Tag: Fondamentalisme religieux

  • Moyen-Orient : L’échec de la politique des frappes aériennes américaines sur l’État islamique

    Tandis que la bataille pour Kobanê fait rage, les forces de l’EI gagnent de plus en plus de terrain en Irak

    Tony Saunois, secrétaire général du Comité pour une Internationale Ouvrière

    article_MO_USObama et ses alliés occidentaux voulaient faire croire qu’une politique d’intervention se limitant à des frappes aériennes suffirait à empêcher l’avancée des forces du groupe ‘‘État islamique’’ en Irak et en Syrie.

    Mais à présent, tandis que se la perspective d’une défaite des forces kurdes qui combattent EI pour le contrôle de la ville de Kobanê se rapproche, cette politique a prouvé son inefficacité. Les forces de l’EI avancent dans la ville et, au moment où nous rédigeons cet article, semblent sur le point d’engranger une nouvelle victoire. Alors qu’on fait état de scènes de massacres horribles dans la ville par les forces enragées du groupe réactionnaire qu’est l’EI, les frappes aériennes américaines sur les forces de l’EI n’ont eu que très peu d’effet et se sont avérées impuissantes à contrer leur progression. La population kurde de Kobanê mène une lutte courageuse tout autant que désespérée : elle sait que si elle ne vainc pas l’EI, c’est le massacre qui l’attend.

    Ce n’est pas qu’en Syrie que la politique de frappes aériennes prônée par Obama est vouée à l’échec. L’évolution de la situation en Irak, surtout dans la province d’al-Anbâr, dans l’Ouest du pays (à la frontière avec la Syrie, la Jordanie et l’Arabie), voit les forces de l’EI effectuer de grandes percées. La province d’al-Anbâr, qui compte pour près de 25 % du territoire irakien, ainsi que toutes les plus grandes villes de la province, à l’exception de Haditha et de deux bases militaires près de Hit et de Falloujah, sont tombées entre les mains de l’EI. Une fois de plus, l’armée irakienne a été mise en déroute sans avoir offert la moindre résistance. Le bilan de l’incessante catastrophe humanitaire en Irak s’alourdit en conséquence avec le départ de la province de 750.000 nouveaux réfugiés.

    Al-Anbâr

    Il est maintenant probable que les forces de l’EI se préparent à lancer une nouvelle offensive dont l’objectif sera de s’emparer des quartiers ouest de Bagdad, à majorité sunnite. La province d’al-Anbâr avait constitué le cœur de l’insurrection sunnite contre l’occupation américaine en 2003. Le facteur principal qui explique les victoires actuelles de l’EI en Syrie et en Irak n’est pas seulement la quantité d’armes lourdes qu’il est parvenu à capturer à la suite de ses victoires sur l’armée irakienne, mais aussi au fait que cette avancée a acquis le caractère d’une nouvelle insurrection sunnite généralisée.

    Les milices chiites qui ont quelque peu progressé dans les quartiers nord et nord-est de Bagdad, ont répondu aux attaques de l’EI d’une manière brutale et sans chercher à distinguer les combattants de l’EI des simples civils sunnites. Cela a contribué à pousser encore plus de sunnites à rejoindre les rangs de l’EI, puisque nombre d’entre eux ne voient pas d’autre force à même de les “défendre”. Les milices chiites dans Bagdad parlent ouvertement de chasser les sunnites des quartiers encore mixtes de la ville. Si les forces de l’EI ont pu trouver une base sociale, c’est à cause de l’oppression perpétrée à l’encontre de la population sunnite par le gouvernement irakien de Maliki, installé par les États Unis à la suite de l’invasion de 2003.

    Cette crise va certainement s’intensifier à la suite de ces évènements en Irak, avec la chute possible de Kobanê entre les mains des forces de l’EI. En Turquie, le régime du Premier ministre Erdogan a consciemment refusé toute intervention contre les forces de l’EI qui marchaient sur Kobanê, car il craint qu’une victoire des forces kurdes qui défendent Kobanê n’encourage la lutte de libération nationale des 15 millions de Kurdes dont le territoire appartient à la Turquie.

    La plupart des combattants à Kobanê sont regroupées dans les unités de protection populaire dirigées par le Parti de l’union démocratique (PYD, Partiya Yekîtiya Demokrat) de la branche syrienne du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK, Partiya Karkerên Kurdistan) dont la base se trouve en Turquie. Ce serait un grand soulagement pour le régime Erdogan de voir la ville tomber entre les mains de l’EI plutôt que de voir le PYD sortir victorieux de cette bataille. On voit d’ailleurs que des accords semblent avoir été conclus entre lui et l’EI à ce sujet, vu la récente libération d’otages turcs par l’EI.

    Aucune confiance dans les dirigeants régionaux et dans l’impérialisme

    Nous ne pouvons accorder la moindre confiance dans les dirigeants régionaux ni dans l’impérialisme occidental en ce qui concerne la résolution de cette crise.

    Aucune “solution” proposée par ces puissances ne permettra d’améliorer le sort de l’ensemble de la population de la sous-région. L’intervention impérialiste occidentale ne fait qu’aggraver le désastre. D’ailleurs, faut-il rappeler que la crise actuelle tire en grande partie ses origines de la série d’“interventions” impérialistes qui ont eu lieu dans toute la sous-région au cours des dernières années ? Nous ne pouvons pas non plus avoir la moindre confiance dans les élites et dirigeants sunnites ou chiites des différents pays de la sous-région, qui ne s’impliquent dans ce conflit que dans le but de satisfaire leurs propres intérêts. La Turquie cherche à renforcer son expansion en Syrie, désireuse de rétablir son empire sur cette région comme à l’époque ottomane.

    Obama parle maintenant de mettre en place une coalition avec des puissances sunnites telles que l’Arabie Saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis afin de contrer l’EI. Cependant, même si certaines des dynasties corrompues et répressives au pouvoir à la tête de ces pays ne soutiennent pas pleinement les actions de l’EI, d’autres l’ont activement soutenu ; et toutes ont leurs propres intérêts à défendre, qui ne sont pas ceux d’Obama. Pour elles, vaincre l’EI n’est pas une priorité. De plus, sur le court terme, ces régimes considèrent que l’EI cause et causera plus de problèmes à leurs rivaux chiites (au Liban, en Iran, etc.) qu’à eux-mêmes.

    Il faut un mouvement uni des masses

    Afin de contrer la terreur semée par l’EI et par les autres forces sectaires réactionnaires dans la sous-région, il faut construire un mouvement uni des masses arabes sunnites et chiites ensemble avec les Kurdes, les Turcs et les autres peuples de la sous-région. Pour combattre la menace réactionnaire et sanglante que fait peser l’EI sur Kobanê et ailleurs en Syrie et en Irak, il faut mettre sur pied des comités dont la ta?che sera de former des milices de masse. Il faut lutter pour contraindre la Turquie à lever l’embargo sur les armes, afin d’armer ces milices d’auto-défense. En Turquie, il faut former des comités de travailleurs turcs et kurdes pour mener une lutte unie. La construction de comités de masse mixtes regroupant sunnites et chiites en Irak, ensemble avec le peuple kurde, contre les forces sectaires, quelles qu’elles soient, nous permettra d’aller de l’avant.

    Ces comités pourraient former la base d’un nouveau gouvernement – un gouvernement des travailleurs, des paysans et de tous les exploités du capitalisme et de l’impérialisme. Une fédération socialiste des États de la sous-région, constituée sur une base volontaire et égalitaire, serait seule à même de garantir les droits démocratiques, nationaux, ethniques et religieux pour toute la population de la sous-région.

  • Etat islamique : Les bombardements n’apporteront aucune stabilité

    EtatislamiqueD’où provient l’État islamique et comment lutter contre ?

    La barbarie des exécutions arbitraires ne se limitent pas aux territoires d’Irak et de Syrie actuellement sous le contrôle de l’État islamique (EI). En Arabie Saoudite, pays qui abrite un grand nombre de bailleurs de fonds de l’EI, 19 décapitations publiques ont au moins eu lieu depuis début août. Mais comme il s’agit d’un allié de l’impérialisme américain, l’attention qui y est accordée est moindre… L’hypocrisie de l’impérialisme ne connaît pas de limites. Mais les pratiques barbares de l’État islamique engendrent des questions légitimes : d’où vient ce groupe et comment peut-il être stoppé ?

    Dossier de Geert Cool, tiré de l’édition d’octobre de Lutte Socialiste

    Le monstre de Frankenstein

    L’État islamique (EI) est soutenu par les cheikhs des pays du Golfe riches en pétrole. Tout comme Al-Qaïda, l’EI s’inscrit dans la version wahhabite de l’islam politique de l’élite dirigeante d’Arabie saoudite et du Qatar même si l’État islamique, tout comme Al-Qaïda, qualifie la famille royale saoudienne de ‘traîtres’.

    La doctrine conservatrice du wahhabisme date du 18ème siècle, lorsque la péninsule arabique avait largement perdu de son importance économique et stratégique. Par la suite, la Première Guerre mondiale a conduit à ce que la région soit redessinée (avec notamment la création d’une frontière artificielle entre l’Irak et la Syrie selon les accords Sykes-Picot de 1916 conclus entre la Grande-Bretagne et la France) mais a également entraîné le retour du wahhabisme en Arabie Saoudite, les Britanniques y voyant un allié.

    Après la Seconde Guerre mondiale, le régime conservateur saoudien fût un allié important de l’impérialisme américain. Ce régime était autorisé à commettre des ‘actes barbares’ qui ne posaient aucun problème tant que l’accès au pétrole était garanti.

    Les États-Unis disposaient aussi de cette façon d’un accès facile à des alliés tels que les moudjahidines, en lutte contre l’invasion soviétique de l’Afghanistan après 1979. La formation de combattants pakistanais qui, plus tard, sont allés combattre les Soviétiques en Afghanistan a ainsi notamment été soutenue. La barbarie et le désespoir croissants liés à l’extrême misère – encore renforcée par l’ampleur accrue des politiques néolibérales après la chute du stalinisme – a constitué la base sociale qui a favorisé l’ascension de seigneurs de guerre rivaux. Dans ce contexte chaotique, les talibans, issus des combattants moudjahidines, ont pu s’emparer du pouvoir en tant que facteur de stabilisation.

    Après les attentats du 11 septembre 2001, l’impérialisme américain s’est retourné contre son ancien allié. Alors qu’en _1988 encore le célèbre film d’action ‘‘Rambo III’’ était dédié aux ‘‘courageux combattants Moudjahidines’’, en 2001, ces mêmes combattants étaient décrits comme la cheville ouvrière de ‘‘l’Axe du mal’’ contre lequel Bush et Blair sont partis en guerre.

    Les guerres d’Afghanistan et d’Irak n’ont pas permis à l’impérialisme américain d’en finir avec des groupes comme Al-Qaïda. Le terrain leur est toujours fertile : la misère sociale persiste et laisse même encore plus d’espace pour le sectarisme religieux et la barbarie. Cette barbarie bénéficie d’un important soutien financier de la part des cheikhs conservateurs des pays du Golfe. Il en résulte une étrange combinaison de pratiques féodales et de pétrodollars défendue par une stratégie de propagande moderne qui accorde notamment une grande attention aux réseaux sociaux afin d’attirer des combattants occidentaux.

    Jusqu’il y a peu, l’impérialisme américain mais aussi son allié turc de l’OTAN soutenaient à tout le moins indirectement l’EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant) – le groupe qui a proclamé l’État islamique (EI). Dans le cadre de la lutte contre le régime d’Assad en Syrie, l’EIIL était après tout un facteur bien utile. Mais maintenant que l’EIIL, sur base du mécontentement des Sunnites dû à la domination chiite dans l’Irak d’après-guerre, a obtenu un soutien plus large et se développe au point de menacer les ressources pétrolières de la région kurde, l’EIIL est devenu un danger pour les intérêts impérialistes. En mai 2013 encore, le sénateur conservateur américain John McCain (une sorte de Rambo contemporain) s’était rendu en Syrie où il s’était fait photographier en compagnie de combattants qui ont ensuite contribué au développement de l’EIIL, à l’instar de l’ancien chef de la branche irakienne d’Al-Qaïda, al-Baghdadi, devenu par la suite le ‘calife’ auto-proclamé de l’État islamique…

    Les décennies d’ingérence impérialiste et de soutien à des régimes dictatoriaux sont un échec. Ces régimes ont donné naissance à une infime couche de super-riches d’un côté, et de l’autre à une misère croissante pour la majorité de la population (y compris la majorité de la population saoudienne, qui vit sous le seuil de pauvreté). La population est victime de divisions sectaires et de barbarie. Même du point de vue de l’impérialisme américain, cette stratégie a entraîné le développement de monstres de Frankenstein incontrôlables. Mais que ce soit bien clair : ces monstres sont l’œuvre des classes dominantes et de leurs marionnettes locales, pas de la population.

    Les bombardements vont-ils arrêter l’EI ?

    L’EI a connu une progression rapide au cours de laquelle il n’a pas hésité à piller des banques ou à prendre en main des ressources gazières et pétrolières (ce qui, incidemment, stimule aussi le commerce avec la Syrie). La cible principale de l’EI est constituée de tous ceux qui ne suivent pas la version sunnite ultra-conservatrice de l’islam, c’est-à-dire essentiellement les musulmans chiites. Les décapitations de journalistes et la persécution atroce de dizaines de milliers de Yézidis a attiré l’attention du monde entier sur l’ascension de l’EI. Mais la raison principale derrière l’intervention militaire est le fait que ce groupe ne s’est pas limité à la Syrie et prend maintenant pour cible l’ensemble du Moyen-Orient.

    Les divisions sectaires en Irak – dont les USA sont partiellement responsables avec leur soutien au régime chiite irakien – ne sont pas terminées. Ce régime n’a pas hésité à discriminer et à persécuter les Sunnites, lesquels occupaient une position privilégiée sous Saddam Hussein. L’EI est principalement composé de jeunes désespérés et radicalisés complètement marginalisés et qui, faute de perspectives, déversent leur colère causée par la persécution des sunnites au sein de l’EI, qui les entraîne dans une révolte réactionnaire.

    Sans perspective d’avenir, la porte reste ouverte aux expressions réactionnaires de désespoir financièrement soutenues dans le cadre d’un large conflit sectaire régional. Les bombes ne pourront rien y faire si ce n’est causer plus de ravages. Le soutien militaire direct au régime chiite irakien ne fera qu’accroître les divisions sectaires, cela peut même aider à bétonner la position de l’EI alors que ses prédécesseurs d’Al-Qaïda en Irak avaient perdu tout appui à cause de leur attitude violente à l’égard de la population locale.

    Même si les frappes aériennes parviennent à refouler l’EI, qu’arrivera-t-il ensuite pour remplir le vide ? Quelles seront les conséquences pour la région ? Un état kurde où la population aura écarté les dirigeants mafieux irakiens ? Un renforcement de l’Iran ? Comment s’organiseront ensuite les Sunnites irakiens ?

    Avec la présence de groupes fondamentalistes au nord du Nigeria et au Pakistan en passant par le Mali, la Libye, la Somalie et le Yémen, garder la situation sous contrôle commence à devenir très compliqué pour l’impérialisme américain et la Coalition of the Willing. Que se passera-t-il si l’EI ou une force similaire a demain accès aux armes nucléaires du Pakistan ? Les bombardements ne régleront rien, pas plus que les interventions en Afghanistan en 2001 et en Irak en 2003 n’ont apporté la stabilité.

    Que doit-il alors se passer?

    La vague révolutionnaire de 2011 au Moyen-Orient et en Afrique du Nord n’était pas seulement le début d’une nouvelle ère de protestation des travailleurs, elle a également prouvé la faillite de la stratégie d’Al-Qaïda & Cie. Ce n’est pas la terreur de masse mais la lutte collective de masse qui a conduit à la chute des dictateurs et aux discussions sur ce qui devait ensuite se produire pour sortir la population de la misère.

    Les événements de Tunisie et d’Egypte ont eu de grandes répercutions régionales ainsi qu’un effet unificateur. Ces soulèvements révolutionnaires n’ont pas abouti à leur conclusion logique, c’est-à-dire à une rupture anticapitaliste, et le processus révolutionnaire s’est enlisé pour laisser les coudées franches à d’autres forces telles que les salafistes ou les militaires. L’impasse a encore été accentuée par les interventions impérialistes directes et indirectes en Libye et en Syrie.

    La question essentielle est celle de la construction d’un mouvement unifié des travailleurs pour se battre contre l’élite locale et internationale. En Irak, les actions communes des Chiites et des Sunnites de 2004 contre l’occupation américaine (200.000 personnes avaient notamment manifesté ensemble) illustre que ce n’est pas de l’ordre du fantasme. Si les masses de travailleurs des différents groupes ethniques et religieux sont incapables de s’organiser et de mener la lutte en commun, alors la violence impérialiste et sectaire menace de se poursuivre.

    La construction, depuis la base, d’organisations démocratiques et non-sectaires est essentielle pour organiser la défense de toutes les communautés et pour mettre en avant un programme anticapitaliste afin de sortir de l’effusion de sang, de la répression et de la pauvreté. Un tel programme doit être orienté contre les intérêts et la cupidité des dirigeants politiques et militaires pro-capitalistes qui veulent accroître leur emprise en Irak. Ce programme anticapitaliste devrait plaider pour leur éviction du pouvoir et leur remplacement par des représentants du mouvement des travailleurs démocratiquement élus et défendant une solution socialiste pour servir les intérêts de tous les travailleurs et les pauvres.

  • Islam et Socialisme

    Dans cet article, Hannah SELL explique l’approche des marxistes pour combattre l’islamophobie en tirant les leçons de la politique des bolcheviks dans le sillage de la révolution russe. Si beaucoup de données ne concernent que la Grande-Bretagne et sont un peu datées, la situation n’est pas fondamentalement différente actuellement en Belgique. L’approche adoptée dans cet article reste une aide d’importance.

    Publié en octobre 2004 dans « Socialism Today », revue du Socialist Party, section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et pays de Galles.

