Tag: France

  • Le Pen : Candidat de la vie et du peuple ?

    Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est ainsi que s’est présenté le candidat du Front National à sa deuxième convention présidentielle à Lilles : candidat de la vie face au désastre écologique, candidat du peuple face à « l’appauvrissement général » et au « capitalisme prédateur ». Assiste-t-on à l’arrivée d’un Jean-Marie Le Pen nouveau ?

    Nicolas Croes

    Dans la « gigantesque société anonyme planétaire », « le pouvoir appartient à quelques milliers d’analystes, de traders et gestionnaires » qui « n’ont qu’une seule patrie: l’argent ». Le Pen dénonce aussi « des grands requins de la finance » toujours « à la recherche de sociétés à dévorer ».

    Pourquoi un tel revirement ? C’est qu’en France aussi, le fossé entre riches et pauvres devient gouffre, ou abîme. A titre d’exemple, ces trente dernières années, le taux de pauvreté parmi la population active a augmenté de 38%. Habilement, Le Pen utilise cette situation pour se présenter en seule alternative puisque les gros candidats ont tous participé à un moment ou à un autre à un gouvernement qui a appliqué un politique d’austérité satisfaisant le patronat. « Tous responsables, tous coupables ! » dit-il encore. Faute d’alternative crédible à gauche, il peut pointer cette réalité avant de détourner l’indignation et l’aspiration au changement vers ses idées nauséabondes.

    Derrière les mots, une politique encore pire …

    En guise de solution, le « capitalisme éclairé » de Le Pen est constitué d’augmentation du temps de travail, de diminution de l’impôt sur le revenu et les successions (impôts qui dérangent surtout les (très) riches), à côté de mesures contre les immigrés, « cause essentielle de l’appauvrissement généralisé » (tiens, ce n’est plus les « requins de la finance » ?). Le même jour, sa fille a présenté le programme économique du FN, fait de 70 milliards d’euros « d’économies sur le train de vie de l’Etat » et de 36 milliards d’euros de baisses d’impôts. Mesures qui en réalité seront des économies sur les dépenses sociales et des baisses d’impôts pour les riches et les entreprises…

  • Aujourd’hui comme hier : L’extrême-droite contre les travailleurs

    Nous avons assisté ces derniers temps à une montée des violences racistes en Europe. Quels enseignements peut-on retenir de la lutte contre le fascisme classique dans les années ‘20 et ’30 ?

    Emiel Nachtegael

    Le fascisme englobe bien plus que la violence ou des opinions racistes. Le racisme n’est d’ailleurs pas le monopole de forces néofascistes comme le Vlaams Blok/Belang, le Front National ou Nation. Un important dirigeant local du PS français, Georges Frêche, vient d’être exclu de son parti pour avoir déclaré que les Harkis algériens étaient des « sous-hommes » et que l’équipe de France comptait trop de Noirs…

    Le fascisme dans les années 1920 – 1940

    Les organisations fascistes sont arrivées au pouvoir dans des périodes de crise politique et économique extrême.

    En Italie, le Parti Socialiste Italien n’a pas saisi les occasions créées par une situation révolutionnaire unique en 1919 et 1920 lorsque des milliers d’occupations d’usine ont eu lieu et Mussolini a pu arriver au pouvoir en 1922 après l ‘échec de ce mouvement et la retombée de l’espoir parmi les travailleurs.

    L’Allemagne a connu elle aussi une période révolutionnaire (de 1918 à 1923) durant laquelle les travailleurs ont tenté d’édifier une démocratie ouvrière selon le modèle des travailleurs russes. Mais le jeune Parti Communiste a commis quelques erreurs aventuristes et, surtout, la direction de la social-démocratie allemande a préféré sauver le capitalisme en participant au gouvernement et en couvrant même l’exécution de dirigeants ouvriers.

    Par la suite, l’économie s’est complètement effondrée : au début des années ’30, 97% de la population ne disposait plus d’épargne et 25% de la population active se retrouvait sans emploi et sans allocations.

    La crise économique et l’absence d’une réponse du mouvement ouvrier ont créé un vide politique, plus particulièrement parmi les couches sans lien avec le mouvement ouvrier organisé – classes moyennes (artisans, professions libérales, petits paysans,…) , vétérans de guerre, chômeurs,… – qui étaient les principales victimes de l’inflation galopante. Elles ont commencé à chercher une force qui serait capable de rétablir l’ordre et la stabilité. C’est parmi ces couches-là que les partis fascistes ont trouvé leur base sociale.

    Comme l’a dit Trotsky, dirigeant de la Révolution Russe avec Lénine, « la menace fasciste est l’expression du désespoir contre-révolutionnaire après l’échec de l’espoir révolutionnaire ». Ce qu’a bien compris aussi la communiste allemande Clara Zetkin qui a déclaré en 1923 que le fascisme serait à l’ordre du jour si la Révolution Russe ne connaissait pas de prolongement dans le reste de l’Europe.

    Avec l’appui d’une partie de la grande bourgeoisie (principalement celle issue de l’industrie lourde) et une structure militaire, les milices fascistes sont parties à l’attaque contre le mouvement ouvrier. Elles ont souvent utilisé une rhétorique anticapitaliste mais en la déviant vers le racisme et le nationalisme. Ce n’est que de cette cette façon-là qu’ils ont pu faire une distinction entre le banquier Rotschild, d’orgine juive, et le patron de l’acier Krupp, invité régulier des congrès nazis.

    Les nazis ont puisé dans les diverses couches ruinées par la crise leurs briseurs de grève. Lorsque les nazis sont arrivés au pouvoir en 1933, ils ont dissous le parlement et interdit toutes les organisations ouvrières (partis, syndicats, mutuelles,…). L’atomisation du mouvement ouvrier a ouvert une période dorée de bas salaires et de travail d’esclave pour le grand capital allemand. De grands travaux d’infrastructure et la préparation à la guerre devaient sauver l’économie. Les conséquences en sont connues…

    Le VB et le FN : entre rêve et passage à l’acte

    Le Vlaams Blok/Belang, le Front National ou Nation possèdent un programme similaire aux fascistes des années ‘20 et ‘30. Les musulmans ont juste pris la place des Juifs comme boucs émissaires principaux.

    Le VB dispose aussi de troupes qu’il peut engager si nécessaire dans des confrontations physiques. Quelqu’un est même payé pour diriger ces troupes de choc : Luc Vermeulen, à la tête du groupe d’action Voorpost. Ce sont ces troupes-là qui ont été envoyées contre les organisateurs du pèlerinage de l’Yser en ’96 et contre la manifestation anti-NSV en décembre 2004.

    Le danger émanant des groupes néo-fascistes ne peut donc pas être négligé. Dans les années ’20 et ‘30, nous avons vu à quoi une telle attitude peut mener. Le Parti Socialiste Italien a longtemps jugé que le danger de Mussolini était insignifiant tandis que, quelques années plus tard, le Parti Communiste Allemand (passé entièrement sous le contrôle de Staline) déclarait que le parti social-démocrate était un parti « social-fasciste » et qu’aucune alliance n’était donc possible avec lui contre les nazis !

    La situation aujourd’hui n’est évidemment pas la même que dans ces années-là. Des forces comme le Vlaams Belang ou le Front National en France (et encore plus en Belgique !) ne disposent pas d’une base active importante prête à utiliser la violence et le mouvement ouvrier est en outre aujourd’hui beaucoup plus fort que dans les années ‘30. Des petits groupes ouvertement nazis sont certainement prêts à tout mais ils ne jouissent pas du soutien des couches plus larges de la population (ni même de l’ensemble des électeurs d’extrême-droite). Cela ne signifie pas pour autant que nous pouvons rester tranquilles.

    La leçon principale que nous devons tirer des luttes antifascistes des années ‘20 ou ‘30 est la nécessité d’une réaction immédiate face au danger fasciste et le rôle primordial du mouvement ouvrier.

    En s’opposant systématiquement à chaque montée de groupes néofascistes, nous pouvons éviter qu’augmente la confiance qu’ils ont en eux pour passer à l’action et à la violence. C’est pourquoi nous mobilisons contre la marche du NSV (les étudiants du VB) à Anvers le 8 mars.

    Nous pensons également qu’une montée des luttes des travailleurs peut aboutir à une situation où l’extrême-droite se retrouve en position défensive. Cela a encore pu se vérifier récemment en France lors du mouvement contre le CPE et, chez nous, lors du mouvement contre le Pacte de Solidarité. Le VB avait alors déclaré que les mesures gouvernementales n’allaient pas assez loin et sa fraction au conseil communal à Gand avait réclamé une répression policière plus féroce contre les piquets de grève, tandis que la majorité des électeurs du VB soutenaient les actions syndicales.

