malgré ce rôle de frein qu’ils ont joué, nous avons pu voir tout au long de l’année 2013 que les travailleurs ont continué leur lutte et l’ont intensifiée, en recourant à des méthodes de plus en plus militantes. 2013 a été l’année de la grève illimitée, à partir du secteur de l’éducation dans la région des Baléares jusqu’à la grève héroïque de plus de 100 jours de l’usine Panrico. Ces exemples se distinguent très nettement de la politique que les dirigeants syndicaux continuent à défendre, faite de grèves purement symboliques et insuffisantes d’une journée, sans intensification de la lutte et sans la moindre continuité, ce qu’exige pourtant la situation actuelle.
Ce fut encore l’année de victoires importantes, en particulier celle des nettoyeurs de rue de Madrid [qui sont parvenus à repousser les menaces de licenciement et de réduction de leurs salaires de 40% grâce à l’action de la grève illimitée, NDLR] qui ont ainsi montré la voie que doit prendre l’ensemble des travailleurs. Une fois de plus cependant, le rôle de frein joué par les dirigeants syndicaux a empêché pareils exemples de militantisme d’obtenir une expression généralisée au niveau de l’État.
Le récent mouvement de lutte qui s’est développé dans le quartier de Gamonal, à Burgos [où des mobilisations de masse répétées ont attiré l’attention à l’échelle nationale et ont paralysé un important projet spéculatif, NDLR] est un autre exemple de la façon dont la lutte peut obtenir des résultats pour peu qu’elle soit menée de façon déterminée et militante et qu’elle soit basée sur un soutien de masse.
Dans la perspective des nouvelles attaques auxquelles les travailleurs, les jeunes et les pauvres auront à faire face en 2014 – notamment avec les contre-réformes sur les retraites et sur le droit à l’avortement – il est essentiel que ce militantisme soit exprimé à une échelle toujours plus grande. Il est urgent de mettre sur table la question d’une action généralisée, et en particulier de l’unification de la force et des luttes de la classe des travailleurs au sein d’une nouvelle grève générale.
Cependant, il est tout aussi essentiel que les grèves générales qui seront nécessaires en 2014 se différencient fondamentalement de celles établies sous le modèle des dirigeants syndicaux en 2012, c’est-à-dire uniquement organisées sous une pression insupportable de la base, de façon symbolique et isolée, seulement suivies de longues périodes de démobilisation.
Nous avons besoin d’une nouvelle grève générale capable d’unir les luttes et d’élever l’atmosphère de combativité et la confiance de la classe ouvrière au sens large. Nous n’avons pas besoin d’une simple grève de protestation, il nous faut une grève générale avec des revendications et des objectifs capables d’unifier les luttes de la classe ouvrière autour de la lutte pour une solution générale aux problèmes qui les provoquent, en commençant par assurer la chute du gouvernement et en initiant la lutte pour une alternative politique favorable aux travailleurs.
Pour l’unité de la classe des travailleurs dans leur lutte pour la liberté de tous les peuples nationaux
En ce qui concerne la question nationale, nous assistons à un nouveau tournant, en particulier en Catalogne (bien que cette question devienne de plus en plus importante également au pays basque).
D’une part, le PP (et le parti social-démocrate PSOE avant lui) ne se lassent pas de parler de“l’unité indiscutable de la patrie”, mais ce politiciens semblent perdre leur ferveur patriotique dès lors qu’il s’agit de s’agenouiller devant les exigences de la troïka. D’autre part, en Catalogne, les partis CiU et ERC prétendent défendre la cause de la lutte pour l’autodétermination et les intérêts du ”peuple”, mais ils n’ont aucun problème à saigner le ”peuple” avec leur politique d’austérité. Ils ont promis la tenue d’un référendum concernant l’indépendance catalane, mais ont admis n’avoir aucune stratégie (ni même de volonté) pour répondre à l’inévitable interdiction de celui-ci par le gouvernement du PP, avec le soutien du PSOE.
La seule force sociale capable de lutter de manière conséquente pour les droits de tous les peuples de la nation afin qu’ils puissent décider de leur propre avenir, c’est la classe des travailleurs. Il s’agit de la seule classe capable de libérer la Catalogne, et la société espagnole, de la misère de la crise du capitalisme. C’est dans la lutte de classe contre les gouvernements soumis au marché, unis au niveau de l’État et au niveau international, que la base d’une véritable solution à la question nationale pourra être trouvée, ce pour quoi le système capitaliste a maintes fois démontré son incapacité.
