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Tag: Football
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La difficulté des ‘coming out’ dans le football, révélatrice du caractère systémique de la LGBTQIA+phobie

Du destin tragique de Fashanu à la récente sortie de Daniels, le très difficile ‘coming out’ dans les compétitions masculines de footballLe 16 mai 2022, le footballeur Jake Daniels est devenu le deuxième footballeur professionnel anglais à oser révéler publiquement son homosexualité. À 17 ans, le joueur du Blackpool FC (deuxième division) succède à Justin Fashanu, qui avait fait son coming out il y a 32 ans déjà… Qu’aussi peu de footballeurs professionnels ouvertement homosexuels existent en dit long tant sur ce que représente le football lui-même que sur le caractère systémique des discriminations au sein de la société de même que sur la manière de le combattre.
Par Stéphane Delcros
Le coming out historique et mortel de Justin Fashanu
Le 2 mai 1998, Justin Fashanu se suicide, 8 années après avoir révélé son homosexualité. Justin avait acquis le statut de star du football quand, en 1981, il est devenu le meilleur buteur de la saison de première division et est devenu le premier footballeur noir britannique dont le transfert a coûté 1 million de livres, en passant de Norwich City à Nottingham Forest. Cela ne sera pourtant qu’à ses à 29 ans, 9 ans plus tard, en octobre 1990, qu’il deviendra le premier footballeur professionnel masculin à faire son coming out médiatique.
S’en est suivi une campagne de harcèlement homophobe brutal de la part des médias dominants et de larges couches de footballeurs et de supporters. Elle dura des années et l’a poursuivi tout au long de sa fin de carrière, faite de nombreux transferts dans des clubs de divisions inférieures en Angleterre et à l’étranger. En 1998, alors qu’il résidait aux Etats-Unis, il fut accusé d’agression sexuelle par un jeune de 17 ans qui abandonna ensuite la plainte. Justin écrivait dans sa lettre de suicide que cette relation avait été consensuelle, et que la raison de son acte est la fatigue et le fait qu’il savait qu’il n’aurait pas droit à un procès équitable, étant donné que l’homosexualité était illégale dans l’Etat du Maryland.
D’autres coming out moins tragiques, mais tous éloignés de l’épicentre du football mondial
Depuis Justin Fashanu, plusieurs footballeurs professionnels ont fait leur coming out, mais toujours après la fin de leur carrière, ou alors dans un championnat tenu dans un Etat où le football/soccer n’est pas du tout le sport le plus populaire. C’est le cas notamment de l’américain Robbie Rogers en 2013, une décision qui l’avait poussé à quitter son club de Leeds United FC en Angleterre et à annoncer sa retraite, à 26 ans, avant de finalement s’engager avec les Los Angeles Galaxy. En juin 2018, c’est l’américain du Minnesota United FC Collin Martin qui révéla son homosexualité, à 23 ans. En octobre 2021, à 21 ans, l’australien Josh Cavallo a fait son coming out en déclarant : « En tant que footballeur gay, j’ai dû apprendre à masquer mes sentiments pour m’adapter au moule d’un footballeur professionnel. Grandir en étant gay et jouer au football n’est pas quelque chose de facile. (…) J’en ai marre d’essayer de vivre cette double vie, c’est épuisant. »
Ces quelques footballeurs professionnels ne sont évidemment pas les seuls à être homosexuels, mais l’immense majorité de ceux-ci refuse de s’aventurer dans une voie qui pourrait les conduire à être rejetés par une partie de leurs coéquipiers, voire par leur club (et donc perdre leur job), et à être la cible de campagnes de haine et de harcèlement de la part de footballeurs aussi d’autres clubs et de supporters. Le coming out de Jake Daniels au cœur du « pays du football » est donc d’autant plus historique, d’autant plus à son jeune âge, avec le risque de se voir voler sa vie privée. Daniels a d’ailleurs révélé avoir été inspiré par les mots de Cavallo.
Et puis, aussi, comme l’explique Cavallo : « Les statistiques montrent que seulement 33 % des jeunes hommes homosexuels jouent au football contre 68 % des jeunes hommes hétérosexuels. » De nombreux jeunes sont ainsi repoussés de ce sport par l’homophobie qui existe dans le football, y compris au niveau amateur ; ou à le quitter, y compris quand ils sont professionnels. C’est ce qui est arrivé au footballeur franco-tunisien Ouissem Belgacem.
À 20 ans, Ouissem Belgacem quittait le football professionnel : « J’ai dû choisir entre ma carrière professionnelle et assumer mon orientation sexuelle », a-t-il expliqué. Ouissem Belgacem est le premier footballeur professionnel français à avoir osé faire son coming out – mais après avoir quitté la profession. Formé au Toulouse FC, il joua aussi à 19 ans pour l’équipe nationale de Tunisie à la Coupe d’Afrique des Nations en 2008. Moins de 2 ans plus tard, il quitta le football.
En mai 2021, à 33 ans, il publia un livre où il révéla publiquement son homosexualité : « Adieu ma honte. Pour en finir avec l’homophobie dans le football ». Il y explique la difficulté pour un jeune, surtout issu de quartiers populaires et d’une famille musulmane, de pratiquer le football en étant gay. Il y explique également à quel point il a dû mentir à tout son entourage, parfois en s’inventant une petite amie : « Tous les jours, je sortais de ma chambre, je mettais un masque sur mon visage et j’allais jouer à l’hétéro, c’est épuisant de faire ça tous les jours. » Il explique aussi qu’il s’est plusieurs fois trouvé dans la situation où lui-même promouvait l’homophobie devant ses coéquipiers, en se moquant des homosexuels, dans une tentative de lui-même se « guérir », et raconte même avoir participé à une « brigade antigay » qui frappaient des homosexuels.
Encore aujourd’hui, l’homophobie fait la loi dans les clubs et compétitions masculines de football
La LGBTQIA+phobie est particulièrement présente dans les sports collectifs et surtout dans les clubs et compétitions masculines. Comme le montre une étude de 2013 en France : c’est dans le football que le phénomène est le plus présent. Et de loin, comme le confirme une enquête menée en 2016 par Stonewall Scotland : 82% des témoins d’homophobie dans le sport l’ont été dans le cadre d’un match de football. De plus, on entend régulièrement des chants homophobes de la part de certains groupes de supporters ; des chants qui, s’ils commencent à être critiqués ces dernières années, sont la plupart du temps traités avec indifférence.
L’homophobie est aussi largement répandue dans le football amateur, comme en témoigne l’histoire du joueur amateur français Yoann Lemaire qui a fait son coming out en 2004 et a subi insultes et harcèlements alors que son club – le FC Chooz (Ardennes) – est considéré comme un modèle d’inclusivité. Lemaire a été victime d’homophobie de la part d’un de ses coéquipiers ; son club l’a licencié en 2009, « afin de protéger les deux parties »… Aujourd’hui, cette affaire pèse encore lourd dans le bagage des discriminations systémiques présentes dans le football en France.
Un ancien entraineur de Belgacem au Toulouse FC lui a récemment dit qu’il avait bien fait de ne pas faire son coming out à l’époque : « Tu as bien fait de ne pas le dire. Le club se serait débrouillé pour te faire sortir ». C’est ce sentiment qui règne encore aujourd’hui. En janvier 2022, c’est ainsi que l’ancien capitaine de l’Equipe de France Patrice Evra l’exprimait : « Il y a au moins deux joueurs par club qui sont homosexuels. Mais dans le monde du foot, si tu le dis, c’est fini ». L’international belge Thomas Meunier disait en juin 2021 : « On a vu des joueurs faire leur coming out après leur carrière mais je déconseille à un footballeur de le faire pendant ».
Un jeune footballeur, s’il est homosexuel, va avoir tendance à ne pas se dévoiler, parce qu’il entend des « sale pédé » et « on n’est pas des tapettes » dans les vestiaires, mais aussi par peur de ne pas obtenir un contrat professionnel. La concurrence est parfois rude entre jeunes footballeurs, particulièrement pour ceux issus du continent africain, pour tenter d’obtenir un précieux contrat. Et même lorsqu’il est obtenu, c’est un stress qui est hélas renouvelé très régulièrement, et qui est souvent inconciliable avec le stress supplémentaire de se demander ce qui suivrait un éventuel coming out.
La faute au football ? Non, un problème systémique
Le sport est une construction sociétale apparue au 19ème siècle. À l’époque, l’une des victoires des luttes du mouvement ouvrier était la réduction du temps de travail et le gain de temps de loisir, notamment avec le respect d’une journée de repos hebdomadaire, le dimanche, et ensuite aussi le samedi, pour certains. Parmi les loisirs, de nombreux travailleurs se ruent alors vers la pratique sportive, particulièrement le football, en Angleterre (mais aussi ailleurs, et aussi certains autres sports), ce qui pousse la classe dominante à codifier ces sports pour que leur pratique par la classe ouvrière corresponde au mieux à ses intérêts. Dans ce souci de contrôle, la pratique sportive devait véhiculer l’idéologie dominante, surtout dans ces sports et compétitions les plus saisies par la classe ouvrière.
L’idéologie dominante se base notamment sur la stratégie de « diviser pour régner » à l’aide du racisme, du sexisme et de la LGBTQIA+phobie. Reflet du sexisme à l’œuvre dans toute la société, les femmes furent interdites de pratiquer un sport pendant longtemps, et la pratique sportive portait le culte du corps – en mode binaire bien sûr. En termes de normes de genre, un cadre très stricte et extrêmement réactionnaire a été appliqué, les hommes devant correspondre au modèle du masculinisme et du virilisme, forcément hétéronormatif, particulièrement dans un sport aussi populaire que le football. L’être humain « capable » est censé être un homme et, bien sûr, hétérosexuel.
La LGBTQIA+phobie dans la société comme dans le football est une construction du système pour correspondre à la défense des intérêts de la classe dominante, pendant que l’immense majorité des footballeurs et footballeuses veulent surtout pouvoir pratiquer leur passion, sans discrimination. Comme le dit Josh Cavallo : « Tout ce que je veux, c’est jouer au football et être traité sur un pied d’égalité ».
Les instances dirigeantes du football font davantage partie du problème que de la solution
Depuis la sortie de son livre, Ouissem Belgacem multiplie les interviews et conférences, dans lesquelles il tente aussi de trouver des solutions pour éradiquer l’homophobie du football. Il s’adresse d’abord aux instances dirigeantes, pour qu’elles prennent l’initiative, pour combattre tant le racisme que l’homophobie.
Une solution ne se construit pas sur base de ceux qui font clairement partie du problème, qui perpétuent le système. Tant dans la lutte contre le racisme que contre l’homophobie, les organisations dirigeantes du football mondial, continental et national sont extrêmement arriérées. Lorsqu’elles font tout de même quelque chose, c’est très pauvre et c’est d’ailleurs uniquement car il existe une pression par en bas qui ne leur laisse pas d’autre choix – que cette pression vienne des footballeurs et footballeuses, ou vienne de la société en général.
