Tag: France

  • Flightcare: Vindevoghel gagne son procès, mais regagnera-t-elle son emploi?

    En juillet 2005, Maria Vindevoghel, déléguée LBC (la Centrale flamande des Employés de la CSC) avait été licenciée sous prétexte qu’elle n’avait pas respecté les règles de sécurité, traquée par la direction pour qui la moindre excuse était bonne pour se débarasser d’une déléguée trop gênante.

    Par un militant LBC/CNE

    La Cour du Travail de Bruxelles vient de juger qu’elle avait été injustement licenciée par Flightcare, que la déléguée et son syndicat avaient été discriminés par cette entreprise et qu’elle devrait maintenant retrouver sa place.

    En soi, c’est une victoire importante. Mais que faire si Flightcare ne réintègre pas la déléguée malgré tout ?

    La Cour du Travail a notamment déclaré qu’il n‘existe aucune base légale pour imposer des astreintes. Il n’existe donc concrètement aucun levier et Flightcare n’a d’ailleurs donné aucune suite à cette décision si ce n’est de faire appel à la Cour de Cassation.

    En France et aux Pays-Bas, un employeur doit d’abord recevoir la permission avant de licencier un délégué. Dans le cas contraire, le licenciement est annulé.

    En Belgique, le renforcement de la protection des délégués est un thème crucial, surtout à l’approche des élections sociales de 2008. Si des astreintes imposées à l’employeur peuvent être une option, la réintégration des délégués injustement licenciés doit être obligatoire.

    Le droit de grève et la protection des délégués ont été acquis sur base de la lutte et de la solidarité, c’est par la lutte et la solidarité que ces acquis seront préservés et élargis.

  • Quand le PS rêve d’être un parti unique…

    Menace de sanctions contre une militante du PS :

    Sur le site du PS, on peut lire que tout est fait pour que « la démocratie interne soit totale ». Par exemple, les militants PS peuvent être sanctionnés pour avoir pensé que d’autres listes que celle du PS peuvent se présentent aux élections. Di Rupo et compagnie ne sont plus à ça près…

    Un peu de technique…

    Présenter une liste aux élections ne se fait pas si simplement. Enfin, ça dépend pour qui. Pour présenter des candidats aux élections fédérales du 10 juin prochain pour le Sénat par exemple, il faut récolter 5.000 signatures de personnes qui trouvent que la liste a le droit de se présenter. Un peu comme avec les signatures de maires en France. Cela n’engage strictement à rien vis-à-vis de du programme ou de quoi que ce soit, ça permet juste à un parti de (tenter de) participer au débat politique (en théorie, et pour autant qu’il existe vraiment). Les partis établis, eux, peuvent simplement demander 3 signatures de parlementaires. Faites le calcul, selon cette « logique », 1 parlementaire vaut 1666 personnes.

    Pour les communales, c’est un peu plus aisé. Là aussi, les partis traditionnels peuvent récolter quelques signatures de conseillers communaux là où un « petit » parti doit récolter une ou plusieurs centaines de signatures de liste de parrainage (le chiffre varie d’une commune à l’autre en fonction de sa population).

    Derrière ce merveilleux système, il y a officiellement le souci de mettre un maximum de bâtons dans les roues des partis « non démocratiques » (et officieusement de faire un maximum de croche-pieds à toute contestation organisée).

    Le PS est particulièrement bien placé pour donner des leçons à ce sujet…

    Aucun débat dans les rangs !

    Aux élections communales d’octobre 2006, le Mouvement pour une Alternative Socialiste a déposé des listes dans plusieurs communes. Nous ne représentions pas un grand danger, notre budget pour ces élections au niveau national était de 2.500 euros (combien de centaines de milliers pour le PS ?) ! Il s’agissait surtout pour nous de mobiliser pour la conférence du 28 octobre qui a lancé le Comité pour une Autre Politique.

    Lors des collectes de listes de parrainage, parmi les signataires, on trouve de nombreux membres de partis traditionnels qui estiment juste qu’un maximum de partis doivent se présenter dans le cadre du débat démocratique. Et bien, c’est intolérable pour certains responsables du PS. Notamment dans le fief de Di Rupo.

    Une militante montoise a ainsi reçu une lettre assez déroutante. Morceau choisi :

    « (…) vous auriez apposé votre signature sur le document de présentation de la liste M.A.S., liste concurrente de celle du Parti socialiste (la majuscule se met à « parti », pas à « socialiste »… NDLR). Il s’agirait d’une faute grave de la part d’une militante socialiste, laquelle mériterait une sanction. (…) »

    Au delà de ce que cela révèle sur la notion de « démocratie » au sein du PS, le parti a, de plus, enfreint la loi sur la violation des libertés démocratiques. L’ensemble des partis participant aux élections a bien le droit de consulter les listes de parrainage afin d’en vérifier la validité. Par contre, nul n’a le droit de les comparer à ses propres listes de membres pour les pénaliser.

    Après les privatisations et l’application d’une politique antisociale de façon générale (Pacte des générations, chasse aux chômeurs,…) ou encore les affaires de corruption, le PS n’a pas seulement largement prouvé qu’il ne défendait plus les intérêts de la majorité, mais il a également démontré sa capacité à utiliser les instruments les plus nauséabonds en terme de manœuvres, de malhonnêteté et d’hypocrisie.

    Les militants honnêtes n’ont pas leur place au PS

    Cependant, un bon nombre de militants honnêtes estiment qu’il faut travailler au sein du PS pour le faire évoluer et changer les choses par son intermédiaire. L’exemple ci-dessus s’ajoute à de nombreux autres qui illustrent les mécanismes internes existant pour brimer toute contestation de la ligne du parti décidée par la direction.

    Pour tous ceux qui recherchent un organe de lutte, des solutions face aux problèmes causés par cette société injuste, le PS est un piège. La direction du PS a depuis longtemps choisi son camp – et ce n’est pas celui des travailleurs – et a surtout instauré un véritable contrôle sur l’appareil du parti. L’éclaircie ne peut venr que de l’extérieur.

  • Elections françaises : Sur 12 candidats, combien de travailleurs ?

    Seuls Olivier Besancenot, Arlette Laguiller et José Bové connaissent véritablement les réalités du niveau de vie des travailleurs! Cela ne veut pas encore dire qu’ils sont les meilleurs pour défendre leurs intérêts, mais comment les travailleurs et leurs familles peuvent-ils être représentés et défendus correctement par des millionaires qui n’imaginent même pas la difficulté de joindre les deux bouts à la fin du mois?! Petit tour d’horizon…

    Stéphane Ramquet

    Jean-Marie Le Pen, le candidat du parti néo-fasciste (FN) est assujeti à l’ISF (impôt sur la fortune) à hauteur de 1643€ pour l’année 2006. En outre, il déclare un patrimoine équivalant à 1,37 million d’€, il détient aussi un porte-feuille d’action dont la valeur est inconnue. Son salaire d’eurodéputé lui rapporte aussi 6700€ brut par mois. Jean-Marie Le Pen, l’ami des travailleurs? sûrement pas! Son patrimoine et ses intérêts boursiers en font un candidat bien proche du patronat.

    Nicolas Sarkozy (UMP, libéral-conservateur), quant à lui est le plus riche des candidats et aussi asujeti à l’ISF à hauteur de 1988€ avec un patrimoine de 1,13 million d’€. En tant que ministre, Nicolas Sarkozy touchait mensuellement 14.000€ brut.

    Ségolène Royal, la candidate très sociale-libérale du Parti « Socialiste » est aussi asujetie à l’ISF à hauteur de 862€ et partage un patrimoine de 900.000€ avec son compagnon François Hollande, secrétaire général du PS. Ensemble il détiennent un appartement de 120² en Hauts-de-Seine, une maison dans les Alpes-maritimes, ainsi qu’une maison dans les Deux-Sèvres. Son revenu de président du conseil régional du Poitou-Charente s’élève à 5.227€ brut.

    François Bayrou (UDF, centre-droit) n’est lui pas asujeti à l’ISF mais déclare quand même un patrimoine de 607.000€. Son revenu de député s’élève à 6.892€ brut.

    À l’opposé, Olivier Besancenot (LCR, se revendiquant de la tradition trotskiste) déclare un revenu de 1.100€ net que lui rapporte son salaire de facteur. Il est propriétaire avec sa compagne d’un appartement de 55m² dont il rembourse toujours le crédit.

    José Bové (altermondialiste) a un revenu net de 1220€ mensuel que lui rapporte son salaire associé d’un Groupement agricole.

    Arlette Laguiller (LO, se revendiquant également de la tradition trotskiste) enfin vit de sa pension de La Poste qui s’élève à 2.276€

    Tous les autres candidats (à l’exception de Nihous, le candidat chasseur), Voynet (Les Verts, « écologistes »), Villiers (MPF, extrême-droite), Schivardi (candidat des maires), et Buffet (Parti « Communiste » Français) vivent de leur mandat électif qui leur rapporte plus que de quoi bien vivre. (précisons tout de même que Marie-Georges Buffet rend une partie de son traitement de députée à son parti).

    Les travailleurs et la jeunesse ont besoin d’un réel prolongement politique. Le train de vie d’une candidate comme Ségolène Royal montre une fois de plus que le PS n’est plus leur parti. La LCR, tout comme LO, ne peut prétendre être à elle seule ce nouveau parti. Il faut que les forces anti-libérales, que les travailleurs, la jeunesse les immigrés et les chômeurs s’unissent dans un nouveau parti des travailleurs, une nouvelle force qui sera la coupole des luttes. En attendant pour montrer que c’est cela que nous voulons, soutenons les vrais candidats des travailleurs.

    Un maximum de voix pour ces candidats rendra encore plus visible la dénonciation du capitalisme. Mais pour renverser ce système, le vote ne suffira pas. Il faut dès à présent préparer les luttes, s’organiser, et approfondir l’analyse du capitalisme pour développer une orientation réellement socialiste et révolutionnaire. Notre organisation-soeur en France, le Gauche révolutionnaire, fait campagne sur ce thème tout en appelant à voter pour la LCR ou pour LO.


    NB: L’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) est un impôt français payé par les personnes détenant un patrimoine net (défini selon les règles de la loi) supérieur à 760 000 euros (seuil au 1er janvier 2007). L’ordre de grandeur de cet impôt est de 1% (fourchette de 0,55% à 1,80%). (fr.wikipedia.org)

  • Socialisme 2007 : journée de discussion et de débat

    Le samedi 31 mars s’est tenu notre journée annuelle de formation et de discussion. Socialisme 2007 a réuni environ 150 travailleurs et jeunes de tout le pays pour deux meetings centraux et une série de discussions dans de plus petits groupes.

    Cette journée a été particulièrement passionante avec beaucoup d’attention accordée au développement ultérieur du Comité pour une Autre Politique (CAP). Les différentes commissions ont abordé les différents thèmes de discussion plus en profondeur.

    La journée a commencé avec un meeting où quelques orateurs ont brièvement abordé des aspects spécifiques de notre fonctionnement. Jan Vlegels a ainsi parlé de nos activités antiracistes avec, entre autres, la récente manifestation anti-NSV à Anvers. Jo Coulier a parlé au sujet de la lutte contre les assainissements dans l’enseignement tandis que Laure Miège a pris la parole au nom de la commission femme du MAS/LSP et que Jeroen Demuynck a développé nos campagnes étudiantes. Enfin, Alex Rouillard, de France, est intervenu sur la nécessité de s’organiser sur le plan international contre le capitalisme.

    Après le meeting, il était possible de participer à l’une des 10 commissions autour de différents thèmes : de la lutte syndicale à la santé publique en passant par l’histoire de la révolution russe et celle du trotskisme en Belgique. Chacun a ainsi pu trouver un thème qui a éveillé son intérêt.

    La journée a été clôturée par un meeting dans lequel les orateurs ont commenté la nécessité d’une alternative politique et le développement futur du CAP. Jef Sleeckx a dû malheureusement s’excuser, il a dû participer à une fête à Mol, mais a précisé qu’il trouvait particulièrement regrettable de ne pas être présent à Socialisme 2007. Bart Vandersteene (LSP), Daniel Lebleu (ex-travailleur à VW-Forest et actif au sein du CAP) et Gustave Dache (ancien syndicaliste à Caterpillar et maintenant actif dans le CAP comme trotskiste indépendant) ont parlé pendant qu’Anja Deschoemacker animait la conversation.

    La conclusion principale a été la grande volonté d’aller de l’avant mettre dans la construction d’une alternative politique. Un gigantesque enthousiasme était présent lors de cette journée, et il était clair que la nécessité de transmettre dans le concrêt cet enthousiasme était compréhensible de tous.

  • La révolution russe.

    (conférence donnée par Léon Trotsky, en 1932 à Copenhague)

    Léon Trotsky

    « Chers auditeurs, permettez-moi dès le début d’exprimer le regret sincère de ne pas avoir la possibilité de parler en langue danoise devant un auditoire de Copenhague. Ne nous demandons pas si les auditeurs ont quelque chose à y perdre. En ce qui concerne le conférencier, l’ignorance de la langue danoise lui dérobe toutefois la possibilité de suivre la vie scandinave et la littérature scandinave directement, de première main et dans l’original. Et cela est une grande perte !

    La langue allemande à laquelle je suis contraint de recourir ici est puissante et riche. Mais ma “langue allemande” est assez limitée. Du reste, sur des questions compliquées on ne peut s’expliquer avec la liberté nécessaire que dans sa propre langue. Je dois par conséquent demander par avance l’indulgence de l’auditoire.

