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  • Côte d’Ivoire : pas encore hourra

    Il ne fait aucun doute que la capture de Laurent Gbagbo le 11 avril 2011 par les forces de Alassane Ouattara (énormément aidées par l’armée française) a apporté un immense soulagement à l’immense majorité des Ivoiriens, soumis à l’expérience traumatisante d’une nouvelle guerre civile après les élections de novembre 2010. Ces élections avaient produit deux “présidents”. Ouattara, un ancien premier ministre du dictateur Houphouët-Boigny, avait été déclaré vainqueur des élections par la commission électorale, et validé par les Nations-Unies.

    Peluola Adewale, Democratic Socialist Movement (CIO-Nigéria)

    Cependant, le président sortant Laurent Gbagbo avait rejeté le verdict en prétextant des irrégularités dans le nord du pays, et avait forcé le conseil constitutionnel – qu’on a dit dirigé par un de ses amis – à annuler les votes du Nord, ce qui avait mené à sa réélection. Les nations impérialistes occidentales et la CEDEAO ont quant à elles reconnu Ouattara en tant que vainqueur et ont imposé toutes sortes de sanctions à Gbagbo pour le contraindre à quitter, mais sans résultat. Cette impasse a mené à une grave crise de violences sectaires, qui a couté la vies à 1500 personnes et contraint un million de gens à l’exil. Gbagbo n’a pu être dégagé que par la force de l’armée française qui a bombardé son arsenal et son palais jusqu’à le forcer à sortir de son bunker, pour pouvoir être cueilli par les soldats de Ouattara.

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    Tandis que la capture de Gbagbo a apporté un certain soulagement avec la fin de la guerre civile prolongée, les militants de la classe ouvrière et par le peuple ne devraient pas applaudir le rôle de l’impérialisme. Car c’est de la même manière que l’impérialisme a lâché sa puissance militaire contre le régime dictatorial et pro-capitaliste de Gbagbo, qu’il tentera de réprimer brutalement tout véritable mouvement ouvrier qui menacerait le règne et l’emprise du capitalisme et de l’impérialisme.

    Malgré le prétexte selon lequel l’intervention de l’impérialisme, avec ses bombes et ses tanks était justifié par la nécessité de protéger les civils, sa mission avait pour véritable objectif ses propres intérêts égoïstes. Cette justification peut facilement être remise en question par les développements en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, où les impérialistes soutiennent militairement le mouvement contre la dictature de Mouammar Kadhafi qui avait lancé la terreur d’État pour réprimer l’opposition, alors qu’au même moment ils gardent le silence par rapport aux atrocités commises par les dirigeants pro-occidentaux du Bahreïn, de Syrie et du Yémen. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, deux alliés majeurs de l’Occident, ont en effet envoyé des troupes et des tanks pour briser et tuer les opposants au Bahreïn, sans aucune condamnation de la part de l’Occident. Une différence importante entre la Libye et certains des autres pays de la région où se déroulent des révoltes de masse est que la Libye possède de grandes réserves de pétrole, les plus grandes d’Afrique, tandis que les autres ne possèdent que très peu de pétrole. En fait, certaines études ont révélé que les réserves du Yémen seront épuisées d’ici 2017, tandis que celles du Bahreïn ne pourraient encore durer que 10-15 ans. En plus, le contrôle et les immenses profits des multinationales pétrolières occidentales n’ont jamais été menacés dans ces pays.

    Il faut cependant insister sur le fait que c’est le vide créé par l’absence d’un grand mouvement de la classe ouvrière capable d’arrêter la dégénérescence de la crise politique en guerre civile qui a été exploité par l’impérialisme français pour satisfaire ses propres intérêts. Les travailleurs ont prouvé avec des grèves et des protestations de masse contre les attaques néolibérales qu’ils ont organisées au cous des dernières années du régime Gbagbo qu’ils étaient capables de se dresser au-dessus des divisions ethniques et religieuses exploitées par l’élite capitaliste dirigeante, et de s’unir dans la lutte pour leurs intérêts communs et pour une meilleure vie.

    Par conséquent, un mouvement centralisé de la classe ouvrière aurait pu mobiliser la masse des Ivoiriens, des travailleurs, des paysans et des artisans contre la xénophobie, contre l’ethnicisme et la guerre, et aurait pu les organiser en un grand mouvement politique capable d’arracher le pouvoir des mains des diverses factions de l’élite capitaliste dirigeante qui ont plongé le pays dans une abysse de crises économiques et politiques, mais aussi de contrer l’emprise de l’impérialisme sur l’économie. Si un tel mouvement avait existé, en opposition aux manœuvres et aux conflits des cliques rivales, il aurait donné aux travailleurs une plateforme à partir de laquelle créer leur propre alternative sous la forme d’une véritable assemblée des travailleurs – formée de représentants élus des ouvriers, employés, des paysans, des petits commerçants, des artisans et des groupes ethniques – qui aurait pu constituer un gouvernement transitoire qui aurait agi en faveur des intérêts des travailleurs et des pauvres et qui aurait organisé de nouvelles élections véritablement démocratiques, sans l’interférence des Nations-Unies, cette organisation pro-capitaliste.

    Bien que Ouattara a gagné la guerre pour le poste de président de Côte d’Ivoire, il n’a pas gagné la paix. Il y a encore des quartiers à Abidjan et ailleurs dans le pays qui sont fermement sous le contrôle de jeunes armés qui se sont battus d’un côté ou de l’autre pendant la guerre. Les milices des “Jeunes Patriotes” pro-Gbagbo contrôlent Yopougon, tandis que les “Commandos invisibles” pro-Ouattara dirigent Abobo et d’autres quartiers du nord d’Abidjan. Ces deux groupes ont continué à se battre contre la nouvelle Force républicaine de Ouattara qui cherche à les désarmer et à reprendre le contrôle de ces zones. Les “Jeunes Patriotes” sont fâchés par l’arrestation de Gbagbo et ont le potentiel de former un nouveau groupe rebelle. Les 5000 personnes qui forment les “Commandos invisibles” qui se sont battus aux côtés des forces de Ouattara contre Gbagbo cherchent une reconnaissance et leur “part du butin” pour le rôle qu’ils ont joué. De fait, les “Commandos invisibles” étaient déjà entrés en conflit contre les forces de Gbagbo à Abidjan avant que les “Forces nouvelles” ne débarquent du Nord. Les “Forces nouvelles” sont constituées des anciens groupes rebelles qui contrôlent le nord du pays depuis 2002. Pendant ce temps, Ibrahim Coulibaly, le fameux chef des “Commandos invisibles” a été tué dans une fusillade avec les Forces républicaines. La question centrale reste cependant de savoir si la mort de Coulibaly (un ancien garde du corps de Ouattara) mettra un terme à une des principales menaces au retour de la paix dans le pays.

    En plus des activités des milices armées qui sont nées de la guerre civile et de la prolifération des armes à feu dans le pays, il y a toujours le problème fondamental qui se trouve à la racine de la crise politique, c’est-à-dire la question nationale non résolue. Ce problème est toujours bien vivant. Le concept xénophobe d’“ivoirité” – le fait d’être un vrai Ivoirien – qui est un élément central dans la crise n’a pas disparu. Ce concept signifie que la plupart des Ivoiriens du nord du pays (duquel provient Ouattara) ne sont pas de “vrais Ivoiriens”, et ne peuvent donc diriger le pays. Ce prétexte a été utilisé dans le passé pour empêcher Ouattara (qui a pourtant été premier ministre auparavant) de se présenter aux élections.

    Cette folie xénophobe n’a pas été inventée par Gbagbo, mais il l’a jugée utile pour pouvoir se maintenir au pouvoir. Elle a été créée par Henri Konan Bédié lors d’une précédente lutte pour le pouvoir avec Ouattara qui allait décider de qui succéderait à leur maitre à tous les deux, Houphouët-Boigny, après que celui-ci soit mort à la fin de 1993, après plus de trente ans au pouvoir. Cette lutte ne suivait aucune morale, elle avait uniquement pour but de savoir qui serait la personne qui pourrait manger l’argent des privatisations et des coupes dans les budgets publics. Avant la mort de Houphouët-Boigny, Bédié était président de l’Assemblée nationale, et Ouattara était premier ministre.

    Ce concept diviseur a marginalisé la plupart des gens originaire du Nord, et qui partagent une culture similaire à celle des immigrants en provenance des pays voisins, comme le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Il a ainsi été repris par la plupart des Ivoiriens, à une période au cours de laquelle commençait le déclin du pays qui avait autrefois l’économie la plus prospère de toute l’Afrique de l’Ouest. De la sorte, il était facile pour les élites dirigeantes d’accuser les immigrants (qui constituent 30% de la population) d’être responsables de la crise économique en réalité causée par le capitalisme.

    En plus de l’“ivoirité”, Gbagbo a aussi beaucoup joué avec le sentiment anti-impérialiste afin de s’attirer une partie de la population, et ainsi s’accrocher au pouvoir. Cependant, malgré tous les beaux discours que Gbagbo déclame aujourd’hui contre l’impérialisme français, il n’a jamais représenté une menace pour les immenses intérêts économiques de l’élite dirigeante française. Pierre Haski a révélé dans le journal The Guardian que « Pendant les dix années de Gbagbo au pouvoir, les entreprises françaises ont reçu les plus gros contrats ; Total a gagné l’exploration pétrolière, Bolloré la gestion du port d’Abidjan, Bouygues les télécoms » (The Guardian de Londres, 5 janvier 2011). Qui plus est, il a dans les faits dirigé le pays sur base de l’agenda économique capitaliste néolibéral dicté par le FMI, dont il a signé le programme. Néanmoins, leur relation est devenue plus tendue après l’incident du bombardement de 2004, lorsque les forces françaises ont détruit la force aérienne de Côte d’Ivoire en réponse au bombardement d’une base militaire française qui se trouvait dans la zone tampon entre les rebelles et le gouvernement Gbagbo pour faire respecter le cessez-le-feu. C’était d’aillleurs les troupes françaises qui avaient aidé à repousser l’avancée des rebelles vers le Sud lorsqu’ils avaient semblé assez forts que pour pouvoir envahir tout le pays, et qui avaient aussi permis d’obtenir le cessez-le-feu de 2002. La France a apparemment agi de la sorte afin de maintenir ses intérêts, qui sont principalement localisés dans le Sud.

    Ce n’est pas un secret que l’impérialisme occidental, et surtout la France, possède d’importants intérêts économiques en Côte d’Ivoire. La France a par exemple 500 entreprises qui dominent d’importants secteurs de l’économie. Le pays est le premier producteur mondial de cacao (qui sert à faire le chocolat), avec 40% de la production mondiale. C’est aussi un producteur majeur de café et de bois, et il y a aussi eu une hausse de la production de pétrole brut, de même que des gisements d’or et de diamants dans le Nord. De plus, dans un rapport de la Commission internationale d’enquête au sujet des plaintes de violations des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire, réalisé entre le 19 septembre et le 15 octobre 2004, il était mentionné la découverte de champs de pétrole dont les réserves pourraient faire du pays le deuxième ou troisième producteur africain de pétrole brut. La Commission a aussi fait état de la découverte d’immenses gisements de gaz, dont les réserves sont suffisantes pour cent ans d’exploitation.

    Il n’y a aucun espoir d’amélioration de la vie de la majorité des Ivoiriens sur base de l’alternative offerte à présent dans la personne de Ouattara, le champion de l’impérialisme. Il ne faut pas être prophète pour conclure que l’ancien premier ministre de Houphouët-Boigny, qui est plus tard devenu vice-directeur du FMI, va diriger le pays selon les dictats de l’impérialisme mondial. John Campbell, l’ancien ambassadeur américain au Nigéria, qui fait maintenant partie du Conseil des relations extérieures, une institution pro-impérialiste, a quelque peu renforcé ce point en disant que : « Ouattara a certainement l’expertise technique requise pour gérer l’économie ». Pour l’impérialisme, une meilleure gestion de l’économie signifie gérer l’économie selon ses propres dictats.

    Déjà la Côte d’Ivoire a été reprise dans le programme des pays pauvres très endettés (PPTE) de la Banque mondiale et du FMI, qui fait partie d’une procédure visant à effacer une partie de la dette dans laquelle le pays a été plongé par le gouvernement pro-impérialiste et caricatural de Houphouët-Boigny. Cela veut dire que le pays a dû rembourser sa dette et mettre en route une politique économique dure d’ajustements structurels (un programme capitaliste néolibéral) telle que définie par le FMI et par la Banque mondiale afin de pouvoir faire partie de cette initiative. Il ne fait aucun doute que Ouattara, en vieux cheval de guerre de l’impérialisme, n’hésitera pas le moins du monde à lancer de telles attaques néolibérales sur les travailleurs. Rappelons-nous seulement qu’il a aidé Houphouët-Boigny à imposer et à mettre en œuvre les mesures d’austérité et le programme d’ajustement structurel du début des années 90. Pour lui, le néolibéralisme, qui a déjà prouvé être extrêmement dévastateur pour le développement, est un remède à des maux économiques. Toutefois, depuis mars 2009 la Côte d’Ivoire a rempli les conditions pour faire partie du programme des PPTE, ce qui signifie que Gbagbo n’a pas trop mal travaillé du point de vue de la Banque mondiale et du FMI en mettant en place les attaques néolibérales demandées par ces institutions. Le FMI a félicité Gbagbo pour ce résultat, et lui a demandé d’accélérer les dernières “réformes” nécessaires pour terminer le plan PPTE. Il ne fait aucun doute que Ouattara, en sa qualité de véritable agent du FMI, fera encore mieux que Gbagbo de leur point de vue.

    Les travailleurs et les pauvres de Côte d’Ivoire vont réaliser que leur niveau de vie ne va pas réellement s’améliorer sous le gouvernement Ouattara (s’il n’empire pas), et que ce gouvernement ne parviendra pas non plus à garantir une paix durable. C’est pourquoi les dirigeants syndicaux radicaux, les militants de gauche et les socialistes devraient immédiatement entamer le processus de construire un mouvement ouvrier uni, qui rassemble tous les travailleurs, tous les paysans et tous les pauvres, de toutes les ethnies et de toutes les religions, contre la xénophobie, contre la violence sectaire, et contre les attaques néolibérales antipauvres, et qui revendique de meilleures conditions pour les travailleurs en ce qui concerne l’éducation, les soins de santé, le logement, et des emplois décents. Ce mouvement devrait aussi exister en tant qu’alternative politique ouvrière qui se batte sur base de la résistance aux programmes capitalistes néolibéraux et pour une alternative socialiste dans la lutte pour le pouvoir politique.

  • Capitalisme en crise : Un monde en mutation

    Début avril s’est tenue la réunion annuelle du Bureau Européen du Comité pour une Internationale Ouvrière, dont le PSL est la section belge. Els Deschoemacker résume ici l’essentiel de la discussion qui y a pris place. Les thèses adoptées à cette réunion sont disponibles sur notre site (voir ici).

    Par Els Deschoemacker, article tiré de l’édition de mai de Lutte Socialiste

    Depuis le début de cette année, le capitalisme a subi de nombreuses secousses. Les masses tunisienne et égyptienne ont concrètement illustré qu’un mouvement révolutionnaire peut conduire à des changements réels tandis que le désastre nucléaire au Japon est l’énième exemple des conséquences de l’irresponsabilité d’un système capitaliste qui ne voit qu’à court terme. La maximalisation des profits a motivé la construction de centrales nucléaires là où elles n’auraient pas dû être implantées. La sécurité maximale était garantie, mais en mots uniquement. Dans les faits, toutes les règles et les conseils des spécialistes ont été bafoués ; les intérêts économiques et politiques immédiats de l’élite ont pesé bien plus lourd ! Les conséquences pour la population japonaise sont dramatiques.

    La conscience des travailleurs et des jeunes à travers le monde a été secouée, beaucoup de choses ont été clarifiées. Ces deux développements ont sans doute renforcé la colère concernant le fonctionnement de la société et nous ont enseigné d’importantes leçons sur ce qui est nécessaire afin d’aboutir à de véritables changements.

    L’impact des révolutions

    Une révolution a rarement eu un impact immédiat sur la volonté de lutte au niveau international au point de la révolution tunisienne ou égyptienne. La victoire, acquise par une ténacité et une volonté formidable de sacrifice des masses tunisiennes, a initié une vague qui continue à déferler sur les pays de la région. Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord ne seront plus jamais comme avant. Même si la lutte n’est pas encore finie, même si la classe dominante fait tout son possible pour reconquérir le vide du pouvoir et même si les révolutions sont clairement menacées, les élites de la région doivent dorénavant tenir compte d’une population qui a déjà acquis sa première expérience de lutte révolutionnaire. Les salariés et les jeunes tunisiens ont mis en garde l’ancienne élite : ‘‘si vous voulez revenir, nous le pouvons aussi !’’ Ils ne sont pas prêts à perdre leurs droits récemment et chèrement acquis.

    Dans le monde entier, les régimes dictatoriaux ont muselé internet et ont censuré les nouvelles révolutionnaires afin d’éviter une révolte massive venant d’en bas. Les révolutions ont inspiré les travailleurs et les jeunes au-delà du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. D’ores et déjà, nous protestons au Wisconsin ‘‘comme un Égyptien’’, nous crions en France ‘‘Sarkozy, dégage’’ ou nous menaçons de faire chuter l’élite en Grèce ‘‘comme Ben Ali’’.

    La nouvelle situation économique a causé la révolution

    Cette énergie a directement résulté de la crise économique auquel est confronté le capitalisme. Le chômage et les hausses des prix du pain et de la nourriture ont souvent été à l’origine de situations révolutionnaires. En Tunisie et en Égypte s’y est rajouté le ravage néolibéral de la société. Et l’eau a débordé du vase.

    Le capitalisme n’a pas de réponse face à cette crise, ni dans le monde néocolonial, ni ailleurs. Les stimuli précédents et les paquets de sauvetage qui ont sauvé les banques et les grandes entreprises ont bel et bien évité une dépression profonde comme celle des années trente, mais ils ont engendré de nouveaux problèmes. Une nouvelle crise a alors commencé: celle des dettes des gouvernements.

    Les premières victimes des montagnes de dettes trop élevées ont été les pays dits ‘périphériques’ en Europe, les maillons les plus faibles. Mais dans les pays industrialisés plus riches également, des dettes astronomiques se sont accumulées. Aux USA, moteur de l’économie mondiale, les dettes ont atteint les 100 % du PIB. Chaque jour, la dette augmente de quatre milliards de dollars ! La pression pour passer à des coupes budgétaires plus drastiques se fait aussi plus importante. Après l’offensive républicaine, un message très clair de l’agence de notation S&P a été adressé au gouvernement : commencez les coupes, sinon la note des USA sera abaissée.

    Un tel plan d’assainissement serait catastrophique pour la classe ouvrière américaine. La période des stimuli n’a déjà pas pu éviter que, pour la quatrième année consécutive, un million de personnes aient été expulsées de leurs propres maisons aux USA. Le pays compte aujourd’hui au moins 24 millions de chômeurs. Divers Etats sont au bord de la faillite et doivent sabrer dans leurs budgets en fermant des parcs, des écoles, des hôpitaux, des bibliothèques, en limitant les salaires et les droits syndicaux des travailleurs, etc.

    Le plan d’assainissement pour lequel l’opposition républicaine se bat réduirait à néant le peu de pouvoir d’achat encore présent dans l’économie et ferait déborder la faible croissance poussée par le gouvernement vers une nouvelle période de récession. Mais Obama et les Démocrates ne sont pas non plus vierges de tout péché dans les Etats locaux et dans les assainissements antisociaux au niveau local. Ils appellent eux aussi à ‘travailler dur’ et à l’instauration d’assainissements brutaux. La lutte des travailleurs du Wisconsin illustre toutefois que la lutte de classe est de retour aux USA. Une nouvelle période de radicalisation a commencé. Un élément de cette lutte contre les assainissements est le combat pour le lancement d’un mouvement politique pour et par les salariés et les jeunes, un mouvement totalement indépendant des deux grands partis du capitalisme. Ce sont des partis dont on sait qu’ils ne se distinguent que par le rythme des attaques qu’ils proposent.

    La politique des assainissements en Europe conduit à plus de dettes et de récession économique

    Après pas moins de quatre plans d’assainissement sur les finances publiques, on s’attend à ce que la dette du gouvernement grec (de 130% avant les plans) continue de grimper jusqu’à 160 % ! L’économie s’est rétrécie de 4,5 % en 2010 et presque tout le monde commence à reconnaître qu’une restructuration de la dette grecque est inévitable. Les perspectives de l’économie irlandaise ne sont pas meilleures. La crise bancaire s’étend, ce qui fait que les injections financières représentent déjà 50 % du PIB irlandais. La dette totale de l’Etat et des banques représente 122.000 euros par salarié. En 2013, l’Irlande paierait annuellement 10 milliards pour les intérêts sur sa dette, plus que ce que le pays consacre à l’enseignement ! Le Portugal aussi a été contraint de faire appel au fonds de sauvetage de la Banque Centrale Européenne et du Fonds Monétaire International. Il n’y a pas d’espoir que ces pays puissent encore rompre la spirale de la dette.

    Les critiques sur la politique d’assainissement se développent. Dans le quotidien flamand De Tijd (du 19 avril), il est fait référence à ce qui vit parmi la population grecque : ‘‘On est dans un cercle vicieux. Nous ne pouvons pas sortir de la crise avec une politique qui nous jette encore davantage dans la récession.’’ C’est un sentiment général qui revient tant en Grèce, qu’en Irlande ou au Portugal. Les politiciens ne peuvent plus descendre dans les rues sans être physiquement attaqués.

    Ni l’Union Européenne, ni le FMI n’arrivent à échapper à la colère du peuple. Ils sont rejetés, à raison, comme les chiens de garde des intérêts des banques allemandes et françaises. Les banques allemandes sont présentes dans les dettes irlandaise, grecque et portugaise à hauteur de 386 milliards d’euros. Pour l’ensemble des banques de la zone euro, ce montant s’élève à 560 milliards d’euros ! La crainte d’une nouvelle crise bancaire est très importante. Les plans de sauvetage servent uniquement à sauvegarder ces investissements et à faire payer la population locale.

    Même là où l’on parle d’un rétablissement économique après la crise (sur base des exportations notamment vers la Chine), les travailleurs ne sont pas à l’abri. Le redressement économique peut bien avoir conduit au retour des profits, des bonus et des dividendes record, les salariés n’en profitent pas. Ces derniers ne connaissent qu’attaques contre leurs salaires, leurs retraites et leurs soins de santé.

