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Tag: Film
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Annie colère, un film militant de Blandine Lenoir
Annie est ouvrière dans une petite usine qui produit des matelas. Elle a deux enfants mais ne souhaite pas en avoir plus. Quand elle se retrouve involontairement enceinte, elle fait appel à une antenne locale du MLAC[1] qui milite, dans une ambiance chaleureuse, pour la légalisation de l’avortement en aidant les femmes à avorter par la méthode Karman, par aspiration, avec l’aide de médecins et de bénévoles. Cela se passe en France en 1974, dans une petite ville de province. Et à l’époque, l’avortement est totalement interdit.
Par Francine Dekoninck, infirmière, militante syndicale et féministe
Dans un premier temps Annie estime ne pas avoir le temps de s’engager dans l’association car elle est déjà fort occupée par son travail et sa famille. Mais lorsque Christiane, sa voisine meurt des suites d’un avortement clandestin, elle décide de s’engager dans le mouvement. Elle y découvre une grande solidarité et apprend progressivement à pratiquer elle-même des avortements.
Le mouvement a du mal à répondre à une demande croissante de la part des femmes. Des tensions éclatent avec les jeunes médecins (tous des hommes[2]). Annie et d’autres bénévoles y voient l’occasion de rendre aux femmes le contrôle de leur corps.
Lorsque la loi Veil[3] est adoptée par l’Assemblée nationale et que l’avortement est dépénalisé, la question de la dissolution de l’association local du MLAC est posée. Mais l’avortement à l’hôpital ne sera pas gratuit et la clause de conscience pour les médecins limite de fait l’accès à l’avortement. Touchée par le mouvement de solidarité qu’elle a découvert au MLAC, Annie décide de commencer des études d’infirmière.
En Belgique, l’avortement figure toujours dans le code pénal bien qu’il ait été partiellement dépénalisé en janvier 1990 (loi Lallemand-Michielsen). Baudouin 1er,,roi des Belges à l’époque et membre d’une secte catholique[4], refusera d’apposer sa signature sous cette loi.
Courez vite voir ce film militant qui m’a fort émue car, professionnellement avant 1990, j’ai vu tant de jeunes femmes venues mourir à l’hôpital à la suite d’un avortement clandestin !
[1] MLAC : Mouvement pour la Libération de l’Avortement et de la Contraception.
[2] A l’époque les hommes sont largement majoritaires chez les médecins généralistes. Ce qui a changé aujourd’hui.
[3]La loi Veil, votée en décembre 1974 (274 députés de la gauche et du centre votent pour, 189 députés de droite votent contre) autorisera l’avortement pratiqué par un médecin dans un délai de dix semaines.
[4]Le Renouveau charismatique.
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Film. Rien à foutre

Cassandre, une jeune femme de 26 ans originaire de Huy, est hôtesse de l’air chez Wing, une compagnie low cost semblable à Ryanair. Elle exerce ce métier « pour voyager ». Mais son emploi du temps se résume invariablement à des vols moyen courrier au départ de Bruxelles vers Malaga ou Lanzarote alors que son rêve serait de pouvoir assumer chez Emirates des vols long courrier vers des destinations prestigieuses telles que Dubaï. Mais en 2024 le statut du personnel de cabine des compagnies low cost ne correspond plus à celui du personnel de la Sabena il y a 25 ans.
Par Guy Van Sinoy
Les relations humaines avec la hiérarchie sont impersonnelles et cassantes. Elle se limitent le plus souvent à des directives communiquées à distance sur écran. Pour exercer ce métier chez Wing il faut avant tout apprendre à faire fi de ses émotions, s’entraîner à sourire pendant minimum 30 secondes et encaisser sans broncher les grossièretés de l’un ou l’autre passager. L’évaluation du personnel de bord se fait sur le montant de la vente en cabine : boissons, sandwiches, friandises et parfums.
Pour tenter d’oublier quelque peu cette situation aliénante, lors des escales, Cassandre fait souvent la fête la nuit en boîte. Après trois ans de vol elle doit choisir : soit passer des tests pour devenir chef de cabine, soit perdre son emploi. C‘est de cette façon que Wing organise la rotation du personnel, élimine les moins « performantes » et s’assure de n’employer que du personnel jeune et mal payé.
Ce film de fiction réalisé par deux jeunes auteur.trice belges (Emmanuel Marre et Julie Lecoustre) nous fait partager le sort des précaires bossant dans les compagnies low cost. Dans une séquence tournée à Zaventem, un petit clin d’œil à Didier Lebbe, secrétaire syndical CNE en charge du personnel naviguant (dans la vraie vie).
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Critique. « Don’t Look Up, déni cosmique »

Don’t Look Up : Déni cosmique est le nouveau film à succès de Netflix, une comédie satirique qui traite de la politique, des médias, de la science, des théories du complot, de la pandémie et du changement climatique.Par Manus Lenihan, Socialist Party (section irlandaise d’ASI)
Une comète est sur le point d’anéantir toute vie sur Terre : telle était l’idée de base de non pas un mais deux films hollywoodiens sortis en 1998. Deep Impact était considéré comme plus “réaliste” qu’Armageddon, mais tous deux étaient des fantasmes des années 1990, à l’époque où davantage de gens faisaient encore confiance à l’establishment politique. L’intellectuel Francis Fukuyama s’était construit une notoriété internationale en parlant de la « fin de l’histoire ». Les deux films nous montrent une espèce humaine unie, guidée par des politiciens américains sages et bienveillants qui adoptent les mesures qui s’imposent pour sauver la planète de la destruction.
Cette fin d’année 2021, beaucoup d’entre nous ont regardé « Don’t Look Up, déni cosmique », un film qui repose sur le même principe. Mais cette comédie est beaucoup plus fidèle à la réalité… Elle comprend que la bataille ne se résume pas à « l’humanité contre la comète ». En tant qu’espèce, les moyens existent pour détruire l’astéroïde. Mais la classe dirigeante est trop pourrie pour le faire. Là où Armageddon parlait essentiellement d’un gros caillou, Don’t Look Up, déni cosmique traite de la politique, des médias, de la science, des théories du complot, de la pandémie et du changement climatique.
Essayons d’aborder l’intrigue sans tomber dans les spoilers… L’histoire suit Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence), l’étudiante américaine qui découvre l’astéroïde, et Randall Mindy (Leonardo DiCaprio), son professeur. Encore sous le choc de la découverte de la fin du monde, ils sont d’autant plus décontenancées par le fait que les médias et la présidente américaine (Meryl Streep) s’en moquent. L’histoire de l’astéroïde « tueur de planète » doit se frayer un chemin dans l’actualité entre la rupture d’une célébrité et la nomination d’un cow-boy ancien acteur porno à la Cour suprême.
Après avoir été ignorés, Kate et Mindy doivent affronter le déni. La science est remise en question, Kate et Mindy sont dénoncées comme “marxistes” par l’extrême droite. Le téléspectateur pensera inévitablement aux débats autour du Covid et du changement climatique.
Après le déni, vient la cooptation. Kate paie un lourd tribut parce qu’elle n’a pas peur de dénoncer les machinations des milliardaires de la tech et des politiciens – l’étiquette de “marxiste” n’est peut-être pas si éloignée de la réalité. Mais Mindy est séduit par la célébrité. Il permet que sa propre crédibilité de scientifique soit utilisée comme feuille de vigne pour un projet imprudent et cupide. Dans une phrase que nous avons entendue de la part de milliers de traîtres politiques, il insiste sur le fait qu’il est préférable d’être « dans la pièce où les décisions sont prises ». Même s’il n’a pas vraiment son mot à dire et que les décisions sont mauvaises.
A un certain moment, l’acolyte de la présidente (Jonah Hill) explique à un rassemblement digne de Trump que le monde est divisé en « vous, la classe ouvrière », « nous, les riches cool », et, en tirant un visage dégoûté, « eux ». Le terme « eux » faisant référence aux personnes qualifiées « d’intelligentes ».