    Entre un et demi et deux millions de musulmans vivent aujourd’hui en Grande-Bretagne. Rien qu’à Londres, ils sont issus de 50 groupes ethniques différents. Ils représentent une des sections les plus pauvres de la société britannique : un musulman économiquement actif sur sept est au chômage, comparé à 1 sur 20 pour le reste de la population. Les deux communautés musulmanes les plus importantes de Grande-Bretagne, originaires du Pakistan et du Bangladesh, sont particulièrement appauvries. En 1999 par exemple, 28% des familles blanches vivaient en dessous du seuil de pauvreté comparé aux 41% d’Afro-Caribéens et aux 84% de familles bengalaises (une étude de l’université d’Anvers a récemment mis en lumière le fait que 58% de la population d’origine marocaine vit en Belgique sous le seuil de pauvreté, pour 15% de la population globale, NDT)

    L’histoire des musulmans de Grande Bretagne est une histoire de pauvreté et de discrimination. Historiquement, la discrimination contre les musulmans en Grande-Bretagne a été un des nombreux aspects du racisme de la société capitaliste. Sous différentes formes, le racisme a été un élément intrinsèque du capitalisme depuis son origine. Lors de la dernière décennie et en particulier depuis l’horreur du 11 septembre 2001, il n’y a aucun doute que les préjugés anti-musulmans – l’islamophobie – ont augmenté de façon dramatique. Alors que d’autres aspects du racisme sont déjà présents, les musulmans sont confrontés aux manifestations les plus aigües de discriminations. Le gouvernement verse des larmes de crocodile sur cette hausse du racisme contre les musulmans et ceux que les gens «perçoivent» comme étant des musulmans. Mais c’est la politique gouvernementale qui est responsable d’une augmentation de 41% du nombre d’arrestations et de fouilles contre les populations asiatiques. Plus fondamentalement, la participation du gouvernement aux guerres brutales contre l’Irak et l’Afghanistan (deux pays à majorité musulmane), avec toute la propagande qui accompagne ces interventions et qui dénigre les populations de ces deux pays, a inévitablement fait monter l’islamophobie.

    L’ancien ministre de l’intérieur David Blunkett a suggéré que les minorités ethniques devaient faire de plus grands efforts pour «s’intégrer» à la société britannique, en blâmant les musulmans et les autres communautés pour la montée du racisme. En réalité, c’est le contraire qui est exact. Plus la société est hostile envers eux, plus les minorités ethniques et religieuses vont s’identifier uniquement à leurs propres communautés. Le renforcement de l’identification de beaucoup de musulmans à leur religion et à leur culture a ainsi nettement augmenté. Selon une étude récente, 74% des musulmans britanniques considèrent que leur religion a une influence importante sur leur vie quotidienne, contre 43% chez les Hindous et 46% chez les Sikhs. Nombreuses sont les raisons qui expliquent cela, mais il ne fait aucun doute que la montée des préjugés contre l’Islam a conduit beaucoup de jeunes à défendre leur religion en renforçant leur identification à celle-ci.

    Cependant il n’est pas vrai de dire que les jeunes musulmans de Grande-Bretagne s’identifient seulement ou premièrement au pays d’où ils, ou plus souvent leurs parents ou grands parents, sont originaires. Les deux tiers de tous les musulmans de Grande-Bretagne ont moins de 25 ans. Ayant été élevés en Grande-Bretagne, la plupart d’entre eux ont une double identité, à la fois partie intégrante de la Grande-Bretagne et aliénés par celle-ci. Ces jeunes ont grandi dans une société où ils se sentent sous la menace constante d’une arrestation à cause de leur couleur ou de leur religion. Ils sont confrontés aux discriminations dans l’enseignement et sur le lieu de travail et ont été enragés par la propagande de guerre impérialiste du gouvernement. Mais seule une petite minorité a tiré la conclusion erronée que le barbare terrorisme de masse de la part d’organisations islamiques réactionnaires comme Al Qaïda offre une alternative. Contrairement à ce qu’affirme la presse à scandales, 73% des musulmans de Grande-Bretagne sont fortement opposés aux attaques terroristes. En même temps, le potentiel qui existe pour un mouvement unifié capable d’impliquer les musulmans a été illustré par les centaines de milliers de musulmans qui ont participé, avec d’autres sections de la population, au mouvement anti-guerre durant les plus grandes manifestations qui se sont jamais déroulées en Grande-Bretagne.

    Comment les marxistes doivent-ils aborder la question des communautés musulmanes vivant en Grande-Bretagne? Notre point de départ est d’être fermement opposés aux discriminations anti-musulmanes en défendant le droit de chaque musulman à pouvoir vivre sans subir l’islamophobie, indépendamment de sa classe ou de sa conception de la religion. Concrètement, cela signifie de lutter pour le droit des musulmans à pratiquer librement leur religion, y compris en choisissant librement de porter ce qu’ils veulent. Le véritable marxisme n’a rien à voir avec ceux de l’extrême gauche française qui ont refusé de s’opposer aux exclusions des jeunes femmes musulmanes qui portaient un voile à l’école. Nous devons activement défendre le droit de chacun de pratiquer la religion qu’il choisit (ou de n’en pratiquer aucune) sans avoir à subir de discrimination ou de préjugés.

    Cela ne signifie cependant pas que nous percevons la population musulmane dans sa totalité comme un bloc homogène et progressiste. Au contraire. Plusieurs facteurs, comme la classe, l’origine ethnique et la conception de la religion divisent la population musulmane. Il y a en Grande Bretagne 5.400 musulmans millionnaires, dont la plupart ont fait leur fortune en exploitant d’autres musulmans, et de petites communautés musulmanes sont très riches. Ainsi, 88 Koweïtiens, dont la plupart résident en Grande Bretagne, ont investi 55 milliards de Livres Sterling dans l’économie britannique. Alors que nous avons à défendre les droit de ces milliardaires de pratiquer leur religion sans répression, nous avons aussi à convaincre les travailleurs musulmans qu’ils ont des intérêts diamétralement opposés à ces individus et que la voie vers la libération se trouve dans la cause commune avec les autres sections de la classe ouvrière à travers le monde mais, comme ils vivent en Grande Bretagne, en premier lieu avec la classe ouvrière britannique.

    En tant que révolutionnaires socialistes, le programme que nous mettons en avant doit toujours avoir pour objectif d’encourager l’unité de la classe ouvrière en tant qu’élément du processus d’élévation de sa confiance et de son niveau de compréhension. C’est la raison pour laquelle notre organisation sœur en Irlande du Nord a toujours lutté pour l’unité des travailleurs catholiques et protestants. Dans la Grande-Bretagne d’aujourd’hui, les politiques réactionnaires de Tony Blair et du New Labour (le Parti Travailliste) créent des divisions que nous devons tenter de surmonter.

    Historiquement, il y a de fortes traditions d’unité entre les travailleurs musulmans et les autres sections de la classe ouvrière en Grande-Bretagne. Elles proviennent du rôle important joué par les meilleurs éléments du mouvement ouvrier dans la lutte contre le racisme. Par conséquent, les travailleurs noirs et asiatiques, y compris les musulmans, ont tissé un lien fort avec le mouvement ouvrier, bien que la majorité d’entre eux ne provenait pas initialement d’un milieu urbain dans leur pays d’origine. Dans les années ‘70, les travailleurs noirs et asiatiques ont joué un rôle clé dans plusieurs luttes industrielles. En 1976, la grève de Grunwicks contre les bas salaires, qui a largement impliqué des femmes asiatiques, a été une des batailles cruciales de cette décennie.

    Un des résultats de ces traditions positives a été que, jusqu’à récemment, les musulmans de Grande-Bretagne ont eu tendance à soutenir le Labour Party. Une étude réalisée en 1992 a par exemple conclu que «les musulmans sont loyaux envers le Parti Travailliste car ils le voient comme un parti qui œuvre pour la classe ouvrière et aussi parce que le Parti Travailliste est de loin le moins raciste à la fois dans son attitude et dans sa pratique comparé aux autres partis, en particulier face au Parti Conservateur». Un sondage de l’institut MORI réalisé après les élections de 1997 a démontré que 66% des électeurs asiatiques et 82% des électeurs noirs ont voté pour le Parti Travailliste, un taux beaucoup plus élevé que la moyenne nationale de 44%. En comparaison, les Conservateurs ont obtenu seulement 22% du vote asiatique.

    Cependant, le New Labour d’aujourd’hui ne représente en aucune façon les intérêts des travailleurs. Au contraire, le Parti Travailliste est maintenant un parti favorable à la classe dirigeante dans lequel les syndicats sont sans pouvoir. Il n’est donc pas étonnant que non seulement les musulmans mais aussi la majorité des travailleurs ne croient plus que le Labour Party est «pour eux». La désillusion est particulièrement profonde parmi les électeurs musulmans issus de la classe ouvrière. Les politiques racistes du New Labour, malgré qu’elles aient un vernis plus sophistiqué que celles des Tories, ont profondément désillusionné la plupart des musulmans. Mais c’est la guerre en Irak qui a agi de façon à rompre de façon décisive le soutien que beaucoup de musulmans accordaient encore au Labour Party. Un sondage d’opinions réalisé avant les élections Européennes a rapporté que le soutien au Labour Party a chuté de 75% chez les électeurs musulmans à seulement 38% lors des élections générales.

    Le mouvement anti-guerre a donné un aperçu du potentiel de ce que signifie gagner les travailleurs musulmans désillusionnés par le Labour à une alternative de classe. Ce processus n’est cependant pas automatique. Une condition vitale est qu’après la trahison complète du New Labour, le mouvement ouvrier prouve encore et encore dans la pratique qu’il est déterminé à combattre le racisme et l’islamophobie. Mais les marxistes doivent aussi défendre une approche de classe et socialiste concernant les musulmans. Le fait que les musulmans et les révolutionnaires socialistes marchent ensemble dans le mouvement anti-guerre constitue un véritable pas en avant. Mais nous ne devons pas laisser nos discussions avec les musulmans anti-guerre au niveau de notre opposition commune à l’occupation impérialiste de l’Irak. Nous devons étendre les discussions à des questions de classe ici, en Grande-Bretagne, y compris sur la question d’un programme et d’une stratégie aptes à combattre les privatisations et les coupes budgétaires du New Labour. Nous devons aussi soulever la nécessité d’une alternative politique au New Labour – un nouveau parti de masse qui rassemble le mouvement anti-guerre, les syndicalistes et les militants contre la casse sociale – un parti qui représente et organise toutes les sections de la classe ouvrière.

    Au cours de ces discussions, il sera parfois nécessaire de soulever des questions sur lesquelles il n’y a pas d’accord complet entre les marxistes et certains musulmans. Par exemple, face au racisme qui existe dans la société capitaliste, un nombre croissant de musulmans revendiquent de façon compréhensible des écoles musulmanes séparées. Nous devons d’une part lutter contre le racisme et la discrimination à l’école, ainsi que pour le droit de tous les étudiants d’avoir les commodités pour pratiquer leur religion, mais, d’autre part, cela n’implique pas le soutien à la création d’écoles musulmanes séparées, pas plus que nous ne soutenons d’autres écoles religieuses. Nous devons patiemment expliquer que cette voie amènera à une plus grande ségrégation et à une plus grande isolation des communautés musulmanes qui, en retour, mèneront à faire croître le racisme contre eux.

    De même que nous luttons pour le droit des jeunes musulmanes à choisir de porter le voile, il est aussi clair que nous soutenons le droit de celles qui choisissent de ne pas le porter, même lorsque cela signifie d’entrer en conflit avec d’autres musulmans.

    L’approche erronée de RESPECT

    Malheureusement, cette approche de classe n’a pas été adoptée par le Socialist Workers Party (SWP). RESPECT, la nouvelle coalition électorale qu’il a formé avec le député George Galloway a obtenu quelques succès électoraux, largement grâce à l’appel lancé aux musulmans. Lors des élections européennes, RESPECT a tiré un tract spécifique destiné aux musulmans qui présentait RESPECT comme «le parti des musulmans». George Galloway a été présenté comme un combattant pour les musulmans et décrit de cette manière : «Marié à une doctoresse palestinienne, il a de forts principes religieux concernant la lutte contre l’injustice. Il a été exclu par Blair parce qu’il a refusé de s’excuser pour son attitude anti-guerre. Nos députés musulmans soit sont restés silencieux, soit ont soutenu la guerre. De qui voulez vous pour être votre voix ?»

    Alors qu’il est juste de présenter les références anti-guerre de Galloway et de dénoncer les députés musulmans qui ont refusé de s’opposer à la guerre, le reste de sa déclaration est une tentative hautement opportuniste de faire appel aux musulmans sur base de leur religion. Au lieu de cela, les véritables socialistes doivent tenter de convaincre les musulmans qu’ils peuvent atteindre par les idées socialistes, et parmi eux plus spécifiquement les jeunes musulmans issus de la classe ouvrière (la majorité de la population musulmane de Grande-Bretagne).

    Si RESPECT avait profité de cette situation pour gagner des musulmans ainsi que d’autres sections de la classe ouvrière au véritable socialisme, cela aurait été louable. Mais au lieu de cela, ils ont fait appel aux musulmans en tant que bloc dans l’espoir d’obtenir des gains électoraux à court terme. En fait, l’histoire de l’engagement des musulmans en politique a démontré que cette approche ne marche pas. Il n’y a aucun doute à avoir sur le fait que quelques politiciens musulmans du New Labour se sont engagés en politique dans l’intention d’aider leur communauté. Cependant, à moins d’avoir eu une approche socialiste, ils ont échoué à le faire. C’est par exemple une position complètement erronée de la part de Galloway d’expliquer qu’il ne se présente pas contre Mohamed Sawar, député de Glasgow Govan, parce qu’il est musulman. Sawar a constamment voté avec le New Labour sur toutes les questions. Bien qu’il ait voté contre la guerre, il a depuis lors voté avec le reste de son parti à chaque occasion, même sur la question de l’Irak. Le fait qu’il soit musulman ne signifie pas qu’il défende les intérêts des musulmans ordinaires. Au niveau local, les conseillers musulmans tendent à être issus des petites élites musulmanes plutôt que d’être issus de la classe ouvrière. Mais le plus important, c’est que la majorité d’entre eux a adopté les politiques blairistes du New Labour.

    Mais RESPECT ne fait pas qu’échouer à élever la conscience de classe parmi les musulmans. Si elle continue sur cette voie, la coalition peut entretenir des divisions dangereuses parmi la classe ouvrière entre les musulmans et les autres communautés. Si RESPECT a des succès en étant vu comme un parti musulman qui ne s’adresse pas aux autres sections de la classe ouvrière, il peut éloigner les autres sections de la classe ouvrière et renforcer les idées racistes.

    Malheureusement, cela semble être la voie que Respect a prise. Lors des récentes élections au Sud de Leicester, RESPECT a obtenu un résultat électoral non négligeable. Sa candidate était Yvonne Ridley, la journaliste qui s’est convertie à l’islam après avoir été capturée par les talibans en Afghanistan. Encore une fois, RESPECT a fait appel à la communauté musulmane sur une base purement religieuse. Le tract spécial qu’elle a destiné à la communauté musulmane faisait référence à un dirigeant local de la communauté qui a dit que Ridley était «la seule candidate MUSULMANE» et que «les musulmans vont jouer un rôle clé lors de l’élection». Le tract n’indiquait pas d’autres raisons de voter pour RESPECT.

    La révolution russe comme justification

    En vue de justifier aujourd’hui son opportunisme politique en Grande-Bretagne, le SWP a cherché dans l’histoire de quoi appuyer son approche avec un exemple. C’est dans ce cadre que Socialist Review, publication du SWP, a publié un article de Dave Crouch avec lequel le SWP a crû justifié sa position en se basant sur l’attitude des bolcheviks après la révolution.

    Alors que l’article de Crouch donne un compte-rendu intéressant des évènements qui se sont produits, en utilisant un ton inégal et une emphase clairement façonnée pour justifier l’attitude du SWP envers RESPECT, il désinforme ses lecteurs. Dans un article beaucoup plus long sur le même sujet, publié en 2002 dans le journal théorique du SWP International Socialism, Crouch démontre pourtant qu’il est capable d’adopter une approche un peu plus objective. Ironiquement, dans cet article là, il critiquait un auteur au sujet de «la politique nationale [des bolcheviks qui s’est développée] dans un isolement presque hermétique de la société pré-révolutionnaire à la contre-révolution stalinienne». Mais dans Socialist Review il a reproduit l’erreur qu’il critiquait en ne voyant pas les différences énormes existant entre la situation des marxistes aujourd’hui en Grande-Bretagne et celle de la Russie durant les années qui ont immédiatement suivi la Révolution de 1917. Il a alors simplement déclaré que «nous pouvons apprendre des bolcheviks et nous inspirer des réalisations faites par les bolcheviks».

    Par exemple, l’Armée Rouge a participé à de nombreuses alliances militaires avec des forces pan-islamiques. Cependant, il s’agissait d’une situation de guerre civile et de nombreuses armées capitalistes attaquaient et essayaient d’écraser la première révolution victorieuse en collaboration avec les classes dirigeantes locales, dominées par les grands propriétaires terriens. La guerre civile était particulièrement intense dans les zones à prédominante musulmane d’Asie Centrale. Les comparaisons directes à faire avec la Grande-Bretagne actuelle sont évidemment très limitées…

    Cela ne signifie aucunement qu’il n’y a pas de leçons à tirer du travail de pionniers des bolcheviks. Mais l’article de Crouch ne dévoile que la moitié de l’histoire. Il se concentre presque exclusivement sur des points tels que l’union entre les dirigeants musulmans et les bolcheviks sans expliquer les divergences politiques, les conflits et les complications qui ont existé ou encore comment les bolcheviks ont essayé de gagner les masses musulmanes au programme marxiste. Sans toutefois le dire explicitement, l’article donne aussi l’impression complètement incorrecte selon laquelle l’islam était intrinsèquement plus progressiste que les autres religions parce que c’était la religion des peuples opprimés et colonisés et encore que les bolcheviks avaient traité les populations musulmanes d’une façon fondamentalement différente des autres religions.