Ce n’est que depuis très récemment qu’une « lutte » contre l’homophobie a été lancée par les organisations dirigeantes. Un combat fort peu engagé, comme le montre l’exemple de la Ligue de Football Professionnel (LFP) française qui, depuis 2019, dédie une journée de matchs en mai à la journée mondiale de lutte contre l’homophobie : avec le slogan « Homos ou Hétéros, on porte tous le même maillot », elle consiste à porter un maillot dont le numéro dans le dos est aux couleurs arc-en-ciel… (Ce qui d’ailleurs n’empêcha pas le footballeur sénégalais du Paris Saint-Germain Idrissa Gueye de s’absenter sciemment en 2021 et 2022 pour éviter de porter ce maillot, créant une grosse polémique en mai 2022).
L’action de l’UEFA (l’instance dirigeante du football européen) dans la lutte contre l’homophobie ne fut pas non plus mémorable, à part (hélas pour elle) lorsqu’elle est intervenue auprès des autorités de Munich pour leur interdire d’éclairer le stade de l’Allianz Arena aux couleurs arc-en-ciel lors d’un match de l’Euro en 2021 entre l’Allemagne et la Hongrie pour s’opposer à la nouvelle loi LGBTQIA+phobe adoptée par les autorités hongroises.
La FIFA a illustré plus d’une fois non seulement son incapacité mais aussi son absence de volonté de lutter contre les discriminations et oppressions. En témoigne encore la sortie cynique début mai de son président Gianni Infantino, qui a dit que le travail sur les chantiers des stades et infrastructures pour la Coupe du monde masculine de football 2022 au Qatar avait donné de la « dignité » et de la « fierté » aux travailleurs migrants ; des chantiers qui ont coûté la vie à plusieurs milliers de travailleurs venus principalement d’Asie du Sud, exploités sans presqu’aucune législation sociale. Être LGBTQIA+ est d’ailleurs interdit et passible de sept ans de prison au Qatar. Et ce qui y attend les personnes LGBTQIA+ qui voudraient aller supporter une équipe lors du Mondial est loin d’être réjouissant. D’après une enquête menée par des médias scandinaves, plusieurs hôtels recommandés par la FIFA refuseront d’accueillir des couples homosexuels, tandis que d’autres ont informé qu’il valait mieux cacher son homosexualité, en précisant que la police était déjà venue à ces hôtels arrêter des qataris qui avaient eu des relations homosexuelles. Le Qatar avait d’ailleurs déjà prévenu que les drapeaux arc-en-ciel exhibés seraient saisis, afin de « protéger » les supporters…
Les instances dirigeantes vont à l’encontre de la lutte contre les discriminations, en soutenant des régimes et des politiques qui oppressent. Les maigres campagnes contre les discriminations qu’ils lancent ne servent qu’à se donner un semblant de vernis inclusif. Leur autorité est par ailleurs minée par la stimulation de politiques néolibérales, la corruption massive et les magouilles en tout genre ; ce qui rend n’importe quelle campagne menée par eux presque insignifiante aux yeux de la grande majorité…
Luttons contre chaque discrimination !
Belgacem en appelle aussi aux grandes stars du football qui pourraient se servir de leur influence pour lutter contre l’homophobie, et espère qu’une grande star finisse par faire son coming out.
Il est clair que toute manifestation de solidarité est la bienvenue, et que chaque coming out permet de donner la confiance à d’autres footballeurs. « J’avais peur de la réaction des gens quand ils le découvriraient, peur qu’ils commencent à me traiter différemment, à dire du mal de moi ou se moquer de moi. Ce n’est pas le cas. Au contraire, vous gagneriez plus de respect de la part des gens. » C’est notamment après ces paroles de Josh Cavallo que Jake Daniels est lui-même passé à l’acte ; son acte aura un effet sur d’autres jeunes, footballeurs ou non.
On ne compte plus aujourd’hui le nombre de footballeuses et footballeurs qui s’engagent contre le racisme et les violences policières (notamment en solidarité avec le mouvement Black Lives Matter), ainsi que contre le sexisme et la LGBTQI+phobie ou encore en solidarité avec des mouvements sociaux. Ces manifestations de soutien et ces luttes parfois victorieuses (pensons aux footballeuses de plusieurs sélections nationales qui ont gagné l’égalité des rémunérations et primes) sont grandement bienvenues. C’est un énorme changement par rapport à ce qui vivait dans les années 1990 et 2000.
Il est clair que le monde du sport, et donc aussi le sport professionnel, n’est pas sans lien avec ce qui se passe dans la société. Il est influencé par ce qui vit parmi des couches plus larges, et l’influence en retour. C’est dans ce contexte davantage favorable, particulièrement parmi la jeunesse, que ce coming out s’inscrit, et il devrait être suivi par d’autres. Tous, ils signifient : nous n’acceptons plus les discriminations !
À problème systémique, solution systémique : luttons pour un changement de système !
Ces footballeurs qui font leur coming out sont soutenus par d’autres, plus connus qu’eux, beaucoup plus largement que la réaction que Justin Fashanu avait connu à l’époque. Mais les discriminations sont toujours extrêmement présentes, parce qu’elles sont liées au système – un système qui a pour objectif de maximaliser les profits d’une poignée d’individus, et qui pour cela a besoin de multiples armes, notamment celle de la division, dont la LGBTQIA+phobie fait partie.
Il faut enlever le football et tous les sports des mains de cette poignée d’individus, de ceux qui profitent de la popularité de sports pour s’enrichir et les façonner selon leurs intérêts. Le sport doit être entre les mains de la collectivité pour le bénéfice de toute la société et de tous les sportifs et sportives ; il doit être accessible à tous et toutes. Tous les acteurs et actrices du football et du sport ont un rôle à jouer dans la lutte pour se les approprier et les débarrasser de la soif du profit, des pénuries d’infrastructure et de matériel, et des discriminations.
La lutte contre chaque discrimination (dans la rue, sur les lieux de travail et dans les clubs sportifs) et les témoignages de solidarité sont cruciaux et nous feront avancer dans le combat contre la haine et la division. Mais une victoire complète ne pourra se faire sans un puissant mouvement de masse portant un changement de la base sociétale, qui mette sur pieds un autre système – une société socialiste –, qui éradique les racines de ces discriminations.
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“Super League européenne” de football – Le sport populaire de plus en plus détourné par le big business

La nouvelle de la nuit du 19 avril selon laquelle 12 grands clubs de football européens sont en passe de créer une nouvelle “Super Ligue européenne” a suscité la colère des fans de football dans toute l’Europe. Les “Big Six” de la Premier League anglaise (Liverpool FC, Manchester City, Manchester United, Arsenal FC, Chelsea FC et Tottenham Hotspur) rejoignent les trois géants de la Liga espagnole (FC Barcelone, Real Madrid et Atlético de Madrid) et trois de la Série A italienne (Juventus FC, AC Milan et Inter Milan). Si le géant français Paris Saint-Germain a jusqu’à présent refusé de se joindre à l’opération, les pourparlers seraient en cours. Le Bayern Munich et d’autres clubs de la Bundesliga allemande ont, à ce stade, déclaré leur opposition.
Par Matt Waine (Socialist Party – ASI en Irlande)
Cette initiative atroce est l’antithèse du football et même du principe sacré du capitalisme qu’est la “concurrence”. Bien que les détails ne soient pas encore bien définis, il ne semble pas y avoir de proposition de relégation de cette super ligue, du moins pour les clubs fondateurs ! Elle est conçue pour évincer le reste des compétitions et des équipes. C’est un fait accompli pour le reste de la communauté du football européen : “Nous sommes les rois, nous écrivons les lois et nous contrôlons l’argent”.
L’échec du football moderne
Le jeu du peuple est devenu le jeu des princes – le jouet des princes du Golfe, des oligarques véreux et des capitalistes vautours mégalomanes. La cupidité pure et simple est la motivation ici, comme c’est le cas pour tout ce qui est sous le capitalisme. “Tout ce qui est sacré est profané”, a écrit Karl Marx à propos du désir insatiable du capitalisme de tout transformer en marchandise et de tirer un profit toujours plus grand de tout pour une élite super riche de moins en moins nombreuse.
Mais cette initiative avide de gain n’est pas nouvelle. Elle existe depuis des décennies. Pour beaucoup, la création de la Premier League anglaise en 1992 a été le point de basculement. En réalité, le lent démantèlement du ‘beautiful game’ a commencé plus tôt que cela, avec la suppression des tribunes debout, les prix toujours plus élevés liés aux footballeurs vedettes, l’explosion du marchandising, les loges business dans les stades, la spirale des prix des billets – tout cela a éloigné de plus en plus le football des fans.
La proposition elle-même est un aveu de l’échec du “football moderne”. L’investissement massif d’un nouveau propriétaire ploutocrate est un pacte faustien. Derrière l’image d’un cheikh ou d’un milliardaire américain souriant tenant le maillot du club, il y a un avertissement : faites-moi du profit, sinon ! Si un grand club ne remporte pas un championnat national ou ne participe pas à la Ligue des champions – avec les gains lucratifs que cela implique – l’effondrement financier le poursuit.
Il ne fait aucun doute que la pandémie de Covid a fait resurgir ce spectre, avec la quasi-totalité des grands clubs massivement surendettés et dangereusement à court de liquidités (bien que toujours plus sûrs financièrement que les petits clubs sans gros contrats de télévision). Mais cela met également en lumière un autre mensonge fondamental du capitalisme, à savoir que le marché libre crée la libre concurrence, qui stimule l’innovation et la créativité. En fait, c’est le contraire – il conduit à des monopoles. C’est l’Amazon ou l’Apple du sport. Il peut sembler beau et brillant, mais en réalité il détruit plus qu’il ne crée. Le football moderne n’est pas différent.
Une opposition généralisée des fans
Mais l’opposition à ce mouvement persistant “d’anti-football” a explosé avec cette annonce. Un sondage réalisé auprès des fans des Spurs a révélé que 97% d’entre eux étaient opposés à un projet de super ligue.
La critique de l’annonce par le commentateur de Sky Sports Gary Neville a été vue près de 5 millions de fois sur Twitter – une position courageuse étant donné qu’il a choisi d’utiliser la plateforme Sky de Rupert Murdock (qui doit se lécher les babines devant cette proposition) pour exprimer ses critiques. Les pages Facebook des clubs ont été envahies par des fans en colère qui menacent de ne plus suivre l’équipe de leur enfance s’ils décident d’aller de l’avant. Un fan a commenté sur Twitter : “Jusqu’à ce que les gens comprennent que nous ne pouvons pas avoir de belles choses sous le #capitalisme, cela continuera à se produire. Nous continuerons à perdre des choses qui nous tiennent à cœur et qui nous passionnent pour le profit de quelqu’un d’autre.”
Certains commentateurs, comme Gary Lineker, ont affirmé qu’il s’agissait simplement d’un stratagème des grandes équipes pour obtenir de meilleures conditions de l’UEFA pour les droits de télévision et les contrats de sponsoring. Cela reste à voir, mais le point fondamental est le suivant : notre jeu est négocié par les capitalistes vautours, les grandes entreprises et les banques. Comme le jeu lui-même, nous sommes réduits à de simples spectateurs, censés payer des prix exorbitants pour remplir les poches de l’élite.