Le film se moque bien sûr de cette vision du monde étrange et condescendante. Mais à d’autres moments, le film semble porter lui-même une telle condescendance. À plusieurs reprises, les protagonistes plaident avec ferveur pour que nous écoutions les scientifiques, les « personnes qualifiées ». Don’t Look Up, déni cosmique a été critiqué sur ce point pour avoir dépeint la population comme étant crédule et prête à écouter des charlatans plutôt que des « personnes qualifiées ». Mais au vu de la guerre en Irak, de la crise financière ou encore de la pandémie, la méfiance de la population ordinaire à l’égard des « personnes qualifiées » repose sur des éléments biens réels.
A d’autres moments, le film évite l’écueil des remontrances anti-populaires élitistes. Lorsque Mindy et deux lauréats du prix Nobel apposent leur nom sur un plan téméraire et cupide, on nous rappelle que les scientifiques, comme n’importe qui d’autre, peuvent être recrutés au service de causes opposées à la science et à l’Humanité.
Au final, le poids écrasant de la rage et de la moquerie du film retombe principalement sur la classe dirigeante : les grandes entreprises, les décideurs politiques et les médias. Mark Rylance livre une performance glaçante dans le rôle de Peter Isherwell, un personnage qui incarne les grands capitalistes du secteur technologique comme Musk, Thiel et Bezos. Ce personnage est outré lorsqu’on le qualifie d’”homme d’affaires”, car à ses yeux, il n’est rien de moins qu’un messie de la technologie.
Les premiers succès du réalisateur Adam McKay, comme Anchorman (2004, « Présentateur vedette : La Légende de Ron Burgundy » en français) et Step Brothers (2008, « Frangins malgré eux » en français), étaient des films amusants et un peu idiots, avec davantage de moments de franche rigolade. Le générique de fin de The Other Guys (2010, renommé « Very bad cops » pour sa sortie francophone), qui retraçait de manière percutante l’histoire des scandales financiers, laissait entrevoir que le réalisateur jetait son dévolu sur la politique. Puis vint The Big Short (2015, « The Big Short : Le Casse du siècle »), une comédie expliquant les racines de la crise financière. Don’t Look Up s’inscrit dans cette continuité avec une satire plus épique et plus décalée.
C’est un film cynique et pessimiste, pessimiste quant à la capacité de notre classe dirigeante brisée et pourrie à nous sauver, cynique concernant nos milliardaires sociopathes et leurs complexes de sauveur. Mais il n’est pas cynique sur l’humanité en général. Les dernières scènes, avec leurs moments humains touchants et sensibles, rendent hommage à celles et ceux qui agissent même lorsque l’avenir est des plus sombres. Comparé à des films satiriques célèbres comme Dr Strangelove (1964, Docteur Follamour) ou Network (1976, Network : Main basse sur la télévision), Don’t Look Up, déni cosmique est étonnamment optimiste.
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Tout le monde parle de Squid Game… mais pourquoi ?
*Spoiler alert*Squid Game fait parler le monde entier. La série basée en Corée du Sud est la plus regardée de tous les temps sur Netflix : 110 millions de spectateurs ont regardé la série en streaming. Si l’on considère que la série n’est sortie que le 17 septembre dernier, cette ascension est monumentale. Pourquoi un tel succès ?
Par Finn McKenna, Socialist Party (ASI – Irlande)
La série parle de notre monde fracturé, où règnent l’oppression et l’inégalité.
Squid Game trouve un écho parmi les spectateurs de diverses façons. Le scénario est intelligent, les personnages ont de multiples facettes et sont complexes, et la situation dans laquelle ils se trouvent est assez nouvelle pour de nombreux téléspectateurs (moins pour les fans de Battle Royale…). Mais le contexte social des protagonistes est également très important : le créateur, Hwang Dong-hyuk, a d’ailleurs expliqué qu’il souhaitait créer une série sous forme de fable ou d’allégorie de la société capitaliste moderne.
Le principal protagoniste, Seong Gi-hun, est un joueur compulsif en proie à une spirale infernale. Il est coincé dans un cul-de-sac, à vivre dans des conditions exiguës avec sa mère. Seong Gi-hun est malchanceux, fauché et constamment confronté aux vicissitudes de la vie (qu’il ne parvient pas à surmonter). Tout coup de chance est directement brisé par ses dettes de jeu qui le rattrapent sous la forme d’usuriers prédateurs ou par un vol à la tire. Après une mauvaise journée où il perd une grande somme d’argent et déçoit pratiquement tous ses proches, il est invité à jouer au Squid Game par un recruteur en tenue impeccable qui le séduit par ses promesses de richesses.
La série parle de survie au sein du Squid Game mais également à l’extérieur
Le voyage du Squid Game commence réellement lorsque les participants sont emmenés sur une île où les installations du jeu sont supervisées par de mystérieux opérateurs tous vêtus de combinaisons roses. Il existe une hiérarchie entre les opérateurs, reconnaissable aux différentes formes sur leurs masques. Les 456 participants ont pour consigne de porter des survêtements verts, emblématique de la prétendue égalité qui existe au sein du jeu.
L’expérience de la première partie révèle rapidement en quoi consiste ce concours : une série brutale de six jeux que les participants doivent terminer en respectant des règles strictes, sous peine d’être tués. L’unique gagnant remportera alors une énorme somme d’argent.
Les opérateurs rappellent sans cesse aux joueurs que la structure du jeu repose sur les piliers de la démocratie et de la véritable équité. Le terme “égalité de condition” est évoqué. Un examen superficiel pourrait accepter l’affirmation mais, sous la surface, se cache toutefois une dynamique interne et externe de la vie des participants qui réfute toute notion réelle d’égalité et d’équité.
Les participants survivants sont traumatisés et en état de choc après la fin du premier jeu, une version très sanglante « un, deux, trois piano ». Au milieu de la panique, l’un des concurrents se souvient d’une clause du contrat qui garantit le droit de quitter le Squid Game (bien que les mains vides) si une majorité vote pour l’arrêt du jeu. Une majorité des survivants décide de quitter le jeu et les participants sont donc escortés hors de l’île, traumatisés et vulnérables, prêts à retourner à leur vie précaire.
Une fois dehors, dans la brutale société capitaliste sud-coréenne, les participants au Squid Game retombent immédiatement dans le désarroi. La vie familiale de Seong Gi-Hun s’effondre lorsqu’il doit faire face à la perspective de voir sa fille émigrer aux États-Unis. De plus, sa mère vieillissante est malade et a besoin de soins dont elle n’a tout simplement pas les moyens.
Cette corrélation de facteurs pousse Seong Gi-Hun et d’autres à retourner au Squid Game. Il y retrouve son meilleur ami d’enfance, Choo Sang-Woo, revenu lui aussi pour terminer le jeu. Pour lui aussi, la vie à l’extérieur s’est effondrée. Autrefois la fierté de son quartier pour avoir réussi dans le commerce, la crème de la crème est maintenant tombée en disgrâce auprès des autorités de l’État pour détournement de fonds et corruption. Cela nous rappelle que même ceux qui appartiennent à la classe capitaliste peuvent se retrouver exclus, leur vie détruite par le système qui les a élevé à des hauteurs ostentatoires obscènes.
Choo Sang-Woo semble être l’exception. La grande majorité des participants au jeu sont issus des couches les plus précaires. La pauvreté fait partie intégrante de l’expérience de la classe ouvrière. Le chômage et les privations ne sont qu’à un jet de pierre pour la plupart des travailleurs.
La question qui se pose alors est la suivante : s’agit-il d’un choix véritable si les circonstances ont contraint la grande majorité des joueurs sans le sou, appauvris et en difficulté à la participation ? Si la réponse est négative, alors l’apparence du jeu comme un grand niveleur des inégalités n’est finalement qu’un mensonge. En fin de compte, la plupart des joueurs sont contraints de participer en raison de la menace d’une pauvreté absolue.