    Je fus pour la première fois à Copenhague au Congrès socialiste international et j’emportais avec moi les meilleurs souvenirs de votre ville. Mais cela remonte à près d’un quart de siècle. Dans le Ore-sund et dans les fjords, l’eau a depuis plusieurs fois changé. Mais pas l’eau seulement. La guerre a brisé la colonne vertébrale du vieux continent européen. Les fleuves et les mers de l’Europe ont charrié avec eux beaucoup de sang humain. L’humanité, en particulier sa partie européenne, est passée à travers de dures épreuves, est devenue plus sombre et plus rude. Toutes les formes de lutte sont devenues plus âpres. Le monde est entré dans une époque de grands changements. Ses extériorisations extrêmes sont la guerre et la révolution.

    Avant de passer au thème de ma conférence — à la Révolution russe — j’estime devoir exprimer mes remerciements aux organisateurs de la réunion, l’Association de Copenhague des étudiants sociaux-démocrates. Je le fais en tant qu’adversaire politique. Il est vrai que ma conférence poursuit des tâches scientifiques-historiques et non des tâches politiques. Je le souligne aussitôt dès le début. Mais il est impossible de parler d’une révolution d’où est sortie la République des Soviets sans occuper une position politique. En ma qualité de conférencier, mon drapeau reste le même que celui sous lequel j’ai participé aux événements révolutionnaires.

    Jusqu’à la guerre, le parti bolchévique appartint à la social-démocratie internationale. Le 4 août 1914, le vote de la social-démocratie allemande en faveur des crédits de guerre a mis une fois pour toutes une fin à ce lien et a conduit à l’ère de la lutte incessante et intransigeante du bolchevisme contre la social-démocratie. Cela doit-il signifier que les organisateurs de cette réunion commirent une erreur en m’invitant comme conférencier ?

    Là-dessus, l’auditoire sera en état de juger seulement après ma conférence. Pour justifier mon acceptation de l’invitation aimable à faire un exposé sur la Révolution russe, je me permets de rappeler que pendant les 35 années de ma vie politique, le thème de la Révolution russe constitua l’axe pratique et théorique de mes préoccupations et de mes actions. Peut-être cela me donne-t-il un certain droit d’espérer que je réussirai à aider non seulement mes amis et amis d’idées, mais aussi des adversaires, du moins en partie, à mieux saisir maints traits de la Révolution qui jusqu’à aujourd’hui échappaient à leur attention. Toutefois, le but de ma conférence est d’aider à comprendre. Je ne me propose pas ici de propager la Révolution ni d’appeler à la Révolution, je veux l’expliquer.

    La Révolution signifie un changement du régime social. Elle transmet le pouvoir des mains d’une classe qui s’est épuisée entre les mains d’une autre classe en ascension. L’insurrection constitue le moment le plus critique et le plus aigu dans la lutte de deux classes pour le pouvoir. Le soulèvement ne peut mener à la victoire réelle de la révolution et à l’érection d’un nouveau régime que dans le cas où il s’appuie sur une classe progressive qui est capable de rassembler autour d’elle la majorité écrasante du peuple.

    A la différence des processus de la nature, la Révolution est réalisée par des hommes au moyen des hommes. Mais dans la Révolution aussi, les hommes agissent sous l’influence des conditions sociales qui ne sont pas librement choisies par eux, mais qui sont héritées du passé et qui leur montrent impérieusement la voie. C’est précisément à cause de cela, et rien qu’à cause de cela que la Révolution a ses propres lois.

    Mais la conscience humaine ne reflète pas passivement les conditions objectives. Elle a l’habitude de réagir activement sur celles-ci. A certains moments, cette réaction acquiert un caractère de masse, tendu, passionné. Les barrières du droit et du pouvoir sont renversées. Précisément, l’intervention active des masses dans les événements constitue l’élément le plus essentiel de la révolution.

    Mais même l’activité la plus fougueuse peut rester au niveau d’une démonstration, d’une rébellion, sans s’élever à la hauteur de la révolution. Le soulèvement des masses doit mener au renversement de la domination d’une classe et à l’établissement de la domination d’une autre. C’est alors seulement que nous avons une révolution achevée. Le soulèvement des masses n’est pas une entreprise isolée que l’on peut déclencher à son gré. Il représente un élément objectivement conditionné dans le développement de la révolution de même que la révolution est un processus objectivement conditionné dans le développement de la société. Mais les conditions du soulèvement existent-elles, on ne doit pas attendre passivement, la bouche ouverte : dans les affaires humaines aussi, il y a comme le dit Shakespeare, des flux et des reflux : “There is a tide in the affairs of man which, taken at the flood, leads on to fortune.”

    Pour balayer le régime qui se survit, la classe progressive doit comprendre que son heure a sonné, et se poser pour tâche la conquête du pouvoir. Ici s’ouvre le champ de l’action révolutionnaire consciente où la prévoyance et le calcul s’unissent à la volonté et la hardiesse. Autrement dit : ici s’ouvre le champ d’action du parti.

    Le “coup d’Etat”

    Le parti révolutionnaire unit en lui le meilleur de la classe progressiste. Sans un parti capable de s’orienter dans les circonstances, d’apprécier la marche et le rythme des événements et de conquérir à temps la confiance des masses, la victoire de la révolution prolétarienne est impossible. Tel est le rapport des facteurs objectifs et des facteurs subjectifs de la révolution et de l’insurrection.

    Comme vous le savez, dans des discussions, des adversaires — en particulier dans la théologie — ont l’habitude de discréditer fréquemment la vérité scientifique en la poussant à l’absurde. Cette vérité s’appelle même en logique en : Reduction ad absurdum. Nous allons tenter de suivre la voie opposée : c’est-à-dire que nous prendrons comme point de départ une absurdité afin de nous rapprocher plus sûrement de la vérité. En tout cas, on ne peut se plaindre d’un manque d’absurdités. Prenons-en une des plus fraîches et des plus crues.

    L’écrivain italien Malaparte, quelque chose comme un théoricien fasciste — il en existe aussi — a récemment lancé un livre sur la technique du coup d’Etat ; l’auteur consacre bien entendu un nombre de pages non négligeables de son “investigation” à l’insurrection d’Octobre.

    A la différence de la “stratégie” de Lénine qui reste liée aux rapports sociaux et politique de la Russie de 1917, “la tactique de Trotsky n’est — selon les termes de Malaparte — au contraire nullement liée aux conditions générales du pays”. Telle est l’idée principale de l’ouvrage ! Malaparte oblige Lénine et Trotsky, dans les pages de son livre, à conduire de nombreux dialogues dans lesquels les interlocuteurs font tous les deux montre d’aussi peu de profondeur d’esprit que la nature en a mis à la disposition de Malaparte. Aux objections de Lénine sur les prémisses sociales et politiques de l’insurrection, Malaparte attribue à Trotsky soi-disant la réponse littérale suivante : “Votre stratégie exige beaucoup trop de conditions favorables ; l’insurrection n’a besoin de rien, elle se suffit à elle-même”. Vous entendez ? “L’insurrection n’a besoin de rien”. Telle est précisément, chers auditeurs, l’absurdité qui doit nous servir à nous rapprocher de la vérité. L’auteur répète avec persistance qu’en octobre ce n’est pas la stratégie de Lénine mais la tactique de Trotsky qui a triomphé. Cette tactique menace, selon ses propres termes, encore maintenant, la tranquillité des Etats européens. “La stratégie de Lénine — je cite textuellement — ne constitue aucun danger immédiat pour les gouvernements de l’Europe. La tactique de Trotsky constitue pour eux un danger actuel et par conséquent permanent”. Plus concrètement : “Mettez Poincaré à la place de Kerensky et le coup d’Etat bolchévik d’Octobre 1917 eut tout aussi bien réussi”. Il est difficile de croire qu’un tel livre soit traduit en diverses langues et accueilli sérieusement.

    En vain chercherions-nous à approfondir pourquoi en général la stratégie de Lénine dépendant des conditions historiques est nécessaire, si la “tactique de Trotsky” permet de résoudre la même tâche dans toute la situation. Et pourquoi les révolutions victorieuses sont-elles si rares si, pour leur réussite, il ne suffit que d’une paire de recettes techniques ?

    Le dialogue entre Lénine et Trotsky présenté par l’écrivain fasciste est dans l’esprit comme dans la forme une invention inepte du commencement jusqu’à la fin. De telles inventions circulent beaucoup dans le monde. Par exemple maintenant à Madrid un livre est imprimé sous mon nom : La vida del Lenin (“La vie de Lénine”) pour lequel je suis aussi peu responsable que pour les recettes tactiques de Malaparte. L’hebdomadaire de Madrid Estampa présenta de ce soi-disant livre de Trotsky sur Lénine en bonnes feuilles, des chapitres entiers qui contiennent des outrages abominables contre la mémoire de l’homme que j’estimais et que j’estime incomparablement plus haut que quiconque parmi mes contemporains.

    Mais abandonnons les faussaires à leur sort. Le vieux Wilhelm Leibknecht, le père du combattant et héros immortel Karl Leibknecht, aimait répéter : “L’homme politique révolutionnaire doit être pourvu d’une peau épaisse”. Le docteur Stockmann recommandait encore plus clairement à celui qui se propose d’aller à l’encontre de l’opinion sociale de ne pas mettre de pantalons neufs.

    Nous enregistrons ces deux bons conseils, et nous passons à l’ordre du jour.

    Quelles questions la Révolution d’Octobre éveille-t-elle chez un homme qui réfléchit ?

    1) Pourquoi et comment cette révolution a-t-elle abouti ? Plus concrètement : pourquoi la révolution prolétarienne a-t-elle triomphé dans un des pays les plus arriérés d’Europe ?

    2) Qu’a apporté la Révolution d’Octobre ?

    Et enfin :

    3) A-t-elle fait ses preuves ?

    Les causes d’Octobre

    A la première question — sur les causes — on peut déjà maintenant répondre d’une façon plus ou moins complète. J’ai tenté de le faire le plus explicitement dans mon Histoire de la Révolution. Ici, je ne puis que formuler les conclusions les plus importantes.

    Le fait que le prolétariat soit arrivé au pouvoir pour la première fois dans un pays aussi arriéré que l’ancienne Russie tsariste, n’apparaît mystérieux qu’à première vue ; en réalité cela est tout à fait logique. On pouvait le prévoir et on l’a prévu. Plus encore : sur la perspective de ce fait, les révolutionnaires marxistes édifièrent leur stratégie longtemps avant les événements décisifs.

    L’explication première est la plus générale : la Russie est un pays arriéré mais elle n’est seulement qu’une partie de l’économie mondiale, qu’un élément du système capitaliste mondial. En ce sens, Lénine a résolu l’énigme de la Révolution russe par la formule lapidaire : la chaîne est rompue à son maillon le plus faible.

    Une illustration nette : la grande guerre, issue des contradictions de l’impérialisme mondial, entraîna dans son tourbillon des pays qui se trouvaient à des étapes différentes de développement, mais elle posa les mêmes exigences à tous les participants. Il est clair que les charges de la guerre devaient être particulièrement insupportables pour les pays les plus arriérés. La Russie fut la première contrainte à céder le terrain. Mais pour se détacher de la guerre, le peuple russe devait abattre les classes dirigeantes. Ainsi la chaîne de la guerre se rompit à son plus faible chaînon.

    Mais la guerre n’est pas une catastrophe venue du dehors comme un tremblement de terre, c’est, pour parler avec le vieux Clausewitz, la continuation de la politique par d’autres moyens. Pendant la guerre, les tendances principales du système impérialiste du temps de “paix” ne firent que s’extérioriser plus crûment. Plus hautes sont les forces productives générales, plus tendue la concurrence mondiale, plus aigus les antagonismes, plus effrénée la course aux armements, et d’autant plus pénible est la situation pour les participants les plus faibles. C’est précisément pourquoi les pays arriérés occupent les premières places dans la série des écroulements. La chaîne du capitalisme mondial a toujours tendance à se rompre au chaînon le plus faible.

    Si à la suite de quelques conditions extraordinaires ou extraordinairement défavorables (par exemple une intervention militaire victorieuse de l’extérieur ou des fautes irréparables du gouvernement soviétique lui-même) le capitalisme russe était rétabli sur l’immense territoire soviétique, en même temps que lui serait aussi inévitablement rétablie son insuffisance historique, et lui-même serait bientôt à nouveau la victime des mêmes contradictions qui le conduisirent en 1917 à l’explosion. Aucune recette tactique n’aurait pu donner la vie à la Révolution d’Octobre si la Russie ne l’avait portée dans son corps. Le parti révolutionnaire ne peut finalement prétendre pour lui qu’au rôle d’accoucheur qui est obligé d’avoir recours à une opération césarienne.

    On pourrait m’objecter : vos considérations générales peuvent suffisamment expliquer pourquoi la vieille Russie, ce pays où le capitalisme arriéré auprès d’une paysannerie misérable était couronné par une noblesse parasitaire et une monarchie putréfiée, devait faire naufrage. Mais dans l’image de la chaîne, et du plus faible maillon, il manque toujours encore la clé de l’énigme proprement dite : comment dans un pays arriéré, la révolution socialiste pouvait-elle triompher ? Mais l’histoire connaît beaucoup d’exemples de décadence de pays et de cultures avec l’écroulement simultané des vieilles classes pour qui il ne s’est trouvé aucune relève progressiste. L’écroulement de la vieille Russie aurait dû, à première vue, transformer le pays en une colonie capitaliste plutôt qu’en un Etat socialiste.