    L’absence d’alternative politique pour le mouvement ouvrier permet à des partis comme le VB ou le FN de mettre en avant pendant un temps des opinions contradictoires afin de séduire différents publics.

    La meilleure manière d’infliger une défaite permanente aux partis néofascistes est de lutter pour un programme anticapitaliste et de construire une formation politique qui défende réellement les intérêts des travailleurs. No Pasaran!

  • 9e Congrès Mondial du CIO. Unifier la planète pour un monde socialiste!

    9e Congrès Mondial du CIO

    Venus d’une trentaine de pays des quatre coins du globe, 130 militants se sont réunis à la mi-janvier pour une pleine semaine de discussions portant sur la situation politique, économique et sociale internationale, mais également sur la construction de l’organisation marxiste internationale qu’est le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO). Ce Congrès restera dans les mémoires grâce au formidable enthousiasme et à la grande confiance en notre travail qui font suite aux résultats positifs obtenus depuis notre dernier Congrès Mondial, il y a un peu plus de quatre ans en 2002.

    Nicolas Croes

    La domination américaine contestée

    Depuis lors, de grands changements sont survenus, à la fois pour la la bourgeoisie et pour les travailleurs du monde entier. A l’époque, la scène internationale était dominée par les attentats du 11 septembre et leurs répercussions. L’impérialisme américain était résolu à s’occuper par la force armée, même unilatéralement, de tous les points "chauds" et on nous rabattait les oreilles de perspectives grandioses pour le "siècle américain". Ce siècle n’a pourtant duré que quelques années… Jamais dans l’Histoire l’influence d’une puissance n’a connu de déclin aussi rapide et nous ne sommes encore qu’au début d’une crise prolongée. La majorité de la population mondiale considère à l’heure actuelle que Washigton est une plus grande menace que Téhéran !

    Dans ce processus, l’intervention en Irak a été un point crucial. Depuis mars 2003, il y a eu en moyenne 4.000 personnes tuées chaque mois, majoritairement des civils et ce chiffre n’a pas arrêté d’augmenter au cours des derniers mois. Alors que l’Irak était autrefois l’un des pays les plus modernes du monde arabe, les infrastructures essentielles sont détruites, la population tente de survivre quasiment sans électricité ni eau courante. La majorité des habitants affirme vivre dans des conditions pires que sous Saddam alors que le pays s’enfonce toujours plus dans une guerre civile, à la fois confessionelle et pour le contrôle des richesses. Tout le Moyen-Orient est secoué par une série de crises (Iran, Liban, Palestine,…) que les Etats-Unis ont de plus en plus de mal à contrôler.

    Même dans l’antre de la bête US, le mouvement ouvrier commence à montrer ses crocs, poussé par les travailleurs immigrés (qui ont manifesté à plusieurs millions contre les lois racistes de Bush l’an dernier) largement issus d’Amérique Latine et qui réflètent la formidable remontée de la lutte des travailleurs qui s’opère dans cette région.

    Mais l’impérialisme américain n’est pas le seul colosse au pied d’argile sérieusement ébrêché. L’expérience est le meilleur professeur qui soit, et la mondialisation est maintenant vue par les masses – et non plus par les seules couches radicalisées – comme un signe d’insécurité et de pollution extrême. L’ère du "Nouvel Ordre Mondial" et le règne proclamé éternel du néo-libéralisme ont subi le même sort que le "siècle américain".

    Des riches plus riches, des pauvres plus pauvres

    Notre monde connaît partout une croissance économique soutenue. Or, comme le disait Marx, "une croissance économique doit aussi se refléter dans la poche des travailleurs". Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui et si les profits augmentent bien et atteignent des records faramineux, les salaires sont loin de suivre la même courbe : il est plutôt question de sortir de la classe moyenne que d’y rentrer.

    Les capitalistes deviennent de plus en plus des parasites: le 0,01% le plus riche de la population mondiale contrôle pour ses seuls intérêts 24% des richesses…

    Cependant, la masse d’argent qui tombe dans leurs mains et l’arrogance sans limites qui est l’apanage de ces puissants les aveuglent alors que des nuages menaçants s’accumulent au-dessus des Bourses.

    Car l’économie mondiale s’érige sur le sable extrêmement mouvant des relations économiques entre les USA et la Chine: les investissements américains dans la Chine soi-disant "communiste" contribuent à la production massive de produits chinois qui, en retour, sont vendus à bas prix aux consommateurs américains. Cela permet de maintenir la consommation – et la croissance économique – aux Etats-Unis malgré la stagnation des salaires réels depuis 20 ans. En échange, les profits chinois sont placés en dollars dans les coffres des banques américaines, ce qui permet de limiter l’effet de l’endettement astronomique des Etats-Unis. Mais les consommateurs américains sont aussi des travailleurs. A force d’attaques sur les salaires et les conditions de vie, ceux-ci éprouvent des difficultés croissantes à maintenir leur consommation. Et la politique de crédit à bas prix qui les a poussés à dépenser même l’argent qu’ils n’avaient pas encore gagné a des limites. Il est encore trop tôt pour dire si une récession arrivera en 2007 – le timing est trop aléatoire (des événements comme, par exemple, le cyclone Katrina et ses conséquences sont imprévisibles) mais l’important est de voir le processus et celui-ci mène à une crise d’importance.

    La Chine peut-elle sauver l’économie mondiale?

    Ce qui est certain, c’est que la Chine ne dispose pas d’un marché intérieur capable d’absorber sa production. Une récession, plus que probable, du marché mondial, engendrerait donc une crise majeure dans le pays au grand déplaisir de la bureaucratie chinoise qui tente lentement de transformer l’économie bureaucratiquement planifiée du pays en une économie capitaliste (entre 1989 et 2002, 45 millions d’emplois ont été perdus à cause de privatisations).

    L’impact de cette crise ne serait pas seulement économique, mais également politique. Actuellement, il y a déjà une grève toutes les 5 minutes en Chine "populaire" et il y a eu officiellement 78.000 actions de protestation rien que pour l’année 2005, à la fois contre les conditions de travail (dans certaines usines, on travaille 12 heures par jour, 7 jour sur 7 et parfois même de nuit quand les objectifs ne sont pas atteints, pour des salaires de misère) et contre la pollution croissante.

    Montée de la résistance anti-néolibérale

    Mais en terme de remontée des luttes et d’espoir, l’Amérique Latine fait figure de phare. Nous sommes arrivés à un moment crucial dans cette région où le capitalisme n’a jamais été autant critiqué. Dans plusieurs pays, les luttes massives des travailleurs et des pauvres ont amené au pouvoir des gouvernements qui évoluent vers des positions plus radicales sous la pression de la base.

    Même les gouvernements de droite restés au pouvoir connaissent une contestation grandissante qui rend leur position instable (l’exemple le plus flagrant est celui du Mexique). L’impérialisme américain, habitué à faire appliquer sa loi en Amérique Latine (on se rappelle de Pinochet…) est aujourd’hui fortement affaibli. Outre le fait que 40% de son matériel militaire est immobilisé en Irak, le discrédit du néo-libéralisme et la crise de la domination idéologique américaine laisse plus de marges à un développement favorable des protestations anti-capitalistes dans cette région comme partout ailleurs.

    Un des éléments importants dans ce développement est l’exemple, même imparfait, donné par Cuba comme alternative au capitalisme. Mais celui qui a le plus aidé à la diffusion des idées socialistes a été le président vénézueliens Hugo Chavez. Il a même été récemment jusqu’à annoncer que le Venezuela allait devenir une république socialiste et à dire qu’il était trotskiste (ce qui voudrait dire communiste anti-stalinien et opposé à la collaboration avec la bourgeoisie nationale dans le cadre de la lutte contre l’impérialisme et pour la construction d’une société socialiste)!.

    Mais ce sont surtout là des paroles car dans un même temps, Chavez appelle les capitalistes vénézuéliens à rejoindre le processus révolutionnaire! Au Vénézuela comme partout en Amérique Latine ou dans le reste du monde néo-colonial, les travailleurs ne doivent compter que sur leurs seules forces pour arracher leurs chaînes et ne pas remplacer celles qu’ils subissent actuellement par celles que les bourgeoisies locales rêvent de leur attacher.