La série montre de nombreuses facettes de la nature humaine
Ce qui est fascinant, c’est la façon dont la série, en utilisant des personnages divers et complexes, et en les plaçant dans des situations de vie ou de mort, peut peindre une image de la nature fluide de l’humanité.
Un cynique pourrait regarder Squid Game et extrapoler que cela confirme la nature négative de l’humanité, en s’appuyant par exemple sur la scène de combat qui a vu la bande autour du criminel et psychopathe endurci Jang Deok-Su perpétrer des dizaines de meurtres contre d’autres participants. Mais cette approche priverait le spectateur de l’opportunité d’apprendre une vérité profonde sur l’humanité : les êtres humains se comporteront de manière particulière en fonction de la situation dans laquelle ils se trouvent et en fonction de la somme totale de leur expérience humaine jusqu’à ce moment-là.
Jang Deok-Su a volontairement pris la tête d’un escadron de la mort qui a attaqué d’autres êtres humains pour le gain financier. Mais sa vie avant le jeu était déjà marquée par la violence et la rage meurtrière. Choo Sang-Woo fait en sorte que d’autres personnes adhèrent à ses plans, puis les poignarde dans le dos. Il est froid, calculateur et intéressé. Où a-t-il appris ce comportement ? Très probablement dans son emploi de haut vol dans la finance, où l’on vénère la mentalité de compétition.
Les gens agissent en fonction de ce qu’ils doivent faire pour survivre. Les opérateurs en costume rose en sont un bon exemple. D’un côté, on peut dire qu’ils symbolisent la banalité du mal – qu’au bout du compte, ils accompliront les actes mortels exigés par les règles du jeu parce que c’est leur travail et qu’ils semblent le faire sans broncher.
Cependant, nous devons approfondir la question. À la fin du jeu du nid d’abeille, un jeune opérateur en fin d’adolescence est pris en otage par un concurrent qui risque d’être exécuté. Le jeune opérateur a pour instruction de se démasquer sous la menace d’une arme, ce qui révèle sa jeunesse, et le concurrent choqué est à la fois stupéfait et troublé. L’inquiétant responsable du jeu apparaît et exécute immédiatement l’opérateur démasqué, car en révélant son identité, il a renié les règles du jeu, même s’il l’a fait sous la contrainte.
La fin prématurée et cruelle de ce jeune opérateur mérite d’être examinée non seulement en tant qu’événement isolé, mais aussi par rapport au contexte sociétal plus large, en dehors du jeu. Pourquoi un garçon aussi jeune a-t-il été impliqué dans un tel jeu de massacre ? A-t-il fait l’objet d’un trafic ? Y est-il entré de son plein gré ? Était-il une sorte de conscrit économique ? Ces questions resteront probablement sans réponse, mais ce questionnement est un exercice utile pour reconnaître que même les opérateurs, qui sont pleinement complices de l’odieuse violence structurelle du jeu, font leur travail et peuvent avoir le sentiment de le faire sous l’effet d’une contrainte systémique plus large.
Si nous devions comparer les actions et le comportement du gangster Jang Deok-Su à ceux de l’ouvrier Ali, nous verrions des opposés polaires. Ali est souvent un véritable sauveur de vies et est toujours ouvert à l’idée de travailler en équipe pour survivre aux horreurs du jeu. En fin de compte, il est trahi par l’homme d’affaires déchu Choo-Sang Woo qui le piège dans le quatrième jeu, le trompant et le laissant affronter sa condamnation à mort.
En fait, nous pouvons observer des comportements conflictuels et contradictoires chez certains personnages. Prenez par exemple Han Mi-Nyeo, l’amante éphémère de Jang Deok-Su. Parfois, elle est violente et sournoise, elle opère avec le gang de Deok-Su et se lance dans une série de meurtres. À d’autres moments, elle apparaît plus faible. Elle est le seul personnage qui se retrouve sans partenaire avant le jeu de billes. D’autres fois, nous la trouvons en train d’engueuler les opérateurs – une action que la grande majorité des joueurs n’oseraient pas faire de peur d’être tués. Elle finit par prendre en main son propre destin en tuant Jang Deok-Su (et en se tuant elle-même par la même occasion).
La série montre que l’humanité n’est pas un monolithe et que le comportement humain, même dans une lutte intense jusqu’à la mort, présente un large éventail d’actions et de sentiments différents qui doivent être compris à la fois dans le contexte immédiat des personnages et dans une perspective plus longue de la façon dont l’humanité est formée et modelée par la société dans laquelle nous grandissons tous.
Les VIP reflètent la classe prédatrice des milliardaires qui gouvernent le monde
Plus tard dans la série, le public fait la connaissance d’une douzaine de magnats milliardaires venus assister en personne à la finale du Squid Game. Ces spectateurs de la violence rappellent plusieurs types de parasites de la classe dirigeante, tant contemporains qu’historiques. On se souvient des empereurs et des patriciens romains qui encourageaient et se délectaient de la violence et de la mort des combats de gladiateurs.
Pour en revenir à notre époque, nous pouvons établir un parallèle entre ces personnages de milliardaires prédateurs et ceux qui existent dans la vie réelle tels que le prince Andrew, Jeffrey Epstein, Harvey Weinstein, etc.
Comme nous l’avons déjà dit, il n’y a pas de véritable équité ou justice dans le Squid Game. C’est là qu’interviennent ces VIP et leur relation avec le jeu. Étant donné le statut et la richesse que possèdent ces oligarques (gagnés par l’exploitation et le jeu), ces vautours ne se seraient jamais trouvés contraints de jouer au Squid Game. Pourquoi le feraient-ils ? Ce jeu est en quelque sorte leur journée aux courses, où un pari cynique d’un million de dollars sur la survie des participants n’est qu’une goutte d’eau sans importance dans l’océan de leur richesse.
Comparez l’existence grandiose des VIP à celle des concurrents. Il faut se rappeler qu’après le vote pour quitter le jeu, une majorité a décidé de revenir malgré le fait d’avoir assisté au massacre de 200 personnes. Une personne en position de privilège pourrait se demander “Pourquoi diable quelqu’un serait-il volontaire pour y retourner ?”. Le fait est que la plupart des survivants sont revenus car ils estimaient que le monde extérieur était encore pire, et que c’était la seule véritable chance d’échapper aux injustices et à l’oppression capitaliste.
Marx a écrit dans le Capital que : “(Dans la société capitaliste) L’accumulation de richesse à un pôle, c’est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage, au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même.”
C’est ce contexte qu’il faut garder à l’esprit en observant la relation entre les VIP et les participants qui dégringolent vers la mort. Le Squid Game n’est ni un pur hasard ni un grand niveleur, mais une sauvagerie organisée qui existe dans les bas-fonds les plus sombres et les coins les plus reculés d’un système qui pousse les gens à de tels extrêmes.
La série trouve un écho parce qu’elle représente en grande partie la réalité
Les circonstances qui ont poussé les participants à mettre leur vie en danger sont des circonstances auxquelles une grande partie du monde est confrontée aujourd’hui. La Corée du Sud est actuellement en proie à l’une des pires crises de la dette au monde, dont le fardeau pèse sur sa classe ouvrière. Avant le Squid-Game, Seong Gi-Hun n’a pas toujours été un joueur invétéré et un père de famille défaillant. Peu avant, il était employé dans une usine automobile. Il a perdu son emploi à cause de l’irresponsabilité des propriétaires. Jusqu’à ce moment-là, il avait une certaine stabilité dans sa vie. Cependant, le système a détruit cette stabilité lorsqu’il a perdu son emploi. Le réalisateur de la série a indiqué que cette sous-intrigue est basée sur des événements réels survenus dans une usine automobile sud-coréenne – la grève automobile chez Ssangyong Motors. (1)
La fin de la série est poignante. L’impitoyable finale du jeu, où le gagnant remporte tout, laisse le public pantois. Le dernier homme debout, Seong Gi-Hun, est rongé par la culpabilité et la dépression malgré toute la richesse qu’il a ramenée. La misère et la violence qu’il a vues pendant le jeu pèsent sur son esprit. Il est sous-entendu que Seong Gi-Hun devient un bon milliardaire, un mythe souvent vendu aux masses populaires à l’aide d’incarnations telles que Bruce Wayne (Batman) et Tony Stark (Iron Man).
