Tag: France

  • France. Métro, boulot, caveau?

    Cette fois-ci on peut gagner, et construire une toute autre société !
    Construisons la grève générale reconductible !

    On comptait plus de 2 millions de manifestant.e.s le premier jour de mobilisation contre la nouvelle réforme des retraites. Quel début historique et prometteur ! Et puis sont arrivées les actions « Robin des bois » : des hôpitaux, des centres sportifs publics, des bibliothèques, des collèges, des lycées, des crèches, des chauffages collectifs d’université ou de HLM, des logements sociaux, etc. ont été placés en “gratuité d’électricité ou de gaz”. Quelle puissante illustration de ce que peut être une société dirigée par les travailleurs.euses !

    Tract d’Alternative Socialiste Internationale

    Le front commun des principales organisations syndicales du pays tient bon, et c’est une première depuis 2010, quand l’âge de la retraite est passé de 60 à 62 ans. Mais à l’époque, la mobilisation de la jeunesse avait été plus difficile. Aujourd’hui, elle s’est engagée dans la lutte dès le 21 janvier avec une mobilisation de 150.000 personnes à Paris. Des intersyndicales étudiantes ont réussi à obtenir une dispense d’assiduité pour les étudiant.e.s qui veulent manifester, des cortèges étudiants se sont élancés des campus rejoindre les manifestations syndicales,… et depuis ce 7 février, des lycées et universités sont bloqués.

    Le gouvernement et Macron espéraient une répétition du mouvement 2019 / début 2020, quand la lutte, bien que titanesque, avait souffert du manque de plan d’action audacieux vers une grève générale reconductible. Le mouvement s’essoufflait alors après une série de journées de mobilisations sans perspective. Tout le monde le sait : sans le confinement, en 2019-2020, ça n’aurait pas marché.

    Nous avons encore de nombreuses faiblesses à relever, mais nous pouvons déjà constater, au 4e Acte de cette mobilisation, que les choses se présentent sous un tout autre jour. Ne laissons pas passer cette occasion de lancer une offensive résolue contre Macron-Borne et tout le système capitaliste !

    Leçons de la lutte pour le pouvoir d’achat

    Le mouvement de grève dans les raffineries en automne dernier avait alimenté la confiance dans d’autres secteurs. À la mi-septembre encore, il était impossible d’imaginer que quelques semaines plus tard, un début de lutte généralisée se produirait ; qu’un tel type de mouvement de grève dynamique se développerait.

    Deux journées de grèves nationales avaient été appelées pour la fin du mois de septembre par la CGT et Solidaires, mais sans être des échecs complets, elles étaient loin de ce qui était nécessaire pour mener une bataille pour gagner. Ces journées de grève n’avaient été organisées qu’à contrecœur, en réponse aux appels de Mélenchon et de la France Insoumise qui relayaient la colère à la base et poussaient pour un mouvement social en septembre.

    Malheureusement, en juin, le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez n’était pas convaincu de la nécessité d’un mouvement généralisé : “Les mobilisations sociales sont de la responsabilité des syndicats”, avait-il répondu aux appels de Mélenchon. Celui-ci avait également tenté, sans succès, de mobiliser les structures syndicales pour la “Marche contre la vie chère et l’inaction climatique” du 16 octobre, qui a finalement été un grand succès en rassemblant plus de 100.000 personnes (dont de nombreux syndicalistes) à Paris. La mobilisation pour cette marche s’annonçait pourtant très difficile, vu le contexte de luttes plus restreint, mais aussi à cause des critiques justes à l’encontre de la gestion désastreuse et sexiste de l’affaire Quatennens par Mélenchon et la direction de la FI.

    Mais le nouveau contexte de début de généralisation des grèves avait boosté la mobilisation. Cela tombait à point à la fois pour laisser s’exprimer la colère et pour regarder le camp d’en face enfin à nouveau avec détermination. Malheureusement, la direction de la CGT n’a pas suivi la volonté de la base d’évoluer vers un mouvement de grève généralisé. C’est la colère croissante de la base, à l’origine des actions de grève, qui a poussé les directions syndicales à aller plus loin que ce qu’elles avaient initialement prévu.

    Sans cette puissante grève dans les raffineries, l’accord obtenu – même faible – n’aurait jamais vu le jour. C’est aussi ce nouveau contexte bouillonnant qui a obligé Macron à repousser le lancement de sa réforme des retraites au début d’année de cette année. Comme d’autres avant, ce mouvement a confirmé que seule la lutte paie, grâce à l’arme de la grève et autour de revendications offensives.

    Utiliser sérieusement l’arme de la grève

    Aujourd’hui, il faut dépasser la simple suite de dates de journées de grèves et de mobilisation vaguement liées entre elles si on veut éviter que le mouvement finisse par s’essouffler sans victoire, ce sur quoi compte le gouvernement. Il est urgent d’organiser des assemblées de lutte sur les lieux de travail ouvertes à tous les collègues, syndiqués ou non, et d’organiser de pareils comités dans les lycées, les universités et les quartiers pour construire la grève générale reconductible. C’est ainsi que l’on pourra repousser toute la réforme des retraites, mais aussi faire chuter le gouvernement Borne et toute la politique d’austérité.

    L’organisation à la base est clé pour assurer son contrôle sur le mouvement et assurer que celui-ci ne s’épuise pas. La grève des contrôleurs de la SNCF pendant les fêtes avait montré la voie, en s’organisant au travers d’une page Facebook “collectif national ASCT” (Agents, service commercial, trains) pour passer à l’action et imposer aux directions syndicales le dépôt du préavis. De même, pendant la grève des raffineries, les ouvriers de Total avaient à nouveau mené une grève reconductible, dont la reconduite était assurée par un vote démocratique. C’est avec ce genre de méthode qu’on assure l’implication de l’ensemble des travailleurs et donc la réussite du combat. La faiblesse de ce mouvement avait alors été son isolement (malgré un large soutien passif), qui avait permis aux autorités de dégainer la réquisition de personnel. Cela ne fait que souligner la nécessité de construire un mouvement large reposant sur l’implication maximale de l’ensemble de la classe travailleuse.

    L’extrême droite n’ose pas s’opposer frontalement au mouvement. Ce type de mouvement reposant sur la lutte de classe est le cauchemar de Le Pen & Co car cela démasque l’hypocrisie de leur opposition à ce type de réformes. Leur monde, c’est le même que celui des amis de Macron, avec en plus la volonté d’écraser physiquement tout le mouvement social et d’imposer le racisme comme pensée unique à coups de botte. Le mouvement ouvrier en action est le meilleur remède contre les divisions semées au sein de la classe travailleuse, car l’unité est nécessaire pour vaincre.

    Construire une riposte internationale de masse

    Les mouvements de grève ont besoin d’être coordonnés au niveau international. Fin septembre, la lutte du personnel des raffineries a reçu la solidarité de plusieurs syndicats en Europe. Des luttes syndicales importantes se développent en ce moment-même dans des pays limitrophes. L’automne dernier, la Grande-Bretagne a vécu son plus grand mouvement de grèves depuis des décennies et, le 1er février, une grève intersectorielle y a réuni 500 000 personnes. La Belgique vit aussi au rythme d’actions de grèves dans différents secteurs depuis plusieurs mois, qui ont culminé en une grève générale de 24 heures le 9 novembre.

    Une approche internationaliste devrait faire partie de chaque mouvement de luttes. Pourquoi ne pas appeler à l’organisation d’une journée de grève générale européenne ?

    Pour une société socialiste démocratique

    Les moyens ne manquent pas ! TotalEnergies vient d’annoncer un bénéfice net de 19 milliards d’euros en 2022, le plus gros de son histoire. Les entreprises du CAC 40 ont rendu à leurs actionnaires 80,1 milliards d’euros en 2022 ! Pourtant, ce sont eux que l’Etat cajole le plus avec 157 milliards d’euros d’aides publiques par an !

    Ces criminels climatiques et rapaces de toutes sortes doivent être expropriés et nationalisés sous contrôle et gestion des travailleurs.euses. De telle manière, et avec la nationalisation des secteurs clés de l’économie (finance, grandes entreprises,…), il serait possible d’assurer un avenir décent à toutes et tous dans le respect de la planète grâce à une planification rationnelle et démocratique de l’économie.

    Dans cette lutte pour s’approprier les moyens, appliquer un tel programme, et aller vers un changement sociétal, c’est la classe ouvrière organisée qui peut jouer le rôle moteur et s’imposer comme classe dirigeante dans la société en attirant avec elle le mouvement pour le climat, le mouvement féministe et d’autres mouvements sociaux. Les bases du renversement du système capitaliste seraient ainsi posées.

    Les actions “Robin des bois” constituent une avancée dans ce sens. Les ouvriers du secteur de l’énergie en grève ont de manière coordonnée à travers le pays (une première aussi!) établi la distribution gratuite de gaz et d’électricité pour les écoles, les hôpitaux, des HLM, des centres sportifs publics, les associations d’intérêt public. Ils ont aussi ré-établi la distribution chez les usagers chez qui ça avait été coupé à cause de factures impayées et ils ont offert un tarif réduit jusqu’à 60% pour les petits commerçants, qui n’ont reçu du gouvernement aucune d’aide comparable face à la flambée des prix ! Ces actions sont des initiatives prises et coordonnées par les travailleurs.euses à travers le pays sur les lieux de travail. Les décisions et actions sont votées démocratiquement par la base. Cela donne une idée de la manière dont pourraient être gérées les richesses produites par les travailleurs.euses sous une société socialiste démocratique.

    De plus, le fait d’avoir aidé les petits commerçants permettra probablement à cette couche de la société de se tourner vers la classe ouvrière et de soutenir plus volontiers les mouvements de grève, de se joindre à eux dans la lutte. C’est un pas de plus vers l’élargissement et l’unification de la lutte dans notre camp, le surpassement des divisions, si précieux pour la droite, et outil favori de l’extrême droite !

    Rejoignez Alternative Socialiste Internationale !

    La bataille pour renverser le capitalisme et instaurer une alternative sociétale doit se mener à l’échelle la plus large, et c’est pourquoi nous sommes organisés dans plus de 30 pays sur tous les continents : en Europe bien sûr, mais aussi au Brésil, au Chili, au Mexique, aux USA, au Québec, au Nigeria, en Afrique du Sud, en Tunisie, en Israël/Palestine our encore en Chine, où nous luttons contre la dictature meurtrière et capitaliste du PCC. Depuis plusieurs décennies, nous avons construit une expérience de lutte contre des régimes autoritaires et oppresseurs sur place, comme contre le régime sud-africain de l’apartheid, et aujourd’hui contre le régime de Poutine en Russie. Notre parti mondial n’est pas une addition d’organisations nationales qui entretiennent des relations lointaines, nos sections nationales se voient régulièrement, discutent et dressent ensemble des analyses et conclusions stratégiques pour construire l’outil révolutionnaire qui s’impose dans les conditions d’aujourd’hui.

  • La bataille contre la réforme des retraites commence en France

    Travailler jusqu’à la mort ? Hors de question !

    Comme annoncé lors de la campagne présidentielle, le gouvernement Macron a lancé sa réforme des retraites. Au programme notamment : passage de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans, et nombre d’annuités de 41 à 43. Plus de 70% de la population est opposée à cette réforme qui vise à faire travailler tout le monde plus longtemps.

    Par Arno (Liège)

    On connaît désormais la rengaine : nous vivons plus longtemps, alors il faudra travailler plus longtemps. Peu importe si, à 64 ans, 29% des 5% de travailleurs les plus pauvres sont déjà morts et ne bénéficieront donc jamais du système de retraite pour lequel ils ont cotisé toute leur vie. Il est également inenvisageable de refinancer ce système avec plus d’argent public, qui manque. En effet, les impôts sur les bénéfices des entreprises sont passés de 33,3% en 2017 à 25% en 2022, soit, une chute du tiers au quart sur le premier quinquennat d’Emmanuel Macron.

    Le gouvernement tente de faire passer la pilule de la réforme des retraites avec des mesures prétendument progressistes, comme le passage de la retraite minimum de 900 euros à 1200 euros. Mediapart a calculé que seules 48 personnes pouvaient aujourd’hui répondre aux conditions imposées pour y avoir droit !  

    Cette réforme arrive dans un moment où la situation est déjà particulièrement inflammable, avec la flambée des prix qui frappe les travailleurs français, qui ne bénéficient même pas de l’indexation des salaires, excepté pour le SMIC. Alors que de l’argent, il y en a ! D’une part, les entreprises du CAC 40, l’équivalent français du Bel20, ont rendu à leurs actionnaires 80,1 milliards d’euros en 2022, un record ! Ensuite, les 42 milliardaires français se partagent un patrimoine de 544 milliards d’euros (grosso modo l’équivalent de toute la richesse produite en un an en Belgique). Encore un record. Enfin, le plus gros poste de dépenses de l’Etat français, ce sont les aides publiques à destination des entreprises : 157 milliards d’euros par an.   

    La meilleure défense, c’est l’attaque

    Les 8 principales organisations syndicales du pays (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, Unsa, FSU et Solidaires) se sont unies dans un front commun, ce qui n’était plus arrivé en France depuis 2010 (quand l’âge de la retraite est passé de 60 à 62 ans sous Sarkozy). Fin 2019 / début 2020, une autre attaque contre les retraites avait donné lieu à une lutte titanesque, mais le manque de plan d’action audacieux vers une grève générale reconductible avait donné lieu à un essoufflement du mouvement. Comme l’a récemment fait remarquer un syndicaliste CGT dans les pages de Libération : « sans le confinement, en 2019, ça n’aurait pas marché ».

    Il faut dépasser la simple suite de dates de journées de grèves et de mobilisation vaguement liées entre elles si on veut éviter que le mouvement finisse par s’essouffler sans victoire, ce sur quoi compte le gouvernement. Il est urgent d’organiser des assemblées de lutte sur les lieux de travail ouvertes à tous les collègues, syndiqués ou non, et d’organiser de pareils comités dans les lycées, les universités et les quartiers pour construire la grève générale reconductible. C’est ainsi que l’on pourra repousser toute la réforme des retraites, mais aussi faire chuter le gouvernement Borne et toute la politique d’austérité.

    L’organisation à la base est clé pour éviter que la lutte ne soit à un moment trahie du sommet (notamment de la part de la direction de la CFDT). La grève des contrôleurs de la SNCF pendant les fêtes a fait un pas en cette direction, en s’organisant à partir d’une page Facebook « collectif national ASCT » (Agents, service commercial, trains) pour passer à l’action et imposer aux directions syndicales le dépôt du préavis. De même, pendant la grève des raffineries (en septembre et octobre 2022), les ouvriers de Total avaient à nouveau mené une grève reconductible, dont la reconduite était assurée par un vote démocratique. C’est avec ce genre de méthode qu’on assure l’implication de l’ensemble des travailleurs et donc la réussite du combat. La faiblesse de ce mouvement avait alors été son isolement, qui avait permis aux autorités de dégainer la réquisition de personnel. Cela ne fait que souligner la nécessité de construire un mouvement large reposant sur l’implication maximale de l’ensemble de la classe travailleuse.

  • Législatives en France, une nouvelle claque historique pour la classe dominante

    Bloquons par la lutte les politiques de droite et la croissance de l’extrême droite

    Deux mois après les présidentielles et la claque historique qu’ont reçu les instruments politiques de la classe capitaliste, le résultat des élections législatives est à nouveau une déflagration.

    Par Stéphane Delcros

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    Dossier France

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    Plus de la moitié des potentiels électeurs a tout simplement décidé de ne pas prendre part au vote, sanctionnant de fait la politique telle qu’elle est menée et révélant ne voir aucun espoir dans l’offre de candidats proposée dans les 1ers et/ou 2èmes tours. Et ceux et celles qui ont exprimé un vote ont surtout décidé de ne pas donner une majorité absolue au président Macron et d’élire un nombre historique de députés ‘anti-système’ ou vu comme tels. Parmi eux, l’extrême droite de Le Pen fait une percée fracassante à l’Assemblée.

    Face aux taux d’intérêts qui augmentent et aux déficits budgétaires, le second mandat de Macron ne sera certainement pas plus à gauche, surtout si on regarde qui seront ses alliés pour mener ses politiques. C’est une promesse pour davantage d’austérité, alors que notre pouvoir d’achat est déjà au plus bas. Pour y faire face, la seule issue est de construire les luttes – dans la rue, les lieux de travail, les quartiers, les fac’ et les écoles – afin de renverser le rapport de forces entre travail et capital.

    Le mouvement ouvrier organisé et la gauche « de rupture » – c’est-à-dire une gauche visant à casser la politique unilatéralement en faveur des riches et des patrons – doivent prendre l’initiative de la lutte contre les promesses antisociales macronistes, pour faire reculer la fausse alternative Le Pen et pour montrer la voie vers un nécessaire changement sociétal.

    La classe dominante fait face à une crise politique majeure

    Les années Macron continuent à marquer l’Histoire. Après un mandat marqué par l’augmentation historique des inégalités, la brutalité sociale et policière et l’exacerbation des oppressions et discriminations, Macron devient le premier président nouvellement élu à ne pas gagner une majorité absolue de députés (50%+1). Il lui manque plus de 40 députés, ce qui signifie que son gouvernement ne pourra être que fragile, et devra mener sa politique soit par une alliance avec une autre force parlementaire, soit par des alliances sporadiques avec un nombre suffisant de députés extérieurs, pour des majorités de circonstances, sur des textes spécifiques.

    Ce résultat électoral est une grosse nouvelle confirmation du fait que les instruments politiques de la bourgeoisie sont minés, et pas seulement en France, après des décennies de politiques d’austérité. C’est aussi la confirmation du fait que Macron avait été extrêmement mal élu en avril : avec un score en augmentation de 4%, certes, mais le camp des partis de gouvernement acquis à la gestion du capitalisme s’était largement rétréci, récoltant même pour la 1ère fois moins de 50% des voix au 1er tour. Tout comme à ces élections d’ailleurs. A nouveau, les 2 partis piliers de la 5ème République réalisent un score historiquement bas : Les Républicains (LR) et PS ne pèsent ensemble que 88 députés – c’est-à-dire moins que le Rassemblement National (RN) de Marine Le Pen.