    Rompre avec le système et lutter pour le socialisme

    La majorité de la population nourrit une méfiance très profonde envers les partis bourgeois. Dans un sondage européen, seuls 6 % des sondés ont déclaré avoir confiance dans leur gouvernement, 46 % peu confiance et 32 % aucune confiance. Seuls 9 % trouvent que les politiciens sont honnêtes…

    Cela ne signifie pas encore que les illusions dans le système ont disparu. Lors de la manifestation du 26 mars à Londres, trois sentiments étaient présents. Une minorité importante était convaincue que la société actuelle ne fonctionne pas et est prête à considérer des solutions socialistes. Une autre partie voulait lutter contre toutes les mesures d’austérité, mais une grande partie trouvait aussi que les assainissements étaient quand même inévitables. Ils espèrent que les efforts d’aujourd’hui rétabliront finalement l’économie. Quand cet espoir s’évapora, nous serons confrontés à une situation explosive.

    La période qui est devant nous, sera marquée par des changements brusques. L’autre côté de la médaille, en revanche, c’est le danger de la contre-révolution, la réaction face à l’action. Si la gauche ne réussit pas à offrir une alternative progressiste et socialiste au vide que ce système pourri a créé, la droite et l’extrême-droite le feront avec une rhétorique populiste jouant sur l’égoïsme au détriment des plus faibles.

    Le retour aux recettes réformistes de l’état-providence n’offre pas d’issue. Cela n’était possible qu’avec une conjoncture exceptionnelle, pas dans une situation de crise capitaliste mondiale comme aujourd’hui. La crise systémique requiert une alternative qui propose de rompre avec ce système. En Irlande, la population s’est d’abord trouvée dans une situation de choc, un tremblement de terre politique a suivi. Mais le nouveau gouvernement est la copie de l’ancien et les illusions disparaîtront comme neige au soleil.

    Avec Joe Higgins au parlement, les véritables socialistes disposent d’une énorme plate-forme pour mener une opposition socialiste. Joe et le Socialist Party (notre section-sœur irlandaise) ont saisi cette position pour mettre sur pied une unité à gauche, l’United Left Alliance, qui compte désormais cinq parlementaires.

    Ils se rendent compte que la classe ouvrière n’aura aucun autre choix que de lutter. Avec l’ULA, ils veulent anticiper cela pour que les salariés irlandais puissent compter sur un instrument politique qui défende leurs revendications au Parlement et qui se serve de cette plate-forme pour populariser à son tour ces revendications.

  • La “zone d’exclusion aérienne” et la gauche

    Les puissances impérialistes ont mis en place une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye afin de protéger leurs propres intérêts économiques et stratégiques et de restaurer leur prestige endommagé. Il est incroyable de voir que certaines personnes de la gauche marxiste soutiennent cette intervention militaire.

    Peter Taaffe – article paru dans Socialism Today, le magazine mensuel du Socialist Party (CIO – Angleterre et Pays de Galles)

    La guerre est la plus barbare de toutes les activités humaines, dotée comme elle l’est dans l’ère moderne de monstrueuses armes de destruction massive. Elle met aussi à nu la réalité des relations de classe, nationalement et internationalement, qui sont normalement obscurcies, cachées sous des couches d’hypocrisie et de turpitude morale des classe dirigeantes. Elle est l’épreuve ultime, au côté de la révolution, des idées et du programme, non seulement pour la bourgeoisie, mais égalemet pour le mouvement ouvrier et pour les différentes tendances en son sein.

    La guerre en cours en ce moment en Libye – car c’est bien de cela qu’il s’agit – illustre clairement ce phénomène. Le capitalisme et l’impérialisme, déguisés sous l’étiquette de l’“intervention militaire à but humanitaire” – totalement discréditée par le massacre en Irak – utilisent ce conflit pour tenter de reprendre la main. Pris par surprise par l’ampleur de la révolution en Tunisie et en Égypte – avec le renversement des soutiens fidèles de Moubarak et de Ben Ali – ils cherchent désespérément un levier afin de stopper ce processus et avec un peu de chance de lui faire faire marche arrière.

    C’est le même calcul qui se cache derrière le massacre sanglant au Bahreïn, perpétré par les troupes saoudiennes, avec un large contingent de mercenaires pakistanais et autres. Aucun commentaire n’est parvenu du gouvernement britannique quant aux révélations parues dans l’Observer au sujet d’escadrons de la mort – dirigés par des sunnites liés à la monarchie – et au sujet de la tentative délibérée d’encourager le sectarisme dans ce qui avait auparavant été un mouvement non-ethnique uni. Les slogans des premières manifestations bahreïniennes étaient : « Nous ne sommes pas chiites ni sunnites, mais nous sommes bahreïniens ».

    De même, les “dirigeants du Labour” – menés par le chef du New Labour Ed Miliband, qui a promis quelque chose de “différent” par rapport au régime précédent de Tony Blair – sont maintenant rentrés dans les rangs et soutiennent la politique de David Cameron en Libye et l’imposition de la zone d’exclusion aérienne. 

    Il est incroyable de constater que cette politique a été acceptée par certains à gauche, y compris quelques-uns qui se revendiquent du marxisme et du trotskisme. Parmi ceux-ci, il faut inclure Gilbert Achar, qui a écrit des livres sur le Moyen-Orient, et dont le soutien à la zone d’exclusion aérienne a au départ été publié sans aucune critique dans International Viewpoint, le site internet du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale (SUQI). Son point de vue a toutefois été répudié par le SUQI par après.

    Mais on ne peut par contre pas qualifier d’ambigüe la position de l’Alliance pour la liberté des travailleurs (Alliance for Workers’ Liberty, AWL). Les cris stridants de cette organisation, en particulier dans ses critiques d’autres forces de gauche, sont en proportion inverse de ses faibles forces et de son influence encore plus limitée au sein du mouvement ouvrier. L’AWL a même cité Leon Trotsky pour justifier l’intervention américaine avec la zone d’exclusion aérienne. Un de leurs titres était : « Libye : aucune illusion dans l’Occident, mais l’opposition “anti-intervention” revient à abandonner les rebelles » Un autre titre impayable était : « Pourquoi nous ne devrions pas dénoncer l’intervention en Libye » (Workers Liberty, 23 mars).

    Ces derniers exemples sont en opposition directe avec l’essence même du marxisme et du trotskisme. Celle-ci consiste à insuffler dans la classe ouvrière et dans ses organisations une indépendance de classe complète par rapport à toutes les tendances de l’opinion bourgeoise, et à prendre les actions qui en découlent. Ceci s’applique à toutes les questions, en particulier pendant une guerre, voire une guerre civile, ce dont le conflit libyen comporte clairement des éléments.

    Il n’y a rien progressiste, même de loin, dans la tentative des puissances impérialistes que sont le Royaume-Uni ou la France de mettre en place une zone d’exclusion aérienne. Les rebelles de Benghazi ne sont que menue monnaie au milieu de leurs calculs. Hier encore, ces “puissances” embrassaient Mouammar Kadhafi, lui fournissaient des armes, achetaient son pétrole et, via Tony Blair, visitaient sa “grande tente” dans le désert et l’accueillaient au sein de la “communauté internationale”. Ce terme est un complet abus de langage, tout comme l’est l’idée des Nations-Unies, utilisée à cette occasion en tant qu’écran derrière lequel cacher que l’intervention en Libye avait été préparée uniquement en faveur des intérêts de classe crus de l’impérialisme et du capitalisme.

    Il ne fait aucun doute qu’il y a des illusions parmi de nombreux jeunes et travailleurs idéalistes qui attendent de telles institutions qu’elles résolvent les problèmes que sont les guerres, les conflits, la misère, etc. Certains sont également motivés dans leur soutien à la zone d’exclusion aérienne parce qu’ils craignaient que la population de Benghazi serait massacrée par les forces de Kadhafi. Mais les Nations-Unies ne font que rallier les nations capitalistes, dominées de manière écrasante par les États-Unis, afin de les faire collaborer lorsque leurs intérêts coïncident, mais qui sont de même fort “désunis” lorsque ce n’est pas le cas. Les guéguerres de positionnement et les querelles entre les différentes puissances impérialistes quant à l’intervention libyenne illustre bien ceci.

    Éparpillement américain et incertitude

    Les révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont tout d’abord révélé l’incertitude – voire la paralysie – de la plus grande puissance impérialiste au monde, les États-Unis, quant à l’intervention adéquate. L’administration de Barack Obama a été forcée de tenter de se distinguer de la doctrine de George Bush d’un monde unipolaire dominé par l’impérialisme américain, avec son écrasante puissance militaire et économique. Les USA conservent toujours cet avantage militaire comparés à leurs rivaux, mais il est maintenant sapé par l’afaiblissement économique des États-Unis.

    Il y a aussi le problème de l’Afghanistan et la peur que cela ne mène à un éparpillement militaire. C’est ce qui a contraint Robert Gates, le secrétaire à la défense américain, à dès le départ déclarer son opposition – et, on suppose, celle de l’ensemble de l’état-major américain – par rapport à l’utilisation de troupes américaines terrestres où que ce soit ailleurs dans le monde. Il a aussi affirmé être “certain“ qu’Obama n’autoriserait aucune troupe au sol américaine à intervenir en Libye. Il a souligné cela lors de son interview où il se déclarait “dubitatif par rapport aux capacités des rebelles”, décrivant l’opposition comme n’étant en réalité rien de plus qu’un groupe disparate de factions et sans aucun véritable “commandemet, contrôle et organisation”. (The Observer du 3 avril).

    Obama, a sur le champ cherché à formuler une nouvelle doctrine diplomatique militaire, en ligne avec la nouvelle position des États-Unis sur le plan mondial. Il a tenté de faire une distinction entre les intérêts “vitaux” et “non-vitaux” de l’impérialisme américain. Dans les cas “vitaux”, les États-Unis agiront de manière unilatérale si la situation le requiert. Cependant les États-Unis, a-t-il proclamé de manière arrogante, ne sont plus le “gendarme du monde”, mais agiront dans le futur en tant que “chef de la gendarmerie” mondiale. Ceci semble signifier que les États-Unis accorderont leur soutien et seront formellement à la tête d’une “coalition multilatérale” tant que cela ne signifie pas le déploiement effectif et automatique des troupes.

    Malgré cela, la pression qui s’est effectuée pour empêcher un “bain de sang” a obligé Obama à signer une lettre publique avec Nicolas Sarkozy et Cameron, déclarant que ce serait une “trahison outrageuse” si Kadhafi restait en place et que les rebelles demeuraient à sa merci. La Libye, ont-ils déclaré, menace de devenir un “État déchu”. Ceci semble jeter les bases pour un nouveau saut périlleux, en particulier de la part d’Obama, qui verra l’emploi de troupes terrestres si nécessaire. Lorsqu’il a été incapable d’intervenir directement, à cause de l’opposition domestique par exemple, l’impérialisme n’a pas hésité à engager des mercenaires pour renverser un régime qui n’avait pas sa faveur ou pour contrecarrer une révolution. Telle était la politique de l’administration Ronald Reagan lorsqu’elle a employé des bandits soudards, les Contras, contre la révolution nicaraguayenne.

    L’impérialisme a été forcé dans la dernière intervention par le fait que Kadhafi semblait sur le point de gagner ou, en tous cas, d’avoir assez de force militaire et de soutien résiduel pour pouvoir éviter une complète défaite militaire, à moins d’une invasion terrestre. Les rebelles ne tiennent que l’Est, et encore, une partie seulement. L’Ouest, dans lequel vivent les deux tiers de la population, est toujours en grande partie contrôlé par Kadhafi et par ses forces. Ce contrôle n’est pas uniquement dû à un soutien populaire par rapport au régime. Ses forces possèdent la plupart des armes, y compris des armes lourdes, des tanks, etc. Il a toujours surveillé l’armée régulière de peur qu’un coup d’État n’en provienne. Patrick Cockburn a écrit dans The Independant du 17 avril : « L’absence d’une armée professionnelle en Libye signifie que les rebelles ont dû se fier à de vieux soldats à la retraite depuis longtemps pour entraîner leurs nouvelles recrues». Kadhafi est aussi capable d’attirer un soutien de la part des tribus, de même que du capital politique qu’il a accumulé pour son régime grâce au bon niveau de vie en Libye (avant le conflit) par rapport aux autres pays de la région.

    La révolution espagnole

    De nombreux partisans de la zone d’exclusion aérienne ont pris cette position en supposant que l’impérialisme ne serait pas capable d’aller plus loin que ça. Mais que feront-ils si, comme on ne peut l’exclure, des troupes au sol sous une forme ou une autre sont déployées avec la complicité des puissances impérialistes que sont les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ?

    Lors du débat à la Chambre des Communes (House of Commons) du 21 mars, Miliband (le nouveau chef du Parti travailliste) a accordé un soutien enthousiaste pour l’action militaire de Cameron. Voilà encore une nouvelle confirmation de la dégénerescence politique du Labour Party, qui d’un parti à base ouvrière, est devenu une formation bourgeoise. Les rédacteurs de la classe capitaliste reconnaissent eux aussi platement cette réalité : « Il fut un temps où le Labour party était le bras politique de la classe ouvrière organisée. Tous les trois principaux partis constituent maintenant le bras politique de la classe capitaliste organisée. Ce phénomène n’est pas propre à la Grande-Bretagne. Presque chaque démocratie avancée, surtout les États-Unis, lutte pour contrôler le monde des affaires » (Peter Wilby, The Guardian du 12 avril).

    Comparez seulement la position du dirigeant “travailliste” actuel avec celle de son prédécesseur Harold Wilson au moment de la guerre du Vietnam. Au grand regret de Lyndon Johnson, le président américain de l’époque, Wilson – bien qu’il n’aurait pas été contre l’idée de soutenir des actions militaires à l’étranger s’il avait cru pouvoir s’en tirer après coup – a refusé d’impliquer les troupes britanniques. Toute autre décision aurait provoqué une scission du Labour de haut en bas, ce qui aurait probablement mené à sa démission. En d’autres termes, il avait été forcé par la pression de la base du Labour et des syndicats à refuser de soutenir l’action militaire de l’impérialisme américain.

    Aujourd’hui Miliband soutient Cameron, en provoquant à peine un froncement de sourcils de la part des députés Labour ou de la “base”. Il a invoqué le cas de l’Espagne pendant la guerre civile afin de justifier le soutien au gouvernement, déclarant ceci : « En 1936, un politicien espagnol est venu au Royaume-Uni afin de plaider notre soutien face au fascisme violent du général Franco, disant “Nous nous battons avec des bâtons et des couteaux contre des tanks, des avions et des fusils, et cela révolte la conscience du monde qu’un tel fait soit vrai” » (Hansard, 21 mars).

    Le parallèle avec l’Espagne est entièrement faux. C’était alors une véritable révolution des travailleurs et des paysans pauvres qui se déroulait, avec la création (tout au moins au cours de la période initiale après juillet 1936) d’un véritable pouvoir ouvrier, de comités de masse et avec l’occupation des terres et des usines. L’Espagne était confrontée à une révolution sociale. Cette révolution a surtout été vaincue non pas par les forces fascistes de Franco, mais par la politique erronnée de la bourgeoisie républicaine qui a fait dérailler la révolution, aidée et soutenue par le Parti communiste sous les ordres de Staline et de la bureaucratie russe. Ceux-ci craignaient à juste titre que le triomphe de la révolution espagnole ne soit le signal de leur propre renversement.

    Dans une telle situation, la classe ouvrière du monde entier se rassemblait pour soutenir la revendication d’envoyer des armes à l’Espagne. Alors l’impérialisme, et en particulier les puissances franco-anglaises, ont tout fait pour empêcher l’armement des travailleurs espagnols. Pourtant, le député Tory Bill Cash était entièrement d’accord avec Miliband pour affirmer qu’il y a en effet “un parallèle avec ce qui s’est passé en 1936”, et soutenait donc “l’armement de ceux qui résistent contre Kadhafi” à Benghazi. Cela n’est-il pas un indicateur de la nature politique de la direction actuelle à Benghazi et à l’Est, qui inclut d’anciens partisans de Kadhafi tels que l’ancien chef des forces spéciales Abdoul Fattah Younis ? Si la tendance au départ à Benghazi (des comités de masse avec la participation de la classe ouvrière) s’était maintenue, il n’y aurait maintenant pas la moindre question d’un soutien de la part des Tories de droite ! Miliband a donné une nouvelle justification pour son soutien de la zone d’exclusion aérienne : « Il y a un consensus international, une cause juste et une mission faisable… Sommes-nous réellement en train de dire que nous devrions être un pays qui reste sur le côté sans rien faire ? »

    Aucune force de gauche sérieuse ne peut prôner une politique d’abstention lorsque des travailleurs sont soumis aux attaques meurtrières d’un dictateur brutal tel que Kadhafi. Il est clair qu’il fallait donner un soutien politique à la population de Benghazi lorsqu’elle a éjecté les forces de Kadhafi de la ville par une insurrection révolutionnaire – et ceci était la position du CIO dès le départ. Voilà une réponse suffisante pour ceux qui cherchent à justifier le soutien à l’intervention militaire de l’extérieur, sur base du fait que la population de Benghazi était sans défense. Les mêmes personnes ont utilisé les mêmes arguments au sujet de l’impuissance du peuple irakien qui se trouvait sous l’emprise d’un dictateur brutal pour justifier le bombardement puis l’invasion de l’Irak, avec les résultats criminels que nous voyons à présent. Mais cet argument a été mis en pièces par les révoltes des populations tunisienne et égyptienne qui ont écrasé les dictatures, sous leurs puissants millions.

    Les gens de Benghazi ont déjà vaincu les forces de Kadhafi une fois. Cela a été réalisé lorsque des méthodes révolutionnaires ou semi-révolutionnaires ont été employées. Ces méthodes semblent maintenant avoir été reléguées à l’arrière-plan par des forces bourgeoises et petites-bourgeoises qui ont mis de côté les forces véritablement révolutionnaires. Sur base de comités ouvriers de masse, une véritable armée révolutionnaire – plutôt que le ramassis de soudards qui soutient le soi-disant “gouvernement provisoire” – aurait pu être mobilisée afin de capturer toutes les villes de l’Est et d’adresser un appel révolutionnaire aux habitants de l’Ouest, et en particulier à ceux de la capitale, Tripoli.

    Il y a dans l’Histoire de nombreux exemples victorieux d’une telle approche, en particulier dans la révolution espagnole à laquelle Miliband se réfère mais qu’il ne comprend pas. Par exemple, après que les travailleurs de Barcelone aient écrasé l’insurrection fasciste de Franco en juillet 1936, José Buenaventura Durruti a formé une armée révolutionnaire qui a marché à travers la Catalogne et l’Aragon jusqu’aux portes de Madrid. Ce faisant, il a placé les quatre-cinquièmes de l’Espagne entre les mains de la classe ouvrière et de la paysannerie. C’était bel et bien une guerre “juste” de la part des masses qui défendaient la démocratie tout en luttant pour une nouvelle société socialiste, plus humaine. En outre, cette guerre bénéficiait d’un réel soutien international de la part de la classe ouvrière européenne et mondiale. Les critères utilisés par Miliband pour décider de ce qui est “juste” ou pas se situent dans le cadre du capitalisme et de ce qui est mieux pour ce système, et non pas pour les intérêts des travailleurs qui se trouvent dans une relation opposée et antagoniste par rapport à ce système, et de plus et plus aujourd’hui.

    Le “deux poids, deux mesures” des puissances occidentales

    Notre critère pour mesurer ce qui est juste et progressiste, y compris dans le cas de guerres, est de savoir dans quelle mesure tel ou tel événement renforce ou non les masses ouvrières, accroit leur puissance, leur conscience, etc. Tout ce qui freine cette force est rétrograde. L’intervention impérialiste capitaliste, y compris la zone d’exclusion aérienne, même si elle devait parvenir à ses objectifs, ne va pas renforcer le pouvoir de la classe ouvrière, ne va pas accroitre sa conscience de sa propre puissance, ne va pas la mener à se percevoir et à percevoir ses organisations comme étant le seul et véritable outil capable d’accomplir ses objectifs. Au lieu de ça, l’intervention attire l’attention des travailleurs de l’Est vers une force de “libération” venue de l’extérieur, abaissant ainsi le niveau de conscience des travailleurs de leur propre puissance potentielle.

    Comme l’ont fait remarquer même les députés Tory lors du débat à la Chambre des Communes, Miliband semble complètement adhérer à la “doctrine Blair” – une intervention militaire soi-disant humanitaire en provenance de l’extérieur – dont il avait pourtant semblé se distancier lorsqu’il avait été élu dirigeant du Labour. Ceci revient à justifier les arguments de Blair comme ceux de Cameron concernant le où et quand intervenir dans le monde. Miliband s’est rabattu sur la vague affirmation suivante : « L’argument selon lequel parce que nous ne pouvons pas faire n’importe quoi, alors nous ne pouvons rien faire, est un mauvais argument ». “Nous” (c’est-à-dire l’impérialisme et le capitalisme) ne pouvons pas intervenir contre la dictature en Birmanie, ne pouvons pas hausser “notre” ton contre les attaques meurtrières de la classe dirigeante israélienne contre les Palestiniens de Gaza. “Nous” sommes muets face aux régimes criminels d’Arabie saoudite et du Bahreïn. Néanmoins, il est “juste” de “nous” opposer à Kadhafi – même si “nous” le serrions encore dans “nos” bras pas plus tard que hier – et d’utiliser “notre” force aérienne (pour le moment) contre lui et son régime.

    C’est le journal “libéral” The Observer qui a fait la meilleure description de l’approche hypocrite arbitraire du capitalisme : « Pourquoi ce régime du Golfe (le Bahreïn) a-t-il le bénéfice du doute alors que d’autres dirigeants arabes n’y ont pas droit ? Il est clair qu’il n’est pas question d’intervenir au Bahreïn ou dans tout autre État où les mouvements de protestation sont en train d’être réprimés. L’implication en Libye ne laisse aucun appétit pour le moindre soutien actif, diplomatique ou militaire, pour les autres rébellions. S’il fallait choisir de n’attaquer qu’un seul méchant dans l’ensemble de la région, alors le colonel Kadhafi était certainement le meilleur candidat. » (The Observer du 17 avril)

    Ce qui est par contre entièrement absent de cette argumentation, ce sont les véritables raisons derrière l’intervention en Libye, qui sont les intérêts matériels du capitalisme et de l’internationalisme, pour le pétrole avant tout – la Libye comporte quelques-unes des plus grandes réserves de toute l’Afrique. Certains ont nié cet argument – ils ont dit la même chose à propos de l’Irak. « La théorie de la conspiration pour le pétrole … est une des plus absurdes qui soit » affirmait Blair le 6 février 2003. Aujourd’hui, The Independant (19 avril) a publié un mémorandum secret de l’Office des affaires étrangères datant du 13 novembre 2002, à la suite d’une rencontre avec le géant pétrolier BP : « L’Irak comporte les meilleures perspectives pétrolières. BP meurt d’envie de s’y installer ».