Cette solution est celle de la lutte pour une confédération libre et volontaire des peuples ibériques, construite sur le ciment du droit universel à l’autodétermination, y compris le droit à l’indépendance. Une telle lutte ne peut être gagnée qu’en menant le combat pour société socialiste, fondée sur la propriété publique démocratique des richesses et des secteurs-clés de l’économie .
Ceci souligne la nécessité de forger et de renforcer l’unité de la classe des travailleurs et de ses organisations, en commençant par un front uni de la gauche, du mouvement ouvrier et des mouvements sociaux, dans la lutte pour faire tomber le PP et disposer enfin d’un gouvernement des travailleurs.
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Grèce : La faiblesse appelle l’agression
La Grèce a connu le 6 novembre dernier sa 4e journée de grève générale de l’année 2013. Mal préparée, mal organisée et sans le moindre plan d’action pour la suite du mouvement, cette journée de lutte n’a pas été un succès. ‘‘A cause du mauvais temps’’, selon les responsables syndicaux nationaux. Le lendemain, les ‘‘forces de l’ordre’’ sont intervenues pour évacuer les locaux de la radiotélévision publique ERT, dont la fermeture avait été annoncée en juin mais qui étaient depuis lors occupés par les travailleurs. Ces événements ne se sont pas succédés par hasard.
La mobilisation du 6 novembre visait à protester contre les attaques prévues dans le secteur public, les autorités prévoyant 25.000 mutations et 4.000 licenciements d’ici janvier. 15.000 fonctionnaires devraient passer à la trappe dans les mois à venir. A cette date, les experts de la Banque centrale européenne, de la Commission européenne et du FMI (la Troïka) étaient à Athènes afin de vérifier l’application des mesures d’austérité dans le cadre des négociations d’une nouvelle tranche de prêts. Les autorités grecques ont donc très certainement voulu rassurer les représentants de la Troïka en leur montrant qu’elles étaient encore capables de frapper le mouvement en plein cœur.
Quand, en juin dernier, le gouvernement a annoncé la fermeture pure et simple de la radiotélévision publique ERT, il ne s’attendait pas à devoir faire face à l’occupation des locaux et à la poursuite de ses activités, mais cette fois-ci avec une grande liberté de ton et en prenant sans équivoque le camp des travailleurs et des mouvements sociaux. L’ERT occupée est ainsi rapidement devenue un grand symbole de la résistance contre l’austérité, et sa destruction une priorité pour l’establishment capitaliste grec et européen.
Reste que dans pareille affaire, le timing est très important. Karl Marx expliquait déjà que, dans certaines situations, la révolution a besoin du ‘‘fouet de la contre-révolution’’ pour avancer, à l’image de l’impact qu’a eu l’assassinat politique du dirigeant de gauche Chokri Belaïd en Tunisie en février 2013, qui avait déclenché deux jours plus tard la plus grande grève générale de Tunisie depuis 1976 et ouvert une période de crise d’autorité pour le gouvernement dirigé par les islamistes d’Ennahda. Les autorités capitalistes voulaient très précisément éviter qu’un processus similaire ne se développe. L’échec relatif de la grève du 6 novembre a laissé un espace de manœuvre pour une riposte des forces du capital. Couronnée de succès, hélas, même si ERT diffuse toujours ses actualités, mais sur internet uniquement.
A la mi-septembre pourtant, une grève de 5 jours des enseignants avait illustré le potentiel qui reste présent pour la lutte des travailleurs : dès le premier jour, 90% des enseignants ont suivi le mouvement. Les manifestations d’enseignants, rejoints par les étudiants, à Athènes et à Thessalonique avaient une ampleur comparable à celles de la grève générale du 6 novembre. Finalement, la fédération syndicale des services publics (ADEDY) avait appelé à une grève générale de 48 heures dans le cadre des 5 jours de grève des enseignants, très clairement sous pression de la base.
En fait, depuis le début des mobilisations de masse en Grèce, le potentiel du mouvement ne cesse d’être gâché, notamment avec des journées de grèves générales organisées essentiellement dans l’objectif de laisser la vapeur de la colère des masses s’échapper quelque peu. Il parait aujourd’hui incroyable de constater l’absence de tout échéancier d’action, de tout plan de lutte coordonné pour enfin mobiliser l’énergie des masses qui refusent de continuer à payer pour une crise qui n’est pas la leur.
Nous avons besoin, en Grèce comme ailleurs, d’une direction du mouvement audacieuse, qui a confiance en la capacité du mouvement des travailleurs de remporter la victoire et de construire une autre société débarrassée de la logique de concurrence et de profits. Le potentiel révolutionnaire reste présent, mais le péril contre-révolutionnaire ne disparaîtra pas de lui-même.