    La droite traditionnelle Les Républicains (LR) perd la moitié de sa représentation et devient seulement la 4ème force à l’Assemblée… Leur relatif ancrage local leur a tout de même permis de sauvegarder 64 députés, sur base de 85% de victoire aux 2èmes tours. LR se retrouve d’ailleurs dans une sorte de position d’arbitres à l’Assemblée, étant le seul parti gouvernemental (outre PS et Les Verts) ayant la possibilité d’apporter une réelle majorité à Macron, via une coalition ou via des soutiens spécifiques. Vu la crise budgétaire et dans une situation de crise économique, LR n’aura probablement pas d’autre choix que de prendre une attitude responsable pour la classe capitaliste, en faveur de politiques d’austérité.

    La claque pour Macron et la classe dominante est aussi illustrée par des éliminations de figures du système. Dès le 1er tour : l’ancien Premier Ministre sous Hollande Manuel Valls et l’impopulaire ex-ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer. Au 2ème tour : Christophe Castaner, « l’éborgneur en chef » (le ministre de l’intérieur pendant le mouvement des Gilets Jaunes) et Richard Ferrand, président de l’Assemblée Nationale et président de l’alliance macroniste ‘Ensemble’. De même, 3 ministres du gouvernement d’Elisabeth Borne ont été battus et ont ainsi été contraints de démissionner.

    Le 2ème tour a aussi vu l’élimination de l’ex-ministre des sports macroniste Roxana Maracineanu par la candidate France Insoumise (FI) Rachel Keke, femme de ménage et militante CGT, dirigeante de la grève de 22 mois à l’hôtel Ibis de Batignolles, une lutte qui a obtenu une énorme victoire en mai 2021.

    Sur base d’une dynamique de campagne, la NUPES fait un très grand score, même si en dessous des attentes

    Rachel Keke fait ainsi partie des plus de 70 députés FI, qui n’en comptait que 17 il y a 5 ans. Ils et elles composent environ la moitié de la nouvelle équipe de parlementaires de la NUPES (142 élus), cette coalition initiée par Mélenchon pour éviter que des candidatures de la gauche se marchent sur les pieds, et éventuellement de tenter de mettre sur pieds un futur gouvernement, regroupant le PCF, le PS et Les Verts (EELV) autour de la FI.

    Une dynamique de campagne s’est mise en place, motivée par la possibilité d’empêcher Macron d’appliquer sa politique pour 5 années supplémentaires, et notamment l’augmentation de l’âge du départ à la retraite vers 65 ans et 20h de travail forcé pour les bénéficiaires d’allocations. Cette dynamique n’a pas réussi cet objectif d’obtenir une majorité à l’Assemblée, qui était peu réaliste, mais elle a permis de contribuer à empêcher une majorité absolue pour Macron, en faisant jeu égal en nombre de voix avec la coalition macroniste au 1er tour, et en faisant élire bien plus de députés qu’en 2017 pour ces formations, en faisant plus que doubler son nombre de députés.

    Une certaine déception est toute de même présente, puisque la plupart des sondages montraient la possibilité de faire élire davantage de députés encore, jusqu’à possiblement 200, soit une grosse cinquantaine de plus.

    Mais même si le résultat peut sembler décevant, rappelons-nous la situation en France il y a encore 1 an et même 6 mois d’ici : toute la situation politique ne tournait qu’autour de Macron ou l’extrême droite, et d’une surenchère entre eux concernant la sécurité et l’immigration. Un changement majeur s’est imposé depuis fin février, avec l’arrivée du pouvoir d’achat et des revendications sociales à l’avant-plan, poussés par l’inflation, parallèlement à une vraie dynamique de campagne électorale autour de Mélenchon depuis la présidentielle, et un certain enthousiasme qui s’est créé. On assiste depuis quelques mois à un relatif rééquilibrage du rapport de force dans la société, mais sans lutte généralisée et sans initiative non plus pour stimuler et regrouper les luttes qui éclatent de manière isolée, sur les questions salariales entre autres – donc un rapport de force extrêmement fragile et qui ne permet pas de saisir tout le potentiel pour les idées et revendications de gauche.

    C’est la politique de Macron qui a permis l’envoi de 89 députés d’extrême droite à l’Assemblée

    La brutalité politique de Macron à l’encontre des travailleurs et des jeunes a été un véritable marchepied pour la croissance du RN. Le pays évolue depuis des années dans un climat pesant de divisions et de violences policières brutales à l’égard des mouvements syndicaux et sociaux en général ainsi qu’à l’égard de la jeunesse, tout particulièrement d’origine immigrée. Le racisme d’État et les stigmatisations permanentes se sont accrus : de la loi sécurité́ globale à la loi sur le séparatisme en passant par la chasse à « l’islamo-gauchisme »… Macron et ses gouvernements n’ont eu de cesse d’alimenter la division et d’accumuler les gages à destination de l’extrême droite.

    Si l’entrée fracassante de ce bloc RN à l’Assemblée est une surprise, elle ne l’est que par son ampleur : de 8 députés en 2017, elle passe à 89, avec de grosses victoires dans les circonscriptions plus rurales et les anciens bastions ouvriers du Nord. C’est l’immense champ de désespoir social construit par les politiques néolibérales menées tant par la droite traditionnelle que par la « gauche » gouvernementale depuis les années 80 qui alimente la croissance de Le Pen. Face au pire annoncé par Macron, le RN met en avant un programme faussement social et n’a aucune intention de l’appliquer dans les faits s’il arrive au pouvoir. Dans chaque municipalité dirigée par des élus du RN ou associés, c’est la division, le repli sur soi et la répression qui règnent. Pour combattre l’extrême droite et le racisme, l’unique solution est de lutter contre les racines de la division par une politique offensive de gauche qui rompt avec le système capitaliste.

    Le « front républicain », cette idée de « faire barrage à l’extrême droite », semble être révolu. Face aux 2èmes tours, les macronistes ont choisi la diabolisation « de tous les extrêmes ». Il s’agissait bien sûr d’une stratégie consciente, dans le but d’essayer de briser la dynamique et une partie du potentiel de la NUPES.

    D’ailleurs, Macron n’exclut pas du tout d’aller chercher des soutiens spécifiques parmi le groupe RN, comme l’exprimait notamment le ministre de la justice Eric Dupond-Moretti au soir du 2e tour, en parlant de possibilités d’accords avec le RN sur des réformes concernant la police et la justice. Marine Le Pen ne semble d’ailleurs pas y être contraire : « j’ai dit au président Macron que le groupe de 89 députés RN est dans l’opposition mais ne veut pas être dans l’obstruction systématique ».

    La NUPES : des points forts, mais aussi des faiblesses dangereuses

    Beaucoup de militants FI et NUPES tirent aujourd’hui la conclusion que le résultat des législatives est dû au fait que les dirigeants macronistes n’ont pas fait d’appel clair à voter contre le RN. Il est vrai que la très grande majorité de ces électeurs se sont abstenus au 2ème tour en cas de duel NUPES-RN. Mais il s’agit d’une analyse erronée. Bien sûr, il est clair que les macronistes font preuve d’une énorme hypocrisie, eux qui reprochaient à Mélenchon de ne dire que « aucune voix pour Le Pen » sans faire un appel de vote pour Macron… Mais la gauche n’a pas à devoir compter sur un report de voix d’électeurs macronistes pour remporter des victoires. D’autres potentiels électeurs doivent être convaincus, et c’est le cas d’une série d’abstentionnistes qui se sont déplacés au 2ème tour mais pas nécessairement au 1er.

    Tant aux présidentielles qu’aux législatives, les campagnes de Mélenchon ont réussi à créer une dynamique permettant d’impliquer des jeunes et des personnes de quartiers plus pauvres, qui ont massivement voté FI et NUPES – en tout cas pour ceux et celles qui ne se sont pas abstenus. Car l’abstention était majoritaire parmi eux et elles, surtout aux législatives. Contrairement à l’élection présidentielle, de larges couches dans les quartiers populaires ne se sont pas senties concernées.

    Malgré la dynamique positive, certaines faiblesses de la FI ces dernières années ont été renforcées après les présidentielles. L’une d’entre-elles est clairement la formation de coalitions au niveau municipal qui comprennent également le PS et EELV, sans mener une réelle politique de rupture avec la politique traditionnelle. Cette tendance a évidemment été renforcé dans cette campagne législative, puisque maintenant ces partis sont directement alliés à la FI dans la NUPES.

    Ces partis ont mené la politique néolibérale dans le gouvernement Jospin entre 1997 et 2002, avec le PCF, et sous Hollande entre 2012 et 2017. Ils sont partie prenante dans les succès électoraux des Le Pen en 2002 et 2017. On va difficilement battre Macron et le Pen en s’alliant avec ceux qui ont appliqué la politique qui leur a ouvert la voie

    Beaucoup se sont détournés de la proposition de voter pour ces partis qui font davantage partie du problème que de la solution : le PS, même purgé de ses éléments les plus à droite, EELV, et même dans une certaine mesure le PCF. Et, dans cette optique, on peut comprendre que certains qui ont douté d’un vote pour un candidat FI, puisque celle-ci s’allie à ces partis qui font davantage partie du problème. Dans le même temps, certains militants des quartiers populaires qui étaient sensées porter la candidature FI ont été écartés, pour laisser la place à des candidatures NUPES d’autres partis.

    PS et EELV ont été éduqués à la cogestion du système et en sont profondément infectés. Il serait extrêmement surprenant que ces derniers, dans une situation de crise, soient préparés à prendre les mesures qui s’imposent en choisissant sans la moindre équivoque le camp des travailleuses et travailleurs sur celui des patrons et du marché. Les partisans du capitalisme sauront à qui parler. La NUPES a été formée par des appareils, il faut la pousser plus loin en mobilisant l’enthousiasme qui, heureusement, ne manque pas parmi d’importants segments de la population.

    Pour un réel programme de rupture avec le système

    Au niveau programmatique, la NUPES portait des revendications en général similaires à celles contenues dans le programme « L’Avenir en commun » de la FI, bien que parfois légèrement remaniées à la baisse. Mais la signature de l’accord NUPES a aussi signifié certains changements en termes d’attitude/rhétorique : les références à la « gauche plurielle » sous Jospin se sont faites plus conciliantes de la part de la FI, sans critiques et même avec des louanges pour la réforme des 35 heures, qui n’avait pourtant pas été appliquée entièrement, et pas complètement dans l’intérêt de la classe travailleuse. De plus, la mesure avait surtout été introduite en échange d’une flexibilisation accrue du marché du travail.

    Le programme de la FI et de la NUPES comportent de très bonnes revendications, comme la retraite à 60 ans, l’allocation de 1063 euros par mois pour les étudiants, l’augmentation du SMIC à 1500 euros, le blocage des prix des produits de 1ère nécessité, la planification écologique, l’abrogation de la loi Travail (« El Khomri ») mise en place sous Hollande, le rétablissement de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune), 1 milliard d’euros contre les violences faites aux femmes, … Un programme de gauche « de rupture », mais hélas sans l’ambition d’en finir avec le capitalisme. Pour réellement répondre aux besoins de la classe travailleuse et la jeunesse et en même temps défier les intérêts de la classe capitaliste, il est nécessaire de porter des revendications de nationalisation de secteurs-clés de l’économie sous la gestion et le contrôle de la collectivité, à commencer par les secteurs financier et énergétique, pour être capable d’avoir un réel contrôle sur les prix et en même temps financer la planification écologique.

    Pas d’autre choix : construire un rapport de force pour changer de société !

    Contrairement aux premiers mois du mandat des députés insoumis il y a 5 ans, il y a de la part de la plupart des dirigeants de la FI depuis lors une absence d’appels à organiser une lutte généralisée et de stimulation du mouvement ouvrier organisé à entrer massivement en action pour bloquer les politiques macronistes. Le potentiel est là, chaque semaine, de nombreux conflits sociaux éclatent en faveur d’augmentations de salaire, mais entreprise par entreprise et de façon isolée.

    Cette faiblesse a hélas marqué aussi les campagnes électorales en 2022. Contrairement à ce qui était avancé, le vote pour la gauche n’est pas une alternative à la lutte ; vote de gauche et stimulation de la lutte auraient au contraire pu être complémentaires. Cela aurait d’ailleurs pu augmenter le potentiel électoral pour Mélenchon, en mobilisant suffisamment de potentiels abstentionnistes. Cela assurerait de pouvoir utiliser la plateforme parlementaire et la visibilité médiatique comme force d’appui pour les luttes de notre camp, pour riposter contre chaque attaque qu’un gouvernement aux ordres de Macron cherchera à faire passer et pour créer ce rapport de force favorable, sur lequel les travailleuses et travailleurs ainsi que la jeunesse pourront s’appuyer dans chacune de leur lutte. Cela permettrait aussi une vigilance permanente par en bas contre les trahisons inévitables des éléments les moins orientés vers une rupture au sein de la NUPES

    Il y a un énorme espace pour la FI pour être le relais et l’initiateur de luttes, après les innombrables luttes (mais non coordonnées) ces dernières années. Il y a d’ailleurs aussi un espace pour que les directions syndicales s’engagent dans la lutte, en lien avec la FI et la NUPES, mais aucune initiative réelle n’est venue depuis le puissant mouvement contre la réforme des retraites fin 2019 – et donc rien ou presque durant la pandémie de covid 19, malgré l’urgence sociale.

    Aujourd’hui, l’énorme faiblesse des instruments politiques de la classe capitaliste peut donner confiance aux travailleurs et travailleuses pour entrer en lutte. Cela peut ouvrir des opportunités, notamment concernant les retraites, dont les tentatives de réformes ont toujours entrainé des mouvements de masse à leur encontre. Cela implique la préparation et l’organisation d’une lutte de masses qui portent des revendications sociales et écologiques ambitieuses. Il est urgent que la gauche et le mouvement ouvrier organisé prennent des initiatives en ce sens !

    Chili, Colombie, … Quel programme et quelles perspectives pour les gouvernements de gauche

    La campagne de Mélenchon vers les présidentielles et l’accord de la NUPES vers les législatives ont remis en avant la discussion sur la possibilité pour la gauche d’arriver au pouvoir. Mais cette discussion n’est pas limitée à la France : ailleurs dans le monde, des victoires électorales récentes ont même permis d’amener des regroupements de forces de gauche au pouvoir. C’est particulièrement le cas en Amérique latine, récemment au Chili et en Colombie, où les manifestations massives de ces dernières années ont permis à de telles coalitions de porter la gauche à la présidence.

    Au Chili, Gabriel Boric, de la coalition Approbation Dignité, a été élu en décembre 2021. En Colombie, les élections présidentielles de mai-juin 2022 ont vu la victoire de Gustavo Petro de la coalition Pacte Historique. Ces succès ont soulevé des espoirs pour enfin voir s’appliquer une politique qui rompe avec l’austérité budgétaire, en faveur de la classe travailleuse et de la jeunesse, et dans l’intérêt des droits des femmes et des personnes LGBTQIA+, ainsi que de la lutte contre le dérèglement climatique. Mais il nécessaire de discuter des difficultés auxquels fait et fera face cette gauche au pouvoir au sein du système capitaliste. Au Chili, Boric fait d’ailleurs face à des déceptions et premières critiques concernant sa politique.

    La gauche doit s’armer d’un programme offensif capable d’appliquer réellement une politique pro-classe travailleuse. Elle doit aussi préparer les travailleurs et travailleuses à la riposte inévitable qui viendra de la classe dominante dont les intérêts sont mis en danger.

    On ne part pas d’une page blanche : l’expérience du passé est très instructive, il faut en tirer les leçons.

    • En 1970, Salvadore Allende était élu président chilien sur base d’un mouvement social massif qui a poussé le gouvernement à prendre des mesures, incluant des nationalisations, qui allaient plus loin que ce que les dirigeants réformistes avaient l’intention de faire. Le capitalisme chilien et l’impérialisme américain y ont répondu avec des ripostes économiques, ainsi qu’avec un coup d’État militaire en 1973 qui a ouvert la voie à la dictature de Pinochet et à des politiques néolibérales brutales.
    • En 1981, François Mitterrand, était élu président français sur base d’un programme de gauche et d’une vague de soutien populaire. Les premières mesures notamment de nationalisations de banques et d’entreprises-clés ont immédiatement été suivies d’une riposte des patrons, notamment sous la forme d’une fuite des capitaux. Sans plan pour y faire face, Mitterrand a ensuite plié et a fait un « tournant de la rigueur » en appliquant des mesures néolibérales.
    • En 2015, Alexis Tsipras devenait Premier ministre d’un gouvernement de gauche en Grèce, après des mois et des mois lors desquels se sont succédé des grèves générales et une montée en puissance du parti de gauche SYRIZA. Une fois au pouvoir, Tsipras a sous-estimé la résistance patronale et des institutions financières internationales à laquelle il serait confronté. Après 6 mois de gouvernement et un référendum refusant davantage d’austérité, Tsipras a capitulé. L’exemple du gouvernement SYRIZA a illustré à quel point le camp du capital est capable de choisir le risque d’un désastre économique plutôt que d’assister à l’essor d’une alternative politique de gauche et à l’application de sa politique.

    La gauche ne peut pas juste se dire qu’elle va arriver au pouvoir avec un programme ambitieux et qu’elle arrivera à brider le système capitalistes « car c’est la volonté des urnes ». « Un tigre ne devient jamais végétarien ». Le camp d’en face, basé sur l’infrastructure économique de la société capitaliste, réagira en force avec notamment ses armes économiques de fuite des capitaux, lockout patronaux et menaces de délocalisation. Tenter de ne pas affronter le système et le remplacer par un autre sur base d’un mouvement révolutionnaire, cela mène à des catastrophes. C’est d’ailleurs un élément essentiel de ce qu’il s’est passé au Venezuela.