    Un soutien honteux pour l’intervention militaire

    Tandis que la position de Miliband et de ses comparses n’est guère surprenante étant donné l’évolution droitière des ex-partis ouvriers et de leurs dirigeants, on ne peut en dire de même de ceux qui prétendent s’inscrire dans la tradition marxiste et trotskiste. Sean Matgamna de l’AWL cite même Trotsky pour justifier son soutien à l’intervention militaire en Libye : « Un individu, un groupe, un parti ou une classe qui reste “objectivement” à se curer le nez tout en regardant des hommes ivres de sang massacrer des personnes sans défense, est condamné par l’Histoire à se putréfier et à être dévoré vivant par les vers ». Dans ce passage tiré des écrits de Trotsky sur la guerre des Balkans avant la Première Guerre mondiale, celui-ci dénonce les porte-paroles du capitalisme libéral russe qui restaient silencieux face aux atrocités commises par la Serbie et la Bulgarie à l’encontre des autres nationalités.

    Il ne justifiait pas le moins du monde le moindre soutien en faveur des dirigeants d’une nation contre l’autre. Cela est clair à la lecture de la suite de ce passage, que Matgamna ne cite pas : « D’un autre côté, un parti ou une classe qui se dresse contre chaque acte abominable où qu’il se produise, aussi vigoureusement et décidément qu’un organisme réagit pour protéger ses yeux lorsqu’ils sont menacés par une blessure externe – un tel parti ou classe est pur de cœur. Le fait de protester contre les outrages dans les Balkans purifie l’atmosphère sociale dans notre propre pays, élève le niveau de conscience morale parmi notre propre population… Par conséquent, une opposition obstinée contre les atrocités ne sert pas seulement l’objectif d’autodéfense morale au niveau de l’individu ou du parti, mais également l’objectif de sauvegarde politique de notre peuple contre l’aventurisme caché sous l’étendard de la “libération”. »

    Le dernier point de cette citation ne peut être à tout le moins compris qu’allant à l’encontre de la position de l’AWL, qui soutient l’intervention impérialiste cachée sous l’étendard trompeur de la “libération”. Et pourtant, nous trouvons ici l’affirmation surprenante selon laquelle : « La soi-disant gauche s’emmêle encore une fois dans un faux dilemme politique : la croyance selon laquelle il est obligatoire de s’opposer de manière criarde à l’“intervention libérale” franco-britannique en Libye au sujet de chacun de ses actes (ou au moins de chacun de ses actes militaires), sans quoi cela reviendrait à lui accorder un soutien général. En fait, ce dilemme n’est que de leur propre invention ». Tentant de trouver la quadrature du cercle, Matgamna ajoute ensuite que : « Bien entendu, les socialistes n’accordent aucun soutien aux gouvernements et aux capitalistes au pouvoir au Royaume-Uni, en France et aux États-Unis, ni aux Nations-Unies, ni en Libye, ni nulle part ailleurs ».

    Même un enfant de dix ans se rendrait compte que le fait de soutenir la moindre forme d’action militaire est une forme de “soutien politique actif”. L’AWL prétend pouvoir nettement séparer le soutien pour ce type d’action des perspectives plus globales concernant les puissances qui entreprennent ce type d’action. Mais elle agit dans la pratique comme un défenseur de la France et du Royaume-Uni : « L’ONU, se servant du Royaume-Uni et de la France, a fixé des objectifs très limités en Libye. Il n’y a aucune raison de croire que les “Grandes Puissances” veulent occuper la Libye ou sont occupées à quoi que ce soit d’autre que d’effectuer une opération de police internationale limitée sur ce qu’elles perçoivent comme constituant la “frontière sud” de l’Europe ». L’AWL ajoute même gratuitement que : « Les âpres leçons du bourbier iraqien sont encore très vives dans la mémoire de ces puissances ». Et poursuit avec ceci : « Au nom de quelle alternative devrions-nous leur dire de ne pas utiliser leur force aérienne pour empêcher Kadhafi de massacrer un nombre incalculable de ses propres sujets ? Voilà quelle est la question décisive dans de telles situations ». Et quiconque ne s’aligne pas sur ce non-sens est selon l’AWL un pacifiste incorrigible.

    Pour montrer à quel point ces annonciateurs “trotskistes” sont éloignés de la réelle position de Trotsky par rapport à la guerre, regardons sa position au cours de la guerre civile espagnole concernant la question du budget militaire du gouvernement républicain. Max Shachtman, qui était en ce temps un de ses partisans, s’est opposé à Trotsky qui défendait en 1937 le fait que : « Si nous avions un membre dans le Cortes [le parlement espagnol], nous voterions contre le budget militaire de Negrin ». Trotsky a écrit que l’opposition de Shachtman à sa position « m’a étonné. Shachtman était prêt à exprimer sa confiance dans le perfide gouvernement Negrin ».

    Il a plus tard expliqué que : « Le fait de voter en faveur du budget militaire du gouvernement Negrin revient à lui donner un vote de confiance politique… Le faire serait un crime. Comment expliquer notre vote aux travailleurs anarchistes ? Très simplement : Nous n’accordons pas la moindre confiance en la capacité de ce gouvernement à diriger la guerre et à assurer la victoire. Nous accusons ce gouvernement de protéger les riches et d’affamer les pauvres. Ce gouvernement doit être broyé. Tant que nous ne serons pas assez forts que pour le remplacer, nous nous battrons sous son commandement. Mais en toute occasion, nous exprimerons ouvertement notre méfiance à son égard : voici la seule possibilité de mobiliser les masses politiquement contre ce gouvernement et de préparer son renversement. Toute autre politique constituerait une trahison de la révolution » (Trotsky, D’une égratignure au risque de gangrène, 24 janvier 1940). Imaginons maintenant à quel point Trotsky dénoncerait le soutien honteux de l’AWL à l’intervention impérialiste en Libye aujourd’hui.

    Une position de classe indépendante

    On reste sans voix devant le fait que l’AWL, avec son apologie de l’intervention impérialiste, prétende défendre par-là une “politique ouvrière indépendante”. Mais il n’y a pas le moindre atome de position indépendante de classe dans son approche. Nous nous opposons à l’intervention militaire, tout comme s’y sont opposées les masses de Benghazi au cours de la première période. Les slogans sur les murs proclamaient en anglais : « Non à l’intervention étrangère, les Libyens peuvent se débrouiller par eux-mêmes ». En d’autres termes, les masse avaient un instinct de classe bien plus solide, une suspicion par rapport à toute intervention militaire extérieure, en particulier par les puissances qui dominaient autrefois la région – le Royaume-Uni et la France. Elles craignaient à juste titre que la zone d’exclusion aérienne, malgré les grands discours proclamant le contraire, ne mènent à une invasion, comme cela a été le cas en Irak.

    Cela signifie-t-il que nous nous contentons de rester au niveau de slogans généraux, que nous restons passifs face à l’éventuelle attaque de Kadhafi sur Benghazi ? Non. Mais dans une telle situation, nous insistons sur la nécessité d’une politique de classe indépendante, sur le fait que les masses ne doivent avoir confiance qu’en leur propre force, et ne pas accorder le moindre crédit à l’idée que l’impérialisme agit pour le bien des masses. Il est tout à fait vrai que nous ne pouvons en aucun cas répondre à l’argument du massacre potentiel par des affirmations du style : “La triste réalité est que les massacres sont une caractéristique chronique du capitalisme. La gauche révolutionnaire est, hélas trop faible pour les empêcher » (Alex Callinicos, un des dirigeants du SWP britannique).

    Les forces du marxisme peuvent être physiquement trop faibles pour empêcher des massacres – comme dans le cas du Rwanda par exemple. Nous sommes néanmoins obligés de défendre le fait que le mouvement ouvrier large adopte la position la plus efficace afin de défendre et de renforcer le pouvoir et l’influence de la classe ouvrière dans toute situation donnée. Par exempe, en Irlande du Nord en 1969, les partisans de Militant (prédécesseur du Socialist Party) se sont opposés à l’arrivée des troupes britanniques pour “défendre” les zones catholiques nationalistes de Belfast et de Derry contre l’attaque meurtrière des milices B-specials à prédominance loyaliste. Le SWP, bien qu’il l’ait plus tard nié, soutenait le débarquement des troupes britanniques. Lorsque les troupes sont arrivées, elles ont protégé ces zones des attaques loyalistes et ont été accueillies en tant que “défenseurs”. Mais, comme nous l’avions prédit, à partir d’un certain point ces troupes se transformeraient en leur contraire et commenceraient à être perçues comme une force de répression contre la minorité catholique nationaliste. Et c’est exactement ce qui s’est passé.

    Toutefois, confrontés au massacre potentiel de la population catholique, nous n’avons pas adopté une position “neutre” ou passive. Dans notre journal Militant de septembre 1969, nous appelions à la création d’une force de défense unitaire ouvrière, au retrait des troupes britanniques, au démantèlement de la milice B-specials, à la fin des discriminations, à la création d’emplois, de logements, d’écoles, etc. pour tous les travailleurs. En d’autres termes, nous étions donc en faveur d’une unité de classe et pour que les travailleurs se basent sur leurs propres forces et non pas sur celles de l’État capitaliste. Une approche similaire, basée sur l’indépendance de classe la plus complète, et adaptée au contexte concret de la Libye et du reste de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, est la seule capable de mener à la victoire de la lutte des travailleurs dans une situation aussi compliquée.

    Nous ne pouvons suivre Achar non plus, lorsqu’il dit : « Selon ma conception de la gauche, quiconque prétend appartenir à la gauche ne peut tout bonnement ignorer la demande de protection émanant d’un mouvement populaire, même de la part des ripoux impérialistes, lorsque le type de protection demandé n’en est pas un par lequel le contrôle sur leur pays peut être exercé. Aucune force progressiste ne peut se contenter d’ignorer la demande de protection provenant des rangs des insurgés ».

    Il est erroné d’identifier “les insurgés”, qui provenaient au départ d’un authentique mouvement de masse – comme nous l’avons fait observer – à leur direction actuelle, bourrée d’éléments bourgeois et pro-bourgeois, y compris de renégats en provenance du régime de Kadhafi. Qui plus est, il est entièrement faux – comme certains l’ont fait – de comparer l’acceptation de la part de Lénine de nourriture et d’armes fournies par une puissance impérialiste pour en repousser une autre, sans aucune condition militaire ou politique liée, à un soutien à la zone d’exclusion aérienne. La question pour les marxistes n’est pas de ce qui est fait, mais de qui le fait, comment et pourquoi.

    Défendre la révolution

    Au final, l’objectif de l’intervention impérialiste est de sauvegarder sa puissance, son prestige et son revenu de la menace de la révolution qui se développe dans la région. Comme l’a bien expliqué un porte-parole de l’administration Obama, la principale source d’inquiétude n’est pas ce qui se passe en Libye, mais bien les conséquences que cela pourrait avoir en Arabie saoudite et dans les États du Golfe, où sont concentrées la plupart des réserves pétrolières desquelles dépend le capitalisme mondial. Les impérialistes considèrent une intervention victorieuse en Libye comme étant un rempart contre toute menace de révolution dans ces États et dans l’ensemble de la région. Ils sont aussi inquiets de l’influence régionale de l’Iran, qui s’est énormément accrue en conséquence de la guerre d’Irak.

    La situation en Libye est extrêmement fluide. La manière dont se résoudra le conflit actuel est incertaine. En ce moment, il semble que cela se termine par une impasse, dans laquelle ni Kadhafi ni les rebelles ne sont capables de porter un coup décisif pour s’assurer la victoire dans ce qui est à présent une guerre civile prolongée. Ceci pourrait mener à une réelle partition du pays, ce qui est déjà le cas dans les faits. Dans cette situation, toutes les divisions tribales latentes – qui étaient en partie tenues en échec par la terreur du régime Kadhafi – pourraient remonter à la surface, créant une nouvelle Somalie au beau milieu de l’Afrique du Nord, avec toute l’instabilité que cela signifie, en particulier en ce qui concerne la lutte pour les réserves de pétrole de la Libye. D’un autre côté, l’impérialisme cherche désespérément à éviter de donner l’impression que Kadhafi ait obtenu une victoire partielle dans cette lutte, ce qui renforcerait la perception d’impuissance des puissances impérialistes à pouvoir décider de l’issue des événements.

    Mais la responsabilité du mouvement ouvrier au Royaume-Uni et dans le monde est claire : opposition absolue à toute intervention impérialiste ! Que le peuple libyen décide de son propre destin ! Soutien maximum de la part de la classe ouvrière et du mouvement ouvrier mondial aux véritables forces de libération nationale et sociale en Libye et ailleurs dans la région, y compris sous la forme d’un approvisionnement en nourriture et en armes !

    L’impérialisme ne sera pas capable d’arrêter la marche en avant de la révolution en Afrique du Nord et dans le Moyen-Orient. Certes, comme le CIO l’avait prédit, il existe une grande déception parmi les masses, qui estiment que les fruits de leurs victoires contre Moubarak et Ben Ali ont jusqu’ici été volées par les régimes qui les ont remplacés. L’appareil de sécurité et la machine d’État tant haïs qui existaient auparavant demeurent largement intacts, malgré les puissantes convulsions de la révolution. Mais ceux-ci sont en train d’être combattus par des mouvements de masse.

    Les révolutions tiennent bon, et des millions de gens ont appris énormément de choses au cours du mouvement. Espérons que leurs conclusions mèneront à un renforcement de la classe ouvrière et au développement d’une politique de classe indépendant. Un tel renforcement serait symbolisé par le développement par les travailleurs de leurs propres organisations, de nouveaux et puissants syndicats et partis ouvriers, avec l’objectif de la transformation socialiste de la société, accompagnée par la démocratie en Libye et dans l’ensemble de la région.

  • La politique de Sarko et du gouvernement c’est misère, guerre, danger nucléaire, racisme : Il faut qu’ils dégagent !

    Le 26 Mai se tient à Deauville le G8, le sommet des 8 chefs d’états les plus puissants du monde. Ce sommet est l’image parfaite de la société capitaliste, 8 dirigeants s’accordant pour les intérêts d’une minorité au mépris de millions de travailleurs et de jeunes. Voici ci-dessous le tract de nos camarades français. Le PSL et EGA participeront égalment aux mobilisations, si vous voulez y participer avec nous, contactez nous au 02/345.61.81 ou au 0485/05.86.39.

    Tract de la Gauche Révolutionnaire (CIO-France)

    Depuis le début de la crise capitaliste, les banques, les patrons et autres spéculateurs ont reçu des sommes d’argent astronomiques soit-disant pour éviter la faillite et sauver l’économie. 3 ans plus tard on voit le résultat : les 40 plus grandes entreprises françaises annoncent 84 milliards d’euros de profit alors que les travailleurs et les jeunes sont massivement touchés par cette crise. Les prix ne cessent d’augmenter, le chômage en France est à plus de 10%, chez les jeunes à plus de 25% ! Tout ce qui nous attend à la sortie des études c’est du chômage ou des petits boulots à contrat précaire, et cela en France comme dans toute l’Europe. Tout ce que Sarkozy a à proposer : réduire l’impôt sur les grandes fortunes et multiplier les déclarations racistes pour diviser les travailleurs ! Ras le bol de sa politique au service des riches !

    La planète ou le capitalisme : pour préserver l’un il faut détruire l’autre !

    Ce système est aussi responsable de la catastrophe écologique qui a lieu au Japon. Le secteur de l’énergie représentant un marché juteux, source de profits, les capitalistes sont prêts à construire des centrales nucléaires comme celle de Fukushima sur des failles sismiques. Pour la nationalisation du secteur de l’énergie !

    Tant que la logique reste celle de faire toujours plus de profits, impossible de produire de manière propre et durable l’énergie dont la société a besoin. C’est seulement par la gestion de la production de l’énergie par les travailleurs eux mêmes, pour les besoins de la société, qu’on pourrait éviter que ce genre de catastrophe se reproduise.

    Non à la guerre ! Non aux interventions impérialistes !

    Sous ce système la guerre est une manière comme une autre pour faire encore plus de profits. Que ce soit en Libye, en Côte d’Ivoire ou en Afghanistan l’intervention des troupes a pour seul but de s’implanter dans la région pour avoir des matières premières à bas prix et signer des contrats juteux pour les capitalistes. Ailleurs, ils continuent de soutenir des dictatures. Résultat dans les deux cas : des milliers de morts, des gens chassés de chez eux, plongés dans la misère… Tout ce fric utilisé dans la guerre pourrait être utilisé pour les services sociaux, comme la santé ou l’éducation, mais évidemment ils s’en fichent ! Du fric pour les services publics pas pour la guerre !

    Le 26 Mai se tient à Deauville le G8, le sommet des 8 chefs d’états les plus puissants du monde. Ce sommet est l’image parfaite de la société capitaliste, 8 dirigeants s’accordant pour les intérêts d’une minorité au mépris de millions de travailleurs et de jeunes.

    Non au G8 !

    Les capitalistes sont les seuls responsables de la crise, de la guerre et des accidents nucléaires, et pour répondre complètement à ces questions c’est tout le système capitaliste qu’il faut remettre en cause.

    Comment faire ? Les travailleurs et les jeunes d’Afrique du nord et du Moyen-Orient ont montré la voie: tous ensemble nous sommes plus fort que les gouvernements et les patrons. Il faut un mouvement de masse révolutionnaire. Soyons le plus nombreux possible à la manif contre le G8 pour dire : qu’ils dégagent tous et leur système capitaliste avec !

    C’est ce que la Gauche Révolutionnaire défend. A la place de ce système nous luttons pour une société socialiste, une société dans laquelle l’économie n’est plus aux mains d’une minorité de gros riches, mais est une propriété publique, gérée collectivement par les travailleurs et les jeunes eux mêmes, permettant ainsi de satisfaire les besoins de tous.

    Il faut s’organiser contre le G8 et les capitalistes !

  • Comment Gustave Dache réécrit l’histoire de la grève de 60-61

    Suite à la publication du livre de Gustave Dache sur la grève générale de 60-61, la LCR avait fait une critique de l’ouvrage sur son site. Voici cette réponse de la LCR et dans les liens ci-dessous celle de Gustave dache.

    Par A. Henry, L. Perpette, G. Leclercq, G. Dobbeleer le Mardi, 30 Novembre 2010

    Comment Ernest Mandel a empêché la victoire de la révolution socialiste en 60-61» : tel devrait être le titre du livre que Gustave Dache, militant ouvrier et vétéran carolo de la grève du siècle, a intitulé « La grève générale révolutionnaire et insurrectionnelle de 60-61 ».(1) Dache y défend l’idée que la Belgique connut à cette période une situation ouvertement révolutionnaire au cours de laquelle la classe ouvrière fut à deux doigts de s’emparer du pouvoir politique par une insurrection. L’échec, selon Dache, est dû au fait que les travailleurs furent trahis par leurs directions traditionnelles ainsi que par la gauche renardiste au sein de la FGTB, qui dévia le combat vers le fédéralisme.

    Mais le livre constitue avant tout une dénonciation extrêmement violente d’Ernest Mandel et de ses partisans qui, à l’époque, pratiquaient « l’entrisme » dans la social-démocratie. Pour Dache, la révolution aurait triomphé si « le groupe Mandel » avait été révolutionnaire en pratique ; or, selon lui, il s’est avéré qu’il ne l’était qu’en théorie. Chapitre après chapitre, l’auteur martèle que « les mandélistes » ne sont en vérité et par essence que des « capitulards », des « liquidationnistes », des « réformistes », des « pseudo marxistes », de « faux trotskistes », des « suivistes » et des « opportunistes » visant pour la plupart à « faire carrière ». Ces accusations sont grotesques mais on connaît l’adage : « calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ».

    Gustave Dache ayant trouvé le moyen de faire imprimer ce qu’il répète sans succès depuis 50 ans, nous sommes bien obligés de mettre un certain nombre de choses au point par écrit. Nous ne serons pas exhaustifs, cela nous entraînerait trop loin, tant l’ouvrage fourmille d’inexactitudes, de demi-vérités et de mensonges purs et simples (un chapitre entier est carrément repris d’un auteur lambertiste de l’époque, spécialiste du genre). Au-delà des querelles d’anciens combattants, notre souci est de donner une image correcte de ce que furent la grève du siècle et l’intervention de la section belge de la Quatrième Internationale dans cet événement. Car une conscience anticapitaliste se construit sur une interprétation juste des faits historiques, pas sur des mythes, des caricatures et des insultes.

    1. La Belgique connut-elle une situation révolutionnaire et insurrectionnelle au cours de l’hiver 60-61 ?

    Gustave Dache répond sans hésiter : « oui ». Nous ne partageons pas cette appréciation. Rappelons que, pour Lénine, une situation est révolutionnaire lorsque trois conditions sont remplies simultanément : 1°) ceux d’en bas ne veulent plus être gouvernés comme avant ; 2°) ceux d’en haut n’en sont plus capables ; 3°) les classes moyennes hésitent entre les deux camps. La deuxième condition n’a jamais été remplie en 60-61. La classe dominante resta unie et déterminée, elle ne perdit jamais le contrôle de la situation et fut loin d’épuiser toutes ses cartouches. La Belgique de 60-61 ne connut même pas une vacance temporaire du pouvoir, comme lors du Mai 68 français, quand De Gaulle disparut en Allemagne pour consulter ses généraux. Après cinq semaines, les travailleurs reprirent le travail sans avoir été battus, le gouvernement Eyskens tomba en avril, et le PSB, revenu au pouvoir, appliqua la « Loi Unique » par morceaux. Gustave Dache ne conteste pas cet enchaînement des faits. Or, celui-ci conduit à s’interroger aussi sur la première des trois conditions citées par Lénine.

    Il ne s’agit pas de minimiser la portée de 60-61 mais de prendre la juste mesure de l’événement. En effet, si la majorité des travailleurs était invaincue et avait vraiment perdu toute illusion sur la social-démocratie au cours de la grève, comment expliquer qu’elle ne soit pas repartie au combat quelques mois plus tard? La classe ouvrière aurait-elle été écrasée entre-temps ? Historiquement, les situations révolutionnaires qui n’ont pas débouché sur la prise du pouvoir par les travailleurs ont toujours et nécessairement abouti à la victoire de la contre-révolution, c’est à dire à l’écrasement du mouvement ouvrier organisé. Où Dache voit-il un tel écrasement dans la période qui a suivi la grève ? Quand et comment la situation révolutionnaire prétendument ouverte par la grève générale s’est-elle refermée ?