    Jadis engourdis par la capitulation des anciens partis ouvriers et des directions syndicales face au néo-libéralisme et à la nouvelle situation née de l’effondrement du stalinisme, les travailleurs recommencent partout à prendre le chemin de la lutte. Même l’Europe connaît cette situation comme l’ont exprimé les mobilisations contre la Constitution Européenne, les grèves générales en Italie, en Grèce (et même en Belgique !) ou encore la lutte contre le Contrat Première Embauche en France.

    Plus que jamais, notre tâche est d’aider au développement de cette résistance en développant des organes de lutte comme de nouveaux partis des travailleurs dans lesquels nous défendons une orientation clairement socialiste tout en continuant la construction de notre parti révolutionnaire international.

    Balisons la route vers un avenir débarassé de l’exploitation, un avenir socialiste!

  • Actions internationales en réponse aux attaques orchestrées contre un meeting anti-guerre

    Sri Lanka :

    >>> ACTION ce mercredi 31 janvier à 10H devant l’ambassade du SRI LANKA (Rue Jules Lejeune/Jules Lejeunestraat, 27 – 1050 Ixelles)

    • Stop aux attaques contre les militants anti-guerre !
    • Luttons pour garantir les libertés démocratiques !
    • Soutenons la lutte des travailleurs et des pauvres face à l’inflation galopante !

    Depuis les attaques vicieuses perpétrées contre le rassemblement anti-guerre qui s’est tenu le 9 janvier à Nugegoda, Colombo (Sri Lanka), des actions de protestation devant les ambassades et les consulats se sont tenues à Londres, Berlin, Bonn, Dublin et Melbourne, à l’initiative des sections-soeur du CWI. Des rassemblements sont encore prévus cette semaine, notamment en Suède, en Grande-Bretagne, en France et en Belgique.

    Pour plus d’informations sur le développement de la situation sur place, pour des rapports sur les actions internationales en soutien à la campagne, consultez régulièrement le site web du CWI, www.socialistworld.net (en anglais

  • Elections présidentielles en France : Sarkozy-Royal, un faux choix

    Interview d’Alex Rouillard, membre de la Gauche Révolutionnaire, organisation-soeur du Mouvement pour une Alternative Socialiste en France.

    Alternative Socialiste : En Belgique aussi, on parle beaucoup des élections présidentielles françaises. Vu d’ici, ou plutôt vu de la presse bourgeoise, on a un peu l’impression qu’il ne s’agit que d’un match Nicolas Sarkozy/ Ségolène Royal. On imagine que c’est un peu plus compliqué…

    Alex Rouillard : C’est au contraire plus simple. La france connaît un gouvernement de droite depuis plusieurs années. Une politique néo-libérale extrême a été menée qui a conduit à la résistance des jeunes et des travailleurs. dans ce contexte, il est logique qu’apparaisse une forte polarisation entre celui qui représente la continuation de cette politique et la recherche d’un ou une candidat capable de s’y opposer.

    AS : Ségolène Royal représente-t-elle cela ?

    AR : Malgré des tentatives, il n’y a pas de candidats capables de représenter les luttes passées en rassemblant autour de lui. Ségolène Royal capte l’anti-sarko mais pas par ses positions politiques. S’opposer à Sarkozy sur le terrain électoral est la question centrale de son programme.

    AS : Donc, Ségolène n’est pas assez à gauche. Mais en 2002, on avait dit la même chose de jospin et, affaiblit par l’extrême-gauche, c’est Le Pen qui est passé au second tour…

    AR : Si Jospin a fait si peu de voix en 2002, c’est parce que la politique qu’il avait menée n’était pas assez à gauche et les travailleurs ne lui ont donc pas apporté leur soutien. Le Pen a capté à l’époque une partie du mécontentement mais on a vu au second tour qu’il n’a pas plus progressé. A l’époque, l’extreme gauche a fait plus de 10 % mais n’a pas cherché à utiliser ce score pour construire une alternative. Aujoursd’hui, Royal ne se différencie pas de Jospin. La différence est que le gouvernement actuel est un gouvernement officiellement de droite qui porte donc le bilan des attaques menées ces dernières années. Ce qui manque face à ça, c’est un ou une candidate qui défendrait un programme anti-capitaliste et une perspective de rassemblement pour construire une alternative. Dans un tel cas, il ne serait pas certain qu’elle arrive à capter tout l’effet anti-Sarko, et ce ne serait pas Le Pen qui en bénéficierait.

    AS : La Gauche révolutionnaire ne se présentera pas à l’élection présidentielle.

    AR : Nous ne pouvons pas nous présenter pour une question de moyens. Nous sommes en faveur qu’un candidat rassemble les jeunes et les travailleurs contre la politique néo-libérale. Mais aucune force se réclamant de l’anti-capitalisme ou de l’anti-néo-libéralisme n’a cherché à le faire réellement. Le problème n’est pas celui d’une dispersion des voix à gauche de Ségolène, mais plutôt celui de l’absence d’une candidature qui rassemble ces voix. Elle aurait mis au centre de son action la préparation des luttes futures contre Sarkozy ou Royal. Chacun des deux au pouvoir mènera une politique d’attaques contres les acquis des travailleurs. C’est l’absence d’un nouveau parti des travailleurs qui permet à Royal et à Sarkozy d’occuper à ce point le débat politique.

    Ni la LCR (Ligue Communiste révolutionnaire), ni LO (Lutte Ouvrière) n’ont voulu d’un tel candidat. Pour autant, la question d’un maximum de voix se portant sur ceux qui sont perçus par les jeunes, les travailleurs… et les patrons comme anti-capitalistes est importante.

    AS : Vous allez donc appeler à voter pour la LCR et LO ?

    Oui, nous appellerons à voter pour eux au premier tour. En même temps, nous appellerons à transformer ce soutien électoral en un rassemblement pour les luttes futures qui vont nous opposer aux futures attaques néo-libérales du prochain gouvernement.

    Certains vont voter pour Ségolène Royal pour empêcher Sarkozy de passer. Nous comprenons largement ce souci et nous ne chercherons pas à faire le jeu de Sarko, nous ne sommes pas partisans de la politique du pire. Mais là aussi, la question centrale, quel que soit le scénario du second tour, sera de préparer les luttes des travailleurs. A travers elles il faudra défendre la nécessité d’un parti indépendant des travailleurs et des jeunes, et l’absence d’un tel organe de lutte est la grande caractéristique de ces élections.

  • Se prostituer pour payer ses études?

    Quel avenir nous prépare-t-on?

    En France, selon les chiffres de l’Observatoire de la Vie Etudiante (OVE), 40.000 étudiant(e)s se prostituent pour payer les frais liés à leurs études (droits d’inscription, photocopies et syllabi, logement, transport,…) ! Un(e) étudiant(e) sur 57 ! Et ce chiffre est en-dessous de la réalité, nombreux sont ceux et celles qui n’osent pas le déclarer…

    Boris Malarme

    La politique néolibérale menée par les derniers gouvernements de droite comme de « gauche» ont appauvri une grande partie de la jeunesse. Toujours selon l’OVE, en France, 225.000 étudiants ont des difficultés à payer leurs études, 100.000 vivent sous le seuil de pauvreté et 45.000 d’entre eux vivent dans une situation d’extrême pauvreté.

    Vu la hausse énorme des loyers, le logement est la part du budget des étudiants qui a le plus augmenté. Pendant ce temps, le montant des bourses n’a, lui, pas bougé… L’accès réel aux études supérieures devient de plus en plus difficile. Un étudiant français sur deux se voit donc forcé de travailler pendant l’année à côté de ses études et la moitié des autres travaille durant ses vacances. Autant de temps qui ne peut être consacré à étudier et qui handicape la réussite.

    Un petit boulot de quelques heures par semaine n’est aujourd’hui plus suffisant

    En comparaison des petits jobs qui emploient la plus grande partie de la main d’oeuvre étudiante, l’industrie du sexe est plus attractive financièrement.

    De plus en plus d’étudiant(e)s, pour être à même de réussir leurs études, sont donc obligés de vendre leur corps dans des bars à hôtesses, des agences d’escort-girl, par annonces sur internet, en posant pour des photos pornographiques ou des webcam, en faisant le ménage en sous-vêtements, ou simplement en faisant le trottoir des grandes villes de France.

    Mais croire que ce processus est limité à la France serait une erreur. Il ne réflète que la situation qui se développe dans toute l’Europe. Aucune donnée n’est disponible pour la Belgique, mais l’exploitation, par l’industrie du sexe, d’étudiants confrontés aux mêmes problèmes ne fait pas de doute.

    Une étude récente de l’université anglaise de Kingston illustre les liens entre augmentation des frais d’inscription et prostitution. De 1998 à aujourd’hui, le nombre d’étudiantes forcées à recourir à l’industrie du sexe a doublé en Angleterre pendant que les droits d’inscription ont triplé (aujourd’hui 4.500 € par an en moyenne).