    Un gouvernement de gauche devra inévitablement procéder à la nationalisation du secteur bancaire et financier dans sa totalité et la création d’un organisme public unique de crédit : c’est la seule solution pour assurer un contrôle des capitaux et empêcher les capitalistes de contrôler les investissements. Il faudra aussi nationaliser les autres secteurs-clés de l’économie (énergie, télécoms, sidérurgie, pétrochimie,…) dans leur entièreté, également sans rachat ni indemnité sauf sur base de besoins prouvés, et placés sous le contrôle et la gestion démocratique de la classe travailleuse et de la collectivité. C’est la seule réponse efficace aux contre-attaques et menaces qui viendront de la part de nombreux grands patrons. Il devra sur cette base planifier l’économie et la transition écologique, et aussi imposer des contrôles de capitaux, refuser le remboursement de la dette et imposer un monopole d’État sur le commerce extérieur.

    Il faut combiner une telle politique à une lutte d’ampleur pour exiger les moyens. Les richesses existent largement. Mais pouvoir les arracher exige de construire un rapport de force dans la société : mobiliser un contre-pouvoir sociétal par la lutte, avec aussi un appel aux travailleurs et travailleuses des autres pays. C’est ainsi que des mesures socialistes pourront être appliquées et permettront de profiler un nouveau système, une société socialiste démocratique débarrassée de l’avidité capitaliste

  • France. Macron, inflation, récession … Pas d’autre choix : construire un rapport de force pour changer de société !

    5 mai 2018, manifestation « Stop Macron ». Photo : Olivier Ortelpa, Wikimedia Commons

    La classe travailleuse et la jeunesse sont placées devant des énormes défis. L’inflation explose, les taux d’intérêt vont augmenter, le déficit budgétaire va gonfler et, pour Macron, tout cela signifie l’austérité, alors que notre pouvoir d’achat s’effondre déjà. Pour y faire face, la seule issue est de construire les luttes – dans la rue, les lieux de travail, les quartiers, les fac’ et les écoles – afin de renverser le rapport de forces entre travail et capital. C’est d’ailleurs également la meilleure manière non seulement d’élire à l’Assemblée Nationale une gauche dite « de rupture » qui représente la résistance de terrain, mais aussi d’établir une vigilance permanente vis-à-vis des forces composant la nouvelle union de la gauche (NUPES).

    Par Stéphane Delcros

    Après avoir créé la surprise du 1er tour des présidentielles en arrivant 3e, aux portes du second tour, avec un score de 22% des votants, Jean-Luc Mélenchon et la France Insoumise (FI) ont à nouveau surpris. Tout d’abord en boostant la campagne électorale pour tenter de gagner les législatives et faire élire Mélenchon Premier ministre, ensuite en unifiant les principales forces politiques à gauche de Macron au sein de la « Nouvelle union populaire écologique et sociale » (NUPES). Les attaques incessantes de la droite, de l’extrême droite et des médias dominants témoignent de la peur que la dynamique et l’espoir à gauche inspire à la classe dominante. Des points forts mais aussi de dangereuses faiblesses existent concernant cette « gauche de rupture », c’est-à-dire une gauche visant à casser la politique unilatéralement en faveur des riches et des patrons, mais hélas sans l’ambition d’en finir avec le capitalisme.
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    Dossier France

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    Les thèmes de gauche dominent les débats

    Dans un contexte d’envolée des prix de l’énergie et des produits de première nécessité et de crise du pouvoir d’achat, la présence de la gauche – comportant de forts éléments de rupture avec le système – dans l’attention médiatique permet la présence des thèmes sociaux et écologiques à l’avant-plan des discussions. Et ce, en dépit des tentatives de Macron et Le Pen de détourner l’attention vers les questions ‘identitaires’, pour tenter de briser la dynamique autour de Mélenchon.

    Après des mois et des mois durant lesquels l’immigration et le sécuritaire ont dominé l’essentiel de l’actualité médiatique afin d’insérer la division et d’influencer l’issue des élections présidentielles, les thématiques sociales s’étaient finalement imposées à l’agenda à partir de fin février, contre la volonté des médias et partis dominants et sur base de l’augmentation fulgurante des prix. En s’appuyant sur les éléments de gauche de rupture de son programme, Mélenchon avait su convaincre une couche d’abstentionnistes. De son côté, Le Pen avait construit sa campagne en instrumentalisant les inquiétudes sociales pour paraître en rupture avec la politique de Macron.

    Macron prétend maintenant avoir compris que son deuxième mandat doit être plus social et écologique. La nomination d’Élisabeth Borne au poste de Première ministre à la mi-mai vise à tenter de s’acheter un semblant d’image féministe, écologique et plus progressiste. Mais personne n’est dupe. Sans en avoir été membre, Borne a accompagné le PS depuis le début des années ‘90, en devenant même conseillère chargée des transports auprès du Premier Ministre Lionel Jospin entre 1997 et 2002 et directrice du cabinet de Ségolène Royal au ministère de l’Écologie en 2014. Elle fait partie de cette vague de membres et proches du PS qui a rejoint le parti de Macron en 2017 et est devenue Ministre des Transports puis Ministre « de la Transition écologique et solidaire ». À travers toutes ses fonctions, Borne a joué un grand rôle dans l’ouverture du rail à la concurrence et dans le gaspillage de temps face à la crise climatique. Elle a refusé de concrétiser une politique ambitieuse de lutte écologique notamment via la gratuité et l’extension des chemins de fer. Nommée Ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion en 2020, elle a fait passer une réforme de l’assurance chômage synonyme de baisse des allocations pour plus d’1 million de chômeurs et chômeuses. Face à la présence des thèmes sociaux dans l’actualité et la dynamique derrière la gauche, il est possible qu’un nouveau gouvernement pro-Macron indexe les bas salaires et les retraites par exemple. Mais, fondamentalement, sa politique continuera à favoriser les riches. Une nouvelle profonde récession lui servira très tôt d’excuse pour balayer de telles mesures limitées.

    « Le Pen n’a pas été élue au pouvoir, et maintenant faisons en sorte que Macron n’y reste pas »

    C’est avec ce mot d’ordre que la France Insoumise a lancé sa campagne pour imposer un gouvernement de « gauche de rupture » au président Macron en faisant élire une majorité alternative à l’Assemblée Nationale et imposer à Macron un gouvernement Mélenchon. L’idée de ce « troisième tour » électoral a eu le mérite de donner la perspective de la bataille suivante directement après la présidentielle – les législatives – tout en tentant de ne pas se limiter à un travail d’opposition et au contraire de chercher à appliquer des éléments de programme qu’un gouvernement pourrait se permettre de mettre en œuvre.

    Cette approche a permis de poursuivre la mobilisation entre deux élections en reposant sur la dynamique de campagne et le résultat des présidentielles. La stratégie est d’essayer d’obtenir une majorité à l’Assemblée Nationale pour le programme défendu par la France Insoumise durant la campagne présidentielle lors des législatives des 12 et 19 juin. La possibilité existerait ainsi d’imposer une cohabitation au président Macron, qui se verrait obligé, contre sa volonté, de laisser ce gouvernement mener une politique de gauche.

    Sur base de son score au 1er tour, la France Insoumise a scellé en 13 jours un accord pour une union de la gauche : la NUPES

    Parallèlement à cet appel à l’élire Premier ministre, Mélenchon et la FI ont scellé un accord avec les 3 plus grandes formations situées à la droite de la FI et à la gauche de Macron : le Parti communiste français (PCF), Europe Écologie Les Verts (EELV) et le Parti socialiste (PS). L’enjeu principal était d’éviter qu’il y ait une concurrence entre les candidats de ces différentes formations, au 1er comme au second tour. Cela aurait potentiellement pu empêcher beaucoup de candidats FI et alliés d’atteindre le seuil de 12,5% des inscrits nécessaire dans chaque circonscription pour parvenir au 2e tour. Cette union vise à envoyer un maximum de députés à l’Assemblée Nationale, avec la possibilité que l’ensemble de ces députés soient majoritaires et puissent soutenir un gouvernement de gauche qui appliquerait un autre type de politique.

    Dans les négociations qui ont mené à cet accord, la FI avait directement mis en avant les revendications programmatiques « non négociables », issues de son programme « l’Avenir En Commun », notamment : la retraite à 60 ans ; l’allocation de 1063 euros par mois pour les jeunes ; l’augmentation du SMIC de 15% (initialement 1400 euros net, maintenant monté à 1500 euros) ; le blocage des prix des produits de 1ère nécessité ; la planification écologique (et la règle verte) ; l’abrogation de la loi Travail (« El Khomri ») mise en place sous Hollande ; le rétablissement de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune) ; 1 milliard d’euros contre les violences faites aux femmes ; la 6ème République et le référendum d’initiative citoyenne ; le développement des services publics, refus de leur privatisation et de leur ouverture à la concurrence ; et le rejet des règles européennes incompatibles avec ces propositions.

    Il s’agit d’éléments programmatiques de gauche en rupture avec la politique actuelle, mais cependant hélas allégés d’une série de revendications importantes marquant une rupture plus importante, comme la sortie du nucléaire et certains points concrets nécessaires concernant les soins de santé, l’enseignement et les transports notamment. Plusieurs revendications ont aussi été rendues moins claires dans l’accord adopté par l’union de la gauche. Par exemple, le programme de la FI défend « d’assurer la gratuité » des cantines scolaires, tandis que l’accord de la NUPES ne parle que « d’aller vers la gratuité » de celles-ci.

    Autre élément adouci par le temps et les négociations avec les autres partis : l’approche concernant l’Union européenne. Mélenchon a heureusement toujours été au-delà de ‘‘l’européanisme de gauche’’ aux ambitions limitées à vouloir petit à petit changer l’UE de l’intérieur. Il est illusoire de vouloir changer cette institution qu’est l’Union Européenne. L’UE est, depuis le début, un instrument non-démocratique aux mains de la classe dominante capitaliste pour défendre ses intérêts. Elle interdit par exemple de baisser la TVA à moins de 5% sur les produits de première nécessité ou encore de constituer des monopoles publics d’Etat sur certains biens ou services. La défense de la propriété privée des moyens de production et de la dictature des marchés est dans son ADN.

    En 2017, Mélenchon défendait un « Plan A » (une rupture concertée avec les traités européens qui empêchent de mener une politique sociale et climatique) et un « Plan B » (la sortie de l’UE). Aujourd’hui, le « Plan B » est simplement de ne pas tenir compte des règles européennes incompatibles avec le programme. Pour défendre cette position de désobéissance aux traités, Mélenchon a évoqué les « 2903 cas d’autres pays dans lequel il y a des infractions » et pour lesquelles « personne n’a rien dit », ou encore la « règle d’or » selon laquelle le déficit budgétaire public annuel ne doit pas excéder 3 % du produit intérieur brut (PIB), qui aurait été violée 171 fois, dont 7 fois par l’Allemagne. Mélenchon a lui-même qualifié sa nouvelle approche de « moins agressive ».

    Mais si la « désobéissance » à certaines règles européennes (en particulier économiques et budgétaires comme le pacte de stabilité et de croissance, le droit de la concurrence, les orientations néolibérales de la Politique Agricole Commune, etc.) était clairement affirmée dans le communiqué conjoint entre EELV et la FI, les choses sont beaucoup plus floues dans le communiqué commun entre la FI et le PS.

    Il faut être clairs : il faut non seulement rompre avec cette Europe du Capital, mais aussi directement défendre la construction d’une autre Europe, une Europe des travailleurs et des opprimés, à l’aide d’un programme socialiste basé sur la mobilisation par en bas pour s’attaquer au pouvoir de la classe dominante. Il est important de s’y préparer en expliquant dès maintenant cette nécessité, même si elle peut temporairement recevoir un écho plus limité.

    La FI avait aussi émis une autre condition pour un accord avec les autres partis : qu’un accord devrait (plus ou moins) respecter l’état des forces des différentes formations au 1er tour des présidentielles. L’enjeu étant la répartition des 577 circonscriptions, chaque formation allant recevoir un « monopole » sur chacune d’entre elles pour éviter une concurrence.

    La FI a ainsi signé un accord avec EELV (4,6% au 1er tour), le PCF (2,3%) et le PS, celui-ci n’étant pourtant pas invité aux premières négociations mais son énorme débâcle (1,7%) ne lui a pas laissé d’autre choix que s’y inviter. Selon ses propres dires, le NPA (Nouveau Parti anticapitaliste, 0,8%) a quitté les négociations en raison de la présence du PS mais aussi d’un désaccord sur la répartition des circonscriptions. LO (Lutte Ouvrière), de son côté, analyse à tort la période actuelle comme faite « de recul politique et de droitisation de toute la vie politique » et a choisi de rester à l’écart de cette « opération de rafistolage du réformisme ». L’attitude du NPA et de LO, sur laquelle nous reviendrons plus bas, laisse un boulevard aux carriéristes, aux opportunistes et aux éléments droitiers qui vont renforcer toutes les faiblesses de la NUPES.

    Tant sur le programme que sur le nombre de circonscriptions, le rapport de force est très favorable à la FI, et les formations sont finalement arrivées à ce partage du « monopole » sur les circonscriptions : 326 pour la FI, 100 pour EELV et alliés, 70 pour le PS et 50 pour le PCF (31 circonscriptions, en Corse et en outre-mer étant hors accord, ou faisant l’objet d’accords ultérieurs). Chaque composante de la NUPES aura la possibilité de former son propre groupe à l’Assemblée Nationale.

    Tout cela en reste hélas encore pour l’instant à des négociations conclues au sommet, entre appareils qui, dans le cas du PS et d’EELV, ont été éduqués à la cogestion du système et en sont profondément infectés. Il serait extrêmement surprenant que ces derniers, dans une situation de crise, soient préparés à prendre les mesures qui s’imposent en choisissant sans la moindre équivoque le camp des travailleuses et travailleurs sur celui des patrons et du marché. Les partisans du capitalisme sauront à qui parler. La NUPES a été formée par des appareils, il faut la pousser plus loin en mobilisant l’enthousiasme qui, heureusement, ne manque pas parmi d’importants segments de la population.

    La dynamique soulève une vague d’espoir pour l’application d’une politique de rupture avec Macron

    Cet accord, signifiant une possibilité (même faible) de gouvernement de « gauche de rupture », a soulevé une vague d’espoir dans le pays, parmi les personnes de gauche, bien sûr, où existe une tendance spontanée à l’unité, mais aussi parmi des couches plus larges de la classe travailleuse et de la jeunesse qui ont été mobilisées dans la dynamique de la campagne de Mélenchon : dans les villes, surtout, y compris dans les quartiers pauvres à forte population d’origine immigrée, ainsi que dans les départements d’Outre-Mer.

    Cette vague d’enthousiasme s’appuie sur la possibilité d’empêcher que le programme de Macron s’applique pour 5 années supplémentaires ; d’empêcher la retraite à 65 ans et les 20 heures par semaine de travail forcé pour celles et ceux qui reçoivent des allocations, comme le prévoit Macron. Mélenchon parle d’un « réflexe de rassemblement face à un épisode annoncé de maltraitance sociale aggravée ».

    Début mai, 37% des personnes considéraient Mélenchon comme le premier opposant à Macron, contre 33% pour Le Pen. Au 1er tour des présidentielles, il avait de loin rassemblé le plus de suffrages parmi les jeunes de 18-24 ans et 25-34 ans (derrière l’abstention), et cet élan a même tendance à se renforcer vers les législatives : d’après un sondage réalisé début mai, 59% des 18-24 ans (hors abstentions) voteraient pour la NUPES (+9%), contre 13% tant pour Macron et alliés (-6%) que pour le Rassemblement National.

    Pour se faire une idée du potentiel qu’a cette union (et en sachant que bien sûr ce ne sera pas une répétition mécanique), dans une projection basée sur les résultats des présidentielles, la NUPES serait 1ère dans 261 circonscriptions et qualifiée au second tour dans 471 ; Macron et ses alliés seraient 1ers dans 155 circonscriptions et qualifiés dans 448 ; et le Rassemblement National serait 1er dans 161 circonscriptions et qualifié dans 296.

    Dans les sondages (mi-mai), la NUPES est créditée de 28 à 34% des voix, contre 24 à 27% pour Macron et ses alliés, 19 à 24% pour le Rassemblement National et 9 à 12% pour Les Républicains et alliés. Mais on ne peut en déduire réellement quelque chose en termes de circonscriptions gagnées, puisqu’il s’agit d’un scrutin à 2 tours.

    Malgré ces sondages, ainsi qu’un sondage début mai qui montrait que 68% des personnes interrogées sont favorables à une cohabitation, le scénario d’une majorité NUPES n’est pas le plus probable, même si elle n’est pas à exclure, surtout si une dynamique de luttes sur les lieux de travail, dans la rue et dans les quartiers accompagne le processus vers les législatives. C’est plus probablement Macron et ses alliés qui arriveront à gagner le plus de circonscriptions, à la faveur des 2e tours, même s’ils devront peut-être se coaliser avec par exemple des députés Les Républicains (droite traditionnelle) pour obtenir une majorité absolue, ce qui risque d’ailleurs d’approfondir encore davantage la crise interne dans ceux-ci.

    L’accord entraine de profondes divisions internes aux autres partis composants la NUPES

    Ce rapport de force très favorable à la FI dans la NUPES ainsi que la base programmatique de « gauche de rupture » n’ont pas manqué de susciter des tensions à l’intérieur des autres formations. Dans le PCF, notamment avec ceux et celles qui, selon l’accord, ne peuvent être candidats dans leur circonscription. Dans EELV, tiraillé entre ses différents courants, reflétés par le résultat de la primaire de septembre gagnée par le représentant de l’aile libérale Yannick Jadot avec seulement 51% face à Sandrine Rousseau, qui portait un programme davantage social et écologique.