    Ici, une clarification s’impose. Dans sa préface au livre de G. Dache, Eric Byl, dirigeant du PSL, parle des « six grèves générales » qui auraient eu lieu en Grèce au cours des premiers mois de cette année… A cette aune, on comprend que 60-61 constitue pour lui une révolution ! Cependant, confondre une grève générale et un arrêt de travail généralisé de 24 heures constitue une erreur sérieuse. Le marxisme révolutionnaire parle de grève générale quand le fleuve ouvrier déborde les digues et inonde la société au point que plus personne ne sait quand et comment le faire rentrer dans son lit. C’est en ce sens, et en ce sens seulement, que toute grève générale ouvre une situation potentiellement révolutionnaire, donc potentiellement insurrectionnelle.

    De plus, entre une situation potentiellement révolutionnaire, une situation pré-révolutionnaire, une situation réellement révolutionnaire, et une situation où les conditions pour une victoire révolutionnaire sont réunies, il y a encore tout un chemin à parcourir. (2) L’expérience pratique doit amener la masse des travailleurs mobilisés à se détourner successivement des directions collaborationnistes, réformistes, réformistes de gauche ou « centristes » (3), permettant ainsi le développement d’un parti révolutionnaire qui commence à être reconnu comme une direction alternative crédible à l’échelle de masse. L’expérience historique enseigne que ce processus est intimement lié à l’auto-organisation des travailleurs. C’est pourquoi le niveau de développement des organes de pouvoir des travailleurs est un bon indicateur du caractère révolutionnaire ou prérévolutionnaire d’une situation donnée, quelle qu’elle soit.

    Or, que montre la grève générale de 60-61 à cet égard ? Dans plusieurs localités du Hainaut, des comités élus par les grévistes ont pris en charge le combat et même certains aspects de la vie quotidienne, tels que la circulation des véhicules, etc. Mais il s’agissait généralement de structures territoriales, formées dans les Maisons du Peuple, et pas de véritables comités de grève, élus en assemblée générale des travailleurs, au niveau des entreprises. Ces structures territoriales sont restées relativement isolées et n’ont pas commencé à se coordonner. Pourquoi sont-elles apparues dans le Hainaut ? Parce que l’appareil FGTB s’y opposait ouvertement à l’aile gauche renardiste. A Liège, où Renard assumait le mouvement, les comités étaient inexistants. Ils n’existaient pas non plus en Flandre, où les grévistes, confrontés au sabotage de la CSC, se regroupaient derrière la FGTB en tant que telle. « La Gauche » a appelé à former des comités de grève, elle a même avancé la perspective d’un congrès national de ces comités ; mais cette revendication restait très propagandiste, contrairement à ce qu’écrit Dache.

    Concrètement, la seule manifestation généralisée de pouvoir des travailleurs fut la désignation, par le syndicat, des travailleurs autorisés à entrer dans les entreprises pour l’entretien de l’outil. C’est important, mais cela ne suffit pas à caractériser la situation comme révolutionnaire. Ou alors il faudrait conclure qu’une révolution pourrait se dérouler sans que l’appareil syndical perde le contrôle des masses, ce qui est absurde.

    Dache prend systématiquement ses souhaits pour des réalités. Il ne tient pas compte du fait que la grève générale n’était certainement pas perçue comme « révolutionnaire » ni « insurrectionnelle » en Flandre. Il affirme que le saccage de la gare des Guillemins et les affrontements qui ont suivi, à Liège le 6 janvier, constituaient une « insurrection prolétarienne ». C’est confondre émeute et insurrection : une insurrection ne consiste pas à casser les vitres des gares mais à s’emparer des lieux du pouvoir politique et des points stratégiques, tels que les bâtiments officiels, les parlements, la radio et la TV, les centrales électriques, les nœuds de communication, les centrales téléphoniques, etc. Rien de tel ne s’est produit en 60-61. Les nombreux actes de sabotage mentionnés par Dache n’apportent pas non plus une preuve du caractère révolutionnaire de la situation. La grève du siècle a montré le potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière, mais la situation n’a jamais été révolutionnaire. Telle est la vérité historique.

    2. Le « groupe Mandel » est-il resté à la remorque de Renard ?

    Dache dénonce André Renard, mais il est bien obligé d’admettre que celui-ci était vu et reconnu unanimement comme l’âme de la grève et comme son dirigeant incontesté. Partout, les grévistes réclamaient Renard, y compris et surtout dans les régions qui connurent des formes d’auto-organisation. Renard incarnait la gauche de la FGTB en lutte ouverte contre la droite social-démocrate, son autorité resta intacte jusqu’au bout et il garda le contrôle du mouvement même après l’avoir fait dévier vers l’objectif du fédéralisme.

    Ce n’était certainement pas un révolutionnaire, mais ce n’était pas non plus un réformiste, et encore moins un partisan de la cogestion du capitalisme ! Il était auréolé du prestige de la Résistance, apparaissait comme un partisan du socialisme par l’action et semblait porter le combat pour les réformes de structure adoptées lors des congrès de 54 et 56 de la FGTB. C’est dire qu’il y avait pour le moins fort peu d’espace politique à gauche de Renard en 60, et qu’il convenait d’agir intelligemment. Se couper radicalement de lui, comme Dache le prône, aurait signifié se couper radicalement de la grande masse des grévistes et de toute leur avant-garde. Il n’y a aucun doute à ce sujet. Même après la grève, le prestige de Renard était tel que le Mouvement Populaire Wallon, qu’il avait fondé, compta plus de vingt mille adhérents. L’immense majorité des travailleurs radicalisés dans le combat contre la Loi Unique furent membres du MPW.

    Pour autant, il est complètement faux et grossier d’affirmer, comme le fait Dache, que la section belge de la Quatrième Internationale serait restée à la remorque de Renard. Les tensions furent très vives, au contraire. En février 1959, Mandel et Yerna (qui ne fut jamais trotskyste) rompirent avec Renard parce que celui-ci avait fait volte-face dans la solidarité avec la grève des mineurs du Borinage. Une certaine réconciliation intervint par la suite, avant la grève, mais elle resta superficielle. Les désaccords étaient nombreux. Contrairement à Renard, qui ne se prononça jamais sur ce point, « La Gauche » mena campagne pour que les réformes de structure soient clairement anticapitalistes. La surenchère de Dache à ce sujet est complètement déplacée. Il prétend que notre courant défendait des réformes néocapitalistes et en veut pour preuve que « La Gauche » ne mit pas en avant l’exigence du contrôle ouvrier. Mais il se contredit en citant sa propre intervention lors d’une assemblée de travailleurs du verre au cours de laquelle, de son propre aveu, il ne dit mot de ce contrôle ouvrier, si indispensable à ses yeux !

    Outre Mandel lui-même, plusieurs militants de notre courant se heurtèrent sérieusement à Renard. Ce fut notamment le cas d’Edmond Guidé, qui fit arrêter tout Cockerill à Liège dès le 20 décembre 1960 et que Renard, pour cette raison, démit sur-le-champ de son mandat syndical. Un autre membre notoire de notre organisation, Gilbert Leclercq, fut un des principaux animateurs du comité de grève de Leval, une des expériences les plus avancées en matière d’auto-organisation. Quant à la Jeune Garde Socialiste (le mouvement de jeunes du PSB à l’époque), le seul groupe qui trouve grâce aux yeux de Gustave Dache, les militant-e-s de la Quatrième Internationale y jouaient un rôle de premier plan. Surtout, « La Gauche » fut le seul courant politique à mener campagne pour la marche sur Bruxelles. On apprit par la suite, de bonne source, qu’il aurait suffi que les renardistes reprennent ce mot d’ordre pour qu’Eyskens abandonne la loi unique.

    La marche sur Bruxelles était vraiment la revendication centrale pour celles et ceux qui voulaient que le combat progresse dans un sens révolutionnaire. Mais Renard n’en voulait pas. Notre camarade Lucien Perpète fut dans le collimateur pour avoir scandé ce mot d’ordre lors d’un meeting à Yvoz-Ramet. S’il faut encore une preuve pour démontrer la rupture de « La Gauche » avec Renard, il suffit de mentionner qu’à partir du 24 décembre 1960, lorsque « La Gauche » appela à créer partout des comités de grève et à les coordonner, notre journal dut se faire imprimer à Bruxelles, car Renard interdit qu’il puisse encore être tiré sur les presses du quotidien « La Wallonie », contrôlé par la Centrale des Métallurgistes.

    Il est exact que certaines positions du journal « La Gauche » furent parfois floues, voire approximatives. Mais « La Gauche » était l’organe de la tendance de gauche au sein du PSB, pas de la section belge de la Quatrième Internationale. Bien qu’Ernest Mandel en fût le rédacteur en chef, elle n’exprimait pas toujours des positions marxistes-révolutionnaires, loin de là. On peut certes estimer que les trotskystes auraient dû mettre davantage l’accent sur leur apparition autonome en tant que section de l’Internationale. Mais « grise est la théorie, vert est l’arbre de la vie ». Nos camarades menaient de front le travail politique dans La Gauche, dans les JGS et la participation aux réseaux de soutien au Front de Libération Nationale pendant la guerre d’Algérie. Ils étaient si peu nombreux qu’ils durent se contenter de diffuser leurs positions via un supplément au mensuel de la section française, La Vérité des Travailleurs. Exemple de cette faiblesse: lorsque Georges Dobbeleer commença à travailler comme ouvrier à la FN en 1953, il était le seul militant trotskyste dans la région liégeoise…

    On peut estimer aussi que nos camarades auraient dû claquer la porte du PSB après l’entrée de celui-ci au gouvernement, au lieu d’attendre leur expulsion en 1964. C’est notre opinion et, que nous sachions, c’était, jusqu’à présent, celle de Gustave Dache. Nous nous demandons donc pourquoi il ne l’a pas exprimée dans son ouvrage… Serait-ce pour ne pas gêner ses amis du PSL, qui, eux, sont restés dans la social-démocratie jusqu’en 1993, soit plus de 30 ans après la grève générale de 60-61?

    3. Où s’arrête la critique, où commencent la calomnie et l’insulte ?

    Les points abordés jusqu’ici relèvent du débat politique. Ils peuvent donner lieu à des échanges très vifs, et même à des polémiques. C’est la tradition dans la gauche en général, entre marxistes en particulier. Gustave Dache est virulent dans sa critique de la politique du Parti Communiste, sans déraper pour autant dans l’invective ou la calomnie. Mais il réserve celles-ci à notre courant. Les « mandélistes » sont sa cible principale, sinon exclusive. Deux chapitres leur sont consacrés et le ton extrêmement violent qui est utilisé ne sied pas à un débat entre révolutionnaires. Dache ne nous qualifie pas de « traîtres » mais, de toute évidence, c’est le fond de sa pensée. Ces dernières années, les accusations de ce genre ont disparu des échanges entre organisations de la gauche radicale car le PTB qui y recourait a rangé ses outrances staliniennes au placard. Il est déplorable que le flambeau soit repris par un militant qui se réclame du trotskysme ! Dache fait inévitablement penser à un article de Trotsky concernant Georges Vereecken : « Des sectaires en général et des indécrottables en particulier ». Ce titre s’applique parfaitement à son cas.

    Non seulement le ton et le vocabulaire employés rendent le débat politique difficile (serait-ce le but : empêcher le débat ?), mais en plus Gustave Dache colporte un certain nombre de contre-vérités qui attentent à l’intégrité morale de militant-e-s révolutionnaires. Pour montrer à quel point les « entristes » ont mal tourné, il écrit par exemple que Georges Dobbeleer aurait « fait carrière » comme secrétaire syndical de la CGSP-Enseignement de Liège. Outre le fait qu’il n’est pas déshonorant d’être élu secrétaire syndical par ses camarades de travail, c’est une contre-vérité pure et simple : notre camarade a enseigné jusqu’à sa retraite, à 65 ans ! Est-ce cela « faire carrière » ?

    D’autres affirmations calomniatrices concernent des personnes qui n’ont plus la possibilité de se défendre. Arthur Henry, par exemple, est tombé après la grève dans un guet-apens tendu par le président de l’Union Verrière (un syndicat corporatiste qui existait encore à l’époque, et dont Henry proposait le ralliement pur et simple à la Centrale Générale). Par une manœuvre, le dirigeant de l’UV fit croire que notre camarade refusait d’intégrer au personnel de l’usine de Gilly, dont il était délégué, deux militants d’une autre entreprise de la région, qui étaient victimes de la répression patronale pour faits de grève. Gustave Dache, qui était à l’époque pour le maintien du syndicat corporatiste, prend la version du dirigeant de l’UV pour argent comptant… Il omet de signaler qu’Arthur Henry démissionna de son mandat en guise de protestation contre la cabale! Il omet aussi de préciser que cet incident fut à la base de la formation de la gauche syndicale regroupée autour du bulletin « La Nouvelle Défense », qui allait conduire au renversement des délégations droitières dans plusieurs entreprises verrières de la région…

    Notre dénonciateur de « mandélistes capitulards » donne tellement de leçons de marxisme, de mise en œuvre du programme de transition et de syndicalisme anticapitaliste, et il le fait avec tant de prétention, que nous sommes amenés à poser la question : qu’a-t-il gagné, lui, quelles victoires a-t-il remportées pour la classe ouvrière ? Qu’a-t-il construit sur la durée? Nous l’ignorons et aucun syndicaliste carolorégien n’a pu nous renseigner à ce sujet … Ce que nous savons, par contre, c’est que certains « capitulards mandélistes » eurent à leur actif des réalisations et des luttes exemplaires.

    Le « mandéliste » André Henry dirigea les luttes du secteur verrier dans les années 70, notamment la grève avec occupation, maintien de l’outil sous contrôle ouvrier, élection de comités de grève dans les treize entreprises de Glaverbel au Pays Noir, et centralisation des comités en un comité régional de grève, dont il fut le président. Ce fut l’expérience la plus avancée de mise en pratique du Programme de transition dans l’histoire de notre pays après la deuxième guerre mondiale. Notre camarade était à ce point encombrant que la direction de Glaverbel (Philippe Bodson) lui offrit dix millions de francs belges pour qu’il abandonne le combat, ce qu’il refusa.

    Louis Goire et Armand Dams, délégués de l’aciérie Thomas à Cockerill Liège, eurent à leur actif d’innombrables combats, notamment deux grèves internationalistes d’un quart d’heure pour protester contre les bombardements américains au Cambodge, durant la guerre du Vietnam. Ces délégués syndicaux furent d’ailleurs bureaucratiquement éliminés au début des années 70 par Robert Lambion, un ancien bras droit de Renard. Lucien Perpète joua un rôle très actif dans la première grève des employés de la sidérurgie liégeoise, en 1970-71. Gilbert Leclercq fut, dans sa région du Centre, le principal dirigeant de la grève nationale du secteur de la construction, en 1968. Pierre Legrève, qui échappa miraculeusement à la mort lors d’un attentat dirigé contre lui par l’extrême-droite colonialiste en raison du rôle central qu’il jouait dans le soutien au Front de Libération Nationale algérien, parviendra à renverser la bureaucratie syndicale social-démocrate dans la CGSP-Enseignement à Bruxelles et à y animer pendant deux décennies une équipe de militants syndicaux combatifs s’appuyant sur des assemblées syndicales démocratiques.

    Georges Dobbeleer , outre qu’il fut condamné à trois ans de prison par contumace par la bureaucratie polonaise, pour son travail de solidarité avec les militants ouvriers indépendants, fit adopter la revendication de l’école unique au congrès national de la CGSP enseignement en 1982. Après 1960, les militants de la Quatrième Internationale jouèrent un rôle de plus en plus important dans la JGS, qui mobilisa 6.000 personnes à La Louvière contre le militarisme et l’OTAN, les 14 et 15 octobre 1961, pour le 40e anniversaire du « fusil brisé ». Etc., etc. Dache réussit le tour de force d’évoquer les suites de la grève du siècle jusqu’au milieu des années septante sans dire un mot de ces contributions de nos camarades à la lutte des classes. Craindrait-il la comparaison ?

    André Henry, Lucien Perpette, Gilbert Leclercq, Georges Dobbeleer


    Notes:

    (1) Gustave Dache, « La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de 60-61 », ed. marxisme.be

    (2) « La pensée marxiste est dialectique: elle considère tous les phénomènes dans leur développement, dans leur passage d’un état à un autre. La pensée du petit bourgeois conservateur est métaphysique: ses conceptions sont immobiles et immuables, entre les phénomènes il y a des cloisonnements imperméables. L’opposition absolue entre une situation révolutionnaire et une situation non-révolutionnaire représente un exemple classique de pensée métaphysique, selon la formule: ce qui est, est – ce qui n’est pas, n’est pas, et tout le reste vient du Malin. Dans le processus de l’histoire, on rencontre des situations stables tout à fait non-révolutionnaires. On rencontre aussi des situations notoirement révolutionnaires. Il existe aussi des situations contre-révolutionnaires (il ne faut pas l’oublier !). Mais ce qui existe surtout à notre époque de capitalisme pourrissant ce sont des situations intermédiaires, transitoires : entre une situation non-révolutionnaire et une situation pré-révolutionnaire, entre une situation pré-révolutionnaire et une situation révolutionnaire ou… contre-révolutionnaire. C’est précisément ces états transitoires qui ont une importance décisive du point de vue de la stratégie politique. Que dirions-nous d’un artiste qui ne distinguerait que les deux couleurs extrêmes dans le spectre? Qu’il est daltonien ou à moitié aveugle et qu’il lui faut renoncer au pinceau. Que dire d’un homme politique qui ne serait capable de distinguer que deux états: "révolutionnaire" et "non-révolutionnaire" ? Que ce n’est pas un marxiste, mais un stalinien, qui peut faire un bon fonctionnaire, mais en aucun cas un chef prolétarien. »  Léon Trotsky, « Où va la France »

    (3) Les marxistes révolutionnaires qualifient de « centristes » les courants de gauche qui oscillent entre réforme et révolution.

  • La réponse politique de Gustave Dache au texte des quatre mandelistes de la LCR

    Suite à la publication du livre de Gustave Dache sur la grève générale de 60-61, la LCR avait fait une critique de l’ouvrage sur son site ("Comment Gustave Dache réécrit l’histoire de la grève de 60-61" *). Voici la réponse de Gustave.

    Je n’avais jusqu’ici pas eu la possibilité de trouver le temps nécessaire à la rédaction de cette réponse politique, étant donné les nombreuses conférences sur la grève générale de 60-61 que j’ai été amené à faire dans plusieurs endroits du pays et le suivi attentif que j’ai porté à la situation politique en Belgique, et notamment aux récentes luttes contre l’Accord interprofessionnel. Mais mieux vaut un peu tard que jamais. En politique, il n’y a jamais prescription.

    Par Gustave Dache, auteur du livre ""La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 1960/61"

    Je ne suis pas partisan d’entretenir, avec qui que ce soit, des querelles d’anciens combattants nostalgiques. Mais je ne pouvais rester politiquement indifférent au texte publié sur internet par quatre de mes détracteurs mandelistes de la LCR. J’ai donc voulu répondre, sans pour autant être exhaustif car cela m’aurait entraîné beaucoup trop loin.

    J’invite par contre ceux qui trouveraient mes réponses trop laconiques ou pas suffisamment complètes à prendre la peine de lire mon livre qui, lui, est beaucoup plus complet concernant mes analyses et critiques sur le sujet en question. Au-delà des querelles, ce qui me paraît politiquement le plus important, c’est de faire une analyse politique objective de la grève du siècle et d’en tirer les leçons afin de saisir toutes les possibilités et la portée révolutionnaire que cette grève générale historique a engendré. Mais il ne faut pas non plus négliger d’également rappeler les responsabilités écrasantes des partis politiques et des syndicats.

    Une analyse politique de la lutte de classe révolutionnaire, comme celle de l’hiver 60-61, suscite souvent la controverse, car la perception politique des un et des autres n’est pas nécessairement la même. Mais dans la pratique, cette perception doit déterminer une orientation qui a toujours une signification politique précise.

    ”Prendre la juste mesure de l’évènement”

    Les quatre auteurs de la réponse de la LCR ont une perception de la grève générale de 60-61 particulièrement restrictive. Sous le prétexte de ‘‘prendre la juste mesure de l’évènement’’, ils ont une fâcheuse tendance à systématiquement minimiser le sens réel et profond de la lutte de classe engagée ainsi que sa portée objectivement révolutionnaire, pour des raisons qui restent aussi évidentes aujourd’hui qu’hier. Ils n’ont pas senti le souffle brûlant de la révolte de la classe ouvrière, descendue dans la rue pour changer la société. C’est pourquoi l’on trouve chez Ernest Mandel et sa tendance autant d’acharnement à essayer de démontrer que la grève du siècle – qui restera dans la mémoire des grévistes comme la grève du million – n’était pas pour eux une grève générale aux implications révolutionnaires.

    En février 1961 déjà, dans la brochure ‘‘La grève belge de 1960-61’’, dont Ernest Mandel est l’un des principaux auteurs, on peut constater que la page 15 est entièrement consacrée à démontrer que la grève n’était pas générale, à cause du soi-disant fait que les travailleurs flamands n’avaient pas suivi le mouvement de grève. D’après Mandel et sa tendance, les travailleurs qui avaient fait grève n’auraient été ‘‘au total (…) quelque 400.000 travailleurs’’. Voilà ce qui explique que le journal La Gauche et Mandel sont restés muets sur la lutte pour le pouvoir engagée par les travailleurs dans cette grève générale sans précédent dans toute l’histoire du mouvement ouvrier belge, lutte pour le pouvoir découlant de toute grève générale qui paralyse toute l’économie d’un pays.

    Dans cette Belgique de décembre 60 – janvier 61, la lutte des grévistes pour le renversement de la bourgeoisie et pour le pouvoir ouvrier était implicitement présente. La situation ouverte par la grève générale elle-même était un fait concret de la lutte de classe révolutionnaire. Elle était d’ailleurs perçue comme telle par les commentateurs de la presse belge et par les commentateurs étrangers les plus avertis. Mais Ernest Mandel lui aussi était parfaitement conscient du contenu révolutionnaire de la grève générale et du problème du pouvoir qu’elle posait. Seulement, il n’était pas moins conscient de l’impossibilité de concilier la politique marxiste révolutionnaire à la base de la fondation de la Quatrième Internationale et celle du centrisme d’André Renard, avec lequel il ne voulait rompre à aucun prix. Le prix payé en restant à la botte de ce dernier a été l’abandon de la politique du trotskisme et du marxisme révolutionnaire de la IVe Internationale.