    Cette objection est très intéressante. Elle nous mène directement au coeur de tout le problème. Et cependant cette objection est vicieuse, je dirais dépourvue de proportion interne. D’une part elle provient d’une conception exagérée en ce qui concerne le retard de la Russie, d’autre part d’une fausse conception théorique en ce qui concerne le phénomène du retard historique en général.

    Les êtres vivants, entre autres les hommes naturellement aussi, traversent suivant leur âge des stades de développement semblables. Chez un enfant normal de 5 ans, on trouve une certaine correspondance entre le poids, le tour de taille et les organes internes. Mais il en est déjà autrement avec la conscience humaine. En opposition avec l’anatomie et la physiologie, la psychologie, celle de l’individu comme celle de la collectivité, se distingue par l’extraordinaire capacité d’assimilation, la souplesse et l’élasticité : en cela même consiste aussi l’avantage aristocratique de l’homme sur sa parenté zoologique la plus proche de l’espèce des singes. La conscience, susceptible d’assimiler et souple, confère comme condition nécessaire du progrès historique aux “organismes” dits sociaux, à la différence des organismes réels, c’est-à-dire biologiques, une extraordinaire variabilité de la structure interne. Dans le développement des nations et des Etats, des Etats capitalistes en particulier, il n’y a ni similitude ni uniformité. Différents degrés de culture, même leurs pôles se rapprochent et se combinent assez souvent dans la vie d’un seul et même pays.

    N’oublions pas, chers auditeurs, que le retard historique est une notion relative. S’il y a des pays arriérés et avancés, il y a aussi une action réciproque entre eux ; il y a la pression des pays avancés sur les retardataires ; il y a la nécessité pour les pays arriérés de rejoindre les pays avancés, de leur emprunter la technique, la science, etc. Ainsi surgit un type combiné du développement : des traits de retard s’accouplent au dernier mot de la technique mondiale et de la pensée mondiale. Enfin, les pays historiquement arriérés, pour surmonter leur retard, sont parfois contraints de dépasser les autres.

    La souplesse de la conscience collective donne la possibilité d’atteindre dans certaines conditions sur l’arène sociale le résultat que l’on appelle dans la psychologie individuelle, “la compensation”. Dans ce sens, on peut dire que la Révolution d’Octobre fut pour les peuples de la Russie un moyen héroïque de surmonter leur propre infériorité économique et culturelle.

    Mais passons sur ces généralisations historico-politiques, peut-être quelque peu trop abstraites, pour poser la même question sous une forme plus concrète, c’est-à-dire à travers les faits économiques vivants. Le retard de la Russie au XXème siècle s’exprime le plus clairement ainsi : l’industrie occupe dans le pays une place minime en comparaison du village, le prolétariat en comparaison de la paysannerie. Dans l’ensemble, cela signifie une faible productivité du travail national. Il suffit de dire qu’à la veille de la guerre, lorsque la Russie tsariste avait atteint le sommet de sa prospérité, le revenu national était 8 à 10 fois plus bas qu’aux Etats-Unis. Cela exprime numériquement “l’amplitude” du retard, si l’on peut en général se servir du mot amplitude en ce qui concerne le retard.

    En même temps la loi du développement combiné s’exprime dans le domaine économique à chaque pas dans les phénomènes simples comme dans les phénomènes complexes. Presque sans routes nationales, la Russie se vit obligée de construire des chemins de fer. Sans être passée par l’artisanat européen et la manufacture, la Russie passa directement aux entreprises mécaniques. Sauter les étapes intermédiaires, tel est le sort des pays arriérés.

    Tandis que l’économie paysanne restait fréquemment au niveau du 17ème siècle, l’industrie de la Russie, si ce n’est par sa capacité du moins par son type, se trouvait au niveau des pays avancés et dépassait ceux-ci sous maints rapports. Il suffit de dire que les entreprises géantes avec plus de mille ouvriers occupaient aux Etats-Unis moins de 18% du total des ouvriers industriels, et par contre en Russie plus de 41%. Ce fait se laisse mal concilier avec la conception banale du retard économique de la Russie. Toutefois, il ne contredit pas le retard, il complète dialectiquement celui-ci.

    La structure de classe du pays portait aussi le même caractère contradictoire. Le capital financier de l’Europe industrialisa l’économie russe à un rythme accéléré. La bourgeoisie industrielle acquit aussitôt un caractère de grand capitalisme, ennemi du peuple. De plus, les actionnaires étrangers vivaient hors du pays. Par contre, les ouvriers étaient bien entendu des Russes. Une bourgeoisie russe numériquement faible qui n’avait aucune racine nationale se trouvait de cette manière opposée à un prolétariat relativement fort avec de fortes et profondes racines dans le peuple.

    Au caractère révolutionnaire du prolétariat contribua le fait que la Russie — précisément comme pays arriéré obligé de rejoindre les adversaires — n’était pas arrivée à élaborer un conservatisme social ou politique propre. Comme pays le plus conservateur de l’Europe, même du monde entier, le plus ancien pays capitaliste, l’Angleterre me donne raison. Le pays d’Europe le plus libéré du conservatisme pouvait bien être la Russie.

    Le prolétariat russe, jeune, frais, résolu, ne constituait cependant toujours qu’une minorité infime de la nation. Les réserves de sa puissance révolutionnaire se trouvaient en dehors du prolétariat même : dans la paysannerie, vivant dans un semi-servage, et dans les nationalités opprimées.

    La paysannerie

    La question agraire constituait la base de la révolution. L’ancien servage Etatique-monarchique était doublement insupportable dans les conditions de la nouvelle exploitation capitaliste. La communauté agraire occupait environ 140 millions de déciatines. A trente mille gros propriétaires fonciers, dont chacun possédait en moyenne plus de 2 000 déciatines, revenait un total de 70 millions de déciatines, c’est-à-dire autant qu’à environ 10 millions de familles paysannes, ou 50 millions d’êtres formant la population agraire. Cette statistique de la terre constituait un programme achevé du soulèvement paysan.

    Un noble, Boborkin, écrivit en 1917 au Chambellan Rodzianko, le président de la dernière Douma d’Etat : “Je suis un propriétaire foncier et il ne me vient pas à l’idée que je doive perdre ma terre, et encore pour un but incroyable, pour expérimenter l’enseignement socialiste”. Mais les révolutions ont précisément pour tâches d’accomplir ce qui ne pénètre pas dans les classes dominantes.

    A l’automne 1917, presque tout le pays était atteint par le soulèvement paysan. Sur 621 districts de la vieille Russie, 482 — c’est à dire 77% — étaient touchés par le mouvement. Le reflet de l’incendie du village illuminait l’arène du soulèvement dans les villes.

    Mais la guerre paysanne contre les propriétaires fonciers, allez-vous m’objecter, est un des éléments classiques de la révolution bourgeoise et pas du tout de la révolution prolétarienne !

    Je réponds : tout à fait juste, il en fut ainsi dans le passé ! Mais c’est précisément l’impuissance de vie de la société capitaliste dans un pays historiquement arriéré qui s’exprime en cela même, que le soulèvement paysan ne pousse pas en avant les classes bourgeoises de la Russie, mais au contraire les rejette définitivement dans le camp de la réaction. Si la paysannerie ne voulait pas sombrer, il ne lui restait rien d’autre que l’alliance avec le prolétariat industriel. Cette jonction révolutionnaire des deux classes opprimées, Lénine la prévit génialement, et la prépara de longue main.

    Si la question agraire avait été résolue courageusement par la bourgeoisie, alors, assurément le prolétariat russe n’aurait nullement pu arriver au pouvoir en 1917. Venue trop tard, tombée précocement en décrépitude, la bourgeoisie russe, cupide et lâche, n’osa cependant pas lever la main contre la propriété féodale. Ainsi, elle remit le pouvoir au prolétariat, et en même temps le droit de disposer du sort de la société bourgeoise.

    Afin que l’Etat soviétique se réalise, l’action combinée de deux facteurs de nature historique différente était par conséquent nécessaire : la guerre paysanne, c’est-à-dire un mouvement qui est caractéristique de l’aurore du développement bourgeois, et le soulèvement prolétarien qui annonce le déclin du mouvement bourgeois. En cela même réside le caractère combiné de la Révolution russe.

    Qu’il se dresse une fois sur ses pattes de derrière, et l’ours paysan devient redoutable dans son emportement. Cependant il n’est pas en état de donner à son indignation une expression consciente. Il a besoin d’un dirigeant. Pour la première fois dans l’histoire du monde, la paysannerie insurgée a trouvé dans la personne du prolétariat un dirigeant loyal.

    4 millions d’ouvriers de l’industrie et des transports dirigent 100 millions de paysans. Tel fut le rapport naturel et inévitable entre le prolétariat et la paysannerie dans la révolution.

    La question nationale

    La seconde réserve révolutionnaire du prolétariat était constituée par les nations opprimées, d’ailleurs à composition paysanne prédominante également. Le caractère extensif du développement de l’Etat, qui s’étend comme une tache de graisse du centre moscovite jusqu’à la périphérie, est étroitement lié au retard historique du pays. A l’est, il subordonne les populations encore plus arriérées pour mieux étouffer, en s’appuyant sur elles, les nationalités plus développées de l’ouest. Aux 10 millions de grands-russes qui constituaient la masse principale de la population, s’adjoignaient successivement 90 millions d’“allogènes”.

    Ainsi se composait l’empire dans la composition duquel la nation dominante ne constituait que 43% de la population, tandis que les autres 57% relevaient de nationalités de culture et de régime différents. La pression nationale était en Russie incomparablement plus brutale que dans les Etats voisins, et à vrai dire non seulement de ceux qui étaient de l’autre côté de la frontière occidentale, mais aussi de la frontière orientale. Cela conférait au problème nationale une force explosive énorme.

    La bourgeoisie libérale russe ne voulait, ni dans la question nationale, ni dans la question agraire, aller au-delà de certaines atténuations du régime d’oppression et de violence. Les gouvernements “démocratiques” de Milioukov et de Kerensky qui reflétaient les intérêts de la bourgeoisie et de la bureaucratie grand-russe se hâtèrent au cours des huit mois de leur existence précisément de le faire comprendre aux nations mécontentes : vous n’obtiendrez que ce que vous arracherez par la force.

    Lénine avait très tôt pris en considération l’inévitabilité du développement du mouvement national centrifuge. Le parti bolchévique lutta durant des années opiniâtrement pour le droit d’autodétermination des nations, c’est-à-dire pour le droit à la complète séparation étatique. Ce n’est que par cette courageuse position dans la question nationale que le prolétariat russe put gagner peu à peu la confiance des populations opprimées. Le mouvement de libération nationale, comme aussi le mouvement paysan se tournèrent forcément contre la démocratie officielle, fortifièrent le prolétariat, et se jetèrent dans le lit de l’insurrection d’Octobre.

    La révolution permanente

    Ainsi se dévoile peu à peu devant nous l’énigme de l’insurrection prolétarienne dans un pays historiquement arriéré.

    Longtemps avant les événements, les révolutionnaires marxistes ont prévu la marche de la révolution et le rôle historique du jeune prolétariat russe. Peut-être me permettra-t-on de donner ici un extrait de mon propre ouvrage sur l’année 1905 :

    “(…) Dans un pays économiquement plus arriéré, le prolétariat peut arrivé plus tôt au pouvoir que dans un pays capitaliste avancé.

    “(…) La révolution russe crée (…) de telles conditions dans lesquelles le pouvoir peut passer (et avec la victoire de la révolution, doit passer) au prolétariat, même avant que la politique du libéralisme bourgeois ait eu la possibilité de déployer dans toute son ampleur son génie étatique.

    “(…) Le sort des intérêts révolutionnaires les plus élémentaires de la paysannerie (…) se noue au sort de toute la révolution, c’est-à-dire au sort du prolétariat. Le prolétariat arrivant au pouvoir apparaîtra à la paysannerie comme le libérateur de classe.

    “(…) Le prolétariat entre au gouvernement comme représentant révolutionnaire de la nation, comme dirigeant reconnu du peuple en lutte contre l’absolutisme et la barbarie du servage.

    “(…) Le régime prolétarien devra dès le début se prononcer pour la solution de la question agraire à laquelle est liée la question du sort de puissantes masses populaires de la Russie.”

    Je me suis permis d’apporter cette citation pour témoigner que la théorie de la Révolution d’Octobre présentée aujourd’hui par moi n’est pas une improvisation rapide, et ne fut pas construite après coup sous la pression des événements. Non, elle fut émise sous la forme d’un pronostic politique longtemps avant l’insurrection d’Octobre. Vous serez d’accord que la théorie n’a de valeur en général que dans la mesure où elle aide à prévoir le cours du développement, et à influencer vers ses buts. En cela même consiste, pour parler de façon générale, l’importance inestimable du marxisme comme arme d’orientation sociale et historique. Je regrette que le cadre étroit de l’exposé ne me permette pas d’étendre la citation précédente d’une façon plus large, c’est pourquoi je me contente d’un court résumé de tout l’écrit de l’année 1905.

    D’après ses tâches immédiates, la Révolution russe est une révolution bourgeoise. Mais la bourgeoisie russe est anti-révolutionnaire. Par conséquent la victoire de la révolution n’est possible que comme victoire du prolétariat. Or, le prolétariat victorieux ne s’arrêtera pas au programme de la démocratie bourgeoise, il passera au programme du socialisme. La Révolution russe deviendra la première étape de la révolution socialiste mondiale.

    Telle était la théorie de la révolution permanente, édifiée par moi en 1905 et depuis exposée à la critique la plus acerbe sous le nom de “trotskysme”.