    En fait, Vladimir Lénine et Léon Trotsky ont correctement traité les droits religieux de toutes les minorités opprimées avec une attention et une sensibilité extrême, consécutive de leur approche sur la question nationale. Leur objectif était de minimiser systématiquement les divisions et les différences entre les sections de la classe ouvrière. Ils avaient compris que, pour la réalisation de cet objectif, il était nécessaire de démontrer encore et encore que le pouvoir des Soviets était la seule voie vers la libération nationale pour les nationalités opprimées par ce qui avait été l’empire russe des Tsars (que Lénine appelait la «prison des peuples»). Mais jamais ils n’ont cependant baissé la bannière de l’unité internationale de la classe ouvrière. Quand des concessions étaient faites à des forces nationalistes, il était ouvertement et honnêtement expliqué pourquoi de telles concessions étaient nécessaires, et en même temps les bolcheviks continuaient à argumenter clairement en faveur d’un programme marxiste parmi les masses des territoires opprimés.

    Le contexte de l’époque doit être soigneusement regardé. Les bolcheviks agissaient dans des circonstances de difficultés phénoménales. Par la suite, malgré le potentiel existant dans d’autres pays pour des révolutions victorieuses, ces dernières n’ont pas pu aboutir et le premier Etat ouvrier s’est retrouvé isolé dans une situation d’arriération économique avec une domination paysanne. Finalement, ces facteurs ont permis l’émergence du stalinisme ainsi que l’écrasement de la démocratie ouvrière par le fait d’une hideuse bureaucratie.

    Ces conditions extrêmes, la survie de la révolution ne tenait alors qu’à un fil, ont forcé l’Etat ouvrier à faire des concessions à tous les niveaux. En 1921 – alors qu’il était clair qu’on ne pouvait pas compter sur une révolution victorieuse dans un autre pays à court terme – Lénine a été forcé de proposer la Nouvelle Politique Economique (NEP) pour éviter un retour aux privations et aux famines de masse. Cela impliquait des concessions envers le marché. Ces difficultés matérielles écrasantes ont inévitablement eu un effet sur la capacité de l’Etat ouvrier à appliquer ses politiques dans de nombreux domaines.

    Néanmoins, l’approche de Lénine et Trotsky vis-à-vis des droits nationaux, religieux et ethniques en particulier a constitué un modèle dans le sens où elle a combiné la sensibilité envers les aspirations nationales à une approche de principe. Cela n’a rien de commun ni avec l’opportunisme du SWP, ni avec l’approche rigide et étroite de quelques autres parmi la gauche.

    Le droit des nations à l’autodétermination

    L’approche utilisée par les bolcheviks vis-à-vis des populations musulmanes ne découle pas en première instance de la question de la religion en elle-même, mais plutôt de la manière dont la religion était en rapport avec le droit des nations à l’autodétermination. L’unification des pays et la solution à la question nationale est une des tâches clés de la révolution démocratique bourgeoise, ce qui inclut l’élimination des rapports terriens féodaux et semi-féodaux ainsi que l’instauration de la démocratie bourgeoise. Ces tâches n’ont jamais été achevées dans la Russie tsariste qui était en fait une monarchie absolue semi-féodale. Les bolcheviks avaient compris qu’étant donné le développement tardif de la bourgeoisie en tant que classe en Russie et sa crainte mortelle des mouvements révolutionnaires de la classe ouvrière, la bourgeoisie russe était incapable de réaliser les tâches de sa propre révolution.

    C’est Trotsky, avec sa théorie de la révolution permanente, qui a été le premier à tirer la conclusion que ces tâches devaient être l’œuvre de la classe ouvrière à la tête des masses paysannes. Trotsky a expliqué que, aussi important que pouvait être le rôle de la paysannerie, elle ne pouvait être capable d’agir de façon indépendante à cause de son caractère hétérogène et dispersé. La paysannerie est toujours à la suite soit de la classe dirigeante, soit de la classe ouvrière.

    Trotsky a continué à expliquer que la classe ouvrière ne se limiterait pas à l’accomplissement des tâches de la révolution démocratique bourgeoise mais passerait ensuite aux tâches de la révolution socialiste de façon «ininterrompue». Lénine avait tiré la même conclusion plus tard, dans ses «Thèses d’Avril» de 1917. Et effectivement, lors de la Révolution d’Octobre 1917, la classe ouvrière a dépassé les tâches de la révolution démocratique bourgeoise pour commencer à effectuer celles de la révolution socialiste.

    Ces tâches étaient de loin plus grandes dans les territoires de l’empire russe que dans la Russie elle-même. Les différentes régions avaient des caractéristiques différentes, mais l’image générale était celle d’économies extrêmement sous-développées et de populations constituées de façon écrasantes de paysans pauvres. Si la bourgeoisie libérale était faible et lâche en Russie, elle n’existait tout simplement pas dans la plupart de ces territoires. La classe ouvrière y était surtout constituée d’émigrés russes et les quelques bolcheviks présents avant la révolution étaient issus de cette couche de la population. Tous ces facteurs étaient particulièrement aigus en Asie centrale, région à dominante musulmane. Il est toutefois faux de conclure que les caractéristiques d’arriération d’Asie centrale avaient un lien avec cette dominante musulmane. Ces caractéristiques étaient le résultat des relations économiques et sociales féodales et la situation était peu différente dans des régions similairement sous-développées mais à dominante chrétienne.

    Lénine et Trotsky ont compris quelles étaient les énormes difficultés auxquelles le nouvel Etat ouvrier devait faire face pour résoudre la question nationale dans ces régions. La domination impérialiste par le tsarisme russe s’était profondément fait sentir et des luttes déterminées et sanglantes s’étaient déroulées contre cette oppression aussi récemment qu’en 1916. Il était donc vital de démontrer encore et encore aux nationalités qui avaient été opprimées par le tsarisme que le pouvoir soviétique n’était pas une nouvelle forme d’impérialisme, mais bien la seule voie par laquelle ils pouvaient obtenir leur libération.

    En conséquence, la constitution adoptée en juillet 1918 affirmait clairement que les soviets régionaux basés sur «un mode de vie et une composition nationale particuliers» pouvaient décider s’ils voulaient intégrer la République Socialiste Fédérale de Russie et sur quelle base. Cependant, les constitutions seules ne suffisent pas. La réalisation des tâches de la révolution démocratique bourgeoise signifiait d’assister le développement d’une culture nationale qui n’avait pas eu d’espace pour se développer auparavant. Par exemple, après des décennies de «russification», l’utilisation des langues locales a été encouragé, ce qui a aussi signifié dans plusieurs cas de développer pour la toute première fois une forme écrite de l’une ou l’autre langue.

    Il n’y a là aucune contradiction entre cette approche et l’internationalisme des bolcheviks. Ce n’est qu’en se révélant être la meilleure combattante pour la libération nationale des opprimés que la Russie des soviets pouvait montrer que la voie de la libération était liée à la classe ouvrière mondiale, et plus spécifiquement à la classe ouvrière de Russie. Cependant, cette approche n’a pas été comprise par tous les bolcheviks. Une certaine couche d’entre eux a vu dans le droit à l’autodétermination des nations quelque chose de contraire à leur internationalisme. Cette analyse a en réalité joué le jeu du nationalisme Grand Russe. Mais c’est au contraire l’approche extrêmement habile et sensible de Lénine qui a eu pour effet que la République Socialiste Fédérale de Russie a réussi à intégrer sur une base libre et volontaire beaucoup de nationalités auparavant opprimées par le tsarisme.

    L’approche des bolcheviks envers l’islam

    Comme l’islam avait été réprimé par le tsarisme, et était aussi réprimé par les impérialismes français et britanniques à travers le monde, il était inévitable que le droit des musulmans à pratiquer leur religion devienne un élément central des revendications des masses musulmanes. Les bolcheviks ont reconnu ce droit et ils étaient extrêmement sensibles sur ce point, de la même manière qu’ils l’avaient été avec les autres religions opprimées comme le bouddhisme et le christianisme non orthodoxe.

    Mais Dave Crouch va trop loin quand il affirme que «les bolcheviks ont eu une attitude très différente (envers l’islam) comparé au christianisme orthodoxe, la religion des brutaux colonisateurs et missionnaires russes». Il ajoute que «1.500 russes ont été chassés du parti communiste du Turkestan à cause de leurs convictions religieuses, mais pas un seul Turkestani». C’est une simplification excessive. Les russes ont été exclus pour avoir poursuivi l’oppression de la Russie impériale sous le nom de la révolution, et non simplement à cause de leur religion.

    Bien sûr, les bolcheviks avaient compris le rôle profondément réactionnaire du christianisme orthodoxe dans les territoires de l’empire tsariste en tant qu’instrument de l’oppression grand russe. Néanmoins, en particulier en Russie même, le christianisme orthodoxe avait une double nature. C’était à la fois la religion oppressive des tsars ainsi que ce que Marx appelait «le soupir de la créature opprimée» des masses russes. Lénine pensait aussi aux millions de travailleurs, en particuliers paysans, qui croyaient toujours en la foi chrétienne orthodoxe en disait que «nous sommes absolument opposés à offenser les convictions religieuses».

    Le véritable marxisme de Lénine et des bolcheviks n’a aucune ressemblance avec les crimes ultérieurs de Staline. A partir d’un point de vue matérialiste, et donc athée, les bolcheviks ont de façon correcte été favorables au droit de chacun à suivre la religion qu’il souhaitait, ou de n’en suivre aucune. Ils avaient compris que cela signifiait la séparation complète de la religion et de l’Etat. La religion d’Etat a été un des piliers majeurs de l’oppression dans la société féodale et, avec quelques modifications, le capitalisme continue d’ailleurs toujours à l’utiliser. Dans la Russie semi-féodale, le mécanisme du christianisme orthodoxe (la religion d’Etat) était une force aux mains de la réaction. Mais, bien que de façon différente, cela était aussi le cas de l’islam dans les républiques à dominante musulmane. Alors que le christianisme orthodoxe était la religion de l’oppression coloniale et l’islam une religion opprimée qui avait un soutien écrasant de la part des masses pauvres, l’élite indigène a tenté d’utiliser l’islam comme outil pour la contre-révolution. La séparation de l’église et de l’Etat en Asie centrale n’a pas seulement concerné le christianisme orthodoxe, mais aussi l’islam. Les bolcheviks avaient adopté cette approche au risque d’obtenir des conflits avec certaines sections de musulmans. Par exemple, en résultat de cette politique, des parents musulmans ont dans certaines régions refusé d’envoyer leurs enfants à l’école.

    Mais, tout en argumentant en faveur de la séparation de la religion et de l’Etat, les bolcheviks étaient très prudents pour éviter de donner l’impression qu’ils imposaient d’en haut la société «russe» à l’Asie centrale. Là où la population était en faveur de la Charia (loi islamique) et des tribunaux islamiques, les bolcheviks avaient compris que s’y opposer aurait été vu comme de l’impérialisme russe. Cela n’a cependant pas voulu dire que les bolcheviks acceptaient les politiques féodales réactionnaires menées par les tribunaux de la charia, pas plus qu’ils n’acceptaient les attitudes féodales qui existaient dans différents aspects de la société de l’ancien empire russe. Ils avaient simplement compris que les attitudes réactionnaires ne pouvaient pas être abolies, mais devaient changer avec le temps. C’est pourquoi ils avaient établi un système légal parallèle en Asie centrale, pour tenter de prouver en pratique que les soviets pouvaient apporter la justice. Pour sauvegarder les droits des femmes, en particulier, l’usage des tribunaux islamiques n’était permis que si les deux parties étaient d’accord. Et si l’une des parties n’était pas satisfaite du jugement, elle pouvait encore avoir recours à un tribunal soviétique.

    L’islam divisé

    Sur cette question et sur d’autres, Crouch donne une impression inégale. En lisant son article, on peut s’imaginer que la population musulmane entière d’Asie centrale était progressiste et alliée aux Bolcheviks. Dans un article de deux pages contenant de nombreux exemples sur la relation positive entre les forces musulmanes et les bolcheviks, seulement deux courtes références illustrent que ce n’était pas le cas dans toutes les circonstances. La première est quand Crouch déclare «en même temps, les dirigeants musulmans conservateurs étaient hostiles au changement révolutionnaire», mais aucune autre explication n’est donnée sur le rôle de ces «dirigeants musulmans conservateurs». La deuxième référence consiste à déclarer que «le mouvement Basmachi (une révolte islamique armée) a éclaté». Cependant, la responsabilité de cette révolte contre-révolutionnaire est exclusivement liée à la politique coloniale du soviet de Tashkent durant la guerre civile.

    Il est vrai que, durant la guerre civile russe, lorsque des larges parties de l’Est étaient détachées de la Russie, certains émigrés russes chauvins ont soutenu la révolution parce qu’ils la considéraient comme le meilleur moyen d’assurer la continuité de la domination russe. Les politiques qu’ils avaient décrétées soi-disant au nom de la révolution ont perpétué l’oppression tsariste des musulmans. A Tachkent, ville musulmane à plus de 90%, le soviet, sous la direction des Socialistes-Révolutionnaires et des Mencheviks, a utilisé la langue russe dans toutes ses procédures et a exclu les dirigeants locaux sans principes et de façon complètement chauviniste. Ces politiques réactionnaires ont joué un rôle majeur dans la constitution du mouvement Basmachi par des bandes de guérilleros islamiques. Mais, en Octobre 1919, la direction bolchevik a rétabli le contact avec Tachkent et a alors inversé les politiques du soviet de Tachkent. En Avril 1918, 40% des délégués du soviet de Tachkent étaient musulmans.

    Alors que les préjugés grand-russes ont sans aucun doute persisté, les bolcheviks se sont donnés une peine considérable pour montrer que le pouvoir des soviets signifiait la liberté nationale et culturelle. Comme Crouch le décrit, «des monuments sacrés islamiques, des livres et des objets pillés par les tsars ont été remis aux mosquées. Le vendredi – jour de célébration musulman – a été déclaré jour férié pour le reste de l’Asie centrale». Mais aucune de ces mesures n’a empêché le nationaliste turc Enver Pasha de venir en Asie Centrale en 1921 et de se joindre immédiatement à la révolte Basmachi, en transformant ainsi des fractions tribales en une force unifiée pour la réaction islamique. Une partie des musulmans avaient rejoint la contre-révolution, non pas à cause des crimes du soviet de Tachkent, mais pour gagner un territoire sur lequel ils pourraient exploiter d’autres musulmans. En d’autres mots, c’était pour défendre et pousser de l’avant leurs propres intérêts de classe.

    Les bolcheviks ont toujours compris que leur tâche était de créer le maximum d’unité entre les travailleurs et d’amener derrière eux les masses paysannes. Cela signifiait de convaincre les masses musulmanes pauvres que leur cause était celle de la révolution, et non pas celle des dirigeants islamiques réactionnaires. Contrairement au SWP aujourd’hui, ils ont toujours déployé leurs efforts dans ce but.

    Les dirigeants autochtones

    Dave Crouch parle des peines que se sont donnés les bolcheviks pour essayer de développer des directions nationales autochtones dans les soviets des Etats autonomes nouvellement formés. La politique des soviets a compris l’instauration d’un commissariat musulman (Muskom), dont la direction était en grande partie composée de musulmans non bolcheviks. En même temps, un effort particulier a été fait pour recruter des autochtones au Parti Communiste (PC – nouveau nom des bolcheviks), ce qui a conduit à une sérieuse augmentation du nombre de membres musulmans.

    Dave Crouch déclare dans son texte : «Il y avait des discussions sérieuses parmi des musulmans sur les similitudes entre les valeurs islamiques et les principes socialistes. Les slogans populaires de l’époque comprenaient : «Vive le pouvoir des soviets, vive à la charia!»; «Religion, liberté et indépendance nationale». Des partisans du «socialisme islamique» ont appelé les musulmans à établir des soviets ».

    De nouveau, ceci cache une réalité plus complexe – aucune mention n’est faite de l’attitude des bolcheviks envers ce «socialisme islamique». Il est naturellement vrai que, alors que le PC était marxiste et donc athée, la croyance religieuse ne représentait pas en soi un obstacle pour rejoindre le parti, et beaucoup de musulmans ont été recrutés. Cependant, cela ne signifiait aucunement qu’il suffisait d’être musulman et de soutenir la révolution pour rejoindre le Parti Communiste. Bien que des alliances militaires à court terme aient été formées avec toutes sortes de forces, il n’y a seulement eu qu’une organisation musulmane sur le territoire soviétique qui ait été reconnue par les bolcheviks comme un véritable parti socialiste (sur la base de son programme) – Azerbaidjani Hummet, qui devait plus tard devenir le noyau du PC de l’Azerbaïdjan. D’autres, comme le parti nationaliste libéral kazakh, Alash Orda, ont été écartés, en dépit de leurs déclarations en faveur de la révolution, et ce en raison de leur programme et de leur base de classe.

    Néanmoins, telle était l’importance de développer des directions autochtones pour le Parti Communiste que des individus qui avaient une approche totalement différente de celle de Lénine et Trotski ont pu rejoindre le PC. Parmi eux, le cas de Mirsaid Sultangaliev, devenu ensuite président du commissariat central musulman après avoir rejoint le PC en novembre 1917, est révélateur. Il affirmait que: «Tous les musulmans colonisés sont des prolétaires et comme presque toutes les classes dans la société musulmane ont été opprimées par les colonialistes, toutes les classes ont le droit d’être désignées «prolétariennes».

    Sur cette base il argumentait qu’il ne pouvait pas y avoir de lutte des classes au sein des nations opprimées. En réalité, ces idées étaient une couverture pour les intérêts de l’élite dirigeante locale. D’ailleurs, ces idées étaient constamment et publiquement contre-argumentées par la direction du Parti Communiste. Par exemple, les Thèses sur la question nationale et coloniale, adoptées par le deuxième congrès de la Comintern (l’Internationale Communiste) disent clairement: «La lutte est nécessaire contre le panislamisme, le mouvement panasiatique et les courants similaires qui lient la lutte de libération contre l’impérialisme européen et américain au renforcement du pouvoir des impérialismes turcs et japonais, de la noblesse, des grands propriétaires terriens, du clergé, etc.»