Un changement radical est nécessaire
L’instance dirigeante du football européen, l’UEFA, a condamné cette initiative. Mais l’UEFA est comme le Dr Frankenstein ici – elle a créé ce monstre qui s’est maintenant retourné contre elle. La corruption et l’avidité qui font partie de l’ADN de l’UEFA – le marchandage dans les coulisses pour offrir des contrats de sponsoring lucratifs ou l’organisation de grands évènements – rendaient inévitable un développement comme celui-ci. L’UEFA n’est pas l’amie du supporter de football, pas plus qu’elle n’est le défenseur du ‘beautiful game’.
Même si la proposition actuelle est abandonnée ou si un compromis est trouvé, notre sport est toujours en danger de mort. Il doit être arraché des mains sales des capitalistes. Des clubs appartenant aux supporters, où les décisions du club sont prises par ceux qui soutiennent le club, est la seule façon de sauver le football. Cela peut sembler être une utopie aujourd’hui, mais l’alternative est de regarder nos équipes et notre jeu être détruits par des gens qui ne reculent devant rien pour faire du profit. -
Suzanne Wrack : ‘‘Le sentiment qui prévaut est que ça suffit. Les footballeuses entrent en résistance’’

Une journaliste sportive renommée s’exprimera lors de la conférence nationale de la Campagne ROSA et d’EGA
Début février, Suzanne Wrack a été récompensée par l’Association internationale de la presse sportive pour son enquête, en tant que journaliste sportive, sur des abus au sein de la Fédération Afghane de Football. Un an et demi après que Suzanne ait annoncé les abus de l’équipe féminine afghane dans le journal britannique The Guardian, la FIFA a réagi en annonçant l’ouverture d’une enquête. Le 28 mars, Suzanne prendra la parole à la conférence nationale de la Campagne ROSA et d’EGA. Nous lui avons parlé du football féminin, de l’égalité des salaires et du scandale de la fédération afghane de football.
Propos recueillis par Keishia Taylor
La Coupe du monde féminine de l’année dernière a enfin attiré plus d’attention. Il n’y avait pas que le football lui-même, mais aussi la campagne pour l’égalité des salaires et Megan Rapinoe qui a brillé sur le terrain et en dehors. Comment vivez-vous ces évolutions ?
‘‘Ce qui a été si formidable lors de la dernière Coupe du monde, c’est que la grande discussion sur l’égalité des salaires a coïncidé avec l’essor du football féminin lui-même et l’augmentation des investissements qui en a découlé. L’équipe américaine a rompu avec l’idée que, pour l’égalité salariale, il faut générer autant d’argent que l’équipe masculine : après tout, c’est le cas de l’équipe américaine depuis 2015! La question est beaucoup plus idéologique que cela : il s’agit des bénéfices du sommet de la FIFA et d’une pression à la baisse très durable sur les salaires et les conditions de travail des femmes, car cela affecte l’argent qui reste pour elles et les équipes masculines.
‘‘Megan Rapinoe a dit qu’après le tournoi, elle ne se rendrait pas à la Maison Blanche. Cela l’a mise sous les feux de la rampe et lorsqu’il a été annoncé que la somme qui lui serait donnée serait doublée, elle a répondu qu’ils pourraient encore le faire, que cela ne changerait rien. Elle joue clairement un rôle de pionnière et, bien entendu, elle inspire beaucoup de respect avec son jeu. Les gens suivent souvent de près ce que fait leur équipe, y compris leur équipe nationale. Le fait qu’il y ait une pionnière qui s’oppose au sexisme, au racisme,… et qui défend des améliorations positives, c’est donc très important et très puissant.
‘‘Le sentiment qui prévaut est que ça suffit. Comme dans le mouvement féministe mondial, des femmes se soulèvent et résistent’’.
Pensez-vous que les joueurs sont inspirés par d’autres mouvements ?
‘‘Rien n’existe en soi et tout a un contexte. Je pense que les attitudes qui existent dans la société se reflètent dans et à travers le football. Je dirais que Rapinoe regarde certainement d’autres mouvements et s’en inspire. Elle a par exemple mis un genou à terre en référence à Colin Kaepernick (joueur de football américain qui n’a pas hésité à mettre sa carrière en danger pour dénoncer le racisme, NdlR), ce genre de choses. Vis-à-vis d’un phénomène comme #Metoo, je pense qu’il y a une solidarité innée. Rien qu’en jouant au football, les joueuses brisent les stéréotypes et les rôles traditionnels des hommes et des femmes. Ce n’est pas nécessairement un acte politique conscient, mais cela joue tout de même un rôle important.’’
Vous avez introduit #Metoo dans le monde du football afghan. Pouvez-vous nous en parler ?
‘‘J’avais interviewé des Afghanes un an auparavant. En entendant de terribles rumeurs, j’ai contacté les joueuses et le manager de l’équipe, qui m’a mis en contact avec certaines des victimes. En tant que journaliste, c’était formidable de publier une histoire en ayant un effet matériel sur les joueuses, surtout parce que le système juridique ne les aidait pas. Les joueuses étaient très désireuses d’élargir la discussion pour aider d’autres victimes d’abus à se manifester.
‘‘Le football fait partie de la société, il n’en est pas détaché, dans le vide. #Metoo arrive partout, alors l’idée que cela ne serait pas le cas dans le sport est ridicule ! Ces cas ont toujours existé, mais il y a maintenant plus de confiance pour parler de ces questions et une prise de conscience croissante concernant les droits des femmes, ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas.’’
>> Infos pratiques et programme de l’après-midi de discussion online du 28 mars
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Scandale dans la footosphère

Photo : Ruaraidh Gillies – The revamped Main Stand Anfield, CC BY-SA 2.0 Ce ne sont pas les supporters qui posent problème, mais les dirigeants corrompus et les agents de l’ombre
Aux petites heures du mercredi 10 octobre, une série de figures au sommet du football belge a été réveillée dans le cadre d’une enquête judiciaire concernant blanchiment d’argent, fraude fiscale et corruption privée dans la Jupiler Pro League, l’échelon supérieur du football belge. Ce scandale démontre à nouveau la capacité qu’a le capitalisme de pourrir en profondeur le sport.
Par Tim (Gand)
L’enquête tourne surtout autour de Mogi Bayat et Dejan Veljkovic, deux agents de joueurs qui ont gagné d’énormes sommes d’argent avec des transferts de joueurs dans le football belge. La justice veut aujourd’hui savoir s’il y a eu blanchiment d’argent et fraude fiscale dans le traitement de ces transactions. Veljkovic est également soupçonné d’avoir joué un rôle dans le trucage du match de relégation du FC Malinois. Dans ce cadre, une série d’administrateurs du KV ont été arrêtés, tout comme les arbitres de haut niveau Bart Vertenten et Sébastien Delferière. Des agents, des entraineurs, des administrateurs de clubs, des joueurs, des arbitres et des journalistes sportifs ont été interrogés. L’enquête est vaste et démontre à quel point la pourriture s’est profondément installée dans notre sport.
Les médias traditionnels se précipité d’accuser ceux qu’ils considèrent complices ou même responsables de la corruption dans le football : les supporters. Mais les supporters n’avaient-ils pas tiré la sonnette d’alarme lorsque les duels de relégation entre KAS Eupen et Mouscron-Peruwelz ou KV Mechelen et Waasland-Beveren s’étaient déroulés de façon étrange ? Ou, comme l’écrivait Bart Eeckhout, rédacteur en chef De Morgen : ‘‘Le maillon faible du sport professionnel, ce sont de simples supporters, comme moi. Nous sommes le public pour qui les ours dansent (…) Bien sûr que nous sommes contre la corruption, mais nous applaudissons un championnat où même le tirage au sort est truqué’’.
Eeckhout accuse les supporters d’être responsables de la corruption, car, malgré tous les scandales, ils ne laissent pas tomber leur club. Oubliez les hommes d’affaires corrompus qui s’enrichissent en tant qu’agents au détriment des joueurs et des impôts. Oubliez les Coucke et les Duchâtelet de ce monde, les Cheikhs pétroliers ou les oligarques russes qui traitent le foot comme un jouet ou un juteux commerce où la recherche de profit doit primer. Oubliez Paul ‘‘botox’’ Gheysens de Ghelamco ou Bart Verhaeghe qui sont impliqués dans le football avant tout pour faciliter leurs transactions immobilières. Ce sont les supporters, les gens ordinaires qui sont trop aveuglés par la beauté du sport pour percevoir les machinations dans les coulisses.
Les supporters sont blâmés pendant que les chefs d’entreprise corrompus et les agents immobiliers tapis dans l’ombre peuvent danser. Une caractéristique du capitalisme, c’est de voir partout un potentiel marché, une possibilité pour accumuler des profits. Le football est un sport populaire : la beauté du jeu, la tension, les émotions dans la victoire et la défaite. Pour des millions de personnes, c’est un exutoire après une dure semaine de travail. Cependant, les Coucke, Duchâtelet, Bayat, Gheysen ou Verhaeghe du football ne sont pas là pour cette raison. Pour eux, le football est un outil d’investissement qui doit rapporter de l’argent. S’il n’y a plus d’argent, ils abandonnent leur équipe dans le pétrin pour investir ailleurs.
C’est pour cela que la corruption peut régner en maître dans le monde du football : il y a beaucoup d’argent en jeu et les investissements doivent être assurés. Une relégation est un risque financier qui peut être évité en essayant de soudoyer un arbitre.
Les supporters partent d’une toute autre base : les vrais fans suivent leur équipe dans les bons et les mauvais moments. Il y a les moments de gloire. Les promotions, les championnats ou les coupes gagnées, ou simplement la victoire d’un match de haut niveau contre un rival. Il y a aussi des moments difficiles. Perdre ce match important, ou même la relégation. Mais l’équipe reste, et les bons moments reviendront.
Contrairement à la perspective de profit à court terme du manager et de l’agent, le supporter fixe la perspective à long terme de suivre le club à travers toutes les étapes, souvent sur plusieurs générations. Mais les besoins de ces supporters ne sont qu’une préoccupation secondaire pour les capitalistes qui dominent nos équipes, tout comme nos besoins en tant que classe des travailleurs ne sont qu’une préoccupation secondaire dans le libre marché capitaliste dans son ensemble.
La corruption dans le football et le capitalisme sont inextricablement liés. Par conséquent, toute tentative de réforme du football dans un contexte capitaliste est vouée à l’échec. Les supporters doivent s’organiser pour sortir leurs équipes des griffes des capitalistes.