    Pour mieux dire : ce n’est qu’une partie de cette théorie. L’autre, maintenant particulièrement d’actualité, exprime :

    Les forces productives actuelles ont depuis longtemps dépassé les barrières nationales. La société socialiste est irréalisable dans les limites nationales. Si importants que puissent être les succès économiques d’un Etat ouvrier isolé, le programme du “socialisme dans un seul pays” est une utopie petite bourgeoise. Seule une Fédération européenne, et ensuite mondiale, de républiques socialistes, peut ouvrir la voie à une société socialiste harmonieuse.

    Aujourd’hui, après l’épreuve des événements, je vois moins de raisons que jamais de me dédire de cette théorie.

    Le bolchévisme

    Après tout ce qui vient d’être dit, est-il encore la peine de se souvenir de l’écrivain fasciste Malaparte, qui m’attribue une tactique indépendante de la stratégie et découlant de recettes insurrectionnelles techniques qui seraient applicables toujours et sous tous les méridiens ? Il est du moins bon que le nom du malheureux théoricien du coup d’Etat permette de le distinguer sans peine du praticien victorieux du coup d’Etat : personne ne risque ainsi de confondre Malaparte avec Bonaparte.

    Sans le soulèvement du 7 novembre 1917, l’Etat soviétique n’existerait pas. Mais le soulèvement même n’était pas tombé du ciel. Pour la Révolution d’Octobre, une série de prémisses historiques était nécessaire.

    1° La pourriture des anciennes classes dominantes, de la noblesse, de la monarchie, de la bureaucratie ;

    2° La faiblesse politique de la bourgeoisie qui n’avait aucune racine dans les masses populaires ;

    3° Le caractère révolutionnaire de la question agraire ;

    4° Le caractère révolutionnaire du problème des nationalités opprimées ;

    5° Le poids social imposant du prolétariat.

    A ces prémisses organiques, on doit ajouter des conditions conjoncturelles hautement importantes :

    6° La Révolution de 1905 fut la grande école ou, selon l’expression de Lénine, la “répétition générale” de la Révolution de 1917. Les soviets, comme forme d’organisation irremplaçable du front unique prolétarien dans la révolution, furent constitués pour la première fois en 1905 ;

    7° La guerre impérialiste aiguisa toutes les contradictions, arracha les masses arriérées à leur état d’immobilité, et prépara ainsi le caractère grandiose de la catastrophe ;

    Mais toutes ces conditions qui suffisaient complètement pour que la Révolution éclate, étaient insuffisantes pour assurer la victoire du prolétariat dans la Révolution. Pour cette victoire, une condition était encore nécessaire :

    8° Le parti bolchévique.

    Si j’énumère cette condition comme la dernière de la série, ce n’est que parce que cela correspond à la conséquence logique, et non parce que j’attribue au parti la place la moins importante.

    Non, je suis très éloigné de cette pensée. La bourgeoisie libérale, elle, peut s’emparer du pouvoir et l’a pris déjà plusieurs fois comme résultat de luttes auxquelles elle n’avait pas pris part : elle possède à cet effet des organes de préhension magnifiquement développés. Cependant, les masses laborieuses se trouvent dans une autre situation, on les a habituées à donner et non à prendre. Elles travaillent, patientes, aussi longtemps que cela va, espèrent, perdent patience, se soulèvent, combattent, meurent, apportent la victoire aux autres, sont trompées, tombent dans le découragement, elles courbent à nouveau la nuque, elles travaillent à nouveau. Telle est l’histoire des masses populaires sous tous les régimes. Pour prendre fermement et sûrement le pouvoir dans ses mains, le prolétariat a besoin d’un parti qui dépasse de loin les autres partis comme clarté de pensée et comme décision révolutionnaire.

    Le parti des bolchéviks que l’on désigna plus d’une fois et à juste titre comme le parti le plus révolutionnaire dans l’histoire de l’humanité, était la condensation vivante de la nouvelle histoire de la Russie, de tout ce qui était dynamique en elle. Depuis longtemps déjà la chute de la monarchie était devenue la condition préalable du développement de l’économie et de la culture. Mais pour répondre à cette tâche, les forces manquaient. La bourgeoisie s’effrayait devant la Révolution. Les intellectuels tentèrent de dresser la paysannerie sur ses jambes. Incapable de généraliser ses propres peines et ses buts, le moujik laissa cette exhortation sans réponse. L’intelligentsia s’arma de dynamite. Toute une génération se consuma dans cette lutte.

    Le 1er Mars 1887, Alexandre Oulianov exécuta le dernier des grands attentats terroristes. La tentative d’attentat contre Alexandre III échoua. Oulianov et les autres participants furent pendus. La tentative de remplacer la classe révolutionnaire par une préparation chimique, avait fait naufrage. Même l’intelligentsia la plus héroïque n’est rien sans les masses. Sous l’impression immédiate de ces faits et de ses conclusions, grandit et se forma le plus jeune frère de Oulianov, Vladimir, le futur Lénine, la plus grande figure de l’histoire russe. De bonne heure dans sa jeunesse, il se plaça sur le terrain du marxisme et tourna le visage vers le prolétariat. Sans perdre des yeux un instant le village, il chercha le chemin vers la paysannerie à travers les ouvriers. En héritant de ses précurseurs révolutionnaires la résolution, la capacité de sacrifice, la disposition à aller jusqu’au bout, Lénine devint dans ses années de jeunesse l’éducateur de la nouvelle génération intellectuelle et des ouvriers avancés. Dans les luttes grévistes et de rues, dans les prisons et en déportation, les travailleurs acquirent la trempe nécessaire. Le projecteur du marxisme leur était nécessaire pour éclairer dans l’obscurité de l’autocratie leur voie historique.

    En 1883 naquit dans l’émigration le premier groupe marxiste. En 1898, à une assemblée clandestine fut proclamée la création du parti social-démocrate ouvrier russe (nous nous appelions tous en ce temps sociaux-démocrates). En 1903, eut lieu la scission entre bolchéviks et mencheviks. En 1912, la fraction bolchévique devint définitivement un parti indépendant.

    Il enseigna à reconnaître la mécanique de classe de la société dans les luttes, dans de grandioses événements, pendant 12 ans (1905-1917). Il éduqua des cadres aptes également à l’initiative comme à l’obéissance. La discipline de l’action révolutionnaire s’appuyait sur l’unité de la doctrine, les traditions des luttes communes et la confiance envers une direction éprouvée.

    Tel était le parti en 1917. Tandis que l’“opinion publique” officielle et les tonnes de papier de la presse intellectuelle le mésestimaient, il s’orientait selon le mouvement des masses. Il tenait fermement le levier en main au-dessus des usines et des régiments. Les masses paysannes se tournaient toujours plus vers lui. Si l’on entend par nation non les sommets privilégiés, mais la majorité du peuple, c’est-à-dire les ouvriers et les paysans, alors le bolchevisme devint au cours de l’année 1917 le parti russe véritablement national.

    En 1917, Lénine, contraint de se tenir à l’abri, donna le signal : “La crise est mûre, l’heure du soulèvement approche”. Il avait raison. Les classes dominantes étaient tombées dans l’impasse en face des problèmes de la guerre et de la libération nationale. La bourgeoisie perdit définitivement la tête. Les partis démocratiques, les mencheviks et les socialistes révolutionnaires, dissipèrent le dernier reste de leur confiance auprès des masses, en soutenant la guerre impérialiste par la politique de compromis impuissants et de concessions aux propriétaires bourgeois et féodaux. L’armée réveillée ne voulait plus lutter pour les buts de l’impérialisme qui lui étaient étrangers. Sans faire attention aux conseils démocratiques, la paysannerie expulsa les propriétaires fonciers de leurs domaines. La périphérie nationale opprimée de l’empire se dressa contre la bureaucratie petersbourgeoise. Dans les conseils d’ouvriers et de soldats les plus importants, les bolchéviks dominaient. Les ouvriers et les soldats exigeaient des actes. L’abcès était mûr. Il fallait un coup de bistouri.

    Le soulèvement ne fut possible que dans ces conditions sociales et politiques.

    Et il fut aussi inéluctable. Mais on ne peut plaisanter avec l’insurrection. Malheur au chirurgien qui manie négligemment le bistouri. L’insurrection est un art. Elle a ses lois et ses règles.

    Le parti réalisa l’insurrection d’Octobre avec un calcul froid et une résolution ardente. Grâce à cela précisément, elle triompha presque sans victimes. Par les soviets victorieux, les bolchéviks se placèrent à la tête du pays qui englobe un sixième de la surface terrestre.

    Il est à supposer que la majorité de mes auditeurs d’aujourd’hui ne s’occupaient en 1917 encore nullement de politique. Cela est d’autant mieux. La jeune génération a devant elle beaucoup de choses intéressantes, mais aussi des choses pas toujours faciles.

    Mais les représentants des vieilles générations dans cette salle se rappelleront certainement très bien comment fut accueillie la prise du pouvoir par les bolchéviks : comme une curiosité, un malentendu, un scandale, le plus souvent comme un cauchemar qui devait se dissiper au premier rayon de soleil. Les bolchéviks se maintiendraient 24 heures, une semaine, un mois, une année. Il fallait repousser les délais toujours plus… Les maîtres du monde entier armaient contre le premier Etat ouvrier : déclenchement de la guerre civile, nouvelles et nouvelles interventions, blocus. Ainsi passa une année après l’autre. L’histoire a eu à enregistrer entre temps quinze années d’existence du pouvoir soviétique.

    Oui, dira quelque adversaire : l’aventure d’Octobre s’est montrée beaucoup plus solide que beaucoup d’entre nous le pensions. Peut-être ne fut-ce pas complètement une “aventure”. Néanmoins la question conserve toute sa force : qu’a-t-on obtenu pour ce prix si élevé ? Peut-être a-t-on réalisé ces tâches si brillantes annoncées par les bolchéviks à la veille de l’insurrection ? Avant de répondre à l’adversaire supposé, observons que la question en elle-même n’est pas nouvelle. Au contraire, elle s’attache aux pas de la Révolution d’Octobre depuis le jour de sa naissance.

    Le journaliste français Claude Anet qui séjournait à Petrograd pendant la Révolution, écrivait déjà le 27 Octobre 1917 :

    “Les maximalistes (c’est ainsi que les français appelaient alors les bolchéviks) ont pris le pouvoir, et le grand jour est arrivé. Enfin, me dis-je, je vais voir se réaliser l’Éden socialiste qu’on nous promet depuis tant d’années… Admirable aventure ! Position privilégiée !”, etc., etc., et ainsi de suite. Quelle haine sincère derrière ces salutations ironiques ! Dès le lendemain de la prise du Palais d’Hiver, le journaliste réactionnaire s’empressait d’annoncer ses prétentions à une carte d’entrée pour l’Éden. Quinze années se sont écoulées depuis l’insurrection. Avec un manque de cérémonie d’autant plus grand, les adversaires manifestent leur joie maligne qu’aujourd’hui encore le pays des Soviets ressemble très peu à un royaume de bien-être général. Pourquoi donc la Révolution et pourquoi les victimes ?

    Bilan d’Octobre

    Chers auditeurs, je me permets de penser que les contradictions, les difficultés, les fautes et les insuffisances du régime soviétique ne me sont pas moins connues qu’à qui que ce soit. Personnellement, je ne les ai jamais dissimulées, ni en paroles ni en écrits. Je pensais et je pense que la politique révolutionnaire — à la différence de la politique conservatrice — ne peut être édifiée sur le camouflage. “Dire ce qui est” doit être le principe le plus élevé de l’Etat ouvrier.

    Mais il faut des perspectives dans la critique, comme dans l’activité créatrice. Le subjectivisme est un mauvais aiguilleur, surtout dans les grandes questions. Les délais doivent être adaptés aux tâches et non aux caprices individuels. Quinze années ! Qu’est-ce pour une seule vie ? Pendant ce temps, nombreux sont ceux de notre génération qui furent enterrés, chez les survivants les cheveux gris se sont beaucoup multipliés. Mais ces mêmes quinze années : quelle période minime dans la vie d’un peuple ! Rien qu’une minute sur la montre de l’histoire.

    Le capitalisme eut besoin de siècles pour s’affirmer dans la lutte contre le moyen âge, pour élever la science et la technique, pour construire les chemins de fer, pour tendre des fils électriques. Et alors ? Alors, l’humanité fut jetée par le capitalisme dans l’enfer des guerres et des crises ! Mais au socialisme, ses adversaires, c’est-à-dire les partisans du capitalisme, n’accordent qu’une décade et demi pour instaurer sur terre le paradis avec tout le confort. Non, nous n’avons pas à assumer sur nous de telles obligations. Nous n’avons pas posé de tels délais. On doit mesurer les processus de grands changements avec une échelle qui leur soit adéquate. Je ne sais si la société socialiste ressemblera au paradis biblique. J’en doute fort. Mais dans l’Union soviétique, il n’y a pas encore de socialisme. Un Etat de transition, plein de contradictions, chargé du lourd héritage du passé, en outre, sous la pression ennemie des Etats capitalistes y domine. La Révolution d’Octobre a proclamé le principe de la nouvelle société. La République soviétique n’a montré que le premier stade de sa réalisation. La première lampe d’Edison fut très mauvaise. Sous les fautes et les erreurs de la première édification socialiste, on doit savoir discerner l’avenir.

    Et les calamités qui s’abattent sur les êtres vivants ?