    Elles ajoutaient: «Une lutte déterminée est nécessaire contre les tentatives de mettre une couverture communiste aux mouvements révolutionnaires de libération qui ne sont pas réellement communistes dans les pays [économiquement] arriérés. L’Internationale Communiste a le devoir de soutenir le mouvement révolutionnaire dans les colonies seulement dans l’optique de rassembler les éléments des futurs partis prolétariens – communistes dans les faits et pas seulement de nom – dans tous les pays arriérés et de les former à être conscients de leurs tâches particulières, c’est-à-dire de lutter contre les tendances démocratiques bourgeoises de leur propre nation».

    Cet exemple illustre à quel point l’approche des bolcheviks est complètement différente de celle du SWP aujourd’hui. Il est vrai que le Manifeste du Congrès des Peuples de l’Est a, comme l’a fait remarquer Crouch, appelé à une guerre sainte, à laquelle les marxistes d’aujourd’hui ne doivent accorder de l’attention que dans son contexte. Ce qui a réellement été dit comprenait un clair contenu de classe: «Vous avez souvent entendu l’appel à la guerre sainte, de la part de vos gouvernements, vous avez marché sous la bannière verte du prophète, mais toutes ces guerres saintes étaient fausses, car elles ont seulement servi les intérêts de vos dirigeants égoïstes et vous, travailleurs et paysans, êtes resté dans l’esclavage et le manque après ces guerres… Maintenant, nous vous appelons à la première véritable guerre sainte pour votre propre bien-être, pour votre propre liberté, votre propre vie !»

    Lors de ce Congrès, il a été souligné encore et encore que la lutte devait être menée contre «les mollahs réactionnaires de notre propre entourage» et que les intérêts des pauvres à l’Est étaient liés à ceux de la classe ouvrière à l’Ouest.

    La Révolution de 1917 a inspiré des millions de personnes à travers le monde. D’immenses couches de pauvres des nations opprimées se sont rassemblés derrière la bannière du premier Etat ouvrier, y compris beaucoup de musulmans. L’attitude de Lénine et de Trotsky consistait à insister sur le point que rejoindre le pouvoir des soviets signifiait la libération nationale et la liberté religieuse. C’était le point le plus crucial étant donné l’histoire répugnante de la Deuxième Internationale social-démocrate qui a soutenu l’oppression coloniale et en déclarant cela, Lénine et Trostky n’ont pas affaibli leur programme socialiste. Au lieu de cela, ils ont insisté sur le fait que la voie vers la liberté ne se trouvait pas dans l’unité avec sa propre bourgeoisie nationale mais au contraire avec la classe ouvrière mondiale dans la lutte contre l’impérialisme mais aussi contre leurs «propres» propriétaires terriens féodaux et contre les mollahs réactionnaires qui avaient ces derniers.

    Quelles leçons pour aujourd’hui?

    En Asie centrale, Lénine et Trotsky ont tenté de gagner une population paysanne à prédominante musulmane qui luttait pour ses droits nationaux, à la bannière de la révolution mondiale, sur un fond de lutte désespérée pour la survie du premier Etat Ouvrier. En Grande-Bretagne aujourd’hui nous tentons de gagner une minorité opprimée de la classe ouvrière à la bannière du socialisme.

    Dans bien des sens, notre tâche est de loin plus facile. La grande majorité des musulmans en Grande-Bretagne est issue de la classe ouvrière et beaucoup d’entre eux travaillent dans des lieux de travail ethniquement mixtes, particulièrement dans le secteur public. Le massif mouvement anti-guerre a donné un aperçu du potentiel qui est présent pour un mouvement unifié de la classe ouvrière, avec des musulmans intégralement englobés dans ce processus. La création d’un nouveau parti de masse des travailleurs qui mènerait campagne sur une base de classe à la fois sur les questions générales ainsi que contre le racisme et l’islamophobie constituerait un énorme pôle d’attraction pour les travailleurs musulmans tout en commençant à détruire les préjugés et le racisme.

    Cependant, l’absence d’un tel parti actuellement amplifie les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Dans les années ‘90, l’effondrement des régimes d’Europe de l’Est et d’Union Soviétique a fourni au capitalisme mondial une opportunité pour écarter la question du socialisme en présentant le socialisme comme un échec en mettant faussement sur un pied d’égalité le socialisme et les régimes staliniens. Cela a permis aux classes dirigeantes de mener un assaut idéologique contre les idées du socialisme. L’aile droite du Parti Travailliste, comme de la social-démocratie partout à travers le monde, s’est servie de cette occasion pour abandonner toute référence au socialisme dans leur programme et pour devenir des partis clairement capitalistes.

    Plus d’une décennie après l’effondrement du stalinisme, une nouvelle génération tire la conclusion que le capitalisme est incapable de satisfaire les besoins de l’humanité et parmi elle une minorité en arrive à des conclusions socialistes. Néanmoins, la conscience reste en recul derrière la réalité objective, et le socialisme n’est pas encore devenu une force de masse.

    Etant donné le vide qui existe par conséquent, des jeunes radicalisés recherchent une alternative politique. Une petite minorité de jeunes musulmans en Grande Bretagne regarde vers des organisations de l’islam politique de droite telles que Al-Muhajiroun. L’absence d’alternative offerte par de telles organisations est démontrée par leur opposition au mouvement anti-guerre, sous le prétexte qu’il engage les musulmans à manifester à côté de non-musulmans. La majorité des jeunes musulmans radicaux ont été dégoûtés par des organisations comme Al-Muhajiroun et ont compris la nécessité d’un mouvement anti-guerre unifié. Le potentiel pour construire une base forte pour les socialistes parmi les musulmans existe sans aucun doute, mais seulement si notre engagement à leur côté se fait avec une argumentation pour le socialisme.

    Il y a partout à travers le monde de grands parallèles à faire avec la situation à laquelle les bolcheviks ont été confrontés, bien que les différences restent grandes. En Irak aujourd’hui, par exemple, les marxistes sont confrontés à la tâche difficile de reconstruire des organisations ouvrières indépendantes et de mobiliser les travailleurs et les masses pauvres en défense de leurs droits, y compris le droit de s’organiser indépendamment des organisations islamiques dont le programme n’offre pas d’alternative aux masses irakiennes. Les leçons du 20ème siècle soulignent les dangers qu’encourent les socialistes s’ils renoncent à leur programme indépendant. Au Moyen Orient en particulier, c’est l’échec des Parti Communistes de masse à conduire la classe ouvrière au pouvoir qui a permis à l’islam politique de droite de l’emporter. Lors de la Révolution iranienne de 1978-79, la classe ouvrière a dirigé un mouvement qui a renversé la monarchie brutale et soumise à l’impérialisme. Le Parti Communiste Tudeh était la plus grande force de gauche en Iran, mais il n’a pas poursuivi une politique ouvrière indépendante. Au lieu de cela, il s’est lié à l’Ayatollah Khomeini malgré les tentatives du clergé pour étouffer le mouvement ouvrier indépendant. Le résultat a été l’arrivée au pouvoir du régime de Khomeini qui a écrasé le Toudeh et a assassiné les éléments les plus conscients de la classe ouvrière.

    D’un autre côté, malgré les difficultés énormes auxquelles ils ont été confrontés, les bolcheviks ont donné un aperçu de la seule voie vers la libération (que ce soit la libération nationale ou encore religieuse) : la classe ouvrière mondiale unifiée autour d’un programme socialiste.

    Les 80 années qui ont suivi ont été un cauchemar d’oppression nationale pour les mêmes minorités qui avaient goûté à la libération durant les années qui ont directement suivi la révolution. Le stalinisme d’abord et maintenant le capitalisme ont signifié l’oppression brutale pour les minorités de la région. Après l’horreur de Beslan, le danger d’une nouvelle guerre caucasienne est présent. La cruauté des preneurs d’otages à Beslan a très justement choqué le monde, et nulle cause ne peut justifier de telles actions inhumaines. Néanmoins, les origines de la situation actuelle sont liées à l’horrible assujettissement du peuple tchétchène par les gouvernements russes successifs, avec 250.000 tués et la capitale Grozny rasée. C’est l’incapacité complète du capitalisme au 21ème siècle de résoudre la question nationale qui va mener une nouvelle génération à redécouvrir le véritable héritage des bolcheviks.

    Les bolcheviks et les musulmanes.

    Le JENOTDEL (Le bureau des ouvrières et des paysannes) a mené une campagne pour aller vers les paysannes opprimées du monde soviétique, souvent en prenant un grand risque. En Asie Centrale, les militants du Jenotdel ont organisé des «yourtes rouges» («tentes rouges») où les femmes de la région se voyaient offrir une formation pour différents métiers, l’alphabétisation, une formation politique et ainsi de suite.

    Cependant, comme la révolution est restée isolée, cette démarche n’a pas pu pleinement réussir (ni dans les régions musulmanes, ni dans l’Union Soviétique) parce que la révolution, dans un pays économiquement arriéré, était incapable de fournir les moyens économiques et culturels pour libérer les femmes. Trotsky avait décrit comment la nouvelle société envisageait de fournir des maternités, des crèches, des jardins d’enfants, des écoles, des cantines sociales, des laveries collectives, des stations de premiers secours, des hôpitaux, des sanatoriums, des organisations athlétiques, des théâtres, tous gratuits et de haute qualité pour donner à la femme et ainsi au couple amoureux une véritable libération des chaînes d’oppression millénaires.

    Mais il continuait d’expliquer «il s’avérait impossible de prendre d’assaut la vieille famille, non pas parce que la volonté manquait, ou parce que la famille était si fermement ancrée dans les cœurs des hommes. Au contraire, après une courte période de méfiance envers le gouvernement et ses crèches, jardins d’enfants et institutions comme celles-ci, les ouvrières et après elles les paysannes les plus avancées ont apprécié les avantages infinis de la prise en charge collective des enfants ainsi que de la socialisation de toute l’économie familiale. Malheureusement, la société était trop pauvre et trop peu cultivée. Les véritables ressources de l’Etat ne correspondaient pas aux plans et aux objectifs du Parti Communiste. On ne peut pas «abolir» la famille, il faut la remplacer. La véritable libération des femmes est irréalisable sur la base de la «pénurie généralisée». L’expérience prouvera bientôt cette austère vérité que Marx avait formulé 80 ans auparavant» (La Révolution trahie).

    La «pénurie généralisée» était particulièrement aiguë en Asie Centrale. Pratiquement, cela signifiait que les femmes qui s’évadaient des situations familiales répressives étaient confrontées à la famine comme elles n’avaient littéralement pas de moyens de soutien alternatifs. Même si les moyens économiques avaient existé pour libérer les femmes du fardeau domestique et leur permettre d’avoir un rôle économique indépendant, il n’y a pas de doute que le nouvel Etat ouvrier aurait toujours été confronté à de la résistance, particulièrement dans les régions économiquement arriérées où la classe ouvrière n’existait pas encore. Cependant, comme Trotsky l’a décrit, après une période, sur la base des ressources fournies, l’écrasante majorité en serait venue à comprendre les avantages de la libération des femmes.

  • Irak : Un chaos semé par les impérialistes

    L’opération « shock and awe » (choc et effroi) menée par les impérialistes (avec les USA à leur tête) en mars 2003 a été le début (et la suite) de la défense de leurs intérêts économiques et géostratégiques. Plus de 10 ans après, alors que Bush osait parler de « mission accomplie » en 2013 la situation n’a jamais été aussi grave pour les Irakiens. Les commentateurs bourgeois font mine de découvrir l’éclatement et a division du pays, alors que celle-ci a commencé à cause de la guerre impérialiste et ceci dès 2003.

    Par Virginie Prégny, Gauche Révolutionnaire (CIO-France)

    C’est sur une opération de mensonges sur les supposées armes de destruction massive que la guerre contre l’Irak a été déclenchée. L’ironie dramatique est que ce sont les impérialistes eux-mêmes qui avaient armé et financé le dictateur Saddam Hussein. Ce sont eux aussi qui ont nourri les tensions confessionnelles entre sunnites, chiites et kurdes principalement. Le régime de Saddam Hussein a mis la minorité sunnite au pouvoir. Après l’invasion de l’Irak, c’est le chiite Nouri Al Maliki qui, soutenu et conseillé par les impérialistes, a été mis à la tête d’un gouvernement multiconfessionnel, alors que les USA se donnaient comme priorité de former une armée irakienne (la colonne vertébrale de tout État !), plus important à leurs yeux que de remettre sur pieds services publics et les logements qu’ils ont détruits !

    L’hypocrisie est à son comble ces derniers mois, car les impérialistes et les médias à leur solde oublient souvent de mentionner que Daesh (acronyme en arabe signifiant «l’État islamique en Irak et au Levant», devenu juste État Islamique) trouve ses racines dans la résistance des sunnites suite à l’invasion donc dès 2003. Poussées par la violence, les humiliations quotidiennes et la pauvreté grandissante, les masses sunnites ont graduellement apporté leur soutien à divers groupes luttant pour le djihad. Ces milices ont été financées et armées par la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar, avec l’approbation des USA, qui voyaient là un moyen d’affaiblir le pouvoir de Assad en Syrie et de créer un futur ennemi pour l’Iran.

    La guerre civile est une réalité qui s’est renforcée durant toute l’occupation et depuis le départ des troupes américaines. Les impérialistes réfléchissent à divers plans d’intervention, mais avec le sac de nœuds qu’ils ont créé à chaque intervention toute initiative peut enflammer encore plus toute la région. La décision de procéder à des frappes aériennes, ou celle de soutenir une partie des troupes kurdes alors que les impérialistes n’ont jamais soutenu le droit à l’autodétermination de ce peuple, montrent avant tout que les impérialistes n’ont guère de vraie solution à apporter au cauchemar qu’ils ont créé.

    De l’autre côté la coalition de Daesh repose sur un équilibre très instable, qui lui aussi pourrait enflammer la région à n’importe quel moment, tant les intérêts en jeux sont des enjeux de contrôle, de pouvoir et d’argent. Les actes de barbarie menés par des chefs qui se servent de la religion pour s’enrichir et dominer sont l’exact reflet des politiques des impérialistes qui mènent leurs guerres avec les mêmes prétextes et pour les mêmes résultats. Il est difficile de savoir comment les événements vont se développer, il est possible qu’un long conflit s’ouvre et déjà des centaines de milliers de civils innocents paient un prix lourd.

    La colère des masses irakiennes est plus que justifiée (quelques que soient les confessions) et il revient d’abord aux Irakiens eux-mêmes de décider de leur avenir. Mais ni l’enfermement dans une guerre fratricide ni le djihad ne sont une solution. L’Irak avait une gauche forte avant qu’elle soit décimée par la CIA. Les impérialistes feront tout ce qu’ils peuvent pour empêcher la renaissance des idées socialistes dans la région, de même que les chefs de guerre qui se proclament djihadistes. Pourtant, c’est bien là que se trouve la solution. Les masses sunnites, chiites, kurdes ont bien plus en commun entre elles qu’avec n’importe quel suppôt de l’impérialisme, ou Emir ou Ayatollah qui vit dans le luxe. Si une résistance doit se former contre les armées de Daesh, elle devra l’être en refusant toute division ethnique, religieuse ou culturelle, et en portant un programme économique et social qui défende la satisfaction des besoins sociaux de toute la population.

    La leçon la plus importante à tirer de cette tragédie est que les travailleurs et pauvres ont besoin de leur propre parti indépendant qui défende leurs intérêts. Un tel parti pourrait nationaliser l’industrie pétrolière sous le contrôle et la gestion démocratique des travailleurs, et poser les bases d’une société socialiste où chacun pourra vivre dignement et s’exprimer librement.

  • Quelle voie entre impérialisme, régimes militaires, forces laïques capitalistes et fondamentalistes religieux ?

    Révolution et contre-révolution au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

    L’accord russo-américain conclu le 14 septembre dernier à Genève, destiné à placer l’arsenal chimique syrien sous contrôle international en vue de son démantèlement a, pour l’instant, éloigné la menace directe d’une intervention impérialiste en Syrie. Ce sanglant conflit dont sont victimes les masses syriennes est loin d’être pour autant résolu, et la destruction effective des stocks d’armes chimiques, en pleine guerre civile, est loin d’être garantie. Quelle est l’issue de sortie pour les masses, coincées entre les forces du régime dictatorial de Bachar el-Assad, celles des fondamentalistes islamistes et celles de l’opposition capitaliste ?

    Par Nicolas Croes

    Les médias dominant n’ont pas lésiné sur les images horribles de victimes tombées sous l’impact des armes chimiques. Le sensationnalisme, une fois de plus, a été lourdement utilisé dans le but de faire perdre toute distance par rapport aux évènements et de les réduire à leur apparence immédiate. Jouer sur l’émotionnel pour dévier toute réflexion n’est pas une pratique neuve, loin de là.

    Comme souvent, nous avons eu sous les yeux un véritable festival d’hypocrisie. Certains ont pu croire que le conflit syrien venait d’éclater, tant le contraste était grand avec la manière dont ont été traitées les dizaines de milliers de victimes tombées depuis plus de deux ans et demi en Syrie. L’indignation médiatique de l’establishment n’explose qu’en fonction des intérêts de ce dernier, à l’image de la couverture des conditions de vie des masses de toute la région – dominées par la misère, la famine, les inégalités sociales et régionales, l’absence d’avenir et la lutte pour les droits nationaux et démocratiques – dont il n’est question que très périodiquement et de manière totalement biaisée. Ce dernier point est pourtant fondamental.