    Voilà pourquoi on trouve autant d’acharnement à nier l’évidence de la réalité de la grève générale, acharnement qui n’était en fin de compte que l’expression d’une capitulation face aux actes que la situation révolutionnaire exigeait de prendre et qui furent escamotés.

    Si aujourd’hui certains mandelistes reconnaissent timidement, du bout des lèvres et 50 ans après (mieux vaut tard que jamais) que la grève était une grève générale, si aujourd’hui ils l’admettent enfin, c’est parce que cela n’implique plus de devoir prendre directement les responsabilités révolutionnaires qui s’imposaient à l’époque.

    Prudence et soumission face à l’appareil renardiste

    Mon livre sur ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61” démontre avec pertinence que cette grève générale était entrée dans une situation nettement révolutionnaire, insurrectionnelle dans ses actes et révolutionnaire dans ses objectifs. Cette publication a provoqué chez certains mandelistes de la LCR des réactions pour le moins controversées. Le contraire aurait été étonnant puisque, il y a presque 50 ans, en juillet 1962, prenait place une rupture politique, rupture entre la tendance Mandel et la plupart des vétérans trotskistes de Charleroi, accompagnés de plusieurs jeunes militants trotskistes.

    Les divergences politiques qui avaient provoqué la rupture étaient irrémédiables et partaient de plusieurs points essentiels. Il était entre autres question de la tactique de prudence excessive et de soumission de La Gauche et de la tendance Mandel face à l’appareil renardiste. D’ailleurs, pour André Renard, le programme des réformes de structures préconisées par la FGTB adopté en 1954 et 1956, signifiait de passer du stade du capitalisme libéral à celui du capitalisme dirigiste, consistant à rendre l’économie capitaliste plus performante. Les dirigeants réformistes de la FGTB n’avaient pour seul but avec ce programme que de moderniser l’économie capitaliste. Ils ne voulaient en aucun cas remettre en cause les fondements même du régime capitaliste.

    Ce n’est pas que les militants révolutionnaires qui prirent, avant la grève générale, l’initiative de propager et de soutenir les réformes de structures, croyaient réellement en leur efficacité. Mais celles-ci pouvaient être un stimulant, un moyen transitoire pour provoquer la mobilisation des grandes masses ouvrières dans la lutte révolutionnaire pour le pouvoir. C’est ce qui s’est d’ailleurs en partie produit.

    Il était encore question du fait que certains dans le courant trotskiste étaient trop intégrés dans le PSB, par l’intermédiaire d’un entrisme sans perspectives révolutionnaires conséquentes. En effet, la tactique entriste pratiquée dans les organisations réformistes par Ernest Mandel et sa tendance a consisté en une prudence politique excessive, sous prétexte de ne pas affronter ouvertement les dirigeants des appareils bureaucratiques au risque, d’après eux, de se couper des masses. Mais à ce moment, parmi les masses, il y avait une tendance importante, surtout parmi l’avant-garde, à vouloir rompre avec la social-démocratie. Si cette volonté n’a pas été concrétisée, c’est par manque d’un relai et d’une direction politiques bien déterminés à rompre avec la social-démocratie capitularde.

    Cette pratique de prudence politique démesurée appliquée par Mandel et sa tendance comportait des risques d’abandon idéologique et d’intégration dans les structures des appareils réformistes. C’est ce qui c’est avéré fatal pour cette tendance. Pourtant, la tactique entriste – comme toute forme de lutte – devait se dérouler sous le drapeau déployé du marxisme révolutionnaire. Cette tactique ne pouvait se concevoir que pour accélérer le processus de maturité en vue de la rupture avec le réformisme afin de regrouper dans les plus brefs délais les forces révolutionnaires. C’est pourtant aussi ce que la Quatrième Internationale, à sa fondation (en 1938), avait clairement indiqué. Pour appartenir à cette organisation révolutionnaire, il fallait mener concrètement une lutte politique ouverte et systématique, dénonçant sans complaisance et sans délai la capitulation des directions staliniennes et réformistes de gauche comme de droite.

    Autre critique, le refus de dénoncer l’introduction intempestive du fédéralisme par André Renard en plein conflit de classe. Le fédéralisme n’était en aucun cas l’objectif de la grève. L’introduction du fédéralisme n’était pour ses partisans qu’une échappatoire, une sorte de sortie de secours, face aux objectifs radicalement anticapitalistes et révolutionnaires engagés par la classe ouvrière du pays et auxquels voulait échapper l’appareil renardiste.

    Enfin, il était aussi question du refus systématique de Mandel et de sa tendance de rompre avec le PSB en plein conflit, et même juste au lendemain, au moment où les grandes masses de grévistes avaient fait leur propre expérience dans la lutte de la capitulation et de la trahison de la direction social-démocrate réformiste du PSB et de la FGTB.

    La rupture politique de la plupart des vétérans trotskistes de Charleroi avec Mandel et sa tendance ne s’était pas produite à la légère. La plupart de ces vétérans étaient membres de la IVe Internationale depuis de nombreuses années. Il n’a d’ailleurs jamais été question pour ces vétérans de renoncer à la lutte révolutionnaire et encore moins de rompre avec le Programme de Transition adopté par la Quatrième Internationale à sa fondation, ni avec son fondateur Léon Trotsky.

    Compagnons de lutte de Léon Lesoil, lui-même ami de Trotsky qu’il rencontra en 1935 à Anvers pour regrouper les forces révolutionnaires, ces vétérans avaient une longue expérience des luttes révolutionnaires sur le terrain, puisque certains parmi eux avaient été très actifs durant les grèves générales de 1932, de 1936, de 1950 et de 1960-61. Quelques uns avaient aussi été animateurs de la grève des mineurs qui eut lieu sous l’occupation allemande en juin 1942 et la plupart avaient participé à la résistance.

    La dualité de pouvoir

    Aux yeux de certains sceptiques, cela peut paraître téméraire mais, effectivement, je reste intimement convaincu que la Belgique de 60-61 a connu une situation politique objectivement révolutionnaire au cours de laquelle toutes les conditions étaient réunies pour le renversement de la bourgeoisie et pour s’emparer du pouvoir.

    D’ailleurs, dans plusieurs endroits du pays, une dualité de pouvoir existait déjà. Mais à ce sujet, relisons ce que disait alors correctement, et sans équivoque possible, La Gauche, le 11 mars 1961 : ‘‘Bien plus que toutes ‘‘violence’’, que tout bris de vitre, que toute émeute, c’est ce pouvoir nouveau embryonnaire qui a fait trembler de rage la bourgeoisie, qui la frappée de frayeur.’’ Le nouveau pouvoir embryonnaire des comités de grève – avec les piquets de grève mobiles, le moteur essentiel de la grève générale – veillait au maintien de la paralysie totale de toute l’économie du pays et également de toute la circulation. C’est ce nouveau pouvoir embryonnaire qui a vraiment frappé de frayeur la bourgeoisie et qui a, en fait, ouvert une situation objectivement révolutionnaire.

    Mais certains militants trotskistes de la tendance d’Ernest Mandel qui étaient actifs dans ces comités de grève ont constaté eux-mêmes que les orientations et décisions politiques de la grève générale échappaient au contrôle et à la volonté des grévistes dans ces comités de grève, pourtant le moteur essentiel de la grève générale. Les décisions politiques étaient l’exclusivité du Comité de coordination des régionales wallonnes de la FGTB. C’était pourtant ce pouvoir embryonnaire des comités de grève qui avait effrayé aussi bien la bourgeoisie que les appareils bureaucratiques des partis et syndicats ouvriers.

    Pour contrer l’exclusivité politique des réformistes du C.C.R.W., la tendance trotskiste de Charleroi proposait la tenue d’un Congrès national des comités de grève comme organe souverain des grévistes dans la grève générale et de l’action révolutionnaire des masses. Pour proposer ce mot d’ordre et faire de l’agitation systématique en ce sens, il suffisait de penser et d’agir en marxiste-révolutionnaire et pas en liquidateurs du trotskisme.

    Là aussi, Mandel et ceux de sa tendance dans les comités de grève ont choisi de sauvegarder leurs liens avec les appareils réformistes. Comme seule réponse à cette domination du CCRW, ils ont simplement choisi de proposer la tenue d’un ”Congrès extraordinaire de la FGTB.” Faire cette proposition dans La Gauche (le 24 décembre 1960), c’était en fait proposer que les décisions politiques sur la grève générale restent sous le contrôle de la clique bureaucratique su CCRW de la FGTB.

    Cette proposition politique de Mandel et de sa tendance n’était autre que l’expression clairement établie de la liquidation du Programme de Transition défini lors de la fondation de la Quatrième Internationale. En politique marxiste-révolutionnaire, il ne suffit pas de constater que les décisions politiques échappaient au contrôle des grévistes, il fallait réagir en conséquence pour que les décisions politiques sur l’orientation de la grève générale reviennent de droit aux grévistes. C’est ce qui n’a pas été fait par ceux-là mêmes qui se profilent comme révolutionnaires.

    Dans ces circonstances, si la classe ouvrière n’est pas parvenue à atteindre son objectif révolutionnaire, l’échec est incontestablement dû au fait qu’elle a été une nouvelle fois abandonnée. Elle s’est retrouvée sans direction capable de mener le combat de classe en cours jusqu’à son terme.

    En effet, la classe ouvrière radicalisée, engagée dans ce combat à mort, a été une nouvelle fois trahie par les directions traditionnelles du mouvement ouvrier, y compris par la gauche syndicale renardiste de la FGTB si appréciée par Ernest Mandel et sa tendance. Encore aujourd’hui, certains mandelistes restent convaincus qu’André Renard a, lors de la grève générale de 60-61, bien servi les intérêts de la classe ouvrière du pays. Cela confirme la plate soumission de Mandel et sa tendance au renardisme. Il faut pourtant se rendre compte que, durant cinq semaines de grève générale totale, des milliers et des milliers de grévistes sont descendus dans la rue pour exprimer avec ténacité leur volonté de monter à l’assaut du régime capitaliste dans la capitale. C’était d’ailleurs la signification profonde de la revendication d’une Marche sur Bruxelles, réclamée par les grévistes du pays.

    Une situation révolutionnaire

    Léon Trotsky disait notamment : ‘‘La grève générale a une tendance interne à se transformer en conflit révolutionnaire déclaré, en lutte directe pour le pouvoir’’ (Où va la France). Il est pourtant à constater que tous ceux qui se disent trotskistes ne sont visiblement pas d’accord avec cette position politique définie par Trotsky. Pourtant, qu’on le veuille ou non, qu’on soit d’accord ou non, que l’on en ait conscience ou non, qu’on veuille le nier ou non, la réalité est que la Belgique a connu en hier 60-61 une situation objectivement révolutionnaire qui posait directement, comme toute grève générale qui paralysie l’économie d’un pays, la question du pouvoir. Par contre, les quatre mandelistes de la LCR disent : ‘‘Nous ne partageons pas cette appréciation’’. Voici ce qu’ils disent précisément ‘‘La grève du siècle a montré le potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière, mais la situation n’a jamais été révolutionnaire’’.

    Aujourd’hui, après l’avoir nié pendant longtemps, les mandelistes ont découvert qu’effectivement il y avait bien eu une grève générale en Belgique et qu’elle était même, pour certains d’entre eux, pré-révolutionnaire. Les années passant, comparativement à la brochure ‘‘Forces et faiblesse d’un grand combat’’, il y a là un progrès théorique. Avec encore quelques dizaines d’années de patience, ils découvriront peut-être que cette grève générale de l’hiver 60-61 appartient comme toute grande grève générale à la catégorie des ‘‘luttes révolutionnaires’’.

    D’un autre côté, ils reconnaissent aussi que ‘‘La grève du siècle a montré le potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière.’’ Jusqu’ici, rien à redire, cette appréciation politique est correcte. Mais ensuite, là où ça se gâte, c’est quand ils affirment dans la même phrase que ‘‘la situation n’a jamais été révolutionnaire’’. Examinons en profondeur cette position politique.

    Si c’était réellement le cas, comme le prétendent obstinément les quatre de la LCR, alors une importante question doit impérativement se poser à tous les véritables marxistes-révolutionnaires de bonne foi : dans ces circonstances politiques, quel genre d’action radicale devrait être entreprise par les révolutionnaires pour transformer effectivement ce ‘‘potentiel révolutionnaire’’ en ‘‘situation révolutionnaire’’ ? Rester obstinément soumis, comme l’ont fait Mandel et sa tendance, à la discipline des appareils réformistes du PSB et de la FGTB ? Ces mêmes appareils qui pratique depuis toujours et en toutes circonstances la collaboration de classe et l’intégration continue au régime capitaliste ? Certainement pas. En restant docilement à la remorque de la tendance de gauche néo-réformiste, au centrisme du renardisme ? Certainement pas.

    Les marxistes-révolutionnaires se réclamant de la IVe Internationale dignes de ce nom devaient-ils mener oui ou non une agitation politique conséquente en s’appuyant sur la volonté de lutte des masses en mouvement dans le but d’amener de larges couches à prendre conscience de la nécessité de remettre en question le fondement même de l’État bourgeois ? Cela n’est possible qu’en étant libéré de toute entrave tactique de la discipline bureaucratique des appareils réformistes de gauche et de droite, dans le but d’accentuer et d’approfondir la lutte potentiellement révolutionnaire en cours, pour la faire évoluer, en acceptant toutefois qu’elle ne l’était pas, en situation révolutionnaire. Même au risque d’exclusion du PSB en plein conflit, cette mission était impérativement à accomplir courageusement. Certainement que oui.

    L’agitation des marxistes-révolutionnaires devait se développer autour de voies et de moyens propres à organiser la lutte des grévistes contre l’État bourgeois. Les grévistes des secteurs décisifs de l’économie du pays étaient engagés dans une action qui mettait en question l’existence même du régime capitaliste. Dans ces circonstances, la priorité est toujours de donner aux grévistes l’armement politique dont ils avaient besoin dans cette lutte pour le pouvoir. Cette tactique d’agitation révolutionnaire, dans un conflit classe contre classe et généralisé comme celui de 60-61, aucun marxiste digne de ce nom ne peut s’y soustraire. Malheureusement, cela n’a pas été fait par ceux qui pourtant se prétendaient le symbole de la gauche révolutionnaire.

    Lors d’une grève générale, dire prétentieusement que la ‘‘situation n’a jamais été révolutionnaire’’ comme le font encore aujourd’hui certains mandelistes de la LCR, c’est en soi révélateur d’un manque de confiance dans la capacité révolutionnaire des masses. Ce qui en découle inévitablement, c’est une incompréhension de la théorie et de la pratique du marxisme. C’est ce qui engendre toute une série de contradictions politiques et d’appréciations politiques incorrectes.

    Il faudrait tout d’abord savoir quel sens et quelle nature politique profonde les mandelistes accordent-ils réellement à une grève générale telle que celle de l’hiver 60-61, reconnue par tous comme étant historique. Ensuite, avant de contester à tord, il faudrait tout d’abord qu’ils se mettent d’accord entre eux. Parce que, dans la réalité, ce n’est certainement pas le cas.

    Je vais partir ici de citations et d’affirmations politiques correctes, qui seront peut-être plus facilement acceptées par mes quatre détracteurs de la LCR puisqu’elles sont issues de leur maître à penser politique, qui n’est autre qu’Ernest Mandel, auquel ils se réfèrent si souvent. Ne disait-il pas, dans ses moments de lucidité politique, à propos de la grève générale de 60-61 qu’elle était : ‘‘profondément anticapitaliste et objectivement révolutionnaire’’ (Force et faiblesse d’un grand combat, p.23) ?

    Hélas, Mandel le disait en 1962, après le conflit. Mieux vaut tard que jamais. Mais de toute façon, le marxisme ne saurait se contenter d’affirmation politique correcte après coup. Cette affirmation, à laquelle on peut souscrire sans réserve, avait des implications politiques concrètes à prendre dans la lutte de classe au moment où celle-ci se déroulait. C’est suivant leur attitude face à ces implications, prises ou pas, que l’on doit objectivement juger ces auteurs. Mais, hélas, dans le cas de Mandel et de sa tendance, de fut pour le moins décevant.

    Inutile de dire que la plupart des militants trotskistes de Charleroi partageaient entièrement et sans réserve l’analyse portant sur le caractère ‘‘objectivement révolutionnaire’’ de la grève générale de 60-61. Dans ces circonstances politiques objectivement révolutionnaires, il ne doit plus faire aucun doute pour un révolutionnaire que la grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire était indiscutablement susceptible de remettre en cause le régime capitaliste. Dans ces conditions, il était objectivement nécessaire d’agir politiquement dans le sens de la lutte pour le pouvoir.

    François Vercamen, du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale et mandeliste lui-aussi, va également beaucoup plus loin dans son analyse sur les grèves générales que mes quatre détracteurs lorsqu’il classe la grève générale de 60-61 dans la catégorie des grèves générales semi-révolutionnaires : ‘‘(…) les grèves générales belges (1950-1960/61), la grève générale en Grèce (1965), Mai ’68 en France et Italie (1969-73-75), la révolution au Portugal (1974-75). Ces luttes semi-révolutionnaires sont d’une ampleur et d’une force inégalée.’’ (François Vercamen, Ernest Mandel et la Capacité Révolutionnaire de la Classe Ouvrière, http://www.ernestmandel.org/fr/surlavie/txt/ernest_mandel_et_la_capacite_revolutionnaire.htm) Ce n’est pas encore là une analyse politique qui reflète la situation objectivement révolutionnaire de la grève générale belge de 60-61, mais c’est déjà un énorme pas en avant vis-à-vis de mes quatre détracteurs. Mais tous en restent à une analyse politique qui se situe en dessous de la réalité objectivement révolutionnaire.

    Cette analyse est donc un énorme pas en avant vis-à-vis de la position politique de mes quatre détracteurs mandelistes de la LCR qui n’ont toujours pas compris qu’une grève générale porte en elle l’essence d’une situation révolutionnaire. Pour ces détracteurs de la LCR, il est toujours nécessaire de rappeler constamment, comme le disait couramment Trotsky, que : ‘‘la grève générale, comme le sait tout marxiste, est un des moyens de lutte les plus révolutionnaires.’’ (Où va la France) D’ailleurs, pour les véritables marxistes révolutionnaires, il y a très longtemps qu’il n’est plus question de savoir que la grève générale ‘‘est un des moyens de lutte des plus révolutionnaires’’ puisque cette question a déjà depuis longtemps été tranchée par Rosa Luxembourg, que Lénine surnomma la ‘‘représentante du marxisme la plus authentique’’ lorsqu’elle disait en parlant de la grève générale que : ‘‘En réalité, ce n’est pas la grève en masse qui produit la révolution, c’est la révolution qui produit la grève en masse’’ (Grève de masse, parti et syndicat) Raison de plus pour considérer que, comme c’est la révolution qui produit la grève générale, dans ces circonstances politiques tout à fait particulières, il est d’une évidence tout à fait incontestable que lorsqu’il y a effectivement une grève générale comme en 60-61 en Belgique, la situation est objectivement révolutionnaire.

    D’ailleurs, tout au long de sa vie, Lénine montra avec une détermination inébranlable ‘‘qu’il fallait préparer activement une situation révolutionnaire’’ même en période de mouvement de grève moins généralisé, avec toujours comme objectif essentiel de contraindre l’adversaire à céder. Mais aujourd’hui comme hier, si les pseudos-marxistes belges continuent à réfuter ces vérités définies par des figures incontestablement reconnues historiquement, c’est certainement parce qu’ils n’ont lu ni Lénine, ni Trotsky, ni Rosa Luxembourg à la bonne page.

    Par contre, ce que notre tendance trotskiste de Charleroi a constaté, c’est qu’Ernest Mandel est incontestablement resté pendant ‘‘ces heures décisives’’ de 60-61 un militant discipliné du Parti Socialiste Belge. D’ailleurs, les dirigeants réformistes du PSB ont pu tolérer pendant la grève générale son gauchisme verbal qui resta malgré une ‘‘situation objectivement révolutionnaire’’ dans les limites du cadre de simple pression sur le parlementarisme, sans déborder sur des objectifs révolutionnaires.

    L’exemple de la ‘‘Marche sur Bruxelles’’ est édifiant à cet égard. Selon La Gauche et Mandel, ce n’était pas une mobilisation générale de la classe ouvrière en vue d’un affrontement révolutionnaire dans la capitale, mais plutôt une manière de faire pression sur le parlement : la classe ouvrière ‘‘y pèserait de tout son poids sur le Parlement’’ ou encore ‘‘Notre proposition n’a rien d’insurrectionnel. Elle est parfaitement légale.’’ Et en effet ô combien légale et peu insurrectionnelle. Dans ces circonstances d’une légalité on ne peut plus parfaite, il n’était pas du tout possible d’œuvrer pour la révolution socialiste.

    L’histoire de la lutte de classe internationale nous enseigne que lorsqu’une situation est objectivement révolutionnaire, elle exige de l’audace politique de la part de ceux qui jusque là se définissaient comme révolutionnaires. Laisser échapper une crise révolutionnaire sans tout tenter pour la faire aboutir est déjà une capitulation des intérêts de la révolution. Le combat spontané des masses, si puissant soit-il, ne peut à lui seul arracher la victoire du socialisme.

    Comme le disait également Trotsky : ‘‘La grève générale n’est possible que dans les conditions d’une extrême tension politique et c’est pourquoi elle est toujours l’expression indiscutable du caractère révolutionnaire de la situation’’ (Où va la France) Cette citation exprimée en mars 1935 reflète très exactement la situation révolutionnaire qui existait en Belgique en hiver 60-61.