Pour l’auteur de ces lignes, qui a dévoré toute la série en vingt-quatre heures à peine, la fin n’est pas la chose la plus importante à retenir. Le message à retenir de Squid Game est qu’il est apparu à un moment précis de la décomposition de la société capitaliste. Le fait qu’il résonne autant avec des dizaines de millions de personnes dans le monde entier témoigne d’une colère et d’une aliénation croissantes ressenties par les masses qui subissent ce système capitaliste inhumain et destructeur. Cela devrait inspirer toutes celles et ceux qui espèrent un monde équitable et juste. Le succès de la série rappelle que des millions de personnes à travers le monde souhaitent un même changement. C’est le pouvoir inhérent au Squid Game.
1) https://labornotes.org/blogs/2021/10/real-life-auto-strike-behind-runaway-netflix-hit-squid-game
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“Framing Britney Spears” : l’impact dévastateur du sexisme

Le documentaire du New York Times “Framing Britney Spears” explore la carrière de la célèbre chanteuse tout en soulignant l’impact dévastateur du sexisme et des médias commerciaux sur le bien-être d’une adolescente pleine de vie poussée à bout.
Par Aislinn O’Keeffe (Socialist Party, ASI-Irlande)
La jeune star a été sexualisée et considérée comme un simple objet dès son plus jeune âge. Sa maison de disques et les médias l’ont peu à peu coincée dans un cul-de-sac impossible : Britney devait être sexy, mais pas sexuelle. Tout était sexualisé autour de son image mais, en même temps, sa virginité faisait l’objet d’une véritable obsession.
Cette situation est révélatrice d’un problème social bien plus large, celui de l’objectivation des femmes sous le capitalisme, le processus déshumanisant de réduction d’être humains au rang de simples objets. Dans la société capitaliste actuelle, le processus d’objectivation des femmes est renforcé par l’importance accordée à leur apparence au travers de la publicité, de la télévision, des magazines, de la musique, du cinéma,…
Transformer en objet et le vendre
D’immenses industries se sont développées et reposent sur l’exploitation des femmes par le biais de l’objectivation. On estime que l’industrie cosmétique mondiale représentera 438,38 milliards de dollars en 2026. L’industrie pornographique représente 97 milliards de dollars par an. Une foule d’autres industries bénéficient de cette objectivation, notamment la mode, la télévision, le cinéma, la vente au détail, les médias de masse et les médias sociaux.
Si l’objectivation dévalorise les femmes en tant que personnes, elle dévalorise également les activités qu’elles pratiquent. C’est particulièrement vrai pour les activités spécifiquement associées aux femmes, telles que les tâches ménagères et les soins. Une grande partie de ce travail est effectué gratuitement au foyer tandis qu’elle ne rapporte qu’un salaire inférieur sur le lieu de travail. Au grand plaisir des patrons.
Déshumanisation et violence
Dépeindre les femmes comme des objets implique qu’elles peuvent être utilisées et jetées à volonté. C’est d’ailleurs très évident dans la manière dont Britney Spears a été traitée dans les médias : il a toujours été question de son apparence et de sa sexualité supposée, au détriment de son talent et de sa personnalité.
L’une des conséquences de cette déshumanisation est l’augmentation de la violence. Une grande partie des féminicides est causée par une connaissance des victimes. Un tiers des femmes subira un jour ou l’autre des violences physiques ou sexuelles, du harcèlement sur le lieu de travail aux attouchements non désirés en passant par les agressions verbales et les autres formes de sexisme, jusqu’au meurtre.
Une vie faite de telles expériences représente une intense violence. Les normes de beauté irréalistes, les agressions, le harcèlement et la manipulation psychologique de la société sont dévastateurs pour la santé mentale.Nous refusons tout cela !
Le débat actuel sur la façon dont Britney Spears a été traitée contient également des éléments positifs. Il est remarquable de constater qu’un changement de mentalité majeur s’est opéré depuis la fin des années 1990. Ceux qui ont grandi avec Brittney regardent avec horreur l’hyper-sexualisation de la star et son traitement par les médias de l’époque. Ce qui était alors “normal” ne l’est heureusement plus pour de nombreuses personnes. C’est en partie le résultat des mobilisations de masse en faveur de l’émancipation des femmes.
Malheureusement, cela ne signifie pas que la bataille est terminée. Le capitalisme comporte l’oppression des femmes et les discriminations dans son ADN. Pour obtenir un changement fondamental, nous devons nous organiser et utiliser toute la force du mouvement ouvrier pour renverser le capitalisme.
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MOXIE! Un teen movie féministe qui rend hommage au Riot Grrrl

Le cinéma n’échappe pas à la règle : l’art est le reflet de son époque. MOXIE ! (disponible sur Netflix) est très clairement l’un des fruits de l’essor d’une nouvelle vague féministe. Un teen movie rafraîchissant qui ne manquera pas d’inspirer de nombreux jeunes (et moins jeunes) à s’engager. Cerise sur le gâteau, le film fait la part belle au Riot Grrrl, un mouvement féministe né à Seattle au début des années ’90 à la croisée du punk et du rock alternatif. Alors, arrêtez deux secondes de lire cet article et ne revenez qu’après avoir mis « Rebel Girl » de Bikini Kill en fonds sonore…
MOXIE ! est réalisé Amy Poehler, que l’on connaît essentiellement pour sa participation à l’émission américaine culte « Saturday Night Live » et pour son rôle de Leslie Knope dans la série « Parks and Recreation », sur base du live éponyme de Jennifer Mathieu. On y suit Vivian (Hadley Robinson), une jeune fille qui décide de refuser le sexisme qui règne dans son école.
Chaque année, des garçons « populaires », membres de l’équipe de football américain, publient leur classement des filles sur base de critères sexistes (Meilleur décolleté, La plus baisable, Meilleur fessier, etc). L’un d’eux, Mitchell (Patrick Schwarzenegger), commence aussi à harceler une nouvelle élève, Lucy (Alycia Pascual-Pena), métisse d’origine latine, qui en fait part à la directrice (Marcia Gay Harden). Cette dernière refuse de réagir, car Mitchell est très populaire et est le capitaine de l’équipe de foot.
Révoltée par la situation, Vivian, plutôt timide, édite un petit fanzine, un journal qui s’inspire des fanzines féministes que sa mère (Amy Poehler) créait elle-même étant jeune. Elle lui donne le nom de MOXIE ! (de l’argot pour « courage ») et en dépose en cachette des exemplaires dans les toilettes de l’école. Le petit journal fait l’effet d’une bombe dans les couloirs de l’établissement et, rapidement, un petit groupe de jeunes filles se réunit et s’organise en prenant le nom de MOXIE ! La suite du film suit ce groupe de jeunes en lutte contre le sexisme et le statu quo dans leur école, à travers un casting diversifié et inclusif.
« Moxie aurait pu être plus agressif et punchy », selon l’Echo, qui trace le parallèle avec les sons du Riot Grrrl (nom qui provient d’ailleurs également d’un fanzine). Cela revient à passer (très certainement volontairement) à côté du point fondamental : le Riot Grrrl, ce n’est pas un style. C’est avant tout un mouvement musical politique qui abordait les thématiques du viol, de la violence domestique, du racisme et du sexisme en général dans la société et dans la musique contestataire elle-même. MOXIE ! aborde ces questions à partir des réflexions et contradictions qui sont celles de la jeunesse d’aujourd’hui alors qu’elle fait son entrée dans l’arène de la lutte sociale. De tels films qui abordent de manière bienveillante l’engagement mais aussi et surtout l’organisation et le caractère collectif de la lutte pour le changement manquent encore cruellement.