    Plusieurs personnalités issues du corps académique des universités francophones en Belgique, comme le recteur de l’UCL ou l’assistant de l’ancien recteur de l’ULB, ont déclaré récemment vouloir briser le plafond du minerval (aujourd’hui plafonné à 778€).

    Ils préparent ainsi consciemment l’opinion à une hausse de celui-ci, pouvant atteindre plusieurs milliers d’euros ! Selon l’UCL, les frais pour une année d’études sont de 9.278 € en moyenne, ce qui correspond à près de 200 services de ménages en petites culottes. Mais qu’à l’avenir un plus grand nombre d’étudiant(e)s soient littéralement poussés à se vendre si les minervals augmentent n’émeut guère les recteurs, les patrons et leurs politiciens.

    Le Mouvement pour une Alternative Socialiste et Etudiants de Gauche Actifs défendent l’idée d’un salaire étudiant suffisant afin que chacun puisse étudier. Cela mettrait fin au recours à des solutions individuelles extrêmes comme la prostitution.


    Pour en savoir plus

  • La lutte contre l’extrême-droite est plus que jamais nécessaire

    Dans les villes d’Anvers et de Gand, on aurait enfin fait barrage au Vlaams Belang. Pour la première fois après tant d’élections, le 8 octobre n’aurait pas été un dimanche noir. Du moins, c’est ce que disent en chœur les médias à propos des dernières élections communales.

    Farid Rasoolzadeh

    Cette analyse est d’autant plus absurde que le Vlaams Belang progresse à Anvers par rapport à son score de 2000 qui avait déjà semé la panique : 33,51% contre 32,95% à l’époque. Dans les districts anversois de Hoboken, Deurne et Merksem, le Vlaams Belang a récolté respectivement 41%, 43,5% en 41,5%. Nous ne voyons pas pourquoi ce serait une bonne nouvelle.

    Du côté francophone, la montée de l’extrême-droite ne s’est pas réalisée entièrement. Le Front National a récolté des scores très élevés dans le Hainaut (11% à Quaregnon, 12,6% à Pont-à-Celles et presque 10% à Charleroi).

    L’achat d’une villa privée par le président du FN Daniel Féret dans le midi de la France, largement commenté dans les médias, n’a certainement pas eu d’effet salutaire pour le FN. L’absence totale de militants actifs a empêché le parti d’extrême-droite de changer la donne. Malgré cela, 27 conseillers communaux FN ont été élus dans le Hainaut.

    A Gand et dans les districts anversois de Borgerhout et d’Anvers-centre le VB a reculé. Cela est avant tout dû aux projets de prestige à grande échelle qui ont fait s’envoler les loyers. Une partie des couches les plus pauvres a été substituée par de jeunes ménages à deux revenus pouvant se permettre une bonne habitation près du centre-ville.

    Au lieu de fournir une réponse au taux de chômage et aux loyers impayables, la coalition anversoise lors des négociations après les élections s’est occupée de discussions sur l’augmentation de « projets de renouvellement de ville ». Les partis n’ont négocié sur les logements sociaux que 10 minutes durant.

    La politique antisociale des partis traditionnels a mené à une croissance de l’extrême-droite. Tant que ces partis s’accrocheront au pouvoir, et tant qu’une véritable opposition contre la politique néolibérale fera défaut, le VB pourra continuer à accumuler les victoires électorales. Une campagne de publicité bien élaborée n’est pas une barrière face à l’extrême-droite !

    Venez manifester le 8 mars à Anvers !

    Le 8 mars (ou le 1 mars), les étudiants du VB (NSV, Mouvement Nationaliste Etudiant) veulent manifester à Anvers. Blokbuster (la campagne anti-fasciste flamande du MAS) organisera une contre-manifestation qui vise l’extrême-droite, mais aussi la politique des partis traditionnels. Nous voulons mettre en avant la nécessité d’une alternative à la politique qui crée le terreau de l’extrême-droite.

    Le NSV est un groupuscule d’étudiants racistes et violents. En 1996, ils écrivaient encore que les « nègres n’égalent pas intellectuellement notre niveau car leur cerveau est plus petit ». Lors de l’ouverture de la nouvelle année académique à Anvers, le NSV est passé à la violence contre un militant d’Etudiant de Gauche Actif (organisation étudiante du MAS). Nous ne voulons pas que ce groupuscule occupe les rues d’Anvers sans opposition.

  • Corée du Nord. Poker menteur en Asie

    En 2006, les dépenses militaires mondiales auront, selon un rapport récent d’OXFAM, dépassé les 1.000 milliards de dollars. Les montants records atteints durant la guerre froide seraient donc dépassés. L’annonce par la Corée du Nord, ce 9 octobre, d’un test nucléaire, trois mois après le lancement de ses premiers missiles longue portée, fait craindre une nouvelle progression de la course à l’armement.

    Nicolas Croes

    Nous nous opposons bien évidemment au développement des armes nucléaires. Mais, outre le fait qu’aucune certitude n’existe sur les capacités du régime stalinien de Corée du Nord de fabriquer et d’utiliser des armes stratégiques nucléaires (l’amplitude de la déflagration lors de l’essai était bien inférieure aux explosions de Nagazaki et d’Hiroshima), c’est surtout l’hypocrisie de l’impérialisme américain et l’échec de sa stratégie qui ressortent de cette crise.

    Placée par le régime de Bush parmi les pays de « l’Axe du Mal » avec lesquels aucune discussion n’est permise, la Corée du Nord a pu observer la différence de traitement réservée à l’Irak et à l’Iran, les deux autres pays de ce fameux « axe ». La Corée s’est retirée du Traité de non-prolifération nucléaire (TPN) en janvier 2003, alors que grandissait la menace d’intervention en Irak qui a finalement eu lieu deux mois plus tard. En juin de la même année, les intentions nucléaires de la Corée du Nord sont devenues officielles. C’est que, quitte à faire partie des pays menacés d’invasion notamment pour détention hypothétique d’armes de destruction massive (dont l’inexistence en Irak a finalement dû être reconnue par Washington), autant les avoir réellement. Ou du moins le faire croire…

    Cependant, en ce domaine comme en bien d’autres, le « gendarme du monde » a fait sienne la devise « Fais ce que je dis, pas ce que je fais ». Retrait du Traité sur les missiles balistiques, accord de coopération nucléaire avec l’Inde (qui n’adhère pourtant pas au TPN), silence complice sur l’existence d’armes atomiques en Israël ou au Pakistan (alliés des USA),… en ce qui concerne le respect des traités sur l’armement, les Etats-Unis n’ont de leçons à donner à personne.

    Pour l’instant, l’essai nucléaire nord-coréen est surtout instrumentalisé par les différentes puissances asiatiques afin d’augmenter leur budget militaire. L’exemple du Japon est frappant : l’Etat-major japonnais disposera pour l’année 2006 d’une somme de quelques 50 milliards d’euros, plus que la France ou le RoyaumeUni. Impressionant pour un pays qui, officiellement, ne peut plus, depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, entretenir une armée ou participer à un conflit en dehors de son territoire. Mais être l’allié majeur des USA dans la région autorise bien des choses.

    Ni le gouvernement américain ni ceux de la région ne désirent actuellement vraiment une chute du régime nord-coréen, mais tous souhaitent plutôt sa déstabilisation. C’est un processus à la chinoise qui semble être attendu de tous : que la Corée du Nord s’intègre petit à petit dans la logique de marché, permettant une transition progressive du pouvoir de la bureaucratie vers une classe bourgeoise qui doit encore naître. Une « zone économique spéciale » existe déjà à la frontière des deux Corées, où le fabricant automobile sud-coréen Hyundai peut profiter de la main d’oeuvre bon marché de son voisin du nord. C’est que les travailleurs nord-coréens travaillent 48 heures pour 57 dollars…

  • Hongrie 1956 : quand les conseils ouvriers ont fait trembler la bureaucratie soviétique et la bourgeoisie du monde entier