    Les résultats de la Révolution justifient-ils peut-être les victimes causées par elles ? Question stérile et profondément rhétorique : comme si les processus de l’histoire relevaient d’un plan comptable ! Avec autant de raison, face aux difficultés et peines de l’existence humaine, on pourrait demander : cela vaut-il vraiment la peine d’être sur la terre ? Lénine écrivit à ce propos : “Et le sot attend une réponse”… Les méditations mélancoliques n’ont pas interdit à l’homme d’engendrer et de naître. Même dans ces jours d’une crise mondiale sans exemple, les suicides constituent heureusement un pourcentage peu élevé. Mais les peuples n’ont pas l’habitude de chercher refuge dans le suicide. Ils cherchent l’issue aux fardeaux insupportables dans la Révolution.

    En outre, qui s’indigne au sujet des victimes de la Révolution socialiste ? Le plus souvent, ce sont ceux qui ont préparé et glorifié les victimes de la guerre impérialiste ou du moins qui s’en sont très facilement accommodés. C’est notre tour de demander : la guerre s’est-elle justifiée ? Qu’a-t-elle donné ? Qu’a-t-elle enseigné ?

    Dans ses 11 volumes de diffamation contre la grande Révolution française, l’historien réactionnaire Hyppolyte Taine décrit non sans joie maligne les souffrances du peuple français dans les années de la dictature jacobine et celles qui la suivirent. Elles furent surtout pénibles pour les couches inférieures des villes, les plébéiens, qui, comme sans-culotte, donnèrent à la Révolution la meilleure partie de leur âme. Eux ou leurs femmes passaient des nuits froides dans des queues pour retourner le lendemain les mains vides, au foyer familial glacial. Dans la dixième année de la Révolution, Paris était plus pauvre qu’avant son éclosion. Des faits soigneusement choisis, artificiellement compilés, servent à Taine pour fonder son verdict destructeur contre la Révolution. Voyez-vous, les plébéiens voulaient être des dictateurs et se sont jetés dans la misère !

    Il est difficile d’imaginer un moraliste plus plat : premièrement, si la Révolution avait jeté le pays dans la misère, la faute en retombait avant tout sur les classes dirigeantes qui avaient poussé le peuple à la révolution. Deuxièmement : la grande Révolution française ne s’épuisa pas en queues de famine devant les boulangeries. Toute la France moderne, sous certains rapports toute la civilisation moderne sont sorties du bain de la Révolution française !

    Au cours de la guerre civile aux Etats-Unis, pendant l’année soixante du siècle précédent, 50 000 hommes sont tombés. Ces victimes se justifient-elles ?

    Du point de vue des esclavagistes américains et des classes dominantes de Grande-Bretagne qui marchaient avec eux — Non ! Du point de vue du négre ou du travailleur britannique Complètement ! Et du point de vue du développement de l’humanité dans l’ensemble — il ne peut aussi là-dessus y avoir de doute. De la guerre civile de l’année 60, sont issus les Etats-Unis actuels avec leur initiative pratique effrénée, la technique rationaliste, l’élan économique. Sur ces conquêtes de l’américanisme, l’humanité édifiera la nouvelle société.

    La Révolution d’Octobre a pénétré plus profondément que toutes celles qui la précédèrent dans le saint des saints de la société, dans les rapports de propriété. Des délais d’autant plus longs sont nécessaires pour que se manifestent les suites créatrices de la Révolution dans tous les domaines de la vie. Mais l’orientation générale du bouleversement est maintenant déjà claire : devant ses accusateurs capitalistes, la République soviétique n’a aucune raison de courber la tête et de parler le langage de l’excuse.

    Pour apprécier le nouveau régime au point de vue du développement humain, on doit d’abord répondre à la question : en quoi s’extériorise le progrès social, et comment peut-il se mesurer ?

    Le critère le plus objectif, le plus profond et le plus indiscutable, c’est le progrès qui peut se mesurer par la croissance de la productivité du travail social. L’estimation de la Révolution d’Octobre, sous cet angle, est déjà donnée par l’expérience. Pour la première fois dans l’histoire, le principe de l’organisation socialiste a montré sa capacité en fournissant des résultats de production jamais obtenus dans une courte période.

    En chiffres d’index globaux, la courbe du développement industriel de la Russie s’exprime comme suit : Posons pour l’année 1913, la dernière année avant la guerre, le nombre 100. L’année 1920, le sommet de la guerre civile est aussi le point le plus bas de l’industrie : 25 seulement, c’est-à-dire un quart de la production d’avant guerre ; 1925, un accroissement jusqu’à 75, c’est-à-dire jusqu’aux trois-quarts de la production d’avant-guerre ; 1929, environ 200 ; 1932, 300 ; c’est-à-dire trois fois autant qu’à la veille de la guerre.

    Le tableau devient encore plus clair à la lumière des index internationaux. De 1925 à 1932, la production industrielle de l’Allemagne a diminué d’environ une fois et demie, en Amérique environ du double ; dans l’Union soviétique, elle a monté à plus du quadruple ; le chiffre parle pour lui-même.

    Je ne songe nullement à nier ou dissimuler les côtés sombres de l’économie soviétique. Les résultats des index industriels sont extraordinairement influencés par le développement non favorable de l’économie agraire, c’est-à-dire du domaine qui ne s’est pas encore élevé aux méthodes socialistes, mais qui fut en même temps mené sur la voie de la collectivisation, sans préparation suffisante, plutôt bureaucratiquement que techniquement et économiquement. C’est une grande question qui, cependant, déborde les cadres de ma conférence.

    Les chiffres des indices présentés appellent encore une réserve essentielle. Les succès indiscutables et brillants à leur façon de l’industrialisation soviétique exigent une vérification économique ultérieure du point de vue de l’harmonie réciproque des différents éléments de l’économie, de leur équilibre dynamique et, par conséquent, de leur capacité de rendement. De grandes difficultés et même des reculs sont encore inévitables. Le socialisme ne sort pas dans sa forme achevée du plan quinquennal comme Minerve de la tête de Jupiter ou Vénus de l’écume de la mer. On est encore devant des décades de travail opiniâtre, de fautes, d’amélioration et de reconstruction. En outre, n’oublions pas que l’édification socialiste, d’après son essence, ne peut atteindre son achèvement que sur l’arène internationale. Mais même le bilan économique le plus défavorable des résultats obtenus jusqu’à présent ne pourrait révéler que l’inexactitude des données, les fautes du plan et les erreurs de la direction, il ne pourrait contredire le fait établi empiriquement : la possibilité d’élever la productivité du travail collectif à une hauteur jamais existante, à l’aide de méthodes socialistes. Cette conquête, d’une importance historique mondiale, personne et rien ne pourra nous la dérober.

    Après ce qui vient d’être dit, à peine faut-il s’attarder aux plaintes selon lesquelles la Révolution d’Octobre a mené la Russie au déclin de la culture. Telle est la voix des classes régnantes et des salons inquiets. La “culture” aristocratico-bourgeoise renversée par la révolution prolétarienne n’était qu’une simili-parure de la barbarie. Pendant qu’elle restait inaccessible au peuple russe, elle apportait peu de neuf au trésor de l’humanité.

    Mais aussi en ce qui concerne cette culture tant pleurée par l’émigration blanche, on doit préciser la question : dans quel sens est-elle détruite ? Dans un seul sens : le monopole d’une petite minorité sur les biens de la culture est anéanti. Mais tout ce qui était réellement culturel dans l’ancienne culture russe est resté intact. Les Huns du bolchevisme n’ont piétiné ni la conquête de la pensée ni les oeuvres de l’art. Au contraire, ils ont soigneusement rassemblé les monuments de la création humaine et les ont mis en ordre exemplaire. La culture de la monarchie, de la noblesse et de la bourgeoisie est maintenant devenue la culture des musées historiques.

    Le peuple visite avec zèle ces musées. Mais il ne vit pas dans les musées. Il apprend. Il construit. Le seul fait que la Révolution d’Octobre ait enseigné au peuple russe, aux dizaines de peuples de la Russie tsariste, à lire et à écrire, se place incomparablement plus haut que toute la culture russe en serre d’autrefois.

    La Révolution d’Octobre a posé la base pour une nouvelle culture destinée non à des élus mais à tous. Les masses du monde entier le sentent. D’où leurs sympathies pour l’Union soviétique, aussi ardentes qu’était jadis leur haine contre la Russie tsariste.

    Chers auditeurs, vous savez que le langage humain représente un outil irremplaçable, non seulement pour la désignation des événements, mais aussi pour leur estimation. En écartant l’accidentel, l’épisodique, l’artificiel, il absorbe en lui le réel, il le caractérise et le ramasse. Remarquez avec quelle sensibilité les langues des nations civilisées ont distingué deux époques dans le développement de la Russie. La culture aristocratique apporta dans le monde des barbarismes tels que tsar, cosaque, pogrom, nagaika. Vous connaissez ces mots et vous savez ce qu’ils signifient. Octobre apporta aux langues du monde des mots tels que bolchévik, soviet, kolkhoz, Gosplan, piatiletka. Ici la linguistique pratique rend son jugement historique suprême !

    La signification la plus profonde, cependant plus difficilement soumise à une mesure immédiate, de chaque révolution consiste en ce qu’elle forme et trempe le caractère populaire. La représentation du peuple russe comme un peuple lent, passif, mélancolique, mystique est largement répandue et non par hasard. Elle a ses racines dans le passé. Mais jusqu’à présent, ces modifications profondes que la Révolution a introduites dans le caractère du peuple ne sont pas suffisamment prises en considération en Occident. Pouvait-il en être autrement ?

    Chaque homme avec une expérience de la vie peut éveiller dans sa mémoire l’image d’un adolescent quelconque connu de lui qui — impressionnable, lyrique, sentimental enfin — devient plus tard, d’un seul coup, sous l’action d’un fort choc moral, plus fort, mieux trempé, et n’est plus à reconnaître. Dans le développement de toute une nation, la Révolution accomplit des transformations morales du même genre.

    L’insurrection de février contre l’autocratie, la lutte contre la noblesse, contre la guerre impérialiste, pour la paix, pour la terre, pour l’égalité nationale, l’insurrection d’Octobre, le renversement de la bourgeoisie et des partis qui tendaient aux accords avec la bourgeoisie, trois années de guerre civile sur une ceinture de front de 8 000 kilomètres, les années de blocus, de misère, de famine et d’épidémies, les années d’édification économique tendue, les nouvelles difficultés et privations ; c’est une rude, mais bonne école. Un lourd marteau détruit le verre, mais il forge l’acier. Le marteau de la Révolution forge l’acier du caractère du peuple.

    “Qui le croira ?” On devait déjà le croire. Peu après l’insurrection un des généraux tsaristes, Zaleski, s’étonnait “qu’un portier ou qu’un gardien devienne d’un coup un président de tribunal ; un infirmier, directeur d’hôpital ; un coiffeur, dignitaire ; un enseigne, commandant suprême ; un journaliste, maire ; un serrurier, dirigeant d’entreprise”.

    “Qui le croira ?” On devait déjà le croire. On ne pouvait d’ailleurs pas ne pas le croire, tandis que les enseignes battaient les généraux, le maire, autrefois journalier, brisait la résistance de la vieille bureaucratie, le lampiste mettait de l’ordre dans les transports, le serrurier, comme directeur, rétablissait l’industrie. “Qui le croira ?” Qu’on tente seulement de ne pas le croire.

    Pour expliquer la patience inhabituelle que les masses populaires de l’Union soviétique montrèrent dans les années de la Révolution, nombre d’observateurs étrangers font appel par ancienne habitude à la passivité du caractère russe. Anachronisme grossier ! Les masses révolutionnaires supportèrent les privations patiemment mais non passivement. Elles construisirent de leurs propres mains un avenir meilleur et elles veulent le créer à tout prix. Que l’ennemi de classe essaie seulement d’imposer à ces masses patientes du dehors sa volonté ! Non, mieux vaut qu’il ne l’essaie pas!

    Pour conclure, essayons de fixer la place de la Révolution d’Octobre non seulement dans l’histoire de la Russie, mais dans l’histoire du monde. Pendant l’année 1917, dans l’intervalle de 8 mois, deux courbes historiques se rencontrèrent. La Révolution de février — cet écho attardé des grandes luttes qui se sont déroulées dans les siècles passés sur les territoires des Pays-Bas, d’Angleterre, de France, de presque toute l’Europe continentale — se lie à la série des révolutions bourgeoises. La Révolution d’Octobre proclame et ouvre la domination du prolétariat. C’est le capitalisme mondial qui subit sur le territoire de la Russie sa première grande défaite. La chaîne cassa au plus faible maillon. Mais c’est la chaîne et non seulement le maillon qui cassa.

    Vers le socialisme

    Le capitalisme comme système mondial s’est historiquement survécu. Il a cessé de remplir sa mission essentielle ; l’élévation du niveau de la puissance humaine et de la richesse humaine. L’humanité ne peut stagner sur le palier atteint. Seule une puissante élévation des forces productives et une organisation juste, planifiée, c’est-à-dire socialiste, de production et de répartition, peut assurer aux hommes — à tous les hommes — un niveau de vie digne, et conférer en même temps le sentiment précieux de la liberté en face de leur propre économie. De la liberté sous deux sortes de rapports : premièrement, l’homme ne sera plus obligé de consacrer la principale partie de sa vie au travail physique. Deuxièmement, il ne dépendra plus des lois du marché, c’est-à-dire des forces aveugles et obscures qui s’édifient derrière son dos. Il édifiera librement son économie, c’est-à-dire selon un plan, le compas en main. Cette fois, il s’agit de radiographier l’anatomie de la société, de découvrir tous ses secrets et de soumettre toutes ses fonctions à la raison et à la volonté de l’homme collectif. En ce sens, le socialisme doit devenir une nouvelle étape dans la croissance historique de l’humanité. A notre ancêtre qui s’arma pour la première fois d’une hache de pierre, toute la nature se présenta comme la conjuration d’une puissance mystérieuse et hostile. Depuis, les sciences naturelles en collaboration étroite avec la technologie pratique ont éclairé la nature jusque dans ses profondeurs les plus obscures. Au moyen de l’énergie électrique, le physicien rend maintenant son jugement sur le noyau atomique. L’heure n’est plus loin où, en se jouant, la science résoudra la tâche de l’alchimie, transformant le fumier en or, et l’or en fumier. Là où les démons et les furies de la nature se déchaînaient, règne maintenant toujours plus courageusement la volonté industrieuse de l’homme.