Il y a quelques années, notre organisation-sœur anglaise, le Socialist Party, a publié le livre ‘‘Reclaim the Game’’ qui revient sur la lutte des supporters anglais pour un football démocratique. Il contient un certain nombre d’idées sur la manière dont cela peut être réalisé : des clubs sportifs et des fédérations sous le contrôle démocratique des joueurs, des supporters, des membres du personnel et de la communauté locale. Une répartition équitable et correcte des droits de télévision et des revenus commerciaux entre tous les clubs d’une ligue et avec les autres ligues. Des tickets de match à prix accessible, une rémunération correcte et équitable pour tous les athlètes professionnels. Un tel ensemble de revendications peut être le point de départ pour l’organisation de luttes par les supporters des différents clubs. Un combat qui devra poser les bases pour en finir avec le capitalisme et le remplacer par un socialisme démocratique dans lequel toutes les richesses sont gérées démocratiquement et où le sport peut être remis au service des sportifs et des supporters.
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22 Mai 68 : Occupation du siège de la Fédération française de football

Photo : ‘‘LE FOOTBALL AUX FOOTBALLEURS !’’ Banderole déployée sur la façade du siège de la Fédération française de football, le 22 mai 1968. Plus haut, une autre proclamait : ‘‘LA FÉDÉRATION PROPRIÉTÉ DES 600.000 FOOTBALLEURS’’ Pour un autre football
Il y a 50 ans jour pour jour, le 22 mai 1968, débutait l’occupation du siège de la Fédération française de football (FFF). Durant 6 jours, la FFF est devenue l’agora de discussion sur la manière dont le football devrait être géré et joué. Petit retour sur cet épisode méconnu qui exprime une nouvelle fois le caractère généralisé de ce mois de révolution, ainsi que la nécessité de penser autrement ce sport planétaire en proie, déjà à l’époque, à une crise existentielle.
Par Stéphane Delcros
L’explosion des contradictions sociétales et footballistiques
Le début des années 60 a marqué un tournant dans le monde du football professionnel, engagé sur une voie qui allait aiguiser ses contradictions. Sous les coups de boutoir de la montée en puissance des intérêts financiers, un secteur fortuné est en train de se créer, déjà à l’époque, même si bien loin de la situation actuelle. La France, bien qu’en retard sur ces développements, connaissait la même tendance, doublée d’un archaïsme dans l’organisation du football professionnel et amateur.
Comme un peu partout, la richesse arrivant n’était accessible qu’à une poignée de gens, principalement les dirigeants des grands clubs et fédérations. Les plus grandes stars de l’époque touchaient à peine plus que le salaire minimum. Et, surtout, les joueurs professionnels étaient privés de ‘liberté’. Le footballeur devait signer un ‘contrat à vie’ (jusqu’à ses 35 ans) avec son club. Celui-ci pouvait alors décider de tout, du transfert vers un autre club à la baisse unilatérale du salaire. Triple vainqueur de la Coupe d’Europe des clubs champions avec le Real Madrid, l’international français Raymond Kopa, l’une des grandes gloires de l’époque, assimilera en 1963 les joueurs pros à ‘‘des esclaves’’ ; il écopera pour la peine d’une suspension de 6 mois. D’autres mesures privatives existaient aussi : la pratique du football était à l’époque limitée à huit mois sur l’année (octobre-mai), et la ‘Licence B’ limitait fortement les transferts dans le football amateur, car elle interdisait à un joueur transféré de jouer dans l’équipe première de son nouveau club durant la première année de son transfert.
Comme le souligne Mickaël Correia, dans Une histoire populaire du football (La découverte, 2018), certains acteurs du monde du football luttaient déjà depuis des années contre les instances autoritaires et leur politique, pour davantage de démocratie et de liberté. C’est le cas du magazine footballistique contestataire Le Miroir du football, affilié au Parti Communiste mais dont l’équipe de rédacteurs n’est pas membre et peut se permettre une certaine liberté.
Rendre ‘le football aux footballeurs’
Galvanisés par l’atmosphère révolutionnaire régnant alors, le 22 mai 1968, quelques dizaines de footballeurs amateurs emmenés par des journalistes du Miroir du football et son rédacteur en chef François Thébaud investissent pacifiquement le siège de la FFF à Paris. Deux joueurs professionnels les rejoindront : André Merelle et Michel Oriot, du Red Star FC (alors en Division 1 ; aujourd’hui tout frais champion de National, donc en Ligue 2 pour 2018-19).
Le personnel est libéré, l’entrée est barricadée, un drapeau rouge et hissé et des banderoles déployés sur la façade. Un comité d’occupation est mis sur pieds et un tract-programme publié, dont l’introduction annonçait : ‘‘LE FOOTBALL AUX FOOTBALLEURS! Footballeurs appartenant à divers clubs de la région parisienne, nous avons décidé d’occuper aujourd’hui le siège de la Fédération Française de Football. Comme les ouvriers occupent leurs usines. Comme les étudiants occupent leurs facultés. POURQUOI ? Pour rendre aux 600.000 footballeurs français et à leurs millions d’amis ce qui leur appartient : le football dont les pontifes de la Fédération les ont expropriés pour servir leurs intérêts égoïstes de profiteurs du sport.’’
Comme expliqué ci-dessus, c’est le manque de considération et l’appel à davantage de libertés pour les joueurs qui était surtout revendiqué par les contestataires, contre la mainmise des dirigeants servants leurs propres intérêts, ‘‘les pontifes’’. Cela, à côté d’autres sujets, comme le manque de terrains pour pratiquer le sport : en région parisienne, il existait alors en moyenne un terrain pour quatre clubs.
Un espace de discussions sur le football et la société
Durant les 6 jours d’occupation, les locaux du 60bis Avenue d’Iéna ont servis de véritable agora, imbriquée dans la contestation globale du mois de mai 1968. Tout le monde, lié ou pas au monde sportif, était invité à rejoindre le siège de la FFF. Ils ne seront pas très nombreux, vu l’ampleur de la contestation dans la société en ces jours de fin mai et l’éloignement géographique (le siège de la FFF se situait dans le 16ème arrondissement, quartier riche isolé de l’épicentre des évènements révolutionnaires). Mais des joueurs et des clubs d’un peu partout viendront prendre part à l’une ou l’autre journée d’occupation. L’ensemble des maux de la société et leurs conséquences sur la pratique du football pouvaient y être discutés, et des solutions proposées. C’était aussi un lieu de discussion sur les tactiques terrain, sur l’univers du et autour du football. Quelques journées riches d’échange, de celles qui font penser qu’en quelques jours, l’on vient de vivre dix années d’expérience.
Il y sera largement discuté de la déformation du sport qu’insufflait alors l’introduction de capitaux, avec ‘rendement’ et ‘résultat’ comme objectif premier, loin devant l’idée du sport pour le beau jeu et le plaisir. Depuis quelques années, le jeu qualitatif et esthétique tourné vers l’offensive était remplacé par un jeu efficace assurant le résultat final, selon les désirs des sociétés commerciales et équipementiers.
Les organes de presse traditionnels verront bien sûr d’un très mauvais œil cette occupation et ces revendications. Des journaux spécialisés L’Equipe et France Football, très conservateurs, qui désirent que le football reste ‘apolitique’, au journal du Parti Communiste L’Humanité, qui y verra, comme beaucoup d’évènements de ce mois révolutionnaire, une aventure de gauchistes sur un sujet secondaire.
Un tournant pour l’organisation du football
Cet épisode n’aura certes pas révolutionné le football. Mais s’il est aujourd’hui très peu évoqué (consciemment, bien sûr), il a tout de même constitué un tournant pour le football en France et ailleurs. Dans les mois qui suivirent, la ‘‘Licence B’’, la saison de huit mois et le ‘contrat à vie’ seront abrogés, et davantage de représentation au sein des instances dirigeantes. L’occupation de la FFF n’a bien sûr pas en soi réussi à imposer ces mesures ; c’est l’ensemble de l’évolution de la société née de la contestation qui le permettra. Mais ces quelques jours ont constitué le socle d’une certaine idée du football. Elles auront certainement joué aussi un rôle dans le déclenchement de grèves de footballeurs dans les années qui suive, comme celle de décembre 1972, à nouveau contre des mesures restrictives de la part de la FFF, restée largement autoritaire et partisane du culte de la victoire.
Et par exemple, par la suite, de nombreux clubs de football vont se saisir des éléments de ce socle pour (ré-) inventer leur jeu. Des clubs fonctionnant en collectifs plus-ou-moins autogérés et pratiquant un jeu de mouvement, promouvant le style avant le résultat (1). Dans les années 70, en France, certains de ces clubs, et des joueurs, éducateurs et journalistes formèrent le Mouvement Football Progrès (MPF), qui mènera une partie de la fronde à venir contre la FFF.
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En 1968, le vent de la révolution a soufflé bien davantage que seulement en France. Et dans les années qui suivront, c’est partout dans le monde que des initiatives comme celles-ci seront prises pour ‘un autre football’. C’est sans doute l’expérience de la ‘Démocratie corinthiane’ au Brésil qui est aujourd’hui la plus connue, parce qu’aussi la plus aboutie. Au début des années 80, en pleine dictature militaire, le SC Corinthians Paulista sera géré collectivement par ses joueurs, emmenés notamment par l’international brésilien Sócrates. Jusqu’à la chute de la dictature, ils multiplieront les actions de contestation contre cette dernière et les dirigeants de clubs à sa solde. Sur le terrain et aux entrainements, ce sont les footballeurs qui décidaient démocratiquement de tous les aspects : nomination des entraineurs, recrutements, préparation de matches,… devenant ainsi le symbole, au niveau du football, de ce qui pouvait être fait dans l’ensemble de la société.
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Aujourd’hui ? Dénoncer les salaires mirobolants, défendre la pratique du football pour tous
Aujourd’hui, il est vrai que de nombreux footballeurs ont accès à des salaires et primes mirobolantes, à des années-lumière des salaires moyens de travailleurs. Une telle situation est affligeante, et répugnante pour de nombreux footballeurs et supporters, ainsi que pour de nombreuses personnes qui se détournent du football en particulier pour cette raison. Même s’il est important de ne pas s’en prendre aux footballeurs concernés en tant que tel, il est absolument nécessaire de dénoncer cette dérive exponentielle, et de chercher des moyens pour changer ce système.
Mais l’immense majorité des footballeurs, y compris professionnels, n’a pas accès à cet imposant magot. Le syndicat international de footballeurs FIFPro a ainsi publié fin 2016 son ‘Rapport mondial sur l’emploi 2016’(2). Dans cette enquête inédite réalisée auprès de 14.000 joueurs professionnels de 54 pays et 87 ligues, il est rapporté que les footballeurs super-riches (720.000 dollars par an) ne représentent que 2% de la profession. Le salaire mensuel net moyen dans le monde se situe entre 1.000 et 2.000 dollars. Et 45% des footballeurs gagnent moins de 1.000 dollars par mois, 21% gagnent moins de 300 dollars. L’enquête dévoile aussi que 41% des footballeurs disent avoir reçu leur salaire avec un retard au cours des deux dernières saisons. Ne jamais se fier à la partie émergée de l’iceberg…
Une grande partie du football professionnel souffre donc. Lorsque des subsides publics sont investis, c’est le plus souvent en faveur des plus grands clubs, ceux-là même qui attirent (aussi) les plus gros sponsors privés et le magot des droits de diffusion par les chaines télévisées. La situation que vivent de nombreux clubs est parfois intenable. Les faillites emportent avec elles sont lot de joueurs, d’employés, de bénévoles et de supporters. La crise économique est bien sûr passée par là, et avec elle la politique d’austérité brutale qui diminue voire supprime de nombreux subsides et font réfléchir à deux fois les éventuels sponsors privés avant d’investir dans un club petit ou moyen. La concurrence avec les plus hauts budgets est alors impossible. Et la situation est bien sûr encore plus compliquée dans le football amateur. Beaucoup de clubs, ici aussi, ne disposent même pas de l’argent suffisant pour acheter un défibrillateur…
Revendiquons notre sport !