    Pourtant, pour les quatre mandelistes de la LCR, la grève générale de 60-61 n’appartient pas à la catégorie des ‘‘luttes révolutionnaires’’. Et, par conséquent, elle n’était pas davantage une ‘‘situation révolutionnaire’’. Si, par lutte révolutionnaire, on entend un soulèvement armé, c’est absurde. Au début d’une grève générale révolutionnaire, les travailleurs en grève ne sont généralement pas armés. Mais quand certains en viennent précisément à s’armer au cours des épisodes successifs de la lutte de classe pour le pouvoir, c’est alors un indice sérieux de la volonté révolutionnaire des grévistes, qui ne peut tromper que ceux qui ne veulent rien voir, rien entendre, rien comprendre et surtout ne rien entreprendre de sérieux qui puisse aboutir à la victoire de la lutte révolutionnaire engagée. Voici quelques exemples. Plusieurs acteurs de la grève générale ont pu voir des grévistes armés dans l’émission de la RTBF du 14 décembre 2010 ‘‘Ce jour-là’’. Jean Louvet, militant de la CGSP à l’époque, se souvient qu’il a vu des gens armés : ‘‘J’ai vu des armes sorties de la résistance’’. Il n’y a d’ailleurs pas que les grévistes à les avoir vues. D’après le rapport d’état-major de la gendarmerie, fourni au Ministre de l’Intérieur, au sujet des faits survenus lors de la période de grève du 20 décembre 1960 au 20 janvier 1961 : ‘‘les piquets de grève ont été particulièrement actifs et parfois même brutaux (…) Certains des membres qui les composaient étaient armés’’. (Annales Parlementaires, 4 XI, 1960-1961 n°2)

    En pleine grève générale, avec des arrestations arbitraires presque tous les jours dans le pays (environ 3.000 arrestations de grévistes ont eu lieu durant la grève), être appréhendé porteur d’armes à feu, c’était prendre des risques aux conséquences très graves. Bien des grévistes étaient partagés entre leur volonté révolutionnaire et les risques qu’ils encouraient. Plusieurs n’hésitèrent pourtant pas à prendre ces risques énormes, pour la victoire de la grève. Voici quelques exemples relevés par la gendarmerie, parmi de nombreux autres.

    • ”A Ath – Coup de feu. Le sous-chef de gare de Ath a essuyé un coup de feu tiré du viaduc de Ath. Il venait de son domicile et était accompagné de gendarmes.”
    • ”A Liège, 2 arrestations par la BSR pour bris de vitres, jet de billes sur toit vitré et port de pistolet.”
    • ”A Polleur, un coup de feu a été tiré contre un autobus de la ligne Verviers-Malmédy.”
    • ”A Sombreffe une arrestation, transport de fusil de chasse par gréviste dans V.W.”
    • ”A Trembleur, des coups de feu contre un car transportant quelques ouvriers de charbonnage.”
    • ”La brigade d’Herstal a saisi deux pistolets.”
    • ”Une arrestation à Piéton, pour port d’arme prohibé.”
    • ”A Fléron, coup de feu dans les vitraux d’un café.”
    • ”A Marienbourg, menaces à l’aide d’armes.”
    • ”A Chatelet, un des deux individus transportant des bouteilles d’essence était porteur d’un pistolet 22 long avec balles, dont la tête avait été limée et fendue.”
    • ”Au puit 6, à Anderlues, huit individus ont tenté sous la menace de leurs armes de s’approprier des explosifs.”

    Tous ces exemples sont issus des Annales parlementaires, 4 XI, 1960-1961 n°2.

    Si, après cette brève énumération de grévistes porteurs d’armes à feu – et qui ont parfois fait feu – certains mandelistes considèrent toujours que la ”situation n’a jamais été révolutionnaire”, alors c’est peine perdue de pouvoir les convaincre de quoi que ce soit.

    Tous ces coups de feu tirés, ces arrestations de grévistes en possession d’armes à feu en plus des quelque 100 actes de sabotage par jour, les grévistes n’hésitant pas à risquer leur vie pour les commettre, tout cela ne peut que démontrer l’extraordinaire volonté et la détermination des grévistes d’aller jusqu’au bout de la situation effectivement révolutionnaire qui existait. Tous ces actes ont été l’expression de tout le potentiel d’une situation insurrectionnelle et révolutionnaire de la grève générale.

    Durant cette mobilisation spontanée et gigantesque, sans précédent dans l’histoire ouvrière belge, toutes les digues des directions traditionnelles furent complètement débordées. Toute l’économie du pays était complètement paralysée par la grève générale. C’est dans ce contexte que le secrétaire général de la FGTB nationale et député socialiste d’Anvers, Louis Major, a déclaré sous forme d’excuses à la Chambre le 21 décembre 1960 que: ”Nous avons essayé, Monsieur le Premier Ministre, par tous les moyens, même avec l’aide des patrons, de limiter la grève à un secteur professionnel.” (Annales parlementaires, 1960, p. 20) Cool, le président de la CSC, dira quant à lui : ”Je ne tiens plus mes troupes en main. En dépit de mes consignes (…) je ne réponds pas de ce qui pourrait arriver.”

    Ces déclaration expriment l’impuissance des dirigeants syndicaux nationaux de pouvoir arrêter le débordement des appareils, débordement ouvrier qui inonda la société toute entière. Mais malgré tout ce qui précède, les quatre mandelistes de la LCR ne sont toujours pas de cet avis. Voici ce qu’ils en disent:

    ”Le marxisme révolutionnaire parle de grève générale quand le fleuve ouvrier déborde les digues et inonde la société au point que plus personne ne sait quand et comment le faire rentrer dans son lit. C’est en ce sens, et en ce sens seulement, que toute grève générale ouvre une situation potentiellement révolutionnaire, donc potentiellement insurrectionnelle.”

    Mais, justement, c’est ce qui s’est réellement passé dans les faits. Même un réformiste de droite comme Louis Major a publiquement avoué au Parlement, deux jours seulement après le déclenchement de la grève générale, que: ”Personne ne peut plus aujourd’hui arrêter le mouvement” (Annales parlementaires 22/12/60, p.7) Le journal Le Peuple s’indigne que ”le PSC ait osé qualifier les grèves d’insurrectionnelles.” La presse socialiste de Charleroi du 23 décembre 60 parle de M. Eyskens en disant: ”Il est le chef d’un parti qui n’a pas hésité à provoquer une atmosphère de guerre civile.”

    Le Comité de coordination des régionales wallonnes de la FGTB, présidé par André Renard et composé des dirigeants réformistes de la FGTB, qui était l’expression réformiste de l’appareil syndical de la FGTB dans sa fonction de collaboration de classe avec le patronat et qu’on ne peut en aucun cas cataloguer comme révolutionnaire, avait pourtant souligné avec satisfaction que le mouvement a ”renoué magnifiquement avec les plus nobles traditions révolutionnaires du mouvement socialiste des années glorieuses de la fin du siècle dernier.” Ce comité composé de réformistes avait-il une perception plus exacte de la situation de la grève générale que les pseudo-révolutionnaires mandelistes qui n’ont toujours pas senti le souffle brûlant de la lutte révolutionnaire qui se déroulait sous leurs yeux en 60-61?


    * L’intégralité du texte de la LCR, se trouve à la fin de la seconde partie de cette réponse (voir ci-dessus)

  • La réponse politique de Gustave Dache au texte des quatre mandelistes de la LCR (2)

    Suite à la publication du livre de Gustave Dache sur la grève générale de 60-61, la LCR avait fait une critique de l’ouvrage sur son site ("Comment Gustave Dache réécrit l’histoire de la grève de 60-61" *). Voici la réponse de Gustave.

    Par Gustave Dache

    Les trois conditions de Lénine

    Ceux d’en bas ne veulent plus être gouvernés comme avant

    Ils affirment: ‘‘Pour Lénine, une situation est révolutionnaire lorsque trois conditions sont remplies simultanément.” Examinons si, lors de la grève générale de 60-61, ces trois conditions étaient remplies ou pas. Pour moi, cela ne fait aucun doute, elles l’étaient.

    La première condition est que ”ceux d’en bas ne veulent plus être gouvernés comme avant”. La façon dont les travailleurs du pays ont réagit dans des grèves précédant le conflit de 60-61 mais surtout leur réaction face au projet d’austérité du gouvernement est assez significative de cette volonté de ‘ne plus être gouvernés comme avant.” La façon dont ils ont réagi spontanément, sans mot d’ordre, est assez éloquente également. Mais il n’y avait pas que du côté des travailleurs qu’existait l’hostilité et le rejet envers ceux d’en haut.

    Cette hostilité et ce rejet s’exprimaient aussi du côté des classes moyennes. Même la grande presse avait pris ses distances en ne soutenant plus le gouvernement. Deux exemples l’expriment, parmi d’autres. Le Soir du 17 janvier disait ainsi que: ”On peut vraiment dire qu’il n’y aura pas un seul domaine de la vie nationale sur lequel les erreurs du gouvernement n’auront lourdement pesé.” L’audience de ceux d’en haut était, en plus d’être mise à mal depuis plusieurs années, complètement discréditée de part leur honteuse recherche du profit et de l’exploitation des masses et des richesses congolaises.

    La grande presse de droite, qui jusque là soutenait le gouvernement sans réserve, a commencé à le lâcher. C’est ainsi que ”L’écho de la Bourse”, le 16 janvier, a notamment écrit que: ”Nous exprimons principalement le souhait que le gouvernement, après s’être débarrassé de la pression de l’émeute, prenne le temps de la réflexion et renonce à accabler le pays de la loi inique.”

    Ceux d’en haut n’en sont plus capables

    La deuxième condition de Lénine est que : ”ceux d’en haut n’en sont plus capables” (de gouverner). Bien qu’en apparence ceux d’en haut ont tout fait pour apparaître unis, ce ne fut pas évident dans les faits. En effet, pendant les dix premiers jours de cette grève générale d’un déferlement et d’une puissance jamais égalée, le gouvernement de la droite réactionnaire de la grande bourgeoisie sont inquiets, ils ont des doutes, des hésitations, ils tâtent le terrain quant à la façon de réagir. Il sont impuissants face à cette grève générale qui paralyse toute l’économie, où l’objectif révolutionnaire était clairement défini, surtout les dix premiers jours d’un conflit de classe sans précédent.

    En plein désespoir, le gouvernement cherche une solution qui ne lui fasse pas perdre la face. C’est alors qu’il suspend les débats à la Chambre des représentants. Si, du côté des partis politiques de la droite au gouvernement, cette ”dérive révolutionnaire est dénoncée et condamnée”, il n’en demeure pas moins que si les uns voulaient composer et les autres réprimer la ”canaille communiste”, les uns et les autres étaient aux abois mais en même temps voulaient tous et à tout prix sauver l’essentiel: leur pouvoir.

    Dans les dix premiers jours, le gouvernement et ceux d’en haut qui le soutenaient étaient désemparés. Car la grève générale n’a pas seulement paralysé toute l’économie du pays, elle a eu en même temps pour conséquence que le gouvernement n’était plus en état de fonctionner normalement. Il était victime d’une paralysie momentanée. Lorsqu’il a constaté que les directions traditionnelles donnaient des gages de loyauté, qu’elles ne souhaitaient pas pousser les hostilités jusqu’à leur terme, et alors seulement, le gouvernement a repris de l’assurance et a réagi avec vigueur en donnant des consignes à la gendarmerie pour faire remettre les grévistes au travail et en finir avec ce conflit de classe.

    Pendant la trêve des débats parlementaires, le gouvernement comptait aussi sur elles pour voir le conflit s’enliser et les grévistes se lasser. Mais il n’en fut rien, au contraire. Les différents ministres sont tour à tour intervenus à la télévision afin de décourager les travailleurs de continuer la lutte n’ont eu aucun effet sur le moral des grévistes. Au contraire, la lutte a repris avec plus de vigueur et la situation est devenue encore plus explosive et plus incontrôlable que les jours précédents.

    La suspension des débats à la Chambre des représentants et la mise en congé du Parlement du 22 décembre 1960 au 3 janvier 1961, pendant une longue période de douze jours, est déjà en soi synonyme d’une carence temporaire du pouvoir de la bourgeoisie. C’est la principale institution de l’Etat bourgeois, là où elle exerce sa domination puisqu’elle y est largement majoritaire. Cet événement est d’autant plus significatif qu’ils voulaient faire voter la Loi Unique rapidement avant le 31 décembre 1960. En se débarrassant de l’une des plus hautes institutions de l’Etat, la bourgeoisie était contrainte à se passer du moyen de faire voter la Loi Unique. D’autre part, dans ces circonstances de grève générale, le Parlement constituait une entrave légale à la domination complète de la bourgeoisie dans un conflit classe contre classe qui se déroulait dans la rue. La bourgeoisie connaissait parfaitement l’objectif révolutionnaire de la grève générale. Les dirigeants des organisations ouvrières étaient eux aussi parfaitement conscients de la trame de fond et des sentiments révolutionnaires qui existaient au sein de la classe ouvrière du pays.

    Cette situation a donc ouvert pendant douze jours une carence temporaire du pouvoir en Belgique, aussi significative que celle qu’a connu la France en Mai ’68 lorsque De Gaule s’est rendu à Baden Baden en Allemagne pour s’assurer le soutien de ses généraux face à la menace révolutionnaire présente en France en mai 68, tout comme en Belgique en 60-61. Elle prit une forme similaire, mais chacune ont gardé leur spécificité.

    D’autre part, le 9 janvier 1961, à 4h30, le gouvernement s’était réuni en vue de prendre des mesures d’urgence pour prévenir toute action insurrectionnelle spontanée. Les rapports reçus dans la nuit par les différents services de police signalaient une impressionnante série d’actes de sabotage, surtout en Wallonie, et qui ont fait craindre au gouvernement que l’insurrection ouvrière ne soit entrée dans une phase active. Dès 6h du matin, une vague d’arrestations a eu lieu, avec 200 arrestations dans les régions rouges.

    Mais si, en 60-61, la bourgeoisie belge fut loin d’avoir épuisé toutes ses cartouches, la classe ouvrière non plus n’avait pas épuisé toutes les siennes, ni toutes ses ressources. Son potentiel de combativité révolutionnaire était resté intact. Les forces de la classe ouvrière non seulement ne furent pas épuisées, mais s’étaient même renforcées par l’expérience acquise par les grévistes lors des nombreux affrontements de classe.

    Si je reprends souvent des citations de Trotsky, c’est par ce qu’elles ont supporté l’épreuve du temps et des évènements et qu’elles gardent leur actualité, toujours aujourd’hui, du moins pour ceux qui veulent obtenir une transformation socialiste de la société. Voyons ce qu’il disait concernant la carence du pouvoir du gouvernement : ”L’importance fondamentale de la grève générale, indépendamment des succès partiels qu’elle peut donner, mais aussi ne pas donner, est dans le fait qu’elle pose d’une façon révolutionnaire la question du pouvoir. Arrêter les usines, les transports, en général tous les moyens de liaison, les stations électriques, etc., le prolétariat paralyse par cela même non seulement la production, mais aussi le gouvernement, le pouvoir étatique reste suspendu en l’air. (Léon Trotsky, Où va la France, souligné par G. Dache)

    Les classes moyennes hésitent entre les deux camps

    En ce qui concerne la troisième condition ”les classes moyennes hésitent entre les deux camps”; la grève générale a eu une immense audience sur la population. Le constat le plus remarquable et le plus significatif en ces journées de lutte, c’est la façon dont les couches les plus politisées des classes moyennes se sont non seulement solidarisées, mais ont apporté leur soutien au mouvement de grève générale. Les petits commerçants, les artisans, les cafetiers, les boulangers, les petits rentiers, etc., toutes ces catégories se sont montrées disciplinées et respectueuses des consignes données par les comités de grève, aux réunions desquelles il est parfois arrivé que l’un de leurs représentants participe.

    La petite-bourgeoisie avait fort bien compris que le projet d’austérité du gouvernement la touchait également et qu’elle n’avait d’autre solution que de s’associer à la classe ouvrière pour le combattre. Nombreux sont ceux de la petite-bourgeoisie qui ont compris qu’il leur fallait pour survivre se ranger du côté de la classe ouvrière en lutte contre leur ennemi commun: le Grand Capital. La classe ouvrière est la seule classe sociale capable de résister au projet d’austérité capitaliste. L’appui de ces couches était très important pour le succès final du mouvement.

    La classe dominante sentit se dérober sous ses pieds l’appui des couches intermédiaires de la petite bourgeoisie, qui généralement lui sont acquise. Cette situation d’alliance de la petite-bourgeosie avec le prolétariat a été occultée par les appareils réformistes de la FGTB et du PSB. Ils ont dissimulé la véritable nature de classe de cette alliance. Il y a d’ailleurs eu des exemples concrets de celle-ci, comme lorsque les commerçants de La Louvière ont tenu à marquer leur solidarité avec les grévistes en prenant contact avec eux pour les aider. Des sommes d’argent et des vivres ont été apportés aux grévistes pour les soutenir dans leur lutte contre la grande bourgeoisie.

    Il n’y a d’ailleurs pas que les couches de la petite bourgeoisie qui se sont senties solidaires, comme lorsque Le Peuple signale que les soldats et les gendarmes supplétifs avaient de la sympathie pour la grève générale. Des soldats avaient fait savoir aux grévistes qu’ils n’avaient pas de balles, et certains gendarmes supplétifs avaient prêté leurs bons offices pour établir les liaisons entre les piquets de grève. Il faut rappeler que lors de la grève générale de 1950, il y avait déjà eu un début de désintégration de l’armée. Jean Louvet se souvient aussi que des grévistes s’adressaient à des soldats leur disant: ”tu ne vas quand même pas tirer sur ton père.” Les soldats répondaient : ”Non monsieur.”

    Les quatre auteurs de la lettre de la LCR me font inévitablement penser à Trotsky quand il dit que: ”A l’école de Lénine, il faut apprendre la méthode d’action et non pas changer le léninisme en citation et en recette bonne pour tous les cas de la vie.” (Où va la France) Cette citation s’applique parfaitement à leur cas.

    La question des occupations

    Concernant l’occupation des établissements publics et des points stratégiques, certes, ce ne fut pas un phénomène généralisé à toute la Belgique. D’une part, il n’y a jamais eu de mot d’ordre d’occupation et, d’autre part, l’essentiel de la lutte classe contre classe se situait dans la rue. Il est toutefois à noter que, spontanément, la régie de l’électricité de Gand a été occupée pendant dix jours. En plus, Le Soir du 28 décembre 60 signale que: ”A Soignies, absolument toutes les industries sont paralysées. Les grévistes qui sont environ 1200 à 1300 contrôlent la situation. Ils occupent tous les établissements publics, écoles, poste, gare, usine, tout est fermé.” Dire comme le font mes quatre détracteurs que: ”rien de tel ne s’est produit en 60-61”, c’est encore une fois minimiser la juste réalité des faits. C’est aussi nier toutes les initiatives spontanées des grévistes d’occupation d’établissements et d’usines. A La Louvière, c’est le comité de grève qui a pris le pouvoir et a contrôlé absolument toute la situation. Le comité de grève dirigeait la grève de main de fer et fonctionnait comme un soviet, même les policiers communaux n’agissaient pas sans le consulter.

    Si un mot d’ordre d’occupation avait été lancé par les directions ouvrières, il est certain que l’occupation des entreprises et des points stratégiques aurait été largement réalisée. Il est évident que, ici et là, il y aurait eu des difficultés mais qui aurait pu empêcher les 10.000 grévistes des ACEC, les milliers de sidérurgistes, les milliers de verriers, d’occuper leurs usines ? Qui aurait pu empêcher les manifestations de 30 ou 40.000 grévistes de prendre d’assaut les points stratégiques, la radio, la TV, les centrales électriques, les gares, etc. ? Si les grévistes ont été capables de risquer leurs vies en commettant les nombreux actes de sabotages, il ne fait aucun doute pour les plus conscients qu’ils auraient été capables d’occuper les usines et les points stratégiques.

    Les illusions envers la social-démocratie

    Les quatre auteurs de la LCR posent la question suivante : ”si la majorité des travailleurs était invaincue et avait vraiment perdu toute illusion sur la social-démocratie au cours de la grève, comment expliquer qu’elle ne soit pas repartie au combat quelques mois plus tard?” On peut souvent entendre ce genre de phrase, si hautaine et méprisante, dans la bouche des réformistes, des communistes de salon et des sceptiques en tous genres. Mais on constate qu’aujourd’hui que les quatre mandelistes de la LCR ont repris le flambeau en se posant la question: ”comment expliquer qu’elle ne soit pas repartie au combat.” Poser cette question, c’est de la démagogie caractérisée envers les grévistes qui, durant cinq semaines, ont fait leur devoir de classe.

    Il ne faut pas idéaliser la classe ouvrière. C’est des partis politiques que doivent provenir les mots d’ordre de mobilisation de combat, ce sont eux qui doivent fixer les objectifs révolutionnaires. Même si ceux-ci ne furent pas atteints, il est certain que les travailleurs du pays sont restés invaincus. Mais les directions ouvrières traditionnelles n’ont pas envisagé de lancer une campagne révolutionnaire hardie dans la perspective de la conquête du pouvoir. En ce qui concerne ces directions, il n’y a rien d’étonnant. Ce qui a été le plus surprenant, c’est que ceux qui pourtant se profilaient comme le symbole de la gauche révolutionnaire n’ont pas non plus, au moment décisif de la lutte, eu le courage politique de développer en toute indépendance des appareils une agitation qui devait s’organiser autour des slogans et des moyens d’organiser vraiment la lutte pour le pouvoir.

    Aujourd’hui, rejeter ce manque de courage politique sur le dos des grévistes parce qu’ils ne sont pas repartis en grève, c’est le signe d’un grand mépris politique envers les travailleurs.

    C’est bien parce que les grévistes avaient perdu toute illusion sur la social-démocratie en général qu’ils ne pouvaient pas recommencer la même expérience avec la même direction capitularde. Ils n’avaient d’ailleurs pas le choix, car la classe ouvrière tolère la direction capitularde jusqu’au moment même où apparaît concrètement dans la lutte une nouvelle direction de rechange politiquement courageuse d’agir comme révolutionnaire. Mais au lieu d’une apparition, les grévistes ont eu droit à une éclipse.

    Un autre indice qui n’est pas moins révélateur des illusions perdues du réformisme, c’est l’adhésion de nombreux grévistes au MPW fondé par la suite par André Renard, le Mouvement Populaire Wallon. Nombreux étaient les travailleurs qui cherchaient une alternative au réformisme. Hélas, ils n’ont pas trouvé de réponse à leurs attentes dans le MPW et, rapidement, ce dernier a perdu toute force d’attraction. Les espoirs qu’il avait suscités se sont avérés vains.

    La pression de la base pour le décumul des mandats politiques et syndicaux est un autre indice que les grévistes voulaient prendre leur distance vis-à-vis de la prédominance de la direction du PSB sur la FGTB, raison pour laquelle ils voulaient se détacher également de la direction de la FGTB. Le MPW a été une expression de cela.