    Hypocrisie aussi de la part de l’impérialisme américain pour qui le recours aux gaz toxiques est maintenant un crime contre l’humanité alors que le plus gros stock d’armes chimiques se trouve aux Etats-Unis et qu’aucune puissance n’en a fait usage avec autant d’enthousiasme, pendant la guerre du Vietnam entre autres. Il n’est pas le seul dans ce cas, le gouvernement allemand a ainsi récemment reconnu avoir autorisé l’exportation de produits chimiques vers la Syrie entre 2002 et 2006.

    Un mouvement révolutionnaire spontané, mais qui ne surgit pas de nulle part

    Cela fera 3 ans ce 17 décembre qu’une vague révolutionnaire a déferlé de Tunisie, puis d’Egypte, sur quasiment tous les pays de la région, du Maroc jusqu’au Yémen et au Bahreïn. Mais si les médias dominants ont concentré leur attention sur le rejet des dictatures et les aspirations démocratiques, la colère des masses se basait aussi puissamment sur la lutte pour des revendications sociales et économiques contre la pauvreté, le chômage de masse, le démantèlement des services publics (particulièrement sévère depuis les années ’90),… La jeunesse, dont le poids est monumental dans la région (66% de la population égyptienne a moins de 25 ans par exemple), n’avait aucune perspective d’avenir face à elle.

    Ces mouvements ne sont donc pas apparus comme par magie et, pour qui savait les voir, des signes avant-coureurs existaient sous la surface de la stabilité apparente des dictatures. En Egypte, on dénombrait ainsi 194 grèves par an entre 2004 et 2008 (essentiellement dans les centres textiles et autour du canal de Suez). Entre 2008 et 2010, il y a eu 1600 grèves chaque année. En Tunisie, le bassin minier de Gafsa s’était soulevé en 2008, donnant lieu aux troubles sociaux les plus importants connus en Tunisie depuis les ‘‘émeutes du pain’’ en 1984 et depuis l’arrivée au pouvoir de Ben Ali en 1987. Au Liban (en 2005) et en Iran (en 2009), des mobilisations de masse avaient également ébranlé les régimes en place. Même si ces deux derniers mouvements n’étaient pas directement liés aux thématiques sociales (l’assassinat de l’ancien président du conseil Rafic Hariri au Liban, imputé au régime syrien, et la fraude électorale massive lors des élections présidentielles en Iran), ces dernières étaient loin d’être absentes et constituaient d’ailleurs le principal danger pour les régimes en place.

    C’est pourquoi, à l’occasion de son 10è Congrès Mondial (début décembre 2010), le Comité pour une Internationale Ouvrière (dont le PSL est la section belge) avait déclaré dans son document consacré au Moyen Orient et à l’Afrique du Nord ‘‘tous les despotes et les régimes autoritaires de la région ont peur de mouvements de révolte de masse. Des mouvements en Iran ou en Egypte sont possibles, qui peuvent alors en inspirer d’autres. Si la classe ouvrière n’en prend pas la direction, ces mouvements peuvent prendre des directions très différentes.’’

    Les difficultés du processus

    Une colère massive qui s’exprime enfin n’est pas suffisante pour conduire à la victoire. Un processus révolutionnaire est par nature complexe et, même dans le cas du renversement de dictateurs, du chemin reste encore à faire jusqu’à l’effondrement du système. Les mouvements en Tunisie et en Egypte avaient réussi à surprendre l’impérialisme occidental et les forces régionales, qui plus est dans des pays à fortes traditions ouvrières (ce n’est d’ailleurs aucunement un hasard si Ben Ali, en Tunisie, et Moubarak, en Egypte, ont quitté le pouvoir à l’occasion de grèves), mais il était hors de question de laisser les choses se développer ainsi dans une région tellement cruciale. Au Bahreïn, les forces armées saoudiennes et émiraties sont rapidement et brutalement intervenues au secours du régime. La répression fut féroce, sous le regard bienveillant des alliés occidentaux. Là-bas, les travailleurs et les pauvres n’ont même pas pu compter sur des larmes de crocodile de Washington, Londres ou Paris. Ailleurs aussi (comme au Yémen), la répression fut sanglante, à peine commentée par de vagues déclarations d’indignation diplomatiques. Cela permet de remettre la ‘‘guerre humanitaire’’ en Libye et les menaces d’intervention en Syrie à leur juste place.

    L’intervention impérialiste en Libye ne visait en rien à défendre la population. Les puissances impérialistes occidentales avaient d’ailleurs conclu d’avantageux marchés avec Kadhafi sur la dernière période de son règne. Il était en fait surtout crucial pour l’impérialisme de parvenir à stopper la vague des révolutions avant qu’elle ne frappe également des alliés fiables tels que l’Arabie Saoudite et les États du Golfe. Pour récupérer le contrôle de la région et de ses matières premières, faire sauter un fusible comme Kadhafi était une option très envisageable. En Syrie, intervenir directement était une autre paire de manches. Les interventions n’étaient toujours pas finies en Irak et en Afghanistan que s’ajoutait celle de Libye, les divisions ethniques et religieuses plus fortes rendaient l’aventure extrêmement périlleuse, l’armée syrienne représentait une force d’un tout autre calibre et le régime disposait, comme aujourd’hui, d’alliés solides désireux de garder un pied dans la région (la seule base navale méditerranéenne russe est en Syrie).

    Mais si aucune intervention directe n’a eu lieu à l’époque, une aide matérielle, logistique et humaine est arrivée pour ‘‘soutenir’’ l’opposition (à partir des alliés de l’impérialisme américain à géométrie variable que sont l’Arabie Saoudite et le Qatar) et, surtout, pour assurer que la voie révolutionnaire soit déviée de cette manière. Les alliés saoudites et qataris ont cependant leurs intérêts propres, et ont fortement aidé au développement des forces fondamentalistes sur place. Il était devenu nécessaire que les Etats-Unis livrent eux-mêmes directement leurs armes afin de s’assurer eux-aussi une base de soutien (ce qui a – officiellement – commencé dès que l’accord de Genève a été conclu en septembre dernier).

    Une seule force favorable aux travailleurs et aux jeunes : eux-mêmes

    L’impact qu’aurait une intervention impérialiste directe en Syrie peut se mesurer à l’échec de l’intervention en Libye. Le peu d’infrastructures que possédait le pays ont été détruites par l’invasion et, plus de deux ans plus tard, des régions entières du pays restent incontrôlées, si ce n’est par des milices lourdement armées. Le conflit s’est, de plus, étendu au Mali.

    L’absence de perspectives d’un pouvoir alternatif stable pour l’impérialisme ainsi que le risque d’extension du conflit sont des dangers plus grands encore en Syrie. Le pays est devenu un terrain extrêmement complexe où se mêlent le Hezbollah libanais, l’Iran, la Russie et la Chine dans le camp pro-Assad et, d’autre part, Al Qaeda, l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie, l’Egypte (jusqu’au renversement des Frères Musulmans), les Etats-Unis et l’Union Européenne dans le camp de l’opposition. Chaque force en présence a également ses intérêts propres, sur fond de conflits entre sunnites (courant majoritaire de l’Islam) et chiites (courant minoritaire), de même qu’au sein de ces courants. Au Liban voisin déjà, les attentats meurtriers ont refait leur apparition. Le 15 août dernier, une bombe a explosé en plein fief du Hezbollah (chiite et pro-Assad), une attaque inédite dans un endroit aussi surprotégé. Une trentaine de personnes sont décédées et il y a eu plus de 300 blessés. Une semaine plus tard, deux mosquées sunnites ont explosé, causant 45 morts, avec une implication probable du régime syrien.

    Cependant, notre opposition résolue à toute intervention impérialiste ne nous place pas pour autant dans le camp de Bachar el-Assad ou dans celui de l’opposition syrienne de l’Armée Syrienne Libre (qui fourmillent d’anciennes figures du régime) ou des diverses forces djihadistes. Seule l’énergie des masses est en mesure de balayer à la fois l’impérialisme et les régimes réactionnaires de toutes sortes, pour autant qu’elles soient armées d’un programme et de méthodes capables de mobiliser par delà les divisions ethniques et religieuses.

    Cela ne saurait être possible que sur base d’un programme qui articule ses revendications autour de l’auto-défense des masses (à l’aide de la création de comités d’auto-défense non-sectaires et démocratiquement dirigés) en liaison avec la réponse aux questions sociales fondamentales (dans ce cadre, retirer les secteurs-clés de l’économie des mains des capitalistes pour les placer dans celles des travailleurs et des pauvres est un élément de première importance). A l’exemple de ce qui s’était développé de manière embryonnaire en Tunisie et en Egypte au début de la vague révolutionnaire, des comités de lutte et d’auto-défense ont le potentiel de constituer les germes d’un nouveau pouvoir basé sur la démocratie des travailleurs.

    L’ennemi de mon ennemi : un allié ?

    Dans le monde, nombreux sont ceux qui se sont réjouis de voir l’impérialisme américain si affaibli à travers le prisme de la crise syrienne. Au niveau interne, l’opposition à la guerre est tellement gigantesque (seuls 9% des Américains soutiennent une intervention) que les élus se sont retrouvés sous une pression monumentale, tant parmi les Républicains que parmi les Démocrates. Obama, en demandant le vote du Congrès, courait le risque d’essuyer le camouflet qu’a eu à subir le Premier Ministre britannique David Cameron, dont la volonté va-t-en-guerre a été bloquée par le Parlement, également sur fond d’une opposition massive dans la population.

    Il n’a du reste jamais été aussi difficile aux USA de réunir des alliés pour les accompagner dans une aventure guerrière. Seul le gouvernement français a clairement marqué son approbation, et le gouvernement turc semblait vouloir embrayer lui aussi. Mais, dans les deux pays, l’opposition aussi était de taille : 56% des Français et 72% des Turcs.

    A gauche, le principe ‘‘l’ennemi de mon ennemi est mon ami’’ garde toujours ses partisans, et c’est très certainement le cas vis-à-vis des Etats-Unis suite à la longue période de recul idéologique qui a suivi la chute de l’URSS combinée au statut de superpuissance hégémonique des USA depuis lors. Le courant dominant affirmant qu’il n’y avait pas d’alternative au capitalisme était très fort, et se limiter à l’anti-impérialisme et à une rhétorique ‘‘progressiste’’ où on parlait de société solidaire et non plus socialiste était une voie qui semblait plus facile à tenir. Certains avaient ainsi soutenu Ahmadinejad ‘‘l’anti-impérialiste’’ en Iran en 2009, allant jusqu’à déclarer que les mobilisations de masse étaient fomentées par la CIA… De façon similaire, nombreux sont ceux qui se sont fermement agrippés au prétexte de l’anti-impérialisme pour faire l’éloge de Bachar el-Assad, de son prétendu nationalisme progressiste et de sa prétendue lutte contre Israël en se cachant aussi derrière le soutien apporté à ce régime dictatorial par le Parti ‘‘Communiste’’ Syrien (membre du Front National Progressiste, le pilier du règne du parti Baath d’Assad).

    En Belgique, le PTB et le Parti Communiste Wallonie-Bruxelles ont ainsi signé une déclaration opposée à une intervention militaire impérialiste en Syrie qui ne dit pas un mot sur la nature du régime syrien. Leur signature se trouve aux côtés de 63 Partis ‘‘Communistes’’, dont le Parti Communiste Syrien pro-Assad. Si nous comprenons bien le sentiment d’urgence que peut provoquer la menace d’une intervention, nous trouvons extrêmement dommageable pour le développement du mouvement anti-guerre de laisser le moindre espace aux forces pro-Assad, notamment dans l’émigration. Des incidents de cet ordre avaient d’ailleurs eu lieu lors d’un rassemblement anti-guerre à Bruxelles où, sur base d’une plateforme qui entretenait le flou concernant l’attitude à adopter face à la dictature, étaient intervenus des militants pro-Assad, qui s’en sont d’ailleurs pris physiquement à ceux qu’ils jugeaient trop critiques. Il est impossible de renouer avec la tradition d’un mouvement anti-guerre massif dans de pareilles conditions.

    Armer l’opposition ?

    Une autre approche, mais tout aussi erronée, est de soutenir les rebelles syriens en entretenant le flou sur leur caractère et les méthodes de soutien. Nous avons ainsi été extrêmement surpris de lire un communiqué de presse du NPA français (Nouveau Parti Anticapitaliste) où Olivier Besancenot demandait que la France ‘‘donne gracieusement des armes aux révolutionnaires syriens’’ tout en précisant… qu’il ne faisait ‘‘pas confiance’’ à l’Etat français ! Bien que précisant qu’il ne fallait pas que les armes finissent chez des djihadistes, il demandait tout de même : ‘‘qui peut avoir la légitimité de décider à la place des autres ?’’ En Belgique, cette approche est partagée par la LCR qui affirme que ‘‘le peuple syrien a besoin que des armes soient livrées aux forces de la rébellion’’. Mais qui livrerait ces armes ? Et à quel prix politique ? Nous pensons que le droit des peuples à décider d’eux-mêmes ne nous empêche pas d’être plus précis quant à l’orientation à donner à la lutte.

    Encore une fois, nous comprenons tout à fait où peut conduire le sentiment d’urgence, mais cette analyse des évènements avant tout ‘‘militaire’’ nous semble très insuffisante. Seules les méthodes de masse basées sur un programme de rupture avec le régime et ses bases économiques peut réunir au-delà des frontières confessionnelles, jusqu’à provoquer des ruptures au sein de l’armée. La meilleure manière de lutter contre les tanks d’Assad est d’œuvrer à les retourner contre lui.

    Les forces capables de défendre ce programme et ces méthodes en Syrie peuvent bien être limitées pour l’instant, pour autant qu’elles soient déjà organisées, mais il ne faut pas non plus oublier le contexte régional de révolution et de contre-révolution dont est issue la révolte syrienne de 2011. Dernièrement encore, plus d’un million de personnes ont manifesté dans les rues voisines de Turquie contre le gouvernement Erdogan, et là aussi le génie des mobilisations de masse est sorti de sa lampe.

    A ce titre, un programme et une approche internationalistes conséquents doivent être défendus dans toute la région, notamment en Tunisie et en Egypte où, si des dictateurs ont pu tomber, le pouvoir reste toujours aux mains de la même élite. Toujours sous l’argument de ‘‘l’ennemi de mon ennemi’’, en Tunisie, la direction du Front Populaire – appuyée d’ailleurs par certains partisans de l’organisation internationale de la LCR (le Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale, dont est également membre Besancenot) ainsi que par le Parti des Travailleurs de Tunisie (PTT, partenaire privilégié du PTB dans le pays) – a conclu un accord contre Ennhada, le parti islamiste au pouvoir, avec Nidaa Tounes, le parti laïc pro-capitaliste où se sont réfugiés nombre d’anciens laquais du dictateur Ben Ali. C’est la meilleure manière de démoraliser et de désorienter les travailleurs et les jeunes, tout en laissant à Ennhada et ses alliés l’argument que ce sont eux les vrais révolutionnaires, car ils ne sont pas alliés aux forces de l’ancien régime.

    Une perspective socialiste

    La crise du capitalisme, la perte d’autorité des élites et la riposte des masses en défense de leurs conditions de vie et pour gagner de nouveaux droits ouvrent de nouvelles perspectives pour que les idées socialistes gagnent une échelle de masse. Mais les millions de travailleurs et de jeunes qui sont aujourd’hui à la recherche d’une alternative et d’une méthode de lutte ont encore à faire leur expérience et à combler le fossé entre l’état de conscience général actuel (héritage des 20 dernières années de règne du néolibéralisme tout autant que des trahisons du stalinisme et de la social-démocratie) et les tâches qu’exige le renversement du capitalisme. Les forces de gauche doivent aider à faire avancer ce processus, et donc honnêtement tirer le bilan de leurs analyses passées et présentes.

    C’est dans ce cadre que le Comité pour une Internationale Ouvrière déploie son activité dans plus d’une quarantaine de pays, notamment dans cette région, afin de construire un instrument révolutionnaire international où se partagent les leçons des luttes passées et présentes afin de mieux coordonner le combat contre cette société capitaliste putride et construire une société débarrassée de la misère, de la guerre et de l’exploitation, une société socialiste.

  • Les conséquences du 11 septembre : Un monde mis sens dessus-dessous

    Dix ans ont passé depuis que les tours jumelles du World Trade Center se sont effondrées à New York. Dans la période qui a suivi cette attaque terroriste, l’impérialisme américain a déclenché un massacre de masse en Afghanistan et en Irak, poussant certains à croire que s’était ouverte une ère de domination totale du monde par une seule superpuissance. Mais la crise économique mondiale actuelle et l’impuissance des États-Unis face à la révolution en Afrique du Nord et au Moyen-Orient a au contraire démontré la fausseté de ce point de vue. Dans cet article, Peter Taaffe, secrétaire général de la section du CIO en Angleterre et Pays de Galles (le Socialist Party) analyse les nombreux bouleversements qu’a connu la situation mondiale depuis lors.

    Par Peter Taaffe

    Les effroyables attentats terroristes du 11 septembre 2011 à New York, en Pennsylvanie et à Washington ont été un des moments déterminants de l’Histoire récente. La mort de milliers de gens a fourni à la réaction capitaliste – dirigée par le président américain George W Bush et le premier ministre britannique de l’époque, Tony Blair – l’excuse de déclencher une nouvelle ère de terrible guerre impérialiste et de distiller partout les relents empoisonnés de la division ethnique et du racisme, dirigés en particulier contre les citoyens de confession musulmane. Cela a résulté en une somme colossale de morts et de destruction, qui a infligé une incommensurable misère et souffrance sur des millions de travailleurs et de pauvres, en particulier dans le monde néocolonial.

    Dès ce moment, le Socialist Party a condamné sans ambages Al-Qaïda, l’organisation à l’origine de ces attaques, décrivant ses méthodes comme étant celles de ‘‘petits groupes utilisant un terrorisme de masse’’. Au même moment, nous n’avons jamais accordé le moindre soutien à Bush, à Blair, ni à la cacophonie des médias capitalistes qui appelaient alors au déclenchement mondial d’une “guerre contre le terrorisme”. En réalité, ces gens ont utilisé le 11 septembre pour justifier l’emploi de la terreur d’État contre des populations sans défense et innocentes partout dans le monde, symbolisée par les salles de torture de Guantánamo et par la tristement célèbre prison d’Abu Ghraib en Irak.