    Mais c’est bien sûr dans le PS que les tensions sont les plus explosives, entre la direction autour du Premier secrétaire Olivier Faure et les éléments les plus à droite et les plus carriéristes (du moins parmi ceux qui n’avaient pas encore quitté le PS ces dernières années), particulièrement dans l’entourage de François Hollande, le président prédécesseur de Macron. Au sein de la direction du PS, l’accord a été approuvé à 57% contre 35% (sur 292 votants). La majorité se veut critique à l’encontre de la politique menée sous Hollande, comme l’exprime Stéphane Troussel, l’un des Secrétaires nationaux : « un quinquennat marqué par le CICE et le pacte de stabilité sans aucune contrepartie en termes d’emplois, de salaires, de conditions de travail, c’est une de nos difficultés. Le débat nauséabond sur la déchéance de la nationalité, c’est une de nos difficultés. La Loi Travail, c’est une de nos difficultés. » La nouvelle période dans laquelle nous sommes entrés sur le plan mondial, qui rompt avec l’ère du néolibéralisme – « l’âge du désordre », où les multiples crises du capitalisme entraînent un processus de polarisation sociale et politique de plus en plus profond – pousse une majorité au PS à devoir être critique sur ses politiques passées.

    Sous le mandat de Hollande, ceux qui à l’intérieur du PS s’opposaient à sa politique étaient appelés les « frondeurs » ; aujourd’hui les frondeurs sont devenus les « éléphants » du PS dans l’entourage de Hollande. L’ancien Premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis, qui appelle à l’autodissolution du parti dans un Congrès de refondation à l’automne, a averti qu’avec une victoire de Mélenchon, « on se retrouvera dans la situation de la Corée du Nord ». Jean-Marc Ayrault et Bernard Cazeneuve, deux anciens Premier ministres sous Hollande s’y sont fortement opposés, le 2e quittant même le parti à la suite de l’accord. Le premier fédéral PS de Bourgogne-Franche-Comté a déclaré : « Ce que veut Mélenchon, c’est que le PS soit le sucre dans le café et qu’il se dissolve ».

    Des candidatures dissidentes ont directement été annoncées de la part de frustrés de l’accord, particulièrement du PS. La présidente de la région Occitanie (Sud-Ouest) et ex- secrétaire d’Etat Carole Delga et l’ancien ministre Stéphane Le Foll veulent rassembler toutes les candidatures « frondeuses » du parti, d’ailleurs menacées d’exclusion. Rappelons qu’il y a à peine 10 ans, le PS venait de gagner les élections à tous les échelons, des municipales aux présidentielles…

    En réponse au lancement de la NUPES, Macron a créé sa propre union de partis : « Ensemble », qui rassemble son parti Renaissance (ex-LREM) et ses alliés Horizon et MoDem. Il a aussi lancé une campagne pour tenter d’attirer les éléments du PS et des Verts qui rejettent l’accord. L’un des dirigeants de Renaissance, Stanislas Guerini, a ainsi invité les “sociaux-démocrates” déçus par le PS “qui a renié ses convictions pour quelques circonscriptions”.

    Certains dissidents vont en effet quitter le parti, d’autres seront exclus, mais beaucoup d’autres vont tout simplement se taire, et attendre d’abord d’avoir une position élue après les législatives, puis un moment plus propice pour essayer de renverser le rapport de force interne.

    Car certains candidats dans l’accord de la NUPES ne portent clairement pas cette rupture avec la politique menée ces dernières décennies. C’est notamment le cas de Cécile Untermaier, députée PS sortante de la circonscription de la Bresse, qui avait prévu de rejoindre les rangs de Macron. Ce n’est pas qu’au PS qu’il existe des candidatures de ce type. Parmi les alliés d’EELV, on trouve Les Nouveaux Démocrates (LND), un parti formé par des parlementaires élus dans le camp de Macron en 2017, qui investira notamment le député sortant Aurélien Taché, sous les couleurs de la NUPES. Il n’est pas étonnant qu’il y ait, à juste titre, des candidatures dissidentes issues du mouvement social. C’est notamment le cas de Raphaël Arnault, du mouvement antifasciste Jeune Garde, dans la 2e circonscription de Lyon (probablement la grande ville française où l’extrême droite est la plus active sous toutes ses formes), face à un candidat NUPES issu de Génération Ecologie qui a été député macroniste entre 2017 et 2020.

    Un accord et une campagne qui comportent des points forts, mais aussi des faiblesses dangereuses

    D’ailleurs, si l’enthousiasme lié à l’espoir est palpable parmi des couches larges en ce moment, il n’est pas partagé par tous et toutes à gauche et dans les quartiers populaires notamment.

    Dans la Contre-Matinale du Média TV du 11 mai, la militante Zouina parlait de l’appel « On s’en mêle » qui, dans les quartiers populaires, avait décidé de mener campagne pour Mélenchon. A l’approche des législatives, elle y disait : « On a du mal à digérer les alliances avec le PCF, avec le PS, avec les Verts, avec tous ceux qui ont participé à faire qu’on est là aujourd’hui, à une grande trahison, à un dérapage vers le racisme. C’est difficile à accepter ces alliances, mais elles se font sur base d’un programme et elles se font pour que l’assemblée nationale demain soit investie majoritairement par des députés de gauche ». Elle pointait également le fait que plusieurs militants et militantes des quartiers populaires qui auraient pu être candidats à ces législatives n’ont pas été retenus, notamment parce qu’il a fallu laisser de l’espace aux nouveaux alliés de la FI.

    Il est vrai qu’avec cette union, cette campagne s’adresse davantage à des logiques d’appareils de partis et moins à certaines couches qui ont pourtant fait la réussite de la campagne vers les présidentielles. Beaucoup de jeunes et de travailleurs et travailleuses, particulièrement parmi les plus précarisés et opprimés, considèrent à juste titre que le PS, même « purgé » de ses éléments les plus à droite, et de grandes parties d’EELV, voire même au sein du PCF, font partie du problème et donc pas de la solution. Au niveau municipal, les majorités au pouvoir qui comprennent PS, EELV et PCF ne mènent pas une réelle politique de rupture. Et surtout, ils ont mené la politique néolibérale dans les gouvernements Jospin entre 1997 et 2002 et sous Hollande entre 2012 et 2017. Ils sont partie prenante dans les succès électoraux des Le Pen en 2002 et 2017. On va difficilement battre Macron et le Pen en s’alliant avec ceux qui ont appliqué la politique qui leur a ouvert la voie…

    Cette campagne comporte pourtant un grand intérêt et réveille un espoir. Elle est basée sur un programme de rupture, même amoindri, et un rapport de force interne à la NUPES très favorable à la « gauche de rupture », avec une (même faible) possibilité d’un gouvernement qui n’ira certes pas assez loin, mais dans la bonne direction. Elle investit en tant que candidats des figures très importante de la lutte, comme Rachel Keke, porte-parole des grévistes de l’hôtel Ibis Batignolles qui a permis l’an passé, après plus d’un an de lutte, d’obtenir une revalorisation des qualifications et des salaires, la prise en compte des heures supplémentaires et une prime de repas. Mais si des points forts sont clairement présents, la campagne et cette union comportent des faiblesses. Il y a une atténuation du programme de rupture et de ce qu’il représente, et la vigilance face aux dangers internes et externes doit être fortement accentuée, particulièrement par l’organisation de la lutte par en bas contre Macron et son monde.

    Quelle attitude de la part de la gauche dite révolutionnaire ?

    LO et le NPA auraient pu jouer un rôle à cet égard, mais ces formations (tout particulièrement LO) ont choisi de rester à la marge, comme si les situations idéales tombaient du ciel et que le travail dans la lutte de classe ne démarre pas de la situation telle qu’elle se présente, en repérant les difficultés qui existent, mais sans se cacher derrière et en décelant également comment saisir et pousser le potentiel de l’avant.

    Comme dit précédemment, le NPA a finalement claqué la porte des négociations de la NUPES : « au fur et à mesure des discussions avec les autres forces politiques, l’équilibre politique de la coalition s’est modifié progressivement, atténuant le caractère de rupture avec les politiques libérales qui faisait sa force ». Le NPA dénonce l’accord « problématique » avec le PS et de nombreux éléments d’EELV « qui ne représentent pas une rupture avec le libéralisme », et il n’a de fait pas tout à fait tort, même si nous estimons quant à nous que le centre de gravité de la NUPES reste à l’heure actuelle largement favorable à la « gauche de rupture ».

    Le NPA indique s’être également retiré des négociations à cause du trop petit nombre de circonscriptions qui lui étaient accordées (5), et le fait que ne leur étaient pas laissée une circonscription de Gironde pour tenter d’y faire élire Philippe Poutou à l’Assemblée Nationale. Un tel renfort aurait été le bienvenu pour la NUPES, c’est vrai. Mais si on peut comprendre la frustration du NPA, il faut de suite ajouter que l’attitude du parti de Besancenot et Poutou cette dernière décennie n’a en rien préparé le terrain pour une entente.

    Le PSL/LSP a bien sûr davantage de proximité programmatique avec le candidat Poutou qu’avec le candidat Mélenchon. Mais tout comme en 2012 et 2017, il ne s’agissait pas d’aborder les élections présidentielles sous l’angle d’une candidature ‘pour exister’. Une candidature ne servant qu’à promouvoir un programme et des idées peut avoir un intérêt à certains moments. Mais la question était ici de savoir comment renforcer la lutte des classes et permettre de profiler au mieux la nécessité d’un changement de société.

    La candidature de Mélenchon portait un programme de rupture, augmentant la conscience de classe, s’adressant à des couches très larges et tentant de les mobiliser, et qui était en plus capable d’atteindre le second tour de l’élection. Ce programme de rupture à gauche et cette campagne étaient un pas en avant, sur lequel une formation anticapitaliste pouvait s’appuyer pour faire des propositions constructives, participer à la construction du rapport de force sociétal et mettre en avant une alternative socialiste au système capitaliste.

    Le NPA, ainsi que LO et le PCF, se sont laissés prendre au piège du pessimisme et ont préféré présenter et maintenir une candidature « pour exister » plutôt que de renforcer la dynamique de la campagne de Mélenchon. Ils portent une très lourde responsabilité dans le faux choix du 2ème tour Macron vs Le Pen laissé aux électeurs. Un appel de vote et un désistement dans la dernière ligne droite de la campagne aurait mobilisé non seulement une partie de leurs électeurs mais aussi davantage d’abstentionnistes. Une nouvelle occasion a été ratée – pourtant l’expérience de 2017 était là – et l’enjeu était maintenant de ne pas rater la suite.

    Il était possible d’entrer dans la dynamique de la NUPES, pas seulement pour y apporter un soutien critique, mais aussi pour y stimuler la nécessité de la lutte et la vigilance par en bas. Cela aurait placé le NPA dans une bien meilleure position pour appeler à la création de comités de vigilance de base contre toute possibilité de trahison sur le programme, en faisant appel et en lançant des propositions d’action aux groupes locaux de l’Union Populaire qui avaient mené la campagne de Mélenchon pour la présidentielle par exemple et en cherchant à impliquer des syndicalistes de la base, des activistes du logement, des militants sans-papiers et toutes celles et ceux qui cherchent à en finir avec la politique pour les riches. Une telle dynamique, orientée vers les travailleurs et travailleuses et les jeunes en lutte a le potentiel d’imprimer la pression nécessaire pour maintenir un programme de rupture et pousser vers la sortie les éléments les plus droitiers et carriéristes. Et dans le cas d’une trahison des intérêts des travailleurs et des opprimés, si le NPA avait rejoint la NUPES, il aurait encore été temps de sortir de cet accord et de prendre une autre initiative ambitieuse avec d’autres déçus d’un virage droitier de la NUPES.

    La classe dominante est à l’offensive contre Mélenchon et la NUPES – mais ce n’est rien comparé à ce qui arriverait en cas de victoire

    Ce n’est pas seulement de l’entourage de Hollande que les attaques contre la NUPES arrivent. Elles sont aussi brutales de la part de la droite et de l’extrême droite, aidés par les médias dominants, et témoignent de la peur de voir gagner une gauche dirigée par la France Insoumise, et potentiellement même former un gouvernement.

    Mais les attaques patronales actuelles ne sont rien à côté de ce qui arrivera de sa part en cas de victoire de la NUPES et d’un gouvernement Mélenchon. La politique que voudrait appliquer un tel gouvernement recevra immédiatement en réponse une « grève du capital », un sabotage tout azimut de chaque tentative de mener une politique de « gauche de rupture ». On entendra la droite crier que « Mélenchon veut endetter la France » – et sans la construction d’un rapport de force sociétal pour contrer ses arguments, elle pourrait gagner, notamment en faisant reculer la NUPES. C’est ce qui est arrivé à SYRIZA en 2015 – dans un pays comme la Grèce qui n’est pas du tout du même niveau économique que la France. 6 mois après avoir formé son gouvernement, SYRIZA a dû abdiquer et a été réduite à devoir appliquer une politique favorable aux intérêts de la classe dominante grecque et européenne.

    Sans ce rapport de forces, la réponse patronale rendra très difficile l’application concrète du programme de « gauche de rupture » (même limité) de la NUPES si les moyens ne sont pas saisis. Le rétablissement de l’ISF, la mise sur pieds de pôles publics dans certains secteurs-clés de l’économie (à côté d’entreprises privées), ou encore l’attente de retombées favorables suite à une politique de stimulation de la demande : non seulement ces mesures seront difficiles à appliquer, mais en plus elles seront largement insuffisantes pour mener une politique qui réponde réellement aux besoins.

    L’exemple de la Grèce et du gouvernement SYRIZA a on ne peut plus clairement illustré que le camp du capital est capable de choisir le risque d’un désastre économique plutôt que d’assister à l’essor d’une alternative politique de gauche. Face à tout cela s’imposent l’arme de la nationalisation sous contrôle des travailleurs des entreprises qui menacent de licenciements collectifs ou de délocalisation de même que celles du contrôle des flux de capitaux et du monopole d’Etat sur le commerce extérieur.

    Ce ne seront que de premières étapes vers la nationalisation des secteurs-clés de l’économie, particulièrement le secteur financier et bancaire, mais aussi de l’énergie – ce qui permettra de réellement pouvoir bloquer les prix, mais aussi de financer et concrétiser la nécessaire planification écologique. Et, pour répondre aux attaques de la classe dominante, un contre-pouvoir doit être mobilisé : un appel à la classe travailleuse et la jeunesse ailleurs en Europe : « suivez-nous ! », pour créer un rapport de force sociétal permettant d’appliquer les mesures nécessaires.

    Construisons un véritable rapport de force sociétal par la lutte

    S’il est bien sûr aussi électoral, le 3e tour doit avant tout être social : créer un rapport de force sociétal conséquent en faveur de la classe travailleuse et la jeunesse. Un tel rapport de forces se crée via la lutte, sur les lieux de travail, dans la rue et dans les quartiers. Il faut plus offensivement se tourner vers le mouvement ouvrier organisé, dont la force n’est plus à démontrer – rappelons-nous des mouvements syndicaux massifs contre la Loi El Khomri en 2016 et contre la réforme des retraites en 2019. Et en même temps, cette union de la gauche ne laisse aujourd’hui plus d’excuse aux directions syndicales pour entrer dans la bataille !

    Une lutte de grande ampleur pour accompagner cette campagne vers les législatives, c’est ce qui permettrait de mobiliser suffisamment de potentiels abstentionnistes ; d’assurer la plus grosse victoire possible aux élections. Cela permettrait aussi d’appliquer un programme de « gauche de rupture », si une majorité de députés est là – face à la réaction de la classe dominante ; et, sinon, de pouvoir utiliser la plateforme parlementaire et la visibilité médiatique comme force d’appui pour les luttes de notre camp, pour riposter contre chaque attaque qu’un gouvernement aux ordres de Macron cherchera à faire passer et pour créer ce rapport de force favorable, sur lequel les travailleuses et travailleurs ainsi que la jeunesse pourront s’appuyer dans chacune de leur lutte. Et c’est ça qui est le plus important.

    Cela permettrait aussi de créer une vigilance permanente par en bas contre les trahisons inévitables des éléments les moins orientés vers une rupture au sein de la NUPES. Et cela permettrait d’apercevoir le potentiel qu’il y a pour un réel changement de système : l’établissement d’une société socialiste démocratique, qui permette l’application d’un programme social et écologique ambitieux, où les moyens de production sont collectivement planifiés et orientés vers nos besoins et ceux de notre planète.

  • France : Pour un 3e tour de lutte sociale et écologique

    5 mai 2018, manifestation “Stop Macron”. Photo : Olivier Ortelpa, Wikimedia Commons

    Le 2e tour des élections présidentielles françaises s’est clôturé par 58,5% pour Macron et 41,5% pour Le Pen. Mais il y a très peu d’enthousiasme derrière la réélection du président. L’abstention a atteint son deuxième score le plus élevé de l’histoire de la 5e République (28% ce à quoi s’ajoutent les votes blancs (4,6%) et nuls (1,6%)) pour un second tour d’élection présidentielle. En en tenant compte, Macron n’a été élu qu’avec 37,9% des inscrits. C’est donc le président le plus mal élu de la Ve République depuis 1969, juste après Pompidou, un an après Mai 68. Quasiment 2 personnes sur 3 n’ont pas voté pour lui. La légitimité du président est même pire encore : 42% des électeurs de Macron ont dit l’avoir fait pour faire barrage à Le Pen ; cela réduit le vote « pro-Macron » à 15,9% de la population…

    Par Stéphane Delcros et Nicolas Croes

    Le premier quinquennat de Macron avait été fait d’attaques antisociales, de brutalité policière et de précarisation de larges couches de la société tandis que la recherche de boucs émissaires et la logique de diviser-pour-mieux-régner a été utilisée à plein. Les idées de l’extrême droite ont été banalisées au point que celle-ci a pu prétendre s’être adoucie. Cela a ouvert la voie à une nouvelle croissance des idées d’extrême droite. Le constat est clair : Macron n’a nullement constitué un « rempart » contre l’extrême droite, bien au contraire, et son ambition est de poursuivre sur la même lancée. Il prétend maintenant avoir compris que son deuxième mandat doit être plus social et écologique. il va sûrement essayer de s’acheter un semblant d’image progressiste en nommant un(e) premier(ère) ministre disposant d’une très relative crédibilité sociale, féministe et écolo. Il est possible qu’il indexe les bas salaires et les retraites mais, fondamentalement, sa politique continuera à favoriser les riches.