    Cédric Gérôme

    Ce 23 octobre 2006, cela faisait exactement 50 ans que s’est déclenchée la révolution hongroise de 1956. Cet anniversaire, ainsi que les violentes émeutes qui l’ont accompagné, ont remis la Hongrie et le souvenir de la révolution au centre de l’actualité. L’ensemble de la presse et des politiciens se rejoignent tous pour saluer au passage « la première révolution dirigée contre la tyrannie communiste ». Contre la tyrannie ? Très certainement. Mais de là à faire l’amalgame stalinisme = communisme, il n’y a qu’un pas que la majorité des commentateurs bourgeois franchissent allègrement. Lors de la commémoration du soulèvement de 1956, organisé ce mardi en grande pompe par le gouvernement hongrois, José Manuel Barroso, président de la Commission Européenne, n’hésitait pas à dire que « les Hongrois, par leur sacrifice, ont préparé la réunification de l’Europe ». Les groupes d’extrême-droite hongrois, quant à eux, revendiquent la paternité de la « révolution contre les communistes, qui sont d’ailleurs toujours au pouvoir. » Face à cet amas d’hypocrisie et de confusion idéologique, il ne nous semble pas superflu de revenir sur les événements de ‘56, ses acteurs, son caractère et ses implications…

    Hongrie 1956 : quand les conseils ouvriers ont fait trembler la bureaucratie soviétique et la bourgeoisie du monde entier

    « Comment les dirigeants pourraient-ils savoir ce qui se passe ? Ils ne se mêlent jamais aux travailleurs et aux gens ordinaires, ils ne les rencontrent pas dans les bus, parce qu’ils ont tous leurs autos, ils ne les rencontrent pas dans les boutiques ou au marché, car ils ont leurs magasins spéciaux, ils ne les rencontrent pas dans les hôpitaux, car ils ont leurs sanas à eux. »

    « La honte n’est pas dans le fait de parler de ces magasins de luxe et de ces maisons entourées de barbelés. Elle est dans l’existence même de ces magasins et de ces villas. Supprimons les privilèges et on n’en parlera plus. » (Gyula Hajdu et Judith Mariássy, respectivement militant communiste et journaliste hongrois en 1956)

    1) La Hongrie au sortir de la guerre

    Après la deuxième guerre mondiale, les Partis Communistes et l’URSS avaient acquis une grande autorité suite à la résistance héroïque de la population russe contre l’invasion du pays par l’armée nazie. L’URSS sortit renforcée de la guerre : ayant repoussé l’armée allemande jusqu’aux frontières de l’Elbe, elle avait conquis la moitié d’un continent. La conférence de Yalta en février 1945 consacra cette nouvelle situation : les parties de l’Europe qui avaient été « libérées » par l’Armée Rouge resteraient sous la sphère d’influence russe.

    La fin de la seconde guerre mondiale était allée de pair avec une radicalisation des masses et des événements révolutionnaires dans toute une série de pays. En effet, les masses ne voulaient pas seulement en finir avec le fascisme ; elles voulaient aussi extirper la racine sociale et économique qui l’avait fait naître : le capitalisme. Dans la plupart des pays européens, la bourgeoisie devait faire face à des insurrections de masse. Mais s’il y avait bien un point sur lequel les Partis Communistes stalinisés et les capitalistes s’entendaient parfaitement, c’était sur le fait qu’une révolution ouvrière devait être évitée à tout prix. Dans les pays capitalistes, les PC –tout comme les partis sociaux-démocrates- usèrent de leur autorité pour venir en aide aux classes dominantes, en ordonnant aux partisans de rendre les armes et en participant à des gouvernements d’ « union nationale » avec les partis bourgeois (en France, en Italie, et en Belgique notamment). En vérité, il s’agissait bien là d’une contre-révolution, mais sous un visage « démocratique ». En France, pour ne citer qu’un seul exemple, les groupes de résistance, sous l’instruction des dirigeants staliniens, durent rendre leurs armes au prétendu « gouvernement de Libération Nationale ». Maurice Thorez, secrétaire général du PCF de l’époque, déclarait : « Les Milices Patriotiques ont très bien servi dans la lutte contre les nazis. Mais maintenant, la situation a changé. La sécurité publique doit être assurée par la police régulière. Les comités locaux de libération ne peuvent pas se substituer au pouvoir du gouvernement. »

    Dans les pays de l’Est (Roumanie, Bulgarie, Hongrie, Pologne, etc), si l’entrée de l’Armée Rouge avait souvent été perçue comme une libération, la bureaucratie du Kremlin était pourtant déterminée à maintenir la situation sous son contrôle et à empêcher que la classe ouvrière entre en mouvement de manière autonome. Petite anecdote illustrative : en Bulgarie, lorsque la machine militaire nazie s’effondra durant les mois d’automne 1944, les milices ouvrières, à Sofia puis dans d’autres villes, désarmèrent et arrêtèrent les fascistes, élirent des tribunaux populaires, organisèrent des manifestations de masse. Sentant le danger, le Haut Commandement russe ordonna tout de suite à ses troupes stationnées dans le pays : « Faites tout pour revenir à la discipline antérieure. Abolissez les comités et les conseils. Nous ne voulons plus voir un seul drapeau rouge dans la ville. »

    Après la guerre, dans des pays comme l’Italie ou l’Allemagne, la bourgeoisie avait sciemment maintenu dans l’appareil d’Etat du personnel politique ou militaire ayant occupé des fonctions importantes sous le fascisme ; les staliniens, quant à eux, firent exactement la même chose à l’Est. A cette époque, gagner les masses à un programme révolutionnaire n’aurait été que trop facile ; mais c’était là précisément ce que la bureaucratie stalinienne voulait éviter à tout prix. Dans les pays occupés par l’Armée Rouge, nombre de communistes et de travailleurs actifs dans la résistance seront liquidés, car jugés peu fiables. Qualifiés pendant la guerre de « braves combattants », ils devenaient à présent des « bandits », des « forces ennemies », voire même des « éléments pro-hitlériens », et étaient soumis en conséquence à la plus sévère répression. Plusieurs milliers d’entre eux seront torturés ou exécutés, pour la simple raison d’avoir voulu contester la toute-puissance de la bureaucratie. Pour mener à bien ce travail peu reluisant, les meilleurs alliés que les staliniens pouvaient trouver étaient…les vermines de l’ancien régime, convertis en « communistes » pour l’occasion. En Roumanie, le vice-Premier ministre du gouvernement nouvellement formé, un certain Tatarescu, avait par exemple dirigé en 1911 la répression contre un soulèvement dans les campagnes qui avait causé la mort de 11.000 paysans. En Bulgarie, le premier ministre, le Colonel Georgiev, et le ministre de la guerre, le Colonel Velchev, avaient tous deux été membres de la Ligue Militaire, une organisation fasciste sponsorisée par Mussolini. En Hongrie enfin, en décembre 1944, un gouvernement de « libération » fut formé ; son premier ministre était Bela Miklos, à savoir le tout premier Hongrois à avoir reçu personnellement des mains d’Hitler la plus grande décoration de l’ordre nazi !

    La population hongroise avait connu la défaite d’une première révolution en 1919. Ensuite elle dût subir les conséquences de cette défaite par l’instauration du régime fasciste de l’Amiral Horthy. Celui-ci liquida avec zèle les syndicats, tortura et massacra les communistes et les socialistes par milliers. Pendant la guerre, le pays fut occupé par les troupes nazies, accompagnées d’une nouvelle vague de terreur. Compte tenu de ces antécédents, il est clair que pour la population hongroise, le fait de constater qu’un régime qui portait sur son drapeau les acquis de la révolution russe d’octobre 1917 reconstruise l’appareil d’Etat avec les pires crapules de l’ancien régime n’en était que plus insupportable.

    Après la guerre, la Hongrie, comme tous les pays tombés sous l’égide de l’Armée Rouge, s’intégra au modèle économique russe et nationalisa son économie. A la fin de 1949, le processus de nationalisation de tous les principaux secteurs de l’économie hongroise était achevé. Bien évidemment, cela ne se faisait pas à l’initiative ni sous le contrôle des masses ouvrières : dès le début, celles-ci furent placés sous le joug d’une bureaucratie parasitaire calquée sur le modèle de l’URSS, qui disposait en outre d’une des polices secrètes les plus brutales de tout le bloc de l’Est, et s’accaparait, de par ses positions politiques, des privilèges exorbitants : en 1956, le salaire moyen d’un travailleur hongrois était de 1.000 forints par mois. Celui d’un membre de base de l’A.V.O. (=la police politique) était de 3.000 forints, tandis que le salaire d’un officier ou d’un bureaucrate de haut rang pouvait varier entre 9.000 et 16.000 forints par mois.

    Sur papier, beaucoup de travailleurs hongrois restaient encore membres du Parti Communiste. Cependant, cela était davantage lié au climat de terreur régnant tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du parti, plutôt qu’à des considérations politiques. Pour preuve, en octobre 1948, l’éditeur principal du « Szabad Nep » -le journal officiel du parti- se plaignait lui-même du fait que seuls 12% des membres du parti lisait le journal. Autre chiffre particulièrement révélateur de la répression politique qui sévissait en Hongrie à cette époque : entre 1948 et 1950, le PC hongrois expulsa de ses rangs pas moins de 483.000 membres !