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Critique de film : Rocks

Rocks, réalisé par Sarah Gavron, est un film moderne centré sur le passage à l’âge adulte, sur la vie et les luttes du personnage principal, Olushola “Rocks” Omotoso. Le film se déroule dans le Londres d’avant la pandémie et suit Rocks et ses amies adolescentes dans leur vie quotidienne dans un milieu ouvrier et multiculturel. L’intrigue principale tourne autour de la réaction de Rocks face à une crise familiale.
Par Shane Finnan, Socialist Party (section irlandaise d’Alternative Socialiste Internationale)
Au début du film, la mère de Rocks abandonne à la fois Rocks et son jeune frère. Ce n’est pas la première fois que la mère de Rocks prend son envol. Elle a des antécédents de maladie mentale. Dans une lettre laissée à sa fille, sa mère explique qu’elle a besoin de “se vider la tête” et “je devrais vraiment être meilleure pour toi”. Les détails de la crise qui touche la mère de Rocks sont filtrés pour le public tout au long du film.
Le film est à la fois une évaluation réaliste de la maladie mentale sous le capitalisme et de ce que cela signifie de vivre sous le seuil de pauvreté. La maison familiale est un appartement d’une tour d’habitation. Le film a été tourné dans les années qui ont suivi l’incendie de la tour Grenfell à Londres. Si aucune référence n’est faite à cet incendie, la précarité de l’existence dans une tour ouvrière multiethnique qui y est relatée fait immanquablement penser à cette catastrophe.
L’un des thèmes principaux du film est la résilience. Rocks utilise son intelligence et sa réflexion pour survivre. Subitement seule à s’occuper de son jeune frère, Rocks, qui n’a pas plus de 14 ou 15 ans, doit trouver chaque jour comment veiller sur son jeune frère et comment échapper aux services sociaux. Elle connaît bien la nature des services sociaux en Grande-Bretagne et est déterminée à ne pas être prise en charge avec l’espoir que sa mère réapparaisse après une période de convalescence.
Rocks est née d’une mère nigériane et d’un père anglais, elle n’a pas de famille en Grande-Bretagne. Après sa mère, son plus proche parent est sa grand-mère qui vit à Lagos. L’école de Rocks est représentative du Londres multiethnique. À l’école, elle ne subit aucun racisme de la part de ses camarades de classe. Sa meilleure amie est d’origine nord-africaine, et ses autres amis viennent de milieux aussi divers que ceux des Roms ou des Anglais blancs. Une scène montre la jeune fille d’origine rom raconter comment son arrière-grand-parent a péri à Auschwitz. On y voit les filles se moquer d’Hitler, avec un argot londonien et une façon de parler tout à fait authentique. La représentation des personnages est sincère et crédible.
Mais Rocks n’est pas seulement l’histoire des épreuves du personnage principal. C’est bien plus que cela. Au-delà des dures réalités de la vie quotidienne, on y trouve une réflexion sur le véritable sens de la vie et de la lutte. Au-delà des difficultés, le film aborde la solidarité et les liens qui unissent les jeunes. Le spectateur sera parfois près des larmes, mais il sera inspiré par la représentation sincère de ces adolescentes issues de la classe ouvrière et de différents milieux qui prennent soin les unes des autres. -
“Au royaume des fauves” (Tiger King) : Une analyse marxiste

Meurtre sur commande, polygamie, comportement digne d’une secte, accidents de fusils, méthamphétamine, fauves, rivalités obsessionnelles et musique country : « Au royaume des fauves » offre un divertissement à plusieurs niveaux. Dans ce système en crise profonde et en déclin, la vérité est plus étrange que toute fiction imaginable. Aucune “alerte spoiler” n’est nécessaire ici car vous avez déjà tout vu ; la série de documentaires Netflix est devenue très populaire et fait l’objet de discussions intenses. Les débats en ligne sont axés sur des questions comme “Carole a-t-elle donné son mari à manger aux tigres ?” et “qui est le pire ?”Par Bryan Koulouris et Eljeer Hawkins, Socialist Alternative (USA)
Cependant, cette série documentaire jette un éclairage déformé et exagéré sur des questions plus importantes concernant la société capitaliste, tant pendant cette pandémie qu’au-delà. Les commentaires de gauche se sont largement concentrés sur les débats concernant les droits des animaux, le “voyeurisme” exagéré des réalisateurs et leur méprise de genre répétée du seul personnage sympathique de la série, Saff Saffery, qui s’est fait arracher le bras par un tigre. Ce sont des questions importantes, mais les socialistes peuvent aller plus loin dans leur analyse.
Dans « Au royaume des fauves », on peut constater l’exploitation intense dont sont victimes des travailleurs vulnérables qui accordent une grande valeur à leur emploi, l’effet de distorsion qu’a la soif de profit incessante des entreprises sur divers aspects de notre vie, la concurrence acharnée entre entreprises, la violence et le sexisme inhérents au système, et bien plus encore. Le comportement des entreprises dans « Au royaume des fauves » ne sont pas des aberrations rurales bizarres : les grandes sociétés portent le comportement psychopathe et antisocial exposé dans ce documentaire à un niveau bien plus élevé. Mais les milliardaires tentent de cacher leurs crimes à grande échelle au lieu de voir chacun de leurs gestes enregistrés par caméra comme les “stars” de « Au royaume des fauves ».
Le journaliste Chris Hedges, lauréat du prix Pulitzer, a écrit que “le nihilisme moral de la culture des célébrités se constate pleinement dans les émissions de télé-réalité, dont la plupart encouragent un sombre voyeurisme dans l’humiliation, la douleur, la faiblesse et la trahison des autres”. Cette déclaration comporte d’importantes vérités, mais les socialistes ne devraient pas adopter une attitude condescendante à l’égard du besoin d’évasion des travailleurs dans le domaine du divertissement, surtout pendant cette pandémie et la douleur profonde ainsi que l’incertitude qui y sont associés. Nous avons tous un niveau de tolérance plus bas pour la télévision et les films pendant la quarantaine, tout comme lorsque l’on est sur un vol long-courrier.
Le succès de « Au royaume des fauves » a poussé les réalisateurs de la docuserie à produire un nouvel épisode qui va ajouter à sa popularité. Joe Exotic a récemment été diagnostiqué atteint du Covid-19 alors qu’il purgeait sa peine de 22 ans de prison pour cruauté envers les animaux et complot visant à tuer Carole Baskin. Bien que l’on entende des plaisanteries à ce sujet, il s’agit du prélude à une terrible propagation de l’infection et d’un nombre de décès élevé dans le système d’incarcération de masse des Etats-Unis. Alors que de nombreux travailleurs de l’industrie de la marijuana sont considérés comme essentiels pour aider les patients en souffrance, des centaines de milliers de personnes de couleur sont emprisonnées pour des délits non violents liés à la drogue. Cette tragédie n’est qu’un exemple de la façon dont les questions soulevées par la fascination des gens pour « Au royaume des fauves » méritent d’être discutées plus en profondeur.
Le capitalisme exposé
«Les seuls mobiles que l’économie politique mette en mouvement sont la soif de richesses et la guerre entre convoitises, la concurrence. » Karl Marx, Manuscrits de 1844.
Les travailleurs sont terriblement traités dans les zoos de « Au royaume des fauves », et les anciens détenus, toxicomanes et sans-abri les plus vulnérables sont embauchés parce qu’ils n’ont pas d’autres options. Ils reçoivent des salaires de misère, de 100 à 150 dollars par semaine en moyenne, et vivent dans des conditions déplorables, avec des rats et sans eau courante. Les tigres et les travailleurs reçoivent de la viande périmée pour survivre. Comme dans la plupart des grandes entreprises, l’idée est colportée que les travailleurs et leurs patrons font partie d’une famille, ce qui sert à justifier une exploitation impitoyable. Bhagram “Doc” Antle, propriétaire de la réserve T.I.G.E.R.S., a déclaré : “Les seuls survivants ici considèrent qu’ils font quelque chose qui leur plaît et que ce n’est pas un travail. C’est un mode de vie dans lequel ils ont plongé”.