    Mais tandis qu’il lutta victorieusement avec la nature, l’homme édifia aveuglément ses rapports avec les autres hommes, presque comme les abeilles ou les fourmis. Avec retard et beaucoup d’indécision, il aborda les problèmes de la société humaine. Il commença par la religion pour passer ensuite à la politique. La réforme représenta le premier succès de l’individualisme et du rationalisme bourgeois dans un domaine où avait régné une tradition morte. La pensée critique passa de l’Eglise à l’Etat. Née dans la lutte contre l’absolutisme et les conditions moyenâgeuses, la doctrine de la souveraineté populaire et des droits de l’homme et du citoyen grandit. Ainsi se forma le système du parlementarisme. La pensée critique pénétra dans le domaine de l’administration de l’Etat. Le rationalisme politique de la démocratie signifiait la plus haute conquête de la bourgeoisie révolutionnaire.

    Mais entre la nature et l’Etat se trouve l’économie. La technique a libéré l’homme de la tyrannie des anciens éléments : la terre, l’eau, le feu et l’air, pour le soumettre aussitôt à sa propre tyrannie. L’homme cesse d’être l’esclave de la nature pour devenir l’esclave de la machine et, pis encore, l’esclave de l’offre et de la demande. La crise mondiale actuelle témoigne d’une manière particulièrement tragique combien ce dominateur fier et audacieux de la nature reste l’esclave des puissances aveugles de sa propre économie. La tâche historique de notre époque consiste à remplacer le jeu déchaîné du marché par un plan raisonnable, à discipliner les forces productives, à les contraindre d’agir avec harmonie, en servant docilement les besoins de l’homme. C’est seulement sur cette nouvelle base sociale que l’homme pourra redresser son dos fatigué et — non seulement des élus — mais chacun et chacune, devenir un citoyen ayant plein pouvoir dans le domaine de la pensée.

    Mais cela n’est pas encore l’extrémité du chemin. Non, ce n’en est que le commencement. L’homme se désigne comme le couronnement de la création. Il y a certains droits. Mais qui affirme que l’homme actuel soit le dernier représentant le plus élevé de l’espèce homo sapiens ? Non, physiquement comme spirituellement, il est très éloigné de la perfection, cet avorton biologique dont la pensée est malade et qui ne s’est créé aucun nouvel équilibre organique.

    Il est vrai que l’humanité a plus d’une fois produit des géants de la pensée et de l’action qui dépassent les contemporains comme des sommets sur des chaînes de montagne. Le genre humain a le droit d’être fier de ses Aristote, Shakespeare, Darwin, Beethoven, Goethe, Marx, Edison, Lénine. Mais pourquoi ceux-ci sont-ils si rares ? Avant tout, parce qu’ils sont issus à peu près sans exception des classes les plus élevées et moyennes. Sauf de rares exceptions, les étincelles du génie sont étouffées dans les profondeurs opprimées du peuple, avant qu’elles puissent même jaillir. Mais aussi parce que le processus de génération, de développement et d’éducation de l’homme resta et reste en son essence le fait du hasard ; non éclairé par la théorie et la pratique, non soumis à la conscience et à la volonté.

    L’anthropologie, la biologie, la physiologie, la psychologie ont rassemblé des montagnes de matériaux pour ériger devant l’homme, dans toute leur ampleur, les tâches de son propre perfectionnement corporel et spirituel, et de son développement ultérieur. Par la main géniale de Sigmund Freud, la psychanalyse souleva le couvercle du puits nommé poétiquement “l’âme” de l’homme. Et qu’est-il apparu ? Notre pensée consciente ne constitue qu’une petite partie dans le travail des obscures forces psychiques. De savants plongeurs descendent au fond de l’Océan et y photographient de mystérieux poissons. Pour que la pensée humaine descende au fond de son propre puits psychique, elle doit éclairer les forces motrices mystérieuses de l’âme et les soumettre à la raison et à la volonté.

    Quand il aura terminé avec les forces anarchiques de sa propre société, l’homme s’intégrera, dans les mortiers, dans les cornues du chimiste. Pour la première fois, l’humanité se considérera elle-même comme une matière première, et dans le meilleur des cas comme une semi-fabrication physique et psychique. Le socialisme signifiera un saut du règne de la nécessité dans le règne de la liberté, aussi en ce sens que l’homme d’aujourd’hui plein de contradictions et sans harmonie frayera la voie à une nouvelle race plus heureuse ».

  • France. Bayrou superstar?

    Pas moins de 12 candidats seront présents au 1er tour des présidentielles. Parmi eux, François Bayrou, candidat de l’Union pour la Démocratie Française (U.D.F. – centre droit), crée la surprise. Alors qu’il n’avait obtenu que 6,8% en 2002, il se trouverait actuellement aux alentours des 20% selon les sondages – qu’il faut toutefois lire avec prudence.

    Baptiste Daveau

    L’ « effet Bayrou » illustre un rejet des deux principaux candidats (Ségolène Royal, PS, et Nicolas Sarkozy, UMP). Bayrou se présente comme l’alternative idéale et dit vouloir réunir la gauche et la droite qui veulent bien « discuter ». Entendez par là : « ceux qui veulent bien se mettre d’accord pour mettre en place des plans d’austérité ».

    Bayrou mène donc une campagne très opportuniste. A son premier meeting parisien, il s’est posé comme le « président du peuple », celui qui défend « la France des paysans contre les milliardaires du CAC 40 et les vedettes du show-biz ». Mais ne soyons pas dupes ! Ce candidat très catholique, autoproclamé « anti-système » était Ministre de l’éducation de 1993 à 1997 dans un gouvernement de droite. Il a principalement été remarqué en rassemblant… un million de manifestants en 1994 contre sa réforme de l’enseignement ! Lui qui, en tant que député européen, défendit ardemment l’Europe libérale et la Constitution européenne se fait maintenant passer pour l’alternative!

    Bayrou, en définitive, n’est qu’un candidat défendant les intérêts du patronat au même titre que Sarkozy ou Royal. Son programme électoral veut construire une France « pro-entreprises et pro-recherche ». Comment ? En diminuant les taxes pour les entreprises… Ses déclarations du style « Je sais ce que c’est que de vivre avec 640 euros par mois : c’est la retraite de ma mère ! » ne font que démontrer qu’il a très bien compris qu’une recherche d’alternative est en cours en France et qu’il veut l’utiliser.

    Malgré les mobilisations de masse – et les victoires – qui ont eu lieu depuis quelques années en France (NON au référendum, lutte contre le CPE,…), aucun prolongement politique des luttes des travailleurs n’est ressorti. Cependant, malgré la division à la gauche du PS, Buffet (PCF), Laguiller (LO), Besancenot (LCR) et Bové récoltent tout de même encore plus de 10% réunis (ce qui est quand même moins qu’en 2002).

    Ce score et l’ampleur des intentions de vote pour Bayrou – bien plus significative d’un refus de Royal et Sarkozy que d’une véritable adhésion au programme de celui-ci – illustrent le potentiel que pourrait avoir un nouveau parti des travailleurs et une candidature anti-néolibérale qui prolongerait les revendications des travailleurs sur le terrain politique. Ce ne sera hélas pas pour cette fois, mais nos camarades français de la Gauche Révolutionnaire continuent à faire campagne sur ce thème.

  • EADS/Airbus. Les profits s’envolent, l’emploi s’écrase!

    Nouvelle onde de choc dans le monde des travailleurs : EADS a décidé de supprimer 10.000 emplois en quatre ans sur les 55.000 que compte sa filiale Airbus. Une fois encore, ce n’est pas une entreprise en crise qui se sépare d’une partie de ceux qui ont forgé ses richesses : le chiffre d’affaire d’EADS s’élève à 39,4 milliards d’euros pour 2006, soit une hausse de 15% par rapport à 2005.

    Nicolas Croes

    La société Airbus a été créée en 1970 et rassemble des entreprises aérospatiales nationales française, anglaise, allemande et espagnole. Nombreux étaient ceux qui voyaient dans ce consortium un des symboles les plus parlants de l’Union Européenne. Il y a deux ans à peine, le président français Chirac, le premier ministre britannique Blair, son collègue espagnol Zapatero et le chancelier fédéral allemand Schröder avaient eux-mêmes repris la métaphore à l’occasion de la sortie de l’A380. Finalement, le parallèle est effectivement très significatif, bien plus d’ailleurs que ne l’auraient souhaité ces chefs d’Etat…

    18% : une aumône…

    En 1999, le gouvernement français du « socialiste » Jospin a décidé de privatiser l’aérospatiale française. Rapidement, les intérêts du privé ont dominé au sein du nouveau groupe nommé EADS. Ce groupe est devenu n° 2 mondial dans l’aéronautique civile avec Airbus et n° 1 dans les hélicoptères militaires avec Eurocopter, le lancement de satellites avec Arianespace, le positionnement géosatellitaire avec Galileo et les missiles militaires avec MBDA.

    Pour les cinq années à venir, les carnets d’Aibus sont copieusement remplis : 2.357 appareils sont commandés, ce qui correspond à 258 milliards de dollars. Une situation qui ravit les actionnaires qui, depuis la privatisation de 1999, s’en mettent plein les fouilles: les actions rapportent en moyenne plus de 18% de bénéfices chaque année. Mais ce n’est pas encore suffisant. C’est même très loin de l’être pour étancher la soif de profit de la direction et des actionnaires.

    En conséquence, 4.300 travailleurs français seront jetés à la porte, au même titre que 3.700 allemands, 1.600 anglais et 400 espagnols. Ceux qui restent n’auront qu’à se réjouir, ils pourront même rester plus longtemps dans les usines… pour le même salaire! C’est ce que révèle le magazine allemand Focus : la direction d’Airbus envisagerait de faire passer les travailleurs de 35 heures de travail par semaine à 40, sans aucune compensation salariale.

    C’est exactement ce qu’avait fait le groupe américain Boeing quand Airbus était devenu n°1 mondial (place qu’il a perdue cette année). Boeing a pu se hisser à nouveau à la première place en escaladant les corps des travailleurs laissés sur le côté : 42% de l’effectif de 1998 ont été licenciés alors que ceux qui ont évité la trappe doivent subir des cadences infernales. C’est maintenant au tour d’Airbus, tandis que la Chine vient juste de décider de se lancer sur le marché aéronautique, menaçant l’hégémonie des deux compagnies occidentales.

    Sauver les meubles… pas les travailleurs

    Comment enrayer le cycle infernal des travailleurs sacrifiés sur l’autel de la concurrence? La décision du conseil d’administration d’EADS aura aussi des répercussions en Belgique. Depuis le début des années 1980, plusieurs sous-traitants d’Airbus sont des entreprises belges (la Sonaca, la Sabca, Asco et Eurair). Lors du dernier conseil extraordinaire des ministres à Louvain, le gouvernement belge a décidé de débloquer 150 millions d’EUR. C’est autant d’argent qui sortira de nos impôts pour compenser la rapacité d’un groupe infime de grands actionnaires.

    Cependant, pour beaucoup de politiciens placés devant ce drame humain – finalement si caractéristique de la société d’exploitation que nous connaissons – la solution se trouve là : faire intervenir l’Etat (et notre argent). Attention! Il n’est en aucun cas question de revenir sur les privatisations! Si l’Etat doit intervenir, c’est uniquement quand les choses vont mal. Pour le reste, les bénéfices peuvent continuer à alimenter la folie des grandeurs des capitalistes, et uniquement elle. En France, où Airbus s’est infiltré dans la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a par exemple déclaré qu’il soutiendrait Airbus comme il l’avait «fait avec Alstom» (l’Etat avait pris 20% du groupe quand celui-ci était en difficulté).

    Pour d’autres, le sort des travailleurs ne compte absolument pas. Le Premier ministre français Dominique de Villepin a ainsi précisé que s’il mesurait « pleinement l’inquiétude » des salariés, ce plan est pour lui « nécessaire pour sortir définitivement de la situation d’incertitude et préparer l’avenir »!

    Airbus – ou VW-Forest pour prendre un autre exemple récent – illustre combien les logiques de « nos » gouvernements sont incapables de résoudre les problèmes de l’économie de marché. Pour sauver les emplois d’Airbus, il faut renationaliser l’entreprise, sans achat ni indemnité. Les travailleurs doivent avoir accès aux comptes de l’entreprise et à toutes les informations sans restrictions pour prévenir les erreurs de gestion et les magouilles. Mais seule une transformation socialiste de la société pourra sauvegarder définitivement les emplois d’Airbus et d’ailleurs.

  • Québec. Une élection aux enjeux très importants

    Déclaration du Comité exécutif du Parti Communiste du Québec à la veille des élections du 26 mars.