    Toutefois, ce point de vue politique n’a pas été partagé même par certains groupes de gauche, qui préféraient rester équivoques et refusaient de condamner ces attaques. Ce refus était une approche profondément erronée, qui risquait d’aliéner la majorité des travailleurs, dégoutée par le carnage à New York et à Washington. En outre, cela amenait alors la possibilité pour Bush et Blair de rallier ces travailleurs à leur cause pour les préparatifs de l’invasion en Afghanistan puis en Irak.

    Tout au long de l’Histoire, le marxisme s’est toujours opposé à l’emploi de méthodes terroristes. En Russie, le marxisme a été dès le départ forcé de s’opposer à ces méthodes dans la lutte contre le régime brutal et dictatorial du tsar. Les marxistes opposaient à ces méthodes la lutte de masse de la classe ouvrière qui, alliée aux paysans (et en particulier les masses rurales pauvres), était pour eux la seule force capable de mener une lutte victorieuse contre le tsarisme.

    Léon Trotsky comparait le terrorisme au ‘‘libéralisme capitaliste, mais avec des bombes’’. Cela peut nous sembler étrange aujourd’hui. Il est inconcevable, par exemple, d’imaginer que Nick Clegg, dirigeant des libéraux-démocrates britanniques et vice-premier ministre du Royaume-Uni, associé à des actes terroristes ! Mais les idées de Trotsky demeurent valides de nos jours. Les libéraux croient qu’un changement fondamental peut être obtenu par le simple retrait de tel ou tel ministre, voire gouvernement. Le terroriste partage ce point de vue, mais via des méthodes violentes. Le remplacement d’un ministre ou d’un gouvernement n’est pas une condition suffisante pour accomplir un réel changement social. Pensons-nous que l’élimination du gouvernement britannique actuel, par exemple, et l’arrivée au pouvoir du travailliste Ed Miliband et de son New Labour serait un facteur capable de modifier la situation en profondeur ? Poser la question, c’est déjà y répondre. Parce qu’un gouvernement Miliband serait toujours fermement ancré dans le cadre du capitalisme, aucun changement substantiel n’en découlerait, en particulier en ce qui concerne les conditions sociales de la masse de la population.

    Al-Qaïda, cependant, était un genre entièrement différent de groupe terroriste. Malgré les tentatives de certains groupes de gauche d’embellir l’image des terroristes islamistes, Al-Qaïda est ancrée dans les doctrines du wahhabisme, une version médiévale de l’islam sunnite et le crédo dominant du régime théocratique d’Arabie saoudite. Dans le passé, les groupes terroristes qui se basaient, au moins en théorie, sur la réalisation des intérêts sociaux des masses, se lançaient dans l’assassinat de figures publiques particulièrement réactionnaires, de membres de gouvernements, etc. Les origines d’Al-Qaïda, avec son opposition messianique non sur une base de classe mais contre les “infidèles” et le “Grand Satan” que sont les États-Unis, signifie que cette organisation utilise une terreur de masse indiscriminée. Non seulement elle a attaqué les États-Unis et ses alliés, mais a également abattu d’innocents travailleurs et pauvres. Cela était évident lors du 11 septembre, mais aussi lors d’autres attentats terroristes auparavant et depuis lors.

    Le correspondant du journal The Independent Patrick Cockburn, a souligné ce fait : ‘‘On mentionne toujours trop peu dans les médias occidentaux un aspect particulièrement malsain des activités d’Al-Qaïda : cette organisation a toujours tué plus de musulmans chi’ites que d’Américains. Ce groupe était sectaire avant d’être nationaliste. Les chi’ites étaient considérés comme des hérétiques, aussi dignes de mourir que tout soldat américain ou britannique. Encore et encore, les kamikazes d’Al-Qaïda ont ciblé de simples travailleurs chi’ites sur les places publiques de Bagdad tandis qu’ils se rendaient au travail tôt matin, quand ce n’était pas des bombes massives qui explosaient au moment où les fidèles chi’ites quittaient leurs mosquées’’. C’est le même tableau qui émerge au Pakistan, où les talibans (une filiale d’Al-Qaïda) massacraient les musulmans chi’ites partout où ils les voyaient.

    De plus, Al-Qaïda n’est pas réellement parvenue au cours des dix dernières années à engranger le moindre véritable succès contre l’impérialisme américain ou ses régimes vassaux au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Le principal groupe autour d’Oussama ben Laden était fort restreint, de sorte que son étendard était “donné en franchise” à d’autres groupes terroristes islamistes partout dans le monde. L’idée selon laquelle on avait affaire à une sorte “Internationale islamiste” n’a jamais été qu’une grossière exagération. Le seul moment où ce groupe est parvenu à rassembler quelque chose qui ressemble à une véritable force était en Afghanistan dans les montagnes de Tora Bora, probablement entre 1996 et 2001.

    Lutte de masse

    Au cours des magnifiques révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, à commencer par la Tunisie puis par l’Égypte, Al-Qaïda n’a eu que peu voire aucune influence. Comme nous l’avions prédit – à l’encontre de nombreux groupes de gauche, tels que le Socialist Workers Party au Royaume-Uni, qui s’est adapté à des organisations basées sur un islam politique de droite tout en exagérant leur importance – les jeunes et les travailleurs ont rejeté le modèle terroriste erroné, adoptant à la place les méthodes de la lutte de masse. Les occupations massives des places publiques, les grèves et les manifestations – voilà quelles ont été les armes politiques des masses tunisiennes et égyptiennes qui ont mené au renversement de Ben Ali et de Moubarak.

    Il est vrai que le déclenchement de la révolution a été l’auto-immolation du vendeur de rue Mohamedd Bouazizi. Mais cet acte individuel n’a rien à voir avec les méthodes de terreur de masse indiscriminée perpétrée par des kamikazes qui caractérise Al-Qaïda. Qui plus est, les conditions pour la révolution avaient été préparées par toute la période précédente, de sorte que le moindre facteur déclenchant aurait pu mettre en branle un mouvement de masse en Tunisie ou en Égypte, ce qui est un trait commun à toutes les véritables révolutions.

    Là où la religion garde une certaine base et une attraction pour les masses, en particulier dans le monde néocolonial, cela est dû en partie du fait des conditions de la dictature ou du caractère économiquement sous-développé de certains pays qui ont une large population agraire. Dans la dictature stalinienne en Pologne avant 1989, c’est le catholicisme qui, via les églises, a fourni aux travailleurs polonais les moyens d’organiser la résistance. Par conséquent, leur insurrection a adopté une coloration religieuse fortement prononcée. Cela ne les a cependant pas menés à tirer des conclusions pro-capitalistes de leur opposition au stalinisme, du moins pas dans la première phase. En 1981-81, le mouvement Solidarnosc, avec ses comités de masse et une participation massive, représentait à la base le mouvement pour une révolution politique visant à remplacer les structures d’État stalinistes anti-démocratiques. En même temps, il cherchait à conserver les éléments de l’économie planifiée, de la nationalisation, etc. Lors de la révolution iranienne de 1979, nous avons observé une forme d’“islam radical” qui disposait alors d’un immense pouvoir d’attraction pour les travailleurs et les pauvres de l’époque. Nous ne pouvons exclure le fait que de tels phénomènes se produisent à nouveau dans le monde néocolonial.

    En Égypte, au départ, les masses ont été capables de concentrer leurs forces en opposition au régime Moubarak autour des mosquées et, dans une certaine mesure, des syndicats indépendants clandestins. Mais les Frères musulmans étaient la seule organisation autorisée à fonctionner de manière semi-politique, en plus d’être une organisation charitable d’aide sociale. Il est donc tout naturel que certaines sections de la population se soient d’abord tournées vers cette organisation dans la période qui a suivi le renversement de la dictature égyptienne. Alors qu’il existe des groupes et partis islamiques en Tunisie, ceux-ci ne semblent pas disposer du même ancrage dans la société que ce n’est le cas en Égypte à ce stade. La Libye post-Kadhafi, d’un autre côté, pourrait connaitre une fracture du pays et la croissance de groupes islamistes. Mais il est encore trop tôt pour déterminer si cela deviendra ou non la tendance dominante. En Égypte, malgré la récente importante mobilisation des islamistes sur la place Tahrir, ceux-ci ne sont d’aucune manière certains d’obtenir une majorité absolue même en cas d’élections anticipées organisées à la va-vite qui les favoriseraient. En outre, il n’est pas certain que les Frères musulmans resteront une force unifiée et cohérente. Il y a des scissions, qui reflètent en partie des divisions d’un caractère de classe. On parle maintenant de la création éventuelle d’au moins quatre différents partis politiques formés à partir de la Confrérie.

    En même temps, les forces opposées à l’islam politique de droite, laïques et socialistes, trouvent un écho parmi les sections nouvellement politisées de la classe ouvrière en Égypte, en Tunisie et partout dans la région. Même au Yémen, qui est ‘‘largement considéré comme participant à la franchise Al-Qaïda’’ (The Guardian), l’insurrection de février a mené à la création de comités révolutionnaires dans lesquels les débats faisaient rage quant à la nécessité d’adopter une stratégie non-sectaire pour parvenir à un réel changement. Partout au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, l’élan initial des révolutions a été en faveur d’une approche non-sectaire, avec une direction claire vers des conclusions de classe de la part des masses. Dans les conditions sociales indescriptibles du Yémen (un pays de sept millions d’habitants dont un tiers est jugé comme “alimentairement précaire” et dont 10% sont mal nourris), il faudra plus que de la religion pour satisfaire aux revendications des masses.

    Libérées du joug de la dictature, celles-ci se sont déversées sur l’arène politique et, comme le montre l’exemple de l’Égypte, ne seront pas réduites au silence par les édits de l’élite militaire discréditée. Elles vont pousser encore et encore pour mettre en avant leurs propres revendications en faveur de conditions de vie drastiquement améliorées, de droits démocratiques, d’organisation syndicale, etc. L’ingrédient vital qui manque aujourd’hui afin de garantir le succès dans la lutte est l’existence d’organisations de masse, de puissants syndicats et de partis ouvriers indépendants. Mais les mouvements convulsifs qui ont déjà été expérimentés, tout comme les encore plus grands mouvements à venir, seront d’importantes sources d’enseignements pour les masses, qui en tireront la conclusion que ce n’est que sous leur propre bannière qu’elles pourront conquérir une position à partir de laquelle elles pourront commencer à réaliser leurs attentes en termes d’emplois, de logements et de mode de vie.

    L’impasse d’Al-Qaïda

    Un des principaux facteurs déclencheurs de la révolution – qui a permis au Comité pour une Internationale ouvrière (CIO) de prévoir comme nous l’avons fait l’an dernier l’apparition imminente d’un mouvement visant à renverser Moubarak – a été l’aggravation des conditions sociales partout à travers la région, et en particulier la hausse spectaculaire du chômage de masse. Cette aggravation découlait elle-même de l’approfondissement de la crise économique mondiale du capitalisme, accompagnée par une détérioration de l’accès à la nourriture et par l’importation massive de céréales dans cette région qui, historiquement, a été un des berceaux de la civilisation et de la fondation de l’agriculture humaine, dans le croissant fertile entre les fleuves Tigre et Euphrate. Rien ne pourrait mieux illustrer le caractère destructeur du latifundiste et du capitalisme modernes, et de leur incapacité à fournir les bases vitales aux travailleurs et paysans de la région.

    Une chose est absolument claire : Al-Qaïda et l’islam politique de droite n’ont rien à offrir en termes concrets, ni pour la lutte, ni pour l’accomplissement des objectifs des masses dans cette région. Pas seulement en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, mais également au Pakistan et en Afghanistan, les méthodes d’Al-Qaïda représentent une complète impasse politique. L’assassinat de Ben Laden en juillet a été un non-événement pour la masse des Pakistanais. Lorsqu’il a été lui-même assassiné sur ordre de l’impérialisme américain, son organisation était dans les faits déjà morte politiquement.

    Toutefois, le danger du terrorisme et de l’attraction des idées terroristes pour les sections aliénées de la société, y compris la jeunesse en général et même quelques jeunes travailleurs, n’est pas restreint au monde néocolonial. Comme l’a montré l’exemple des Brigades rouges en Italie dans les années ’70 et ’80, si la classe ouvrière et ses organisations ne parviennent pas à prendre l’initiative du changement, alors quelques personnes désespérées peuvent se mettre à chercher un raccourci imaginaire vers le socialisme – le terrorisme. Les conditions auxquelles la classe ouvrière est confrontée aujourd’hui, et en particulier la jeunesse, sont incommensurablement pires qu’à l’époque. Il est par conséquent nécessaire d’examiner de contrer les méthodes terroristes d’un point de vue marxiste, afin d’empêcher que de nombreux éléments qui autrement feraient de très bons socialistes, n’aillent se perdre dans cette impasse.

    L’attaque sur les tours jumelles et sur le Pentagone d’il y a dix ans a été l’acte terroriste le plus spectaculaire de l’Histoire. Il a également été, du point de vue d’Al-Qaïda, le plus “efficient en termes de couts”, coutant un peu moins de 500 000 $ à organiser (soit 167$/personne tuée, NDT), une simple bagatelle pour l’héritier de la riche famille saoudite des Ben Laden. Au même moment, cela a permis à l’impérialisme de se mobiliser via son fameux appel à “la guerre contre la terreur”, avec toutes les implications réactionnaires qui en découlent.

    Cela a aussi permis à l’impérialisme, surtout américain, de renforcer sa prouesse militaire, qui a alors mobilisé pour l’intervention militaire en Afghanistan et en Irak, avec toutes les conséquences sanglantes pour les masses, là et ailleurs. Selon Robert Harris : ‘‘Le nuage de fumée des tours jumelles s’étend toujours par-dessus la planète. Il semble que nous vivons à présent dans une ère plus sombre, plus paranoïaque, moins optimiste que celle dans laquelle nous vivions dans les années ’90 lorsque la guerre froide venait de se terminer, et que le “choc des civilisations” ne faisait en réalité que commencer. L’Amérique ne s’en est jamais pleinement remise : ni l’Occident de manière générale’’. (Sunday Times, 14 aout 2011).

    L’arrogance de l’impérialisme

    Mais l’équilibre des forces sur le plan mondial qui penchait de manière si décisive en faveur de l’impérialisme américain a subi un profond changement. L’impérialisme américain a été au départ renforcé par le 11 septembre, tandis que ses représentants proclamaient sa dominance. En 2001, les États-Unis étaient toujours la principale puissance économique et militaire de la planète. Leur ambition d’accomplir la “pleine dominance militaire sur tous les plans” a été mise en œuvre dans la période qui a suivi le 11 septembre. Dans cette période, les États-Unis ont dépensé à eux seuls en termes d’armement autant que le reste du monde pris tout ensemble, y compris en termes d’armes de destruction massive.

    Cette nouvelle donne a été accompagnée par la doctrine facile de la “guerre contre la terreur”. Selon le secrétaire à la Défense américain de l’époque, Donald Rumsfeld, celle-ci devrait se prolonger pour les 50 prochaines années ! Mais comme nous l’avions prédit, elle n’a en réalité pas duré dix ans, complètement discréditée même parmi les bourgeois. Néanmoins, sous cette couverture, une offensive massive a pu être lancée contre les droits démocratiques de la population américaine et d’ailleurs.

    Les médias capitalistes aux États-Unis et ailleurs se sont avilis plus encore que de coutume par leur alignement sur le régime Bush. Cela a jeté la base pour l’intervention impérialiste en Afghanistan et en Iraq, sous l’appellation hypocrite d’“intervention militaire libérale”. La droite américaine avait rêvé de pouvoir se débarrasser du “syndrome Vietnam”, et en a reçu l’opportunité avec le 11 septembre. Voilà encore un aspect des implications réactionnaires du terrorisme : il renforce la marge de l’État en termes de répression et d’attaques sur les droits démocratiques, y compris ceux de la classe ouvrière et du mouvement ouvrier. Même les émeutes largement spontanées qui sont récemment survenues au Royaume-Uni ont été utilisées par le gouvernement pour tirer le balancier politique plus à droite, avec des menaces de répression accrues.

    Bien avant les guerres qui ont éclaté, le CIO avait prédit que l’Afghanistan et l’Irak avaient de grandes chances de se faire envahir. Toutefois, nous avons contré les inévitables peurs et déception, voire de noir pessimisme, qui s’étaient emparées du mouvement ouvrier en particulier. Peu après les attaques du 11 septembre, nous écrivions ceci : ‘‘Le 11 septembre, comme nous l’avons vu, a clairement ouvert la voie a une nouvelle phase pour le monde et pour le capitalisme. Malgré les clairons de Bush et de ses laquais comme Blair, cela ne veut pas dire que nous sommes arrivés dans une période victorieuse et triomphale pour l’impérialisme. Les “victoires” qui ont été obtenues sont bourrées de contradictions. Il est certain que le colosse américain parcourt en ce moment le monde comme jamais auparavant dans l’Histoire. Mais en même temps, il a rempli ses fondations de tout le matériel explosif du capitalisme mondial’’ (Après le 11 septembre, peut-on vaincre l’impérialisme américain ? – septembre 2002).

    L’impérialisme américain a de fait connu de profonds changements, qui ont fait tomber en poussière toutes les doctrines de Bush et de ses partisans néoconservateurs. Qui parle encore aujourd’hui d’un président américain jouant le rôle d’un “César” moderne, comme c’était le cas après le 11 septembre ? Barack Obama n’a été qu’un simple observateur, incapable d’intervenir dans les premières étapes des révolutions tunisienne et égyptienne. Ce n’est qu’avec l’assistance des régimes théocratiques contre-révolutionnaires d’Arabie saoudite, du Bahreïn et autres, en plus de l’intervention de l’OTAN en Libye, que l’impérialisme américain est parvenu à garder une très fragile main dans la situation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

    En Syrie, ce n’est qu’après une période prolongée de troubles qu’Obama s’est senti capable d’intervenir contre Bashar al-Assad avec la menace de sanctions économiques au cas où il ne quitterait pas la scène politique. Comme c’était le cas avec toutes les forces pro-capitalistes de la région, toutefois, Obama est terrifié à l’idée de ce qui surviendrait au cas où Assad serait renversé. Ce problème ne semble pas se poser dans l’immédiat, puisque le régime d’Assad conserve toujours une base de soutien dans les régions cruciales que sont Damas et Alep.