L’émission s’appuie fortement sur le contraste entre le piège à touristes agressif de Joe Exotic et le statut philanthropique à but non lucratif de la réserve naturelle agréée de Carole Baskin, Big Cat Rescue. Mais l’émission révèle également que Carole Baskin est millionnaire et que Big Cat Rescue a sa propre histoire d’exploitation sur le lieu de travail. Big Cat Rescue utilise un système insidieux de bénévoles qui ne seront jamais payés pour leur travail, même s’ils sont contraints de travailler de longues heures et de se passer de vacances. Comme de nombreuses associations, Big Cat Rescue joue sur les sentiments d’amour et de compassion des bénévoles pour les animaux afin d’enrichir la richesse personnelle de son propriétaire. Ce n’est pas une coïncidence si les zoos présentés dans « Au royaume des fauves » se situent tous dans des Etats où de terribles législations défavorables aux travailleurs sont en application. Les politiciens tant du Parti républicain que du Parti démocrate font pression pour que ce type de législation antisyndicale soit élargi sous couvert de la pandémie actuelle.
Il est clair que de nombreux travailleurs mal payés de ces zoos s’intéressent de près aux animaux, mais ils sont contraints, par l’impitoyable motivation du profit, de les garder en cage, de les maltraiter et probablement de les tuer discrètement lorsqu’ils ne sont plus rentables. Si ces lieux de travail étaient contrôlés démocratiquement, cette horreur n’aurait pas lieu. Il en va de même pour nos hôpitaux, notre alimentation et notre chaîne d’approvisionnement logistique qui sont confrontés à des conditions terribles pendant cette pandémie.
Le lieu de travail et l’économie capitalistes sont une dictature du profit, et non une démocratie durable. Dans ce système, les scientifiques consacrent leur travail aux armes plutôt qu’à la santé, les artistes développent des publicités plutôt que la culture, et des millions de travailleurs connaissent des conditions dangereuses dans des industries polluantes plutôt que de voir leur travail être consacré à une économie durable. Les travailleurs devraient avoir le contrôle de leurs lieux de travail et pouvoir décider de ce qui y est produit, de la manière dont cela est distribué et des services et divertissements qui profiteraient à la société. Pour réaliser cet avenir, nous devons lutter contre les milliardaires et leurs institutions fondées sur une cupidité sans merci.
Après que l’employé de Joe Exotic, Saff, ait perdu son bras à cause d’un tigre dans un accident de travail, Exotic a déclaré “Je ne m’en remettrai jamais financièrement”, ce qui a donné lieu à des mèmes montrant à quel point Joe est un sociopathe égocentrique. Cette situation n’est pas unique dans le monde des entreprises. De nombreuses études ont montré que les dirigeants d’entreprises ont trois, voire cinq fois plus de chances d’être des psychopathes que la moyenne des gens. Le capitalisme récompense les gens qui ne se soucient pas des autres. Un abominable projet de meurtre commandité a envoyé Joe en prison, mais les dirigeants d’entreprise s’en tirent généralement avec une violence moins flagrante, mais plus mortelle. L’exemple de l’ancien CEO de Wells Fargo, Dick Kovacevich, aujourd’hui cadre chez Cisco et Cargill, est saisissant. Il veut renvoyer les travailleurs au boulot en pleine pandémie : “Nous allons progressivement ramener ces gens et voir ce qui se passe. Certains seront malades, d’autres pourraient même mourir, je ne sais pas… Voulez-vous prendre un risque économique ou un risque sanitaire ? C’est à vous de choisir”.
Qu’est-ce qu’une guerre pour le pétrole, comme celles menées en Irak avec le soutien des deux gros partis des Etats-Unis, si ce n’est un meurtre de masse pour détruire la concurrence ? Il y a aujourd’hui huit milliardaires qui possèdent plus de richesses que la moitié la plus pauvre des Etats-Unis. Alors que des millions de personnes meurent de faim dans le monde, il s’agit d’une forme de violence. Il ne fait aucun doute que la concurrence nue entre Joe Exotic, Carole Baskin et Bhagavan “Doc” Antle est vile, mais ce n’est qu’un exemple des rouages quotidiens qui régissent le capitalisme mondial et de la soif effrénée de profits à tout prix de l’élite dirigeante. Et tant pis si cela signifie la mort et la destruction pour l’humanité et la planète.
Big Cats & Big Business
Joe et d’autres dans cette terrible industrie des zoos ont commencé leur carrière dans ce secteur par une fascination et même un amour pour ces animaux. Au fil des ans, il est clair que le fait de posséder et de vendre des animaux exotiques devient un chemin vers la gloire et la fortune. Cette quête a conduit ces animaux majestueux à devenir des marchandises et des agneaux sacrificiels sur l’autel de la cupidité et de la notoriété des capitalistes. À la fin de la série, alors que Joe réfléchit à ses 20 années passées dans le zoo et dans le commerce d’animaux exotiques qui l’ont conduit en prison, il déclare à juste titre : “être en cage brise l’esprit. Est-ce que j’ai fait cela à mes animaux ? Je l’ai probablement fait”.
Les gens sont à juste titre choqués et indignés que les animaux étonnants de « Au royaume des fauves » soient transformés en rien de plus qu’un moyen de faire du profit, puis jetés au rebut lorsqu’ils ne procurent plus un revenu rapide aux millionnaires. Il y a entre 5 000 et 10 000 tigres en captivité aux Etats-Unis, contre 4 000 à l’état sauvage. Tout est un moyen de faire du profit sous le capitalisme.
Joe Exotic, “Doc” Antle, Jeff Lowe et d’autres se nourrissent de la compassion et de l’amour des gens pour ces animaux qui devraient être dans la nature et non enfermés dans des cages. Cela nous amène à une question plus importante que les zoos : la crise du changement climatique et ses effets sur l’écosystème, les animaux, la terre, l’avenir de l’humanité et de la planète, car le système capitaliste et ses politiques nous ont conduit à des conséquences mortelles, à l’image du Covid-19 qui nous a tous rendus jetables sous ce système malade.
La loi sur la sécurité des grands félins, introduite en 2017, interdirait la propriété privée des grands félins, les caresses publiques ou toute autre activité publique avec les animaux. Il y a actuellement 14 États, dont l’Oklahoma, qui autorisent la propriété de grands félins avec un permis ou une licence officielle. Jusqu’à présent, la loi n’a pas été votée au Congrès. Si elle est adoptée, elle modifierait la loi sur la sécurité des animaux sauvages en captivité, qui rend illégal le commerce des fauves entre Etats et à destination de l’étranger, afin d’interdire totalement la propriété privée des grands félins exotiques.
Le sexisme de “Doc” Antle et la défense des “Rednecks”
Cette série documentaire a été louée l’aperçu qu’elle donne des dessous miteux du capitalisme, mais elle a également fait l’objet de critiques justifiées pour son sensationnalisme voyeuriste et sa soumission aux stéréotypes envers les “rednecks” (les ploucs).
Les représentations des “rednecks” et de la classe ouvrière blanche et des pauvres en général sont stéréotypées et fausses, utilisées pour la valeur de choc et le divertissement banal. Les ouvriers et les pauvres des zones rurales ne sont pas tous des idiots ou des racistes comme Joe Exotic. Il existe une riche histoire d’idées socialistes, d’activisme ouvrier et de lutte de la classe ouvrière dans des États comme l’Oklahoma. Le 2 avril 2018, les enseignants de l’Oklahoma ont fait grève dans tout l’État contre les bas salaires, les coupes budgétaires dans l’enseignement et les classes surpeuplées dans le cadre des grèves d’enseignants de Red4Ed qui ont remis en question l’assaut incessant contre l’enseignement public. Le documentaire donne l’impression que Joe Exotic a obtenu 19% des votes dans tout l’Etat pour le poste de gouverneur de l’Oklahoma, alimentant l’impression que les gens sont stupides. Cependant, Exotic n’a obtenu cette dernière place que lors des primaires du minuscule parti libertarien.