    Dès son élection en 2017, Macron avait continué à détruire le code du travail qui avait déjà subi l’offensive de la loi El Khomri (loi Travail) sous Hollande et le PS. Il avait introduit l’individualisation de la négociation collective, avec la volonté affichée d’affaiblir le rôle des syndicats. Dans son programme pour 2022, Macron a affirmé vouloir « poursuivre la modernisation du code du travail engagée avec les ordonnances de 2017 ». Il n’a pas non plus fait mystère durant sa campagne de son projet de faire reculer l’âge de départ à la retraite à 65 ans.

    Entre les deux tours, on a pu lire sur le site Mediapart le témoignage de N’Diaye, éboueur, 23 ans, noir et musulman pratiquant, qui déclarait ne pas s’imaginer travailler jusqu’à 65 ans au vu de la pénibilité de son métier. Avec 1600 euros par mois, il disait beaucoup plus craindre l’augmentation des prix que le racisme de Le Pen et estimait qu’elle ferait plus pour le pouvoir d’achat. Ce témoignage résume beaucoup de chose : le profond rejet que suscite la politique antisociale et autoritaire de Macron, mais aussi le danger de l’extrême droite et du Rassemblement national, qui a su instrumentaliser les inquiétudes populaires en menant campagne sur le pouvoir d’achat avec un programme faussement social et en laissant à Zemmour et Pécresse le soin de répandre ouvertement le racisme et la haine de l’autre durant la campagne. Macron n’est pas le meilleur rempart contre l’extrême droite, il est la meilleure garantie pour que l’extrême droite se renforce.

    Le résultat de Mélenchon doit servir de tremplin pour son programme vers les législatives

    Au 1er tour, le score du candidat de « l’Union populaire » et de la France Insoumise Jean-Luc Mélenchon a largement dépassé les attentes. Cette campagne, basée sur un programme de gauche de rupture et une campagne ambitieuse, a réussi à mobiliser non seulement des électeurs de gauche déçus par le collaborationnisme d’autres partis (Parti Socialiste -PS-, surtout, mais aussi Europe Écologie Les Verts -EELV- et le Parti communiste -PCF-) dans des gouvernements qui ont appliqué un programme de droite, mais aussi des couches de gens qui ne comptaient à la base pas aller voter, particulièrement parmi les jeunes et dans les banlieues pauvres autour des grandes villes.

    Avec 22% au 1er tour, il s’en est fallu d’un cheveu pour que le duel final oppose un candidat de la gauche de rupture à celui de la droite autoritaire. Les partis de gauche (PCF, NPA, LO) qui ont préféré présenter et maintenir une candidature « pour exister » plutôt que de renforcer la dynamique de la campagne de Mélenchon portent une très lourde responsabilité dans le faux choix du 2ème tour Macron vs Le Pen laissé aux électeurs.

    Beaucoup avancent l’analyse du « vote utile » venu de gauche qui serait venu renforcer le score de Mélenchon en fin de campagne. Mais début mars, plus d’un mois avant le 1er tour, Mélenchon plafonnait à 12% dans les sondages, pendant que les autres candidats de gauche ou dits de gauche ont vu leur score attendu se confirmer dans les urnes ou au maximum très légèrement baisser. En réalité, le score de Mélenchon a bien plus à voir avec le rejet des politiques portées par la plupart des autres et par la volonté de mettre sur pieds un programme social et écologique qui rompt avec la politique en faveur d’une minorité d’ultra-riches. C’est ainsi que, au-delà d’électeurs traditionnels de gauche, des personnes prévoyant de s’abstenir ont été mobilisées par cette candidature, la faisant grimper de 5 points entre les derniers sondages l’avant-veille et le scrutin lui-même. Les électeurs de Mélenchon qui ont le plus subi de plein fouet la politique de Macron – dans les départements et régions d’outre-mer, parmi les ouvriers, parmi les plus pauvres – ont proportionnellement plus voté en faveur de Le Pen au second tour pour faire barrage à Macron, alors que dans les grands villes et parmi la jeunesse, les électeurs de Mélenchon au premier tour ont proportionnellement plus fait barrage à Le Pen.

    Cette candidature a puissamment contredit tous ceux qui espéraient que la percée de Mélenchon en 2017 n’était qu’un accident de parcours de même que ceux qui sont entrés dans cette campagne électorale avec désespoir et en étant saisi par le défaitisme. Au soir du premier tour, trois blocs politiques ont émergés : le premier -en très nette diminution-, autour de la droite néolibérale et autoritaire ; le deuxième -en augmentation-, avec l’extrême droite, dont la composante Le Pen a su parler à des couches plus populaires délaissées par le système (particulièrement dans les milieux plus ruraux et les anciens bastions du PCF) ; le troisième -en augmentation et avec une forte marge potentielle de progression-, autour d’une gauche de rupture.

    Dès que les résultats du 1er tour ont été connus, Mélenchon a appelé à « ne pas donner une seule voix à Le Pen » tout en soulignant de rester mobilisés dans la perspective des élections législatives des 12 et 19 juin : « compte tenu des positions prises par les deux protagonistes, le second tour empêche les ruptures indispensables, vitales, pour répondre à la triple crise écologique, sociale et démocratique. Aucune des tensions politiques du pays ne sera résolue. Tout au contraire, elles seront probablement aggravées. » Dès que la victoire de Macron a été connue, il a déclaré : « Vous pouvez battre Monsieur Macron et choisir un autre chemin. Le 12 et 19 juin, un autre monde est encore possible si vous élisez une majorité de députés de la nouvelle union populaire qui doit s’élargir. »

    La France Insoumise entend unir la gauche pour emporter le « troisième tour » électoral et imposer ainsi une cohabitation à Macron en construisant une majorité alternative de députés aux législatives du 12 juin pour appliquer un autre type de politique. Cette « Union populaire » vise à regrouper organisations politiques, personnalités politiques, syndicales, associatives, culturelles,… autour d’un programme reposant sur des sujets défendus par le programme de Mélenchon, « L’Avenir en Commun ». Parmi ces points de programme non négociables, on trouve : la retraite à 60 ans, l’abrogation de la loi El Khomri et des contre-réformes du code du travail et de l’assurance chômage, l’augmentation du SMIC à 1400 euros net, l’allocation d’autonomie jeunesse et la garantie dignité à hauteur de 1063 euros par mois, le blocage des prix des produits de 1ère nécessité, la planification écologique et la règle verte, la fin de la monarchie présidentielle avec la 6ème République et le référendum d’initiative citoyenne, le développement des services publics, le refus de leur privatisation ou la fin de leur ouverture à la concurrence, l’engagement à consacrer 1 milliard d’euros contre les violences faites aux femmes, une fiscalité plus juste avec notamment le rétablissement de l’ISF et l’abrogation de la flat tax, l’abrogation des lois séparatisme, sécurité globale et du pass sanitaire et la désobéissance avec les règles européennes incompatibles avec ces propositions. « C’est le socle minimal de tout, pas un désaccord n’est possible ».

    Des négociations ont directement été ouvertes avec EELV (4,6% au 1er tour), le PCF (2,3%) et le NPA (0,8%). Les discussions semblent bien engagées avec le PCF, bien que celui-ci semble revendiquer davantage de circonscriptions. Du côté d’EELV, les tensions sont vives entre ses différentes composantes, reflétées par la primaire de septembre gagnée par le représentant de l’aile libérale Yannick Jadot avec seulement 51% face à Sandrine Rousseau, qui portait un programme davantage social et écologique.

    Le PS n’a pas été invité aux négociations mais son énorme débâcle (1,7%) ne lui a pas laissé d’autre choix qu’au minimum se montrer ouvert et des premières discussions ont commencé. Mais son premier secrétaire Olivier Faure a directement déclaré : « La réforme des retraites que souhaitent les insoumis coûte 72 milliards. Ce que je dis, c’est que cet argent peut aussi être utilisé pour l’éducation ou la transition écologique, je pense qu’on n’a pas besoin de ramener tout le monde à 40 annuités. » Une pirouette qui ne trompe personne et qui illustre les profondes réticences du PS pour une politique sociale. Son prédécesseur, Jean-Christophe Cambadélis, s’est montré encore moins ouvert à la négociation et appelle à l’autodissolution du PS dans un Congrès de refondation à l’automne. L’ancien président François Hollande a quant à lui carrément averti que le PS risquait de « disparaître » en cas d’accord électoral avec La France insoumise. Il défend que le Parti socialiste puisse envisager une autre union avec EELV et le PCF, c’est à dire le “retour” de la “gauche plurielle” qui avait appliqué une politique antisociale sous le gouvernement Jospin et avait subi une humiliante défaite en 2002. En menant à plusieurs reprises des gouvernements qui n’ont pas défendu les intérêts de la classe travailleuse, le PS (tout comme EELV) fait davantage partie du problème que de la solution.

    Pour un 3e tour social – créons un rapport de force tant à l’Assemblée Nationale que sur les lieux de travail et dans la rue

    Le programme proposé par la France Insoumise ne manque pas de points forts, avec des propositions sociales ambitieuses et une planification écologique pour sortir des énergies carbonées et nucléaires. Mais cela reste un programme réformiste, sans demande de nationalisation sous contrôle et gestion démocratiques des secteurs-clés de l’économie, en se limitant à la création de pôles publics qui devraient être en concurrence avec le marché et soumis à ses diktats. L’aspiration à une 6e République synthétise cette recherche illusoire d’une république sociale en respectant les étroites limites du système capitaliste. C’est là le talon d’Achille des propositions de Mélenchon : en période de crises multiples du capitalisme se renforçant les unes les autres, les défis à affronter exige que le mouvement ouvrier mobilise toutes les forces productives qui existent dans la société pour y faire face. Mieux vaudrait que cela soit ouvertement clarifié afin de commencer dès maintenant à construire les relations de forces dont nous avons besoin, certainement dans les élections législatives, mais aussi et surtout sur les lieux de travail, dans les écoles et les universités ainsi que dans nos quartiers. C’est surtout dans la rue que l’on peut obtenir des victoires, tout en utilisant en tant que force d’appui les plateformes parlementaires et la visibilité médiatique que cela offre.

    « Le Pen n’a pas été élue au pouvoir, et maintenant faisons en sorte que Macron n’y reste pas » C’est avec ce mot d’ordre que la France Insoumise a lancé sa campagne pour imposer un gouvernement de gauche de rupture au président Macron en faisant élire Mélenchon 1er ministre. Cette campagne a le mérite de, dès l’entre-deux-tours, donner la perspective de la bataille suivante vers les législatives, ainsi que de tenter de ne pas se limiter à un travail d’opposition et au contraire de tenter d’appliquer les points de programmes qu’un gouvernement pourrait se permettre de mettre en œuvre.

    Mais sans véritable rapport de force sociétal en faveur de la classe travailleuse, il sera difficile non seulement de mobiliser suffisamment de potentiels abstentionnistes, mais aussi d’appliquer un tel programme, une fois élus. À l’aide des syndicats, organisations de gauche et associations, il faut construire un rapport de force conséquent dans la rue et sur les lieux de travail pour parvenir à imposer même ces revendications limitées et faire face à la réaction de la classe dominante, qui fera tout pour empêcher une véritable politique de rupture à gauche.

    C’est ainsi que le 3e tour social pourra être construit : par la lutte dans la rue, les entreprises et les quartiers contre la politique de Macron qui encourage l’extrême droite en augmentant les inégalités et la précarisation ; qui brutalise les mouvements de protestations, les populations d’origine africaines, d’Outre-Mer et musulmanes et les jeunes ; et qui approfondit le dérèglement climatique.

    Une telle lutte de grande ampleur est la meilleure manière pour imposer une présence fracassante de députés de gauche de rupture à l’Assemblée Nationale et pour la politique sociale et écologique que pourra mener l’Union populaire si une majorité alternative peut être atteinte ; ou, du moins, pour riposter contre chaque attaque qu’un gouvernement aux ordres de Macron cherchera à faire passer et pour créer une rapport de force favorable à la classe travailleuse, sur lequel les travailleuses et travailleurs ainsi que la jeunesse pourront s’appuyer dans chacune de leur lutte ces prochains mois

    Avec sa position hégémonique à gauche, de grands défis font face à La France Insoumise. Un grand danger est constitué par celles et ceux qui vont maintenant ouvertement lorgner avec opportunisme vers Mélenchon, à l’exemple de Ségolène Royal. En Grèce aussi, quand Syriza avait supplanté le Pasok, nombre de carriéristes sociaux-démocrates avaient frappé aux portes de la formation de gauche et avaient accéléré le processus de transformation de ce Syriza en parti soumis aux marchés. La meilleure manière de repousser ces opportunistes, c’est d’accentuer l’implication de la France Insoumise dans les luttes de la rue et de renforcer considérablement l’organisation démocratique de la FI autour de ses groupes de base. A terme, cela pourrait poser la base de la création d’un véritable outil politique des travailleuses et des travailleurs de même que des opprimés, un parti large de combat, avec une participation démocratique à la base qui détermine l’orientation de cet outil pour réellement réaliser ce qui est objectivement requis pour toute la classe travailleuse : la construction d’une tout autre société, une société socialiste démocratique.

  • France : Aucune voix pour Le Pen, mais Macron n’est pas la solution

    Photo : Adrien Quatennens

    Pour défendre notre pouvoir d’achat, il faut une lutte de masse dans la rue

    Dans un contexte de crise du capitalisme, amplifiée par la gestion désastreuse de la pandémie et la guerre impérialiste en Ukraine, le 2e tour de l’élection présidentielle opposera donc Emmanuel Macron à Marine Le Pen. Simple répétition des élections de 2017 ? En surface uniquement. Entre l’effondrement vertigineux des partis pivots de la 5e République (PS et LR), l’excellent résultat de la gauche de rupture passée à un cheveu du second tour et la manière dont les thématiques sociales se sont imposées contre la volonté des médias et partis dominants, ce 10 avril 2022 fut historique.

    Par Nicolas Croes

    Diviser pour mieux régner au service des riches

    Ce résultat est l’expression de l’échec de la stratégie « Macron barrage contre l’extrême droite ». Le bilan des cinq ans de projet « Start Up Nation » est sans appel : la poursuite enthousiaste de la politique de transfert de richesses de la collectivité vers les ultra-riches par la précarisation des conditions de vie et de travail de la majorité de la population, la casse du service public par la privatisation et les restrictions budgétaires ou encore une politique fiscale symbolisée par la suppression de l’impôt sur la fortune.

    Cette politique profondément antisociale a été accompagnée par une terreur policière accrue contre les gilets jaunes et les autres mouvements sociaux. On se souvient par exemple du visage ensanglanté de cette infirmière à la suite d’une journée de manifestation du personnel soignant après le premier confinement. Le cocktail n’aurait pas été complet sans éléments de division, par le biais notamment du racisme d’Etat par le biais notamment du « plan séparatisme » qui visait explicitement les musulmans. Il y eut encore ce débat télévisé consternant de février 2021 entre Gérald Darmanin et Marine Le Pen où le Ministre de l’Intérieur avait accusé la présidente du Rassemblement national de « mollesse » au sujet de l’islam… A cela est venue s’ajouter la gestion brutale et autoritaire de la pandémie. L’agressivité vis-à-vis des non-vaccinés a servi de paravent pour masquer les pénuries du secteur des soins. « J’ai très envie d’emmerder les non-vaccinés. C’est ça la stratégie » avait ainsi publiquement déclaré Macron.

    Faute de riposte sociale conséquente, notamment de la part des organisations syndicales, cette division a pu s’installer et se nourrir du cynisme, de la frustration et du manque de perspectives pour de larges couches de la société. Et c’est là-dessus que Macron comptait : parvenir à une situation ou le chantage électoral face à l’extrême droite pouvait arriver au secours de son manque d’assise réelle dans la société. C’est grâce à Macron que Marine Le Pen apparaît plus forte aujourd’hui.

    Une France qui s’extrême droitise ?

    Parmi les éditorialistes, la question n’est quasiment même plus posée, elle est devenue une affirmation qui se passe d’argumentation. Pourtant, même dans une campagne qui a commencé autour des thèmes favoris de la droite, c’est le pouvoir d’achat qui s’est finalement imposé avec force comme LE sujet majeur. Tout le monde a été obligé de se prononcer sur le sujet.

    Ensuite, le grand vainqueur, c’est avant tout l’abstention et le dégoût de toute la politique. Il s’agit du pire taux depuis les élections de 2002 qui avaient vu Jean-Marie Le Pen passer au second tour pour affronter Jacques Chirac (26%, soit 4% de plus qu’en 2017). Le phénomène est tout particulièrement présent parmi la jeunesse, dont les perspectives d’avenir s’assombrissent constamment, ainsi que dans les quartiers populaires, où la présence des autorités publiques n’existe quasiment plus que par la répression d’Etat.

    De nombreux témoignages d’abstentionnistes expriment le sentiment que la campagne électorale était sans prise réelle sur la réalité. L’immigration et le sécuritaire ont dominé l’essentiel de la course au détriment des thèmes sociaux et notamment du pouvoir d’achat, malgré tout devenu omniprésent dans la dernière ligne droite. Le pouvoir d’achat était d’ailleurs le thème quasi exclusif de la campagne de Marine Le Pen (autour notamment d’une TVA à 0% sur les produits alimentaires). Celle-ci a laissé à Zemmour le soin de mener une campagne extrêmement raciste et c’est finalement beaucoup plus Valérie Pécresse, la candidate LR, qui a tenté de le suivre sur cette lancée, pour foncer droit dans le mur. Plusieurs figures de proue LR avaient rejoint Macron ou Zemmour durant la campagne, l’électorat a fini par faire de même.