Le culte de la victoire, celui du résultat avant le style, dénoncé par les occupants de Mai 68 n’a pas disparu ; les problèmes que rencontrent la plupart des joueurs de football non plus. Le monde du football est davantage encore devenu le reflet amplifié des maux liés à la société capitaliste qui organise nos vies.
Il ne sert pas à grand-chose d’être nostalgique du ‘football d’avant’ ; ce n’est pas le paradis du football qui existait avant les années ’60. Il est par contre important de se battre contre la tendance actuelle, et pour un vrai football ‘moderne’, qui nous appartienne à nous, footballeurs, supporters, bénévoles et employés des clubs et du secteur. Pour que ceux qui connaissent et vivent ces problèmes décident de ce qui est nécessaire pour la pratique de leur sport.
Mais le football n’existe pas en tant qu’entité isolée dans la société, comme l’ont bien souligné les occupants de la FFF en Mai 68. Tenter de changer la manière dont le sport est organisé et son orientation future ne se fait pas seulement entre pratiquants et fans. On sait comment, dans cette société, la moindre avancée progressiste peut vite être supprimée par les élites si la socle économique et idéologique de la société n’est pas lui-même modifié. C’est l’ensemble de la société qui doit être changée : mettre à bas ce système capitaliste qui transforme tout en produit et qui introduit l’individualisme comme règle de vie là où ce sont les gestions et décisions collectives qui sont les plus à même de répondre aux besoins de tous.
Notes
(1) A propos de l’expérience du Stade Lamballais, lire : ‘‘Lamballe au centre’’, So foot, Mai 2018, p86-89.
(2) Le Rapport mondial sur l’emploi 2016, 29 novembre 2016, https://www.fifpro.org/actualites/la-plus-grande-enquete-jamais-menee-sur-le-football/fr/
(+) Pour en savoir plus sur ce sujet, lire : Les enragés du football, Faouzi Mahjoub, Alain Leiblang, François-René Simon, Calmann-Lévy, 2008.
(+) Sur ce sujet et beaucoup d’autres, lire l’excellent : Une histoire populaire du football, Mickaël Correia, La Découverte, 2018.
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FIFA: Que le big business dégage de notre sport !
L’année 2015 a été rythmée par les révélations de scandales dans les hautes sphères des institutions du football mondial. Beaucoup, là-haut, aimeraient que 2016 soit différente et ouvre au contraire, avec les élections présidentielles du 26 février, une nouvelle ère de fonctionnement sain de la FIFA. Mais, problème : presque plus personne n’y croit.
Par Stéphane Delcros
Attendu par certains comme le ‘chevalier blanc’ qui allait redorer le blason de l’institution internationale après la déchéance de Sepp Blatter, l’ancien footballeur international français Michel Platini est, lui aussi, finalement tombé. Fin décembre dernier, il a été, tout comme Blatter, suspendu pour 8 ans de toute activité liée au football pour avoir bénéficié d’un paiement douteux de 1,8 million d’euros. Un de ses faits d’armes, à côté du dossier Qatar 2022 et de bien d’autres.
Et après Blatter et Platini ? Même si tous disent vouloir réformer la FIFA, aucun des 5 candidats à la présidence ne représente réellement les intérêts des amoureux du football. Mis à part le Sud-Africain Tokyo Sexwale, ancien ministre ANC (en exercice au moment du massacre sanglant de Marikana en août 2012) et homme d’affaires multimillionnaire qui a fait fortune dans l’exploitation de mines, l’immobilier et la finance, tous sont des purs produits du système institutionnel de la FIFA et des confédérations continentales de football.
Les 2 grands favoris soutenaient d’ailleurs activement Michel Platini avant son éviction : le Cheikh Salman Al-Khalifa, membre de la famille royale du Bahreïn, président de la confédération asiatique (AFC) et très actif dans la répression sanglante du soulèvement populaire de 2011 dans son pays ; et le Suisse Gianni Infantino, secrétaire général de la confédération européenne (UEFA), bras droit de Platini depuis de longues années.
En réalité, pas grand monde n’attendait de réel chevalier blanc pour réformer la FIFA : elle n’est pas réformable. La corruption qui la gangrène n’est que le produit du système capitaliste. Une corruption qui est d’ailleurs presque risible à la lumière de la recherche effrénée de profits par les hautes institutions sportives via l’organisation des compétitions, avec les conséquences sociales désastreuses que l’on connait pour la majorité de la population locale. Les centaines (et bientôt milliers) d’ouvriers morts sur les chantiers de construction des stades au Qatar en sont la meilleure illustration actuelle.
Le sport ne peut qu’être gangrené par ce système économique qui prône l’épanouissement individuel par la chasse aux profits. Cela s’illustre également par les récentes révélations de scandales dans d’autres sports de haut niveau : le dopage organisé dans l’athlétisme et les matchs de tennis truqués, deux affaires que les dirigeants des institutions sportives internationales couvraient depuis de longues années.
Les vrais fans de football, et de sport en général, qu’ils soient joueurs, bénévoles ou supporters, doivent plus que jamais reprendre leur sport des mains du big business et de leurs exécutants dociles. Cela exige de se battre pour un autre type de société. Réformer la FIFA, tout comme ce système, est une illusion ; débarrassons le football de la FIFA !
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Let ’s Kick FIFA out of foot ball. La pourriture fuse par tous les pores du système
Ces dernières semaines ont dévoilé l’ampleur du système pourri qui régit le sommet du football mondial : inculpations, arrestations, démissions de plusieurs pontes de certaines fédérations nationales, de Confédérations continentales et même du sommet de la FIFA. Même le tout puissant Sepp Blatter a été rattrapé par les révélations de scandales et a dû démissionner de la présidence de la FIFA, qu’il occupait depuis 1998.Par Stéphane Delcros, article tiré de l’édition d’été de Lutte Socialiste
Les soi-disant ‘chevaliers blancs’ annoncés pour reprendre sa succession (le Prince Ali de Jordanie, Michel Platini,…) étaient aux affaires pendant que les enveloppes circulaient sous les tables. L’attribution des Mondiaux 2018 et 2022 à la Russie et au Qatar a clairement été entachée d’achats de votes. Les intérêts économiques, le duo Poutine- Gazprom et les pétrodollars qataris ont eu raison de choix plus logiques et moins coûteux.
Au Qatar, le travail forcé, voir l’esclavage, des ouvriers immigrés sur les chantiers de la Coupe n’est plus un secret pour personne. Et ceci pour construire des infrastructures qui ne serviront quasi à rien une fois la compétition terminée, comme ce fut le cas en Afrique du Sud (Coupe du Monde 2010) et au Brésil (2014).
La recherche de profits ne peut que pervertir une organisation aussi massive que la FIFA gérant un sport aussi populaire que le football. Mais il ne s’agit pas seulement de corruption. La FIFA est imprégnée du système capitaliste et poussera en permanence à des pratiques qui assurent une accumulation de richesses au profit de gros entrepreneurs, de l’actionnariat des multinationales,… au détriment des travailleurs, des jeunes, et des plus pauvres.
La corruption, sommet de l’iceberg
Les profits de la FIFA et ceux de ses partenaires sont puisés dans les poches des supporters et de la population locale, frappée par l’augmentation du coût de la vie autour de l’évènement. De plus, chaque édition de la Coupe du monde et du Championnat d’Europe, la FIFA (ou l’UEFA) bénéficie d’une extraordinaire exonération fiscale, en toute légalité, aux frais de la collectivité. Les politiciens pro-capitalistes accentuent ensuite les politiques d’austérité pour essayer de rembourser la dette publique, qui a explosé. Réformer la FIFA est une illusion.
Tout cet argent contraste avec l’absence de moyens dont l’énorme majorité de clubs, de footballeurs et de supporters souffrent à travers le monde. Les sommes folles transférées au sommet du football mondial, et qui ne concernent qu’un petit pourcentage de footballeurs, témoignent, elles, de la perversion du sport et des compétitions sportives.
La compétition sportive doit être un évènement populaire, géré et contrôlé par la collectivité et les supporters, qui permette d’encadrer sainement la jeunesse, de l’impliquer, épaulée par les sportifs plus expérimentés. Elle doit être accessible à tous, sportifs comme supporters, à des prix démocratiques, et ne doit pas générer des salaires exorbitants pour les sportifs de haut niveau.
Les moyens financiers existants doivent être utilisés pour le vrai sport, en développant les infrastructures de base et la formation, tant pour ceux qui prennent le football et le sport comme loisir que pour développer une vraie compétition, saine, dans un esprit fraternel, sans autre enjeu que le sport. Mais il faut aussi s’assurer que la gestion et le contrôle des clubs sportifs et des fédérations soient entre nos mains : celles des sportifs, des supporters et de la population locale. Reprenons notre sport de leurs mains !
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La coupe du monde, un an après
Le 12 juin dernier, cela faisait un an qu'avait débuté la Coupe du monde 2014. Tant les gouvernements Lula et Dilma que la FIFA n'avaient cessé de souligner les grands bénéfices que le Brésil aurait à gagner pour la réalisation de ce tournant «historique». La réalité des choses fut très éloignée de ce qui avait été promis.
Par Cacá Melo, LSR (Comité pour une Internationale Ouvrière au Brésil)
Des milliards de personnes ont visionné la Coupe. Mais des communautés entières ont été détruites sous l’ordre du régime en place afin de libérer l’espace aux stades et aux autres infrastructures de la Coupe. En tout, 35.353 familles furent officiellement déplacées. L’association nationale des comtés populaires de la Coupe dénonce quant à elle le gouvernement en affirmant que ces chiffres sont maquillés. Plus de 250.000 personnes auraient été expulsées de leurs maisons pour faire place à la Coupe du monde !
L’autre côté très critiqué de cet événement fut la construction de nouveaux stades, parfois dans des localisés sans football réguliers de haut niveau. Des stades sont aujourd’hui inutilisés, appelés les «éléphants blancs». Le stade Pantanal à Cuibá ou celui de l’Amazone, de Manaus, ont coûté des millions de réals des caisses publiques pour à peine recevoir quatre matchs de la Coupe chacun. Et puis plus rien. Le stade Mané Garrincha, à Brasilia, fut rénové pour la Coupe du monde. Originellement estimés à presque 900 millions de réals, les travaux ont finalement coûté le triple : plus de 2,7 milliards de réals! Ce stade est le deuxième le plus cher du monde !