Nous sommes éduqués dans un système capitaliste raciste qui utilise le racisme institutionnel pour diviser les larges couches de la classe ouvrière, en promulguant des politiques qui oppriment quotidiennement les travailleurs de couleur, en injectant des idées d’infériorité et de haine de soi parmi les personnes de couleur, les femmes et les communautés LGBTQI+ à travers des institutions comme l’enseignement et le divertissement. Les éléments de “rednexploitation” de « Au royaume des fauves » entrent en jeu, permettant aux spectateurs d’observer non seulement Joe Exotic, mais aussi les travailleurs qu’il exploite.
Cette approche sert également à miner les meilleurs aspects de « Au royaume des fauves ». Le documentaire donne souvent l’impression que l’exploitation impitoyable qu’il dépeint est causée par un groupe de mauvais individus excentriques, mais c’est le système du capitalisme lui-même qui est le véritable vecteur de cette haine et de cette exploitation quotidienne.
Ce problème est apparu après la diffusion de la série, lorsque Bhagram “Doc” Antle a tenté de réhabiliter son image dans une interview sur Oxygen. Le zoo d’Antle exploite ses travailleurs et ses animaux de la même manière, mais, contrairement au zoo d’Exotic, il est beaucoup plus haut de gamme. Dans l’interview, Antle a essayé de se cacher derrière le fait que la série de documentaires se nourrit de stéréotypes “redneck” qui ne s’appliquent pas à lui. Il a qualifié Exotic de “drogué” et Baskin d’”extrémiste animalier”, tout en se présentant comme un simple défenseur des animaux qui s’est laissé entraîner dans un conflit entre deux individus. Mais nous ne pouvons pas laisser cela masquer les crimes d’Antle et la façon dont ils sont liés à l’exploitation et à l’oppression du capitalisme.
Joe Exotic utilise son pouvoir, ses ressources et son argent pour manipuler de jeunes hommes, tout comme Antle le fait envers de jeunes femmes. Antle dirige un harem et recourt aux mêmes méthodes de contrôle social et économique que Joe Exotic, mais à un niveau plus sophistiqué. Des adolescentes sont embarquées comme stagiaires et vivent avec lui dans la réserve naturelle en travaillant 16 heures par jour sans interruption. Antle choisit les tenues de ses “associés” et leur demanderait de se faire poser des implants. Selon une ancienne employée interrogée dans la série, elles devaient coucher avec lui pour avoir un avancement. Même si Antle tente de minimiser le fonctionnement de secte de sa réserve comme étant une manipulation des cinéastes, ses propres déclarations n’offrent pas d’image si différente : “Cela doit supplanter tous nos autres espoirs, désirs, rêves et envies… Les mariages, les enterrements et les relations à Noël s’évanouissent parce que les 80 tigres seront toujours là à attendre que vous leur livriez leur prochain repas”.
Doc est un sexiste dégoûtant, et c’est choquant. Mais ce n’est pas unique à lui. La classe dirigeante est profondément sexiste, comme le montrent Brett Kavanaugh, Jeffrey Epstein, Harvey Weinstein, R. Kelly, Donald Trump et Joe Biden ! Le capitalisme engendre le sexisme et la pandémie entraîne des pics de violence domestique.
La solution socialiste à l’exploitation
« Et ainsi les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein, et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures, de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement. » Friedrich Engels, Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme.
« Au royaume des fauves » met en évidence l’impitoyable impact du capitalisme sur l’humanité et la nature. Son succès massif est dû à un certain nombre de facteurs, mais son audience mondiale explosive repose sur les conséquences de la pandémie mondiale de Covid-19 et du fait que des millions de travailleuses et de travailleurs sont confinés. Les gens ont eu plus de temps pour s’adonner à Netflix. Ensuite, l’exploitation et la corruption décrites dans l’émission ont des parallèles inquiétants avec la gestion de la pandémie.
Les chefs d’entreprise de « Au royaume des fauves » ne sont pas les seuls criminels millionnaires et milliardaires qui détiennent un pouvoir sur la vie des gens, des animaux, de la planète. Le capitalisme est un système malade et la seule force ayant le pouvoir potentiel de mettre fin à son règne de terreur est la classe ouvrière mondiale et les pauvres. Au cours de cette pandémie, la classe ouvrière mondiale a fait preuve d’ingéniosité, de solidarité et d’amour pour l’humanité en s’entraidant, en valorisant les travailleurs de première ligne et en luttant ensemble.
Il faut faire face aux défis auxquels nous sommes confrontés avec cette pandémie et la crise climatique par l’entrée en action de la classe des travailleurs autour de revendications concrètes pour améliorer nos vies. Ce mouvement pourrait poser les bases pour que la soif de profit cesse de dominer notre travail, nos esprits et notre relation avec la nature. Nous avons besoin d’une alternative socialiste au capitalisme pour que les horreurs de « Au royaume des fauves » finissent par être un artefact de l’histoire mis au rebut, au même titre que la pauvreté, la guerre, l’exploitation, l’oppression, le sexisme, le racisme et le manque d’accès aux soins de santé.
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“Sorry We Missed You.” Ken Loach dénonce le fléau des emplois précaires et à bas salaire

Pendant un moment, il semblait que le célèbre cinéaste britannique et militant socialiste Ken Loach allait définitivement ranger sa caméra après ‘‘Moi, Daniel Blake’’. Mais il est de retour une fois de plus. Avec ‘‘Sorry We Missed You’’, il se focalise sur la misère et la pauvreté qui se cachent derrière les flexijobs britanniques.
Par Koerian (Gand)
Cinq millions, c’est le nombre de Britanniques qui travaillent de manière indépendante, sans contrat ni sécurité d’emploi. 900.000 d’entre eux travaillent avec des contrats dits ‘‘zéro heure’’, des contrats par lesquels le patron décide au dernier moment où vous travaillez et même si vous travaillez. (1)
Depuis la crise financière, le nombre de ces contrats précaires a grimpé en flèche. Ils représentent un quart de la croissance de l’emploi en Grande-Bretagne depuis 2012. Les patrons tentent d’augmenter leurs profits en réduisant les coûts de main-d’œuvre. Cela fait partie du raz-de-marée de précarité qui frappe particulièrement les États-Unis et la Grande-Bretagne. La Belgique est également touchée, il suffit de penser aux emplois flexibles et aux actions des coursiers de Deliveroo pour de meilleures conditions de travail et de salaire.
La vie dans le cadre d’un contrat ‘‘zéro heure’’ est une vie faite de pauvreté et d’insécurité. Les études montrent que plus une personne reste longtemps coincée dans un travail flexible, plus sa santé mentale et physique se détériore. (2)
C’est cette réalité sociale que dénonce Ken Loach dans ‘‘Sorry, We Missed You’’. Le film suit une famille à Newcastle upon Tyne. La mère, Abby, travaille comme aide-ménagère indépendante et le père, Ricky, essaie de trouver un emploi de livreur de colis en sous-traitance. Le couple a une fille de onze ans très intelligente et un fils adolescent rebelle de quinze ans. Après la crise de 2008, Ricky a perdu son emploi et la maison familiale. L’horaire de travail inhumain de Ricky ne lui laisse pas le temps de rester à la maison, de dormir plus de quelques heures d’affilée ou même d’aller aux toilettes. Lorsqu’il est incapable de travailler pour quelque raison que ce soit et qu’il ne trouve pas lui-même un remplaçant, il paie une amende de 100 livres à son employeur. En l’absence de conventions collectives de travail ou de droits sociaux, l’arbitraire patronal ne connaît pas de limite.
Les espoirs de la famille au début du film – la perspective d’obtenir une hypothèque grâce au nouveau travail de Ricky – ne fait que souligner le désespoir d’une situation où le travail fait plonger plus loin dans la misère.