    Mais la chute d’Assad pourrait mener à une désintégration “désordonnée” du pays et à sa fracturation selon des lignes ethniques et religieuses. Cela pourrait avoir des répercussions immédiates, avec par exemple l’intervention d’Israël au cas où les événements en Syrie venaient à affecter les territoires qu’il contrôle, tels que les collines de Golan. La Turquie menace même d’intervenir militairement afin de préserver la “stabilité”. Cela signifie qu’elle agira si elle juge probable un renforcement de l’opposition de la part de la population kurde en Syrie, libre du contrôle d’Assad, qui renforcerait à son tour l’opposition des Kurdes de Turquie au gouvernement Erdogan. Dans une telle situation, l’intervention de l’impérialisme américain ne se fait en gros plus qu’en paroles. C’est ce qui a conduit Robert Fisk du journal The Independent à écrire : ‘‘Obama rugit. Le monde tremble. Ou pas.’’

    Le terrible legs de l’impérialisme

    Ceci souligne le fait que l’impérialisme américain, tout en restant un géant économique et militaire, ne possède plus la puissance nécessaire pour imposer sa volonté aux quatre coins de la planète, comme cela semblait être le cas dans la période de l’après 11 septembre. Il est pris au piège de ses propres faiblesses économiques, symbolisées par l’immense déficit budgétaire, qui est en partie une conséquence des saccages impérialistes en Afghanistan et en Irak. La somme colossale de 3 trillions de dollars a été dilapidée dans la catastrophe de l’intervention américaine en Irak et en Afghanistan. Cela est l’équivalent d’environ un cinquième du PIB annuel des États-Unis. Pire encore est le bilan : au moins 600 000 civils irakiens innocents ont péri, en plus des troupes de la “coalition des braves” mortes dans les guerres ingagnables en cours dans ces pays.

    Et quel est le résultat de ces interventions ? Les talibans sont toujours là. Pire encore, leur influence néfaste, en conséquence de la guerre en Afghanistan, s’est étendue aux masses pakistanaises, déjà plongées dans une misère croissante et dans le pur désespoir qui prévaut dans les principales régions et villes du pays. Le pantin afghan du Royaume-Uni et des États-Unis, Hamid Karzai (dit le “maire de Kaboul”) est de plus en plus assiégé et pourrait se voir renversé si le soutien impérialiste et ses baïonnettes venaient à disparaitre, comme cela sera sans doute le cas prochainement. Le récent assassinat de son frère et d’autres piliers du régime indique à quel point les talibans sont capables de pénétrer au cœur même de la capitale et à quel point est fragile l’État afghan actuel. Plus encore, l’impérialisme est engagé dans des pourparlers avec les talibans – comparées par David Cameron, le premier ministre britannique, au “processus de paix” en cours en Irlande du Nord. Ceci démontre bien ce que nous avons dit dès le départ : cette guerre est ingagnable.

    En réalité, l’impérialisme est sur le point de “déclarer victoire puis battre en retraite”, en utilisant sans doute l’écran d’un gouvernement de “coalition” impliquant les talibans, ou du moins quelques sections d’entre eux, et certains reliquats du régime actuel. Au même moment, il pourrait également continuer à déverser des ressources dans la construction de la pseudo “armée afghane” tout en maintenant des bases dans la zone. Un tel scénario existe pour l’Irak. Encore une fois comme nous l’avions prédit, c’est un terrible legs qui est laissé au peuple irakien par l’intervention impérialiste américano-britannique. Les forces américaines préparent leur “retrait”, après avoir complètement ruiné l’Iraq sans avoir résolu – mais bien au contraire après avoir renforcé – tous les problèmes de pauvreté, de manque de services et infrastructures de base et, par-dessus tout, des divisions ethniques et sectaires.

    Néanmoins, lors du splendide mouvement – essentiellement ouvrier – cette année de tous les groupes ethniques, la classe ouvrière irakienne commence à réémerger de la catastrophe. Ce développement renforce aussi notre argument contre l’intervention impérialiste en tant que moyen de renversement de Saddam Hussein. Il y avait certaines personnes soi-disant de gauche – en particulier parmi les exilés irakiens – qui affirmaient que seule une intervention militaire extérieure pourrait renverser Saddam. Nous soulignons au contraire le potentiel de la classe ouvrière irakienne, mais nos arguments étaient systématiquement écartés sous prétexte que ‘‘Les Irakiens sont un peule enchainé, incapable d’entrer en action par lui-même’’ et que ‘‘L’impact pour dégager Saddam doit venir de l’extérieur’’. De nombreuses personnes se sont alors tournées vers les pires ennemis de la classe ouvrière, les capitalistes et les impérialistes, pour accomplir l’œuvre que seul un mouvement indépendant de la classe ouvrière était en réalité capable de réaliser.

    Nos arguments ont été confirmés lors des magnifiques mouvements indépendants des masses qui se sont dressées et ont fracturé l’armée en Égypte et en Tunisie. De plus, les développements de la classe ouvrière et de ses organisations indépendantes, même dans des sociétés frappées par la misère comme l’Afghanistan et l’Iraq, va se poursuivre tout au long de la prochaine période. La tendance vers des mouvements non-sectaires qui était présente dans tous ces événements peut se développer à une échelle régionale. Aucun pays, pas même le plus puissant, n’est viable de par lui-même, et certainement pas du point de vue économique. Ce n’est qu’en combinant les ressources des différents peuples en une confédération socialiste, garantissant la pleine autonomie et les pleins droits démocratiques pour toutes les nationalités et groupes ethniques, y compris la reconnaissance des droits à la langue et des minorités religieuses, que les peuples de cette région pourront émerger du cauchemar qu’ils connaissent aujourd’hui sur base du capitalisme.

    La fin du monde unipolaire

    Dans la période qui a immédiatement suivi les attentats du 11 septembre, l’impérialisme américain a été capable d’imposer sa volonté, bien que dans certaines limites, parce qu’il ne se trouvait plus aucune puissance rivale directement face à lui. Pendant la guerre froide, le seul rival de l’impérialisme américain était la Russie stalinienne. Le spectaculaire effondrement de celle-ci, peu après le décès de l’“Union soviétique” et des restes de l’économie planifiée stalinienne, a fortement affaibli cet ancien géant économique et politique.

    Cette situation mondiale et la position unipolaire dont jouissaient les USA après le 11 septembre sont à présent révolues, surtout étant donné la montée de la Chine qui, on l’estime, dépassera les États-Unis au cours de la prochaine décennie en termes de PIB et de production – bien que sans doute pas en termes de niveau de vie. La Chine, forte de sa nouvelle puissance économique, défie de plus en plus directement l’impérialisme américain, et même sur les plans militaire, diplomatique et géopolitique. Cela a été récemment démontré avec le lancement du tout premier porte-avion chinois, clairement destiné à être employé dans le Pacifique afin d’y contrer la dominance de la flotte américaine. La Chine a également lancé son propre modèle de bombardier furtif, et ses avions de guerre ont déjà chassé les engins de reconnaissance américains de l’espace aérien chinois entre la Chine et Taïwan.

    Contrairement à la situation d’il y a dix ans, les stratèges du capitalisme américain ont été bien forcés de se rendre compte qu’ils ne peuvent plus continuer leur politique précédente. Dans les années ’90, la part des dépenses militaires américaines dans le total mondial semblait stable et supportable. Cette impression découlait largement du fait que la part du PIB américain dans le PIB mondial était elle aussi relativement stable pendant une décennie. Cependant, au cours de la première décennie de ce siècle, la part du PIB américain dans le PIB mondial a décliné, et son immense dépense militaire devient de plus en plus insupportable. Mais, à cause des interventions aussi couteuses qu’inutiles en Afghanistan, en Irak et ailleurs, la part américaine dans les dépenses militaires mondiales s’est en réalité accrue de 36% à 42%. C’est ce qui pousse maintenant l’administration Obama à envisager des coupes dans le budget de la Défense pour une valeur d’environ 800 milliards de dollars.

    Il fallait bien évidemment s’attendre à ce que cela provoque la colère du complexe militaro-industriel et de ses représentants au Congrès, qui sont prêts à effectuer des coupes dans les budgets sociaux afin de pouvoir maintenir leurs illusions dans la grandeur impériale des États-Unis. Mais, étant donné l’affaiblissement des fondations économiques du capitalisme américain, il ne peut plus se permettre cela sans effectuer des attaques encore plus grandes sur le niveau de vie des classes ouvrière et moyennes. Cela signifie que les États-Unis, en plus de se voir frustrés sur la scène internationale, vont aussi connaitre au sein de leurs propres frontières la même explosion de féroce lutte de classe – bien qu’avec des caractéristiques spécifiquement américaines quant à la vitesse et à la détermination de la classe ouvrière – qu’a récemment connu l’Europe.

    Par conséquent, au lieu de la nouvelle ère triomphaliste de renforcement et d’épanouissement du capitalisme à laquelle s’attendaient entièrement ses stratèges après le 11 septembre, c’est exactement l’inverse qui s’est produit dix ans plus tard. Déchiré par ses propres contradictions, confronté à sa plus grande crise depuis les années ’30, le capitalisme américain et mondial se retrouve dans une impasse. Le capitalisme est un système déchu. Le récent “Rapport sur le développement” de la Banque mondiale estime qu’un quart de la population mondiale vit aujourd’hui dans des pays grièvement endommagés par des cycles de violence politique et criminelle. Martin Wolf affirmait calmement dans le Financial Times que : ‘‘Le politique et le criminel sont étroitement connectés’’. Le Mexique et ses dérives à la “Mad Max” dont il est le symbole sont un indicateur de cette tendance.

    La confiance en berne des capitalistes

    Une des pires conséquences du 11 septembre a été le fait qu’il a permis au capitalisme, en particulier de la part de son extrême-droite, de stigmatiser l’ensemble des musulmans comme étant des partisans déclarés, sinon tacites, du terrorisme d’Al-Qaïda, ce qui n’est pas le cas et ne l’a jamais été. Tout comme dans le cadre du conflit en Irlande du Nord, où de parfaits innocents ont été arrêtés et emprisonnés, les musulmans eux aussi ont été arrêtés et emprisonnés. Les divisions et suspicions qui existaient déjà entre les travailleurs d’origine immigrée et les autres travailleurs se sont agrandies. Cela a été renforcé par Cameron et son criticisme du “multiculturalisme”, une attaque à peine voilée à l’encontre des immigrés. Les politiciens partout en Europe – y compris Angela Merkel en Allemagne et Nicolas Sarkozy en France – jouent tous le même air.

    Pourtant, dans la période qui a suivi les récentes émeutes au Royaume-Uni et le meurtre de trois jeunes Asiatiques à Birmingham, c’est bel et bien une approche “multiculturelle” qui a été adoptée par les Asiatiques, les noirs et les blancs. Cette adoption a été essentiellement du fait de la magnifique initiative prise par le père d’un des jeunes décédés. Cela aurait alors fourni au mouvement ouvrier une opportunité d’intervenir et de donner une expression à ce rassemblement instinctif de la classe ouvrière. C’est aussi cela qui s’est produit en Irlande du Nord en 1969 après que les délégués syndicaux de Belfast aient pris l’initiative de former des “comités pour la paix” entre travailleurs protestants et catholiques. Malheureusement, le mouvement ouvrier n’a pas fait de même à Birmingham, laissant la porte grande ouverte aux organisations religieuses. Seule une approche de classe mettant en avant les intérêts de l’ensemble des travailleurs pourrait permettre au mouvement de garder sa colère et son humeur combative.

    À moins que ne s’ouvre une nouvelle voie ouvrière et socialiste, l’influence néfaste de l’extrême-droite peut croitre, avec parfois pour résultat que des maniaques du style d’Anders Breivik en Norvège se mettent en tête d’assassiner des innocents au nom de la soi-disant “guerre contre l’Islam”. Cette créature n’était qu’un reflet de l’islam politique de droite, utilisant les mêmes méthodes fascisantes qu’Al-Qaïda.

    L’Humanité est en ce moment en train de plonger dans des conditions qui deviennent de pire en pire, avec des catastrophes environnementales et la destruction de tous les espoirs pour l’avenir en brisant les perspectives de la jeunesse. La situation a été résumée par Max Hastings (de la Royal Society of Literature britannique) lorsque celui-ci racontait une discussion qu’il avait eue avec un banquier, au sujet de la projection du gouverneur de la Bank of England, lequel avait évoqué le fait que le Royaume-Uni devait s’attendre à “sept années de vaches maigres”. Hastings et ce banquier étaient toutefois arrivés à la conclusion que c’était là une perspective fort modeste : parlons plutôt de “70 années” ! Bien sûr, personne ne peut donner une estimation précise de combien de temps cette crise va durer. Mais une chose est sûre : les porte-paroles du capitalisme eux-mêmes n’ont pas confiance dans leur propre système. Les capitalistes démontrent cela par leur refus de réinvestir dans la production le surplus extrait du travail de la classe ouvrière. Voilà pourquoi 2 000 milliards de dollars qui ne profitent à personne attendent maintenant des jours meilleurs bien à l’abri dans les coffres-forts des grandes entreprises américaines, et pourquoi de même 60 milliards de livres sterling sont en ce moment inutilisés, stockés par les entreprises britanniques. Il n’y a aucun “débouché profitable” dans lequel investir, du coup le chômage monte, la misère s’accroit, et la classe ouvrière peut bien aller au diable.

    Bien que pas encore de manière consciente, aujourd’hui la masse de la classe ouvrière et des pauvres rejette instinctivement le système de par ses actions. Elle n’est pas encore parvenue à se défaire de l’héritage des 20 à 30 dernières années de campagne idéologique du capitalisme néolibéral afin de gagner un soutien à son système. Mais sur le plan social, les masses du monde entier sont en train de virer à gauche. Cette humeur finira inévitablement par se refléter également sur le plan politique, à moins que le capitalisme ne finisse avant cela par trouver une issue à la présente impasse. Même les Héraults de ce système, qu’ils se trouvent dans les gouvernements, dans les parlements, ou dans les think-tanks – ces monastères modernes du capitalisme – ne gardent que très peu d’espoir dans le fait que leur système puisse être sauvé sur le court terme. Tout cela fournit la base pour de terribles événements convulsifs révolutionnaires, qui élargiront énormément l’audience en faveur des idées socialistes et marxistes, et pour les partis de masse qui seront bâtis sur ces fondations.

    La véritable leçon du 11 septembre est que ni l’impérialisme, ni son reflet direct qu’est le terrorisme islamiste – ni aucune forme de terrorisme – n’offrent une voie en avant pour la classe ouvrière et pour l’Humanité. Seules les idées libératrices et démocratiques du socialisme tracent un chemin vers l’avenir.

  • Niger : Enlèvements en plein centre de Niamey – Terrorisme au Sahel : ça doit cesser !

    L’enlèvement et la mort de deux jeunes Français le week-end dernier au Niger révèle l’ampleur de l’arrogance de l’élite impérialiste française

    Vendredi soir, le 7 janvier, deux amis, Antoine de Léocour, et Vincent Delory, prenaient tranquillement leur verre au maquis Le Toulousain, en plein centre de Niamey, lorsqu’ont fait irruption quatre hommes armés qui leur ont ordonné de les suivre. Moins de 24 heures plus tard, les deux jeunes hommes trouvaient la mort dans la steppe malienne au terme d’une course-poursuite digne des plus lourdingues des films d’action.

    Au départ, on avait cru qu’il s’agissait d’un règlement de compte de la part d’un prétendant jaloux, vu qu’Antoine s’apprêtait à se marier avec une Nigérienne, raison pour laquelle son ami Vincent venait d’arriver au Niger, pas même deux heures auparavant, pour lui servir de témoin. Qui pouvait croire à une prise d’otage ? En plein centre de Niamey, cela ne s’était encore jamais vu. En plus, le même soir, dans le même maquis, étaient présents des poissons autrement plus juteux : le chef de la coopération espagnole, le directeur d’Oxfam, etc. tous témoins de l’enlèvement.

    Pourtant, sitôt les premiers accrochages armés pendant la nuit au niveau d’un barrage routier, il a fallu se résoudre au fait que oui, il semblait bien que l’on avait à faire à un enlèvement d’otages par AQMI (al-Qaïda au Maghreb islamique). La course-poursuite entre l’armée nigérienne et les ravisseurs s’est poursuivie toute la nuit et le lendemain, passé la frontière malienne. C’est là qu’est intervenue l’aviation française, mettant un terme sanglant à l’aventure.

    Pourquoi est-ce justement ces deux jeunes Français (âgés de 25 ans), dont l’un n’avait jamais mis les pieds au Niger auparavant, qui ont été enlevés ? La faute à pas de chance. Cette aventure a révélé la barbarie profonde des terroristes d’AQMI. AQMI jusqu’ici ne s’attaquait qu’au personnel de la société minière Areva, qui exploite les gisements d’uranium dans le nord du Niger qui fournissent à la France un tiers (!) de sa production d’électricité totale. Cela avait permis aux soi-disant “moudjahidines” de se doter d’un certain soutien en tant que “combattants anti-impérialistes” (en particulier de la part de la population locale majoritairement touarègue, qui soufre de la pollution radioactive), puisqu’ils allaient même jusqu’à revendiquer la nationalisation des mines. Ce soutien leur a permis de se constituer un vaste réseau d’informateurs et de ravitaillement, masquant leurs pratiques mafieuses de trafic de drogue et d’armes passant par les routes du désert.