Le gouvernement de l’état brésilien du Mato Grosso gâché 300 milles Reals par mois pour l’entretien du stade Pantanal depuis la Coupe. Même s’il a accueilli divers jeux du championnat brésilien, de la Coupe du monde et du championnat de l’Etat en 2014 et 2015, ce stade représente une perte de près de 1,4 millions. À la fin du mois de janvier de cette année, le stade Patanal fut interdit, suite à une inspection et à la découverte d’irrégularités dans les tribunes. Maracana, le stade de Rio de Janeiro, rénové pour la Coupe, présentait des irrégularité dans le contrat de construction. Le tribunal des comptes a aussi démontré des irrégularités dans le contrat du stade des Dunes de Natal (au nord-est du Brésil)
Le stade d’Itaquera, à Sào Paulo, présentait plus de 50 irrégularités techniques et architecturales. Ce type de problème a causé la mort de 3 travailleurs durant la construction du stade. Au total ce n’est pas moins de 8 opérateurs qui ont péris dans les construction des stades de la Coupe du monde.
Autre «promesse de la coupe» du gouvernement fédéral : ses travaux de mobilité urbaine, comme par exemple de nouvelles lignes de métro et des bandes pour les bus. Moins d’un tiers de ces travaux étaient terminés au moment de la Coupe du monde. D’autres furent abandonnées à la moitié du chemin et quelques unes n’ont mêmes pas pu sortir des bureaux d’architectes.
À São Paulo, les lignes 13 et 17 du métro, qui reliaient les aéroports de Congonhas et de Guarulhos au reste de la ville, furent promises bien avant la coupe. Elles sont en construction, la fin des travaux n’est pas prévue jusqu’à présent. À Goiania, le même type de problème apparaît avec une construction de transport en commun qui ne sera terminé qu’en 2016. À Brasilia, la construction du métro fut également promise ; un réseau de transport en commun était également sur la liste des travaux de la Coupe mais fut abandonné.
La répression de manifestations populaires
Le gouvernement fédéral a investi presque 2 milliards pour la sécurité de la Coupe du monde. Les polices militaires de plusieurs Etats ont également pris prétexte de la Coupe pour acheter du matériel anti-émeute. La police militaire de São Paulo, par exemple, a acquis 14 véhicules blindés et quatre cannons à eau supplémentaires. Ces dépenses devaient servir à protéger les 32 sélections et les supporters étrangers. En vérité, cet argent fut utilisé pour accroître la répression policière contre les manifestations populaires.
Entre 2013 et 2014, des dizaines de manifestations ont pris place contre la réalisation de la coupe du monde dans tout le Brésil, certaines avec plus de 20.000 personnes. La majeure partie fut réprimée avec une extrême violence par la police, qui utilisait des bombes fumigènes contre des manifestants pacifiques.
Des techniques dignes de la police militaire furent utilisées contre les manifestations de la Coupe et le sont encore de nos jours, contre un mouvement de lutte pour des logements décents, pour l’enseignement et d’autres mouvements et grèves. L’héritage de la Coupe, ce sont des balles de fusil et des fumigènes contre ceux qui luttent pour leurs droits !
Un autre aspect néfaste de la politique sécuritaire pour la coupe du monde fut l’implémentation des unités de police de pacification (les UPP) à Rio de Janeiro. Crées avec le prétexte de «pacifier» les favelas et de diminuer les actions des trafiquants de drogue, le programme des UPP a à peine servi à donner une fausse sensation de sécurité pendant la coupe. La majeure partie des ces UPP ont été créées près des quartiers riches et dans des zones ou les touristes passaient durant la Coupe.
Les habitants des favelas «pacifiées» vivent chaque jour l’injustice de la violation de leurs droits fondamentaux. Les policier du BOPE et des UPP commettent tous les types d’actions arbitraires contre la population. Dans plusieurs communautés, l’armée aide également à la répression avec soldats, blindés et hélicoptères.
Préjudices pour le Brésil, luxe pour la FIFA
En suite, le gâchi final de la coupe du monde 2014 fut impressionnant : 25,5 milliards de Reals ! Pour les stades, l’argent dépensé s’élève déjà à 8,3 milliards. À peine 7 % de cette valeur (près de 611 millions) n’ont pas été dépensés dans des fonds privés.
Un autre impact vient des demandes fiscales de la FIFA et d’autres entreprises impliquées dans l’organisation de la coupe du monde. Selon une étude des recettes fédérales, le Brésil a consenti plus de 890 millions de Reals de réductions d’impôts. En comprenant les dettes concédées aux entreprises qui ont construit les stades, cette valeur monte à 1,8 milliard de Reals.
Cet argent manque dans les caisses de l’état. Le 22 mai, le gouvernement fédéral a annoncé de nouvelles coupes budgétaires, de quasiment 70 millions, dans les dépenses de 2015. De plus, pour aider à rembourser, le gouvernement a planifié des coupes dans les droits des travailleurs, comme par exemple le droit au chômage et à la pension.
Faudrait-il en rajouter sur les scandales de corruption au sein de la FIFA ?
Et pour les Jeux Olympiques?
Les prochains jeux olympiques vont se passer en août 2016 à Rio de Janeiro. Les dépenses dépassent déjà 38,2 milliards – plus que les dépenses de la coupe du monde. Les mêmes problèmes se perpétuent. Plus de 67.000 personnes ont déjà été expulsées de leurs maisons à Rio de Janeiro depuis 2009.
Il est clair que des événements internationaux causent plus de problèmes que de bénéfices. Nous savons que la mobilisation populaire est capable de faire pression sur les gouvernants : au début 2014, la ville de Estocolmo, en suisse s’est désinscrite des Jeux olympiques de l’hiver 2022, elle doit cet abandon aux manifestations et mobilisations de la population. En 2013, un référendum populaire a voté à 52% contre les jeux olympiques.
De la manière dont se passe les chose aujourd’hui, ceux qui gagnent le plus de la coupe du monde et des Jeux Olympiques ne sont pas les athlètes ou les supporters : ce sont les grands capitalistes, qui utilisent le sport comme prétexte pour gagner des milliards de dollars.
Seule l’union des forces des mouvements syndicaux combatifs et des organisations populaires en lutte seront capables d’arrêter ces attaques !
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Let’s kick FIFA out of football! La pourriture fuse par tous les pores du système.
Finalement, Sepp Blatter n’aura pas résisté aux dernières révélations de scandales. Le 2 juin dernier, quatre jours après avoir été réélu pour un cinquième mandat à la présidence de la FIFA, Blatter a annoncé qu’il quittait son poste, qu’il occupe depuis 1998.Par Stéphane Delcros
“Même si un nouveau mandat m’a été confié, il semble que je ne sois pas soutenu par tous dans le monde du football”
Et c’est peu de le dire. A cette annonce, les premiers sentiments qui ont traversé des millions de joueurs et supporters de football dans le monde étaient le soulagement, la joie, et l’enthousiasme ; sentiments par ailleurs légitimes pour ceux qui connaissent le personnage. Sous son ère, la formule ‘FIFA mafia’ n’a eu de cesse de se populariser. Mais, comme on dit, l’homme ne fait pas la fonction. C’est le système tout entier qui est en cause. Pas seulement le ‘système Blatter’, ni le ‘système FIFA’, mais la gestion et l’organisation d’un sport aussi populaire au sein du système capitaliste.
Le scandale de trop ; l’étau se resserrait un peu trop dangereusement autour de Blatter
Fin mai dernier, juste avant la tenue du 65ème Congrès de la FIFA, 14 personnes sont inculpées dans le cadre d’une enquête du FBI concernant plus de 150 millions de dollars en pots-de-vin et rétro-commissions.(1) Le FBI était informé depuis plus de trois ans par Chuck Blazer, un ancien membre du comité exécutif de la FIFA et de la fédération américaine de football qui jouait ce rôle de taupe pour atténuer sa peine pour cause de corruption.(2)
Les inculpés, dont certains seront arrêtés à leur hôtel en Suisse, sont des hauts responsables des fédérations de football des îles Caïmans, du Nicaragua, du Costa Rica, de l’Uruguay, du Venezuela et du Brésil, ainsi que de l’Union centre-américaine de football (UNCAF), de la Confédération de football nord-américaine (CONCACAF) et sud-américaine (CONMEBOL) et du comité exécutif de la FIFA.
Parmi eux, un certain Jack Warner est arrêté. Businessman, ancien ministre trinidadien et ancien vice-président de la CONCACAF et de la FIFA, il a joué un grand rôle dans la précipitation de la chute de Blatter. Car quelques heures avant l’annonce de Blatter, le New York Times accusait Jérôme Valcke, secrétaire général de la FIFA et bras droit de Blatter d’avoir viré 10 millions de dollars sur des comptes de ce Jack Warner.(3) L’affaire se rapprochait un peu trop dangereusement de Sepp Blatter, obligé de faire un pas de côté.
Blatter garde -pour l’instant- la main
Si l’annonce a été faite qu’entre décembre 2015 et mars 2016, une nouvelle élection aura lieu lors d’un congrès extraordinaire, d’ici là, Blatter reste au poste, si toutefois il n’est pas rattrapé par la justice, américaine ou autre. Une sorte de ‘transition’ qui témoigne surtout du fait que rien ne va réellement changer dans la gouvernance et la gestion du football mondial. Blatter a en réalité réussi à gagner un peu de temps pour garder la main et préparer sa succession ; avancer ses pions en vue des élections et éventuellement nettoyer quelques placards et scènes de crimes, si le temps lui est laissé.
A l’heure actuelle, impossible de prévoir quels énormes scandales pourraient être révélés dans la prochaine période. L’offensive menée par la justice américaine se base sur des faits de corruption remontant à 25 ans, du temps ou le président de la FIFA s’appelait João Havelange (président de 1974 à 1998).
João Havelange, le scandaleux qui précédait Blatter
Le brésilien, également membre du comité international olympique, s’était retiré des affaires entre 2011 et 2013, lorsqu’a éclaté le scandale de ‘l’International Sport and Leisure’, une société de marketing sportif qui avait obtenu l’exclusivité de la vente des droits marketings de plusieurs Coupes du monde. Mais qui a surtout été un écran pour des opérations financières douteuses et des versements de pots-de-vin : 105 millions d’euros ont été versés à des dirigeants du football mondial dans le cadre de la vente de droits télévisés.(4) João Havelange et son gendre, Ricardo Teixeira, président de la fédération brésilienne de football jusqu’en 2012, ont été parmi les principaux bénéficiaires dans les années nonante, avant la mise en faillite d’ISL en 2001.
Notons qu’ISL n’est que l’une des nombreuses affaires dans lesquelles Havelange a trempé. Son prédécesseur, Stanley Rous (président de 1961 à 1974), est bien connu pour avoir, lors de la Coupe du monde 1966 dans son Angleterre, manœuvré afin d’assurer que l’équipe d’Angleterre remporte le trophée. Les décisions arbitrales, notamment, en demi-finale contre le Portugal puis en finale face à la République fédérale d’Allemagne alimentent encore aujourd’hui de nombreuses discussions.