    2) La rupture

    Le bureaucratisme stalinien constituait un système de gouvernement et de direction économique de moins en moins adapté aux nécessités de son temps, et de plus en plus en contradiction avec la situation réelle, tant en URSS que dans les pays dits « satellitaires » d’Europe de l’Est. L’annonce de la mort de Staline par le Kremlin en mars 1953 fut perçue comme un signal par les populations ouvrières du bloc de l’Est et ouvrit une période de résistance dans ces pays contre les méthodes de terreur et de despotisme qui devenaient chaque jour plus intolérables. En juin de la même année, les travailleurs de Plzen, un des principaux centres industriels de Tchécoslovaquie, démarrèrent spontanément une manifestation de masse demandant une plus grande participation de leur part aux décisions dans les usines et sur les lieux de travail, la démission du gouvernement ainsi que la tenue d’élections libres. Deux semaines plus tard, le 17 juin 1953, les travailleurs de Berlin-Est se rebellaient à leur tour par des manifestations et des grèves, mouvement qui culminera dans une grève générale se répandant comme une traînée de poudre dans toute l’Allemagne de l’Est. Il sera réprimé sans ménagement par les troupes russes, au prix de 270 morts.

    Les dirigeants de l’URSS comme des pays « satellitaires » commençaient à s’inquiéter. Il fallait trouver les moyens de calmer les esprits, les voix de plus en plus nombreuses qui s’élevaient contre le régime d’oppression politique imposé à la population. Effrayée par la possibilité d’explosions plus importantes encore, la bureaucratie décida d’adopter un « cours nouveau » : une certaine relaxation politique consistant en réformes et concessions venues d’en-haut (=initiées par la bureaucratie elle-même) afin d’éviter une révolution d’en-bas (=une révolution politique initiée par la classe ouvrière). Ainsi, en Hongrie, les tribunaux de police spéciaux furent abolis, beaucoup de prisonniers politiques furent libérés, il fut permis de critiquer plus ouvertement la politique du gouvernement. Sur le plan économique, on accorda plus d’importance à la production de biens de consommation et moins à l’industrie lourde. Dans les campagnes, on mit un frein aux méthodes de collectivisation forcée. Cependant, cela ne fit qu’ouvrir l’appétit aux travailleurs et aux paysans ; car ce que ceux-ci désiraient en définitive, c’était chasser pour de bon la clique dirigeante du pouvoir.

    Historiquement, l’année 1956 fut incontestablement une année cruciale dans la crise du stalinisme. Car si 1956 fut l’année de la révolution hongroise, cette dernière n’était elle-même qu’une composante d’une crise générale traversée par les régimes staliniens. La révolution de 1956 marquait un point tournant : elle indiquait la fin d’une époque et le début d’une ère nouvelle. Précurseur d’autres mouvements contre la bureaucratie stalinienne, tels que le Printemps de Prague de 1968, elle était la première véritable révolution dirigée contre ceux-là même qui continuaient à se proclamer les héritiers de la révolution russe de 1917. Or, comme Trotsky l’avait expliqué déjà 20ans auparavant, ceux qui se trouvaient au Kremlin n’étaient plus les héritiers de la révolution, mais bien ses fossoyeurs.

    Déjà, en février 1956, au 20ème congrès du PC russe, et trois ans après la mort de Staline, Nikita Kroutchev, premier secrétaire du parti, avait lancé une véritable bombe politique dans le mouvement communiste mondial en exposant son fameux « rapport secret », qui détruisait le mythe du « Petit Père des Peuples » et dévoilait publiquement la terreur de masse, les crimes abominables et la répression politique menée méthodiquement par le régime de Staline pendant des années. Auparavant, ne pas avoir la photo de Staline chez soi était considéré comme un acte de défiance au régime. A présent, on transformait en diable celui qui avait été mystifié des années durant comme un dieu vivant ! Les raisons de ce revirement peuvent en être trouvées dans cet extrait d’un article de la « Pravda » -organe de presse du PC russe- : « Le culte de la personnalité est un abcès superficiel sur l’organe parfaitement sain du parti. » Il s’agissait de donner l’illusion que maintenant que le « Petit Père des Peuples » avait trépassé, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

    Mais les travailleurs n’étaient pas dupes. En outre, il est difficile de continuer à pratiquer une religion à partir du moment où l’on a détruit son dieu. Car si Kroutchev et ses supporters tendaient à rompre avec les aspects les plus tyranniques du stalinisme, ils étaient bien incapables, de par leur propre position, à s’attaquer à la racine même de cette tyrannie : c’est pourquoi Kroutchev se verra obligé d’écraser dans le sang la révolution hongroise en utilisant les mêmes méthodes que celles qu’il avait dénoncées quelques mois plus tôt.

    3) L’explosion

    De juin à octobre 1956, un mouvement important des travailleurs polonais oblige la bureaucratie polonaise à faire d’importantes concessions. Des postes dans le parti sont attribués à des anti-staliniens et fin octobre, le poste de 1er secrétaire du parti est attribué à Gomulka, un vieux communiste relativement populaire qui avait été jeté en prison par Staline. Si Gomulka restait un homme de l’appareil, sa nomination à la tête du parti était malgré tout perçue comme une victoire importante. Un responsable haut-placé du régime commente ces événements en affirmant qu’ « il faut voir ces incidents comme un signal alarmant marquant un point de rupture sérieux entre le parti et de larges couches de la classe ouvrière. » Toutefois, en Pologne, la bureaucratie sera capable de maintenir le mouvement sous contrôle. Mais en Hongrie …

    En Hongrie, depuis quelques mois, l’agitation s’était accentuée, essentiellement parmi les intellectuels et dans la jeunesse, autour du cercle « Petöfi », formé fin ‘55 par l’organisation officielle des jeunesses communistes (DISZ). Celle-ci prend des positions de plus en plus virulentes par rapport au régime : « Il est temps d’en finir avec cet Etat de gendarmes et de bureaucrates » est le type de déclarations que l’on peut lire dans leurs publications. La « déstalinisation » leur permet à présent d’exprimer au grand jour ce qu’ils pensaient depuis longtemps tout bas.

    A partir de septembre et de début octobre, les travailleurs commencent à leur tour à s’activer. En octobre, lorsque les travailleurs et les jeunes apprennent la nouvelle de ce qui s’est passé en Pologne, il se sentent pousser des ailes. Le 21 octobre, les étudiants de l’Université Polytechnique de Budapest tiennent une assemblée, où ils réclament la liberté de la presse, de parole, d’opinion, la suppression du régime du parti unique, l’abolition de la peine de mort, l’abolition des cours obligatoires de « marxisme ». Ils menacent d’appuyer leur programme par des manifestations de rue s’ils n’obtiennent pas satisfaction. Le 22 octobre, le cercle Petöfi lance pour le lendemain le mot d’ordre d’une grande manifestation publique en solidarité avec leurs frères polonais.

    L’interdiction initiale de la manifestation, plusieurs fois répétée à la radio, puis la décision soudaine de l’autoriser, produisent un effet de choc. La population tout entière a pu constater les hésitations des dirigeants, et elle voit la décision finale des autorités comme une capitulation devant la force potentielle du mouvement. La manifestation est un succès, rassemble plusieurs dizaines de milliers de personnes. En tête, des jeunes portent d’immenses portraits de Lénine. On peut lire des slogans tels que « nous ne nous arrêterons pas en chemin : liquidons le stalinisme », « indépendance et liberté » etc. Vers 18h, les bureaux et les usines se vident, et les ouvriers et employés qui sortent du boulot rejoignent les étudiants. Le mouvement gagne en ampleur, les transports publics s’arrêtent de fonctionner ; on dénombre bientôt plus de 300.000 manifestants dans les rues de Budapest.

    Un groupe de plusieurs centaines de personnes issues de la foule décident de se rendre à la Place où se dresse une statue géante en bronze de Staline et la déboulonnent. Une délégation de 16 personnes se rend à l’immeuble où est localisé le centre de radio de Budapest, afin de tenter de diffuser leur appel sur les ondes. Comme la délégation tarde à sortir de l’immeuble, la foule s’impatiente. C’est dans la confusion générale qu’éclatent les premiers coups de feu dans la foule, tirés par des membres de l’A.V.O. Il y a trois morts. Ensuite, les premiers tanks et camions arrivent en renfort. Cette échauffourée met le feu aux poudres : la révolution hongroise a commencé.