    Dans la grève générale de 60-61 ont jailli spontanément des mots d’ordre de la base qui tendaient à poser directement dans la lutte la question du pouvoir. Mais, une nouvelle fois, une vérité historique a été vérifiée: au plus loin que l’on puisse remonter dans le domaine de la lutte des classe, aussi puissante qu’elle soit dans ses méthodes et ses objectifs révolutionnaires, le combat spontané des masses ne peut à lui seul arracher le pouvoir pour la victoire du socialisme. Ce qui a cruellement manqué dans cette grève générale, c’est une direction de combat capable de prendre courageusement ses responsabilités révolutionnaires aux moments décisifs de la lutte. Mais la construction d’un parti marxiste révolutionnaire est seule capable de mener la classe ouvrière à la victoire de la révolution socialiste. Ce processus de construction est inséparablement et impérativement lié au processus de destruction des appareils réformistes sociaux-démocrates de gauche comme de droite, historiquement contre-révolutionnaires. Cette tâche reste devant nous, aujourd’hui comme hier. Et ce n’est certainement pas en restant soumis et à la remorque de ces appareils qu’il est possible de se débarrasser des entraves que constituent tous ces appareils. Ce n’est pas non plus en quittant le champ de bataille, où tout restait possible, qu’on peut y parvenir efficacement.

    ”Un monde révolutionnaire”

    On peu considérer qu’il est important de participer à un Congrès Mondial de la Quatrième Internationale, dont la tâche est en principe de discuter et de définir théoriquement l’orientation d’une politique révolutionnaire pour changer de société. Changer de société, c’était bien ce qui était à l’ordre du jour en 60-61 pendant la tenue même de ce Congrès. Je ne vais pas m’attarder ici sur la résolution de politique générale de ce 6e Congrès de la Quatrième Internationale, cela m’entraînerait beaucoup trop loin. Mais il est à mon avis encore plus important et absolument indispensable, lorsque se déroule un conflit de classe d’une ampleur exceptionnelle dans son propre pays, de rester pratiquement à son poste de combat avec les travailleurs en lutte dans une grève générale comme celle de 60-61.

    Hélas, pour Ernest Mandel, Georges Dobbeleer et Pierre Wouwermans, ce ne fut visiblement pas le cas. Pendant 10 jours, du 26 décembre 60 au 4 janvier 61, ils ont préféré se rendre en Allemagne à ce Congrès de la Quatrième Internationale (voir à ce sujet le livre de Georges Dobbeleer ”Sur les traces de la révolution”, p.193)

    Ce n’est certainement pas en quittant son poste de combat auprès des travailleurs en lutte, qui pourtant démontraient le potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière, qu’il est possible d’agir pratiquement comme marxiste révolutionnaire pour la victoire de la lutte pour la révolution socialiste. Mais il est vrai que, pour la tendance mandeliste, il n’y avait pas en 60-61 de ”grève générale” et ”la situation n’a jamais été révolutionnaire”. Ainsi, pour Ernest Mandel et sa tendance, la grève générale n’était pas une ”lutte révolutionnaire”, elle n’était d’ailleurs même pas ”générale”. Mais par contre, dans la brochure ”Force et faiblesse d’un grand combat”, Ernest Mandel écrit notamment que ”une bataille comme la grève belge de 1960-61 (…) reste possible partout (…) il n’y a pas un seul pays qui, dans le monde révolutionnaire d’aujourd’hui, ne puisse en l’espace de quelques années, être amené au bord de la révolution” (p.29)

    Donc, le monde était révolutionnaire, mais pas la grève générale de 60-61. Cette contradiction politique est l’expression de la confusion de la pensée par rapport aux marxistes révolutionnaires. Ce désordre apparent de la pensée a, en réalité, un sens politique précis, celui de semer la confusion afin de se disculper, de se dédouaner. Il est surprenant de la part de ceux qui se réclament du programme de transition de la Quatrième Internationale d’en arriver à ce genre de conclusion manquant totalement de réalisme politique. Bon nombre de militants de gauche, qui ne se réclament pourtant pas du marxisme, en étaient arrivés à mieux percevoir les vraies réalités révolutionnaires sous-jacentes de la grève générales révolutionnaire de 60-61.

    Mais le désordre apparent de la pensée des mandelistes se manifeste en réalité dans une perception politique minimaliste des évènements. Chez certains mandelistes comme André Henry, ce scepticisme qui se traduit par un manque de confiance envers le potentiel de combativité des travailleurs va encore plus loin, comme lorsqu’il balaye du revers de la main la combativité de ses camarades de travail dans la grève générale. Dans La Gauche (2010, n°50, p.12), il dit que ”les camarades en verrerie avaient une peur bleue des grèves.” C’est vraiment dire le contraire de la vérité, surtout pour ceux qui comme moi ont travaillé pendant quinze ans en verrerie. Si les travailleurs du verre avaient vraiment eu ”une peur bleue des grèves”, comment expliquer leur départ spontané en grève le 20 décembre au matin, n’écoutant que leur instinct de classe, contre l’avis des délégués principaux de Glaverbel-Gilly, de Barnum, et de Splintex-Gilly qui, eux, attendaient avec une peur bleue le mot d’ordre de la centrale FGTB?

    J’aimerais aussi que l’on m’explique comment un piquet de grève volant constitué uniquement de travailleurs du verre a été capable de faire débrayer pas moins de 5 entreprises verrières. Ce genre d’initiative spontanée des travailleurs du verre correspond-elle à une ”peur bleue des grèves” ou à une grande combativité ? C’est au lecteur d’en juger. Contrairement à ce que dit également André Henry, la verrerie Gobbe n’a pas démarré le 23 décembre 1960, mais le 20 décembre 60, au matin, dès le début de la grève générale, entraînant d’ailleurs dans son sillage tout le secteur verrier. Et idem pour les ACEC, ils ne sont pas partis en grève le 21 décembre 60, mais le 20 décembre, au matin, et entraînant à leur tour toutes les industries du métal de Charleroi.

    7 heures d’insurrection à Liège

    Il n’était pas nécessaire d’être un militant politique érudit pour apprécier correctement la signification révolutionnaire de la grève générale, pour voir qu’elle faisait du renversement du régime capitaliste son objectif principal, directement accessible. L’expression de cette volonté profonde s’est entre autres traduite dans le saccage de la gare des Guillemins à Liège, qui représentait un symbole de l’Etat Bourgeois, la fierté d’un édifice public nouvellement restauré.

    Aux yeux des grévistes, en s’attaquant à cette gare, ils avaient, faute de mieux, le sentiment de s’attaquer à l’Etat bourgeois. Peut-on sérieusement réduire les faits d’armes de la classe ouvrière aux simples ”bris de vitre” ? Je ne le pense pas. Le 6 janvier à Liège fut un véritable champ de bataille. Durant 7 heures, on a connu une véritable insurrection ouvrière. Pourtant, les quatre mandelistes de la LCR nient le caractère insurrectionnel de l’explosion de colère du 6 janvier, il le réduise à de simples bris de vitres. Pourtant dans Tribune Socialiste (organe du Parti Socialiste Unifié français, le parti de Mandes France à l’époque) du 14 janvier 1961, sous la signature d’Ernest Mandel, on pouvait lire – mais uniquement en France – que ”La bourgeoisie craint que l’explosion de colère qui a produit 7 heures d’insurrection à Liège, se généralise à toute la Wallonie. Car la bourgeoisie connait la profonde radicalisation, l’importante prise de conscience que la grève a déjà provoqué au sein de la classe ouvrière.”

    A la lecture du texte de mes détracteurs, on peut conclure sans risque de se tromper qu’ils n’ont certainement pas perçu le sens politique profond de la grève générale. De ce fait, ils ne peuvent comprendre que l’explosion de colère qui, comme l’a d’ailleurs écrit Ernest Mandel, ”a produit 7 heures d’insurrection à Liège”. Ce qui a entraîné de nombreux blessés et la mort de trois grévistes. Ces affrontements violents étaient l’expression d’une situation insurrectionnelle et révolutionnaire.

    Comme le disait Trotsky: ”Qui ne voit pas que la lutte de classe mène inévitablement à un conflit armé est aveugle.” (Où va la France) Il disait aussi que ”toute l’histoire du mouvement ouvrier témoigne que toute grève générale, quels que soient les mots d’ordre sous lesquels elle est apparue, a une tendance interne à se transformer en conflit révolutionnaire déclaré, en lutte directe pour le pouvoir” Toutes les théories des scientifiques, des sceptiques, des défaitistes, des fatalistes reposent sur l’idée que la classe ouvrière n’aurait plus de propension révolutionnaire, qu’elle ne serait plus capable de se battre avec la même énergie que par le passé sous prétexte qu’elle a toujours des illusions sur le réformisme, que nous sommes dans une société de consommation, qu’il y a actuellement un taux d’endettement élevé, etc.

    ”La nonchalance théorique se venge toujours cruellement dans la politique révolutionnaire”

    Dans ce contexte, la voie du réalisme révolutionnaire qui s’exprime aujourd’hui notamment dans un livre, à une époque de liquidation des valeurs du marxisme, résonne pour certains comme du ‘sectarisme indécrottable” alors que les différentes analyses politiques d’évènements importants ont toujours provoqué la controverse et une opiniâtre lutte idéologique. Une situation révolutionnaire ne tombe pas du ciel. Elle se forme avec la participation active des révolutionnaires présents sur le terrain de la lutte en cours. Comme le disait également Trotsky ”la nonchalance théorique se venge toujours cruellement dans la politique révolutionnaire” (Où va la France)

    Certains pourraient peut-être se demander pourquoi tant de critiques envers Mandel et sa tendance. La raison est qu’à l’époque des évènements de 60-61, il était le principal représentant patenté du mouvement trotskiste belge et membre du Secrétariat International de la Quatrième Internationale. Ses fonctions impliquaient des responsabilités encore plus importantes envers la lutte que la classe ouvrière menait en 60-61 pour le renversement de la bourgeoisie représentée par le gouvernement de Gaston Eyskens. Cela implique des critiques politiques sans complaisances, car il est absolument indispensable pour tout militant révolutionnaire d’assimiler correctement les leçons de la grève générale de 60-61 afin d’être mieux armés pour les luttes futures et aussi de contribuer dans la mesure de ses possibilités au réarmement du mouvement trotskiste belge, mais sur les bases fondamentales du programme de fondation de la Quatrième Internationale, élaborée par Trotsky lui-même. Dans toutes les luttes que la classe ouvrière mène contre la bourgeoisie, ”il n’y aucune crise qui d’elle-même puisse être ”mortelle” pour le capitalisme (…) le passage de la société bourgeoisie à la société socialiste présuppose l’activité d’êtres vivants.” (Où va la France)

    Les critiques politiques ne devraient pourtant pas étonner lorsque l’on sait qu’Ernest Mandel pouvait écrire pour la France le contraire de ce qu’il écrivait pour la Belgique sur la grève générale de 60-61. Il pouvait très facilement évoluer politiquement du marxisme le plus conséquent vers des thèses des plus déconcertantes, vers un opportunisme toléré par les appareils de la social-démocratie réformiste. Comme je l’ai écrit récemment dans mon livre, les liquidateurs du trotskisme en Belgique sont passés maîtres dans l’art de la rédaction de textes ambigus qui entremêlent deux lignes politiques contradictoires, l’une s’inspirant du marxisme et révolutionnaire, l’autre de complète capitulation par rapport à celui-ci. Cela a eu pour conséquence logique une tactique d’adaptation et de suivisme des plus lamentables de l’appareil syndical du renardisme. Cette dialectique de l’ambigüité est l’un des traits saillants du mandelisme.

    Les mandelistes interprètent le marxisme révolutionnaire à leur manière, comme cela leur convient le mieux, en rejetant leur manque de conviction marxiste révolutionnaire sur le dos de ceux qui soi disant n’avaient pas suivi le mouvement de grève générale. Mais en plus, les quatre mandelistes de la LCR ont aussi aujourd’hui une nette tendance à prêter aux autres militants qui ne sont pas de leur tendance, sans preuve tangible, des intentions politiques qu’ils peuvent ensuite tenter d’interpréter de façon complètement grotesques à leur avantage.

    Ils colportent ainsi un certain nombre de contre-vérités qui attendent à l’intégrité de militants politiques révolutionnaires en disant que ”Gustave Dache qui était à l’époque pour le maintien du syndicat corporatiste” alors que notre ”groupe d’ouvriers trotskistes de la verrerie” a toujours lutté avec virulence (avec trop même pour certains) contre l’appareil syndical réactionnaire et corporatiste des verreries. En plus, nous avons eu plusieurs contacts avec Rogier Dethy qui était à l’époque délégué principal à la caisserie ”La Paix” à Lodelinssart afin d’oeuvrer ensemble pour le raliement du syndicat des magasiniers verriers à la Centrale Générale FGTB. Il reste aujourd’hui des écrits et des témoins de cette lutte. Mais on connaît tous l’adage: ”mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose”.

    Les liquidateurs du trotskisme ont encore aujourd’hui la prétention de se considérer comme les représentants et les héritiers testamentaires de la Quatrième Internationale, alors qu’ils ne sont que des imposteurs. Le mandelisme est aux antipodes de la ligne politique définie par les fondateurs de la Quatrième Internationale. Je pourrais encore continuer cette réplique, mais il est évident que le lecteur se sera aperçu que les divergences politiques irréconciliables sur la grève générale de l’hiver 60-61, qui a d’ailleurs provoqué la rupture des vétérans trotskistes de Charleroi avec Ernest Mandel et sa tendance, n’ont pas disparu. Au contraire, ces divergences sont toujours bien présentes aujourd’hui.

    Dans ce cadre, si pour certains, ”le ton et le vocabulaire employés rendent le débat politique difficile”, pour moi, il n’est pas question d’empêcher le débat politique. D’ailleurs, n’ayant pas peur de la vérité politique, et pour couper court à tout équivoque, je propose la tenue d’un débat polémique publique et contradictoire, pourquoi pas dans la capitale, sur la grève générale de 60-61 entre Georges Dobbeleer qui me parait le plus compétent, mais cela peut être n’importe qui, sous l’égide conjointe de la LCR et du PSL.

    Le passé n’est pas réparable, mais je pense que l’on doit tous apprendre et en tirer les leçons même si, pour certains, elles sont dures à admettre car je considère qu’une organisation politique qui a perdu les capacités d’apprendre de ces propres erreurs est irrémédiablement condamnée.

    Le texte de mes quatre détracteurs mandelistes de la LCR n’a pas du tout affaibli mon analyse et mes critiques politiques de La Gauche, de Mandel et de sa tendance. Au contraire, leur texte a provoqué un renforcement de mes convictions politiques, surtout vis-à-vis de tous ces incorrigibles sceptiques qui considèrent que lors de la grève générale de l’hiver 60-61, la situation n’a jamais été révolutionnaire.

    Personne ne peut prétendre détenir le monopole de la vérité. Mais ceux qui croient encore que les grévistes ont fait grève uniquement contre le Loi Unique se mettent le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Pour tous ces sceptiques indécrottables, qui n’ont toujours pas compris que la logique interne de la grève générale pose de façon révolutionnaire la question du pouvoir, ils ne doivent pas se hasarder à dire que la grève du siècle: ”a montré le potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière, mais la situation n’a jamais été révolutionnaire”. Comme le disait Trotsky: ”les bavardages de toutes sortes selon lesquels les conditions historiques ne seraient pas encore ”mûres” pour le socialisme, ne sont que le produit de l’ignorance ou d’une tromperie consciente. Les prémisses objectives de la révolution prolétarienne ne sont pas seulement mûres, elles ont même commencé à pourrir.”


    * Pour voir l’intégralité du texte de la LCR, cliquer ici

  • [DOSSIER] Hausse des prix: Une réponse socialiste

    En février, nous avons payé nos achats en moyenne quasiment 3,4% plus cher que l’an dernier, la plus forte augmentation de l’inflation depuis octobre 2008. Grâce à l’indexation automatique des salaires, cela sera heureusement compensé – avec retard et de façon partielle seulement. Mais juste au moment où cette indexation doit nous protéger de la perte de pouvoir d’achat, le patronat lance son offensive. Il peut compter sur l’appui des institutions internationales. Quelle est la réponse socialiste face aux hausses des prix ?

    Par Eric Byl

    Comment expliquer les hausses des prix?

    Souvent, on associe la crise aux hausses des prix ou à l’inflation. C’est pourtant l’inverse en général. Les crises vont de pair avec des baisses de prix, la déflation, alors que les reprises s’accompagnent d’une hausse de l’inflation. En temps de crises, lorsque les produits se vendent plus difficilement, les patrons ont tendance à baisser les prix. Ils diminuent les coûts de production, surtout les salaires, ou se contentent d’une marge de profit plus restreinte. Lors de la reprise, ils essayent alors de vendre à des prix plus élevés afin de rehausser la marge de profit. Dans un monde où l’offre et la demande s’adapteraient de façon équitable, les prix évolueraient de façon assez stable autour de la valeur réelle du produit, c.à.d. la quantité moyenne de temps de travail nécessaire pour produire la marchandise, de la matière première au produit fini.

    Mais le monde réel s’accompagne de changements brusques, avec des accélérations soudaines et des ralentissements abrupts. La nature ellemême connait de nombreux caprices. De mauvaises récoltes en Russie et en Ukraine, pour cause de sécheresse, ont contribué à faire augmenter les prix de la nourriture. Un système de société peut tempérer ces caprices, les corriger, mais aussi les renforcer. Les incendies de forêts, les tempêtes de neige, les inondations, les tremblements de terres et les tsunamis s’enchaînent, avec en ce moment au Japon la menace d’une catastrophe nucléaire. Nous ne connaîtrons avec certitude la mesure exacte de l’impact humain sur le réchauffement de la planète qu’au moment où la recherche scientifique sera libérée de l’emprise étouffante des grands groupes capitalistes. Mais que la soif de profit pèse sur l’être humain et son environnement, conduit à la négligence des normes de sécurité et à des risques inacceptables, le PSL partage avec beaucoup cette conviction.

    La Banque Mondiale estime que la hausse des prix de l’alimentation a, depuis juin 2010, poussé 44 millions de personnes en plus dans l’extrême pauvreté. Son index des prix de l’alimentation a gagné 15% entre octobre 2010 et janvier 2011. Diverses raisons sont citées: la croissance démographique dans les régions pauvres, la demande de biocarburants, la sécheresse, les inondations et d’autres catastrophes naturelles, la faillite de paysans africains face à la concurrence des excédents agricoles de l’occident, la spéculation qui accélère les hausses des prix. La hausse des prix de l’alimentation et la montée du coût de la vie ont constitué des éléments primordiaux dans les révolutions au Moyen- Orient et en Afrique du Nord.

    Le seul système qui fonctionne?

    L’establishment prétend que le capitalisme est le seul système de société qui fonctionne. La noblesse féodale et les esclavagistes avant elle prétendaient de même à leur époque concernant leurs systèmes. Chaque système fonctionne, il n’existerait pas sinon. Il répond toujours à un certain degré de développement de nos capacités productives. Dès qu’un système de société devient un frein à l’application de savoirs scientifiques et techniques, il provoque le chaos plutôt que le progrès. C’est alors que le moteur de l’histoire se déclenche; la lutte des classes.

    Brûler des combustibles fossiles est un gaspillage de richesses livrées par des processus naturels qui ont pris des millions d’années, et c’est catastrophique pour notre environnement.

    Nous le savons depuis plusieurs dizaines d’années. Mais depuis ce temps, la recherche scientifique concernant les sources d’énergies alternatives est sabotée par les fameuses ‘’sept soeurs’’, les sept sociétés pétrolières les plus grandes au monde. Des moteurs actionnés par hydrogène, énergie solaire et éolienne, masse bio, etc. sont trop menaçants pour leurs profits. Au lieu d’orienter la recherche vers les énergies renouvelables, elle a pratiquement été exclusivement consacrée au développement du nucléaire ‘’bon marché’’. Avec la ponctualité d’une horloge, nous sommes rappelés à la réalité des dangers de cette technologie.

    Ce n’est pas une surprise si la demande d’énergie augmente. On aurait pu investir depuis longtemps pour des économies d’énergie et dans le développement de sources d’énergie renouvelables. Mais ce n’est pas ainsi que fonctionne le capitalisme.

    Les investisseurs privés ne sont intéressés que s’ils peuvent récupérer à cout terme leur investissement, avec une bonne marge de profit. C’est valable pour les mesures d’économies d’énergie et pour l’énergie renouvelable tout autant que pour les combustibles fossiles plus difficiles à extraire, par exemple. Avec la spéculation, le manque d’investissements pour garantir une offre suffisante a été à la base de la forte envolée des prix du pétrole, jusqu’à atteindre 147$ le baril, il y a deux ans. La récession a fait retomber la demande et le prix, mais le problème a continué à proliférer. La perversité du capitalisme s’exprime dans la réaction des ‘‘marchés’’ face aux insurrections démocratiques contre les dictateurs corrompus au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Les ‘‘marchés’’ craignent que la démocratie menace l’approvisionnement en pétrole. Au cas où la dictature en Arabie-Saoudite succomberait elle aussi, un prix de 200$ ou plus est à l’horizon pour le pétrole. Pour l’économie capitaliste mondiale, cela équivaudrait à une crise cardiaque.

    Les prix de l’énergie et de l’alimentation en hausse en Belgique

    Cette perversité du capitalisme échappe à ceux qui plaident pour la mise sous curatelle de l’indexation salariale en Belgique. Ils savent que les prix du pétrole et de l’alimentation sont en hausse partout dans le monde, ce qu’ils n’expliquent pas par le capitalisme, mais comme quelque chose qui nous tombe dessus tel un phénomène naturel. Ce ‘‘phénomène naturel’’ s’infiltre en Belgique. Les prix de l’énergie et de l’alimentation, surtout, ont augmenté en flèche ces derniers temps. Sans produits liés à l’énergie – le fuel, le diesel, le gaz et l’électricité – l’inflation serait plus basse de moitié.

    La bourgeoisie belge préfère couper dans l’investissement pour le renouvellement de la production. Aujourd’hui, elle se trouve à la queue du peloton en termes d’investissements dans la recherche et le développement. Nos politiciens en sont le parfait miroir. Depuis des années, ils économisent sur les investissements nécessaires dans l’entretien des routes, des bâtiments scolaires, de l’infrastructure ferroviaire, etc.

    Nous en subirons les conséquences des années encore. ‘’Si la politique énergétique de nos autorités ne change pas immédiatement, des coupures d’électricité se produiront, littéralement’’. C’était la conclusion d’une récente émission de Panorama. ‘’La Belgique manque d’électricité parce que nos gouvernements ont fait construire trop peu de centrales et parce que le réseau à haute tension qui devrait importer du courant supplémentaire n’a pas la capacité de répondre à la demande.’’ Mais GDF Suez, la maison mère d’Electrabel, a réalisé l’an dernier un profit record de 4,62 milliards d’euros.