Bref, ce qui est certain, c’est que les scandales qui sortent en ce moment ne sont que l’infime partie émergée de l’iceberg, et qu’il est clair que nous n’aurons jamais l’occasion de connaitre l’ensemble des affaires. Quasi aucune branche de l’immense réseau de la FIFA n’est exempte de comportement illégal, voire légal mais complètement illégitime. Les révélations vont probablement rythmer l’actualité des prochains mois. Au dépend du sport, comme d’habitude.
L’attribution des Coupes du monde 2018 et 2022 à la Russie et au Qatar
L’évènement de la journée du 2 décembre 2010 est assurément l’une des énormités qui contribue à la richesse historique des pratiques frauduleuses de la FIFA. Ce jour-là, la Russie et le Qatar sont désignés, par un vote au sein du Comité exécutif de la FIFA, organisateurs de la Coupe du monde pour les éditions de 2018 et 2022.(5)
La Russie était notamment confrontée à la candidature de l’Angleterre, tandis que le Qatar avait, entre autres, les Etats-Unis et l’Australie face à lui. Ces autres candidatures étaient jugées plus sérieuses et nécessitaient moins d’investissements en termes d’infrastructures pour accueillir une Coupe du monde ; elles ont été facilement battues lors des votes.
Dans ce cas, il n’a pas fallu longtemps pour qu’une enquête dévoile les faits de corruption : en 2011, le qatari Mohamed Bin Hammam, à l’époque président de la Confédération asiatique (AFC), a été reconnu coupable d’achat de voix et a été banni à vie de la FIFA et de toutes les activités liées au football.(6) En 2013, le bi-hebdomadaire ‘France Football’ sortait une enquête intitulée ‘Qatargate’, et d’autres accusations sérieuses ont suivi. Mais l’organisation de ces deux évènements par la Russie et le Qatar n’a bien sûr pas été remise en cause…
Ceux qui ont, dès le début, pointé du doigt les intérêts économiques importants avec certains votants et les capacités d’influence du duo Poutine-Gazprom et des pétrodollars qataris étaient bien entendu jetés aux oubliettes, accusés de gâcher la fête.
Le Qatar, probablement le pire choix possible
Le monde s’est très vite rendu compte de la manière dont le Qatar traite les ouvriers venus, principalement d’Asie du Sud, construire les stades et autres infrastructures nécessaires : les migrants sont soumis au travail forcé, voire à de l’esclavage. Les ouvriers, dont les passeports sont confisqués, travaillent onze heures par jour, six jours par semaine, sous 50°C, et dorment entassés par dizaines dans des chambres d’hôtel insalubres.(7)
Le quotidien britannique ‘The Guardian’ a estimé que, à cette cadence, 4000 ouvriers allaient mourir d’ici à l’ouverture de la compétition.(8) En mars 2014, la Confédération syndicale internationale (CSI) estimait à 1200 le nombre d’ouvriers morts sur les chantiers depuis l’attribution en décembre 2010.(9) La CSI notait ainsi : “Sans les changements nécessaires, plus d’ouvriers mourront à construire les infrastructures de la Coupe du monde que de footballeurs qui fouleront les pelouses lors de ce Mondial.” Les militants syndicaux qui tentent de pointer leur nez près des chantiers se font bien sûr immédiatement bloquer.
Les ouvriers au Qatar ne sont pas au bout de leur peine, car 9 des 12 stades pour le Mondial 2022 doivent être complètement construits. Et la rénovation des 3 autres s’apparente davantage à de la construction pure et simple. Ces douze stades seront totalement fermés et climatisés, vu la température sur place et ce même si la compétition se joue en hiver, ce qui était par ailleurs une autre grande polémique.
La question de l’utilisation de ces stades est aussi posée. Vu la faible popularité du football au Qatar et la faiblesse des clubs des différents championnats, la plupart des stades seront complètement inutiles après la Coupe du monde. Sur ce plan, l’Afrique du Sud en 2010 et le Brésil en 2014 ont montré l’exemple : certains des nouveaux stades construits pour ces Coupes du monde n’ont plus jamais été utilisés. Au Brésil, la volonté des autorités de voir la compétition s’étendre sur l’ensemble du territoire avait poussé à construire des stades au milieu de nulle part, pour parfois seulement 4 matchs de compétition ! Certains de ces stades pouvant contenir de 40 à 70.000 personnes accueillent aujourd’hui des clubs du championnat brésilien de football de 2ème, 3ème, voire 4ème division…
Un autre des problèmes évoqués concernant cette attribution, sans même parler de la condition de la femme, notamment au Qatar, est celui de l’homophobie. Pas seulement au Qatar, d’ailleurs. Le régime de Poutine s’illustre depuis des années dans la répression des droits de la communauté LGBTQI, comme en témoigne notamment l’adoption à l’unanimité, en juin 2013, par le parlement russe, d’une loi contre la ‘propagande de l’homosexualité auprès de mineurs’. Concernant le Qatar, où les homosexuels peuvent être condamnés à plusieurs mois de prison et de coups de fouets, Sepp Blatter a tout résumé en un conseil : “Je pense que les supporters homosexuels devraient juste s’abstenir de toute activité sexuelle au mondial qatari.”
Même en termes de football, l’un des pires choix possibles
Signalons aussi ici une aberration complète rarement commentée dans les médias dominants. L’argument du “oui, mais c’est cool, pour la première fois une Coupe du monde va se passer au Moyen Orient”. Comment dire ? Oui, mais… Non. Il est bon, de temps en temps, d’en revenir au football, même si celui-ci est régit par cette FIFA. Vous voulez donner l’organisation de la Coupe du monde à un Etat du Moyen Orient ? Alors pourquoi au Qatar, dont l’équipe n’a jamais participé à une phase finale et est à la 99ème place (113ème à l’époque du vote) au classement mondial masculin de la FIFA ? (ce n’est qu’un exemple, n’y voyez pas ici une acceptation du mode de classement).
Pourquoi aucune des équipes du Moyen Orient, plus expérimentées, n’est évoquée pour organiser l’évènement ? (ce ne sont que des exemples, n’y voyez pas des propositions : l’Iran, 4 participations, 40ème ; l’Arabie saoudite, 4 participations, 95ème ; la Turquie, 2 participations, 52ème ; les Émirats arabes unis, 1 participation, 68ème ;…). Le vote n’avait clairement aucune vocation à permettre à des contrées inexplorées d’enfin organiser une Coupe du monde de football.
L’arrivée des ‘chevaliers blancs réformateurs’ pro-système
“Il est temps de débarrasser la FIFA de la corruption !” De nombreux chevaliers blancs montent au créneau en ce moment, créant l’illusion qu’une réforme de la FIFA permettrait d’empêcher la corruption. Deux des principaux soi-disant ‘réformateurs’ mis en avant actuellement sont le Prince Ali de Jordanie et Michel Platini, l’ancien footballeur international français et actuel président de l’Union des associations européennes de football (UEFA).
Le Prince Ali, demi-frère du roi Abdallah II, président de la fédération jordanienne de football, vice-président de la FIFA, était déjà candidat face à Blatter au Congrès fin mai. Il a obtenu 73 voix, contre 133 pour le président sortant. Avant le deuxième tour, comprenant sa défaite, il avait décidé de se retirer. Ali était notamment soutenu par Michel Platini, Diego Maradona et Michael van Praag (autre ancien candidat, ainsi que Luis Figo, tous deux s’étant désistés quelques jours avant le vote), ainsi que par David Cameron, Premier ministre britannique. Un pur produit du système FIFA, donc, qui pourrait être à nouveau candidat au Congrès extraordinaire fin 2015 – début 2016.
Ancien successeur-désigné de Blatter, mais en guerre avec lui depuis plusieurs années, Michel Platini n’est, lui, plus à présenter. Celui qui a conseillé à Blatter, deux jours avant le vote, de ne pas se présenter à cause de l’explosion du scandale de corruption, est loin d’être tout blanc. Il a, on s’en souvient, publiquement soutenu les politiques d’austérité et de répression au Brésil l’an dernier. A cette occasion, tout comme chaque dirigeant de la FIFA, il a reçu une montre de luxe de 20.000 euros offerte par la Fédération brésilienne lors de la dernière Coupe du monde.(10)
Jack Warner, susmentionné, apparait aussi dans les dossiers de Platini. Le trinidadien aurait “sollicité et obtenu des pots-de-vin dans le cadre des processus d’attribution des Mondiaux 1998 et 2010”.(11) Or, à l’époque, Michel Platini co-présidait le comité d’organisation de la Coupe du monde 1998.
Il est aussi probablement l’un de ceux qui ont joué un grand rôle dans l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar. En novembre 2010, une réunion aurait eu lieu à l’Élysée entre notamment Nicolas Sarkozy, à l’époque président français, le prince du Qatar et Michel Platini, lors de laquelle la voix de Platini en faveur du Qatar a été monnayée contre divers investissements qataris en France, entre autres le rachat du Paris Saint-Germain (PSG), qui se fera dans les faits l’année suivante.12 Par ailleurs, Laurent Platini, son fils, est devenu membre en 2012 de la direction juridique de QSI, le fonds d’investissement qatari qui a racheté le PSG en 2011.13
La corruption n’est que la pourriture du système qui dépasse les limites de la légalité…
Les scandales de corruption précités, ainsi que tous les autres, ne sont que le corollaire du système capitaliste. La recherche de profits ne peut que pervertir une organisation aussi massive et populaire que la FIFA. Ce ne sont pas Havelange et Blatter qui ont un jour décidé d’organiser un système de corruption complexe pour engraisser leurs poches et celles de leurs amis. Ce type de réseaux est lié au fonctionnement même du capitalisme.
… cela n’enlève en rien le fait que la pourriture, même légale, soit illégitime
Quand bien même un ‘vrai’ chevalier blanc serait élu et réussirait à écarter, temporairement, une partie de la corruption au sein de la FIFA, l’organisation internationale reste imprégnée du système capitaliste. La défense de la classe capitaliste est inscrite dans ses gènes, et poussera en permanence à des politiques comme celles que l’on a vécues dans la préparation des Coupes du monde 2010 en Afrique du Sud et 2014 au Brésil. Ces politiques assurent que l’accumulation de richesses se fasse au profit de gros entrepreneurs, de l’actionnariat des multinationales,… et au détriment des travailleurs, des jeunes, et des plus pauvres.
Au-delà de la corruption, la FIFA reste un archétype du système capitaliste. Ses profits et ceux de ses partenaires sont puisés dans les poches des supporters et de la population locale, face à l’augmentation du coût de la vie autour de l’évènement, mais aussi parce que l’argent public est largement mis à contribution. Lors de chaque édition de la Coupe du monde et du Championnat d’Europe, la FIFA (ou l’UEFA, et ce sera le cas pour l’Euro 2016 en France) bénéficie d’une extraordinaire exonération fiscale, en toute légalité. L’argent de la collectivité est pompé pour payer les coûts, et les politiciens pro-capitalistes accentuent docilement les politiques d’austérité pour essayer de rembourser la dette publique, qui a explosé.