    Alors oui, l’extrême droite est en progression. Avec 23%, le Rassemblement National / FN réalise son meilleur score. Avec Zemmour et Dupont Aignan, 32% des votants se sont orientés vers l’extrême droite réactionnaire. Mais il y a également eu 25,5% pour une « gauche de rupture » non gouvernementale (France Insoumise, PCF, LO, NPA) : le meilleur score pour la gauche radicale depuis 1969.

    Macron : une victoire en trompe l’œil

    Le véritable enseignement de ce premier tour, c’est l’effondrement des partis de gouvernement et de gestion du capitalisme. Ensemble, LREM (le parti de Macron), LR (la droite historique), le PS et EELV (Europe Ecologie Les Verts) réalisent 39%. C’est la première fois que ce groupe de formation passe sous le seuil des 50%. Les 2 partis pivots de la Ve République, la droite officielle (Les Républicains aujourd’hui, 4,8%) et le PS (1,8%) se sont mangés de violentes claques électorales historiques et finissent à moins de 5% des votes exprimés (et donc sans remboursement intégral des frais de campagne).

    2017 avait déjà représenté une cuisante défaite pour le PS à la suite du mandat de François Hollande ; mais le candidat de la droite officielle, François Fillon, avait tout de même recueilli 19% des voix. Aujourd’hui, Valérie Pécresse qui, hier encore, affirmait « Ma valeur c’est le travail, pas l’assistanat » s’est vue forcée de faire appel aux dons pour renflouer ses caisses de campagne pour éponger un déficit de 7 millions d’euros… Quant au PS, qui avait remporté toutes les élections de 2008 à 2012, des municipales aux présidentielles, il n’a même pas réussi à convaincre 2% des votants. Il ne reste à ces deux partis que leur ancrage local, mais pour combien de tempes ? Macron, de son côté, a toujours cherché à en avoir un sans jamais y parvenir.

    Macron avait déjà bâti sa victoire de 2017 sur les cendres du PS et de LR, ce qui avait permis à la classe dominante de continuer sa politique, même sous un nouveau visage. Ce 10 avril, il a recueilli 4% de plus qu’au premier tour de 2017, un score finalement excessivement faible au vu de l’effondrement du PS et de LR. Le vote en faveur de Macron est un concentré de tout le vote pour l’idéologie dominante. Et c’est peu. La classe dominante s’est prise une claque monumentale.

    La surprise Mélenchon

    On donnait 8% au candidat insoumis au début de la campagne et encore seulement 14% fin mars. Finalement, Jean Luc Mélenchon n’a manqué le second tour que de peu en recueillant 22% des votes. Dans les derniers moments de campagne, il a su rallier des abstentionnistes (les sondages laissaient présager un taux d’abstention de 30%) et représenter un certain « vote utile » de la gauche. Mais il s’agit tout de même d’un vote en faveur d’une gauche de rupture, ce qui est très significatif. Mélenchon est le premier candidat des jeunes, au point où des commentateurs ont parlé d’une « génération abstention » qui côtoie une « génération Mélenchon ». Ses résultats ont quasiment augmenté partout dans les grandes villes, mais de petits reculs existent dans des petites villes et des régions rurales, précisément là où Marine Le Pen avait concentré sa campagne.

    Avec une manifestation suivie d’un meeting qui a réuni 100.000 personnes à Paris ou encore 35.000 à Marseille, Mélenchon a mené une fois de plus une campagne qui n’a été égalée par personne (et de loin) en terme d’affluence et de mobilisation. Ces événements avaient rassemblé encore plus en 2017, mais c’était un reflet de la lutte des classes, cette campagne se situant alors dans le sillage de la puissante mobilisation sociale contre la Loi El Khomri en 2016 qui avait pesé sur la dynamique et le contenu de campagne de Mélenchon.

    Comme nous l’avons développé dans notre appel, la candidature de Mélenchon avait le potentiel d’être saisie comme levier pour stimuler la lutte pour un changement de société. Mais plusieurs erreurs ont été commises selon nous. Le slogan principal de campagne – « un autre monde est possible » – était finalement très faible au vu des enjeux et de la colère qui existent aujourd’hui après 5 années de macronisme tout en faisant référence à un mouvement social (l’altermondialisme) dont la force date d’il y a plus de 20 ans. Chercher à souligner les liens avec le mouvement ouvrier organisé et ses revendications auraient été plus judicieux.

    Pendant les premiers mois de campagne, alors que l’attention médiatique était tournée vers le racisme et la candidature de Zemmour, Mélenchon a opposé la rhétorique anti-migration à la notion de « créolisation » (exprimant une société où la mixité des cultures et origines permet de créer une plus grande richesse collective). Cette approche est la bienvenue mais elle reste insuffisante, surtout alors que des réponses socio-économiques ne manquaient pas dans le programme de campagne du candidat pour répondre aux inquiétudes sociales que cherche à instrumentaliser l’extrême droite (nous vous invitons à (re)lire notre appel de vote à ce sujet).

    Ce programme, bien que ne manquant pas de points forts, reste réformiste, sans demande de nationalisation de secteurs-clés de l’économie, en se limitant à la création de pôles publics qui devraient être en concurrence avec le marché et soumis à ses diktats. L’aspiration à une 6e République synthétise cette recherche illusoire d’une république sociale en respectant les étroites limites du système capitaliste, tout particulièrement en période de crises multiples du capitalisme se renforçant les unes les autres.

    D’autre part, un aspect essentiel a manqué durant toute la campagne et manque toujours aujourd’hui : celui de la préparation pour les combats à venir. En cas de victoire de Mélenchon, les marchés et la classe capitalistes n’auraient pas manqué de réagir en organisant la fuite des capitaux et des lockouts patronaux et en faisant tout pour faire plier Mélenchon comme jadis Mitterrand (voir notre article à ce sujet) et Syriza en Grèce plus récemment. Quelle riposte cela aurait-il exigé ? Et avec quelle préparation pour les travailleuses et travailleurs ? Ces éléments cruciaux sont restés sans réponse.

    Ces faiblesses, liées au manque de démocratie et de structuration à la base au sein de La France Insoumise, aux positionnements internationaux parfois douteux de Mélenchon et à la participation à des coalitions locales menées par des maires EELV voire PS (ces organisations politiques étant à juste titre considérées comme faisant partie du problème et pas de la solution), ont certainement joué un rôle dans le fait que Mélenchon ne passe pas au 2e tour. Mais cette campagne allait indéniablement dans la bonne direction et a participé au processus de repolitisation de couches larges de la société en popularisant si pas un programme anticapitaliste et socialiste, au moins des éléments de ruptures qui peuvent permettre de faire le lien avec la nécessaire transformation socialiste de la société.

    Préparons le 3e tour social

    Au vu du peu qu’il a fallu pour que le second tour oppose Macron à un candidat d’une gauche de rupture, on peut comprendre la colère qui s’exprime contre les candidatures du PCF, de LO et du NPA. Au lieu de considérer ce qui était possible pour une campagne de gauche et ce qu’un passage au second tour aurait signifié – et cela aurait été une véritable bombe dans le paysage politique tout en gonflant considérablement la confiance des travailleuses et travailleurs – ces partis se sont laissés prendre au piège du pessimisme et ont mené des campagnes « pour exister ».

    Il faut prendre garde à l’arithmétique post-électorale. Beaucoup d’électeurs du PCF (qui réalise le 2e pire score de son histoire) du NPA ou de LO (qui réalisent les pires scores de formations se réclamant du trotskisme depuis 1969) n’auraient pas voté pour Mélenchon. Mais même un appel de vote et un désistement dans la dernière ligne droite de la campagne aurait mobilisé non seulement une partie de leurs électeurs mais aussi davantage d’abstentionnistes. Une nouvelle occasion a été ratée – pourtant l’expérience de 2017 était là – il faut maintenant veiller à ne pas rater la suite.

    Ces élections expriment surtout la faillite totale de la 5e république, dont les élections présidentielles avaient été imaginées pour être un facteur de stabilisation politique, mais dont le contrôle échappe à la classe dominante. Après la débâcle de Pécresse, LR entre en crise existentielle et va de plus en plus s’écarteler entre Macron et Le Pen. Pareil pour le PS, et certains vont maintenant ouvertement lorgner avec opportunisme vers Mélenchon, à l’exemple de Ségolène Royal. En Grèce aussi, quand Syriza avait supplanté le Pasok, nombre de carriéristes sociaux-démocrates avaient frappé aux portes de la formation de gauche et avaient accéléré le processus de transformation de ce Syriza en parti soumis aux marchés. La meilleure manière de repousser ces opportunistes, c’est d’accentuer l’implication de la France Insoumise dans les luttes de la rue et de renforcer considérablement l’organisation démocratique de la FI autour de ses groupes de base.

    Dans la situation actuelle de crise, de militarisation et de tensions internationales, une chose est certaine : il y aura encore plus d’attaques antisociales et contre des boucs émissaires et plus de répression. Macron a déjà amplement démontré quelle était sa gestion des affaires d’Etat en temps normal et en temps de crise. C’est d’ailleurs pour cela que tant de gens considèrent voter malgré tout pour l’extrême droite de Marine Le Pen, parfois en estimant à tort que le parti s’est adouci concernant son racisme et que son vernis social n’est pas qu’un attrape-voix. Son projet politique reste clairement d’extrême droite et repose sur l’admiration des régimes « forts » dirigés par des autocrates et visant à appliquer une politique sévèrement raciste et antisociale, mais aussi anti-femmes et anti-LGBTQIA+. Macron et Le Pen partagent un même projet – la protection des intérêts capitalistes – mais avec des accents différents.

    Sans diminuer l’importance des élections, nous devons nous rpapeler que la politique, c’est bien plus que cela. Toutes les avancées sociales qui ont été obtenues jusqu’ici ont été l’œuvre de la mobilisation de masse dans les entreprises, les écoles et la rue, pas du parlement. C’est là que se construit le véritable rapport de forces. Les deux candidats présents au second tour vont essayer de réduire l’impact de la rue sur la politique, et donc d’accroitre la répression tout en limitant les libertés démocratiques et les droits syndicaux. Non comprenons celles et ceux qui seraient tentés de voter Macron contre Le Pen, mais Macron est au cœur du problème et ne fait pas partie de la solution, même à la marge. C’est précisément la logique du « moindre mal » qui nous a conduits dans cette situation.

    Il est notamment temps de faire des grandes assises de la lutte sociale – que nous entendons comme de grandes assemblées ouvertes et démocratiques liées à l’élaboration d’un plan d’action et de revendications – pour préparer le 3e tour social, pour barrer la route à Le Pen et à toutes les politiques réactionnaires dans la rue et préparer la résistance sociale contre la politique du nouveau quinquennat. Mélenchon et la France Insoumise peuvent et doivent jouer un rôle en réunissant toutes les organisations sociales, syndicales et politiques (y compris de la gauche radicale) pour préparer un plan de lutte offensif autour de revendications sociales. C’est aussi la meilleure manière de démasquer les mensonges du Rassemblement national.

    Cette lutte permettrait en outre de poser les bases de la création d’un parti de masse des travailleurs et de la jeunesse, une gauche de combat capable d’accueillir et d’intégrer démocratiquement toutes celles et tous qui veulent lutter contre le capitalisme et ses conséquences. Il serait ainsi possible d’avancer vers un tout autre type de société et de système économique : une société débarrassée de l’exploitation et de la loi du profit, une société socialiste démocratique.

  • La France des années ’30 – L’explosion révolutionnaire qui aurait pu éviter la Seconde Guerre mondiale


    L’année 2019 avait été appelée « l’année de la colère » : des manifestations de masse avaient éclaté de Santiago à Téhéran en passant par Hong Kong, Paris, Alger, Bagdad,… Cette vague de lutte contre l’injustice sociale et pour la démocratie avait été un temps stoppée par la pandémie, mais il n’a pas fallu longtemps pour que le mouvement Black Lives Matter atteigne en 2020 le niveau de la plus grande mobilisation sociale de l’histoire des États-Unis. La pandémie mondiale a renforcé toutes les contradictions du capitalisme. Les mobilisations sociales impressionnantes se sont imposées dans l’actualité internationale.

    Par Nicolas Croes

    Afin de permettre aux nouvelles générations militantes de dégager la clarté dans le brouillard des événements socio-économiques et politiques d’une période tumultueuse, les éditions Marxisme.be ont décidé d’éditer en français et en néerlandais divers textes de Trotsky consacrés à la France des années’30 sous le titre « Léon Trotsky : Où va la France ? 1934-38 : De la provocation fasciste au potentiel révolutionnaire ».

    Quand tout était possible

    Le plus fameux chapitre de l’histoire française des années ‘30 est sans aucun doute le mouvement de grèves avec occupation d’usines de 1936, ne serait-ce que parce que ce mouvement a posé les bases d’importantes conquêtes sociales telles que la semaine des 40 heures et l’extension des congés payés à tous les travailleurs. Cette grève générale s’est spontanément développée à la suite de la victoire électorale du Front Populaire, une alliance des socialistes (SFIO), des communistes (PCF) et du Parti radical, le parti pivot des gouvernements de l’entre-deux-guerres. L’ambiance était festive dans les entreprises : les travailleurs savaient que leur moment était venu. Le journal « Le Temps », que Trotsky décrivait comme « la bourgeoisie sous forme de journal », décrivait avec horreur comment les ouvriers se comportaient dans les usines : comme s’ils en étaient déjà les maîtres.

    Le retentissement du mouvement dépassa les frontières françaises, il influença notamment la dynamique de la grève générale de juin 1936 en Belgique qui a posé les bases de la sécurité sociale obtenue après-guerre. La réussite du mouvement de masse en France avait le potentiel non seulement de renverser le capitalisme, mais aussi d’approfondir le processus révolutionnaire en Espagne tout en portant un coup décisif au fascisme en Allemagne et en Italie. Cela aurait rendu inévitable le déclenchement d’une révolution politique en Union soviétique contre la dictature bureaucratique stalinienne et en faveur de la restauration de la démocratie ouvrière, cette fois-ci sans que la révolution soit isolée. L’horreur de la Seconde Guerre mondiale n’aurait probablement jamais eu lieu.

    De la provocation fasciste au potentiel révolutionnaire

    Le début des années ‘30 fut marqué par les effets du crash et de la récession de 1929, qui avait durement frappé la France à partir de l’automne 1931. La classe ouvrière, la population rurale et même la classe moyenne vivaient une situation désastreuse. La classe moyenne se détournait de plus en plus du Parti Radical (ou ‘radical-socialiste’), le parti établi du capitalisme. La colère contre la démocratie bourgeoise et le parlementarisme était croissante. Tandis que divers groupes et ligues d’extrême droite prenaient leur envol, l’instabilité politique demeurait vive.

    Le 6 février 1934, l’extrême droite manifesta dans les rues de Paris. La manifestation se termina par de violentes confrontations avec les forces de l’ordre. Le danger représenté par l’extrême droite en France devenait particulièrement évident. Mais la riposte antifasciste ouvrière ne se fit pas attendre et stoppa net le danger fasciste. Elle poussa même le Parti communiste stalinisé (PCF) à abandonner sa position officielle suivant laquelle la social-démocratie (représentée par la SFIO en France) était « social-fasciste ».

    Le PCF abandonna alors le sectarisme qui l’isolait des couches plus larges, mais pour se tourner vers l’opportunisme, l’autre face de la même médaille. Il n’entendait pas construire l’unité révolutionnaire des travailleurs socialistes et communistes, mais adopter une politique de collaboration de classes allant jusqu’à s’allier au Parti radical, au prix de restreindre son programme aux éléments acceptables pour la bourgeoisie. C’est cette approche qui fut à la base de la création du Front populaire. Mais si, pour les staliniens et les socialistes, le but du Front populaire était de mieux gérer le capitalisme tout en empêchant que le Parti radical ne se dirige vers l’extrême droite, de leur côté, les travailleurs et les opprimés avaient voté à gauche dans l’espoir d’un véritable changement. Et ils n’allaient pas tarder à le faire savoir.

    L’explosion révolutionnaire

    La victoire du Front populaire en 1936 a suscité un tel enthousiasme qu’elle a immédiatement conduit à une vague de grèves avec occupation d’usines, ce qui n’était pas du tout dans les intentions des initiateurs du Front Populaire… Avant même que le gouvernement ne soit formé, les occupations d’entreprises s’étendaient à tout le pays. C’est alors que Trotsky écrivit « La révolution française a commencé ».

    De la première occupation le 11 mai au 6 juin, les grévistes étaient devenus un demi-million. Le lendemain, ils étaient un million. La confédération syndicale radicale CGT est passée de 785.000 affiliés en mars 1936 à 4 millions en février 1937. Telle était la puissance du mouvement. La situation portait en elle des éléments de double pouvoir : à côté des institutions officielles du capitalisme, de plus en plus contestées, se développaient des organes de pouvoir des travailleurs.

    Quand, le 6 juin, le gouvernement de Léon Blum (SFIO) obtint la confiance du Parlement, dans la rue, les masses avaient accordé leur confiance aux occupations et aux comités de grève. Le 8 juin, les représentants de 33 comités de grève de la région parisienne se réunirent pour créer un comité central de grève chargé de coordonner la lutte. Trois jours plus tard, lors de leur assemblée générale, ils ont réuni les représentants de 243 entreprises de la région parisienne. À cette époque, il y avait déjà 1,2 million de grévistes, alors que la grande majorité de la population était encore active dans l’agriculture. Le nombre de grévistes atteindra finalement 1,8 million et plus de 9.000 entreprises seront occupées.