    Nous publions cet article de la part du Parti Communiste du Québec. Il s’agit d’une déclaration de son Comité Exécutif à l’occasion des élections du 26 mars. Le PCQ collabore à la construction d’un parti de gauche plus large qui s’appelle « Québec Solidaire » et qui se présentera lors de ce scrutin.

    Introduction du MAS/LSP

    Le PCQ a entammé des discussions avec plusieurs organisations de gauche sur le plan international. L’une d’entre elles est le Comité pour une Internationale Ouvrière (Committee for a Workers’ International) dont le MAS/LSP est la section belge. Nous trouvons que la déclaration du PCQ est une contribution intéressante, tout en reconnaissant que le MAS/LSP n’a pas pu suffisamment étudié les spécificités locales et ne peut donc pas s’engager sur l’ensemble des positions prises dans ce texte.

    Nous pouvons nous imaginer que certains lecteurs feront le parallèle avec la situation en Belgique et se poseront donc la question de savoir pourquoi offrir une tribune à un parti qui se dit indépendantiste, voir même en faveur du séparatisme du Québec, même si ce parti affirme, avec justesse, que la libération nationale, pleine et entière, est indissociable d’une prise du pouvoir politique par les travailleurs.

    Notre position sur la question nationale est toujours concrète et dépend de la situation sur le terrain. Si, en ce moment, le MAS/LSP ne défend pas le séparatisme, ni même la poursuite de transferts de pouvoirs vers les régions en Belgique, ce n’est nullement à cause d’un attachement à l’Etat bourgeois belge. Bien au contraire, c’est la raison pour laquelle le MAS/LSP n’est pas signataire, contrairement à certains dirigeants syndicaux, des pétitions qui plaident en faveur de l’unité de la Belgique sur base de l’Etat actuel.

    Si nous nous opposons aujourd’hui à un transfert de compétences vers les régions, c’est justement parce que ceux qui le proposent veulent s’en servir pour créer des conditions de travail, des systèmes de sécurité sociale, des marchés de travail, des concertations sociales et des salaires concurrentiels afin de mieux diviser les travailleurs. Le fait que même en Flandre 74% de la population s’oppose actuellement à un nouveau transfert de compétences aux régions alors que tout les partis traditionnels flamands le défendent sous une forme ou l’autre, indique la justesse de notre position.

    Mais cela ne veut évidemment pas dire que le MAS/LSP s’opposerait dans toutes les conditions à la régionalisation, voir même au séparatisme, là où il y a réellement un sentiment d’oppression nationale. L’unité des travailleurs ne s’impose pas. Au contraire, l’unité n’est possible que sur une base volontaire, ce qui sous-entend la reconnaisance du droit à l’autodétermination, même jusqu’au séparatisme.

    Les camarades du PCQ ont un site et nous invitons nos lecteurs à aller le visiter http://www.pcq.qc.ca

    Le site de Québec Solidaire: http://www.quebecsolidaire.net


    Déclaration du Comité exécutif du PCQ à la veille des élections du 26 mars

    Une élection aux enjeux très importants

    Par le Comité exécutif central du PCQ

    Les élections au Québec sont en branle. Jean Charest cherche à être réélu, André Boisclair essaie de prouver à ses propres troupes qu’il est capable de l’être, tant qu’à Mario Dumont il traîne encore dans le populisme le plus crasse. Une belle campagne électorale pour les humoristes et les caricaturistes se déploie devant nos yeux!

    Le Mike Harris du Québec

    La situation au Québec est complexe. Après les pires sauvageries anti-syndicales et le charcutage des acquis sociaux des quarante dernières années, Charest tente de réussir l’exploit de Mike Harris : se faire élire de nouveau en présentant une hystérie néolibérale comme étant la révolution du bon sens. Dans les publicités qui ont précédé les élections, Charest expliquait à la population que le Québec va bien et que le Québec va mieux.

    Pourtant le Québec va mieux uniquement pour les grandes entreprises. La sous-traitance fleurit partout au Québec depuis la modification à l’article 45 : donc les conditions de travail s’effondrent. Charest chantait lors des élections précédentes que sa priorité était la santé. Malheureusement la bactérie C difficile n’a jamais fait autant de ravage et les salles d’urgences ne sont pas moins engorgées.

    Charest avait promis des défusions municipales massives pour se rallier les populistes de la droite qui voyaient une tragédie dans les dites fusions municipales qui ne sont qu’un fait social accompli depuis plus de deux décennies. Pourtant les défusions se sont faites au compte goûte grâce a un système référendaire spécial, mais surtout spécialement douteux. Le mandat de Jean Charest n’a donc pas été le mandat de l’accomplissement de ses promesses à l’électorat mais celui de l’accomplissement de ses engagements pris en coulisse envers le patronat.

    Ce qui est pourtant surprenant c’est que Jean Charest et les libéraux risquent de gagner à nouveau! Malgré ses promesses de dégel des frais de scolarité qui déjà suscitent une résistance du mouvement étudiant. Charest ne semble avoir rien compris du message envoyé lors de la dernière grève étudiante; ce qui prouve que cette victoire ne sera pas vraiment dû à Jean Charest lui même mais plutôt à ses adversaires.

    Le PQ face à lui-même

    Le nouveau chef du Parti Québécois, André Boisclair, ne réussit toujours pas à satisfaire ses propres troupes. Le Parti québécois réussit encore tant bien que mal à convaincre les syndicats qu’il est un parti indépendantiste, mais la "famille" péquiste en est encore à s’arracher les cheveux.

    Premièrement, les déclarations ouvertement antisyndicales de Boisclair avant les élections n’ont en rien aidé. André Boisclair a entre autres déclaré que "c’était finie l’époque ou les négociations entre le PQ et les syndicats se finissaient par des soupers bien arrosés"! Les dirigeants syndicaux des grandes centrales l’ont "avalé de travers". Certains ont même déclaré que "les progressistes ne s’empresseraient pas d’aller voter pour le Parti Québécois aux prochaines élections."Sans compter que le PQ ne s’est jamais prononcé sur le dossier Olymel et que André Boisclair a clairement dit qu’un gouvernement péquiste ne reviendrait pas sur la modification à l’article 45. De quoi à créer des remous!

    Le mythe selon lequel le Parti Québécois est une coalition de classes qui lutte pour l’indépendance du Québec s’effrite. Le PQ montre plus que jamais son visage de parti bourgeois aux travailleurs. Sans compter que dans la plateforme du PQ le mot référendum a été changé par consultation populaire. Le PQ ne sait plus sur quel pied danser pour rallier les travailleurs à son projet de "souveraineté association". De toute façon, n’est-il pas normal que les indépendantistes soient sceptiques face à un projet à demi ou au tiers indépendantiste sans aucune garantie de gains sociaux?

    Les plus récents appels d’André Boisclair à tous les "progressistes", pour qu’ils retournent au PQ, sonnent faux. Jamais le chef du PQ n’utilisaient ce terme avant; le fait qu’il le fasse aujourd’hui tend à montrer que cela ne va probablement pas aussi bien pour son parti qu’il le prétend.

    L’ADQ : être plus à droite que la droite

    Si beaucoup d’indépendantistes n’iront pas voter aux prochaines élections, certains nationalistes se laisseront peut-être tenter par l’Action démocratique du Québec (ADQ). Ce parti né d’une scission du Parti libéral au début des années 90 sombre de plus en plus dans le populisme le plus crasse. Quelques mois avant les élections, Mario Dumont est parti en croisade contre les accommodements raisonnables. Cette exploitation des préjugés xénophobes a malheureusement été profitable à sa formation. Dumont, tout comme Charest d’ailleurs, a applaudi un arbitre qui a expulsé une joueuse musulmane d’un terrain de soccer parce ce qu’elle portait le foulard. Le fait que partout sur terre cette jeune fille aurait pu jouer au soccer en paix, comme tout le monde, n’a pas ébranlé les adéquistes qui ont, tout comme leur chef, applaudi ce geste intolérant à souhait.

    Nationaliste, mais pas indépendantistes, Dumont se fait le chevalier du "fédéralisme d’ouverture". C’est tout aussi logique que le cannibalisme végétarien, mais nous en sommes pas à la première absurdité de l’ADQ. Cette position de Mario Dumont, qui est proche du beau risque de René Lévesque et des pitreries chauvines de Maurice Duplessis, pousse Jean Charest à taxer Dumont de l’épithète de "séparatiste." Le Parti libéral du Québec n’ayant survécu jusqu’ici uniquement grâce à son anti-indépendantisme maladif, rien de surprenant que Jean Charest imagine des séparatistes partout. Qui sera le prochain ? Peut-être le Juge Gomery ou la reine d’Angleterre en personne. On a cessé depuis longtemps de se surprendre des déclarations des chefs fédéralistes.

    L’ADQ périclitait financièrement il a un an, mais les animateurs de radio d’extrême droite de la région de Québec ont permis à ce parti de survivre jusqu’à aujourd’hui; c’est sûrement parce qu’ils s’y reconnaissent. Ce parti n’hésite jamais à nager sur toutes les vagues de mécontentements quitte à utiliser l’ignorance et les préjugés les plus immondes pour gagner de la popularité. Un candidat libéral a même comparé Dumont à Jean-Marie Le Pen au début de la campagne. La comparaison est peut-être exagérée, mais l’ADQ occupe un rôle politique un peu semblable au Front National : être plus à droite que la droite pour rendre la droite plus socialement acceptable.

    À propos du Parti Vert

    L’élection 2007 voit par contre arriver du sang neuf au point de vue politique : le Parti Vert gagne beaucoup de popularité. L’opinion publique étant de plus en plus alarmée par le réchauffement climatique, ce parti ne pouvait que gagner l’attention de l’électorat. Cela dit, les Verts québécois sont très différents des Verts que l’on peut trouver en Europe. Ce parti n’amène pas de réelles solutions. Si un candidat du Parti Vert est élu, ne vous attendez pas a ce qu’ils soit surnommé le "khmer vert" comme cela s’est vu en France.

    Les Verts, qui en Europe font souvent alliance avec les communistes et les altermondialistes, refusent ici toute alliance avec Québec solidaire; ceux et celles qui dirigent cette formation représentent un courant très petit-bourgeois, ils intègrent dans leur programme le principe de pollueur payeur, mais seulement pour ce qui est des individus (qui rouleraient par exemple en SUV ou qui ne prendraient pas le transport en commun); les compagnies ne sont pas visées. Étrange, ne trouvez-vous pas ? Le Parti Vert ne se gène pas en même temps pour critiquer le programme de Québec solidaire comme trop radical et socialisant, notamment en ce qui concerne le projet de nationalisation de l’éolien.

    Les Verts au Québec, tout comme leur homonyme au fédéral, ne comprennent pas et ne veulent surtout pas comprendre que le dossier environnementale est indissociable de la lutte aux inégalités sociales.

    Le refus très clairement exprimé par le chef du Parti Vert, Scott MacKay, d’endosser même la possibilité d’une éventuelle alliance avec Québec solidaire, telle qu’envisagée dans un reportage du journal Le Devoir et publié le 17 mars, confirme l’attitude très sectaire de la direction actuelle du Parti vert ; d’un simple point de vue légal, une telle entente de dernière minute n’aurait pas été possible à cause du trop court délai d’ici aux élections; le Parti Vert, par la voie de son chef, aurait quand même pu démontrer un peu plus d’ouverture d’esprit, au moins sur le principe, face à une telle éventualité puisque Québec solidaire est lui-même écologique; mais c’est plutôt le contraire qu’il a fait. En agissant ainsi, le chef du Parti Vert oeuvre objectivement contre la cause écologique.

    Une autre vision

    Le parti, et de loin le plus intéressant, est le nouveau parti de gauche : Québec solidaire. Québec solidaire (QS) est né de la fusion du mouvement Option citoyenne qui était dirigé par Françoise David, ainsi que du parti Union des force progressistes (UFP) dont le principal porte parole était Amir Khadir. QS amène une toute nouvelle vision de la politique au Québec. Bien sûr la plateforme à tendance écologiste, féministe et social progressiste est audacieuse. On y trouve entre autres le projet de Pharma Québec, une société d’État qui aurait pour tâche de produire des médicaments pour le système de santé publique. Une économie pour le système de santé qui s’évaluerait à 1 milliard de dollars, somme qui bien sûr serait investi pour des dépenses autres dans le dit système de santé.

    Mais Québec solidaire ne fait pas qu’innover du point de vue social et environnemental. Plus Vert que les verts, Québec solidaire est aussi réellement indépendantiste contrairement au Parti Québécois (PQ). La stratégie dit "de la constituante" montre que Québec solidaire est bel et bien déterminé à en finir avec la prison que représente pour les Québécois la structure politique fédérale. Québec solidaire fera bien sûr un référendum, mais ce référendum aura pour fonction de sanctionner une constitution d’un Québec indépendant qui aura été écrite suite à une vaste consultation populaire établie sur 12 à 18 mois pour que les travailleurs québécois soient les bâtisseurs de leur nouveau pays. Une constitution écrite par et pour les masses populaires ne peut pas perdre un référendum; les travailleurs n’iront certes pas sacrifier "leur propre enfant" après avoir mis autant d’effort pour le mettre au monde. C’est une stratégie que bien sûr le Parti Québécois ne peut se permettre.

    À cause de son caractère de classe le PQ ne peut donner le mandat aux travailleurs de mettre directement leur nez dans l’écriture de la loi fondamentale de l’État; ce serait du suicide! Mais Québec solidaire, n’étant pas un parti bourgeois, peut se le permettre et se fera un plaisir de le faire. Sans être nationaliste, Québec solidaire est le seul parti politique de masse réellement indépendantiste actuellement au Québec.