C’est cette politique qui avait, l’an passé, dans la perspective de la tenue de la Coupe du Monde, mené à des manifestations de masses au Brésil et à des grèves et notamment celles, très puissantes, des travailleurs du métro de Sao Paolo et dans l’enseignement. Le mouvement était général, et concernait tous les pans de la société, tous touchés par l’austérité menée par le gouvernement fédéral de la présidente Dilma Rousseff, qui n’a pas hésité à réprimer brutalement les travailleurs et les jeunes en lutte.
Un système déséquilibré qui oppose pénurie et opulence
Lorsque le président sortant de la FIFA, quelques mois avant le vote, remet des enveloppes d’argent aux petites et pauvres fédérations de football pour développer leurs infrastructures, s’assurant ainsi les voix de nombreuses d’entre-elles, notamment africaines et asiatiques, il est dans la légalité. Mais il exploite bien sûr l’absence de moyens dont l’énorme majorité de clubs, de footballeurs et de supporters souffre. Ces manques de moyens pour nos loisirs et nos centres d’intérêts, tout comme pour les services dans la société en général, sont directement liés à l’organisation économique au sein du système capitaliste.
Pendant ce temps, les sommes folles transférées au sommet du football mondial, et qui ne concernent qu’un petit pourcentage de footballeurs, témoignent, elles, de la perversion du sport et des compétitions sportives par l’ultra-marchandisation et la recherche effrénée de profits. Cette différence de traitements est à l’image de cette société où une poignée de riches qui détient l’immense majorité des richesses décide combien sera laissé à l’immense majorité des habitants de la planète.
Pour un football et des compétitions gérés et contrôlés par la collectivité et les supporters
Le football, et le sport en général, ont besoin d’un projet public de financement, pour tous, à tous les échelons. Et pour cela, l’argent, en réalité, ne manque pas. Il suffit pour cela de regarder les profits récoltés sur notre dos par la FIFA (315 millions d’euros de bénéfice en 2014, et une réserve de plus d’1,5 milliard d’euros)(14) et les autres institutions footballistiques et sportives, les sommes folles que sont prêts à investir de gros mécènes dans certains clubs, le montant des droits télés, les profits annuels des opérateurs médiatiques en général,…
Il faut utiliser ces moyens pour le vrai sport, en développant les infrastructures de base et la formation, tant pour ceux qui prennent le football et le sport comme loisir que pour développer une vraie compétition, saine, dans un esprit fraternel, sans autre enjeu que le sport.
Mais il faut aussi s’assurer que la gestion et le contrôle des clubs sportifs et des fédérations soient entre nos mains : celles des sportifs, des supporters et de la population locale. Les plus grands clubs de football sont en réalité pris en otage par des capitalistes aux pouvoirs immenses.
La compétition sportive doit être un évènement populaire, géré et contrôlé par la collectivité et les supporters, qui permette d’encadrer sainement la jeunesse, de l’impliquer, épaulée par les sportifs plus expérimentés. Elle doit être accessible à tous, sportifs comme supporters, à des prix démocratiques, et ne doit pas générer des salaires exorbitants pour les sportifs de haut niveau. Sous le contrôle et la gestion de la population, à côté des nécessités sociales, seuls les aménagements en infrastructure strictement nécessaires doivent être réalisés.
Réformer la FIFA, tout comme ce système, est une illusion ; Débarrassons le football de la FIFA !
Nombre de ceux qui possèdent et contrôlent nos clubs, nos évènements sportifs, et décident de leurs avenir, contrôlent également nos lieux de travail et l’avenir de ceux-ci. La lutte pour démocratiser notre football et notre sport doit passer par leurs reprises en mains par les jeunes et les travailleurs et doit être liée à la lutte contre les patrons sur nos lieux de travail.
Lutter pour de telles revendications exige de se battre aussi pour un autre type de société, orientée vers les intérêts de l’ensemble de la collectivité et non plus vers les profits d’une poignée de capitalistes.
Notre constat et nos perspectives de mai dernier, avant le 65ème Congrès de la FIFA, n’a pas changé : “Dans le système capitaliste, la FIFA est le sous-produit inévitable du football. C’est pourquoi toute tentative pour réformer cette organisation au sein de ce système est vouée à l’échec. Pour débarrasser le football de la FIFA, nous devons libérer l’humanité du capitalisme. Seule une société socialiste, où les richesses sont sous la gestion démocratique de l’ensemble de la population, et les clubs sous la gestion des fans et des joueurs, nous permettrait de travailler à mettre sur pieds une nouvelle fédération internationale de football, basée sur le respect pour le sport, et non sur la course au profit.”(15)
Notes
1 Le Monde, Ce que l’on sait du scandale qui éclabousse la FIFA, 2 juin 2015.
2 Il est à noter que l’offensive actuelle de la justice américaine est bien sûr à mettre en parallèle avec le fait que les Etats-Unis n’ont pas obtenus l’organisation de la Coupe du monde 2022 (voir ci-dessous). La question se pose alors : s’ils l’avaient obtenue en décembre 2010, les révélations d’affaires et inculpations auraient-elles eu lieues ?
3 New York Times, Blatter Quit as Pressures Rapidly Built From All Sides, 2 juin 2015.
4 Le Monde, Le roi Blatter, 28 mai 2015.
5 Le ‘Rapport Garcia’, commandité par la FIFA en 2012 mais dont le contenu est partiellement gardé secret, enquête notamment sur les conditions d’attributions de ces Coupes du monde.
6 L’Express, Corruption à la Fifa: carton rouge pour Bin Hammam, banni à vie du football, 23 juillet 2011.
7 Le Monde, Mondial 2022 : les damnés de Doha, 18 octobre 2013.
8 The Guardian, Qatar World Cup construction ‘will leave 4,000 migrant workers dead’, 26 septembre 2013.
9 ITUC Special Report, THE CASE AGAINST QATAR, mars 2014.
10 Le Monde, L’UEFA de Platini, un modèle de vertu ?, 3 juin 2015.
11 Le Monde, L’UEFA de Platini, un modèle de vertu ?, 3 juin 2015.
12 Le Monde, L’attribution du Mondial de football au Qatar influencé par des intérêts économiques, 19 septembre 2013.
13 Le Monde, L’UEFA de Platini, un modèle de vertu ?, 3 juin 2015.
14 So Foot, L’envie de Sepp, mai 2015.
15 Lutte Socialiste, Élections au sommet de la FIFA, mai 2015.
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Élections au sommet de la FIFA
“A mesure que le sport s’est transformé en industrie, il a banni la beauté qui naît de la joie de jouer pour jouer.” (Eduardo Galeano)
Le 29 mai, la FIFA (Fédération internationale de football association) organise ses élections présidentielles. L’actuel président, Sepp Blatter, est défié par trois autres candidats qui, tous, promettent de rompre avec la corruption et la mauvaise gestion financière de la puissante organisation internationale de football. Une chose est pourtant claire : entre nous, plus personne ne croit que la FIFA peut être réformée.
Par Tim (Bruxelles)
Il est tout d’abord peu probable que quelqu’un d’autre que Sepp Blatter siège en tant que président de la FIFA après le 29 mai. Les présidents des confédérations asiatique (AFC) et africaine (CAF) ont déjà déclaré que leurs fédérations nationales voteraient en bloc pour Blatter. La confédération africaine et son président Issa Hayatou sont depuis des années impliqués dans une série d’accusations de corruption. Hayatou aurait ainsi reçu des pots de vin en échange de son appui pour l’attribution de la Coupe du monde de football au Qatar en 2022. Les résultats de l’enquête officielle sur ces allégations ont été tenu secrets par Blatter & Cie. Le soutien de Hayatou à la candidature de Blatter serait-il un remerciement pour services rendus ?
Que des choses louches se passent à la FIFA, c’est le moins que l’on puisse dire. L’organisation a gagné énormément d’argent en exploitant commercialement le sport le plus populaire au monde. Les considérations éthiques ont dû céder face à la course au profit. La FIFA a gagné 4 milliards de dollars sur base du Mondial 2014 au Brésil, soit 66% de plus qu’au Mondial 2010. Il s’agit d’un montant plus élevé que le PIB des 34 pays les plus pauvres au monde. La FIFA est une organisation avec un immense pouvoir. Les pays qui sont candidats pour organiser une Coupe du monde doivent offrir une exemption d’impôts à la FIFA et sont obligés de changer les lois et règlements qui ne sont pas du goût des sponsors. Le FIFA encaisse les profits, les pays organiseurs doivent payer la note. Le Brésil a dépensé plus de 11,6 milliards d’euros en infrastructure pour le Mondial, soit 61% de son budget pour l’éducation. La construction de stades au Brésil, en Afrique du Sud, en Russie et au Qatar s’accompagne d’une énorme corruption, et l’utilisation parfois pure et simple de la main-d’œuvre esclave. Lorsque certains ouvriers meurent à cause des mauvaises conditions de travail, la FIFA s’en lave les mains.
FIFA : réforme ou révolution ?
Il n’est donc pas surprenant que le principal slogan de campagne de l’ancienne star du football portugais Luis Figo, l’un des concurrents à Blatter pour la présidence, soit : ‘Réformer la FIFA’. Mais soyons clairs : réformer la FIFA est une illusion. Même si les motivations de Figo sont peut-être sincères, ses paroles nous font penser à l’appel de la présidente du FMI Christine Lagarde lors du Forum économique mondial pour un capitalisme ‘‘juste et équitable’’. Elle essayait ainsi de créer l’illusion qu’un capitalisme réformé serait possible, sans exploitation ni pauvreté. Mais tant pour la FIFA que pour le capitalisme, de telles réformes sont impossibles.
Au sein du système capitaliste, un sport populaire comme le football devient très vite le terrain de jeu de ceux qui cherchent des profits, ou simplement des voyous. Des groupes d’investissement obscurs achètent et vendent des joueurs et des équipes de la même manière qu’ils jouent en bourse. Les traditions des clubs, les expériences des fans pour qui leur équipe est souvent une partie importante de leur vie, et même la survie de l’équipe en elle-même sont d’une importance secondaire.
L’auteur marxiste Eduardo Galeano, récemment décédé, écrivait dans son œuvre magistrale sur le football, ‘‘Le football, ombre et lumière’’, “A mesure que le sport s’est transformé en industrie, il a banni la beauté qui naît de la joie de jouer pour jouer.” Son livre est une expression de l’amour de millions de personnes à travers le monde pour le football, la beauté du jeu lui-même, mais aussi sur la manière dont ce jeu est abusé par les capitalistes pour en tirer des profits, ou de la reconnaissance.
Dans le système capitaliste, la FIFA est le sous-produit inévitable du football. C’est pourquoi toute tentative pour réformer cette organisation au sein de ce système est vouée à l’échec. Pour débarrasser le football de la FIFA, nous devons libérer l’humanité du capitalisme. Seule une société socialiste, où les richesses sont sous la gestion démocratique de l’ensemble de la population, et les clubs sous la gestion des fans et des joueurs, nous permettrait de travailler à mettre sur pieds une nouvelle fédération internationale de football, basée sur le respect pour le sport, et non sur la course au profit.