    Face au mouvement de masse, le gouvernement du Front Populaire et le patronat ont tout d’abord tenté d’enrayer la dynamique de lutte par d’importantes concessions : réduction du temps de travail de 48 à 40 heures par semaine, deux semaines de congés payés, augmentation des salaires dans le secteur privé comprise entre 7 et 12 %,… C’était impressionnant, mais c’était bien en dessous de ce que permettait la situation. Devant l’échec de sa tentative d’arrêter le mouvement avec des concessions, Blum mobilisa l’armée et la police de manière à intervenir à Paris si nécessaire. De son côté, le 11 juin, le dirigeant du PCF Maurice Thorez déclarait « Il faut savoir terminer une grève », en mettant en garde les travailleurs de ne pas effrayer la petite bourgeoisie et de ne pas faire tomber le gouvernement. Les partis ouvriers et leurs partenaires dans les sommets syndicaux ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour empêcher le mouvement révolutionnaire de mener au renversement du capitalisme.

    Comme l’avait souligné Trotsky, les ouvriers furent incapables de reconnaître l’ennemi puisqu’on «l’avait déguisé en ami. » En l’absence de direction et de mots d’ordre clairs, le mouvement de grève finit par se vider de son sang et s’épuiser. De son côté, une fois ressaisi, le patronat ne ménagea aucun effort pour revenir sur chaque concession arrachée par le mouvement de masse.

    « Une révolution qui cesse d’avancer est condamnée à refluer » (Daniel Guérin)

    Dans son remarquable – mais inégal – témoignage des événements, Front populaire, une révolution manquée, Daniel Guérin écrivit « C’est Trotsky qui, le premier, a salué les grèves françaises avec occupation d’usines comme le commencement d’une révolution. » En dépit de profonds désaccords, l’écrivain militant qui deviendra un théoricien de l’anarchisme ne cache pas son admiration pour le révolutionnaire russe, ni d’ailleurs ses regrets : « De cette expérience je devais tirer, en définitive, une leçon. Mais avec un certain retard. Mais trop tard. Car à ce moment-là le raz-de-marrée aura depuis longtemps reflué. Dans le feu de la lutte, je n’avais guère eu le temps de méditer, ou peut-être même de lire, le lumineux article de Trotsky qui parut le 12 juin, dans le numéro, saisi, de La Lutte ouvrière. Le précédent historique des soviets de députés ouvriers y était évoqué. D’atelier en atelier, d’usine en usine, de quartier en quartier, de ville en ville, il appelait les comités ouvriers à établir entre eux une relation étroite, pour aboutir à un congrès de tous les comités de France. Tel était le nouvel ordre qui devait remplacer l’ancien. »

    Avec le soutien du PCF, la politique du gouvernement du Front populaire est finalement strictement restée dans le cadre du capitalisme. Régulièrement, le PCF a réclamé des mesures plus radicales, comme un impôt sur les grandes fortunes ou le soutien aux Républicains espagnols, mais cela s’est essentiellement limité à des appels restés sans suite, avant de voter au Parlement en faveur du maintien du Front populaire et donc de la politique menée, y compris dans les colonies où l’attitude du Front populaire s’est résumée à la défense inconditionnelle de l’Empire colonial français.

    Dans son Histoire de la Révolution russe, Trotsky remarque que : « Sans organisation dirigeante, l’énergie des masses se volatiliserait comme de la vapeur non enfermée dans un cylindre à piston. Cependant, le mouvement ne vient ni du cylindre ni du piston, mais de la vapeur. » Ce qui a finalement manqué à l’époque, c’était l’existence d’un parti révolutionnaire armé d’un programme correct et disposant de la confiance de l’avant-garde du mouvement ouvrier pour porter le mouvement jusqu’à sa conclusion la plus favorable aux travailleurs. C’est pour aider à surmonter cette faiblesse pour les combats futurs que nous avons réédité « Où va la France ? »

  • France. Utiliser la candidature de Mélenchon comme levier pour stimuler la lutte pour un changement de société

    Cinq ans de présidence de Macron. 5 années qui semblent avoir été une éternité d’attaques antisociales, de brutalité policière, de division-pour-régner et de précarisation et de manque de perspectives pour de larges couches de la société, ouvrant la voie à une nouvelle augmentation des idées d’extrême droite. 5 années aussi de vagues de mobilisations massives contre les politiques au service de la classe dominante – la grève massive du personnel de l’éducation étant le dernier exemple. La campagne de Mélenchon et la France Insoumise peut servir à stimuler un mouvement de luttes d’ensemble portant des perspectives anticapitalistes ; une victoire de cette candidature serait un tremplin pour amener des changements immédiats et pour progresser vers un changement de société.

    Par Stéphane Delcros

    5 années Macron qui ont boosté l’extrême droite

    Après 5 ans de Macron, la colère qui a fait le score de Marine Le Pen en 2017 est plus forte et répandue aujourd’hui. Les années Macron ont accéléré les inégalités : les 5 familles les plus riches ont doublé leur fortune ; désormais, elles possèdent autant que 40% la plus pauvre de la population. Et cette tendance s’est accélérée durant la pandémie : selon Oxfam, de mars 2020 à octobre 2021, la fortune des milliardaires français a augmenté de 86% ; avec les 236 milliards d’euros supplémentaires engrangés en 19 mois par ces milliardaires, on pourrait quadrupler le budget de l’hôpital public ou distribuer un chèque de 3.500€ à chaque personne en France… Mais pas de cadeau pour la de la population, et même une misère grandissante : 10 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, 8 millions font appel à l’aide alimentaire, 12 millions sont en situation de précarité énergétique…

    Entré comme un kamikaze dans sa présidence, Macron a commencé une politique thatchérienne d’attaques contre des droits syndicaux et une multitude de mesures d’austérité, polarisant au maximum la société dans le but de diviser pour éviter une contestation unifiée ; une politique assortie d’un tournant sécuritaire et autoritaire, et une sérieuse accentuation du racisme d’État, avec une répression brutale, des violences policières contre les mouvements syndicaux et les nombreuses luttes sociales ainsi que contre la jeunesse, et particulièrement d’origine immigrée ; dans un contexte où l’opposition historique ‘de gauche’ venait de passer 5 années au pouvoir – soutenue par la plupart des directions syndicales – et n’était plus considérée comme une alternative crédible.

    Tout cela a laissé davantage de possibilités pour que les forces de droite populiste et d’extrême droite gagnent en confiance et que leurs idées gagnent en audience. La montée fulgurante d’Éric Zemmour est une nouvelle illustration de l’échec de la stratégie de 2017 « voter Macron pour faire barrage à l’extrême droite ».

    Rien d’étonnant à ce que l’extrême droite et la droite fasse course en tête dans les sondages, avec Macron (LREM) en 1ère position, devant Le Pen (Rassemblement National, ex-FN), Zemmour (Reconquête) et Pécresse (Les Républicains, ex-UMP), cette dernière utilisant aussi une rhétorique islamophobe et anti-immigration.

    Mi-février, Jean-Luc Mélenchon de la France Insoumise (FI) est en 5e position, pas loin du quatuor de tête et donc d’un éventuel 2ème tour, avec une longueur d’avance sur tou.te.s les autres candidat.e.s. Il est dans les sondages autour de 11-12%, c’est-à-dire au même niveau qu’il y a 5 ans fin février 2017. Aux élections deux mois plus tard, il était finalement arrivé à près de 20% des voix, aux portes du 2ème tour.

    Mélenchon et la France Insoumise

    Mélenchon et la FI sont cependant confrontés à une situation différente qu’aux dernières élections présidentielles. Pour la 1ère fois depuis 2007, le Parti Communiste (PCF) a décidé de présenter un candidat et non de soutenir Mélenchon. Mais surtout, la FI n’est plus une nouveauté, et il n’est pas simple de reproduire la dynamique de la campagne de 2017, après un mandat à l’Assemblée Nationale lors duquel la FI a alterné le très bon avec le bon mais aussi le moins bon.

    Les premiers mois des députés insoumis ont été exemplaires, utilisant leur position au parlement pour stimuler la lutte sociale contre les premières mesures antisociales et anti-travailleur.euse.s, quelque chose que les directions des principaux syndicats et la gauche traditionnelle refusaient de faire, eux qui n’avaient comme perspective qu’un retour du PS aux commandes, … Ces initiatives avaient même poussé certains syndicats à organiser des journées de grève et d’actions, mais hélas sans beaucoup de suites, malgré le gros potentiel existant pour une lutte généralisée massive. Par la suite, la FI s’est hélas davantage concentrée sur son travail d’opposition parlementaire, avec des propositions de rupture et en continuant à soutenir les luttes, mais en prenant moins d’initiative pour les stimuler et les organiser.

    Notre soutien à la démarche de la France Insoumise n’est pas dénué de critiques, loin de là. Mais, comme en 2017, les propositions formulées dans le programme « L’Avenir en commun » vont dans la bonne direction. Ensemble avec la dynamique de la campagne, elles participent à la nécessaire re-conscientisation politique des travailleur.euse.s et de la jeunesse après des années de dégoût, de désillusion et de désespoir. Avec le potentiel d’aller toucher des couches de la société qui se sont détournées de la politique depuis des années.

    Ce potentiel est toutefois handicapé par le manque de démocratie interne de la FI ou encore par certains positionnements douteux concernant la politique étrangère et son orientation souverainiste. À l’échelon local, elle apporte un soutien – voire participe – à des alliances avec les Verts, voire même avec le PS, comme dans les grandes villes de Grenoble et Montreuil. Ces organisations politiques ont trempé jusqu’au cou dans les politiques antisociales de ces dernières décennies. Elles font davantage partie du problème que de la solution.

    Le programme ‘L’Avenir en commun’

    Plusieurs bonnes voire très bonnes revendications figurent dans le programme « L’Avenir en commun », mais il est impossible de l’analyser ici entièrement. Voici certaines des mesures qui y sont proposées :

    • Une réduction collective du temps de travail, c’est-à-dire appliquer strictement les 35h et les 32h dans les métiers pénibles, et ouvrir les négociations pour généraliser les 32h ; l’instauration de la retraite à 60 ans ; le salaire minimum (SMIC) à 1400€ et aucune retraite sous le SMIC.
    • Une garantie d’emploi : toute personne au chômage de longue durée qui souhaite un emploi doit se voir proposer par l’Etat un job qui corresponde à ses qualifications, près de chez lui/elle et à des tâches que le marché refuse d’accomplir et dont nous avons besoin, comme dans les métiers du lien et du soin, liés à la planification écologique.
    • Une allocation mensuelle de 1063€/mois pour les étudiant.e.s, pour être indépendant financièrement de leur famille et se consacrer pleinement aux études, sans devoir travailler parfois dans des conditions misérables ;
    • Une garantie universelle des loyers ; l’interdiction des expulsions locatives sans relogement public ; l’encadrement des loyers et diminution dans les villes ; la construction sur 5 ans d’1 million de logements publics, aux normes écologiques ; arriver à un quota de 30% de logements sociaux dans les villes ; la réquisition des logements vides.
    • Des mesures pour revaloriser les salaires et les statuts et engager du personnel supplémentaire dans la santé et l’éducation, ainsi que la construction d’infrastructure et la mobilisation d’équipement et de matériel dans ces secteurs ; la création d’au moins 210.000 emplois pour les EHPAD ; le remboursement de 100% des frais de soins de santé prescrits ; la gratuité totale de l’école publique tant pour la cantine que pour le matériel.
    • Face au défi climatique, la FI reprend son intelligente idée de « planification écologique », avec notamment un plan de 200 milliards d’euros d’investissements écologiquement et socialement utiles, pour sortir des énergies carbonées et sortir du nucléaire, tout en assurant la reconversion des travailleur.se.s et en engageant massivement dans les secteurs concernés, avec pour objectif 100% d’énergies renouvelables pour 2050 maximum – un plan qui prévoit la renationalisation des entreprises énergétiques EDF et Engie et la création massive d’emplois.
    • La reconstruction du maillage de transports en commun et de services publics, notamment dans les départements ruraux et les quartiers populaires, afin de garantir un accès aux services publics de base à moins de 30 minutes de son lieu d’habitation.
    • Réunir une Assemblée constituante pour passer à la 6ème République ; instauration d’un Référendum d’initiative citoyenne (RIC) et le droit de vote à 16 ans.

    Ce ne sont que quelques éléments du programme, auxquels il faut ajouter des mesures spécifiques pour les territoires d’Outre-Mer, un plan concernant les personnes en situation de handicap, un plan de lutte contre les discriminations et les violences racistes, sexistes et LGBTI ; la nationalisation de la SNCF, des autoroutes et des aéroports stratégiques ; la sortie de l’OTAN ; etc., et des mesures de réponse immédiate à l’urgence sociale, avec un blocage des prix des produits de première nécessité, le 1er mètre cube d’eau gratuit, un plan zéro sans-abris, …

    Il s’agit d’un programme ambitieux, qui tente d’améliorer le quotidien et le futur des travailleur.euse.s et de la jeunesse, de correspondre aux besoins réels dans la société en restant dans le cadre du système capitaliste, certes, mais avec des éléments de rupture avec le fonctionnement du système. Le PSL/LSP veut y apporter son soutien constructif. Ce programme ne va selon nous pas suffisamment loin, mais la plupart des mesures qu’il contient et la campagne qui l’entoure permettent de tirer des conclusions anticapitalistes et de mener une discussion ouverte sur le type d’alternative sociétale nécessaire.

    Pour un plan de nationalisation des secteurs-clés

    A la question du financement, la FI répond : « Financer n’est pas un problème. La question qu’il faut se poser d’abord, c’est de quoi nous avons besoin. » Cela dit, le projet de financement repose surtout sur des taxes, contre les plus riches bien sûr : sur les dividendes ; sur les héritages, avec une réquisition de l’héritage au-delà de 12 millions d’euros ; sur les plus hauts revenus, avec le rétablissement et le renforcement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), incluant un volet climatique visant à taxer les gros pollueurs ; rendre l’impôt sur le revenu plus progressif avec un barème à 14 tranches, contre 5 aujourd’hui. Taxer les riches est bien sûr important, mais on connait leur capacité à l’optimisation fiscale, légale ou non. Un tel projet reste insuffisant pour financer un programme qui réponde réellement aux besoins, d’autant que la classe dominante ripostera notamment par la fuite des capitaux.

    Le concept de nationalisation est souligné à plusieurs reprises dans le programme de Mélenchon, mais seulement partiellement et avec timidité: il ne s’agit jamais d’un secteur en entier, seulement d’entreprises-clés ou de création de ‘pôles publics’. Nous avons pourtant besoin de la gestion et du contrôle démocratiques des travailleur.euse.s et de la communauté sur la production dans tous les secteurs-clés de l’économie. La nationalisation du secteur financier dans sa totalité et la création d’un organisme public unique de crédit sont la seule solution pour assurer un contrôle des capitaux et empêcher les capitalistes de contrôler les investissements.

    Les secteurs-clés (banque, finance, énergie, télécoms, sidérurgie, pétrochimie,…) doivent être nationalisés dans leur entièreté, sans rachat ni indemnité sauf sur base de besoins prouvés, et doivent être placés sous le contrôle et la gestion démocratique des travailleur.euse.s et de la collectivité. C’est la seule réponse efficace aux menaces de délocalisations qui viendront de la part de nombreux grands patrons.

    Pour un changement de système, pour une société socialiste démocratique

    Le projet de 6ème République visant à abolir le système actuel a le mérite de remettre en cause les institutions qui protègent la domination de la classe capitaliste. Une série de mesures qui y sont attachées dans ce programme s’orientent vers une rupture avec le système, sans toutefois clairement oser pointer du doigt cette nécessité.

    Il faut aller plus loin. Pourquoi ne pas appliquer cet excellent projet de planification écologique à l’échelle de l’économie elle-même ? Une planification économique démocratique permettrait d’orienter la production vers ce qui est nécessaire, vers les besoins réels de l’immense majorité de la population et ceux de notre planète.

    Il faut discuter et avancer vers un autre type de système économique, vers une société débarrassée de l’exploitation et de la loi du profit : une société socialiste démocratique. C’est la seule capable d’assurer qu’une poignée d’ultra-riches ne décide de tout en fonction de ses intérêts. C’est la seule capable d’assurer l’existence harmonieuse des êtres humains et de leur environnement. Ce manque d’audace concernant l’alternative à opposer, non seulement à ‘l’oligarchie financière’ mais au capitalisme lui-même permet de comprendre d’autres points faibles à nos yeux, tels que le repli sur la ‘nation souveraine’.

    Ce programme ne pourra devenir réalité qu’à la condition de créer un rapport de force dans les entreprises et dans la rue autour du mouvement organisé des travailleuses et des travailleurs, car la classe capitaliste ne laissera pas appliquer de telles mesures sans réagir.

    Dans cette lutte pour s’approprier les moyens, appliquer un tel programme, et aller vers un changement sociétal, c’est la classe travailleuse qui peut jouer le rôle moteur. Selon nous, cette approche de classe devrait être un socle de la campagne électorale, ensemble avec une approche internationaliste de la lutte.

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    La pression pour une union de la gauche

    Depuis le début de la campagne électorale, une pression permanente est mise sur les candidats de gauche (ou de droite mais vu comme de gauche) pour arriver à une forme d’union de la gauche derrière une seule candidature, stratégie vue comme la seule capable de gagner le scrutin. Première cible de cette campagne menée notamment par les médias dominants, Mélenchon est régulièrement appelé à laisser sa place au profit de quelqu’un de plus consensuel ou de mettre de l’eau dans son vin, alors même qu’il est largement en tête parmi ces différents candidats.

    La séquence la plus connue de cette campagne ‘pour l’unité’ est l’organisation d’une « Primaire populaire », qui a été organisée pour servir de tremplin pour la candidature de Christiane Taubira, ex-ministre sous François Hollande, une figure vue comme de gauche mais qui a toujours été de droite.

    Cette campagne est en réalité une tentative d’utiliser la tendance spontanée à l’unité qui existe parmi la classe travailleuse et la jeunesse, une idée dévoyée pour surtout tenter de décrédibiliser la candidature de Mélenchon, présenté comme non favorable à l’unité.