    4) La force des travailleurs en action

    Les travailleurs commencent à s’armer pour riposter : certains s’emparent d’armes dans les armureries, d’autres se rendent vers les casernes. Comme à Barcelone en 1936, certains soldats leur ouvrent les portes, leur lancent des fusils et des mitraillettes par les fenêtres, ou amènent carrément dans la rue des camions chargés d’armes et de munitions et les distribuent à la population. Beaucoup rejoignent les rangs des manifestants. Dès le 24 au soir, il n’y aura pratiquement plus aucune unité de l’armée hongroise qui obéisse au gouvernement. Seule la police politique combat les insurgés. Des barricades commencent à se dresser ; dans certains quartiers de Budapest, même des enfants apportent leurs jouets pour aider à la construction des barricades.

    Les batailles de rue durent toute la nuit. A une heure du matin déjà, la plupart des grosses artères de la ville sont occupés par des travailleurs armés. Vers 8h du matin, le gouvernement hongrois annonce qu’il a fait appel à l’aide militaire russe pour écraser ce qu’il appelle « des petites bandes de contre-révolutionnaires armés qui pillent la ville. » Les bureaucrates du Kremlin et leurs agents de l’appareil hongrois sont décidés à conserver à tout prix le contrôle de la situation, quitte à noyer dans le sang la révolution naissante. Cette décision ne fait que renforcer la détermination des révolutionnaires et radicalise encore davantage le mouvement. Le premier conseil de travailleurs et d’étudiants est formé à Budapest.

    Les chars russes commencent à entrer dans la ville dans la matinée du 24 octobre. Au début, certains soldats russes envoyés pour écraser l’insurrection ne savent même pas qu’ils sont en Hongrie : on leur a raconté qu’ils ont été envoyés à Berlin pour « combattre des fascistes allemands appuyés par des troupes occidentales. »

    Les combats de rue se prolongent pendant plusieurs jours. Rapidement, les quartiers prolétariens deviennent les bastions de l’insurrection. Un correspondant de « The Observer » explique: « Ce sont les étudiants qui ont commencé l’insurrection, mais, quand elle s’est développée, ils n’avaient ni le nombre ni la capacité de se battre aussi durement que les jeunes ouvriers. ».

    Dès l’annonce de l’envoi de troupes russes, la grève générale insurrectionnelle est déclarée ; elle se répand rapidement dans tout le pays. Elle se traduit immédiatement par la constitution de centaines de comités et conseils ouvriers qui s’arrogent le pouvoir. Avant le 1er novembre, dans tout le pays, dans toutes les localités, se sont constitués, par les travailleurs et dans le feu de la grève générale, ces conseils qui assurent le maintien de l’ordre, la lutte contre les troupes russes et contre celles de l’A.V.O. par des milices d’ouvriers et d’étudiants armés ; ils dissolvent les organismes du PC, épurent les administrations qu’ils ont soumises à leur autorité, assurent le ravitaillement de la capitale en lutte.

    Un journal aussi réactionnaire que « La Libre Belgique » publiait le lundi 23 octobre l’interview d’un certain Nicolas Bardos, docteur en sciences-économiques, qui a fui la Hongrie en 1956. Celui-ci relate : « A la sortie d’une pause de nuit, je suis tombé dans la rue sur une manifestation où ouvriers et employés étaient accompagnés d’étudiants derrière un drapeau troué. Deux jours plus tard, je me suis rendu compte de la décomposition de l’Etat. Tout s’est arrêté et réorganisé très vite. Des conseils ouvriers se sont mis en place… ». Ces conseils renouent spontanément avec les formes d’organisation caractéristiques de la démocratie ouvrière : ils sont élus par la base, avec des délégués révocables à tout moment et responsables devant leurs mandats. Leurs revendications politiques diffèrent, mais tous comprennent : l’abolition de l’A.V.O., le retrait des troupes russes, la liberté d’expression pour tous les partis politiques, l’indépendance des syndicats, l’amnistie générale pour les insurgés emprisonnés, mais aussi et surtout la gestion par les travailleurs eux-mêmes des entreprises et des usines.

    Ce dernier point apporte un démenti flagrant à la version prétendant que cette révolution était dirigée contre le « communisme » en général. Le 2 novembre 1956, un article paraît dans « Le Figaro » affirmant ceci : « Les militants hongrois sont soucieux de restaurer une démocratie à l’occidentale, respectueuse des lois du capitalisme. » Cette affirmation est pourtant contredite par les militants révolutionnaires eux-mêmes. La fédération de la jeunesse proclame fièrement : « Nous ne rendrons pas la terre aux gros propriétaires fonciers ni les usines aux capitalistes » ! Dans le même registre, le Conseil Ouvrier Central de Budapest déclare : « Nous défendrons nos usines et nos terres contre la restauration capitaliste et féodale, et ce jusqu’à la mort s’il le faut. » Certes, dans l’atmosphère générale, des réactionnaires ont pu s’infiltrer et pointer le bout de leur nez. Pas plus. Un seul journal réactionnaire a paru. Il n’a publié qu’un seul numéro, car les ouvriers ont refusé de l’imprimer dès le lendemain. Cela n’a pas empêché les journaux bourgeois en Occident de parler de « floraison de journaux anti-communistes ».

    5) Les chars russes

    Au fur et à mesure que les soldats russes restent sur place, ils comprennent de mieux en mieux pourquoi on les a envoyés : ils n’ont pas vu de troupes occidentales, ils n’ont pas vu de fascistes ni de contre-révolutionnaires ; ils ont surtout vu tout un peuple dressé, ouvriers, étudiants, soldats. Certains soldats russes doivent être désarmés et renvoyés vers la Russie, du fait qu’ils refusent d’appliquer les ordres. D’autres fraternisent avec les révolutionnaires et rejoignent carrément le camp des insurgés. Dès le second jour de l’insurrection, un correspondant anglais signale que certains équipages de tanks ont arraché de leur drapeau l’emblème soviétique et qu’ils se battent aux côtés des révolutionnaires hongrois « sous le drapeau rouge du communisme ».

    L’utilisation de l’armée russe à des fins répressives devient de plus en plus difficile. Après un premier repli stratégique pour s’assurer des troupes plus fraîches et plus sûres, le 4 novembre, le Kremlin lance une seconde intervention, armée de 150.000 hommes et de 6.000 tanks pour en finir avec la révolution. Une bonne partie des nouvelles troupes viennent d’Asie soviétique, dans l’espoir que la barrière linguistique puisse empêcher la fraternisation des soldats avec les révolutionnaires hongrois.

    Pendant quatre jours, Budapest est sous le feu des bombardements. Le bilan de la deuxième intervention soviétique à Budapest est lourd : entre 25.000 et 50.000 morts hongrois, et 720 morts du côté des soldats russes. La répression par les troupes de l’A.V.O., qui « nettoient » les rues après le passage des tanks, est extrêmement féroce : des révolutionnaires attrapés dans les combats de rue sont parfois pendus par groupes sur les ponts du Danube ; des pancartes sont accrochées sur leurs cadavres expliquant : « Voilà comment nous traitons les contre-révolutionnaires ». Tout cela se fait bien entendu dans l’indifférence totale des soi-disant « démocraties » occidentales. Le secrétaire d’Etat des USA affirme dans un speech à Washington : « D’un point de vue de la loi internationale sur la violation des traités, je ne pense pas que nous puissions dire que cette intervention est illégale ». Ce positionnement de l’impérialisme américain permet d’apprécier à sa juste valeur l’ «hommage » rendu aux insurgés de ’56 par George W.Bush lors de sa visite en Hongrie en juillet dernier !

    Les combats durent pendant huit jours dans tout le pays. Si l’intervention des chars russes leur a assénés un sérieux coup, les travailleurs ne sont pourtant pas encore complètement battus. Une semaine après le déclenchement de la seconde intervention russe, la majorité des conseils ouvriers sont encore debout. Une nouvelle grève générale, assez bien suivie, aura même encore lieu les 11 et 12 décembre ! Pourtant, le répit obtenue par la réaction à travers cette deuxième intervention militaire–nettement plus efficace que la première-, combinée au manque d’un parti ouvrier révolutionnaire avec une stratégie claire visant à destituer la bureaucratie de ses fonctions, permet à la terreur contre-révolutionnaire de déclencher une offensive sans précédent. Le 20 novembre, les derniers foyers de résistance commencent à s’éteindre. Début décembre, le gouvernement lance la police contre les dirigeants des conseils ouvriers ; plus d’une centaine d’entre eux sont arrêtés dans la nuit du 6 décembre. Sous les coups de la répression, les conseils ouvriers nés de la révolution disparaissent les uns après les autres. La révolution hongroise recule.