    Un État construit sur l’oppression nationale

    Il ne faut pas oublier que l’État fédéral canadien est construit sur l’oppression nationale. Comme le disait Stanley Ryerson dans son livre "Capitalisme et confédération", c’est pour assimiler les francophones et se débarrasser des autochtones que la couronne britannique mit sur pied la "confédération" canadienne. La destruction de cet État impérialiste passe donc par la question nationale. L’indépendance du Québec ne peut que mener qu’à une remise en cause de l’état bourgeois canadien; un tel mouvement pourrait être la bougie d’allumage d’un vaste mouvement de libération des nations d’Amérique du Nord. Ce n’est pas pour rien que l’ensemble de la bourgeoisie au Canada s’y oppose catégoriquement et que la bourgeoisie nationale québécoise a toujours d’autre chose de plus urgent à faire que l’indépendance du Québec. On ne peut pas arracher un morceau de cette envergure au beau milieu du Canada sans que l’État fédéral en soit ébranlé. Et c’est justement parce que la bourgeoisie ne veut rien savoir de l’indépendance du Québec que seul un parti des travailleurs pourra mener ce mouvement jusqu’au bout. Une libération nationale, pleine et entière, est indissociable d’une prise du pouvoir politique par les travailleurs, et une prise du pouvoir politique par les travailleurs est indissociable de la lutte de libération nationale québécoise.

    Québec solidaire n’est pas un parti homogène. Plusieurs tendances y cohabitent. Plusieurs courants socialistes y sont d’ailleurs représentés : Gauche socialiste de la quatrième internationale, Socialisme International, le Collectif pour une masse critique ainsi que le Parti communiste du Québec y font un travail résolu. Bien que la question des collectifs ne soit toujours pas réglée, le Parti communiste est fier de mettre tous ses efforts pour que Québec solidaire puisse s’implanter le plus possible sur le terrain et même faire élire des candidats. André Parizeau et Francis Gagnon Bergman, membres du comité exécutif et du comité central du Parti communiste du Québec, se présentent d’ailleurs aux élections sous la bannière de Québec solidaire. Pour les marxistes, Québec solidaire joue un rôle de premier plan historiquement parlant puisqu’au Québec la culture de parti de classe n’existe pas.

    La plupart des dirigeants au sein du mouvement syndical ont été pendant des années en appui au Parti québécois; sauf que même les plus fervents défenseurs du PQ d’hier doivent aujourd’hui reconnaître qu’il devient de plus en plus difficile de justifier le maintien d’un tel appui; on parle de plus en plus d’un appui circonstanciel et critique, en prétextant le fait qu’il n’y aurait pas vraiment d’autre alternative capable de prendre le pouvoir à court terme; avec le temps, cela est devenu un appui beaucoup plus tiède; d’autres se cantonnent désormais dans un neutralisme, qui n’a pas vraiment sa place, mais qui démontre néanmoins un malaise très clair face au PQ.

    Un vide à gauche

    Une telle situation pourrait, en définitive, devenir très profitable pour Québec solidaire. Il existe de plus en plus un vide à gauche que Québec solidaire peut combler. Les défis sont grands. Pour la première fois au Québec, un parti qui veut devenir un parti de masse, n’est pas dirigé par la bourgeoisie. Les travailleurs apprennent enfin à s’organiser sur leur propre base dans toutes les régions du Québec, sans trembler devant les impératifs des transnationales. Et, au sein même des syndicats, on commence également à discerner un mouvement pour se rapprocher de Québec solidaire; ce mouvement est encore faible, mais il existe.

    Québec solidaire n’a pas pour autant un programme socialiste. Mais il n’est pas impossible que, dans le futur, le projet socialiste devienne partie prenante du programme de Québec solidaire. Actuellement les débats vont bon train au coeur de l’organisation et au jour le jour, les militants du parti s’enrichissent politiquement. C’est là que le rôle des marxistes dans QS est d’une importance déterminante. Beaucoup de membres de Québec solidaire sont des gens qui, ne s’étant jamais reconnus dans le discours des politiciens bourgeois, sentent qu’ils ont leur place en politique grâce à ce parti. Donc beaucoup d’entre eux sont en plein apprentissage face à la politique. C’est là que les marxistes ont un rôle important jouer.

    Montréal 18 mars 2007

  • Participez aux discussions lors de Socialisme 2007 !

    Il est temps pour une alternative socialiste !

    « Après la pluie vient le beau temps » dit le proverbe populaire. Et c’est aussi le discours de nos dirigeants : « certes, nous connaissons une série de problèmes aujourd’hui mais faites-nous confiance, serrez-vous un peu la ceinture, ouvrez un peu plus votre portefeuille et demain tout ira mieux. »

    Nicolas Croes

    Mais le beau temps ne veut rien dire pour les dizaines de milliers de personnes qui décèdent chaque jour dans le monde faute d’un accès à l’eau potable ou à des soins de base. Et, chez nous, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il tarde à venir (malgré le réchauffement climatique).

    Les bénéfices de la croissance, tout comme les sacrifices de la crise, sont loin d’être répartis équitablement. Ces 5 dernières années, les bénéfices des entreprises belges cotées en Bourse ont augmenté de 41%… Un record ! Et votre salaire, il a atteint des records ? La banque ING a terminé l’année 2006 avec un bénéfice de 7,7 milliards d’euros. Pourtant, on nous rabâche encore qu’il faut faire plus de sacrifices : travailler plus longtemps, pour moins cher, mais dépenser plus pour acheter n’importe quoi.

    « Après la pluie, le beau temps »… un bien bel argument pour ne pas se rebeller contre quelque chose qui paraît « naturel ». Mais ce ne sont pas les tendances climatiques qui poussent des millions d’êtres humains à vivre dans la pauvreté et la misère mais bien la politique de ceux qui contrôlent la société.

    Après la deuxième guerre mondiale, tout le monde a crié « plus jamais ça ». Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Plus de guerre ? Inutile d’en parler, l’idéal de paix est écrasé sous les bottes et les bombes tous les jours en Irak, en Palestine, en Afghanistan, au Sri Lanka, …Plus de fascisme ? En Europe de l’Est, en France, en Belgique,… les nostalgiques du IIIe Reich profitent du désaroi des victimes du système pour relever la tête.

    Pour un véritable avenir, il nous faut lutter ! Mais si la colère explose souvent, elle se dissipe souvent avant de pouvoir être canalisée en une véritable force. C’est de cela qu’il sera question à la journée de discussion « Socialisme 2007 » : comment, en profitant de l’expérience des luttes passées et présentes, offrir une véritable alternative à cette société d’exploitation et comment avancer aujourd’hui dans cette direction.

    Venez discuter avec nous, avec des syndicalistes et d’autres participants aux luttes, de Belgique, mais aussi de Pologne, d’Italie, de France,… Et rejoignez la lutte pour un monde dénué d’exploitation. Pour qu’enfin l’on voit le beau temps après la pluie…

    Socialisme 2007 à Bruxelles le samedi 31 mars. Pour tous les renseignements, voir le tract ou notre site: www.socialisme.be.

  • Toujours la même politique sans alternative crédible à gauche

    France: Sarkozy contre Royal

    La campagne présidentielle est bien lancée, sur fond de dégoût face à la politique suivie par les gouvernements de Raffarin et Villepin depuis 2002 : soutien à la constitution européenne rejetée par les Français lors du référendum en 2005, attaque contre les pensions, privatisation des services publics, promotion de nouveaux contrats flexibles et précaires,… 80% des français sont aujourd’hui opposés à une nouvelle candidature de Chirac.

    Boris Malarme

    Les politiciens, la presse, les sondages sont focalisés sur le match annoncé pour le 2e tour entre Nicolas Sarkozy pour l’UMP et Ségolène Royal pour le PS. Mais si les thèmes principaux qui préoccupent les Français sont l’emploi, les salaires, l’enseignement, la sécurité sociale,…. les réponses que donnent Sarkozy et Royal montrent qu’ils veulent continuer la même politique, celle qui assure de nouveaux profits records aux actionnaires aux détriments de la collectivité.

    Avec ce duel, l’enjeu du premier tour est relégué au second plan. La menace d’un Le Pen au deuxième tour, comme en 2002, semble être écartée par les scores des deux principaux candidats. Mais il est quand même crédité de 13% dans les sondages (à la mi-février) alors qu’en 2002, il se situait entre 8 et 10% à la même période. Entre les deux tours de 2002, des centaines de milliers de jeunes étaient sortis dans les rues contre le FN. Mais l’absence d’une autre perspective que de barrer la route à Le Pen par la voie des urnes en votant Chirac et cinq années de politique antisociale de la droite ont permis au FN de rester en selle.

    Sarkozy, représentant le plus zélé des capitalistes

    Sarkozy – Ministre de l’intérieur ultra-répressif, à l’attitude et au discours agressif envers les immigrés, les jeunes et les syndicalistes – a changé quelque peu de tonalité comme candidat. Mais le fond reste identique.

    Son programme est encore plus néolibéral que celui des précédents gouvernements. Il défend les riches en voulant diminuer de moitié l’impôt sur la fortune à travers des astuces fiscales, supprimer les droits de succession, défiscaliser complètement les heures supplémentaires ou encore créer un contrat de travail unique (ce qui signifie liquider les contrats à durée indéterminée en les remplaçant par un modèle de contrat plus flexible et précaire).

    Pour lui, chômeurs, pensionnés et fonctionnaires (dont il veut liquider 225.000 postes pour 2012) sont des fainéants et des profiteurs. Il sait ce qu’il veut et le dit : une vague d’attaques contre les salaires et les conditions de vie des travailleurs et de leurs familles.

    Pour faire passer une telle politique, il la présente comme seule capable de " relever la France " et surtout il joue sur son image d’ " homme fort " qui veut mettre fin à l’insécurité et à la délinquance.

    Royal, un emballage différent

    Royal, pourtant favorite avant le démarrage de la campagne, a perdu 22 sondages consécutifs entre la mi-janvier et la mi-février au profit de Sarkozy. Ses bourdes à répétition et les tiraillements au sein de son personnel politique pourraient-ils lui faire perdre les élections? Il est sans doute encore trop tôt pour le dire, plus de 50% des électeurs se disant encore indécis.

    Royal pourrait bénéficier d’un important soutien au nom du " moindre mal " face à la menace que représente Sarkozy. Nous comprenons ceux qui se sentent poussés à voter pour Royal afin de barrer la route à Sarko, mais sa politique ne serait pas fondamentalement différente. Ayant Tony Blair pour modèle, elle préconise de nombreuses diminutions de charges pour les patrons et avec une richesse personnelle réelle estimée à un peu moins d’un million d’euros, elle provient du même milieu que Sarkozy.

    Ses propos contre les profs, considérés comme des profiteurs qui devraient prester l’ensemble de leurs heures à l’école, révèle le mépris qu’elle porte aux travailleurs. Royal défend la même politique néolibérale que la droite et n’a de plus social que l’emballage. Alors que Sarkozy annonce ses intentions, Royal renoue avec les traditions des promesses qui ne seront pas tenues.

    Royal a pourtant encore un autre atout dans sa poche. C’est que, sur sa gauche, rien ne semble avoir changé depuis 2002 : une candidature crédible d’opposition à la politique néo-libérale fait toujours défaut. Marie-Georges Buffet (Parti Communiste Français), Olivier Besancenot (Ligue Communiste Révolutionaire), Arlette Laguiller (Lutte Ouvrière), Gérard Schivardi (Parti des Travailleurs) et José Bové présentent chacun leur propre candidature.

    Pourquoi autant de cavaliers seuls ?

    Malgré les mobilisations de masse passées, aucun prolongement politique aux luttes des travailleurs et des jeunes n’a émergé. Un large mouvement unitaire et antilibéral s’est formé à partir de la campagne pour un " Non de gauche " à la constitution européenne. Mais les objectifs et la stratégie politiques n’ont jamais pu être éclaircis au sein de ce mouvement. Aucune force n’y a défendu la nécessité d’un nouveau parti des travailleurs unifiant la résistance contre la politique néolibérale.

    Le PCF a maintenu son orientation habituelle : d’un côté, il critique Royal mais, de l’autre, il se prépare à la possibilité de rentrer dans un nouveau gouvernement de gauche plurielle avec le PS. La LCR a une orientation plus claire d’opposition à toute collaboration gouvernementale avec le PS mais elle n’a pas défendu clairement cette position au sein des collectifs antilibéraux et a choisi très vite de présenter son propre candidat. Si Bové est sans doute le candidat le plus " populaire ", il a maintenu un flou certain sur ses rapports futurs avec le PS et il n’était préparé en réalité à une candidature de rassemblement… que sur sa propre candidature. Quant à Lutte Ouvrière, elle s’est maintenue à l’écart de tous les débats et a annoncé depuis le début qu’elle présenterait sa propre candidate (dont ce sera la sixième tentative).

    Notre organisation-soeur en France, la Gauche Révolutionnaire, continue à mener campagne pour un nouveau parti des travailleurs. Ensemble, l’extrême-gauche est créditée de 11% dans les sondages, un résultat équivalent à celui de 2002. Cette force électorale illustre le potentiel et le succès qu’aurait une nouvelle formation telle que le CAP en France. Malheureusement, ni LO, ni la LCR n’utilisent les possibilités présentes pour faire émerger une nouvelle formation de masse des travailleurs, ce qui laisse la voie libre aux politiciens traditionnels.

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