“Sorry” est à tous points de vue un complément à ‘‘Moi, Daniel Blake’’. Les deux films montrent la réalité quotidienne de grandes couches de travailleurs dans le Nord de l’Angleterre. Aucun de ces deux films ne cherche à adoucir les choses. Le réalisme gris de Ken Loach ne laisse aucune place aux lumières hollywoodiennes. Les deux œuvres constituent de sévères condamnations du néolibéralisme anglais.
Le film est admirablement servi par les performances des acteurs Chris Hitchen et Debbie Honeywood, non pas des acteurs professionnels, mais des parents qui ont élevé leurs enfants en subissant des emplois précaires et mal payés. Ils recevaient toujours leur scénario juste avant d’avoir à jouer la scène en question et les surprises, la tristesse et le désespoir que l’on voit à l’écran sont spontanés. La pression que l’existence incertaine exerce sur chaque membre de la famille, y compris les enfants, est parfaitement interprétée.
Comme toujours, Ken Loach n’offre pas au spectateur une solution ou une alternative. En réalité, il est peut-être un socialiste de principe, mais dans ses films, il se veut chroniqueur. Il se considère comme l’un des rares réalisateurs qui, entre documentaires paresseux et talk-shows, met en lumière la dure réalité de la vie sous le capitalisme. Ce qui est déjà appréciable. Comme il le dit lui-même dans une interview au Guardian : ‘‘Les gens sont conscients des règles tacites [de la bureaucratie télévisuelle] sans lesquelles les émissions seraient pleines de rage sur la pauvreté, l’itinérance, les inégalités grotesques, la stupidité de la privatisation et la faillite du NHS (le service de soins de santé britanniques). (3)
1.https://www.onrec.com/news/statistics-and-trends/zero-hour-contracts-triple-accounting-for-a-quarter-of-total-employment
2.https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/roiw.12316
3.https://www.theguardian.com/film/2019/oct/10/ken-loach-sorry-we-missed-you-interview-poverty-homelessness-inequality-privatisation -
“Joker” – Un reflet des temps modernes ?
[Spoil alert !]Joker est un film captivant qui a remporté le premier prix à la Mostra de Venise mais qui a d’autre part fait l’objet d’une vague de mépris de la part des critiques de cinéma. Certains ont décrit le film comme étant ‘‘irresponsable’’ et même ‘‘toxique’’.
Par James McCabe, Socialist Party (CIO – Irlande)
Des commentateurs de tous bords ont souligné que la toile de fond du film allait toucher une corde sensible du public actuel. Nous nous retrouvons au début des années ’80 dans la ville fictive de Gotham, alors que les inégalités de richesse et les troubles politiques vont croissant.
Le protagoniste, Arthur Fleck, est un adulte vivant avec sa mère. Il prend des médicaments pour traiter sa maladie mentale et mène une existence pauvre et précaire comme clown et comédien en herbe. Mais Fleck ne parvient pas à faire rire. Il est tourné en ridicule par ses pairs pour ses accès de rire involontaires et incontrôlables. En plus d’un certain nombre d’expériences humiliantes, son suivi psychologique et médicamenteux lui est retiré en raison de coupes budgétaires.
Sa situation suscite encore plus de pitié lorsque l’on apprend qu’il a été victime de graves sévices durant son enfance. Mais nous sommes en même temps dégoûtés par ses fantasmes concernant sa voisine de palier, qu’il suivra d’ailleurs alors qu’elle se rendait à son travail. Sa frustration et sa rage intériorisées exploseront en une violence meurtrière lorsqu’il abat trois jeunes loups de Wall Street qui l’agressent dans le métro.
Les émeutes de Gotham
Ce trio s’avérera être constitué d’employés du milliardaire Thomas Wayne, à qui il est demandé dans une interview télévisée s’il pense que le meurtrier est motivé par des sentiments anti-riches. Wayne répondra : ‘‘Ceux d’entre nous qui ont fait quelque chose de leur vie regarderont toujours ceux qui n’ont rien fait pour n’y voir que des clowns.’’ Ce commentaire entraînera des manifestations et des émeutes, les manifestants affublés de masques de clown et brandissant des pancartes aux slogans tels que ‘‘Resist’’ et ‘‘Eat the rich’’. Un manifestant masqué paraît au journal télévisé alors qu’il crie ‘‘f*ck les riches, f*ck Thomas Wayne, f*ck le système !’’
Dans les films Batman précédents, Thomas Wayne était présenté comme un noble philanthrope. Dans Joker, on découvre que le milliardaire Wayne a abusé d’une employée ; une réflexion du comportement sexiste et abusif qui a déclenché le mouvement #metoo.
Un film dangereux ?
La plupart des commentaires négatifs sur le film mettent l’accent sur le danger supposé que les actions violentes d’Arthur Fleck puissent susciter des fusillades de masse de la part d’un imitateur. Cette idée selon laquelle les films seraient la principale cause des fusillades de masse est dans la droite ligne des réactions superficielles des médias traditionnels face à ces dramatiques événements de plus en plus fréquents. De plus, l’idée que la santé mentale et la violence vont de pair est un mythe dangereux utilisé par l’establishment pour tenter de séparer les fusillades de masse de leur contexte socio-économique.
Le stéréotype du tireur de masse en tant qu’élément solitaire avec des problèmes de santé mentale s’écarte du contexte plus large de la croissance des idées d’extrême droite, ainsi que de l’aliénation sociale et du stress affectant une grande partie de la population en raison de la précarité du travail et du logement dans la société capitaliste actuelle. Sans parler du contexte de la réaction actuelle contre le mouvement mondial des femmes et de l’hyper-masculinité qui est célébrée dans la culture américaine dans le cadre de la propagande pro-guerre de l’establishment.
Hollywood, une île isolée ?
Ce qui a caractérisé les films hollywoodiens au cours des dernières décennies, c’est qu’ils sont généralement complètement séparés de la réalité sociale. Les inégalités sans précédent d’aujourd’hui, les effets de l’austérité néolibérale, la montée du populisme de droite, l’augmentation de la surveillance de masse et les attaques contre les libertés civiles, les nombreuses guerres, le sexisme et le racisme institutionnels généralisés sont rarement traités par Hollywood, même de manière limitée. Peu importe le traitement des mouvements qui sont apparus en réaction à tous ces sujets. Le flot de films issus de comic books, avec leurs promesses de préquels et de suites très rentables, témoigne de la paresse, de la fatigue et du faible niveau culturel que la domination de l’art par les grandes entreprises tend à générer.
L’image que “Joker” peint du capitalisme moderne s’écarte non seulement du genre “comic book”, mais aussi des histoires généralement banales et des personnages plats qu’un Hollywood déconnecté a mis en scène au cours de la dernière période. La violence graphique dans “Joker” est toutefois horrible, bien qu’elle soit heureusement moins stylisée que la violence célébrée dans les films de Scorsese et Tarantino.
Le film témoigne d’une prise de conscience croissante, par les couches supérieures de la classe moyenne qui dominent Hollywood, de l’impact des crises capitalistes sur la classe ouvrière et les opprimés aujourd’hui. Inspiré par de nombreux films de Scorsese, “Joker” partage également la misanthropie de ce réalisateur et de ses pairs.
Dans “Joker”, la représentation du mouvement de protestation comme une horde d’émeutiers violents et enclins au chaos pourrait bien indiquer l’anxiété que cette couche de la classe moyenne supérieure éprouve à l’égard des mouvements sociaux qui pourraient d’une quelconque manière déstabiliser ou menacer le système sur lequel repose leurs propres privilèges. C’est probablement trop demander que d’attendre de ces gens qu’ils comprennent que, dans le monde réel, tous les changements progressistes ont été gagnés par des luttes par en bas.
Les films n’ont pas besoin de se terminer par un appel au socialisme, mais il n’y aurait pas de mal à ce que davantage de films puissent parler du monde dans lequel nous vivons. De ce point de vue, “Joker” aborde certains points, ce qui peut faire réfléchir les gens, malgré une perspective profondément pessimiste. La production de films qui font preuve d’un certain optimisme à l’égard des gens ordinaires et de la nature humaine serait plus que bienvenue. Et ils seraient plus proches de la vérité.