    Le 26 décembre 1956, la force des conseils ouvriers hante encore la bureaucratie. Un ministre hongrois, un certain Gyorgy Marosan, déclare que « si nécessaire, le gouvernement exécutera 10.000 personnes pour prouver que c’est lui le vrai gouvernement, et non plus les conseils ouvriers. »

    Le 5 janvier 1957, en visite à Budapest, Kroutchev, rassuré, affirme qu’ « en Hongrie, tout est maintenant rentré dans l’ordre. »

    Le 13 janvier de la même année, la radio diffuse une annonce officielle déclarant qu’ « en raison de la persistance d’activités contre –révolutionnaires dans l’industrie, les Tribunaux ont désormais le pouvoir d’imposer la peine de mort à quiconque perpétuera la moindre action contre le gouvernement. » Cela implique le simple fait de prononcer le mot « grève » ou de distribuer un tract.

    6) Conclusion

    La version que la bourgeoisie présente de ces événements est sans ambiguïté : le peuple hongrois a démontré sa haine du communisme et sa volonté de revenir au bon vieux paradis capitaliste. Pour des raisons quelque peu différentes, la version des staliniens s’en rapproche étrangement : les révolutionnaires sont sans vergogne qualifiés par la bureaucratie de « contre-révolutionnaires », de « fascistes », d’ « agents de la Gestapo ». Dans un cas comme dans l’autre, les insurgés sont présentés comme des éléments pro-capitalistes. Or il n’en est rien : tout le développement de la révolution hongroise dément une telle analyse.

    En 1956, le programme qu’exprimaient des millions de travailleurs de Hongrie à travers les résolutions de leurs conseils et comités, reprenait dans les grandes lignes le programme tracé vingt ans plus tôt dans « La révolution trahie » par Trotsky, où celui-ci prônait pour la Russie une révolution politique contre la caste bureaucratique au pouvoir, comme seule issue afin d’empêcher un retour au capitalisme qui renverrait l’Etat ouvrier des décennies en arrière.

    Trotsky disait : « L’économie planifiée a besoin de démocratie comme l’homme a besoin d’oxygène pour respirer ». Les travailleurs ne refusaient pas la production socialisée ; ce qu’ils refusaient, c’était que cette dernière se fasse au-dessus de leurs têtes. Ils se battaient pour le véritable socialisme, c’est-à-dire un socialisme démocratique. C’est pour cette raison que la victoire des conseils ouvriers était apparue comme un péril mortel à la bureaucratie de l’URSS. De plus, son exemple était un danger direct pour toute la hiérarchie de bureaucrates de que l’on appelait hypocritement les « démocraties populaires ». Mao, Tito, et tous les autres, sans exception, supportèrent sans hésiter la ligne suivie par Moscou. Le Parti Communiste Chinois alla même jusqu’à reprocher aux Russes de ne pas avoir réagi assez vigoureusement pour écraser la révolution hongroise. Dans les pays occidentaux, les PC estimaient que l’intervention soviétique était inévitable et nécessaire si l’on voulait « sauver le socialisme » : il leur en coûtera des dizaines de milliers de membres, le PC anglais perdant plus du quart de ses effectifs.

    Malheureusement, les travailleurs hongrois se sont lancés dans la révolution sans disposer d’une direction révolutionnaire permettant de faire aboutir le mouvement jusqu’à sa conclusion : là était le gage d’une possible victoire. Il est regrettable que certains commentateurs de gauche tirent des conclusions complètement opposées. C’est le cas de Thomas Feixa, journaliste au « Monde Diplomatique », qui écrit : « La grève générale et la création de conseils autonomes opérant sur la base d’une démocratie directe bat en brèche la formule du parti révolutionnaire défendue par Lénine et Trotsky, celle d’une organisation autoritaire et centralisatrice qui réserve les décisions à une élite savante et restreinte. » La contradiction qui est ici posée entre les conseils ouvriers d’un côté, et le parti révolutionnaire de l’autre, n’a pas de sens. Les conseils ouvriers existaient également en Russie : les soviets, qui permettaient précisément que les décisions ne soient pas « réservées à une élite savante et restreinte », mais impliquaient au contraire la masse de la population dans les prises de décision. Que les soviets aient finalement perdu leur substance et furent sapés par la montée d’une bureaucratie totalitaire qui a fini par gangréner tous les rouages de l’appareil d’Etat, c’est une autre histoire que nous n’avons pas l’espace d’aborder ici. Mais une chose est certaine : la victoire des soviets russes a été permise parce qu’ils disposaient d’une direction révolutionnaire à leur tête, représentée par le Parti Bolchévik. Si l’héroïsme des travailleurs hongrois avait pu être complété par l’existence d’un parti tel celui des Bolchéviks en 1917, le dénouement de la révolution hongroise aurait été tout autre, et la face du monde en aurait peut-être été changée.

    Andy Anderson, auteur anglais d’un livre appelé « Hungary ‘56 », explique quant à lui : « Les travailleurs hongrois ont instinctivement, spontanément, créé leurs propres organes, embryon de la société qu’ils voulaient, et n’ont pas eu besoin d’une quelconque forme organisationnelle distincte pour les diriger ; c’était ça leur force. » Encore une fois, ce qui constituait la faiblesse principale du mouvement –sa spontanéité- est ici transformée en son contraire, et présentée comme sa force principale. Il est d’ailleurs assez révélateur de constater qu’aucun de ces deux auteurs n’aborde la question de savoir pourquoi la révolution hongroise a échoué. Elle a échoué car il manquait aux travailleurs hongrois la direction capable de coordonner leur action, de construire un soutien solide dans les populations ouvrières des autres pays de l’Est par une stratégie consciente visant à étendre la révolution à l’extérieur et ainsi desserrer l’étau qui pesait sur les révolutionnaires hongrois, de déjouer les pièges de la bureaucratie et, surtout, de balayer définitivement celle-ci du pouvoir. C’est bien à cause de cela que les conseils ouvriers sont restés en Hongrie à l’état d’ « embryons de la nouvelle société » et ne sont jamais devenus des organes de pouvoir effectifs.

    Sources :

    • « La révolution hongroise des conseils ouvriers », Pierre Broué.
    • « Hungary ‘56 », Andy Anderson
    • « Le Monde Diplomatique » (octobre 2006)
    • « La Libre Belgique » (23 et 24 octobre 2006)
  • Un instrument pour l’amélioration des conditions de travail transformé en rouleau compresseur néolibéral

    Entamées secrètement pendant la guerre, des négociations entre employeurs et certains dirigeants syndicaux aboutissent en 1944 à la mise sur pied de la sécurité sociale. En 1955, un accord est conclu sur la semaine de 45 heures. Entre 1960 et 1975, le modèle social belge est sur les rails. Pendant cette période, sept accords centraux sont conclus, chacun pour une période de deux ans.

    Eric Byl

    En 1970, la semaine de 41 heures et en 1971 la semaine de 40 heures sont instaurées. La loi du 5 décembre 1968 stipule qu’un avantage accordé à un certain niveau ne peut pas être moindre que celui accordé à un niveau supérieur. La norme salariale conclue nationalement est alors un minimum auquel tout le monde a droit.

    Avec le début de la crise en 1975, les négociations sociales bloquent. Dix années durant, aucun accord central n’est conclu, à l’exception de 1981. Le gouvernement choisit le camp patronal : il introduit un gel des salaires et trois sauts d’index, modifie le système d’indexation et élabore la première norme de compétitivité (1983).

    Entre 1985 et 1997, cinq accords centraux sont conclus, où il n’est plus question d’une diminution du temps de travail ou d’une meilleure rémunération. A la place : compétivité de l’économie et modération salariale. Dans son Plan Global (1993), le gouvernement impose l’index-santé (un index trafiqué dont sont sortis les alcools, le tabac et l’essence), un gel salarial pour 1995-1996, une baisse structurelle des charges sociales patronales pour les bas salaires, la flexibilité dans les contrats de travail et le financement alternatif de la sécurité sociale.

    La loi de 1996 sur la compétitivité stipule qu’une norme salariale (c’est-à-dire un plafond à ne pas dépassé) est fixée par comparaison entre les coûts de travail en Allemagne, en France et aux Pays-Bas. La norme salariale n’offre dorénavant plus de garanties pour une protection minimale et pour un salaire décent pour les salariés des secteurs les plus faibles, mais elle est devenue une norme minimale qui garantit les intérêts des entreprises.

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