    Le secteur de l’énergie n’est pas le seul à manier des marges de profits indécentes. Selon le rapport annuel de l’observatoire des prix, les hausses des prix des matières premières mènent à des adaptations de prix exagérées en Belgique. En plus, cela n’est qu’à peine corrigé lorsque les prix des matières premières reculent. Toutes les chaines de supermarchés le font. Ce sont les prix des produits de base tels que les pommes de terre, les oignons, le fuel et le gaz qui haussent fortement. Des marchandises moins couramment achetées, comme les télévisions à écran 16/9e ou les PC, ont vu leur prix baisser.

    Indexation des salaires, un acquis du mouvement ouvrier

    Il existe des moyens de tempérer les caprices de la nature et du système capitaliste. La classe ouvrière en a arraché plusieurs durant le siècle précédent. Ainsi, après la révolution Russe de 1917 et la vague révolutionnaire qu’elle a engendrée, un index des prix à la consommation a été obtenu dès 1920 en Belgique. A l’origine, seul un nombre limité de conventions collectives avaient introduit l’indexation automatique des salaires. Mais après chaque grande grève, ce nombre s’est élargi.

    Dans son Programme de Transition de 1938, Trotsky plaidait en faveur de l’échelle mobile des salaires, l’appellation contemporaine de l’adaptation automatique des salaires au coût de la vie, afin de protéger les foyers des travailleurs de la pauvreté. Parallèlement, il plaidait aussi pour l’introduction d’une échelle mobile des heures de travail, où l’emploi disponible est partagé entre tous les travailleurs disponibles, cette répartition déterminant la longueur de la semaine de travail. ‘’Le salaire moyen de chaque ouvrier reste le même qu’avec l’ancienne semaine de travail. La “possibilité” ou l’ “impossibilité” de réaliser les revendications est, dans le cas présent, une question de rapport des forces, qui ne peut être résolue que par la lutte. Sur la base de cette lutte, quels que soient ses succès pratiques immédiats, les ouvriers comprendront mieux toute la nécessité de liquider l’esclavage capitaliste.’’

    Après la deuxième guerre mondiale, le rapport de forces était favorable au mouvement ouvrier. Le système a graduellement été introduit dans tous les secteurs. Mais comme toute victoire du mouvement ouvrier, cet acquis aussi a été attaqué dès que le rapport de forces a commencé à se modifier. En 1962, le ministre des affaires économiques, Antoon Spinoy (PSB !) a essayé de retirer de l’index la hausse des prix des abonnements sociaux pour le transport public. En 1965, ce même gouvernement a à nouveau essayé, cette fois-ci avec le prix du pain. En 1978, de nouveau avec le PSB, le gouvernement a réussi à remplacer les produits de marques compris dans l’index par des produits blancs. En mars 1976, la loi de redressement de Tindemans – Declercq a aboli l’indexation pour la partie du salaire supérieure à 40.250 francs belges (1.006,25 euros). Cette mesure sera retirée en décembre, suite à la résistance de la FGTB.

    La victoire du néolibéralisme à la fin des années ’70 et au début des années ’80 a conduit à des attaques systématiques contre le mécanisme de l’indexation. Le gouvernement de droite des libéraux et des chrétiens-démocrates a appliqué trois sauts d’index entre 1984 et 1986. A trois reprises, donc, l’indexation des salaires n’a pas été appliquée. Ceci continue encore aujourd’hui à agir sur les salaires. En 1994, le gouvernement de chrétiens-démocrates et de sociaux-démocrates a retiré le tabac, l’alcool et l’essence de l’index ‘’santé’’. Depuis, dans divers secteurs, des accords collectifs all-in et saldo ont été introduits. Ces accords neutralisent en partie l’effet de l’indexation des salaires.

    La Belgique est-il le seul pays où s’app lique l’indexation automatique des salaires ?

    Dans certains secteurs de l’industrie aux États-Unis et en Grande-Bretagne, de tels accords étaient largement répandus jusqu’en 1930. En Italie, cela a été introduit dans les années ’70, mais a, depuis, été partiellement aboli. Au Brésil, au Chili, en Israël et au Mexique, l’indexation salariale a été abolie cette dernière décennie.

    Aujourd’hui, l’indexation automatique des salaires ne s’applique plus qu’en Belgique et au Luxembourg. A Chypre, elle existe aussi, mais ne s’applique pas à tous les travailleurs. En Espagne, au Portugal, en Finlande, en Italie, en Pologne et en Hongrie, des mécanismes d’indexation salariale sont repris dans des accords de secteurs où dans des contrats individuels. En France, en Slovénie et à Malte, les salaires minimaux sont indexés.

    D’abord produire, ensuite partager

    Dans leurs attaques contre l’indexation automatique, les politiciens et les économistes bourgeois accentuent toujours qu’il faut ‘’d’abord produire les richesses avant de pouvoir les partager’’. Il faut raconter cela au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ! Tant Moubarak que ses fils Gamal et Alaa sont milliardaires. De l’ancien dictateur Tunisien Ben Ali et sa famille, il est connu qu’il dispose d’une fortune immobilière correspondant à une valeur de 3,7 milliards d’euros en France uniquement. Les barons du textile belge qui ont massivement délocalisé vers la Tunisie dans les années ’70 y sont devenus indécemment riches. Combien de richesses faut-il avant que le partage ne commence ?

    Ce n’est pas de cela qu’ils parlent, mais bien des effets soi-disant pervers de l’indexation de salaires. Ainsi, l’indexation créerait selon Thomas Leysen dans Le Soir du 19 mars, une perception erronée de la marge salariale. L’économiste Geert Noels appelle cela ‘’le handicap concurrentiel automatique’’. Pour le professeur en économie Joep Konings (KULeuven) l’indexation automatique protège les habituels bien payés, mais complique l’accès aux emplois pour ceux qui n’en ont pas, puisque les entreprises seraient plus prudentes avant de recruter: ‘’Abolir l’indexation salariale automatique serait donc une mesure sociale.’’ Il rajoute qu’il faut l’accompagner de l’abolition de l’indexation des allocations sociales, au risque de voir la différence entre travailler ou ne pas travailler se réduire.

    Unizo, l’organisation des petits patrons en Flandre, plaide en faveur de ‘’quelques sauts d’index’’. Le professeur Peersman (UGand) veut annuellement adapter le salaire aux objectifs de la Banque Centrale Européenne. Son collègue De Grauwe (KULeuven) veut retirer le coût de l’énergie importée de l’index. Wivina Demeester, ancienne ministre CD&V, plaide pour une indexation en chiffres absolus au lieu de pourcentages. Mais selon De Grauwe, cela rendrait le travail non qualifié relativement plus cher et aurait par conséquent un effet non souhaitable. La Banque Nationale s’en tient à mettre en garde contre une spirale salaire-prix où des hausses de prix entraineraient des augmentations salariales qui seraient compensées par de nouvelles hausses de prix et ainsi de suite. Ce n’est pas un nouvel argument. Elle veut nous faire croire que lutter pour des augmentations salariales n’a pas de sens.

    Marx a déjà répondu à ces argument il y a 150 ans dans sa brochure ‘’Salaire, prix, profit’’ En réalité, le patron essaye d’empocher lui-même une partie aussi grande que possible de la valeur que nous avons produite. La peur de l’inflation n’a jamais freiné les patrons à empocher le plus de profits possibles. Avec un profit à hauteur de 16 milliards d’euros, une hausse d’un tiers comparée à 2009, les plus grandes entreprises belges disposent à notre avis de beaucoup de marge. En plus, des dividendes sont royalement versés aux actionnaires. Le producteur de lingerie Van de Velde, pour donner un exemple, a versé en 2010 quelque 70% du profit réalisé à ses actionnaires. Même en pleine crise, en 2009, les patrons des entreprises du Bel 20 s’étaient accordés en moyenne une augmentation salariale de 23%.

    Contrôles des prix

    Il n’y a rien à reprocher aux travailleurs en Belgique. Nous sommes toujours parmi les plus productifs du monde, loin devant nos collègues des pays voisins. Grâce à notre mécanisme d’indexation, la demande intérieure a mieux résisté à la crise de 2009 que dans d’autres pays, y compris en Allemagne. La contraction économique et le recul des investissements ont été moindres, tout comme la hausse du chômage. A l’époque, tout le monde a reconnu que c’était dû aux prétendus stabilisateurs automatiques, ce qui fait référence à la sécurité sociale et au mécanisme d’indexation.

    Nos prix de l’énergie sont largement plus élevés que ceux pratiqués à l’étranger. Des profits énormes sont drainés vers les poches des actionnaires, qui ne se trouvent d’ailleurs pas tous en France. De plus, en Belgique, l’industrie est très dépendante de l’énergie, mais là aussi on investit à peine dans une utilisation rationnelle de l’énergie. Nulle part ailleurs en Europe autant de voitures d’entreprises ne sont utilisées à titre de compensation salariale afin d’éviter des charges sociales. En comparaison des pays voisins, il y a en Belgique très peu de logements sociaux. Nos bâtiments résidentiels, tout comme nos bâtiments scolaires vieillis, sont extrêmement mal isolés et souvent encore chauffés au fuel, d’où les plaidoyers pour des contrôles transparents sur les prix.

    Le SP.a vise en premier lieu les prix de l’énergie. Le PS veut s’attaquer à l’inflation par des contrôles des prix d’au moins 200 produits. Nous sommes un peu étonnés que personne n’ait encore proposé d’introduire, à côté de la norme salariale, une norme des prix, où les prix ne pourraient monter plus que la moyenne pondérée des prix pratiqués dans nos pays voisins. Pour beaucoup de gens, le contrôle des prix de l’alimentation, de l’énergie et du loyer serait le bienvenu. Au Venezuela, Chavez a également introduit des contrôles des prix sur les denrées alimentaires, mais les rayons sont presque vides. Morales en Bolivie s’est heurté à une grève des employeurs lorsqu’il a voulu bloquer les prix des tickets de bus. Les propriétaires ont organisé un lock-out.

    Nous ne croyons pas que cela se produirait facilement en Belgique, ni pour l’alimentation, ni pour les loyers, ni pour l’énergie. Mais la leçon à tirer est qu’il est impossible de contrôler la distribution sans que l’autorité reprenne également la production en main, en assurant que le revenu du petit producteur soit garanti. Les contrôles des prix sont en fait une forme de contrôle des profits. Les entreprises privées essayeront de restaurer leur marge de profit aux dépens des travailleurs et si cela échoue, ils menaceront de délocaliser ou de stopper les investissements prévus.

    LE PSL TROUVE QUE LES TRAVAILLEURS N’ONT PLUS À PAYER LA CRISE PROVOQUÉE PAR DES SPÉCULATEURS

    • Pas touche à l’indexation automatique, pour le rétablissement complet de l’index. Liaison au bien-être de toutes les allocations.
    • Pas d’allongement du temps de travail, mais une semaine de travail de 32 heures, sans perte de salaire et avec embauches compensatoires, pour que le travail disponible soit réparti entre tous. Cela peut s’accompagner de crédit bon marché aux indépendants et de subsides salariaux sur base de coûts prouvés.
    • Ouverture des livres de comptes de toutes les grandes entreprises afin de contrôler leurs véritables coûts, les profits, les salaires des directions et les bonus.
    • Nationalisation du secteur énergétique sous contrôle des travailleurs et sous gestion des travailleurs eux-mêmes, pour être capables de libérer les moyens afin d’investir massivement dans l’énergie renouvelable et l’économie de l’énergie.
    • Pour le monopole d’État sur les banques et le crédit sous contrôle démocratique de la communauté. Au lieu de devoir supplier les directions des banques afin d’obtenir du crédit, le public pourrait alors planifier les investissements publiques nécessaires aux besoins réels de la population.
    • Pour une société socialiste démocratiquement planifiée et pour rompre avec le chaos capitaliste
  • Football : réforme de la honte en Belgique, FIFA mafia,… Le système capitaliste pervertit notre sport

    Recherche effrénée de profits, concentration quasimonopolistique du pouvoir et des richesses dans les mains d’un groupe toujours plus restreint, mais aussi crise des institutions, perte de confiance de la population en cellesci, baisse des moyens publics,… Le monde du sport vit la même crise que celle de la société en général.

    Par Stéphane Delcros

    FIFA mafia

    L’institution suprême, la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), est championne de la défense de ceux qui mettent beaucoup sur – et sous – la table. L’attribution des Coupes du Monde 2018 et 2022 à la Russie et au Qatar ne provient pas de la volonté de promouvoir des contrées peu ou pas encore au centre de l’attention de la planète foot…

    Les contrats juteux obtenus par la FIFA lui permettent d’engranger de gigantesques bénéfices. Sepp Blatter (ci-dessous), président de la FIFA, et les top-managers de l’association, se sont d’ailleurs octroyés un bonus de 40 millions d’euros après la Coupe du monde en Afrique du Sud… Mais pour le gouvernement sud-africain par exemple, la facture s’annonce beaucoup plus salée que prévu : d’après une étude récente (1), il y aurait un surplus de 1709% par rapport au budget initial (soit 4,1 milliards d’euros à la place de 240 millions). Des coupes dans les programmes sociaux combleront le gouffre financier du Mondial, dans un pays où 40% de la population vit dans la pauvreté absolue.

    Par contre, les 5 plus grosses entreprises de construction sud-africaines ont augmenté leurs bénéfices : 80 millions d’euros en 2004 contre 1,1 milliards en 2009. Les salaires de leurs directeurs ont augmenté de 200% sur la même période. Les ouvriers ont dû, eux, mener 26 grèves locales et 1 grève nationale pour arracher une augmentation salariale qui couvre à peine l’augmentation du coût de la vie. Et pour construire quoi ? Des stades et des infrastructures qui sont inutilisables au lendemain de la Coupe du monde.

    Comme toujours, les profits de la FIFA et de ses partenaires sont puisés dans les poches des supporters et de la population locale, face à l’augmentation du coût de la vie autour de l’évènement, mais aussi parce que l’argent public est largement mis à contribution. L’une des conditions notamment imposée aux candidats pour accueillir la Coupe du Monde est l’exonération fiscale totale, y compris pour la TVA. Les autorités politiques belges avaient accepté sans broncher toutes ces conditions pour déposer leur candidature à l’organisation du Mondial 2018.

    Mécénat vs moyens publics

    Et pendant ce temps souffrent les petits clubs et le financement nécessaire à la base. L’édito du magazine So Foot de novembre 2010 pointe le fait que le budget public des sports 2011 en France vient d’être diminué de 14,4% (2). Depuis 2003, cela signifie 40% de budget en moins. Et ce n’est qu’une des nombreuses mesures qui consistent, dans le milieu du sport comme ailleurs, à ‘‘Faire payer les pauvres !’’, comme le souligne le titre de l’édito. Les autorités locales vont ‘‘faire comme dans n’importe quel ménage, les coupes franches s’appliqueront d’abord sur les loisirs, autrement dit, ici, le sport’’, celui-ci devenant secondaire face à d’autres priorités. ‘‘C’est d’autant plus absurde qu’on demande dans le même temps aux associations sportives de régler la question sociale, d’occuper les jeunes futurs casseurs, de servir quasiment de crèche (…)’’.

    Ce qui vaut en France vaut malheureusement partout. Et qui est censé payer l’éducation, la formation, l’encadrement de la jeunesse ? Les supporters, avec des prix exorbitants pour les abonnements, et, évidemment, le sponsoring privé. La course aux sponsors et aux investissements du privé, de la boulangerie du coin à la grosse boîte plein de thunes, voilà sur quoi repose le financement du sport, à la base comme aux niveaux les plus élevés des compétitions. Belle assurance de stabilité et de développement pour l’avenir…

    Cela implique dans les faits le contrôle d’une personne ou d’un groupe très restreint sur la manière de gérer l’équipe, la formation, avec des choix de joueurs parfois portés exclusivement vers l’extérieur de la région, sans une politique de formation de jeunes locaux.

    Le capitalisme : une voie sans issue

    Le football, et le sport en général, ont besoin d’un projet public de financement, pour tous, à tous les échelons. Et pour cela, l’argent, en réalité, ne manque pas. Les profits récoltés sur notre dos par la FIFA et les autres institutions footballistiques et sportives le prouvent.

    Les sommes folles que sont prêts à donner les gros mécènes le prouvent (pour la Coupe du Monde 2006 en Allemagne, la FIFA a perçu 750 millions d’euros rien qu’en contrats de sponsoring !). Le montant des droits télés, en Belgique et ailleurs, le prouve. Les profits annuels de Belgacom et des autres opérateurs médiatiques en général, le prouvent aussi. Il faut utiliser ces moyens pour le vrai sport, en développant les infrastructures de base et la formation, tant pour ceux qui prennent le football et le sport comme loisir que pour développer une vraie compétition, saine, dans un esprit fraternel, sans autre enjeu que le sport.

    Mais il faut aussi s’assurer que la gestion et le contrôle des clubs sportifs et des fédérations soient entre nos mains : celles des sportifs, des supporters et de la population locale. Les plus grands clubs de football sont en réalité pris en otage par des capitalistes aux pouvoirs immenses.

    Nombre de ceux qui possèdent et contrôlent nos clubs, nos évènements sportifs, et décident de leurs avenir, contrôlent également nos lieux de travail et l’avenir de ceux-ci. La lutte pour démocratiser notre football et notre sport doit passer par leurs reprises en mains par les jeunes et les travailleurs et doit être liée à la lutte contre les patrons sur nos lieux de travail.

    Le sport doit être une institution, un évènement populaire, contrôlé par la collectivité et les supporters, qui permette d’encadrer sainement la jeunesse, de l’impliquer, épaulée par les sportifs plus expérimentés. Il doit être accessible à tous, sportifs comme supporters, à des prix démocratiques, et ne doit pas générer des salaires exorbitants pour les sportifs de haut niveau.


    (1) Etude de l’OEuvre Suisse d’Entraide Ouvrière (OSEO) : « A preliminary evaluation of the impact of the 2010 FIFA World Cup : South Afrika » : www.sah.ch/ index.cfm?ID=D2A1FABA-E82D-4332- 83CD34DD6B28EF1D

    (2) So Foot, n°81, novembre 2010. A lire sur le blog lié à So Foot : «Never trust a marxist in football !»: www.sofoot.com/ blogs/marxist/edito-so-foot-faire-payer-lespauvres- 133520.html

  • Wisconsin : USA, un ‘‘géant endormi’’ s’éveille

    Partout dans le monde, les travailleurs font face à la crise. Dans les pays où les attaques ont été annoncées, les travailleurs ont réagi avec vigueur. Aux États-Unis, la crise a frappé fort avec la perte de millions d’emplois (on parle d’un taux de chômage officiel de 10 à 15%). Obama n’a pas hésité à déposer environ 800 milliards pour permettre à l’économie américaine de se relever. Alors que les patrons et les actionnaires se remplissent à nouveau les poches et que les banques profitent des taux 0 de la Fed (la banque centrale américaine), la note est présentée aux travailleurs.

    Par Alain (Namur)

    Une attaque massive contre les droits syndicaux

    À l’instar de Sarkozy en France – qui avait fait voter le service minimum au tout début de son mandat avant d’annoncer des attaques tous azimuts – les gouvernements de divers Etats américains annoncent des mesures visant à réduire la force de frappe des travailleurs à travers des attaques contre les droits syndicaux. Tel un géant endormi, la classe ouvrière américaine se réveille et lutte contre ces politiques.

    Afin de pouvoir attaquer les salaires et les conditions de vie des travailleurs, les divers gouvernements des Etats américains s’attaquent aux droits syndicaux,:des lois antisyndicales sont à l’agenda dans 18 d’entre eux, de nouvelles législations sur le ‘‘droit au travail’’ sont en préparation dans une douzaine d’Etats et, dans 7 Etats, l’establishment veut fouler aux pieds la législation salariale dans la construction.

    On annonce, de l’échelon fédéral à l’échelon local, quelque 100 milliards de coupes et 300 milliards pour les 2 prochaines années.

    Au Wisconsin, une réaction spontanée des masses a répondu à la tentative de Scott Walker, le gouverneur, de s’attaquer aux droits syndicaux. Le plan du gouverneur était de faire passer une législation visant à s’attaquer aux droits de négociation des syndicats, d’obliger le syndicat à obtenir un vote annuel pour être représentatif et à diminuer le soutien financier des syndicats. Le soulèvement a commencé lorsque Le gouverneur Walker a présenté sa loi de programme budgétaire le 10 février 2011. Alors qu’une grande partie du déficit budgétaire est due à des diminutions d’impôt accordées aux ‘‘super-riches’’ pour un montant de 117 millions de dollars, les travailleurs, eux, ne subissent que des attaques. Ils ont donc organisé des délégations et des protestations. Chaque jour, des milliers de gens sont sortis en rue. Plusieurs bâtiments, y compris le capitole, furent occupés par les jeunes et les travailleurs. Les professeurs se sont déclarés malades, et les étudiants sont sortis pour manifester.

    Un mouvement qui prend de manière large

    Ces mouvements de protestation n’ont pas seulement touché l’Etat du Wisconsin. Des mouvements de solidarité ont touché tout le pays, qui fait partout face à des attaques contre les droits syndicaux. Les manifestations de février ont réuni 50.000 personnes, celle du 5 mars 100.000 et celle du 12 mars 200.000 (soit un 25e de la population de l’Etat !). Notre section-sœur aux USA, Socialist Alternative, appelle à une grève générale dans tout l’Etat afin d’augmenter qualitativement le niveau de la lutte. La force du gouvernement de Walker, c’est qu’il a le temps pour lui. La classe ouvrière a mené diverses actions qui ont permis de postposer le vote de la loi. Mais il ne s’agit pas seulement de faire reporter le vote, mais bien de modifier le rapport de forces afin de faire reculer le gouvernement.

    Aucune confiance ne peut être accordée aux Démocrates. Les 14 démocrates ont refusé le texte de Walker mais dans d’autres Etats, ce sont eux qui mènent les politiques d’austérité. Le décalage entre les promesses d’Obama et leur réalisation illustre que le temps du ‘‘Yes, we can’’ est terminé…

    Ce mouvement a aussi permis de démasquer les mensonges du Tea-Party. La lutte a pointé le fait que l’argent doit être pris dans la poche des riches et des banques pour bénéficier aux travailleurs et aux jeunes. Ceux qui ont forgé les organisations du mouvement ouvrier américain dénonçaient le capitalisme comme source du chômage, de la pauvreté et de l’inégalité sociale. Le capitalisme ne peut garantir le bien-être de l’ensemble des travailleurs et de leurs familles. Alors que le monde est secoué par la crise économique et n’entrevoit pas de voie de sortie autre que de nous faire payer, l’organisation d’un parti des travailleurs américain permettrait au mouvement d’obtenir des victoires et d’organiser le combat.

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