    Mais ce week-end, ils se sont attaqués à une toute autre cible : deux jeunes Français choisis purement au hasard. Les guérilleros d’AQMI sont tout bonnement rentrés dans un endroit où ils savaient qu’ils allaient trouver des Blancs, en ont chopé un au hasard (Vincent), qui a été suivi par son ami Antoine, et sont partis avec. C’est-à-dire que n’importe qui peut être ciblé. Donc que tous les blancs au Niger sont ciblés (reste à voir si AQMI s’en prendrait aussi aux non-Français, mais c’est probable). AQMI a également envoyé un pied de nez à la junte militaire au pouvoir, en opérant dans un café se trouvant à peine à 300 m de la Présidence ! Donc, tous les blancs sont ciblés, partout au Niger. Voire partout au Sahel, vu que cet enlèvement fait suite à une tentative d’attentat à la bombe à Bamako, capitale du Mali, pas même une semaine auparavant – une grande première également.

    À l’annonce de la mort de ces deux innocents, les premières réactions pour les Nigériens ont été une grande tristesse et une grande inquiétude pour l’avenir. La situation se dégrade. Cela est confirmé par exemple par la liste de l’International Crime Threat Assessment rédigée par les États-Unis : en 2000, aucun pays du Sahel ne figurait sur cette liste ; en 2010, tous les pays de zone sahélo-saharienne étaient, à un degré ou à un autre, touchés par la criminalité transnationale et le terrorisme. Les Nigériens sont un peuple en général fier de son hospitalité et de sa non-violence – surtout quand on compare la situation dans le pays par rapport à ce qui se passe quotidiennement au Nigéria voisin. En plus, le départ précipité de l’ensemble des blancs présents au Niger aurait une répercussion certaine sur l’ensemble du commerce et de l’emploi (vu le nombre d’ONG occidentales qui emploient énormément de personnel nigérien, cadres comme petit personnel). D’ailleurs, le couvre-feu imposé dès 19h à l’ensemble de la population blanche du Niger commence déjà certainement à avoir un effet.

    Même au-delà de ça, à partir du moment où l’ensemble du territoire nigérien devient “zone rouge”, quid du tourisme ? L’économie de la région d’Agadez (centre de la culture touarègue au Niger, dans une région de grande beauté naturelle et qui accueillait beaucoup de visiteurs chaque année) est déjà dévastée, la plupart des artisans touaregs se sont repliés à Niamey… – où aller maintenant ?

    Mais au fil de la semaine, la tristesse a fait place à l’incompréhension puis à la colère et à l’indignation.

    L’incompréhension d’abord, parce que les communiqués émis par l’armée française sont en contradiction flagrante avec ceux de l’armée nigérienne. Notamment concernant le nombre de pertes des deux camps, la capture ou non de terroristes par les forces nigériennes pour interrogatoire, la présence inexpliquée de gendarmes nigériens qui apparemment accompagnaient les terroristes, et évidemment, les circonstances du décès des deux malheureux otages.

    La colère ensuite, parce que si les médias français comme nigériens se sont longuement étalés sur l’identité des deux otages, sur leur vie, leur famille, etc. avec photographies, grandes déclarations du Ministre de la défense Alain Juppé et organisation d’une marche blanche dans leur ville natale, absolument rien n’est dit concernant les trois gendarmes nigériens tués dans l’aventure (le Capitaine Aboubacar Amankaye, le maréchal des logis Abdallah Aboubacar et le gendarme de 1ère classe Abdou Alfari ). Il a fallu attendre l’édition du journal gouvernemental le Sahel du 12 janvier pour avoir leurs noms, accompagnée d’une photo en noir et blanc d’un brancard recouvert d’un drap – on suppose que l’un d’entre eux se trouve en-dessous. D’ailleurs, l’ensemble de la presse nigérienne semble n’avoir eu que faire de l’événement, toute concentrée qu’elle était sur l’organisation des élections communales et régionales du 11 janvier. Les seules informations provenaient des chaines françaises. Pas un merci, rien. Tout cela a contribué à donner l’idée que la vie de deux Français vaut plus que celle de trois Nigériens. Eh quoi, on n’est pas des êtres humains ou bien ?

    L’indignation enfin, parce qu’il semble de plus en plus se confirmer qu’alors que les soldats nigériens étaient tout proches des terroristes, l’aviation française a ouvert le feu sans même en aviser ses alliés (ou laquais ?) nigériens. L’autopsie des corps de Vincent et Antoine a révélé que l’un est mort d’une balle dans le visage tirée à bout portant (vraisemblablement de la part d’un des terroristes qui, voyant leur opération échoué, s’est vengé sur les otages), l’autre de brulures graves – il serait donc apparemment décédé dans l’incendie du véhicule des terroristes après que celui-ci ait essuyé les tirs français. Vincent et Antoine auraient donc été sacrifiés par leur propre gouvernement. De même que certains soldats nigériens qui, il le semble, se sont vus eux aussi canardés par l’aviation française.

    La revendication de l’enlèvement par les chefs d’AQMI a encore plus retourné le couteau dans la plaie : ceux-ci, loin de se désoler de la perte de leurs hommes et de leur matériel, et de l’échec de leur mission de prise d’otages, se félicitent au contraire d’avoir infligé plus de pertes à l’ennemi que leurs propres pertes (ils parlent de 25 blessés et tués nigériens), et d’avoir semé le désordre entre les états-majors français et nigériens.

    En réalité, il semble à présent que, alors qu’AQMI aurait pu se voir discrédité par cette manœuvre à l’arbitraire répugnant, cette organisation ait été dépassée en barbarie par l’armée française elle-même. L’armée française, en voulant régler cette affaire elle-même et de la manière la plus musclée possible («Ne rien faire, c’est donner un signal que la France ne se bat plus contre le terrorisme», Alain Juppé), a en réalité contribué à miner encore un peu plus sa propre réputation.

    Beaucoup de Nigériens sont aujourd’hui scandalisés du fait que ce soit à nos compatriotes de payer pour des histoires qui, finalement, “ne nous concernent pas”, et qu’en plus, il semble que le chef actuel de l’État, le dictateur débonnaire Salou Djibo, ait donné son accord à l’intervention française. Ce “grand patriote” se retrouve donc quelque peu compromis dans cette affaire.

    Le terrorisme, fruit de l’impérialisme

    Les vrais responsables de la situation d’insécurité croissante sont les Sarkozy et les Juppé, mais au-delà des exactions d’un gouvernement, c’est l’ensemble de la classe dirigeante impérialiste française qui est responsable de cette affaire, les Lauvergeon et Co, patrons des mines d’uranium qui irradient la nature, le bétail et la population du Sahara pour tirer un immense profit, sans rien donner en retour au pays à qui appartiennent les richesses exploitées, à part des cacahouètes.

    Avec leurs amis spéculateurs et du FMI, ils ont contraints à la faillite et à la misère l’ensemble du continent africain. Aujourd’hui encore, ils manipulent la politique de leurs anciennes colonies en soutenant tel dictateur par-ci (comme Ben Ali en Tunisie), tel président soi-disant élu par-là (comme Ouattara en Côte d’Ivoire). La démocratie ? Seulement quand ça les arrange ! Dès qu’un président ose se dresser contre eux, on le renverse ou on l’assassine. Au-delà de ça, ils corrompent les élites nationales qui sont réduites au rang de bourgeoisie compradore purement parasitaire.

    Il n’y a en ce moment au Niger aucun parti des travailleurs digne de ce nom, qui pourrait servir de relais aux justes revendications du peuple nigérien. C’est d’ailleurs aussi le cas au Mali et en Algérie. Cela crée un vide politique, c’est-à-dire que toute cette colère face au pillage en bonne et due forme des richesses du pays et face à la corruption des élites nationales se retrouve sans aucun outil de lutte politique pour canaliser cette colère en quelque chose de constructif. De même en ce qui concerne les justes revendications nationales du peuple touareg. Et donc, ce vide politique est petit à petit en train d’être occupé par les organisations islamistes réactionnaires, qui sont perçues par les masses comme étant les seules à oser se dresser contre la domination de l’impérialisme, les seules à donner une réponse à l’aliénation des masses. C’est un réel danger. Les islamistes n’ont rien d’autre à offrir que la barbarie. Il faut tout faire pour éviter que la peste islamiste ne se répande au Niger ou au Mali, comme elle s’est répandue en Somalie, au Yémen et au Pakistan.

    Mais les élites corrompues de France et d’Afrique n’offrent aucune solution à part le massacre d’innocents, qui ne fait que renforcer ces organisations qu’elles disent vouloir combattre.

    Travailleurs français comme nigériens : contre l’impérialisme !

    Au cours de son Quatrième Congrès en 1922, l’Internationale Communiste déclarait déjà dans ses “Thèses sur la question nègre” que «l’ennemi de la race nègre est aussi celui des travailleurs blancs. Cet ennemi, c’est le capitalisme, l’impérialisme. La lutte internationale de la race nègre est une lutte contre le capitalisme et l’impérialisme.» Et un peu plus loin : «Le peuple nègre n’est pas le seul à souffrir de l’oppression du capitalisme et de l’impérialisme : les ouvriers et les paysans d’Europe, d’Asie et d’Amérique, sont aussi les victimes de l’impérialisme ; la lutte contre l’impérialisme n’est pas la lutte d’un seul peuple, mais de tous les peuples du monde».

    Ces thèses ont été illustrées le week-end dernier par le mépris avec lequel le gouvernement français a traité la vie des deux jeunes Français, n’hésitant pas à ouvrir le feu. Le prestige de la France avant tout. Il fallait “donner une bonne leçon aux terroristes”, montrer que “c’est nous qu’on est les plus forts” (on pourrait même croire qu’ils ne voulaient pas que l’armée nigérienne leur vole la vedette en arrêtant elle-même les terroristes).

    Un internaute, commentant la situation sur le site TamTam info, disait aussi ceci : «On sait, pour parler d’une autre affaire, que Florent Lemaçon avait été tué sur son bateau par des tirs “amis” (on dit aussi “tirs fratricides”) c’est-a-dire par ses compatriotes français et non par les pirates somaliens. De même, l’humanitaire français de 78 ans, Michel Germaneau est mort parce qu’il ne pouvait plus prendre ses médicaments (il était cardiaque) et non pas par la faute de ses ravisseurs “parce qu’ils voulaient se venger” comme on a voulu nous faire croire.» Avant de conclure : «Désinformation ou mépris ? Les deux».

    Mais à quoi s’attendre d’autre quand on voit le mépris ouvert avec lequel l’élite française, regroupée autour de son président Sarkozy, traite au quotidien la vie de ses concitoyens en France même ? Ce gouvernement qui est sourd aux aspirations de son peuple, qui passe sa réforme des pensions malgré des journées d’action regroupant des millions de Français, qui attaque les fonctionnaires, qui privatise les chemins de fer, la poste, l’électricité, tout en arrosant de milliards d’euro ses amis banquiers. Un gouvernement qui envoie l’armée faire dégager des grévistes ! Qui au moindre problème, cherche à dévier l’attention en inventant de faux débats comme la question des Roms, le port du voile, bref, qui se cherche des bouc-émissaires pour masquer sa propre politique mafieuse.

    L’État français se fait de plus en plus musclé, en France comme dans ses anciennes colonies. Il est urgent que le peuple africain arrête de considérer tous les Français comme des envahisseurs, mais considère au contraire les travailleurs français comme des alliés potentiels dans la lutte contre la détestable et criminelle élite française.

    Combler le vide politique, construire un mouvement de lutte

    Pour lutter contre le terrorisme et l’impérialisme, il est urgent de construire un mouvement populaire large et démocratique, qui regroupe l’ensemble des ouvriers et des employés, et des représentants des petits commerçants, des artisans, des chauffeurs de taxi, des étudiants et des jeunes en galère, des éleveurs, des agriculteurs, des pêcheurs du bord du fleuve… et des pauvres en général, pour organiser et diriger la lutte contre le gouvernement nigérien pro-impérialiste actuel, comme celui qui va sortir des urnes. Ce mouvement pourrait prendre une forme similaire à celle de la Coalition de la société civile (Lasco) au Nigéria, et devrait se doter d’un parti politique.

    Ce mouvement devrait être armé d’un programme socialiste et internationalise, appelant à la (re)nationalisation, mais sous contrôle des travailleurs, des secteurs-clés de l’économie, comme l’ensemble des mines d’uranium et d’or, des champs pétroliers, des banques, et des services publics comme les télécommunications, l’eau, etc. afin de mettre en commun l’ensemble des ressources du pays pour un plan de développement socialiste du pays basé sur les aspirations de comités populaires élus et armés dans chaque quartier, village, etc. et avec une attention particulière sur la question touarègue.

    Enfin, le Niger ne se développera pas seul, et la tentation serait grande pour l’impérialisme d’envoyer ses escadrons de la mort semer la terreur et assassiner les leaders de ce mouvement populaire. C’est pourquoi nous prônons l’organisation de ce mouvement à une échelle internationale, dans toute l’Afrique de l’Ouest, dans toute l’Afrique, et au niveau mondial, avec notamment des liens forts et fraternels avec le peuple travailleur français en lutte contre son élite dirigeante.

    C’est ainsi seulement que l’on pourra une bonne fois pour touts couper l’herbe sous les pieds des terroristes et des islamistes, et enfin assurer un développement et une paix durables au Niger et en Afrique.

  • Contre la guerre et le terrorisme

    Londres, début juillet 2005 : C’était la première fois que l’Europe subissait l’action terroriste de kamikazes. Multiples explosions dans les bus et le métro, bilan : une cinquantaine de morts. De partout les réactions de solidarité envers les victimes n’ont pas manqué. La guerre et le terrorisme ont ça de commun: un bilan effrayant payé majoritairement par les travailleurs.

    Lucas Gilles

    Nous ne pouvons accepter de telles méthodes assassines dont les travailleurs et les jeunes sont les premières victimes. Lors du déclenchement de la guerre, près de deux millions de gens manifestaient à Londres contre l’éclosion du conflit, il est probable que certaines victimes des attentats faisaient partie de ceux-là. Mais les gouvernements qui condamnent de manière unilatérale ces attentats sont aussi ceux qui sont responsables de la croissance de ces phénomènes. Sous couvert de s’attaquer au terrorisme, Bush et Blair occupent et massacrent en Irak pour le pétrole. Ils prétendent que ce conflit est le front central de leur sacro-sainte « guerre contre le terrorisme », comme n’a pas manqué de le repréciser le président américain au lendemain des attentats. Le terrorisme ne serait donc pas la conséquence de la guerre et de l’oppression, mais ce serait l’inverse… Bush junior ne semble jamais manquer d’humour, même dans des circonstances aussi dramatiques.

    On évalue aujourd’hui le nombre d’innocents tués en Irak à plus de 100.000 et le nombre de kamikazes ne cesse d’augmenter. La politique impérialiste et néo-colonialiste n’a pourtant pas démarré avec l’Irak ou avec l’Afghanistan, mais remonte bien à plus d’un siècle avec la volonté de s’emparer des ressources naturelles du proche-orient. Cela n’empêche pas les musulmans à travers le monde de percevoir ces guerres comme des attaques visant directement leur religion. Cette colère et le racisme à leur encontre sont encore nourries par les propos des politiciens bourgeois qui ne cessent de clamer le manque d’intégration de leurs communautés. Là se trouvent les causes réelles de ces attaques.

    Al-Qaïda, quant à elle, a perpétré et planifié ces attaques, et n’est rien d’autre qu’une organisation réactionnaire qui rêve des même choses qu’Iznogoud : devenir Calife, revenir au XVIIème siècle. C’est aussi une organisation fondée par ceux qui ont servi de rempart contre le stalinisme dans la guerre de ’79 grâce au soutient de l’impérialisme américain.

    Pourtant après la chute de l’URSS, nul doute que leur combat allait s’orienter vers ce même impérialisme. Les socialistes se sont toujours opposés au terrorisme aveugle, tentative de remplacer l’action de masse par l’action individuelle, car la classe dirigeante l’utilise perpétuellement pour justifier sa politique de répression. Où s’arrêteront les lois antiterroristes ? Un jeune électricien brésilien a déjà été abattu par la police : il pouvait représenter potentiellement une « menace ».Se fera-t-on arrêter lorsque nous manifesterons contre la guerre pour « collusion avec des terroristes » ? Aucune de ces mesures ne sera capable d’endiguer le terrorisme. Bien au contraire, elles ne feront qu’augmenter l’aliénation des jeunes musulmans, les rendant plus facilement « recrutables » pour Al-Qaïda et ouvrant des possibilités pour de nouveaux Abou-Ghraïb et Guantanamo, voire d’enfermer des innocents sans la moindre preuve. Nous devons également désigner clairement les causes et les responsables de cette boucherie, le caractère de classe de la guerre sous peine de voir les gouvernements s’en décharger et au passage accroître le racisme. Le seul moyen d’empêcher ce genre d’atrocités de se reproduire est de s’attaquer aux racines et non aux conséquences du mal : une classe ouvrière unie, au-delà des différences de religion, pour un retrait unilatéral et immédiat des troupes d’occupation.

    Nous ne pensons pas qu’un simple changement de ministère, voire de gouvernement suffise à arrêter les horreurs, mais bien qu’un changement pur et simple de système par des actions de masse le permette.

    Le capitalisme est entré dans sa phase réactionnaire, il est dépassé par sa crise, la guerre nous le rappelle chaque jour. La solution en Irak, comme partout, ne réside pas dans des idées réactionnaires et théocratiques comme celles d’Al-Quaïda ou d’autres tendances politico- religieuses de droite, mais bien dans une solution socialiste. Nous nous trouvons donc bien à un croisement où nous devrons choisir entre deux routes : la première, une polarisation ethnico-religieuse qui marquerait un retour désastreux à une mentalité de ghetto ; la deuxième, une solution de groupe qui s’attaquerait aux causes fondamentales du terrorisme, le racisme et la pauvreté. Remettant donc en cause le capitalisme, car comme Malcolm X l’a dit: il n’y a pas de capitalisme sans racisme.

    Non à la guerre, Non au terrorisme, Non au racisme. Construisons cette alternative, rejoins le CIO, rejoins EGA!

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