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    Pourquoi pas un vote PCF, ou pour un candidat plus à gauche de Mélenchon ?

    Fabien Roussel du PCF aligne une campagne et un programme comportant des points forts, similaires à certains de la FI, et même un point plus fort, comme la nationalisation des banques BNP Paribas, Axa et la Société Générale. Mais sa campagne est aussi marquée par des éléments à la droite de Mélenchon, lorsqu’il parle de contrôler l’immigration, ainsi que sur son programme en général, moquant même le projet d’emploi garanti de la FI (« c’est les kolkhozes »). Surtout, avec sa proposition de mix renouvelable/nucléaire, le PCF a un plan climat très éloigné de la ‘planification écologique’.

    À chaque élection il y a une figure de gauche qui est utilisée par les médias et divers ‘spécialistes’ pour mener des attaques de droite contre le/la plus à même de représenter une alternative de gauche en rupture avec le système – et cette fois-ci il s’agit de Roussel contre Mélenchon. Lors de chaque gouvernement dirigé par le PS, le PCF faisait partie de la coalition, menant de concert la politique antisociale. La situation est telle au niveau local qu’il est parfois difficile de distinguer l’un de l’autre si ce n’est par le nom.

    Le PSL/LSP a bien sûr davantage de proximité programmatique avec des candidat.e.s comme Anasse Kazib (Révolution Permanente), Nathalie Arthaud (Lutte Ouvrière) ou Philippe Poutou (Nouveau Parti Anticapitaliste). Mais tout comme en 2012 et 2017, il ne s’agit pas ici d’aborder ces élections sous l’angle d’une candidature ‘pour exister’. Une candidature ne servant qu’à promouvoir un programme et des idées peut avoir un intérêt à certains moments. Mais la question aujourd’hui est de savoir ce qui peut renforcer la lutte des classes et permet le mieux de profiler la nécessité d’un changement sociétal.

    Une candidature portant un programme de rupture, augmentant la conscience de classe, s’adressant à des couches très larges et tentant de les mobiliser, et qui est en plus capable d’atteindre le second tour de l’élection existe – c’est celle de Mélenchon. Ce programme de rupture à gauche et cette campagne sont un pas en avant, sur lequel nous pouvons nous appuyer pour faire des propositions constructives et mettre en avant notre alternative sociétale. L’enjeu est aussi de participer à la construction du rapport de force dans la société. Et, pour ce faire, on est mieux placé si on a un second tour Mélenchon vs Macron ou Le Pen ou Zemmour, que si on a droit à Macron vs Le Pen ou Zemmour.

    Imaginons si Arthaud et/ou Poutou avaient décidé, en 2017, de retirer leur candidature et d’apporter un soutien critique à celle de Mélenchon, en proclamant : « on va s’engager à 100% dans cette campagne avec notre propre programme, mais d’une manière constructive, pour essayer de mettre ‘l’Avenir en commun’ au second tour, et peut-être même à l’Elysée. Et préparons le 3ème tour révolutionnaire sur les lieux de travail et dans la rue ! » Où en serions-nous, 5 ans plus tard, en 2022 ? Bien mieux placés. La question se pose dans des termes similaires aujourd’hui.

  • France. Harcèlements, agressions, féminicides,… Non pas « gérer le problème », mais totalement l’éradiquer!

    A quelques jours du 25 novembre, Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le collectif français #NousToutes avait appelé à l’organisation de plusieurs manifestation dans le pays le samedi 20 novembre, par ailleurs également journée mondiale de protection de l’enfance et journée internationale du souvenir trans. A Paris, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont répondu à l’appel, parmi lesquelles une équipe de militant.e.s d’Alternative Socialiste Internationale (ASI) avec pour tract principal le texte suivant.

    En 2020, 67 viols par jour ont été déclarés en moyenne en France. Presque 3 par heure, et il ne s’agit que des victimes qui ont porté plainte, la réalité est encore bien plus horrible. Du harcèlement au féminicide, les violences sexistes sont omniprésentes. C’est un problème sociétal, ancré dans l’ADN du système capitaliste lui-même, avec des impacts personnels terrifiants.

    Le capitalisme pervertit chaque avancée sociale. La libération sexuelle a été dénaturée et le corps des femmes est devenu une marchandise, un objet marketing. Cette objectification alimente la culture du viol. Dans la récente enquête du collectif #NousToutes, neuf femmes sur dix “déclarent avoir fait l’expérience d’une pression pour avoir un rapport sexuel”.

    Le capitalisme déforme les relations humaines. Des gens peuvent être contraints de rester dans des relations pour des raisons financières ou parce qu’ils s’inquiètent des stigmates du divorce, du statut de parent isolé, etc. En détruisant les services publics et la sécurité sociale, les politiques d’austérité contribuent à rejeter toute la pression de la société sur les familles, avec tous les risques que cela comporte avec l’accumulation des difficultés quotidiennes, comme l’a illustrée l’augmentation des cas de violences domestiques lors des confinements.

    Le capitalisme utilise le sexisme pour garder la moitié de la population dans une position de second rang. Les préjugés sur le rôle soi-disant naturel des femmes servent par exemple d’excuse pour les bas salaires dans le secteur des soins aux personnes, où les femmes sont surreprésentées.

    Le capitalisme utilise le sexisme et la LGBTQIA+phobie, tout comme le racisme, pour diviser les travailleur.euse.s et continuer à mieux les exploiter. L’unité des exploité.e.s et des opprimé.e.s et leur entrée en action en défense d’une alternative est le plus grand danger pour la survie du capitalisme.

    ASSEZ DE BLABLA : DES ACTES ET DES MOYENS

    • Les violences sexistes et LGBTQIA+phobes doivent être condamnées sans équivoque. Stop à la culpabilisation des victimes !
    • Pour ne plus être traité.e.s comme des objets : stop à la marchandisation de nos corps. Pour l’utilisation des espaces publicitaires à des fins sociales (prévention, culture,…) et non commerciales.µ
    • Pour ne plus laisser quelqu’un en détresse sans soutien : un plan d’investissement public d’aide aux victimes établi sur base des besoins.
    • Pour ne plus laisser une victime de violence domestique sans possibilité de relogement : suffisamment de refuges d’urgence et de logements sociaux.
    • Pour ne plus être considéré.e.s comme des citoyen.ne.s de seconde zone et pour notre indépendance financière : des emplois décents, la réduction collective du temps de travail sans perte de salaire et avec embauches compensatoires ainsi qu’une augmentation généralisée des salaires.

    Pour un féminisme de lutte

    Le capitalisme est de plus en plus contesté à travers le monde : de la réémergence des grèves des jeunes pour le climat aux grèves des travailleur.euse.s pour de meilleurs salaires, en passant par les soulèvements révolutionnaires en Colombie et au Myanmar et par la lutte des peuples indigènes contre la destruction de la forêt amazonienne. Dans tous ces cas, les femmes se sont retrouvées en première ligne de la lutte.

    Plus spécifiquement concernant les droits des femmes, des millions de personnes ont manifesté, fait grève et participé à des occupations avec le mouvement NiUnaMenos en Amérique latine pour exiger de réels droit à l’avortement et la fin des féminicides. Le droit à l’avortement a ainsi été arraché en Argentine, puis au Mexique. Au Pays Basque, 3.500 travailleur.euse.s ont fait grève en octobre chez Mercedes contre les violences sexistes après le féminicide d’une collègue, Erika Tavares. En réponse aux projets de loi anti-avortement repris par la Cour suprême des États-Unis et à la scandaleuse interdiction de l’avortement au Texas, des dizaines de milliers de femmes ont manifesté le 2 octobre. À Brasilia, plus de 5.000 femmes autochtones ont manifesté contre la sécession de terres de leurs communautés à des compagnies minières. Ces luttes sont des sources d’inspiration pour notre combat.

    Nous devons accorder une attention particulière aux triples et aux quadruples oppressions subies, par exemple, par les femmes de la classe travailleuse qui sont également discriminées pour leur origine, leur identité de genre et/ou leur orientation sexuelle. Nous devons nous battre pour défendre un mouvement démocratique représentatif de tou.te.s, qui défende les droits de l’ensemble des groupes opprimés et dans lequel chacun.e peut participer. Mais nous devons considérer ce qui nous unit plutôt que ce qui nous rend différents : c’est-à-dire notre position en tant que membres d’une classe sociale qui est capable de mettre à plat l’économie capitaliste par la grève. Si la pandémie a bien démontré quelque chose, c’est que ce sont les travailleur.euse.s qui font tourner le monde, il est temps qu’iels le prennent en main !

    Pour un féminisme socialiste

    Nous défendons un féminisme dont l’objectif est une société libérée de toute oppression, inégalité et violence : une société socialiste démocratique reposant sur la satisfaction des besoins de tou.te.s dans le respect de l’environnement.

    En nationalisant les grandes entreprises et les banques sous contrôle et gestion démocratiques des travailleur.euse.s, nous pourrons utiliser les richesses monumentales qui existent aujourd’hui afin de répondre aux besoins de la majorité de la population. Il serait ainsi possible de massivement augmenter les salaires et de réduire collectivement le temps de travail afin de le répartir, sans perte de salaire, pour que chacun.e dispose de bonnes conditions de vie et de suffisamment de temps libre pour s’épanouir.

    Une telle libération économique permettrait de concilier harmonieusement travail et vie de famille. Il serait ainsi également possible de mettre un terme à une relation violente ou simplement malheureuse au moment de son choix. Le refinancement massif des services publics et leur extension permettrait la prise en charge collective d’un maximum de tâches domestiques (cantines de quartier, lavoirs, crèches,…) tout en ouvrant réellement l’accès à des soins de santé gratuits, y compris l’avortement et la contraception gratuits, pour tou.te.s. Mais ce n’est encore qu’un seul aspect de la question. En transformant le système économique, nous pourrons également modifier fondamentalement les attitudes envers les femmes qui sont ancrées dans la société de classes et les relations de pouvoir qui en découlent.

    Si un monde sans milliardaires est un monde que tu aimerais défendre, tu es sûrement féministe socialiste ! Découvre qui nous sommes et rejoins-nous aujourd’hui !

    Rejoins Alternative Socialiste Internationale !

    Alternative Socialiste Internationale (ASI) est une organisation socialiste révolutionnaire qui aide à construire les mouvements de lutte contre le système capitaliste dans plus de 30 pays à travers le monde. Nous développons également nos propres initiatives et actions, notamment au travers du réseau international féministe socialiste ROSA.

    Nous avons notamment mené une campagne internationale de solidarité contre les violences sexuelles systématiques perpétrées par l’armée au Myanmar dans le cadre de la répression du soulèvement contre le coup d’État militaire.

    ASI – France :

    ASI :

  • Le danger Éric Zemmour : Chasser la haine et la division par la lutte et la solidarité !

    Photo : Wikimedia Commons

    À moins de 6 mois des élections présidentielles françaises, le chroniqueur TV et auteur d’extrême droite Eric Zemmour cartonne dans les sondages, au point d’arriver même en 2ème position dans certains d’entre eux. Comment expliquer cette ascension d’un raciste, sexiste, homophobe et anti-ouvrier notoire ? Comment construire une campagne qui permette de lui répondre avec un message de solidarité et une réelle perspective ?

    Par Stéphane Delcros

    La France évolue depuis des années dans un climat pesant de divisions et de violences policières brutales à l’égard des mouvements syndicaux et sociaux en général ainsi qu’à l’égard de la jeunesse, tout particulièrement d’origine immigrée. Le racisme d’État et les stigmatisations permanentes se sont accrus, avec pour cibles les populations issues de l’immigration et les musulmans.

    ‘Loi sur le séparatisme’, Loi ‘sécurité globale’, Gérald Darmanin (le ministre de l’Intérieur) dépassant Marine Le Pen sur sa droite en débat télévisé, Jean-Michel Blanquer (ministre de l’Éducation) propageant l’expression ‘islamo-gauchisme’,… Macron et ses gouvernements n’ont eu de cesse d’alimenter la division. Mais lorsque l’on s’attire les foudres d’autant de couches de la société, il faut savoir manier l’arme de la division pour éviter que celles-ci ne forment plus qu’un seul poing levé à un moment donné.

    L’ascension du chroniqueur TV

    Zemmour déverse ses visions réactionnaires depuis des années déjà dans les médias dominants. Entre sa condamnation pour provocation à la discrimination raciale en 2011 et celle pour provocation à la haine envers les musulmans en 2018, son discours s’est encore radicalisé et continue sur cette voie. Sa confiance est gonflée par l’atmosphère de haine et de division encouragée par les autorités.

    Son succès est une nouvelle illustration de l’échec cuisant de la stratégie « voter Macron pour faire barrage à l’extrême droite ». C’est aussi une expression de l’échec de la gauche et du mouvement syndical à réussir à imposer son projet à l’agenda. Sans riposte sociale à la hauteur des enjeux, les politiques d’austérité et anti-travailleurs et travailleuses menées par Macron ont créé un terreau de frustration et de désespoir encore plus favorable aux préjugés et à la division. En majeure partie, la popularité de Zemmour n’exprime pas un ferme soutien à ses idées nauséabondes. Elle provient de l’atmosphère savamment entretenue par le sommet de la société et de son image « anti-système » plus « fraîche » et qui n’est pas issue d’un parti et du sérail politique traditionnel.

    La force de Zemmour, ce n’est pas Zemmour

    Zemmour ne s’est pas fait lui-même, c’est une construction consciente de la part de l’establishment. L’utilisation de l’extrême-droite au service des intérêts immédiats du pouvoir en place est une vieille habitude en France. L’essor du Front National dans les années ‘80 avait été favorisé par Mitterrand pour affaiblir la droite dont il craignait le retour après avoir trahi le programme qui l’avait porté à la présidence.

    Macron n’a jamais fait mystère de sa stratégie pour un second mandat : sécuriser un socle d’au moins 10% d’électeurs (soit 20% dans les urnes compte tenu de l’abstention qui va de record en record) et s’attirer le vote du « moindre mal » face à Marine Le Pen au second tour. Mais après un premier mandat qui a marqué un tournant majeur vers l’autoritarisme et une sérieuse accentuation du racisme d’État, la stratégie est plus dangereuse que jamais. En affaiblissant la dynamique autour du Rassemblement National de Marine Le Pen, Zemmour rend un précieux service à Macron. C’est ce qui explique en grande partie les largesses médiatiques à son égard. Mais c’est encore une fois une dangereuse fuite en avant.

    Notre camp doit arracher le micro des mains de la droite et de l’extrême droite

    Le leader de la France Insoumise Jean-Luc Mélenchon a eu raison de s’inviter à un débat télévisé avec Zemmour fin septembre. Ça fait des années que la droite et l’extrême droite ont micro ouvert dans tous les médias sans aucun réel contradicteur. Nous avons été nombreux à accueillir enfin un autre type de discours avec ce débat, où Mélenchon répondait au discours de haine raciste à l’aide du terme de « créolisation », exprimant une société où la mixité des cultures et origines permet de créer une plus grande richesse collective. Pour les larges couches qui résistent toujours au discours de division dominant, ce type de réponse à grande audience face à l’extrême droite est un soulagement bienvenu, bien que limité.

    Lutter contre les racines de la division

    Pour combattre le racisme et la haine, souligner l’intérêt et la richesse de la multiculturalité ne suffira pas. La réponse à Zemmour et Cie est aussi et surtout socio-économique, pour couper court au désespoir social qui l’alimente.

    ‘L’Avenir En Commun’, le programme de la France Insoumise dont la mise à jour sortira mi-novembre, regorge d’excellentes revendications capables de rassembler autour de la solidarité : l’augmentation du salaire minimum (souhaité par 9 Français sur 10) ; le rétablissement de l’impôt sur la fortune supprimé par Macron, l’instauration d’une taxe sur les profiteurs de crise, un grand plan d’investissements dans les services publics (souhaités par 8 Français sur 10) ; le retour de la retraite à 60 ans (souhaité par 7 Français sur 10) ; etc.

    Mais ce programme ne pourra devenir réalité qu’à deux conditions : d’une part, créer un rapport de force dans les entreprises et dans la rue autour du mouvement organisé des travailleuses et des travailleurs. D’autre part, en finir avec la dictature des marchés, ce qui permettrait aussi d’obtenir le financement des mesures nécessaires. L’expropriation et la nationalisation des secteurs-clés de l’économie (dont la finance en premier lieu, notamment pour bloquer la fuite des grands capitaux) permettraient de donner naissance à une approche planifiée pour faire face aux nombreux problèmes sociaux et environnementaux. La « planification écologique » contenue dans le programme de la France insoumise est à ce titre un pas dans la bonne direction, bien qu’encore timide.

    Se battre pour l’unité dans la lutte

    Les dernières années n’ont pas manqué de mouvements de masse en France. Depuis l’énorme mobilisation syndicale et sociale contre la Loi travail sous Hollande en 2016, le pays a connu les luttes des travailleurs et travailleuses des soins et des transports en commun ; celles des Gilets Jaunes ; la lutte de masse contre la réforme des retraites (un des conflits sociaux les plus intenses depuis Mai 68) ; les mobilisations de la jeunesse contre les violences sexistes, contre le racisme et les violences policières, contre le dérèglement climatique, contre la loi ‘sécurité globale’ ; …

    Inspirons-nous de ces récentes mobilisations de masse – qui nous rassemblent au lieu de nous diviser – et organisons cette fois-ci davantage notre lutte autour de revendications sociales audacieuses qui ne se limitent pas à ce que permet le cadre étroit du capitalisme et de sa logique de profits. C’est ainsi que l’on pourra construire la confiance dans l’espoir révolutionnaire face au désespoir contre-révolutionnaire. Un autre type de société s’offrirait alors à nous comme fruit de nos luttes : une société socialiste démocratique qui mobiliserait les capacités techniques et les richesses actuelles pour l’épanouissement de toutes et tous dans le respect de l’environnement

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